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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 23 novembre 1832

(Moniteur belge n°328, du 25 novembre 1832)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

A midi et demi l’appel nominal est fait. On constate que la chambre est en nombre.


M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques présente l’analyse de plusieurs pétitions adressées à la chambre ; elles sont renvoyées à la commission spéciale.


M. Vanderbelen demande à être compris dans l’une des sections dans lesquelles la chambre est partagée.

M. Jacques. - Lors du tirage au sort des sections, on n’a pas compris dans cette formation les représentants non admis.

Projet d'adresse

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour est la continuation de la discussion du projet d’adresse en réponse au discours de la couronne.

M. Pirson. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Ce sera en même temps une réponse d’un Lilliputien à un Pygmée.

Je pense que nous devrions fermer la discussion sur l’ensemble de l’adresse et commencer celle des différents paragraphes.

Il n’y a qu’un seul point qui nous divise réellement et fortement d’opinion, c’est celui relatif à l’évacuation du territoire.

Nous y reviendrons en son lieu et place ; mais, outre que nous avons besoin de prouver à nos commettants qu’une difficulté ne nous arrête point tout court, il faut aussi qu’un peu de diversion et de relâche éteigne en partie l’effet de la séance scandaleuse d’hier. L’avocat obligé de tous nos ministères a rivalisé de sarcasmes et d’insultes envers la chambre, et par contrecoup envers la nation belge, avec les Libry et tout ce que la Hollande renferme de plats écrivains. (Bruit.)

En vérité on, serait tenté de croire que des hommes certains de ne pouvoir se maintenir au poste qui, quoi qu’ils en disent, a tant d’attrait pour eux, veuillent tout confondre et renverser dans leur chute. (Murmures.)

M. le président. - Sur quoi parlez-vous ? Vous ne pouvez rentrer dans la discussion.

M. Pirson. - J’ai été provoqué hier ; c’est un fait personnel. C’est une réponse à une insulte, à des sarcasmes lancés contre la majorité. J ‘en ai pris ma part.

M. le président. - On ne peut interrompre l’ordre de la discussion que pour un fait personnel ou une motion d’ordre.

M. Pirson. - C’est en même temps pour une motion d’ordre et pour un fait personnel que j’ai pris la parole.

M. F. de Mérode. - Si c’est à moi que l’on répond, je demande que l’orateur soit entendu.

M. Pirson reprend la lecture de son discours. - Dans le délire de leur agonie (murmures, interruption), ils ont bafoué cette majorité, qui a été si souvent leur dupe et qui les a maintenus jusqu’à ce jour dans la direction tantôt publique, tantôt occulte, des affaires politiques.

Je n’ai pas, dans cette dernière circonstance, ma part de l’insulte. Je n’ai point voté avec cette majorité ; mais combien de fois M. Lebeau, alors ministre des affaires étrangères, n’a-t-il point répété les mots anarchistes, orangistes ! Par adoucissement il voulait bien ne considérer que comme leurs dupes les membres du congrès ou de la chambre des représentants qui votaient contre lui.

Alors, messieurs, nos grands hommes d’Etat, au nombre desquels je compte M. Devaux, n’avaient besoin ni de mappemonde ni d’armée : la diplomatie allait reformer ses mœurs ; ces messieurs étaient diplomates.

Eh bien, quels étaient les plus vaniteux ? Ceux qui, de mauvais rédacteurs de gazettes, voulaient devenir les directeurs, si point les réformateurs de la diplomatie européenne, ou ceux qui, amants de la liberté, croyaient à la sympathie des peuples et voulaient donner l’exemple du courage ?

Ceux-là ne voulaient point d’armée ; leur système a produit les désastres du mois d’août, et maintenant ils viennent en quelque sorte les reprocher aux représentants de la nation qui n’ont cessé de se plaindre de leur incurie.

Aujourd’hui nous avons une bonne armée, et ils ont encore trouvé moyen de la paralyser ; mais les événements déborderont, je l’espère, leur sotte ou perfide imprévoyance : je ne sais encore quelle épithète est la plus appropriée. Si vous aviez ordonné l’enquête qui vous a été demandée, messieurs, nous saurions peut-être à quoi nous en tenir.

Ce qu’il y a de certain, c’est que, si l’armée française se retire tout bonnement après la prise d’Anvers, si après nous avoir forcés à notre tour d’évacuer Venloo et toutes les parties du Limbourg et du Luxembourg assignées à la Hollande sans avoir force Guillaume à reconnaître le roi des Belges, et par conséquent notre séparation d’avec la Hollande, il faut que nous ou le ministère, y compris ses complices, suivions l’armée française.

Le tribunal de cassation ne pourra empêcher le départ des uns ou des autres.

Mais il n’en sera pas ainsi, messieurs ; Louis-Philippe ne serait pas plus en sûreté que Léopold, si une restauration avait lieu en Belgique, et si, en cas de guerre générale il se dessaisissait des points importants de défense que lui fournit la Belgique : et croyez-moi, messieurs, la France ne croira plus que la coalition en veut à un seul homme, à Louis-Philippe, roi illégitime, selon elle. Elle n’a pas oublié, la France, ce que ces mots lui ont valu au temps de Bonaparte. Il lui arriverait pis aujourd’hui, si elle s’y laissait prendre ; elle serait comme nous morcelée en tous sens.

Dans les actes patents relatifs à la discussion qui nous occupe, nous ne voyons pas ce qui a été prévu pour le cas de tel ou tel événement. Je pense qu’on a généralement cru que le roi Guillaume se rendrait enfin à la raison d’Etat de l’Europe. Il ne cédera pas encore tout de suite, je suppose. Eh bien ! alors comme alors, répondait certain directeur, dans le temps, à l’une de mes prévisions.

Messieurs, je crois que tous nos grands et petits diplomates depuis M. Talleyrand jusqu’à M. Van de Wever, marchent à la suite des événements et ne les prévoient pas.

Si dans notre inquiétude bien motivée, nous manifestons une prévision et indiquons une marche à suivre au cas échéant, pourquoi donc le ministère s’y oppose-t-il ? S’il a à cœur les intérêts de la patrie et la sûreté de l’Etat, il devrait nous savoir gré de l’aider d’avance à réclamer en temps opportun la reconnaissance du roi des Belges par le roi de Hollande, condition première sans laquelle ni le traité du 15 novembre ni aucune autre ne peut exister,

Eh bien ! voilà toute la question ; il n’y avait là de quoi se diviser, s’injurier, se menacer ; il devait y avoir unanimité, comme il y a eu unanimité dans une autre occasion que M. de Mérode a rappelée hier ; c’est lorsqu’il s’est agi de proposer à la Prusse de tenir garnison à Maestricht. C’est moi qui ai provoqué la réprobation unanime de cette proposition de M. Nothomb.

Je me croirais fort heureux si aujourd’hui j’amenais la même unanimité, et si le ministère voulait bien reconnaître qu’il s’émeut le plus vainement du monde : à voir ce qui se passe, je serais tenté de croire que, pour se rendre plus importants, les ministres provoquent tout exprès de l’opposition.

M. le président. - La parole est à M. Fallon.

M. Fallon. - Il n’y a plus d’orateurs inscrits sur la discussion générale ; je pense qu’il sera plus convenable que je parle lors de la discussion du paragraphe.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, je crois avoir, dans la séance d’avant-hier, donné tous les éclaircissements propres à convaincre la chambre que le ministère actuel n’a fait que suivre le système que la représentation nationale avait recommandé à la sollicitude du gouvernement dans ses adresses du mois de mai.

Malgré toutes les assertions contraires, il est incontestable que ce système supposait l’exécution partielle du traité consistant dans l’évacuation du territoire et une nouvelle discussion de quelques articles qui réclament des développements.

D’après cela, il me paraît que l’on ne peut adresser aucun reproche au ministère d’avoir consenti à l’évacuation ; mais aussi il est incontestable que la chambre doit avoir le plus vif désir de connaître quelle peut être la pensée du gouvernement, relativement aux conséquences de ce commencement d’exécution.

Les critiques, messieurs, dont la politique actuelle du gouvernement a été l’objet depuis quelques jours, ne portent généralement que sur les actes qui ont suivi la sommation adressée, le 5 octobre, aux cabinets des Tuileries et de St-James.

Cet acte n’a pas eu sa part du blâme, et j’admets qu’il a satisfait à vos exigences ainsi que tout ce qui l’a précédé.

La position dans laquelle s’est trouvée la Belgique, à partir du 5 octobre, ne me paraît pas avoir été comprise. Je dois donc à la chambre quelques éclaircissements à cet égard.

La Belgique, messieurs, a, le 5 octobre, réclamé de la France et de la Grande-Bretagne l’exécution de la garantie stipulée par l’article 25 du traité du 15 novembre 1831, conclu avec elle.

Des négociations, dont le résultat fut la convention du 2 octobre, eurent lieu entre les deux gouvernements que nous avions sommés de remplir leurs engagements ; la Belgique ne prit et ne pouvait prendre part à ces négociations.

En effet, l’article 25 du traité n’avait pas stipulé les moyens à employer pour parvenir à l’exécution de ce traité. Les puissances garantes s’étaient donc réservé toute latitude à cet égard : c’est ce qui résulte, d’une manière plus formelle, de l’une des notes du 14 octobre 1831 annexées aux 24 articles.

Cette latitude s’était étendue encore par le dernier refus du cabinet de La Haye, qui avait rendu le 24ème article du traité inapplicable.

Alors, les gouvernements français et britannique usèrent d’un droit contestable en arrêtant, sans notre concours, les mesures qu’ils jugeaient les plus propres à atteindre le but qu’ils se proposaient conformément à leurs engagements. Comme un premier pas vers l’accomplissement de ce but, ils résolurent d’exiger l’évacuation réciproque des territoires respectifs entre la Belgique et la Hollande.

Messieurs, on a dit que l’intervention des puissances n’aurait d’autre résultat que l’évacuation du territoire, et l’on a cité la convention du 22 octobre à l’appui de cette assertion. Cependant voici ce que je lis dans l’article premier de cet acte :

« S. M. le roi des Français et S. M. le roi du Royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande notifieront à S. M. le roi des Pays-Bas et à S. M. le roi des Belges, respectivement, que leur intention est de procéder immédiatement à l’exécution du traité du 15 novembre 1831, conformément aux engagements qu’ils ont contractés ; et comme un premier pas vers l’accomplissement de ce but, leursdites majestés requerront, etc. »

On ne peut, ce me semble, exprimer plus clairement ses intentions, indiquer plus nettement le but qu’on se propose. Ce but, c’est l’exécution entière du traité, conformément aux engagements contractés ; l’évacuation territoriale est un premier pas vers ce but. Le préambule de la convention annonce en termes formels un concert immédiat des mesures les mieux calculées pour remplir, sans un plus long délai, les engagements des deux cours à l’égard de l’exécution du traité.

Les résolutions prises par les gouvernements de la France et de la Grande-Bretagne nous furent notifiées, le 30 octobre, par les envoyés de ces puissances ; vous savez, messieurs, en quels termes.

Le gouvernement se trouve alors placé dans l’alternative de répondre, comme on l’exigeait, d’une manière formelle et satisfaisante, ou bien de rendre aux deux puissances leurs engagements pour agir par nos propres forces.

Après la démarche du 5 octobre, conséquence rigoureuse et logique du traité proclamé notre droit, comment aurions-nous pu justifier notre renonciation à la garantie que nous avions réclamée ?

En alléguant que nous n’avions pas été consultés sur les mesures à prendre et que celles concertées entre les deux cabinets ne pouvaient nous convenir ? Mais ce droit que nous nous serions alors arrogé d’imposer le choix des moyens, où était-il écrit ?

Il n’était écrit, messieurs, comme je l’ai dit tout à l’heure, ni dans l’article 25 du traité du 15 novembre 1831, ni, dans les notes du 14 novembre précédent, qui sont venues se résumer dans l’article dont je parle.

Nous avions dû nous borner à indiquer le but ; les moyens n’étaient pas de notre compétence.

D’ailleurs, les premières mesures adoptées nous paraissaient se concilier parfaitement avec la situation générale de l’Europe et de l’état intérieur de la Belgique, les deux éléments principaux du problème résolu le 22 octobre par la France et la Grande-Bretagne.

Enfin il était impossible de ne pas reconnaître dans les déterminations de ces deux puissances l’influence des déterminations si énergiquement exprimées par nous depuis six mois.

