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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 20 janvier 1834

(Moniteur belge n°21, du 21 janvier 1834 et Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1834)

(Moniteur belge n°21, du 21 janvier 1834)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre, ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.


Un congé de 8 jours est accordé à M. Frison, sur la demande de cet honorable membre.

Projet de loi qui fixe les traitements des auditeurs militaires pendant l’année 1834

Second vote des articles et vote sur l’ensemble

M. le président donne successivement lecture des amendements proposés par la section centrale au projet du gouvernement, et adoptés par la chambre ; ces amendements sont de nouveau adoptés, et leur seconde adoption ne donne lieu à aucune discussion.


L’ensemble de la loi est soumis au vote par appel nominal. 56 membres ont voté l’adoption ; un seul a voté le rejet.

Quatre membres, MM. Gendebien, Morel-Danheel, Quirini et Lardinois, se sont abstenus, parce qu’ils n’avaient pas assisté aux discussions de la loi.

Ont voté pour : MM. Angillis, Boucqueau de Villeraie, Brixhe, Cols, Coppieters, Dams, Dautrebande, Davignon, de Brouckere, Dellafaille (A.), Dellafaille (H.), de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Nef, de Puydt, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Witte, d’Hane, d’Huart, Doignon, Dubus, Dumont, Eloy de Burdinne, Ernst, Fleussu, Hye-Hoys, Jullien, Lebeau Milcamps, Olislagers, Pirson, Polfvliet, Raikem, Rodenbach (A.), Rodenbach (C.), Rogier, Rouppe, Schaetzen, Simons, Trentesaux, Ullens, Vanderbelen, Vanderheyden, Vergauwen, Vilain XIIII (H.), Vuylsteke, Watlet, Zoude.

A voté contre : M. Desmanet de Biesme.

Rapport sur une pétition

M. le président. - Les conclusions de la commission des pétitions tendent au renvoi du mémoire de M. Dejaer-Bourdon au ministre de l’intérieur avec demande d’explications

M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. M. le président vient de vous annoncer que l’ordre du jour est la discussion de la pétition de Liége. Pour moi, messieurs, je pense que quant à présent il n’y a pas à discuter. Nous avons une proposition formelle qui nous est lue par la commission, c’est le renvoi au ministre de l’intérieur avec demande d’explications ; personne ne s’oppose à ces conclusions ; dès lors, je ne vois pas la nécessité d’une discussion, à moins que quelqu’un ne veuille faire un amendement aux conclusions de la commission. Si vous preniez une autre voie nous contreviendrions au règlement, et peut-être produirions-nous du scandale, ce que je désire éviter.

Je me suis acquitté de mon devoir en vous rappelant au règlement ; je saurai plus tard le remplir quand on discutera conformément au règlement. S’il y a du scandale de produit, on ne m’accusera pas d’en être l’auteur. Vu ce qui s’est passé dans la séance de vendredi, je ne vois pas la nécessité d’une discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, si le renvoi de la pétition est fait purement et simplement sans discussion aucune au ministre de l’intérieur, je demanderai ce que le gouvernement aura à faire dans cette occasion : si le but du renvoi est de demander des explications, je suis prêt à en donner de nouvelles, si celles que j’ai déjà données sont jugées insuffisantes. Il faut que la chambre attache une signification au renvoi qu’elle ordonnera : sous ce point de vue il faut une discussion quelconque. La discussion, j’espère, ne produira pas de scandale, personne n’est intéressé à le provoquer.

M. A. Rodenbach. - Je suis persuadé qu’aucun membre ne veut faire de scandale. Je propose le renvoi pur et simple de la pétition au ministre de l’intérieur, sans demander des explications. Si M. le ministre a de nouvelles explicitions à donner, il peut les présenter. Le rapport de M. Liedts est très clair, très modéré ; nous sommes suffisamment instruits. J’insiste pour l’adoption de ma proposition.

M. Fleussu. - J’appuie la proposition de l’honorable M. Gendebien. Je vous avoue que je n’ai pas bien compris M. le ministre de l'intérieur lorsqu’il a demandé que la chambre attachât une signification au renvoi du mémoire : est-ce que par hasard le ministre serait embarrassé dans la marche qu’il doit suivre ? Est-ce qu’il a besoin de l’avis de la chambre ? C’est à lui à trouver dans la loi un secours pour faire cesser des abus, si abus il y a. Je demande le renvoi pur et simple et sans y attacher aucune signification. Il faut que la responsabilité ministérielle reste tout entière.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le gouvernement verra dans le renvoi pur et simple au ministre l’approbation de ce qu’il a fait et de ce qu’il a annoncé devoir faire.

M. Fleussu. - La conclusion n’est pas rigoureuse.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Voilà la déclaration que je dois à la chambre : le gouvernement attachera au renvoi pur et simple une marque approbative de ce qu’il a fait et de ce qu’il se propose de faire.

M. Fleussu. - Et de ce qu’il se propose de faire ? c’est un peu fort !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - De ce qu’il a annoncé devoir faire.

M. Fleussu. - Que doit-il faire ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois l’avoir exposé suffisamment pour tout le monde dans une séance précédente, je suis néanmoins prêt à le répéter pour M. Fleussu.

A l’acte de démission prononcé par le conseil de régence de Liége, contre l’échevin Dejaer-Bourdon, acte que le gouvernement croit dans sa prérogative d’annuler, est venu se joindre un acte qui appelle aussi annulation, je parle de l’élection. A cet égard vous avez pu remarquer que la question s’est un peu déplacée aujourd’hui. Ce n’est plus le conseil de régence qui se trouve aujourd’hui en cause, c’est le collège échevinal qui semble avoir voulu attirer à lui toute la responsabilité des actes qui nous occupe.

Le conseil de régence, de bonne foi, je le veux, avait prononcé la destitution d’un de ses membres, dans sa séance du 14 décembre : dans sa séance du 14 janvier, revenant sur sa première décision, il a résolu de surseoir à son exécution jusqu’à ce que l’autorité supérieure ait statué, et cela en vertu de l’invitation qui en avait été faite par la députation des états. Ainsi le conseil de régence a, en quelque sorte, reconnu son erreur, en décidant qu’il y avait lieu de surseoir à l’exécution de sa première résolution.

Le collège, au contraire ; non seulement a décidé qu’il y avait lieu à passer outre à l’élection, et il s’est mis ainsi en opposition formelle avec les états, et qui plus est en opposition avec la décision du conseil ; de sorte que nous avons un collège échevinal en opposition avec son propre conseil.

Voilà où en est la question. Le gouvernement, s’appuyant sur ce seul fait, n’hésitera pas à annuler les élections du 15 janvier ; restera encore à annuler la décision du conseil qui a frappé de destitution l’honorable échevin M. Dejaer : à cet égard, le gouvernement n’a pas laissé ignorer qu’il se proposait d’user de la prérogative qu’il croit trouver dans la constitution. Ainsi le gouvernement annulera et l’élection du 15 janvier et la décision du conseil qui a prononcé la destitution de M. Dejaer ; voilà ce que le gouvernement fera.

Si la pétition est renvoyée, sur le rapport de la commission, au ministre de l’intérieur le gouvernement verra, je le répète, dans ce renvoi l’approbation de sa conduite. Non pas qu’il veuille associer la chambre à la responsabilité des mesures qu’il se propose de prendre : quelque faiblesse qu’on lui suppose, quelque usés qu’on veuille nous dépeindre, nous aurons toujours assez de force pour prendre sur nous seuls la responsabilité de nos actes ; mais j’ai cru que je devais donner ces explications à la chambre afin qu’on ne vienne pas dire plus tard que nous avons tiré de ce renvoi des conséquences tout autres que celles que la chambre voulait lui donner.

M. de Brouckere. - Messieurs, j’approuve à tous égards la motion d’ordre qui nous a été faite par notre honorable collègue M. Gendebien et je la regarde comme pleine de sagesse. Je suis persuadé que si M. le ministre de l'intérieur n’avait pas pris la parole après M. Gendebien, la chambre se serait empressée d’accueillir cette motion comme elle mérite de l’être. Mais voyons jusqu’à quel point la chambre doit avoir égard à la déclaration du ministre de l’intérieur.

Si la chambre, a dit ce ministre renvoie purement et simplement la pétition du sieur Dejaer au ministre, le ministre vous annonce qu’il regardera ce renvoi comme une approbation de ce qu’il a fait, et de ce qu’il croira devoir faire. Savez-vous comment doit se traduire une déclaration aussi singulière ? Le gouvernement ne veut prendre sur lui aucune responsabilité dans une affaire aussi grave et aussi difficile ; il veut que la chambre assume sur elle cette responsabilité, cette responsabilité qui devrait poser sur lui : il veut en un mot que la chambre lui ôte toute espèce d’embarras, de difficulté et se mettre dans l’impossibilité de blâmer plus tard sa conduite, si sa conduite était blâmable.

Si vous étiez assez imprudents pour accueillir favorablement une semblable déclaration, à partir d’aujourd’hui le ministre se débarrasserait de toute espèce de responsabilité, et je le prouve.

Chaque fois, en effet, qu’il se présentera des difficultés dont la solution appartiendrait au gouvernement, et au gouvernement seul, il fera, par l’entremise d’un tiers, remettre une pétition à la chambre, et il viendra déclarer ensuite : Nous avons déjà fait telle ou telle chose ; nous comptons faire encore telle ou telle autre chose ; et nous vous le disons, si la chambre n’improuve pas ce que nous faisons, c’est qu’elle approuvera la conduite du ministère. Par ce système, la position des ministres deviendra extrêmement agréable ; les ministres se dégageront de toute responsabilité, et ce sera la chambre qui imprudemment l’assumera tout entière sur elle.

Mais le gouvernement en sera-t-il plus avancé lorsqu’on se sera livré à de longs et inutiles débats sur la position qu’a adressée à la chambre le sieur Dejaer, lorsque, d’un côté on aura approuvé la décision de la régence de Liége, et que de l’autre on l’aura blâmée ? Non, messieurs, le gouvernement n’en sera pas plus avancé ; car il n’aura que l’opinion individuelle des membres qui auront parlé et point l’opinion de la chambre, puisque l’opinion de la chambre ne peut s’émettre que par un vote.

On l’a déjà dit, nous sommes tous d’accord ; nous voulons le renvoi du mémoire au ministre de l’intérieur, et ce renvoi a pour but de l’inviter à exécuter les lois ; mais si, dans l’application des lois, il se présenter quelques difficultés, c’est au ministre à les lever, et à les lever sous sa responsabilité. L’exécution des lois n’appartient pas à la chambre, qui est une des branches du pouvoirs législatif ; mais au gouvernement, qui est chargé de l’exécution des lois, comme pouvoir exécutif.

Le renvoi au ministre de l’intérieur sera, dit-on, l’approbation de la conduite de ce ministre.

Non, messieurs, la chambre en votant le renvoi du mémoire au ministre, vote l’adoption des conclusions du rapport de la commission des pétitions, mais sans approuver ni désapprouver les motifs qui ont déterminé la commission à les proposer. Dans aucun cas, la chambre, en adoptant les conclusions des commissions, n’a entendu adopter tout ce qui se trouvait dans le discours du rapporteur.

D’après ce que je viens de dire, j’insiste pour que la chambre veuille bien adopter la proposition de M. Gendebien, proposition qui me paraît marquée au coin de la modération et de la sagesse, qui évitera à la chambre une discussion plus ou moins pénible et une grande perte de temps, parce que la discussion ne peut avoir aucun fruit, aucun résultat.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, dans la séance de vendredi dernier, j’ai entendu un honorable représentant déclarer qu’il appuierait le renvoi au ministre avec demande d’explications, et que lorsque les explications auraient été fournies, la discussion s’ouvrirait tout naturellement.

Dans l’opinion de cet honorable député, il devait donc y avoir discussion ; seulement il ne partageait pas l’avis d’un honorable représentant qui prétendait que la discussion devait avoir lieu avant le renvoi au ministre. Je n’ai pas compris non plus qu’il entrât dans la pensée de l’honorable auteur de la motion d’ordre que tout fût consommé par le renvoi, puisqu’il n’a pas demandé que ce renvoi fût pur et simple. Personne n’a paru vouloir, vendredi dernier, qu’aucune discussion ne s’engageât sur les conclusions de la commission des pétitions ; eh bien, messieurs, je crois que le moment de cette discussion est arrivé.

Si l’on veut que le renvoi de la pétition ne soit pas une énigme pour le gouvernement, il faut que la chambre y attache une signification quelconque par une discussion préalable.

Ne croyez pas que le ministère veuille se dégager de la responsabilité de ses actes, ni abdiquer le libre arbitre qui est attribué au gouvernement par la constitution. Le ministre n’a pas consulté la chambre lorsqu’il a invité la députation des états à enjoindre au conseil de régence de surseoir à l’exécution de sa décision ; il n’a pas consulté la chambre avant de donner des instructions au gouverneur pour annuler les élections auxquelles on venait de procéder.

Vous voyez donc, messieurs, que, sous le rapport des principaux actes, le ministère a pris loyalement l’initiative et n’a pas hésité un seul instant ; il n’a point eu l’idée de faire partager la responsabilité de sa conduite par la chambre ; mais il attache du prix à l’adhésion de la chambre, parce qu’il s’agit de faire revenir des hommes honorables que nous croyons n’avoir été qu’égarés, de leur première décision.

