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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 mars 1834

(Moniteur belge n°78, du 19 mars 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi trois quarts.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; il est adopté sans réclamation.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.

« Les administrations communales des communes de Bomal, Werèse et Isur, réclament contre le projet de suppression du canton judiciaire de Durbuy, et de leur réunion à la province de Liége. »


« L’administration communale de Leuze (Hainaut) adresse des observations sur la circonscription actuelle du canton de Leuze. »


« Le conseil communal de Tournay demande que dans le projet de circonscription judiciaire, la ville de Tournay conserve ses deux cantons. »


- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux circonscriptions judiciaires.


Par un message, le sénat annonce avoir adopté le projet de loi concernant le budget de la dette publique pour l’exercice 1834.

Projet de loi qui prescrit l’établissement d’un système de chemins de fer en Belgique

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, quelque étranger que je sois aussi par mes études habituelles à l’important sujet qui depuis jours absorbe les délibérations de la chambre, je ne crois pas, en ma double qualité de mandataire du peuple et d’organe du gouvernement, pouvoir me dispenser de motiver mon vote.

Messieurs, il y a quelque étrangeté et quelque témérité peut-être de ma part à participer à cette discussion ; mais j’y suis en quelque sorte contraint par une conviction longuement mûrie dans une étude consciencieuse des nombreux documents qui forment l’instruction de la question qui nous occupe.

Je dois, messieurs, réclamer l’indulgence de la chambre ; elle voudra bien se rappeler que c’est un avocat qui essaie de parler travaux publics et commerce.

Le point culminant de la discussion n’a pas pu échapper à la chambre ; pour le gouvernement il est tout entier dans la question de concession et de non-concession. Dans l’opinion intime du gouvernement, la concession, fût-elle offerte, ne serait pas acceptée. La concession offrît-elle des chances d’acceptation, le gouvernement devrait s’y refuser.

On a essayé de placer dans le camp des rétrogrades les adversaires du système des concessions. On a ensuite, fort à tort selon moi, cherché à établir que le gouvernement était l’adversaire absolu, inflexible, sans aucune déviation d’aucun genre du système des concessions. Cette imputation ne se fonde ni sur les actes, ni sur le langage du gouvernement : elle ne se fonde pas sur ses actes ; car tous les jours non seulement le gouvernement accorde des concessions, mais encore en mainte circonstance il les a provoquées sans succès. Elle ne se fonde pas sur le langage du gouvernement ; car je défie que l’on puisse citer une seule phrase des organes du gouvernement, où ils se soient déclarés les adversaires absolus du système des concessions ; mais ils ont pensé que si jamais il y avait lieu à faire une exception au système des concessions, exception dont l’éventualité est reconnue par les concessionnistes les plus absolus, c’était le cas ou jamais d’admettre cette exception.

Mon honorable ami M. Devaux a soutenu qu’il s’en fallait que le système des concessions ne fût pas remis en question dans les pays où il est en usage : il a dit qu’en France les organes de l’opinion que l’on qualifie de juste-milieu, ceux de l’opinion qui s’appelle le mouvement, et enfin les organes de l’opposition purement républicaine, avaient fait brèche au système des concessions.

Messieurs, m’autorisant de l’exemple de plusieurs des honorables préopinants qui sont venus appuyer leur opinion par la citation de brochures, d’articles de journaux, par la lecture de lettres particulières qui n’avaient d’autres garanties d’authenticité que le caractère de ceux qui les avaient produites, garanties qui pour moi me suffisent ; imitant, cet exemple, je pourrais citer un grand nombre d’articles de journaux, de passages de brochures qui viendraient appuyer mon opinion et qui prouveraient que le système des concessions est fortement attaqué, principalement en France.

Je me bornerai à une seule citation., me réservant de reproduire et d’intercaler dans mon discours inséré au Moniteur les autres citations que je me proposais de faire, à moins que la chambre ne désire les entendre.

Voici l’opinion de l’un des journaux qui ont le plus d’autorité en France, en matière d’industrie et de commerce. Je veux parler du Journal de Commerce, de Paris. On ne l’accusera pas de soutenir le corps des ponts et chaussées dans l’intérêt du gouvernement, car ce journal appartient à l’opposition, et à une opposition très vive. Son opinion est d’autant plus remarquable qu’elle s’applique directement au sujet en discussion. Voici un fragment de l’opinion de cette feuille. Je pourrais indiquer aux personnes qui désireraient connaître les nombreux développements dans lesquels entre ce journal, le moyen de les avoir sous les yeux.

- Un membre. - Quelle est la date ?

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - La date est toute récente : 1833.

« L’Etat voudrait faire lui-même le chemin du fer, il croit que son crédit est plus fort, et par conséquent que ses capitaux seront moins chers, et que ses moyens d’exécution sont plus économiques ; il croit, qu’en fait de voies de communication ce qui importe au pays, c’est que le mode de concession ne soit pas l’occasion d’un impôt nouveau ; que les tarifs ne doivent être que l’expression du service rendu, quand l’affranchissement de la circulation ne peut pas être complet. Il croit, enfin, qu’il en est des chemins de fer comme des grandes routes ; qu’elles ont pour le pays un intérêt qui n’affecte pas seulement la localité qu’elles traversent, mais qui devient d’autant plus général qu’ils réunissent plus intimement de plus grands centres de civilisation. Le gouvernement et ceux qui, sous ce rapport, partagent son système ont pris le nom de non-concessionnistes.

« Leurs adversaires en sont encore au laisser-faire des théories économiques de Say ; héritage transitoire, dont nous gratifièrent les idées d’affranchissement de 89, comprimées par le despotisme impérial. Comme Say, ces messieurs ne veulent pas que le gouvernement, ce large ulcère du peuple, intervienne dans l’exécution et l’organisation des travaux qui constituent le domaine public. Ils exigent que l’entreprise soit livrée aux entrepreneurs particuliers, qui exploiteront, tarifieront leur ouvrage comme ils l’entendront ; qui d’ailleurs se présenteront, si le projet est utile, et se retireront, s’il ne l’est pas. Ce parti est celui des concessionnistes.

« Rentrons dans la vérité, et disons que l’économie politique nouvelle nous enseigne qu’un gouvernement véritablement soigneux des intérêts moraux et matériels d’un peuple doit faire tous ses efforts pour arriver le plus tôt possible à lui faire acquérir l’usage gratuit de tout ce qui fait partie des nécessités de notre bien-être, qu’il doit tendre à nous livrer tous les jours au meilleur marché possible les routes et tous les moyens de communication, à établir dans tous les centres de population des distributions d’eau, des systèmes d’éclairage, des écoles d’enseignement et mille autres présents que la civilisation tend à répondre tous les jours chez nous sans la faire payer.

« Que de ce point de vue, seul logique, seul social, on ne peut pas dire que le commerce qui fait usage d’une route doit la payer ; que ceux qui jouissent du bien-être que le commerce apporte doivent la payer aussi, et le cercle de ces derniers est indéfinissable ; faut-il redire qu’imposer les transports, c’est retourner vers les système fiscaux les plus désastreux ? Il n’est pas supportable que de pareilles idées trouvent encore des avocats : la société ne rétrograde pas ainsi. »

Je pourrais, messieurs, si la chambre insistait, mettre également sous vos yeux l’opinion d’une feuille qui se recommande par le talent de ses rédacteurs, et qui est regardée comme un des organes du ministère français, le Journal des Débats, lequel est revenu à plusieurs reprises sur cette question. Je pourrais mettre aussi sous les yeux de la chambre plusieurs articles d’un journal appartenant à l’opinion républicaine et l’un des organes les plus avancés de cette doctrine, le National, qu’on ne soupçonnera pas sans doute non plus de complaisance pour le ministère français ni pour ses agents les ingénieurs. (Note du webmaster : Le Moniteur de ce jour reprend en note de bas de page le texte de l’article en question. Cet texte n’est pas reproduit dans cette version numérisée.)

Mais, a dit l’honorable député de Mons, ce sont des opinions isolées : quelques ingénieurs auront pénétré dans les bureaux d’un journal, et auront plaidé leur cause. Mais je demanderai à l’honorable membre par qui il voudrait que la question fût traitée ; s’il aimerait mieux que ce fût par un avocat, par un médecin plutôt que par un ingénieur. Je demanderai quelles sont les spécialités le plus à même de se prononcer sur la question ?

