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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 décembre 1833

(Moniteur belge n°342, du 8 décembre 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à midi et demi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions, et quelques-unes à la commission de l’industrie.

Projet de loi fixant le contingent de l'armée pour l'année 1834

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Evain) prend la parole pour présenter un projet de loi relatif au contingent de l’armée.

- Le projet est renvoyé à la commission chargée du budget de la guerre.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1834

Discussion générale

M. le président. - M. Dumortier a déposé une proposition sur le bureau. Il demande la nomination d’une commission de 7 membres pour examiner la situation de la banque dans ses rapports avec le trésor public.

M. Lardinois. - Je demanderai que la délibération sur la proposition de M. Dumortier soit renvoyée à demain. Nous examinerons les pièces déposées par le ministre des finances, et nous verrons celles qu’il faut encore demander. Il paraît que la chambre a fait divers paiements qui ont été déduits du solde. Le gouvernement réclamait sept millions ; la banque prétend n’en devoir que six.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Les pièces que désire le préopinant sont à la trésorerie, et elles pourront être imprimées et distribuées.

M. Dumortier. - Il me semble que la demande de M. Lardinois peut très bien marcher avec la proposition que j’ai l’honneur de faire. Je demande que l’on nomme une commission pour examiner la situation de la banque relativement au trésor ; l’orateur demande communication de documents, mais les documents qu’il désigne ne sont pas les seuls importants à connaître. Nous ne les connaîtrons tous que lorsqu’une commission aura examiné la question. Indépendamment du compte général de la banque vis-à-vis du royaume des Pays-Bas, je demanderai un autre compte.

Après la révolution on disait que la banque avait un encaisse de 10 millions de florins ; remarquez qu’il ne s’agit plus de 6 millions ; 4 millions de différence. La banque alléguait des dépenses imputées sur ce capital ; cependant nous savons qu’elle a refusé de payer des imputations de dépenses. Il n’y a qu’une émanation de la chambre qui puisse examiner tout cet arriéré ; si nous discutions actuellement sur toutes ces questions, nous serions arrêtés à chaque instant. La commission appuiera son travail sur tous les documents qu’elle se procurera et qui seront imprimés.

Les rapports de la banque avec l’ancien gouvernement ne se bornent pas à ceux de caissier de l’Etat : elle avait encore des rapports du chef du syndicat, du chef de la liste civile ; elle a maintenant des rapports avec le gouvernement du chef du séquestre.

Il est possible que la banque, comme je l’ai déjà dit, ait une bourse dont les écus sont à Bruxelles, mais dont les cordons sont à La Haye. Il s’agit de 20 à 30 millions, et il faut qu’une commission éclaircisse la question afin que la discussion marche rapidement. J’appuie la demande que fait M. Lardinois d’imprimer et de distribuer tous les documents, et je demande en outre une commission d’enquête

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le ministère n’a certes aucun intérêt à ce que la proposition de l’honorable préopinant soit accueillie. Plus la chambre se saisira de toutes les questions relatives à la banque, et plus la position du ministère deviendra commode. Mais je ne peux me dispenser de rappeler à la chambre un de ses antécédents. Je lui ferai remarquer que lorsque les administrateurs de la banque, provoqués à cette démarche par des accusations sorties de cette enceinte contre l’institution qu’ils dirigent, se sont adressés à la chambre pour obtenir ce que demande le préopinant, la nomination d’une commission, la pétition qui avait cet objet en vue a été écartée par l’ordre du jour, sur la proposition unanime de la commission des pétitions.

Le motif des conclusions de la commission des pétitions était que les démarches à faire pour arriver à la liquidation de toutes les sommes que le gouvernement est en droit de réclamer, étaient un objet gouvernemental qu’il fallait laisser tout entier à la responsabilité ministérielle.

Qu’est-il arrivé ? Tout en passant à l’ordre du jour sur le motif principal de la demande, on a en même temps, sur la proposition d’un membre, renvoyé la pétition au ministre des finances pour qu’il eût à faire son devoir.

Le ministre, interprétant la démarche de la chambre dans son sens naturel, a nommé une commission ; où a-t-il choisi cette commission ? Dans le sein de la chambre elle-même.

Il a mis dans le choix des membres de la commission une telle circonspection, une telle impartialité, que deux honorables députés qui combattent habituellement le ministère ont été appelés à en faire partie ; je crois que l’on ne peut qualifier de ministériel, épithète qui fait aujourd’hui trembler tant de gens de cœur, l’honorable membre auquel j’ai répondu hier à la fin de la séance.

N’y a-t-il pas quelque inconvenance à nommer une nouvelle commission ? Cette nouvelle nomination ne pourrait-elle pas apparaître comme un acte de défiance qui n’est, j’en suis sûr, ni dans l’intention de l’honorable député de Mons, ni dans celle de l’honorable député de Tournay ? La première commission n’a pas épuisé son mandat.

Mettez-vous à la place de cette commission ; demandez-vous s’il n’y a pas quelque chose de tant soit peu blessant pour elle dans le choix d’une commission nouvelle ? Je ne cherche pas à imposer mon opinion à la chambre ; mais je dis ce que j’éprouve. Le but que se propose l’honorable préopinant peut être atteint : la commission déjà nommée a eu soin de se faire remettre tous les documents nécessaires, et quand elle fera son rapport, elle l’accompagnera de toutes les pièces à l’appui. Je crois que mon opinion s’appuie sur des considérations assez importantes pour mériter d’arrêter un moment l’attention de la chambre.

M. Legrelle. - Je pense que la nomination d’une commission est indispensable pour nous guider dans la discussion et pour empêcher qu’elle ne traîne en longueur. Les travaux de cette commission n’interrompront pas notre examen du budget des voies et moyens. Ce n’est pas au bout de quelques jours, ce n’est peut-être pas au bout de quelques semaines qu’elle pourra vous faire un rapport. J’opine d’autant plus à ce que l’on continue la discussion des voies et moyens, qu’en portant à l’article 600 mille francs pour recette, nous ne préjugeons rien. Je n’approuve aucunement la conduite du ministère, mais je regarde comme un acompte cette somme de 600 mille francs, et c’est pour ce motif que je voterai l’amendement du ministre des finances.

Dans les pièces distribuées aujourd’hui rien ne détermine le solde de la banque ; nous voyons la correspondance singulière de la banque avec le ministère, mais nous ne voyons pas le solde de caisse. Je demande une note détaillée de ce que la banque a reçu, même depuis la révolution, et des dépenses qu’elle a été autorisée à faire.