La force morale dont les actes du gouvernement seront entourés par la législature, est de nature à produire la plus grande impression sur les honorables citoyens dont nous sommes obligés de censurer les actes administratifs. Voila quelle force le gouvernement croit trouver dans l’adhésion de la chambre.

A quoi bon le renvoi d’une pétition avec demande d’explications, au gouvernement, lorsque déjà le gouvernement a prévenu le vœu de la chambre, lorsque déjà il est entré dans des explications très délicates, et lorsqu’il vous déclare être prêt à compléter les explications dans lesquelles il est entré ? Le renvoi avec demande d’explications serait une superfluité puisque déjà le ministre a donné des explications, puisqu’il est prêt à répondre à tous les scrupules qui lui seront manifestés sous la forme d’interpellations.

Maintenant le ministre vous dit qu’il croira trouver dans le renvoi pur et simple une adhésion à chacun de ses actes : c’est sans doute beaucoup pour un gouvernement de croire qu’il a pour lui le texte des lois ; mais c’est beaucoup aussi pour le gouvernement de croire qu’il trouve une force nouvelle dans l’imposante adhésion de la représentation nationale.

C’est bien moins pour dégager sa responsabilité qu’il demande cette adhésion, que pour se présenter devant les autorités de manière à produire une plus puissante impression sur ceux auxquels il s’adresse ; il ne veut pas rejeter une responsabilité qu’il accepte tout entière, et qu’il a même engagée avant que la chambre ne se fût occupée de la pétition.

M. Gendebien. - Il paraît qu’en un certain point M. le ministre de la justice et moi nous sommes d’accord ; mais sur la question principale nous ne le sommes plus. A la séance de vendredi dernier j’ai fait une motion à peu près de la nature de celle que je fais aujourd’hui ; j’ai été appuyé par plusieurs honorables membres, et la chambre l’a adoptée. Il est vrai qu’il était reconnu qu’en demandant le renvoi au ministre de l’intérieur avec demande d’explications on n’entendait pas interdire toute discussion après que les explications auraient été données. Jusqu’ici je suis parfaitement d’accord avec le ministre de la justice. Les explications sont-elles données ? En veut-on donner d’autres ? C’est au ministre à le déclarer. S’il a donné toutes les explications, que discuterons-nous ? Sans doute une proposition nouvelle ; car votre juridiction a été épuisée sur la proposition de la commission des pétitions. Que la chambre ou le ministre formule donc ma proposition, et alors nous discuterons.

Mais, nous dit-on, il convient que la chambre approuve ce qu’a fait le ministre et ce qu’il se propose de faire ; le ministre nous dit : On a besoin de la force morale que donnera l’adhésion de la chambre.

Si nous prenions au sérieux la proposition ministérielle, les ministres seraient les premiers avant peu de temps à nous contester le pouvoir qu’ils nous accordent aujourd’hui ; car si nous pouvons exercer, par notre force morale sur les magistrats de l’ordre administratif, une influence plus grande que le pouvoir exécutif, en en usant aujourd’hui dans l’intérêt du ministère, nous pourrions demain en user dans un intérêt inverse. Croyez-vous qu’il ne serait pas dangereux, dans la circonstance actuelle, d’exercer cette puissance morale ? Si des membres ont blâmé, il en est d’autres qui pourraient louer la régence de Liége ; que résultera-t-il de là ? C’est que vous mettrez la régence de Liége dans l’alternative de choisir quelle opinion elle doit suivre. Je vous laisse à juger du danger qu’il y a dans votre proposition. Il y a un moyen, un seul moyen d’éviter toutes ces conséquences, c’est de n’agir qu’en vertu des lois.

Si les lois sont insuffisantes, présentez un projet de loi. En attendant la loi communale, faites une loi transitoire. Nous la discuterons. Aujourd’hui vous voulez une discussion à l’effet seulement d’en tirer une force morale ; mais il y a danger à vous accorder ce que vous demandez, c’est véritablement amener l’anarchie que vous paraissez tant craindre. Je suppose que la majorité de la chambre se prononce d’une manière défavorable aux actes qui se sont passés à Liége et que le tiers ou le quart de l’assemblée se prononce d’une manière favorable à ces mêmes actes, quelle sera la règle à suivre par la régence dans le choix de l’opinion qu’elle doit adopter ? Elle pourra compter les voix et elle pourra les peser, car jusqu’ici vous n’avez pas établi de règle pour l’appréciation des opinions de la chambre par les régences.

Ainsi, celle de Liége pourrait bien peser les raisons de la minorité, et les trouver d’un plus grand poids que celle de la majorité ; et voilà l’anarchie. Ce qui arriverait au sujet de la régence de Liége pourrait arriver pour toutes les régences du pays ; vous auriez l’anarchie partout. Vous voyez bien qu’alors même qu’on se donne pour doctrinaires, on cesse d’avoir des doctrines ; on renie ses propres principes dès l’instant qu’on croit pouvoir tirer fruit d’une exception qui fait anomalie complète avec le système que l’on suit depuis si longtemps.

Mon désir est d’éviter la perte du temps et le scandale. Les ministres et leurs adhérents nous ont reproché de perdre du temps, quand nous discutons les questions les plus importantes, au sujet de nos relations extérieures ; et, lorsqu’il s’agit de l’administration intérieure, lorsqu’il s’agit de l’application des lois, on veut nous lancer dans une discussion qui doit, dit-on, imprimer une force morale au gouvernement, mais qui, en réalité, laisse la régence dans la position où elle est, c’est-à-dire, en position de choisir.

Si vous voulez éviter le scandale et l’anarchie, faites une proposition. Ou le gouvernement trouve dans les lois actuelles une règle à appliquer à l’égard de la régence, et alors il n’a pas besoin de nous ; il doit éviter toute discussion parce que déjà on a manifesté de l’irritation. On pourrait porter la régence à persister dans ses résolutions précisément à cause des paroles prononcées dans cette assemblée. Si vous n’avez pas de loi, proposez-en une ; nous discuterons alors sur un objet qui n’est pas de nature à exciter les passions.

Je désire que nous discutions sur quelque chose de positif, et que nous ne donnions ni motif d’irritation, ni motif de scandale. Je me suis acquitté de mon devoir en vous soumettant ces réflexions, c’est à la chambre à s’acquitter de son devoir en écartant toute cause irritante, tout prétexte de scandale.

M. de Theux. - Il s’agit ici d’un point capital, de l’exercice libre du droit de pétition et de l’appui que peuvent obtenir les réclamants lorsque des citoyens dépouillés de fonctions importantes qu’ils ont reçues de la volonté du peuple s’adressent à la chambre.

Quand on réclame l’appui de la chambre, elle a plusieurs questions à examiner : y a-t-il abus ? S’il y a abus et qu’elle reconnaisse que le remède existe dans le pouvoir législatif, ou qu’il existe dans le gouvernement, elle doit prononcer conformément à l’opinion qu’elle partage. Si elle estime qu’il appartient au pouvoir législatif de redresser l’abus, ce n’est pas le renvoi pur et simple qu’elle doit prononcer, elle doit ordonner le dépôt au greffe pour que ses membres examinent la plainte, puissent faire une proposition de loi. Si au contraire elle croit que la pétition rentre dans les attributions du gouvernement, elle doit renvoyer la pétition aux ministres. Si elle a besoin d’explications, elle doit les demander. Ainsi, messieurs, de quelque manière que vous envisagiez les choses, vous ne pouvez éviter de discuter sur la pétition à moins de commettre un déni de justice.

M. Jullien. - Je ne sais pas trop où va la discussion ; il me paraît qu’elle s’égare. Un citoyen vous a présenté une pétition ; sur cette pétition vous avez entendu le rapporteur de la commission spéciale, lequel a conclu au renvoi du mémoire au ministre de l’intérieur avec demande d’explications. Dans nos usages on doit discuter si ce renvoi aura lieu, ou n’aura pas lieu.

On ne renvoie avec demande d’explications que quand le ministre n’est pas là pour les donner ; mais quand le ministre est présent et va au-devant de la demande, je vous avoue qu’alors je ne conçois pas trop quel parti on pourrait tirer de la discussion des conclusions de la commission. La question est donc de savoir maintenant si le ministre de l’intérieur a donné ou non toutes les explications qu’il croit devoir donner.

S’il ne les a pas données, il doit entrer dans tous les détails afin que la chambre soit certaine qu’elle n’a pas besoin de discuter sur la demande en renvoi pour explications ultérieures. Si on est persuadé que ces explications ont été faites, la discussion doit être terminée sur ce point.

Il reste donc à discuter la proposition de M. Rodenbach ou la demande de renvoi sans explications. Mais, dit le gouvernement, vous allez nous placer dans une position singulière : la pétition est infiniment importante, elle intéresse l’ordre public, et le gouvernement désirerait avoir, pour sa direction, connaissance de l’opinion de la chambre.

Je dirai que l’opinion de la chambre, quand elle est débattue, quand l’un dit oui, quand l’autre dit non, n’est jamais une direction pour le ministère. Cependant, à moins qu’il n’y ait une proposition faite, sur quoi voulez-vous que la chambre discute ? Discutera-t-elle sur la question de savoir si la régence a bien ou mal fait de regarder la conduite de M. Dejaer comme une démission ? cela n’aboutirait à rien, ou cela mènerait à des débats animés et sans autre résultat.

Je rends justice à l’esprit de sagesse et de modération qui a dicté le rapport de la commission des pétitions ; mais ce rapport s’arrête au point où la difficulté commence, c’est-à-dire que l'honorable rapporteur, n’ayant pas connaissance des actes ultérieurs de la régence de Liége, n’en a pas fait l’objet de son examen.

La véritable difficulté est cependant celle-ci : Le gouvernement a-t-il ou n’a-t-il pas le pouvoir d’annuler les décisions de la régence de Liége ou de toute autre régence ? Et c’est en vain que vous iriez compromettre le pouvoir pour lui faire prononcer des annulations qui ne se trouveraient pas dans la loi. Dira-t-on qu’en interprétant le sens de l’article 137 de la constitution qui maintient les pouvoirs communaux dans leurs attributions, le gouvernement a droit d’annulation ? Eh bien ! s’il a ce droit, qu’il l’exerce.

Si ce pouvoir n’est pas dans l’article 137, que le gouvernement le dise franchement, et qu’il ne compromette pas l’autorité du Roi contre les doutes légitimes formés par des autorités municipales qui opposeraient de la résistance à un gouvernement qu’il croirait arbitraire. A Liége comme ailleurs quand on viendra avec la loi, on ne rencontrera que respect et soumission. La loi vous paraît-elle claire, usez-en à vos risques et périls ; n’est-elle pas claire, faites une proposition de loi. Si vous pensez que l’on peut discuter bientôt la loi communale, et que la solution de la question agitée puisse être ajournée, restez-en là ; si vous croyez ne pas pouvoir en rester là, faites une loi provisoire.

D’après ce qui s’est passé à Liége, on peut attribuer de la négligence au gouvernement ; depuis trois ans que votre constitution est faite, a-t-on suivi l’article 139 de la constitution qui dit qu’on organise sans délai les pouvoirs provinciaux et communaux ?

On ne serait pas exposé à voir naître l’anarchie dans une des principales villes du royaume, dans une ville où tout le monde désire l’ordre, si on avait obéi à ce que prescrit la loi fondamentale. Tel est le conseil que j’ai à donner au ministre, puisqu’il vient nous en demander un.

M. de Brouckere. M. de Theux a cherché à distinguer les cas où une pétition doit être renvoyée à un ministre, et où on doit l’écarter par l’ordre du jour. Ces distinctions peuvent avoir quelque chose de spécieux, mais elles ne sont pas fondées, et elles n’ont pas le mérite de l’à-propos.

Il s’agit d’une pétition dont l’objet est d’une haute importance : on s’y plaint de la violation de la constitution, de la violation des lois encore en vigueur ; n’en est-ce pas assez pour que la chambre doive se prononcer unanimement pour le renvoi au ministre de l’intérieur ? n’en est-ce pas assez pour qu’aucun d’entre nous ne conçoive l’idée de demander l’ordre du jour sur une pétition dont l’importance est évidente aux yeux de tous ?

Mais, dit le ministre de la justice, si la chambre ne veut pas que le renvoi de la pétition soit une énigme pour le gouvernement, il faut que la chambre s’explique. Je ne connais pour la chambre qu’une seule manière de s’expliquer, c’est par un vote. Eh bien ! où est la proposition sur laquelle nous avons à voter ?

C’est celle du renvoi au ministre. Je n’en connais pas d’autres, et sur cette question, nous sommes unanimes.

Qu’on ne s’y trompe pas, ajoute le ministre, le ministère n’hésite pas ; il a loyalement pris l’initiative ; cependant il tient à avoir l’avis de la chambre. Je le conçois ; car ce serait très commode pour lui ; cela lui ôterait toute espèce de responsabilité. Mais encore une fois, en supposant que la chambre voulût donner l’avis que le ministre demande, comment énoncera-t-elle cet avis ? Par quel vote se prononcera-t-elle ? Où est la proposition sur laquelle elle est appelée à prononcer ? Il n’y a d’autre proposition que celle du renvoi au ministre, et nous sommes tous d’accord sur ce point.