J’admets que ce soient des ingénieurs ; c’est précisément parce que ce sont des ingénieurs que leur opinion est une autorité pour moi. Mais, c’est leur cause ; ils ne sont pas désintéresses dans la question. Ignore-t-on qu’un journal politique n’ouvre ses colonnes à des discussions politiques qu’en se rendant solidaire de ces doctrines ?

Je pourrais citer aussi des extraits de brochures. C’est, j’en suis sûr, pour épargner vos moments que mon collègue le ministre de l’intérieur ne l’a pas fait.

Messieurs, l’empire lui-même, que l’on a souvent signalé comme étouffant sous son action centralisée l’essor des intérêts privés, à défaut de l’esprit d’association qui ne s’était pas réveillé, a fait par lui-même de grands travaux public touchant à des intérêts matériels et politiques. Il a doté la France et le pays d’un grand nombre de belles routes militaires, dont le commerce fait aujourd’hui son profit.

Le gouvernement fait toujours mal ; mais, messieurs, je doute fort que Napoléon eût consenti à mettre en adjudication la construction de la route du Simplon : elle a été faite par le génie militaire ; et c’est une des gloires de l’empereur Napoléon et du corps du génie français.

La théorie de nos adversaires, on vous l’a déjà dit, repose sur des bases qui n’existent plus. Il y avait, à l’époque où a écrit Say, et la plupart des économistes de son école, défiance complète dans les intentions et les lumières du gouvernement. Mais, depuis les mémorables révolutions qui ont fait passer le gouvernement du pays dans les mains du pays même, en France et en Belgique, les bases sur lesquelles reposaient ces théories se sont écroulées et ces théories ont dû s’écrouler avec elles.

Le gouvernement est-il donc sans aiguillon lorsqu’il s’occupe de travaux publics ? A défaut de l’intérêt privé, n’a-t-il pas le sentiment de l’immense responsabilité qu’il assume sur lui ? Ne sera-t-il pas, s’il obtient des chambres la preuve de confiance qu’il en attend, soumis au contrôle quotidien des chambres et au contrôle non moins sévère de la presse ?

L’honorable membre auquel je réponds a trop de lumière pour ne pas admettre d’exception au système des concessions. Permettez-moi de vous rappeler à cet égard ce qu’il a dit précédemment.

« Cependant, messieurs, ce n’est pas là un principe absolu, en plus d’un cas, et par exception, des routes peuvent être nécessitées par des motifs politiques, leur construction devenir indispensable malgré l’insuffisance des produits présumés. Je dirai plus, c’est, à mon avis, dans ces cas exceptionnels que ces ouvrages doivent être exécutés par le gouvernement aux dépens du trésor, parce qu’alors la nature des motifs qui en commandent l’exécution est avouée par tous les citoyens, dont la volonté se manifeste par un assentiment unanime.

Examinons brièvement quelques autres observations faites par le même orateur :

« Le chemin tel qu’il est aujourd’hui projeté ne résout pas la question de la liberté de l’Escaut, il y reste subordonné par son point de départ, qui est Anvers. Il l’a compliqué, au contraire, en ce qu’il est en quelque sorte un acte d’hostilité contre la Hollande. »

Messieurs, je vous prie d’examiner d’abord la singularité de l’expression dont on se sert en disant que la construction de la route en fer est un acte hostile à la Hollande. Si, comme on l’a prétendu en d’autres circonstances, la Hollande n’a rien à redouter de la concurrence du projet que nous préparons ; s’il est vrai que la Hollande peut construire un chemin de fer à meilleur marché que nous, et qu’elle peut transporter les produits de l’Angleterre et de l’Allemagne à plus bas prix que nous, il m’est difficile de comprendre comment le projet est hostile à la Hollande.

Si, au contraire, le projet est hostile à la Hollande, je crois que par cela même il est bon pour nous et que c’est ce qu’on peut dire de meilleur en sa faveur ; je dis hostile au commerce, car je pense que c’est aux intérêts commerciaux que se bornera désormais la lutte entre les gouvernements.

« Pour rendre nulle la question de l’Escaut, il fallait agir comme s’il n’y avait pas eu d’Escaut et ouvrir une route directe de la mer au Rhin. Si telle eût été la conception du gouvernement, elle aurait porté un grand caractère d’intérêt national. Mais loin de là. La pensée de se rattacher à Ostende n’est que secondaire ; c’est même avec une répugnance marquée que le gouvernement semble se déterminer à un embranchement dans cette direction ; je n’en donnerai d’autre preuve que le dernier mémoire qu’il a publié à cet effet ; mémoire où les chemins de fer, qui jusque-là avaient été présentés comme supérieurs aux canaux, cèdent tout à coup le pas à ces derniers, afin de pouvoir décliner l’utilité d’un embranchement de Gand à la mer. Le gouvernement ne veut donc pas de la communication avec Ostende, d’où il faut conclure que le véritable point de vue, sous lequel on pouvait envisager l’intérêt politique du transit n'a point été le motif de ce projet. »

Messieurs, je ne puis m’empêcher à cette occasion de parler de la perplexité où certains orateurs ont placé le gouvernement.

Le gouvernement, messieurs, s’est rallié à la proposition de la section centrale ; il veut, comme elle, une route du Rhin à l’Océan ; ce qui donne au projet un grand caractère d’intérêt national, selon l’expression de l’honorable député de Mons.

Le gouvernement et la section centrale sont simplement accusés de vouloir, par ce projet, sacrifier la liberté de l’Escaut. Or, cette imputation ne peut être faite au projet présenté primitivement par le gouvernement. Car il se bornait à demander une communication de l’Escaut au Rhin, communication qu’il avait jugée suffisante ; il ne s’était pas occupé d’un embranchement vers Ostende. On l’accuse, dans ce cas, de ne vouloir qu’un projet mesquin qui ne porte point un caractère national. Je prierai les honorables orateurs de vouloir bien s’entendre sur les reproches qu’ils nous font : le projet est mesquin, si la route ne va que d’Anvers au Rhin ; nous sacrifions l’Escaut si elle part d’Ostende.

Veuillez, messieurs, ne pas vous occuper du projet présenté primitivement par le gouvernement ; ce projet n’existe plus ; il n’y a plus que le projet de la section centrale auquel le gouvernement s’est rallié. Or, la section centrale ne peut être accusée de vouloir sacrifier la liberté de l’Escaut. La liberté de l’Escaut n’est pas plus un problème pour le gouvernement que pour la chambre. Toutefois si le gouvernement n’avait pas proposé la communication du Rhin à l’océan, c’est qu’il avait craint que ce projet n’effrayât l’assemblée et que plusieurs honorables membres ne reculassent devant ce que cette entreprise a de vaste. Voilà, messieurs, les motifs qui ont dirigé le gouvernement ; il n’a rien à cacher à la chambre.

Le même orateur a fait un grand éloge de nos relations futures avec l’Allemagne ; il a établi qu’elles étaient réclamées par l’intérêt de la Belgique. Je craindrais d’affaiblir si je ne reproduisais textuellement.

« La coalition commerciale prussienne offrira à ceux qui en feront partie d’autant plus de chances favorables, que le nombre de pays qui y entreront sera plus grand ; une nation qui comme la nôtre possède tant de moyens de perfectionner son industrie, ne peut que gagner à faire partie d’une alliance de peuples ; en levant de commun accord les barrières de douanes qui existaient entre eux ; c’est en résultat comme si tous les peuples coalisées ne faisaient qu’un seul et même peuple ; de serait donc alors comme si la Belgique faisait partie d’une nation grande et puissante. »

Après ce magnifique éloge de nos relations avec l’Allemagne, l’orateur conclut en déclarant que le commerce de transit dont nous nous bercions n’est qu’une illusion, à cause de la construction de la route en fer en Hollande dont l’honorable préopinant a vu les devis. En vérité, c’est de la part du préopinant vouloir nous faire subir le supplice de Tantale, que de commencer par un magnifique tableau de la situation du commerce belge, dans le cas où nous établirions des relations avec l’Allemagne, et finir par déclarer que le gouvernement, en espérant obtenir ou conserver le transit vers ce pays, se repaît d’illusions. J’aime mieux croire que l’honorable préopinant a eu raison dans les éloges par lesquels il a commencé et qu’il s’est trompé dans ses conclusions.

