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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 11 février 1833

(Moniteur belge n°44, du 13 février 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Jacques fait l’appel nominal à deux heures et demie.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

MM. les ministres de la guerre, de la justice, des finances, de l’intérieur, sont à leur banc.

Pièces adressées à la chambre

Les pièces adressé1es à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.

Projet de loi autorisant le gouvernement à émettre des bons du trésor

Rapport de la commission spéciale

M. Dumont, rapporteur de la commission spéciale chargée de l’examen de la loi relative à la création des bons du trésor, est appelé à la tribune. - La commission, dit l’honorable rapporteur, a considéré le projet de loi relatif aux bons du trésor, sous deux rapports. Elle a d’abord considérer l’émission des bons comme le moyen le plus convenable d’assurer les paiements du trésor, chose si essentielle au crédit, et qui doit procurer à l’administration de grands avantages dans ses transactions avec les fournisseurs. Le trésor éprouve maintenant plus ou moins de gêne, par suite du retard dans les rentrées de l’impôt ; il est donc urgent de remédier à cet inconvénient, et c’est ce que nous proposons par le projet que je vais avoir l’honneur de vous soumettre.

L’autre rapport sous lequel la commission a considéré le projet de loi, c’est d’élever les recettes au niveau des dépenses tant ordinaires qu’extraordinaires, pour l’exercice 1833. Sur ce point cependant il s’est élevé quelque divergence d’opinions dans le sein de la commission. On ne désespère pas néanmoins de ramener les opinions à une pensée commune ; mais il faut de nouveaux éclaircissements ; on doit approfondir la matière, faire des recherches nouvelles, et la commission vous présentera son travail aussitôt qu’il sera terminé.

En attendant, voici le projet d’urgence qu’elle vous propose d’adopter. C’est celui de l’honorable M. Meeus.

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, salut.

« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :

« Art. 1. Le gouvernement est autorisé à émettre chaque année des bons du trésor à échéances fixes.

« Art. 2. L’émission des bons du trésor pourra se renouveler plusieurs fois dans le courant de l’année, de manière cependant qu’il n’en soit jamais maintenu en circulation pour une somme dépassant celle de 15 millions de francs.

« Art. 3. Les bons du trésor seront soumis, préalablement à leur émission au visa de la cour des comptes.

« Art. 4. Le gouvernement pourra racheter les bons du trésor.

« Art. 5. Il sera rendu un compte spécial aux chambres de toutes les opérations relatives à la négociation des bons du trésor.

« Mandons et ordonnons, etc. »

Vous remarquerez, messieurs, qu’il y a deux changements importants : l’un dans l’article 2, l’autre dans l’addition de l’article 4. Dans ce dernier article on a mis : « Le gouvernement pourra racheter les bons du trésor. » On avait considéré cette disposition comme superflue, parce qu’il suffisait, disait-on, que le rachat ne fût pas interdit pour qu’il fût permis, mais des doutes élevés à cet égard ont déterminé à mettre une disposition expresse dans la loi.

M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué.

Etat des négociations diplomatiques

Motion d'ordre

M. Osy. - Messieurs, ayant reçu une nouvelle très importante et très fâcheuse pour le commerce d’Anvers, par conséquent pour le pays, je demanderai que M. le ministre des affaires étrangères soit engagé à se rendre dans le sein de l’assemblée. J’ai des interpellations à lui adresser. (Appuyé ! appuyé !)

M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères va être invité à se rendre dans la chambre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - M. le ministre des affaires étrangères est en ce moment chez le Roi, où il vient d’être appelé.

M. de Robaulx. - Il faut toujours écrire au ministre ; il fera connaître s’il est empêché.

Rapports sur des pétitions

L’ordre du jour appelle à la tribune les rapporteurs de la commission des pétitions.

M. Helias d’Huddeghem, l’un des rapporteurs de la commission, a la parole. Il entretient la chambre des pétitions suivantes :

« Le sieur E. Keller, capitaine au 8ème régiment d’infanterie, natif de Zurich (Suisse) renouvelle sa demande de naturalisation adressée au gouvernement provisoire. »

La commission propose le renvoi de la pétition à la commission de naturalisation.

M. de Robaulx. - Si la commission de naturalisation avait terminé son travail, elle devrait faire son rapport.

M. Fleussu. - La section centrale s’est réunie ce matin ; son travail est terminé, et il sera présenté incessamment.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - « Le sieur J.-J. Van den Hove, à Bruxelles, réclame le paiement de l’indemnité qui lui revient pour les dommages occasionnés à ses propriétés au boulevard de Waterloo, pendant les journées de septembre. »

Le sieur Van den Hove réclame une indemnité pour les dommages occasionnés à ses propriétés, au boulevard de Waterloo, pendant les journées de septembre 1830 d’après l’évaluation qui en a été faite. Il expose qu’il se trouve dans un état misérable ; il est père d’une famille nombreuse ; il s’adresse à la chambre afin qu’elle lui fasse obtenir ce qui lui est dû pour indemnité.

Messieurs, quoique l’exposant se trompe quand il avance qu’il existe des dispositions légales, relatives au remboursement des pertes résultant des désastres de la révolution, et qu’il n’y a à cet égard que l’arrêté du gouvernement provisoire, en date du 5 octobre 1830, portant création d’une commission d’enquête pour recueillir les preuves des ravages commis à Bruxelles par les troupes hollandaises, et que cet arrêté ne statue d’aucune manière relativement à l’indemnité qui pourrait être due, il a néanmoins paru à votre commission, eu égard à l’état de détresse du pétitionnaire, qu’il conviendrait que le gouvernement le comprît dans la distribution de la somme qui a été allouée à titre de secours. Elle vous propose donc le renvoi de la pétition au ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le renvoi demandé aurait pour but de faire comprendre le réclamant au nombre de ceux qui doivent recevoir un secours sur les fonds d’indemnité consacrés à cet objet. La commission chargée de la recherche des pertes que les particuliers ont éprouvées, a trouvé que le pétitionnaire avait perdu 115 florins. Le pétitionnaire dit qu’il est dans la détresse ; la commission, ayant fait enquête, s’est assurée qu’il possédait trois maisons neuves à Bruxelles. Dans cet état de choses, croyez-vous que le gouvernement doive venir au secours du pétitionnaire ?

M. Gendebien. - Je crois que les raisons données par le ministre de l’intérieur ne sont pas suffisantes ; pour refuser une indemnité, on peut posséder trois maisons à Bruxelles et n’avoir pas de plus de pain ; il faudrait non seulement prouver la possession, mais encore qu’elles sont louées.

M. de Brouckere. - Le renvoi au ministre peut être adopté ; si le pétitionnaire est dans la détresse, on viendra à son secours.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - « Neuf distillateurs de Namur demandent que la chambre adopte le projet de loi sur les distilleries, présenté le 13 juillet. »

« Le sieur Pleunis, à Liége, signale divers abus existant dans la loi actuelle sur les distilleries. »

La commission propose le renvoi au ministre des finances.

M. de Robaulx. - Il y a un rapport de fait sur la loi concernant les distilleries ; il faut renvoyer la pétition au bureau des renseignements.

M. Fleussu. - Je dois faire remarquer que les conclusions de la commission ont été prises avant la présentation de la loi.

- Le dépôt au bureau de renseignements est ordonné.


M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - « Le sieur Leroux, pharmacien à Bouillon, qui a servi la cause nationale, demande sa naturalisation. »

- Renvoyé à la commission de naturalisation.