La chambre n’est pas constituée pour donner des avis ; elle est constituée pour voter des lois et non pour répondre à l’appel que fera un ministre pour l’exécution des lois. Le ministre voudrait avoir notre avis : qu’il vienne ainsi de temps en temps nous demander des avis. Quand trouvera-t-il celui de préparer les lois vitales qui nous manquent ? Votez la loi communale dont la nécessité se fera sentir aujourd’hui. C’est le gouvernement qui nous met dans l’impossibilité de délibérer sur les lois que réclame la nation, parce qu’il chercher sans cesse à nous détourner de nos occupations ; il cherche imprudemment à mettre le gouvernement dans la chambre, et il ne tardera pas à s’en repentir.

Je n’ai plus qu’à relever la dernière phrase prononcée par M. le ministre de l'intérieur dans la séance de vendredi : « Au reste, a-t-il dit, le gouvernement croit pouvoir compter, dans cette circonstance, sur le patriotisme et la fermeté de la chambre, et il attendra avec confiance sa décision sur les conclusions du rapport qui vient de lui être présenté. »

C’est sans doute par inadvertance que se sont glissés les mots : « dans cette circonstance, » car la nation sait bien que l’on peut compter dans toutes les circonstances sur le patriotisme de la chambre.

Tout ce que peut désirer le ministre, c’est que nous adoptions les conclusions de la commission ; or, nous sommes prêts à les adopter : que l’on mette donc aux voix le renvoi au ministre, et la chambre sera unanime ; que l’on mette ensuite aux voix la demande d’explications, et je voterai contre, parce que toutes explications ultérieures sont inutiles : c’est au gouvernement à exécuter les lois et à les exécuter dans le sens de la constitution.

M. Devaux. - Je vais tâcher de parler de la motion d’ordre et de ne pas m’égarer. La motion d’ordre qu’on nous a faite est du nombre de celles qui jamais n’ont été présentées dans cette chambre ; c’est la première fois qu’une motion de ce genre vous est soumise. Elle n’est pas autre chose que ceci : la chambre discutera ou ne discutera pas ; c’est une suppression de discussion.

Je conçois qu’une discussion ayant été ouverte, et personne ne se présentant pour parler, on passe au vote ; mais jamais il n’a été proposé de voter sur un objet et de supprimer toute discussion. Je crois au contraire qu’il faut qu’une discussion soit ouverte parce que l’objet est très important, et ici je mets le gouvernement hors de cause.

Ce n’est pas le gouvernement qui nous a saisis de la pétition : c’est un citoyen. Le renvoi sans discussion, ce serait la même chose que si le pétitionnaire avait mis son mémoire dans une boîte aux lettres, et qu’un messager eût reporté le mémoire au ministre. Le devoir du gouvernement est d’obtenir votre intervention directe, précise, formulée quand il s’agit de l’exécution des lois organiques ; notre intervention a une influence morale.

Le renvoi à un ministre, prononcé par nous, ne lie sans doute pas le ministre, mais ce renvoi exerce sa haute influence sur l’administration : voilà l’objet du droit de pétition. Il ne s’est pas encore présenté une occasion aussi importante d’exercer ce droit. Ce n’est pas la responsabilité de quatre ministres qui est en cause, c’est la hiérarchie des pouvoirs : un homme se plaint d’un acte illégal ; vous renverrez sa plainte au ministre sans qu’il trouvât de défenseurs ici : est-ce là le droit de pétition conféré par la constitution ?

Mais sur quoi votera-t-on ? Il y a un rapport, il y a des conclusions. Si la partie du conseil de régence que l’on accuse trouve des défenseurs, ou s’il ne s’en présente pas…

M. de Robaulx. - Il s’en présentera !

M. Devaux. - Eh bien puisque cette partie de la régence trouvera des défenseurs, il importe à cette régence qu’ils soient entendus.

Vous ne pouvez sans violer le règlement, sans violer tous les droits, fermer une discussion qui n’a pas été ouverte. Je conclus donc, messieurs, à l’ouverture de la discussion. Si personne ne se présente pour combattre les conclusions de votre commission, ou pour les appuyer par de nouveaux motifs, la discussion sera close ; mais vous ne pouvez empêcher la discussion d’avoir lieu.

M. Dumortier. - Lorsque j’avais demandé la parole, je me proposais de me réunir à l’opinion de ceux qui demandent qu’il n’y ait pas de discussion. Il me paraissait démontré que le renvoi sans discussion était l’approbation formelle du rapport de la commission des pétitions. Ce que je viens d’entendre fait que je change de manière de voir et que je demande que la discussion s’ouvre.

Lorsque je voulais demander qu’il n’y ait point de discussion, c’est que je regardais l’acte de la régence de Liége comme tellement entachée de nullité, comme violant tellement ce qu’il y a de plus sacré sur la terre en matière de liberté publique, que je ne croyais pas qu’une voix libérale s’élèverait pour défendre de pareils abus ; mais comme j’ai entendu des amis, avec lesquels je vote ordinairement, dire qu’il y a matière à louer la régence, je viens demander qu’on prenne la parole pour justifier cette régence. Et le premier je me présenterai, s’il le faut, sur la brèche pour la blâmer.

On a dit que si le président de la chambre compte les suffrages, la nation pèse les raisonnements donnés de part et d’autre ; c’est une vérité qui n’est pas d’hier. J’ai la confiance de ce que la chambre pèsera les raisonnements déduits par le rapporteur de la commission, et auxquelles je défie qu’on réponde. On a parlé d’anarchie : eh bien ! dans un tel état je la verrais, alors qu’il y a violation de pouvoirs constitutionnels, dans le refus que fera la chambre de donner son appui au gouvernement. Les mêmes motifs qui m’ont déterminé à m’opposer aux abus du pouvoir me détermineront à prêter mon appui au gouvernement quand les abus viendront du pouvoir populaire ; il n’y a rien qui mène plus rapidement au despotisme que les abus du pouvoir populaire.

Si dans une circonstance aussi solennelle, la chambre refusait son adhésion au gouvernement, ce seraient toutes les autorités constitutionnelles qui en souffriraient. Il ne faut pas que l’ordre social soit attaqué ; il faut que les abus soient réprimés, de quelque part qu’ils viennent. Il faut que la nation sache qu’on blâme toutes les autorités, comme on blâme les ministres, lorsque les droits et les principes sont méconnus.

On demande un renvoi pur et simple au ministre : je ne comprends pas, en pareille circonstance, ce que c’est qu’un renvoi pur et simple. Est-ce une pétition que l’on veut faire passer dans le bureau du ministre ? Pourquoi nous l’envoyer ? Nous ne sommes pas un bureau de poste. Le ministre de l’intérieur connaît déjà parfaitement la pétition ; dès lors je m’opposerai au renvoi pur et simple. La chambre s’y opposera sans doute tout entière ; car ce serait un rôle indigne de nous que de nous transformer eu bureau de poste aux lettres.

Demande-t-on des explications ? Je ne puis le concevoir ; le ministre ne peut nous en donner de nouvelles. Qu’est-ce donc que l’on demande. Il ne faut pas s’y méprendre, : le vœu de la commission est très formel : elle demande aux ministres s’ils trouvent les moyens de s’opposer à un acte que vous regardez tous comme non-avenu. Voilà les explications que demande la commission.

Qu’est-ce que le vote de la chambre dans une pareille situation ? C’est l’approbation formelle du rapport de votre commission.

Un orateur a dit : On se plaint de la violation de la constitution, de la violation des lois ; mais on doit craindre aussi de soumettre des infractions aux droits électoraux qui sont écrits dans la constitution. Eh bien, il ne faut pas biaiser dans ces circonstances : que ceux qui ne reconnaissent pas abus de force dans les actes de la régence, qui ne reconnaissent pas que le ministre ait dans les mains les pouvoirs nécessaires pour faire rentrer dans le devoir une autorité qui s’en écarte, que ceux-là votent contre les conclusions de la commission. En renvoyant la pétition au ministre, j’entends par là que le ministre prenne les moyens pour faire rentrer les électeurs dans le devoir. Voilà la seule manière d’envisager la question.

Si on ne vent pas ouvrir de discussion, je le verrai avec peine. On dit qu’une discussion ne pourrait qu’aigrir les esprits sans profit pour l’ordre public ; cependant je désire qu’une discussion s’engage, parce que je crois que les raisons que l’on donnera pour combattre les éloges dispensés à la régence de Liége seront des raisons foudroyantes.

M. A. Rodenbach. - Je partage entièrement l’avis de mon honorable ami le députe de Tournay ; j’approuve les moyens que le gouvernement prendra pour casser les élections de Liége. M. Dejaer a reçu un mandat du peuple…

- Plusieurs voix. - Ce n’est pas là la question !

M. A. Rodenbach. - Laissez-moi parler. La régence n’a pas le droit de lacérer un mandat. Je demande une discussion : qu’elle soit longue si on veut, qu’elle soit de trois ou quatre jours, ne veux pas étouffer les discussions.

Il y a environ deux ans qu’un secrétaire de régence a été destitué ; on est entré alors fort longuement dans le détail des faits, et l’on n’a pas dit qu’il ne fallait pas discuter : puisque l’on a destitué un honorable citoyen, je désire savoir si le gouvernement ne peut plus le réintégrer dans ses fonctions.

- Plusieurs membres. - Ce n’est pas là la question.

(Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1834) M. Gendebien. - Un honorable membre a dit que c’était pour la première fois qu’on faisait une proposition semblable à celle que j’ai eu l’honneur de vous soumettre ; que cette proposition avait pour but de forcer à voter sans discussion. Messieurs, il n’en est pas ainsi. Voici comment j’ai établi ma proposition.

La commission des pétitions a fait un rapport, elle a déposé des conclusions ; la chambre s’est saisie de ces conclusions, et rien que de ces conclusions, qui tendent à un renvoi au ministre de l’intérieur ; dès lors nous sommes d’accord, il n’y a pas lieu à discussion.

En effet, si nous sommes d’accord, sur quoi discuterons-nous ? si, après les explications données par le ministre, il fait une proposition, ou si un membre de cette assemblée en fait une, nous serons appelés à discuter. Mais jusque-là je défie qu’on trouve dans le règlement une disposition qui légitime une discussion.

A quoi bon, dit-on, les explications du ministre de l’intérieur ? Il les a données. Nous demandons des explications pour savoir si les faits sont exacts. Nous savons par les journaux que des abus sont dénoncés ; mais officiellement nous ne savons rien.

Supposons qu’il y ait des abus, j’en reviens à mon dilemme : ou vous avez des lois pour les réprimer, ou vous n’en avez pas. Si vous n’avez pas de lois, proposez-en à la chambre et la chambre discutera ; et elle donnera au gouvernement les moyens de réprimer l’anarchie, si l’anarchie existe réellement.

Il est donc inexact de dire que le renvoi pur et simple ne vaudra pas plus que le renvoi par un messager, puisqu’après ce renvoi la question restera entière et pourra être soumise à la chambre ; au reste, c’est toujours un messager de la chambre qui exécute le renvoi ; ainsi l’observation est peu concluante. Quand il n’y a pas lieu à discuter, je ne vois pas pourquoi on perdrait du temps surtout à faire du scandale.

On vous a parlé de force morale que la chambre pourra exercer ; j’ai démontré qu’il y a plus de danger que d’utilité à établir un pareil antécédent. Sans doute que la chambre ne liera pas le ministre par les explications qu’il donnera ; les membres de la chambre n’ont pas la prétention de lier les ministres quand ils donnent des avis ; mais quand la chambre prononce, c’est autre chose. La chambre ne donne ni avis, ni conseils ; elle vote des lois, et lorsqu’elle se met en rapport avec les ministres, ce ne peut être que pour des lois. Vous ne pouvez donc pas vous prononcer à l’égard de quoi que ce soit pour fixer une règle de conduite au ministre ; car si le ministre ne se trouve pas lié par votre décision, ce serait vous compromettre, ce serait vous manquer à vous-mêmes.

On vous a dit que si vous adoptez ma motion d’ordre, d’honorables citoyens resteront sans défenseurs ; mais la régence de Liége est mise en accusation ; demande-t-elle des défenseurs ? Elle a cru faire un acte qui ressortissait de ses pouvoirs. On s’adresse à la chambre, on fait grand bruit à Liége, et on fait grand bruit ici ; eh bien, puisqu’on a parlé d’accusation, la régence de Liége et M. Dejaer trouveront des défenseurs : mais sur quoi ? sur la proposition dont la chambre sera saisie, conformément au règlement ; sur une proposition formelle, et non sur une conclusion qui ne comporte pas de discussion.

Voulez-vous savoir le moyen d’éviter du scandale, c’est de ne parler ici ni de défenseurs, ni d’accusation. Il ne s’agit ici ni de la régence de Liége, ni de M. Dejaer ; il s’agit ici de savoir si le ministre a les moyens de faire respecter la constitution qu’il dit violée. Que le ministre dise : J’ai pris connaissance de la pétition de M. Dejaer contre la régence de Liége, et les lois me fournissent les moyens de faire rentrer cette régence dans l’ordre ; ou bien, les moyens de faire rentrer dans l’ordre la régence nous manquent.

Dans ce dernier cas, que le ministre, usant de sa prérogative, propose des moyens de répression, s’il ne préfère attendre la loi communale. Mais si quelque membre est plus pressé, il usera de son initiative, et proposera une loi. Nous éviterons néanmoins des discussions qui feront perdre du temps et produiront du scandale. Ainsi, messieurs, je crois m’être pleinement justifié du reproche de vouloir arracher un vote sans discussion.