Elle a reçu 280 mille francs pour le monnayage ; cette somme est-elle comprise dans les comptes qu’on nous présente ?... M. le ministre des finances fait un signe affirmatif.

Quant à l’inconvénient de nommer une nouvelle commission, elle me paraît plus spécieuse que réelle : les honorables membres qui composent l’ancienne commission ne sauraient s’offenser d’une nouvelle nomination.

Il y aura pour la chambre une grande différence entre la commission nommée pas le ministère, et celle qu’elle nommerait elle-même : hier les commissaires désignés par le ministre ont dit : « Nous sommes en dehors de la chambre, vous n’avez pas d’action sur nous. » Nous devons avoir une commission prise dans notre sein et à laquelle nous puissions demander tous les renseignements nécessaires. La discussion relative à la banque commence à jeter des lueurs dans les esprits ; en portant nos recherches plus loin, nous éclaircirons tout.

M. de Robaulx. - Messieurs, je ne crois pas avec M. Legrelle que la discussion ait jeté aucune lumière sur la question, c’est pour cela que j’appuierai la nomination d’une commission. Je crois que toutes les fois qu’il s’agit des fonds de l’Etat, la chambre des représentants a le droit de s’emparer spécialement de cet objet : comment pourrait-elle délibérer sur tout acte concernant la banque si une commission ne l’éclaire par une enquête ?

Qu’on ne vienne pas nous dire que nous n’avons pas le droit de nommer une commission, parce que les ministres ont paru vouloir faire une enquête eux-mêmes. Sans doute ils ont nommé une commission, mais elle n’a jamais été appelée en corps de commission à prononcer sur la question financière ; on a consulté individuellement ses membres ; mais quand on nomme des commissions, c’est pour les faire délibérer, c’est pour avoir l’expression de la majorité de cette commission.

Une commission nommée en dehors de la chambre, vous a fait observer M. Legrelle, n’a rien à dire à la chambre : aujourd’hui nous voulons nous éclairer en nous occupant du budget de l’Etat, et nous voulons qu’une commission soit nommée.

Si j’appuie la nomination d’une nouvelle commission, ce n’est ni pour, ni contre la banque.

Des questions plus ou moins oiseuses ont été soulevées ; on s’est grandement récrié contre la banque : a-t-elle été utile à l’Etat ? lui a-t-elle été funeste ? Nous ne pouvons rien décider sur ces questions sans avoir le rapport d’une commission.

Dès le commencement de la révolution, plusieurs membres, ainsi que M. Dumortier, ont cru voir dans la banque un établissement sous la direction réelle de Guillaume. Voici ce qui me fait croire le contraire : Guillaume nous avait envoyé beaucoup d’espions ; beaucoup de ses vils agents de Guillaume se sont adressés aux membres du congrès ; ils se sont adressés à moi, et m’ont donné contre la banque des renseignements exacts ; ils m’engageaient à poursuivre l’anéantissement de cet établissement. Les renseignements étaient si exacts, qu’ils prouvaient leur origine hollandaise.

J’ai, en effet, agité au congrès la question relative à la banque ; mais plus tard, reconnaissant le caractère des personnes qui m’étaient envoyées, je ne voulus pas être dupe plus longtemps et n’ai pas voulu provoquer la ruine d’un établissement qui pouvait être utile à l’Etat ; j’ai craint qu’en voulant faire tomber le colosse, nous ne tombassions avec lui. Je sais bien que le danger n’est pas le même aujourd’hui : si la banque a fait des gains illicites, toujours est-il qu’il faut reconnaître qu’elle a été utile pour soutenir notre crédit public et pour permettre de nous organiser.

A-t-elle retenu les sommes énormes dont parle M. Dumortier ? Une commission nous le dira. Avant toute discussion, je crois qu’il est de l’intérêt de l’Etat, de l’intérêt du ministère, de l’intérêt de la chambre et de la banque elle-même, qu’une commission soit nommée. Si la demande de M. Dumortier était repoussée, sous le prétexte que la question de la banque est gouvernementale, je crois qu’on tomberait dans une erreur préjudiciable.

Je me réunis de toutes mes forces à la proposition de M. Dumortier, et je désire qu’on ne donne pas plus longtemps, sans des motifs puissants, à l’étranger, le spectacle scandaleux d’un pays qui attaque les institutions les plus utiles. Si la banque nous est nuisible, rompons avec elle et forçons-la à payer. Je demande que la commission soit nombreuse afin que toutes les opinions soient représentées et se réchauffent ou se refroidissent les unes par les autres.

M. de Brouckere. - Il me semble au premier abord qu’il faudrait faire subir à la proposition de M. Dumortier quelque modification.

Cette proposition est faite dans les termes les plus généraux : elle tend à la nomination d’une commission qui examinerait toutes les relations de la banque avec le gouvernement. On vous l’a déjà fait observer : une commission a été nommée par le gouvernement, qui a reçu précisément la même mission qu’on veut donner à une nouvelle commission ; cette première commission a été nommée par le gouvernement, sur le refus qu’a fait la chambre de la nommer elle-même. Si maintenant nous adoptons la proposition faite, ne sera-ce pas montrer une espèce de défiance envers la première commission nommée par l’administration ? Quoi qu’il en soit, je ne m’opposerai pas à la proposition.

L’objet spécial que nous discutons, c’est l’arrangement conclu le 8 novembre entre la banque et le gouvernement : si on se bornait à proposer la nomination d’une commission chargée de l’examen de cette convention, et de tout ce qui s’y rapporte, j’approuverais cette proposition sans objection, parce qu’elle me semblerait très logique.

Le ministre annonce qu’il aura un amendement à proposer au budget des voies et moyens ; qu’il aura à proposer l’insertion d’un article de 700,000 fr. de recettes, et sur lequel la section centrale n’a pu s’expliquer. Dans son rapport, il est dit : « La section centrale est forcée de garder le silence sur cet arrangement, par la raison que la chambre n’a pas encore été appelée à prononcer. Son devoir est de recueillir votre pensée sur les points sur lesquels vous avez délibéré mais il ne lui est pas permis de donner son avis par anticipation sur des objets qui ne vous ont pas encore été soumis. »

Ainsi, nous aurons à voter sur un amendement sans que les sections aient donné leur avis. M. Dumortier a donc bien fait de demander une commission d’examen, une commission chargée de nous faire un rapport sur l’amendement, sur le contrat fait entre la banque et le gouvernement, pour examiner en un mot tout ce qui est relatif à l’amendement, En réduisant la proposition à ces termes, elle ne pourrait trouver d’adversaires. Mais si la commission doit avoir une mission semblable à celle de la commission nommée par le gouvernement, je ne vois pas ce qu’elle pourrait nous dire de plus.

