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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 14 mai 1832

(Moniteur belge n°137, du 16 mai 1832)

(Présidence de M. Destouvelles.)

La séance est ouverte à 1 heure.

Une foule considérable de spectateurs se presse dans les tribunes.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal, qui est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.

- Il est donné lecture d’une lettre de M. Davignon, qui s’excuse de ne pouvoir se rendre à son poste.

Projet d'adresse relatif aux ratifications des puissances au traité des XXIV articles. Enlèvement de Thorn, gouverneur de la province du Luxembourg

Rapport de la section centrale

M. Destouvelles. - La parole est à M. Leclercq, rapporteur de la commission chargée de rédiger un projet d’adresse à S. M. (Marques d’attention.)

M. Leclercq. - Messieurs, je dois d’abord, au nom de la commission, vous exprimer le regret de ce que nous n’avons pu achever le projet d’adresse dans la journée d’hier et le livrer à l’impression pour être distribué aujourd’hui avant la séance. Nous venons seulement de le finir. Je vais en donner lecture à la chambre, et, si elle le désire, elle pourra en ordonner l’impression.

M. le rapporteur lit, au milieu d’un profond silence, le projet d’adresse ainsi conçu :

« Sire

« La chambre des représentants croit ne pouvoir s'abstenir de répondre par une manifestation éclatante de ses sentiments aux communications qui lui ont été faites de la part de Votre Majesté sur l'état de nos relations extérieures.

« L'union des peuples et de leurs gouvernements fut toujours la force des uns et des autres. Cette union ne manquera pas à la Belgique dans la position où l'ont placée la marche des événements et les négociations avec la conférence de Londres.

« Une loi a autorisé le gouvernement à souscrire au traité du 15 novembre 1831 ; les sacrifices cruels auxquels ce traité soumettait les Belges n'ont été acceptés par eux que dans la prévision des calamités qui menaçaient l'avenir de l'Europe ; la paix générale était d'une valeur inestimable. Les cinq puissances signataires du traité avaient unanimement déclaré dans les notes adressées au plénipotentiaire de Votre Majesté que cette paix était attachée à ce traité, que rien ne pouvait y être changé sans qu'elle fût à l'instant compromise. La nation belge en reprenant son rang dans la grande famille des peuples n'a pas voulu que ce fût à ce prix ; elle s'est résignée, et la paix n'a plus été troublée.

« Après avoir rendu cet éminent service aux nations, après avoir fait pour elles cette entière abnégation de ses plus chères affections et de ses plus pressants intérêts, après avoir reçu des ministres des cinq puissances la déclaration solennelle que le traité était final et irrévocable, que ni la lettre ni l'esprit ne pouvaient subir la moindre altération et que leurs gouvernements se chargeraient d'amener la Hollande à y accéder, la nation devait espérer qu'elle pouvait enfin se remettre des secousses d'une révolution, et ne plus penser désormais qu'à travailler à l'affermissement d'institutions qui, toutes nouvelles qu'elles sont, ont déjà poussé d'assez fortes racines pour que depuis une année elle offre à l'Europe, comme un nouveau gage de tranquillité, le spectacle inouï d'un peuple qui, au sortir d'un bouleversement politique complet, vit dans la paix la plus profonde, soumis aux lois, docile à la voix de ses magistrats, et ne ressentant d'autre agitation que celle que la vue des armes et l'idée de son indépendance menacée peuvent lui faire éprouver.

« Cette espérance ne peut être déçue ; des réserves ont été jointes aux ratifications du traité du 15 novembre 1831, par quelques-unes des puissances signataires ; mais elles n'ont pas désavoué leurs plénipotentiaires, elles n'ont point allégué qu'ils eussent excédé leurs pouvoirs ; ces pouvoirs d'ailleurs avaient été vérifiés et trouvés en bonne et due forme : nous aimons en conséquence à penser que ces réserves ne peuvent porter aucune atteinte au traité ; qu'aujourd'hui il est notre droit, que dans ce sens les ratifications doivent être pures et simples, qu'il sera exécuté d’abord par l’évacuation du territoire belge. Ce n'est qu'après cette exécution qu'il pourrait être question d'ouvrir les négociations dont parlent les réserves, que ces négociations doivent dépendre du libre consentement des peuples belge et hollandais, et laisser subsister le traité, s'ils ne parviennent pas à s'entendre.

« Le gouvernement, comme le pays, n'a pu le comprendre autrement ; toute interprétation différente serait contraire à la loi, qui seule a pu autoriser la signature du traité du 18 novembre, et qui ne l'a autorisé que dans les termes mêmes du traité ; la nation, d'ailleurs, a pu faire des sacrifices, mais la somme en est épuisée. Une nation ne peut être offerte en holocauste aux autres nations ; et si de nouveaux sacrifices pouvaient encore être demandés, il n'y aurait plus rien de sacré dans les conventions humaines. La Belgique ne pourrait même plus compter sur l'issue de négociations ainsi terminées pour être recommencer ensuite sans qu'il fût possible à personne de leur assigner un terme.

« Sire, ce langage serait inutile pour Votre Majesté, elle connaît trop bien ses devoirs ; mais la Chambre des représentants a cru nécessaire de protester de l'union intime de vues et de sentiments qui lie le peuple belge au Roi qu'il s'est choisi ; elle a cru qu'elle devait cette manifestation à l'Europe, dans un moment où peut-être des ennemis de la paix des nations voudraient pour accomplir leurs desseins, s'emparer des réserves jointes aux ratifications du traité.

« Elle a foi aux engagements contractés. Le traité sera exécuté, notre territoire sera évacué. Mais si notre confiance pouvait être trompée, si la Hollande persistait à repousser les arrangements qui lui ont été proposés, si elle continuait des actes d'hostilité, des violations de territoire, si surtout elle refusait de réparer sans délai l'attentat commis sur un de nos concitoyens, sur un membre de la représentation nationale, si, ce qu'à Dieu ne plaise, des événements venaient troubler l'Europe et rendre vains tant de sacrifices faits à la paix, alors, Sire, nous nous souviendrons qu'aucune charge, aucun effort ne doivent coûter à un peuple quand il s'agit de sa vie et de son honneur.

« Heureuse d'être l'organe du vœu national, certaine de parler à un Roi qui, en s’associant à nos destinées, a fait de l'honneur belge son honneur propre, la chambre des représentants manquerait à ses devoirs si elle n'élevait aujourd'hui la voix pour assurer Votre Majesté du dévouement d'un peuple qui attend de la fermeté autant que de la prudence de son gouvernement, la fin d'un état d'incertitude qui ne s'est déjà que trop prolongé.

Motion d'ordre

M. le président. - Désire-t-on l’impression ?

M. Pirson. - J’ai déposé une propositon, M. le président.

M. le président. - Il a été déposé par M. Pirson une proposition ainsi conçue : « Je demande que l’on discute immédiatement l’adresse. »

M. Pirson. - Je désire la développer. (Parlez ! parlez !)

- Quelques voix. - Est-elle appuyée ?

- D’autres voix. - C’est une motion d’ordre.

M. Gendebien. - Une motion d’ordre n’a pas besoin d’être appuyée.

M. Pirson. Messieurs, je n’assistais point à votre séance mémorable d’avant-hier. Le résultat a été en tout conforme à mes vœux, et moi aussi je nourrissais depuis plus d’un mois le projet d’une adresse au Roi, à l’occasion des délais qu’éprouvaient les ratifications toujours promises et toujours ajournées, mais je craignais que ma proposition ne fût ajournée, et alors il me serait peut-être resté le mérite personnel d’un acte patriotique ; mais j’aurais compromis jusqu’à un certain point l’honneur national, si cet acte n’avait pas été apprécié à l’instant même par la majorité de cette chambre. J’avais sondé l’opinion de plusieurs de mes collègues, entre autres de MM. de Mérode et Osy.

Il y avait alors parmi nous un trop grand nombre d’hommes qui n’avaient pas encore perdu toute confiance dans la diplomatie. Selon quelques-uns, nous faisions par soubresauts des pas immenses. Oui ; mais nous voilà tout à coup repoussés au point de départ, et, si nous ne tombons point net, nous chancelons. Il n’y a pas un instant à perdre ; reprenons notre aplomb, faisons tête à l’orage. Tout espoir n’est pas perdu si nous protestons de l’incertitude qui règne autour de nous ; mais il faut de la vivacité dans nos mouvements encore plus que de l’énergie. Croyez-moi, on ne s’attend ni à l’une ni à l’autre. Le destin a peut-être jeté les yeux sur nous pour sauver la liberté européenne. Si Léopold comprend sa mission, si tous les vrais Belges font leur devoir avec lui, la nationalité est non seulement assurée, mais des événements incalculables peuvent surgir de notre audace. Léopold, s’il le veut, peut fonder la monarchie constitutionnelle, qui n’est encore assise nulle part, et sauver de l’anarchie des populations nombreuses. Un premier succès amènera dans nos rangs les hommes libres de tous les pays environnants, et bientôt l’absolutisme et l’aristocratie se repentiront de s’être joués d’eux.