Voulez-vous connaître l’avis de la chambre, faites une proposition de loi ; la chambre n’a point de vote à émettre, si on ne lui soumet une proposition formelle. Mais la cause réelle de l’embarras du ministère, c’est son impuissance de formuler une proposition précise. Il vogue dans l’incertitude, il n’ose l’avouer ; il veut en sortir, il n’ose proposer les véritables moyens de se soustraire aux conséquences de ses premiers actes.

Quand vous discuteriez pendant trois ou quatre jours, comme le désire un honorable membre, la régence vous dira à la fin : Je ne connais que les lois ; et elle aura raison, car tous nos discours ne peuvent remplacer les lois.

Je n’ai pas dit que la nation pesait les votes ; j’ai dit que la régence de Liége, n’ayant pas de règle pour apprécier vos avis, pourrait aussi bien peser les votes que les compter. Je ne me suis pas arrêté à une trivialité, à une vérité connue depuis longtemps, j’en ai fait l’application à la régence de Liége. Je vous défie de me dire quelle règle la régence aura pour interpréter les paroles prononcées ici. Votre force morale, vous pourrez la compromettre ; car la régence pourra vous dire : Je ne connais que la loi ; je n’exécute que la loi ; et elle aura raison

C’est un précédent dangereux que le ministre a posé aujourd’hui. Il appelle la force morale de la chambre à son secours ; demain la force morale pourra lui être contraire. La violence même est légitime, quand on se met à côté des lois. Le premier devoir que vous impose la constitution, c’est le respect des lois. Toutes les fois que le gouvernement et la chambre voudront agir sur les diverses autorités autrement que par la loi, ils légitimeront tous les moyens de résistance.

Je n’approuve ni ne désapprouve ce que la régence à fait ; ce n’est pas le moment de m’expliquer à cet égard ; je dis ce qui peut arriver. Je défie que vous condamniez la régence de Liége, alors que vous n’aurez à lui opposer que la force morale que vous aurez puisé dans la chambre. Je défie à une cour, à une juridiction quelconque, de condamner la régence de Liége dans l’état de choses actuel, et alors même que vous aurez obtenu le secours de notre force morale, que vous mendiez.

On prétend que ce serait encourager l’anarchie que de ne pas appuyer le gouvernement dans de pareilles circonstances. Je vous ai démontré qu’il n’y aurait ni faiblesse, ni manque à ses devoirs de la part de la chambre, de ne point donner l’appui qu’on demande. L’anarchie n’existe pas à Liége ; tout y est dans l’ordre le plus parfait. Et si un citoyen, que je considère comme un honnête homme quoique je ne connaisse pas, n’avait pas fait tant de bruit ; si les journaux du gouvernement, si les ministres n’avaient pas essayé de stigmatiser une résolution de la régence de Liége sur la publicité, il n’y aurait pas eu la moindre émotion à Liége.

Mais on a commencé par menacer, par injurier la régence de Liége ; dès lors il devait naturellement y avoir combat entre la régence et ceux qui l’injuriaient. Vous connaissez tous le président de cette patriotique régence ; il a siégé au congrès ; il a reconnu, et avec raison à mon avis, dans la constitution, le droit donné aux régences de discuter en public, le droit de rendre compte à chaque instant de leur gestion ; et on a parlé d’abus scandaleux quand il ne s’agissait que de discuter ce droit.

Messieurs, je ne demande pas que toute discussion soit interdite ; mais je demande qu’elle ait lieu sur une proposition formelle ; alors vous verrez si je veux qu’on étouffe les discussions. Alors, qu’on discute avec la franchise qu’on met ordinairement dans cette chambre ; que l’on discute plusieurs jours une loi, si une loi est nécessaire ; mais ne discutons pas actuellement puisqu’aucun résultat n’est possible. La loi serait déjà faite, si vous y aviez consacré le temps que vous avez perdu vendredi et aujourd’hui. La moitié du mal est fait ; je remplis un devoir en cherchant à éviter le scandale qui reste à faire, et qui ne manquera pas si vous insistez.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il se passe ici des choses singulières. Vendredi dernier, on trouvait la question tellement grave, qu’on a demandé que la discussion fût remise à un autre jour, pour s’en occuper avec maturité. Il paraît que depuis deux jours, la question est devenue si peu grave, qu’on discute sur tout excepté sur le fond même de la question.

Voilà la troisième ou la quatrième fois qu’on revient sur une expression qui m’est échappée en qualifiant un acte de la régence de Liége, et on m’adresse de nouveau un reproche à cet égard. En faisant porter cette expression sur un fait autre que celui dont il s’agissait, j’ai qualifié d’abus scandaleux la destitution donné à l’échevin Dejaer ; je ne sais pas comment on pourrait qualifier autrement un tel acte, mais je n’ai pas, comme on le prétend, qualifié ainsi la décision relative à la publicité des séances.

Il est un autre fait sur lequel je me suis déjà expliqué. On a présenté des opinions émises dans des journaux, comme émanant du ministère ou salariées par lui. Plusieurs fois j’ai donné des démentis à cette assertion ; je déclare de nouveau que le gouvernement ne salarie aucun journal, et qu’il n’est pas responsable des opinions émises dans telle ou telle feuille. On devrait bien, ce me semble, lui tenir compte de ses déclarations.

Du reste, si des insultes ont été adressées à l’honorable M. Jamme, je n’en ai aucune connaissance. M. Jamme a été mon collègue ailleurs encore que dans le sein du congrès, et j’ai conservé pour lui personnellement un sentiment d’affection qui m’empêchera toujours d’user à son égard d’expressions qui pourraient être prises pour des insultes. Cependant autre chose est d’apprécier l’homme privé ou l’homme public.

Au surplus, mes paroles n’ont pas porté sur des personnes, mais sur des choses ; nous n’avons pas au reste l’habitude de qualifier d’une manière inconvenante même les actes des individus, et ce reproche s’appliquerait bien mieux à ceux qui veulent ici donner aux autres des leçons d’urbanité et de langage qu’eux-mêmes méritent à chaque instant.

En définitive il me semble que le gouvernement ne peut accepter, sans aucune espèce de discussion, le renvoi pur et simple qui est proposé ; si cela était, je ne concevrais pas pourquoi on n’a pas dès vendredi ordonné ce renvoi. On voulait, disait-on, entourer la décision d’une sorte de solennité ; on trouvait les faits tellement graves, qu’on ne pouvait pas se décider sans une étude approfondie ; on voulait savoir sur quoi on allait voter.

Aujourd’hui, je ne sais si la connaissance qu’on a pu prendre des faits a pu faire changer d’opinion ; mais il paraîtrait qu’il n’y a plus rien à examiner, que l’affaire dont il s’agit est de si peu d’importance qu’elle ne mérite pas même une discussion. Mais on veut éviter une perte de temps !

Je suis obligé ici de repousser encore une accusation : on nous reproche de faire tout ce que nous pouvons pour traîner les discussions en longueur. Il est vrai que j’ai vu le sourire de plusieurs membres accueillir cette étranger accusation. Dans quelles circonstances, en effet, le gouvernement a-t-il essayé de traîner la discussion en longueur ? Un grand nombre de projets de loi, et plusieurs d’une très haute importance, n’ont-ils pas été présentés dans la session actuelle et dans la précédente, au point qu’on a fait au gouvernement le reproche de vouloir surcharger la chambre de travaux ? Loin d’arrêter les discussions et de les traîner en longueur, le ministère est le premier intéressé à ce que la chambre s’occupe sérieusement de tous les travaux dont il l’a saisie.

N’est-ce pas pitié de voir le temps qui se perd, depuis le commencement de la séance, à discuter pour savoir si on discutera ? C’est ainsi qu’après avoir présenté le budget au commencement de la session, c’est-à-dire il y a plus de deux mois, nous sommes arrivés à la fin de janvier sans qu’il soit voté ; et nous restons ainsi dans un provisoire qui doit sans doute nous plaire beaucoup, à entendre certains orateurs.

Je demande pardon à la chambre de cette digression dans laquelle j’ai été entraîné malgré moi ; j’aurais désiré que les orateurs qui ont pris la parole avant moi, au lieu de se retrancher dans des questions accessoires, voulussent bien exprimer leur opinion sur le fond de la question.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - On s’est déjà expliqué plusieurs fois sur ces articles de journaux dont on parle. Il y a des journaux qui attaquent le gouvernement ; il y en a d’autres qui le défendent. Ces derniers ne plaisent pas à certains membres, je le conçois ; quand ces journaux les attaquent, qu’ils répondent dans d’autres. J’ai été calomnié par un journal, j’ai répondu ; qu’ils fassent comme moi et ne viennent pas attaquer la liberté de la presse et les journalistes, qui ne sont pas ici pour leur répondre.

M. Liedts, rapporteur. - La commission a proposé le renvoi au ministre avec demande d’explications. Il paraît qu’on n’est pas bien d’accord sur le sens attaché à cette demande d’explications. Il y a dans le rapport deux choses qu’il faut bien distinguer. Je ne parlerai pas de l’espèce de préambule sur la publicité des séances, ; la commission à ce sujet, a présenté des objections auxquelles elle ne répond pas parce qu’elle n’avait pas à décider la question. Chacun peut avoir sur ce point telle opinion qu’il lui plaît.

Viennent ensuite les deux questions de droit. La première, si les conseils de régence, dans l’état actuel de la législation, peuvent s’attribuer à eux seuls, sans l’intervention du pouvoir supérieur, le droit de recevoir la démission d’un membre du conseil et notamment d’un échevin ; la seconde, en supposant le conseil de régence investi du droit absolu, illimité, de statuer sur une démission offerte par un échevin, si le conseil de régence de Liége a eu à statuer sur une démission et n’a pas prononcé une destitution.

Je serais envieux d’entendre les motifs par lesquels on attaquerait la solution négative donnée par la commission à ces deux propositions.

Après un examen réfléchi et consciencieux, il m’a paru que tout le monde devait se rallier à l’opinion de la commission.

Vient ensuite la dernière phrase du rapport. Après avoir pris des conclusions qui étaient le renvoi au ministre de l’intérieur, la commission a cru devoir ajouter : avec demande d’explications.

Messieurs, sur quel objet portait cette demande d’explications ? Ce n’était pas sur les deux questions de droit, car sur ce point la commission n’attend pas les lumières du ministère ; mais c’était sur la question de savoir si le ministère avait des lois qui le missent à même d’empêcher la régence de mettre à exécution l’arrêté qu’elle avait porté.

Maintenant, M. Gendebien fait une motion d’ordre tendante à ce que la discussion sur le fond ne s’engage qu’après que les explications auront été données. Vous voyez que ces explications se bornent à savoir si la législation actuelle donne au gouvernement des moyens de répression applicables au mal actuel. Que le ministère s’explique sur ce point. Quand il se sera expliqué, nous examinerons si nous trouvons convenable de proposer un projet de loi s’il n’en existe pas ; si au contraire il en existe, nous n’en proposerons pas.

M. Gendebien dit ensuite : Ou il existe une loi ou il n’en existe pas : s’il en existe une, que le ministère l’exécute, s’il n’en existe pas, qu’il nous en propose une.

L’honorable orateur oublie que chaque membre peut, comme le gouvernement, exercer ici le droit d’initiative ; pour qu’on puisse exercer ce droit, il faut auparavant que le gouvernement s’explique. Je déclare que si, après ces explications, il s’élève des doutes sur l’applicabilité des lois existantes, et qu’un membre fasse une proposition, je serai le premier à m’associer à ce projet de loi applicable pour l’avenir. Je ne serais pas en désaccord avec mes principes si je présentais un projet de loi pour empêcher que de semblables abus ne se renouvellent.

Je demande donc que le ministre donne les explications demandées par la commission.

M. Pirson. - Je demande la parole pour un fait personnel. Et moi aussi je suis un homme scandaleux. Je viens vous dire mon mea culpa. Lorsqu’il s’est agi des 24 désastreux articles, j’ai, soi-disant, commis un scandale. Je ne sais si c’est à cette circonstance que M. le rapporteur a fait allusion dans son rapport.

Il aurait pu s’en dispenser. Que voulais-je alors ? Je ne voulais pas qu’on traitât de la nation en l’absence de la nation ; je voulait qu’elle nous entendît, et sinon, que nos tribunes n’étaient pas assez larges ; j’aurais voulu que la nation tout entière fût assemblée pour nous voir.

J’ai dit que M. Dejaer avait fait du scandale ; mais pourquoi ? parce qu’il a voulu empêcher la publicité. Je n’irai pas plus loin quant au fond. Il y a une motion d’ordre. Je soutiens qu’aussi longtemps que le ministre n’aura pas dit qu’il a besoin d’une loi, nous n’avons pas à délibérer. S’il dit qu’il a tous les moyens d’action qui lui sont nécessaires, nous n’avons rien à faire. S’il nous dit qu’il ne trouve pas dans la législation de moyens pour terminer le différend, alors nous délibérerons sur une proposition qu’il présentera, ou qu’un membre déposera.

M. Liedts, rapporteur. - L’honorable préopinant a tort, s’il a pris pour un fait personnel ce qu’il y a dans mon rapport ; ce sont des expressions générales que M. Pirson n’a aucun droit de s’appliquer. Je dirai même que les hypothèses, les suppositions que je fais portent sur des choses et non sur des personnes. J’espère que cette explication satisfera M. Pirson.

