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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 3 décembre 1833

(Moniteur belge n°339, du 5 septembre 1833 et Moniteur belge n°340, du 6 décembre 1833)

(Moniteur belge n°339, du 5 decembre 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à diverses commissions.

M. le ministre des finances est présent.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1834

Motion d’ordre

M. Dumortier. - Je demande la parole relativement à la motion d’ordre présentée hier.

Dans cette séance, messieurs, vous avez demandé que le ministre des affaires étrangères déposât sur le bureau les documents relatifs à la convention de Zonhoven. Je désirerais savoir si ces pièces sont en effet déposées. Tout à l’heure, ce dépôt n’était pas effectué d’après les informations que j’ai prises ; je ne sais si depuis le dépôt a eu lieu.

M. le président. - Jusqu’ici, à ma connaissance du moins, il n’y a rien eu de déposé.

M. Dumortier. - En vertu des pouvoirs que la constitution nous donne, je demande que l’on écrive aux ministres pour requérir le dépôt des pièces et leur présence. Je demande en outre que l’on suspende la discussion jusqu’à ce que l’on connaisse les pièces.

Nous ne pouvons continuer une discussion si importante sans documents.

M. de Robaulx. - La motion d’ordre que j’ai faite hier avait pour but le dépôt des pièces avant de continuer la discussion du budget ; car on aura plus ou moins de confiance dans les ministres, selon que l’on sera plus ou moins convaincu que la dignité nationale a été respectée. S’il plaît à ces messieurs de ne pas se rendre au vœu de la chambre, il faut passer outre, et que la chambre requière la présence des ministres ; ils sont faits pour se rendre ici.

M. le ministre de la guerre (M. Evain) entre en ce moment en séance. - Messieurs, dit-il, les pièces à déposer sur le bureau de la chambre demandant des copies assez longues, il a fallu que j’attendisse qu’elles fussent terminées avant de me rendre dans le sein de la chambre.

M. le ministre des affaires étrangères est dans le même cas. Quant à moi, je suis prêt maintenant à déposer les pièces que je possède.

En conséquence de l’annonce que j’ai faite à la séance d’hier, je dépose sur le bureau de la chambre :

1° Copie certifiée par M. le général baron Hurel, de la convention militaire conclue le 18 novembre, à Zonhoven, entre les commissaires nommés par ce général, et les commissaires hollandais délégués par S. A. le duc de Saxe-Weimar et M. le lieutenant-général Dibbets, commandant supérieur de la forteresse de Maestricht ;

2° Copie certifiée des trois pièces qui ont été insérées au Moniteur, à la suite de la convention militaire, savoir :

- La note du commissaire hollandais, en date du 12 novembre ;

- La lettre de M. le lieutenant-général Dibbets, en date du 10 ;

- Le procès-verbal de la séance de l’association des bateliers du bassin de la Meuse, en date du 14 novembre.

3° Les pleins pouvoirs donnés par M. le général baron Hurel à ses commissaires aux conférences ;

4° Copie des instructions remises par ce général à ses commissaires pour reprendre les conférences de Zonhoven, qui étaient restées suspendues depuis le 23 août dernier, époque à laquelle les deux puissances contractantes s’étaient de nouveau adressées aux puissances médiatrices sur les nouvelles difficultés qui s’étaient présentées ;

5° Copie des traités conclus avec les communes de Brée, de Beek et de Gerdingen, qui ont consenti, de leur plein gré, à loger et à nourrir les troupes de passage, au taux indiqué dans la convention militaire.

Le commissaire que nous avons envoyé à Brée, devant partir sur-le-champ, ne m’a point renvoyé les pièces qu’il avait ; mais j‘ai écrit pour les avoir en original. J’espère les recevoir sur les deux ou trois heures de l’après-midi, et je les déposerai. J’ai fait dresser une carte qui indique les quatre communications qui existent entre la place de Maestricht et le Brabant néerlandais.

Ces documents donnent, sur la négociation de la convention militaire, tous les renseignements que l’on peut désirer ; M. le ministre des affaires étrangères va déposer tous les documents qui sont du ressort de son département.

En faisant le dépôt de ces pièces, je dois réitérer la déclaration que j’ai faite, qu’elles ne concernent qu’une convention purement militaire, et que cette convention n’a aucune analogie avec les traités diplomatiques de puissance à puissance, qui sont de nature à être soumis à la sanction des chambres ; que c’est un simple arrangement entre deux généraux d’armée agissant dans l’étendue de leur commandement respectif ; que la négociation fut entamée au mois de juillet par le général Desprez, en sa qualité de chef de l’état-major général de l’armée, et que c’eût été lui qui l’eût continuée sans la perte douloureuse que nous en avons faite ; enfin, que c’est par le motif que je cumule les fonctions de major-général de l’armée avec celles de ministre, que j’ai été chargé de la terminer.

Je crois, messieurs, avoir rendu un véritable service au pays en consolidant, par cette convention militaire, l’état d’armistice jusqu’à la conclusion définitive des arrangements à terminer entre les deux puissances.

C’est pour en justifier toutes les dispositions, tant sous le rapport militaire que sous celui des intérêts bien entendus du pays, que j’ai l’honneur d’appeler votre attention sur les considérations que je vais exposer.

Messieurs, la convention conclue, le 21 mai dernier, entre la France et l’Angleterre d’une part, et la Hollande de l’autre part a complété les dispositions de l’armistice indéfini qui doit exister entre la Belgique et la Hollande jusqu’à la conclusion définitive des arrangements à terminer entre ces deux pays.

Une des stipulations de cette convention est, d’une part, l’ouverture de la navigation de la Meuse au commerce belge, conformément aux dispositions de la convention de Mayence, relative à la liberté de la navigation du Rhin, en tant qu’elle peut être applicable à celle de la Meuse ; et, de l’autre part, les communications libres et sans entraves de la forteresse de Maestricht avec la frontière du Brabant néerlandais.

Tel est le texte de l’article 4 de la convention du 21 mai à laquelle la Belgique a été invitée d’accéder, en ce qui la concerne.

Il en résulte évidemment et nécessairement que, pour que le second paragraphe de cet article reçoive son exécution, c’est-à dire pour que la garnison de Maestricht puisse communiquer avec le Brabant néerlandais, et vice versa ; il en résulte, dis-je, qu’il doit exister, à l’usage de cette garnison, une route militaire sur laquelle les passages des troupes et de leurs effets puissent s’exécuter avec toute liberté, sans entraves, et sans crainte de collision entre les troupes des deux nations.

Cela est tellement vrai, qu’en prenant à la lettre la stipulation de la liberté des communications sans entraves entre cette place et la frontière de la Hollande, cette puissance aurait pu, après avoir exécuté les dispositions relatives à la navigation de la Meuse, invoquer son droit immédiat de communication par les quatre routes qui conduisent de Maestricht dans le Brabant septentrional.

Il fallait donc d’abord restreindre ce droit à une seule route, convenir du choix de cette route, des conditions de l’usage de cette même route ; et tel a été l’objet de la convention conclue à Zonhoven.

Le premier paragraphe de l’article 4 de la convention de Londres en date du 21 mai, stipulait expressément que la liberté de la navigation de la Meuse serait réglée d’après les conditions de la navigation de Rhin ; mais le deuxième paragraphe du même article ne donnait aucune règle pour les conditions de la liberté des communications par terre.

De là encore la nécessité de les régler par une convention toute militaire entre les généraux commandant les divisions opposées des deux armées.

Mais ce n’est qu’après avoir reconnu et constaté que le gouvernement hollandais avait enfin exécuté tout ce qui lui était imposé par la convention de Londres, du 21 mai, en ce qui concerne l’ouverture de la navigation de la Meuse au commerce belge, que le général commandant la première division de notre armée a été autorisé à conclure la convention militaire relative à la liberté, sans entraves, des communications de la place de Maestricht.

Tel est donc l’état réel de la question ; et j’en appelle, à cet égard, à la conscience de tout homme de bonne foi, qui se sera bien pénétré des antécédents de la négociation si clairement exposés par M. le ministre des affaires étrangères.

Aussi, messieurs, c’est après avoir eu l’assurance positive que les entraves mises à la navigation de la Meuse avaient été entièrement levées, que la Hollande avait exécuté toutes les conditions auxquelles elle s’était engagée envers la France et l’Angleterre par la convention qu’elle avait signée avec ces deux puissances, que nous avons cru devoir ne plus retarder notre accession aux demandes des généraux hollandais, relatives à l’exécution, de notre part, du deuxième paragraphe de l’article 4 de la convention de Londres, du 21 mai.

Quelque inusité qu’il soit de vouloir soumettre à une investigation publique un acte purement militaire, et qui a toujours été du domaine des autorités militaires agissant dans l’étendue du territoire soumis à leur commandement, le gouvernement ne se refuse pas à donner aux chambres les explications qu’il juge convenable de faire connaître, pour détruire les fausses allégations dont cet acte a été l’objet.

Quatre routes, comme je l’ai dit, font communiquer Maestricht avec les frontières du Brabant néerlandais :

La première sur la rive droite de la Meuse, passant par Sittard, Stephensweert et Werth ;

La deuxième longeant la rive gauche de ce fleuve par Maeseyck, Itterwoort et Werth ;

La troisième par Asch, Brée et Achel ;

La quatrième par Winterslagen, Houthalen, Helchsteren et Hechtel, en suivant la grande chaussée pavée de Hasselt à Eindhoven.

La première est la plus longue et exige deux gîtes d’étapes ; elle est sujette à être interceptée par les débordements de la Meuse, qu’il faut passer dans un bac, quand ce passage est possible.

La deuxième traverse une contrée très peuplée, et est la seule communication militaire que nous ayons avec Venloo.

La troisième est la plus courte, et traverse un pays de bruyères où il n’existe que la seule petite ville de Brée.

La quatrième est la plus commode, mais passe à deux lieues de la place de Hasselt et occupe une chaussée pavée que nous devons conserver, en tout état de chose.

C’est cette dernière que les Hollandais désiraient avoir ; mais des considérations militaires nous ont portés à la leur refuser, et c’est la troisième, que nous avions offerte, que les commissaires hollandais ont été obligés d’accepter après de longs débats.

Sous tous les rapports militaires et politiques, c’est celle aussi qu’il nous était plus avantageux de concéder.

Comme elle a été reconnue impraticable aux transports pendant la mauvaise saison, il était juste de permettre que, pendant ce temps, les voitures de transport pussent parcourir la chaussée d’Eindhoven jusqu’à Helchteren.

Les conditions de cette route militaire qui est, je le répète, une conséquence des stipulations du traité diplomatique, qui n’avait posé que le principe absolu des communications libres et sans entraves ; ces conditions, dis-je, sont absolument les mêmes que celles qui ont toujours été concédées, en semblables occurrences, par les généraux commandant les armées et dans le cercle de leurs attributions militaires.

Elles sont cependant plus restrictives que celles qui émanent de quelques autres conventions, entre autres celle de la route militaire qui traverse notre territoire pour les communications de la forteresse de Luxembourg avec la frontière des états prussiens. Elles sont plus restrictives en ce que :

1° Le nombre des troupes de passage est limité ;

2° Des feuilles de route et de déclaration doivent accompagner les voitures de transport ;

3° Ces feuilles de route sont soumises au visa des autorités belges ;

4° Nous avons un commissaire pour veiller à l’exécution des clauses de la convention.

Tels sont les principes qui ont toujours été suivis dans la concession des routes militaires pendant un armistice indéfini, comme celui qui existe aujourd’hui, et dont nous avons dû nécessairement faire l’application dans le cas actuel.

C’est bien à tort, messieurs, qu’on a formé un sujet de plainte de la prétendue obligation imposée à la commune de Brée de loger et de nourrir les militaires hollandais.

Il avait été convenu d’abord qu’il serait pris d’autres mesures à cet égard, si la régence de cette ville se refusait à souscrire à l’invitation qui lui en serait faite ; mais c’est de son plein gré qu’elle y a consenti et qu’elle a souscrit à cet effet un traité éventuel, plusieurs jours avant la signature de la convention. Ce n’est qu’après avoir obtenu son plein et entier assentiment, que les conditions de son traité ont été insérées textuellement dans la convention.

Ainsi tombe encore cette accusation qu’on n’a pas manqué de produire comme un acte arbitraire, tant est grand le désir d’accuser ceux du gouvernement et de ses agents, sans prendre la peine de s’enquérir des faits.

Il en est de même de l’article 121 de notre acte constitutif que l’on prétend être violé par la convention, quand une loi du 1er octobre 1831 laisse au gouvernement la faculté dont il a usé dans les conditions de cette convention.

Cette loi donne au gouvernement la faculté d’autoriser le passage de troupes étrangères sur notre territoire, et cette disposition s’applique nécessairement au cas dont il s’agit.

Une autre objection qu’on a faite, est relative à l’exemption des droits sur les bagages militaires et les approvisionnements de la place.

Mais, outre que c’est une condition nécessaire, indispensable à toute route de communication libre et sans entraves, cette exemption résulte de la nature même des choses, car c’est un véritable transit de Hollande en Hollande et ce transit, exempt de droits, est une conséquence de la liberté des communications.

Ce n’est pas d’ailleurs par cette voie que la Hollande approvisionnerait Maestricht d’objets autres que les effets militaires : elle a la voie de la Meuse qui lui est ouverte jusqu’à Maestricht, d’après les stipulations de la convention de Mayence, et dont les moyens de transport ne sont sujets qu’aux simples droits de la navigation.

Cette objection n’est donc pas plus fondée qu’aucune de celles que l’on s’est plu à accumuler contre cet acte de l’autorité militaire qui, tant que la paix n’est pas faite, doit avoir la latitude nécessaire pour les transactions qui doivent concourir au maintien de la sûreté du pays et de l’état d’armistice, tel qu’il est stipulé par les conventions diplomatiques qui en assurent l’exécution.

Ce n’est qu’après avoir obtenu tout ce que nous avions demandé sur l’exécution pleine et entière des stipulations relatives à la liberté de la navigation de la Meuse, et après avoir débattu pendant 18 jours les articles de la convention, que le général commandant la 1ère division de notre armée a autorisé ses commissaires à en signer les conditions.

