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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 25 janvier 1832

(Moniteur belge n°27, du 27 janvier 1832)

(M. Destouvelles, vice-président, occupe le fauteuil.)

La séance est ouverte à midi et demi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lebègue fait l’appel nominal.

M. Dellafaille lit le procès-verbal ; il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. Lebègue analyse les pétitions, qui sont renvoyées à la commission.

Motion d'ordre

Ordre des travaux de la chambre

M. Mary demande la parole pour une motion d’ordre ; il propose de nommer trois commissions spéciales auxquelles serait renvoyé l’examen des projets de loi sur l’organisation provinciale, sur l’organisation judiciaire et sur le sel.

M. Delehaye. - Je m’oppose à ce que les projets dont il s’agit soient renvoyés à des commissions spéciales par deux motifs : le premier, c’est que la section centrale s’éclaire des lumières des diverses sections, et le second, c’est que le système des commissions empêcherait plusieurs membres qui ont de grandes connaissances, mais qui n’ont pas coutume de prendre la parole en séance publique, empêcherait ces membres d’apporter dans la matière le fruit de leur expérience.

M. Mary insiste pour l’admission de sa motion.

M. Lebègue et M. Jullien la combattent par le motif que les diverses sections ayant achevé d’examiner les budgets, et la discussion dans la section centrale devant exiger 15 jours au moins, les sections vont se trouver à ne rien faire.

M. Dubus fait une autre motion d’ordre tendante à ce que les sections examinent d’abord la question préalable de savoir si, comme le porte le projet, les cours et tribunaux du royaume seront supprimés et remplacés par d’autres, ou si, comme le demande la cour de Bruxelles, les juges actuellement existants seront maintenus et déclarés inamovibles.

M. de Robaulx s’oppose à cette manière de procéder.

M. Jullien. - Voilà déjà deux motions d’ordre différentes ; pour peu qu’il en survienne une troisième, la délibération se trouverait dans un grand désordre. Je demande donc que la motion de M. Mary soit mise aux voix, puis celle de M. Dubus, et qu’enfin on passe à l’ordre du jour. (Appuyé ! appuyé !)

- La proposition de M. Mary est mise aux voix et rejetée.

- Plusieurs membres demandent que M. Dubus dépose sa proposition écrite. M. Dubus la fait parvenir à M. le président ; elle est ainsi conçue :

« Je propose de renvoyer aux sections l’examen de la question préliminaire de savoir : 1° si les juges actuellement en fonctions sont inamovibles, ou bien si les cours et tribunaux existants devront être remplacés par de nouvelles cours et tribunaux ; 2° et, dans le cas de la deuxième alternative, à qui appartiendra la nomination des nouveaux juges. »

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je ferai observer qu’il n’y a qu’une seule question à examiner, celle de savoir à qui appartiendra la nomination des juges, chose qui n’a pas été décidée par la constitution. Quant à l’autre, il me semble qu’en consultant le texte de la constitution, et en se rappelant le sens dans lequel l’article 135 a été présenté par la section centrale et adopté par le congrès, il ne peut y avoir aucune difficulté ; car cet article porte que le personnel des cours et tribunaux est maintenu jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par une loi. Il n’est donc point douteux que le renouvellement est laissé à la législature.

M. de Robaulx. - Lorsqu’il s’est agi au congrès de cet article 135, j’ai demandé, à l’occasion d’un amendement proposé par M. Lebeau, je crois…

- Plusieurs voix. - Non, par M. Zoude.

M. de Robaulx. - … A l’occasion de cet amendement, j’ai demandé : Entend-on conserver la juridiction actuellement existante ? On m’a répondu ; oui, pour ne pas laisser le pays sans judicature ; mais, quant à l’amovibilité des juges, elle a été reconnue par tout le monde. Je pense qu’il faut renvoyer en sections le projet tout entier, et ne pas fractionner comme on le demande. Je m’oppose à la motion de M. Dubus.

- Cette motion est mise aux voix et rejetée.

Proposition de loi portant organisation de l'instruction publique

Prise en considération

M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion sur la prise en considération de la proposition de MM. Seron et de Robaulx relative à l’instruction primaire.

M. Delehaye. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

La proposition de MM. Seron et de Robaulx est envisagée par les uns comme inconstitutionnelle, et par les autres, comme incompatible avec notre système financier. Ces questions, avec les assertions erronées émises lors des développements, exigeront une fort longue discussion. Comme le gouvernement a nommé une commission pour préparer un projet sur la même matière, et que ce projet doit être bientôt prêt, je demande que la proposition soit ajournée jusqu’à ce que cette commission ait fait son rapport.

M. H. de Brouckere. - Sous prétexte d’une motion d’ordre, M. Delehaye a entamé le fond de la question ; car, aux termes du règlement, il s’agit de savoir si la chambre doit prendre ou non la proposition en considération ou bien si elle doit l’ajourner.

M. Delehaye. - Pas du tout, ma proposition a pour but d’empêcher la chambre de s'occuper de toute discussion sur la prise en considération, et d’ajourner la proposition sans rien préjuger.

M. de Robaulx. - Il me semble que la proposition de M. Delehaye ne tend à rien moins qu’à enlever aux membres de la chambre le droit d’initiative ; car, chaque fois que nous voudrons présenter un projet, il suffira au gouvernement de dire qu’il a chargé une commission d’en préparer un, pour que notre proposition soit ajournée jusqu’au rapport de cette commission. D'ailleurs, en présentant notre projet, nous avons déclaré que, si le gouvernement en proposait un, nous le retirerions ; mais, puisqu’il n’en est pas ainsi, il faut le laisser.

M. Jullien. - Je demande la parole pour un rappel au règlement. La proposition ayant été développée, nous nous trouvons placés dans les termes de l’article 37 du règlement qui porte :

« Si la proposition est appuyée par cinq membres au moins (elle l’a été), la discussion est ouverte, et le président consulte la chambre pour savoir si elle prend en considération la proposition qui lui est soumise, si elle l’ajourne ou si elle déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer. »

Ainsi la motion de M. Delehaye est, en ce moment, prématurée.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai l’honneur d’informer la chambre que la commission nommée par le gouvernement, pour préparer un projet sur l’instruction publique, n’a pas encore achevé son travail. Aussitôt qu’il le sera, je m’empresserai de le présenter à la chambre. Dans tous les cas, cette présentation aura lieu avant que la chambre ait terminé les travaux qui lui sont soumis.

M. Delehaye. - Je m’empare de l’article 37 du règlement, invoqué par M. Jullien, et je soutiens qu’il faut avant tout s’occuper de la question d’ajournement.

M. H. de Brouckere. - La proposition de M. Delehaye ne tend à rien moins qu’à escamoter la discussion. (L’orateur cite à son tour l’article 37 du règlement.)

Maintenant, ajoute-il, qu’a à faire M. le président ? Trois listes d’inscription : une pour les orateurs qui seront d’avis de la prise en considération, une autre pour ceux qui pense qu’il n’y a pas lieu à délibérer, en enfin une troisième (sur laquelle se fera inscrire M. Delehaye) pour ceux qui veulent l’ajournement. Je demande en conséquence qu’on procède à la discussion.

M. le président. - Que ceux qui sont d’avis de passer outre à la question de prise en considération veuillent bien se lever.

- La chambre se prononce à une forte majorité pour l’affirmative.

M. Jamme. - Messieurs, la proposition de MM. Seron et de Robaulx, relative à l’établissement d’un enseignement public gratuit pour toute la Belgique, soulève des questions du plus haut intérêt. Elle ne peut manquer d’appeler l’attention de tous les membres de la chambre, et de réveiller à la fois les pensées d’humanité et de patriotisme les plus généreuses.

Je regrette que la manière dont cette proposition a été faite ne permette, pour le moment, que de discuter sur des principes généraux, en attendant qu’un projet de loi soit présenté et soumis à la délibération de la chambre : car, pourrions-nous, messieurs, décider aujourd’hui qu’au premier du mois de juillet prochain, une école sera ouverte dans chaque commune de la Belgique, lorsque nous ignorons ce que seront ces écoles, quel sera le mode d’enseignement que l’on y donnera, quelle marche on suivra pour la nomination des instituteurs, comment elles seront surveillées, et plus que cela, quelle somme nous aurons à voter au budget pour leur établissement primitif, leur entretien et leur personnel ?

Je vais donc émettre quelques pensées sur ce sujet : la discussion apportera toujours quelques lumières.

Messieurs, personne ne peut désirer, plus que moi, que l’instruction se propage dans toutes les classes de la société, et voir disparaître la différence humiliante et pénible qui se remarque entre celui qui a certaine instruction et celui qui a le malheur d’en être complètement privé.

Il convient à l’époque où nous sommes de doter la Belgique d’un bon système d’enseignement public et des établissements nécessaires pour le mettre à la portée de toutes les élèves.

La législature actuelle sera fière, sans doute, de compter ce bienfait au nombre de ses travaux ; bien que modeste, il en sera toujours un des plus utiles.

Je considère la dépense à faire pour rendre l’instruction primaire gratuite comme l’emploi des deniers publics le plus sagement conçu, non seulement dans l’intérêt des classes pauvres, mais dans celui de la société en général.

L’instruction primaire doit être spécialement encouragée ; c’est cette instruction dont la privation s’aperçoit le plus souvent, celle dont les bons résultats sont les plus certains, celle qui contribue le plus à adoucir les mœurs, qui fait fuir les funestes préjugés, qui forme le peuple à juger sainement ses véritables intérêts et le met à même d’éviter bien des maux attachés à sa position et résultant de la triste ignorance. Indépendamment de tous ces motifs moraux en faveur de la proposition, je reconnais, messieurs, la nécessité d’établir un mode d’enseignement primaire sagement approprié aux besoins de toutes les classes de la société et soumis à une surveillance régulière, mais une surveillance hors de la portée de l’influence de toute autorité quelconque.

La nécessité d’établir cet enseignement bien déterminé par une loi, je la trouve, messieurs, dans notre constitution, qui consacre la liberté de l’enseignement ; car de cette liberté, il peut résulter de graves abus, contre lesquels il faut se prémunir par cette même constitution, qui veut que l’instruction publique donnée aux frais de l’Etat soit réglée par la loi.

Du fait que la commune ou l’Etat paie un subside, la commune ou l’Etat acquiert incontestablement le droit de déterminer le mode d’instruction et d’en surveiller l’exécution.

L’instruction libre est une puissance à laquelle il faut opposer une autre puissance ; cette autre puissance, c’est l’instruction donnée aux frais de l’Etat et garantie par une surveillance indépendante et déterminée par la loi.

Un pouvoir sans une force qui le balance est inséparable de l’abus, de l’empiètement et de l’erreur ; il est inutile que l’expérience démontre cette vérité, elle est vulgaire.

D’ailleurs, messieurs, de la présence de l’enseignement libre et de l’enseignement déterminé par la loi résultera la concurrence, sans laquelle il n’existe ni vie ni activité dans l’exercice même des professions les plus nobles.

Il faut aussi considérer que, s’il n’y avait, pour répandre l’instruction, que des établissements particuliers, par conséquent libres, il pourrait résulter de la seule volonté des particuliers de cesser leurs établissements, une interruption dans les moyens de donner l’instruction, qui deviendrait extrêmement nuisible et favoriserait le monopole.

J’entends quelquefois dire que l’instruction religieuse ne doit pas faire partie de l’enseignement public, et qu’elle doit être laissée aux soins des ecclésiastiques seuls. Je suis loin, messieurs, d’être de cet avis ; bien, quant à l’enseignement des dogmes de la religion, il peut n’appartenir qu’aux ecclésiastiques de le donner ; mais je pense qu’à l’âge auquel les enfants des classes pauvres fréquenteront les écoles gratuites, l’influence de la morale religieuse ne pourra être qu’éminemment utile.

Selon moi, la religion est la philosophie du peuple : quand l’homme ignorant en manque, il est près de cesser d’être homme de bien ; pour lui les idées d’ordre moral, de justice, de sagesse sont hors de sa portée, rien chez lui ne peut suppléer aux sentiments religieux ; car, si même il ne les comprend pas ces sentiments, au moins il y a foi ; et alors il agit, il fait le bien par instinct ; la religion l’aide à supporter ses maux. Pour lui l’avenir doit être rempli de crainte et d’espérance ; sa vertu ne peut aller au-delà, elle consiste moins à faire le bien qu’à éviter le mal.

Les élèves qui fréquenteront les écoles primaires gratuites appartiendront aux classes inférieures de la société, ils y entreront jeunes et en sortiront à un âge peu avancé encore ; ces élèves ne peuvent recevoir que peu d’instruction. A cet âge, les impressions sont vives, elles demeurent ; c’est le moment de leur inculquer les préceptes de la morale chrétienne, si simples, si vrais, si persuasifs. On ne peut, pendant le court espace de temps qu’ils donneront à leur instruction, que les diriger vers le bien et la vérité.

J’abandonne cette question, elle se reproduira, lors de la discussion du mode d’enseignement, avec beaucoup d’autres que je n’ai pu qu’effleurer.

La chambre n’ignore pas, sans doute, que dans ce moment, deux commissions s’occupent, une d’elles à faire une loi générale sur l’instruction publique, qui traitera de l’enseignement dans toutes ses parties ; l’autre, de la confection de la loi communale, avec laquelle la loi sur l’instruction sera mise en rapport en ce qui concerne l’enseignement primaire et moyen.

La chambre peut user du droit qu’elle a de prendre l’initiative, créer une commission et la charger de la rédaction d’un projet de loi.

Mais, messieurs, ce travail est considérable, il nécessite beaucoup de recherches et de connaissances, et je pense, vu les travaux multipliés de la chambre, qu’il serait sage d’attendre le projet que nous proposera le ministre et que nous pouvons rendre conforme à nos vues au moyen des amendements.

Pour faire un plan général des écoles à établir, il est nécessaire de connaître les communes où déjà il y en a ; car ces écoles reçoivent, la plupart au moins, des subsides des communes, des provinces ou de l’Etat. Ces écoles ont des locaux et des mobiliers ; nul doute qu’il y aura nécessité de régulariser les subsides déjà accordés : on traitera avec les communes pour les locaux et le mobilier, et, en modifiant l’enseignement sur le mode à établir, un nombre considérable d’écoles pourront, en peu de temps, marcher suivant le nouveau système.

A l’appui du raisonnement que je viens de faire, messieurs, et pour vous démontrer à quel point il est nécessaire de connaître le nombre des écoles existantes et les diverses catégories dans lesquelles elles doivent être classées, je vais vous faire connaître, en peu de mots, les renseignements que je me suis procurés sur les écoles existant actuellement dans la province de Liége.

