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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 6 juin 1832

(Moniteur belge n°160, du 6 juin 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

L’appel nominal est fait à midi et demi.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques expose sommairement l’objet de plusieurs pétitions adressées à la chambre.

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission spéciale.

Projet de loi relatif à l'impôt des distilleries

Mise à l'ordre du jour

M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Il y a déjà plusieurs jours que M. le ministre des finances a déposé sur le bureau un projet de loi sur les distilleries ; je voudrais que M. le président consultât l’assemblée pour savoir si on s’en occupera incessamment, si l’on nommera une commission pour l’examiner et en faire un rapport à la chambre. La loi est extrêmement urgente.

M. le président. - On pourra inviter les sections à se réunir dès demain.

M. Delehaye. - Il vaudrait peut-être mieux nommer une commission que réunir les sections ; peu de membres connaissent cette matière ; et il pourrait se faire que dans une section on manquât des notions nécessaires pour l’examen de la loi.

M. Olislagers. - Il y a peu de membres qui connaissent ce qui est relatif aux distilleries.

M. H. de Brouckere. - Si la matière est peu connue, c’est une raison de plus pour l’étudier dans les sections.

M. Dumortier. - Si une commission a jamais été nécessaire, c’est pour les distilleries, matière toute spéciale.

Dans une section il pourra se trouver deux ou trois membres qui posséderont les matières indispensables, et dans les autres sections il n’y en aura aucun qui connaisse la partie. Dans une section où l’on n’entendra pas la matière, que verra-t-on ? Du blanc sur du noir ; on ne comprendra rien. Il faut une commission.

M. Poschet. - J’ai souvent l’honneur de faire partie des commissions et je puis vous assurer qu’elles ne font pas grand chose.

- La chambre est consultée.

M. le président. - La majorité est pour le renvoi du projet sur les distilleries aux sections.

Projet de loi portant organisation judiciaire

Discussion des articles

Titre I. De la cour de cassation

L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de loi relatif à l’organisation judiciaire.

Article 16

« Art. 16. Il n’y a point ouverture à cassation contre les jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix dans les matières civiles, si ce n’est pour excès de pouvoir, absence de publicité ou défaut de motifs. »

M. Gendebien. - Il existe dans la législation actuelle une véritable anomalie que nous avons aujourd’hui l’occasion de faire disparaître. D’après la loi de 1790, le pourvoi en cassation n’est pas admis contre les jugements des justices de paix ; c’est la loi de l’an VIII qui a introduit le pourvoi des jugements des tribunaux de paix pour cause d’incompétence ou pour excès de pouvoir. L’article 456 du code de procédure a autorisé l’appel des jugements des tribunaux de paix pour cause d’incompétence, sans parler de l’excès de pouvoir.

De la combinaison de ces diverses dispositions législatives il en résultait que le pourvoi en cassation contre les jugements des justices de paix était inadmissible pour excès de pouvoir et qu’on ne pouvait en appeler que pour cause d’incompétence. Il me semble, messieurs, vu les dispositions économiques où nous sommes, que nous pouvons ici diminuer la besogne de la cour de cassation et par conséquent son personnel, en faisant disparaître l’anomalie. S’il peut y avoir recours en cassation pour incompétence, à plus forte raison le recours doit être admis pour excès de pouvoir. Un juge peut être compétent et commettre un excès de pouvoir ; et le vice résultant de l’excès de pouvoir est aussi grand que celui qui résulte de l’incompétence. Je pense qu’on pourrait remédier aux inconvénients de la législation en supprimant une ligne et demie à l’article 16 et en le restreignant à ces mots :

« Il n’y a point ouverture à cassation contre les jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix dans les matières civiles. » On décidera ensuite ailleurs que l’appel sera également reçu, pour excès de pouvoir et pour incompétence. Quand vous arriverez à l’organisation des cours d’appel, vous compléterez la disposition de l’article 16. Cette modification me semble indispensable dans l’intérêt de la justice et des justiciables.

M. Lebeau. - Je veux faire une simple observation. Il y aura au moins pourvoi en cassation, contre les jugements des justices de paix dans l’intérêt de la loi. J’ai peut-être mal compris les développements du préopinant ; mais dans le doute, un scrupule m’empêcherait de voter l’adoption de son amendement.

M. Gendebien. - C’est le ministère public qui se pourvoit en cassation, dans l’intérêt de la loi ; le pourvoi du ministère public est indépendant de celui des parties civiles ; il peut toujours se pourvoir dans l’intérêt de la loi.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, il m’a paru, et il a paru de même à votre section centrale, que le recours en cassation contre les jugements en dernier ressort des juges de paix, devait avoir lieu, et pour l’absence de publicité et pour défaut de motifs. En effet, ces conditions sont des garanties constitutionnelles et un juge de paix qui ne motiverait pas son jugement, ou éviterait la publicité, manquerait essentiellement à son devoir. Ce seront des cas extrêmement rares, mais au moins, à cet égard, faut-il une garantie dans la loi, afin que les dispositions constitutionnelles soient exécutées.

Autoriser l’appel dans ces circonstances, ne me paraîtrait pas tout à fait rationnel. La loi a fixé tel taux où le juge de paix prononce en dernier ressort ; or, quand il prononce en dernier ressort, il ne peut pas y avoir lieu à appel, car autrement, il ne prononcerait pas en dernier ressort. Et s’il prononce en dernier ressort, il faut bien autoriser le recours en cassation lorsque, dans son jugement, il y a défaut de formalités essentielles et constitutionnelles.

Quant au point d’incompétence, mon honorable préopinant vous a parfaitement exposé que les jugements rendus par incompétence étaient sujets à appel. Mais indépendamment de ces vices qui peuvent se trouver dans un jugement, il peut se trouver d’autres vices provenant de l’excès de pouvoir.

Un juge de paix peut empiéter sur un autre pouvoir. Par exemple un juge de paix peut empiéter sur le pouvoir législatif, et on l’a déjà vu. Eh bien, messieurs, dans ces cas, qui seront très rares il me semble qu’il y a lieu à déférer la sentence à la cour de cassation.

De cette manière, ou ne distraira pas les justiciables de leurs juges ; on ne leur causera pas grand dommage en portant devant la cour de cassation les pourvois, lorsqu’il s’agira d’excès de pouvoir, d’absence de publicité et de défaut de motifs. Et relativement aux questions de compétence qui sont les questions qui se présentent le plus fréquemment, le code de procédure a satisfait aux intérêts des parties, en déclarant que les parties seraient recevables en appel.

Il me semble donc, messieurs, qu’il n’y a pas lieu à réformer l’article 16, ni même à déclarer que, dans tous les cas, il y a recours en cassation contre les jugements des juges de paix.

M. Gendebien. - Il me semble qu’on n’a nullement répondu aux observations que j’ai présentées à la chambre, et que l’on a résolu la question par la question.

J’ai dit qu’en matière d’incompétence, on n’était pas obligé de recourir à la voie extrême de la cassation, et que les juges suprêmes de cassation n’étaient pas obligés de perdre leur temps à l’examen d’un objet aussi minime ; j’ai dit qu’il devait en être de même pour excès de pouvoir, si on a autorisé l’appel et si on a exclu la cassation pour le cas d’incompétence, je demande pourquoi il n’en serait pas de même pour excès de pouvoir ; mais, dit-on, les parties n’en éprouveront pas grand préjudice parce que les cas seront rares. Messieurs, l’incompétence d’un juge s’aperçoit à la première vue, et il est bien peu d’hommes versés dans la pratique, qui ne voient si un juge est compétent, oui ou non. Mais quand il s’agit d’excès de pouvoir c’est tout autre chose.

Il en résultera que vous allez multiplier les procédures par-devant la cour de cassation, que vous favoriserez la chicane, et que vous engagerez des hommes de bonne foi à y aller.

Quel inconvénient y a-t-il à interdire purement et simplement aux parties intéressées le recours en cassation, et à renvoyer le tout en appel ? J’y vois bénéfice pour tout le monde, pour les parties, pour le trésor, puisqu’en ne surchargeant pas la cour, on peut diminuer le personnel ; et vous éviterez par là une anomalie dans la loi.

D’après ces considérations, je crois qu’il y a lieu de retrancher à l’article tous les mots qui le terminent.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, je ne crois pas qu’en attribuant aux cours supérieures la connaissance des appels des jugements des tribunaux de paix, on remédiât aux inconvénients que l’on a signalés. En effet, après qu’il a été prononcé sur l’appel, les plaideurs ont toujours la faculté de recourir en cassation, et l’on n’évitera ni les lenteurs, ni les frais.