Ce n’est ni Londres, ni Paris, ni Pétersbourg qu’il faut consulter ; c’est notre volonté et nos moyens : si nous n’avons pas confiance en eux, je dirai avec MM. de Mérode et Leclercq : « Arborons un autre drapeau ! » Mais que dis-je ? il en est un qui faisait l’espoir des hommes libres, et nous voyons ceux qui étaient chargés de le faire respecter et aimer, l’arborer et le retirer tour à tour avec ignominie. Conservons donc le nôtre, défendons-le, arborons-le sur le champ de la victoire, et, si nous étions vaincus, enveloppons-nous avec lui dans la tombe.

On dira peut être qu’un vieillard de 68 ans qui ne sera pas appelé sous les armes parle de guerre bien à son aise ; mais il a deux fils à l’armée ; il sait que son langage est conforme à leurs vœux, il est certain qu’ils feront leur devoir. S’il en doutait, s’il pouvait croire qu’ils reculassent devant l’ennemi, il serait en serre-file derrière eux et les repousserait sur le champ de bataille.

Je propose que l’on procède de suite à la discussion de l’adresse, et qu’elle soit portée au Roi dans le plus court délai possible. (Appuyé ! appuyé !)

- La chambre, consultée sur la motion d’ordre de M. Pirson, décide que la discussion aura lieu immédiatement.

M. le président. - Il va être donné une deuxième lecture de l’adresse.

M. Jacques commence à faire cette lecture…

- Plusieurs voix. - M. Leclercq ! M. Leclercq !

M. Leclercq remonte à la tribune et donne une deuxième lecture du projet d’adresse.

M. Milcamps demande le retranchement de la phrase où il est dit que les puissances n’ont pas désavoué leurs plénipotentiaires.

M. Ch. de Brouckere. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je viens faire la proposition que la discussion roule d’abord sur l’ensemble de l’adresse, c’est-à-dire sur l’esprit général qui l’a dicté, et non pas sur tel ou tel paragraphe qu’on propose de changer ; car autrement il n’y aurait pas d’ordre. Si chacun imitait l’honorable membre qui vient de parler, et qu’on vînt demander le retranchement d’un mot qui aurait choqué, on ne s’entendrait sur rien. Je demande donc que la discussion s’établisse d’abord sur l’esprit de l’adresse, et qu’ensuite on discute paragraphe par paragraphe. (Appuyé !)

M. Milcamps. - J’entre parfaitement dans l’opinion de M. de Brouckere.

M. Leclercq. - Je conçois une discussion sur l’ensemble de l’adresse ; je conçois aussi qu’on discute sur les amendements et corrections que l’on proposerait sur différentes parties de cette adresse ; mais il est impossible de discuter paragraphe par paragraphe. On peut bien le faire quand il s’agit d’un projet ou d’une réponse au discours du trône, parce qu’un projet de loi est divisé en articles et qu’une réponse au discours du trône forme une série de paragraphes distincts ; mais dans une adresse de ce genre toutes les phrases s’enchaînent et se lient entre elles. La dernière se rapporte à celle qui précède, de sorte qu’il est impossible de les discuter séparément ; je ne puis donc concevoir qu’une discussion sur l’ensemble et ensuite sur les corrections proposées.

M. Ch. de Brouckere. - J’admets ce qu’a dit M. Leclercq, mais je crois qu’il est d’accord avec l’auteur de la motion d’ordre, c’est-à-dire que l’on discute d’abord sur l’ensemble ; ensuite on lira successivement chaque paragraphe, auquel on pourra, si on le désire, appliquer des amendements ou des corrections.

M. Leclercq. - Je supposais que chaque paragraphe devait être suivi d’un vote.

M. Ch. de Brouckere. - Il est bien certain que quand il n’y aura pas d’amendement proposé, le paragraphe sera regardé comme adopté. Mais il faut bien lire paragraphe par paragraphe, pour que nous puissions proposer des corrections ou des changements. Sans cela les amendements seraient impossibles

M. Gendebien. - Il est inutile de prolonger cette discussion, puisque l’on est d’accord.

M. le président. - La discussion sur l’ensemble du projet d’adresse est ouverte. La parole est à M. Nothomb.

M. Nothomb. - Messieurs, j’ai souvent pris la parole dans les discussions relatives à notre politique extérieures ; il n’est rien dans mes actes, dans mes discours que je me sente dans la nécessité de désavouer, et, si je viens appuyer l’adresse, je dois déclarer dans quel sens. Nous étions en droit d’exiger des ratifications pures et simples ; je n’aurais accepté de ratifications ni conditionnelles, ni partielles. Si une faute a été commise, il ne faut en accuser ni le système ni les hommes qui dans cette enceinte ont soutenu le système. Je dois attendre que les événements aient reçu tous leurs développements ; il se peut que la faute, loin d’être atténuée par les changements ministériels survenus en Angleterre, puise dans cet événement même un plus haut degré de gravité, Les engagements étaient intacts, il fallait les maintenir dans leur plénitude précisément dans la crainte, dans la prévision de l’avènement d’un ministère moins favorable à la cause belge ; ce ministère sera plus qu’un autre disposé à se prévaloir des avantages dont nous avons pu nous dessaisir. Je m’arrête ici, il y aurait peut-être imprudence à en dire davantage.

Je ne veux rien exagérer ; je ne me dissimule aucune des conséquences favorables ou défavorables ; de grandes questions sont décidées et restent décidées. Au fond de l’affaire belge, il y avait un double intérêt : l’intérêt européen et l’intérêt hollandais. L’intérêt européen tenait au principe de l’équilibre politique, de la destruction du royaume des Pays- Bas, de la déchéance des Nassau, de la reconnaissance de notre indépendance et de notre royauté : deux produits révolutionnaires. Dans tous ses points, la question belge est résolue pour toutes les puissances.

La question belge embrassait l’Europe ; d’immense qu’elle était, elle perd de ses proportions, elle se rapetisse, elle se restreint entre nous et la Hollande ; il n’y a plus contestation que sur des points secondaires pour l’Europe. Voilà ce qu’on peut dire sur les conséquences des cinq ratifications à l’égard de toutes les puissances. Il en est deux d’entre elles qui, même sous tous les rapports, restent irrévocablement liées ; les trois autres chercheront à nous entraîner dans de nouvelles négociations, d’abord sur les articles réservés, puis sur tous les points. Nous n’avons ici qu’un parti à prendre ; il se trouve indiqué et dans le rapport du ministre les affaires étrangères et dans le projet d’adresse. On ne peut rien faire sans notre concours, sans notre participation ; on veut négocier sur les trois articles réservés : nous nous refuserons à toute négociation jusqu’à ce que le traité ait reçu son exécution dans toutes les parties qui, n’étant pas l’objet des réserves, ne peuvent être sujettes à des négociations.

Jusque-là il faut nous abstenir, en restituant purement et simplement les propositions qu’on pourrait nous adresser ; c’est ainsi que nous combattrons la tendance nouvelle de la conférence ou de quelques puissances. Si nous dévions de cette ligne, si, avant que le traité n’ai reçu un commencement d’exécution, nous avons le malheur d’entrer dans de nouvelle négociations qui, une fois ouvertes, s’étendront de jour en jour, voici probablement où nous arriverons. La question belge a été résolue d’abord par les bases de séparation du 20 janvier acceptées par le gouvernement hollandais, puis par les 18 articles du 26 juin acceptés par nous, en troisième lieu par les 24 articles du 15 octobre également acceptés par nous. De compte fait, voilà trois arrangements ; eh bien ! nous en aurons un quatrième, accepté peut-être par la Hollande, ce qui nous amènera peut-être à une situation bizarre. D’une part se présentera la Hollande avec les bases de séparation et le nouveau traité ; de l’autre, la Belgique avec les préliminaires de paix et l’ancien traité. De cette position même résultera la nécessité d’une nouvelle conciliation. Il faut donc nous garder, avant d’avoir obtenu l’évacuation du sol, de rouvrir la discussion ; ce préalable obtenu, nous pouvons la rouvrir sans danger. Le gouvernement dans son rapport, et la commission dans son adresse, nous indiquent donc la seule marche rationnelle, la seule marche où il puisse y avoir quelque salut pour le pays.

M. A. Rodenbach. - Je suis assez satisfait du projet d’adresse au Roi ; néanmoins, j’aurais désiré dans la rédaction encore plus d’énergie et un peu moins de diplomatie. Quoi qu’il en soit, j’y remarque trois choses essentielles : 1° cessation de toute négociation avec le Foreign-Office, jusqu’à l’exécution du traité des 24 articles ; 2° puissant appui de la chambre et de la nation dans toutes les mesures que le Roi jugerait à propos de prendre, et 3° de suite la paix avec la Hollande ou une déclaration de guerre immédiate.

Je suis convaincu que, si le gouvernement exécute ce projet d’adresse, la conférence et la Hollande ne se moqueront plus journellement de notre mollesse et de notre indécision, qui finiraient par être considérées par l’Europe comme de la lâcheté. Enfin, nous ne serons plus condamnés à vider jusqu’à la lie la coupe de la bassesse et de l’ignominie.

D’après ces divers motifs, je voterai en faveur de l’adresse à S. M.

Discussion des paragraphes

Paragraphe 1 à 3

Les 3 premiers paragraphes de l’adresse sont successivement lus par M. le président. Aucune modification n’étant proposée, ils sont adoptés.