Il existe dans la province de Liége 355 écoles primaires ; de ce nombre, 82 reçoivent un subside de l’Etat, 149 reçoivent un subside des communes, 124 subsistent des rétributions payées par les élèves.

Je suis fondé à croire que dans ce nombre ne sont pas comprises les écoles, assez nombreuses, entretenues à l’aide de souscriptions volontaires et dans lesquelles l’instruction se donne gratuitement.

En outre des dépenses de constructions et de réparations dans lesquelles les communes interviennent, la province accorde annuellement de 8 à 9,000 florins pour le même objet.

Quatre-vingts communes seulement sont privées d’écoles, et de ce nombre 21 envoient leurs enfants aux écoles des communes voisines.

On conçoit, par ce rapport, que la dépense déjà supportée par l’Etat, par la province, et une partie de celle supportée par les communes, pourra venir à la décharge de la dépense que présentera le plan général.

Je borne ici mes observations, en faisant remarquer que j’ai la conviction que la dépense évaluée par mon honorable collègue, M. de Robaulx, à 200 florins pour une école, s’élève sensiblement au-delà.

Je voterai pour la prise en considération.

M. de Nef. - Messieurs, la proposition qui vous est présentée par les honorables MM. Seron et de Robaulx mérite une attention toute particulière, et je crois, à raison de son importance, devoir vous soumettre quelques observations.

Il existe, messieurs, une différence essentielle entre l’instruction donnée gratuitement par l’Etat et celle donnée de la même manière par un particulier ou par les soins d’une commune, en ce que la première est à la charge de la généralité des contribuables, parmi lesquels il peut s’en trouver auxquels telle ou telle instruction pourrait déplaire souverainement.

D’un autre côté, outre la dépense énorme dont il faudrait grever l’Etat, en adoptant le premier système, je craindrais encore de voir un jour le ministère abuser de ce système pour introduire et faire adopter tels ou tels principes. Loin de moi de vouloir élever de semblables soupçons contre le ministère actuel, dans lequel j’ai toute confiance ; mais il est impossible de savoir quel sera le ministère qui, par exemple, dans vingt ans, sera à la tête des affaires.

Vous vous rappellerez encore, messieurs, que c’était aussi sous le vain prétexte de protéger l’enseignement, que le gouvernement du roi Guillaume en a si singulièrement abusé.

On a dit que l’instruction primaire est négligée dans les provinces de Luxembourg et de Namur : les honorables députés de ces provinces peuvent dire ce qui en est : mais, quant à moi, je puis assurer que dans la province d’Anvers, l’instruction primaire est soignée au mieux par les autorités locales, et qu’il est à ma connaissance que, dans toutes les communes du district de Turnhout, les enfants pauvres participent généralement aux bienfaits de cette instruction.

Je ne m’opposerais pas à la prise en considération de la proposition qui vous est présentée, si elle avait pour but de charger les communes du soin d’ouvrir des écoles communales, où les enfants pauvres recevraient gratuitement l’instruction nécessaire ; et c’est même ce qui de fait a lieu depuis longtemps dans la plupart des communes de la province d’Anvers, et même, à ce que je crois de plusieurs autres provinces.

Mais persuadé, comme je le suis, que la moindre crainte qu’on aurait de voir porter atteinte à la liberté de l’enseignement suffirait pour renouveler les mêmes inquiétudes et le même grief que le monopole de l’enseignement avait fait naître sous le gouvernement précédent, je me vois forcé de m’opposer à la prise en considération de la proposition des honorables MM. Seron et de Robaulx.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, dans une discussion de prise en considération, et alors qu’il s’agit uniquement de décider si la chambre consent ou ne consent pas à faire de la proposition des honorables MM. Seron et de Robaulx l’objet de ses délibérations, nous n’avons pas à rechercher si cette proposition peut, sans inconvénients, être transformée en loi dans les termes où elle est conçue aujourd’hui, ou bien s’il lui faudra faire subir des modifications, la corriger, l’amender, ni quels sont les modifications, les corrections et les amendements auxquels il faudra la soumettre. N’anticipons donc pas, et remettons à un temps plus opportun l’examen approfondi et détaillé de toutes les questions qui se rattachent à la matière, et que soulèveront nécessairement, ou la discussion générale, ou celle des articles.

Qu’avons-nous à faire aujourd’hui ? Nous demander si la proposition qui nous est soumise ne viole en rien la constitution et n’attente à aucune de nos libertés ; si elle présente assez d’importance et d’intérêt pour devoir fixer l’attention de la chambre.

A la première question, je réponds que l’article 17 de la constitution impose au pouvoir législatif l’obligation de régler l’instruction publique donnée aux frais de l’Etat, et que, quels que soient le nombre et la nature des établissements où se donnera cette instruction, l’enseignement n’en sera pas moins libre, et qu’il n’en sera pas moins facultatif à tous et un chacun d’ériger, à côté de ces établissements, d’autres établissements rivaux, où l’instruction sera donné d’après telle méthode, d’après tels principes que l’on jugera à propos.

Quant à la deuxième question, la proposer c’est la résoudre. Quelle autre matière, en effet, présente plus d’importance et d’intérêt que l’instruction, que l’instruction primaire surtout ? Vous en occuper est un devoir impérieux pour vous, que vous imposent non seulement la constitution, mais la civilisation, mais l’humanité elle-même.

Je sais que, entre une décision de prise en considération, et une décision de non-lieu à délibérer, il est un terme moyen, l’ajournement. Mais ce n’est point le cas, messieurs, d’y avoir recours. Que l’examen approfondi soit remis à une époque plus ou moins éloignée, j’y consens, je le demande même ; mais rien, absolument rien ne s’oppose à ce qu’elle soit, dès aujourd’hui, prise en considération. Si vous en décidiez autrement, craignez, messieurs, que votre décision ne soit mal interprétée à l’intérieur et au-dehors. Refuser, pour un temps illimité, de vous occuper de l’instruction primaire, lorsqu’il vous est connu que, dans la plupart des provinces, elle languit, elle dépérit depuis seize mois, ah ! messieurs, pour l’honneur de la révolution, pour l’honneur du pays, que déjà l’on calomnie bien assez, gardez-vous de montrer même une apparence de dédain pour un objet digne, entre tous les autres, de votre sollicitude et de vos soins particuliers.

M. Ch. Vilain XIIII. - Messieurs, l’orateur qui a développé le premier la proposition dont nous nous occupons aujourd’hui, a placé la discussion sur un terrain que j’accepte. Il a versé à pleine mains le blâme, le mépris et l’injure sur la révolution brabançonne et sur les catholiques belges : j’essaierai de lui répondre ; j’essaierai de défendre nos pères et notre foi, injustement outragés.

La révolution brabançonne fut juste et légitime, elle fut même légale.

La grande Marie-Thérèse venait de mourir. Cette nouvelle imprévue avait frappé ses peuples de stupeur, et retenti, comme un coup de foudre, dans le cœur de tous ses sujets. Regrettée dans les palais, elle fut pleurée dans les chaumières. Jamais souverain ne fut plus aimé ; mais aussi jamais pays ne fut plus heureux que les provinces belgiques sous le sceptre de cette grande femme. A la douleur de sa perte se joignait comme un vague pressentiment du règne désastreux de son fils ; elle-même avait dit avant sa mort : Après moi les Pays-Bas verront du nouveau.

Joseph II monta sur le trône, mais il ne devint pas souverain de notre pays au même titre qu’il était archiduc d’Autriche ; il ne fut reconnu comme duc de Luxembourg, de Limbourg et de Brabant, comme comte de Flandres, de Hainaut, de Namur et comme seigneur de Malines, qu’après avoir prêté le serment de « maintenir les Belges dans la jouissance de leurs droits et privilèges. » Or, le plus précieux de ces droits était expressément mentionné en l’article 68 de la joyeuse entrée, qui disait : « qu’en cas de violation de la charte, les sujets ne sont plus tenus de faire aucun service au principe, ni de lui prêter obéissance dans les choses de son besoin, jusqu’à ce que le duc ait redressé l’emprise et remis les choses en leur premier état. » C’est après avoir fait ce serment, dont son cœur méditait le parjure, que les états lui promirent à leur tour d’être soumis, obéissants, loyaux, dévoués et fidèles vassaux et sujets, « aux mêmes conditions que leurs prédécesseurs. » Il y avait entre le prince et les citoyens véritable contrat synallagmatique.

Eh bien ! Joseph le rompit ce contrat ! Le 17 juillet 1781, il prête serment, et, le 23 novembre de la même année, il viole la constitution de la manière la plus formelle et dans son essence même ; il attaque l’indépendance des Etats, l’inamovibilité des cours ; il substitue des ordonnances aux anciennes coutumes, qui ne pouvaient être changées qu’avec le concours des états généraux ; il se pose roi absolu, et commence le cours de ces prétendues réformes où le ridicule et l’odieux se disputent la palme. C’est ici que je regrette de ne pouvoir entrer dans des détails pour vous montrer ce Philippe II du philosophisme, moins cruel et moins grand, sans doute, mais aussi fourbe que le tyran espagnol, violer ses serments avec une impudeur rare, fouler aux pieds la véritable liberté, anéantir la prospérité de ses peuples, non pas, comme l’ont prétendu ses apologistes, pour courir après des chimères de civilisation, de faux semblants de libertés, de prétendus droits de l’homme et de la raison ; mais, profitant des idées alors en vogue et se couvrant d’un vernis philosophique, il voulut passer le niveau autrichien sur nos mœurs, nos coutumes, nos institutions, et imposer sa monarchie absolue à nos provinces qui formaient presque une république fédérative. Le prince avait rompu le contrat, les citoyens n’étaient plus tenus de l’exécuter ; après sept ans de patience, ils refusèrent les subsides, et la révolution s’ensuivit. Je le répète, elle fut légale la révolution brabançonne ; mais non seulement elle fut légale, ce qui est peu de chose, elle fut juste et légitime autant que la révolution de 1830. Comme en 1830, tout un peuple se leva pour défendre ses libertés indignement violées.

Et qu’on ne dise pas que la révolution de 1788 ne fut entreprise que dans l’intérêt exclusif de la noblesse et du clergé ; pour ne parler que des intérêts matériels, l’impôt forcé substitué à l’impôt consenti et la presse autrichienne substituée à l’enrôlement volontaire pesaient particulièrement sur le peuple ; toute la nation avait intérêt au maintien de ses privilèges, et toute la nation prit les armes pour les défendre. Il n’y a pas de comparaison à faire, à cette époque, entre le peuple français et la nation belge. Ici le peuple était représenté annuellement, et sa représentation n’était pas, comme aux états généraux de France, une fiction, une dérision : le tiers-état des provinces belgiques n’était soumis à aucune des formes humiliantes auxquelles était assujetti le tiers-état français ; il était influent dans l’assemblée, sa voix était puissante et souvent victorieuse. En 1788, la noblesse et le clergé accordèrent les subsides ; ce fut le tiers-état qui les refusa et qui rendit inutile le consentement des deux autres ordres. Je ne crains pas de le dire hautement : en 1780 le peuple belge était heureux entre toutes les nations de l’Europe, et sa constitution était, avec celle de l’évêché de Liége, la plus belle et la plus libérale qui eût été jusqu’alors.

L’orateur auquel je réponds résume en un fait toutes la révolution brabançonne ; il nous présente le massacre affreux du malheureux Van Kricken, comme l’expression du soulèvement de 1790. Mais que répondrait l’honorable député de Philippeville si je lui disais : A cette époque vous étiez Français, vous adoptiez chaudement les principes de la révolution française, et cependant la tête de la princesse de Lamballe fut aussi promenée au bout d’une pique ; et cependant Louis XVI, Marie-Antoinette, la sainte Elisabeth, le vertueux Bailly, madame Rolland, le savant Lavoisier, le poète Chénier, et 18 mille 613 victimes innocentes périrent, non pas massacrées par la populace dans un moment de rage, mais froidement, mais juridiquement assassiné par la main du bureau. Il vous sied bien vraiment de venir nous reprocher un meurtre isolé, vous dont les principes sueraient du sang, si l’on pouvait jamais faire retomber sur des principes la responsabilité d’événements qui n’en sont pas la conséquence nécessaire. Laissez, croyez-moi, laissez en paix la mémoire de nos pères ; leur cause fut juste, leurs intentions droites, et leurs mains sont restées pures. Si le succès n’a pas entièrement répondu à la justice de leur cause, l’histoire est là pour dire les folies, l’ambition et l’ineptie des chefs auxquels la nation s’était livrée. Jamais, du moins, le sceptre hideux de 93 n’a obscurci la Belgique de son ombre sanglante.

J’ai hâte, messieurs, d’arriver au reproche d’obscurantisme, de haine des lumières, d’amour de l’ignorance que les deux orateurs adressent de concert aux catholiques. A des allégations sans preuves, je crois pouvoir répondre par des faits. Depuis combien de temps, messieurs, la philosophie prêche-t-elle la nécessité de l’instruction pour le peuple ? Depuis combien de temps s’en occupe-t-elle activement ? Il y a 70 ans que Voltaire en dit un mot dans quelques-uns de ses pamphlets ; puis Diderot en parla ; puis dix ans après, Condorcet s’en occupa ; enfin Franklin émit des idées vraiment philanthropiques. Mais toutes ces théories passèrent sans porter fruit, sans laisser aucune trace après elle. La révolution se fit, et, malgré un rapport, quelque discours et un décret, je crois, de la Convention, l’instruction primaire ne s’améliora pas ; sous le directoire, le consulat et l’empire, on ne s’en occupa pas davantage. Des philosophes, à part quelques âmes généreuses telles que Larochefoucault, Liancour et Lafayette, avaient alors bien autre chose à faire qu’à fonder des écoles ; il y avait un maître à servir, et le maître n’avait pas grande estime pour la dignité du peuple souverain. La restauration arriva, traînant après elle cette classe nombreuse qu’on a si bien dépeinte en disant qu’ils n’avaient rien appris ni rien oublié dans leurs malheurs. Ces incorrigibles s’imaginèrent que le règne de Louis XVI et du bon plaisir allait recommencer, et ils s’en allaient disant partout que le peuple était fait pour obéir et non pour raisonner, que l’instruction était une plaie bonne à produire des jacobins, et qu’il ne fallait pas qu’un manant sût lire. C’est alors, c’est en 1816 que l’opposition, irritée par ces imbéciles provocations, s’éprit tout à coup d’un bel amour pour l’instruction primaire ; les journaux la prônèrent à l’envi, l’amélioration des basses classes fut le mot de ralliement d’un parti, et l’enseignement mutuel devint un drapeau politique. Toute l’opposition libérale, d’un bout de la France à l’autre, se couvrit de ce manteau philanthropique. Le haut clergé français, imbu de principes gallicans, pénétré de désolantes doctrines de servilité, et d’alliance avec le trône, prit le parti de la cour, et il y eut alors contre l’enseignement mutuel, c’est-à-dire contre l’opposition libérale, une croisade politique et religieuse ; il y eut des sermons, des mandements, des lettres pastorales déplorables. C’est la conduite imprudente du clergé français, à cette époque, qui a fait naître le préjugé si répandu que les catholiques sont opposés à l’instruction du peuple. Il serait temps cependant de ne plus faire retomber sur l’universalité des catholiques la responsabilité d’erreurs ou de faites commises par un clergé particulier.