On a dit, messieurs, que les questions de compétence se pouvaient décider à la première vue ; qu’il n’en est pas de même des questions d’excès de pouvoir ; je ne crois pas qu’il en soit tout à fait ainsi. On sait qu’à propos des procès de compétence, il s’est souvent présenté des questions extrêmement ardues ; je pourrais citer telle question, sur la compétence, qui a été décidée de deux manières opposées par la cour de cassation de France ; ce qui fait voir que ces questions présentent certaines difficultés. Les questions d’excès de pouvoir, au contraire, me paraissent plus faciles à apercevoir. On a vu porter devant la cour de cassation de France des cas où les juges de paix avaient fait des règlements contenant des dispositions législatives, et ces dispositions réglementaires ont dû être cassées ; il y avait alors excès de pouvoir. Dans un tel cas, je crois qu’il est plus raisonnable que ce soit la cour de cassation qui en connaisse, que la cour d’appel ; il s’agit d'intérêt public, car il y a intérêt public, lorsqu’il y a excès de pouvoir.

Vous avez déféré les conflits d’attributions à la cour de cassation ; souvent dans ses cas il s’agit d’excès de pouvoir, soit de la part du juge, soit de la part de l’administration. L’analogie veut que toutes les questions relatives aux excès de pouvoir soient dévolues à la cour suprême.

D’ailleurs si dans les cas d’excès de pouvoir, on établissait l’appel, la décision ne serait pas définitive ; il ne serait pas jugé en dernier ressort.

Quant au défaut de publicité et de motifs, lorsqu’on annule le jugement du tribunal de paix, on annule un jugement en dernier ressort, sur lequel il n’y a pas d’appel. Si l’on déclarait que l’appel est recevable, comme le juge d’appel, en réformant, doit prononcer sur le fond, ou renvoyer à une autre juridiction égale à celle qui a prononcé primitivement, il s’ensuivrait que sur l’objet le plus mince, la cour connaîtrait du fond, et alors il faudrait déclarer que les juges de paix ne jugent pas en dernier ressort.

Il me semble que dans l’article en discussion, la ligne est bien tracée. Les cas soumis à la cassation seront les plus rares, ils intéressent la constitution, ou ils sont d’un grand intérêt public, et dans tous ces cas il est juste d’appeler la cour suprême à décider. Par son institution, cette cour s’occupe plutôt des intérêt publics que de l’intérêt des parties ; elle prononce sur le jugement en lui-même et ne juge pas le procès.

M. Gendebien. - Je retire mon amendement, l’anomalie existera jusqu’à la révision du code de procédure. Je me réserve de reproduire alors mes observations.

M. Lebeau. - Je ne sais si je me suis bien expliqué. Je persiste à croire que l’article, rédigé comme il l’est, ne dit pas ce qu’on veut lui faire dire. Je pense qu’il faudrait mettre, qu’il n’y a pas de recours en cassation dans l’intérêt de la loi, si ce n’est pour excès de pouvoir. La locution extrêmement générale qui commence l’article 16 paraît exclure cette faculté.

M. Destouvelles. - D’après l’article, « il n’y a point ouverture en cassation contre les jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix dans les matières civiles si ce n’est pour excès de pouvoir, absence de publicité ou défaut de motifs. » Lorsqu’il s’agit du pourvoi interjeté dans les intérêts de la loi, quand le jugement relativement aux parties intéressées est coulé en force de chose jugée parce qu’elles ont laissé expirer les délais, c’est l’article 28 qui règle ce pourvoi.

M. Lebeau. - Cela suffit.

M. Liedts. - L’article 28 suppose qu’il y a pourvoi.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Lors de la discussion de l’article 28, la question sera soulevée.

M. Lebeau. - Que la correction soit dans l’article 16 ou dans l’article 28, peu importe.

- L’article 16 est mis aux voix et adopté.

Article 17

« Art. 17. La cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires.

« Elle casse les arrêts et jugements rendus sur des procédures dans lesquelles les formes substantielles ou prescrites à peine de nullité, ont été violées, ou qui contiennent quelque contravention expresse à la loi, et elle renvoie le fond du procès à la cour ou au tribunal qui doit en connaître. »

M. Jullien. - Messieurs, je ne puis donner mon assentiment à cet article, ni en la forme ni au fond, parce que sa rédaction me paraît très obscure, et ferait dire à la loi tout autre chose que ce qu’elle veut dire. L’article ou s’exprime ainsi :

« La cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires.

« Elle casse les arrêts et jugements rendus sur des procédures dans lesquelles les formes substantielles ou prescrites à peine de nullité, ont été violées, qui contiennent quelque contravention expresse à la loi. »

Avec ces deux disjonctives on en pourrait croire que les mots « ou qui contiennent quelque contravention, etc. » s’appliquent aux actes de procédures dans lesquelles les formes ont été violées, tandis que dans l’intention de la loi, ils n’ont en vue que les jugements et arrêts qui contiennent quelque contravention expresse à la loi.

On a copié la loi française qui dit : « Le tribunal de cassation ne peut connaître du fond des affaires, mais elle casse les jugements rendus sur des procédures dont les formes ont été violées, ou qui contiennent quelque contravention expresse à la loi. »

On voit qu’ici, la phrase ne présente pas d’obscurité, parce qu’il n’est pas question de deux espèces de formes violées, et que la disjonctive « ou », n’étant pas répétée, le dernier membre de la phrase s’applique aux jugements. Voilà pour la forme.

Au fond, je ne comprends pas bien ce que la section centrale a voulu en donnant ouverture à la cassation pour violation des formes substantielles des actes de procédures.

On a encore suivi ici le texte des lois françaises des 1er décembre 1790 et germinal an II. Mais ces lois ont été faites dans un temps où il existait autant de coutumes que de provinces ; il fallait bien ouvrir une voie pour obtenir l’annulation des jugements dans lesquels les formes de procéder, consacrées par l’usage, ou prescrites à peine de nullité, auraient été violées, mais depuis la publication du code de procédure, on ne connaît plus de nullités d’actes de procédures si les formalités n’ont pas été prescrites à peine de nullité.

C’est la disposition précise de l’article 1030 de ce code, qui porte : « Aucun exploit ou acte de procédure ne pourra être déclaré nul, si la nullité n’en est pas formellement prononcée par la loi. »

Il en résulte évidemment que toute formalité qui n’est pas prescrite à peine de nullité ne peut, si elle est violée, donner de plein droit ouverture à cassation.

Ce n’est pas sans raison que le code de procédure a pris à tâche de déterminer toutes les formes de procédures qui devaient être suivies à peine de nullité. Il a voulu mettre fin à ces interminables chicanes au moyen desquelles on éternisait les procès avant qu’on eût à peine abordé le fond.

Ce sont seulement les actes de procédure dans lesquels ces formes ont été violées qui peuvent être annulés, mais tous les autres sont valables, sauf à les régulariser s’il y a lieu.

Si d’un côté le code de procédure détermine ces nullités, de l’autre il indique les moyens de les couvrir ; mais pourriez-vous me dire quand et comment on couvrirait ce que le projet appelle une nullité de forme substantielle ?

A défaut de règle sur ce point, tout jugement pourra donc être attaqué par la voie de cassation sur le prétexte que dans les actes de procédure, des formes substantielles, auxquelles on donnera toute élasticité qu’on voudra, auront été violées.

Je sais bien qu’un acte peut être déclaré nul, si les formes substantielles y manquent, parce qu’un acte quelconque ne peut pas exister sans substance, c’est un axiome de droit que je comprends.

Dans un acte de bail par, exemple, si vous ne stipulez ni le prix ni la durée, il n’y aura pas de contrat de bail.

Si dans une assignation, le jour de comparution n’est pas indiqué, il n’y a pas d’assignation, voilà des formes substantielles, et dans tous les actes où ce qui est de l’essence de l’acte manque, on peut dire raisonnablement qu’il n’y a pas d’acte du tout.

Il faut laisser à la jurisprudence le soin de distinguer ces nullité extraordinaires de celles formellement prévues de peine de nullité. Mais il y a danger à minorer ici et à consacrer d’une manière absolue le droit de se pourvoir en cassation, pour violation de formes substantielles, qu’on ne peut ni caractériser ni définir, et dont on ne connaît aucun moyen légal de couvrir la nullité.

Ce n’est donc en définitive qu’un nouvel appât pour la chicane, et un nouveau moyen de multiplier les procès.

Je proposerai, en conséquence, de supprimer les mots « formes substantielles, » et alors l’article sera clair et régulier dans la forme et au fond.

M. Liedts. - L’honorable préopinant a commencé par critiquer la rédaction de l’article, qu’il trouve obscure et ambiguë ; je crois comme lui, messieurs, qu’elle pourrait être plus claire et j’aurai l’honneur d’en présenter une qui fera, je pense, disparaître tous les doutes.

Arrivant au fond de l’article, l’honorable préopinant a dit qu’il ne comprend pas ce que l’on entend par « formes substantielles, » et il a demandé le retranchement de ces mots.

Messieurs, il est vrai, comme l’a dit le préopinant que d’après un article du code de procédure, les actes de procédure ne peuvent être annulés que dans les cas où la nullité a été prononcée par la loi, mais le préopinant ne peut pas ignorer que la jurisprudence a admis à cette disposition une exception relativement aux formes qui tiennent à la substance d’un acte, aux formes qui font que l’acte existe.