Dans plusieurs parties du discours de l’honorable M. de Puydt, et je ne crois pas tronquer ses paroles, il revient sur cette assertion que nous devons renoncer à toute idée de transit avec l’Allemagne.

Messieurs, je serais étonné, après de telles prophéties sur l’avenir du transit belge, que l’honorable préopinant fît l’apologie d’un projet de concession. Car, s’il est évident que le transit nous soit à jamais interdit ; s’il est évident que nous ne pourrons jamais lutter contre la route en fer que la Hollande se propose de construire vers l’Allemagne, il est parfaitement inutile d’appeler les concessionnaires à venir ériger les chemins en fer. L’honorable député, après avoir donné publiquement l’avis que l’entreprise sera stérile, doit être convaincu que personne ne se présentera, à moins que ses prophéties n’aient rencontré que des incrédules parmi les industriels disposés à devenir concessionnaires.

Je ne crois pas me tromper en assurant que l’honorable préopinant a dit que nous ne pourrions pas soutenir la concurrence avec la Hollande ; voici ses propres paroles :

« Je sais bien que la route projetée, doit d’après les prévisions du gouvernement, être continuée en Prusse et qu’alors les frais de transport du roulage de Verviers à Cologne seront réduits à leur minimum. Mais je sais aussi que l’un des premiers effets du prolongement de cette route sur le territoire prussien sera l’établissement d’une route rivale le long du Rhin et de la Meuse pour communiquer également de Cologne à Rotterdam et Amsterdam. Il ne faut pas que l’on vienne me dire que le projet hollandais ne serait qu’une menace, et que son exécution est douteuse. J’ai la certitude qu’il aura lieu ; ce projet est antérieur à celui de la route belge, les études en sont terminées depuis longtemps pour la partie du tracé sur le territoire hollandais ; elles sont sur le point de l’être sur le territoire prussien. J’ai vu en décembre dernier à Düsseldorf les différents matériaux de ce travail, qui m’ont été communiqués par l’ingénieur qui le dirige ; je n’ai pas besoin de dire que sous le rapport de la dépense d’exécution la route hollandaise a de grands avantages sur la nôtre. »

Voici comment l’honorable orateur revient sur cette assertion :

« J’ai prouvé qu’il n’existait pas en Belgique de commerce de transit vers l’Allemagne. Personne, je pense, ne songera à contester cette assertion. C’est un fait.

« J’ai dit que la liberté de l’Escaut étant douteuse, nous n’aurions aucune chance de nous procurer ce transit autrement que par une voie de transport à travers le pays, si cette voie pouvait offrir des avantages immédiats, assez sensibles pour changer les habitudes actuelles du commerce.

« J’ai prouve que le chemin de fer jusqu’à Verviers n’offrait pas ces avantages ;

« Que le chemin de fer continué sur le territoire prussien devant avoir pour conséquence l’établissement d’un chemin de fer de Rotterdam à Cologne, non seulement la Hollande conserverait sa prépondérance actuelle, mais que la facilité et l’économie de construction de la route hollandaise augmenterait cette prépondérance ; et que nous serions alors, sous le rapport du transit, moins avancés qu’aujourd’hui.

« Quelqu’un a-t-il répondu à ces faits ? non, personne. Y a-t-il quelqu’un qui pourra y répondre ? je n’hésite pas à dire également que non, parce que ces faits sont positifs, parce que l’on ne pourrait y opposer que des raisonnements et des suppositions, et que contre des faits positifs tous les raisonnements du monde ne font rien. »

Je démontrerai tout à l’heure qu’on y a répondu par beaucoup d’assertions, qui prouveront, sans doute, quelque chose aux yeux de la chambre.

Mais enfin, avec une telle incrédulité sur l’avenir de notre transit, et avec une telle défiance, non seulement dans le résultat présent, mais dans l’avenir de nos communications avec l’Allemagne, l’honorable préopinant ne doit vouloir du chemin en fer d’aucune manière, ni par le gouvernement ni par les concessionnaires.

Je dis, moi, que si le préopinant sait que le projet d’une route en fer entre l’Allemagne et la Hollande n’est pas une illusion ; s’il sait que la concession en est accordée, il y a pour la Belgique un motif d’urgence et d’urgence extrême à ne pas tarder de mettre la main à l’œuvre ; car les habitudes du commerce étant changées par une longue période de temps, vous aurez beau construire votre chemin de fer, vous verrez se passer beaucoup d’années sans recouvrer ce que vous auriez perdu.

L’honorable M. de Puydt, dans une partie de ses discours, dit que le commerce est en général favorable aux concessions. Je ne sais pas de quel commerce l’honorable préopinant entend parler ; s’il veut parler du commerce ou plutôt de l’industrie des entrepreneurs de travaux publics, je crois qu’en général ils seront de son avis ; les entrepreneurs seraient bien aveugles s’ils n’étaient pas de cette opinion. Voyons si le commerce est aussi favorable aux concessions que l’assure l’honorable préopinant, Et d’abord, après lui, je ferai l’énumération des organes du commerce qui ont été consultés, et je rappellerai leur opinion.

La chambre de commerce d’Anvers approuve le projet et se prononce contre la concession.

La chambre de commerce de Liége approuve le projet et se prononce contre la concession.

La chambre de commerce de Namur approuve le projet purement et simplement.

La chambre de commerce de Charleroy...

M. Frison. - Il n’y avait qu’un seul membre.

M. Gendebien. - On a réclamé contre l’avis d’un membre qui a donné son avis.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - A moins qu’on ne s’inscrive en faux, la chambre de commerce de Charleroy a donné son assentiment à la route en fer.

M. Gendebien. - Je m’inscris en faux.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est inutile ; il fallait attendre un peu ; et nous allions reconnaître que nous avons reçu des réclamations contre l’avis donné par la chambre de commerce de Charleroy.

Les chambres de commerce de Bruges, de Gand, de Verviers, la régence de Namur, approuvent la construction du chemin en fer, c’est-à-dire le projet du gouvernement purement et simplement.

La chambre de commerce de Tournay se prononce pour la concession, mais vous savez dans quel sens. Permettez-moi de mettre sous vos yeux une partie de son opinion.

M. Gendebien. - Lisez le tout ; point de subterfuges.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le document est dans les mains de tout le monde : ce serait un subterfuge bien grossier que de vouloir le tronquer, si j’étais capable d’une telle manœuvre.

« Il nous reste à parler du mode d’exécution. Sans vouloir trancher la question de savoir si jamais le gouvernement ne doit intervenir directement dans l’exécution de grands travaux à entreprendre, en d’autres termes, s’il est toujours bien de recourir au mode de concessions, nous pouvons argumenter de circonstances toutes particulières contre l’application de ce système dans l’espèce : d’un côté, incertitude sur le produit de la route, incertitude sur la liberté de l’Escaut, incertitude même sur les bonnes dispositions de la Prusse pour continuer les travaux jusqu’au Rhin, en voilà plus qu’il n’en faut pour forcer un concessionnaire sage à porter ses prétentions extrêmement haut, et par suite, nuire par des péages trop élevés au succès de l’entreprise.

« A cela il faut ajouter cette autre considération que toutes les parties de la route à construire ne seront pas également lucratives : en faire un seul lot présenterait de graves inconvénients ; et en faire plusieurs, ce serait s’exposer à en voir plusieurs non adjugés.

« Dans cet état de choses il serait à désirer que le gouvernement pût traiter avec une société anonyme, en stipulant tout d’abord dans les intérêts du commerce, de l’industrie et de l’agriculture, pour obtenir des péages modérés ; mais il faut que cette société anonyme soit ouverte à tous : c’est un grand œuvre national auquel toutes les existences doivent être appelées, et s’il y a bénéfice, il ne faut pas le monopoliser.

« Il faut pourtant un attrait suffisant aux actionnaires, et, sur ce point, il nous semble que la commission supérieure ne faisait point assez lorsqu’elle proposait de ne leur assurer, à la fin des travaux, que le remboursement des sommes avancées avec un intérêt de 3 p. c. Dans une entreprise de cette nature, où le concours d’un grand nombre de personnes est indispensable, il faut bien donner quelque chose à l’intérêt privé, car on ne trouve pas partout le même désir de travailler seulement pour le bien de son pays. »

Messieurs, il a ici d’excellentes raisons, je dirai des raisons péremptoires contre les concessions et quant au remède proposé, je me permettrai de le regarder comme une véritable utopie.