Il est loin d’être prouvé que le gouvernement hollandais fût si pressé de renouveler la garnison de la forteresse de Maestricht, car ce sont les commissaires hollandais qui ont demandé le délai de huit jours pour l’échange des ratifications qui pouvait avoir lieu dès le lendemain ; car encore leur commissaire n’était pas arrivé à Brée, trois jours après l’échange, malgré que l’exécution des conditions pouvait avoir lieu dès le jour même.

En troisième lieu, si ce que l’on a avancé à cet égard avait est quelque fondement, le gouverneur de la place de Maestricht aurait pu profiter des dispositions de l’arrangement verbal, entre le général baron Hurel et S. A. le duc de Saxe-Weimar, depuis les premiers jours de juillet.

M. le général Hurel ayant été prévenu officiellement que dès le 8 juin les bateaux belges pouvaient passer à Maestricht, mais avec quelques restrictions, convint qu’il laisserait passer par la route de Winsterslagen et Helchteren les militaires hollandais, mais au nombre de 30 hommes seulement par jour, et jusqu’à conclusion d’un arrangement définitif. Si le gouverneur de la forteresse eût eu un besoin pressant de profiter de cette disposition, il aurait pu envoyer en Hollande et en recevoir plus de 4,000 hommes depuis cinq mois ; mais les passages se sont bornés, pendant cet espace de temps, à une vingtaine d’officiers et une centaine de soldats.

Je suis intimement convaincu, messieurs, que d’après les explications sincères et loyales que je viens de vous donner, vous reconnaîtrez que cet acte militaire est ce qu’il devait être, et qu’il ne pouvait même être autre qu’il n’a été.

Laissons à nos généraux le libre exercice de leur autorité dans les opérations et transactions militaires. Et soyez sûrs, messieurs, qu’ils ne compromettront jamais l’honneur de l’armée et de la patrie.

Fallait-il, par un nouveau refus, quand il n’était plus motivé, laisser les choses en l’état où elles étaient ?

Fallait-il laisser nos troupes cantonnées sur la frontière et continuer des dépenses énormes qui ne pouvaient avoir aucun résultat utile ?

Fallait-il enfin se refuser, quand même, aux libres communications et sans entraves de la garnison de Maestricht, stipulées par la convention du 21 mai, quand nous étions en jouissance de la liberté de la navigation de la Meuse ? Fallait-il exposer le pays à voir rompre l’armistice par un déni de réciprocité ?

Je crois, messieurs, avoir agi dans le véritable intérêt de l’Etat en faisant cesser des dépenses qui n’avaient plus aucun but d’utilité réelle, en déchargeant de logements militaires une province qui en a déjà tant souffert, en laissant rentrer les troupes en garnison, et, par ce dernier moyen, en me procurant la possibilité d’accorder encore des congés temporaires qui me permettent de réduire l’effectif à garder sous les armes, au complet fixé pas le budget de 1834.

Ces résultats sont importants sous le rapport de l’économie, et auraient pu être obtenus sans la convention militaire qui assure l’exécution du traité du 21 mai, et conséquemment l’état d’armistice qui doit durer jusqu’à l’arrangement définitif avec la Hollande.

Ecartant les considérations politiques qui militent pour son maintien, et dont chacun de vous, messieurs, apprécie les véritables résultats, je me bornerai à vous dire qu’il a déjà produit une économie de 14 millions sur les dépenses du département de la guerre en 1833, et qu’il doit en produire une autre de 27 millions sur les dépenses de 1834, comparés au budget de 1833, sur le pied de guerre.

Je livre ce fait à vos réflexions et j’ose attendre de vos suffrages que ma conduite et celle de mes collègues est pleinement justifiée par un tel résultat, et que vous ne pourrez méconnaître qu’en accordant une route militaire, nous n’avons fait que remplir une condition essentielle au maintien de l’armistice.

M. Dumortier. - Je viens de jeter les yeux sur les pièces qu’on nous communique. Ce ne sont pas là toutes les pièces que nous demandons. On se borne à nous présenter celles que vous connaissez déjà et qui ont été insérées dans le Moniteur. On y a joint deux autres pièces, savoir : les instructions données à MM. les plénipotentiaires…

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Ce sont des commissaires.

M. Dumortier. - Ils avaient des pleins pouvoirs, car ils ont méconnu et compromis quatre articles de la charte, la dignité du pays, et même la dignité royale. Voici donc des instructions données au général Hurel, et une lettre de ce général, qui autorise à signer la convention.

Voici cette lettre : « Une convention relative à la liberté des communications entre la forteresse de Maestricht et la frontière du Brabant septentrional, et entre ladite forteresse et l’Allemagne, sera signée par vous. »

Ainsi le général Hurel donne autorisation de signer sans réserve pour la Belgique. Le général n’a pu donner le pouvoir de signer, s’il n’a reçu un ordre de quelqu’un de transmettre ce pouvoir. M. le ministre Goblet a dit que le conseil des ministres avait délibéré, et que ce conseil avait donné des ordres au ministre de la guerre ; celui-ci a donné les ordres de faire exécuter ceux qu’ils avait reçus lui-même du conseil des ministres.

Je vois avec une peine bien vive que M. le ministre de la guerre, que nous estimons tous beaucoup, soit chargé des iniquités des membres du conseil. Le ministère a eu l’impudeur de signer un acte aussi liberticide, aussi patricide, aussi contraire à la dignité nationale, à la dignité de la couronne, que celui dont il s’agit, et il cherche à en rejeter la responsabilité sur le ministre de la guerre. Vous, messieurs, qui avez à cœur l’honneur et la dignité nationale, je demande si vous approuverez une pareille convention.

Je réclame que la demande faite hier de la communication des pièces ait son entier effet ; je demande que l’on communique les ordres donnés par le conseil des ministres. Il est étrange que celui qui a transmis les ordres, qui a été le souffleur de la convention, s’il n’en est pas l’auteur, soit absent. Je demande encore que M. le président requière la présence de ce ministre, de M. Goblet.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, le réquisitoire de la chambre est tout à fait inutile ; nous sortons, M. le ministre de la guerre et moi, du cabinet de M. le ministre des affaires étrangères où l’on achève de copier les pièces dont le dépôt sera fait immédiatement. M. le ministre des affaires étrangères a cru convenable de ne pas venir à la chambre avant d’avoir fait le dépôt demandé.

Vous verrez par ces pièces que, s’il y a convention liberticide et patricide, le conseil tout entier en assume la responsabilité. Hier nous avons déjà dit que M. le ministre de la guerre avait été autorisé, par délibération du conseil des ministres, à autoriser, à son tour, M. le général Hurel à signer la convention militaire.

Ce fait, nous le répétons aujourd’hui, et nous en acceptons toute la responsabilité. On nous rendra du moins cette justice que, dans aucune circonstance, nous n’avons décliné la responsabilité de nos actes. Mais il faut s’entendre sur les principe de la responsabilité. Si dans la convention conclue à Zonhoven, des questions de légalité, des questions de droit public sont résolues, à nous tous, membres du cabinet, incombe la responsabilité, quel que soit votre désir d’isoler le ministre de la guerre de ses collègues…

M. Dumortier.- Il ne fait pas partie du conseil.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Cela ne regarde pas la chambre ; aux yeux de la chambre il n’y a que des ministres responsables des actes qu’ils signent.

Si par des motifs de délicatesse, si par des motifs qui lui sont personnels, M. le ministre de la guerre s’abstient de prendre part à quelques délibérations du conseil, il n en est pas moins responsable de ses propres actes ; la constitution ne reconnaît pas des ministres sans responsabilité.

Indépendamment de la responsabilité générale qui pèse sur chaque ministre en tant que membre du cabinet, il y a encore une responsabilité spéciale qui découle de la nature spéciale des objets confié au département de chacun. Quand nous venons ici prendre la responsabilité de toutes les questions constitutionnelles, il serait absurde de prétendre que dans une question de stratégie, dans une question de sûreté extérieure, le ministre de la guerre n’eût pas une responsabilité toute particulière, car seul il a les connaissances nécessaires pour résoudre ces sortes de questions.

Il serait aussi absurde, dans ces cas, de rendre les autres ministres responsables, qu’il le serait de soumettre le ministre de la guerre à la responsabilité d’un acte qui rentrerait dans les attributions du ministère de la justice, ou d’un acte qui rentrerait dans les attributions du ministère des finances. Je le répète, quant aux questions politiques ou de légalité, nous en assumions toute la responsabilité. Et, bien que le ministre de la guerre doive, en règle générale, partager cette responsabilité dans les actes auxquels il concourt, nous croyons que, relativement à sa position particulière, il doit en être déchargé cette fois, et qu’elle doit tomber principalement sur nous.

M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Je veux donner quelques courtes explications relativement aux réclamations faites par l’honorable préopinant. Si je n’ai pas déposé les ordres que j’ai reçus du conseil, c’est que M. le ministre des affaires étrangères va faire ce dépôt ; je n’ai pas cru devoir faire double emploi.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il serait possible que M. le ministre des affaires étrangères crût que le ministre de la guerre n’a pas terminé son discours et qu’il peut ne pas se rendre actuellement au sein de la chambre. M. le président pourrait envoyer prévenir le ministre.

M. Dumortier. - Je vois avec plaisir qu’il y a progrès dans la discussion depuis hier. Hier nous avons vu que le ministre des affaires étrangères voulait mettre la responsabilité sur le ministre de la guerre seulement. C’est ce qui résulte du discours du discours du ministre des affaires étrangères. « C’est donc naturellement, dit-il, au chef de ce département à établir ce règlement de la manière la plus avantageuse et qu’il jugera la plus utile au pays. »

Ailleurs on lit : « Je n’ai dans le moment actuel qu’à faire apprécier les motifs qui ont engagé le conseil des ministres à autoriser le département de la guerre à conclure les arrangements militaires dont il jugerait l’opportunité sous le rapport de la responsabilité qui lui incombe. »

Ainsi vous repoussiez hier la responsabilité sur un homme que nous estimons tous. Maintenant, on vient nous dire que le ministre de la guerre sera responsable des faits spéciaux à son département. Mais, quelles que soient les distinctions faites, il est clair qu’ici tous les ministres sont responsables ; car nous avons dans le Moniteur que la convention serait ratifiée. Les ministres connaissaient toutes les pièces relatives à la convention ; dès lors ils connaissaient que la convention violait la dignité nationale, la dignité royale ; ils devaient en arrêter l’exécution et non la ratifier. (Bruit.)

M. de Mérode a fort bonne grâce de rire ; il connaît les pièces...

M. F. de Mérode ; - Vous niez l’évidence.

M. le président. - Voici la communication de M. le ministre des affaires étrangères.

- Il est donné lecture de la lettre de M. le ministre des affaires étrangères indiquant les pièces communiquées.

M. de Robaulx. - Messieurs, il est facile de concevoir qu’une grande quantité de pièces qui vient d’être lancée à l’instant dans l’assemblée ne peut pas être appréciée sur-le-champ par chacun de nous ; si la chambre a réellement l’intention de s’éclairer sur la question de confiance qu’on doit avoir dans le ministère, il faut nécessairement les faire passer par le creuset d’un mûr examen, et pour cela elles doivent être connues. Je demande donc que toutes ces pièces soient imprimées et distribuées aux membres de la chambre.

Je me hâte de vous présenter une seule observation qui vient à l’appui de celle que vous a présentée M. Dumortier.

Que l’on ne se montre pas si hardi (et ces mots je les applique à M. le ministre de la guerre), que l’on ne se montre pas si hardi pour juger nos intentions avec autant de sévérité que M. le ministre s’est permis de le faire dans le fragment de discours que je vais signaler. Il a semblé nous dire qu’il désirait...

Comme ces expressions sont générales et qu’elles s’appliquent à toute la chambre, je voudrais bien savoir de qui M. le ministre de la guerre a entendu parler, afin que chacun de nous ne fût pas sous le poids de ce que j’appelleras une pareille incartade.

Si parfois il y a un peu trop d’acrimonie dans cette chambre contre le ministère, c’est que nous ne savons de lui que ce que nous lui arrachons. Ce n’est pas le désir de lui nuire qui nous dirige mais c’est le désir de remplir notre mandat, d’être utiles à nos concitoyens. Voilà ce qui met quelque vivacité dans nos paroles. Mais de là jusqu’au droit de flétrir notre conduite et nos intentions, il y a loin. J’exprime à cet égard un regret d’autant plus sincère, que les expressions dont il s’agit émanent d’un homme qui avait toujours si bien respecté les convenances parlementaires dans cette enceinte.

J’ajouterai maintenant quelques mots à l’appui de l’observation de M. Dumortier que la convention de Zonhoven avait été considérée hier par les ministres comme toute militaire. Cela est si vrai, messieurs, qu’hier, du moment où j’ai fait ma proposition, on a constamment décliné le dépôt des pièces, et ce n’est qu’après la lecture d’un volumineux mémoire, soigneusement élaboré et qu’on tenait en poche pour s’en servir au besoin ; ce n’est qu’après cette lecture, et pressé par nous, que M. le ministre des affaires étrangères a fini par consentir à ce dépôt. Mais la preuve que la convention n’est pas militaire, c’est que M. le ministre des affaires étrangères lui-même a dit qu’elle avait été conclue en vertu de l’article 4 de la convention du 21 mai.

La preuve, je la trouve dans les pièces dont on vient nous offrir la communication ; la preuve encore, c’est que M. le ministre des affaires étrangères a déjà occupé la chambre de la convention de Zonhoven comme politique. Il s’agit donc d’une convention politique et comment ne le serait-elle pas, alors qu’elle repose sur l’article 4 de la convention du 21 mai ?

Cet article avait un double but, d’abord d’assurer à la Hollande des communications faciles avec la place de Maestricht, qui a été reconnue lui appartenir par les 24 articles, et ensuite de garantir à la Belgique la libre navigation de la Meuse jusqu’à la mer. Eh bien ! quand il a été question de régler l’exécution de cette clause, il fallait stipuler les mêmes garanties en faveur de la Belgique qu’en faveur de la Hollande.