Si l’on veut l’exemple d’une forme substantielle, je citerai celui d’un exploit d’ajournement signifié par tout autre qu’un huissier. Cet acte étant essentiellement du ministère des huissiers, s’il était signifié par un notaire, l’acte serait nul, comme étant dénué des formes qui constituent l’essence de l’acte.

Or, dans tous les cas où de semblables formes ont été violées et non couvertes, aussi bien que dans ceux où des formes prescrites à peine de nullité ont été enfreintes, la cassation doit être admise ; telle est d’ailleurs la jurisprudence constante ; je pense donc que l’article doit rester tel qu’il est.

Il me reste une autre observation à faire sur l’article 17.

La loi que nous faisons est une loi d’application, les principes s’en trouvent consignés dans la constitution : il est donc tout à fait inutile de répéter dans cet article le principe que la cour de cassation ne connaît pas des affaires, principe littéralement écrit dans l’article 95 de la constitution ; je demanderai en conséquence le retranchement du paragraphe de l’article 17.

M. Jonet. - Messieurs, je pense aussi que l’article n’est pas assez clairement rédigé. Si je ne me trompe, l’article 17 a pour but les arrêts et jugements en matière civile et en matière criminelle. En ce qui concerne les jugements en matière criminelle, l’article me paraît juste, car les formes doivent être rigoureusement observées, et rien n’en peut dispenser.

Mais, en est-il de même en matière civile ? En matière civile, les formes sont établies dans l’intérêt des parties ; il est libre aux parties de demander ou de ne pas demander la nullité pour vice de forme. Si elles demandent la nullité, elles peuvent se pourvoir en cassation. Je suppose qu’un exploit ne contienne ni le nom de l’huissier, ni la date ; si les parties n’en demandent pas la nullité, elles couvrent cette nullité, et elles ne peuvent ensuite demander, ni la nullité de la procédure, ni celle du jugement.

Je le répète ; il faut faire pour la procédure une distinction entre les affaires criminelles et les affaires civiles. Dans les affaires criminelles, l’article est bon ; mais pour les affaires civiles, sa rédaction me semble devoir donner lieu à de grandes difficultés, et je crois qu’il serait à propos de le renvoyer à la section centrale pour nous proposer une autre rédaction.

M. Destouvelles. - On a demandé la suppression du premier paragraphe de l’article 17, parce qu’il est inutile d’insérer dans la loi ce qui est écrit dans la constitution. Cette observation, messieurs, n’a pas échappé à la section centrale, mais elle a considéré que ce premier paragraphe se lierait parfaitement avec le second, et qu’après avoir déclaré que la cour de cassation ne connaissait pas le fond des affaires, on en venait mieux à dire ce qu’elle devait connaître. La loi de l’an VIII porte la même disposition.

On dit que la disjonctive « ou » jette de l’incertitude sur l’article et on critique beaucoup les expressions de formes substantielles qui ne se trouvent pas dans la législature française.

Pour remédier au défaut de clarté, je suis loin de former aucune espèce d’opposition à toutes les rectifications ; plus les lois sont claires et plus elles sont faciles pour les juges à les appliquer, et pour les parties à les comprendre.

Quant aux formes substantielles, ce sont celles qui, quoique non prescrites à peine de nullité, sont cependant telles que sans leur accomplissement, l’acte ne peut exister. Il en est de nombreux exemples, et si nous avions ici nos recueils de jurisprudence, il ne faudrait pas nous livrer à de grandes recherches pour les trouver.

Par exemple, le code de procédure ne parle pas du nombre de juges qui doivent siéger pour valider le jugement ; cependant un nombre insuffisant de juges est une cause de nullité. Il existe d’autres exemples qu’il est inutile de chercher. C’est d’après ces motifs qu’on se borne à dire : « formes substantielles. »

Il y a dans le code de procédure une foule d’articles qui ne sont pas prescrits à peine de nullité et qui cependant entraînent la nullité, et contre lesquels vient échouer l’article 1030, qui veut qu’il n’y ait pas d’autre nullité que celles prescrites par la loi.

Quant à la distinction entre la procédure criminelle et la procédure civile, je crois qu’elle est inutile. On a dit si une assignation n’est pas régulière, on peut en demander la nullité, et, quand on ne la demande pas, la nullité est couverte. Mais ce n’est pas de ces nullités que nous parlons ; nous entendons celles qui ont survécu à tous les jugements. Au surplus, l’article, ainsi qu’il est rédigé, est reproduit dans toutes les lois françaises, dans les lois de 1790, 1795, et, enfin, dans la loi de 1799. Depuis la rédaction de la loi organique, de ventôse an VIII, qui régit encore la France, la question n’a jamais été agitée devant la cour de cassation, du moins à ma connaissance.

M. le président. - M. Liedts propose de supprimer le paragraphe premier.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, quant à la rédaction de la disposition qui est maintenant soumise à la délibération, tout le monde désire, sans doute, que cette rédaction soit la plus claire possible. Je ne m’occuperai donc pas, en ce moment, de ce qui la concerne, je ne parlerai que sur le fond même des dispositions.

Cet article, comme on l’a observé, est extrait de la constitution de l’an VIII, dont l’article 66 est relatif à la cour de cassation ; seulement l’article en discussion ajoute l’expression « formes substantielles » aux formes prescrites à peine de nullité. Aujourd’hui cette expression est nécessaire. La constitution de l’an VIII a été rédigée sous l’empire de la loi du 4 germinal an II, qui statuait que toutes les formes prescrites par les lois depuis 89 devaient être observées, à peine de nullité. Il faut remarquer que cette loi de l’an II ne s’appliquait pas aux lois antérieures et notamment à l’ordonnance de 1667 qui traçait des règles de procédure. Sous l’empire de l’ordonnance, lorsque l’on n’avait pas fait valoir une nullité quelconque qui pouvait se rencontrer dans un acte de la procédure, la nullité était couverte et l’on ne pouvait plus l’opposer.

L’expression qui se trouve dans la constitution de l’an VIII a été insérée sous l’empire d’une législation qui ne faisait aucun obstacle à ce que les nullités de forme pussent être couvertes par le silence des parties, et par les actes de procédure qu’elles faisaient ensuite.

La distinction faite par l’honorable M. Jonet, des matières civiles et des matières criminelles, ne me paraît pas devoir fixer l’attention de la chambre ; les dispositions de la constitution de l’an VIII ne donnent lieu à aucun doute à cet égard. On n’a jamais dit que les nullités en matière criminelle pouvaient être couvertes ; on ne peut pas l’induire de la législation actuelle.

Quant aux formalités prescrites à peine de nullité, il ne peut y avoir aucun doute qu’elles donnaient ouverture à cassation dès que les nullités n’avaient pas été couvertes, et la législation détermine les termes dans lesquels les nullités sont couvertes.

J’en viens aux formes substantielles. Cette expression s’applique aux matières civiles et aux matières criminelles. La jurisprudence est maintenant fixée en ce qui concerne les formes substantielles : ce sont les formes omises, les défauts pour lesquels on prononce la nullité quand la loi ne la prononce pas. Les formes substantielles sont celles qui tiennent à la substance de l’acte. Il peut se trouver des formes auxquelles la loi n’attache pas la peine de nullité, et qui cependant entraînent la nullité des actes où elles se trouvent omises.

Je crois donc que cette expression de formes substantielles peut très bien être conservée sauf rédaction ultérieure.

Le droit de défense est substantiel, cependant la loi criminelle n’a pas prononcé la nullité, quand il a été contrarié.

M. Destouvelles. - Messieurs, j’ai rédigé autrement l’article. Voici ma rédaction : « Elle casse les arrêts et jugements qui contiennent quelque contravention expresse à la loi ou qui sont rendus sur des procédures, sur lesquelles les formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, ont été violées.

M. Jullien. - Messieurs, je crois toujours qu’en adoptant la rédaction, telle qu’elle est, qu’en introduisant l’expression de formes substantielles, vous allez donner ouverture à cassation, quand le code de procédure la refuse, et mettre la loi en opposition avec le code de procédure, en ce sens qu’on alléguera sans cesse qu’il y a manque de formes substantielles.

Pourquoi admet-on dans la jurisprudence des cours, la nullité d’un acte où la substance manque ? Parce que sans la forme substantielle, il n’y a point d’acte. Le code de procédure n’avait pas besoin de dire qu’on annulerait un acte ou la forme substantielle manquerait, puisque, dans ce cas, il n’y a pas d’acte.

Mais le code de procédure avait besoin de déterminer, pour mettre fin aux chicanes, en quoi consistaient les formes que l’on voulait requérir sous peine de nullité. Eh bien les actes de procédure où ces formes ne manquent pas sont valides.