L’honorable M. de Robaulx a semblé croire que la commission nommée par le gouvernement n’avait pas été réunie ; c’est une erreur que j’attribue à ce fait que la commission n’a pas été appelée à donner son avis comme commission. Elle continue néanmoins ses travaux, et je ne vois pas pourquoi on les interromprait.

M. de Robaulx. - La commission n’a pas été consultée sur l’arrangement ; voilà ce que je crois.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Elle n’a pas été consultée.

M. de Brouckere. - En effet, elle n’a pas donné son avis sur ce point. Quoi qu’il en soit, je verrais de graves inconvénients en laissant la proposition de M. Dumortier telle qu’elle est.

Il ne faut pas décourager ceux de nos collègues qui ont déjà travaillé, et fait faire tant de pas à la question.

M. Dumortier. - Le but principal de la question est, comme on l’a fort bien dit, d’avoir un rapport sur la transaction passée entre le gouvernement et la banque ; mais ce but n’est pas le seul qu’on se propose. La question dont il s’agit est une question d’argent ; on ne saurait la résoudre sans examiner tout ce qui y est relatif, c’est-à-dire sans examiner les rapports de la banque avec le trésor, avec le syndicat, avec la liste civile et le séquestre, car tout se touche. J’estime, j’affectionne même tous les membres de la commission choisis par le gouvernement ; mais je ne vois, dans les égards que nous leur devons, rien qui puisse nous arrêter.

Il ne suffit pas que le gouvernement ait nommé une commission, pour nous empêcher d’en nommer une autre. Cette commission, nommée par le gouvernement, se rassemble ; elle délibère, et pas un membre ne parle dans le sens du ministère. Alors le ministère prend ces membres, non collectivement, mais individuellement, dans l’embrasure d’une fenêtre, et leur arrache un oui, un c’est bien, et il dit ensuite qu’il a pris l’avis de la commission.

On demande l’opportunité, l’utilité de la nomination d’une commission. La chambre a besoin d’être éclairée par un rapport : or, la commission du gouvernement ne nous en présentera pas ; elle ne peut faire de rapport qu’au gouvernement.

il faut une commission nombreuse, comme le dit M. de Robaulx ; cette commission hâtera son travail et nous permettra de terminer promptement la discussion du budget des recettes. Nous pourrons continuer nos délibérations pendant qu’elle apprêtera son rapport.

M. le président. - Voici la proposition que fait M. de Brouckere : « Je demande la nomination d’une commission qui serait chargée d’examiner l’amendement présenté par M. le ministre des finances par suite de l’arrangement conclu entre ce ministre et la banque, et tout ce qui est relatif à cet arrangement. »

M. Dumortier. - Excluez vous, M. de Brouckere, tout ce qui est relatif au syndicat, à la liste civile, au séquestre ?

M. de Brouckere. - Je n’exclus rien. Il faut que nous ayons tous les renseignements désirables sur l’amendement qu’on veut introduire dans le budget. Si la commission veut examiner les points dont parle M. Dumortier, elle en a la latitude.

M. de Robaulx. - Ces points-là ne se rapportent pas à la convention.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je suis disposé à effectuer le dépôt officiel de mon amendement. Je crois ne devoir le déposer qu’à l’occasion de la discussion de l’article auquel il se rapporte.

M. Pirson. - M. le ministre de la justice disait : Il faut être juste, même avec la banque. Eh bien, moi, je veux être juste, même avec le ministère.

Je dois dire, avant de justifier le ministère, que, du moment où la banque de Bruxelles fut instituée, celle d’Amsterdam a mis tout en œuvre pour la détruire. Un inspecteur des forêts s’est exposé à perdre sa place pour attaquer cet établissement naissant ; il l’a perdue en effet, mais il a été amplement indemnisé, non par le gouvernement, mais par ceux qu’il servait : ceci vient à l’appui de ce qu’a dit M. de Robaulx.

Pour être juste envers le ministère, je dirai que c’est le ministère actuel qui, le premier, s’est mis en devoir de rechercher ce que la banque doit à l’Etat. On nous disait auparavant que des jurisconsultes examinaient l’affaire ; mais aucune conclusion n’était prise.

Quand la banque a demandé la nomination d’une commission pour examiner sa situation, vous étiez dans des circonstances différentes. Aujourd’hui le ministère présente un amendement, et sur un seul des points par lesquels la banque est en contact avec le gouvernement, vous êtes obligés de discuter cet amendement.

L’examen de la situation de la caisse a été renvoyé au gouvernement, mais le gouvernement a-t-il fait son devoir ? Vous reconnaissez qu’il n’a pas tout soumis aux investigations de sa commission ; cependant il n’y a qu’un débiteur, comme il n’y a qu’un créancier : il n’y a donc qu’un seul rapport à faire, et ce rapport doit être complet.

M. Dubus. - On agite une question de convenance pour s’opposer à la nomination d’une nouvelle commission. Je crois que la chambre ne doit pas s’arrêter devant de semblables considérations ; elle doit passer outre : la susceptibilité des membres de la commission du gouvernement n’en sera nullement blessée.

Je ferai deux observations qui prouveront que c’est une commission de la chambre qui doit être chargée de l’examen de toutes les questions et qu’une commission du gouvernement ne peut mener à aucun résultat.

Une commission du gouvernement ne peut rien, puisque les choses ne sont plus entières d’après la convention du 8 novembre. Selon l’article 13, paragraphe 5 du traité, il faut renvoyer l’exécution des autres obligations de la banque au temps où la liquidation sera terminée.

Dès lors la banque ne voudra entrer dans aucune discussion relativement au syndicat, à la liste civile et au séquestre ; elle dira que la liquidation n’est pas faite. La convention du 8 novembre deviendra un obstacle insurmontable aux travaux de la commission du gouvernement.

La banque, protestant de son indépendance du gouvernement, a refusé d’avoir aucun rapport officiel avec la commission du gouvernement ; et cette commission a pensé qu’elle ne devait pas se borner à des rapports purement officieux avec la banque : il résulte de là que la commission n’a pu avoir de relations utiles avec la société générale. Elle signalait aux ministres quelles pièces il fallait obtenir, et les demandait ; c’est ce qu’elle a fait à la fin de septembre dernier ; mais les pièces ne lui sont pas parvenues, elle les attend encore.