M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - « Le sieur J. Goetghebuer à Blankenberg, réclame contre la perception d’un droit d’octroi imposé par la régence. »

Jean Goetghebuer, se qualifiant de poissonnier à Blankerberg, se plaint, dans une pièce tout à fait incohérente, que la régence de Bruges a établi une taxe sur le poisson frais ; il soutient que l’octroi est un impôt qui ne peut avoir force sans le concours des chambres.

Votre commission, attendu que d’après la constitution, article 110, les impositions communales peuvent être établies du consentement du conseil communal ;

Et que, d’après les règlements et lois existantes, les villes et communes ont le droit de régler leur octroi sous l’approbation du gouvernement ;

Que par suite la ville de Bruges a pu établir la taxe en question ;

Organe de la commission, je vous propose l’ordre du jour.

- L’ordre du jour est adopté.


M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - « Les sieurs A.-J. Massart et Pélerin, à Nimy, près Mons, se plaignent qu’à différentes reprises les chevaux du 1er régiment des cuirassiers, se trouvant dans les prairies de J.-R. de Lannoy, à Jemmapes, ont forcé la clôture et commis des dommages à leurs propriétés voisines ; ils demandent que la chambre intervienne pour leur faire recevoir l’indemnité à laquelle ils prétendent avoir droit. »

Voici le fait :

Le sieur de Lannoy, marchand à Jemmapes, canton de Mons, ayant fait l’entreprise, l’été dernier, de nourrir une grande quantité de chevaux du 1er régiment des cuirassiers, pendant que ces chevaux étaient en pâturages sur les prés dudit de Lannoy, quelques-uns rompirent la clôture, et mangèrent une partie du regain des prés appartenant aux pétitionnaires ; ils firent constater le dommage qui fut évalué à environ 125 fr. Les sieurs Massart et Pelerin se plaignent que, nonobstant leur dénonciation, le ministère public n’ait pas agi d’office.

Il a paru à votre commission que les pétitionnaires n’ont qu’une action en indemnité contre l’entrepreneur, qui seul doit être responsable du dommage causé. En conséquence, elle a l’honneur de vous proposer l’ordre du jour.

M. de Robaulx. - S’il y a eu fracture de clôture, il y a délit.

M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - Il y aurait certainement dommages-intérêts.

M. Gendebien. - C’est un délit rural.

M. Jullien. - La clôture a-t-elle été brisée par des hommes ou par des chevaux ?

M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - Par des chevaux.

M. Jullien. - Est-ce qu’on peut poursuivre des chevaux ?

- La chambre passe à l’ordre du jour.


M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - « Le sieur Allognier, ex-sergent-major aux volontaires, à Visé, réclame l’intervention de la chambre pour faire obtenir le paiement de la pension à laquelle il a droit comme blessé de la révolution.

Le sieur Victor-Etienne Allognier, ex-sergent-major de la 3ème brigade, bataillon de tirailleurs, armée de la Meuse, porteur des certifications les plus honorables d’où il conste qu’il a assisté aux combats de Ste-Walburge, et qu’il y fut blessé ; qu’il s’est trouvé encore aux journées d’Echtel, Houtalem, et qu’à Euringen. Il a reçu une blessure mortelle qui l’a mis dans l’impossibilité d’exercer son état d’imprimeur-pressier, vous expose que le 14 septembre 1831 il a reçu son congé à Ruremonde et une lettre du ministre de la guerre, qui le renvoyait à la commission des récompenses ; il s’est adressé à la commission provinciale de Liége comme blessé de Ste-Walburge. Ses démarches ayant été infructueuses, il fit d’inutiles efforts pour obtenir une place.

Il expose enfin que, le 11 novembre dernier, un rapport favorable ayant été fait à la commission des récompenses de Bruxelles, il a été, d’après les dispositions de l’arrêté du 6 novembre 1830, proposé à la commission pour être compris parmi les blessés pensionnés ; mais n’ayant reçu aucune nouvelle d’une mesure définitive à son égard, il expose enfin que c’est la dure nécessité qui lui fait prendre son recours vers vous, messieurs, afin que vous daigniez appuyer sa juste réclamation. Votre commission a cru devoir vous proposer le renvoi de cette pétition au ministre de l’intérieur.

M. Gendebien. - Je demande la parole pour recommander spécialement au ministre, n’importe lequel, le pétitionnaire que je connais. Un autre individu qui se trouve dans la même position l’a accompagné chez moi. Ils ont tous deux droit à la pension, ils sont tous deux dans l’impossibilité de se livrer à un travail quelconque ; ils ont été déclarés incapables de servir. Ils ont droit à la pension de 363 fl. arrêtée par le gouvernement provisoire.

M. Levae. - Le sieur Allognier est en effet un des blessés de septembre : il a négligé pendant deux ans de faire valoir ses droits, parce qu’il est resté jusqu’à ces derniers temps en activité de service quoiqu’il fût invalide.

Au mois de juillet 1831, il réclama pour la première fois la pension : le ministre de la guerre l’informa, par dépêche du 11 septembre, qu’il devait s’adresser à la commission des récompenses : cependant, ce n’est qu’au mois de novembre dernier, lorsqu’il fut définitivement réformé, qu’il s’adressa à cette commission pour obtenir la pension accordée par arrêté du gouvernement provisoire en date du 6 novembre 1830.

On lui fit sur-le-champ subir une visite des chirurgiens qui décidèrent que ses blessures lui donnaient droit à la pension.

J’ai transmis cet avis à M. le ministre de l'intérieur, aussitôt que les commissions, après avoir examiné les titres du pétitionnaire, les eurent trouvés en règle.

J’ai pris des informations pour savoir quels motifs avaient empêché le ministre de prendre une décision, et j’ai su que la proposition des commissions avait été approuvée et qu’on n’attend que la production du congé définitif du pétitionnaire pour savoir à quelle époque la pension doit prendre cours.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ce que vient de dire l’honorable M. Levae est très exact ; il reste une formalité à remplir, et le pétitionnaire touchera la pension : étant sous-officier, il ne peut avoir à la fois la pension et le traitement ; il faut qu’il prouve qu’il n’est plus au service.

M. Gendebien. - Est-il averti que sa pension dépend de son congé ? Je demande que cet homme soit prévenu ; que le bureau lui écrive. C’est une affaire de pure obligeance.

M. Liedts. - Nous allons lui écrire ; mais le bureau n’a rien à lui dire.

M. Gendebien. - Je me charge de lui écrire si personne ne le veut faire.

M. le comte de Mérode. - Le ministre de l’intérieur écrira aussi ; le pétitionnaire sera averti trois fois.

- Le renvoi au ministre de l’intérieur est ordonné.


M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - « Les sieurs Regnier Poncelet et Ch. De Soer, fabricants d’acier à Liége, demandent l’intervention de la chambre pour obtenir : 1° la restitution des droits d’entrée sur une quantité de 62.565 kilogrammes de fer étranger, reçus en sus de leur demande, et 2° de proroger le terme du décret du congrès du 1er mars jusqu’à la révision du nouveau tarif des douanes. »

La partie de la pétition des sieurs Regnier Poncelet et De Soer fabricants d’acier, qui a rapport à la prorogation du terme du décret du congrès du 1er mars 1831, est devenue sans objet par la disposition de l’article unique de la loi du 30 décembre dernier, qui déclare que la loi du 16 décembre 1831 continuera à être exécutée jusqu’à la révision générale du tarif des douanes.

Reste, messieurs, la réclamation des pétitionnaires qui se plaignent que l’administration des finances leur refuse la restitution des droits d’entrée sur une quantité de 62,565 kilog. de fer étranger, qu’ils soutiennent avoir reçus depuis le 9 janvier 1829, inclus le 24 août 1830, en sus de celle de 60,009 kilog. pour laquelle ils avaient obtenu l’exemption des droits d’entrée, par arrêté du 29 juin 1828.