Cependant vous dites en général : les actes de procédure où les formes substantielles manquent. Pour motiver cette addition on est venu nous citer l’exemple d’un notaire qui ferait un exploit et l’on a dit qu’il ferait bien annuler l’exploit. Je dis qu’il est inutile de l’annuler parce qu’il n’y a pas réellement d’exploit. Un notaire ne peut pas plus faire un exploit, qu’un huissier ne peut faire un testament. En jurisprudence il est reçu que tous les actes sont nuls quand les formes substantielles n’existent pas ; c’est donner lieu à beaucoup de procès.

M. Jonet. - On a dit que les vices que j’avais signalés se trouvaient dans la législation française antérieure à celle de l’an VIII ; cela est vrai mais puisque cela se trouve dans la législation, s’ensuit-il que l’on doive conserver la rédaction proposée, du moment que les vices existent ? Il importe de les prévenir et il importe de rédiger l’article de manière à lever toute difficulté à cet égard. Si la chambre adopte l’article 17, il est évident qu’un individu se croira fondé à se pourvoir en cassation contre un arrêt rendu dans lequel il croira trouver des formes de procédure vicieuses, même quand la nullité sera couverte. Vous répondez qu’il ne sera pas recevable ; mais alors vous l’avertissez trop tard ; il vaut bien mieux ne pas lui donner occasion de se pourvoir en cassation.

L’article tel qu’il est conçu autorise tout individu à se pourvoir en cassation contre tout jugement rendu ; vous évitez cet inconvénient avec la distinction que je demande.

Avec cette distinction des matières en civiles et en criminelles, les recours en cassation n’auront pas lieu uniquement parce qu’il manquera de formalité.

On n’aura recours en cassation que contre les formes substantielles qui n’ont pas été observées, ou dont le dispositif est contraire à la loi ; mais dans tout cas, en matière civile, vous ne pouvez vous pourvoir en cassation.

Je persiste dans mon observation, je pense qu’il faut renvoyer l’article à la section centrale, ou bien je propose deux amendements, par lesquels l’article 17 se trouvera modifié de la manière suivante

Après le mot « rendu, » qui se trouve à la première ligne du deuxième paragraphe, ajoutez ceux-ci : « en matière criminelle, correctionnelle et de police. »

Il faut dire ensuite dans un troisième paragraphe :

« En matière civile, elle casse les arrêts et jugements qui contiennent, soit dans leur rédaction, soit dans leur dispositif, quelque contravention à la loi, et elle renvoie le fond du procès à la cour ou au tribunal qui doit en connaître. »

M. Fleussu. - On semble généralement d’accord, messieurs, que la rédaction de l’article 17 doit être rendue plus claire. Je suis aussi de cet avis ; mais je pense qu’il faut y laisser subsister les mots « formalités substantielles ». On a dit que cela était inutile, parce qu’un acte à qui il manque quelque formalité substantielle n’existe pas. Je dis, moi, qu’il existe tant que la nullité n’en a pas été prononcée ; il faut qu’une autorité prononce cette nullité, pour enlever à cet acte son existence, et je suppose que l’absence d’une formalité substantielle fût dans le jugement même, peut-on dire que le jugement n’existerait pas ? Non sans doute, il faudrait bien qu’une autorité supérieure à celle qui l’aurait rendu en prononçât la nullité ; jusque là, il conserverait tous les effets d’un jugement régulier.

Un des préopinants a toujours raisonné dans une seule supposition, celle où une nullité existant, on n’en aurait pas cependant demandé la nullité. Alors il est vrai la nullité serait couverte ou pourrait l’avoir été, c’est un principe reconnu, ; mais supposez au contraire que la nullité ait été demandée, qu’un jugement soit intervenu sur cet incident, que méconnaissant le fait de la nullité, en ait rejeté la demande, il faut bien que l’on puisse se pourvoir contre un tel jugement pour le faire annuler. Vous voyez que quand on examine la question dans un sens opposé à celui sous lequel l’a présentée l’honorable M. Jullien, on voit qu’il n’y a pas lieu de retrancher de l’article les mots « formalités substantielles, » et que la section centrale a eu raison de le rédiger ainsi.

M. H. de Brouckere. - La seule question qui se présente sur l’article 17 est celle de savoir s’il faut en retrancher les mots de « formalités substantielles, » ou s’il faut les y maintenir. Je partage à cet égard l’opinion émise par l’honorable M. Jullien.

Il est évident que par cet article la section centrale n’a pas voulu prévoir de nouveaux cas, mais qu’elle a voulu en rendre la rédaction plus claire en y ajoutant ces mots. Eh bien, moi je crains que par eux la rédaction n’en devienne plus obscure. Ces mots ne se trouvent pas dans la loi française, et cependant il est de jurisprudence constante que là où il y a un acte dépourvu d’une formalité substantielle, on en a prononcé l’annulation, et toujours on a décidé qu’il y avait ouverture à cassation, par le défaut d’une formalité substantielle. Si vous laissez aujourd’hui ces mots dans l’article, on en tirera la conséquence qu’il y a d’après la loi nouvelle de nouveaux cas d’ouverture à cassation et à tout propos vous verrez surgir des procès, où l’on soutiendra que des formalités substantielles n’ont pas été observées, et toute formalité, quelque insignifiante qu’elle puisse être, sera présentée comme substantielle.

Le mot est assez vague par lui-même pour que la chicane puisse en abuser. Il est d’autant plus essentiel de supprimer ces expressions que peut-être tout à l’heure, vous allez décider qu’il n’y aura pas de chambre des requêtes à la cour de cassation et qu’une foule de procès viendront encombrer les rôles de la chambre civile. Je crois cependant que si la chambre se décidait à la suppression de ces mots, il faudrait insérer dans le procès-verbal que c’est parce qu’elle les a jugés inutiles ; sans cela on pourrait en induire qu’il n’y a pas lieu à cassation pour le défaut de formalités substantielles.

M. Leclercq. - Messieurs, en rendant compte à la chambre de ce qui s’est passé à la section centrale à propos de la rédaction de l’article 17, je vous ferai comprendre, mieux peut-être qu’on ne l’a fait jusqu’ici, que les mots dont on demande le retranchement ne sont pas inutiles.

Dans la section centrale on s’est reporté au texte de la loi ancienne, où il est dit qu’il y a ouverture à cassation, lorsqu’il y eu violation des formes. La loi ne disait pas autre chose.

On sait que par les mots « formes » en jurisprudence, on entend et les formalités substantielles et celles qui sont prescrites à peine de nullité. Dans le principe, cette interprétation donna lieu à beaucoup de débats ; mais enfin la jurisprudence se fixa, et elle est restée invariable.

La section centrale a pensé qu’il serait prudent de formuler en loi la jurisprudence elle-même, pour éviter, à l’avenir, tout débat. D’abord on avait dit : elle casse les arrêts et jugements rendus sur des procédures dans lesquelles les formes prescrites à peine de nullité ont été violées ; mais on s’est aperçu bientôt que cette rédaction n’était pas complète, et on ajouta les mots « formalités substantielles. »

On prendra ces mots non pas comme créant des nouveaux cas d’ouverture à cassation . mais en leur donnant le sens que leur a donné la jurisprudence. Un préopinant a dit : aujourd’hui, quoique la loi française ne porte pas ces mots, on casse, quand il y a défaut de formalités substantielles.

C’est pour cela que nous avons cru devoir le dire dans l’article, afin que les débats auxquels la question a donné lieu sous l’ancienne loi ne se renouvellent plus. Cependant la rédaction de l’article 17 ne paraît pas très claire, et j’adopterais volontiers l’amendement de M. Jonet.

- L’orateur termine en donnant lecture de cet amendement. (Voyez plus haut.)

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je ferai une observation sur la distinction introduite par l’amendement de M. Jonet, entre le pourvoi en matière civile, et le pourvoi en matière criminelle. Il résulterait de sa distinction qu’en matière civile on ne pourrait jamais casser pour violation de formalités antérieures au jugement. Vous savez cependant qu’on peut se pourvoir en cassation non seulement contre un arrêt contradictoire, mais même contre un arrêt par défaut ; la seule différence qu’il y ait entre ces pourvois consiste dans l’amende à payer, qui est moindre dans un cas que dans l’autre.

Or, il peut arriver que la formalité essentielle, qui autorise le pourvoi, ait été omise dans un acte de procédure antérieur au jugement, et qu’elle n’ait pas été couverte : par exemple, on aurait surpris un jugement de défaut contre une partie, parce que son avoué n’aurait pas été appelé à l’audience, l’acte d’avenir ne lui ayant pas été notifié, ou l’ayant été de manière à ce qu’il ne pût être connu de lui. Il en serait résulté une condamnation contre une partie qui n’aurait pas été entendue. Je suppose que par l’effet de telle ou telle circonstance, elle eût laissé passer les délais de l’opposition, dans ce cas la partie condamnée pourrait assurément se pourvoir en cassation, et il me semble qu’on ne pourrait se dispenser de casser le jugement qui l’aurait condamnée sans l’entendre.