Dans cet état de choses, le gouvernement ne crut pas devoir hésiter ; il consentit à faire évacuer les territoires qui, d’après le traité du 15 novembre, ne font pas partie du royaume de Belgique, en même temps qu’il entrerait en possession de la citadelle d’Anvers et des forts de l’Escaut situés sur le territoire assigné à ce royaume.

Messieurs, quoi qu’en ait dit un honorable député dans la séance d’hier, le gouvernement n’est pas sorti, en donnant ce consentement, des limites de ses attributions ; le concours de la législature n’était nullement nécessaire. Il ne s’agissait pas d’un traité nouveau ni de modifications au traité existant, il s’agissait de l’exécution d’un traité conclu avec l’autorisation des chambres, et les deuxième et troisième paragraphes de l’article 68 de la constitution ne pouvaient trouver leur application dans cette circonstance.

Nous avons donc consenti à l’évacuation réciproque comme conséquence immédiate et nécessaire du traité du 15 novembre, comme un premier pas vers l’exécution d’un traité qui, par sa nature et le mode qu’il fallait adopter pour y arriver, ne pouvait recevoir son effet que graduellement.

Messieurs, c’est cette marche que l’on a qualifiée d’inusitée et d’absurde.

Inusitée ? Qu’importe ! Ce ne serait un reproche que si réellement la marche était absurde ; c’est donc sous ce seul rapport que je vais la considérer.

A cet égard, messieurs, je serais d’accord avec l’honorable membre, si l’exécution du traité avait lieu par la Hollande et la Belgique abandonnées à elles-mêmes. Ce serait, en effet, contrevenir aux règles du simple bon sens, que d’échanger des avantages présents, quelque précaires qu’ils fussent, contre l’espoir incertain d’avantages dont la possession ne nous serait pas garantie.

Mais, messieurs, tel n’est pas l’état des choses. Nous ne sommes pas face à face avec la Hollande ; entre elle et nous, il y un intermédiaire dont la présence blesse peut-être l’amour-propre national, mais qui n’en est pas moins là, amené par d’inflexibles nécessités contre lesquelles nous lutterions en vain : nécessités que vous avez reconnues en souscrivant au traité du 15 novembre, et en en faisant votre droit public.

Cet intermédiaire, messieurs, ce sont les puissances qui, en signant avec nous, se sont très explicitement réservé, dans les notes du 14 octobre si souvent invoquées par nous, la tâche d’en amener elles-mêmes l’exécution.

C’est à ces puissances, ou, si l’on veut, à celles de ces puissances qui ont converti leur garantie en faits, que nous nous sommes engagés à remettre les territoires, places et lieux qui, d’après le traité, doivent appartenir à la Hollande.

Craint-on que la transmission ne s’en fasse au gouvernement néerlandais avant que celui-ci n’ait formellement accepté et pris l’engagement de remplir les conditions attachées à leur possession par le traité du 15 novembre ?

Non, messieurs, il serait contraire aux stipulations renfermées dans le traité de faire remettre les territoires à la Hollande avant que toutes ces conditions n’aient été remplies.

Si, dans certaines circonstances, le ministère ne devait se faire une loi sévère de la discrétion la plus scrupuleuse, je serais à même de donner, à cet égard, à la chambre, des apaisements en quelque sorte matériels, Mais je me vois forcé de renoncer encore à ce moyen de défense, dussé-je, messieurs, m’exposer à votre désapprobation : il n’y a rien, selon moi, qui puisse dispenser l’homme d’Etat d’une réserve qui lui est commandée par les intérêts dont il est chargé.

En attendant, messieurs, que la maturité des négociations auxquelles je suis occupé me permette de confier à la publicité ce que j’ai été à même d’en apprendre, je pense que la chambre trouvera à se rassurer dans un acte que mon prédécesseur lui a fait connaître et auquel il a attaché, avec raison, une grande valeur politique.

C’est de la note de la conférence, en date du 11 juin, que je veux parler. Les conditions qui, dans l’esprit des plénipotentiaires des cinq cours, sont jointes à la possession territoriale, ne sauraient être plus formellement et plus catégoriquement exprimées. Or, messieurs, que nous importe-t-il de connaître ? Ce n’est pas comme je l’ai dit, la pensée du gouvernement hollandais avec lequel nous n’avons pas affaire ; c’est la pensée des puissances exécutrices que nos engagements ont établies intermédiaires entre la Hollande et la Belgique.

Eh bien, messieurs, cette pensée, vous la trouverez dans la note du 11 juin ; elle est aussi claire, aussi précise que vous pouvez le désirer ; cet acte est sous vos yeux : il n’est pas permis de douter que « l’évacuation complète et réciproque des territoires respectifs entre la Hollande et la Belgique ne doive assurer immédiatement à la Belgique la jouissance de la navigation de l’Escaut et de la Meuse ainsi que l’usage des routes existantes pour des relations commerciales avec l’Allemagne, aux termes du traité du 15 novembre. » Telle est l’interprétation donnée à ce traité par la conférence entière. Croyez-vous, messieurs, que nous devions attendre moins des puissances qui ont ratifié purement et simplement ce traité et qui se sont chargées de la tâche d’en amener l’exécution ?

« Par cette note, dit le rapport du 11 juillet, la conférence s’est placée sur la même ligne que la Belgique. »

Or, messieurs, c’est encore cette ligne que nous suivons, et il n’entre dans la pensée d’aucun des membres du ministère que l’évacuation territoriale réciproque entre la Belgique et la Hollande ne doive pas être accompagnée de la jouissance par la Belgique des avantages indiqués dans la note du 11 juin, comme conséquences nécessaires de cette évacuation.

C’est le sens et la valeur que le ministère a attachés à son consentement à l’évacuation réciproque. Du reste, cet événement ne peut avoir lieu sans un acte de cession qui prévoira toutes les difficultés, pour autant qu’elles ne soient pas sujettes à négociations ultérieures.

Messieurs, les craintes que je combats avaient leur source dans une erreur de fait : il aura suffi, je pense, de l’avoir rectifiée pour que l’objet de ces craintes disparaisse de vos esprits. On ne peut, je le répète, faire abstraction de l’intermédiaire placé entre la Hollande et nous ; vous l’avez admis vous-même pour des motifs d’un ordre supérieur, étranger à la Belgique, et qu’il n’y a pas de déshonneur à subir : Il y aurait maintenant danger et mauvaise foi à renier les engagements que vous avez pris alors.

N’en doutez pas, messieurs, toutes les précautions seront prises pour donner à l’évacuation le caractère formel et rassurant que les circonstances exigent. Le démembrement de deux de nos provinces est un événement devenu inévitable qu’on doit déplorer, mais qu’il faut subir. Toutefois, nous croyons pouvoir assurer que les populations de ces provinces, qui se sont si généreusement associées à notre cause, ne seront pas abandonnées sans garanties.

Le gouvernement a fixé son attention sur plusieurs questions que soulève le démembrement, et l’éventualité d’un dépôt en des mains tierces, éventualité qui se réaliserait par le refus du gouvernement néerlandais d’accepter et de prendre l’engagement de remplir les conditions attachées à la possession territoriale par le traité du 15 novembre.

Que si ce cas de dépôt venait à se présenter, il n’aura rien été négligé pour qu’au moyen d’arrangements formels et préalables, la Belgique se soit assuré à elle-même toutes les garanties nécessaires.

M. Fallon. - Messieurs, en acquiesçant, sans réserves ni protestations, à l’exécution de la convention du 22 octobre et à la sommation qui en a été la suite, le ministère a-t-il méconnu les intentions de la chambre ?... A-t-il compromis les droits et l’honneur de la nation ?

C’est à ces termes que je réduisis l’examen du système politique du gouvernement dans les délibérations de votre commission de l’adresse.

La solution de cette question n’était pas douteuse pour moi.

Cette solution ne pouvait être qu’un blâme, qu’un désaveu formel, dès lors que je n’avais à délibérer que sur les documents que le rapport du ministre des relations extérieures avait mis sous mes yeux.

Mais, renfermé dans ces documents, l’imprévoyance du ministère me paraissait tellement inconcevable, que j’aimais encore à croire qu’une combinaison diplomatique tenait secrètement en réserve le moyen d’esquiver l’évacuation simultanée avant l’adhésion de la Hollande au traité.

Sans doute les termes de la convention du 22 octobre n’étaient pas de nature à me rassurer sur ce point, mais l’écriture diplomatique ne dit pas toujours ce qu’elle comporte. Elle est ordinairement si élastique, qu’il me semblait permis de supposer l’existence de quelque expédient destiné à modifier cette convention suivant les circonstances.

Voilà ce qui explique la part que j’ai prise au langage hypothétique du projet d’adresse.

Aujourd’hui, s’il faut en croire aux reproches dirigés contre ce langage, il ne reste au ministère aucune planche de salut. L’évacuation simultanée a bien été sérieusement stipulée et consentie sans aucune ni la moindre réserve.

Dans ce cas, j’approuve l’opinion de ceux de mes collègues qui ne veulent pas d’hypothèse, et je me joins à ceux qui demandent un désaveu plus positif.

Telles sont, du reste, les considérations qui me font persister à me tenir dans cette position.

L’impérieuse, l’inflexible nécessité avait pu seule arracher à la Belgique une soumission au traité des 24 articles.

En faisant ce douloureux sacrifice à la paix de l’Europe, la Belgique avait tout au moins acquis le droit d’exiger que ce traité fût exécuté fidèlement, et de résister à tout ce qui, dans son exécution, tendrait à rendre le fardeau plus onéreux.

Les puissances signataires du traité avaient déclaré solennellement qu’il contenait des conditions finales et irrévocables.

Elles avaient pris l’engagement formel d’obtenir d’abord l’adhésion de la Hollande et « de plus » (selon les termes de l’annexe) d’en garantir l’exécution.

C’est sous la foi de ces engagements que le gouvernement fut autorisé à se soumettre au traité.

C’est à l’exécution préalable de ces engagements qu’il devait naturellement porter tous ses soins.

En se soumettant au traité, on s’était attendu, à la vérité, qu’il serait ratifié purement et simplement.

Il en fut autrement : mais les réserves ne furent pas de nature à imprimer une autre direction à la politique de notre gouvernement.

En réservant les droits de la confédération germanique sur le Luxembourg, l’Autriche ne portait aucune atteinte à l’obligation de nous procurer l’adhésion préalable de la Hollande, et de garantir, pour le surplus, l’exécution du traité.

En accompagnant sa ratification de réserves, en ce qui regardait la navigation de l’Escaut et des fleuves, l’ouverture de la route par le canton de Sittard et l’attribution de la portion de la dette, la Russie ne se dégageait pas de la condition de l’adhésion préalable.

Elle contrevenait si peu à cette condition que, dans l’acte d’échange des ratifications, les plénipotentiaires de Russie déclarèrent que les réserves n’avaient en vue qu’un arrangement de gré à gré entre la Belgique et la Hollande sur les points réservés, ce qui supposait nécessairement l’adhésion préalable de la Hollande sur tous les autres points du traité.

Les choses étaient dans cet état, lorsque, le 12 mai de cette année, le ministère communiqua aux chambres son plan de conduite.

C’est sur cette époque, messieurs, que vous devez plus spécialement porter votre attention, parce que c’est dans les actes de cette époque que le ministre des relations extérieures puisa les éléments du système politique que nous avons à juger.

Il n’y avait pas alors à se méprendre et l’on ne s’est pas mépris non plus sur ce que notre position offrait de plus avantageux dans le statu quo.

La reconnaissance de la Belgique, de sa souveraineté et de son indépendance, et par conséquent l’acquiescement de la Hollande au traité, était la condition préalable à toutes négociations sur les points renvoyés à un arrangement de gré à gré, à tout commencement d’exécution de notre part.

En un mot, nous ne devions nous dépouiller d’aucun des avantages du statu quo, en vertu du traité, avant que l’acceptation de la Hollande n’ait donné ouverture à l’exécution des obligations qu’il nous imposait envers elle.

Les réserves n’excluaient pas l’exécution partielle, et le système d’exécution partielle s’offrit d’abord à l’attention de notre gouvernement.

On pouvait arriver à cette exécution partielle par trois routes différentes.

Ou par l’action des puissances signataires du traité, ou par les armes de la Belgique, ou par le concours réciproque des deux parties intéressées.

Dans le premier cas, l’action des puissances signataires du traité ne pouvait atteindre que la partie récalcitrante. Elle laissait naturellement l’autre partie dans le statu quo, puisque vis-à-vis d’elle il y avait une obligation préalable à remplir, l’adhésion de la partie opposante.