Ainsi, donc, messieurs, il y a 70 ans que la philosophie parle de loin en loin de l’utilité de l’instruction primaire, et il y a 10 ans que la philanthropie s’en occupe activement. La charité catholique est plus ancienne. Je ne rappellerai pas ici tous les services que l’église a rendus à la science et aux belles-lettres ; je n’énumérerai pas cette multitude d’ordres savants et enseignants qui ont jeté tant d’éclat, répandu tant de lumières pendant tant de siècles ; je veux me renfermer uniquement dans le cercle de l’instruction primaire. Il y a aujourd’hui cent et huit ans qu’un pape, devançant son siècle et comprenant les besoins de cette classe pauvre que les philosophes d’alors nommaient encore la gent taillable et corvéable, institua un ordre destiné exclusivement à instruire les enfants du peuple ; je veux parler des frères des écoles chrétiennes. Benoît XIII, dans le silence de la retraite, loin de l’éloge et de la critique d’un monde qui ne s’occupait pas de pareilles pauvretés, Benoît XIII fonda leur institut le 24 février 1724, et dans la bulle d’édification, on lit ce considérant remarquable : Considerans innumera quae, ex ignorantia, origine omnium malorum, proveniunt scandala. « Considérant les désordres sans nombre que produit l’ignorance, origine de tous les maux… » Messieurs, tout ce que les philosophes ont écrit depuis, sur les dangers de l’ignorance et sur les avantages de l’instruction pour le peuple, n’est que la paraphrase de ce mot inspiré : ignorantia, origine omnium malorum.

Les frères des écoles chrétiennes subsistent depuis 1724 ; que d’entraves opposées à leur établissement ! que de zèle et de persévérance de leur côté ! Ils ont été chassés de France, ils y sont revenus ; ils ont été renvoyés de la Belgique, il y sont rentrés ; leurs établissements ont été détruits, ils les ont réédifiés ; on leur a confisqué leurs biens, pauvres ils ont mendié pour instruire l’enfant du pauvre. Et venez nous dire après cela que nous sommes des fauteurs d’ignorance et d’obscurantisme, que les catholiques sont les éteignoirs de l’intelligence humaine ; et moi je vous répondrai : Nos actes, nos paroles, sont là ; elles sont là écrites et datées. Nous sommes plus anciens que vous sur la brèche ; il y a plus d’un siècle que nous instruisons gratuitement l’enfant du pauvre ; il y a plus d’un siècle que nous lui apprenons à lire, à écrire et à chiffrer, que nous le rendons bon chrétien, bon fils, bon époux, bon père et honnête homme. Courage ! faites-en autant, montrez-nous vos œuvres, mais jusque-là nous avons le droit de dire : Votre philanthropie n’est qu’un pâle reflet de la charité chrétienne ; vos discours ne sont que l’écho affaibli d’une bulle papale.

Messieurs, si j’ai essayé de défendre la révolution brabançonne et le catholicisme des reproches dont ils ont été l’objet, ma voix ne manquera pas non plus à ces respectables curés de campagne que l’honorable député de Philippeville a si violemment attaqués. Le but de son projet de loi, et il ne s’en est pas caché, son but est d’enlever à ces prêtres l’influence dont ils jouissent sur les habitants des campagnes ; son espoir est de leur ravir la confiance de leurs paroissiens. Pourrait-il réellement croire à la possibilité de ce résultat ? Mais, pour se faire une telle illusion, il ne sait donc pas ce que c’est qu’un prêtre à la campagne ? Il ne sait donc pas ce qu’il lui en coûte de peines et de vertus pour acquérir cette influence ? Il ignore donc les liens qui attachent un curé à la famille que ses supérieurs lui ont donnée ? Ecoutez, je veux vous le dire ! Un prêtre sacrifie son enfance et son patrimoine à d’arides études. La jeunesse arrive, et c’est à l’âge où le sang bouillonne qu’il élève une barrière entre le monde et lui, qu’il renonce pour jamais au bonheur de l’époux, aux joies du père de famille : puis on le jette seul et inconnu dans une ville, loin de ses parents, loin de ses amis. Là il devient la propriété de ses paroissiens ; il est à leurs ordres depuis le matin jusqu’au soir, depuis le soir jusqu’au matin. Il dort peu, vit de peu, économise pour de plus pauvres que lui. Il distribue la parole de vérité à ceux qu’il nomme ses enfants ; c’est par lui qu’ils croient, qu’ils sont chrétiens ; c’est par lui qu’il vivent d’une autre vie que de leur végétation toute matérielle. Mais ce n’est pas seulement (et ici, messieurs, je vais faire parler un célèbre orateur anglais), ce n’est pas seulement comme ministre du culte qu’il est cher à ses ouailles : il est leur compagnon, leur ami, leur bienfaiteur, leur père ; c’est lui qui adoucit leurs souffrances, qui les consolide dans leurs secrets, le gardien de leurs intérêts, et la sentinelle veillant à leur chevet de mort. Un pauvre est-il à l’extrémité ? En hiver, au milieu de la nuit, un coup résonne à la porte du prêtre et on lui dit que son paroissien réclame son assistance. Le vent siffle, la neige est chassée des hauteurs, la pluie et la grêle battent contre son visage, et il s’avance, il se hâte pour gagner la cabane du misérable mourant, s’assoit à côté de la masse pestilentielle dont le lit de paille est composé, se penche pour recevoir le dernier murmure qui décharge le cœur de ses péchés, quoique les lèvres du malheureux soient décomposées par la maladie et que son haleine exhale la mort. Messieurs, ce n’est point-là le langage d’une déclamation ampoulée, ce ne sont point d’extravagantes figures de rhétorique que j’entasse ici ; chacun des mots que je prononce est la vérité, la vérité notoire, palpable, irrévocable. Vous le savez, chacun de vous sait que cela est vrai, et maintenant je vous demanderai si vous pouvez un instant vous étonner que le peuple soit dévoué à son clergé, si vous pouvez croire un instant qu’une loi quelconque lui ravisse cette confiance ? Ah ! vous pouvez l’essayer, mais y réussir ! non, jamais !

(Moniteur belge non numéroté et non daté) M. Pirson. - Messieurs, j’ouvre la constitution et je lis : « Art. 17. L’enseignement est libre, toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits n’est réglée que par la loi. »

On se rappellerai la solennité de la discussion à laquelle cet article a donné lieu au congrés national. Deux opinions, dictées par l’amour du bien public, et cependant contraires dans les moyens de l’opérer, s’entrechoquaient, ou ne s’accordaient que sur la liberté illimitée de l’enseignement dans l’intérieur de la famille.

Enfin, le principe le plus large en cette matière, comme en celle des cultes, est sorti triomphant des entraves dans lesquelles on voulait le retenir, toutefois dans le but unique de le mieux diriger et de le préserver de tout écart.

Je me félicite d’avoir coopéré à cet résultat par mon vote et par les opinions que j’ai émises.

Je serai fidèle à ce vote et à mes opinions.

A coup sûr, je ne rencontrerai pas un seul contradicteur ici, quand je dirai que le gouvernement doit venir au secours de toutes les parties de l’enseignement qui, sans ce secours, ne pourraient fructifier à l’instant. Toutes les idées se portent naturellement vers l’enseignement primaire et le haut enseignement.

Vers l’enseignement primaire, parce que sous un gouvernement constitutionnel, il faut, à peine d’être renversé par les masses ignorantes et souffrantes, les instruire et assurer leurs moyens de vivre par le travail.

Vers le haut enseignement, parce que des maîtres particuliers ne peuvent se procurer des locaux, collections, instruments et objets d’art trop dispendieux.

Quant à l’instruction moyen, elle serait peut-être abandonnée sans inconvénient à la libre concurrence ; toutefois je ne prononce pas, je me défie trop de mon jugement à cet égard ; il n’est point assez éclairé.

La proposition qui vous est soumise par nos honorables collègues, MM. Seron et de Robaulx, a pour but de pourvoir à l’enseignement primaire.

Il ne s’agit point de la discuter aujourd’hui, mais bien de savoir si elle sera prise en considération et puis ensuite renvoyée en sections ou à une commission.

S’il s’agissait du fond, je dirais que peut-être elle paraîtra aux uns basée trop largement et d’une manière trop dispendieuse pour le trésor public, sans qu’il y ait nécessité ; à tous, trop rétrécie dans les moyens d’exécution.

Quant à la prise en considération, il est impossible qu’elle ne soit pas votée unanimement, parce qu’elle provoquera, et de la part du gouvernement, et de la part de l’opinion publique, et de la part de vos sections, une discussion qui aidera la législature à faire une bonne loi, sans s’écarter des principes consacrés par l’article 17 de la constitution.

A entendre des hommes de parti au-dehors de cette chambre, il semblerait que deux autorités vont se disputer le monopole de l’enseignement primaire, savoir l’autorité gouvernementale et l’autorité religieuse. Non, messieurs, il n’en sera pas ainsi : le gouvernement nommera sans doute par lui-même ou par ses agents, et après concours, les instituteurs dont il paiera le traitement ; il indiquera le genre d’instruction et les méthodes qu’ils doivent suivre ; mais jamais ces instituteurs ne pourront influencer leurs élèves sous le rapport religieux. S’ils se prêtent à aider les ministres d’un culte quelconque, cela sera et toujours volontairement d’accord en même temps avec les ministres de ce culte et les parents des élèves. Pourrait-il en être autrement, lorsqu’il y a concurrence et liberté religieuse ?

Ici je ferai remarquer la grande différence entre nos principes et ceux de l’ancien gouvernement, qui se targuait du titre de libéral, par rapport à l’instruction publique : oui, il faisait beaucoup pour l’instruction, mais il ne voulait pas de concurrence, c’était donc de l’absolutisme ! Il cherchait à écarter insensiblement un culte dangereux qui lui déplaisait, pour lui en substituer un autre ; c’était de la tyrannie !

Nous, au contraire, nous voulons concurrence et liberté religieuse ; nous ne voulons ni protestantiser, ni catholiciser, ni circoncire personne par violence ou par surprise. Nous porterons respect et amitié à tout ministre du culte qui, dans ses fonctions, contribuera au maintien de la concorde et des mœurs.

Il y aura bien encore par-ci, par là, on ne peut en douter, quelques différends entre certains fonctionnaires civils et certains ministres du culte ; nous sommes encore trop près d’un régime qui prêtait à ces sortes de conflit ; mais, si nos principes constitutionnels portent leurs fruits, bientôt disparaîtront ces nuages amoncelés par la vanité, l’orgueil et les prétentions de deux pouvoirs rivaux, qui, se disant divins tous deux, se disputeraient les dépouilles et le produit des sueurs du peuple. Tout serait dans un ordre parfait si l’on reconnaissait franchement qu’il est une émanation conservatrice de la société, et l’autre, que son royaume n’est pas de ce monde.

Je reviens à la proposition de MM. Seron et de Robaulx : je la trouve trop large sous le rapport financier, trop rétrécie sous le rapport d’exécution ; mais je vote pour la prise en considération et son renvoi aux sections. Là, elle sera élaborée : on examinera la question de savoir si l’instruction primaire peut être l’objet spécial d’une loi, à part celle d’ensemble qui doit résulter nécessairement du second paragraphe de l’article 17 de la constitution. A mon avis, il est urgent de s’occuper de l’instruction primaire qui, presque partout, est entièrement désorganisée.

Il n’en est pas de même du haut enseignement, qui reste en pleine activité. Seulement nous avons à nous plaindre des sommes énormes qu’il nous coûte, et de quelques abus qu’une bonne loi universitaire fera disparaître.

Je crois devoir profiter de cette circonstance pour faire connaître à toute la Belgique, j’ose dire à l’Europe, un établissement récent d’instruction, dirigé par M. Gaggia, à Bruxelles : trente professeurs et maîtres distingués y donnent des leçons de tous genres, pour les sciences, les langues anciennes et vivantes, et l’agrément. Point de maison nulle part n’est mieux tenue sous le rapport de la propreté, de la bonne nourriture et surtout de la surveillance. Le directeur de cet établissement, déjà grandiose tout en naissant, se propose d’y ajouter une école des arts et métiers et une autre de commerce.

Je suis persuadé que bientôt le ministère s’apercevra que peut-être il n’est besoin que d’encourager et de seconder pareilles entreprises, en le mettant à même de donner à leurs cours tout le développement dont ils sont susceptibles, et qu’ainsi il pourra se dispenser de créer à grands frais des écoles spéciales, qui ne répondent pas toujours aux meilleures vues, parce qu’avant tout il faut trouver le vrai zèle, vertu assez rare… Liberté, concurrence, voilà tout le secret du mieux dans la plupart des choses.

M. Dellafaille. - Messieurs, il n’est peut-être aucun objet qui ait plus excité l’attention et éveillé la sollicitude des législateurs modernes que l’instruction publique, principalement celle qui est le plus à portée des classes inférieures de la société ; il n’en est peut-être aucun cependant qui, malgré des soins constants et assidus, malgré des essais nombreux et réitérés, se trouve avoir moins répondu au but qu’ils se proposaient et moins justifié leurs espérances : c’est ce que ces législateurs n’envisageaient pas l’instruction uniquement comme un moyen d’améliorer l’ordre social, mais qu’ils la considéraient surtout comme un levier puissant, comme un instrument utile à leur pouvoir ; c’est qu’au lieu d’encourager, de protéger et de laisser faire, ils ont voulu se rendre maîtres uniques et absolus de l’enseignement et détruire la concurrence et la liberté, sans lesquelles cette branche de la prospérité des nations ne saurait fleurir, non plus qu’une plante privée d’air et de lumière.