M. Destouvelles. - Je ne crois pas nécessaire d’introduire dans l’article la distinction proposée par M. Jonet, et appuyée par M. Leclercq, entre les nullités en matière criminelle et en matière civile ; lorsque la jurisprudence suivie pendant un si grand nombre d’années a depuis longtemps été invariable sur la question, je crois qu’il y aurait un grand inconvénient à adopter une nouvelle rédaction qui pourrait donner lieu à de nouveaux doutes et à de nouvelles procédures. L’article, sauf le passage qui a donné lieu à la correction proposée par moi, est très clair et très précis, et quand il faudra l’appliquer, ce sera d’autant plus facile qu’on aura pour cela l’expérience de 40 ans. Ce qui prouve au reste que les mots « formalités substantielles » doivent être conservés, ce sont les observations de M. Sirey sur l’article 1030 du code de procédure civile.

Ici l’orateur lit un long passage de Sirey, et poursuit ainsi : M. Sirey cite encore une foule d’exemples, où il prouve que bien que la nullité ne soit pas prononcée par l’article 1030, il faut cependant la reconnaître, parce qu’elle tient à la substance de l’acte. Ce ne sont pas là de ces nullités qui peuvent être couvertes par l’article 173 du code de procédure civile. Je crois donc qu’on ne doit pas adopter la nouvelle rédaction qui pourrait donner lieu à de graves difficultés.

M. Leclercq. - Le cas que M. le ministre de la justice a cité, et où il s’agit d’une nullité de forme antérieure au jugement, m’avait échappé, et si celle-là m’avait échappé, il pourrait en être de même de beaucoup d’autres. Je citerai par exemple le cas d’une commune qui n’aurait pas été autorisée à plaider, et beaucoup d’autres qui ne se présentent pas maintenant à ma mémoire. Cette considération m’engage à revenir sur ma première opinion, que je reconnais mal fondée.

M. Van Meenen. - J’ai demandé la parole pour proposer la suppression entière de l’article 17 où nous nous bornons à reproduire l’article 66 de la constitution du 29 frimaire an VIII.

Je pense que la discussion actuelle vous a tous suffisamment convaincus du danger qu’il y aurait à toucher un texte qui, depuis 40 ans, a été trituré, mûri, interprété, et sur lequel enfin il n’existe plus de contestation. Voici ce que porte cet article 66 : « Le tribunal de cassation ne connaît point du fond des affaires ; mais il casse les jugements rendus sur des procédures dans lesquelles les formes ont été violées, ou qui contiennent quelque contravention expresse à la loi ; et à renvoyer le fond du procès au tribunal qui doit en connaître. » C’est ce texte qui a servi lui-même de texte à toutes les décisions de la cour de cassation depuis 30 ou 40 ans.

Tout le monde sait que l’article comprend les actes où ont été violées les formes substantielles aussi bien que les formalités prescrites à peine de nullité. Il n’est personne qui ne le sache. Pourquoi donc le répéter ? Est-ce des attributions de la cour de cassation que nous nous occupons ici ? Non, mais uniquement de l’organisation de la cour de cassation.

N’allons pas nous occuper d’autre chose et remettons-nous en pour le reste à l’article 58, qui renvoie aux lois actuellement existantes. Je propose donc à l’assemblée de supprimer l’article 17. Si toutefois on ne voulait pas de cette suppression, je dirai que le premier paragraphe est inutile, puisque se trouve déjà dans la constitution ; et quant au second, il n’est que la répétition de l’article 66 de la loi de frimaire an VIII. Ce texte existe depuis 30 ans, il a toujours été entendu de la même manière ; j’aimerais mieux qu’on se référât à ses dispositions que de les insérer dans notre loi.

M. Barthélemy. - Messieurs, nous ne faisons pas de la législation nouvelle dans ce moment-ci ; nous ne faisons qu’organiser la cour de cassation pour remplacer celles qui existent maintenant. Sous ce rapport, je crois qu’il serait prudent de suivre l’avis de l’honorable M. Van Meenen, et de se borner, en supprimant l’article 17, à s’en référer à la constitution de l’an VIII ; mais si vous voulez faire quelque chose de plus, expliquez-vous bien. Alors, je distinguerais les moyens de forme des moyens du fond.

Entre les moyens de forme, je distinguerais ceux résultant de la procédure antérieure au jugement, de ceux qui se trouveraient dans le jugement même. Pour ceux résultant de la procédure antérieure, le code en a prescrit plusieurs à peine de nullité ; je m’en tiendrais là, en ajoutant « pourvu que la nullité n’ait pas été couverte. » Car ces nullités peuvent être toutes couvertes, même celle qui résulterait d’un exploit signifié par un simple particulier. Il suffit pour cela que la partie ne veuille pas s’en prévaloir. En effet, si sur un tel exploit d’assignation je veux comparaître devant le juge, et être jugé par lui, qu’importe à la loi, et pourquoi serais-je forcé à user d’un bénéfice qu’elle m’accorde, et dont je ne veux pas ? Je dirais donc, dans l’article, que ces nullités donnent lieu à cassation, si elles n’ont pas été couvertes.

Quant à la nullité du jugement, elle peut venir, ou de ce que tous les juges n’auront pas assisté au rapport ou n’auront pas entendu les plaidoiries, ou de ce que le jugement n’aura pas été rendu en séance publique. Ces nullités sont substantielles. Quant aux nullités de fond, elle proviennent de la violation de la loi.

Il faudrait donc distinguer très clairement tous ces cas dans votre article ; sans cela vous allez donner lieu à d’inextricables difficultés. Mon opinion, je le répète, est que nous ne faisons rien de neuf, et que ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce serait d’adopter la proposition de M. Van Meenen. Si on ne veut pas, je serais d’avis que l’on renvoyât l’article à la section centrale, pour le rédiger dans le sens des observations présentées par M. Jonet.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Un des honorables préopinants a demandé la suppression de l’article 17 ; je ne pense pas qu’il y ait lieu à accueillir cette proposition. L’article ne fait qu’’exprimer ce qui est maintenant de jurisprudence constante.

Déjà dans l’article 15, on a rappelé les dispositions de l’article 65 de la constitution de l’an VIII, qui règle les matières sur lesquelles prononcera la cour de cassation ; il n’y a pas de raison pour qu’on n’en fasse pas autant de l’article 66. On a pensé, en rédigeant le projet, qu’en s’occupant d’organiser la cour de cassation, nous devions rendre son organisation complète ; c’est une institution nouvelle, et qui n’a jamais existé pour nous depuis notre séparation d’avec la France ; c’est le moment de faire les choses aussi bien que possible.

La constitution de la Belgique porte : « La cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires. » La constitution de l’an VIII dit la même chose du tribunal de cassation, puis elle ajoute : « Mais il casse les jugements rendus sur des procédures dans lesquelles les formes ont été violées, etc. » Il me semble que puisque notre constitution n’a pu contenir une semblable disposition, il faut maintenant la compléter par une disposition additionnelle ; c’est tout ce qu’a fait la section centrale, en ajoutant les mots « formalités substantielles, » qui ne sont que la concrétisation d’un fait déjà consacré par une jurisprudence constante : par là toutes ces difficultés seront levées.

M. Fleussu. - Messieurs, nous voulons le maintien de la législation ancienne et le maintien de la jurisprudence qui s’est établie sur cette législation. Il faut donc maintenir la rédaction de la section centrale. Voyez la difficulté qui se présenterait si vous adoptiez la proposition de M. Van Meenen.

Il a fallu de longs débats, de longues et nombreuses discussions sous l’ancienne loi pour que la jurisprudence fût fixée. Enfin elle l’a été. Aujourd’hui que nous faisons une loi nouvelle, si nous ne fixons pas la jurisprudence par une disposition formelle, de nouvelles discussions pourront s’élever. Je dis plus, c’est que la discussion actuelle nous oblige à maintenir dans l’article les mots qu’on en voudrait retrancher. On ne manquerait pas en effet de s’emparer de cette discussion et de dire : Voyez, en faisant la loi et nonobstant la demande qu’ont faite plusieurs membres, on s’est bien gardé d’y introduire ce que la jurisprudence avait déjà décidé ; et, comme vous le voyez, cette discussion même servirait d’arme à ceux qui auraient intérêt à ne pas se conformer à la jurisprudence. Que voulons-nous, en un mot ? Que la loi nouvelle soit conforme à la jurisprudence établie. L’article ne laisse pas de doute à cet égard, il y a donc nécessité de l’adopter.

M. Van Meenen. - Messieurs, on vient de vous dire qu’il y avait nécessité d’adopter l’article du projet, par la raison que la discussion actuelle pourrait donner lieu à soulever les questions qui, déjà, ont causé de vifs débats sous l’ancienne loi. Si, d’après la proposition que je fais, l’assemblée se détermine à supprimer l’article 17, il sera bien entendu que c’est parce que déjà les attributions de la cour de cassation sont fixées par une loi antérieure, dont on maintient les dispositions, sur le sens desquelles, d’ailleurs, la jurisprudence est fixée depuis longtemps. On saura que c’est l’extrême danger de toucher à une loi, dès longtemps bien établie et bien exécutée, qui nous a fait reculer devant la disposition nouvelle qu’on nous proposait. (Aux voix ! aux voix !)