La chambre de commerce de Verviers se prononce contre la concession, de même que la régence de Tirlemont, la députation des états du Brabant, la chambre de commerce de Venloo, et une autorité qui, par son importance, plane sur toutes les autres, la commission supérieure d’industrie et de commerce.

Mais, dit l’honorable député de Mons, plusieurs de ces autorités se taisent sur le mode de construction. Qu’est-ce à dire ? D’abord un grand nombre de ces autorités, et des plus importantes, se prononcent formellement contre les concessions : et quand les localités sont opposées au système d’entreprise par le gouvernement, croyez-vous qu’elles se bornent à approuver purement et simplement le projet ?

Non ; elles ont bien soin de se prononcer, de protester même contre le système de construction proposé par le gouvernement ; elles font l’apologie des concessions. Nous avons donc raison en disant que ceux qui approuvent simplement le projet, se prononcent implicitement, mais virtuellement, contre les concessions.

Lorsque certains organes du commerce se prononcent pour les concessions, il y a cela de très remarquable, c’est qu’ils soumettent les concessions à des conditions à peu près impossibles.

La régence de Bruges se prononce pour les concessions, mais vous allez voir de quelles restrictions elle veut les accompagner.

« Quant à la question de savoir si ce chemin devra être exécuté au compte de l’Etat ou par voie de concession, sur adjudication publique, ce n’est pas ici le moment de la discuter ; mais nous ne pouvons nous abstenir d’observer que les exemples cités par MM. les ingénieurs en faveur du premier système, sont très peu concluants à l’égard de l’Angleterre, puisque le canal calédonien, qui joint la mer du Nord à l’Océan atlantique ; l’amélioration de la grande route d’Irlande, dont le pont de Menai fait partie ; les routes militaires de l’Écosse et le Breakwater de Plymouth, tous ces ouvrages cités par MM. les ingénieurs n’ont pas la moindre analogie avec le projet actuel, car ils ont tous été exécutés dans un but politique. Au contraire, l’opinion généralement adoptée en Angleterre est que toute entreprise de ce genre doit être effectuée par des sociétés, l’intérêt public étant toutefois spécialement garanti par un acte législatif ; dans l’un ou l’autre cas il y a une circonstance sur laquelle nous ne pouvons trop appuyer, c’est que le péage doit être le même sur toute la ligne de la route, soit directe soit d’embranchement, afin que les embranchements qui pourraient être formés plus tard ne soient pas assujettis à un péage plus élevé que celui de la ligne formée dans l’origine. »

Dans le système de la régence de Bruges, il faudrait que l’embranchement vers Ostende fût soumis dans son entier au même péage que la route d’Anvers sur Verviers : trouverez-vous des concessionnaires disposés à accepter de pareilles conditions, en supposant toutefois que vous trouviez des concessionnaires pour la route entière ?

La chambre de commerce de Bruxelles se prononce pour la concession, mais vous allez voir aussi à quelle condition :

« La chambre de commerce émet donc le vœu que la route projetée soit mise à exécution par le moyen de concessions particulières. Mais, considérant que certaines parties de cette route, et notamment quelques-uns de ses embranchements, pourront présenter plus d’avantages que d’autres, elle pense que la mise en adjudication de ses diverses parties devra être combinée de manière à ce qu’il y ait autant que possible, compensation entre leur produit. Sans cette précaution, les parties les moins favorables ne seraient point exécutées, et le pays se trouverait privé, dans l’intérêt de quelques localités, de l’ensemble d’une communication dont il aurait retiré de grands avantages. »

La conclusion à tirer de toutes ces inductions imposées à la concession par les organes du commerce qui se prononce pour ce système, c’est que le péage doit être unique dans toute l’étendue de la route, c’est-à-dire, que l’acte de concession doit être un dans toute l’étendue de la route à parcourir ; car il est impossible d’arriver à cette conséquence, si vous n’admettez pas le système de concession unique. Comment la compensation pourrait-elle s’opérer sans cela ?

Les propriétaires de houillères de l’arrondissement de Mons se prononcent entièrement pour la concession et contre le système du gouvernement ; mais ils approuvent le projet d’une route en fer.

Qu’a-t-on dit pour énerver la force de l’opinion émise par les différentes localités favorables au projet et dont je viens d’invoquer les expressions ? On a dit que, pour les localités qui étaient traversées par la route, il était naturel qu’elles fussent favorables à sa construction par le gouvernement.

Messieurs, il se présente ici une question toute naturelle : dans les localités qui ont quelque intérêt à la question, le commerce est favorable au système de non-concession, quoique l’honorable préopinant eût annoncé d’une manière générale que le commerce était favorable aux concessions. Je trouve d’abord que par l’importance et le nombre des autorités consultées et favorables au projet ministériel, le système des concessions a été battu en brèche.

Mais, dit-on, elles sont favorables au projet parce qu’elles en doivent retirer de grands avantages.

Si le gouvernement fait toujours si cher, si lentement et si mal, et si l’intérêt particulier si vivace, si économique, fait toujours rapidement et bien, je ne comprends pas l’approbation des localités pour le système du gouvernement : tout ce que l’on doive exiger, c’est que le chemin soit vite fait, c’est qu’il soit économique, c’est qu’il soit solide ; eh bien ! si le système du gouvernement ne donnait pas ces avantages, elles sont bien aveugles de ne pas demander la concession et de ne pas se coaliser entre elles pour que la concession leur soit remise.

Cette réflexion nous conduit tout naturellement à une autre ; si les localités qui doivent être favorisées par la route repoussent la concession, nous pourrions dire que celles qui demanderaient la concession sont précisément celles qui se croient lésés par la concession de la route, et qui au fond n’en veulent pas sérieusement. Si les localités que la route traversera appellent à grands cris l’intervention du gouvernement, nous disons que les autres, que celles qui appellent à grands cris la concession, sont précisément, à peu d’exceptions près, celles qui pensent que la route leur fera tort. Cependant ces localités seraient également lésées, et par la concession, et par l’intervention du gouvernement dans l’entreprise ; j’aurai occasion de revenir sur ce point.

Le résumé de ceci est que les localités qui veulent la route appellent l’intervention du gouvernement, que les localités qui ne veulent pas la route, répudient l’intervention du gouvernement et invoquent la concession : toujours, bien entendu, sauf quelques rares exceptions.

Les citations que j’ai mises sous les yeux de la chambre, réfutent aussi une assertion de l’honorable représentant de Mons. Il vous a longuement entretenus de la nullité du transit en Belgique et de la concurrence meurtrière de la Hollande contre notre chemin en fer. Voyons, sur ce point, quelques autorités. Voici l’avis de la chambre de commerce de Mons :

« Le but principal de ce projet est d’assurer à la ville d’Anvers les moyens de rétablir vers l’Allemagne des relations que l’état de guerre avec la Hollande a presque entièrement interrompues. Plusieurs considérations puissantes motivent l’indispensable nécessité d’établir aujourd’hui cette nouvelle route, dont l’utilité se faisait déjà sentir avant la révolution de 1830.

« D’après ce qui précède, sans entrer dans des considérations générales sur les raisons qui doivent porter tous les peuples à suivre le mouvement universel de progrès vers les améliorations utiles, sans insister sur l’indispensabilité des communications faciles pour étendre les relations commerciales et développer l’industrie, nous n’hésitons pas à reconnaître la nécessité d’ouvrir une nouvelle route entre la Belgique et l’Allemagne.

« Quoiqu’il n’entre peut-être pas dans nos attributions de nous prononcer sur la nature de la route à préférer, les arguments avancés en faveur du chemin de fer, par les auteurs du projet (pages 25 et suivantes), nous paraissent sans réplique. Leur système réunit à la fois l’économie des frais de transport, la promptitude des voyages, l’avantage de ne voir jamais les communications arrêtées par les rigueurs de l’hiver, celui de laisser intacte une plus grande quantité de terrains propres à l’agriculture, etc., etc.

Voilà quant à l’utilité de la route elle-même.

La chambre de commerce de Tournay en fait le même éloge.

La chambre de commerce de Charleroy a parlé dans le même sens.