Constamment suivi par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis un demi-siècle, ce déplorable système est jugé aujourd’hui, non plus d’après de vagues théories, mais d’après ses propres effets. Sous la domination française, l’instruction ne fit que végéter, tantôt plus forte et tantôt plus débile, selon les diverses influences qu’exercèrent alternativement sur elle une apparence d’affranchissement ou une entière servitude. Mais c’est principalement sous le règne de Guillaume qu’on a pu se convaincre de la vérité que j’ai énoncée. Dans les commencements, ce prince ne fit que jeter des semences dont il comptait plus tard recueillir les fruits ; il montra d’abord assez de facilité et permit à une adroite tolérance de remplacer, jusqu’à un certain point, une liberté que jamais il ne songea à nous accorder ; aussi, pendant ce temps, l’instruction se releva et fit des progrès marqués. Plus tard, séduit peut-être par la profonde tranquillité qui régnait sur toute l’Europe, gâté d’ailleurs par les flatteries adulatrices de quelques étrangers salariés qui le proclamaient le Salomon des siècles modernes, il crut pouvoir tout oser et substituer la volonté du maître à celle des lois constitutionnelles. Dans cette croisade contre nos libertés, ce fut sur l’instruction que tombèrent les premiers coups, et les arrêtés du mois de juin 1825 donnèrent le signal de la lutte qui allait désormais s’engager entre la liberté et le despotisme. Le projet d’établir au profit des gouvernants le monopole de l’enseignement fut annoncé sans pudeur et suivi avec une opiniâtre persévérance. Qu’en est-il résulté, messieurs ? Que des maisons florissantes se trouvèrent fermées aux nombreux élèves qui jadis venaient y puiser une instruction solide et variée, sans que les collèges officiels, frappés dès lors d’une réprobation universelle, en demeurassent moins déserts ; que cette mesure trompa les vues de ses auteurs, porta un coup fatal à l’instruction supérieure, et excita au plus haut degré le mécontentement de toutes les classes. L’instruction primaire, il est vrai, ne participa point à cette décadence, et, sous quelques points même, elle ne laissa pas que d’offrir des améliorations ; mais, indépendamment de quelques vues éclairées, auxquelles je veux bien rendre justice, il est à remarquer qu’on ne crut pas devoir employer, dès le principe, toute la rigueur exercée contre le genre d’établissements immédiatement supérieurs, et que, grâce à la sagesse des autorités locales, à la connivence d’une partie des inspecteurs et à la facilité calculée du gouvernement, il fut possible d’atténuer le mal et de conserver provisoirement les écoles particulières, mais cependant sous la main du ministère et dans un état précaire et incertain, jusqu’à ce que le réveil de l’esprit public d’abord, et ensuite la révolution, vinrent successivement ébranler et enfin anéantir cet odieux monopole.

Seul entre tous les pouvoirs monarchiques ou populaires qui se succédèrent dans notre patrie, le congrès national se montra sincère dans son libéralisme ; il établit nos libertés sur une base large et solide ; il porta la hache sur l’abus dont je parle, et extirpa le monopole jusque dans ses racines. Pour l’empêcher de pousser de nouveaux rejetons, il prit même une sage précaution, et, s’il supposa une instruction donnée aux frais de l’Etat et réglée par lui, c’est à la loi qu’il en confia le soin et non au ministère. Cette disposition met le gouvernement dans la nécessité de nous présenter un projet que déjà il nous a annoncé, et que probablement il n’a retardé si longtemps que pour mieux le coordonner avec l’esprit de nos institutions.

MM. Seron et de Robaulx, attribuant sans doute à l’incurie ce que j’aime à ne croire que l’effet d’une sage et prudente lenteur, ont cru devoir prendre l’initiative et vous proposer le projet de loi dont vous avez, il y a quelques jours, entendu les développements. Je rends pleine justice au zèle qui les anime pour la propagation des lumières ; mais leur projet est-il bien conforme à nos principes constitutionnels ? Voilà, je crois, ce qu’il faut examiner d’abord, puisqu’il se rattache à nos libertés publiques. Ensuite il s’agira de savoir si, considéré en lui-même, ce projet offre un ensemble assez satisfaisant pour être ultérieurement discuté. A mes yeux, la négative ne saurait être douteuse ni sur l’un ni sur l’autre point, et je me verrai forcé de rejeter la prise en considération.

La première question qui se présente, ai-je dit, messieurs, est celle de savoir si la proposition de MM. Seron et Robaulx ne blesse point notre pacte social. Pour la résoudre, j’ouvre le code de notre nouveau droit public, et j’y lis textuellement ces mots : « L’enseignement est libre. Toute mesure préventive est interdite. La répression des délits n’est réglée que par la loi. L’instruction publique donnée aux frais de l’Etat est également réglée par une loi. » Je me demande : Qu’a voulu notre constitution en laissant précéder ce dernier paragraphe de ces mots bien clairs et bien significatifs : « L’enseignement est libre. Toute mesure préventive est interdite » ? Sans aucun doute, détruisant un des principaux griefs reprochés au gouvernement précédent, elle a voulu qu’à côté des établissements de l’Etat, et communes et particuliers pussent ériger les leurs ; elle a voulu que chaque opinion trouvât à sa portée l’enseignement qui lui est propre ; elle a voulu enlever aux ministres futurs la possibilité de jeter dans un même moule toutes les intelligences, et de façonner les générations à venir à une stupide et servile docilité, à tous les caprices du pouvoir. Ces vues libérales et généreuses, les croiriez-vous bien remplies, messieurs, par le projet qui nous occupe ? Je ne doute pas que nos honorables collègues n’aient été mus par le plus louable désir d’améliorer l’état intellectuel de la société ; mais, s’il est juste de leur tenir compte de la pureté de leurs intentions, croyez-vous que par leur projet ils aient bien mérité de la liberté ? S’il faut vous l’avouer, je crois que, sans le vouloir, ils anéantissent tout l’effet que nous attendions de l’article 17 de la constitution, et qu’ils en contrarient, sinon la lettre, au moins l’esprit.

Il est vrai que leur proposition n’ôte à personne le droit d’ouvrir des écoles ; mais qu’importe, si elle en ôte la possibilité ? Sans concurrence, point de liberté ; et quelle concurrence peut-on supposer là où le gouvernement dispose des fonds de l’Etat pour offrir à tous une instruction gratuite ? Car vous remarquerez, messieurs, que le projet ne se borne pas aux classes pauvres, mais qu’il s’étend à tous sans aucune distinction. Etablissements communaux, établissements particuliers, tout doit tomber devant une pareille mesure. Le riche, trop fier pour laisser partager à ses enfants l’éducation du pauvre, trouvera peut-être une ressource dans les écoles moyennes ; mais il n’en résultera pas moins que l’instruction primaire sera toujours sous la main du gouvernement, que la liberté n’existera de fait que pour les riches, et que, surtout dans les campagnes, non seulement les pauvres, mais même les classes médiocres en seront privées et se verront forcées d’envoyer leurs enfants aux écoles officielles, soit qu’elles leur conviennent, soit qu’elles ne leur conviennent pas.

Que, dans un pays où il y a des doctrines officielles, il y ait une instruction officielle, je le conçois ; un tel gouvernement est conséquent avec lui-même, et, aussi longtemps qu’il ne persécute pas les dissidences inoffensives, on ne saurait trouver mauvais qu’il veille au maintien des principes sur lesquels il est basé. Mais il est loin d’en être de même dans un Etat comme le nôtre, où la liberté la plus entière des opinions forme un des points fondamentaux du droit public. La liberté des opinions n’est point garantie ; elle est un vain mot, je dirai plus, elle est une amère dérision si elle ne comprend pas la liberté de les transmettre. Deux voies sont ouvertes à cette fin : la presse et l’instruction. Aucun gouvernement, soi-disant constitutionnel, n’a encore osé refuser cette première liberté ; les efforts de la malveillance ont dû jusqu’ici se borner à l’entraver. Pour la seconde, dont l’importance est assez démontrée par les contradictions qu’elle éprouve, la Belgique est le seul pays où l’on ait agi avec assez de justice et d’impartialité pour l’établir franchement. Si l’Etat se charge de fait de donner seul l’instruction, il faudra qu’il se charge de donner à chaque opinion celle qu’elle réclame, sous peine de lui ôter l’un de ces deux moyens de transmission, et de saper par sa base la garantie donnée par l’article 14 de la constitution. Or, je vous demanderai messieurs, si la chose est possible, et si l’on peut exiger que le même gouvernement fasse simultanément enseigner le blanc et le noir. Il le voudrait, qu’il ne le pourrait pas. Par la pente irrésistible, qui portera toujours le pouvoir à augmenter son influence, la doctrine qui lui conviendra le mieux, bonne ou mauvaise, sera toujours la seule qui dominera. D’ailleurs, cette abnégation impossible de tout principe officiel ne répond même pas aux intentions des auteurs du projet qui nous occupe ; car l’orateur qui le premier a porté la parole, a allégué dans ses développements, comme un des principaux motifs à l’appui, le genre d’enseignement donné par les organes de certaine opinion. Je n’examinerai pas, messieurs, si ses dires reposent sur des faits réels ou s’ils ne doivent être attribués à une aveugle prévention : cette discussion m’entraînerait hors de mon sujet. Il me suffit que, d’après son propre discours, il conste que le but du projet est d’exciter le gouvernement à accaparer l’enseignement, non pour tenir une balance égale entre toutes les opinions, mais au contraire pour en affaiblir une spéciale, bien clairement désignée. C’est ce que je ne puis admettre, messieurs. Cette mesure sera contraire aux principes de justice et d’impartialité qui doivent nous guider, et je rejetterai la proposition actuelle, faite par M. Seron, tout comme je l’aurais rejetée, faite par nos adversaires, s’ils avaient prétendu qu’il importât à l’Etat de neutraliser des abus qu’ils eussent dit exister dans des écoles érigées selon les vues et les principes de l’honorable membre que je combats.

Remettre de fait tout l’enseignement à l’Etat, c’est le livrer à la discrétion du pouvoir, qui se verra maître d’inculquer à l’enfance telles doctrines qui lui plaira. C’est, pour me servir de l’heureuse expression d’un illustre défenseur de nos droits, envoyer successivement toutes les générations s’engloutir dans les filets du ministère. En vain vous croyez aller au-devant de cette objection ; en vain vous vous écriez que ce n’est point un caprice du gouvernement que cette branche importante de la prospérité générale sera laissée, mais à la sagesse des dispositions législatives. Non, sans doute, je ne porterai pas contre vous l’accusation niaise et ridicule de ministérialisme ; mais je dirai que, contre votre volonté, malgré toutes les précautions que vous prendrez, le résultat que j’indique sera infailliblement celui auquel aboutira votre proposition, si jamais elle doit être convertie en loi de l’Etat. Votre loi est promulguée, qui l’exécutera ? Le ministère ? Quelques moyens que vous ayez pris pour l’empêcher, mille petites vexations d’un côté, de l’autre la soif de la faveur ou des emplois, et au besoin, s’il faut payer la complaisance, quelques poignées d’or, sauront toujours rendre les instituteurs dociles aux vues du gouvernement. D’ailleurs, jamais ministère n’a-t-il éludé une loi et dénaturé ses dispositions les plus formelles ? Les chambres sont là, me direz-vous : oui, si vous pouvez me garantir que jamais aucun ministère ne trouvera de chambres serviles. Je ne crains pas, à dire vrai, que nos ministres actuels fassent de cette loi un mauvaise usage ; mais les hommes changent, et les institutions restent. Quelque confiance que m’inspirent les hommes qui tiennent en ce moment le gouvernail de l’Etat, je ne consentirai jamais à leur remettre une arme si dangereuse ; et leur patriotisme, auquel je me plais à rendre un juste hommage, m’est un sûr garant qu’ils repousseront eux-mêmes ce funeste présent.

Que si, abstraction faite du peu d’accord qui existe entre l’esprit de nos institutions et le projet actuel, je considère ce dernier uniquement sous le rapport de son mérite réel, je trouve encore des inconvénients tellement graves, que je ne pourrais admettre la prise en considération.

Le premier reproche que j’ai à lui faire, c’est le vague qui l’enveloppe. Un objet aussi important méritait, ce semble, un système quelconque. Si nos honorables collègues nous avaient présenté un plan, n’importe lequel, bon ou mauvais, libéral ou illibéral, pourvu qu’il fût complet, je ne me serais pas opposé, dans le cas bien entendu où il n’aurait pas été contraire à nos principes constitutionnels, à ce qu’il devînt l’objet d’un sérieux examen. Mais ici, messieurs, est-ce un système qui nous est présenté ? Deux articles composent toute la loi. Le premier pose un principe, le second nous renvoie pour l’application de ce principe à une loi qui n’existe pas encore ; et, si les auteurs du projet ne jugent à propos de nous mettre dans leur confidence, nous les suivrons en aveugles, sur leur parole, et sans savoir où ils nous conduisent. Je ne révoque pas en doute leur sincérité ; bien loin de les soupçonner, je les crois entièrement incapables d’aucun escamotage politique ; mais, avant que j’adopte le principe qu’ils me proposent, je les prierai de me permettre d’examiner à fond les conséquences qu’ils prétendent en tirer.

J’ai dit, messieurs, que le projet était excessivement vague ; il est cependant un point sur lequel je ne le trouve que trop clair, l’énorme charge qu’il imposerait au trésor public. L’honorable M. Seron, pour arriver à un chiffre approximatif de 500,000 florins, établit ses calculs sur le pied de 2,510 écoles, une par commune, à 200 florins chacune. L’une et l’autre de ces bases sont évidemment trop faibles. « Il y aura, dit la proposition, dans chaque commune au moins une école primaire. » Ces mots « au moins » vous dénotent suffisamment que ce nombre doit être dépassé, même selon la pensée des auteurs du projet. J’ajouterai qu’il doit l’être nécessairement. Sans doute, nos honorables collègues veulent qu’avantages et charges soient également répartis. Dès lors, il faut que, dans chaque localité, les écoles gratuites soient en nombre suffisant pour que tous les citoyens, qui y contribuent, aient la faculté d’en profiter. Nous avons déjà un nombre connu de 2,310 écoles. Pour les communes où il en faudra deux, trois, quelquefois quatre, soit à cause de la population, soit à cause des hameaux trop écartés ou séparés des villages par des communications difficiles ; soit pour les villes surtout, qui en exigeront de plus nombreuses encore, doublez ce calcul, supposez-en cinq mille, et ce nombre qui atteindra tout au plus celui des écoles communales actuellement existantes, que vous allez fermer, sinon en droit, du moins en fait, sans parler des établissements particuliers que le même sort attend ; ce nombre, dis-je, se trouvera encore très mal répondre aux besoins du pays. Calculez maintenant le traitement des instituteurs. J’ignore si dans quelques parties du Namurois ou des Ardennes, où la vie est à bon marché, 200 florins suffiraient ; mais ce que je sais, c’est que dans les Flandres, le Brabant, la province d’Anvers et autres, il serait visiblement insuffisant pour un homme qui naturellement ne pourra s’occuper que de ses fonctions, et que dans nos villes, à Bruxelles ou à Gand, par exemple, un instituteur à 200 florins n’aurait, sa classe finie, rien de mieux à faire que d’aller mendier.