M. Destouvelles. - Je ne ferai qu’une seule observation. Nous créons une nouvelle cour de cassation. Que pour les cours de cassation qui existent actuellement nous nous en rapportions à la loi actuellement en vigueur, je le conçois ; mais quand nous faisons une loi nouvelle pour une cour nouvelle, nous devons entourer cette dernière de toutes les précautions possibles. Il faut, en lui donnant le pouvoir de casser les actes dans lesquels auraient été omises des formalités prescrites à peine de nullité, lui donner aussi celui de casser pour l’omission de formalités substantielles.

En résumé, et ceci est décisif, il n’y a pas d’inconvénient à conserver l’article tel qu’il est rédigé, et il y en aurait à le supprimer, ou à n’y pas insérer les mots dont la suppression est demandée. Il n’y a donc pas à balancer. (La clôture ! la clôture !)

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Il y a trois amendements, celui de M. Van Meenen…

M. Van Meenen. - Ma proposition n’est pas un amendement, c’est plutôt la question préalable sur l’article.

M. Fleussu et M. le ministre de la justice (M. Raikem). - La suppression d’un article n’est pas la question préalable.

- La suppression de l’article est mise aux voix et rejetée.

Les amendements de M. Jonet sont pareillement rejetés.

M. H. de Brouckere. - J’ai proposé la suppression des mots « formalités substantielles. »

- Cette suppression est mise aux voix et rejetée, ainsi que la suppression du premier paragraphe, demandée par M. Liedts.

M. le président. - Il ne reste plus que l’amendement de M. Destouvelles.

- Cet amendement est mis aux voix et adopté. On passe à la discussion de l’article 18.

(Ici M. de Gerlache cède le fauteuil à M. Destouvelles.)

Article 18

« Art. 18. La cour de cassation se divise en deux chambres, dont l’une porte le titre de chambre des requêtes, l’autre celui de chambre civile et criminelle. »

M. Van Innis. - Messieurs, j’ai demandé la parole contre l’institution d’une section des requêtes.

Quand on a examiné les lois et règlements sur la matière, on s’est convaincu qu’en France la chambre des requêtes a été introduite pour empêcher l’encombrement qu’il y aurait eu à la chambre civile de la cour de cassation. En France, où la cour est placée à la tête de 26 à 28 cours royales, et d’un nombre infini de tribunaux inférieurs, la chose est concevable, et peut-être aussi peut-on ajouter à cela la superstition pour un usage ancien. Mais en Belgique, où la cour ne se trouvera qu’à la tête de trois cours d’appel et d’un nombre comparativement inférieur de tribunaux, je ne crois pas qu’il soit besoin d’une chambre des requêtes. Ainsi la question de l’institution de cette chambre se présente à votre examen pure et simple et dégagée de toute influence extérieure.

Je vais examiner la question, et vous connaîtrez par les développements où je vais entrer les motifs qui m’ont fait voter contre la chambre des requêtes dans ma section, et également les motifs qui me feront voter contre, à moins que les orateurs qui parleront après moi ne me fassent reconnaître que je suis dans l’erreur.

La cour de cassation est établie, a-t-on dit, et je l’ai encore entendu répéter aujourd’hui, dans l’intérêt de la loi, et on semble dire que l’intérêt de la loi absorbe l’intérêt des justiciables ; en séparant la question de fait de la question de droit, je le conçois. Toutefois, il me semble que la cour est destinée éminemment pour faire droit aux parties, pour compléter l’administration de la justice. En effet, pour mettre un terme aux procès, la loi s’est trouvée dans la nécessité de poser deux degrés de juridiction, et pour certaines affaires d’un intérêt minime, elle s’est contentée d’un seul degré ; elle oblige les justiciables à se soumettre aux décisions de ces cours et tribunaux. Mais ces décisions sont portées par des hommes faibles. Ces décisions sont comptées, non selon le poids des opinions, mais par le nombre. C’est une fatalité dans l’administration de la justice, mais elle est inévitable. Ces décisions peuvent même être portées à la majorité d’une voix. Mais, messieurs, quand ces décisions violent les formes constitutionnelles, lorsque ces cours et tribunaux excèdent leur pouvoir, lorsque ces cours et tribunaux, au lieu de juger « secundum leges, » jugent « de legibus, » et ainsi ne remplissent pas l’office de juges, mais s’érigent en législateurs, sans doute la présomption de légalité ne peut s’attacher à des jugements qui ne méritent pas ce nom ; car, dans le fait, ce ne sont que des actes arbitraires, qui doivent être annulés. C’est ainsi que les lois romaines prononçaient la nullité de plein droit contre de pareilles décisions, « ipso jure nullae sunt sententiae litae contra leges, contra constitutiones. »

La législation moderne n’a pas admis cette nullité de plein droit, mais elle a institué la cour de cassation pour en juger. Le pourvoi en cassation est donc plus important qu’un acte ordinaire ; car, quoique la cour de cassation ne juge que le droit, par sa décision, si elle casse, tout en remis en discussion, et le droit et le fait, et la forme et le fond. Comment donc concevoir que vous soyez plus sévères pour l’exercice de ce droit que pour les affaires ordinaires, par l’institution d’une chambre qui tend à consacrer l’injustice, comme j’aurai l’honneur de le prouver tout à l’heure ?

D’abord la bonne administration de la justice exige que la partie soit égale entre le demandeur et le défenseur ; tous deux doivent être également entendus. Or, l’institution de la section des requêtes pèche par là. En effet, le demandeur en cassation est seul admis à se défendre. Le ministère public donne ses conclusions ; enfin la cour rend son arrêt toujours en l’absence du défenseur. Il en résultera souvent peut-être que le ministère public fera valoir des moyens en faveur du demandeur, auxquels ni lui ni son avocat n’aurait peut-être pas songé. La cour, de même, dans ses considérations et d’après le principe « supplent judex quoe desunt advocatis, » pourra consigner des moyens auxquels le demandeur n’aurait pas plus songé que son avocat ; et en tout cas, messieurs, il en résultera toujours que cet arrêt motivé portera un préjudice qui, quoi qu’on en dise, sera préjudiciable au défendeur. En sorte qu’on pourra toujours dire de votre chambre des requêtes ce que disait Sénèque de l’empereur Claude : « Quod nullus citius causas dicebat, saepe una tantum audita parte, saepe neutra. »

Mais, messieurs, que dit-on ? La section des requêtes n’écartera que les pourvois évidemment mal fondés. Mais on ne remarque pas que si elle n’écarte que les pourvois évidemment mal fondés, la loi ne borne pas, ne limite pas son pouvoir ; car ce qui est clair pour moi est obscur pour un autre, ce qui est clair pour un autre est obscur pour moi, chacun voit les choses à sa manière et toute évidence est relative. Il n’y aurait donc rien de fixe, rien de déterminé.

Mais si elle n’écarte que les pourvois évidemment mal fondés, pourquoi n’exigez-vous pas l’unanimité des voix ? Des magistrats doués de lumières supérieures, des jurisconsultes profonds, doivent voir tous avec une égale facilité ce qui est évidemment mal fondé. Vous placez donc la section des requêtes dans une fausse position.

Mais la section des requêtes ne fût-elle pas contraire à la bonne administration de la justice, elle serait contraire à l’institution de la cour de cassation elle-même, car elle peut y causer une diversité de jurisprudence ; elle admettra un pourvoi par un arrêt motivé où l’on verra qu’elle a interprété la loi dans le sens du demandeur, et ce même arrêt pourra être écarté, ou plutôt le pourvoi pourra être rejeté par la section civile par des motifs tout contraires. Voilà donc deux arrêts contradictoires, et de cette manière s’établit une diversité de jurisprudence d’autant plus scandaleuse que la contradiction se trouve précisément dans la même affaire.

Mais, dit-on, le roulement pourrait amener de même cette diversité de jurisprudence. Cela est vrai. La cour de cassation n’en atteindrait pas pour cela mieux son but. Mais puisque vous me dites que cette diversité est possible par le roulement, faut-il la multiplier encore, par l’institution de la section des requêtes ? Ainsi la cour, que vous placez à la tête du corps judiciaire pour ramener l’unité dans la jurisprudence, donnera elle-même le scandale de la diversité, et le scandale produit par elle sera d’autant plus déplorable que les parties y trouveront un encouragement pour plaider ; ce sera une incitation donnée aux plaideurs, et souvent cela fera une bonne partie du procès. Ainsi voilà encore un vice dans votre section des requêtes.

Mais il y a plus, je la trouve même inutile. En effet, si la section des requêtes est destinée, comme vous voulez le faire croire, à ne rejeter que les pourvois évidemment mal fondés, ils seront en petit nombre. Mais ce petit nombre sera réduit à peu de chose si vous attachez à la cour un corps d’avocats qui se respectent et qui refuseront l’appui de leur talent et de leur plume à ces pourvois mal fondés.

