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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 28 août 1833

(Moniteur belge n°242, du 30 août 1833)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Liedts fait l’appel nominal à 1 heure moins un quart.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.


M. de Brouckere. - Messieurs, je viens d’entendre annoncer qu’une pétition est relative aux los-renten, et je vois qu’à la suite de la pétition les signataires présentent un projet de loi sur la matière. Il me semble que la question que soulèvent les los-renten devrait être traitée à l’occasion du budget de la dette publique. Bien que le ministre des finances ait fait un rapport très détaillé sur les los-renten, il est vrai de dire que la question n’a pas été discutée en séance publique.

Je demanderai que la commission des pétitions soit invitée à nous faire demain ou après-demain un rapport sur le mémoire adressé à la chambre.

M. Legrelle. - Je ne m’oppose pas au renvoi de la pétition à la commission spéciale ; mais j’aurai l’honneur de faire observer à l’assemblée que pareille pétition a déjà été adressée à la chambre, et que la commission des finances a fait un rapport assez étendu sur cette pétition et sur les questions qui découlent des los-renten. Ce rapport a fait voir qu’il était impossible de faire droit aujourd’hui aux réclamations ; qu’il était impossible de payer les intérêts sans courir les risques de faire arriver ici les los-renten de Hollande.

M. de Brouckere. - Je connais le rapport fait par l’honorable M. Angillis ; mais un rapport ne fait pas loi. Il est très vrai de dire que la question n’a pas été discutée en séance ; or, il appartient à chacun des membres de soulever les questions relatives aux los-renten. C’est à l’occasion du budget de la dette publique que doit se trouver cette discussion. J’insiste donc sur ma proposition.

- La proposition de renvoyer la pétition à la commission spéciale, qui en ferait prochainement un rapport, est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l'exercice 1833

Motion d'ordre

M. Dumortier, rapporteur. - Lorsque, dans votre dernière séance, j’ai déclaré qu’une des pièces invoquées par l’honorable M. Nothomb était, à mon avis, fausse, matériellement fausse ; lorsque j’ai déclaré que les deux signatures qui étaient au bas d’une prétendue lettre, me paraissaient, ainsi qu’à M. Lardinois, et à d’autres membres, être faites par la même main, et qu’il était étrange qu’on vînt nous présenter des pièces qui élevaient tant de doutes ; lorsque j’ai demandé le dépôt de toutes les pièces citées, dépôt que nous n’avons pas obtenu, quoique la circonstance de la lettre le rendît nécessaire, j’étais loin de m’attendre qu’un journal du ministère viendrait le lendemain m’accuser d’avoir falsifié des pièces.

Ce journal donne à entendre que j’ai fait une falsification de pièces semblables à celle que je signalais dans une de nos précédentes séances. On a gardé le silence sur les doutes élevés contre plusieurs pièces ; je n’imiterai pas la discrétion de M. le secrétaire général des affaires étrangères, et je dirai ce qui s’est passé dans le sein de la section centrale.

Il est reçu que la section centrale délibère quand elle est au nombre de quatre membres, et nous avons examiné le budget des finances entre cinq membres. L’honorable M. Brixhe n’a assisté à aucune de nos séances quand nous discutions ce budget spécial, et M. Lardinois a paru deux ou trois fois à ces mêmes séances. J’ai été nommé rapporteur par les membres présents, j’ai fait mon rapport conformément à leur décision, c’est-à-dire conformément à la décision de la section centrale constituée suivant les termes du règlement

Des membres de la chambre, en grand nombre, montraient de l’impatience de ne pas avoir le rapport sur les finances ; après avoir lu une partie de mon travail à la section centrale, du moins à ceux des membres qui la formaient, nous avons cru que rien ne s’opposait au dépôt du rapport sur le bureau, sauf à examiner jour par jour si la rédaction concordait avec les décisions prises. C’est ainsi qu’on a procédé pour la loi sur les distilleries ; c’est ainsi qu’on a été forcé de procéder pour tous les écrits qui exigent un grand nombre de feuilles d’impression.

Quand une partie du rapport fut imprimée, un membre de la section centrale qui n’avait point pris part à nos travaux, et un autre membre que nous avions vu deux fois, se sont présentés et ont prétendu que l’on avait changé l’avis de la section centrale ; ils ont voulu que le rapport fût modifié ; je me suis opposé à toute modification, j’ai soutenu que le rapport devait rester tel qu’il était.

D’après ce récit vous voyez s’il y a rien là qui ressemble à une falsification de pièces et au faux dont la lettre produite par M. Nothomb est entachée ; et j’abandonne à M. Nothomb et à ses adhérents le soin de trouver s’il y a similitude entre ma conduite et la leur.

M. Lardinois. - Messieurs, je ne prendrais pas la parole si l’on n’avait pas prononcé mon nom, et je garderais encore le silence si le préopinant pouvait croire qu’il s’agit de l’accusé d’un faux.

Vous vous rappelez, messieurs, qu’hier j’ai exprimé le regret de l’absence de M. Dumortier, parce qu’il aurait pu donner les explications qu’on provoquait de toutes parts au sujet du rapport du budget et des finances.

Je n’ai demandé la parole que pour répondre à un honorable membre, qui me semblait avoir voulu inculper la section centrale, et à cette occasion j’ai signalé un fait qui appartenait uniquement à M. le rapporteur et non à la section centrale.

Je m’étais borné à cette simple explication ; mais aujourd’hui que l’honorable rapporteur, M. Dumortier vient récriminer et rapporter inexactement les faits, je dois à la vérité de m’expliquer plus catégoriquement.

Oui, M. Dumortier a dépose sur le bureau un rapport qui ne pouvait être que sien puisqu’il n’avait pas été soumis et par conséquent approuvé par la section centrale. Et quelle n’a pas dû être ma surprise et celle de mes honorables collègues, composant la section centrale, de voir un pareil procédé, lorsqu’il avait été convenu, entre nous, de revoir attentivement le travail du rapporteur, parce que nous avions la conviction les uns et les autres que les décisions de la section centrale avaient été prises avec un peu de précipitation ? D’ailleurs, nous devions examiner et peser les réponses aux questions que nous avions adressées à M. le ministre des finances. Aussi, après le dépôt du rapport, nous nous sommes réunis, et nous avons trouvé qu’il y avait lieu à des rectifications.

Je suis le premier à rendre hommage au zèle et à l’activité de l’honorable M. Dumortier ; aussi je ne veux pas scruter les motifs qui l’ont fait agir dans cette circonstance. Mais qu’il me soit permis de lui avouer que je ne crois pas à l’infaillibilité des hommes, et je ne puis m’empêcher de trouver sa marche irrégulière. Peut-être a-t-il un peu trop présumé de la complaisance de la section centrale ? ou bien encore, il se trouvait dans le cas de Vertot : son siège était fait, parce qu’il avait fait imprimer déjà une partie de son rapport.

Je ferai encore une déclaration. Quoique fonctionnaire public, je prie l’honorable rapporteur d’être assuré que dans l’exercice de mon mandat de député, je saurai conserver l’indépendance de mon vote, comme aussi je saurai me défendre de certaines complaisances qui peuvent bien convenir aux amours-propres, mais qui tournent toujours au détriment de la chose publique.

M. Dumortier, rapporteur. - Ce que vient de dire l’honorable membre est très grave. Il prétend que j’ai déposé le rapport sur le bureau de la chambre avant de l’avoir lu à mes collègues ; cette assertion est de la plus grande fausseté.

L’honorable membre à d’autant plus mauvaise grâce à émettre une pareille assertion, qu’il n’était pas à la séance de la chambre quand j’ai communiqué mon rapport et quand je l’ai déposé. MM. Zoude, Legrelle, et les autres membres de la section centrale, peuvent dire ce qui a eu lieu. C’est après avoir lu tout ce qui a rapport au chapitre premier, que j’ai envoyé mon rapport à l’impression.

