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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 29 octobre 1831

(Moniteur belge n°138, du 31 octobre 1831 et n°139, du 1 novembre 1831)

Projet de loi qui autorise le gouvernement à signer le traité de séparation entre la Belgique et la Hollande

Formation du comité secret

Dans le comité général du 29, plusieurs orateurs ont été entendus pour ou contre le projet. Nous donnons ci-après quelques discours.

(Moniteur belge n°138, du 31 octobre 1831) M. de Terbecq. - Messieurs, si je prends pour quelques instants la parole, ce n’est ni pour reproduire des arguments dont je craindrais d’affaiblir l’expression, ni avec la prétention de faire adopter ma conviction par mes honorables collègues, mais uniquement pour remplir un devoir sacré que m’impose la gravité des circonstances.

J’approuve, messieurs, tout ce qui a été dit dans cette enceinte pour flétrir le protocole néfaste qui fait l’objet de nos délibérations ; cet acte, émané du droit du plus fort, et qui tend à nous ravir le peu de bien-être qui nous reste encore, est une œuvre inique, qui prouve aux yeux les moins clairvoyants les vues secrètes de la conférence. Le masque est maintenant tombé : on a voulu punir, dans la nation belge, les révolutions qui ont si longtemps fait trembler ces prétendus maîtres de la terre. Voilà, messieurs, le but de tous leurs efforts ; voilà leur tendre affection pour la nation belge. Mais il est un être supérieur qui veille à la destinée des peuples, et comme notre cause a pour elle la justice, elle triomphera. Cette idée me console dans la triste situation où on nous place. De semblables motifs sont pénibles à exposer ; mais quel ami de son pays pourrait se taire en présence d’un si épouvantable abus de la force ?

Maintenant, messieurs, que j’ai fait connaître mon indignation contre le protocole, j’aborde la question principale : cette question, qui a été traitée avec tant d’éloquence, n’exige plus aucun développement. Vous aimez trop la vérité, messieurs, pour que je doive craindre de vous la dire ; un tel langage est le seul qui convienne à tout représentant d’un peuple libre. Je dis donc que notre commerce est dans une effrayante stagnation : la misère se montre partout ; le peuple se croit dispensé de toute reconnaissance pour les impôts dont on le grève, et toutes les classes de la société aspirent après le repos, après quelque soulagement dans les charges, et après la reconnaissance du commerce et de l’industrie. Un de nos premiers devoirs est donc d’éviter au pays de nouvelles charges et de nouveaux malheurs ; or, j’ai l’intime conviction que le rejet de la proposition faite par le gouvernement amènera infailliblement une occupation miliaire, qui causera au pays plus de frais qu’une guerre ouverte ; elle anéantira les pauvres restes de notre industrie, et détruira pour longtemps nos ressources que nous devons tant ménager. En fidèle et loyal mandataire de la nation, j’impose silence à toutes mes douleurs, à mes affections, pour remplir un triste mais impérieux devoir ; et, la main sur le cour, je dis dans la conviction de mon âme, messieurs : « Le salut de notre chère patrie est l’adoption du projet, » et cette conviction, qui est la règle de ma conduite, me commande de me soumettre, pour le moment, à l’empire de la nécessité.

Mon vote sera donc approbatif.

M. de Nef. - Messieurs, dans une circonstance aussi solennelle que celle où nous nous trouvons, et d’où dépend l’avenir de la Belgique, j’éprouve le besoin, messieurs, de vous exprimer en peu de mots les motifs de mon vote.

En examinant les 24 articles qui sont soumis à notre délibération, je ne puis me dissimuler tout ce qu’ils renferment d’affligeant dans plusieurs de leurs dispositions ; et, si ces mêmes articles avaient été présentés il y a quelques mois, je pense que la représentation nationale aurait été probablement unanime pour les repousser.

Mais depuis lors notre situation politique a entièrement changé ; la Pologne a succombé, d’autres insurrections ont été étouffées, et notre pays, victime d’une invasion subite et déloyale, a été ravagé et couvert de désastres.