Voilà donc une section sans travail. Mais craignez-vous tant les pourvois témérairement faits ? Mais n’avez-vous pas une amende à infliger aux demandeurs ? n’avez-vous pas un minimum et un maximum ? et ne pouvez-vous permettre de graduer l’amende, ou même d’accorder des dommages-intérêts au profit du défendeur ? Ainsi je trouve que la section des requêtes est absolument inutile et que le peu de pourvois évidemment mal fondés seraient vidés tout de même en infligeant une amende aux demandeurs téméraires.

Maintenant on objectera l’expérience de quarante ans. Je désirerais de savoir ce que cette expérience peut avoir prouvé. D’abord elle a fait que plusieurs jurisconsultes se sont élevés contre la section des requêtes, tandis que pas un seul ne l’a défendue. Ainsi pour ce qui regarde l’expérience de 40 ans, elle ne plaide pas en faveur de la section des requêtes. Chez nous, depuis assez longtemps les fonctions de la cour de cassation sont remplies par les deux cours d’appel du royaume. Cette institution monstrueuse a été attaquée sous tous les rapports, mais vous remarquerez que personne n’a regretté l’absence de la section des requêtes. Vous remarquerez maintenant l’avis de vos sections, qui presque toutes se sont prononcées. La cour d’appel de Bruxelles et le barreau se sont prononcés contre, le tribunal de Huy et le tribunal de Bruges se sont aussi prononcés contre.

Ainsi donc, messieurs, je crois en avoir assez dit pour vous convaincre que cette institution est inutile, ne remplit pas son but, et est contraire à la bonne administration de la justice. Je permettrai qu’on qualifie cette institution de bureau de passeport de pourvois, d’antichambre ; pour moi, je la qualifierai d’institution monstrueuse.

M. de Gerlache. - Messieurs, avant-hier un de nos honorables collègues a très vivement attaqué la chambre des requêtes, en ajoutant qu’il y reviendrait aujourd’hui avec de nouvelles autorités et de nouveaux arguments, qu’il vous prouverait que cette chambre était repoussée en France par tout le monde comme une superfétation, et que ce n’était pas le moment de l’admettre chez nous.

J’attendrai ces arguments et ces autorités pour me décider ; mais dans tout ce que j’ai lu ou entendu jusqu’ici, je l’avoue, rien n’a pu me faire revenir encore de l’idée qu’une chambre des requêtes est de nécessité absolue, et que si vous la supprimez, vous mutilez l’institution, et vous la dégradez. Vous aurez moins de garanties que n’en offrait le conseil des parties, dont on vous a parlé, et vous n’aurez point une véritable cour de cassation. On vous a dit que d’après l’ordonnance de 1738, qui établissait un simple bureau préparatoire chargé d’examiner les procès, sans pouvoir prendre aucune décision, chaque pourvoi en cassation était soumis à une double épreuve ; tandis que la chambre des requêtes, qui a succédé à ce bureau préparatoire, a le droit de rejeter, et rejette en effet, sans avoir entendu contradictoirement les parties ; on a prétendu que c’était là un pouvoir énorme et dangereux.

Je sais que MM. Isambert et Carré ont soutenu cela, et que ce sont des hommes d’un grand mérite ; cependant ils ne m’ont point convaincu : il me semble même qu’ils ont tout à fait perdu de vue le véritable but de l’institution.

Il y a une grande différence entre l’ancien conseil des parties, qui cassait, non seulement pour violation de la loi, mais « pour injustice évidente, » et qui connaissait de fond des affaires en définitif, et la cour de cassation actuelle, qui annule les arrêts et jugements rendus en dernier ressort, dans les cas seulement où ils contiennent une infraction manifeste à la loi et qui renvoie pour le fond à une autre cour ou tribunal. L’ancien conseil des parties offrait dans bien des occasions un troisième degré de juridiction aux plaideurs ; la cour de cassation, jamais. Vos cours d’appel sont cours souveraines.

Dans quel but est donc instituée la cour de cassation ? D’abord et avant tout, pour juger les procès (non pas entre les parties intéressées, l’une à soutenir un arrêt, l’autre à ce qu’il soit annulé) mais les procès entre la loi d’une part, et l’arrêt ou le jugement attaqué de l’autre. Cela est si vrai que, lorsqu’un arrêt, lorsqu’un jugement passé en force de chose jugée, n’a point été dénoncé par la partie lésée, s’il est contraire à la loi, le ministère public en poursuit l’annulation dans l’intérêt de la société, et la cour de cassation est tenue de la prononcer.

Et si maintenant vous considérez l’intérêt privé, l’intérêt bien entendu des plaideurs, quelle est la nécessité, je vous prie, d’attraire en cassation, de forcer à se défendre, à achever de se ruiner peut-être, celui qui a triomphé en dernier ressort, celui contre lequel on aura en vain épuisé tous les degrés de juridiction, tous les détours de la chicane ? Il connaît la justice de sa cause ; il veut tout attendre de la sagesse de la cour suprême, qui ne venge que les infractions formelles à la loi, et vous ne voulez point qu’il s’y confie !

Messieurs, un des grand principes de la société moderne, c’est d’abroger les procès, c’est de mettre un terme à l’incertitude des jugements. Je le dis par expérience, les trois quarts des pourvois sont si évidemment mal fondés, qu’il ne faut souvent pas une heure d’examen à un véritable jurisconsulte pour en faire justice.

Certes, on conviendra que la présomption doit être en faveur de la chose définitivement jugée. Que la partie qui l’attaque, qui est mécontente, présente son mémoire de griefs et fasse plaider son avocat pour en obtenir l’annulation, rien de plus juste ; mais quelle est la nécessité de mettre deux avocats en mouvement, lorsqu’une seule partie se plaint ? Ce n’est pas sans doute aux avocats que je fais cette question ; c’est à vous, messieurs, qui êtes législateurs ! Il résulte de ces plaidoiries contradictoires sans nécessité, pour la cour, une perte de temps énorme, et pour les défenseurs, un surcroît d’embarras et de frais.

C’est par erreur que l’honorable et savant rapporteur de la section centrale vous a dit que la chambre des requêtes n’existait que depuis l’an VIII ; elle est presque contemporaine de la cour de cassation. Par la loi de 90, le bureau des requêtes, qui avait succédé à l’ancien bureau des commissaires, avait le droit d’admettre ou de rejeter les requêtes. A la vérité, il ne pouvait le rejeter qu’aux trois quarts des voix. Mais la loi du 2 brumaire an IV, si je la comprends bien, organisait le tribunal de cassation en trois sections, et attribuait à la section des requêtes le droit d’admettre ou de rejeter les pouvoirs, après avoir entendu le demandeur, tout comme elle le fait aujourd’hui.

Ainsi, messieurs, ce que l’on vous propose, c’est de mutiler une institution éprouvée par quarante années d’expérience. Elle est inutile et dangereuse, assure-t-on, parce qu’on n’y appelle qu’une des parties intéressées ! Mais encore une fois, n’oublions pas que vous n’avez point trois degrés de juridiction ; que celui qui a triomphé en dernier ressort a le droit incontestable de s’arrêter là, puisqu’il a tout obtenu, même l’exécution du jugement ; qu’un procès en cassation se plaide entre la loi que l’on dit violée et le jugement qui la viole, que les particuliers n’y figurent qu’accessoirement, et que c’est bien assez enfin de forcer celui qui a obtenu gain de cause, à paraître dans l’arène, lorsqu’il est menacé par contrecoup, et qu’il y aurait danger pour lui à ne point se présenter.

Le recours en cassation est un moyen extrême ; il faut le rendre difficile. Il ne faut pas qu’un plaideur obstiné, qui est riche, puisse effrayer son adversaire, dont le droit a été reconnu, mais qui est pauvre, par la perspective d’une suite de procédures sans fin, et le contraindre ainsi à des transactions souvent iniques. C’est là un inconvénient auquel vous ne sauriez parer en augmentant les amendes contre le demandeur en cassation qui est obstiné ou de mauvaise foi.

Or, le jugement attaqué est sous les yeux de la chambre des requêtes ; un des conseillers est chargé d’examiner les pièces avec le soin le plus minutieux ; son rapport détaillé est fait en séance publique ; le demandeur en cassation développe les moyens exposés dans sa requête et dans ses mémoires imprimées, le ministère public prend ses conclusions, et la cour décide.

Il est, je crois, très inexact de soutenir, comme le prétend M. Godard dans son Manuel de la cour de cassation, que la chambre des requêtes n’admette pour l’ordinaire un pourvoi que lorsque les moyens de cassation lui paraissent si évidents qu’elle eût cassé d’emblée sans hésitation, si elle avait dû prononcer comme chambre civile. Ayant suivi la cour de cassation pendant quatre années (depuis 1810 jusqu’à 1814), je puis attester qu’alors du moins, la chambre des requêtes admettait toujours les pourvois dès qu’il y avait doute. Il est arrivé, messieurs, qu’on se pourvoyait en même temps contre deux arrêts rendus en même temps contre deux cours, qui avaient jugé en sens contraire sur une question identique, et la chambre des requêtes accueillait les deux pourvois.