Notre honorable collègue a dit que mon rapport n’avait pas l’assentiment de la section centrale ; c’est encore là une inexactitude. Afin d’activer l’impression, on est convenu dans la section centrale que le rapport serait déposé tel qu’il était. Au reste, qu’est-ce que le rapport ? C’est un ensemble de chiffres sans conclusions utiles, puisque les sommes sont dépensées.

Après le dépôt du rapport, deux membres qui n’avaient point paru dans la section centrale pour prendre part à l’examen du budget des finances sont venus émettre une opinion et déplacer la majorité ; ils voulaient, en conséquence, qu’un nouveau rapport fût fait.

Nous n’avons rien voulu changer à un travail consenti par la majorité des membres qui s’étaient livrés aux investigations dont le budget des finances était susceptible. Une seule modification a été admise ; elle porte sur une somme de 700 fr., relative à la comptabilité. M. Lardinois voulait d’autres changements sur les contrôleurs…. (Bruit.)

- De toutes parts. - A l’ordre du jour ! à l’ordre du jour !

M. Lardinois. - Je dois me justifier d’une espèce de reproche que m’a adressé M. Dumortier sur mon absence de la section centrale. Un malheur particulier, la mort d’une sœur, m’a obligé de retourner chez moi pour quelques jours. J’ai chargé alors un de mes collègues de me représenter, ainsi que cela se pratique toujours, et je suis revenu lorsque le 2ème chapitre du budget était entamé. J’ai donc assisté aux discussions qui ont eu lieu pendant 5 à 6 séances de la section, et non pas à 2 ou 3 comme on vous le dit.

En définitive, messieurs, je vous ai signalé un fait et j’adjure mes honorables collègues de la section centrale s’il est exact ou non ; si j’avais été à la séance lors du dépôt, j’aurais protesté contre cette irrégularité.

- Les cris : A l’ordre du jour ! assez ! Assez ! passons à l’ordre du jour ! se renouvellent et empêchent d’entendre MM. Vilain XIIII et Dumortier, qui parlent en même temps.

M. Dumortier, élevant la voix. - Toute la question se réduit à savoir si j’ai changé quelque chose aux décisions de la section centrale ; je défie qu’on cite un seul mot qui soit changé…

- L’ordre du jour est demandé avec de nouvelles instances.

L’ordre du jour, mis aux voix, est adopté.

Projet de loi portant le budget de l'Etat de l'exercice 1832

Discussion générale

M. de Brouckere. - Mais on ne peut pas ouvrir la discussion générale sans savoir quand nous aurons le rapport sur le ministère des finances.

M. Liedts. - La parole est à M. Seron.

M. Seron. - Messieurs, la Belgique est indépendante en vertu d’un décret du congrès national ; elle est libre suivant sa constitution, elle est neutre aux termes des protocoles ; les cinq grande puissances de l’Europe l’ont reconnue. Cependant le peuple se plaint, il voudrait qu’on lui demandât moins d’argent. Mais le moyen de lui donner satisfaction sur ce point, s’il est reconnu que les impôts ne couvrent pas les dépenses et que notre dette s’accroît tous les jours ? Le moyen, messieurs, est tout simple : c’est de mettre les dépenses au niveau de la recette, même au-dessous, et vous le pouvez sans inconvénient.

Les principales réductions doivent porter sur le département de la guerre, le plus ruineux de tous. Il faut diminuer le nombre des généraux, des officiers de tous les grades, des soldats, des employés militaires. Pourquoi conserver une armée de plus de 100,000 hommes ? Qu’a-t-elle fait depuis deux ans ? A quoi peut-elle servir ? Est-ce à défendre notre liberté et celle des peuples nos alliés, contre les gouvernements despotiques ? Mais depuis que les gouvernements constitutionnels s’entendent avec la Sainte-Alliance, elle n’a plus d’intérêt à les renverser ; une guerre de principes n’est plus à craindre.

Est-ce pour forcer les Hollandais à reconnaître notre indépendante ou pour repousser leurs agressions ? Mais, lors de la discussion de l’adresse au Roi, M. Nothomb vous a prouvé l’inutilité de cette reconnaissance, et si les Hollandais se permettent de vous attaquer, ce qui n’est guère probable, on y mettra ordre par une troisième intervention ; il ne sera pas nécessaire, il ne vous sera pas permis de vous défendre vous-mêmes. Enfin, messieurs, une armée aussi considérable n’est pas nécessaire pour contenir le peuple ; vous ne voulez pas, à cet égard, suivre l’exemple d’un gouvernement voisin.

L’armée mise sur le pied de paix et proportionnée à notre population, à notre situation, à nos ressources, il sera indispensable de faire descendre la solde et les traitements à une fixation raisonnable et modérée. On y parviendra sans que les officiers subalternes en souffrent, si, en diminuant le luxe des uniformes, on leur donne le moyen de s’habiller à meilleur marché.

Mais là ne doivent pas s’arrêter vos économies. Puisqu’en diplomatie on fait vos affaires sans vous, un ministère des relations extérieures est inutile ; supprimez-le donc, ou du moins confiez-le au ministre de la justice ; que ce dernier en ajoute les attributions à celles qu’il a déjà détachées du ministère de l’intérieur ; elles n’augmenteront pas beaucoup son travail ; elles n’exigeront de lui que quelques accusés de réception. Vous savez, messieurs, que le rôle de la diplomatie devait être court et très court ; elle devait donc finir ; il y a quelque part deux ans et demi qu’on nous l’annonçait. il est temps que la prédiction s’accomplisse.

Par la même raison, supprimez les ambassadeurs qui coûtent beaucoup ; ils n’ont rien à faire. Il en est même si je suis bien informé, qu’on paie pour demeurer chez eux : tout cela est abusif et prouve que nous sommes singulièrement administrés. Puisqu’on nous déclare neutres comme les Suisses, il nous suffit d’avoir comme eux des envoyés, des ambassadeurs au petit-pied, vivant modestement, se contentant d’une indemnité modique. An reste quand je dis : Supprimez les ambassadeurs, je me trompe ; vous ne pouvez supprimer que le traitement, car ce n’est pas vous qui nommez aux emplois.

Puisque vous êtes dans la bonne voie, allez plus loin. Diminuez le traitement de M. l’archevêque de Malines, qui touche autant qu’un ministre ; le traitement de M. le premier président de la cour de cassation, montant à 14,000 fr. ; les traitements de MM. les évêques, qui s’élèvent à 14,700 fr. ; les traitements de MM. les procureurs-généraux, présidents de chambre, présidents de cours d’appel, conseillers, gouverneurs, administrateurs, directeurs-généraux, secrétaires généraux, inspecteurs, et de tant d’autres dont je ne parle point, parce que je n’aurais jamais fini si j’entreprenais d’en donner la liste complète

Sans doute, tous ces messieurs, dont le dévouement à la révolution est bien connu, se soumettront avec plaisir à une retenue qui contribuera à l’affermir en affermissant le crédit public et en soulageant le peuple. Quant aux appointements qui ne font que donner à vivre à ceux qui en jouissent, n’y touchez pas ; vous feriez crier, et l’on crierait avec raison. Ce n’est pas avec des économies de bouts de chandelles que vous remédieriez au mal, que vous comblerez votre déficit.

Enfin, messieurs, révisez les pensions, vous en avez le droit. Sans parler de celle de M. le régent, on en a accordé, depuis la révolution, un grand nombre qu’il serait scandaleux et abusif de laisser subsister ou, du moins, de ne pas réduire considérablement.