Ils fondent leur demande sur ce qu’ils avaient obtenu un droit acquis à la restitution par une disposition du gouvernement précédent, laquelle était fondée sur l’équité, puisque sans cette prime il leur était impossible de soutenir la concurrence.

Votre commission vous propose, messieurs, le renvoi de cette pétition au ministre des finances.

Le renvoi au ministre des finances est ordonné.


M. Helias d’Huddeghem, rapporteur. - « Quatre négociants de Mons demandent que la chambre ordonne la liquidation de leur créance du chef de fournitures faites à l’armée française au mois d’août 1831. »

Les sieurs Philippe Demarez, Charles Bauchon, François Verteneuil et Auguste Waaselet, marchands domicliés à Mons, demandent ce qui leur est dû pour fournitures faites lors du passage des armées françaises en 1831.

Ils exposent que les états de leurs fournitures ont été approuvés ; ils vous prient, messieurs, de vouloir faire effectuer le paiement de leur créance, puisqu’à Namur les fournisseurs ont été payés.

Votre commission vous propose le renvoi au ministre de la guerre.

M. Gendebien. - Je proposerai qu’on ajoute au renvoi : « avec demande d’explications. » Il y a vingt mois que les fournitures sont faites ; un ministre d’Etat a engagé sa parole qu’elles seraient payées.

M. le comte de Mérode. - Le ministre de la guerre a fait une proposition à la chambre dans le but de payer les fournisseurs.

M. Gendebien. - Depuis vingt mois les fournisseurs ont attendus, et, par suite de ce retard, il en est qui seront ruinés. Toute l’administration, depuis le bourgmestre de Mons, le gouverneur, jusqu’au ministre, a pris l’engagement de faire payer les fournitures, et cependant elles ne sont pas payées. On a demandé, dit-on, des allocations au budget ; c’est un crédit supplémentaire qu’il fallait demander.

M. Brabant. - C’est aussi un supplément de crédit qui a été demandé.

M. Gendebien. - Je demande que le rapport sur cette loi, concernant le crédit supplémentaire, soit rapporté prochainement.

M. A. Rodenbach. - Voilà deux ans que ces munitionnaires attendent. Ils ont vendu pour 80 mille fl. et au comptant ; c’était pour l’armée française ; si un particulier promettait de payer comptant, et faisait attendre deux ans, que dirait-on ?

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Au mois de mai dernier, j’ai fait faire le relevé de ce qui était dû aux fournisseurs. La somme totale de cette dette s’élève à 217,000 fl. Je me suis adressé au ministre des affaires étrangères, pour savoir si le ministre français avait reconnu cette dette et avait des fonds pour la solder ; on m’a répondu que la dette était l’objet d’une négociation qui n’était pas terminée. J’ai invité M. le ministre des affaires étrangères à continuer sa négociation ; mais en attendant, et d’après l’avis du conseil, j’ai cru devoir proposer au Roi la demande d’un crédit supplémentaire de 217 mille florins, pour payer à titre d’avance, et sans recours vis-à-vis de la France, les fournitures faites à l’armée française, et dont les créances sont reconnues légitimes. J’ai soumis le projet de loi à la chambre le 21 janvier dernier.

- Le renvoi de la pétition au ministre de la guerre est ordonné.


M. Fleussu, autre rapporteur, présente le rapport des pétitions suivantes :

« Les membres du bureau de bienfaisance de Borloo réclament l’intervention de la chambre pour obtenir la restitution des papiers, archives et dossiers de leur établissement, dont le sieur Bonfils est illégalement en possession. »

La commission conclut à l’ordre du jour.

- Adopté.


M. Fleussu, rapporteur. - « Le sieur P.-J. Gheuse, avocat et juge suppléant au tribunal civil de première instance de Verviers, adresse des observations relatives à la proposition de M. C. Rodenbach. »

Conclusion : Dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Fleussu, rapporteur. - « Quatre distillateurs de Virginal-Samme exposent la nécessité d’introduire, dans la nouvelle loi sur les distilleries, une disposition qui accorde une déduction de 20 p. c. aux petites distilleries. »

Conclusions : dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Fleussu, rapporteur. - « Le sieur Bremont, distillateur à Molembeeck, demande le maintien de la législation actuelle sur les distilleries, sauf à remettre en vigueur l’article 41 de la loi du 26 août 1822, en faveur des distilleries agricoles. »

Conclusions : renvoi au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Fleussu, rapporteur. - « Neuf médecins et chirurgiens de Bruxelles demandent d’être assimilés aux avocats pour la patente. »

Conclusions : dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Fleussu, rapporteur. - « Dix habitants de Tournay demandent une modification à la loi de 1817 sur la milice nationale, en abrogeant la disposition qui exige que les remplaçants doivent avoir séjourné 15 mois dans la province du remplacé. »

Conclusions : dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Fleussu, rapporteur. - « Le sieur J.-F. Daubin, à Liége, demande que la chambre lui donne une place d’huissier ou tout autre. » (On rit.)

Attendu que la chambre n’est pas un bureau de placement, la commission conclut à l’ordre du jour.

- L’ordre du jour est adopté.


M. Fleussu, rapporteur. - « Le sieur F. Dubois, docteur-médecin à Bruxelles, demande la suppression du droit de patente pour les médecins, ou que les avocats y soient assujettis. »

Conclusions : dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. d’Huart, troisième rapporteur, a la parole et fait le rapport des pétitions qui suivent :

« Le sieur Augistin-Joseph Honnorez, propriétaire à Mons, demande l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement d’une somme de fl. 796-35 cents, due à lui et autres co-intéressés du chef de dégâts faits à leurs propriétés par des travaux du génie en 1829. »

La commission propose le renvoi aux ministres de l’intérieur et de la guerre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Dans quel but veut-on ordonner ce renvoi.

M. d’Huart, rapporteur. - Pour faire payer le pétitionnaire. Un arrêté de Guillaume avait ordonné le paiement, qui n’a pas eu lieu par suite des événements politiques ; mais la dette est légitime.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - - L’objet de la réclamation porte sur le chef de dégâts faits en 1829 ; c’est à l’exercice de 1829 à les payer. Or, il ne nous a été accordé de fonds qu’à partir de l’exercice de 1830 ; et toutes les réclamations qui remontent plus haut que cette époque, nous les renvoyons à la liquidation à en faire entre les deux pays.

M. Gendebien et M. de Brouckere appuient le renvoi pour que les ministres examinent la pétition et fassent connaître ses droits au pétitionnaire.

- Le double renvoi est ordonné.


M. d’Huart, rapporteur. - « Le sieur C.-X. Dessoy, à Libramont, demande que la chambre lui fasse obtenir son exemption du service auquel il est injustement obligé selon lui, et par une deuxième pétition du 3 décembre dernier, il demande qu’au moins la chambre lui restitue les pièces qu’il a jointes à sa première requête, si elle est d’avis qu’il a employé une fausse marche en s’adressant à elle. »

Conclusion : ordre du jour et restitution des pièces.

- Adopté.


M. d’Huart, rapporteur. - « Quatre géomètres de première classe du cadastre de la province de Liége demandent de la chambre une loi sur l’organisation du cadastre, et à être indemnisés de l’inaction dans laquelle ils se trouvent depuis deux ans. »

- La commission conclut à l’ordre du jour.