Dans le second cas, la Belgique, agissant elle-même, ne devait naturellement déposer les armes et évacuer ses positions qu’après un traité de paix et par conséquent encore après cette adhésion.

Dans le troisième cas, l’adhésion était la conséquence nécessaire de son concours à l’exécution.

De ces trois systèmes, quel fut celui dont la chambre s’occupa à l’époque du mois de mai ?

Ce fut incontestablement du système d’exécution partielle par le concours, par le consentement réciproque des deux parties. Notre position alors nous y amenait tout naturellement.

Il ne s’agissait pas encore alors de sommer la conférence à faire exécuter le traité par des moyens coercitifs ; et il ne s’agissait d’employer nous-mêmes semblables moyens que dans le cas où le système d’exécution partielle, par le concours volontaire des deux parties, ne pouvait se réaliser dans un bref délai.

Il est évident que c’est bien dans ce sens, et pas autrement, que la chambre a dû comprendre le ministre des relations extérieures, dans son rapport du 12 mai, où il s’exprimait dans ces termes :

« Le gouvernement a arrêté son plan de conduite : les modifications ne pouvant se faire que de gré à gré, il est impossible qu'on négocie de nouveau sans le concours, la participation de la Belgique ; le gouvernement refusera de prendre part à de nouvelles négociations avant que le traité n'ait reçu un commencement d'exécution dans toutes les parties non sujettes à négociation, c'est-à-dire qu'il exigera avant tout que le territoire belge soit évacué.

« C'est un préalable indispensable, il en fait une condition sine qua non. »

Or, exiger l’évacuation du territoire belge avant toutes négociations ultérieures sur les points contestés, c’était bien exiger que la Hollande commençât par faire acte de soumission au traité, et ce n’était pas offrir, pour le cas où elle n’eût pas consenti l’évacuation du territoire belge et où cette évacuation eût été forcée, l’expropriation simultanée des territoires qui ne devaient cesser d’être belges qu’à fin de cause, puisqu’ils étaient affectés des réserves de l’Autriche.

Ce plan, que le ministère plaçait sous nos yeux, ne renfermait pas la subversion des droits acquis à la Belgique, et le droit le plus incontestablement acquis, celui qui touchait le plus à l’honneur national, celui qui dominait tout le traité, et qui avait été stipulé en première ligne, c’était d’obtenir de la Hollande un premier acte de reconnaissance, l’évacuation volontaire du territoire belge.

Il n’était pas possible de l’entendre autrement sans outrager le bon sens, car on ne conçoit pas l’idée de traiter de gré à gré sur des modifications à quelques articles d’une convention, avant que la partie avec laquelle on se propose de négocier n’ait commencé à adhérer à la convention, n’ait commencé par accepter tout au moins les points non susceptibles de négociation.

Si le ministère eût placé dans son plan ce que l’on voudrait nous y faire apercevoir aujourd’hui, s’il vous eût dit : « Vous n’aurez pas l’adhésion préalable de la Hollande ; tout restera avec elle en question, même la reconnaissance de la Belgique comme Etat indépendant ; deux des puissances signataires, sans rien vous promettre, sans rien vous garantir de plus, vous livreront la citadelle d’Anvers, moyennant qu’en échange vous consentiriez à la destruction éventuelle de la ville d’Anvers, à l’évacuation immédiate du Limbourg et du Luxembourg, à priver les habitants des provinces de la sauvegarde du traité, à les livrer comme des rebelles à la vengeance de l’ennemi, » votre indignation eût repoussé une proposition aussi révoltante, et vous eussiez répondu que si la Belgique pouvait être réduite à un semblable état d’abjection, ce ne pourrait être que par la brutalité de la violence, mais jamais par consentement volontaire.

Ce n’est donc pas là le plan qui vous fut soumis par le ministère le 12 mai, et sur lequel la chambre manifesta ses intentions dans son adresse du i4 du même mois.

La chambre n’était pas alors frappée de stupidité, elle n’avait pas fait abnégation de tout sentiment de dignité nationale.

Elle parla, dans cette adresse, un langage que le ministère ne parviendra pas à déshonorer.

Après avoir parlé des nombreux sacrifices faits à la paix générale et après avoir rappelé cette déclaration solennelle que le traité était final et irrévocable, que ni la lettre ni l’esprit ne pouvaient subir la moindre altération, et que les puissances signataires s’étaient chargées d’amener la Hollande à y acquiescer, voici comme elle s’exprime :

« Le traité sera exécuté tel qu'il a été conclu. Ce n'est qu'après cette exécution qu'il pourrait être question d'ouvrir les négociations dont parlent les réserves, et ces négociations doivent dépendre du libre consentement des peuples belge et hollandais. Le gouvernement comme le pays n’a pu le comprendre autrement… Le traité sera exécuté, notre territoire sera évacué. »

Exiger que le traité soit exécuté tel qu’il avait été conclu, c’était bien insister sur l’adhésion préalable, sur la condition préalable qui dominait tout le traité.

Dire que ce n’était qu’après cette exécution qu’il pourrait être question de traiter de gré à gré sur des modifications, c’était bien rester dans l’hypothèse d’une exécution volontaire, et, à moins de dénaturer le sens des termes, il faut bien qu’en demandant l’évacuation du territoire belge, la chambre n’ait entendu parler que d’une évacuation acquiescée par la Hollande, puisqu’elle témoignait en même temps de la volonté de faire opérer cette évacuation par les armes belges et non par l’intervention étrangère, en offrant au gouvernement les nouveaux sacrifices et les charges nécessaires pour atteindre ce but.

Il ne s’agissait donc pas là d’une évacuation opérée par le secours de l’étranger, ni, par conséquent, d’une évacuation simultanée pour une hypothèse dont la chambre ne s’occupait nullement.

Tel fut, messieurs, notre langage. Il faut une loi bien robuste dans les ressources des subtilités diplomatiques pour oser entreprendre de nous faire reconnaître là le plan qui se déroule actuellement sous nos yeux.

Aussi, voyez, messieurs, à quelles arguties on se livre en désespoir de cause.

D’abord, par un bizarre renversement d’idées, on veut interpréter l’adresse de la chambre du 14 mai par la fameuse note du 11 mai dont la chambre n’avait pu obtenir la communication malgré tous les efforts de plusieurs de ses membres, et l’on se fourvoie au point de ne pas même réfléchir que cette note est d’ailleurs parfaitement en harmonie avec les intentions manifestées par la chambre, dans son adresse, sur le principe d’évacuation partielle, mais volontaire, mais opérée de gré à gré.

Veuillez, messieurs, prêter votre attention au passage suivant de cette note :

« Si le roi des Belges pouvait se montrer disposé à ouvrir des négociations sur ces derniers points (les réserves), ce ne pourrait être qu’après que le traité aurait reçu un commencement d’exécution dans toutes les parties à l’abri de controverse ; ce commencement d’exécution consisterait au moins dans l’évacuation du territoire belge ; jusque-là S. M. ne peut prendre part à aucune négociation nouvelle. Elle doit, en outre, à la bonne foi qui a caractérisé toutes ses relations politiques, de déclarer que, dans les négociations qui pourraient s’ouvrir après l’évacuation du territoire, son gouvernement ne pourrait accepter de changements à quelques dispositions du traité que d’après les principes d’une juste compensation. »

Cette note est tout à fait dans le principe d’un commencement volontaire d’exécution, et, à coup sûr, cette juste compensation, si dignement réservée, n’est pas celle que le ministère a acceptée en acquiesçant à l’exécution de la convention du 22 octobre.

Cette note est donc tout à fait déplacée dans la défense du ministère.

Nous n’avons pas à nous arrêter davantage aux instructions, notes et dépêches des 25 mai, 15 juin, 3 et 11 juillet, que le ministre des relations extérieures a invoquées comme pièces justificatives de sa conduite, puisque ces pièces ne nous ont point été communiquées et que, par conséquent, il ne nous est pas possible d’en débattre le contenu.

Alors qu’il convient lui-même, dans son rapport, qu’il a cru devoir dévier du système du précédent ministère, il est indifférent de s’occuper des instructions et des directions qu’il a pu recevoir de ce ministère. La question pour nous, n’est pas là. Elle consiste à savoir si c’est la chambre qui a posé les bases du fatal système que nous combattons.

C’est donc exclusivement dans les actes que la chambre a été appelée à apprécier qu’il faut resserrer la discussion.

Or, interrogez, messieurs, ces documents, et vous n’y trouverez pas le moindre élément de la responsabilité que l’on veut faire peser sur la représentation nationale.

Dans sa note du 1er juin, le général Goblet se référait à la note précédente de M. Van de Weyer du 7 mai, et il ajoutait que son gouvernement avait pris la résolution de ne participer à aucune négociation sur les points qui font l’objet des réserves avant l’évacuation du territoire irrévocablement acquis à la Belgique.

Ceci devait nécessairement s’entendre dans le sens de cette note du 7 mai, à laquelle il se référait, et où il était dit : « Avant que la citadelle d’Anvers soit remise aux autorités militaires belges et la libre navigation rendue à la Meuse. »

A coup sûr, il s’agissait bien là encore d’un premier acte d’acquiescement volontaire de la part de la Hollande au traité, et non pas d’une exécution forcée qui n’emporterait pas acquiescement ; et non pas de l’expropriation préalable et volontaire, de la part de la Belgique, de toutes les garanties dont elle était en possession.

Obtenir de la Hollande l’évacuation volontaire du territoire belge en exécution du traité, c’était peut-être se soumettre à évacuer de notre part, et simultanément, les portions de territoire qui devaient lui retourner.

Mais cette soumission n’était pas la conséquence nécessaire d’une évacuation forcée.

Dans le premier cas, il y avait de sa part adhésion au traité, acte formel de reconnaissance de notre souveraineté et de notre indépendance, et il fallait alors nous exécuter envers elle.

Dans le second cas, nous ne recevions rien d’elle et par conséquent nous n’avions encore rien à lui donner.

Cette distinction entre l’évacuation forcée et l’évacuation volontaire de la part de la Hollande n’avait échappé à notre ministère ni surtout au générai Goblet. Elle est en action dans sa note du 8 juin

Voici les termes de cette note :

« En demandant derechef l'évacuation immédiate du territoire belge, le soussigné prendra la liberté d'ajouter, d'après les nouvelles instructions reçues de sa cour, que l'impossibilité de négociations ultérieures étant constatée par les communications des plénipotentiaires des Pays-Bas, il y a lieu de fixer l'époque très prochaine où le traité du 15 novembre recevra son exécution dans toute sa plénitude par l'emploi des mesures qui résultent des engagements contractés par les notes du 15 octobre 1831, annexées au traité. »

Or, interrogeons ces annexes et elles nous répondront que, dans aucun cas, la Belgique ne pouvait être tenue à exécuter le traité pour partie, et encore moins pour le tout, avant que les puissances ne nous aient procuré l’adhésion de la Hollande.

Le général Goblet restait bien là sur le terrain du traité. Les puissances étaient sommées de satisfaire à leurs obligations, et procurer l’adhésion de la Hollande par l’évacuation immédiate du territoire belge, sinon de prendre les mesures, non pas pour l’exécution partielle du traité, mais pour son exécution dans toute sa plénitude.

Lisons maintenant le protocole de la conférence du 11 juin, et nous verrons que les puissances elles-mêmes ne l’entendaient pas autrement,

La conférence y dit qu’elle est en instance près de S. M. le roi des Pays-Bas :

1° Pour conduire aussitôt que possible à l’évacuation complète et réciproque des territoires respectifs entre la Belgique et la Hollande

2° Pour amener un état de choses qui assure immédiatement à la Belgique la jouissance de la navigation de l’Escaut et de la Meuse, ainsi que l’usage des routes existantes pour ses relations commerciales avec l’Allemagne aux termes du traité du 15 novembre ;

3° Pour établir, quand l’évacuation réciproque aura été effectuée, des négociations à l’amiable entre les deux pays sur le mode d’exécution ou la modification des articles au sujet desquels il s’est élevé des difficultés.

A moins de vouloir contester les choses les plus évidentes, il est impossible de ne pas reconnaître qu’il ne s’est agi là que d’une évacuation mutuelle qui s’opérerait par le concours de la volonté des deux parties.

Si le mot « réciproque » pouvait avoir une autre acception, le langage du protocole la repousserait.

Etre en instance près du roi des Pays-Bas pour conduire à l’évacuation réciproque, c’est bien dire sans doute qu’on est en instance pour l’amener à concourir volontairement à cette évacuation.