Déjà, dans presque toutes les communes rurales, on s’est vu forcé d’améliorer le sort des commissaires de police qui ne peuvent non plus exercer d’autre profession, parce que leur traitement primitif de 500 francs ne leur donnait pas de quoi vivre. Il n’y a guère d’école primaire à la campagne qui, par les rétributions des élèves, combinées avec les subsides des communes ou des établissements de charité, ne vaillent à l’instituteur 300 florins. Prenez cette moyenne, même en y comprenant les écoles urbaines, et vous avez une charge annuelle, non de cinq cent, mais de quinze cent mille florins. En outre, messieurs, il est encore une dépense à laquelle l’honorable M. Seron semble n’avoir pas songé : celle des frais de premier établissement ; et je prendrai la liberté de lui demander où il compte établir ses écoles, l’Etat ne possédant, au moins dans les campagnes, aucun local, et n’ayant point le droit de s’adjuger les propriétés communales ou particulières. J’ai eu sous les yeux divers plans adoptés par le gouvernement précédent pour la construction d’écoles avec logement d’instituteur. Les devis estimatifs montaient communément de 3,000 à 4,000 florins, et quelquefois plus haut. Adoptons le taux le plus bas, et vous aurez pour cet unique objet la modique somme de 15 millions à servir en capital, si vous faites vous-mêmes les constructions, ou en rentes, si vous préférez prendre à bail les frais d’entretien, pensions de retraite, etc., qui majoreraient chaque année le budget de ce chapitre.

Supposé que l’on conteste mes évaluations, que cependant j’ai lieu de croire exactes, on ne disconviendra pas du moins que cette dépense ne monte à un taux très supérieur à celui qu’indiquent les développements. Le trésor public est d’autant moins tenu d’accepter ce fardeau, qu’on veut lui imposer une charge à laquelle rien ne l’oblige. Je ne pense pas que l’on veuille ressusciter la maxime de la Convention, et prétendre que les enfants appartiennent à l’Etat et non à leurs parents. Pour être décorée d’une origine grecque, cette allégation n’en est pas moins un sophisme. Tout n’est pas à l’abri de la critique dans la législation de Lacédémone, et il nous est permis, je crois, d’abandonner aux Spartiates la loi dont je parle, tout comme leur brouet noir. Au père de famille appartient exclusivement le devoir comme le droit d’élever ses enfants. C’est à celui qui leur a donné l’être qu’incombe le devoir de leur fournir et la nourriture physique et la nourriture intellectuelle. Nul autre que lui, ni particulier, ni magistrat, ne partage cette obligation.

L’indigence seule forme un cas d’exception. Comme celui auquel a souri la fortune doit au pauvre le pain qui doit le faire subsister, de même il doit aux enfants du pauvre le bienfait de l’instruction qui leur est nécessaire. Cette dernière obligation découle de la même loi de charité que lui impose la première. Aussi, l’éducation du pauvre doit-elle être l’objet de la vive sollicitude de l’autorité ; mais est-ce l’Etat que la chose concerne ? Non, messieurs ! ce sont les bureaux de bienfaisance, et à leur défaut, les administrations des lieux où ils ont leur domicile de secours. L’Etat ne doit venir qu’en dernière ligne, et seulement au cas où ces administrations ne pourraient y satisfaire. Jusque-là le rôle du gouvernement se borne à tenir la main à ce que les autorités locales remplissent exactement ce devoir. Par ce moyen l’instruction de la classe indigente est suffisamment assurée, et à des frais très minimes pour les contribuables, puisque les instituteurs, trouvant dans les rétributions des élèves une existence honnête, se chargent généralement de l’instruction des pauvres, moyennant une subvention très minime, et qui grève rarement le budget d’une commune d’une somme de 100 florins. Puisqu’on peut atteindre ainsi le but désiré, pourquoi charger l’Etat d’un fardeau énorme ? Pourquoi obliger le petit contribuable, célibataire peut-être, à supporter une part dans les frais de l’éducation des enfants de son riche voisin, cent fois plus que lui en état de faire face à cette dépense ? Pourquoi obliger ceux à qui le genre d’école qu’on nous promet ne conviendrait pas, ou qui n’en auraient pas besoin, de participer à leur entretien ? Cette dernière objection a semblé si naturelle, qu’on a bien voulu la prévenir en disant que le contribuable payait bien les frais de cultes dont il ne voulait pas. Une comparaison n’est pas une preuve, et celle-ci encore moins qu’une autre. En thèse générale, je suis d’avis que là surtout où il n’y a pas de religion d’Etat, l’Etat ne doit rien à aucun culte. Chez nous, le gouvernement doit au clergé catholique une indemnité, ou un traitement si vous l’aimez mieux, à raison de ses biens qui lui ont été enlevés par un gouvernement auquel il succède. C’est un acte de stricte justice et non une libéralité, et le contribuable qui ne va pas à la messe paie, non pour l’entretien du culte catholique, mais bien pour satisfaire à cette dette aussi obligatoire qu’une autre.

Pour justifier cette mesure, on allègue encore une prétendue nécessité à l’appui de laquelle on cite deux preuves. La première est l’abrutissement sans exemple dans lequel l’ignorance est censée avoir plongé notre pays ; abrutissement établi en fait par la révolution de 1789, dont on nous a fait une hideuse peinture.

Messieurs, quoique une exagération manifeste porte avec elle son correctif, il est des choses que l’honneur national ne permet pas de laisser sans réplique. Tout à l’heure, j’examinerai si cet abrutissement est réel : quant à la révolution, dite des patriotes, bien qu’elle puisse se passer d’apologistes et attendre avec confiance le jugement impartial de l’histoire, j’en dirai cependant deux mots. La révolution de 1789 fut l’œuvre, non des moines et des nobles, mais de toute la nation, sans distinction d’ordres, soulevée contre un souverain despote et parjure, infracteur des constitutions et des lois qu’il avait juré de maintenir. Il y a des personnes qui ont désapprouvé ce mouvement politique, parce qu’elles condamnent toute révolution ; l’honorable membre auquel je réponds n’est sans doute pas de ce nombre ; aussi je suppose qu’il blâme plutôt ce que la révolution n’a pas fait que ce qu’elle a fait, et, si elle eût moins respecté la religion des Belges et les lois constitutionnelles du pays, il aurait peut-être moins déversé sur elle les flots de son indignation.

La cause des Belges, en 1789, était la même qu’en 1830 : les griefs étaient presque les mêmes ; la marché des événements fut encore la même : on a commencé par la voie constitutionnelle des réclamations ; on n’a eu recours aux armes contre une tyrannie obstinée qu’après avoir épuisé tous les autres moyens. En un mot, les deux révolutions sont si identiques, que condamner l’une, c’est faire le procès de l’autre : il est même à remarquer que les reproches que M. Seron fait à la première sont textuellement les mêmes que ceux au moyen desquels les écrivains ministériels hollandais essaient de flétrir la seconde. Que si de la cause je passe à la manière dont la crise politique de 1789 fut conduite, je cherche en vain ces crimes, ces farces dégoûtantes et ces atrocités qui, selon l’honorable membre, nous valurent le mépris et l’indignation de l’Europe. Par hasard aurions-nous eu une convention nationale ? des Robespierre, des Danton, des Joseph Lebon ? des lois écrites avec du sang ? un tribunal révolutionnaire qui battît monnaie sur la place de Bruxelles ? Rien de tout cela, messieurs : on nous cite un seul fait, un de ces actes de vengeance populaire aussi impossible quelquefois à empêcher qu’à prévenir, et non moins vivement déplorés par les patriotes eux-mêmes que par leurs antagonistes. J’ajouterai qu’il est aussi injuste de condamner la révolution de 1789 sur le massacre du malheureux van Kricken que de juger celle de 1830 d’après l’assassinat du major Gaillard ou l’attentat commis sur le négociant Voortman.

La seconde preuve alléguée est l’abrutissement excessif et sans exemple de notre pays. On fonde ce compliment, aussi injuste qu’injurieux pour notre patrie, sur les efforts prétendument faits par le clergé pour anéantir ou pour accaparer du moins les écoles, afin d’entretenir le peuple dans l’ignorance. Messieurs, ceux de nos honorables collègues qui font partie du clergé vous citeront, sans doute, des faits qui vous prouveront que jamais l’ignorance des peuples n’a été le but du clergé ; ils pourront vous énumérer les actes formels et authentiques qui ne cessent de recommander le propagateur de l’instruction. Je leur laisserai cette tâche, dont ils s’acquitteront mieux que moi, et je me bornerai à vous rappeler qu’outre les services rendus aux lettres et aux sciences par le clergé qui, dans les temps anciens, en conserva le dépôt, il est de notoriété publique que presque toutes les petites écoles, principalement celles destinées aux pauvres, sont originairement des fondations ecclésiastiques. Comme individu, je rends cette justice à qui elle est due ; comme membre d’un des trois pouvoirs législatifs, que m’importe si, dans telle ou telle école, on parle contre Voltaire ou Jean-Jacques Rousseau, pourvu que l’instruction soit bonne et qu’on enseigne au peuple une morale pure qui lui apprennent à connaître et à remplir ses devoirs ? Si cette espèce d’enseignement, tranchons le mot, si les doctrines catholiques ne conviennent pas à quelques personnes, qu’elles élèvent institution contre institution ; qu’elles essaient de faire prévaloir leur manière de penser, mais qu’elles ne viennent pas nous demander de puiser dans la poche des contribuables pour les y aider et pour les mettre à même de faire tomber les établissements rivaux.

En fait, messieurs, je crois pouvoir nier que l’instruction ait souffert depuis la révolution. Il est possible que dans quelques localités il en soit ainsi ; mais tous les renseignements que j’ai obtenus me prouvent que le nombre des écoles, loin d’être diminué, s’est même augmenté par l’effet de la libre concurrence. Tel est, entre autres, l’état des choses dans ma province. Pour des communes, totalement privées de moyens d’instruction, je n’en connais pas. Peut-être en existe-t-il çà et là, qui se trouvent momentanément dans ce cas : je n’ai pas sous la main les documents nécessaires pour le nier formellement ; mais, à coup sûr, dans la Flandre vous ne m’en citeriez pas dix. Il est encore plus inexact de dire que l’instruction soit entre les mains du clergé. Je maintiens, au contraire, que le nombre des écoles dépendantes des curés est excessivement borné. Le roi Guillaume y avait mis bon ordre : quelques-uns de ces établissements sont des entreprises particulières ; les autres appartiennent aux communes, et demeurent placés sous la surveillance des administrations locales.

Le dernier reproche que je ferai au projet, messieurs, c’est qu’il sera même nuisible à l’enseignement. Il est inutile de vous flatter qu’à côté d’un système général d’écoles gratuites, il puisse en substituer de rétribuées. La fermeture inévitable de tous les autres établissements laissera dans cette partie un vide que vous ne parviendrez jamais à remplir. En second lieu, vous ôtez aux maîtres le levier puissant de l’émulation. Actuellement l’intérêt propre de l’instituteur conspire avec son devoir pour l’exciter sans cesse à surpasser ses rivaux. Supposez un maître à traitement fixe et invariable, vous lui donnez un intérêt direct à négliger ses fonctions puisque, loin qu’il lui importe d’avoir un plus grand nombre d’élèves, moins il en aura, et plus sa besogne sera légère. Les mesures répressives que vous pourriez prendre ne remédieraient pas au mal ; car, quelle que soit votre sévérité, il sera toujours vrai que l’instituteur aura intérêt à ne faire que tout juste ce qu’il faut pour ne pas être congédié.

Ce n’est pas, messieurs, que je veuille que le gouvernement abdique les droits que lui donne la constitution, ni qu’il néglige l’enseignement. Telle n’est pas ma pensée. Au contraire, je crois qu’il peut et qu’il doit faire beaucoup pour propager l’instruction publique ; mais je ne veux pas qu’il rétablisse le monopole sous un autre nom, ni qu’il prenne la place des autorités élues par les contribuables pour veiller à leurs intérêts ; J’ai déjà mentionné un de ses devoirs : le soin de veiller à ce que les régences s’acquittent de leurs obligations à cet égard, ou de suppléer à leur impuissance. Qu’en outre, il distribue à propos des encouragements et des secours pécuniaires, pourvu qu’il n’en fasse pas un moyen pour saper la liberté ; qu’il érige des écoles normales pour former de bons instituteurs ; en un mot, qu’il aide et protège, il se tiendra dans ses véritables attributions, et j’ose lui promettre un succès beaucoup plus réel que s’il devait suivre les errements du règne précédent.

Messieurs, témoin du mécontentement général qu’excita naguère le monopole de l’enseignement, témoin du mouvement rétrograde qu’imprima à l’instruction elle-même, au moins dans une de ses branches, ce malheureux système suivi avec une déplorable opiniâtreté, j’en ai d’autant mieux apprécié la sagesse du congrès lorsqu’il a si fortement garanti une des plus précieuses libertés dont puisse jouir une nation. Infiniment convaincu de l’utilité, de la nécessité même de cette liberté ; obligé d’ailleurs, par la foi du serment, de la conserver à mes concitoyens, je m’opposerai toujours à tout ce qui ne l’assurerait pas d’une manière complète et entière, en laissant à une concurrence réelle et véritable toute la latitude de se développer. Les raisons que j’ai eu l’honneur de vous exposer vous auront assez fait comprendre qu’indépendamment des défauts très graves que je reproche au projet de MM. Seron et de Robaulx, je n’y trouve pas cette garantie contre le monopole, cette liberté franche et sincère de l’enseignement que je vois écrite dans la constitution, et sur laquelle jamais je ne transigerai. C’est assez vous dire, messieurs, que je voterai contre la prise en considération.