Comment se fait-il cependant que de notre côté on lie, on enchaîne la nation vis-à-vis de la Hollande, que nous nous chargeons de recevoir les Hollandais sur notre territoire par 900 hommes d’infanterie et 200 de cavalerie chaque fois, et que nous exposons ceux qui les recevront aux injures de nos bons amis les ennemis hollandais (on rit), et tout cela pour 35 cents par jour, tandis qu’en compensation il n’est pas même dit un mot dans la convention de la navigation de la Meuse ? Ainsi, on a, je dirai, la couardise d’accepter une convention qui est toute en faveur de la Hollande, et dans laquelle on nous regarde comme des révoltés, comme un gouvernement de fait.

Nous aurons la liberté de la Meuse, mais en vertu de la permission du roi Guillaume, permission qu’il pourra révoquer quand il le voudra.

Mon intention n’est pas de traiter la question sous toutes ses faces, parce que j’attends l’impression des pièces ; mais je ferai observer à M. le ministre de la guerre qu’il s’est trompé quand il a parlé de la loi de 1831. Nos souvenirs sont encore frais ; nous nous rappelons que cette loi a été portée parce qu’on s’est plaint dans le temps d’une espèce de violation de la constitution en appelant les Français sur notre territoire sans l’autorisation du pouvoir législatif. Comme chacun pressentait qu’une nouvelle intervention serait nécessaire, on a fait la loi pour autoriser le passage et le stationnement sur notre sol des troupes étrangères.

J’avoue que de prime d’abord, j’ai été d’avis d’admettre cette loi ; mais si je ne me trompe, j’ai même demandé moi-même que le mot alliées y fût inséré. On m’a répondu : C’est inutile ! nous ne recevrons pas d’autres troupes que celles françaises ; et d’ailleurs, si nous agissions autrement, vous pourriez nous accuser (car c’est là le gra=nd cheval de bataille de M. Lebeau, parce qu’il sait qu’on ne l’accusera pas à présent.) (On rit.) Voila donc pourquoi on a voté la loi, mais on n’a jamais entendu que les Hollandais pourraient passer et stationner sur notre territoire. Si demain, on voulait confier à la Hollande la ville de Liége pour garantie d’une convention quelconque on aurait donc le droit d’y envoyer des troupes hollandaises ? C’est ce que personne de vous n’admettra.

Voilà les observations préliminaires que j’avais à faire ; je me réserve d’en présenter d’autres ultérieurement.

M. Angillis. - Messieurs, la question est de la plus haute importance, et c’est seulement pour cela qu’elle doit être traitée avec calme. Si vous continuez à discuter ainsi sur des pièces que vous n’avez pas vues, nous perdrons beaucoup de temps et nous n’aurons rien fait. Quant à moi je n’ai pas encore eu le moindre apaisement sur les doutes qui se sont élevés dans mon esprit, et je crois que la chambre n’est pas plus avancée que moi. Vous n’avez donc qu’un moyen, c’est de nommer une commission qui sera chargée d’examiner ces pièces, et qui nous fera son rapport. Mais, en attendant, je ne crois pas qu’il faille interrompre la discussion du budget des voies et moyens ; seulement on ne la fermera point jusqu’à ce que nous ayons entendu le rapport de la commission.

M. Dumortier. - J’ai encore une observation à soumettre à l’assemblée relativement aux pièces qui sont déposées sur le bureau. Je viens de les examiner, et ce ne sont pas celles que nous avons demandées.

Je vois d’abord les instructions données par M. le général baron Hurel à MM. les commissaires belges pour la reprise des relations diplomatiques avec les commissaires hollandais. Cette pièce est datée du 26 octobre, et elle a été écrite à Bruxelles ; elle contient une phrase remarquable de laquelle il résulte que dans ses instructions, M. le baron Hurel donne pouvoir de rayer les droits de la Belgique à un contrat synallagmatique. C’est là la pièce la plus importante ; et vous croyez peut-être que tous les documents relatifs à ce point sont compris dans la communication qui vous est faite ? Pas du tout, il ne s’en trouve aucun.

Je vois ensuite trois procès-verbaux des délibérations du conseil des ministres, mais le premier est de trois jours postérieur aux instructions, le deuxième est du 1er novembre et le troisième du 17 novembre. Nous ne pouvons donc ainsi savoir qui est la cause de la position fâcheuse dans laquelle se trouve la Belgique.

M. le ministre de la guerre nous a dit que s’il ne communiquait pas les documents relatifs à ce point, c’est que M. le ministre des affaires étrangères s’était réservé de faire lui-même cette communication. Je m’attendais donc à les voir dans les pièces que ce dernier ministre a déposées sur le bureau ; mais mon espérance a été déçue, et cependant il est indispensable que nous ayons les procès-verbaux antérieurs aux pleins pouvoirs que l’on a donnés.

En répondant à ce que j’avais dit hier que le ministre avait cherché à faire retomber sur le ministre de la guerre, pour lequel on sait que nous avons beaucoup d’estime et d’affection, tout le blâme de la convention de Zonhoven, M. le ministre de la justice s’est exprimé ainsi : « Comment savez-vous si le ministre de la guerre n’a pas siégé dans le conseil ? S’il n’y assiste pas habituellement, il est des cas où sa présence est nécessaire, et ce sont des cas analogues à celui qui nous occupe. » D’après cela, messieurs, vous aurez pensé comme moi que M. le ministre de la guerre avait assisté aux délibérations du conseil. Eh bien ! il résulte des procès-verbaux qu’il n’y a pas assisté. Je signale ce fait pour montrer jusqu’à quel point nous devons avoir confiance dans les déclarations des ministres. (Ici, l’orateur donne lecture des noms apposés au bas des deux premiers procès-verbaux. Dans le second se trouve la signature de. M. le baron Evain, ministre de la guerre.)

J’aperçois à présent seulement la signature de M. le ministre de la guerre sur ce deuxième procès-verbal, mais elle ne se trouve pas sur le premier ni sur le dernier qui rapporte la délibération la plus importante. Ainsi donc M. le ministre de la guerre n’assistait pas à cette délibération et la responsabilité n’en tombe pas sur lui.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet) - Lisez les pièces avant de vous prononcer.

M. Dumortier. - Je prie M. Goblet de ne pas m’interrompre. Il pourra prendre la parole après moi, s’il le veut pour me répondre.

Je désirerais que M. le ministre de la guerre nous déclarât si ce sont là véritablement les pouvoirs qu’il a reçus, car je n’ai pas confiance dans ses collègues.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) (à M. le ministre de la guerre). - Vous n’avez pas à répondre à cela. (Bruit.)

M. Dumortier. - Comment ! on ne doit pas répondre, quand il s’agit d’une affaire aussi dégoûtante ; cela est par trop fort. Il faut pourtant que nous soyons éclairés. La chambre a droit de mettre les ministres en accusation, s’il y a lieu ; mais, avant d’exercer ce droit, il faut qu’elle sache qui elle doit frapper. Aucun ministre ne peut soustraire ses actes à l’examen de la législature. J’insiste pour que M. le ministre de la guerre nous dise si ce sont bien là les pièces qui lui ont conféré l’autorisation d’agir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Lorsque j’ai entendu M. Dumortier interpeller notre honorable collègue le ministre de la guerre, et demander même l’intervention de la chambre, j’ai dû m’opposer à ce qu’il répondît, comme je m’y oppose encore, non que je doutasse de la conduite que tiendrait notre honorable collègue. Nous savions fort bien qu’il répondrait à cette interpellation inconvenante par un dédaigneux silence.

Vous remarquerez, messieurs que dans cette affaire, qu’on qualifie de dégoûtante et qu’on entame de manière à justifier la qualification, on cherche avant d’avoir pris communication des pièces à formuler des accusations, accusations qui, nous le savons, sont familières au préopinant, mais dont on devrait au moins s’abstenir jusqu’après l’examen des pièces. Ce n’est qu’à la suite de cet examen que la chambre saura si elle doit s’associer aux inculpations que M. Dumortier fait dès à présent peser sur nous, de peur sans doute que l’occasion ne lui en échappe plus tard.

- La chambre consultée ordonne l’impression et la distribution des pièces.

M. le président. - Je vais maintenant mettre aux voix la proposition de M. Angillis tendante à ce qu’il soit nommé une commission pour examiner ces pièces.

M. Angillis. - Maintenant que la chambre en a ordonné l’impression, une commission me paraît inutile. Nous pourrons tous les examiner. En conséquence je retire ma proposition.

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Desmet sur le budget des voies et moyens.

M. Desmet. - Messieurs, notre consentement au budget peut être envisagé sous trois points de vue.

Comme approbation de la marche de l’administration ;

Comme approbation du système financier ;

Enfin, comme reconnaissance que, sous le système financier donné, le gouvernement s’est imposé toutes les économies compatibles avec le bien du service public.

Que c’est de la sorte que nous devons considérer notre approbation aux budgets que le ministre nous présente ; et c’est tellement certain, que le chef même, ou pour mieux dire le factotum de l’administration qui nous régit dans ce moment, à chaque occasion, qu’il s’est agi de censurer ou critiquer des actes d’administration, a énoncé que si nous n’approuvions pas la gestion du gouvernement, il n’y avait qu’un seul moment utile pour le déclarer, que c’était à la discussion des budgets.

Ainsi donc la discussion du budget est l’expression de la session$ des chambres ; elle est aussi l’expression de l’opinion publique, car elle rappelle incessamment les vues, les craintes et les besoins de la société.

Il paraît d’ailleurs très rationnel que l’on donne volontiers son argent quand on a donné sa confiance, et le vote du budget serait toujours facile, s’il arrivait après de bonnes lois, si des actes éminemment justes et constitutionnels rassuraient le pays sur l’emploi des fonds qu’il accorde ; mais lorsque l’administration, par une marche tortueuse et cachée, jette dans les esprits de l’inquiétude et de la défiance, lorsqu’on s’aperçoit qu’un parti liberticide s’agite et se dispose à s’emparer entièrement du pouvoir, lorsqu’enfin les ministres nous font marchander nos libertés, il est tout naturel qu’à notre tour, nous marchandions leur budget, si même nous ne le retenons en entier, comme ils retiennent le pays dans l’esclavage des lois fiscales de Guillaume et d’un système de finance qui est nuisible à sa prospérité.

C’est sous ces trois points de vue que je compte envisager les budgets.

Dans la discussion présente du budget des recettes, je n’examinerai que les deux premiers points ; car si je trouve que la marche du gouvernement n’est pas dans l’intérêt de la nation, mais au contraire qu’il est hostile à ses libertés et à ses prérogatives constitutionnelles, ou que je sois convaincu que le système financier lui est nuisible et destructif, mon mandat et ma conscience me dictent de refuser tout subside. J’examinerai le troisième point lors de la discussion du budget des dépenses.

Et d’abord, messieurs, je vous le demande, nous qui représentons une nation qui vient de consommer sa révolution sociale, pour se défaire du despotisme et acquérir un régime de liberté et de justice, pourrions-nous mettre notre confiance dans des hommes qui appartiennent à la secte politique des doctrinaires, à cette secte qui a une mission, celle de détruire tout ce qui vient du peuple et de sa volonté ?

Sa mission est facile à comprendre, c’est une conspiration active et continuelle contre les principes populaires et les constitutions libérales ; c’est particulièrement à notre constitution et à nos prérogatives qu’on en veut. Et quand on songe au chemin rétrograde à notre liberté, à notre indépendance, que nous avons fait depuis que nous sommes dominés par la fraction des doctrinaires, on ne peut envisager sans effroi le terme où tend inévitablement une telle direction politique.

Un pamphlet qui vient de paraître, et où on découvre assez distinctement le cachet du ministère, ne laisse plus rien à deviner ; il met au jour la tendance et les projets perfides de notre gouvernement doctrinaire ; il nous prévient que ce gouvernement liberticide et contre-révolutionnaire en veut systématiquement à nos libertés religieuses et civiles, qu’il veut détruire les institutions que nous avons conquises par la révolution de septembre, enfin qu’un complot est formé dans son sein pour anéantir entièrement la constitution du congrès. Et les faits viennent ici en appui aux écrits du ministère.

Depuis trois sessions successives vous avez pu vous convaincre qu’on en voulait à l’article 25 de votre constitution. Le pouvoir est effarouché d’y voir la consécration du principe de la souveraineté du peuple. On voudrait plutôt vous conduire à la façon de Louis XIV qui entrait au parlement de France avec son fouet et ses grosses bottes, et faisait enregistrer les décrets de son bon plaisir à coups de cravache.

La liberté d’opinion, vous le savez aussi, déjà n’existe pas plus en Belgique que sous Guillaume ; bientôt vous n’aurez plus dans aucune administration que des hommes de l’espèce de ceux du message du 11 décembre.

D’un autre côté quel cas fait-on des articles 115 et 116 de la constitution ? On puise au trésor, et on se moque du visa préalable de la cour des comptes. Si on veut une chambre des comptes, on désire que ses attributions se bornent à vérifier des additions, et nullement à arrêter les dilapidations administratives.

Et sur la liberté individuelle, nous ne pouvons de même ne plus y compter ; elle est remplacée par le bon plaisir du ministre de la justice et de son agent, le directeur de la police, qui font exécuter leurs hautes œuvres par la police de la fameuse compagnie Simon, qui ne s’occupe qu’à traquer les voyageurs et à exercer le vil métier de mouchard et d’espion.

Enfin, si nous devions continuer nos investigations, à peine trouverions-nous de notre constitution, vieille que de trois ans, encore quelques lambeaux. Mais, comme nous venons de le dire, la mission de notre ministère est de la détruire ; il faut tout sacrifier pour être reconnu par les souverains de la sainte-alliance, et des modifications à notre constitution sont la condition sine qua non.

Et de la manière que nos affaires de l’extérieur sont dirigées et qu’on les communique aux mandataires de la nation, pourrions-nous de ce chef avoir plus de confiance dans le ministère ? On nous cache tout ; on refuse de faire connaître à la Belgique comment on traite ses affaires. Et, chose assez étrange, c’est que dans tout le pays on ne voit qu’un seul homme qui soit capable de les conduire. Cependant cet homme-là n’a pas la confiance de la nation ; j’ose le soutenir, et ne crains point d’avoir un démenti quelque part.