Si la chambre s’était attendue à une pareille conduite de la part de la banque, elle n’aurait pas passé à l’ordre du jour sur la pétition que lui adressaient les administrateurs.

M. Legrelle. - Toutes les questions qui concernent la banque se touchent, se lient ; vous ne pouvez faire un pas dans ce vaste champ sans remuer en même temps tous les objets qu’il renferme. Il est impossible de concevoir une commission qui ne serait chargée que de l’examen d’un point.

Le champ des investigations étant vaste, la commission ne présentera de rapport que d’ici à quelque temps, et alors il faudrait ajourner l’amendement du ministre jusqu’au rapport ; mais si on considère les 600,000 fr. comme un à-compte de ce que doit la banque, on peut insérer ce chiffre dans le budget sans inconvénient. Ce chiffre étant une avance, il faut l’admettre sans examiner et sans préjuger s’il est suffisant pour acquitter la banque envers l’Etat.

M. Dumont. - Je veux dire quelques mots pour empêcher que la chambre ne soit induite en erreur. Vous pourriez croire, d’après ce que vient de dire un honorable membre, que la commission n’a point délibéré, n’a point discuté ; et vous vous tromperiez. On a discuté pour et contre, on a discuté pendant deux séances. Mais il faut distinguer : on n’a discuté que sur les los-renten ; on a bientôt reconnu que la proposition concernant ces valeurs ne pouvait s’exécuter ; alors on est revenu à l’idée de donner pour garantie des bons du trésor.

Vous concevez alors pourquoi la commission n’a plus discuté : c’était aux représentants de la banque à soutenir leurs propositions.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Il est convenu que je proposerai mon amendement pour être inséré dans les voies et moyens. Voici comment cet amendement est conçu :

« Le ministre des finances ad interim propose d’insérer au budget général des voies et moyens, à l’article des recettes diverses du trésor général, une somme de 649,521 fr, d’intérêt, à 5 p. c. l’an, d’un capital de 12 millions 990 mille 437 francs 23 centimes, mis par la société générale à la disposition du gouvernement, par suite de l’arrangement conclu le 8 novembre dernier. »

M. de Robaulx. - Cet amendement renferme une pétition de principes : l’amendement approuve l’arrangement ; mais c’est ce qui est en question. C’est à la commission à décider si l’arrangement peut être approuvé ou non.

Si on ne s’occupait actuellement que du traité du 8 novembre, la même acrimonie que nous avons vue s’exhaler se reproduirait dans l’examen du syndicat, de la liste civile et du séquestre. Nous voulons tout savoir, et connaître si le gouvernement peut continuer ses rapports avec la banque. La banque a dit : « Je ne peux pas me dessaisir de tel ou tel fonds, sans y être condamnée par jugement. » Il faut savoir ce qu’il y a à faire pour mettre sa responsabilité à couvert, et c’est à la commission à examiner cela.

S’il y a des points qu’on ne puisse traiter actuellement, la commission nous le dira. Nous jetons ici des paroles en l’air et nous n’en recueillons rien. Je ne veux pas que la mission de la commission soit restreinte. L’amendement de M. de Brouckere le limite trop. Si une discussion nouvelle s’agitait sur le syndicat, sur la liste civile et le séquestre, nous entendrions encore M. de Foere et nous n’avancerions à rien. (Aux voix ! aux voix ! aux voix !)

M. Dumortier. - L’honorable membre a démontré jusqu’à l’évidence qu’il fallait une commission, et une commission pour examiner tous les points. Le gouvernement ne s’y oppose pas et la chambre le demande.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Si vous ajournez l’adoption de mon amendement, cela vous mènera plus loin que le temps nécessaire pour adopter les voies et moyens. Le travail de la commission prendra un temps considérable. Elle pourrait s’occuper d’abord de la convention ; elle examinerait ensuite les autres points.

M. de Robaulx. - Laissez-là votre amendement jusqu’au moment où on discutera l’article qui doit le comprendre ; on interpellera alors la commission, et sur son avis il sera mis en délibération. (Aux voix ! aux voix !)

M. de Brouckere. - Je voudrais avoir ici la demande que la banque avait faite d’une commission pour examiner sa situation. Si nous nommons une commission en lui donnant une mission plus étendue que ce que proposait la banque, je craindrais de l’exposer à un refus. La banque a refusé d’entrer dans des explications officielles avec la commission du gouvernement. Je ne sais pas comment la chambre contraindrait la banque à donner les explications qu’elle refuserait. Je ne voudrais pas qu’une commission nommée dans le sein de la chambre fût exposée à des refus.

M. Verdussen. - Je vais donner à l’orateur les renseignements qu’il désire :

« Les gouverneurs et directeurs de la société pour favoriser l’industrie nationale demandent que la chambre nomme dans son sein une commission d’enquête chargée d’examiner la situation actuelle de la société vis-à-vis de l’ancien royaume des Pays-Bas. »

La commission des pétitions conclut à l’ordre du jour, par le motif que la commission n’a pas cru que c’était d’après la pétition que l’on devait décider une enquête ; mais la chambre décide le renvoi au ministre des finances, avec demande d’explications.

M. A. Rodenbach. - Le directeur de la banque a dit cinq ou six fois dans cette enceinte : Nommez une commission pour examiner la situation de la banque.

M. de Brouckere. - Voici l’original de la lettre écrite par la banque. M. Dubus a bien voulu me le remettre. La lettre est conçue dans les termes suivants :

« A la chambre des représentants.

« La chambre des représentants, dans le cours de la discussion des voies et moyens pour l’exercice 1833 a entendu de graves allégations contre la société générale pour favoriser l’industrie nationale, relativement à sa situation envers le trésor de l’ancien royaume des Pays-Bas.

« Cette société a été représentée comme redevable envers l’Etat de sommes considérables.

« La société générale, établissement libre et indépendant, ayant constamment concouru de tous ses moyens au bien général du pays, ne peut pas être indûment considérée comme détentrice de fonds appartenant à l’Etat ; les gouverneurs et directeurs de cette société générale croient donc devoir prier la chambre de vouloir bien nommer dans son sein une commission spéciale d’enquête, chargée d’examiner la situation actuelle de la société générale vis-à-vis de l’ancien royaume des Pays-Bas ; ils s’engagent, dès à présent, à donner à cette commission tous les renseignements propres à faire connaître exactement cette situation, et à jeter le plus grand jour sur toutes les questions qui s’y rattachent.