M. de Robaulx. - Je voudrais savoir si ces géomètres ont été nommés par le gouvernement, et s’ils sont attachés spécialement au cadastre ; car si cela est, ils ont un emploi public, et dans ce cas je ne vois pas pourquoi l’on rejetterait leur pétition par un dédaigneux ordre du jour. Si par suite de la révolution ils ont été privés de leur travail, s’ils ont des indemnités à réclamer, pourquoi ne pas renvoyer leur demande au ministre des finances pour examiner jusqu’à quel point on leur doit des indemnités ? Remarquez qu’il y avait des géomètres qui s’occupaient exclusivement du cadastre. Eh bien, les travaux du cadastre étant restés suspendus après la révolution, ils sont demeurés sans appointements. Je demande donc le renvoi au ministre des finances, pour examiner jusqu’à quel point ils ont droit à une indemnité.

M. d’Huart, rapporteur. - La nomination des agents du cadastre ne leur confère aucun traitement fixe. Ils ne sont payés qu’en raison de l’ouvrage qu’ils ont fait. C’est ainsi qu’après l’achèvement du cadastre, ils se trouveront sans traitement. On ne peut donc indemniser ces fonctionnaires qui, en stricte justice, n’y ont aucun droit.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Les pétitionnaires demandent-ils la liquidation de sommes auxquelles ils ont droit pour prix d’ouvrages faits par eux ? (Non ! non !) Eh bien alors ils n’ont pas de droit ; car, quand ils ne travaillent pas, ils n’ont pas de salaire.

M. de Robaulx. - Si, par suite de leur nomination, les géomètres sont spécialement affectés à un travail public, ils sont à la disposition du gouvernement qui peut leur transmettre des ordres de jour en jour. Or, je vous demande si l’on peut refuser de renvoyer leur demande au ministre des finances, sans rien préjuger sur leur droit à une indemnité.

M. Dumortier. - Messieurs, en vertu de la loi du cadastre, les employés de cette administration n’ont droit qu’à une indemnité proportionnée à leur travail. Si vous renvoyez la pétition au ministre des finances, il ne pourra rien accorder ; car l’article 114 de la constitution dit formellement qu’aucune pension, aucune gratification à la charge du trésor public ne peut être accordée qu’en vertu d’une loi. Or, les pétitionnaires ne peuvent pas ici s’appuyer d’une loi. Après leurs travaux terminés, les employés du cadastre retombent dans la vie civile.

M. Gendebien. - Le directeur du cadastre nous a annoncé que le cadastre allait prendre une marche tellement accélérée qu’il serait fini au mois de décembre 1832. Lors du budget des voies et moyens, nous avons vu qu’il ne serait pas même achevé au mois de juillet 1833, et M. le directeur s’est appuyé, pour justifier ce retard, sur le manque d’hommes spéciaux. Eh bien ! voici quatre géomètres sans travail depuis deux ans. Je demande donc que leur demande soit renvoyée au ministre des finances, afin qu’il veuille les rappeler au souvenir de M. le directeur, qui se plaint de manquer d’hommes spéciaux.

M. A. Rodenbach. - Je demanderai si ces employés se sont adressés d’abord au ministre des finances. Ces employés sont payés par parcelles, et si le Hainaut est déjà cadastré, ils sont naturellement sans emploi. Mais s’ils demandent un nouvel emploi, je voudrais savoir s’ils se sont adressés préalablement au ministre des finances.

M. d’Huart. - D’après les antécédents de la chambre, la commission a cru devoir passer à l’ordre du jour ; car l’on a adopté pour règle, une fois pour toutes, que lorsqu’un pétitionnaire vient se plaindre d’un grief et sans s’être adressé au ministre que cela concerne, on passe à l’ordre du jour.

- L’ordre du jour est adopté.


M. d’Huart, rapporteur. - « Quatre habitants de Gand réclament des modifications à l’impôt personnel. »

Conclusion : Ordre du jour.

- Adopté.

Etat des négociation diplomatiques

Motion d'ordre

M. Osy. - Comme le rapport de la pétition qui va suivre doit être assez long, je demande la parole pour faire une interpellation à MM. les ministres (Oui ! oui ! Parlez !)

- Le rapport des pétitions est suspendu, et la parole est accordée à M. Osy.

M. Osy. - Vous vous rappellerez, messieurs, qu’il y a 8 jours, je demandais quelques explications à M. le ministre des affaires étrangères sur la situation de nos affaires extérieures. Il n’a pas pu ou n’a pas voulu me répondre alors. Mais aujourd’hui je reçois une nouvelle qui mérite toute notre attention et qui doit nous alarmer tous. Il est de mon devoir de vous en faire part ainsi qu’au gouvernement, afin qu’il puisse prendre les mesures nécessaires.

Hier, nous avons appris, par quelques journaux, que des entraves étaient mises à la navigation de l’Escaut. Eh bien, aujourd’hui je reçois de Flessingue une lettre qui m’annonce qu’en vertu d’un arrêté royal, les navires devront être non seulement visités par la douane, mais par la marine, et ne pourront descendre ni remonter l’Escaut sans être convoyés jusqu’à Lillo, et ceux qui vont en mer seront également convoyés jusqu’à la mer. Il y a plus, c’est qu’il faut attendre qu’il y ait un certain nombre.

Enfin, chaque espèce de marchandise, telle que le café, le tabac. etc., sera soumise à une taxe, à un droit de tonnage, comme nous l’appelons, de manière que pour faire la vérification de toutes les marchandises, on sera peut-être obligé de les décharger.

Justement alarmé de cette nouvelle, j’ai cru que j’étais dans l’obligation de la communiquer à la chambre et au gouvernement, pour qu’il avise aux moyens de s’opposer à une pareille mesure.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Le gouvernement ne peut que remercier l’honorable M. Osy de la nouvelle qu’il a bien voulu lui annoncer, Cette nouvelle, messieurs, ne nous avait encore été communiquée ni officiellement, ni officieusement ; mais la chambre peut être sûre que si le fait qu’on signale est vrai, plus les vexations sont grandes, plus le gouvernement aura de soin à les faire cesser.

M. Gendebien. - J’avais pris d’abord pour une ironie le compliment que M. le ministre des affaires étrangères a adressé à l’honorable M. Osy

Il est vraiment inconcevable, messieurs, que le gouvernement en soit réduit à apprendre, par des membres de la chambre, un fait consommé, alors que notre diplomatie nous coûte si cher ! A quoi nous sert donc d'avoir une diplomatie, si c’est par des journaux que nous devons apprendre les mesures désastreuses qui sont prises contre notre commerce et notre liberté ? Eh ! messieurs, fermez votre boutique, car ce n’est qu’une boutique... (Rires et murmures). Finissons-en de ce mauvais tripot et agissons comme un peuple libre, comme un peuple régénéré doit agir. Quoi ! depuis le 31 janvier, le roi Guillaume a pris un arrêté désastreux pour nous, et notre gouvernement n’en sait rien ! Nous avons de nombreux amis, nous avons la France et l’Angleterre, et cependant nous ne savons rien ! Mais à quoi bon cette amitié si elle ne sert pas même à nous faire connaître des faits qui nous intéressent, je ne dirai pas avant l’événement, mais après l’événement ? Peut-on concevoir après cela l’utilité de la diplomatie ?

Le ministre nous a dit que le gouvernement, précisément parce que les vexations sont grandes, mettrait plus de soin à y porter remède ; c’est-à-dire que si ces vexations étaient petites, on n’y ferait rien. Mais, parce qu’elles sont grandes, on y pourvoira ; et comment y pourvoira-t-on ?