Mais pour en revenir à votre déficit que, dans le rapport fait, au nom de la section centrale sur le budget de la dette publique, M. Dumortier-Ruteau nomme le découvert du trésor, je crois qu’au 31 décembre prochain, il s’élèvera à près de 86 millions de francs, et que si l’on nous dégrève des 55 millions dus à la Hollande, il ne consistera plus qu’en une somme de 31 millions. Mais comme il est probable qu’on ne diminuera rien, le déficit restera tel qu’il est. Je me trompe, il augmentera considérablement l’année prochaine, à moins qu’on n’apporte des changements à l’ordre actuel des choses. Après cela jugez, messieurs, si les mesures que je propose peuvent être regardées comme une plaisanterie, et si elles ne sont pas commandées par la nécessité.

Je sais, au reste, que l’application de ces mêmes mesures aux quatre derniers mois de l’année peut paraître impraticable ; mais ce n’est pas une raison pour me faire voter des dépenses que j’ai constamment désapprouvées.

M. de Brouckere. - Trois années se sont écoulées depuis le moment où s’est opérée notre régénération politique, et jusqu’ici l’article 115 de la constitution, bien que l’un des plus importants qu’elle renferme, n’a pas reçu une seule fois son exécution.

« Chaque année, dit cet article, le chambres arrêtent la loi des comptes, et votent le budget. Toutes les recettes et dépenses de l’Etat doivent être portées au budget et dans les comptes. »

De loi des comptes, nous n’en avons pas voté encore. Ce fut au mois de mai 1832 que fut adopté le premier budget, c’est-à-dire cinq mois trop tard ; et cette année, ce sera pendant le neuvième ou le dixième mois de l’exercice que le budget sera décrété. A qui faut-il reprocher une irrégularité aussi grave, et dont les conséquences doivent nécessairement être si funestes ? Cette question n’a nul besoin d’être traitée ; une même réponse est dans toutes les bouches.

Mieux vaut tard que jamais, dit un ancien proverbe. Puisqu’il en est ainsi, agissons aujourd’hui comme nous le ferions si nous étions, non à la fin du mois d’août, mais dans les premiers jours de janvier.

L’an passé, vous daignâtes écouter avec bienveillance les observations que je crus devoir vous soumettre sur la marche du gouvernement. J’eus, à cette occasion, un autre succès encore ; je fus loué par le journal que rédigent M. Lebeau et ses amis : M. Lebeau alors n’était pas ministre. Cette dernière bonne fortune je ne dois plus m’y attendre ; je tâcherai de m’en consoler. Mais mes principes étant aujourd’hui les mêmes qu’ils étaient à cette époque, mes intentions n’ayant point changé, je crois avoir les mêmes droits à votre confiance.

Puisque j’ai parlé de mes principes, qu’il me soit permis, messieurs, de vous faire en peu de mots une nouvelle profession de foi qu’ont rendue nécessaire les moyens de tout genre employés par certaine gens contre moi, comme contre nos honorables amis, pour nous nuire dans votre opinion. J’ai successivement, quelquefois même simultanément, été accusé d’être républicain et d’être réunionsite : un instant on avait cherché à me regarder homme partisan de la restauration ; mais la ruse était trop maladroite, l’accusation trop absurde ; elle ne pouvait avoir de succès : on y renonça.

Suis-je républicain ? Messieurs, lorsqu’on discuta, dans le sein du congrès, quelle serait la forme du gouvernement que l’on adopterait pour la Belgique, je n’hésitai pas un instant à me prononcer pour la monarchie constitutionnelle représentative. Si aujourd’hui la question devait s’agiter de nouveau, je ne balancerais pas davantage à me prononcer dans le même sens. Je ne crois pas l’établissement d’une république possible chez nous ; en fût-il autrement, je croirais encore devoir en conscience m’y opposer, parce que je ne vois pas sous cette forme de gouvernement le bonheur de mon pays.

Suis-je réunioniste ? Qu’on relise tout ce que j’ai dit depuis trois ans ; qu’on dissèque toutes et chacune de mes paroles, je défie d’y trouver un seul mot qui autorise à le penser. Je me suis toujours déclaré pour l’indépendance du pays, indépendance qui doit sourire à tout Belge fier de sa nation ; et s’il pouvait rester dans quelque esprits le plus léger doute à cet égard, je prierais de faire une seule réflexion, qui rend toute autre superflue : c’est à la ville de Bruxelles, messieurs, que je dois l’honneur de siéger parmi vous. La réunion de la Belgique à la France serait pour les habitants de Bruxelles un immense malheur ! Pensez-vous que ce soit pour les trahir que j’ai accepté le mandat qu’ils m’ont confié ? Une telle supposition est trop injurieuse pour que je m’arrête à la repousser.

Mais, dira-t-on, pourquoi cette opposition si obstinée ? Messieurs, je l’ai déclarée plus d’une fois, je n’ai aucune confiance dans les ministres ; assez souvent, ce me semble, j’ai expliqué pourquoi, et je ne vais pas aussi loin qu’irait à ma place certaine personne qui, sous le ministère précédent, m’engageait à faire une opposition systématique. Des anciens abus, contre lesquels je n’ai cessé de me récrier restent ; de nouveaux, de plus graves encore, se commettent chaque jour. En présence d’un tel état de choses, je regarde l’opposition comme un devoir. Mais que demain je voie au pouvoir des hommes qui agissent, non dans leur intérêt ou dans celui de leurs amis et d’une camarilla, mais dans l’intérêt bien entendu du pays, à l’instant je me rallie à eux ; ou si parfois je fais une opposition momentanée, elle sera calme et marquée au coin de la modération.

Si je voulais faire l’examen de tous les griefs que l’on peut relever à charge du ministère ; si, poussant plus loin mes investigations, je voulais analyser la conduite tenue par le ministère précédent depuis le mois d’avril jusqu’au moment de sa chute, je n’aurai pas assez d’une séance entière ; cependant, si de mes efforts pouvait résulter quelque bien, cette considération ne m’arrêterait pas. Mais à quoi bon relever toutes les inconséquences, toutes les injustices, tous les actes arbitraires, toutes les intrigues, toutes les infractions aux lois et à la constitution, dont les ministres se sont rendu coupables ? Tant de discussions ont eu lieu, dans lesquelles les faits ont été relevés, que la vérité doit vous être connue à tous.

Un étroit esprit de coterie dirigeait la conduite du précédent ministère ; le désir de rester au pouvoir dicte tous les actes de celui-ci. Une étrange faiblesse était le caractère du premier. Craintif et tremblant vis-à-vis de l’étranger, celui-ci déploie à l’intérieur de l’arbitraire au lieu d’énergie. On avait reproché à l’ancien une extrême indulgence pour des employés qui se vantaient de leur hostilité contre le gouvernement établi ; celui-ci a destitué à tort et à travers bien moins d’ennemis du gouvernement que d’hommes qui n’étaient pas assez soumis aux caprices ministériels, bien moins des gens offensifs que des gens dont la place était enviée par quelques protégés. Je m’étais moi-même récrié contre l’imperfection et la défectuosité des projets de loi que formulait le précédent ministère ; celui-ci est forcé d’avouer lui-même son incapacité en cette matière, et les dispositions incohérentes, incomplètes qu’il nous a toujours soumises démontraient sa légèreté et son incurie.

L’ancien ministère, en n’exposant pas franchement ses principes (si toutefois il en avait), négligeait le véritable moyen de se créer une majorité dans la chambre. Le ministère actuel, soit par lui-même, soit par ses agents, suivant sa devise : « Divide ut imperes, » a, dans ce but, excité la défiance des membres de la représentation nationale entre eux, les décriant les uns aux yeux des autres ; il a ainsi formé une sorte de majorité, majorité factice et provisoire, dont une grande partie, et elle ne s’en cache pas, ne le soutient que par un sentiment auquel l’estime et la confiance sont entièrement étrangères, ne le soutient que parce que le temps de le renverser n’est pas arrivé, selon elle.