M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, je viens appuyer la prise en considération de la proposition qui vous est soumise, non que je pense que le moment soit opportun pour se décider sur le mode à suivre pour doter le payer d’un bon système sur l’instruction primaire : j’attendrai à cet égard la loi qui doit nous être incessamment présentée par le gouvernement, et sur laquelle il serait peut-être imprudent d’anticiper ; mais parce qu’il me semble que c’est un devoir de prendre en sérieuse considération tout ce qui se rattache à cette partie vitale du régime constitutionnel, et de faire dès à présent connaître au gouvernement, par une première discussion, nos vues sur cet objet.

D’abord, je supposerai, et en douter serait faire à la chambre la plus sanglante injure, que tous nous voulons faire participer la nation entière aux bienfaits de l’instruction : je n’insisterai donc pas sur ce point, et n’irai pas vous faire un long plaidoyer en faveur d’une cause dont la justice n’est contestée par personne. Je dirai seulement qu’en Belgique la nécessité de faire pénétrer l’instruction dans toutes les classes de la société existe plus que partout ailleurs, non que je croie que le peuple y soit moins instruit que dans d’autres Etats, mais parce que, d’après nos institutions, il est appelé à prendre une part plus directe aux affaires, et qu’il ne pourra le faire avec avantage pour l’ordre social que lorsqu’une instruction plus avancée lui permettra de les apprécier. D’ordinaire, les institutions d’un pays doivent être l’expression des besoins sociaux. En Belgique, le congrès, profitant d’une position toute spéciale, trouvant, pour me servir de l’expression d’un membre de cette assemblée, table rase, a créé des institutions qui devancent les besoins de la société actuelle. Si l’on était peut-être tenté de me contester la justesse de cette assertion, je la prouverais par l’apathie avec laquelle on exerce les droits électoraux, je montrerais cette admirable institution du jury regardée encore comme une pénible corvée ; et alors ce ne serait pas pour les classes indigentes seules que je me verrais en droit d’appeler l’attention du gouvernement sur un bon système d’éducation nationale.

Mais nous devons reconnaître que, si une loi sur l’instruction primaire est vivement réclamée, les principes établis par la constitution rendent la tâche du gouvernement difficile et expliquent les retards qu’éprouve sa présentation.

Si l’on veut qu’elle produise un résultat vraiment utile, il faut qu’elle satisfasse à bien des exigences. D'abord, elle doit se garder de nous ramener aux temps du roi Robert, dont je ne veux pas plus que notre honorable collègue M. Seron ; mais, dans un pays éminemment catholique, elle ne doit, ni dans ses principes, ni dans son exécution, être hostile aux croyances de l’immense majorité des citoyens.

On ne peut se le dissimuler, des abus existent en ce moment ; il est temps que le gouvernement y porte remède et cherche, par un plan uniforme, à établir une instruction primaire qui réponde aux besoins de l’époque, et, sans nuire à la liberté d’enseignement, pallier par une instruction aux frais de l’Etat, les inconvénients qu’elle peut offrir.

Les divers gouvernements qui se sont succédé en Belgique ont peu fait pour l’instruction primaire. Le roi Guillaume, on doit le dire, s’en était beaucoup occupé, et des améliorations remarquables lui sont dues. On est conduit ici à examiner comment il s’est fait qu’un aussi grand bienfait que l’instruction primaire, répandue sur une classe qui jusqu’alors en était presque privée, lui a suscité tant d’ennemis et a fini par devenir un des principaux griefs de la nation.

C’est que, dominée par la faction hollandaise, ce roi, zélé protestant, avait pour but de miner sourdement le catholicisme en Belgique, trop habile pour vouloir l’entreprendre ouvertement. Effrayé de la puissance morale d’un clergé qui, dans les révolutions diverses auxquelles le pays a été en butte, s’était souvent montré hostile au pouvoir, il voulut, en conservant les formes extérieures, changer l’esprit de cet ordre, l’asservir à son autorité, soustraire enfin les mases à son influence. De là ce vaste plan d’instruction, qui, depuis l’humble école de village jusqu’à nos somptueuses universités, depuis les athénées jusqu’aux séminaires mêmes, devait lui livrer toute une génération.

De là ces certificats de capacité et de moralité, institution bonne par elle-même, mais dont l’abus fut extrême, puisque l’on pouvait refuser le diplôme à ceux qui avaient satisfait à toutes les conditions exigées.

Quoi qu’il en soit, il reste toujours vrai, au moins dans ma manière de voir, qu’exécuté loyalement, le système d’instruction primaire était bon, et que le gouvernement actuel doit, non le changer, mais le modifier, pour le mettre en harmonie avec la constitution qui nous régit.

Je voudrais, en conservant les commissions d’instruction dans chaque province, qu’elles fussent nommées par les conseils provinciaux, et composées en partie de membres de ces mêmes conseils, et en partie de membres de l’ordre judiciaire.

Je désirerais qu’une grande latitude fût laissée à ces commissions, qu’à elles appartînt la nomination des instituteurs et leur examen ; je voudrais, en un mot, soustraire l’instruction primaire aux variations de doctrines qu’amènent souvent les fréquents changements de ministères.

Les conseils provinciaux, nommés directement par le peuple, pris parmi les divers états de la société, exerceront, sans doute, une grande influence locale ; par leurs soins on parviendra, peut-être, à détruire bien des répugnances, à concilier bien des intérêts : ils diront au clergé que, désormais, l’instruction ne sera plus hostile aux doctrines catholiques ; il feront voir aux conseils communaux qu’ils doivent s’imposer des sacrifices pour l’instruction de leurs enfants ; et je ne doute pas qu’en peu d’années de grands résultats ne soient obtenus.

Si, au contraire, vous adoptez simplement la proposition qui vous est présentée, outre les frais énormes qu’elle occasionnerait, elle produirait peu d’effet. Dans bien des communes, l’arrivée de l’instituteur salarié par le gouvernement, lorsque déjà un autre y est établi, serait le signal de fâcheuses dissensions ; il se formerait deux partis, ce que l’on doit toujours éviter, et l’instruction en souffrirait.

Cherchons donc par une bonne loi à tout concilier, sans rien brouiller ; que chacun de nous modifie quelque peu des principes peut-être trop absolus, et hâtons-nous, en répandant une instruction solide parmi le peuple, de donner à notre patrie des gages de sécurité et d’avenir : n’oublions pas surtout que, si l’ignorance des masses peut être utile aux gouvernements despotiques, elle tue la liberté.

Sans approuver la proposition de MM. Seron et de Robaulx en tout, je vote pour la prise en considération.

(Moniteur belge, non daté et non numéroté) M. de Haerne. - Messieurs, nous ne vivons plus dans ces temps de barbarie et d’abrutissement où des tigres à face humaine, des monstres tels que les Cromwell et les Robespierre, tout en proclamant la liberté et la souveraineté du peuple, exerçaient le despotisme le plus exécrable. Les temps sont passés où quelques tyrans populaires croyaient pouvoir mettre hors de la loi les catholiques qui formaient la presque totalité de la nation, et, pour les forcer d’être libres, en faire de la chair à canon ou de la proie de guillotine. Heureusement on ne rencontre plus de ces cannibales, lesquels, il faut le croire, n’ont été poussés à un tel luxe de cruauté que parce qu’ils étaient guidés par de faux principes. Mais, messieurs, il est encore des hommes encroutés d’erreurs et de préjugés que l’âge a rendus intraitables et incorrigibles, et pour l’amélioration de qui les progrès de la civilisation ne peuvent rien ; des disciples de Voltaire, des hommes qui se disent du mouvement, mais qui sont du mouvement rétrograde ; des hommes qui, croyant mieux connaître les droits du peuple que le peuple lui-même qu’ils proclament souverain, voudraient réformer les mœurs et changer les opinions par des lois, tandis qu’il est avéré que les lois humaines ne peuvent être que l’expression de la volonté générale ; enfin des hommes qui, en se croyant les défenseurs des principes populaires, ne professent au fond que les principes de l’absolutisme.

Je les crois de bonne foi ces hommes, mais leur système est d’autant plus dangereux qu’ils le proclament au nom du peuple. Partisan de la souveraineté du peuple, je ne pense pas que le peuple puisse être plus arbitraire, plus injuste que ne peut l’être un souverain quelconque ; mais je pense que, si la volonté générale de la nation était oppressive pour une certaine classe ou même pour certains individus, ce qui d’ailleurs arrive bien rarement, ce ne serait pas par des lois ou par la force qu’il faudrait ramener le peuple à de meilleurs sentiments, mais par la persuasion. Ne pensez pas, messieurs, que parce que le peuple nous a confié un mandat, il a renfermé son opinion dans la nôtre ; il a voulu au contraire que notre opinion, notre raison, nos lumières fussent renfermées dans sa volonté. Et pour ma part, si mon opinion était contraire à la volonté générale et expresse de la nation, loin de vouloir l’imposer par une loi, je me retirerais et je remettrais mon mandat entre les mains de mes commettants.

Voilà, messieurs, comment j’entends la souveraineté du peuple, souveraineté qui n’est pas illusoire, qui n’est pas un vain mot, mais dont je reconnais le droit à tout peuple, quelles que soient d’ailleurs ses opinions religieuses. Si vous sortez de là, vous tombez nécessairement dans l’absolutisme, sous quelque nom que vous veuillez le déguiser. Ces principes doivent nous servir de point de départ dans l’exercice de nos fonctions législatives ; ils doivent nous guider dans notre marche, et nous devons les rencontrer toujours au bout comme au commencement de la carrière.

Aussi, messieurs, lorsqu’il s’agit de savoir, pour nous, représentants de la nation, ce que nous devons faire pour la nation, la première question que nous devons nous poser est celle-ci : que veut la nation que nous fassions pour elle ? Lorsqu’il s’agit de répandre l’instruction parmi le peuple, nous devons nous demander d’abord : comment le peuple veut-il être éclairé ? Je n’examinerai à présent que la question de la prise en considération, quoiqu’il soit impossible de le faire sans toucher légèrement le fond. Et avant d’entrer en matière, messieurs, sur la proposition qui est à l’ordre du jour, je dois rappeler à votre souvenir que le peuple belge s’est exprimé à l’égard de l’instruction qu’il veut qu’on lui donne, d’une manière également claire et énergique à une des époques les plus mémorables de notre histoire, et que les trois à quatre cent mille pétitionnaires qui demandaient la liberté de la presse et la liberté de langage ont protesté hautement contre le système d’instruction de Guillaume, système que quelques personnes semblent regretter aujourd’hui. C’était bien là l’expression de la volonté nationale. L’ex-roi ne voulut pas le croire ; mais la révolution vint bientôt lui apprendre qu’il avait mal calculé. Ainsi, messieurs, en discutant la proposition qui est en délibération, rappelons-nous les causes qui ont amené la révolution, et que le passé nous serve de leçon pour l’avenir.

La proposition de MM. Seron et de Robaulx renferme deux principes également dangereux, et qui, combinés ensemble, tendent à créer un monopole au profit du gouvernement. D’abord, disent ces messieurs, l’enseignement sera gratuit ; ce qui doit se traduire de la manière suivante ; « Chaque père de famille, qui n’est pas insolvable, sera forcé de payer le maître d’école que M. le ministre voudra bien lui donner, et, s’il n’en est pas content, il aura la faculté de s’en procurer un autre, pourvu qu’il lui paie autant que celui-ci jugera à propos d’exiger. » C’est donc un privilège qu’on accorderait au gouvernement ; et dans un gouvernement populaire, surtout un gouvernement monarchico-républicain, tel que le nôtre, tout privilège est odieux, parce qu’il tend à détruire cette égalité politique qui en est la base. En second lieu, la proposition consacre un principe directement inconstitutionnel ; c’est le principe de la surveillance, qui ne peut être considéré que comme une mesure préventive, et qui est, par conséquent, contraire à l’article 17 de la constitution. C’est pour cette raison que le congrès national a rejeté un amendement proposé à l’article 17, et qui tendait à faire surveiller l’enseignement. Si ensuite, messieurs, vous combinez les deux articles de la proposition de MM. Seron et de Robaulx ensemble, vous resterez convaincu qu’en l’adoptant vous donneriez au gouvernement un véritable monopole. D’un côté, vous lui donneriez l’avantage d’enseignement gratuitement, et de l’autre, vous lui accorderiez le droit de surveillance sur les écoles libres ; c’est-à-dire le droit de tourmenter les maîtres et les élèves, ou jusqu’à ce que les premiers ferment leurs établissements, ou jusqu’à ce que les seconds les quittent pour se rendre aux écoles ministérielles.

Je les appelle ainsi, messieurs, ces écoles du gouvernement, et c’est bien à juste titre ; car à qui appartiendrait la nomination des maîtres d’écoles, si ce n’est aux ministres ? Qui serait-ce qui indiquerait les livres à l’usage des élèves, et règlerait tout ce qui se rapporte à l’instruction, si ce n’est ceux qui nommeraient les maîtres d’école, c’est-à-dire les ministres ? Je prie MM. Seron et de Robaulx d’être persuadés qu’il n’y a rien de personnel pour eux dans ce que je viens de dire ; mais je ne puis m’empêcher de faire observer que leur système est ministériel, ce qui ne veut pas dire qu’il serait mauvais sous un bon ministère, mais qu’il n’a d’autres garanties que les caprices des ministres, quels qu’ils soient, ce qui, constitutionnellement parlant, est déjà très mauvais.

J’aurais beaucoup à dire sur la nature et la tendance de ce système d’instruction, s’il s’agissait de discuter le fond ; je m’en abstiens pour le moment, me réservant toutefois de reprendre la parole si je m’aperçois que la discussion de la prise en considération devient celle du fond, et que l’on discute pendant plusieurs séances le fond de la question, pour savoir si l’on va discuter le fonds, ce qui est déjà arrivé plus d’une fois dans cette chambre.

Ne croyez pas, messieurs, que je refuse au gouvernement le droit d’établir des écoles ; mais, comme l’instruction libre et indépendante est infiniment préférable à celle donnée par le gouvernement, je ne veux pas que celui-ci puisse restreindre ou gêner en rien la liberté d’instruction, comme il la restreindrait et la gênerait beaucoup, si vous adoptiez la proposition Seron-de Robaulx. Je veux donc, avant tout, que l’instruction soit entièrement libre, à défaut de quoi j’en ferais une institution communale ; et si la commune ne peut pas en faire les frais, je voudrais que la province s’en chargeât, et si la province s’y refuse aussi bien que la commune, alors, et alors seulement le gouvernement viendrait au secours.