Cette suite d’événements a eu pour résultat de changer entièrement le langage de la conférence de Londres à notre égard, et en même temps d’imprimer aux actes de cette même conférence un caractère de force qu’ils étaient loin d’avoir précédemment : on ne peut donc pas argumenter aujourd’hui de ce que des décisions de la conférence sont restées sans exécution, pour en conclure qu’il en serait encore de même des vingt-quatre articles dont nous nous occupons actuellement.

Le changement qui s’est opéré dans la situation politique de l’Europe me fait craindre que les moyens d’exécution, qu’on n’aurait jamais osé employer précédemment contre nous, le seraient aujourd’hui ; et alors quelles seraient les suites de notre refus ? Notre pays exposé de nouveau à tous les malheurs de la guerre, notre crédit et notre commerce peut-être détruits pour longtemps, et par-dessus tout notre indépendance et nos libertés menacées d’être complètement anéanties.

Devant des craintes aussi fortes et une perspective aussi accablante, il ne m’est pas permis de balancer, et, quelques pénibles que soient les sacrifices que l’on exige de nous, je me verrai néanmoins forcé de donner mon suffrage au projet de loi qui nous est présenté, espérant d’ailleurs que le Roi pourra encore parvenir à obtenir quelques modifications favorables et quelques garanties ultérieures.

Quant à nos malheureux compatriotes du Limbourg et du Luxembourg, à l’abandon desquels on nous contraint de souscrire, je sens aussi vivement que personne tout ce que cette séparation forcée offre de crue.

Mais les moyens que nous aurions pu tenter jadis pour l’empêcher n’auraient plus le même succès aujourd’hui, et pourraient entraîner la ruine de la Belgique tout entière : dans un tel état de choses, j’augure trop bien de la générosité de mes compatriotes pour ne pas croire qu’eux-mêmes s’opposeraient à ce que tout le pays se sacrifiât pour eux, en recourant à des moyens désespérés et inutiles.

D’un autre côté, messieurs, veuillez aussi tourner vos regards vers mes commettants de la Campine, et songez quel serait leur sort si jamais les hostilités devaient être recommencées ; ce pays qui est pauvre en produits, mais riche en patrimoine, a déjà bien souffert ; pendant tout l’hiver dernier il a dû fournir aux besoins de nos troupes, et a essuyé ensuite tous les excès d’une armée ennemie. Eh bien ! messieurs, si la guerre éclatait de nouveau, ce pays ne serait probablement guère défendu, et serait livre ainsi à tous les malheurs qu’une occupation par des troupes ennemies entraîne toujours à sa suite.

S’il me restait donc encore quelque doute sur le parti à prendre, ces dernières considérations viendraient à l’appui pour déterminer mon vote, qui sera affirmatif.

M. le Hon. - Messieurs, j’ai la conviction intime qu’il est de toute nécessité que nous acceptions le traité de paix qu’on nous impose. Nous n’avons aucun moyen de nous y soustraire, et, si déjà la conférence n’a pas arrêté les moyens de nous contrainte à l’acceptation, ces moyens seront bientôt trouvés. Il ne faut pas perdre l’unique occasion qui nous est offerte de constituer une Belgique indépendante, elle qui ne le fut jamais, elle que l’histoire nous présente sans cesse passant de main en main, et appartenant tantôt à tel souverain, tantôt à tel autre. Il ne faut pas se le dissimuler, si nous voulons entrer dans la famille européenne, nous n’avons que deux moyens : il faut ou que nous y entrions par la force, ou que nous y soyons admis par les traités. Par la force cela devient impossible aujourd’hui, surtout si la volonté bien expresse et bien arrêtée des grandes puissances de l’Europe est, comme j’en suis convaincu, de prévenir toute reprise des hostilités et d’arriver à la paix générale par un désarmement général.

Quant aux traités, messieurs, parcourez tous ceux qui ont, dans des temps divers, réglé les destins de la Belgique et délimité son territoire, vous n’en trouverez aucun qui consacre son indépendance et qui lui accorde un territoire plus étendu et de meilleures frontières que le traité qu’on nous présente aujourd’hui.

On a parlé beaucoup du déshonneur qu’il y aurait à accepter le traité. Je ne vois pas de déshonneur là où l’on ne cède qu’à une force irrésistible. Nous obtenons moins que nous n’avions demandé ; mais jamais peuple obtint-il tout ce qu’il demandait ? Un peuple ne peut pas plus fixer ses limites qu’un propriétaire ne peut fixer celles de son champ, sans le consentement et au préjudice de son voisin.