Tout ce que je viens de dire est d’une vérité, d’une exactitude telles, que je ne crois pas qu’un homme impartial puisse chercher à le démentir ; mille faits sont là pour me servir de preuve. Je me dispenserai donc de rappeler à la chambre les menaces faites à différentes reprises par nos ministres de se retirer, menaces dont ils se repentaient bientôt et qui restaient sans suite ; l’inconcevable faiblesse qu’ils avaient eue de signer ce traité du 2 novembre que, par bonheur, des circonstances qui leur sont étrangères sont venues anéantir ; les nombreuses destitutions prononcées contre des fonctionnaires auxquelles on eût eu peine à reprocher quelque chose de réel, contre des juges de paix surtout, des greffiers ou des receveurs ; la dissolution de la chambre, sans autre motif qu’un amour-propre froissé et un désir de se venger ; les menaces, les actes de violence, les brutalités, le pillage, sinon excités, du moins tolérés et approuvés dans plusieurs villes ; certaines places données par suite de marchés conclus ; des ordres ministériels contraires aux lois, et transmis avec des menaces qu’après il fallait rétracter faute de les pouvoir exécuter ; les lois violées sciemment et d’une manière tellement incontestable, que pour défense on se contentait de solliciter un bill d’indemnité ; des manœuvres employées pour rendre impossible la vérification des comptes ?

Ces faits ont été discutés, établis par-devant vous, et c’est un triste souvenir que celui du mal qui a été fait par les ministres, soit volontairement soit par incurie. L’avenir nous consolera-t-il du passé ? Non, messieurs, nous n’en avons aucun espoir, tant que le pays sera administré par des hommes dont les antécédents nous ont même prouvé qu’ils sacrifient tout à leur amour-propre, à leur intérêt, à leurs passions.

Nous avons eu souvent l’occasion d’apprécier le savoir-faire, la capacité de MM. les ministres ; à l’occasion du budget de chacun des départements, nous pourrons encore examiner leur manière d’administrer : mais il est une question importante qui doit être traitée ici ; je le ferai en peu de mots.

Par qui sommes-nous gouvernés ? S’il faut en croire les organes ministériels, s’en rapporter au Bulletin officiel, à la manière dont sont conçus les arrêtés et projets de loi, nous sommes gouvernés par un conseil des ministres.

Mais comment est-il organisé, ce conseil ? qui le préside, quelles affaires y sont portées, de quelle manière les y discute-t-on ? Ce sont là des secrets pour nous, messieurs : on se gardera bien de nous les révéler ; mais du moins qui sont ceux qui le composent ? Les chefs des départements, direz-vous. La réponse paraît simple. Point du tout, c’est une erreur.

D’abord le ministre de la guerre, bien qu’il soit à la tête du département le plus important tant que la paix ne sera pas conclue, le ministre de la guerre ne prend aucune part aux décisions de ce prétendu conseil : il n’est qu’administrateur : de telle sorte que, lors même que des questions graves concernant ce département doivent être décidées, il ne peut que donner un simple avis et que la guerre se déciderait en conseil, que le chef du ministère que la chose concerne n’aurait aucune responsabilité à encourir.

Le ministre des finances ad interim (interim, je me permets de le dire en passant, qui dure depuis bien longtemps), est-il membre du conseil ? Nous devons croire que non et cela non seulement parce qu’il ne prend part ici qu’aux discussions qui regardent exclusivement son département et reste entièrement étranger à tous les autres, mais parce qu’il en a fait l’aveu le plus positif, quoique cet aveu fût indirect. Lorsque le 26 novembre ses collègues se décidèrent, ou firent semblant de se décider à renoncer à leurs portefeuilles pour une question de cabinet, le ministre des finances ad interim conserva seul le sien et l’on discuta en sa présence la question de savoir si, n’étant qu’administrateur et non ministre ni membre du conseil, on pouvait le regarder comme représentant suffisamment le gouvernement ; il se garda bien de déclarer qu’il fût autre chose qu’un administrateur. En effet, s’il eût été plus que cela, son inconséquence eût été extrême de rester au pouvoir quand ses collègues annonçaient vouloir se retirer, lui qui avait partagé leurs opinions.

Il y a plus, messieurs : le ministre des finances se regarde lui-même comme entièrement indépendant, et il pousse la délicatesse jusqu’à répudier la qualité de ministériel. Lisez, pour vous en convaincre le Moniteur du 6 décembre, vous y verrez une profession de foi qu’il adresse aux électeurs de Soignies, et dans laquelle il dit en propres termes : « Je continuerai, en cas de réélection, à apporter dans toutes les questions de nos intérêts nationaux le caractère d’indépendance qu’aucunes fonctions publiques, même celles de ministre que j’exerce en ce moment, ne feront fléchir. »

Indépendant quoique ministre ! Entendît-on jamais contradiction plus choquante, naïveté plus bizarre ? Mais c’est que M. le ministre des finances ad interim voulait annoncer indirectement ce que d’ailleurs il a reconnu ensuite, qu’il était ministre sans l’être, c’est-à-dire qu’il n’était qu’administrateur provisoire des finances.

Mais si c’est comme intérimaire que M. le ministre des finances est exclu du conseil, ses collègues ont-ils plus de titres que lui à en faire partie ? D’abord M. le ministre des affaires étrangères n’a aussi son portefeuille que par interim ; les mêmes motifs d exclusion existent donc à son égard.

Quant à MM. les ministres de la justice et de l’intérieur, eux-mêmes ont soin de vous annoncer que s’ils ne sont pas intérimaires, ils ne sont du moins que provisoires, car l’un reste conseiller et l’autre gouverneur de province ; et je rappellerai ici combien l’an passé je me suis élevé avec force contre ces sortes de cumuls, contre cet abus qui paraît dégénérer en coutume chez nous, de se réserver, en entrant au ministère, une place pour le moment où l’on en sortira. Je dis alors combien des ministres provisoires m’inspiraient peu de confiance, combien ils me semblaient exclure toute idée de bon gouvernement. M. Lebeau et ses amis paraissaient partager cet avis : M. Lebeau n’était pas ministre alors.

Il ne reste donc de ministre définitif que M. le comte de Mérode, et, quel que soit son mérite, je suis persuadé qu’il ne se regarde pas comme capable de composer un conseil à lui seul.

Mais ce conseil des ministres existe-t-il bien réellement ? J’en doute, messieurs : tous les ministres ou quelques-uns d’entre eux se réunissent quelquefois, cela est certain ; d’autres personnes se joignent même à eux, ce qui forme alors l’espèce de camarilla que tout le monde connaît ; mais lorsqu’un projet de loi, un arrêté porte en tête : « Le conseil des ministres entendu, » ce n’est là qu’une formule ; nous avons beaucoup de raisons pour croire qu’il en est ainsi.

D’abord je pourrais vous rappeler plusieurs occasions où un ministre ayant présenté un projet qui rencontrait de l’opposition, les autres assuraient, à mi-voix bien entendu, n’en avoir point connaissance, bien qu’il portât en tête la susdite formule ; et vous n’aurez pas oublié, entre autres, ce qui s’est passé à propos du malencontreux projet de loi sur la milice, projet que son auteur même est venu par la suite en quelque sorte désavouer, ainsi qu’on peut s’en convaincre en parcourant le Moniteur du 15 mars, mais que de prime-abord tous ses collègues reniaient.

S’il existait un conseil, si les affaires importantes de chaque ministère s’y traitaient, nous ne verrions pas tous les jours MM. les ministres montrer la plus complète ignorance sur tout ce qui concerne un ministère autre que celui qu’ils dirigent ; nous ne les verrions pas dans l’impossibilité de réponde à la question la plus simple lorsqu’elle ne concerne pas leur département.