Et puis, en supposant même que la conférence eût entendu le mot « réciproque » dans un autre sens, c’est-à-dire pour le cas d’une évacuation forcée, encore cette évacuation devait-elle être immédiatement accompagnée, pour la Belgique, de la navigation de l’Escaut et de la Meuse, ainsi que de l’usage des routes existantes pour ses relations commerciales avec l’Allemagne aux termes du traité.

Mais c’est faire trop d’honneur à une semblable argutie. On ne parviendra pas, messieurs à vous faire comprendre que l’évacuation réciproque dont parle ce protocole n’est pas une évacuation volontairement consentie par les deux parties intéressées, et que ce n’est pas aussi dans ce sens que le général Goblet insistait sur l’évacuation réciproque dans sa note postérieure du 7 juillet.

Voilà bien quelle était la portée et les limites du système d’évacuation préalable que M. de Muelenaere, alors ministre des affaires étrangères, remit de nouveau sous les yeux de la chambre, dans son rapport du 12 juillet, en nous rappelant que ce système était le nôtre, et en ajoutant que le gouvernement n’en dévierait point.

Il n’en déviait pas encore le général Goblet dans la note qu’il a remise à la conférence le 30 juillet, où il disait que si le gouvernement hollandais acceptait sans condition, le gouvernement belge, sans égard aux retards apportés à l’exécution, se soumettrait à l’application de l’article 24 du traité, mais que jusque-là le cabinet de Bruxelles ne pouvait que persister dans la marche qu’il avait cru devoir adopter.

Il restait bien là encore dans les termes du principe qu’aucune évacuation de notre part ne pouvait être exigée avant l’adhésion de la Hollande aux bases du traité,

Comment se fait-il qu’il en a ensuite répudié l’application ?

Je désire n’en attribuer la cause qu’à l’imprévoyance.

La convention du 22 octobre apparaît ; il ne s’y agit plus d’évacuation volontaire, mais d’évacuation forcée.

Il ne s’agit plus d’aucune adhésion préalable de la Hollande aux bases du traité.

Il s’agit d’opérer par la force des armes l’évacuation de la citadelle d’Anvers, et rien absolument de plus.

Il s’agit, pour cela faire, d’obtenir du gouvernement belge qu’il consente à la remise éventuelle de la ville d’Anvers, à s’exproprier sur-le-champ de Venloo, du Limbourg et du Luxembourg ; abandonner les habitants de ces provinces, sans la sauvegarde du traité, à la vengeance de celui qui persiste à les considérer comme rebelles et à placer volontairement le pays dans une position bien plus funeste.

Et ce consentement est donné sans aucune ni la moindre réserve, sans aucun ni le moindre rappel à l’exécution des engagements contractés.

La sommation est faite, et l’on y répond par une soumission pure et simple.

Comment donc s’est-il fait qu’au moment où le ministère a connu la convention du 22 octobre il n’ait pas été frappé des funestes résultats que son exécution pouvait amener pour la Belgique ?

Comment n’a-t-il pas vu que le but unique de cette convention était de nous livrer la citadelle d’Anvers et, rien de plus ? Que la question pour nous n’était pas dans cette citadelle mais dans l’Escaut ? Qu’en nous livrant la citadelle, la question ne serait que déplacée et non résolue ? qu’elle se retrouverait naturellement à Flessingue ?

Comment ne s’est-il pas aperçu que pour un résultat aussi stérile, il offrait éventuellement la ville d’Anvers en holocauste à la rivalité d’Amsterdam et de Rotterdam, il dépouillait la Belgique de toutes ses garanties territoriales, il privait les habitants du Limbourg et du Luxembourg de la sauvegarde du traité, en les livrant à la vengeance de l’ennemi au moment même où l’on allait exalter son irritation ?

Comment, alors que les derniers actes de la conférence laissaient entrevoir, aux yeux les moins clairvoyants, que l’harmonie avait cessé de régner dans cet aréopage, n’a-t-il pas calculé les chances d’un changement de politique, et qu’après avoir placé la Belgique dans une position beaucoup plus défavorable par le morcellement du Limbourg et du Luxembourg, on parviendrait plus aisément à la soumettre à de nouvelles exigences ?

Comment enfin, en présence d’aussi graves considérations, a-t-il pu négliger de rappeler aux puissances signataires de la convention du 22 octobre que l’évacuation forcée de la citadelle d’Anvers était bien la conséquence de la garantie promise pour l’exécution du traité, mais non l’exécution de l’obligation principale et préalable de procurer à la Belgique l’adhésion de la Hollande, et que jusque-là nous avions incontestablement le droit de rester en possession du Limbourg et du Luxembourg ?

Comment a-t-il pu garder le silence sur un point aussi important, alors que la sommation même du 30 octobre lui ouvrait la bouche et lui disait, en propres termes, que la convention du 22 octobre avait pour objet, non pas seulement l’exécution du traité, mais bien l’acceptation et l’exécution ?

C’était donc bien le cas de dire que l’on consentait à l’exécution, et qu’aussitôt l’acceptation on évacuerait de son côté.

Je sais que l’on peut répondre à tout cela qu’il faut avoir confiance dans les deux cabinets qui entreprennent l’exécution forcée du traité ; qu’ils ne se borneront pas à un simple commencement d’exécution, et que l’adhésion de la Hollande viendra après.

Au prix de quels nouveaux sacrifices cette adhésion nous viendra-t-elle ?... Je l’ignore. Mais vous vous direz sans doute, messieurs, que lorsque la confiance repose sur des droits et des garanties, la prudence exige de les conserver.

Si, pour justifier une conduite aussi inconsidérée ; si, pour se décharger de la responsabilité des événements qui menacent le pays, le ministère n’a pas autre chose à nous dire, sinon que telles sont les conséquences du système politique adopté par la chambre, vous repousserez avec indignation, messieurs, une semblable accusation ; et si le projet d’adresse ne satisfait pas à vos vœux, ce ne sera sans doute qu’à raison que la protestation qu’il renferme ne vous paraîtra pas assez énergique.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, nous nous sommes annoncés dans cette chambre comme étant sous certains rapports les continuateurs du système proclamé par le ministère précédent, et applaudi dans l’une et dans l’autre chambre, Nous nous sommes déclarés les continuateurs de ce système, mais dans ce sens que ce que le ministère précédent avait annoncé, nous l’exécutons ; que ce qui n’était pour lui qu’un principe est par nous devenu un fait. Le précédent ministère avait dit qu’il ne consentirait à participer à aucune négociation avant l’évacuation préalable du territoire. Eh bien, prenez ce système à la lettre, et de bonne foi dites si nous ne réalisons pas aujourd’hui ce que nos prédécesseurs avaient promis, ce que M. de Muelenaere n’aurait pu annoncer sans rencontrer ici beaucoup d’incrédules.

Peu imposte, du reste, que nous soyons ou non les continuateurs du système, ou même les exécuteurs des vœux de la chambre ! Le système est-il bon ? Est-il favorable aux intérêts de la Belgique ? Toute la question est là.

Mais, avant tout, quel est ce système ? Le voici, clairement posé. Obtenir par les puissances ou par nous-mêmes la fin du statu quo, et, sinon l’exécution littérale du traité du 15 novembre, du moins un état de choses conciliable avec ce traité. Voilà ce que nous avons voulu, ce que nous avons dû vouloir. Avons-nous fléchi, biaisé dans ce système ? Non, messieurs, et nous ne l’aurions pu, l’eussions-nous désiré. Lisez, pour vous en convaincre, les conditions sous lesquelles le nouveau ministère s’est constitué ; et voyez comment sont conçues les instructions données par lui à nos plénipotentiaires de France e d’Angleterre. Je ne sais, messieurs, si vous avez fixé votre attention sur la note verbale du 23 octobre, remise au ministère du roi des Français par l’envoyé extraordinaire du roi des Belges. Là se trouve exposé le système tout entier du ministère. Je demande la permission de lire quelques parties de cette note :

« Par suite d’un arrêté royal en date du 20 octobre, le nouveau ministère se compose aujourd'hui de MM. le général Goblet, ministre des affaires étrangères, Lebeau, etc.

« Le ministère n'a pu se dissimuler combien étaient graves et pressantes les circonstances dans lesquelles il est appelé à prendre la direction des affaires. Il s'est formé et se constitue sous des conditions très précises, très rigoureuses, qui ressortent comme conséquences nécessaires de la situation du pays et du changement apporté récemment dans le système de politique extérieure. Il a dû prendre en considération plusieurs faits décisifs qui ont en dernier lieu nettement dessiné la position du gouvernement belge et celle de la conférence de Londres vis-à-vis de la Hollande.

« Le Roi, en adhérant au traité du 15 novembre, a, dans l'article 25 additionnel, accepté la garantie que les puissances avaient offerte à la Belgique dès le 15 octobre 1831, lorsqu'elles se réservaient la tâche et prenaient l'engagement de le faire exécuter. Il est constant depuis lors, que les puissances ont épuisé près du cabinet de La Haye, avec une longanimité presque sans exemple, tous les moyens d'obtenir non seulement l'exécution de ce traité, mais même son acceptation. Une dernière expérience vient de faire disparaître l'obstacle que le gouvernement néerlandais avait su créer par l'offre d'une négociation directe avec la Belgique.

« Tout espoir d'arrangement, après des tentatives si souvent et si vainement répétées, ne seraient aujourd'hui qu'une illusion ; tout ajournement nouveau, qu'un danger de plus.

« Le cabinet de Bruxelles, par sa note du 5 octobre, a réclamé de la France et de la Grande-Bretagne l'accomplissement de la garantie promise. »

Remarquez bien, messieurs, que le ministre n’a jamais demandé une demi-exécution du traité, mais qu’il en a toujours demandé l’exécution complète. Mais encore faut-il commencer par le commencement. (On rit.) Oui, messieurs, c’est cela.

« Plein de confiance dans la haute loyauté de ces gouvernements, et dans les assurances qu'il avait reçues, il s'est abstenu de fixer dans cette note le terme passé lequel la Belgique, en cas d'inaction des puissances, devait se considérer comme abandonnée à elle-même.

« Mais peu de jours nous séparent de l'époque de l'année où l'emploi des seuls moyens efficaces de contrainte devient impossible, et aucune mesure coercitive n'est encore commencée.

« Le nouveau ministère n'a consenti à subir la responsabilité de sa position qu'avec la ferme résolution d'accomplir les grands devoirs qu'elle lui impose. Le malaise intolérable du pays, la résistance chaque jour plus prononcée du gouvernement néerlandais, et la saison avancée à laquelle nous touchons, ne permettent plus au gouvernement belge de laisser subsister des doutes sur le terme où commencera pour lui, à défaut de l'intervention des puissances, l'impérieuse obligation d'employer ses propres forces.

« C'est par ces motifs et dans ce but, que le ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges a l'honneur de confirmer à S. Ex. M. le duc de Broglie, la déclaration qu'il lui a faite, que son gouvernement sera dans l'impossibilité absolue de prolonger l'attente dans laquelle il se trouve au-delà du 3 novembre prochain ; que si ce jour arrive, sans que la garantie stipulée ait reçu son exécution, ou au moins un commencement d'exécution, Sa Majesté se verra dans la nécessité de prendre possession par ses propres forces du territoire belge encore occupe par l'ennemi.

« Telle est donc la condition d'existence du nouveau ministère : évacuation du territoire pour le 3 novembre ou un commencement actif d'exécution, soit par l'action des puissances, soit par celle de l'armée nationale. Il ne peut se soutenir au-delà de ce terme si l'une ou l'autre de ces deux hypothèses ne se réalise pas ; ce n'est là de sa part ni une volonté arbitraire, ni un vain engagement ; c'est la loi irrésistible de sa position ; c'est celle qu'imposent aujourd'hui en Belgique à tout ministère quel qu'il soit l'état intérieur du pays et la force des choses. »

Ainsi vous voyez que, pour rester fidèles au système tracé dans cette note, nous avions le choix entre deux moyens : obtenir des puissances l’exécution ou au moins un commencement d’exécution du traité pour le 3 novembre, ou bien faire exécuter le traité par nous-mêmes.

Les faits qui ont suivi la remise de cette note vous sont connus. On n’a pas voulu que nous agissions par nous-mêmes, et on a dû agir avant le 3 novembre pour suspendre l’effet de nos déterminations, j’allais presque dire de nos menaces. La France et l’Angleterre se sont mises en mesure de nous satisfaire la veille du jour fixé par nous comme délai fatal.