Nous sommes dans l’inquiétude, la nation l’est de même ; elle ne sait que trop combien elle a été trompée jusqu’à présent, et que les hommes qui ont été envoyés à la conférence ont souvent de fois plus soigné les intérêts de Guillaume que les nôtres.

Si pour la dette, par exemple, on avait laissé gérer nos affaires par des hommes sincèrement attachés à leur pays et à sa cause révolutionnaire, certainement on n’aurait pu imposer la Belgique de tous les millions qu’elle ne devait pas, et vous n’auriez pas été forcés de payer des pensions à des hommes qui, contre les termes de votre constitution même, n’eût fait que du mal au pays, et qui ont pour tout titre celui de conspirer sans cesse en faveur de la restauration hollandaise.

Mais on nous prépare encore d’autres catastrophes, soyez-en sûrs, et peut-être qu’on ne tardera pas longtemps à venir vous les annoncer, et vous dire, comme toujours : Nous avons été forcés de traiter ainsi, si nous voulions conserver notre indépendance, notre nationalité ; le fait est consommé, il faut vous résigner.

Car, messieurs, pour moi je ne peux douter un instant que le gouvernement a adhéré à la convention du 21 mai, qu’il a commis ce crime politique, et que, contre le gré et à l’insu de la nation, il a consenti à laisser anéantir le traité du 15 novembre. D’où il résultera de nouvelles concessions à la Hollande et de nouveaux dommages et de nouveaux déshonneurs pour la Belgique. La navigation des eaux intérieures de la Hollande, nous ne l’aurons plus, et cependant le chiffre de la dette ne sera pas diminué. Pour ce qui concerne la navigation sur l’Escaut et la Meuse et les eaux des Flandres, le traite du 15 novembre établissait la co-souveraineté de la Belgique et de la Hollande ; on en aura cédé à Guillaume la souveraineté exclusive, c’est-à-dire qu’il conservera le droit d’imposer des péages, de décréter des règlements ; en d’autres termes, de ruiner la navigation belge et d’inonder les polders flamands quand bon lui semble.

Pour les communications avec l’Allemagne, Guillaume demande un droit de transit, outre le droit de barrière que lui assure le trait du 15 novembre. Encore une légère concession que nous ferons tacitement.

Vous paierez la dette dans son entier, et même les arrérages, sans que vous puissiez prétendre au boni que la liquidation du syndicat et de la banque devait vous donner en compensation de l’énorme obligation qui nous est imposée par le traité.

Enfin, soyez-en persuadés, Guillaume ne reculera pas d’un pas ; il voudra l’entière exécution de son thème, et, par la pusillanimité coupable de ceux qui veulent diriger nos affaites, nous viderons le calice des concessions jusqu’à la lie.

Les négociations de Zonhoven, qu’on appelle depuis hier la petite convention militaire, et dont la perfide doctrine veut faire supporter la responsabilité à l’honnête homme qui est à la tête de l’administration de la guerre, montrent plus clairement encore la conduite coupable de ceux qui gèrent nos affaires, et prouvent à l’évidence qu’ils soignent plus les intérêts du roi Guillaume que les nôtres. La fourberie de Scapin se découvre ici en entier : vous avez voté une loi pour le passage des troupes françaises sur votre territoire ; on s’en sert pour défendre l’infamie de Zonhoven. La convention du 21 mai avait stipulé, à son article 4, que la navigation de la Meuse serait soumise à la convention de Mayence du 31 mai, et qu’en retour les communications de Maestricht avec le Brabant septentrional seraient rendues libres.

Pour régler ces deux points connexes, et dont l’exécution devait être réciproque, des conférences furent ouvertes à Zonhoven. Elles commencèrent en effet le 1er juillet dernier et dès le 27, les commissaires hollandais se plaignirent à la conférence de Londres que les commissaires belges envoyés à Zonhoven refusèrent d’accorder la liberté de communication de Maestricht et du Brabant.

Mais, en faisant cette plainte, ils ne disaient point le véritable motif du refus ; ils ne disaient point qu’ils prétendaient disjoindre les deux questions, et en faire une seule de la communication à ouvrir pour eux vers le Brabant et l’Allemagne. Ils ne disaient point que la Hollande voulait d’abord la libre sortie de la garnison de Maestricht et seulement, plus tard et à elle seule, régler ce qui regardait la navigation de la Meuse.

De telles prétentions étaient contraires au traité ; elles étaient absurdes et inadmissibles : en un mot, elles étaient dignes de Guillaume et de son gouvernement.

La conférence de Londres, saisie de cette difficulté, donna tort aux commissaires hollandais en déclarant positivement les deux questions connexes ; et les conférences furent reprises à Zonhoven le 16 août.

On devait croire que la Hollande en entrant de nouveau en négociation, avait renoncé à ses premières prétentions ; mais il n’en était absolument rien ; les commissaires hollandais exigèrent imperturbablement la division des deux questions, de la Meuse et de Maestricht, et les conférences furent une seconde fois rompues le 23 août.

Cette difficulté fut résolue à Londres comme elle l’avait été la première fois, et une note du 29 septembre donna tort une seconde fois aux commissaires hollandais ; mais ceux-ci ne se tinrent point pour battus. Par une réponse du 18 octobre, ils maintinrent la division des deux questions connexes, et la conférence, après avoir deux fois repoussé formellement ce faux système, avait admis les exigences injustes et absurdes du gouvernement hollandais, qui a réussi de négocier à Zonhoven comme il le désirait pour tromper plus facilement la Belgique ; et notre gouvernement a été assez inepte, assez maladroit, pour consentir, et pour sacrifier encore une fois les intérêts du pays sans s’être assuré que nous obtiendrions quelques représailles, car la convention de Zonhoven ne stipule rien pour la Meuse.

Il a plus fait, il a consenti, sans y être autorisé par les représentants de la nation, qu’au travers du territoire belge une route soit ouverte pour le passage des troupes de notre ennemi, et il a imposé arbitrairement les habitants des communes de Brée, Beek et Gerdingen des logements militaires des Hollandais, tout en laissant ces pauvres habitants à la merci de la troupe hollandaise.

Il a plus fait en signant cette convention, il a, par l’article 5, accordé exemption de tout droit au transport des effets appartenant aux soldats hollandais ou à leur famille. Ils ont donc, nos ministres, consenti à laisser jouir nos ennemis des avantages qui doivent être nuisibles à la Belgique et très dangereux pour sa défense ; ils l’ont fait en vertu d’un traité qui n’avait pas reçu l’assentiment des chambres, et qui a anéantit le traité du 15 novembre qui devait faire notre droit. Ils ont, dans cette convention de Zonhoven, violé de la constitution les articles 125, 87, 68, 110 et 112.

Je ne parlerai point de l’humiliant rôle que la Belgique joue dans cette convention ; ce n’est pas d’aujourd’hui que nos ministres doctrinaires ont entièrement dégradé la pauvre Belgique ; mais je vous demande, messieurs, à peser le danger où ils ont mis le pays. Dans peu de jours Guillaume pourra y faire entrer 50,000 hommes et y recommencer les hostilités, car il vous dira qu’il est sur son territoire et qu’il s’y tient en force pour dompter ses sujets rebelles ; et si dans une telle position vous n’aviez que votre ministère pour vous défendre, la Belgique serait vite restaurée.

Quand nous voyons passer tout cela sous nos yeux, quand nous voyons que le ministère porte continuellement des coups mortels aux intérêts de la Belgique et à son honneur, quand nous voyons et que nous sommes convaincus que la constitution belge n’est entre ses mains qu’un sale chiffon qu’il déchire à volonté et quand nous devons soupçonner qu’il trahit la cause belge en faveur du despote que nous avons chassé, que nous devons de même croire, par sa conduite extraordinaire, qu’il n’a aucune confiance dans notre brave et belle année et qu’il préfère de faire continuellement des concessions et conduire la Belgique à sa perte, pouvons-nous mettre un instant notre confiance dans sa gestion, et sans manquer à notre mandat et à notre conscience, lui confier un seul denier des subsides ? Notre obligation serait plutôt, je pense, de scruter sa conduite et de prémunir la Belgique contre l’abîme qu’il lui prépare ; car, revenant sur les négociations de Zonhoven, comment peut-on s’expliquer que notre gouvernement mette tant d’empressement à satisfaire aux exigences injustes de Guillaume, et qu’il ne songe pas un moment à faire quelque chose pour l’intérêt de la Belgique, où cependant il trouve le même droit ?

L’article 3 de la convention du 21 mai déclare l’Escaut libre et, d’après l’article explicatif, la navigation y aura lieu telle qu’elle existait avant le 1er novembre 1832.

Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir comment le gouvernement hollandais observe cette clause et à quel point la navigation de l’Escaut a acquis sa liberté ? C’est qu’avant et après le lever du soleil, aucun bâtiment de commerce, soit de Belgique, soit étranger, ne peut pas passer la station des bâtiments de guerre qui se trouvent entre Lillo et Liefkenshoek ; de sorte que cette liberté existe pendant cette saison huit heures sur vingt-quatre, c’est-à-dire le tiers du jour. Vous sentez combien cela est gênant pour le commerce et même dangereux pour les bâtiments qui, par cette mesure, doivent souvent séjourner sur l’ancre en pleine rivière, quand il n’avaient plus qu’un pas à faire pour s’abriter dans les bassins d’Anvers.

Le même article dit que les hostilités stateront de part et d’autre ; eh bien, encore une fois, allez aux polders ; vous pourrez vous convaincre comment les hostilités ont cessé ; vous y verrez, au contraire, que, près du Doel, trois grands polders se trouvent toujours sous l’eau par moyen de défense et d’hostilité de la part des Hollandais ; et de l’autre coté de la rivière, prés de Lillo, des milliers de bonniers se trouvent de même inondés, encore par simple mesure hostile, et uniquement pour faire tort aux habitants et propriétaires.

Les dégâts que ces inondations causent sont incalculables, et rendent la position des habitants de ces contrées de plus terribles. N’est-ce donc pas inexplicable que le gouvernement n’ai pas songé à ces malheureux et aux dommages que les Hollandais font continuellement à des Belges ?

Mais non, tout ceci n’en vaut pas la peine ; une autre preuve y vient en appui : 25 à 30 bâtiments hollandais chargés de denrées et marchandises se trouvent en permanence en avant du Doel, et déchargent continuellement cet objet sur des bateaux belges, qui les feront entrer en Belgique, tandis qu’en Hollande vous ne pouvez faire entrer une épingle qui arriverait de la Belgique. En un mot, de la part de l’administration actuelle, tout pour les Hollandais, rien pour les Belges.

J’arrive au second point de vue sous lequel il me semble que nous devons envisager le budget des recettes : celui du système financier qui nous régit. Qu’il est vicieux, nous ne devons plus le répéter, on l’a dit assez souvent de fois à cette tribune ; mais c’est comme si nous prêchions dans le désert ; nos hommes de finance ont l’oreille dure et ne comprennent point, ou, pour mieux dire, ils comprennent assez, mais ils ne veulent pas changer ce qu’ils ont admiré et fait exécuter avec tant de zèle et de fiscalité sous leur ancien maître.

Je ne passerai pas en revue les différentes espèces d’impôts ; d’autres membres le feront mieux que moi. Je ne m’arrêterai qu’un instant à l’impôt sur le sel, cet impôt qui frappe plus particulièrement sur la classe prolétarienne, et qui dans le budget présenté n’a reçu aucun soulagement, qui a conservé ces 25 centimes additionnels. « Si les charges sont mal réparties, si elles pèsent sur une classe de citoyens plus que sur une autre, dès lors elles deviennent insupportables et sont une source de mécontentement et de plaintes. » Ce principe, incontesté jusqu’à ce jour, trouve son application dans l’impôt sur le sel.

Cette denrée étant de première nécessité, la taxe qui pèse sur elle n’est point un impôt volontaire, condition nécessaire de l’impôt indirect ; c’est un impôt forcé. Or, pour tous ceux qui connaissent l’économie rustique, qui ont vécu au milieu des hommes dont les sueurs fécondent la terre, il est constant que, sur trente livres de sel consommées par deux individus, l’agriculteur ou le journalier en consomme vingt-cinq livres, lorsque cinq suffisent aux besoins du riche ; est-il une inégalité plus frappante ?

Jetez les yeux, messieurs, sur ces vastes campagnes où l’habitant laborieux ne se nourrit que de seigle, de pommes de terre de lait battu, aliments sans saveur, indigestes sans le sel qui en corrige l’insipidité. Parcourez les Flandres, et je peux dire toute la Belgique, la soupe du laboureur se compose d’eau et de sel ; la viande, s’il peut s’en procurer, car il s’en faut beaucoup que chacun en ait tous les dimanches, consiste en un morceau de lard salé.

Si à ces considérations, on ajoute l’influence de cet impôt sur l’agriculture, l’impossibilité où se trouve le laboureur d’user abondamment de cette denrée pour la conservation des animaux et les préserver des maladies et des épizooties, on sentira la nécessité de diminuer un impôt aussi désastreux dans ses effets qu’inique et immoral dans ses résultats.

Oui, messieurs : inique, puisqu’il pèse d’une manière si inégale sur les classes pauvres et laborieuses ; immoral, car on ne peut nier que la fraude avec la loi existante est organisée de toute part, mais particulièrement dans quelques endroits. La denrée brute a si peu de valeur et le gain est si exorbitant, que le saunier ou le marchand fraudeur peut se faire en peu de temps une fortune, et surtout dans ces villes où les exemptions de la loi lui prêtent si facilement à la fraude.

Mais, m’objectera-t-on, si vous voulez diminuer l’impôt sur le sel, comment trouvera-t-on les revenus nécessaires pour subvenir aux besoins de l’Etat ?

A ceci il y a beaucoup de choses à dire ; d’abord, il est constant que c’est par l’augmentation de consommation et non par celle des tarifs qu’on réussit à accroître les revenus de l’Etat.

En effet, lorsque l’impôt est modique, la consommation s’augmente de tout ce dont une taxe plus élevée aurait empêché la vente. La fraude s’éteint par l’insuffisance du dédommagement capable d’en couvrir les frais et d’en faire braver les risques. La raison dit et l’expérience prouve qu’en fait d’impôts indirects les plus légers sont ceux qui produisent le plus ; je pourrais, messieurs, vous en citer des exemples, mais vous connaissez la plupart de ces faits.