Paragraphe 4

On passe au quatrième paragraphe commençant par ces mots : « Après avoir rendu cet éminent service aux nations, » et finissant par ceux-ci : « Ne ressentant plus d’autre agitation que celle que la vue des armes et l’idée de son indépendance menacée peuvent lui faire éprouver. »

M. Ch. de Brouckere. - Il est dit dans ce paragraphe qu’après tous ses sacrifices, la Belgique devait « espérer » qu’elle pourrait enfin se remettre des secousses de la révolution, etc. Il me semble que ce mot « espérer » est trop faible ; il faudrait employer un terme plus énergique et dire,par exemple : « avait droit de compter ou droit de s’attendre. »

M. Gendebien. - Je demande qu’on veuille bien relire la phrase.

M. le président. - On va donner une deuxième lecture.

- Plusieurs voix. - Il faut mettre « avait droit de compter. »

M. Leclercq. - Je conçois que le mot « espérer » peut paraître faible, mais vous remarquerez que la phrase à laquelle il se rattache est fortifiée par la phrase suivante, où il est dit que nous considérons toute interprétation différente comme contraire à la loi.

M. Rogier. - Je trouve que le mot « espérer » n’aurait d’importance qu’autant qu’il se rapporterait à la conférence ; mais il ne se rapporte qu’aux idées de consolidation intérieure qu’avait la Belgique, et il me semble assez significatif.

M. Lebeau. - Il me semble qu’il suffirait de substituer au mot « espérer » le mot « croire » qui emporte l’idée de la certitude.

M. Gendebien. - Il faut nécessaire enchâsser dans la phrase le mot « droit ; » car on ne saurait trop le répéter, il est certain qu’il y avait droit acquis pour la Belgique, d’après le traité du 15 novembre.

- La chambre, consultée, décide que les mots « avait droit de croire » seront substitués aux mots « devait espérer. »

M. Rogier. - Il me semble qu’il serait nécessaire de couper cette phrase qui est trop longue.

M. le président se dispose à lire le cinquième paragraphe commençant par les mots : « Cette espérance ne peut être déçue. »

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le président. - Laissez-moi achever la lecture du paragraphe.

M. Dumortier. - Pardon, M. le président, c’est sur le paragraphe précédent que je désire parler ; j’ai une addition à y présenter. (Parlez ! parlez !)

Messieurs, j’ai été fortement étonné en voyant qu’après tout ce qui avait été dit dans la dernière séance l’adresse fût si peu énergique. J’avoue que je m’attendais à une adresse plus ferme et qui eût été la véritable expression de la volonté nationale. Sans doute une adresse au roi doit être mesurée, mais la mesure n’exclut pas l’énergie. Pour moi je regrette que l’on n’y ait pas fait l’énumération des sacrifices que nous avons faits à la paix, sacrifices qui sont immenses et que l’étranger n’apprécie pas assez.

Ce n’est pas seulement une adresse au Roi que nous faisons, c’est un manifeste à toute l’Europe ; car elle sera répétée par tous les journaux étrangers. J’aurais donc voulu y voir l’énumération de nos immenses sacrifices. Il en est surtout deux qu’il faut rappeler à l’Europe. c’est la dette et l’abandon de nos frères qui ont fait avec nous la révolution. Je propose donc de mettre à la suite de ces mots : « après avoir fait pour elles cette entière abnégation de ses plus chères affections et de ses plus pressants intérêts » ceux-ci : « après s’être imposé une dette énorme qu’elle n’a pas contractée ; après avoir poussé le désir de la paix jusqu’à l’abandon d’une partie de ceux avec qui elle avait secoué le joug de la Hollande, etc. » Vous sentez, messieurs, qu’il est difficile d’improviser de tels amendements ; mais, si mon idée est approuvée par la chambre, il sera aisé de la rédiger de manière à la joindre au paragraphe proposé par la commission.

M. l’abbé de Haerne. - Il faudrait, au lieu de ces mots : « s’est imposé une dette énorme, » mettre ceux-ci s’être « laissé » imposer ; car la Belgique ne se l’est pas imposée elle-même, elle y a été forcée. (Appuyé ! appuyé !)

M. Leclercq. - La commission a senti aussi que la phrase était trop longue, et elle a voulu la couper ; mais elle n’a pas pu y parvenir.

M. Pirmez. - Puisque l’on dit maintenant : « après s’être laissé imposé une dette énorme, » il n’est plus besoin d’ajouter qu’ « elle n’a pas contractée. »

- Plusieurs voix. - C’est juste !

- L’amendement de M. Dumortier, ainsi modifié, est adopté et est intercalé au commencement du paragraphe 4.

Paragraphe 5

M. le président donne ensuite lecture du paragraphe 5, commençant par ces mots : « Cette espérance ne sera pas déçue. »

M. Ch. de Brouckere. - Je ferai remarquer d’abord que le commencement de cette phrase ne va plus avec le changement opéré dans celle qui précède…

M. le président. - On peut mettre « cette attente » ne sera pas déçue.

- Plusieurs voix.- Ne sera pas « trompée. »

M. le président. - Cette attente ne sera pas trompée.

M. Ch. de Brouckere. - Mais c’est l’ensemble de ce paragraphe que je ne puis admettre : en effet, je ne puis croire ce que j’y vois exprimé, c’est-à-dire que les réserves des ratifications ne portent pas atteinte au traité. Je ne crois pas, et je ne puis le dire dans l’adresse. Le protocole n°58 dit bien que les modifications dont parle la ratification de la Russie devront être acceptées par la Hollande et la Belgique de gré à gré ; mais, d’après cette ratification, le traité n’est valable qu’avec ces modifications. Peu importe que les puissances aient ou non désavoué leurs plénipotentiaires ; le fait est que, par sa ratification, la Russie dit précisément le contraire de ce qu’elle avait déclaré précédemment. Je ne puis donc pas croire que ces réserves ne portent aucune atteinte au traité.

M. Milcamps. - On peut laisser les mots les puissances n’ont pas désavoué leurs fondés de pouvoirs, et retrancher le membre de phrase où il est dit que les réserves ne portent aucune atteinte au traité ; si cela ne dérange pas l’ordre de la rédaction.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, un honorable préopinant, en demandant une modification au paragraphe, a soulevé deux importantes questions. La première est de savoir si la ratification de la Russie est conditionnelle ou seulement partielle, et la deuxième, si, pour qu’un traité signé par des plénipotentiaires munis de pleins pouvoirs devienne obligatoire, la ratification des souverains est indispensable.

Quant à la première, on peut soutenir avec fondement que la ratification de la Russie n’est pas conditionnelle, mais partielle. En effet, les mots dont on se sert dans la déclaration sont : « Nous approuvons et ratifions sauf les modifications à apporter aux articles 9, 12, et 13. » Je ferai remarquer que c’est seulement là la traduction française, tandis que dans l’original, s’il faut en croire un Russe qui est au service du pays, il y aurait : nous déclarons ratifier et confirmer à l’exception des articles 9, 12 et 13 ; de sorte que le texte serait plus avantageux que la traduction. Indépendamment de cela, ceux qui se rappellent le traité de Vienne, sauront qu’il n’a pas été ratifié dans son entier ; si je ne me trompe, la Bavière n’a ratifié que sauf modification à apporter à tels ou tels articles et cependant cette ratification n’a jamais été considérée comme conditionnelle mais comme partielle et définitive; il en est de même ici, les articles réservés feront des négociations nouvelles, et le reste est exécutoire.

Quant à la question de savoir si le traité signé par des plénipotentiaires munis des pouvoirs de leurs souverains est obligatoire, elle est controversée, mais en supposant qu’il y ait doute, nous devons nous emparer de l’interprétation la plus favorable à l’intérêt de la Belgique.

Il faut donc considérer la ratification dont il s’agit comme partielle et non pas comme étant conditionnelle ; et dans ce sens j’appuie la rédaction du paragraphe.

M. Gendebien. - Messieurs, je ne partage pas l’opinion de M. le ministre. Si nous en étions encore aux premiers actes de la diplomatie je conçois que nous pourrions dire : « nous aimons à croire, » mais aujourd’hui il n’est plus possible de parler ainsi, ce serait de pure niaiserie. Je désire au contraire qu’on exprime dans l’adresse d’une manière claire et positive que nous considérons maintenant le traité du 15 novembre comme nul et non avenu. Nous devons être bien convaincus, comme je l’ai déjà dit dans une précédente séance, que la diplomatie n’a eu d’autre but que d’attiédir l’esprit de patriotisme et d’anéantir l’hydre révolutionnaire en France et en Belgique.

J’insiste d’autant plus sur ce point qu’un préopinant, et M. le ministre des affaires étrangères que je viens d’entendre, me semblent disposés à envisager les choses de façon que nous entamerions de nouvelles négociations. Mais je ne pense pas qu’il entre dans les vues de la chambre ni de la nation d’accepter un nouveau leurre.

On vous a dit que le traité était ratifié partiellement, d’une manière pure et simple, et non pas conditionnellement. On a établi une distinction entre le mot « sauf » et ceux-ci « à l’exception de. » D’abord je dois exprimer mon étonnement de voir que la ratification de la Russie soit en russe, sans traduction officielle.