Voilà, messieurs, comment j’entends le système de l’instruction publique et de quelle manière je voudrais les mettre en harmonie avec les libertés communales et provinciales. En ce point je suis d’accord avec M. Daunou, membre de la chambre des députés de France et rapporteur de la commission nommée par les bureaux pour examiner le projet de loi sur l’instruction primaire. Voici comme il s’exprime dans son rapport fait à la chambre dans la séance du 22 décembre 1831 : « L’origine domestique des écoles communales ne saurait, ce semble, être considérée qu’autant qu’on reproduirait les anciennes doctrines, suivant lesquelles les enfants appartiendraient de plein droit à l’Etat (…) Ce sont les familles de chaque commune qui vont en (des écoles) supporter les dépenses : le nouveau projet de loi le déclare expressément, et ce n’est que subsidiairement et en cas d’insuffisance qu’il appelle la caisse départementale, puis le trésor public, à y contribuer. » Voici un autre passage de ce même rapport : « S’il arrivait que quelques-unes de ces écoles (écoles particulières) obtinssent en effet la confiance de la plupart des pères de famille, s’il arrivait même qu’elles pussent satisfaire à tous les besoins pour lesquels les écoles communales sont instituées, il n’y aurait assurément aucun dommage public à ce qu’elles finissent par en tenir lieu. » Je suis loin, messieurs, d’approuver tout ce qui se trouve dans ce rapport, qui se ressent par trop du régime universitaire que la France a hérité du despotisme de Bonaparte ; mais les principes libéraux que M. Dannou a osé énoncer en présence du système d’oppression sous lequel MM. De Montalivet et Périer veulent encore tenir la jeunesse française, sont un hommage d’autant plus éclatant rendu à la liberté et à la vérité. Ce sont ces principes que la Belgique a su mettre en pratique, comme j’aurai l’honneur de vous le démontrer tantôt.

Je vous démontrerai, messieurs, à la dernière évidence que l’instruction primaire a fait des progrès étonnants en Belgique depuis la révolution, malgré les troubles et les désordres qui auraient dû, naturellement parlant, la faire tomber dans cet état d’abandon dans lesquels MM. Seron et de Robaulx se sont plu à la dépeindre.

Je tiens d’autant plus à vous fournir des preuves statistiques sur cet objet que, d’après des rapports que j’ai reçu de différents points de la France, le ministère français, qui ne cherche qu’à nuire à la liberté en général, et, par conséquent, à la liberté d’instruction en particulier, parce que toutes les libertés se tiennent, et qu’il suffit de toucher à une seule pour les ébranler toutes ; le ministère français a fait répandre par ses journaux que la liberté avait tué l’instruction en Belgique. Et malheureusement, d’après les tableaux qu’en ont tracés MM. Seron et de Robaulx on pourrait croire, en France, que le ministère a pu ne pas tromper la nation, si l’on ne prenait soin de citer des faits qui prouvent tout le contraire, et de mettre ainsi la vérité dans tout son jour. Ce n’est donc pas seulement pour la Belgique, mais pour la France que j’établirai la vérité dans l’intérêt de la liberté, qu’on a impudemment calomniée dans un pays comme dans l’autre.

Vous sentirez, messieurs, que c’est ici le point le plus important, dans la question de la prise en considération, qui nous occupe. Car, pourquoi les honorables auteurs de la proposition se pressent-ils tant de devancer le projet de loi que le ministère va nous présenter sur l’instruction publique ? C’est parce qu’ils croient que l’instruction primaire est tellement négligée, qu’il devient urgent que le gouvernement y apporte un remède. Quand j’aurai démontré qu’ils sont dans l’erreur et que l’instruction est dans un état beaucoup plus prospère qu’elle ne l’était sous le monopole hollandais, dont ils font l’éloge, je crois que j’aurai dissipé toutes leurs craintes et tous leurs scrupules, et qu’ils conviendront avec moi qu’on peut ajourner leur proposition jusqu’à la présentation de la loi sur la matière. Or, messieurs, c’est ce qu’il me sera facile de faire.

Mais, avant d’arriver là, permettez-moi, messieurs, d’établir un parallèle entre l’instruction telle qu’elle était donnée par le ministère Van Maanen et l’instruction telle qu’elle se donne aujourd’hui sous le régime de la liberté.

Je parlerai spécialement de la Flandre, que je connais mieux que les autres provinces ; et je pense que tout ce que je dirai relativement à cette province pourra se dire, sans crainte d’exagération, des autres parties de la Belgique, puisqu’en fait d’obscurantisme la Flandre tient le premier rang, témoin la carte géographique du juif hollandais Sommerhauzen, sous laquelle la Flandre se trouve éclaboussée d’une double quantité d’encre. A en croire MM. Seron et de Robaulx, l’instruction publique serait abandonnée dans les campagnes à des gens ignorants et paresseux, tels que sont à leurs yeux les chautres d’église, les sacristains, les bedeaux, etc. A cet égard, je puis leur donner tous les apaisements qu’ils pourraient désirer ; car, si quelques instituteurs se sont enfuis au premier bruit de la révolution, par la crainte d’être molestés par le peuple pour leurs opinions politiques, quoique je ne connaisse dans les Flandres que la seule commune de Steydinghe où il y ait eu réellement à craindre, en général les maîtres d’école ont été conservés, et il leur a été laissé partout pleine liberté pour les livres classiques et pour la méthode d’enseignement.

S’ils n’ont pas cru devoir continuer ces ridiculités, ces niaiseries et ce pédantisme, dont était entachée la méthode hollandaise, et dont j’entretiendrais la chambre si je ne craignais de dire des choses qui seraient bien au-dessous de sa dignité, il faut leur en savoir gré et rendre justice à leur bon sens et à leur bon goût. Je ne sais si MM. Seron et de Robaulx se sont jamais donné la peine d’étudier le hollandais, mais je pourrais leur citer des choses curieuses et vraiment divertissantes qu’on enseignait fort sérieusement aux enfants. Il y aurait de quoi rendre fier le dernier magister de village.

Outre la suppression de ces fadaises et rapsodies du monopole hollandais, la concurrence qu’a fait naître le régime de la liberté a produit un bien immense et qui doit remplir les vues philanthropiques des auteurs de la proposition : c’est que, dans beaucoup de communes, il s’est établi un enseignement vraiment gratuit pour les enfants des pauvres, et pour le maintien duquel la commune ni le gouvernement ne donnent pas le sou ; c’est que, pour gagner la confiance publique et pour attirer les enfants des riches, les instituteurs, au lieu de demander un subside, ont offert d’eux-mêmes à donner l’instruction gratuite aux enfants des pauvres. Il résulte des rapports que j’ai reçus, que les instituteurs refusent presque partout les subsides qu’on leur présente, parce que, du moment qu’ils reçoivent un subside, ils passent pour monopoleurs, se perdent dans l’opinion, et sont abandonnés de leurs élèves. Il est inutile que j’ajoute que dans toutes ces écoles on apprend à lire, à écrire et à chiffrer ; enfin on y apprend au moins autant que sous le gouvernement déchu : c’est ce qui doit satisfaire mes antagonistes. Il est vrai, messieurs, qu’en général l’instruction est toute chrétienne et catholique ; et à cet égard, je n’ai qu’un mot à dire, c’est que, du moment que vous accordez la liberté de l’instruction, et vous ne sauriez la refuser à un peuple qui l’a acquise au prix de son sang, il faut nécessairement qu’elle soit catholique dans un pays où la religion catholique est la religion de la presque totalité des habitants. L’enseignement constitutionnel, en supposant même que le ministère se renferme dans les limites de la constitution, ne saurait jamais être complet, parce qu’il ne peut embrasser la religion. Il peut être excellent sous le rapport matériel, mais, quand il serait le meilleur possible, il ne pourrait être encore qu’indifférent en matière de religion. Il est vrai, messieurs, qu’on peut, jusqu’à un certain point, séparer le spirituel du matériel ; mais c’est parce que dans la nature ces deux choses ne se séparent pas qu’il vaut mieux ne pas les séparer, et que l’instruction libre est préférable à l’instruction constitutionnelle. Quand on bannit Dieu de l’instruction, on rencontre partout la mort ; l’enseignement n’est plus qu’un hideux squelette, un corps sans âme, qui tombe en pourriture et qui exhale l’infection de l’athéisme. Oui, messieurs, c’est une instruction religieuse que veulent les catholiques belges, à l’exception de quelques individus rares qui ont la pleine liberté, s’ils le trouvent à propos, d’élever leurs enfants dans les principes du déisme, du matérialisme ou de l’athéisme.

Je dois vous parler de certaines écoles catholiques qui, depuis la révolution, ont pris un accroissement prodigieux : ce sont les écoles dominicales instituées par le concile de Trente, et destinées par le concile provincial de Malines non seulement à enseigner la doctrine chrétienne, mais à apprendre à lire et à écrire. Ces écoles suppléent merveilleusement aux écoles journalières, en ce qu’une foule d’enfants et de jeunes gens des deux sexes, qui ne peuvent trouver le temps de s’instruire dans la semaine, à cause du travail auquel ils doivent se livrer pour gagner leur pain, passent agréablement le dimanche en apprenant à lire et à écrire et en s’instruisant dans la religion. Ces institutions admirables, que la liberté a fait éclore ou a multipliées sur toute la surface de la Belgique, comptent dans les deux Flandres plus de 100,000 élèves. Les sacrifices qu’y font les maîtres, qui, presque partout, sont les personnes les plus respectables de l’endroit, pour donner aux enfants une instruction gratuite, les encouragements qu’on y donne aux élèves ; les brillantes distributions de prix qui consistent, soit en habillement, soit en livres, font encore de ces écoles de véritables établissements de bienfaisance, où les pauvres trouvent des secours considérables pour l’entretien de leurs enfants.

Voilà, messieurs, les fruits précieux de la liberté que nous avons conquise et dont nous sommes fiers à si juste titre. Si après cela on rencontre quelque part un instituteur qui croit que toute science est renfermée dans les litanies des saints, et qu’il a rempli son devoir quand il les a fait lire à ses élèves, on ne peut que lever les épaules, mais pour ma part je me console encore de sa simplicité et de son ignorance, quand je réfléchis à d’autres espèces de litanies que certains maîtres hollandais donnaient à lire à leurs élèves. C’étaient des nomenclatures d’animaux, de plantes et d’instruments de toute espèce, à peu près comme ces almanachs à la 93 où, à la place des noms des saints, on lisait chou, navet, carotte, etc. Telles étaient les litanies hollandaises.

Je crois vous avoir prouvé, messieurs, la supériorité de l’instruction libre sur celle du monopole, et je vous ai laissé entendre en même temps que le nombre des enfants qui fréquentent les petites écoles est considérablement augmenté depuis la révolution. J’ai encore à vous prouver cette augmentation par des chiffres, et alors j’aurai complètement répondu à mes adversaires qui prétendent que l’instruction se trouve dans un état misérable, tant sous le rapport du nombre des élèves que sous celui des lumières.

Et d’abord, messieurs, je puis vous assurer que dans les deux Flandres il n’y a pas dans ce moment une seule commune qui n’ait son école, que partout le nombre des écoles est augmenté, et que le nombre des élèves est augmenté dans une proportion plus grande encore. Dans le district de Gand, sur 12 paroisses, sur lesquelles j’ai reçu des relevés, on y comptait avant la révolution 25 écoles et 1,517 élèves ; depuis le règne de la liberté, on y compte 47 écoles et 2,783 élèves.

Et ne pensez pas que ce n’est que dans les villes que vous rencontrerez ce résultat : dans le district de Gand, les communes de Wandelghem, Dronghene, Ledebergh, Everghem, Heusden, Vinderhaute, Gendbrugghe, Destelberghe, Assné, avaient sous Guillaume 13 écoles et 702 élèves ; maintenant ces mêmes communes ont ensemble 28 écoles et 1,727 élèves. Il n’en est pas seulement ainsi dans les environs de Gand, mais dans toute la Flandre. Dans les environs de Termonde, sur 14 communes, il y avait avant la révolution 32 écoles et 1,810 élèves ; aujourd’hui il y a 64 écoles et 4,364 élèves. Dans le pays de Waes, sur 6 communes, 7 écoles et 625 élèves avant la révolution ; à présent, 11 écoles et 1,010 élèves. A Nevele et dans 16 autres communes environnantes, dont 3 ont été privées d’écoles sous Guillaume, 22 écoles et 1,294 élèves avant la révolution, aujourd’hui 43 écoles et 2,499 élèves. A Grammont et dans les environs, sur 6 communes avant la révolution, 11 écoles et 510 élèves ; aujourd’hui 18 écoles et 952 élèves. Dans le district d’Alost, sur deux communes, 2 écoles avant la révolution, et 70 élèves ; aujourd’hui 8 écoles et 315 élèves. Dans le district d’Eecloo, sur 3 communes, il y avait 3 écoles et 110 élèves avant la révolution ; à présent il y a 4 écoles et 186 élèves.

Dans le district de Sotteghem, dans 2 communes, il n’y avait qu’une école et 15 élèves avant la révolution ; maintenant il y a 3 écoles et 80 élèves.

Dans la Flandre occidentale, l’instruction publique a fait également de grands progrès depuis la révolution : c’est ainsi que, dans le district de Thielt, deux communes avaient 3 écoles et 225 élèves avant la révolution ; aujourd’hui il y a 4 écoles et 375 élèves.

Voilà, messieurs, les renseignements que je me suis procurés sur la Flandre : il serait trop long d’énumérer toutes les communes et le nombre des élèves dans chaque commune ; mais j’ai pris des communes par faisceaux sur les différents points des Flandres, afin que vous pussiez juger d’après ce tableau quel est l’état de l’instruction en général. D’après la statistique que j’ai eu l’honneur de vous exposer, il résulte que dans les Flandres le nombre des écoles est augmenté depuis la révolution de plus d’un tiers, et le nombre des élèves de deux tiers.

J’ajouterai encore une remarque qui milite beaucoup en faveur de l’instruction actuelle, c’est que par la concurrence qui s’est établie entre les maîtres d’écoles on a obtenu un immense avantage, savoir : que les maîtres d’écoles, dans les campagnes, donnent des leçons l’été comme l’hiver, ce qui ne se faisait pas jusqu’ici.

Messieurs, vous vous étonnerez sans doute un peu de la différence qui se rencontre entre les faits que je viens de vous citer sur l’état de l’instruction, et la description que vous en ont faite les auteurs de la proposition. Voici sans doute ce qui les a induits en erreur ; ils n’ont vu dans la révolution que les troubles et les désordres qui l’accompagnent, et dont l’effet naturel est de détruire toute instruction ; mais ils n’ont pas assez réfléchi aux résultats prodigieux que produit toujours la liberté, quand elle est réelle.