« Bruxelles le 15 janvier 1833.

« Les gouverneurs et directeurs, etc.

« Signé : Meeus, Delvaux, de Saive, Rittweger, Caroly, J. Engler, Opdenbergh, F. Basse et Gréban. »

Il me semble qu’après un engagement semblable, la banque n’a rien à opposer aux demandes de renseignements que la commission nommée par la chambre ferait. Je demanderai si M. Dumortier ne voudrait pas formuler sa proposition dans les termes de la lettre.

M. Dumortier. - Ma proposition est conçue dans les mêmes termes ; seulement je demande que la commission examine les questions qui se rattachent à la convention et à la situation de la banque vis-à-vis de l’Etat.

M. de Robaulx. - La commission n’aura avec la banque d’autre relations que celles indiquées dans la lettre ; mais la commission aura encore à examiner si le gouvernement a bien ou mal agi dans la convention du 8 novembre : il faut qu’elle donne ses conclusions. Nous nommons une commission d’enquête, donc c’est la proposition de M. Dumortier qu’il faut adopter.

M. le président. - Voici cette proposition :

« Je demande que la chambre nomme une commission de 7 membres pour examiner les diverses questions relatives à la banque dans ses rapports avec le trésor public, et faire son rapport dans le plus bref délai. »

M. de Brouckere. - Je retire ma proposition.

M. de Robaulx. - Je désire qu’il y ait 11 membres.

M. Verdussen. - La franchise de mon caractère me force à vous dire qu’il y a divergence entre la proposition formulée entre la banque et celle qui est formulée par M. Dumortier ; je crains donc que la banque ne fasse des refus. M. Dumortier dit : « dans les rapports de la banque avec le trésor public ; » la lettre dit : « dans les rapports de la banque avec le royaume des Pays-Bas. »

M. Legrelle. - Il y a moyen de sauver l’inconvénient : laissons les termes de la lettre, et ajoutons que la commission est chargée de faire un rapport sur la convention du 8 novembre. C’est une clause qui est de la compétence de la chambre que d’examiner ce qu’a dit le gouvernement.

M. de Robaulx. - Il n’y a pas de dignité à cela, ce n’est pas à la banque à tracer ce que nous avons à dire.

M. Dumortier. - Il faut que la volonté nationale soit exécutée et que les bons citoyens s’y soumettent ; au reste la banque est allée au-devant. Je consens que la commission soit composée de 11 membres.

- La proposition de M. Dumortier, portant demande d’une commission de onze membres, est mise aux voix et adoptée à une grande majorité.

M. le président. - On va procéder à la nomination de la commission par la voie du scrutin. Aux termes du règlement, cette commission peut être nommée à la majorité absolue ou à la majorité relative. Je vais consulter la chambre pour savoir comment elle entend procéder.

- Plusieurs voix. - A la majorité relative.

- La chambre consultée décide que la commission sera nommée à la majorité relative.

Voici le résultat du scrutin :

M. Dubus obtient 62 voix ; M. Brabant, 55 ; M. Legrelle, 55 ; M. Angillis, 49 ; M. Dumont, 47 ; M. Verdussen, 43 ; M. Dumortier, 42 ; M. de Foere, 31 ; M. Davignon, 31 ; M. Coghen, 30, M. Fallon, 28 ; M. Lardinois, 28 ; M. Jadot, 24 ; M. de Theux, 22 et M. Donny, 20.

M. le président. - Les dix premiers dénommés sont membres de la commission. MM. Lardinois et M. Fallon ont obtenu le même nombre de voix ; le plus âgé de ces deux messieurs sera le onzième membre.

- Quelques voix. - C’est M. Fallon.

M. Coghen. - Je remercie beaucoup mes honorables collègues qui ont bien voulu me donner leurs voix ; mais je dois déclarer qu’en dehors de cette enceinte, je suis commissaire de la société générale, et ma délicatesse m’oblige de ne pas accepter ce mandat. (Si ! si !) Si cependant ceux qui m’ont désigné l’ont fait quoiqu’ils sussent que j’étais commissaire de la banque, je l’accepterai avec plaisir. (Oui ! oui !)

M. le président. - M. Coghen accepte. En conséquence, la commission sera composée de MM. Dubus, Brabant, Legrelle, Angillis, Dumont, Verdussen, Dumortier, de Foere, Davignon, Coghen et Fallon.

Nous allons maintenant reprendre la discussion générale du budget des voies et moyens. Quelqu’un demande-t-il la parole ?

M. Dumortier. - Je la demande très volontiers pour attaquer la convention de Zonhoven ; mais il me semble que l’heure est très avancée. (A demain ! à demain !) Je puis cependant utiliser la fin de la séance par quelques interpellations que j’ai à faire au ministre des finances, sur d’autres points dont j’ai déjà parlé précédemment.

Je désirerais d’abord savoir dans quel article de la constitution, dans quel article de loi, M. le ministre a trouvé l’autorisation d’augmenter la remise que l’on fait pour le battage des monnaies. Quant à moi, je ne suis pas jurisconsulte ; mais j’ai examiné la constitution et la loi sur les monnaies, et je n’ai trouvé nulle part une disposition qui lui donnât le droit d’agir ainsi.

Je demanderai aussi pourquoi on s’est abstenu, contrairement à l’article 115 de la constitution, de porter dans le budget des voies et moyens le bénéfice du monnayage du cuivre qui est assez considérable.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - L’on a attaqué l’arrêté du 11 novembre dernier qui alloue une prime de 3 par mille pour chaque million en monnaie d’argent présenté par le directeur au jugement de la commission.

Les uns l’ont trouvé inconstitutionnel, d’autres inutile.

Une loi a établi un système monétaire nouveau. Le devoir du gouvernement est de l’introduire en raison des besoins ; or, le prix des métaux étant fort élevé, il était devenu impossible aux particuliers de faire fabriquer ; le directeur seul, comme particulier (car sa qualité de directeur ne lui impose pas l’obligation de battre pour son compte), avait fait frapper jusqu’ici, en pièces de 5 fr. une somme de 3,600,00 fr. Il en était résulté une perte pour lui de 421 fr. 91 c., outre celle des intérêts de ses capitaux et la détérioration de ses ustensiles.