Je ne pense pas, messieurs, qu’il soit possible de faire à notre système le reproche d’être timoré. Il n’y aurait pas grand mérite à un ministère de donner le signal des combats. Il est fort commode, sans doute, à un ministère assis dans son fauteuil ou à un député sur son banc de dire : Le moment est arrivé que les massacres commencent. Il n’est pas besoin d’être très courageux pour cela. Je voudrais donc que quand des hommes qui, d’ailleurs, ont fait leurs preuves dans l’occasion, viennent défendre les moyens qui seuls peuvent sauver le pays, je voudrais, dis-je, qu’on supprimât ces mots si durs à entendre, et qui font un si mauvais effet à l’intérieur et à l’étranger, ces mots de lâcheté, astuce, perfidie.

Avant donc d’en venir aux conséquences plus ou moins rapprochées, plus ou moins subtiles, plus ou moins probables du fait que nous avons posé, il faut prendre ce fait en lui-même, tel que nous vous l’apportons.

Etes-vous pour, êtes-vous contre l’intervention armée des puissances ? Vous avez beau reculer devant la question, dire que vous ne pouvez l’apprécier que par ses résultats, c’est toujours le fait principal, le corps du délit, la matière de l’accusation.

Une fois l’intervention requise, les moyens n’étaient qu’indirectement de notre domaine ; les parties intervenantes ont déclaré qu’elles commenceraient par l’évacuation du territoire. C’est ce fait que nous allons examiner.

Je suppose que, par une imprévoyance inconcevable de notre part, nous eussions consenti à remettre au roi de Hollande les territoires cédés, sans avoir obtenu des garanties pour l’exécution des clauses du traité qui concernent ces territoires ; eh bien, je le dirai avec franchise, en ce cas même, l’évacuation sans condition ne serait ni si infiniment désavantageuse, ni si souverainement désastreuse que l’a dit M. Dumortier.

La prise de la citadelle d’Anvers (et remarquez que ce fait d’armes, qu’on traite si cavalièrement, n’est pas encore accompli), la prise de la citadelle d’Anvers nous apporte avec elle la sécurité rendue à la ville la plus importante de nos provinces (mouvement). Je répète le mot : « sécurité ; » car, messieurs, il faut avoir vécu à Anvers même, s’être senti chaque jour, à toute heure, menacé de l’incendie, de la mort, pour apprécier à sa juste valeur l’avantage d’être à jamais délivré d’un tel tourment. C’était une position cruelle, au point qu’aujourd’hui, par une réaction à peine concevable, les habitants de cette malheureuse ville appréhendent moins un bombardement prochain que le tourment de chaque jour, de chaque heure, et la crainte perpétuelle d’un bombardement purement éventuel.

La citadelle évacuée, plus de bombardement à redouter, plus de menaces d’incendie ; l’état de siège, que j’approuve, tant que cette mesure exceptionnelle est nécessaire au pays, mais que je condamnerais en thèse générale, va cesser de peser sur cette ville.

Si nous voulions, comme l’ont fait quelques orateurs, traiter aussi le côté sentimental de la question, je vous représenterais les deux ou trois mille arpents de terre submergés par les Hollandais, des villages engloutis sons les eaux, des populations entières ruinées, malheureuses, mendiantes. Pourquoi ces populations dont on a négligé de vous entretenir, ne vous inspireraient-elles pas aussi quelque pitié ? Faut-il que tant de propriétés riches, florissantes, soient dédaignées pour conserver quelques mois de plus des territoires que les traites ont séparés de nous ?

Je vous avoue que, quant à l’importance de la citadelle d’Anvers comme position militaire, je ne peux partager l’avis d’un honorable membre, dont au reste je ne mets nullement en doute les connaissances stratégiques. Il me semble qu’une citadelle qui jouit en Europe de quelque célébrité, placée au cœur du pays, à 8 lieues de la capitale, est un point dont l’importance pour nous n’est guère contestable. Songez que du côté opposé nous avons aussi une citadelle, qui place l’armée belge entre deux ennemis, retranchés derrière leurs murailles. Je ne parle pas des forts de l’Escaut, dont l’orateur auquel je fais allusion fait peu de cas, peut-être parce qu’il possède quelque moyens miraculeux de les mettre en notre pouvoir. J’ajouterai enfin que la citadelle occupe une partie considérable de nos forces qui pourraient activement remplir leurs devoirs ailleurs.

Messieurs, je viens de vous exposer quels seraient pour nous les avantages, en quelque sorte matériels, de l’évacuation d’Anvers. Mais voyons les choses d’un peu plus haut.

Pourquoi l’Europe, depuis deux années, a-t-elle les yeux fixés avec intérêt, avec anxiété, sur la citadelle ? Parce que la réflexion des hommes d’Etat, aussi bien que l’intérêt des peuples, a fait comprendre aux uns et aux autres que là, c’est là que le principe de l’absolutisme est venu se réfugier et faire face par des moyens bien dignes de lui au principe insurrectionnel. Oui, traitez avec dédain quelques pans de muraille, mais regardez-y bien ; c’est dans l’enceinte de ces murailles que le duel entre les deux principes va se décider ; c’est là que l’alliance de deux grands peuples sanctionnera les principes insurrectionnels par lesquels nous existons. C’est ce que le roi Guillaume a compris beaucoup mieux que vous, le roi Guillaume, qui maintes fois a déclaré qu’il ne serait pas assez fou pour se dessaisir d’un tel gage.

Ce résultat est beau, me dira-t-on ; mais pourquoi recourir à l’intervention étrangère ? Pourquoi ne pas faire les choses par nous-mêmes ? Pourquoi nous traîner à la remorque d’un ministère doctrinaire ? Je dirai d’abord, en passant, que je ne partage pas pour le parti doctrinaire cette répugnance que d’autres professent. Si, parce que le gouvernement belge s’est adressé au gouvernement français pour demander l’exécution du traité, on veut qu’il se soit mis aux pieds du ministère doctrinaire, nous le voulons bien ; ou si par là on entend que le gouvernement belge professe pour le gouvernement de France l’estime et la déférence que méritent des hommes qui brillent entre les premiers de l’Europe par les talents ou le caractère, ou bien encore, si par là on veut exprimer que le gouvernement n’a pas plus de raison de s’aliéner le gouvernement français, fût-il vingt fois plus doctrinaire, que de s’aliéner le gouvernement anglais, auquel on voudra bien cependant faire l’honneur de penser que lui ne se laisse pas traîner à la remorque.

Au surplus, j’aime autant les doctrinaires que nos prétendus amis du mouvement, qui professent pour nous une si grande tendresse qu’ils nous étoufferaient, je crois, dans leurs étreintes, dussent leurs bras s’étendre jusqu’aux frontières naturelles du grand empire. (On rit.) Au reste, si quelque chose dans cette discussion avait droit d’étonner le ministère français, ce serait d’entendre accuser le ministère belge de flexibilité à son égard.

Ici, vient se placer le reproche de n’avoir pas appelé l’armée belge à coopérer aux moyens de coercition. Vous laissez vos soldats l’arme au bras, nous dit-on, lorsque l’armée française est appelée à cueillir des palmes sur le champ de bataille. L’armée belge est flétrie ! Messieurs, l’armée ne sera pas déshonorée parce qu’elle fera ce qu’exigent les vrais intérêts du pays.

Il faut bien d’ailleurs, qu’on le sache : le gouvernement belge n’a pas renoncé à la guerre ; le rôle de l’armée est tracé. Quel est ce rôle ? De rester spectatrice d’un fait qui ne la regarde pas ; mais de ce fait, il peut sortir mille occasions pour elle de montrer ce qu’elle vaut. La première agression contre nous par les Hollandais, c’est notre armée qui est chargée de la réprimer. Ceci veut dire si une seule bombe était dirigée sur la ville d’Anvers, à l’instant nos canons répondraient à l’attaque ; si les Hollandais mettaient le pied sur le territoire, l’armée belge se chargerait de les refouler sur le leur.

- Plusieurs voix. - Ils y entrent tous les jours.

M. F. de Mérode. - Quelques avant-postes ne sont pas une armée.

M. le président. - Messieurs, n’interrompez pas l’orateur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Cinq ou six personnes m’interpellent à la fois ; on comprend facilement qu’il ne m’est pas possible de répondre à tous en même temps. Que ces messieurs m’interpellent l’un après l’autre, je répondrai.

M. Osy. - En ce cas, je demande la parole.

M. Gendebien. - Je demande aussi la parole.

M. H. de Brouckere. - Laissez continuer l’orateur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Voilà, messieurs, quel sera le rôle de l’armée belge, et je suis bien aise de le dire ici et pour elle et pour l’armée française. Nous ne mettons pas en doute le courage de nos soldats, pas plus que leur dévouement et leur esprit de discipline.

Jusqu’ici, messieurs, j’ai considéré l’évacuation des territoires dans l’hypothèse la plus défavorable, celle où on les abandonnerait à la Hollande sans condition aucune de la part de la Belgique. Mais de ce qu’on a dit que l’exécution du traité commencerait par l’évacuation des territoires, on n’en peut conclure que le roi de Hollande prendrait possession de ces territoires sans avoir rempli les conditions stipulées par le traité.

On soutient que le gouvernement belge a abandonné le sort de ces populations sans même les garantir des réactions. On se figure qu’un ministère n’a pas sa part de responsabilité ; que, parce qu’on arrive au pouvoir, on a renoncé à tous les nobles sentiments ; qu’on n’a plus nul souci de l’honneur et des intérêts du pays. Venir blâmer le ministère sans savoir ce qu’il fera, je dis que c’est là un blâme immérité. Il y aurait injustice à flétrir même éventuellement des actes qu’on ne connaît pas.

M. Gendebien. - Lisez donc la note du 2 novembre.

M. le président. - L’orateur ne doit pas être interrompu.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Voilà deux jours et demi que nous avons écouté tous les orateurs avec la plus grande patience : je suis surpris qu’on nous interrompe sans cesse. J’ai fini, au surplus ; il ne me reste plus que quelques mots à dire. Messieurs, si on vient à douter de la dernière déclaration que je viens de faire, et qui n’est que le résumé de ce que vous a dit M. Goblet, qu’on veuille bien lire la note du 11 juin : je m’adresse à tous ceux qui ne sont pas trop passionnés en ce moment, pour juger avec impartialité.

M. de Muelenaere. - Les opinions émises sur par les deux derniers préopinants, opinions diamétralement opposées entre elles sur le sens et l’esprit du système adopté précédemment par le gouvernement et les chambres, m’obligent d’entrer dans quelques explications générales que j’aurais désiré pourvoir supprimer. Toutefois je serai bref. Je ne suivrai pas dans leurs raisonnements ceux de nos honorables collègues qui se sont débarrassés des entraves que mettait à leurs combinaisons politiques le traité du 15 novembre. Ce traité, à leurs yeux, n’existe pas ; la Belgique peut et doit le répudier. Heureusement la grande majorité de cette assemblée, en abordant plus franchement les difficultés, a reconnu que le traité du 15 novembre était encore obligatoire pour nous, et que ce traité, pour nous servir de leurs expressions employées dans l’adresse, était devenu le droit de la Belgique, la constitution, la charte de notre politique extérieure.

C’est en partant de ce principe que le traité du 15 novembre existe encore dans toute sa force, que je vais examiner successivement les conséquences qui en découlent logiquement, en tant que ces conséquences se trouvent en rapport avec les objets traités dans cette assemblée.

Le mode et l’époque de l’évacuation du territoire, a-t-on dit, sont fixés par un article du traité du 15 novembre ; le gouvernement n’a pas pu, sans l’intervention de la législature, changer ni l’époque, ni les conditions de cette évacuation. En effet, messieurs, l’article 24 du traité du 15 novembre porte : « Qu’aussitôt après l’échange des ratifications du traité à intervenir entre la Hollande et la Belgique, les commandants des troupes respectives recevront les ordres nécessaires pour l’évacuation des territoires, lieux et places qui changent de domination. »

Voilà les mots de l’article 24.

Mais vous n’avez pas perdu de vue, messieurs, que les articles du traité du 15 novembre, d’après les notes qui les accompagnent, notes qui ont toujours été censées faire partie intégrante du traité même, notes sur lesquelles sont basées et les adresses des chambres, et les principaux actes du gouvernement ; vous n’avez pas perdu de vue que, d’après ces notes, les articles du traité constituent une convention solennelle entre la Belgique et les puissances.