Rappelez-vous, messieurs, l’affaire de M. Thorn. Quand on apprit son arrestation, on est venu nous dire que c’était une violation du droit des gens, un scandale européen, qu’on n’en parlait qu’avec une profonde douleur et qu’on allait user de représailles. Eh bien ! nous avons appris que les officiers hollandais, pris sur notre territoire, avaient été restitués immédiatement. Et comment cette affaire a-t-elle été finie ? Parce qu’un de nos honorables collègues a eu plus de courage à lui seul que le gouvernement tout entier. Il a arrêté M. Pescatore, et M. Thorn a été échange contre lui. Vous savez à quelles conditions. L’agent belge, charge de cette négociation, n’a pas même obtenu l’autorisation de prendre une qualification quelconque. Peu s’en est fallu même qu’on n’ait destitué l’honorable membre qui avait fait procéder à l’arrestation de M. Pescatore.

Il y a plus, messieurs ; si nous sommes bien informés, on a pris l’engagement d’étouffer toutes poursuites à l’égard des bandes de Tornaco. Le colonel chargé de cette brillante affaire n’a pas pu même prendre le titre d’aide-de-camps du Roi des Belges ni d’envoyé du Roi des Belges ; il n’a été considéré que comme agissant au nom d’un gouvernement de fait. Et tandis que le gouvernement belge, assez bénévole, assez bon pour suspendre la constitution, en arrêtait les poursuites, le roi Guillaume, pour vous donner un soufflet sur l’autre jour, car vous en avez déjà eu un, le roi Guillaume veut faire condamner par contumace des Belges pour délits politiques dans le Luxembourg.

Messieurs, croyez-vous que cet état de choses puisse durer longtemps ! Si l’on n’a pas le courage de se servir de notre armée, qu’on la licencie. Car faites-y bien attention ! Si nous étions dans un état de faiblesse tel que nous ne pussions pas faire acte de représailles pour obtenir justice par nous-mêmes, nous serions à plaindre et nous exciterions la pitié. Mais alors qu’une nation de 4 millions de citoyens compte une armée de 130,000 hommes, ce n’est plus la pitié qu’elle excite, c’est un autre sentiment. Elle est déshonorée, et vous savez ce qui suit le déshonneur. Eh bien ! maintenant que vous avez laissé déshonorer la nation, osez la réhabiliter par un coup d’Etat ; car vous êtes tellement liés par la France et l’Angleterre, que ce n’est que par un coup d’Etat que vous pouvez agir par vous-mêmes. S’il est vrai que vous ayez du sang belge dans les veines, comme vous l’avez dit si pompeusement au congrès, faites usage de vos ressources. La nation est fatiguée ; l’armée de son côté se démoralise tous les jours. Elle a demandé en vain depuis dix-huit mois le signal pour laver la honte du mois d’août, honte qui retombera sur ceux qui l’ont amenée. Eh bien ! demain elle participera peut-être à l’affaiblissement de la nation.

M. Dumortier. - Messieurs, il serait difficile de contenir son indignation lorsqu’on entend un ministre du Roi répondre à une interpellation aussi importante que celle qui lui a été faite par notre collègue, et qui touche si vivement à nos plus chers intérêts ; répondre, dis-je, à cette interpellation avec un ton d’ironie que plus les vexations sont graves, plus le gouvernement mettra de soin à les faire cesser. Eh ! bien, messieurs, ne savons-nous pas depuis longtemps ce que nous devons attendre de pareilles déclarations de la part d’un gouvernement qui compte pour rien l’honneur et la dignité nationale !

Le congrès, messieurs, a eu de beaux jours, le gouvernement provisoire a eu des jours sublimes ! Mais, je dois le dire avec douleur, depuis le mois d’août, je n’ai vu aucun acte, je n’ai vu aucun fait qui prouve que la Belgique a encore du sang dans les veines, qui prouve que nous sommes des hommes libres et que nous avons encore ce courage et cette énergie qui ont enfanté la révolution.

Sous le gouvernement provisoire, alors que l’Escaut était fermé, qu’ont fait les puissances pour obtenir la libération de Maestricht ? Elles ont considéré le déblocus de l’Escaut comme une condition indispensable pour faire cesser le blocus de Maestricht. J’en trouve la preuve dans le protocole de la conférence, qui porte le n°10. Je lis dans ce protocole que le gouvernement hollandais sera obligé de débloquer l’Escaut, et que la Belgique de son côté devra cesser l’investissement de Maestricht. J’ai en mains ce protocole, et j’y vois que le roi Guillaume a formellement déclaré que les bâtiments appartenant aux ports belges n’auraient pas été et ne seraient pas molestés tant que les Belges ne molesteraient ni les habitants ni les propriétés des provinces septentrionales.

Maintenant que, malgré une garantie si formelle contractée à la face de l’Europe, le roi Guillaume vient sans motif aucun insulter à notre pavillon, le droit du ministère, et ce droit constitue un devoir, c’est de mettre de nouveau le blocus devant Maestricht. Voilà comme on agissait aux grands jours de la révolution.

Eh bien ! depuis l’intervention l’Escaut a été fermé au pavillon belge. Nous avons vu l’Angleterre et la France prendre des mesures vigoureuses pour faire respecter leurs pavillons ; mais le gouvernement belge n’a rien fait pour que le nôtre fût respecté. Et, tandis qu’on retenait nos troupes dans l’immobilité, nous avons vu arriver une armée étrangère de la frontière de France, et notre jeune et belle armée a dû se borner au rôle honteux que lui a fabriqué la diplomatie. Mais ce n’est pas tout.

Depuis lors quels événements se sont passés ? Vous avez vu des citoyens belges lâchement assassinés par les sbires du roi Guillaume, des officiers frappés, outragés et arrêtés sous les murs de Maestricht, des magistrats belges condamnés à la mort et à l’infamie dans les murs de Luxembourg. Et voilà maintenant que des mesures désastreuses sont prises par l’ennemi, et le gouvernement dit qu’il n’en a pas même connaissance. Voilà ce que l’on fait pour venger l’honneur, la dignité nationale dans un moment où nous sommes si cruellement outragés !

En vérité, quand je me trouve en présence de pareils faits, quand je sens mon front rougir d’une pareille honte, je m’écrie avec douleur : Mieux vaut mille fois mourir les armes à la main que de souffrir la honte et le déshonneur de la patrie ! Quant à nous, membres de la représentation nationale, nous avons fait tout ce qui était est notre pouvoir pour maintenir notre dignité. Le gouvernement nous a demandé des hommes, nous lui avons accordé des hommes. Il nous a demandé de l’argent, nous lui en avons donné. Il nous a demandé une armée de réserve, et nous la lui avons encore accordée. Eh bien ! pense-t-il donc que la nation a mis toutes ses ressources à sa disposition pour que nos troupes présentassent les armes à des armées étrangères ? Ministres du Roi, réfléchissez-y bien ; si vous souffrez encore de pareilles interventions, je vous le prophétise, vous marchez vers une autre révolution.

Je termine en demandant quelles sont les mesures que le gouvernement entend prendre pour empêcher à l’avenir la violation de notre territoire et pour faire respecter notre pavillon.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Il me semble, messieurs, qu’on a singulièrement perdu de vue l’objet principal de l’interpellation de l’honorable M. Osy, et il me semble aussi qu’on ne s’est pas moins trompé sur les intentions de l’un de mes collègues, lorsqu’il a fait une réponse très laconique, mais cependant très significative.