Et ensuite, je vous demanderai, messieurs, si nous désirons que le pays soit prospère et heureux, ne devons-nous pas sérieusement songer à parler de l’économie dans les dépenses administratives de l’Etat, et mettre obstacle à ce pillage des deniers publics qu’on voit augmenter à tout quart d’heure dans notre ministère doctrinaire, tant pour distribuer des pensions que pour augmenter le nombre des places et ainsi tâcher de se faire quelques partisans par l’appât de l’argent qu’il enlève au peuple ?

Ne devons-nous pas non plus soigner que tous les deniers qui reviennent à l’Etat soient versés dans sa caisse, et ne restent plus à une société particulière comme nous venons d’en faire la dure expérience avec la banque de Bruxelles, qui a joui pendant trois ans d’un capital d’au-delà de treize millions qui appartenait au pays, et dans quelle occasion ! Nos gouvernants, si, comme ceux de Guillaume, ils eussent été intéressés dans la société, n’auraient pas mieux soigné leurs propres intérêts.

La banque a gardé les 13 à 14 millions depuis le 30 septembre 1830 ; elle en a fait son profit et avec bonne usure. Quand, dans l’emprunt Rothschild, elle a prêté à l’Etat les propres fonds de l’Etat, elle a fait un bénéfice de 25 pour cent ; aujourd’hui, dans le remboursement elle ne fait pas un moindre gain, elle rembourse, avec des rentes qu’elle a achetées au taux de 73 et qu’elle donne à celui de 96 1/4.

Ce n’est pas encore là le seul gain qu’elle fait avec nos propres fonds mais, en ne faisant que le calcul de ces deux objets, on a été effrayé de l’énorme bénéfice qui a été fait au détriment du trésor, et cela au profit d’une société où Guillaume est propriétaire des dix-neuf vingt-quatrièmes d’actions. Cela crie vengeance ! Mais ce n’est pas tout, la banque a encore des fonds en caisse qui ne lui reviennent point et qu’elle devrait mettre à la disposition de l’Etat, surtout dans un moment où il en a le plus grand besoin, et qu’il a dû faire des emprunts vraiment ruineux.

1° Du chef de la liste civile de l’ex-roi, elle est redevable de deux millions ; quatre années d’arrérage à un demi-million de florins par an ;

2° Du chef de la caisse du syndicat d’amortissement, de la somme qu’elle doit y verser annuellement et en la comptant depuis 1830, une somme de 1,450,000 florins ;

3° Du revenu annuel de la part que Guillaume a dans la banque et qui devrait être versé dans la caisse de l’Etat comme provenant du séquestre, une somme de 4,750,000 florins, pour les quatre années, à 1,187,500 florins par an.

Ce qui fait un total de 8,200,000 florins que la banque tient à elle et qui devrait rentrer au trésor de l’Etat.

Quand on voit tout ce qui se passe dans cette banque de Bruxelles, qu’on nommerait mieux la banque de Guillaume, et quand on s’aperçoit qu’elle se dépêche d’aliéner tous les domaines de la Belgique que Guillaume avait volés au pays, n’est-ce point temps de prendre des précautions et de se garantir contre de plus grandes pertes que le pays pourrait encore faire de ce chef ? Je finis ici mes observations, quoiqu’elles soient loin d’être terminées ; j’aurais encore bien des choses à dire sur l’ineptie, l’insouciance crasse, et la mauvaise administration de notre ministère doctrinaire.

J’aurais aussi aimé d’émettre des vœux pour voir se réaliser celui que toute la nation fait, de voir imposer les denrées coloniales, en remplacement d’autres impôts qui sont nuisibles à la prospérité du pays et qui pèsent plus particulièrement sur la classe prolétaire ; mais ce serait, comme je viens de le dire, prêcher dans le désert : que peut-on espérer d’une administration de financiers, où règne, une complète anarchie, où on voit cinq à six administrateurs, qui jouent tous le rôle de ministres et qui tous gouvernent d’après leur bon plaisir, et font un département à part sans vouloir respecter cette union qui est si nécessaire dans une administration et surtout dans celle des finances ? Pauvre Belgique, par qui êtes-vous gouvernée ?

Je voterai contre le budget des recettes, à moins qu’avant la fin de la discussion, je puisse acquérir l’espoir de voir un changement dans le ministère et le déguerpissement de la doctrine.

M. A. Rodenbach. - Lorsque la section centrale a examiné le budget des voies et moyens, elle ne pouvait pas connaître les réductions que les diverses sections feraient subir au budget des dépenses ; elle ne pouvait pas non plus porter en ligne de compte les 650,000 fr. d’intérêt de Rothschild que la banques a achetés pour le compte du gouvernement, puisque le ministre des finances ne nous a pas soumis le projet de loi que je sollicite aujourd’hui avec instances.

Ce qui précède vous explique comment la section centrale nous a présenté un chiffre aussi énorme que celui de 83,262,000 fr. Je suis persuadé que si elle avait pu porter ses investigations plus loin, elle aurait facilement déduit le budget de plus de 2 millions.

Et d’abord, il nous sera aisé de diminuer d’un million le total du budget du département de la guerre.

Sur le budget de la dette publique, on nous demande une majoration de 87,000 fr. pour les traitements d’attente. Or, la chambre s’est déjà prononcée plusieurs fois ; elle en a fait justice par deux rejets successifs. Ce n’est pas tout : le ministère de la marine nous demande 300,000 fr. pour construction de bâtiments, comme si le moment était bien choisi pour faire ces sortes de dépenses. Au ministère de l’intérieur, on veut 150,000 fr. pour bâtir. Mais on n’a pas le soin de nous prévenir que les dépenses ne s’arrêteront pas là ; car ce ne sont que les premiers frais. En effet, il faudra peut-être un demi-million, tandis qu’il existe prés de la porte de Hal un vaste bâtiment que plusieurs de mes honorables collègues ont examiné avec soin, et qu’ils m’ont assuré être très convenable pour recevoir les archives. On objecte que les murs sont humides ; mais il serait facile de parer à ces inconvénients avec des mastics hydrofuges.

En terminant, je le répète, nous pourrons opérer sur le budget au-delà de 2 millions d’économies.

Du reste, je ne me prononcerai pas dès à présent sur toutes les questions que le budget soulève ; je veux entendre d’abord les observations respectives des ministres et de la section centrale.

Motion d’ordre

M. Verdussen. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Je saisis, messieurs, l’occasion de la discussion générale des voies et moyens, pour vous rappeler que, dans la dernière séance de votre précédente session, j’ai eu l’honneur de vous présenter quelques considérations sur les moyens propres à nous occuper d’une manière plus régulière de la discussion des budgets ; et pour atteindre ce but, j’ai appelé spécialement l’attention du ministère sur le projet de changer l’ouverture périodique de notre année financière.

Quoique j’aie de nouveau provoqué sur ce point les explications que j’étais en droit d’attendre de M. le ministre des finances, il n’a jusqu’ici pas jugé à propos de me répondre, ce qui m’oblige à reproduire aujourd’hui mes observations pour que je puisse enfin apprendre si le gouvernement a avisé aux moyens de prévenir le désordre qu’entraîne nécessairement l’allocation de crédits provisoires, ainsi que la discussion prématurée du budget des voies et moyens avant celle des différents budgets de dépenses.

Cette marche irrégulière et ses conséquences funestes ont déjà été trop souvent signalées dans cette enceinte, pour me croire obligé à la développer de nouveau : quant à moi qui suis impatient de voir mettre un terme à cette irrégularité, je la trouve assez importante pour déclarer que si le ministère s’obstine à garder le silence jusqu’au moment du vote des budgets de dépenses, et s’il ne vient pas au moins déclarer à la représentation nationale qu’il s’occupe de porter remède au mal qui existe, je me croirai obligé de refuser mon assentiment aux crédits qu’il sollicite de la chambre.

M. Pirson. - Ce que vous venez d’entendre doit, ce me semble, faire porter la discussion sur un autre terrain ; il est de fait que, dans la séance d’hier, M. le ministre des finances nous a annoncé plusieurs projets tendant à changer plusieurs parties de notre système financier. Il nous a fait ces promesses de manière à croire qu’il les remplira ; mais je le demande, comment pourrez-vous discuter des lois de finances, lorsque déjà le budget des voies et moyens sera adopté ?

La proposition de l’honorable M. Verdussen a pour but de changer l’époque du commencement et de la fin de notre année financière. Pour que ce changement pût avoir lieu, nous devrions adopter un budget non pas provisoire, mais transitoire, qui ne troublerait en rien les paiements du ministère des finances. Voilà donc le terrain sur lequel je voudrais que la discussion fût portée ; c’est aussi, je pense, l’intention de l’honorable M. Verdussen et du ministre des finances.

M. Dubus, vice-président. - M. Pirson demande que la discussion soit reportée sur la question du changement de notre année financière.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Avant que la discussion fût portée sur ce terrain, il faudrait, je pense, que la proposition de l’honorable M. Verdussen eût déjà passé par toutes les épreuves que le règlement prescrit ; le ministre aurait eu le temps de s’instruire et de s’expliquer sur la possibilité de changer l’époque où commence et celle où finit notre année financière.

Il serait difficile d’avoir terminé l’examen d’une question de cette nature avant le 1er janvier ; or, messieurs, le budget des voies et moyens doit être voté avant cette époque, pour que la perception soit possible et légale.

Le peu de temps qui nous reste rend donc impossible, quant à présent, l’examen de la proposition de M. Verdussen : sans m’étendre davantage sur son objet, j’exprime le désir qu’elle soit déposée sur le bureau ; plus tard, je reviendrai sur ses avantages et ses inconvénients, et je parlerai de son influence sur la comptabilité générale.

M. Verdussen. - Lorsque j’ai eu l’honneur de vous rappeler la motion d’ordre que j’avais faite dans une des dernières séances de la session précédente, mon intention n’était pas d’arrêter la discussion du budget des voies et moyens. Je voulais seulement obliger les ministres à s’occuper d’une question sur laquelle ils gardaient le silence.

J’ai déjà fait remarquer qu’il était impossible de procéder régulièrement dans la voie où nous sommes engagés. Les observations de l’honorable M. Rodenbach confirment tout ce que j’ai dit à cet égard. Il est, en effet, tout à fait impossible de fixer convenablement le budget des voies et moyens, lorsqu’on ne connaît pas encore les dépenses indispensables et urgentes.

Je désirerais que M. le ministre des finances s’expliquât sur le moyen que j’ai proposé. Ce moyen, je le crois, n’est pas le seul pour arriver au résultat que je désire. Si l’on nous en signalait un autre, et que la chambre voulût l’adopter, peu m’importe la manière dont une bonne chose a lieu, pourvu qu’elle se fasse. Peut-être qu’en votant le budget de 1835 immédiatement après celui de 1834, nous arriverions au même but : c’est une question à examiner, mais toujours est-il que la discussion du budget des dépenses doit précéder celle du budget des voies et moyens.

M. Pirson. - Le moyen d’arriver au but que l’honorable M. Verdussen se propose, c’est un budget transitoire. Pendant six mois, les perceptions auraient lieu sur la loi actuelle des dépenses, et pendant ces six mois le ministre aurait tout le temps de nous présenter les projets qu’il nous a promis. Maintenant je devrais soupçonner le ministre de mauvaise foi, s’il prétendait que six mois ne lui suffisaient pas ; car déjà hier il semblait, à l’entendre, que tout était prêt dès à présent.

Le moyen que je propose pour arriver au but que nous désirons tous, me semble plus convenable que celui d’une convocation extraordinaire des chambres.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois avoir bien compris la pensée de l’honorable préopinant. Ce n’est pas un budget provisoire qu’il a en vue de nous faire adopter. S’il faut changer l’année financière, il est évident qu’il faudra de toute nécessité voter un budget semestriel définitif, que l’on qualifiera, si l’on veut, de transitoire. L’auteur de cette proposition, l’honorable M. Verdussen n’a pas été aussi positif que le préopinant. Il s’est borné à exprimer ses doutes, il a seulement parlé de la nécessité de présenter le budget à une époque qui permît de l’examiner avec soin et maturité et nous préservât du provisoire.

Mais, messieurs, cet avantage n’est pas exclusivement attaché au mode prescrit par M. Pirson. Car, en France, où l’année financière commence et finit comme la nôtre, où les chambres se réunissent le plus souvent en décembre, et cette fois, par exemple, à la fin de décembre, le provisoire n’existe pas, parce que le budget doit toujours être voté dans la session qui précède l’année à laquelle ce budget s’applique.

Suivant l’observation de M. Verdussen, le gouvernement pourrait s’occuper de vous présenter le budget de 1835 avant la fin de l’été : ce serait encore une manière de résoudre la question qui vient d’être soulevée, sans changer l’année financière ; car, messieurs, il est impossible d’apercevoir et de signaler tout d’abord, et dans une improvisation, les conséquences d’un pareil changement, non seulement sur la comptabilité générale, mais encore sur les habitudes de tous ceux qui prennent part au budget, soit comme employés, soit comme fonctionnaires.

Je pense donc qu’il n’y a pas lieu à s’occuper de la proposition de M. Pirson autrement que dans les termes généraux dont M. Verdussen a revêtu sa motion d’ordre.

La chambre pourrait toujours inviter le gouvernement à lui présenter le budget de 1835 dans le cours de la session actuelle, ou dans une autre séparée de celle-ci par quelques jours, si des scrupules constitutionnels s’opposaient à ce qu’on votât deux budgets dans une même session.

M. de Robaulx. - Je n’ai entendu que d’une manière incomplète les observations qui viennent d’être présentées ; mais je sais qu’elles tendent à faire changer notre année financière. Le ministre de la justice croit plus commode de nous faire voter deux budgets dans une même année. Je conçois très bien cette préférence du ministre, car le ministère a le plus grand désir de se passer de nous. C’est aussi la tendance du ministère doctrinaire français de se passer des chambres. A cet égard, je prierai MM. les ministres, lorsqu’ils voudront faire quelque importation en Belgique, de choisir ce que nos voisins ont de bien ; il y a, par exemple, en France de bonnes lois sur les contributions, qu’ils feraient bien de nous proposer, au lieu de nous demander deux budgets dans une même session.