Ordinairement les actes diplomatiques se font en français, au moins dans les langues française ou latine, et je ne crains pas qu’on puisse citer un exemple contraire. Au reste, peu m’importe l’usage. Il est de fait qu’une ratification a été envoyée conçue en langue russe et que nous n’en connaissons pas la valeur. Mais, dit-on, dans le doute il faut accepter le sens le plus favorable aux intérêts de la Belgique. Quoi ! nous chercherions encore à nous abuser nous-mêmes ! Mais à qui donc avons-nous à faire ? Est-ce à une puissance qui traite avec nous d’égale à égale ? Non, c’est à une puissance qui nous impose ses conditions et qui nous intimera ses volontés au cas de doute. Voyez donc quelle serait notre niaiserie d’interpréter sa ratification dans le sens qui nous serait le plus favorable.

Messieurs, ne consentons pas à passer pour niais ou ridicules. Consentons, si vous le voulez, à avoir la faiblesse de permette qu’on empiète sur nos droits ; mais n’y ajoutons pas le vernis du ridicule. Jamais une nation ne doit se résigner à passer pour ridicule : quand elle s’abaisse jusque-là, elle est perdue. Eh quoi ! l’élite du pays, car la représentation nationale est l’élite du pays, se laisserait prendre à un piège aussi grossier. Ah messieurs ! la proposition seule devrait faire rougir son auteur, et nous devrions rougir tous, qu’on nous croie capables de l’accepter.

Maintenant quant à la distinction établie par le ministre, mettez « sauf » ou « à l’exception de, » le résultat en est toujours le même pour nous. Dès que vous admettez une réserve, vous détruisez le traité dans son ensemble, car il vous a été garanti dans toutes ses dispositions, et dès que vous en acceptez quelques parties, ce n’est plus le même traité, il a cessé d’être irrévocable, il est vicié dans son essence.

Si vous admettez cette exception, savez-vous ce qui arrivera ? Vous demanderez un commencement d’exécution et on vous l’accordera peut-être ; mais quand une partie aura été exécutée, on vous fera toutes sortes de difficultés pour les autres, et l’on exigera de vous encore de nouveaux sacrifices. On vous dira : vaut-il la peine pour quelques millions de plus faire mettre l’Europe à feu et à sang. On vous a dit : acceptez toujours la promesse que l’on vous fait d’exécuter une partie du traité, sauf à négocier pour les articles exceptés. Mais savez-vous quel est le but de cette invitation ? C’est de faire donner au ministre les coudées franches pour négocier et trafiquer de l’honneur belge.

Messieurs, nous avons déjà vu assez de duperies, nous ne pouvons plus croire à la diplomatie ; avec l’expérience du passé, c’est impossible aujourd’hui. Je demande donc que la phrase soit revue et changée dans le sens de Ch. de Brouckere, et dans celui que j’ai indiqué moi-même. Si vous faites un pas de plus, vous serez rayés de la liste des nations et l’on arrivera à une restauration ou à un partage. Voilà ce que veulent les puissances. Si vous n’avez pas, je le répète, la force de demander aux puissances l’exécution de leurs engagements, vous serez réduits plus tard à adopter ce qu’on vous imposera.

Car remarquez qu’au congrès on disait ; nous ne souscrirons à aucune des conditions qu’on voudrait nous imposer. Eh bien ! on a fait un premier pas en acceptant les dix-huit articles, et bientôt on vous en a fait faire un deuxième par les vingt-quatre articles. Si vous ne vous arrêtez, on vous en fera faire un troisième. Et plaît à Dieu que l’assemblée ait assez d’énergie pour dire aux puissances : vous nous avez imposé un traité dont vous nous avez garanti l’entière exécution. Aujourd’hui vous manquez à vos engagements, à la foi promise. Eh bien ! de notre part nous le considérons comme nul et non avenu, car il est vicié dans son essence. Si vous ne prenez pas cette mesure énergique, je ne sais pas jusqu’où l’on ira.

Si vous ne vous sentez pas la force aujourd’hui que vous êtes fort de l’engagement irrévocable des puissances, le serez-vous davantage lorsque vous aurez renoncé à cet engagement solennel ? Serez-vous davantage en état de le faire quand vous vous serez épuisés pour votre armée que vous serez obligés d’augmenter encore, car la Hollande augmente toujours la sienne ? Non, messieurs, vous tomberez dans un état de marasme et de dissolution, et vous en viendrez à la fin à être rayés de la liste des peuples !

M. Leclercq. - M. le ministre les affaires étrangères a pensé que la ratification de la Russie n’était pas conditionnelle mais seulement partielle, telle n’a pas été l’opinion de la commission, ou du moins telle n’a pas été la mienne, et je crois l’avoir prouvé dans la dernière discussion, Si on l’entendait dans ce sens je déclare que je refuserais mon vote au paragraphe. Néanmoins je dois faire observer qu’on considère la phrase trop isolément et qu’elle n’a pas la signification qu’on lui donne.

Notre droit est clair et nous devons insister sur ce droit avec la plus grande fermeté. Nous disons, nous avons foi que le traité ne peut être changé ; mais si notre confiance était trompé, nous rappelons au roi tous les sacrifices que nous avons faits et nous lui en offrons de nouveaux. Je pense donc qu’en rapprochant les différentes phrases de l’adresse, celle dont il s’agit ne présente pas le sens qu’on donne prise isolément.

M. Ch. de Brouckere. - Je ne puis voir dans cette dernière phrase la correction de la première, car elle dit toujours que nous avons la confiance que le traité sera exécuté, et c’est ce que je ne puis admettre. Si l’on veut encore des atermoiements, je conçois que l’on maintienne cette rédaction ; mais, si l’on veut agir rondement, que l’on somme les puissances de s’expliquer sur le sens de leurs ratifications, car je ne puis consentir à mettre dans l’adresse ce que je ne pense pas.

Je répondrai maintenant à M. le ministre des affaires étrangères, qu’en admettant même son opinion, c’est-à-dire que la ratification serait partielle et non pas conditionnelle, dans ce cas même nos droits ne sont plus intacts, puisqu’on nous refuse aujourd’hui ce qu’on nous avait d’abord accordé irrévocablement. M. le ministre des affaires étrangères, pour en arriver à sa conclusion, a admis, comme il l’a dit lui-même, la thèse la plus favorable, d’après les interprétations des écrivains qui ont traité la matière. Mais nous sommes les plus faibles, et vous savez qu’en dernière analyse de pareilles questions se résolvent par la force.

Remarquez que, si aujourd’hui vous posez la question de manière à ce qu’il n’y ait plus possibilité de faire une double interprétation, vous les forcez de s’expliquer catégoriquement, d’admettre vos représentations, ou de déclarer qu’il n’y a plus d’honneur et plus de droit public en Europe. Sans cela, si vous vous en remettez aux négociations pour certains articles du traité, on vous dira plus tard : Il y a doute ; nous sommes les plus forts, et nous coupons court à toutes les interprétations d’auteurs qui ne sont pas d’accord, en donnant raison à ceux-ci, et en condamnant ceux-là. Car, en définitive, comme je le disais, toutes ces questions de droit se résolvent par la force.

L’exemple de la Bavière qu’a cité M. le ministre, est assez bien trouvé. Mais, qu’était la Bavière au congrès de Vienne par rapport aux grandes puissances ? Qu’est aujourd’hui la Belgique à la conférence par rapport aux cinq cours ? Quand notre plénipotentiaire a demandé quelques changements aux 24 articles, on a répondu : Vous n’obtiendrez aucune modification, car notre volonté est que le traité soit ainsi. A la Bavière les grandes puissances avaient répondu : Donnez une acceptation conditionnelle, soit ; mais, en attendant, le traité restera tel qu’il est, parce que nous avons la force de notre côté.

Je passe maintenant au texte de la ratification de la Russie. Peu importe que ce texte soit écrit en langue russe, la traduction française est pour nous le texte officiel, Eh bien ! il y a dans cette traduction : « A ces causes, après avoir suffisamment examiné ce traité, nous l’avons agréé et nous le confirmons et ratifions, sauf les modifications et amendements à apporter dans un arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique, aux articles 9, 12 et 13. »

Jusqu’ici je conçois que l’on puisse soutenir que la ratification est partielle et non conditionnelle ; mais, en lisant ce qui suit, il est impossible de ne pas penser autrement. Voici comment s’exprime la ratification : « Promettant sur notre parole impériale, pour nous et nos successeurs, et sous la réserve énoncée, ci-dessus, que tout ce qui a été stipulé dans ledit traité sera exécuté inviolablement. »

C’est-à-dire, que tout sera observé quand on aura fait droit aux réserves ci-dessus, ce qui implique que, tant qu’on n’y aura pas fait droit, la ratification n’aura aucun effet. Vous le voyez donc, la ratification n’est que conditionnelle, et, je le répète, il m’est impossible d’admettre la phrase telle qu’elle est conçue, car elle exprime une pensée diamétralement opposée à la mienne.