Les propriétaires de houillères de Mons ne sont pas moins formels que la chambre de commerce. C’est à la chambre qu’ils se sont adressés. Voici leurs paroles :

« Un projet du plus haut intérêt, celui de la route en fer de l’Escaut à la Meuse va occuper la chambre législative. L’exécution de cet immense travail est une question vitale pour notre commerce de transit, et nous joignons nos vœux à ceux qui s’élèvent de tous les points du royaume, pour voir ouvrir promptement cette utile communication. »

Vous voyez, messieurs, que les craintes de l’honorable représentant sur l’impossibilité d’obtenir un transit, soit en partage avec la Hollande, soit contre la Hollande, sur l’impossibilité de pouvoir lutter, de pouvoir établir la concurrence contre les moyens de communication, que la Hollande pourra établir, vous voyez que ces craintes ne sont pas partagés par les autorités de la province même à laquelle il appartient.

Messieurs, vous avez vu que les chambres de commerce et les régences qui, en petit nombre, se prononcent formellement contre les concessions, reconnaissent l’impossibilité de concessions partielles ; elles reconnaissent que dans le système de concessions partielles, plusieurs localités seront évidemment sacrifiées ; je crois aussi, par exemple, qu’une partie des Flandres se trouvera dans ce cas.

Je dis, messieurs, que les autorités favorables à la concession ne veulent point de concessions particulières. En voici encore la preuve : « Faire une seule concession, a dit la chambre de commerce de Tournay, présenterait un grand inconvénient ; en faire plusieurs ce serait s’exposer à n’en voir adjuger aucune. »

La conséquence de tout ceci, c’est que beaucoup d’autorités commerciales se prononcent contre la concession ; que celles qui veulent des concessions y mettent des conditions impossibles. Donc, la concession ne se fera pas ; et vous avez entendu, à cet égard, ce que vous a dit un honorable député dont la parole fait autorité en ces matières.

L’honorable M. Meeus, avec une franchise à laquelle je rends hommage, est venu dire, hier qu’il ne croyait pas au succès d’une mise en concession, et qu’il voterait probablement pour le projet du chemin de fer, le crût-il mauvais, plutôt que de renoncer à cette entreprise et à ne pas voir la création de ce grand travail.

L’honorable M. Meeus a hier fait deux aveux. Il a reconnu que, dans les circonstances où nous sommes parvenus, la concession n’avait pas chance d’être acceptée, et que si la concession avait jamais, dans une circonstance quelconque, eût des chances réelles, ce n’était qu’au moyen de l’intervention de la banque et d’une grande association d’actionnaires ; il est venu justifier ainsi, en grande partie, l’assertion d’un de mes honorables amis, M. Devaux.

Messieurs, je suis loin de me croire un géant ; je dirai même volontiers qu’à côté de l’honorable M. Meeus, en matière d’industrie et de commerce, je me regarde comme un pygmée. Cependant tout pygmée que je me croie, je déclare que je n’ai pas peur de la banque ; j’irais même plus loin, je dirai que je ne partage pas la plupart des préventions que j’ai entendues se produire, tant ici qu’au dehors, contre la banque.

Je crois que la banque a rendu de véritables services au pays ; qu’elle a contribué à consolider et même à créer le crédit public. Je crois que dans une circonstance récente, elle a encore fait preuve de bon vouloir envers le pays. Ainsi je n’ai personnellement aucune espèce de prévention contre la banque ; je ne me regarde pas pour cela comme un grand homme. (On rit.)

Mais si je n’épouse pas les préventions que quelques personnes nourrissent contre la banque, je crois cependant devoir me tenir en garde contre une autre exagération.

Je ne crois pas que la banque soit aussi désintéressée qu’on s’est efforcé de le démontrer dans la séance d’hier. Eût-on vingt fois écrit dans les statuts de la banque que son premier point de mire était l’intérêt du pays, on ne saurait pas effacé quelque chose de plus indestructible que les statuts, la nature des choses. Je ne crois pas qu’une compagnie financière, quelque patriotes que soient ceux qui la composent, fasse du sentimentalisme là où il s’agit de chiffres et de spéculations. Je crois que si la banque avait entrepris de construire le vaste chemin de fer soumis à vos délibérations, elle se serait occupée premièrement de son intérêt particulier, et en second lieu de l’intérêt du pays.

Voilà comment je juge la banque ; je nie les sentiments de désintéressement qu’on lui attribue ; ce serait, passez-moi le mot, une véritable niaiserie ; je ne crois pas davantage que ce soit un vampire altéré du sang du peuple belge, ou un ogre toujours prêt à nous dévorer, comme on semble parfois l’insinuer. Je crois qu’il est de l’intérêt du gouvernement de vivre en bonne intelligence avec la banque et qu’il doit en résulter pour le pays des avantages incontestables. Mais si nous voulons que le gouvernement soit l’ami de la banque, nous ne consentirons jamais à ce qu’il en devienne le vassal ; et nous croyons que si on augmentait encore l’influence que la banque exerce dans les transactions du gouvernement, il n’y aurait plus d’égalité, l’équilibre serait détruit, la banque serait plus forte que le gouvernement lui-même. C’est ce à quoi le gouvernement, aussi longtemps que j’aurai l’honneur d’en faire partie ne consentira jamais.

M. de Robaulx. - La banque est déjà l’égale du gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - A peu près !

Messieurs, j’arrive à une question très délicate. Je proteste d’avance contre toute expression qui pourrait m’échapper et qui serait de nature à blesser d’honorables susceptibilités. Je veux parler de ce qui concerne la province du Hainaut.

D’abord, je ne puis m’empêcher de témoigner ma pénible surprise de voir partir de quelques bancs où l’on proteste avec le plus de chaleur et d’énergie contre toute supposition d’esprit de localité. Je ne puis m’empêcher, dis-je, de témoigner la pénible surprise que j’ai éprouvée, en nous voyant qualifier de ministère liégeois, et en voyant rattacher le projet dont il s’agit, à la prédilection dont nous serions animés en faveur de l’industrie de cette localité. Il me semble que quand on proteste avec tant de chaleur contre toute supposition d’esprit de localité, la loi honorable de la réciprocité devrait commander de s’en abstenir, même vis-à-vis du gouvernement.

Mais, messieurs, ce n’est pas le ministère actuel qui a songé à diriger la route vers la ville de Liège. Déjà, dans le projet de l’honorable M. de Theux, la routé aboutissait à cette ville.

Je pense que l’honorable M. de Theux ne s’est montré ni plus ni moins Liégeois que ses successeurs. Quant à moi, j’appartiens à la province de Liége, mais à une localité que la route n’approche pas. Je ne tiens pas mon mandat des électeurs liégeois non plus que mon honorable collègue le ministre de l’intérieur, et, à en juger par quelques événements assez récents, on ne devrait pas nous supposer de la partialité pour la ville de Liége. Je dirai de plus qu’il n’y a pas de ville où la presse m’ait plus mal maltraité, ait calomnié plus indignement mon caractère et mes intentions. Mais quand je croirai la cause de l’industrie de Liége juste et fondée, je saurai mettre de côté tout ressentiment personnel comme je saurai toujours me défendre de tout esprit de localité contre toute sympathie exclusive de l’impartialité qui doit être notre loi.

Il me semble que le projet de la section centrale a déjà désintéressé en grande partie la province du Hainaut. La section centrale propose un embranchement pour le Hainaut, et s’il y a dissentiment entre les localités dont se compose le Hainaut, pour le tracé de la route, ce sont là des discussions intérieures que le gouvernement doit laisser au préalable se débattre entre les intéressés.

L’embranchement proposé par la section centrale, dont le travail est adopté par le gouvernement, fait donc participer le Hainaut au bénéfice de la route en fer avec la province de Liége, avec Ostende et les autres localités des Flandres.

On a paru se récrier hier contre le langage plus ou moins circonspect de mon honorable collègue le ministre de l’intérieur, quand il a abordé cette partie de la discussion.

Mais, messieurs, quand le ministre de l’intérieur a dit que le Hainaut avait la chance d’obtenir ses apaisements, c’est qu’il ne voulait pas se permettre de préjuger les votes de la chambre.

Le gouvernement, en ne proposant pas d’embranchement vers la frontière de France, ne devrait pas encore être accusé d’iniquité contre le Hainaut, supposition qui serait absurde, car cette hostilité ne serait fondée sur rien. Des doutes qui ont besoin d’être éclaircis, pouvaient le préoccuper et l’arrêter. Il n’est pas démontré que l’équilibre se soit pas depuis longtemps rompu en faveur du Hainaut ; il n’est pas démontré que le seul effet de la construction du chemin en fer ne soit pas la réparation pure et simple de l’injustice commise envers la province de Liége.