On nous signale un fait dont nous n’avons connaissance que par un article de journal, et qui peut-être est puisé à la même source que celle qui a fourni à un honorable député le sujet de son interpellation. L’arrêté auquel on a fait allusion a-t-il été publié dans aucun journal hollandais ? Non, messieurs, nous n’en avons eu aucune espèce de connaissance par cette voie ; et certes, je ne pense pas, quelle que soit la volonté du gouvernement de se faire informer par sa diplomatie de tout ce qui intéresse le pays, je ne pense pas qu’il nous faille accréditer un agent diplomatique à Flessingue, chargé de nous rendre compte de tout ce qui se passe dans cette partie de l’Escaut.

Maintenant cet arrêté qui n’a reçu aucun publicité, qui n’a été notifié au gouvernement, ni par la France ni par l’Angleterre, et dont l’annonce ne nous est faite que par une correspondance particulière, cet arrêté qui ne concernait pas seulement la Belgique, mais tout l’Europe, a-t-il été exécuté ? Y a-t-il un seul fait qui le prouve ? Jusque-là je suis encore en droit d’en révoquer l’existence en doute. Du reste, s’il n’a encore reçu aucun commencement d’exécution, que peut faire le gouvernement ? Attendre, avant d’agir, que le fait soit mis hors de tout doute.

Vous savez, messieurs, qu’il a déjà circulé sur les entraves mises à la liberté de l’Escaut de versions que les circonstances sont venues démentir plus d’une fois. Avant d’entrer dans des explications sur ce que le gouvernement pourrait faire, sur les détails de représailles qu’il jugerait convenables, il faut nécessairement que le fait dont il s’agit soit placé hors de toute controverse ; et quant à son principe, et quant à son application, nous ne croyons pas avoir autre chose à dire en ce moment, parce que nous ne voulons point nous prononcer sur un fait encore incertain ; et quant à la politique extérieure, nous ne voulons pas nous engager dans une discussion déjà épuisée jusqu’à satiété.

Messieurs, vous connaissez nos principes. Placés dans des engagements contractés par la couronne avec l’assentiment de la représentation nationale, nous marchons dans ce sens. Si le ministère ne convient pas à la majorité de cette chambre, elle sait ce qu’elle peut faire ; qu’elle use de ses droits.

En ce qui concerne notre courage personnel, nous croyons n’avoir donné à personne de motifs d’en douter. Veut-on parler de notre courage politique ? Il faut s’entendre sur ce que quelques-uns appellent courage. Nous ne savons s’il y a courage à vouloir jouer sur un coup de dés un pays laborieusement conquis.

M. Osy. - Messieurs, en dénonçant le fait au gouvernement, je ne lui ai pas demandé de dire, aujourd’hui, ce qu’il compte faire ; j’ai seulement signalé le fait. Je n’accuse pas le gouvernement de ne pas connaître un arrêté pris le 31 janvier j’ai cru que le gouvernement devait l’apprendre ainsi que la chambre. C’est un des événements les plus importants dans notre politique extérieure. Le gouvernement n’a pas d’agents à Flessingue, mais les négociants en ont.

L’Escaut a été fermé au mois de juillet dernier, et malgré ce qu’a dit un journal ministériel, il a été fermé depuis la prise de la citadelle d’Anvers. Plusieurs navires ont été arrêtés, au nombre desquels on a signalé un navire autrichien. Depuis, deux navires, il est vrai, sont arrivés. L’un d’eux n’a pas été arrêté ; l’autre sortait des bassins de Flessingue.

Nous pouvons reprocher au gouvernement de ne pas connaître les intentions du gouvernement hollandais depuis la reddition de la citadelle ; voilà pourtant ce que devrait savoir notre ambassadeur à Londres.

M. de Brouckere. - Le ministre de la justice a commencé par se plaindre de ce qu’on avait changé l’objet de la discussion, puisqu’elle ne devait porter que sur un fait signalé par l’honorable M. Osy. Je ne croyais pas que la chambre en appelant un ministre dans son sein, il fût défendu aux membres de l’assemblée de parler d’autre chose que de ce qu’avait à dire M. Osy. Nous n’avons pourtant pas si souvent l’occasion d’interpeller M. le ministre des affaires étrangères pour qu’on restreigne cette faculté. S’il est impossible que nous ayons des agents diplomatiques en Hollande, ce n’est pas une raison pour ne pas savoir ce qui s’y passe.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - On le saura.

M. de Brouckere. - M. le ministre de la justice, qui a été ministre des affaires étrangères, a très bien su comment on pouvait employer dans un pays des agents non reconnus, des agents d’une tout autre espèce que les diplomates avoués. J’en ai la preuve dans les mains. Or je ne sais pas comment en 1833 on ne ferait pas ce qui s’est fait en 1831.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Nous n’étions pas en guerre.

M. de Brouckere. - M. le ministre a été fort prudent en ne répondant rien relativement à l’affaire de M. Thorn. Tout ce qu’a dit M. Gendebien est parfaitement vrai. Il est positif que l’agent envoyé pour négocier l’affaire n’a pas osé prendre le titre d’officier au service de la Belgique, n’a pas osé non plus prendre son titre d’aide-de-camp du Roi ; il a seulement pris le titre d’officier au service du gouvernement belge, parce que la Hollande ne reconnaît qu’un gouvernement de fait. Il est positif encore qu’on a souscrit aux violations les plus manifestes de la constitution. L’agent envoyé a d’abord signé une promesse que l’on ordonnerait la suspension, l’abolition des poursuites, l’annulation du mandat décerné par les autorités. On ne s’est pas contenté de cette promesse : l’agent du ministre a signé une pièce affirmant que les ordres avaient été donnés pour annuler les poursuites.

Je n’exige pas que le ministre de la justice me réponde en ce moment. Je me réserve de traiter à fond cette affaire lors de la discussion du budget, et une foule d’autres non moins graves que celle-ci.

Si le ministre garde le silence sur des faits qui sont déjà loin de nous, pourra-t-il dire quelques mots sur ce qui vient de se passer à Maestricht, sur les violences exercées contre deux officiers belges voyageant sur le territoire belge ? J’ai appris ces faits par les journaux ; sont-ils exacts ?

Ces officiers auraient été arrêtés par trois soldats de la maréchaussée, ou plutôt par trois brigands : l’un s’est, dit-on, échappé de leurs mains ; l’autre a été grièvement blessé. Je sais bien qu’on ne peut avoir des soldats belges sur tous les points du pays mais ce fait n’en montre pas moins jusqu’où va l’insouciance du gouvernement. Le chef de ces trois brigands, que je connais parce que j’ai eu des poursuites à diriger contre lui, rôde, non seulement aux environs de Maestricht, surtout dans la ville de Tongres, mais il circule dans la ville de Liége et s’y trouve dans toutes les occasions remarquables ; il y est toutes les fois que le Roi passe des revues.

C’est ainsi que le roi de Hollande sait ce qui se passe chez nous, tandis que l’on nous dit que nous ne savons rien de ce qui se passe en Hollande, parce que nous n’y avons pas d’agent accrédités.

Le gouvernement, qui déjà a abandonné une partie du territoire de Maestricht, veut-il en abandonner aussi les habitants aux bandits ? Ne prendra-t-il aucune mesure contre ces brigands qui rôdent à plus de cinq lieues aux environs de cette place et dans les contrées les plus populeuses, où l’on souffre déjà de la disette la plus dure, puisqu’on ne peut s’y procurer du chauffage ?

Il est impossible que ces faits ne soient pas connus du gouvernement. Il existe des magistrats à Liège qui en sont instruits et qui en ont causé avec moi.