M. Lebeau. - Je ne suis pas l’auteur du paragraphe actuellement en discussion, mais j’y ai adhéré et je crois devoir le défendre. On convient tout au moins qu’il y a doute sur le sens de la ratification de la Russie. Dès lors, je ne conçois pas comment on voudrait adopter l’interprétation qui nous est la moins favorable ; quant à moi, je ne crois pas qu’il y ait doute ; je crois que la ratification dont il s’agit n’est pas conditionnelle mais seulement incomplète. Que consacre le traité du 15 novembre ? des dispositions d’intérêt local, des dispositions qui concernent la Belgique et la Hollande. Mais il règle aussi des intérêts européens, et parmi ces intérêts se trouve la déclaration de notre indépendance et la reconnaissance du roi.

Cette reconnaissance est tellement peu subordonnée aux réserves, que depuis l’échange des cinq ratifications seulement, la conférence, qui, jusqu’ici, en parlant du roi Léopold, avait dit le « gouvernement belge, » dit maintenant « le roi des Belges. » Lisez le 59ème protocole, et vous en verrez la preuve, mais ce qui achève de le prouver, c’est l’échange des ratifications du traité des forteresses qui aurait pu avoir lieu il y a trois mois.

Pourquoi cet échange n’a-t-il pas été fait plus tôt ? C’est parce que le roi des Belges y était intervenu, et que par l’échange des ratifications de ce traité, les cinq cours convertissaient pour elles le fait de la royauté belge en droit.

Or, il est, je crois, sans exemple dans l’histoire, qu’un roi reconnu puisse être méconnu ensuite. Il ne peut plus perdre sa qualité de roi aux yeux de l’Europe que par les chances de la guerre ou par une révolution intérieure semblable à celle qui éclata en août 1830.

Voilà, messieurs, les observations que je me proposais de vous présenter pour vous engager à ne pas retrancher le paragraphe que nous discutons. D’après les développements de M. Ch. de Brouckère, je crois que nous ne pourrions mieux faire de plus dangereux, de plus dommageable pour le pays.

M. Leclercq. - Malgré ce qui vient d’être dit, je ne puis admettre que les ratifications n’apportent aucun changement au traité ; car pour moi elles sont conditionnelles. Celles de l’Autriche et de la Prusse portent sous la réserve des droits de la confédération germanique. Or, quels sont ces droits ? la souveraineté sur le duché de Luxembourg. Toutes les conditions d’un traité sont corrélatives. Rappelez-vous que la conférence répondit au mémoire de la Hollande, qui se plaignait de prétendues injustices commises à son égard, que si elle avait été lésée d’une part, elle avait été avantagée de l’autre, de la sorte qu’il y avait compensation. Vous voyez donc que la conférence entend que toutes les clauses du traité soient corrélatives, et qu’en conséquence laisser en suspens ce qui est relatif au Luxembourg, c’est remettre tout le traité en question. La Prusse et l’Autriche n’exécuteront que quand la confédération germanique aura consenti, c’est-à-dire quand le roi Guillaume aura lui-même donné son consentement. Ce que je dis s’applique à plus forte raison à la ratification de la Russie. Elle n’est viable à ses yeux qu’autant qu’on aura fait droit aux réserves dont elle parle ; pris dans ce sens, je ne puis plus adhérer au paragraphe et je proposerai le changement suivant :

« Nous pensons en conséquence, que ces réserves ne peuvent porter aucune atteinte valable au traité ; qu’aujourd’hui il est notre droit ; que les ratifications doivent être pures et simples ; qu’il sera exécuté d’abord par l’évacuation du territoire belge, etc. » (Appuyé ! appuyé !)

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs j’appuie entièrement le changement de rédaction proposé par M. Leclercq, c’est d’ailleurs dans ce sens que j’avais compris l’adresse et que la commission l’avait rédigée ainsi que son rapporteur vous l’a déclaré.

Du reste je ne puis admettre que ce changement fût nécessaire pour contenir le gouvernement dans les limites du traité, car ses actes attestent assez sa ferme volonté et prouvent qu’il n’a pas besoin d’être stimulé à cet égard. (Rires et murmures ; interruption.)

M. le président. - Je rappelle les auditeurs au silence ; l’orateur a la parole, ne doit pas être interrompu.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je dirai donc que tous les actes du gouvernement sont conformes à la partie exprimée dans l’adresse, je l’ai dit et je le répète, parce que telle est la vérité. En disant tous les actes du gouvernement, je n’entends point considérer comme tel l’échange de la rédaction qui a été fait contrairement à sa volonté et à son insu.

Venant maintenant à expliquer le sens de la ratification de la Russie, je dirai qu’elle ne peut porter aucune atteinte au traité aussi longtemps que les modifications qu’elle indique n’auront pas été acceptées par la Belgique, et ainsi le traité est intact.

Mais ou la ratification russe contient de simples réserves pour trois articles du traité ou bien elle est conditionnelle en ce sens que les 21 articles ratifiés soient subordonnés aux 3 réserves.

Dans le premier cas, les 21 articles non-réservés devraient être exécutés purement et simplement, et il resterait à s’entendre avec la Hollande pour l’exécution des trois autres. Or ces trois articles comprennent la dette, la navigations des eaux intérieures et la route par Sittard, il est évident que la Belgique ne pourra être astreinte à aucun payement de la dette aussi longtemps qu’elle ne sera pas tombée d’accord sur les articles tenus en réserve, dès lors, il ne pourrait résulter de cette réserve aucun préjudice pour elle.

Si, au contraire, la ratification russe n’est que conditionnelle, il faudrait que les conditions fussent acceptées par nous, pour qu’elle devînt définitive, pour qu’elle pût nous lier, si les conditions sont rejetées, la ratification est de nul effet, elle est résolue de plein droit.

Partant de là, il me semble imprudent de déclarer dès à présent à la conférence que les 24 articles sont considérés par nous comme étant annulés ainsi qu’un préopinant l’a proposé. Cette déclaration serait entièrement à notre préjudice, elle nous ferait perdre tous les avantages des ratifications pures et simples de la France et de l’Angleterre. Il est donc de notre intérêt de voir si la Hollande veut conclure un traité définitif ; si elle le fait les ratifications deviennent toutes définitives, si elle s’y refuse, celle de la Russie s’évanouit dans ce système même de ceux qui ne la considèrent que comme conditionnelle, et celles de l’Angleterre et de la France n’en subsistent pas moins et nous pouvons en demander encore l’exécution.

Passant aux ratifications de l’Autriche et de la Prusse, j’y applique les mêmes observations : les réserves faites par les puissances touchant le Luxembourg ont d’ailleurs d’autant moins d’importance, qu’il résulte du traité que la Belgique ne doit posséder une partie du Luxembourg qu’en compensation d’une partie du Limbourg, et dès lors, la Hollande ne pourrait que perdre, si la confédération germanique ne consentait pas à la cession du Luxembourg. En résumé, j’adhère à la nouvelle rédaction, parce qu’elle me paraît entièrement conforme à ma pensée et à celle de mes collègues, et je répète que si le gouvernement n’a pu vous faire connaître tous ses actes, il n’en n’est pas moins vrai qu’ils sont conformes aux sentiments de l’adresse et qu’il l’a devancée.

M. Gendebien. - Messieurs, on a l’air de croire que nous venons faire ici la leçon au gouvernement. Non, nous ne voulons pas lui faire la leçon, mais lui donner la force et l’énergie qui lui manquent. Nous voulons exprimer notre pensée tout entière, et notre volonté. Si le ministère pouvait considérer ceci comme une leçon, je le plains, car il devrait pouvoir s’en passer. Et s’il croyait pouvoir se passer de l’appui de la chambre et de la nation, je le plaindrais davantage encore, car il serait dans une singulière erreur.

Le ministre qui vient de parler a dit que les actes du gouvernement étaient en parfaite harmonie avec sa pensée, et un moment après il a exprimé tout le contraire, en disant que la ratification a été acceptée contrairement à ses instructions. Mais je vous l’ai déjà dit dans la dernière séance, si notre envoyé à Londres a dépassé ses instructions, rappelez-le et ne l’accusez pas ; dites-nous en un mot votre pensée tout entière, si toutefois vous en avez une. (Explosion d’hilarité.)

M. F. de Mérode (vivement). - Je demande la parole.

M. Gendebien. - Vous l’aurez la parole, mais laissez-moi finir (Agitation.) Vous venez vous vanter d’actes que vous ne faites pas, et quand on ratifie un traité avec des réserves qui rendent les ratifications illusoires, vous acceptez une partie de ces ratifications, et tout en vantant votre énergie, vous nous donnez la preuve que vous n’en avez aucune. Cessez donc d’accuser un absent, mais rappelez-le et désavouez-le. Vainement vous persisteriez à l’accuser, les puissances ne tiendraient aucun compte de vos accusations. Rappelez votre envoyé, désavouez l’acte qu’il a fait en contravention à vos instructions, voilà la seule manière de prouver votre énergie, ce sera un acte de votre part.

Je ne répondrai pas, au surplus, au discours du ministre, parce que je ne l’ai pas bien compris. (Hilarité.) Mais si j’ai bien compris son raisonnement, il me semble qu’il a dit, que si la confédération germanique n’acceptait pas le traité quant au Luxembourg, nous ne serions pas obligés de céder la partie du Luxembourg que le traité nous attribue. Nous y voilà. On veut réaliser ce que nous avons dit autrefois. Nous disions lors de la discussion des 18 articles : vous n’aurez pas le Luxembourg, si vous ne cédez à la Hollande le Limbourg, qui lui est nécessaire pour son commerce et pour entraver le nôtre. On nous répondit ironiquement : Nous aurons le Luxembourg et nous n’aurons pas la guerre. Cédez le Limbourg, continuait-on, mais c’est impossible ; ce serait faire les affaires de la Hollande en nous portant un coup mortel.