En proposant l’établissement d’un embranchement vers le Hainaut comme vers Ostende, en agrandissant aussi les proportions du projet d’une manière démesurée, le gouvernement pouvait craindre de tout compromettre, comme cela est arrivé, dans plusieurs circonstances où des extensions données à une proposition primitive ont frappé la proposition elle-même au cœur.

Mais enfin, cette question, selon moi, est à peu près tranchée par la proposition de la section centrale à laquelle le gouvernement s’est rallié.

J’ai maintenant à passer rapidement en revue, avant de terminer, quelques-unes des théories commerciales exposées par MM. de Puydt et Meeus. Ces deux honorables membres vous ont beaucoup parlé de l’Angleterre.

Mais ces messieurs sont trop instruits pour ne pas savoir que s’il y a un pays au monde où la richesse soit mal répartie, c’est en Angleterre. Là, messieurs, une petite minorité est en quelque sorte en possession de toute la fortune publique ; et, vous savez s’il est un pays plus dévoré de la lèpre du paupérisme que l’Angleterre. Ce n’est pas pour la première fois que je vous présenterai une considération sur laquelle plusieurs publicistes ont déjà appelé l’attention publique, c’est$ qu’une des causes principales de l’élévation du prix de toutes choses en Angleterre, de la cherté de la vie, tant en partie de l’élévation du prix de transports. Il est évident que le bon marché des transports est une des causes principales du bon marché des produits de toute nature, soit des productions manufacturées, soit des productions du sol.

Il est constant que nulle part le prix des transports n’est plus élevé que dans certaines localités de l’Angleterre, où vous voyez les bénéfices usuraires et vraiment exorbitants que font plusieurs concessionnaires de canaux et de routes.

Mais n’imitons pas en toutes choses l’Angleterre. Il y certainement de bons exemples à y puiser ; mais, messieurs, naguère encore, il y avait l’exemple des bourgs pourris, aujourd’hui encore elle offre l’exemple de la taxe des pauvres.

Je pourrais citer beaucoup de choses dont je ne voudrais pas voir l’importation dans mon pays, quoique je sois un admirateur des mœurs politiques anglaises, de son esprit public, et de la plupart de ses institutions.

Messieurs, quant à l’élévation des péages résultant des concessions, quel remède est proposé par les honorables députés auxquels je réponds ? C’est la concurrence ; c’est à la concurrence, disent-ils, à établir l’équilibre. Eh bien, demandez-vous de bonne foi, si un chemin de fer aussi colossal que celui d’Anvers à Liége, étant construit par une société de grands capitalistes, qui, en conserverait la propriété, la concurrence serait possible contre un pareil entrepreneur ? Malgré toutes les théories sur la concurrence, on est obligé de répondre non.

Le jour où on essaierait de faire de la concurrence contre la compagnie, cette compagnie ferait les sacrifices les plus grands pour tuer le concurrent et dans un petit pays comme le nôtre, où les capitaux ne sont pas arrivés à l’accumulation qu’ils ont atteinte en Angleterre, ni même en France, il est évident qu’un tel remède est chimérique, et qu’ici la concurrence serait pour longtemps impossible.

On a parlé de monopole. Mais c’est là que serait le monopole, il y reposerait sur une base indestructible. On a aussi prêché le système du laisser-faire, en parlant du gouvernement, et on a cité l’exemple de la ville de Bruxelles, qui vient de mettre son octroi en adjudication. Le gouvernement met aussi certaines choses en adjudication ; il y met les barrières, les péages d’eau ; mais je ne sache pas que la ville de Bruxelles ait concédé son octroi à perpétuité, ou pour le petit terme de 99 ans, terme que demandent assez volontiers les concessionnaires. Si nous voulions prendre pour règle absolue l’exemple de la ville de Bruxelles ; si cet exemple était bon à suivre dans tous les cas, il faudrait supprimer l’administration ; il faudrait mettre l’administration des finances en concession, mettre la justice en adjudication et au rabais, rétablir les fermiers-généraux, dont la révolution française a cru la suppression si utile au gouvernement et aux contribuables.

Il ne faut pas pousser les choses jusqu’à l’absurde. Je ne vois pas ce que peut avoir ici d’influence l’exemple cité. Parce que la ville de Bruxelles aura concédé son octroi pour un an ou deux, nous irions aliéner une communication de laquelle dépend peut-être l’indépendance de la Belgique, et nous irions l’aliéner à perpétuité ?

Les honorables orateurs MM. de Meeus et de Puydt ont encore émis d’autres théories, sur lesquelles je me permettrai d’appeler l’attention de la chambre. Voici une des conséquences du laisser-faire de M. Meeus, il l’a lui-même exposée : « Si Liége, dit-il, peut écraser le Hainaut par ses propres forces, je ne demande pas mieux ; je verrais avec plaisir les actions monter d’un à 20 dit M. de Puydt, bien qu’ailleurs il demande des péages modérés. » Le même orateur ajoute : « Il ne peut y avoir d’industrie qu’avec des chances de bénéfice et de bénéfice illimité. » Il développe cette opinion dans plusieurs parties de son discours.

Savez-vous quelle est la conséquence directe des doctrines absolues de nos honorables collègues ? C’est que le gouvernement ne doit intervenir en aucune manière dans les entreprises de travaux publics. Eh bien, la conséquence que le gouvernement ne doit intervenir en aucune manière dans les travaux publics, nous conduit à ceci : C’est que le système en vertu duquel le gouvernement a le droit d’accorder ou de refuser des concessions est une absurdité un non-sens. ; c’est que du jour où on n’aura pas besoin de l’intervention du gouvernement, pour arriver aux expropriations, que des compagnies financières pourront s’entendre à l’amiable avec les propriétaires, il faut que le gouvernement se croise les bras, laisse les entrepreneurs construire des routes comme ils l’entendront sur une surface de 10, 15, 20 lieues, et établir les péages comme ils le voudront ; voilà les conséquences du laisser-faire.

Mais les orateurs que je combats admettent comme indispensable l’autorisation du gouvernement.

En Angleterre il ne se fait pas une route si minime qu’elle soit sans l’autorisation du parlement.

Ils savent que le gouvernement, régularisant ici l’intérêt privé, ne se borne pas à accorder l’autorisation, et fixe le péage, le maximum au moins des péages.

Il y a donc dans la construction d’une route, autre chose que de l’intérêt, qu’une opération d’industrie pure et simple. S’il n’y a ici qu’une lutte entre des intérêts commerciaux de différentes natures, mais purement privés, je demande de quel droit l’autorisation du gouvernement est requise, de quel droit le gouvernement veut se placer entre ceux qui font usage de la route et les propriétaires, de quel droit il fixe le maximum du péage. En Angleterre le parlement intervient comme le gouvernement belge, de fait en vertu des lois sur les concessions.

L’intervention du pouvoir est donc admise en Angleterre comme en France, comme en Belgique ; la doctrine de laisser-faire y reçoit cette grave instruction.

Maintenant, à quel titre, dans quel but, de quelle manière le gouvernement intervient-il ? Le gouvernement ne peut intervenir que dans l’intérêt général, que pour assurer autant que possible dans les localités diverses, une bonne justice distributive.

Le gouvernement n’est pas un être purement mécanique. Quand il est appelé à donner son autorisation, il fait acte d’intelligence et de responsabilité. Si, par exemple, le Hainaut se trouvait ruiné par suite d’une autorisation donnée par le gouvernement, je vous demande, de quels reproches les ministres ne seraient-ils pas accablés ! On dirait au gouvernement : On vous a demandé l’autorisation de construire telle route ; vous deviez savoir que c’était la ruine de notre commerce, vous deviez savoir qu’en fixant ainsi les péages en raison de dépenses évalués trop haut par les concessionnaires, vous enleviez le débouché de Bruxelles et d’Anvers aux charbons du Hainaut, et vous gouvernement pour avoir mis les compagnies houillères de Liége en mesure de nous ruiner, vous avez trahi vos devoirs, vous avez cédé à un esprit de localité, vous avez favorisé une province au préjudice d’une autre, vous avez abusé de l’intervention qui vous est attribuée par nos lois, vous êtes répréhensible sous tous ces rapports.