Je me rappelle fort bien que le ministère français a obtenus deux budgets, aussi pourrait-il aujourd’hui se passer des chambres pendant 18 ou 20 mois. Voilà où l’on voudrait en venir, afin d’organiser un petit despotisme ministériel des plus commodes, et sans contrôle. Car je vous le prédis, si vous votez en juillet le budget de 1835, on se passera de vous en 1836.

Je déclare donc me rallier à la proposition de M. Pirson. Voter deux budgets de suite, est une marque de confiance que le ministère n’a pas méritée.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je ne vois aucun motif plausible de s’opposer à ce qu’il soit déposé une proposition dans le sens de celle de MM. Verdussen et Pirson, mais j’avoue que je ne serai prêt à en faire ressortir les inconvénients ou à en faire valoir les avantages que quand cette proposition aura subi toutes les épreuves que le règlement impose, et que j’aurai eu temps de m’y préparer et d’y réfléchir. Je le répète donc, mes collègues et moi, nous sommes bien loin de la repousser.

Le préopinant a dit que nous devrions prendre chez nos voisins ce qu’il y a de bon ; c’est aussi mon opinion, mais je dois dire que l’exemple qu’il a cité n’est pas heureux. La loi dont il a parlé n’est guères épargnée en France

La loi sur les patentes est l’objet de l’attention du gouvernement français, et je suis le premier à reconnaître que ce qui se fera chez nos voisins pourra être d’une grande utilité pour ce que nous préparons ici.

Aussi ai-je déjà ouvert une correspondance avec notre ambassadeur. Secondant mes vœux, il est entré en relation avec le ministre des finances de France, et il me transmettra toutes les observations relatives au projet d’amélioration de la loi des patentes, auquel nous travaillons. J’avouerai que l’attente où je suis de ces renseignements n’est pas étrangère au retard dans lequel je me trouve. Je pourrais dire la même chose relativement au projet sur le personnel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ce n’est pas le ministère qui a soulevé la question qui s’agite en ce moment. L’honorable M. Verdussen, frappé des inconvénients de la précipitation avec laquelle on avait été forcé de voter les budgets l’année dernière, a engagé le gouvernement à réfléchir aux moyens de les faire cesser. Le gouvernement a pris note de ses observations.

Aujourd’hui l’honorable membre veut que le gouvernement s’explique sur cette proposition, et fait de ces explications la condition sine qua non de son vote approbatif du budget. Eh bien le gouvernement s’explique et fait connaître les remèdes qu’il croit praticables contre les inconvénients signalés par l’honorable membre. Y a-t-il là matière à récrimination ?

Vous remarquerez, messieurs, que toutes ces questions préalables retardent la discussion pratique et sérieuse du budget. Vous remarquerez en outre qu’elles n’ont pas été soulevées par les sections. C’est hier seulement que M. de Robaulx est venu nous proposer de substituer au système ancien tout un régime nouveau, et cela pour être accompli dans l’espace d’un mois, du 1er décembre au 31 du même mois !

C’est injustement que l’on reproche au gouvernement de n’avoir rien fait depuis trois ans pour améliorer le sort des contribuables. Sans vous rappeler les nombreuses réductions introduites dans nos impôts, vous venez d’entendre un membre nous reprocher de ne pas modifier le système d’impôts, et vous vous souvenez peut-être encore d’avoir entendu dans la dernière séance un autre membre s’écrier, en s’adressant aux ministres : « Gardez-vous bien de toucher aux impôts ! Abstenez-vous de porter la main sur l’enregistrement. »

Vous le voyez, d’un côté l’on nous pousse à changer le système, de l’autre on nous défend d’y toucher ! Je conclus de tout ceci que la chambre doit passer outre et s’occuper enfin du budget.

M. de Robaulx. - Je répondrai facilement à M. le ministre de l’intérieur en lui disant : Vous n’avez pas lu le rapport de la section centrale. Dans ce rapport, en effet, il est dit que les sections ont manifesté le désir de voir changer le système de l’impôt. « Organe du vœu de la majorité des sections, la section centrale doit rappeler au gouvernement la nécessité d’une révision complète de notre système d’impôts… »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Mais pas avant le 1er janvier.

M. de Robaulx. - Je ne demande pas des choses impossibles. La section centrale dit aussi : « Nous savons que les changements dans l’économie politique doivent être introduits graduellement et avec prudence ; mais il ne faut pas non plus perdre de temps pour revenir à un système plus raisonnable en suivant une marche graduelle. »

Voilà ce que les sections ont demandé et dont le gouvernement aurait dû faire son profit ; mais le gouvernement ne fait rien et ne veut rien faire.

Le gouvernement, voulant mettre les membres de la chambre en opposition avec eux-mêmes, dit : D’un côté on demande la révision de l’impôt, et de l’autre on demande que l’on ne touche pas à l’enregistrement. MM. les ministres, vous ne faites pas usage de votre intelligence : nous demandons des changements dans ce qui est vicieux ; nous demandons la remise en vigueur d’anciennes lois ; rétablissez l’impôt de 2 p. c. sur la vente des bois, impôt que vous avez aboli pour faire votre cour aux grands propriétaires.

Je dirai au ministre des finances, qui m’a appelé le préopinant quoique je n’opinasse pas, je lui dirai que si les lois françaises ne sont pas toutes bonnes, nous ne demandons que l’importation des meilleures.

La loi de l’an VII, par exemple, est bonne ; elle donne des bases à l’impôt ; elle vaut mieux que le système hollandais, système bâtard que vous persistez à garder.

Nous ne demandons pas des changements subits, puisque depuis trois ans nous demandons la même chose.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il me semble qu’il suffit aussi de lire le discours prononcé par l’orateur dans la séance précédente, pour montrer qu’il n’est pas d’accord avec lui-même dans ses demandes.

M. de Robaulx. - Vous êtes dans l’erreur !

M. le président. - Voici l’amendement que M. Pirson dépose sur le bureau de la chambre :

« Je propose de changer le commencement de l’année financière et de le fixer au premier juillet, de sorte que nous puissions voter un budget transitoire pour six mois, tant sous le rapport des voies et moyens que sous le rapport des dépenses. »

M. Pirson. - Ma proposition est fondée sur les promesses du ministre : il nous a promis de nouvelles lois, elles sont prêtes, a-t-il dit ; qu’il nous les présente donc pour que nous puissions les discuter cas temps opportun.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - L’honorable préopinant avait d’abord annoncé l’intention de déposer sa proposition comme proposition principale, en se conformant aux dispositions du règlement. Je ne crois pas que nous devions insister sur cette forme première ; mais le ministère doit avoir à cœur que l’amendement soit renvoyé à l’avis des sections ; le gouvernement, dans une matière si importante, a le devoir de consulter les lumières de la chambre.

M. de Robaulx et M. Pirson. - C’est juste ! c’est juste !

M. Gendebien. - Je ne sais trop si, en envoyant la proposition devant les sections, elle reviendra devant la chambre en temps utile ; il me semble qu’on devrait seulement renvoyer la proposition à la section centrale. C’est une observation que je crois devoir présenter.

M. le président. - Y a-t-il opposition à la proposition qui est faite ?

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois qu’il y a décision ; mais je ne m’en prévaudrai pas. Je ferai remarquer seulement que la section centrale elle-même se trouverait fort embarrassée si elle n’avait pas recueilli l’opinion des sections. Il ne faut pas s’exagérer l’étendue du temps que les sections consacreront à l’examen de la proposition. Dans une seule réunion, deux au plus, elles pourront voir si la mesure est bonne, si elle peut être mise à exécution immédiatement, s’il faut la renvoyer à des temps plus opportuns. Je demande que la chambre maintienne la décision qu’elle a prise.

- Des membres. - On n’a pas voté !

M. le président. - Deux propositions sont faites.

M. Gendebien. - Je retire la mienne.

M. le président. - L’amendement sera renvoyé à l’examen des sections.

Discussion générale

(Moniteur belge n°340, du 6 décembre 1833) M. Coghen. - Messieurs, je ne prends la parole que pour répondre au discours que l’honorable M. de Foere a prononcé hier dans cette enceinte. Cet orateur fait maintenant une critique amère des opérations financières qui ont été faites en 1831 et 1832, et s’attache principalement aux emprunts qui ont été contractés ; en orateur habile, il s’est bien gardé d’agiter ces questions l’année dernière, au mois de décembre, lorsque l’on a discuté les voies et moyens de l’exercice 1833.

Il a gardé le silence, quoique présent à la séance, lorsque j’ai dit que la deuxième partie de l’emprunt contracté par la maison Rothschild l’était à des conditions avantageuses pour l’époque ; lorsque j’ai dit que s’il y avait quelqu’un qui pût se plaindre de l’opération, ce n’était pas le gouvernement, mais bien ceux qui avaient traité avec lui, puisque le cours de 79 net offrait une perte, le cours réel étant alors de 71 à 73.

J’ai ajouté que je regrettais que cette opération n’eut pas un meilleur résultat ; que si j’avais pu m’en douter, au lieu d’exiger 79, j’aurais consenti même à 76, parce qu’il faudrait être dénué des moindres notions d’économie sociale pour ne pas savoir l’effet désastreux que produit sur les opérations ultérieures de finances un emprunt qui n’a pas eu de succès ; c’était le moment de me répondre, mais on n’a rien dit parce que l’opération faite avait obtenu l’assentiment général.

Vous n’ignore pas, messieurs, les démarches multipliées faites tant à Londres qu’à Paris pour obtenir des capitaux. Les envoyés furent adressés aux principaux banquiers de Londres, leurs premières démarches ont été sans résultat et une seconde tentative devint indispensable.

Les banquiers de Londres et de Paris convinrent de se réunir à Calais, où les conditions de l’emprunt furent faites. Le ministère hésitait d’y souscrire, parce qu’elles lui paraissaient dures et onéreuses. Mais, messieurs, pressés par la nécessité, l’emprunt a été conclu après avoir soumis le contrat à plusieurs honorables membres du sénat et de cette chambre, après avoir demandé leur opinion et leur conseil.

On a bien fait de traiter : si cet emprunt n’avait pas été contracté, je ne sais pas où en serait le pays aujourd’hui. Les contribuables étaient fatigués, épuisés, parce qu’on avait perçu trois fois l’impôt dans une même année ; il fallait absolument avoir recours à un emprunt et aux capitaux étrangers. Le taux était sans doute onéreux comparativement au pair ; mais quand on considère dans quelles circonstances on a traité ; quand on voit la position où était alors le pays, on n’est plus étonné des sacrifices qu’il a fallu consentir.

Des puissances qui avaient plusieurs siècles d’existence ont été obligées aussi à souscrire des conditions aussi dures et même qui l’étaient davantage. Napoléon en 1815 n’a obtenu qu’un emprunt qu’à 53 pour cent ; Louis XVIII à 55 pour cent. La France, depuis 1816 à 1825, a emprunté terme moyen à 71 pour cent. Naples, l’Espagne, le Portugal, le Brésil, les Etats de l’Amérique du Sud ont subi des conditions non moins onéreuses. Dans ce genre d’opérations, celui qui souscrit l’emprunt stipule une commission, réclame la jouissance anticipée d’intérêts et des facilités pour le paiement ; cette condition s’accorde même lorsqu’on le fait avec concurrence et publicité.

J’ai été vivement peiné de l’allégation de M. de Foere quand il a dit que le ministre avait induit le public en erreur en annonçant le taux des emprunts à 75 et 79. Il n’a voulu sans doute porter aucune atteinte ni au caractère ni aux intentions du ministre, parce qu’il doit avoir la conviction intime de sa loyauté, de sa bonne foi et de sa sévère probité.

La loi de décembre 1831 autorisait, sans restriction aucune, un emprunt de 100 millions de francs ; cette loi votée de confiance était un témoignage éclatant de l’opinion que le pouvoir législatif avait des personnes qui composaient le ministère : aussi, messieurs, son attente n’a pas été trompée.

On a émis d’abord la moitié et retardé pendant 9 mois le placement de la seconde partie, afin de profiter des intérêts qu’on aurait payés inutilement des capitaux dont on n’avait pas emploi. Mais quand toutes les circonstances favorables qui auraient dû influer sur le cours avaient eu lieu, lorsqu’enfin on devait croire à une intervention armée de la part de la France, il devint urgent de contracter. La possibilité, la crainte d’une guerre générale devaient occasionner un mouvement rétrograde dans tous les fonds. Il est heureux qu’après une négociation de quatre mois on ait fini à temps ; quelques jours plus tard la baisse a commencé à opérer son effet ; et Dieu sait si on eût obtenu 60, tant était grande la frayeur occasionnée par l’intervention. Les conditions stipulées dans le contrat du premier emprunt, qui accordait la préférence à prix égal à M. Rothschild pour le second, étaient un obstacle qui rendit impossible de recourir à la soumission publique.

Qu’on se reporte vers l’époque où les négociations ont eu lieu, et on verra quels sacrifices la maison Rothschild a été obligée de faire pour faire elle-même pendant l’intervention de l’armée française pour soutenir le cours et empêcher qu’il ne tombât beaucoup au-dessous de 70 pour cent.

On parle souvent de la concurrence et de la publicité pour les opérations financières : je conviens que ce mode est souvent préférable et avantageux ; cependant il n’est pas toujours infaillible et sans danger. Le gouvernement provisoire avait besoin de fonds pour armer les patriotes ; on a demandé 5 millions à un intérêt élevé ; à peine a-t-on obtenu 300 mille florins.

Un exemple récent prouve que la concurrence publique offre quelquefois de grands dangers. Le ministre des finances a ouvert un emprunt de 5 millions par des bons du trésor, portant intérêt d’au-delà de 6 pour cent ; eh bien, au lieu d’avoir des souscripteurs pour 5 millions, il en a eu tout au plus pour 2 millions.

L’orateur non seulement a attaqué les opérations financières du gouvernement, il m’a encore attaqué conjointement avec MM. Osy et Meeus, relativement aux bons du trésor. Je me trouve flatté d’être en compagnie d’hommes aussi éclairés, qui ont une connaissance financière pratique et spéciale.