Eh bien, c’est précisément cela, vous avez fait les affaires de la Hollande. Cela résulte des paroles du ministre. Il a parfaitement compris le sens des réserves, c’est-à-dire que vous aurez la dette sans le Luxembourg, et qu’on ne nous rendra pas le Limbourg, à moins que vous n’y forciez la Hollande les armes à la main. Ses intérêts en effet s’opposent à ce qu’elle vous cède jamais les territoires qui bordent la Meuse ; ainsi, quoi qu’on vous en ait dit, vous n’aurez pas le Luxembourg et vous aurez la dette. (Aux voix ! aux voix !)

M. H. de Brouckere. - Il m’est impossible de laisser sans réponse les paroles du ministre de l’intérieur. Il faut convenir dans le ministère, entre son langage du jour et son langage du lendemain, une singulière contradiction.

Avant-hier, lorsqu’on a proposé une adresse au Roi, pour demander que le ministère montrât plus d’énergie, le ministère entier s’est levé pour la proposition ; et aujourd’hui le ministre nous dit qu’il n’a pas besoin d’être stimulé, que son énergie est assez grande. (Hilarité.) Que vous a dit encore le ministre ? Vous vous plaignez de nos actes ; mais les actes du gouvernement sont tous d’accord avec sa pensée. Le préopinant a dit que le ministère n’avait pas de pensée ; je ne veux pas aller si loin. Mais je dirai que sa pensée du jour n’est pas celle de l’autre, car vendredi il pensait d’une manière et samedi il pensait tout le contraire. Je défie les ministres ou certains d’entre eux de me contredire ; car je leur rappellerai une conversation particulière. (Violents murmures ; interruption.) Qu’on ne démente pas mes paroles, car je dirai ce que je sais.

Au reste, le ministère parle de ses actes, et ses actes sont nuls. Il est bon pour faire des écrits, des promesses ; mais des actes, n’en attendez pas de lui. Qu’a-t-il fait, je le demande, quand les Hollandais ont massacré un malheureux batelier qui voulait passer sous le pont de Maestricht ? Rien. Qu’a-t-il fait quand ils ont enlevé les douaniers qu’il avait placés sur le territoire belge autour de la forteresse ? Rien. Qu’a-t-il fait quand ils ont enlevé de simples particuliers qui vivaient inoffensifs sur notre territoire ? Rien. Enfin, quand ils ont enlevé un membre de la représentation nationale, qu’a-t-il fait ? Des notes, des protestations ; mais en dernier résultat le membre de la représentation nationale languit encore dans les prisons de Luxembourg, et il pourra bien y finir ses jours si les choses sont toujours ainsi.

- Ici des applaudissements et des bravos prolongés, partant des tribunes publiques, éclatent et interrompent l’orateur. Nous remarquons un individu placé dans la tribune du sénat qui se distingue par des applaudissements réitérés et qu’on prie de sortir. Il disparaît.)

M. le président. - Je rappelle aux tribunes que tous signes d’approbation et d’improbation sont défendus. Si on se permet encore le moindre de ces signes, je donnerai des ordres pour que les tribunes soient évacuées à l’instant. M. de Brouckere, continuez.

M. H. de Brouckere renonce à la parole.

M. F. de Mérode. - Je demande la parole ; je ne peux laisser ainsi attaquer le ministère sans répondre. (Hilarité.)

Je demande la permission de répondre à un reproche répété si souvent et si injustement contre le ministère. On crie sans cesse et sans ménagement : Vous manquez d’énergie, il faut des moyens vigoureux. Or, où sont-ils ces moyens, et qui a mis en œuvre tous ses efforts pour procurer leur avortement lorsque le ministère les proposait ?

Loin de moi la pensée d’imiter de près ou de loin le système de la convention, mais encore ne faut-il pas en temps de guerre livrer son pays à tous les étrangers espions, corrupteurs et embaucheurs, même aux nationaux qui conspirent ouvertement contre nous ! Encore ne faut-il pas laisser le pouvoir entre les mains d’hommes pour qui le patriotisme est un objet de dérision, qui se conduisent de la manière la plus hostile envers les individus distingués par des services éminents rendus à la cause de l’indépendance.

Eh bien ! messieurs, une loi proposée par le ministre de la justice, une loi temporaire, ferme, sans cruauté, est soumise à la sanction de la chambre. Où trouve-t-elle la plus vive opposition ? chez les hommes à énergie. Elle est rejetée. La ville de Gand, celle d’Anvers sont placées dans l’état de siège, le plus indispensable comme le plus bénin : qui cherche à démontrer l’inopportunité, l’illégalité de la mesure ? les hommes à énergie.

Le ministre de l’intérieur demande une loi sur la garde civique qui autorise le gouvernement à exiger des exercices dans les communes, à organiser une force auxiliaire considérable. D’où partent les plaintes contre ce projet ? Qui s’est apitoyé sur ces braves cultivateurs qu’on allait trop fréquemment arracher à leurs travaux ? Encore les hommes à énergie.

Le ministre des finances réclame la faculté de conclure un emprunt dont l’ajournement serait un coup fatal à la Belgique : qui résiste avec une sorte d’indignation à la conclusion de cette importante mesure ? Toujours l’énergie la plus bouillante dans cette assemblée. Oui, messieurs, qu’on fasse de l’énergie, mais non pas de l’énergie de tribune, qui se résout en paroles sonores et en accusations ; qu’on renonce à ce tintamarre, à ces cris d’imbécillité… (Violents murmures, interruption.)

M. H. de Brouckere. - Il n’y a pas de tintamarre ici.

M. le président. - J’invite l’orateur à supprimer des termes peu convenables.

M. F. de Mérode. - Je ne dis que ce qui est vrai. Oui, messieurs, on a accusé à tout moment d’imbécillité et d’incapacité, de pusillanimité, d’incurie et d’ineptie, les hommes attelés à la charrue du gouvernement. Certes, les hommes placés sur les bancs, ou pour mieux dire, le cheval ministériel, ne sont pas des Hercules, dont les bras nerveux écartent tous les obstacles ; ce ne sont pas des aigles dont l’œil perçant fixe le soleil ; mais après tout ce sont des hommes ni plus imprévoyants, ni plus myopes, ni plus inconséquents que leurs adversaires, excellents jurisconsultes constitutionnels dans l’occasion, mais, j’ose le dire, très mauvais préparateurs de moyens de résistance à l’ennemi.

Qui vous disait à propos de la mise en état de siège, si violement attaquée dans cette enceinte : « Je vois la Hollande menaçante et son gouvernement fort, parce qu’il est à même d’user de tous les moyens d’attaque et de défense, tandis que l’administration belge, liée par des institutions libres, dont on voudrait exagérer les conséquences au lieu de les expliquer raisonnablement et politiquement, conformément aux dangers extérieurs, se voit entravée et affaiblie au préjudice, non pas d’elle-même, mais au pays tout entier » ? Qui s’expliquait ainsi devant vous, et contribua pour sa bonne part au maintien de l’état de siège de Gand et d’Anvers ? Celui qui vous parle, celui qui ne se permettra jamais de subordonner des nécessités évidentes à des théories, et qui certes ne fera pas de la constitution belge un plastron pour l’ennemi.

La Hollande, très mal représentée, sans doute, par les fameux membres des états généraux qui aidèrent si habilement leur souverain à dissoudre le royaume des Pays-Bas, trouve néanmoins pendant la lutte actuelle un avantage dans l’appui qu’elle donne à leur administration. Tramez, écrivez, endoctrinez le public en Hollande en faveur de la cause belge, personne ne défendra votre liberté de nuire patiemment à la cause hollandaise, de corrompre ou décourager le soldat et l’habitant.

Le gouvernement n’y est pas obligé de souffrir que le brave et digne chef d’une troupe urbaine dont l’énergie s’est brillamment montrée dans une des phases les plus périlleuses de la révolution soit odieusement molesté par des hommes en place, avides de désorganiser sa compagnie parce qu’elle est invariablement attachée au drapeau qui n’est pas celui d’une famille mais d’une nation.

Mais, diront les hommes énergiques, grands donneurs de coups de langue et d’éperons au ministère pusillanime : N’avez-vous donc pas 80 mille hommes sous les armes ? Que vous reste-t-il donc à faire lorsque la conférence vous trompe depuis si longtemps ? Agissez comme une nation quand elle est en discorde avec une autre nation ; allez droit à la Hollande, et si elle refuse des propositions de paix, faites la guerre. Non, messieurs ; moi je dis : point de guerre offensive contre la Hollande, jusqu’à ce que vous ayez donné au gouvernement du Roi les moyens d’assurer vos succès. Vous avez 80 mille hommes : la Hollande ne les a-t-elle pas comme vous ? Et de plus, ses immenses rivières, ses places fortes sont-elles situées en sens inverse de leur utilité défensive ? La Hollande n’a-t-elle pas sa flotte qui domine l’Escaut ? Où est la nôtre, s’il vous plaît ? Mais si la Hollande l’emporte sous ces rapports, vous avez, vous autres, une population plus militaire ; vous avez quatre millions d’habitants à opposer à deux millions, parmi lesquels il existe de plus une sorte de classe d’ilotes nombreuse qu’on ménage, à la vérité, jusqu’à nouvel ordre.