Ainsi donc, il n’y a point chez nous de gouvernement proprement dit, et ce n’est pas la première fois que je me plains d’un état de choses qui ne peut qu’être funeste et dont les conséquences se font sentir tous les jours.

Chaque ministre dirige son département le mieux qu’il peut et ce mieux, vous le savez, n’est pas toujours très bien : son budget sous les yeux, il tâche d’attraper le bout de l’année ; et du reste l’avenir du pays et toutes les questions qui s’y rattachent ne troublent jamais son sommeil. Quant à nos relations extérieures, les ministres ont la conviction qu’ils n’y peuvent rien, et se soumettre est, selon eux, leur unique devoir, c’est là le système dont on nous a dit que M. Lebeau était la personnification ; et pour peu qu’on continue de suivre ce système, la Belgique pourrait bien, d’ici à quelques temps, être moins grande que le royaume d’Yvetot.

A l’intérieur, ils trouvent ainsi plus simple, plus facile, de se laisser aller à l’impulsion qui leur est donnée ; c’est le moyen de ne pas se fatiguer l’esprit ; et l’on peut dire avec assurance que MM. les ministres, au train dont ils y vont, abandonneront leur portefeuille avant d’avoir épuisé le leur.

Je remets à d’autres moments l’examen des budgets en eux-mêmes ; il me serait même impossible de m’en occuper aujourd’hui, n’ayant pas connaissance du rapport de la section centrale sur celui des finances. J’abuserai le moins que je le pourrai de votre indulgence ; j’aurai cependant quelques questions à traiter, qui me paraissent de la plus haute importance et dignes de toute votre attention.

M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, vous savez qu’il est d’usage, lors de la discussion générale des budgets, que le ministère nous présente l’état de la situation de nos relations extérieures ; je crois que les ministres se conformeront à cet usage, et n’omettront pas de nous faire connaître ce qui nous intéresse à un si haut degré.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, le principe que vient de rappeler l’honorable député est incontestable, et le gouvernement y a rendu hommage aussi souvent qu’il a pu le faire. Remarquez même qu’au début de chaque discussion grave, le gouvernement n’a pas attendu les interpellations de cette chambre, pour donner un exposé de nos relations extérieures ; c’est qu’alors il pouvait parler sur des faits accomplis.

Alors il pouvait, sans manquer au plus important de ses devoirs, sans compromettre les intérêts de l’Etat, parler d’événements consommés ; mais la position toute spéciale dans laquelle il se trouve maintenant, lui interdit de faire aucune espèce de rapport sur nos relation au-dehors. Une négociation de la plus haute importance est ouverte ; il y aurait oubli de tous ses devoirs, de la part du ministère, s’il venait faire prématurément un exposé qui compromettrait cette négociation.

La chambre se rappellera que le gouvernement a toujours rendu hommage, quand il l’a pu, au principe invoqué ; elle sera convaincue qu’il n’y a rien qui ressemble de la mauvaise volonté de notre part, lorsque nous déclarons qu’il nous paraît impossible de dire en ce moment un seul mot de nos relations à l’étranger.

M. Dumortier, rapporteur. - La question des relations extérieures touche d’assez près les intérêts nationaux pour que nous sachions à quoi nous en tenir. Si le gouvernement ne peut faire des communications sur tous les points il y en a du moins quelques-uns sur lesquels nous pouvons être instruits de quelque chose.

Depuis deux mois que des négociations sont entamées, il y a nécessairement des points arrêtés que nous pouvons connaître. Je serais étonné que le ministre ne pût absolument nous rien communiquer. Nous allons voter les budgets ; la question de savoir si nous conserverons notre armée va être agitée ; comment la résoudre sans renseignements ?

Je déclare formellement au ministère que, lors de l’examen du budget spécial des affaires étrangères, je renouvellerai mon interpellation, et j’espère qu’on y répondra.

M. Doignon. - En votant les subsides pour le ministère, qu’il me soit permis, messieurs, de jeter un coup d’œil rapide sur son administration et de lui exprimer notre pensée sur quelques abus dont le peuple se plaint.

Cette lèpre, qu’on appelle bureaucratie, et qui infectait le gouvernement hollandais, a aussi déjà gagné le nôtre, à tel point qu’il est temps d’en arrêter les progrès.

C’est au Roi qu’appartient le pouvoir exécutif, c’est par ses ministres qu’il exerce et qu’il gouverne l’Etat ; mais de la manière dont les affaires administratives se traitent aujourd’hui, dans la vérité ce n’est plus le Roi, ce ne sont plus ses ministres qui administrent, mais les différents chefs de division attachés à chaque ministère et d’autres subordonnés.

Les administrations et le peuple, qui croient avec confiance que, conformément à la constitution, le ministre du Roi examinera les affaires qui lui sont soumises, sont trompés dans leur attente ; c’est un chef de division ou un administrateur non responsable qui examine, qui prononce, et le ministre signe. Sans doute le ministre ne peut tout faire ; mais la distance est énorme entre se charger de tout et donner simplement une signature.

Si nos renseignements sont exacts, ces employés subalternes, presque abandonnés à eux-mêmes, dirigeraient à leur gré l’instruction des affaires ; le ministre recevrait ordinairement leurs rapports sans préalablement les avoir vus ni entendus, et sans avoir conféré au moins un instant avec eux. De sorte que l’omnipotence ministérielle appartiendrait réellement à ces chefs de division, et que le ministre jouerait presque un rôle passif dans l’administration du royaume. C’est ainsi, messieurs, que peu à peu l’on avilirait aux yeux du peuple et le gouvernement et la royauté.

Mais le mal que nous signalons paraît se propager également dans les administrations provinciales. En général, les chefs de bureau y sont considérés comme autant de petits gouverneurs, et le premier magistrat de la province ne l’est plus que de nom dans une foule d’affaires administratives.

Une autre remarque qui n’échappe à l’attention de personne, c’est de voir la tendance du ministre à introduire ce système de centralisation qui pesait sur le pays sous le régime hollandais, système qui peut-être convient jusqu’à un certain point à la France, mais qui répugne absolument aux mœurs et au caractère de la nation belge. Nos ministres oublient que ce peuple est naturellement ami de l’ordre, et soumis aux lois et à l’autorité : on croirait qu’ils n’ont pas foi dans les vertus du peuple belge.

Nous nous bornerons, pour prouver cette tendance de leur part, à indiquer un seul de leurs actes ; c’est leur projet de loi sur l’organisation communale.

Il résulterait de l’ensemble de ce projet qu’avec le temps, les bourgmestres, les échevins, les assesseurs, les secrétaires, les receveurs, et enfin les gardes-champêtres pourraient tous devenir, en quelque sorte, les hommes ou les agents du ministère, que celui-ci pouvant à son gré annuler les actes des conseils communaux, et dissoudre ces corps, l’administration dans le fait n’appartiendrait bientôt plus, suivant le vœu de la constitution, aux magistrats directement choisis par le peuple. Si l’Etat avait au timon des affaires un ministre despote, ce système, en attaquant nos institutions par leur base, lui fournirait facilement le moyen de tenir sous son joug toutes les communes, et de concentrer peu à peu dans ses mains tout le pouvoir.

Ce système, dont nous avons fait la triste expérience sous le roi Guillaume, ne peut faire que des administrateurs serviles : or, les administrateurs serviles sont eux-mêmes despotes envers leurs administrés. Que nos ministres veuillent donc se souvenir qu’aujourd’hui comme autrefois, sous nos anciennes chartes, la force du gouvernement ne sera jamais en Belgique dans la force brute, mais dans l’amour du peuple, dans le respect de ses droits et de ses franchises, et dans une administration douce et paternelle.