L’orateur, abordant la question de la neutralité, soutient que cette neutralité ne s’oppose ni à la prospérité de la Belgique, ni à la possibilité de se défendre, en cas d’agression ou d’affronts que l’on voudrait lui faire essuyer. Sans doute il est douloureux pour nous de devoir nous séparer de compatriotes qui ont fait la révolution avec nous, et qui ont, avec nous, contribué à conquérir l’indépendance du pays ; mais il faut songer ici que par un refus nous exposerions le pays à une invasion, peut-être à un démembrement et à la radiation du nom belge du livre de vie des nations, ou à tous les fléaux de la guerre. Croyez-vous, messieurs, que, quand la Pologne avait à combattre les armées nombreuses et toujours renaissantes de l’autocrate du Nord, elle n’eût pas consenti à se séparer de la Lithuanie et de la Volhynie, si la conférence lui avait dit : « Votre duché de Varsovie indépendant ? » Sans doute la Pologne aurait accepté, parce qu’elle aurait considéré qu’il fallait d’abord sauvé l’indépendance du pays et le principe révolutionnaire, et attendre du temps la possibilité de voir ses frères jouir des mêmes bienfaits.

L’orateur fait ici une allusion au discours de l’honorable M. Jaminé ; il lui paie le tribut d’admiration que son discours éloquent lui a mérité, et ajoute que, si dans des circonstances ordinaires il était question d’un pareil traité, et que la force ne fût pas là pour en rendre le refus impossible, il le rejetterait. C’est ce qu’il ne croit pas pouvoir faire dans les circonstances où la Belgique se trouve placée.

L’orateur termine en rapportant ce qu’il sait de l’opinion des gouvernements étrangers et des vœux de tous les peuples pour la conservation de la paix.

(Moniteur belge n°139, du 1 novembre 1831) M. Rouppe. - Messieurs, la nation en deuil a jugé comme nous les actes de la conférence de Londres, qui sont l’objet de nos longues et tristes délibérations ; mais le moyen de nous soustraire à l’œuvre de l’iniquité !

Que peut le courage individuel du plus vaillant, lorsque seul il se trouve assailli par cinq cents adversaires. Si à la bravoure il sait allier la prudence et la sagesse, il cède à la force ; il se soumet momentanément, dans l’espoir et avec la ferme résolution de se venger un jour. Telle est identiquement notre position comme nation ; tel est aussi, je pense, messieurs, le seul parti qu’il nous reste à prendre.

Sans nul doute, la valeur et le patriotisme du peuple belge, nos moyens militaires actuels, nous permettent de nous mesurer en pleine confiance avec notre ennemi.

Mais, messieurs, le pacte de fer nous est imposé au nom des cinq puissances, au nom de celles-là même sur les sympathies et la bienveillance desquelles nous avions, hélas !, fondé nos plus chères espérances. Délaissés par nos amis, accablées par des forces démesurées, que nous reste-t-il à faire… ? Attachons des crèpes à nos drapeaux ; mais conservons, s’il se peut, nos couleurs nationales.

Le jour viendra, il n’est pas si éloigné peut-être, où nous remplacerons ces crèpes par des guirlandes de lauriers. La marche du siècle, la Providence, vengeresse de l’oppression et de l’iniquité, nous en seront garants. Gardons-nous cependant, messieurs, gardons-nous bien de légitimer, par une adhésion qui pourrait être réputée volontaire, les conditions si désastreuses, si humiliantes du prétendu traité de paix. Que l’univers sache que nous ne cédons qu’à la force en protestant contre l’injustice. Quant à moi, messieurs, faisant le douloureux sacrifice de mes affections et de mon opinion particulière, je saurai, comme représentant de la nation, fléchir sous le poids d’une cruelle et irrésistible nécessité, me soumettre aux conditions qui nous sont imposées ; mais les accepter, les approuver, même indirectement, jamais… non jamais. Si le projet de loi, et notamment son article unique, étaient conçus dans le sens de ma déclaration, mon vote serait approbatif ; dans la position actuelle, je m’abstiendrai.