Ce n’est pas 80, mais 120, mais 150 mille hommes qu’il vous faut, afin de compenser les désavantages résultant de notre position géographique et navale ; changez instantanément cette loi informe de la garde civile mobilisée, cette loi qui sans aucune avantage pour le soldat énerve la discipline, entrave toute véritable et complète organisation militaire, écrase exclusivement les cantons sur lesquels elle pèse ; créez une milice auxiliaire, suivez la pratique de toutes les nations de l’Europe qui laissent au pouvoir exécutif le soin des commandants de tous grades.

Dans des troupes actives, hâtez-vous de voter un ordre tout à la fois militaire et civil, comme la légion d’honneur, haute et sage institution, récompense honorifique pour ceux dont la patrie reconnaît la capacité et le dévouement qui lie entre eux tous les hommes distingués par d’éminents services au pays, n’importe dans quelle carrière ils savent s’illustrer par des talents supérieurs. Ne vous laissez point dominer par des craintes hors de saison sur l’ordre civil, par que le roi Guillaume a perdu la décoration du Lion Belgique, devenue finalement sa récompense ordinaire du servilisme le plus actif ou le plus humble.

Voulez-vous de l’énergie ? Stimulez l’amour-propre des citoyens et ne vous croyez jamais cette perfection imaginaire ou du moins très rare, qui porte en elle-même et sans autre but que celui de devoir, l’abnégation personnelle et l’esprit de sacrifice. La nature humaine a besoin d’encouragement.

Voulez-vous enfin, messieurs, réveiller le sentiment d’énergique concorde la nation ? Employez votre influence politique de député, votre influence individuelle de citoyen, pour étouffer toute collision, toute discussion inutile sur les affaires religieuses.

N’oublions pas que l’esprit catholique libéral est chez nous un puissant levier de patriotisme. Maintenons soigneusement le statu quo en ce qui concerne les intérêts matériels des cultes, et réservons à l’avenir, garanti par la paix, les querelles, les défiances qu’il montrera, j’espère, telles qu’elles sont réellement, c’est-à-dire les restes d’une vieille rancune, d’une vieille colère, dont les progrès des lumières et de la tolérance feront justice complète.

Je finirai par un mot sur nos relations avec les plénopotentiaires des grandes puissances européenes. J’aime trop la bonne foi pour ne pas être révolté de la duplicité qu’on déploie à Londres à notre égard. On impose des traités, on les déclare irrévocables ; à plusieurs reprises on affirme et proclame hautement leur immutabilité ; on se charge positivement, et en termes aussi clairs que le jour, de leur exécution ; puis viennent, après plus de 5 mois écoulés, sans aucun désaveu préalable des pleins pouvoirs donnés aux ministres membres de la conférence, les restrictions, les changements subtilement imaginés, afin de nous imposer de nouvelles charges au profit de la Hollande et du roi Guillaume.

Messieurs, sans avoir entendu mon honorable ami M. Van de Weyer, je m’abstiens de le condamner rigoureusement ; toutefois le rôle du ministre du Roi des Belges, particulièrement après les ratifications de la France et de l’Angleterre, consistait, selon moi, dans l’inébranlable fermeté d’adhésion au traité du 15 novembre. Une crise ministérielle a eu lieu dans la Grande-Bretagne : change-t-elle les justes droits de la Belgique ? doit-elle la rendre plus craintive ? Je suis d’avis opposé à l’affirmative. Si notre plénipotentiaire circonvenu par de puissantes sollicitations a outrepassé ses pouvoirs contre les instructions formelles du roi Léopold et de son cabinet ; s’il a lésé les vrais intérêts de la Belgique, sommes-nous liés par une surprise ? Je ne le pense pas ; mais bien hardi, selon moi, celui qui tranche ab irato en 24, même en 72 heures, de telles questions de haute politique.

(Des murmures et une agitation violence succèdent à ce discours.)

M. Legrelle. - Il me semble que nous nous éloignons tout à fait de la question. (Non ! non ! Aux voix !)

M. Dumortier. - Il est impossible de laisser un pareil discours sans réponse.

M. Legrelle. - J’ai fort applaudi au commencement de la séance à la motion de l’honorable M. Pirson, de discuter l’adresse immédiatement, pour montrer l’union de la chambre quand il s’agit de donner de la force au gouvernement. Je regrette que le ministre se soit écarté de la question et je désire que dans l’intérêt du pays nous y soyons ramenés à l’instant.

M. le président. - M. Leclercq avait demandé la parole pour un fait personnel.

M. Leclercq. - J’y renonce.

M. Dumortier. - Je demande la parole. (Non ! non ! c’est assez ! Violents murmures.)

- Le changement proposé par M. Leclercq est mis aux voix et adopté.

M. Ch. Vilain XIIII. - Messieurs, je proposerai une addition pour combler une lacune qui se trouve dans l’adresse. Le but de ma proposiiton est de détruire l’opinion accréditée que la Belgique serait astreinte dans tous les cas, et quoi qu’il arrive, à l’observation des 24 articles ; c’est là une erreur qu’il ne faut pas laisser subsister.

La conférence nous a imposé le traité, mais sous des conditions qui y sont inhérentes et qui doivent être exécutées en notre faveur, pour qu’à notre tour nous soyons tenus d’observer les 24 articles. Une de ces conditions, c’est la garantie d’exécution que nous donnent les puissances. Si cette garantie tombe, l’acte est caduc, je tiens à ce que cela soit exprimé dans l’adresse. Voici ma phrase :

« Ici nous dirons notre pensée tout entière. Les cinq puissances ont unanimement déclaré à la Belgique et à la Hollande qu’en imposant les 24 articles, elles en garantissaient l’adoption et l’exécution par les deux nations dont elles se déclaraient arbitres. Les conditions ne peuvent être séparées de la lettre même du traité et si les puissances manquaient à leur parole solennellement, donné à la face de l’Europe, parole qui fit alors notre confiance et qui fut le motif de notre consentement à tant de sacrifices, la Belgique devrait se croire dégagée de l’adhésion qu’elle a donnée au traité. »

M. Legrelle. - Et ça va sans dire.

M. Lebeau. - La chambre seule ne peut pas parler au nom de la Belgique.

M. Ch. Vilain XIIII. - On objecte que la chambre ne peut pas seule parler au nom de la Belgique, c’est facile à changer. On pourrait dire : « la Belgique devrait se croire ; » alors c’est une opinion que la chambre exprime, elle ne parle pas au nom de la Belgique.

M. Gendebien. - Messieurs, il me semble que la distinction que l’on fait n’est que futile, nous sommes les représentants de la nation, nous émettons une opinion, l’opinion de la chambre. Nous ne disons pas ce que fera la Belgique ou ce qu’elle ne fera pas, mais nous disons ce que nous pensions qu’elle devra faire, et vous pouvez être certains, messieurs, qu’une opinion de ce genre ne sera pas désavouée par la nation. Je demande même qu’on la renforce et qu’on dise « la Belgique serait dégagée. » Ne tergiversons pas, messieurs, oui, la Belgique serait dégagée, c’est la vérité et il ne faut pas hésiter à la dire, car ce serait faire injure aux puissances que de mettre en doute leur bonne foi, et à la nation que de n’oser pas articuler ce qui est si bien dans son droit.

M. Legrelle. - Cette phrase ne sera nullement en harmonie avec le reste de l’adresse ; car, d’un côté, on y dit que nous nous sommes laissé imposer le traité, et ici, que nous y avons donné notre consentement. Que voulons-nous, messieurs ? Faire la guerre aux puissances ? Evidemment non. Nous voulons leur montrer notre bon droit qui fait notre force, et nous n’avons pas besoin pour cela de phrases menaçantes ; car la force, messieurs, est dans les choses et non dans les mots.

M. Milcamps. - J’appuie d’autant plus l’opinion du préopinant, qu’indépendamment de la contradiction qu’il a fait ressortir, je craindrais que les puissances ne prissent acte de la déclaration que nous faisons, de considérer le traité comme nul, pour nous priver des avantages que nous assurent les ratifications pures et simples de la France et de l’Angleterre.

M. Leclercq. - Les préopinants semblent craindre que nous n’ayons l’air de jeter le gant aux puissances en adoptant la phrase en discussion. C’est une erreur ; cette disposition rentre tout à fait dans le sens de l’adresse, et elle exprime une vérité incontestable. M. Legrelle dit : Exposez votre bon droit et ne menacez pas. Eh bien, nous l’exposons, notre droit. Mais si nonobstant les assurances qu’on nous a données, nous ne pouvons rien obtenir des puissances, si par leur mauvaise foi, elles nous portent à des actes qui entraînent l’Europe dans une guerre, est-ce menacer les puissances que de leur dire ce que fera la nation ? Non sans doute. C’est simplement exposer notre droit, c’est dire ce qui arrivera dans le cas de certaines éventualités, qui, j’ose le croire, sont loin de se réaliser, mais qui enfin ne sont pas impossibles. (Aux voix ! aux voix !)