Au lieu de dire que j’ai proposé un emprunt de 62 millions, l’orateur aurait dû lire ma proposition ; il aurait vu qu’elle était conçue en ces termes :

Article 1er. « Le gouvernement est autorisé à emprunter une somme effective de 32 millions de francs. »

Cette somme devait compléter les voies et moyens du budget de 1833. Mais l’article 2 de la proposition disait :

« Le gouvernement est autorisé à créer et mettre en circulation des du trésor pour 30 millions de francs ; après la réalisation de l’emprunt, s’il y a lieu, cette somme sera réduite à 15 millions. »

Mon intention était de donner au gouvernement la possibilité et le droit de contracter, si des événements imprévus avaient ébranlé la confiance dans la ressource des bons du trésor ; c’était enfin une émission d’abord de bons du trésor jusqu’à concurrence des besoins du service, pour être remplacés par un emprunt si les circonstances forçaient le gouvernement à y recourir ; ce n’était pas une levée de 62 millions que je proposais, mais seulement les moyens pour être à l’abri de toute éventualité.

L’honorable député a aussi parlé de l’émission des bons du trésor M. le ministre des finances répondra sans doute à l’attaque un peu vive ; s’il en était autrement, je rencontrerais les objections de M. de Foere, c’est-à-dire celles où je crois qu’il en fait qui ne sont pas fondées.

La banque a été aussi vivement attaquée. M. Meeus répondra, je le crois, à M. de Foere.

M. Dumortier. - Messieurs, j’ai aussi des observations à vous présenter, non seulement sur la convention de Zonhoven, mais encore sur la manière dont les intérêts du trésor ont été lésés dans le contrat passé avec la société générale.

La première question vient d’être ajournée, et l’honorable M. de Foere s’est déjà expliqué quant à la seconde. Pour moi, j’ai aussi des reproches très graves à adresser au ministre des finances, sur ce dernier point, mais avant je lui demanderai des explications sur une pièce qu’il a déposée dernièrement sur le bureau.

Dans cette pièce j’ai trouvé une lettre d’après laquelle la commission que nous avons chargée de rédiger notre adresse en réponse au discours du trône, se trouverait gravement compromise. Comme les membres de cette commission se trouvent repris dans cette lettre, comme on invoque leur témoignage, je les adjure de déclarer s’ils ont donné leur adhésion à l’arrangement passé avec la banque. Nous avons besoin de savoir jusqu’à quel point ils ont entendu sanctionner cette opération. Je prendrai la liberté de vous lire cette lettre, qui est conçue d’une manière fort singulière. Elle est postérieure à l’adresse dans laquelle on a laissé le paragraphe relatif à la banque, qu’avait proposé la commission. (L’orateur donne lecture de ce paragraphe.)

Maintenant voulez-vous savoir comment s’exprime M. le ministre des finances, dans sa correspondance avec le gouverneur de la société générale ? Écoutez !

« Bien que les deux chambres, dans leur réponse au discours du trône, n’aient pas sanctionné d’une manière positive l’emploi qui a été fait du capital provenant du solde du caissier général de l’ancien royaume des Pays-Bas, elles n’ont pas cependant désapprouvé ce placement, et comme les documents qui y sont relatifs ont été communiqués sur sa demande à la commission chargée de la rédaction de l’adresse de la chambre des représentants, le gouvernement a dû voir dans cette adresse une approbation tacite de la mesure qu’il a prise. D’un autre côté, reconnaissant la nécessité de fixer la société générale sur le propriétaire réel des fonds nationaux achetés, le conseil des ministres a, dans sa réunion d’hier, décide à l’unanimité que le placement de 12 millions de francs, fait en obligation de l’emprunt belge par suite de la convention du 8 de ce mois et de ma lettre du 10, au taux de 96 1/4, le serait pour le compte de l’Etat. »

Ainsi le gouvernement a vu dans la phrase de la commission d’adresse une approbation de la mesure qu’il se proposait de prendre, car elle n’était pas encore prise quand l’adresse a été votée. Je prie de nouveau MM. les membres de cette commission de vouloir bien me dire s’ils ont consenti ou prêté les mains au pacte intervenu entre le ministre des finances et la banque, au sujet des 13 millions que cette dernière avait en caisse.

M. de Behr. - M. le ministre des finances a en effet communiqué à le commission d’adresse quelques pièces relatives à la convention faite avec la banque ; mais nous n’avons pas trouvé que ces pièces fussent suffisantes pour nous éclairer. En conséquence la commission n’a entendu rien approuver ; au contraire, elle a cru que jusqu’à un certain point la convention, telle qu’elle avait été conclue, pouvait nuire aux intérêts ou à la dignité du pays.

J’ai eu très peu de temps pour rédiger l’adresse, mais j’avais proposé d’ajouter la phrase suivante : « nous espérons que rien n’aura été négligé pont mettre à couvert les intérêts du pays. »

La commission a cru que cette disposition était inutile, parce qu’il ne résultait de l’adresse aucune espèce d’approbation ni de préjugé concernant la transaction dont il s’agit.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Le placement du capital en fonds nationaux a été fait sous la condition expresse que si les chambres improuvaient un tel emploi, la société générale garderait le placement pour son compte (lettre du 10 novembre). Cette condition fut consentie par la société générale, mais en faisant connaître que vu les variations dont les fonds publics sont susceptibles, elle ne pouvait rester incertaine sur la propriété d’un capital aussi important, et ne pouvait attendre que jusqu’au 16 de mois pour connaître la résolution du gouvernement. Passé cette époque elle considérerait comme appartenant à l’Etat la somme achetée en emprunt belge (lettre du 11 novembre).

Le ministre répondit, le 12, que les chambres ne pouvant être appelées à manifester leur opinion sur cette mesure que dans l’adresse en réponse au discours de la couronne, il était de toute nécessité que cette adresse fût votée par les chambres avant que le gouvernement pût prendre une détermination, et que ce délai n’était d’ailleurs que la conséquence de la condition sous laquelle l’opération avait été faite.

La banque a répondu qu’au milieu des variations qu’éprouve le cours des fonds publics, il ne lui serait pas possible d’attendre au-delà du délai fixé par la lettre du ministre du 12.

Les choses en étaient là la lorsque la commission chargée de la rédaction du projet d’adresse, fit demander au ministre communication des pièces relatives à cette affaire. Elles lui furent incontinent remises, par le ministre, qui lui-même fut mandé et se rendit dans le sein de la commission, pour donner des explications.

La commission a donc connu la clause d’improbation consentie de part et d’autre ; clause qui, ne se réalisant pas, décidait de droit pour le compte de qui demeurait l’opération. Or, la commission n’a point dans son projet désapprouvé l’emploi des capitaux ; elle a su que si la chambre n’improuvait pas le marché, ce marché restait à la charge de l’Etat. Elle n’a point appelé la chambre à improuver, donc le ministre a pu reconnaître dans cette non-improbation, sans manquer à la logique, une approbation tacite de la mesure qu’il avait prise, et le conseil à l’unanimité a décidé que le placement fait resterait pour le compte du trésor.

Quelle que soit d’ailleurs la justesse de l’interprétation donnée à la phrase de l’adresse relative à cet objet, là n’est pas la question. La question est de savoir si l’opération en elle-même est bonne ou mauvaise ; s’il fallait, ou non, attendre d’un débat judiciaire, toujours fort long, la jouissance entière d’un capital dont nous pouvons maintenant disposer de suite au moyen de quelques sûretés à fournir, et donc nous toucherons l’intérêt jusqu’au moment de son emploi définitif.

La chambre en décidera en accueillant ou en rejetant l’amendement suivant.

Je propose d’ajouter aux recettes diverses de la trésorerie générale l’article suivant :

« Intérêts des obligations de l’emprunt belge achetées au moyen du solde de l’ancien caissier général du royaume des Pays-Bas : fr. 675,000. »

M. de Foere. - Je dois une réponse aux observations qu’un honorable membre a faites sur quelques parties de mon discours d’hier. Je suivrai l’ordre dans lequel M. Coghen les a présentés.

En premier lieu, il a trouvé étrange que je ne me fusse pas expliqué sur les deux emprunts, lorsque le budget de 1832 a été discuté. La réponse est bien facile.

En 1832, le deuxième emprunt ne nous avait point été communiqué. Nommé, dans le courant de 1833, membre de la section centrale pour examiner les crédits provisoires, j’ai provoqué moi-même l’exhibition du contrat du deuxième emprunt, et alors seulement j’ai pu le voir et l’examiner. Or pour juger l’un et l’autre emprunt, il fallait nécessairement que nous eussions sous les yeux les deux contrats pour les comparer et pour faire le calcul que j’ai établi dans la dernière séance. Il reste certain que, d’après le taux des seuls emprunts, déduction faite des commissions, des bonifications, des intérêts anticipés, et de tous les frais, ils ont été contractés réellement à 70 pour cent et une fraction, et non pas, comme on l’a avancé, à 75 et 79 pour cent, car ce n’était là qu’un taux nominal.

L’honorable M. Coghen assure qu’il a fait faire beaucoup de démarches à Paris pour lever les millions dont nous avions besoin ! Je n’ai mis nulle part son zèle en doute. En aucun endroit de mon discours, je n’ai attaqué M. Coghen sous ce rapport.

Il a aussi cherché à établir que le gouvernement était forcé d’emprunter. C’est un fait que je n’ai pas contesté non plus. Il est vrai que quand l’emprunt a été voté, huit membres seulement ont émis un vote négatif, et que je me trouvais parmi ce nombre ; mais ce n’est pas parce que je niait qu’il fallût un emprunt, mais parce que, par défaut de publicité et de concurrence, les capitalistes du pays en étaient exclus, et que, par ce défaut, les intérêts du pays en étaient lésés. C’est la seule raison qui m’a déterminé.

M. Coghen a, dit-il, été très vivement peiné d’entendre que le public avait été induit en erreur par le ministère. Ici je me hâte de déclarer que non seulement je n’ai pas eu l’intention de révoquer en doute la probité de l’honorable membre et des autres ministres, ses collègues ; mais que l’insinuation ne peut être déduite d’aucune partie de mon discours. J’ai voulu faire ressortir cette seule vérité que, quand on annonçait au pays un taux nominal, on ne l’instruisait nullement du taux réel, et que, sous ce rapport, le pays a été induit en erreur.

M. Coghen a répondu aussi aux reproches que j’ai adressés à l’administration parce que l’emprunt a été contracté clandestinement, sans publicité et sans concurrence. Il répond qu’il avait mis quatre mois à négocier cet emprunt. Le temps ne résout pas la question. Toujours est-il, c’est ce que j’ai dit, qu’en contractant clandestinement et sans participation des capitalistes du pays, les maisons cotraitantes ont fait d’énormes bénéfices à l’exclusion de ces capitalistes. Les quelques Belges qui avaient été admis à prendre une part dans le premier emprunt, comme par grâce, n’ont pas même été informés de la négociation du deuxième emprunt. Tous les bénéfices ont été abandonnés aux étrangers et à la banque de Bruxelles. En outre, l’intérêt du pays en a souffert sous le rapport du taux de l’emprunt.

On a prétendu que la maison Rothschild avait fait des sacrifices considérables pour maintenir le cours de l’emprunt. Je ne puis être de cette opinion. Je soutiens qu’il était de l’intérêt de cette maison de maintenir à un cours bas nos 24 millions. C’était un moyen pour elle de contracter le deuxième emprunt d’une manière plus avantageuse, comme je l’ai fait observer hier à la chambre. Lorsque le deuxième emprunt a été contracté, alors la banque de Bruxelles, cotraitant avec la maison Rothschild, a pris des mesures tendantes à la hausse de nos fonds ; mais ces mesures ont été alors prises dans leur propre intérêt. Le pays ne pouvait plus en retirer aucun bénéfice, attendu qu’il n’avait plus d’emprunt à lever.

L’honorable membre a cité ce qui s’est passé au commencement de notre révolution, lorsqu’un emprunt volontaire de quelques millions avait été proposé et que seulement 180 mille florins sont rentrés.

Mais je demande s’il est possible de comparer, en fait de crédit public, un pays qui se trouve au commencement d’une révolution sans crédit, sans avenir, dans des circonstances telles que les capitalistes, en lui prêtant, ne pouvaient savoir ce que seraient devenus leurs capitaux, de le comparer, dis-je, au même pays situé dans des circonstances plus rassurantes, sur la fin de 1832 enfin, lorsque les puissances avaient reconnu son indépendance et lorsque nous avions accepté la traité du 15 novembre.

M. Coghen a cité ensuite un dernier fait relatif aux bons du trésor. Il a dit qu’on avait à peine trouvé des souscripteurs pour deux millions, lorsqu’on en demandait cinq. Le fait est que cinq millions avaient été proposés ; mais la mort du roi d’Espagne est intervenue, et les capitalistes du pays, au lieu d’employer leur argent en bons du trésor, l’ont jeté dans les fonds d’Espagne, lorsqu’ils sont descendus à 50 p. c.

L’honorable préopinant a cru encore que j’avais mal interprété le projet du loi qu’il a présenté lors de la discussion de la dette flottante. Voici, messieurs, le texte même de ce projet ; vous en jugerez. (Ici l’orateur lit le projet de M. Coghen). J’ai donc eu raison de dire dans mon discours que l’honorable M. Coghen avait proposés de lever 62 millions et j’ai ajouté : avec une réduction éventuelle de 15 millions. (M. de Foere lit ici cette partie de son discours, prononcé à la séance d’hier.) Je ne pense donc pas que l’honorable membre soit fondé à contester mon assertion.

Au reste j’ai déclaré aussi, en parlant du premier emprunt, que je ne voulais en faire l’objet d’aucun blâme, parce qu’il fallait tenir compte du temps et des circonstances. J’ai seulement blâmé le premier emprunt sous le rapport du défaut de publicité et de concurrence qui a été nuisible au pays.

Voilà, messieurs, ce que j’avais à répondre aux observations de l’honorable M. Coghen.

M. Dubus. - J’avais pensé d’abord que l’honorable préopinant allait parler comme membre de la commission d’adresse ; mais puisqu’il ne l’a pas fait, je ne puis garder le silence sur les observations que M. le ministre vous a présentées.