Il m’a communiqué le bilan de ses opérations par une lettre en date du 1er octobre, et me fit connaître qu’il pouvait d’autant moins continuer la fabrication, que la prime de 6 pour mille, à laquelle était coté l’argent au marché de Paris, venait d’être portée à 8, et qu’à ce taux le kilogramme d’argent, au titre de 900/1000, revenait à fr. 198 60 ; les frais de transport, à 60c. ; l’intérêt pendant la fabrication, 20 c. ; ensemble, fr. 199 40.

Comme le kilogramme d’argent monnayé vaut 200 fr., il s’ensuit qu’il ne restait au directeur, pour couvrir les frais de son établissement, ceux de la fabrication, y compris le salaire des ouvriers, que 60 centimes par kilogramme, ou 3,000 francs par million ; ce qui lui aurait fait éprouver une perte à peu près égale à cette somme.

Cependant le ministre crut qu’il était nécessaire de mettre notre monnaie en circulation ; il crut qu’alors que la législature avait décrété que l’ancienne monnaie de cuivre devait être retirée de la circulation et échangée contre la nouvelle, elle avait aussi voulu que le système fût complété.

Le ministre n’a pu croire que la législature avait été, plus que le gouvernement, mue par l’idée des bénéfices que le monnayage du cuivre procure au trésor, mais bien par la nécessité de mettre en circulation notre système complet des monnaies et d’être ainsi, en réalité, en harmonie avec la loi. Pouvait-on d’ailleurs rester privé du type de l’argent qui devait servir de mesure dans les actes publics et dans le paiement des impôts ?

Il fallait aussi bien remplacer les pièces de 10, 25 et 50 cents que le cuivre, par des monnaies nouvelles ; et l’urgence était grande, car journellement les monnaies subdivisionnaires du florin deviennent plus rares et ne sont pas remplacées. Il y a en effet très peu de petite monnaie française dans la circulation ; la difficulté de réunir en grande quantité ce qui est éparpillé dans toutes les mains et dans toutes les provinces, l’embarras du comptage empêchent le transport de ces espèces d’un pays à l’autre.

Le ministre, en un mot, étayé de l’opinion de la commission des monnaies qui a signalé l’urgence et la nécessité de faire fabriquer, a pensé qu’alors que le monnayage du cuivre laissait un bénéfice de deux cent mille francs par millions, il pouvait bien en employer la dixième partie à mettre en circulation la monnaie d’argent.

Le gouvernement a été plus sobre qu’aucun autre, car en France, chaque année il figure au budget des dépenses des sommes pour le remonnayage ; dans les Pays-Bas l’introduction du système monétaire a coûté 8,000,000 de florins.

L’indispensable nécessité de faire fabriquer a donc été démontrée, et la commission des monnaies, consultée sur les meilleurs moyens à employer pour arriver à cette fabrication sans qu’il en coûtât au trésor, a conclu à l’allocation d’une prime pour chaque million présenté par le directeur de la fabrication, imputable sur les bénéfices du cuivre.

Quant à la légalité de l’arrêté qui alloue cette prime, je ne pense pas qu’on puisse la mettre en doute.

Le directeur n’est pas tenu à frapper pour son compte, ou bien à ses risques et périls. Loin de là : lorsqu’il achète lui-même les matières, il agit comme particulier, spécule comme particulier et a son compte individuel ouvert chez le directeur.

D’après la loi et les règlements il est à la disposition du public ; il convertit en argent monnayé les lingots que l’on porte à son bureau ; il ne peut exiger de ceux qui apportent des matières, plus de 3 fr par kilogramme, ou payer moins de 197 fr. la quantité d’argent nécessaire pour en fabriquer 200.

Telle est la condition.

Au lieu de fournir au directeur de l’argent qui lui coûterait au-delà de 199 fr. 40 c. et que le directeur ne devrait prendre qu’au prix de 197 fr., c’est-à-dire, avec 2 fr. 40 c. de perte pour l’Etat, le gouvernement, devant et voulant faire battre monnaie, contracte avec le directeur et lui paie par arrangement à l’amiable 60 centimes par kilogramme ou trois pour mille, au lieu de 2 fr. 40 c. qu’il lui en coûterait s’il faisait lui-même les achats.

En quoi donc ce marché, ou l’arrêté du 11 novembre, est-il contraire à la loi ? En quoi est-il plus illégal que celui du 16 octobre 1832, par lequel le prix du monnayage de cuivre fut déterminé ? Ce premier ne fut attaqué par personne ; celui-ci est tout à fait analogue.

En résumé, le monnayage d’argent ne pouvait plus s’effectuer ; il fallait, ou que le gouvernement laissât le pays manquer de numéraire, aussi qu’à deux reprises, la chose avait failli avoir lieu (et j’invoque ici le témoignage de l’honorable M. Meeus, qui est en position de connaître le fait, et qui, dans son discours d’hier, vous a communiquer de si lumineuses observations sur la matière), ou bien que le gouvernement fît fabriquer pour son propre compte. C’est ce dernier parti qu’il a pris, mais en limitant sa perte par un forfait de 3 p. c., ou 3,000 fr. par millions, perte qui n’est pas une dépense réelle, puisqu’elle est prélevée sur une plus-value d’une autre partie du même système monétaire.

Rien que de légal et d’utile n’a donc motivé l’arrêté du 11 novembre dernier, qui, loin d’être contraire à la loi du 5 juin 1832, n’est que la conséquence nécessaire de l’exécution de cette loi.

Quant à ce qui a empêché de porter au budget des voies et moyens une somme pour le bénéfice du monnayage sur le cuivre, cela vient, ainsi que je l’ai déjà dit, de ce que mon prédécesseur avait réservé de rendre compte des recettes et dépenses relatives à cet objet, lorsque le monnayage de cuivre serait terminé. Tels sont les motifs qui ont dirigé ma conduite. Cependant, si la chambre en ordonnait autrement, il me serait très facile d’accéder à son désir et de présenter un amendement pour porter ce bénéfice dans le budget ; mais il faudrait aussi y porter la dépense.

M. Legrelle. - Je n’examinerai pas si, au taux où la monnaie est battue, il y a gain ou perte pour le directeur. Ce n’est pas sur ce terrain que la question doit être placée. Je veux bien admettre qu’il y ait perte, quoiqu’en France on ait réduit le taux qui était le même qu’ici, et en se fondant précisément sur la loi qu’invoque M. le ministre des finances pour procéder en sens inverse ; je veux bien admettre l’hypothèse que le directeur de la monnaie a droit à un supplément de 3 par mille. Mais ce supplément pouvait-il être accordé par une autre voie que la voie législative ? Non certainement. Je regarde donc la mesure qu’a prise le ministre comme inconstitutionnelle. La loi sur les monnaies a dit qu’une prime serait allouée pour le monnayage de cuivre, et non pour les monnaies d’or et d’argent.