M. de Foere. - Il faudrait mettre un peu de sagesse, un peu de calme dans les interpellations que l’on fait. (Plus haut ! plus haut ! On n’entend pas !) Les deux premiers orateurs qui ont parlé sur la communication que M. Osy venait de faire et sur la réponse du ministre des affaires étrangères auraient pu être plus modérés. Je ne prétends pas qualifier une pareille sortie. Le fait peut-être vrai, il peut ne l’être pas. Ces deux orateurs ont exprimé leur surprise de ce que le gouvernement n’a pas reçu avis de ce qui se passe avant le commerce ; mais il arrive partout, pour des choses semblables, que le commerce est le premier instruit. On peut citer des faits en foule pour prouver que de tels avis se répandent beaucoup plus par le commerce que par les agents des gouvernements.

Mais, ajoute-t-on, l’arrêté qu’a pris le gouvernement de Hollande date du 31 janvier : qu’importe la date ? Vous connaissez l’administration du roi de Hollande : on n’apprend quels arrêtés il prend que lorsqu’ils sont mis à exécution, surtout dans les questions qui concernent les affaires diplomatiques. Quand on veut attaquer son ennemi, on ne le met pas dans la confidence de ses projets. Je demande si Bonaparte, avant d’attaquer les nations, les mettait dans la confidence de ses intentions.

L’honorable M. Gendebien voudrait que des représailles eussent lieu contre la Hollande au sujet de l’affaire de Flessingue : mais les nations doivent se conduire les unes envers les autres d’après le droit des nations. On maintient l’ordre dans l’Etat d’après certaines règles, d’après des lois pénales ; on maintient l’ordre entre les nations également d’après des règles. Il faut d’abord épuiser la voie des négociations avant d’en venir aux représailles, et cela sous peine de se mettre l’Europe entière contre soi.

Messieurs, la Hollande ne désire rien tant que d’être attaquée par la Belgique ; elle vous provoque continuellement, et en voici la raison. Si elle est victorieuse, il en résultera de grands avantages pour elle par la voie des négociations ; si elle ne triomphe pas, si nous pénétrons sur son territoire, tous ses alliés, mêmes les nôtres, même la France et l’Angleterre, nous en expulseraient, de sorte qu’il ne pourrait résulter de nos attaques qu’avantage pour elle et désavantage pour nous.

M. de Robaulx. - Par conséquent renvoyez notre armée.

M. de Foere. - Vous aurez droit de me répondre ; ne m’interrompez pas.

Je continue. M. Osy lui-même a disculpé le gouvernement de ce qu’il n’avait pas appris, avant le commerce, le fait dont il a parlé ; ainsi les conséquences tirées par M. Gendebien sont au moins prématurées.

M. de Brouckere. - Le fait est-il connu du gouvernement ou ne l’est-il pas ?

M. Gendebien. - Je ferai connaître un fait signalé par le Moniteur Belge lui-même ; c’est celui de l’assassinat commis le 3 février par des soldats hollandais, assassinat suivi de vol.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - J’ai reçu un premier rapport sur ce fait, qui ne me paraît avoir aucun caractère politique.

Il est évident que si, dans le voisinage de nos frontières, des soldats profitent de l’isolement de quelques habitations pour y commettre des crimes, il y a là un fait qui est du ressort de la loi pénale, lorsque les auteurs des crimes ne se dérobent pas aux poursuites de la justice, et un fait dépouillé de tout caractère politique.

Si ceux qui s’en sont rendus coupables tombaient sous la main des agents de la force publique, certainement on les punirait sans que le gouvernement auquel ils appartiennent eût l’impudeur de réclamer.

Un second rapport m’est parvenu ce matin ; il donne aux faits un caractère tout autre, et fait planer les soupçons sur d’autres individus que des soldats hollandais. En présence de deux rapports, je dois attendre les résultats de l’enquête pour pouvoir donner des renseignements à la chambre, si tant est que je doive l’occuper de faits relatifs à l’administration de la justice.

Il ne faut pas se préoccuper tellement de politique que dans tout fait isolé l’on voie une atteinte portée à l’indépendance nationale, à l’honneur du pays, de manière que la Belgique soit obligée de recourir aux armes pour venger de tels affronts.

M. Jullien. - Et les deux officiers ?

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - - Cela me regarde.

J’ai écrit au chef d’état-major pour connaître ce qu’il savait sur cette affaire ; il m’a répondu n’avoir pas reçu de renseignements. D’un autre côté j’ai écrit au gouverneur de la province ; mais aucun avis officiel ne m’a été transmis jusqu’à présent.

M. Gendebien. - Messieurs, le ministre de la justice vient de dire que le fait de l’assassinat du malheureux qu’on a dépouillé n’était pas un fait politique ; que si on parvenait à saisir les assassins, on les traduirait devant les cours et tribunaux ; qu’on les condamnerait, et qu’on ne croit pas que le gouvernement hollandais le trouverait mauvais : si nous en étions à un premier fait de cette nature, nous pourrions nous contenter de ces explications. Mais les complices de Tornaco étaient sous la main de la justice, vous n’avez pas osé les poursuivre ; vous avez même pris l’engagement de ne pas les poursuivre. Nous n’avons rien de mieux à attendre.

Le ministre de la justice dit que le fait des deux officiers ne le regarde pas : le ministère est solidaire quand il s’agit de faire respecter l’intégrité du territoire, l’honneur du pays.

Un honorable préopinant assure que lorsqu’il y a simple négation de la part du ministère, il n’y a pas lieu à qualifier sa conduite.

Je suis étonné que le ministre des affaires étrangères, qui a de grosses sommes à sa disposition, qui est aidé par la police, ne connaisse pas un fait semblable ; mais par la nature de ses fonctions il devrait le connaître. C’est fort mal répondre que d’alléguer que nous n’avons pas d’agent diplomatique à Flessingue ; il y a deux sortes d’agents diplomatiques ; ce sont des espions non titrés qu’il faut avoir pour savoir ce qui se passe.

Quant aux représailles je ne les demande pas ; je sais bien que ce serait peine perdue. Du reste, je n’adopte pas les théories de M. l’abbé de Foere sur les représailles : d’Etat à Etat elles sont un devoir, si elles sont défendues entre particuliers.

Je ne veux pas dire par là qu’il faille aller assassiner en Hollande ; mais je dis qu’il faut attendre et arrêter ceux qui se présentent sur notre territoire ; il faut faire usage de notre armée pour montrer qu’on ne nous insultera pas impunément.

On a dit que l’on n’avait pas besoin de faire de nouvelles professions de foi : à quoi bon, en effet ? Que nous ont produit les anciennes professions de foi, si ce n’est de beaux mouvements d’éloquence qui ont entraîné le gouvernement et la chambre à des démarches dont les résultats sont pernicieux et honteux ?

On vous a dit que nous aurions le Luxembourg et que nous ne paierions pas la dette à la Hollande ; on nous a dit qu’un prince ne régnerait pas six mois en Belgique sans le Luxembourg, qu’on ne voulait pas faire les affaires de la Hollande en consentant à l’échange d’une partie du Limbourg ; et cependant vous savez tous ce qui est arrivé. Vous partez de vos intentions ; nous ne les attaquons pas : nous n’allons pas jusque-là ; mais nous parlons du résultat détestable de vos bonnes intentions.

M. Nothomb. - Ce n’est pas pour la première fois que nous avons à nous plaindre d’entraves mises à la navigation de l’Escaut. Quoiqu’elle n’existe que depuis deux ans, la Belgique a des précédents : nous avons droit à la liberté de l’Escaut depuis le 10 novembre 1830 ; mais ce droit que nous avions acquis, il n’est devenu une réalité que le 10 janvier suivant. Ainsi l’Escaut a été soumis à des entraves pendant plus de deux mois. Ce qui est arrivé au gouvernement provisoire arrive aujourd’hui au gouvernement du Roi ; des réclamations que le ministre des affaires étrangères pourra avoir à faire, le comité diplomatique avait à les faire ; l’attitude que le congrès prit à cette époque, la chambre saura la prendre de nouveau.