M. Milcamps. - Messieurs, votre commission des pétitions a émis l’opinion que la régence de Liége, en s’arrogeant le droit exclusif d’accepter la démission d’un échevin, et prononçant, par une mauvaise appréciation des lettres du sieur Dejaer, sa destitution, avait commis un double excès de pouvoir : c’est bien vous dire que cette régence a franchi toutes les limites.

Maintenant, par le renvoi pur et simple de la pétition, la chambre est-elle censée approuver et l’opinion et les conclusions de la commission des pétitions ?

S’il en est ainsi, le renvoi par la chambre de la pétition est évidemment un reproche fait à la conduite de la régence de Liége. Si au contraire la chambre n’est censée approuver que la conclusion, je ne puis que répéter ce que vient de vous dire l’honorable M. Devaux, que la chambre ne serait qu’une poste par l’intermédiaire de laquelle les pétitions arrivent au ministre.

Maintenant que le ministre par ses explications vous a fait connaître que la régence de Liége résiste ; lorsque vous êtes convaincus que sa résistance n’est pas un besoin ; lorsque vous êtes convaincus que cette résistance contrarie la hiérarchie des pouvoirs, blesse l’ordre public, je dire plus : Lorsque j’entends quelques orateurs avancer en quelque sorte que les lois sont impuissantes pour réprimer l’acte qui prive un élu du peuple de ses fonctions, la chambre ne peut se montrer indifférente ; elle doit avoir à cœur le maintien des pouvoirs ; elle doit éclairer, aider le gouvernement pour atteindre ce but.

Il ne s’agit pas ici d’actes ordinaires ; la chambre doit donc à mon avis, non pas juger, mais exprimer l’opinion qu’il y a eu excès de pouvoir dans l’acte de la régence de Liége, et qu’il est nécessaire que le gouvernement prenne des mesures pour réprimer de pareils excès de pouvoir. S’il n’en était pas ainsi, votre commission se serait donné une peine bien singulière de démontrer ces excès ; elle ne serait pas même certaine que son opinion serait approuvée par la chambre.

M. Trentesaux. - Messieurs je propose de substituer aux conclusions de la commission les conclusions suivantes : je demande que la chambre ordonne le dépôt au bureau des renseignements et le renvoi au ministre de l’intérieur pour faire exécuter les lois.

Je crois que cette formule pourrait satisfaire tout le monde et ceux qui veulent que la chambre donne à la pétition une certaine faveur, et ceux qui veulent qu’il ne préjuge rien. Le dépôt au bureau des renseignements, c’est pour faire connaître que la chambre a trouvé la chose assez importante pour qu’elle puisse devenu l’objet d’une proposition de la part d’un membre. Le renvoi au ministre, pour qu’il donne des explications.

Il a dit qu’il les avait données ! Mais dans ces explications il y a un futur ; il a dit : Le gouvernement fera telle chose, nous ne pourrons apprécier le mérite des explications que quand le futur aura été accompli ; nous pourrons seulement alors voir ce qu’il pourra y avoir à faire.

J’ai donc justifié la double mesure que je propose : le dépôt au bureau des renseignements comme marque de faveur de la part de la chambre et le renvoi au ministre de l’intérieur pour faire exécuter les lois. On n’a pas voulu et on ne pouvait pas vouloir autre chose.

Je dépose donc ma proposition entre les mains de M. le président. Je vous prie de remarquer que rien n’est précisé ; le ministre exécutera les lois sous sa responsabilité, et quand il les aura exécutées, il vous en rendra compte.

M. Jullien. - Je demande la parole pour faire une simple observation. D’après ce que vient de dire le préopinant, il m’a semblé qu’il posait en fait ce qui est en question, savoir que le ministre avait donné les explications demandées, tandis que vous venez d’entendre M. le rapporteur demander de nouveau à M. le ministre de l'intérieur, d’après les intentions de la commission, si le gouvernement avait ou n’avait pas des lois d’après lesquelles il pût annuler, s’il le jugeait à propos, les décisions de la régence de Liége. Aussi longtemps que M. le ministre n’aura pas donné ces explications, nous ne serons pas satisfaits.

S’il nous déclare qu’il a dans la législation des moyens suffisants pour réprimer l’abus, s’il y a abus, nous n’avons rien à faire ; notre mission est épuisée par le renvoi de la pétition. Si, au contraire, il déclare que la législation est insuffisante, alors seulement il y aura lieu de voter sur la proposition de M. Trentesaux, qui pourra répondre au vœu de l’assemblée. En ordonnant le dépôt de la pétition au bureau des renseignements, chacun de nous, si le gouvernement est disposé à dormir encore trois ans sur l’organisation communale et provinciale, chacun de nous, dis-je, pourra la consulter et prendre l’initiative d’une loi transitoire. Ces débats doivent finir ; voilà deux heures que nous discutons si la discussion s’ouvrira.

Nous attendons que M. le ministre nous donne des explications.

M. Devaux. Ce que vient de dire l’honorable préopinant prouve que nous devons rejeter la motion d’ordre, et ouvrir la discussion ; il est impossible de renvoyer au ministre une pétition de cette importance, sans qu’auparavant une discussion ait eu lieu sur le fond. Je demande donc que la motion d’ordre soit rejetée et que la discussion soit ouverte.

M. Gendebien. - Une interpellation a été adressée au ministre ; on ne peut pas ouvrir une discussion avant qu’il n’y ait répondu. De deux choses l’une : ou il existe des lois, ou il n’en existe pas. S’il existe des lois suffisantes pour réprimer ce qu’on considère comme un abus de pouvoir, nous sommes parfaitement tranquilles ; il ne s’agit plus que d’exécuter les lois. Si au contraire il n’y a pas de lois, dites-le, et présentez un projet de loi ou la chambre prendra l’initiative. Vous voyez donc que les explications sont insuffisantes et que l’interpellation est pertinente.

Sans cela, sur quoi voulez-vous discuter ? sur la question de savoir s’il y a des lois ou s’il n’y en a pas, si la régence a bien ou mal fait ? Ce n’est pas pour examiner s’il y a des lois ou pour les exécuter que vos commettants vous ont envoyés ici, mais pour en faire.

Que le ministre nous dise donc s’il a des lois ou s’il est dans l’impuissance de réprimer ce qu’on regarde comme un abus ; sans cela, nous allons perdre notre temps en discussions inutiles. Nous ne pouvons discuter utilement sur la question de savoir si nous avons des lois à faire ou non, car cela n’amènera aucun résultat. Si le ministère en a, soyons tranquilles sur leur exécution ; les ministres sont responsables. Il ne nous reste plus rien à faire. Les ministres voudraient faire peser une partie de leur responsabilité sur la chambre. (Aux voix ! Aux voix !)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Quand la chambre aura voté sur la motion d’ordre, je donnerai des éclaircissements à la chambre.

- Un grand nombre de membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Gendebien. - Je demande la parole.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! aux voix !

M. Gendebien. - Je demande la parole pour faire une nouvelle motion d’ordre. D’après ce que vient de dire M. le ministre, qu’il donnerait des éclaircissements sur la motion d’ordre que j’ai faite, quand la chambre aurait voté sur cette motion, elle devient inutile et je la retire. Ma motion n’avait pour but que d’obtenir les éclaircissements qu’on vient de nous promettre.

M. le président. - La discussion est ouverte sur le fond. (Silence.)

M. Fleussu. - Puisque personne ne prend la parole, je la demande. M. le rapporteur a adressé une interpellation à M. le ministre ; je voudrais bien qu’il lui répondît.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je dois répéter que le gouvernement croit trouver dans les lois existantes, dans la constitution, les moyens de faire cesser les abus dont il s’agit. Je ne réponds pas toutefois qu’il ne puisse tomber dans la tête de quelques magistrats d’y résister.

Le gouvernement voit la légitimité de son intervention dans l’article 137 de la constitution qui a maintenu les autorités provinciales et locales dans leurs attributions, mais dans leurs attributions telles qu’elles résultent des statuts locaux et provinciaux, ni plus ni moins étendues, telles qu’elles existaient dans ces règlements, avec les mêmes conditions et limites.

Voilà pour ce qui concerne l’annulation des décisions du conseil de régence. A cet égard, vous observerez, messieurs, que le conseil partage la manière de voir du gouvernement, puisque, dans la séance du 14 janvier, il a déclaré surseoir à l’exécution de sa décision prise précédemment et se soumettre à l’injonction de la députation des états. C’est aujourd’hui le collège des bourgmestre et échevins qui se met en rébellion administrative contre la députation des états et contre le conseil de régence, dont il n’est que le pouvoir exécutif, et dont il doit se borner à exécuter les actes, sans discussion ni résistance.

Quant à l’annulation des élections, il y a un article formel dans l’arrêté-loi de 1830 qui charge les gouverneurs de provinces d’annuler les opérations électorales pour irrégularités graves. Aux yeux du gouvernement, avoir procédé à l’élection de trois échevins, alors que deux places seulement étaient vacantes, et l’avoir fait en contravention formelle à la décision du conseil, constitue un acte radicalement nul, et l’annulation doit être prononcée par le gouverneur agissant dans ses attributions.

Voilà ce que le gouvernement a à dire sur les dispositions légales applicables aux faits qui nous occupent.

Il serait heureux que sa manière de voir fût partagée par l’assemblée.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Dans les circonstances particulières où s’est trouvé le gouvernement provisoire, il a été dans la nécessité de prendre une décision qui changeait le mode de nomination des magistrats municipaux. Ce mode n’a été établi que provisoirement, et on a été obligé de le faire à cause des nombreuses réclamations qui arrivaient au gouvernement provisoire. C’est de là que vient l’espèce d’imbroglio où se trouve l’administration ; c’est une circonstance difficile, qui n’est le fait du ministère actuel : il demande l’appui de la chambre : c’est assez naturel ; je ne vois pas comment elle pourrait refuser.

M. de Brouckere. - Le ministre vient de nous mettre à notre aise. Il vient de dire que l’acte du collège des bourgmestre et échevins était irrégulier, et qu’il avait en main les moyens de réparer cette irrégularité ; que les lois lui fournissaient les moyens. Je lui demanderai alors : Que voulez-vous de plus ? Si vous êtes armé de lois suffisantes pour réparer le mal que vous prétendez avoir été fait, exécutez ces lois, personne ne vous en empêche, mais personne non plus n’a d’avis à vous donner sur la manière dont vous devez les exécuter ; c’est sous votre responsabilité que vous devez exécuter les lois dont vous parler.

Je vais renouveler une observation que j’ai faite, et qui est autant dans l’intérêt du gouvernement que dans l’intérêt de la chambre. Je prie le ministère de ne pas insister davantage pour avoir l’avis de la chambre : s’il persiste, je prédis au gouvernement qu’avant peu de temps la chambre lui donnera son appui sans qu’il le lui demande. La chambre, forte de ce précédent s’immiscera dans tous les actes de l’administration. et les ministre en arriveront à ce point de ne plus pouvoir marcher sans l’assentiment de la chambre pour tous les actes qui sont dans leurs attributions. Je désire que le gouvernement songe à la position critique où il se placera s’il insiste pour obtenir un appui dont il n’a pas besoin.

M. Pirson. - Le ministre réclame aujourd’hui la force morale que la chambre peut lui donner. Dans un autre lieu, j’avais voulu lui faire des observations ; il m’a repoussé assez brusquement en disant qu’il n’avait pas besoin du secours du pouvoir législatif, qu’il trouvait dans les lois tous les moyens dont il avait besoin. Je me suis retiré. Maintenant il vient sollicité votre appui. Si les moyens sur lesquels il comptait sont insuffisants, qu’il fasse une proposition, alors vous délibérerez.

Quant à la force morale qu’il espère tirer d’opinions émises dans la discussion, je ne la comprends pas ; on ne peut rien conclure dés discours prononcés, si la chambre n’a pas exprimé son opinion par un vote positif ; car de ce que six ou sept membres auront exprimé sur les faits telle ou telle opinion, il n’en résultera pas que vous connaîtrez l’opinion de la chambre et que vous pourrez vous en appuyer : vous ne pourrez pas savoir laquelle des opinions émises partagent les membres qui n’auront pas parlé.

Pour que la chambre puisse exprimer son opinion, il faut donc qu’elle soit saisie d’une proposition, soit par un membre, soit par le gouvernement.

M. Legrelle. - J’ai demande la parole pour me prononcer en faveur de la légitimité des réclamations de l’honorable M. Dejaer et pour déplorer le spectacle qu’une fraction de la régence de Liége offre à nos regards. En réfléchissant, messieurs, sur les conséquences graves qui peuvent résulter de cette conduite, et en remontant surtout à ses causes, je ne puis m’empêcher de la blâmer sévèrement.

Alors que je considère l’alliance hétérogène de deux opinions diamétralement opposées, sympathisant un moment ensemble pour soutenir un abus de pouvoir, je suis frappé de cette vérité, qu’il ne reste plus aux ennemis de l’état de choses actuel qu’un seul moyen, soit pour déployer sur la Belgique l’étendard de la propagande républicaine, soit pour la faire rentrer sous une domination devenue étrangère pour elle, et ce moyen, messieurs, c’est d’irriter les passions sous prétexte d’une fausse liberté, c’est de tromper les esprits, en les révoltant contre ceux qui défendent, qui protègent la véritable liberté. Mais ce secret est trop connu pour que la nation s’y laisse prendre : elle sait, la nation, que les désordres et les excès sont les plus grands fléaux qui puissent nous atteindre ; que tout ce qui s’écarte de l’ordre et des lois conduit à l’anarchie ; et que l’anarchie détruit totalement la liberté.