Une fois adoptés par les deux parties, ces articles étaient destinés à être insérés mot pour mot dans le traité entre la Hollande et la Belgique. C’est évidemment, messieurs, de ce traité à intervenir, c’est-à-dire, de ce traité postérieur, entre la Hollande et la Belgique, qu’il est parlé dans l’article 24.

Je vous demanderai maintenant si c’est là la position dans laquelle nous nous trouvons ? Il n’est pas vrai qu’en donnant à l’article 24 une interprétation aussi rigoureuse, aussi restreinte, il en résulterait, comme conséquence nécessaire, qu’il dépendrait du roi de Hollande de reculer, par son refus, l’époque de toute évacuation possible du territoire ?

D’autres questions infiniment plus graves ont été, à l’occasion de la rédaction de l’adresse, discutées dans cette enceinte. Je vais les examiner successivement. Je vous dirai surtout de ne pas préjuger mon opinion. Pour parvenir à leur solution, je me sens forcé de remonter à l’époque du mois de mai dernier.

Vous savez que le gouvernement russe, à cette époque, avait ratifié sous certaines réserves le traité du 15 novembre. La conduite du cabinet russe avait fait concevoir au gouvernement et aux chambres des inquiétudes sérieuses. On craignait avec raison que les puissances du Nord, qui ont toujours eu une prédilection assez marquée pour la Hollande, on craignait que ces puissances ne voulussent s’emparer des réserves russes pour entraîner le gouvernement belge dans une nouvelle voie de concessions préjudiciables aux intérêts de la Belgique. C’est cette crainte qui donna naissance au système qui fut exposé aux chambres dans le rapport du 12 mai, et qui fut successivement approuvé par elles dans leurs adresses respectives,

Or, messieurs, quels sont les éléments de ce système ? Nous devons tâcher de les réduire à leur plus simple expression.

Avant tout, évacuation du territoire ; c’était là la question sine qua non, c’était un préalable indispensable. Nous examinerons plus tard si cette évacuation devait être volontaire, si elle pouvait être forcée, et, dans ce cas, quelles devaient être les conséquences de l’évacuation forcée. Je dis donc : « Avant tout, évacuation du territoire, » condition indispensable.

La Belgique, d’après ce système, devait se refuser obstinément à toute négociation ultérieure aussi longtemps que le territoire belge n’aurait pas été complétement évacué. On admettait cependant la possibilité, dans ce système ainsi que dans les adresses, les réponses du Roi, dans tous les actes diplomatiques, on admettait la possibilité de négociations ultérieures, mais seulement après l’évacuation du territoire et seulement sur les articles du traité du 15 novembre qui n’étaient pas susceptibles par eux-mêmes d’une exécution immédiate.

De crainte, messieurs, que ces négociations ultérieures ne tournassent encore plus tard au détriment de la Belgique, vous vous rappelez tous que le gouvernement avait déclaré d’avance, d’une manière formelle, deux choses :

Premièrement : C’est que les négociations dont il était parlé dans les réserves russes ne pouvaient s’entendre que de négociations de gré à gré entre la Hollande et la Belgique.

Deuxièmement : C’est que le gouvernement belge ne consentirait à négocier (en se basant toujours sur le traité du 15 novembre comme étant devenu son droit irrévocable par les ratifications), c’est que le gouvernement belge ne consentirait à négocier que d’après les principes d’une juste compensation.

Troisièmement : C’est que le gouvernement belge, si les propositions faites par la Hollande étaient jugées par lui non exécutables, se réserve l’exécution pleine et entière des articles du 15 novembre.

Voilà l’exposé, brièvement, successivement présenté, des bases principales du système qui, depuis le mois de mai jusqu’au mois de septembre, a dirigé le gouvernement.

Depuis lors, et jusqu’au 17 septembre dernier, le gouvernement a suivi religieusement les engagements qu’il avait contractés.

C’est surtout, messieurs, depuis la clôture de la session des chambres que le ministère dont j’ai eu l’honneur de faire partie s’est obstiné à suivre ce système littéralement, à le pousser, autant qu’il a dépendu de lui, jusque dans ses dernières conséquences. Jamais il n’en a dévié en rien. Lorsqu’enfin il a reconnu qu’il était impossible, dans l’état actuel des choses, d’amener les puissances à l’exécution du traité du 15 novembre, par suite de la tactique même de notre ennemi, qui ne se montrait disposé à négocier que parce que nous nous étions placés peut-être dans l’impossibilité d’y parvenir, le ministère s’est retiré. Nous, nous sommes retirés avec la conscience d’avoir été fidèles à tous les engagements contractés envers les chambres. (Adhésion). Et je défie qu’on me cite un acte qui ne soit pas en rapport avec nos promesses et avec nos engagements. (Adhésion générale.)

Je ne veux pas faire retomber un blâme sur la conduite de mon successeur ; loin de là ; je sais qu’il n’a été déterminé que par une conviction profonde et par un dévouement aux intérêts de son pays. Il était dans une position différente de la nôtre ; il n’avait pas pris comme moi des engagements solennels, engagements qui, dans tout pays, doivent toujours être sacrés, et dont, en l’absence même des chambres, nous ne pouvions être déliés. La position de mon successeur était différente parce que, sans engagements, son action pouvait être libre en l’absence des chambres sauf à leur demander un bill d’indemnité.

Il me reste à examiner, (et cette question ne regarde plus l’ancien ministère, elle regarde le nouveau), il me reste à examiner si le ministère, en adhérant à la sommation faite en vertu du traité du 22 octobre dernier, a fait un acte virtuellement sanctionné par les chambres. Dans le cas contraire, si l’acte d’adhésion donné par le ministère au traité du 22 octobre n’était pas déjà virtuellement sanctionné par les chambres, vous avez à examiner si cet acte est funeste aux intérêts, à l’honneur, à la dignité du pays.

On doit remarquer que pour un acte de cette nature, qui n’est qu’un acte d’exécution, le gouvernement n’avait pas indispensablement besoin de l’assentiment des chambres. Il suffit que le gouvernement ne se soit pas mis en opposition avec la volonté exprimée par les chambres dans d’autres circonstances, pour qu’il puisse agir, sauf la responsabilité ministérielle,

Quant à moi, messieurs, je ne sais pas même s’il est prudent, s’il est sage pour les chambres de s’immiscer dans la connaissance des actes avant leur accomplissement. Je sais qu’il est des circonstances tellement graves, (et ces circonstances sont peut-être celles dans lesquelles nous nous trouvons), qui font en quelque sorte un devoir aux chambres de s’en occuper ; mais, en règle générale, je dis que c’est énerver et détruire la responsabilité ministérielle, indépendamment de ce que cela gêne l’action du gouvernement.

Je dis, messieurs, que l’évacuation du territoire était la condition sine qua non, le préalable indispensable, d’après le système de l’ancien ministère, à des négociations ultérieures. Tous les actes qui vous ont été successivement communiqués, et les adresses mêmes des chambres, en font foi. La chambre des représentants disait dans son adresse de mai dernier : « La Belgique a foi aux engagements contractés ; le traité sera exécuté, notre territoire sera évacué. » L’’adresse du sénat est encore bien plus expressive sur ce point ; elle porte : « Sans doute, des négociations pourraient avoir lieu entre la Belgique et la Hollande après l’évacuation de notre territoire. »

Ainsi donc, dans tous les actes, l’évacuation du territoire était le préalable nécessaire. Mais s’élève maintenant la question de savoir si, dans l’esprit du système précédent, l’évacuation devait nécessairement être volontaire.

Je ne vous dissimule pas que c’est vers ce but qu’ont constamment tendu tous nos efforts ; que c’était mon désir, mon vœu le plus ardent, d’arriver à une évacuation volontaire. Les avantages que présente l’évacuation volontaire vous ont été suffisamment développés par plusieurs orateurs, et même par des orateurs de l’opposition. Mais je ne pense pas que le système précédent bornât là l’action du gouvernement ; je ne pense pas non plus qu’il fût, à cette époque-là, dans l’idée de ses adversaires politiques qu’on parvînt jamais à obtenir volontairement l’adhésion du roi de Hollande au traité du 15 novembre.

Quelques-uns messieurs, auraient voulu que la Belgique seule eût fait évacuer son territoire ; d’autres, et c’est le plus grand nombre, auraient voulu que l’armée belge, du moins, eût été appelée, conjointement avec nos alliés, à opérer l’affranchissement de notre sol.

Comme député de la nation, je déclare franchement que j’aurais blâmé un ministre qui, autrement qu’à la dernière extrémité, et par suite du refus formel des puissances de remplir leurs engagements, aurait compromis le pays dans une lutte avec la Hollande, lutte dont il est impossible de calculer tous les hasards, toutes les chances.

C’est dans cette conviction intime que l’armée, depuis cette époque, a été considérablement renforcée et que vous avez voté différents subsides pour le département de la guerre.

Il doit donc être vrai, car avant tout il faut être juste, que dans certaines hypothèses l’évacuation forcée était encore une conséquence nécessaire de votre système. Mais, quant au mode d’exécution, mais quant aux conséquences immédiates de l’exécution forcée, ce sont là des actes qui ne sont pas en rapport direct avec le système en lui-même ; ce sont des suites. Ces faits peuvent varier ; il y a différentes manières de les régler ; il y avait des précautions, des mesures à prendre avant l’exécution préalable. C’est surtout sous ce rapport que le gouvernement a été attaqué.

En supposant que l’armée belge fût numériquement assez forte (car je ne parle pas ici de son courage) pour faire le siège de la citadelle d’Anvers, tout en défendant nos frontières, vulnérables de tous côtés, contre l’armée hollandaise, quels moyens avait sa marine, sa flotte, pour empêcher la Hollande de fermer l’Escaut, de détruire une partie du pays, d’inonder la plus belle partie de nos provinces, de faire, en un mot, peser sur le pays toutes les calamités ? Comment auriez-vous dans ce cas (en supposant que la lutte eût été soutenue, car évidemment la Hollande aurait opposé à votre attaque tous les moyens de résistance), comment auriez-vous préservé la ville d’Anvers d’une destruction certaine ?

Mais si, par suite d’une combinaison qu’il n’était pas possible de prévoir ; si, par suite de ce qui arrive aujourd’hui, tous les malheurs étaient prévenus ; si la ville d’Anvers échappait aux désastres qui la menacent encore, cette combinaison ne serait plus une calamité, elle ne mériterait plus votre blâme.

Quant au concours de l’armée belge à l’affranchissement du territoire, nous aurions désiré tous qu’elle eût été appelée à s’associer aux périls et à la gloire qui attendent l’armée française, et je suis persuadé que notre armée aurait rivalisé de courage, d’ardeur, avec ses anciens et ses braves alliés.

Mais le ministère avait-il le droit d’imposer le concours de l’armée belge aux puissances signataires du traité du 15 novembre ? Non, évidemment non.

Je vous prie d’observer que c’est ici une question de droit.

Qu’est-ce que le traité du 15 novembre ? C’est une sentence arbitrale, c’est un jugement européen entre la Hollande et la Belgique ; c’est un jugement dont les juges eux-mêmes s’étaient réservé de poursuivre l’exécution.

Vous ne perdrez pas de vue que, dans les notes dont je vous ai parlé et qui font partie du traité, il est dit que les puissances garantissent l’exécution du traité.

Dans la première note, au n°2, on lit : « Que les cinq grandes puissances en garantissent l’exécution. »

Au n°6 de la même note on lit : « Enfin qu’ils contiennent (les articles du traité) les décisions finales et irrévocables des cinq puissances, qui, d’un commun accord, sont résolues à amener elles-mêmes l’acceptation pleine et entière desdits articles par la partie adverse, si elle venait à les rejeter. »

Dans la seconde de ces notes, il est dit positivement que les cinq cours, se réservant la tâche d’obtenir l’adhésion de la Hollande aux articles du traité, « garantissent de plus leur exécution, » et convaincues que ces articles, fondés sur des principes d’équité incontestables, offrent à la Belgique tous les avantages qu’elle est en droit de réclamer, ne peuvent que « déclarer ici leur ferme détermination de s’opposer à tous les moyens en leur pouvoir au renouvellement d’une lutte qui, etc. »

Vous voyez que depuis le 14 octobre les puissances ont déclaré formellement qu’elles s’opposeraient à toute lutte ; qu’elles-mêmes amèneraient l’entière exécution du traité ; que par conséquent elles excluaient de l’exécution les deux parties intéressées.