L’histoire du pays est à cet égard notre premier maître, et tout ce qu’elle nous apprend sur ce point est résumé dans la sentence du chancelier de Brabant, Vaulthem. « Si, dit-il, l’on veut traiter le Belge en esclave, il est prompt à se raidir et à se soulever ; mais si on le gouverne en homme, selon les lois, avec douceur et modération, il n’y a point de peuple plus fidèlement attaché à ses souverains. »

Les nominations que le ministère a faites depuis son avènement ont aussi été le sujet des plaintes les plus vives ; il semble que souvent il se plaît à braver le vœu du peuple en nommant aux divers emplois des personnes connues par leur antipathie pour le nouvel ordre de choses. On dirait parfois qu’il a une prédilection toute particulière pour les hommes tarés dans l’opinion publique ; on dirait même qu’avant de distribuer ses emplois, il interroge les croyances religieuses, comme si, sous notre régime constitutionnel, il pouvait voir autre chose que la probité et la capacité des candidats. Pour ne citer que quelques exemples : ici, c’est un fonctionnaire qui, non content de le penser, se vante hautement d’être orangiste ; là, c’est un employé qui se permettra de dire à un malheureux contribuable se plaignant du fardeau des contributions : « Eh bien ! voilà ce que c’est que de faire votre révolution, etc. »

C’est ainsi, messieurs, qu’un gouvernement, au lieu de se faire respecter, se déconsidère et se désaffectionne ; c’est ainsi que le ministère lui-même alimente les haines et les passions. Etrange contradiction ! il reconnaît d’une part que notre révolution est toute populaire, et de l’autre il appelle aux affaires ceux-là même qui lui ont été et lui sont notoirement opposés.

Un autre grief est dans toutes les bouches. C’est l’extrême insouciance du ministère à présenter aux chambres les projets de loi dont l’expérience a démontré la nécessité et son extrême négligence à élaborer convenablement les propositions qu’il leur soumet.

Ses projets sont ordinairement si mal conçues, si incomplets, qu’on les prendrait pour l’œuvre d'un simple commis du ministère. Il est évident que si nos hommes d’Etat voulaient donner seulement à ce travail quelque sérieuse attention, ils pourraient vous présenter de meilleurs projets.

On serait porté à penser que c’est à dessein qu’ils se conduisent de la sorte. Ne voudraient-ils pas nous faire croire qu’il est impossible à un ministère de marcher sans faire figurer au budget une nouvelle institution qui entraînerait avec ses accessoires une dépense considérable, je veux dire, un conseil d’Etat ? Ce corps coûte annuellement à la France 4 à 5 cent mille francs.

Mais d’abord pourrions-nous constituer un pareil corps en Belgique en présence des dispositions de notre constitution, suivant lesquelles des ministres d’Etat responsables, dont le nombré n’est point d’ailleurs limité, paraissent devoir être les seuls conseillers de la couronne ?

Si le service exigeait réellement qu’on en nommât quelques-uns pour aider momentanément les chefs de chaque département ministériel, le Roi en a la faculté ; mais dans un petit royaume comme le nôtre, d’une population seulement de 4 millions d’habitants, un conseil d’Etat, s’il n’était pas inconstitutionnel, serait une nouvelle charge trop peu utile. Des ministres d’Etat actifs et laborieux ne peuvent-ils pas suffire aux besoins d’un tel pays ? Nous en avons quelque preuve dans le règne du précédent ministère, où l’on voyait dans la marche des affaires autant d’exactitude qu’on remarque de lenteur aujourd’hui.

Un autre moyen d’aider la législature dans la préparation des lois serait de créer, dans le sein de la chambre même, un comité permanent de législation comme on en a établi pour les finances, le commerce et l’industrie. Mais, au surplus, la plupart des matières qui entrent en France dans les attributions du conseil d’Etat, telles que les conflits, le contentieux, etc., sont déférées d’après notre charte à la cour de cassation et aux tribunaux.

Depuis quelques années des milliers de pétitions ont été adressées à la chambre, et elles demeurent ensevelies dans les cartons ministériels, sans que l’on songe aucunement à apporter remède aux nombreux abus que les réclamants nous signalent. A l’instar de la France, où déjà la chambre n’est plus bonne à peu près qu’à voter le milliard d’impôts, le ministère belge semble regarder notre mission comme presque remplies dès que nous avons voté chaque année les subsides.

Il est inutile, messieurs, de vous entretenir de cette déplorable doctrine ministérielle, suivant laquelle tout fonctionnaire amovible est tenu, sous peine de destitution, de voter avec le gouvernement dans les questions fondamentales, et par conséquent dans celles des budgets, système réprouvé par l’article 44 de la constitution et qui tend à fausser aux yeux du pays la représentation nationale.

Comme si notre ministère ne devait pas être belge avant tout, il est allé chercher quelque appui à son système dans les droits publics de France et d’Angleterre. Mais comment a-t-il pu ignorer notre ancien droit brabançon sur cette matière ? L’article 42 de la Joyeuse entrée du 20 avril 1744 s’exprime en ces termes : « Lorsque S. M. fera convoquer les états du Brabant et d’Outre-Meuse, cette convocation se fera toujours 15 jours avant celui désigné pour l’assemblée… Chacun pourra y dire librement son opinion, sans pour cela encourir l’indignation ou la disgrâce de S. M. ou de quelque autre en aucune façon. »

Si donc l’article 44 de notre charte actuelle pouvait être susceptible du moindre doute, n’est-ce pas l’ancienne constitution du pays qu’il faudrait invoquer pour en fixer le sens ? Mais d’ailleurs, quand il n’existerait ni dans l’ancien, ni dans le nouveau droit public belge, aucune disposition expresse sur cette matière, comme la pleine et entière liberté du vote est de l’essence de toute représentation nationale, toujours faudrait-il admettre le principe de la joyeuse entrée qui garantit complètement cette liberté. Dans tous les cas, la loyauté faisait un devoir au ministère d’annoncer au peuple, avant les élections, que telle était sa doctrine et qu’il reniait à cet égard notre joyeuse entrée.

L’exposé de notre situation financière nous commande la plus sévère économie dans les dépenses de l’Etat, et cependant le ministère s’est plutôt attaché dans ses projets de budget à les accroître qu’à les diminuer. Elles sont réglées en général sur une échelle trop élevée. Il semble que lorsqu’on a organisé l’administration de la Belgique, l’on a pris à tâche de prendre pour modèle le royaume de France, qui a une population de 34 millions d’habitants et un budget de 1,200 millions, sans réfléchir au peu d’étendue de la Belgique respectivement à elle.

C’est ainsi que nous avons cinq ministères et tous leurs accessoires, des ministres plénipotentiaires, des administrateurs, des inspecteurs-généraux, des directeurs, etc., etc., tandis que les Etats-Unis, lors de leur émancipation et aujourd’hui encore que leur population s’élève à 14 millions d’hommes, n’ont rien de tout cet attirail : leur congrès, leur président et de simples envoyés ou chargés d’affaires leur suffisent. Chez nous l’on a cherché avec complaisance des titres bien ronflants, et les appointements ont été ensuite établis en conséquence.

Il paraît évident que dès que notre organisation constitutionnelle sera terminée, nous n’aurons plus besoin d’un ministre de la justice ni d’un ministre des affaires étrangères ; celui de l’intérieur pourrait, avec le ministre des finances, être chargé du peu de besogne qui restera au ministère de la justice. Celui de la guerre suppléerait le ministre des affaires étrangères ; quelques commis de plus dans ces deux ministères pourraient suffire.