La chambre des requêtes a pour but d’empêcher que les affaires ne s’encombrent à la chambre civile. C’est une procédure sommaire qui suffit pour distinguer les pourvois bien fondés de ceux qui ne le sont pas. Elle fait gagner beaucoup de temps aux magistrats et aux plaideurs. Elle fait l’office de la chambre de mise en accusation en matière criminelle, de la prise en considération ou de la première lecture dans nos assemblées délibérantes.

Or, si au lieu de ne distribuer à la chambre civile que les affaires qui ont déjà subi une première épreuve à la chambre des requêtes, vous les répartissez toutes, dès l’abord, entre deux chambres civiles, vous supprimez réellement une garantie, un examen, au détriment de celles qui, seules, méritent une discussion sérieuse, et qui, seules, offrent des chances de cassation en définitif.

M. Godard a vanté le système introduit en Belgique par les arrêtés de 1815, qui suppriment la section des requêtes, et simplifient beaucoup, dit-il, l’institution.

Mais si M. Godard aime l’institution d’une cour néerlandaise dans toute sa pureté, nous la lui céderions volontiers telle que Van Maanen nous l’avait faite, une haute cour jugeant le fond des affaires, et constituant une troisième et dernier degré de juridiction. Je ne crains pas de dire, messieurs, que c’était là le plus monstrueux abus qui ait jamais existé ; et que si tous les autres corps judiciaires eussent été indépendants, ce qui est douteux, celui-là seul eût suffi pour fonder le despotisme le plus intolérable sur la nation tout entière. C’est ce que j’ai démontré, je pense, assez fortement, lors de la discussion de la loi du 27 avril 1827. Il paraît qu’on n’est jamais admirateur que de ce qu’on n’a point. Mais, messieurs, ne vous laissez pas ébranler trop facilement par des autorités ; comme il n’y a rien de nouveau sous le soleil, chacun aujourd’hui, veut se faire remarquer par le paradoxe.

Ce qui caractérise le projet qui vous est soumis, c’est l’esprit de conservation. Il tend à maintenir tout ce qui existe, non seulement en fait d’institutions et d’attributions, mais encore tout le personnel des cours et des tribunaux.

Il propose seulement de combler une double lacune pour obéir à la constitution. Si, au lieu de calquer tout simplement votre cour de cassation sur celle de France, vous innovez, sous prétexte d’améliorer, vous abandonnez l’esprit du projet, et cela pourra vous entraîner fort loin.

On a dit qu’à la prochaine session des chambres en France, ou s’empresserait infailliblement de présenter un projet de loi pour supprimer la chambre des requêtes. Je suis fort d’avis, messieurs, que nous attendions que cette loi soit présentée.

Je vous avoue que si j’entendais dire que M. Merlin réprouve la chambre des requêtes ; si j’entendais attester, par des témoins sûrs, que MM. Daniel et Henrion de Ponsey en avaient reconnu l’abus ; si, enfin, la cour de cassation consultée, elle-même, se levait en masse pour demander la suppression de ce rouage inutile, je dirais : hâtons-nous d’imiter la France ! Car, alors, je n’aurais plus devant moi une expérience de 40 ans ; et, j’ose vous le dire, messieurs, un fait de 40 ans, par le temps qui court, c’est quelque chose de rare. C’est bien dommage que nos voisins n’en puissent compter autant pour aucune de leurs chartes.

Quant à la dépense, la suppression de la chambre des requêtes n’y ajoute rien, puisque alors on établirait deux chambres civiles de cassation.

Je dirai, en terminant, que je ne suis nullement d’avis de faire juger à sept conseillers, comme le propose mon honorable ami M. Raikem. Neuf conseillers ne sont pas trop : en France, il en faut onze, cela coûtera un peu plus. Je ne dirai pas que la justice est une si belle chose qu’on ne peut trop la payer : mais je dirai que les corps un peu nombreux, s’observant mieux, ont mieux le sentiment de leur dignité, et ils offrent aussi plus de chances pour le talent.

M. Helias d’Huddeghem. - La loi du 1er octobre 1790 n’avait point attribué à une section particulière une compétence exclusive pour statuer sur l’admission des pourvois en matière civile ; elle se bornait à déclarer qu’avant que la demande en cassation ou en prise à partie fût portée en jugement, il serait préalablement examiné et décidé si la requête devait être admise et la permission accordée (article 6).

A cet effet, tous les six mois, le tribunal de cassation avait à nommer vingt de ses membres, pour former un bureau qui, sous le titre de bureau des requêtes en cassation ou en prise à partie, jugeait celles qui devaient être admises ou rejetées, ce bureau ne pouvait juger qu’au nombre de douze membres au moins. (article 6).

Si dans ce bureau, les trois quarts des voix se réunissaient pour rejeter une requête en cassation ou en prise à partie, elle était définitivement rejetée ; si les trois quarts se réunissaient pour admettre la requête, elle était définitivement admise, l’affaire mise en jugement, et le demandeur autorisé à assigner (article 7).

Lorsque le nombre de voix ne se réunissait pas pour rejeter ou admettre, la question était portée à tout le tribunal assemblé, et la simple majorité faisait décision (articles 8 et 10).

Le demandeur en cassation avait alors deux chances d’admission contre une seule de rejet ; depuis l’introduction de la chambre des requêtes, qui doit son origine à la loi organique du 27 ventôse an VIII, l’on court une double chance de perdre son procès, contre une simple chance de le gagner.

Avant de combattre le système de ceux qui se prononcent pour le maintien de la section des requêtes, dont je crois la suppression nécessaire, il est utile de rappeler que des jurisconsultes du premier ordre, tout en se déclarant contre le maintien de la chambre des requêtes, soutiennent néanmoins, pour le cas qu’on ne supprimerait pas entièrement l’admission préalable de la requête en cassation, qu’il conviendrait alors de rétablir le bureau des requêtes institué par la loi du 1er décembre 1790.

Les avantages du bureau des requêtes sur la section des requêtes, se résument en peu de mots par les partisans du bureau des requêtes. Ils disent : « La partie demanderesse, dans ce cas, avait le double avantage de voir son affaire examinée deux fois par les mêmes juges : ceux-ci, si les moyens de cassation invoqués étaient sans réplique, cassaient l’arrêt attaqué sur le champ ; si l’affaire méritait un examen contradictoire, ils ordonnaient le « soit communiqué. » Dans tous les cas, la partie ne voyait point son affaire décidée par le bureau préparatoire, elle avait toujours la totalité de ses juges ; si le bureau d’examen était pour elle, son influence la favorisait encore dans le sein du tribunal assemblé ; s’il était contre elle, l’opinion du tribunal assemblé pouvait être différente de celle du bureau et ordonner l’admission de la requête et le « soit communiqué » contre l’avis du bureau des commissaires. D’ailleurs les mêmes juges qui statuaient sur l’admission d’un pourvoi, devant ensuite statuer définitivement sur l’affaire instruite contradictoirement, à la moindre nuance de difficulté qui se présentait, croyaient qu’il était de leur devoir et de leur impartialité de juger l’affaire contradictoirement, Ainsi, les parties avaient la certitude que leurs intérêts étaient examinés avec une attention scrupuleuse. »

Aucune de ces garanties ne se trouve dans la section des requêtes établie par la loi citée du 27 ventôse an VIII, comme je vais avoir l’honneur de le démontrer.

Après avoir mûrement examiné la question de l’opportunité du maintien de la section des requêtes, je dois le dire franchement, je crois que le législateur a manqué le but qu’il s’était proposé, qui ne peut avoir été de refuser l’accès de la justice, ou de rendre cet accès difficile ; c’est cependant, messieurs, ce qui arrive. Car d’après l’autorité d’un écrivain recommandable, l’on attend souvent un an au moins pour l’admission des requêtes, ce qui est très nuisible aux intérêts de la partie qui a obtenu le jugement attaqué puisque le pourvoi n’est pas suspensif. « Chose incroyable (disait M. Isambert sur le projet de loi du 18 novembre 1814) un arrêt d’admission, qui est au moins une présomption que l’arrêt attaqué a violé la loi, n’en suspend pas l’exécution, et il faut encore une année pour obtenir la cassation. Pendant ce temps, croit-on que la partie qui a obtenu l’arrêt vicieux néglige de l’exécuter et de se soustraire d’avance aux chances de la cassation en dissipant ou détournant les capitaux ? Mille, deux mille arrêts, peut-être, échappent par année à la cassation. On préfère les exécuter plutôt que d’exercer un recours inutile. »

M. le président. - La parole est à M. Leclercq. (A demain ! à demain ! Non ! non ! il est de bonne heure encore !)

M. Leclercq se dispose à parler ; mais sur la demande de plusieurs membres, la suite de la discussion est remise à demain,

- La séance est levée à quatre heures moins un quart.