Mais, a-t-on dit, l’intervention de l’armée française sans le concours de l’armée belge déshonore le pays : non, messieurs, l’exécution franche d’un traité accepté, la loyauté, la foi aux engagements, ne déshonorent jamais une nation. L’armée, messieurs, connaît ses devoirs ; l’armée elle-même comprend sa position ; elle sait que sa gloire consiste autant dans une sévère discipline que dans la bravoure, et que sans discipline il y a des bandes, qu’il n’y a pas d’armée. Elle attendra avec confiance les ordres de son chef, et si le Roi fait un appel à son courage, je suis persuadé qu’elle se montrera digne d’elle et digne de la nation.

Pour ce qui concerne les conséquences immédiates de l’évacuation de notre territoire par la Hollande, ces conséquences sont encore soumises à une foule d’éventualités. Et s’il était vrai que ce territoire, qu’aux termes du traité du 15 novembre nous devons abandonner, doit être livré immédiatement au roi Guillaume, que les populations qui les couvrent doivent passer sous le joug de leur ancien maître avant que celui-ci ait consenti aux arrangements territoriaux, à remplir toutes les stipulations qui sont imposées relativement aux habitants des territoires qui changent de domination, j’éprouverais le sentiment d’indignation qu’éprouvent nos collègues ; mais il n’en est pas ainsi, il n’en peut être ainsi ; ce serait une stupidité.

Il me semble, messieurs, que c’est tout à fait dans ce sens que vient de s’expliquer M. le ministre des affaires étrangères ; s’il pouvait y avoir le moindre doute à cet égard, je le prie de s’expliquer, parce que, moi, je ne pourrais consentir à ce que ces populations passassent sous le joug de leur ancien dominateur, sans condition, sans garantie.

- Plusieurs membres (au ministre des affaires étrangères). - Expliquez-vous ! expliquez-vous !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Tout à l’heure, messieurs, je vous l’ai déclaré ; c’était l’objet spécial de mon discours.

M. d’Huart. - Vous avez parlé de séquestre.

- Plusieurs voix. - Les Prussiens entreront dans le Limbourg et le Luxembourg ! dans Venloo !

M. d’Huart. - Mettra-t-on ces territoires en séquestre ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet), vivement. - Je n’en sais rien.

M. Gendebien. - Messieurs, si les circonstances n’étaient pas aussi graves, si nous n’avions pas un pied dans le précipice, je m’abstiendrais de parler, tellement je suis convaincu depuis deux ans de l’inutilité de mes paroles. Depuis deux ans, messieurs, j’ai prédit tout ce qui nous est arrivé ; et toujours, messieurs, l’intrigue, l’intérêt et l’égoïsme ont prévalu sur la raison. Aujourd’hui que c’est pour la dernière fois peut-être que je parle comme Belge (si tant est que je puisse prendre encore cette qualité, car si on me demandait s’il y a encore une Belgique, je répondrais : non ; mais jusqu’à ce que le sacrifice soit consommé, je puis invoquer le nom belge), je me contenterai de dire peu de chose pour le moment ; je me réserve de m’exprimer plus au long lorsque nous serons parvenus au paragraphe 4 de l’adresse, qui a fait jusqu’ici et prématurément l’objet de la discussion.

Je ferai remarquer à la chambre que le ministère vient de changer de système. On avait d’abord essayé de rejeter sur la chambre la responsabilité d’un acte que je m’abstiendrai de qualifier ; il l’a été suffisamment. Rappelez-vous, messieurs, que lors de la présentation des 18 articles au congrès, aucun ministre n’a osé les prendre sous sa responsabilité : deux membres du congrès seulement eurent le triste courage d’en proposer l’acceptation.

Le traité des 24 articles, aucun ministre encore n’a osé le prendre sous sa responsabilité ; le ministère est venu nous le transmettre comme un objet de pure nécessité, auquel, ainsi que la chambre, il devait se soumettre. Aujourd’hui, messieurs, on a essayé par mille détours, et pendant trois séances consécutives, de vous forcer encore à accepter la responsabilité du système que l’on vantait jadis sous le nom de Goblet. Mais il paraît enfin que le ministère a viré de bord et qu’il consent à prendre sur lui cette responsabilité, ou du moins qu’il ne tient plus autant à l’imposer à la chambre. Dès lors la question se trouve réduite sa plus simple expression, et il suffira de répondre quelques mots aux discours de MM. Goblet et Rogier.

Si l’évacuation préalable du territoire occupé par 400,000 Belges devait être effectuée par nous, si nous devions restituer à Guillaume ces 400,000 Belges avant qu’il eût adhéré au traité du 15 novembre, ce serait une monstruosité, une absurdité, et nous pourrions être soumis au blâme. On nous a lu de longs passages de pièces, la note adressée au gouvernement et l’article premier du traité du 22 octobre de glorieuse mémoire, pour nous prouver que ce n’est pas là que s’arrêterait l’intervention étrangère et que nous ne serions pas obligés de céder la partie du territoire qui doit retomber sous le joug de Guillaume ; eh bien ! je réponds par un acte du ministère lui-même à ces allégations téméraires ou tout au moins bien légères. Voici la note du 2 novembre qui adhère à ce traité. On vous a dit qu’on y était étranger, et que c’était à la France et à l’Angleterre d’aviser aux moyens de l’exécuter. Eh bien, je vais prouver que le ministère n’y est pas resté étranger.

En effet, voici ce que je lis dans sa note du 2 novembre : il accuse réception de la note de Latour-Mambourg qui lui fait connaître la détermination conclue par le roi des Français et le roi de la Grande-Bretagne : « Il a remis, dit-il, cette note sous les yeux de son souverain, et il a reçu l'ordre de déclarer : Que Sa Majesté le roi des Belges consent à faire évacuer, le 12 de ce mois, et même à une époque plus rapprochée, la place de Venloo, les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que les portions de territoire qui ne font pas partie du royaume de Belgique, en même temps que le gouvernement belge entrera en possession de la citadelle d'Anvers, ainsi que des forts et lieux situés sur les deux rives de l'Escaut, qui font partie du territoire assigné à ce royaume par le traité du 15 novembre. »

Eh bien ! ministres imprudents, pour ne rien dire de plus, quand vous aurez prouvé que cette note signifie tout le contraire de ce qu’elle dit, nous pourrons encore, peut-être, ajouter foi à vos promesses. Jusque-là, messieurs, je qualifie tout ce qui s’est fait d’assassinat et de faiblesse la plus infâme.

- La discussion est close sur l’ensemble. On passe à celle des paragraphes.

Discussion des paragraphes

Premier et deuxième paragraphes

« Depuis la dernière session, les événements ont contribué de plus en plus à affermir notre indépendance. »

M. le président. - Deux amendements ont été proposés sur ce paragraphe, l’un pas M. de Robiano de Borsbeek ; il est ainsi conçu :

« Sire, c’est surtout dans les crises nationales que les grands corps de l’Etat se rallient étroitement autour du trône. Votre majesté trouvera cet empressement dans la chambre des représentants ; elle vient lui présenter l’hommage de son respect, de sa reconnaissance et de son dévouement.

« Depuis la dernière session, etc. »

Et l’autre par M. Gendebien dans les termes suivants :

« Je propose de supprimer le premier paragraphe ou bien d’y substituer celui-ci :

« Depuis la dernière session, les événements ont contribué de plus en plus à compromettre notre indépendance. » (On rit.)

La parole est à M. de Robiano pour développer son amendement.

M. de Robiano de Borsbeek. - Messieurs, l’adresse est à mes yeux une chose de la plus haute importance, surtout dans les circonstances graves où nous nous trouvons. Lorsqu’un pays est tranquille, lorsqu’il n’est menacé d’aucun côté, les adresses ne sont souvent que de simples formules qui reviennent chaque année ; mais la patrie et les étrangers liront la nôtre avec la plus grande attention.

Or, il m’a paru qu’il s’y trouvait une lacune ; on se propose dans cette chambre de censurer les actes du ministère, et je ne vois pas l’expression de nos sentiments pour le Roi. Messieurs, plus cette discussion est vive ; plus il y a de raison de nous montrer tous unis autour du Roi. Il ne faut pas que les étrangers nous croient diviser et en désaccord, quand il s’agit de soutenir l’indépendance du pays. D’après cela, il me semble que quelques paroles pour montrer ce ralliement sont tout à fait nécessaires, d’autant plus qu’il y a encore dans le pays un certain parti républicain que rien ne peut plus convaincre, à qui il faut ôter le courage, en lui faisant voir l’impossibilité de réussir.

En agissant ainsi, nous faisons un acte de patriotisme. Marchons encore à un autre parti, celui de la restauration : combien nous en sommes éloignés en nous serrant autour du Roi que nous avons choisi ! Le Roi est le point de ralliement de tous. Quant à moi, je me suis rallié à lui lorsque j’ai été convaincu qu’il comblait les vœux du pays.

Je pense donc que l’énergie que nous pouvons mettre à blâmer les actes du ministère ne doit pas être en raison des personnes, mais dans le but de montrer aux puissances étrangères que nous ne sommes pas disposés à accepter une position avilissante, que nous avons encore du courage et que nous sommes Belges ; notre but doit être que le ministère trouve dans cette même énergie, manifestée par la chambre, une ressource pour agir à l’étranger.

Il y a trois mots dans mon amendement pour exprimer nos sentiments au Roi, ce sont ceux-ci : respect, reconnaissance et dévouement. Quant au respect, c’est le devoir de tous. Pour la reconnaissance, je crois que la tâche de roi est aujourd’hui une tâche très rude, et celle du roi des Belges plus que tout autre, et je pense qu’il fera tous ses efforts pour la remplir de son mieux ; nous devons donc en être reconnaissants. Enfin nous lui devons notre dévouement pour le seconder dans cette tâche.

Je demande donc que l’on ajoute ce paragraphe à notre adresse. Je le répète, dans les circonstances présentes, une adresse est d’une haute importante. Il faut montrer à l’étranger, où nous ne sommes pas connus et où nos affaires ne peuvent être bien appréciées, que nous sommes tous d’accord quand il s’agit de l’intérêt commun.

Nous avons maintenant une armée française sur notre territoire, les Français ignorent nos affaires comme les autres. Qu’ils rapportent chez eux la sanction de ce que nous avons fait. Une armée prussienne se rassemble sur notre frontière ; dans leur pays, ils ne peuvent sainement juger nos affaires parce que leurs journaux les induisent en erreur. J’y ai passé trois mois et je le sais ; on nous y traite de révolutionnaires, de propagandistes ; on ne sait nullement que nous sommes les amis de l’ordre et de la paix. Montrons-leur que nous ne sommes pas des anarchistes.

C’est bien à regret que je me suis vu à mon début de proposer des amendements, mais il me semblait nécessaire de combler cette lacune.

- L’amendement de M. Robiano est appuyé.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je ferai d’abord une observation, c’est que ce qu’on appelle un amendement au premier paragraphe n’est pas du tout un amendement à ce premier paragraphe, mais bien une proposition tendante à ce que ce même paragraphe soit précédé par celui de M. de Robiano. Je prie M. le président de vouloir bien y faire attention. Ainsi donc, c’est sur la proposition de M. de Robiano et non sur le premier paragraphe que nous devons discuter.

Maintenant, je ne m’oppose pas à ce que l’on adopte cette proposition ; je déclare même qu’elle est l’expression de mes sentiments pour le roi. Mais aussi, je déclare que ce n’est pas dans l’intention de faire peur aux républicains. (On rit.) Quant à moi, je n’ai pas peur d’eux, et je crois que nul ne doit s’effrayer de ce que quelques personnes ont cru qu’un gouvernement républicain conviendrait mieux à la Belgique que la monarchie. Il en a été décidé autrement ; elles se sont soumises à la décision de la majorité, et je ne vois pas qu’elles aient beaucoup remué pour renverser notre système de gouvernement. (Nouvelle hilarité.) Je dis donc que je ne m’oppose pas à l’adoption de la proposition de M. de Robiano, mais je dois pourtant faire remarquer qu’une phrase presque analogue se trouve à la fin de l’adresse, et qu’il suffirait d’y ajouter les mots de respect, de reconnaissance et de dévouement.

M. de Robiano. - Cette observation m’avait déjà été faite. Je ne m’y suis pas rendu parce que je trouve plus naturel de commencer par là. Il est d’usage de commencer et de finir une adresse par quelque chose pour le souverain ; cela est plus convenable.