L’office du ministre de la justice, pour la présentation de certains fonctionnaires et des notaires, offre des inconvénients et souvent des abus plutôt qu’une utilité réelle pour la chose publique ; car les magistrats des localités sont seuls à même de faire de bons choix. L’intrigue aura moins d’accès sur ces derniers que sur certains employés du ministère qui, d’après l’expérience, tirent souvent parti de leur influence sur le ministre. Celui-ci, le plus ordinairement, en raison de ce que ses fonctions ont de précaire, ne peut connaître les individus par lui-même, comme les magistrats dont je viens de parler.

L’empire français n’avait pas d’inspecteurs de prisons, d’administrateurs de prisons ; pourquoi notre petit pays en a-t-il ? Ces établissements coûtent-ils moins, rapportent-ils plus que sous l’empire ? Les hospices sont bien administrés par des commissions ; pourquoi n’en pourrait-il être de même des prisons ?

Si le ministère de la justice a été accru de quelques attributions, l’accomplissement de l’organisation judiciaire lui en a ôté : il n’existe donc pas de cause bien réelle d’augmentation de personnel et de traitement.

La dépense de l’armée est le plus lourd fardeau qui pèse en ce moment sur le pays, et il faut bien nous résigner à le supporter encore quelque temps. Mais le ministère avait certainement quelques moyens de diminuer cette charge accablante. Lorsqu’on donnait aux officiers, deux, trois, et même quatre grades d’avancement, l’on avait une heureuse occasion de diminuer la solde, et de la mettre au niveau de celle française. La solde du soldat aurait pu alors, et pourrait peut-être encore aujourd’hui subir une réduction ; les soldats n’en seraient que plus facilement maintenus dans la discipline, tandis que l’ivrognerie et la crapule en font quelquefois de êtres intraitables.

Pour quelques sabots que nous possédons, on nous a donné un personnel de marine trop considérable ; et pour la solde, on l’a créée supérieure à celle de la marine française ; des hommes qui n’étaient qu’aspirants, et peut-être moins, ont été transformés en lieutenants de vaisseau (quoique nous n’en ayons peut-être jamais), avec au-delà de 5000 fr., non compris la table qu’ils ont à bord, ainsi que le logement.

En Hollande, toutes les mesures ont été prises pour introduire des économies. Des brigades sont commandées par des colonels, des régiments par des majors, des bataillons par des capitaines, des chaloupes par des enseignes, des aspirants, etc. Ils ont fait de même dans l’administration. Là ils ont voulu ménager le pays : ici au contraire, il semble qu’on ait cherché à l’accabler par la manie d’accroître les dépenses.

On ne peut davantage passer sous silence la prodigalité avec laquelle le ministère confère des pensions en violation de l’article 114 de la constitution, qui déclare qu’aucune pension, aucune gratification à la charge du trésor public ne peut être accordée qu’en vertu d’une loi. La chambre rappellera également au ministre des finances l’obligation de se soumettre au contrôle préalable de la chambre des comptes chaque fois qu’il ordonnance sur la caisse du trésor. Nous le prierons encore de nous faire connaître s’il a préparé, pour l’exercice prochain, un nouveau système d’impôts qui puisse nous faire jouir sans autre retard, des améliorations attendues depuis si longtemps.

Quant à nos relations extérieures ce serait se faire une illusion bien étrange que de supposer comme l’a fait le ministre dans le discours de la couronne, que dans l’intention des puissances le traité de novembre pourrait demeurer intact. D’après leur note du 2 avril les négociations doivent continuer à l’égard des réserves portant sur quatre points essentiels, la liberté de l’Escaut, la dette, le Luxembourg et la navigation intérieure dans la Hollande.

Si, comme on doit le craindre, la conférence nous prépare en ce moment d’autres déceptions, c’est la fermeté des chambres qui seule pourra sauver le pays de cette nouvelle crise.

La faute immense que nos hommes d’Etat ont commise avec la diplomatie, c’est de ne pas s’être assez pénétrés que les cinq puissances redoutaient la guerre bien plus que nous, et qu’à tout prix elles voulaient se mettre à l’abri d’une conflagration générale. Si notre gouvernement eût habilement profité de cette position embarrassante et très critique où la conférence se trouvait elle-même, elle aurait tremble devant nous au lieu de trembler devant elle ; mais une prudence mal entendue, qu’on peut qualifier de faiblesse, fit donner à notre politique une direction tout opposée, et bientôt la conférence, contre le droit des gens, et foulant aux pieds les lois de la justice et de la bonne foi, ne se fit aucun scrupule de nous imposer par la force les conditions les plus onéreuses, et de violer ses engagements en déclarant révocables des stipulations dont elle avait elle-même garanti l’irrévocabilité.

Que le passé nous serve de leçon pour maintenir les droits qui nous sont acquis ; que nos hommes d’Etat se souviennent qu’au fond la position de la conférence vis-à-vis de l’Europe n’est guère changée. Nous devons donc répondre aux nouvelles exigences de la conférence par un langage énergique et digne du peuple belge.

Nous ne somme point partisans de la guerre ; mais si, par exemple, on nous menaçait d’une augmentation de la dette, que la nation réponde courageusement à cette inique prétention en criant : aux armes ! Ce seul cri d’alarme aurait, auprès de la conférence, une force morale pour le moins aussi redoutable que des coups de canon ; car ne l’oublions pas, aujourd’hui encore, malgré la sécurité qu’elle affecte, les dangers d’une conflagration l’inquiètent et la dominent à peu près comme au temps de protocoles. Elle n’est que trop consciente du retentissement que ce juste cri d’indignation aurait en Europe. Déjà victime de sa loyauté et de sa bonne foi, le Belge aurait pour lui la sympathie de tous les peuples, et bientôt nous verrions cette fière conférence, afin d’éviter de plus grands périls, s’arrêter malgré elle dans ses nouvelles démarches et céder enfin à nos pressantes réclamations. Le seul emploi de cette force morale, ménagée avec prudence, serait donc, dans ce cas, l’un des puissants moyens d’amener et de hâter l’heureuse solution de nos affaires politiques.

Je me réserve au surplus, messieurs, de vous soumettre d’autres observations de détail dans le cours de la discussion des budgets.

M. Desmet. - Messieurs, je crois que vous faites très bien de ne pas traîner longuement la discussion générale sur le budget ; car vous aurez beau vous fatiguer les poumons pour défendre les intérêts de notre pays et plaider la cause du peuple, et vous aurez beau vous casser la tête et doubler vos efforts pour prémunir la nation contre les empiétements du pouvoir et contre ses actes arbitraires, par lesquels il veut régir la Belgique, vous ne pourrez rien y faire ; le gouvernement vous laissera murmurer, réclamer, protester même, et faire tout ce que bon vous semble ; il n’aura aucun égard à vos instances, ni à vos justes réclamations ; ses plans sont arrêtés, et il n’a plus envie d’écouter le mandataires de la nation.

Il veut gouverner par son bon plaisir et accomplir ainsi la mission qu’il a acceptée, celle de détruire les principes de liberté et de souveraineté que vous avez acquis par votre révolution. Rien n’est plus sacré pour lui ; toute conscience politique est inconnue aux ministres : du serment ils ne font plus aucun cas, et de la constitution il ne nous plus que des lambeaux ; la dernière catastrophe l’a entièrement déchirée.

Car enfin, quel compte ont tenu les ministres des reproche que vous leur avez faits avec tant de justice à l’occasion de la discussion de la dernière adresse, et quel égard ont-ils eu à vos réclamations ?

Vous leur avez démontré qu’ils avaient violé l’article 44 de votre constitution, et que dans cette enceinte les hommes en place ne pouvaient plus librement exprimer leur opinion ; qu’en dissolvant la chambre ils ont exécuté un coup d’Etat qu’ils n’ont pu nullement justifier et qui blessait évidemment l’esprit de la constitution, et que, dans les élections qui en sont suivies, ils avaient attenté aux droits civiques des citoyens, en employant l’autorité qui leur était confiée à violenter les suffrages, c’est-à-dire, à détruire le gouvernement représentatif dans son principe.