Les faits qui se sont passés à Liége, loin d’être une conséquence des franchises communales, peuvent avoir le plus funeste résultat sur ces mêmes franchises. Heureusement les chambres ne sacrifieront par des biens réels à des systèmes trompeurs ; d’ailleurs le système monarchique est devenu parmi nous le système populaire ; le Roi et la liberté sont inséparables en Belgique, et nous les défendrons au besoin avec le même courage. Nous savons que l’affaiblissement de l’autorité ne serait pas moins funeste que son abus, et que le Prince…

M. de Robaulx. - Si on fait intervenir ici la personne du Roi, je le ferai aussi et je l’attaquerai. (Agitation.)

- Plusieurs membres. - Dites le pouvoir royal.

M. Legrelle, reprenant. - Le pouvoir royal serait en péril, s’il fléchissait devant la volonté de la minorité d’une administration communale obstinément erronée ; nous savons enfin que les ministres violeraient leur mandat, s’ils abandonnaient une partie des droits du gouvernement ; espérons qu’ils rempliront mieux leurs devoirs, et que la chambre tout entière leur prêtera, au besoin, force et appui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je dois avouer que je ne m’attendais pas que, dans une question qu’on a reconnue grave, on aurait recours à de véritables subtilités.

On vient d’insister pour savoir les moyens que le gouvernement entend employer ; le gouvernement les expose, non sans quelque résistance, et aussitôt qu’il les a exposés, on vient lui faire un reproche de renoncer à ses prérogatives, de faire intervenir la chambre dans l’administration, et on le menace de voir, à l’avenir, la chambre intervenir malgré lui toujours et en tout point.

Je dois faire observer à M. de Brouckere qu’il se met en contradiction, en ce point, avec un honorable membre qui siège un peu au-dessous de lui.

Je ferai observer aussi que ce n’est pas le gouvernement qui a saisi la chambre de la question dont elle s’occupe en ce moment ; la chambre est saisie par M. Dejaer. Lorsque ce citoyen s’est adressé au gouvernement, le gouvernement lui a fait justice en ce qui le concerne ; c’est à la chambre à savoir ce qu’elle veut faire de la plainte qui lui a été adressée. Le gouvernement n’est pas venu, comme on vous le dit, demander secours à la chambre. On a demandé au gouvernement de déclarer les moyens qu’il comptait employer ; le gouvernement, en exposant ses vues, a dit qu’il verrait avec plaisir l’assemblée les partager ; mais jamais on ne nous verra abaisser les prérogatives du pouvoir exécutif devant la chambre.

M. Ernst. - Messieurs, je n’avais demandé la parole que pour répondre deux mots au ministre qui paraît s’être mépris sur les intentions de mon honorable ami M. Henri de Brouckere. C’est à tort qu’il a prétendu que M. de Brouckere s’était mis en contradiction avec un autre membre qui siège au-dessus de moi.

M. de Brouckere, après les explications données par le ministre, a dit : Maintenant le gouvernement doit être satisfait, puisqu’il a à sa disposition des moyens d’action suffisants ; il n’a plus à demander l’avis de la chambre, et je l’engage à ne pas insister pour l’obtenir, parce que, dans d’autres circonstances, cet appui moral qu’il sollicite aujourd’hui tournerait à son détriment ; et c’est autant dans l’intérêt du gouvernement que dans celui de la chambre que je fais cette observation.

M. Gendebien, avec qui le ministre prétend que M. de Brouckere s’est mis en contradiction, a demandé des explications, non pas pour que la chambre se prononce sur le mérite des moyens que le gouvernement peut avoir entre les mains, mais pour que le gouvernement dise : J’ai ou je n’ai pas des moyens suffisants. Si le gouvernement avait dit que les moyens lui manquaient, nous aurions vu ce qu’il convenait de faire.

Je ne veux pas répondre à ce qu’a dit le député d’Anvers. Nous ne voulons pas placer la discussion sur un terrain qui nous conduirait à des questions de personnes ; nous voulons que l’ordre et la gravité de notre délibération exercent une heureuse influence dans une ville où je désirerais voir plus d’harmonie. Si je vois que la discussion s’ouvre sur la question de principe, j’y prendrai part, j’en prends l’engagement.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois que l’honorable préopinant a parfaitement qualifié la discussion. Il ne s’agit ni d’une question de personnes, ni d’une question de parti, mais d’une question de principes.

Le gouvernement vous a exposé sa manière de voir sur les moyens qu’il croit trouver dans la constitution et dans les lois, pour réprimer ce qu’il a cru pouvoir qualifier d’abus. Mais il n’a pas la prétention d’être infaillible, et déjà les bases sur lesquelles repose l’opinion du gouvernement ont été attaquées dans cette enceinte.

Le gouvernement est disposé à accueillir avec un égal empressement les lumières qui pourront jaillir de la discussion de quelque part qu’elles viennent : celles qui tendraient à confirmer l’opinion du ministère, comme elles qui lui prouveraient qu’il se trompe ; c’est-à-dire qu’il ne donne pas à l’article 137 de la constitution le sens que cet article comporte, qu’il ne donne pas à l’arrêté-loi du 8 octobre 1830 son véritable sens. Il suffit, pour que le gouvernement reconnaisse le besoin d’appeler les lumières de la discussion, qu’il se manifeste une divergence d’opinions dans cette assemblée. Si quelques honorables membres pensent qu’ils peuvent justifier la conduite de la régence de Liége et même aller jusqu’à en faire l’apologie ; si cette proposition était démontrée d’une manière logique et lumineuse, le gouvernement examinerait s’il n’a pas donné une signification erronée aux textes que je viens de rappeler.

Voilà pourquoi, alors que le gouvernement n’a pas hésité à agir dès le premier moment, et dans l’hypothèse de nouvelles résistances qu’il doit prévoir ; voilà pourquoi, dis-je, il lui importe de s’entourer de toutes les lumières possibles.

Si un honorable membre justifie la proposition qu’il a énoncée, à savoir que la régence de Liége n’a pas outrepassé ses pouvoirs, et que, loin de mériter du blâme, elle mérite des éloges, le gouvernement méditera les raisons qui auront été données. L’opinion du gouvernement est fondée sur l’étude des dispositions qu’il a citées ; mais cette opinion n’est pas de l’obstination : elle ne va pas jusqu’à la présomption de croire à l’impossibilité de revenir sur la décision qu’il a prise, quelles que soient les lumières nouvelles qu’on pourrait jeter sur la question.

C’est pour que cette pétition subisse le sort de toutes les pétitions renfermant une question d’intérêt général, qu’il a demandé qu’on ne se bornât pas à un simple renvoi, qui serait insignifiant. D’après les intentions manifestées par d’honorables membres, le gouvernement a droit de demander qu’on justifie la proposition énoncée. Si elle est justifiée d’une manière aussi positive qu’elle a été énoncée, le gouvernement délibérera avant de passer à de nouveaux actes.

M. de Robaulx. - Je suis peu disposé à entrer dans une discussion à laquelle je ne suis pas préparé. Je quitte le fauteuil, non un fauteuil de présidence pour voler au secours de mes amis, mais un fauteuil de douleur sur lequel j’étais retenu depuis trois semaines, pour venir défendre la régence de Liége, quand cette ville est abandonnée, que dis-je ? quand elle est attaquée par ses enfants ingrats qui lui doivent d’être sortis de leur obscurité native, quand le sentiment de reconnaissance manque à ceux dont Liége a été le berceau.

Je ne suis pas né à Liége, mais j’ai habité quatorze ans cette ville et n’oublierai jamais la manière dont elle m’a reçu. Je suis heureux d’avoir l’occasion de lui payer en public le tribut de ma gratitude. C’est pourquoi je viens élever la voix en faveur de ses honorables magistrats municipaux. (Mouvement.)

Quelle que soit l’impression que produisent mes paroles sur les personnes avec lesquelles je n’ai pas l’habitude de voter, je déclare que j’exercerai la plénitude de mon mandat, sans crainte et sans peur.

Avant d’entrer dans la discussion des faits, je voudrais être fixé sur un point qui me met dans une étrange perplexité. S’agit-il de blâmer ou d’approuver la régence de Liége ? Si c’est là la question dont il s’agit, quel que soit le peu de préparation que j’aie pu faire à l’instant, j’aborderai la discussion sur de simples notes recueillies dans le cours de la séance. Ou bien s’agit-il seulement de simuler ici un combat de coqs (la chambre me pardonnera cette comparaison puisqu’elle a permis à un ministre de la comparer à une volière) ; veut-on, dis-je, exciter les champions pour et contre dans le but unique de connaître les ergots de chacun de nous ? Oh ! je le demande, est-il bien de la dignité du gouvernement de dire : Messieurs, nous avons entre nos mains tous les moyens d’action possibles ; les lois sont assez fortes, pour faire rentrer la régence de Liège dans ses attributions et ses devoirs qu’elle a scandaleusement oubliés.

Cependant, nous qui avons déclaré que nous ne recevrions de conseil de la chambre dans aucune occasion, qui toutes les fois qu’on nous a accusés de violer la constitution, et de sortir du cercle de nos attributions, avons répondu : Ce n’est pas à vous à nous apprendre à exécuter les lois, nous savons les interpréter aussi bien que qui que ce soit ; cependant, nous ne serions pas fâchés de savoir ce que vous pensez de la manière dont nous voulons nous conduire, de savoir si vous partagez notre opinion sur ces lois.

Comment-se fait-il donc, quand vous proclamez l’existence de lois si claires et si positives, que les choses se trouvent tout à coup enveloppées d’une espèce de brouillard qui ne vous permet plus de rien de distinguer ?

Comment se fait-il que la chambre soit saisie de cette discussion ? Un individu, que je ne connais pas, M. Dejaer, se plaint du prétendu excès de pouvoir commis à son égard parce qu’il a été déclaré démissionnaires ; il présente force pétitions, fait grand bruit : pétition au sénat, pétition à la chambre des représentants, pétition aux ministres ; il frappe à toutes les portes. Rapport est fait au sénat en présence des ministres ; l’accueil est unanime, les qualifications injurieuses ne manquent pas contre le pouvoir municipal de Liége ; on déclare reconnu que la régence de Liége a excédé ses pouvoirs ; le ministère répond : Je ne faillirai pas, l’appui du gouvernement ne manquera pas au droit méconnu du pétitionnaire ; nous avons entendu vos vœux, nous saurons les mettre à exécution.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) fait un mouvement.

M. de Robaulx. - N’est-ce pas exact ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je vous répondrai.

M. de Robaulx. - Vous m’interrompez, j’ai le droit de vous en demander le motif.

Vous avez dit que vous reconnaissiez l’opinion unanime qui dominait dans le sénat, que vous aviez les moyens de la satisfaire, et que vous alliez les employer ?

Eh bien, qu’est-il arrivé ? Le ministère jusqu’alors n’avait pas besoin de la chambre des représentants.

Il a envoyé sur les lieux des agents, des amis officieux. La régence a été convoquée, et d’après ce que j’ai vu, une séance a lieu greffée sur une autre, on annule des procès-verbaux, la régence décide le contraire de ce qu’elle avait décidé précédemment ; de manière qu’il y a en quelque sorte deux régences à Liége.

Et soit dit en passant, quand le gouvernement voudra agir comme il semble l’annoncer, il lui sera bien difficile de savoir quand il sera d’accord avec un conseil qui décide le pour et le contre.

Depuis ces événements, le gouvernement qui avait déjà connaissance de toutes les lois et règlements sur la matière, qui avait ses armes prêtes en un mot, a voulu en faire usage ; mais ses armes se sont émoussées, il n’a pas obtenu le résultat qu’il s’était promis. Jusqu’à présent je ne loue ni ne blâme, je narre des faits. Le conseil de régence crut de sa dignité de ne pas reconnaître une intervention qu’elle ne juge pas légitime. Une élection a eu lieu, et les électeurs (à peu prés la totalité des électeurs sont venus prendre part à l’élection) ont confirme ainsi implicitement ce que leurs magistrats avaient décidé.

Aujourd’hui, messieurs, il ne s’agit plus seulement de détruire les premiers actes. Il paraît que la tâche devient plus difficile. Aussi, seulement à présent le ministère, à l’occasion de la pétition de M. Dejaer, se présente, et voici dans quelles circonstances.

La commission des pétitions fait son rapport et prend des conclusions tendant au renvoi au ministre de l’intérieur avec demande d’explications.

Le ministre est à son banc, il se lève, donne des explications et nous répond que les lois seront exécutées. Tout est dit ; les explications que le ministre nous a données consistent en ceci : J’ai des armes en main, je les trouve dans la législation, et ma ferme volonté est de m’en servir. Cependant il est quelque chose qui me gène, c’est l’interprétation. Je sais que les lois sont très claires, elles me paraissent telles ; cependant il peut y avoir du doute, car des orateurs paraissent ne pas partager mes convictions.