A l’entendre M. le ministre des finances a très bien fait de tirer du paragraphe de l’adresse où il est dit que la chambre examinera avec attention les pièces qui lui seront soumises, cette conclusion que les arrangements avec la banque ont obtenu notre approbation tacite ; en vérité, l’on ne peut se rendre compte d’une pareille logique, une approbation tacite ! mais d’où résulte-t-elle ? on ne devinerait pas qu’un ministre l’a fait ressortir du paragraphe où l’on demande communication préalable de toutes les pièces.

Mais si la chambre veut examiner, n’est-il pas évident qu’elle ne veut rien approuver qu’après avoir vu ? D’après la logique ministérielle, il est vrai, il suffirait que la chambre eût vu les pièces pour qu’elle fût censée avoir approuvé la convention.

Mais, dit-on, la commission d’adresse a eu tort de présenter une résolution semblable à la chambre, lorsqu’elle avait vu les pièces. Par cela seul qu’elle proposait à la chambre un examen, elle empêchait qu’on n’interprétât son silence dans le sens d’une approbation. D’ailleurs, messieurs, la commission d’adresse n’a reçu qu’une communication officieuse, et elle ne pouvait en recevoir d’autre, car c’est à la chambre que se font les communications officielles.

Le ministre des finances est venu nous apporter des pièces ; il en est une qu’il ne nous a pas laissée entre les mains, parce que, a-t-il dit, on était encore occupé à en faire une expédition.

Il existait donc une convention non pas subordonnée à l’acceptation de la chambre, mais une convention pure et simple.

Les négociations quant à la modification dont on vous a parlé, n’étaient pas encore terminées ; il résulte même d’une pièce que le gouverneur de la banque et le ministre n’étaient pas d’accord sur cette modification ; dès lors il nous était impossible de l’apprécier.

Au reste, messieurs, l’inexactitude que je viens de révéler n’est pas la seule. M. le ministre des finances avait dit dans le sein de la commission que la convention avait obtenu l’assentiment de la commission chargée d’examiner les affaires de la banque. Or cette assertion est de la plus grande inexactitude.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je ne m’attacherai pas à prouver que la logique du ministère est en général aussi juste que celle de l’honorable préopinant. La simple narration des faits est ici ce qu’il y a de plus concluant.

Remarquez-le bien, messieurs, il y a deux arrangements conclus avec la banque. Du premier il résulte que ce que la banque appelait, comme caissier général, son solde de caisse à la fin de 1830, passe dans la possession de l’Etat.

Cette première convention, que nous étions parfaitement en droit de conclure, était irrévocable lorsque la chambre s’est réunie. Ce n’est donc pas sur ce premier arrangement que le gouvernement avait à cœur de consulter la représentation nationale.

Quant au placement provisoire de cet encaisse en fonds nationaux, qu’il me soit permis d’observer qu’on se fait une arme contre le ministre de ce qu’il a trop complètement initié à la connaissance de ses actes la commission d’adresse.

Certes, messieurs, le ministre des finances, fort de la conscience d’une bonne opération, d’une opération qui donnait à l’Etat un profit de près de 2 mille francs par jour, pouvait très bien ne pas entrer avec la commission dans des communications intimes et, pour ainsi dire, confidentielles s’il avait voulu rendre cette convention définitive, sans en écrire les motifs ; s’il avait vu, ou cru voir, en un mot, dans le paragraphe de l’adresse une approbation tacite, tout en gardant le silence sur les motifs de sa conviction, vous n’auriez plus qu’à vous prononcer sur le mérite intrinsèque de la deuxième convention, c’est-à-dire du placement en fonds nationaux, et sur le mérite de la première relative à la mise en jouissance de l’encaisse de la banque.

C’est donc parce que l’opération près d’être consommée, les détails en on été bénévolement révélés à la chambre, ou à la commission d’adresse, à qui on a montré des lettres émanées du cabinet même du ministre, que celui-ci se trouve exposé aux reproches que vous venez d’entendre. Et cependant si, loin d’agir, il s’était croisé les bras le pays aurait fait une perte de 2 mille francs par jour.

Qu’on ne vienne pas reprocher au ministre des finances d’avoir mal raisonné sur un paragraphe de l’adresse qui ne dit absolument rien, qui ne contient aucune phrase improbative, alors qu’avant l’adresse le ministre a proposé de livrer tous les documents relatifs à ce double arrangement.

Il y avait urgence de ne pas reculer la conclusion de l’arrangement, c’est-à-dire, l’acceptation de l’emploi dans les fonds publics, au-delà du terme fixe par la banque. Si le ministre n’avait pas déclaré le 16 que la convention était conclue, il en perdait tous les fruits. Sans doute, le ministre n’eût pas demandé mieux que de répudier le terme ; mais la banque eût été singulièrement bénévole d’y consentir. Certes la banque a fait preuve de condescendance quand elle a consenti à laisser flottante pendant plusieurs jours la propriété d’un capital en fonds publics aussi considérable, et lorsque le cours éprouvait des variations diverses sous l’influence d’événements qui vous ont connus.

M. de Foere. - Comme membre de la commission d’adresse, je dirai que ces réflexions de M. le ministre des finances sont tout à fait en dehors de la question. Voici le fait : la commission d’adresse s’est abstenue d’entrer dans l’examen approfondi des pièces que M. le ministre des finances a bien voulu lui communiquer.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’ai parlé de la commission de la banque et non de la commission d’adresse.

M. de Foere. - C’est la commission qui est à l’ordre du jour ; et je dirai qu’il y avait une dernière pièce qui lui manquait. Elle n’a pas voulu examiner si la convention était utile ou non. La commission a seulement déclaré qu’elle ne pouvait ni approuver, ni improuver, attendu qu’une dernière pièce manquant à son examen.

M. Raikem. - Messieurs, je prends la parole comme membre de la commission d’adresse, et pour vous confirmer les observations de mes honorables collègues qui vous ont rendu compte de ce qui s’est passé parmi les membres.

On nous a communiqué des pièces, mais la commission a déclaré qu’elle ne pouvait ni ne voulait s’expliquer sur ces pièces ; et cette déclaration a été adoptée par la chambre dans son vote de l’adresse.

J’en conviens, ainsi que l’a dit M. le ministre de la justice, ce sont des puérilités que de s’attacher à des argumentations qui ne concernent la chose même. Mais, qui a soulevé ces puérilités ? C’est M. le ministre des finances, dans la lettre qu’il a écrite à M. le gouverneur de la banque ; et la commission d’adresse n’avait que faire dans ces puérilités.

Maintenant, messieurs, reportez-vous à l’origine des opérations avec la banque. Le contrat est antérieur non seulement à la réunion de la commission d’adresse, mais même à la réunion des chambres. Il est du 8 novembre. Mais la banque et M. le ministre des finances ont proposé de changer le mode d’exécution. On devait délivrer à la banque des bons du trésor ; on propose ensuite de les remplacer par des obligations de l’emprunt Rothschild, qui, tout en portant l’intérêt au profit du trésor, serviraient de garantie à la banque. Mais, avant de proposer aux chambres d’approuver l’exécution d’un contrat, il aurait fallu commencer par proposer l’approbation d’un contrat qui servait de base aux opérations. Car il ne peut s’agir de l’exécution avant le contrat même qui doit être exécuté ; et c’est le contrat qui précède la réunion des chambres qui aurait dû plutôt être soumis à leur approbation, Eh bien ! pour ce contrat, ou le ministère avait besoin de l’assentiment des chambres, ou il n’en avait pas besoin, je n’entends pas discuter cette question. ; mais, s’il en avait besoin, pourquoi n a-t-il pas demandé l’assentiment des chambres pour la convention faite avec la banque le 8 novembre ? S’il n’en avait pas besoin, pourquoi vouloir faire intervenir la commission d’adresse dans l’exécution ? Pourquoi même faire intervenir les chambres dans l’exécution d’une convention qui, suivant le langage actuel du ministère, n’aurait pas eu besoin d’être approuvée par la représentation nationale.

M. le ministre des finances, après avoir parlé mal à propos et d’une manière inexacte de la commission d’adresse, en est venu à dire que le contrat est bon ou mauvais, et qu’en définitive, il faut en venir à examiner le contrat en lui-même. Sur ce point, nous serons d’accord avec M. le ministre. Mais, puisque ce qu’il a dit de la commission d’adresse constitue des puérilités, il n’en reste pas moins que c’est M. le ministre lui-même qui, le premier, a mis mal à propos en avant ces puérilités.

D’ailleurs, la commission d’adresse ne s’est pas retranchée dans un silence absolu ; elle a formellement exprimé qu’il y avait lieu de la part du ministère de faire une communication officielle à la chambre. Elle a proposé, et sa proposition est claire pour tout le monde, excepté peut-être pour nos ministres ; elle a proposé de dire que la chambre examinerait avec attention toutes les communications qui lui seraient faites relativement aux arrangements avec la banque. Par cela même, elle a déclaré que la communication faite à la commission d’adresse n’était pas suffisante ; qu’il y avait nécessité de faire une communication officielle à la chambre même. La chambre, en adoptant la proposition de la commission d’adresse a, par cela même, réclamé une communication officielle, avant d’exprimer son opinion sur les opérations avec la banque. Des lors, il est évident que le contrat et son exécution restent sans approbation comme sans improbation, dans toutes ses clauses et dans toute son intégrité.

Mais M. le ministre des finances était présent lors de la discussion de l’adresse : il pouvait s’expliquer sur le paragraphe qui concerne les opérations avec la banque. Ce paragraphe était clair. On réclamait une communication à la chambre. M. le ministre des finances voulait-il faire expliquer la représentation nationale ? il pouvait demander cette explication lors de la discussion de l’adresse, et venir, en lui faisant une communication officielle, réclamer, de sa part, une approbation ou une improbation catégorique et formelle de ses opérations avec la banque.

Comment M. le ministre peut-il donc tirer un argument du silence de la chambre, lorsqu’il pouvait et même il devait la forcer à s’expliquer, s’il voulait avoir une décision ? Mais vouloir induire du silence une approbation, tandis que le silence n’existait pas, et qu’on a formellement déclaré qu’on ne se prononcerait qu’après une communication officielle faite à la chambre même, ce n’est pas seulement abuser des règles du raisonnement, c’est choquer les plus saines notions du bon sens.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je suis fâché de revenir encore une fois sur une question véritablement puérile. Toute la difficulté vient de ce que M. le ministre des finances a bénévolement rendu publique une lettre adressée au gouverneur de la banque, ou bien de ce que le ministre ne l’a pas rédigée dans ces termes :

« Monsieur le gouverneur,

« Des communications que j’ai eues avec plusieurs membres de la chambre, et de la teneur du programme de l’adresse relatif à nos arrangements avec la banque, je tire la conséquence que, dans l’état actuel des choses, la chambre ne les improuvera pas. Je prends donc sur moi la responsabilité d’accepter le placement. »

De cette manière la question eût été singulièrement simplifiée.

Il me reste toujours deux questions intactes, celle de savoir si le gouvernement a eu raison d’accepter l’offre que la banque lui a faite, de restituer son solde de caisse contre des bons du trésor sans intérêts.

La seconde question est celle-ci : Le gouvernement, nanti de douze à treize millions et n’ayant pas à en faire immédiatement emploi, a-t’il bien agi en leur faisant produire environ deux mille francs par jour jusqu’à destination ultérieure ?

En terminant, je le répète, toute la discussion vient d’un malentendu ; si le ministre avait trouvé bon de ne pas communiquer une lettre qu’il lui était loisible de garder pour lui, toute cette discussion n’aurait pas lieu.

M. Fallon. - Puisque l’on mis en cause tous les membres de la commission qui a été chargée de la rédaction de l’adresse, je dois aussi m’expliquer. Je puis assurer que le ministère, non seulement en principe n’a pas raisonné logiquement, qu’en fait il a fort mal raisonné. Je n’étais pas à la première réunion des membres des la commission ; j’étais souffrant et retenu chez moi. J’ai assisté à la seconde séance. Quand on fut arrivé au passage du discours du trône où il était question de l’arrangement avec la banque, mon opinion fut que l’on devait répondre de manière à ne rien approuver ni rien désapprouver. Voici mes motifs :

J’avais appris que des pièces avaient été communiquées sur la demande qui en avait été faite ; mais ces pièces n’instruisaient pas la commission de l’adresse, puisqu’on n’avait aucun document relatif aux résolutions de la commission de la banque. Il était donc impossible d’apprécier la valeur des communications faites.

Je croyais que les pièces relatives à cette négociation n’ayant pas été communiquées officiellement à la commission de l’adresse avant sa notification, nous étions sans mandat pour en connaître.

En troisième lieu, il me semblait que le gouvernement ne demandait pas l’avis de la chambre sur cette question.

Tels ont été nos motifs pour nous abstenir de rien préjuger ; quant à moi, je n’ai voulu ni approuver ni improuver.

M. Dumortier. - C’est certainement bien à tort que M. le ministre de la justice vient nous dire que c’est le ministre des finances qui a tout fait. La lettre que j’ai citée nous fournit la preuve manifeste que le conseil des ministres a donné son approbation. Je vais vous répéter le passage et vous serez convaincu, messieurs, de cette vérité. (L’orateur en donne une deuxième lecture.)

Vous voyez donc bien que c’est le fait du conseil des ministres.

Du reste, je pense que cette discussion est arrivée à son terme ; nous savons que la commission d’adresse n’a pas donné son assentiment à la transaction du gouvernement. Demain j’examinerai cette transaction en elle-même : mais dès aujourd’hui vous devez voir quelle foi vous devez avoir dans le gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je demande la parole. (A demain ! à demain !)

- Un grand nombre de membres sortent de la salle

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il y a une explication très simple à donner, c’est que la lettre de M. le ministre des finances n’a été vue par aucun de nous. (Interruption.)

- Quelques voix. - On n’est plus en nombre !

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Nous avons décidé que dans l’état des choses M. le ministre des finances pouvait confirmer ce qui était fait, mais il a écrit sa lettre comme il l’a voulu et sans nous la communiquer.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - C’est la vérité !

- La séance est levée à 4 heures 1/2.