Le congrès a compris qu’il fallait se renfermer dans les engagements existants, qu’il fallait d’abord s’en référer aux puissances, sous la garantie desquelles les engagements avaient été contractés, et obtenir de la sorte le redressement des griefs. C’est alors qu’il a été posé un principe de réciprocité qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que le déblocus de l’Escaut se rattache au déblocus de Maestricht. Si nos réclamations étaient sans succès, nous pourrions donc puiser dans les engagements contractés un moyen de nous faire justice à nous-mêmes sans manquer à la foi promise.

Voilà, d’après moi, comment un gouvernement régulier doit agir, doit se conduire dans les limites des traités.

Ainsi, messieurs, je le répète, la question qui se présente aujourd’hui ne s’offre pas à nous d’une manière vague ; elle se présente avec un antécédent sur lequel nous pouvons nous appuyer : nous reproduirons d’anciennes réclamations, en leur donnant le même caractère ; ce que le congrès a approuvé de la part du gouvernement provisoire, la chambre, je le suppose, l’approuvera de la part du gouvernement du Roi.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, nos honorables collègues MM. Gendebien et Dumortier vous ont parlé des condamnations qui ont eu lieu dans les murs de Luxembourg, où un tribunal qui juge au nom du roi Guillaume a condamné quelques-uns de nos plus honorables concitoyens qui ont droit à toute la protection du gouvernement dans la circonstance où les a placés ce jugement, qui est un avant-coureur de ce qui est réservé aux Belges que vous avez cédés.

Ce n’est pas seulement comme citoyens belges, messieurs, qu’ils ont droit, et qu’ils réclament cette protection. Ils sont aussi des hommes de septembre, ayant embrassé la cause belge dès le principe de notre révolution en désertant la forteresse avec les archives qui nous étaient nécessaires. Voilà pourquoi ils ont été condamnés, l’un à mort, l’autre à la marque et autres peines de ce genre, qui ne les inquiètent pas, parce qu’ils ont dû renoncer pour toujours à habiter leur pays natal. Mais leurs biens seront saisis si notre gouvernement ne proteste pas contre l’infamie de ce jugement, qui sans doute sera improuvé comme il doit l’être par les cours même amies de la Hollande. Je demande donc que le gouvernement essaie encore sa diplomatie pour faire casser un jugement qui compromet la situation sociale de fonctionnaires belges distingués, surtout par leur patriotisme, dont ils pourraient être victimes s’ils ne sont pas protégés avec l’énergie dont il serait temps de faire usage.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, si le gouvernement ne croyait pas qu’il y a beaucoup d’inconvénient à venir rendre compte quotidiennement de ses actes, l’honorable préopinant ne lui aurait sans doute pas adressé l’admonition que vous avez entendue tout à l’heure.

Je déclare, sans vouloir entrer dans la discussion de l’affaire relative à M. Thorn et à tout ce qui s’y rattache, et en partageant l’opinion de M. de Brouckere, que cette discussion sera beaucoup mieux placée lors de la délibération du budget ; je déclare que ma conduite dans l’affaire Tornaco provient d’une divergence d’opinion entre le ministre précédent et moi. Je n’ai jamais considéré Tornaco et sa bande comme des prisonniers de guerre. Cette doctrine a été plaidée devant la cour d’assises de Namur et un arrêt solennel s’est déjà prononcé à cet égard. Mais cette manière de juger du caractère de l’accusation contre Tornaco est purement facultative, et du moment où le gouvernement hollandais exerce des poursuites contre les sujets belges, je déclare que je n’hésiterai pas à changer de conduire. Déjà depuis plus d’un mois j’ai fait solennellement notifier par le ministre des affaires étrangères au gouvernement hollandais que, si des poursuites de la nature de celles relatives au sieur Ruth (car je ne sache pas qu’il en ait été fait d’autres), que si ces poursuites ne cessaient pas immédiatement, je regarderais comme non-avenus tous les engagements pris par le gouvernement de la Belgique, sous la condition formelle d’une entière réciprocité.

Ce que j’ai dit, je le ferai. La chambre peut prendre acte de mes paroles. Si les poursuites ne sont pas abandonnées par le gouvernement hollandais, je me croirais délié des engagements antérieurs, et les poursuites par contumace seront reprises par le gouvernement de la Belgique avec toute la rigueur qui lui convient. (Marques d’approbation.)

M. de Brouckere. - Je commence par déclarer que ces explications de M. le ministre de la justice ne me satisfont en aucune manière. Peu m’importe comment il considère la bande de Tornaco. Je soutiens qu’en aucun cas il ne lui appartient d’annuler des procédures, des ordonnances rendues par des magistrats, et d’anéantir des poursuites commencées. La violation de la constitution est flagrante, et j’y reviendrai à propos du budget.

Maintenant, je désire dire deux mots seulement sur les observations de M. Nothomb. Je n’aurais rien répondu s’il avait parlé comme député, mais il s’est fait l’organe du gouvernement, et il a terminé par annoncer que ce que ferait le gouvernement aurait notre approbation.

Eh bien, pour ma part, je dis qu’un système pareil à celui que nous a développé M. Nothomb n’aura pas la mienne. Il nous a fait remarquer qu’au mois de novembre, l’Escaut était ouvert de droit ; que nous avions demandé qu’il fût ouvert de fait. Et comment l’avez-vous obtenu ? a-t-il ajouté. Sous la condition de débloquer Maestricht. Ainsi, il établit une relation entre ces deux objets, et il dit : La même chose arrivera encore aujourd’hui.

Messieurs, en 1830 Maestricht était bloqué de toutes les manières, et si l’on n’avait pas cédé aux instances qu’on faisait de lever ce blocus, cette place serait maintenant en notre possession. Mais aujourd’hui, prétendre qu’en mettant quelques bataillons autour de Maestricht, nous obtiendrons la liberté de l’Escaut, cela tend seulement à nous fermer la bouche.

M. Nothomb. - Messieurs, en prenant la parole tout à l’heure, ce ne pouvait être au nom du gouvernement ; je n’ai point ce droit. J’ai seulement rappelé ce qui s’est passé sous le comité diplomatique, dont je faisais partie, et à cette époque j’avais le droit de parler au nom du gouvernement. Le principe de réciprocité entre la liberté de l’Escaut et la liberté de la forteresse de Maestricht n’est pas de mon invention. Je ne l’ai pas même établie par induction ; il est écrit en toutes lettres dans le protocole n°10, du 11 janvier, et n’en déplaise à l’honorable orateur, il pourrait se présenter telle circonstance où, en désespoir de cause et à toute extrémité, on pourrait se prévaloir ou menacer de se prévaloir de ce principe.

- Plusieurs voix. - Il est 4 heures et demie, à demain !

M. Gendebien. - Je veux dire deux mots seulement. On a cité le gouvernement provisoire. Eh bien ! qu’a fait le gouvernement provisoire ? S’est-il adressé à la conférence pour faire le blocus de Maestricht afin d’amener l’ouverture de l’Escaut ? Non, c’est le 21 novembre que l’Escaut n’était pas libre, et immédiatement après, quand nous avons su que l’Escaut n’était pas libre, nous avons envoyé le brave général Mellinet, non pas avec 100,000 hommes, mais avec sa brigade de 2,500 volontaires. Nous n’avons pas demandé la permission à la conférence, et nous avons mis le blocus. Eh bien, que le gouvernement actuel ait le courage du gouvernement provisoire.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.