Dès lors, M. Gendebien répond : est-ce à nous à vous donner des conseils, à vous dire comment vous devez exécuter les lois ? exécutez-les sous votre responsabilité. M. Gendebien aurait pu dire : Si vous ne vous sentez ni assez de capacité pour apprécier les lois, ni assez de force pour les faire exécuter, retirez-vous, faites place à des hommes plus capables. Il aurait même dû ajouter : Vous devez d’autant plus prendre ce parti, qu’au moment où vous doutiez de votre opinion et de vous-même, la régence de Liége est décidée à maintenir ce qu’elle regarde comme son droit. Mais il peut arriver que les choses deviennent plus graves. Que ferez-vous si malheureusement un conflit s’élève entre le gouvernement et la régence ? qu’arrivera-t-il à cette rébellion que vous avez à peine osé qualifier continue ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je l’ai qualifiée de rébellion administrative.

M. de Robaulx. - Administrative, c’est le lénitif. Cette rébellion serait un grand scandale administratif, ce serait une anarchie. Eh bien, quel serait le résultat de ce scandale administratif ? Le ministère viendra, il nous dira : Dans la discussion qui a eu lieu le 20 janvier, nous avions bien craint qu’on n’entendît pas les lois comme nous à Liége (c’est en effet, messieurs, une ville où il ne manque pas de bonnes têtes ; car lors de la révolution tous les hommes d’énergie, toutes les fortes têtes de Liége ne sont pas venues à Bruxelles, il y en est resté). Liége, dira le ministre, se trouve dans une anarchie administrative complète.

Enfin, il criera au scandale, et dira : Ce n’est pas à nous qu’il faut vous en prendre, puisque nous avons suivi l’impulsion, l’opinion des chambres. La responsabilité tombe sur elles.

Aujourd’hui, la commission ne nous demande pas formellement de blâmer ou d’approuver.

Je le déclare positivement, si c’était là ce qu’on nous demandait, je dirais : J’approuve, et je prouverais que c’est avec raison. Mais le ministère, plus prudent, veut une adhésion. M. Lebeau dit modestement qu’il n’a pas la prétention d’être infaillible ; nous le savons bien. Il ajoute : Nous vous avons assez prouvé que nous avions des doutes. Il est vrai que nous avons fait des pantalonnades au sénat, que nous avons annoncé que tout allait au gré de nos vœux ; mais maintenant les liens sont rompus entre l’administration locale et le gouvernement ; nous venons vous demander les moyens de mettre fin au scandale.

Et nous de dire : Il n’y avait donc pas dans les lois des moyens suffisants pour faire rentrer la régence de Liége dans ce que vous appelez les limites de ses attributions. C’est donc manque d’énergie ou incapacité de votre part. Si, comme vous l’avez dit, vous aviez la volonté d’agir, et si la loi était assez forte et assez claire pour vous fournir des armes, servez-vous-en pour faire tomber vos ennemis ; vous avez en main le pouvoir exécutif, vous pouvez disposer même de tous les sbires de M. François. Agissez donc.

Si vous voulez vous appuyer sur les inductions, les conseils que vous pouvez tirer des discours prononcés ici, eh bien, des orateurs ministériels vous ont indiqué la marche, vous ont dit de montrer de l’énergie, parce qu’on trouvera certains hommes toujours portés à applaudir aux mesures que pourra prendre le ministère.

Mais quelques orateurs seulement ont parlé ; vous ne pouvez pas deviner quelle peut être la pensée de ceux qui n’ont pas pris la parole, et en vous conduisant d’après les opinions émises, vous vous exposez à suivre une impulsion condamnée par une partie de l’assemblée.

Pour moi l’insuffisance des lois m’est démontrée, et nous pourrions réfuter victorieusement les arguments présentés dans le rapport, quoique M. le rapporteur ait osé dire que personne n’y répondrait.

Le ministère dans son doute voudrait déverser sa responsabilité sur la chambre. Est-ce ainsi qu’il entend le gouvernement ? Je le répète aux ministres : Si vous vous sentez capables d’interpréter les lois, faites-le sous votre responsabilité ; si vous trouvez que les lois sont suffisantes, exécutez-les. Si au contraire, vous les trouvez insuffisantes, faites de nouvelles lois.

Quoi qu’on en dise on ne réduit pas une ville comme Liége, comme on le ferait d’un village ; il est passé en proverbe qu’on ne tire pas le canon sur 500,000 hommes, même désarmés ; et moi, j’ajouterai qu’on ne tire pas sur une population de 30,000 âmes. Avant donc d’écouter les conseils pour les voies de rigueur, on y réfléchit, c’est plus prudent.

Dans ces circonstances, voici tout ce que nous avons à vous dire ; interprétez sainement les lois ; si vous errez, quand la question de responsabilité viendra, nous vous jugerons ; nous verrons si vous avez ou non excédé vos pouvoirs.

Si vous trouvez que la législation ne vous fournit pas de moyens suffisants, dites-le, nous verrons ce que nous avons à faire. Mais puisque vous proclamez, au contraire, que la loi est claire et suffisante, exécutez-la sous votre responsabilité.

A présent, voulez-vous qu’on entre dans une question où les personnes joueront un grand rôle. Ce n’est pas, je pense, l’intention de la chambre d’augmenter le scandale ; tâchons alors d’éviter les questions personnelles. Quelle que soit l’importance de M. Dejaer-Bourdon, je vous engage à ne pas donner à cette affaire un plus grand éclat, qu’elle ne mérite. Que le gouvernement agisse dans le cercle de ses attributions. S’il a des moyens, qu’il les emploie. Si au contraire, comme je le pense, le gouvernement provisoire a rompu l’économie des lois qui régissent la matière, elle est si bien rompue cette économie, qu’aujourd’hui les incompatibilités établies par les lois précédentes ne sont plus observées : le fils siège avec le père, le frère avec le frère, le cousin ; le conseiller nommé aux fonctions de juge de paix, aux termes de l’article 16 du règlement ne pouvait plus siéger ; tout conseiller nommé à des fonctions de judicature par le gouvernement était réputé démissionnaire ; toutes ces choses que n’a pas prévues le gouvernement provisoire ne sont pas exécutées. Un fait de cette nature s’est présenté à Binche.

M. de Brouckere. - Et à Liége aussi.

M. de Robaulx. - Un conseiller, M. Sebille, est nommé juge de paix ; la régence le déclare démissionnaire par le fait de l’acceptation de ses fonctions ; on veut procéder à une élection pour le remplacer, mais le gouverneur suspend les élections. La régence s’est soumise à l’injonction du gouverneur, cela se conçoit des bourgmestre et échevins de Binche. J’ai remis a M. le ministre de l’intérieur les pièces relatives à cette affaire.

Je demande pardon à la chambre de cette digression ; elle a eu pour but de montrer que l’arrêté du gouvernement provisoire a rompu l’économie des lois sur les régences, et qu’il y avait nécessité de pourvoir aux institutions communales et provinciales. Il y a anarchie, il est vrai ; mais cette anarchie, ce n’est pas la régence de Liége qui l’a faite, c’est la révolution elle-même. On a pourvu aux maux les plus pressants. On a fait une constitution ; mais on a laissé de côté tous les détails.

Il y a des localités où les conseils de régence sont entre les mains d’une seule famille, qui dispose de l’administration comme si la commune était une propriété appartenant à certain chef de coterie.

Ces observations n’ont pour but que de vous montrer la nécessité de faire cesser cet état de choses, et à vous faire apprécier jusqu’à quel point vous pouvez exiger l’exécution de cette partie du règlement, quand telle autre ne l’est plus.

Si vous croyez dans votre conscience ministérielle pouvoir exiger l’exécution de cet article du règlement, faites-le. La chambre ne se mêle pas de l’exercice du pouvoir exécutif, elle ne vous empêche pas d’agir. Vous dites, il est vrai, que vous ne venez pas demander d’avis ; mais vous voulez les entendre afin d’en délibérer, et nous aurions fort mauvaise grâce de venir plus tard demander au ministère compte de sa conduite. Remarquez qu’il ne nous demande pas seulement d’approuver ce qu’il a fait, mais ce qu’il fera.

Nous devons laisser les ministres agir librement, ce sont d’ailleurs de grands avocats qui connaissent les lois et doivent savoir les apprécier

Je déclare en terminant que, si l’injonction de la chambre est de blâmer ou d’approuver la régence de Liège, ce que je regarde comme inconstitutionnel, aussitôt que je le pourrai, je prendrai la parole pour défendre la régence de Liége.

M. de Behr. - Messieurs, l’honorable préopinant a parlé d’une discussion qui a eu lieu dans le conseil de régence, à propos du procès-verbal ; je ne sais s’il a prétendu faire entendre que nous avions pris part à la discussion ; nous nous sommes abstenus comme nous devions le faire. Ce sont les dix-sept membres qui avaient pris part à la discussion la veille, qui ont voté sur la difficulté élevée relativement à la rédaction du procès-verbal, et la majorité a décidé qu’il y avait lieu à rectification.

M. de Robaulx. - Est-ce que M. de Behr croit que son intervention a eu de l’influence sur la rectification du procès-verbal ?

M. de Behr. - Je ne dis pas cela.

M. de Robaulx. - Alors ne demandez pas la parole pour un fait personnel, car je serai obligé de le supposer.

J’ai parlé d’un procès-verbal annulé par une autre décision ; je dis qu’il y avait et régence et régence, et que quand le gouvernement s’appuierait sur une décision de la régence, il ne saurait pas sur quoi il s’appuie, puisqu’il y a régence qui dit oui et régence qui dit non.

M. de Behr. - Il n’y a qu’une régence, ce sont les membres qui avaient assisté à la discussion qui ont rectifié le procès-verbal.

M. de Robaulx. - Je sais qu’il n’y a qu’un conseil de régence, mais qui décide des mêmes questions de manières différentes. Aujourd’hui il dit blanc et demain il dit noir, il chante la palinodie.

M. de Theux. - Messieurs, je n’hésite pas à appuyer la pétition que l’honorable M. Dejaer, échevin de la cille de Liége, a présentée à la chambre.

Je diviserai mes observations en deux parties.

La première comprendra les actes du conseil de régence relatifs à la démission de cet honorable fonctionnaire.

La deuxième partie de mes observations concernera les actes de la majorité du collège des bourgmestres et échevins : par ces actes ce collège a non seulement bravé l’autorité de la députation des états de la province et celle du conseil de régence lui-même, mais il a encore cherché à paralyser l’autorité royale ou celle du pouvoir législatif, en prévenant leur décision sur la réclamation dont ces pouvoirs sont saisis.

Première partie : Actes du conseil de régence.

Ce qui concerne cette première série d’actes a été traité si lumineusement par votre commission des pétitions que je pourrais me dispenser d’y rien ajouter ; je crois cependant que vu l’importance de la question, il est permis de présenter tous les arguments propres à l’éclaircir de plus en plus.

Je suivrai l’ordre du rapport et des faits.

La publicité des séances a-t-elle pu être proclamée par le conseil de régence ? Evidemment non.

M Merlin, dans ses Questions de droit, au mot « Réparation d’injures », établit qu’à la différence des particuliers qui peuvent faire tout ce que la loi ne leur défend pas, les autorités constituées ne peuvent faire que ce que la loi leur permet ou leur ordonne de faire. Le motif de cette doctrine est facile à saisir ; aucun Etat ne pourrait subsister si les autorités publiques pouvaient se créer des attributions.

Cette doctrine est encore confirmée en ce qui concerne les régences communales par les dispositions expresses qui ont successivement régi notre pays.

En effet sous l’empire de la loi fondamentale de 1815, les règlements locaux étaient soumis à l’approbation du roi, article 154. Donc sous ce régime les conseils municipaux n’étaient pas autorisés à décréter la publicité de leurs séances.

Sous l’empire du gouvernement provisoire et de la révolution, les régences n’ont pas acquis leur émancipation, le mode d’élection a seul été changé. Tous leurs actes ont continué d’être soumis à l’approbation de l’autorité supérieure.

L’article 137 de la constitution consacre la même doctrine. En effet, cet article abroge la loi fondamentale et les statuts provinciaux et locaux, mais le congrès, prévoyant que l’abolition de ces dispositions eût entraîné la suppression de toutes les attributions des autorités provinciales et locales, a cru devoir les leur conserver provisoirement par une disposition expresse conçue en ces termes : « Cependant, les autorités provinciales et locales conservent leurs attributions jusqu’à ce que la loi y ait autrement pourvu. »

Le congrès pouvait-il énoncer plus clairement que les autorités provinciales et locales ne peuvent acquérir aucune attribution nouvelle, aucune extension d’autorité, même dans les nouveaux principes constitutionnels, que par la loi ?

Cet article 137 confirme donc pleinement le sens que votre commission attribue à l’article 108, savoir que la publicité des séances ne peut être introduite que par les lois d’organisation provinciale et communale.

Si des textes aussi précis avaient besoin de plus amples commentaires, vous les trouveriez dans le rapport de la section centrale du congrès et dans la discussion publique.

Peut-on, lorsque l’on voit l’appréhension du congrès national quant aux abus de la publicité, supposer un instant qu’il ait été dans sa pensée de la laisser à l’arbitrage des autorités municipales au milieu même des dangers graves que présentait alors l’état provisoire et désorganisé de la Belgique ?

Je conclus donc que c’est avec fondement que l’honorable M. Dejaer a soutenu que le conseil de régence n’était pas en droit de décréter la publicité de ses séances.

Si la décision du conseil de régence qui a pour objet la publicité des séances constitue un excès de pouvoir, à plus forte raison en est-il de même de sa décision portant que : « Par sa résolution de ne plus assister aux séances publiques du conseil, M. Dejaer a donné sa démission d’échevin. »

En effet, le rapport de votre commission établit en premier lieu que, si par cette résolution, M. Dejaer avait réellement donné sa démission, la décision du conseil eût dû être approuvée par la députation des états avant d’être mise à exécution ; ce point admis il s’ensuit que le conseil n’aurait pu, lors même que M. Dejaer eut réellement donné sa démission, fixer le jour pour son remplacement avant que la députation n’eût approuvé sa décision.