Si le législateur avait entendu qu’il en fût de même pour ces dernières, il aurait étendu jusque-là la disposition ; mais il n’en a rien fait parce qu’il ne l’entendait pas ainsi. Le ministre pourrait peut-être avoir une excuse dans le cas où la loi aurait été muette par rapport à toute espèce de monnayage ; mais du moment où elle autorisait une prime pour le cuivre, il est bien certain que c’était à l’exclusion des deux autres monnaies. J’invite M. le ministre à nous présenter le plus tôt possible un projet de loi à cet égard, car il serait sans aucun doute obligé de solliciter plus tard de nous un bill d’indemnité ou de payer le supplément dont il s’agit de ses propres deniers.

Pour se justifier, il a prononcé les mots d’urgence et de nécessité. Quant à moi, je n’admets pas un tel système de défense. S’il pouvait prévaloir, on violerait à chaque instant la constitution et les lois du pays sous de semblables prétextes. Je ne connais qu’une seule urgence, qu’une seule nécessité, c’est de ne pas violer le pacte fondamental du royaume que nous avons juré de maintenir. J’élève la voix dans cette circonstance, pour que l’acte dont il est question ne puisse pas servir d’antécédent. Il importe à notre dignité et à l’intérêt du pays de blâmer des abus aussi graves ; il est de l’intérêt du ministre lui-même que nous lui dessillions les yeux afin qu’il répare l’erreur dans laquelle il est tombé. J’espère qu’il ne sera pas sourd à ces paroles.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, il s’élevait des réclamations de toutes parts sur le défaut de petites monnaies, et il y avait impossibilité de commencer à en battre sans l’arrêté que j’ai pris. Jusqu’alors aucune pièce de 2 francs, de 1 franc, de demi et quart de franc, n’avait été confectionnée. L’urgence et la nécessité étaient donc évidente.

L’honorable préopinant a prétendu que la loi défendait de faire ce que j’ai fait, mais je le prie de m’indiquer où il trouve cette défense ; quant à moi, je ne la vois pas. Remarquez que le monnayage de cuivre avait été réglé par un arrêté de mon prédécesseur, arrêté qui n’a jamais été attaqué. C’est cet antécédent qui m’a induit en erreur, si toutefois il y a erreur dans la mesure que j’ai prise. L’arrêté de mon prédécesseur serait entaché du même vice d’inconstitutionnalité que le mien.

M. A. Rodenbach. Parce que son prédécesseur aurait commis une inconstitutionnalité, M. le ministre actuel voudrait s’appuyer de cet antécédent pour en commettre aussi. Vous avouerez, messieurs, que c’est là un étrange argument. Quant à moi, je partage l’avis de l’honorable député d’Anvers, nous devons avant tout faire respecter notre constitution et nos lois. Il existe une loi sur les monnaies, et il n’appartenait pas à un ministre de la modifier par un arrêté.

D’ailleurs, s’il y avait tant d’urgence, pourquoi cet arrêté a-t-il paru précisément la veille de la convocation de la chambre ? n’aurait-on pas pu attendre quelques jours encore pour faire consacrer la mesure par la voie légale ?

En admettant que la remise pour le battage des monnaies d’or et d’argent ne suffisait pas, et que la loi devait être modifiée, était-ce une raison pour que le ministre des finances accordât une prime ? Ainsi donc, si le directeur de la monnaie disait : Je n’ai pas assez de trois par mille, il me faut 6, 10 par mille ; on les lui aurait donc alloués ? J’ajouterai que l’arrêté dont il s’agit n’a pas été publié que onze jours après qu’il a été pris. Y aurait-il là-dessous quelque manœuvre ? C’est un point à éclaircir.

Quant au bénéfice sur le monnayage de cuivre, il s’élève peut-être de 2 à 300,000 fr. ; il faut que la somme, quelle qu’elle soit, paraisse au budget des voies et moyens, et j’en fais la demande formelle.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - On a déjà insisté par rapport à la date de la publication de l’arrêté ; mais je ferai observer que l’arrêté de mon prédécesseur n’a jamais été publié. C’est parce que j’agis avec franchise et que je ne cache aucun de mes actes que j’ai livré le mien à la connaissance du public, dans la conviction qu’il n’était pas inconstitutionnel ; car autrement, on peut bien pensé que je m’en serais abstenu. Quant au retard de son insertion au Moniteur, il ne provient pas de mon fait. Je signe tous mes arrêtés, et on en envoie une certaine quantité au ministère de la justice, d’où ils passent au journal officiel. J’ignore pourquoi celui-là a éprouvé un tel retard, mais je puis dire que ce n’est pas de mon fait et qu’il n’y a eu de ma part aucune arrière-pensée.

Je bornerai là mes observations, et j’attendrai les autres reproches qui pourraient m’être adressés.

M. Dumortier. - Vous vous attendez donc à des reproches ? (On rit.)

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Un ministre aurait bien tort, en venant ici, de ne pas s’attendre à des reproches. Il peut y compter plutôt que sur des éloges. (Nouveaux rires.)

M. Dumortier. - Un ministre qui respecte les lois et la constitution, qui ne viole pas le serment qu’il a fait de les maintenir, qui soutient l’honneur et la dignité du pays, est toujours sûr d’avoir des éloges dans cette enceinte ; mais lorsqu’il y vient avec des actes qui atteignent le pacte fondamental et les lois, il a raison de s’attendre à des reproches, et je serai le premier à lui en adresser.

L’argumentation de M. le ministre des finances est fort singulier. Il vient objecter qu’il y avait urgence. Moi je soutiens d’abord qu’il n’y avait pas urgence, et je le démontrerai. Comment pouvez-vous dire en effet qu’il y avait urgence quand vous avez présenté votre arrêté le jour même de l’ouverture de la session ? Pourquoi donc ne demandiez-vous pas une loi, si vous en aviez le besoin ? Si vous pouvez substituer aux lois le régime des arrêtés, nous ne sommes plus d’aucune utilité ici.