M. de Muelenaere déclare qu’il votera pour la proposition de M. de Robiano.

M. Jaminé. - Je crois pourtant qu’il est nécessaire de relever un mot qui se trouve dans cette proposition ; c’est celui de dévouement. Je ne sais pas comment le corps législatif qui est aussi un pouvoir peut protester de son dévouement. (Aux voix ! aux voix !)

- La proposition de M. de Robiano est mise aux voix et adoptée. Elle formera le premier paragraphe de l’adresse.

Troisième paragraphe (nouveau)

M. le président. - Vient maintenant le paragraphe premier du projet qui devra être l’article. 2. M. Gendebien a la parole pour le développer.

M. Gendebien. - Avant de développer mon amendement, je dois dire que j’ai entendu que la proposition de M. de Robiano n’était acceptée qu’avec la modification de M. Jaminé. Chacun est libre de protester de son dévouement au Roi, mais un corps de l’Etat doit toujours être indépendant. C’est ainsi que j’avais compris, et j’ai cru en faire la remarque qui me servira de protestation.

Maintenant je passe au développement de mon amendement.

Messieurs, je demande la suppression du premier paragraphe ou bien la substitution de celui que j’ai proposé. Je crois que lorsque la commission a parlé de notre indépendance, elle ne la regardait pas comme un fait accompli. Ce n’est pas quand notre territoire est occupé par 60,000 hommes, lorsqu’on nous menace de l’intervention prussienne à qui il faudra livrer Venloo et les autres parties de territoire, que nous devons parler d’indépendance. Il faut rester dans la vérité, quelque dure qu’elle soit, et la vérité c’est que depuis le 18 mai nous marchons vers l’anéantissement de notre indépendance.

Je le demande aux députés du Luxembourg et du Limbourg qu’on assassine impunément, je leur demande si ce n’est pas une dérision de les faire concourir à la rédaction d’une semblable phrase. Soyons humains, messieurs ; pensons à nos collègues qui auront à rendre compte de leur conduite au roi Guillaume, qui ne pourront pas même s’appuyer sur les garanties que leur assurait le traité du 15 novembre, et que par votre vote du 2 novembre vous livrez pieds et poings liés à un homme qui se croit insulté, car il se croit insulté, messieurs, et l’échauffourée du mois d’août ne l’a pas contenté ; je crois donc que ce serait une amère ironie que de faire concourir ces honorables collègues à l’expression formelle de notre indépendance.

Cette indépendance a été perdue depuis la fameuse lettre de lord Ponsomby, dont il est bon de nous rappeler les termes, et nous marchons, quoi qu’on en ait dit, vers la restauration : je reviendrai plus tard sur ce point. Voici comment s’exprimait lord Ponsomby :

(Erratum inséré au Moniteur belge n°331, du 28 novembre 1832) « La conférence restera la protectrice des lois et des libertés contre ceux qui voudraient se faire conquérants et contre ceux qui méconnaîtraient toute autre loi que leur volonté et bon plaisir. » (Lettre de lors Ponsomby, datée de Bruxelles, mai 1831). (fin de l’erratum)

Vous avez accepté au mois de mai le bon plaisir des puissances et vous vous êtes soumis à ce bon plaisir. Vous n’avez fait ensuite que vous enfoncer d’avantage dans ce malheureux système, et je vous vois aujourd’hui arrivés à tout ce que j’ai prédit alors. Ne parlons donc plus d’indépendance, c’est ce que nous pouvons faire de plus prudent. Je vous ai dit au mois de mai dernier : Vous déshonorerez la nation, et quand vous l’aurez déshonorée, vous marcherez à la restauration ; je vous ai dit : Vous êtes au dernier degré d’abjection ; vous n’avez plus qu’un pas à faire et on vous rayera du rang des nations. Eh bien ! vous l’avez fait ce pas.

Quand on a parlé de restauration, un ministre s’est levé et a dit qu’il avait donné assez de gages de sa haine contre cette restauration, pour qu’on crût qu’il n’y consentirait jamais. Non, messieurs, il n’y consentira pas ; mais on y arrivera par la force des choses. Voyez ce qui est advenu depuis le 27 mai, depuis que vous avez pris pour conseil lord Ponsomby. Vous avez fait du roi Guillaume un grand homme, comme la France a fait de la duchesse de Berry un grand homme ; vous avez fait d’une nation de marchands un peuple de héros. Et nous, aujourd’hui nous sommes humiliés, suppliants devant un Roi que nous avons humilié, devant un peuple qui fuyait devant nos 2,500 volontaires, que vous avez payés depuis d’ingratitude, cela devait être. Ne parlons donc plus d’indépendance. Elle a été conquise par nos volontaires, elle a été perdue par les doctrinaires. Je demande donc qu’on insère ma proposition dans l’adresse comme l’expression de la vérité.

M. F. de Mérode. - Je ne pense pas que le roi Guillaume soit de l’avis de M. Gendebien. Je ne pense pas qu’il voie dans le blocus de ses ports, de l’Escaut, et dans l’armée française, des symptômes de restauration. (On rit.)

M. H. de Brouckere. - Vous avez sans doute remarqué comme moi, messieurs, que dans le discours du trône il n’est point parlé des événements qui ont affermi notre indépendance. Il ne me semble donc pas nécessaire de conserver le paragraphe. Quant à moi, je déclare que je voterai contre, sauf à arrondir un peu plus le suivant.

M. le président propose de rédiger ainsi le paragraphe : « Depuis la dernière séance, plusieurs événements ont contribué à affermir notre indépendance. » (On rit.)

- Quelques voix. - C’est la même chose.

M. Meeus. - Quoique mon amendement excite l’hilarité de quelques membres, je me permettrai cependant de ne pas le retirer. Il me paraît, messieurs, que la rédaction du paragraphe est trop générale ; elle préjuge même ce que vous déciderez par rapport au cinquième paragraphe. En effet, on ne devrait pas dire les événements. Mais il est de fait que plusieurs événements ont contribué à affermir notre indépendance.

M. de Robiano. - Quant à moi, je crois que les événements ont contribué à affermir notre indépendance. Mais, messieurs, vous vous souviendrez que depuis deux ans je n’ai cessé de vous dire que l’Europe se trouvait dans la position de ne pas empêcher notre indépendance ; je le pense encore aujourd’hui : notre indépendance existe donc par la force des choses, et parce qu’on sait que la guerre la plus effroyable aurait lieu si l’on voulait nous restaurer. Les puissances ne pouvaient donc l’empêcher. Voilà pourquoi je regrette qu’on ait accepté le traité des 24 articles. Je pense que notre indépendance est un fait européen. Beaucoup d’orateurs ont cherché à jeter du ridicule sur cette question, disant que pouvions-nous ? Mais nous aurions trouvé de quoi résister à la Hollande, si elle nous avait attaqués. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - M. Gendebien persiste-t-il à demander la suppression du paragraphe ?

M. Jullien. - Il me semble qu’il n’y a pas d’inconvénient à ce que notre indépendance existe au moins dans l’adresse. (Hilarité générale.)

Le paragraphe est adopté avec la modification proposée par M. Meeus.

Troisième paragraphe

On passe au troisième paragraphe, ainsi conçu : « La Belgique a vu reconnaître successivement par les puissances le roi qu’elle s’était choisi, et son pavillon flotte librement aujourd’hui dans la plupart des ports étrangers.

M. le président. M. de Robiano propose la rédaction suivante. - « La Belgique a vu reconnaître successivement par la plupart des puissances le roi qu’elle s’était choisi. Le pavillon national flotte librement aujourd’hui dans la plus grande partie des ports étrangers. »

M. Jullien. - J’attache peu d’importance à l’arrangement des phrases, mais je tiens beaucoup à ce qu’elles expriment la pensée de la chambre avec clarté et surtout avec franchise, avec bonne foi.

Dans notre adresse c’est le pays tout entier qui parle au trône ; la chambre ne doit donc pas ravaler son langage jusqu’à la réticence, jusqu’à la dissimulation. C’est le paragraphe que l’on discute en ce moment qui me fournit cette observation ; on y dit que la Belgique a vu reconnaître successivement par les puissances le roi qu’elle s’était choisi. Je demanderai quelle est cette succession de puissances. Dans le moment où je vous parle, il est notoire que la Russie, la Prusse et l’Autriche protestent contre l’exécution du traité du 15 novembre par les moyens coercitifs ; je demande si ces puissances-là nous ont toujours reconnus. Dans la crise où nous sommes, il faut reconnaître ses amis et ses ennemis. Il faut qu’on nous dise dans quelle position nous nous trouvons. Si les puissances du nord protestent, si la France et l’Angleterre sont obligées de se mettre en opposition avec elles, je demande comment on peut dire que nous avons été reconnus successivement par les puissances.

Messieurs, on dit plus ; on dit que notre pavillon peut se promener librement dans la plupart des ports étrangers. Je demande combien la plupart ds ports étrangers font de ports. (On rit.) S’il s’agissait seulement ici d’un échange de politesses avec la couronne, je ne dirais pas un mot sur ces phrases banales. Mais aujourd’hui le discours du trône ainsi que la réponse a une plus grande portée. C’est dans ces documents que les intérêts matériels voient ce qu’ils ont à craindre et à espérer. Eh bien, vous allez dire à notre petit commerce que tous les ports étrangers lui sont ouverts ; voulez-vous qu’il parcourt toutes les mers pour voir dans quels ports il sera accueilli et quels ports lui sont interdits. Je voudrais qu’on déterminât les ports où il peut être accueilli et j’interpellerai M. le ministre des affaires étrangères sur la question de savoir quelles sont les puissances qui nous reconnaissent formellement et quels ports nous sont ouverts.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goglet). - Notre pavillon est admis dans tous les ports des puissances qui nous ont reconnus (On rit.) Ces puissances sont d’abord les cinq grandes puissances signataires du traité, ensuite le Danemark, la Suède, le Brésil, et d’autres que je ne me rappelle pas maintenant. (Nouvelle hilarité.) D’ailleurs l’annonce de ces admissions a été insérée dans le Moniteur à mesure qu’elles ont été accordées.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - M. Jullien a interpellé M. le ministre des affaires étrangères pour connaître quels sont les ports ouverts à notre pavillon. Qu'il me permette de lui faire à mon tour une autre interpellation, et de lui demander dans quels ports il n’est pas admis…

M. Jullien. - Je répondrai à M. Rogier en lui citant un exemple, c’est qu’on ne peut pas venir d’Ostende à Anvers, sans mettre notre pavillon en poche. (On rit.)

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ceci est très spirituel, mais ne répond nullement à ma demande.

M. Jullien. - D’ailleurs je n’ai pas interpellé M. le ministre de l’intérieur, mais M. le ministre des affaires étrangères.

M. Osy. - Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s’il pourrait nous dire d’où vient que quand nous avons un ambassadeur à Vienne, il n’y ait pas d’ambassadeur d’Autriche ici. C’est une question dont la réponse me paraît devoir être très significative.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goglet). - J’ignore entièrement quels sont les motifs qui ont déterminé le gouvernement autrichien à ne pas envoyer son ambassadeur.

- La rédaction proposée par M. de Robiano est mise aux voix et adoptée.

Paragraphe 4

« L’union de V. M. avec la fille aînée de Roi des Français a resserré nos liens avec une nation généreuse pour laquelle nous ressentions déjà tant de sympathie. Les Belges ont partagé le bonheur de leur Roi en voyant associer au sort de V. M. une princesse douée de si éminentes vertus ; ils se félicitent d’une union qui contribuera de plus en plus à l’affermissement de l’Etat, et donnera des gages nouveaux de paix et de tranquillité. »

M. le président M. de Robiano propose encore un amendement tendant à faire effacer du paragraphe les mots « pour laquelle nous ressentions dejà tant de sympathie. » (Non ! non !)

M. de Robiano. - Je suis prêt à retirer mon amendement si l’assemblée le veut, mais je désire une explication. (C’est inutile.)

M. le président. - Il faut que l’orateur persiste dans sa proposition pour que je lui accorde la parole.

M. de Robiano. - J’y persiste alors. Messieurs, je n’ai pas eu la moindre pensée de faire quelque chose de désagréable aux Français ; mais il me semble que les 60,000 Français qui sont ici le savent d’après les témoignages qu’ils reçoivent, ainsi que le savaient ceux qui sont venus lors de l’affaire de Louvain. Il me semble donc qu’il suffit de dire une nation généreuse. Les Anglais et les Allemands ont aussi notre sympathie, et il est inutile d’en parler.

- Le paragraphe 4 est mis aux voix et adopté sans changement.

La discussion est continuée à demain à midi.

La séance est levée à 4 heures.