M. Milcamps prononce, au milieu des cris « aux voix ! » quelques mots que nous ne pouvons saisir.

- On met aux voix la proposition de M. Vilain XIIII ; elle est rejetée à la contre-épreuve.

Paragraphe 6

M. le président. donne lecture du paragraphe suivant, commençant par ces mots : « Le gouvernement comme le pays, » et finissant par ceux-ci : « assigner un terme. »

M. Dumortier. - J’ai déjà dit que, suivant moi, on n’a pas donné à l’adresse assez d’énergie. Il me semble, messieurs, en parlant des sacrifices que nous avons faits, on ne les fait pas assez ressortir. Cependant, ces sacrifices sont énormes et la somme en est épuisée. Au lieu donc de dire : « la nation d’ailleurs a pu faire des sacrifices, » je propose qu’on dise : « La Belgique a fait, d’ailleurs, tous les sacrifices compatibles avec son honneur et avec la dignité nationale. »

M. Legrelle. - Messieurs, n’en déplaise à l’honorable membre, je crois que sa phrase affaiblira ce passage de l’adresse au lieu de le fortifier. On aurait l’air de dire que nous avons consenti à faire des sacrifices, ce qui n’est pas exact. Car la séparation d’avec nos frères du Limbourg et du Luxembourg, y avons-nous consenti ? Non, on nous l’a imposée.

M. Dumortier. - Je retire ma proposition.

- Le paragraphe 6 est adopté.

Paragraphe 7

M. le président lit le paragraphe 7.

M. Poschet propose de dire après ces mots : « connaît trop bien ses devoirs, » ceux-ci : « et nos droits. » (Appuyé !)

M. H. de Brouckere. - C’est une superfétation inutile, si le roi connaît bien son devoir il doit connaître nos droits.

M. Poschet. - Je ne vois aucun inconvénient à ajouter les mots que j’ai proposés parce qu’on ne saurait trop parler de nos droits.

- L’amendement de M. Poschet est rejeté.

Le paragraphe 7 est adopté.

Paragraphe 8

M. le président lit le paragraphe 8.

M. d’Huart. - Je propose d’ajouter, après les mots « si surtout elle refusait de réparer, » ceux-ci : « sans délai. »

L’attentat commis sur la personne de M. Thorn, gouverneur du Luxembourg et sénateur, est une de ces violations du droit public doit heureusement on n’a presque jamais vu d’exemple. Si un pareil fait pouvait rester sans une vengeance éclatante de notre part, ou sans une réparation prompte et solennelle de la part du gouvernement et des agents qui l’ont commis, il n’y aurait plus de sûreté pour les personnes ; ce serait un précédent capable d’engendre la dissolution de la société.

Cette vérité, que je ne crains pas de voir contester par qui que ce soit, semblait avoir été comprise par M. le ministre des relations extérieures, lorsque dans la séance du 25 avril dernier, il disait au sénat : « Les démarches les plus actives, les plus multipliées ont été faites pour que M. Thorn nous soit rendu, et si elles n’obtenaient pas le résultat que l’on doit en attendre, le gouvernement aurait à prendre des mesures autres sur lesquelles le sénat ne serait pas appelé à délibérer. »

Cependant, c’est le 16 avril dernier que M. Thorn a été arrêté. Depuis un mois il se trouve sous les verrous, livré aux vexations d’une surveillance inquiète, et la nation est encore à attendre que l’on se dispose à tirer vengeance de l’affront honteux qui lui est fait par un ennemi déloyal.

Messieurs, je dois le dire, la conduite du gouvernement, en pareille circonstance, est loin de répondre à ce qu’on avait le droit d’attendre de lui ; il y a de sa part confiance plus qu’aveugle dans une diplomatie de déception, ou faiblesse extrême, absence totale d’énergie. Comment ! il croit avoir assez fait par de stériles réclamations diplomatiques, par quelques humbles démarches, qui n’ont eu d’autre résultat que de faire joindre l’ironie à l’injure !

Ministres du Roi, je vous adjure au nom de tout ce qui nous est le plus cher, l’honneur national, de déclarer franchement à la face de l’Europe si vous voulez, ou non, faire obtenir au pays que vous gouvernez réparation de l’insulte avilissante qui lui est faite par l’acte de l’enlèvement de M. Thorn.

Si vous le voulez, il n’est qu’un moyen, c’est de recourir immédiatement aux armes, si après une sommation formelle, le roi Guillaume persiste dans son refus de satisfaire à vos réclamations précédentes sur ce point.

Si vous ne le voulez pas, continuez alors votre marche actuelle de temporisation ; mais réfléchissez-y, ce dernier parti sera le signal de l’anéantissement de la patrie, de la perte du nom belge : convaincue de lâcheté, la Belgique serait indigne d’une nationalité particulière ; elle aurait perdu son avenir ; son démembrement, ou son nouvel asservissement au joug hollandais serait désormais inévitable. (Très bien ! très bien !)

M. Gendebien. - Sans délai ! combien de temps ça fait-il ? (Hilarité.)

M. d’Huart. - Il me semble que cela se comprend très bien. Sans délai signifie à l’instant même. Cela veut dire que si dans un temps moral, dans huit jours par exemple, après la sommation qui sera faite au roi de Hollande, M. Thorn n’est pas rendu à la liberté et les auteurs de cet attentat désavoué, on devra courir aux seuls moyens capables d’obtenir une réparation.

M. Dumortier. - J’appuie d’autant plus l’amendement de M. d’Huart que la Belgique se trouve en ce moment dans une position toute particulière. Le grand talent d’un homme d’Etat est de savoir saisir le moment favorable pour assurer à son pays les avantages auxquels il a droit.

En ce moment il n’y a pas de ministère en Angleterre, le ministère français est désorganisé, tombons à l’improviste sur la Hollande. (On rit.) Si nous ne saisissons pas ce moment, un ministère tory se formera en Angleterre, qui nous imposera les modifications. Je sais bien que si nous attaquons, les Prussiens sont là pour nous ramener dans nos frontières. Oui, ils sont là, mais ils ne nous y ramènerons pas en vaincus, mais en vainqueurs ; et, comme le disait M. le ministre des affaires étrangères, comme les faits sont tout en politique, nous y gagnerons ce qu’a gagné la Hollande au mois d’août. J’appuie l’amendement de M. d’Huart.

M. Milcamps. - La violation du territoire, une injure faire à un ambassadeur sont des actes qui peuvent être mis sur la même ligne que l’attentat commis sur un représentant de la nation. Mais il ne me paraît pas constitutionnel que nous insérions dans l’adresse qu’il faut faire la guerre à l’instant, car la constitution confère au roi seul le droit de paix et de guerre, et nous ne devons pas lui prescrire de la faire, car il est libre à cet égard, et il faut croire qu’il sent aussi vivement que nous l’injure faite au pays dans la personne de M. Thorn. Quand j’ai été nommé député, les électeurs qui m’ont honoré de leur suffrage m’ont chargé de prendre la défense des droits constitutionnels de tous les pouvoirs, et je n’y manquerai jamais.

M. Legrelle. - J’ajouterai un mot à l’appel de ce que vient de dire le préopinant. Certainement je déplore, autant que qui que ce soi, l’attentat dont M. Thorn est victime, mais ce fait, quelque odieux qu’il soit, est-il assez puissant pour faire instantanément la guerre ? Je ne le crois pas, et si l’on réfléchit un peu aux inconvénients d’une attaque immédiate, chacun pensera comme moi. A l’intérêt qu’inspire le sort de M. Thorn, j’opposerai celui de toute une population menacée, et je crois que M. Thorn lui-même aimerait mieux voir prolonger de quelques jours sa captivité que d’exposer toute une population aux malheurs dont elle serait menacée.

M. Gendebien. - Il ne s’agit pas de l’intérêt de M. Thorn, mais de l’honneur du pays.

- On met aux voix l’amendement de M. d’Huart : il est adopté.

Paragraphe 9

M. le président lit le dernier paragraphe : il est adopté sans discussion.

Vote sur l’ensemble du projet et nomination d'une députation au roi

On procède à l’appel nominal sur l’ensemble.

L’adresse est adoptée à l’unanimité des 77 membres présents.

M. H. de Brouckere. - Conformément à l’article 67 du règlement, je demande qu’une députation soit tirée au sort pour aller présenter l’adresse au roi, et que cette députation soit de douze membres.

- Cette proposition est adoptée.

Le sort désigne MM. Corbisier, de Woelmont, d’Elhoungne, Zoude, Mary, Raikem, de Nef, Polfvliet, Destouvelles, Dewitte, de Sécus et Vergauwen.

- La séance est levée à quatre heures et demie.


Noms des membres absents sans congé dans la séance du 14 mai : MM. Angillis, Barthélemy, Berger, Boucqueau de Villeraie, Brabant, Dubus, Dautrebande, Delehaye, de Robaulx, d’Hoffschmidt, Dumont, Fleussu, Gelders, Jamme, Jullien, Lardinois, Lehon, Raymaeckers et Seron.