Pour couronner l’œuvre, le ministre Lebeau vient de consommer la plus éclatante et la plus flagrante violation du pacte fondamental ; si, après avoir imploré un bill d’indemnité, il a, avec une audacieuse effronterie, provoqué son accusation et qu’il ait réussi à obtenir dans cette chambre son absolution, il n’est pas moins jugé par la nation, qui voit dans cet acte de violation un crime de parjure et de lèse-nation.

Il est bon, cependant, messieurs, de tenir compte du plaidoyer qu’on a prononcé pour la défense du ministre Lebeau ; il vous donne la pensée entière du gouvernement, et vous fait connaître de plus en plus les moyens hostiles qu’il compte employer pour détruire nos institutions libérales et populaires.

D’après quelques passages qu’on rencontre dans le mémoire de M. Nothomb, la liberté individuelle n’est qu’une chimère et même c’est niaiserie que de s’en occuper et d’en faire quelque cas ; ces questions, y dit-on, de liberté individuelle ne sont importantes que dans des temps ordinaires, et maintenant elles sont mesquines, secondaires : c’est-à-dire que quand vous serez parfaitement en paix, vous pourrez avoir quelque recours aux garanties constitutionnelles ; mais aussi longtemps que votre indépendance n’est pas consolidée et que votre nationalité n’est pas reconnue, vous devez être sous la dictature d’un M. Lebeau, qui pourra agir avec vous d’après son bon plaisir, vous incarcérer, vous priver de votre avoir et exercer impunément toute espèce d’actes d’oppression.

C’est ainsi, messieurs, qu’on veut traiter la nation belge, et que quelques faiseurs veulent la dominer. J’ignore si elle voudra être conduite toujours de la sorte, et si c’est pour entrer dans un tel esclavage qu’elle a fait sa révolution et a chassé Guillaume ; je pense que non, et que bientôt elle sera entièrement lasse de ce despotisme doctrinaire et qu’elle montrera que ce n’est pas ainsi qu’on se moque de sa constitution et qu’on la viole à chaque occasion.

Que le gouvernement y songe mûrement et qu’il ne fasse pas l’imprudence d’attendre longtemps, car il doit savoir que les temps sont passés où l’on se jouait ainsi des peuples, et où l’on méprisait ce qu’il y avait de plus sacrés pour eux ! J’ai dit et je n’étendrai pas plus loin mes observations.

Il est inutile aussi de faire quelques interpellations sur nos affaires à l’extérieur, car probablement le gouvernement même n’est pas dans les secrets de la diplomatie des puissances qui arrangent nos affaires, et ne sait pas au juste ce qui se passe à Londres ; et encore, s’il était bien informé, croyez-vous que la vérité serait tout entière pour vous ? L’expérience vous a trop de fois prouvé le contraire, et vous devez être convaincus qu’on vous cache toujours le principal. On traite vos affaires, et quand le tout est consommé, malheureusement toujours à notre détriment, on vous fait une communication, et, contre votre gré et sans votre intervention, on vous en fait subir les conséquences, sous le prétexte que c’est un fait accompli.

Je réserve mon vote pour les budgets ; car, quoiqu’en conscience je serais obligé de refuser tout subside à un ministère qui veut la destruction de la constitution et exécuter des plans contre-révolutionnaires, qui est cause que nous devons voter en septembre les budgets de l’année, et qui fait un si scandaleux abus de son pouvoir, je veux cependant prévenir l’anarchie et ne pas rendre victimes les fonctionnaires de la mauvaise gestion des ministres !

M. Pirson. - La minorité, honteuse, bafouée par les valets de la conférence, écrasée par une majorité qui a besoin de s’expliquer, au moins tardivement, parce qu’elle n’a pas voulu le faire au moment convenable, parce qu’elle n’a pas été assez généralement comprise ; la minorité, dis-je, ose donc encore seule demander aujourd’hui la parole dans cette enceinte ? M. le président lui-même ose encore reparaître à son fauteuil, admonesté qu’il a été par un ministre qui n’a pas craint de répéter deux fois son admonition dans ses journaux ?

Messieurs, j’ai besoin de vous faire ces observations lorsque la presse ministérielle, à part les injures et les calomnie à son usage envers la minorité, tend à fausser l’opinion au-dedans et au-dehors.

« Depuis trois ans cette minorité turbulente (on n’a pas osé dire factieuse, mais on a répété à satiété qu’elle était au moins dupe et des orangistes et des républicains, que l’on accolait sous la dénomination d’anarchistes) ; depuis trois ans, dit le ministère, cette minorité turbulente a été constamment un obstacle sur la voie par laquelle nous conduisons la Belgique au but où elle trouvera indépendance, liberté, honneur national, prospérité dans toutes ses industries et surtout dans ses finances. Mais, Dieu merci, elle est anéantie à tout jamais, cette minorité ! L’administration, qui est le résumé de la majorité, qui est le résumé du bon sens et du vouloir du pays, doit approuver sans difficulté ; elle n’a pas besoin de faire preuve d’esprit et de talents oratoires ; c’était bon pour l’opposition qui, toutefois, en a trop abusé. Il est temps de lui imposer silence. La majorité n’a point connu ses forces jusqu’à présent ; elles sont à l’épreuve aujourd’hui, elle en fera usage. »

Telle est depuis trois jours la quintessence de deux journaux ministériels, l’Indépendant à Bruxelles (on connaît ses rédacteurs) et le Politique à Liège (il reçoit les mêmes inspirations que l’Indépendant ; ses fondateurs l’ont commencé sous l’invocation du fameux prophète liégeois, Mathieu Laensberg.)

Maintenant, messieurs, je ne sais si c’est bien la minorité qui doit être honteuse ou si c’est à la majorité dorénavant à expliquer ses votes, de manière à être mieux comprise et par le ministère et par le pays.

Mes observations ne tendent qu’à garantir mes collègues du gouffre fangeux dans lequel on voudrait les entraîner. Prenez-y garde, messieurs, les hommes fortement compromis n’ont qu’un moyen pour échapper à la responsabilité qui les poursuit, c’est de compromettre avec eux ou la royauté ou la représentation nationale et peut-être toutes deux.

Il y a une lacune dans la discussion du 23, a dit l’Union ; elle a dit vrai, elle vous a compris. Je répète avec elle, il y a lacune ; mais comment la remplir ? cela regarde la majorité. Nous verrons bien. Nos discussions sur le budget feront connaître les vrais mandataires du peuple, et s’il y a ici plus d’un mandataire du ministère Lebeau.

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole dans la discussion sur l’ensemble des budgets, nous passerons à la discussion des budgets en particulier.

- Plusieurs voix. - A demain !

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Puisqu’on nous a annoncé que le rapport du budget des finances nous serait distribué aujourd’hui, nous n’aurons pas trop d’un jour pour l’examiner.

M. Legrelle. - Il ne s’agit pas maintenant de se livrer à la discussion du budget des finances ; il y en a d’autres qui le précèdent, et rien n’empêche de continuer la discussion.

M. le président. - La discussion est ouverte sur le titre premier de la dette publique.

- Plusieurs membres. - A demain ! nous n’avons pas là nos budgets.

M. Legrelle. - Je demande d’abord qu’on prononce la clôture de la discussion générale, et ensuite qu’on règle l’ordre de nos délibérations. (C’est déjà fait !)

M. le président. - La discussion générale a été close parce que personne ne demande plus la parole. Quant à nos délibérations, nous suivrons, à moins que la chambre n’en décide autrement, l’ordre établi dans la loi du budget par le ministère. (A demain ! à demain !)

- La séance est levée à 2 heures 1/2.