Il semble que le droit d’accorder des concessions soit la faculté de les donner en aveugle, sans s’enquérir de l’intérêt général à la garde duquel le gouvernement est essentiellement préposé.

Messieurs, je ne sais pas, mais il me semble que si j’étais propriétaire des houillères dans la province du Hainaut et que je fusse condamné à être ruiné, il me serait indifférent que ce fût par le gouvernement ou par une compagnie de concessionnaires. L’essentiel pour le Hainaut, n’est pas d’être ruiné de telle manière ou de telle autre, c’est de ne pas être ruiné du tout. Contre une telle calamité, je vous le demande, le Hainaut ne doit-il pas avoir plus de confiance, une plus grande garantie dans le gouvernement que dans le laisser-faire, que dans une exploitation abandonnée à perpétuité à des concessionnaires inflexibles ?

Messieurs, j’ai entendu accuser le gouvernement d’une singulière ambition. Le gouvernement, dit-on, veut avoir pour lui le monopole des travaux publics ; et à la manière dont on a insisté sur cette grave accusation, j’ai cru qu’on s’était trompé, qu’on avait pensé que ce n’était pas les travaux publics, mais l’instruction publique qui était à l’ordre du jour.

Oui, dans certains cas, le gouvernement veut le monopole des travaux publics, mais dans quel but ? dans un seul ; pour gagner moins que les cessionnaires, pour subordonner ses bénéfices aux besoins du commerce au strict nécessaire.

A la manière dont on a parlé parfois du gouvernement dans cette enceinte, on dirait que nous sommes encore sous le régime des maîtresses et des favoris. Qu’est-ce donc que le gouvernement en Belgique ? c’est tout le monde, les électeurs, les chambres, les ministres, le roi : vous êtes partie intégrante du gouvernement, vous êtes les grands monopoliseurs que le gouvernement veut associer au bénéfice de ses travaux.

Messieurs, vous vous défieriez du gouvernement ! mais ce serait vous défier de vous-mêmes, ce serait vous défier du pays entier. Car si jamais constitution a organisé le gouvernement du pays par le pays, c’est assurément la constitution sous laquelle nous vivons aujourd’hui.

Au reste, pour le Hainaut, dont on ne s’est, selon moi, que trop occupé, la question est bien moins dans l’embranchement que dans le tarif, c’est précisément contre le tarif que l’honorable M. Brixhe a dirigé ses attaques. On peut lui répondre que le taux de 2 centimes qui a été proposé pour le transport du charbon par tonneau et par kilomètre n’est pas définitivement arrêté. Les propriétaires de houillères de l’arrondissement de Mons ont aussi spécialement réclamé contre le taux de 2 centimes.

Mais ce taux de 2 centimes n’est qu’une proposition destinée à servir de base aux évaluations ; elle n’a pas reçu la sanction du gouvernement, La question du tarif n’est pas jugée. C’est à vous de la fixer, et, remarquez-le bien, à la fixer annuellement, après avoir écouté tous les intérêts.

Je demanderai, au reste, si le Hainaut ne doit pas préférer voir l’arbitrage de son sort confié au gouvernement, qu’à l’avidité d’une compagnie de concessionnaires ? Certes, si on doit trouver quelque part du désintéressement, de l’impartialité, des vues d’intérêt public, c’est moins là sans doute que dans le gouvernement. Si j’avais l’honneur d’être le représentant de la province du Hainaut, je préférerais pour elle cet arbitrage à celui d’une compagnie de concessionnaires ; mon choix ne serait pas douteux.

Après avoir passé en revue plusieurs des objections des honorables préopinants, je termine, sans me résumer, par une considération qu’on vous a déjà présentée.

On l’a dit avec raison : La révolution belge a froissé beaucoup d’intérêts, et au-dehors a excité des préventions.

Les populations de l’Allemagne, qui d’abord n’avaient rien compris à notre émancipation politique, aujourd’hui que nous avons fixé l’attention de l’Europe, par la discussion de ce grand projet national, commencent à comprendre la justice de notre révolution ; elles voient que le joug que nous avons secoué nous rendait les vassaux de la Hollande sous le rapport commercial et que pour nous en affranchir, la révolution était la loi d’une impérieuse nécessité.

Par la route proposée vous associez l’Allemagne à la question de l’Escaut ; vous rattachez à la cause de l’indépendance belge tout ce qu’il y a d’hommes honorables et éclairés dans le parti connu sous le nom d’orangiste ; vous vous ralliez l’industrie et le commerce dont les plaies ne sont pas encore cicatrisées. Vous préparez ainsi la fusion du parti, et si un jour de collision s’élevait entre la Hollande et nous, vous compteriez dans vos rangs ces mêmes hommes dont les intérêts seraient désormais liés à la nationalité et à l’émancipation commerciale de notre patrie.

M. Quirini. - Messieurs, le projet de loi que nous discutons en ce moment a été examiné sous toutes ses faces par les honorables orateurs qui ont parlé avant moi : les principaux arguments par lesquels je m’étais proposé de le combattre, m’ont été enlevés ; j’avoue que je suis loin de me plaindre : en effet les diverses questions qui se rattachent à cette matière ont été traitées avec une supériorité de talents et de connaissance que je n’ai pas cessé d’admirer.

Je ne me flatte donc pas de répandre quelques lumières sur une discussion qui a déjà occupé plusieurs séances, mais l’importance du projet que le gouvernement nous a soumis, l’énormité de la dépense qui résulterait de son exécution à charge de l’Etat, et surtout l’idée que l’on n’est pas parvenait à détruire en moi que son adoption devra entraîner la ruine de plusieurs industries qui sont aujourd’hui en pleine activité dans le royaume, sans procurer au pays ces avantages immenses dont MM. les ingénieurs nous présentent une si brillante perspective ; cette idée, dis-je, jointe à quelques autres considérations que je me permettrai de vous présenter, m’imposent le devoir de prendre la parole et de motiver mon vote.

La construction d’une route en fer d’Anvers vers Cologne a été envisagée sous deux points de vue différents : d’abord dans ses rapports avec le commerce en transit vers l’Allemagne, comme devant procurer à la Belgique un moyen de transport plus économique et surtout plus rapide que ceux actuellement existant, pour arriver jusqu’au Rhin ; et en second lieu comme destiné à améliorer les communications (erratum Moniteur belge n°79, du 21 mars 1834) pour le commerce intérieur du pays.

Il suffit de jeter un coup d’œil sur le projet en discussion, pour être convaincu que le gouvernement, en le présentant à la sanction de la législature, a eu principalement en vue de faire participer la Belgique au commerce en transit vers l’Allemagne, et que la considération en faveur du commerce intérieur a été purement secondaire : préoccupés de cette idée que la Belgique, au moyen des communications dont elle est en possession aujourd’hui, ne peut entrer en lice avec la Hollande pour lui disputer la préférence que sa position commerciale lui assure sur nous pour le commerce de l’Allemagne, les auteurs du projet se sont imaginé que l’établissement de la route en fer offrait un moyen assuré de remédier à ce désavantage et de rétablir avec efficacité des relations commerciales dont nous nous trouvons privés.

Si tel est le principal but de la loi en discussion, et si ce but peut être atteint en construisant la route projetée, cette construction est indispensable, il faut se hâter de l’établir ; et quelle que soit la somme qu’on devra y employer, l’intérêt général du pays la réclame, il faut la voter.

Mais messieurs, on vous l'a déjà dit, et cette objection n’a point été détruite : non, il n’est pas donné à la Belgique d’élever des prétentions dominatrices sur la Hollande pour le commerce de l’Allemagne : au moyen de la route projetée, vous abrégerez la distance qui nous sépare des frontières de la Prusse, vous pourrez lutter convenablement contre votre rivale, et détruire cette supériorité dont elle jouit aujourd’hui ; mais la Hollande ne tardera pas à la rétablir en augmentant la vitesse de ses communications actuelles et en exécutant le projet qu’elle a arrêté depuis longtemps, celui de l’établissement de routes semblables de Rotterdam et d’Amsterdam vers Cologne.

Ainsi le but principal que les auteurs du projet ont eu en vue en proposant l’établissement d’une route à ornière d’Anvers à Cologne ne pourra être atteint, et les sacrifices que l’on aurait imposés au pays pour couvrir cette dépense demeureraient sans résultat.