Le rapport établit en deuxième lieu que M. Dejaer n’a pas donné sa démission et que le conseil de régence n’avait pas le droit d’interpréter la volonté de M. Dejaer, contrairement à celle si clairement exprimée dans ses diverses lettres et protestations.

J’ajouterai qu’il résulte clairement de l’article 137 de la constitution, ainsi que je l’ai établi en parlant de la publicité des séances, que les autorités locales ne peuvent en attendant la loi d’organisation, prétendre exercer d’autres attributions que celles qui leur sont déférées par les règlements existants.

Or il n’y a pas une seule disposition de ces règlements qui puisse autoriser la décision prise par le conseil à l’égard de M. Dejaer.

L’article 37 est le seul qui s’occupe de démission ; mais, pour que cet article put être invoqué, il aurait fallu que M. Dejaer eût « désiré d’obtenir sa démission et qu’il l’eût demandée au conseil » : ce sont les termes mêmes de l’article.

Ces motifs sont trop évidents, pour qu’il soit besoin de les développer.

Nous ferons seulement remarquer à la chambre que la démission de M. Dejaer n’a été prononcée que par 6 voix contre 5.

Cette décision du conseil est le dernier acte dont s’occupe le rapport de votre commission.

Messieurs, vous aurez remarqué les paroles suivantes du rapport, relatives aux membres du conseil de régence : « Nous avons assez de foi dans le caractère et le patriotisme de ces citoyens pour espérer qu’il suffira de leur avoir fait connaître leur erreur pour qu’ils en reviennent. »

Il est agréable pour nous, qui portons l’intérêt le plus vif à l’antique et loyale cité de Liége, d’avoir appris que, par une décision postérieure à la pétition adressée à la chambre par M. Dejaer, le conseil de régence a sursis à l’exécution de sa résolution du 14 décembre, attendant ainsi avec calme la décision de l’autorité supérieure ; mais il est douloureux, d’autre part, d’avoir vu le collège des bourgmestre et échevins avancer de plus en plus dans la voie de l’arbitraire.

Deuxième partie. Actes survenus depuis la pétition de M. Dejaer, et non mentionnés dans le rapport de la commission.

Par lettre du 4 janvier, la députation des états invita la régence de Liége à surseoir à l’exécution de la décision du conseil en date du 14 décembre.

Cette lettre fut adressée le même jour au collège des bourgmestres et échevins.

Par lettre du même jour, le bourgmestre convoqua le conseil pour le 10 janvier ; entre autres objets, l’ordre du jour comprenait la communication à recevoir de la lettre de la députation des états, tendante à faire surseoir à l’exécution de la décision du 14 décembre.

Entre-temps le collège des bourgmestre et échevins, à la majorité de 4 voix contre 1, se déclara compétent pour décider qu’il n’avait pas à obtempérer à l’invitation des états-députés.

Dans la séance du 10 janvier, le bourgmestre fit part au conseil de l’invitation adressée par les états au collège et de la résolution prise par le collège de passer outre à l’exécution de la décision du 14 décembre, ajoutant que la majorité du collège assumait sur elle la responsabilité de l’exécution de cette décision ; mais en même temps il dit qu’il soumettait cette décision à l’avis du conseil.

Dans cette séance du 10, le conseil refusa de discuter cet objet, attendu qu’il n’était convoqué que pour entendre une communication, et attendu que la lettre de la députation des états ne s’adressait qu’au collège ; par ces motifs le conseil déclara sen incompétence.

Mais, en déclarant son incompétence, le conseil fut loin d’approuver la résolution prise par le collège, ou de reconnaître celui-ci compétent pour déclarer que les états-députés avaient perdu l’attribution que leur confère le règlement des régences. Dix-sept conseillers furent présents à cette séance ; la majorité d’entre eux au nombre de 9, ayant réfléchi sur les conséquences que pouvait entraîner la résolution prise par le collège des bourgmestre et échevins, se décida à demander une réunion extraordinaire du conseil pour délibérer s’il y avait lieu, dans l’état actuel des choses, à surseoir au remplacement de M. Dejaer, membre de la régence. Deux de nos collègues, membres du conseil, qui n’avaient pu assister à la séance du conseil du 10, se joignirent à cette majorité.

En conséquence, le bourgmestre convoqua le conseil pour le 14 janvier.

Dans cette séance on procéda d’abord à l’approbation du procès-verbal de la séance du 10 : la minorité des membres qui avaient assister à cette séance du 10 prétendit y faire insérer que le conseil avait reconnu à l’unanimité la compétence du collège des bourgmestre et échevins pour prendre la résolution de passer outre au sursis de la députation ; mais la majorité des membres qui avaient assisté à cette même séance repoussa cette prétention ; les 2 membres qui n’y avaient pas assisté s’abstinrent.

La décision de la majorité du conseil n’a pas besoin d’être justifiée, c’est à l’autorité qui a pris une résolution d’en fixer la rédaction dans le procès-verbal de ses séances ; prétendre que le procès-verbal dûment adopté puisse être contesté, c’est annuler la majorité, c’est vouloir lui dicter des résolutions qu’elle désapprouve.

On doit donc s’étonner que la minorité du conseil et surtout que le président aient cru pouvoir protester contre la rédaction du procès-verbal et quitter l’assemblée.

Néanmoins la majorité du conseil, forte de son droit et de son amour pour l’ordre public, continua la séance et décida, à l’unanimité de 11 membres présents, qu’il serait sursis au remplacement de M. Dejaer. Vous vous rappellerez, messieurs, que la résolution du 14 décembre n’a été prise qu’à la majorité de 6 voix contre 5, et vous remarquerez que l’un de ces 6 membres a voté pour le sursis dans la séance du 14 janvier.

Il est à regretter, messieurs, que la décision du conseil municipal ait été, pour d’honorables membres qui y ont pris part, l’objet de démonstrations odieuses et indignes de citoyens libres, qui doivent avant tout faire preuve de respect pour les corps constitués et pour leurs propres magistrats.

Du reste, messieurs, je n’accuserai point ici ceux des fonctionnaires municipaux qui sont chargés de la police de n’avoir pas prévenu ces scènes de désordres, car j’ignore les mesures qu’ils ont pu prendre à cet égard.

Je reviens à la décision du conseil de régence en date du 14 janvier ; cette résolution a amené à l’égard de M. Dejaer un changement de système que je dois signaler particulièrement à votre attention.

Jusque-là c’était la majorité du conseil qu’on lui opposait : la minorité, lui disait-on, doit céder à la majorité, celle-ci eût-elle pris une décision inconstitutionnelle, illégale ! fût-elle sortie de ses attributions ! il est vrai que jusqu’alors ces décisions étaient contraires à ce fonctionnaire municipal.

Mais les circonstances viennent a changer : l’autorité supérieure commence à prêter appui à ce fonctionnaire, elle invite de surseoir à son remplacement.

Le conseil adopte la rédaction de son procès-verbal : cette rédaction déplaît à la minorité, elle proteste et se retire.

Le même conseil décide, à l’unanimité des membres présents, qu’il sera sursis à l’exécution de la décision du 14 décembre.

Mais la majorité du collège des bourgmestre et échevins, qui jusqu’ici ne se considérait, vis-à-vis de M. Dejaer et de la députation des états, que comme exécuteur de la volonté du conseil, repousse tout à coup cette même volonté, et décide que, nonobstant sa nouvelle décision, il sera immédiatement passé outre à l’exécution de celle du 14 décembre.

C’est dans ces circonstances que s’est consommée l’élection de trois échevins dans la journée du 15 janvier.

Ici, messieurs, il est impossible de ne point s’élever avec chaleur contre un si monstrueux abus de pouvoir.

Quoi ! c’est la décision du conseil, en date du 14 décembre, que le collège se croit obligé de faire exécuter comme pourvoir exécutif ! Et la décision du 14 janvier, émanée de la même autorité, loin de se croire obligé de l’exécuter, il la brave ouvertement !

Quelle est donc la loi qui dans l’intervalle a constitué le collège des bourgmestre et échevins juge des actes du conseil ?

Si le conseil est compétent pour prendre une décision et en fixer l’exécution, est-il compétent pour suspendre l’exécution des actes émanés de sa seule autorité qui, loin d’avoir reçu la sanction de l’autorité supérieure, sont suspendus par celle-ci ?

Mais si le conseil s’est trompé dans sa résolution du 14 janvier, le collège des bourgmestre et échevins a-t-il eu le droit de l’annuler ; et s’il n’a pas eu le droit de l’annuler, ne conservait-elle pas toute sa force, ne devait-elle pas recevoir son exécution au moins jusqu’à ce qu’une autorité supérieure eût admis la prétention du collège ?

Je ferai observer, en dernier lieu, que procéder à l’élection dans de semblables circonstances, c’était porter atteinte à la liberté des suffrages.

Quelle conduite devaient tenir les électeurs en présence de la décision du 14 décembre, attaquée devant l’autorité royale et devant les chambres, suspendue par la députation des états et par le conseil de régence lui-même, mais mise à exécution par la majorité du collège des bourgmestre et échevins ?

Les uns se sont abstenus de prendre part à l’élection. Au milieu d’une telle confusion et en présence de la violation de tous les principes, ils attendent qu’ils puissent exercer leurs droits légalement et utilement. Les autres y ont pris part et ont voté pour deux ou pour trois candidats, suivant leur opinions, et de tout cela il résulte une élection incertaine au fond, quant à la volonté générale des ayants-droit de voter, et un acte irrégulier et illégal.

Cette élection sera donc annulée et à bon droit. Espérons, messieurs, que réfléchissant plus mûrement aux conséquences fâcheuses pour le bon ordre, pour la prospérité même de la ville, qui pourrait entraîner une fâcheuse erreur de la part de citoyens investis d’un mandat aussi honorable, liés par leur serment comme par leurs principes au maintien des droits de tous et de l’ordre public, ils ne poseront plus d’actes qui doivent distraire péniblement la législature des grands intérêts nationaux et de l’organisation du pays.

Votre commission a été d’avis que, les premiers actes du conseil de régence constituent un excès de pouvoir ; à combien plus forte raison ceux du collège des bourgmestre et échevins constituent-ils aussi des excès de pouvoir ?

Votre commission aime à croire que le gouvernement trouvera dans les statuts les moyens nécessaires d’empêcher l’exécution de tels actes.

Le gouvernement nous a déclaré qu’il trouve un moyen dans les statuts ; il a déclare qu’il en usera, et qu’au besoin il réclamera notre appui.

Renvoyons donc la pétition de M. Dejaer au gouvernement ; prêtons ainsi notre appui à cet honorable citoyen, pour qu’il puisse au plus tôt reprendre le légitime exercice de ses fonctions. (Marques nombreuses d’approbation.)

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, je vais consulter la chambre.

Je vais mettre aux voix la proposition de M. Trentesaux, qui est un amendement aux conclusions de la commission,

- Quelques voix. - Oui ! oui !

- D’autres voix. - Non ! non !

M. Devaux. - Je crois que les conclusions qui ont pour objet le renvoi pur et simple suffisent ; si on ajoutait pour exécuter les lois, cela pourrait présenter une espèce d’équivoque, et la chambre aurait l’air de faire au gouvernement une injonction, ce qui sortirait de la sphère parlementaire. J’avais cru d’abord, messieurs, prendre la parole pour appuyer le rapport de la commission, et soutenir, comme elle, l’illégalité des actes d’une fraction de la régence de Liége ; mais maintenant cela serait inutile, car de tous les orateurs que vous avez entendus, pas un seul n’a pris la parole pour défendre la légalité des actes de la régence de Liége ; l’honorable membre qui a cru devoir payer un tribut de reconnaissance à la ville de Liége, malgré sa reconnaissance, n’a pas dit un seul mot pour défendre les actes de la régence de cette ville, après la manière dont ces actes viennent d’être blâmés par plusieurs orateurs, après les conclusions et les raisonnements non contredits de la commission. Le sens de la décision que la chambre va prendre est assez clair ; personne ne peut plus se méprendre, ni sur l’opinion de la chambre qui condamne les actes d’une partie de la régence de Liége, ni sur l’appui que la chambre est prête à donner au gouvernement. Le but de la discussion est donc complètement atteint.

M. Dumortier.- Il est entendu cependant que le renvoi a pour but l’exécution des lois.

M. Fleussu. - S’il y en a.

M. le président. - Je vais mettre aux voix le renvoi pur et simple.

- Plusieurs membres. - L’appel nominal ! l’appel nominal !

- On procède à l’appel nominal.

Le renvoi pur et simple est adopté à l’unanimité des 70 membres présents.

Ont voté : MM. Angillis, Bekaert, Boucqueau de Villeraie, Coghen, Cols, Coppieters, Dams, Dautrebande, de Behr, de Foere, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, de Renesse, C. Vuylsteke, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Witte, d’Hane, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Donny, Dubus, Dugniolle, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Fleussu, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jullien, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel, Olislagers, Polfvliet, Quirini, A. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Smits, Trentesaux, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Vanderheyden, Verdussen, Ch. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, J. Vuylsteke, Watlet, Zoude et Raikem.