Je crois donc, messieurs, que vous devez être convaincus comme moi qu’il n’y a pas d’inconvénient à ne pas prendre la proposition en considération, vu que l’urgence que ses auteurs ont fait valoir n’existe aucunement, et que si elle est adoptée, loin de servir à répandre davantage l’instruction publique, elle ne servira, au contraire, qu’à la diminuer, en restreignant la liberté qui seule peut enfanter de grandes choses en fait d’enseignement.

Messieurs, il est une autre observation que je dois vous présenter contre la prise en considération de la proposition de MM. Seron et de Robaulx ; elle est tirée des circonstances politiques où nous nous trouvons. Est-il bien prudent de lancer au milieu de nous une proposition aussi prématurée, aussi inutile, aussi contraire à la liberté, dans un moment où nous avons besoin de nous unir plus que jamais ? Est-il bien politique d’alarmer les populations catholiques, de les dégoûter de la révolution, au moment où les ennemis du dedans cherchent à nous diviser en fomentant la discorde et la guerre civile ; au moment où les ennemis du dehors vont nous assaillir à coups de protocoles, et peut-être à coups de canons ? Faut-il, dans de telles circonstances, nous rapprocher pour ainsi dire de la Hollande, en faisant l’éloge d’un monopole qui, dans l’esprit du peuple, avait élevé un mur d’airain entre la Belgique et la Hollande ? Songeons, messieurs, à la défense commune ; rapprochons-nous plutôt de la nation française, rapprochons-nous-en autant qu’il est possible de le faire sans nous réunir à elle. C’est notre alliée naturelle, et, malgré son gouvernement qui depuis la proposition de l’armistice jusqu’à la combinaison Nemours, et depuis encore, nous a constamment trompés, elle saura toujours nous soutenir. Une guerre générale se prépare, l’orage gronde dans le lointain ; il peut dépendre de nous, messieurs, il peut dépendre des populations de la Flandre, du Hainaut et de Namur, de décider la question en faveur de la France ou contre elle, en faveur de la liberté ou du despotisme.

Si, par l’apathie et le découragement que vous auriez jetés dans nos populations catholiques, Guillaume s’empare de nos forteresses qui sont sur la frontière de la France, elles serviront à la fin pour laquelle elles furent bâties ; si, au contraire, le peuple y tient bon jusqu’à l’arrivée de l’armée française, elles deviendront les remparts de la liberté contre le despotisme. Voilà, messieurs, le côté politique de la question qui nous occupe. Je crois que cette seule raison suffirait pour voter contre la prise en considération.

(Moniteur belge n°27, du 27 janvier 1832) M. Barthélemy. - Je regrette qu’à l’occasion d’une question toute constitutionnelle, on se soit jeté dans des considérations qui y sont absolument étrangères, et qu’on ait cru devoir rechercher si la proposition faite par MM. Seron et de Robaulx n’alarmait pas les consciences. Jusqu’à ce qu’aux termes de la constitution, l’instruction publique soit réglée par une loi, l’unique question est de savoir si l’Etat donnera un subside pour cet objet. Or, il faut bien que le gouvernement interviennent là où les communes ne sont pas à même de subvenir aux frais des écoles. Il est donc nécessaire d’y affecter une somme spéciale qui sera portée au budget. Mais toute discussion qui a rapport à l’instruction religieuse est entièrement étrangère à celle qui nous occupe en ce moment. Quand la constitution a proclamé la liberté de l’instruction, elle n’a pas entendu parler de l’éducation religieuse. La constitution et le législateur professent le principe d’indifférentisme en matière de religion. Par cela seul qu’ils veulent que le culte soit libre, ils veulent aussi que l’instruction religieuse soit exclusivement réservée aux ministres du culte ; car autrement ce serait contrarier le principe posé de la liberté. L’Etat pas plus que les auteurs du projet n’ont donc pas pu s’occuper de ce dernier objet, et ainsi disparaissent toutes les alarmes de conscience.

L’orateur démontre que l’instruction civile et l’instruction religieuse doivent être séparées, et que la seule question à résoudre en ce moment, c’est celle de savoir quelle somme sera portée au budget pour l’instruction publique. Quant à l’éducation religieuse, les frais en sont compris dans la somme globale, affectée aux cultes. Il se réserve de dire sa pensée sur les trois degrés d’instruction, lors de la présentation de la loi organique, et vote pour la prise en considération de la proposition.

M. de Robaulx. - Je demande la parole, afin d’éviter beaucoup d’objections qui proviennent d’une erreur sur notre intention et sur le texte de notre proposition. M. l’abbé de Haerne, ainsi qu’il vient de me le dire, a cru que, d’après l’article 2, notre intention était de restreindre la liberté de l’instruction, en soumettant à la surveillance de l’Etat tous les établissements d’instruction primaire, tandis que nous ne demandons la surveillance que sur ceux que le gouvernement aura créés. Plusieurs membres partagent sans doute cette erreur.

- Un grande nombre de voix. - Non ! non !

M. de Robaulx. - M. de Haerne vient de me déclarer qu’il en avait jugé ainsi, et j’ai cru utile de vous faire cette observation à cet égard.

M. l’abbé de Foere. - Considérant les discours de MM. Seron et de Robaulx comme l’exposé des motifs du projet de loi, et faisant remarquer combien les motifs influent sur l’interprétation d’une loi, il s’attache à réfuter les discours des deux honorables membres. M. Seron, dit-il, a prétendu que, si nous n’adoptions pas sa proposition, le peuple belge tomberait dans l’abrutissement. Il faut répondre à cela comme répondre le célèbre Pitt à un membre du parlement qui parlait de la crainte qu’il éprouvait de l’influence du pape sur l’Angleterre : « C’est dit, comme si on vous disait que la mer va prendre feu, et qu’il faut faire placer sur le rivage des pompes à incendie. » M. Seron a ensuite parlé amèrement de la révolution brabançonne ; il en a contesté la légitimité. Il me semble que, quand on se pique de connaître l’histoire du siècle du roi Robert et de Grégoire VII, il serait bon de prouver que l’on connaît aussi l’histoire de son pays et de son siècle.

Ici l’orateur s’attache à justifier la révolution brabançonne des attaques de M. Seron ; il rappelle ensuite les détails statistiques donnés par M. de Haerne pour prouver qu’au lieu de rétrograder, l’instruction primaire est en progrès depuis la révolution, et il termine en disant qu’il voterai contre la prise en considération, attendu qu’avant de savoir si la loi est nécessaire, il faudrait faire des enquêtes pour connaître l’état où se trouve l’instruction primaire.

(Moniteur belge n°32, du 1er février 1832) M. l’abbé de Foere. (Après avoir prouvé par un grand nombre de faits que la révolution de 89 n’avait pas éclaté pour des griefs résultant exclusivement des intérêts religieux, comme M. Seron, l’avait insinué, l’orateur continue en ces termes) - M. de Robaulx a basé sa proposition sur le devoir impérieux que la constitution aurait fait à l’Etat de procurer gratuitement à la nation l’instruction primaire. L’honorable membre s’élève souvent avec succès contre les interprétations forcées et arbitraires que l’on donne aux lois, mais ici, il n’a su se défendre contre le même abus ; et est à l’appui de son opinion ce paragraphe de l’article 17 de la constitution : « L’instruction publique, donnée aux frais de l’Etat, est également réglée par la loi. » Je n’ai besoin de faire aucune effort d’interprétation pour démontrer que ce texte de la constitution ne renferme pas le sens que M. de Robaulx lui attribue ; il suffit de le citer. Si l’interprétation des lois n’était pas rigoureuse, celles-ci deviendraient toujours, entre les mains des partis, un instrument pour atteindre leurs vues particulières. Si tel était le sens de ces termes de la constitution, M. de Robaulx n’aurait pas dû s’arrêter là ; car il s’ensuivrait aussi bien que l’Etat serait chargé de faire donner gratuitement à la nation l’enseignement moyen et supérieur.

L’orateur abuse encore plus étrangement d’un autre paragraphe de la constitution. De ce que, en fait d’enseignement, notre loi fondamentale décide que « la répression des délits n’est réglée que par la loi, » M. de Robaulx en conclut qu’il faut une loi répressive. Jusque-là son interprétation serait en règle, s’il ne provoquait qu’une loi pour réprimer les délits qui se commettraient par la voie de l’enseignement. Mais il s’appuie aussi de ce texte constitutionnel pour soutenir que tout l’enseignement primaire est à la charge de l’Etat ! C’est là évidemment conclure d’une partie au tout, ou déduire d’une proposition présentée sous tel rapport, des conséquences qui résultent matériellement de la même proposition, mais considérée sous tel autre.

M. de Robaulx explique enfin toute sa pensée : c’est pour arriver à son but qu’il a fait tant d’efforts d’interprétations. Il ne veut pas que l’obscurantisme soit enseigné, sous prétexte que l’enseignement est libre. Mais alors, que devient cet article de la constitution qui garantit à tous la libre manifestation des opinions ? En supposant que l’obscurantisme soit un délit, qui donnera la définition de cet obscurantisme ? Je crains que le reproche que l’auteur a adressé à certaine classe de la société, de vouloir exploiter exclusivement l’instruction primaire, ne rejaillisse directement sur lui-même.

J’aborde maintenant la question de la prise en considération de la proposition. Je la repousse par trois motifs.

D’abord, en prenant cette proposition en considération, vous mettez en problème une foule d’expériences particulières qui trouvent aujourd’hui leurs moyens de subsister dans la profession d’instituteurs et d’institutrices : car la proposition Seron et de Robaulx est générale. Elle ne tend pas seulement à donner une instruction gratuite aux pauvres, elle embrasse tout l’enseignement ; de manière que les bourgeois, guidés par leurs intérêts privés, enverraient aussi leurs enfants aux écoles gratuites.

Ensuite, la proposition est fondée sur un fait dont aucune preuve évidente n’a constaté l’existence. En effet, plusieurs orateurs ont été entendus sur ce fait. Les uns le confirment, les autres le nient. MM. Seron, de Robaulx et Henri de Brouckere disent que l’enseignement primaire est partout, depuis la révolution, dans un délabrement complet ; d’autres membres de la chambre, parmi lesquels il s’en trouve qui se sont appuyés, comme M. de Haerne, de recherches et de documents statistiques, soutiennent que, depuis la révolution, cet enseignement a fait des progrès immenses. Dans cet état de choses, dans l’ignorance dans laquelle se trouve la chambre, je vous le demande, messieurs, pouvons-nous mettre en délibération une proposition basée sur un fait sur lequel il existe des opinions aussi contradictoires. Il me semble que la chambre agirait prudemment et ne perdrait pas inutilement un temps précieux, si, avant de procéder à cette délibération, elle ordonnait que des enquêtes fussent instituées, dans toutes les provinces du royaume, sur l’état actuel de l’enseignement primaire. Alors, et alors seulement, la chambre pourra délibérer avec connaissance de cause.

En dernier lieu, la proposition qui nous occupe est, selon moi, intimement liée avec les lois provinciale et communale. La dernière ne nous est pas encore proposée, et le sort de l’autre dépend encore des votes de la chambre. J’ai dit.

Projet de loi accordant des crédits provisoires au département de la guerre pour l'exercice 1832

Dépôt

(Moniteur belge n°27, du 27 janvier 1832) M. le président. - Je prie la chambre d’interrompre un moment la discussion pour une communication de M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) présente un projet de loi tendant à obtenir un nouveau crédit de 2 millions 300 mille florins pour le mois de février. Il demande qu’on s’occupe tout de suite de ce projet, pour qu’il puisse être voté lundi prochain par le sénat.

- La chambre donne acte à M. de Brouckere de la présentation de ce projet, en ordonne l’impression et la distribution, et déclarant l’urgence, elle le renvoie à la commission du budget de la guerre qui s’en occupera immédiatement.

Proposition de loi portant organisation de l'instruction publique

Prise en considération

M. Jullien. - Je ne suis pas partisan des principes absolus ; je ne suis pas non plus assez doctrinaires pour croire que, lorsqu’ils sont une fois admis, il faut de toute nécessité en adopter toutes les conséquences ; et, s’il se trouvait parmi vous, comme autrefois à la tribune d’un grand peuple, un orateur qui s’écriât : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » je répondrai qu’il faut sauver le principe et les colonies, persuadé que je suis, dans la simplicité de ma raison, que, pour la conservation des principes, comme des choses, il est quelquefois nécessaire de modifier les conditions de leur existence.

Ainsi, par exemple, quoique la constitution ait proclamé la liberté de la presse d’une manière absolue, si je reconnaissais que les conséquences de cette liberté battent en ruine le principe, je chercherais à la sauver de ses propres excès. De même pour la liberté illimitée de l’enseignement ; si je voyais que les conséquences nous mènent droit au monopole au profit de telle ou telle classe de la société, je voudrais détruire le monopole, dût l’absolutisme du principe en souffrir ; et en cela, messieurs, je croirais encore servir la liberté de l’enseignement.

Voilà, messieurs, en peu de mots, ma profession de foi en fait de liberté en tout et pour tous ; voilà les principes que je suivrai constamment, et dont je ferai, s’il en est besoin, l’application à la question qui nous occupe.

D’ailleurs, il me semble que dans cette discussion on a oublié précisément ce qui en faisait l’objet : car de quoi s’agissait-il ? De la prise en considération ; et à cette occasion on s’est jeté dans de longues considérations et des théories d’enseignement ; on a crié au monopole, et, en présentant le chaud panégyrique du clergé, on n’a fait autre chose que reproduire le portrait du bon portrait que nous connaissons tous. Mais tout cela était absolument étranger à la question.

L’orateur examine ensuite si le projet est utile et constitutionnel. Il s’attache à démontrer qu’il est tout à fait dans les termes de la constitution et qu’il n’est pas seulement utile, mais indispensable. En conséquence, rien ne peut s’opposer à sa prise en considération. Puis, abordant les objections : Un membre a craint, dit-il, que le gouvernement ne s’emparât du monopole de l’instruction. Il a déclaré, il est vrai, qu’il ne craignait pas que le ministère actuel favorisât ce monopole, mais que ce ministère pouvait être changé, dans 20 ans, par exemple. Certes, c’est là un brevet de longévité (on rit que tous les ministres accepteraient volontiers ; mais je crois que dans 10 ans, pas plus que dans 20 et plus loin encore, il n’y a rien à redouter.

M. Jullien combat une à une toutes les objections qu’on a invoquées contre la prise en considération, et vote pour.

M. le président. - La parole est M. Milcamps.

- Plusieurs membres. - A demain ! à demain.

- La discussion est renvoyée à demain, et la séance est levée à 4 heures et demie.