Vous vous rejetez en second lieu sur une autre violation de la constitution, sur un arrêté de votre prédécesseur, qui, dites-vous, n’a jamais été attaqué ; et en même temps vous avouez que cet arrêté n’a jamais reçu de publication. Mais si vous laissez vos actes dans l’ombre, comment voulez-vous qu’on puisse les attaquer ? Ce n’est que parce que votre arrêté a été publié que nous connaissons son existence et que nous pouvons le critiquer. Il en sera de même du premier, maintenant que vous nous en avez parlé. Cependant, je conçois jusqu’à un certain point qu’il ait pu être pris quand le monnayage n’était pas encore réglé législativement. Mais, en présence de l’article 27 de la loi portée sur la matière, il vous était défendu de donner une prime pour les matières d’or et d’argent. (L’orateur donne ici lecture de cet article 27.)

La loi détermine les frais de la fabrication ; c’est 3 francs par kilogramme pour l’or et pour l’argent, vous ne pouviez aller au-delà. Vous avez donc violé la loi. Si vous pensiez que la mesure était nécessaire, il fallait nous la demander.

Quant à moi, cette nécessité ne m’est nullement prouvée ; car, si je suis bien informé, les frais de monnayage que la loi a déterminés sont exactement les mêmes que ceux établis en France, et comme notre monnaie est identiquement la même, il me semble qu’on peut battre en Belgique aussi bien qu’en France. Le directeur de la monnaie de Lille fait de très gros bénéfices. Si donc la remise procure de tels avantages, il n’y avait pas nécessité de l’augmenter.

L’honorable député de Roulers s’est plaint avec raison de ce que l’arrêté du 11 novembre n’avait été publié que 11 jours plus tard dans le Moniteur. J’ai reçu moi-même des plaintes du commerce à cet égard. Le ministre des finances dit qu’il envoie ses arrêtés au ministre de la justice qui les fait publier. Eh bien, je viens d’examiner le Bulletin officiel, et j’y vois que ce n’est que le 23 novembre que celui dont il s’agit a été promulgué. Du reste, cette question est très importante auprès de l’inconstitutionnalité de la mesure. Cette mesure n’a aucune espèce d’effet, parce qu’un ministre ne peut pas prendre un arrêté qui suspende l’action des lois ; et c’est ce qu’a fait celui-ci, car il établit un véritable impôt.

Puisque j’ai la parole, je demanderai à M. le ministre ce qu’il entend faire de la vieille monnaie. J’ai entendu dire qu’on retirait de la circulation toutes les monnaies anciennes sur lesquelles il y avait un bénéfice, tandis que toutes celles qui subissent une perte affluent dans le pays ; et si nous devons plus tard les mettre au billon, nous éprouverions un déficit considérable. Le caissier général met de côté toutes les pièces sur lesquelles il y a bénéfice, parce que notre pays doit faire lui-même ce bénéfice. Si on met ces monnaies en réserve, il y aura encore une somme assez considérable à porter au budget.

Si j’ai bonne mémoire, les petites monnaies françaises, qui offrent une très grande perte, doivent être billonnées le 1er janvier prochain.

- Une voix. - Le 1er avril.

M. Dumortier. - Au commencement de l’année prochaine enfin. Je désirerais savoir quelles sont les mesures que M. le ministre des finances entend prendre pour que toutes ces petites monnaies ne refluent pas dans notre pays. Nous avons déjà pu en remarquer une grande quantité. On dira peut-être que le trésor public ne les recevra pas. Mais nous n’avons pas seulement à soigner les intérêts du trésor public, il faut aussi soigner ceux des Belges. C’est un objet que je signale à la sollicitude de la chambre et du ministre.

Maintenant je prie M. le ministre de nous déclarer ce qu’il a l’intention de faire par rapport à un autre arrêté inconstitutionnel, car il en prend comme cela chaque jour, témoin celui qui a pour but de régler les traitements de ses employés, lorsque ces traitements doivent être réglés par la loi. Nous devons l’arrêter sur cette pente qui le conduirait à l’abîme. Je demande, dis-je, ce qu’il fera relativement à l’arrêté institutif de la commission des monnaies, à qui il confère des attributions judiciaires qui ne peuvent être exercées qu’en vertu d’une loi.

On a objecté dans le temps qu’on ne s’était pas aperçu de l’inconstitutionnalité de cette mesure, et la chambre a bien voulu la légaliser pour une année, jusqu’au 1er janvier 1834. Mais ce délai va arriver, et nous voici à la fin de l’année sans qu’on nous ait proposé une disposition législative. Je demande si M. le ministre y pense.

Il faut également un projet de loi pour légaliser l’arrêté plus récent qui nous occupe, arrêté tout à fait inconstitutionnel, à moins que M. le ministre ne veuille qu’on retienne la prime sur ses appointements ; et même ses appointements n’y suffiraient pas, car si j’ai bien compris, il s’agit de 20,000 fr, par million.

- Une voix. - Non pas, c’est trois mille francs par million.

M. Dumortier. - J’ai mal entendu ; dans ce cas, ses appointements suffiraient probablement. (Hilarité.)

Je crois en définitive qu’il est démontré que M. le ministre a enfreint ses pouvoirs, que son arrêté viole la loi, et je pense que la cour des comptes ne le sanctionnera pas ; enfin, que nous devons porter au budget des dépenses et des recettes tout ce qui est relatif aux frais de monnayage. J’invite M. le ministre à présenter dans le plus bref délai un projet de loi, s’il est réellement nécessaire d’augmenter la remise pour le monnayage. Mais je répèterai que cette nécessité ne m’est nullement démontrée, puisqu’en France, où l’état des choses est le même, au lieu d’une augmentation, on a fait au contraire une diminution. (A demain ! à demain !)

M. Meeus. - Je ne désire présenter qu’une seule observation. Je ne viens pas défendre la légalité de l’arrêté, mais répondre un mot à l’honorable préopinant. Pour montrer qu’il n’y avait pas nécessité d’augmenter la remise, il s’est appuyé sur ce qui se passe à Lille et à Paris. Mais je lui ferai remarquer que nous n’avons pas ici de places cambistes, c’est-à-dire, où l’on traite des matières d’or et d’argent ; d’où il suit que nous nous trouvons dans une condition moins favorable.

Quant à ce qui concerne Lille, la différence sur le change permet au directeur de la monnaie de faire de gros bénéfices ; car là le papier sur Paris est à 3/8 1/2 par p. c. de perte, tandis qu’ici, au contraire, il est toujours en avance.

- La discussion est continuée à demain.