Reste la considération que la construction de la route procurera du moins une communication plus rapide, et, nous assure-t-on, plus économique pour les transports dans l’intérieur du royaume.

Fondée sur cette seule considération, que les auteurs du projet eux-mêmes donnent comme purement secondaire ; séparée de ce puissant motif d’utilité générale et de nécessité impérieuse qu’ils invoquaient en premier lieu, la construction de la route projetée ne présente plus, il faut bien le reconnaître, ce grand intérêt avec lequel il s’annonçait au premier abord. Certes, il est évident que cette route, si elle parvenait à être exécutée, procurerait certains avantages à quelques villes du royaume ; mais est-elle indispensable ? Quel besoin le commerce éprouve-t-il de cette nouvelle communication dans un pays sillonnée en tout sens de canaux et de routes ? L’avantage d’obtenir cette grande célérité qui lui est promise dans les expéditions des marchandises pourra-t-il jamais balancer les frais énormes que sa construction devra nécessiter ?

Convient-il d’engager le pays dans une dépense de plusieurs millions, sans avoir la certitude que le but principal, le seul qu’on s’était proposé d’abord, pourra être atteint ? et en supposant que la route devra, ainsi que le prétendent les auteurs du projet, attirer la plus grande partie des marchandises et absorber tous les transports qui s’effectuent aujourd’hui, l’anéantissement de nos canaux, de nos routes actuelles, des capitaux qui y ont été employés, est-il donc une chose si importante pour qu’il faille le désirer ?

Un honorable membre, qui s’est montré partisan du système des chemins en fer, a prétendu que l’établissement de celui qui est projeté d’Anvers sur Cologne était le moyen le plus sûr de rallier les esprits, en ouvrant de nouvelles sources de prospérité à l’agriculture, au commerce et aux manufactures.

Mais l’honorable membre a-t-il bien songé que cette route n’exercera pas seulement de l’influence sur le commerce de telle ou de telle ville du royaume, mais qu’elle ne pourra manquer de froisser une foule d’intérêts et de compromettre l’existence d’une quantité de personnes dont la profession est liée aux moyens de transports actuellement en usage ? Si le gouvernement trouve convenable d’établir des communications nouvelles, qu’il emploie les fonds dont il peut disposer pour en créer là où le besoin s’en fait sentir, et il n’en existe pas encore ; mais qu’il s’abstienne d’intervenir en faveur d’une industrie qui s’établit au préjudice d’une autre industrie à laquelle se rattachent tant d’intérêts divers.

Le transport des marchandises par le roulage ordinaire favorise l’agriculture, en ce qu’il nécessite l’emploi d’un grand nombre de chevaux : l’Etat perçoit le droit de barrière, les voituriers procurent des moyens d’existence à une nombreuse population et laissent partout de l’argent sur leur passage.

La navigation intérieure est la pépinière de la marine ; elle rapporte au fisc les droits de tonnage, de navigation ; entretient l’activité dans les chantiers de construction, alimente l’industrie de nombreux ateliers. Certes, la prospérité de ces deux moyens de transport n’est pas à dédaigner : elle est plus essentielle, plus intimement liée au bien-être général, qu’un chemin en fer qui traverserait le pays, pour profiter exclusivement au commerce des deux extrémités, ou à quelques villes de la Prusse.

Le transport des voyageurs par le chemin de fer n’est, en grande partie, qu’un objet de luxe, dont l’utilité ne compense pas non plus le préjudice porté aux messageries.

Il est incontestable que l’établissement des routes à ornières, sur une aussi grande échelle, aurait pour résultat de déplacer le commerce et l’industrie, sans créer de nouvelles ressources ; que ce nouveau mode dans les moyens de transports, brusquement établi sur une ligne aussi étendue, opérerait une nouvelle révolution commerciale. Une nouveauté qui porterait atteinte à tant d’industries, et dont les avantages promis sont au moins incertains, ne pourrait être introduite que par degrés, et avec les ménagements dus à l’intérêt particulier.

Ainsi l’établissement de la route dont il s’agit, loin de rallier tous les esprits, servira au contraire à froisser une masse d’intérêts, et à mécontenter telle classe laborieuse de la société qui trouve dans les communications existantes le moyen d’assurer son existence.

Mais, dit-on, la route en fer ne privera pas les canaux et les chaussées de toute la masse des transports qu’ils effectuent actuellement. Voyez plutôt ce qui a lieu en Angleterre, entre Liverpool et Manchester ; là les canaux et les chaussées continuent de lutter avec succès avec le nouveau chemin de fer, et où les divers moyens de transports, loin de s’entre-détruire par l’effet de cette concurrence, se trouvent au contraire dans l’état le plus prospère.

Singulier raisonnement ! Pour prouver une assertion aussi hasardeuse, on cite l’exemple de deux villes qui n’ont pas de rivales dans l’univers entier ; et ce sont ces deux villes, ces deux points uniques, que l’on offre pour garantie, à ceux qui exploitent nos canaux et nos chaussées, qui ne forment qu’une ligne depuis Anvers jusqu’à la frontière, qu’ils pourront exister à côté de la nouvelle route projetée. En vérité, les auteurs de ce merveilleux projet nous avaient déjà habitué à ce système d’exagération, en augmentant comme par enchantement le nombre des voyageurs et des transports qui se dirigeront par la nouvelle route, dans la vue d’arrondir le chiffre des produits des péages ; mais la comparaison entre Liverpool et Manchester, et les localités de la Belgique que le chemin devait traverser, est par trop hardie pour qu’on doive s’y arrêter un seul instant. Il suffit d’observer que la route en fer entre Liverpool et Manchester a été établie uniquement parce que les communications existantes entre ces deux villes ne pouvaient plus suffire au commerce prodigieux qui s’y fait continuellement ; peut-on dire la même chose à l’égard de la Belgique ?

L’idée d’introduire en Belgique le nouveau système des routes à ornières de fer n’est point due au ministère actuel. Déjà, en 1832 le gouvernement avait arrêté le projet d’un premier essai de ce genre, en mettant en adjudication publique la construction d’une route de fer entre Anvers et Liège, destinée à former la première section d’une communication de route vers l’Allemagne ; toutefois, il faut rendre cette justice au ministère actuel, c’est qu’il est allé beaucoup au-delà du projet primitif en proposant de construire cette route au moyen d’un emprunt à contracter aux frais de l’Etat, et en s’efforçant d’entraîner le pays dans une dépense dont il est impossible, malgré tous les beaux calculs qu’il nous a fait présenter, de prévoir toute l’importance.

Ce projet une fois conçu, le ministère employa tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour le faire goûter par la législature ; il chargea deux ingénieurs du corps des ponts et chaussées du soin de l’embellir, de le présenter sous le point de vue le plus favorable : ces ingénieurs, je me plais à le reconnaître, se sont habilement acquittés de cette tâche. Leur travail fut ensuite soumis, par l’intermédiaire des gouverneurs des provinces, aux régences des villes et aux chambres de commerce et de fabrique : celles-ci ne virent dans ce projet qu’une affaire d’intérêt commercial et un moyen d’obtenir, aux dépens de la généralité, des frais de transports moins coûteux que ceux qui se paient aujourd’hui par les communications existantes.

Les observations qui sont consignées dans ce recueil d’avis ne portent aucunement sur le montant de la dépense que la réalisation du projet devra coûter au pays.

La vérification de cette partie essentielle du travail était d’ailleurs impossible ; elle nécessitait des reconnaissances de terrains et des recherches minutieuses auxquelles ces autorités ne pouvaient se livrer : cette vérification a donc été totalement négligée, et le gouvernement nous propose de voter pour une construction de travaux immenses sans que nous sachions la dépense qu’ils pourront nécessiter. Les calculs des auteurs du projet ont déjà été détruits, les chiffres qu’ils présentent ravagés. Un savant ingénieur dont nous connaissons tous la vieille expérience a démontré jusqu’à l’évidence que nul chemin de fer n’a encore été conçu et exécuté dans des circonstances de terrassement aussi défavorables.

Je ne suis donc point étonné que quelques honorables collègues aient senti la nécessité de faire procéder à une enquête, à l’effet de vérifier l’exactitude des calculs donnés par les auteurs du mémoire. Pour ce qui me concerne, je reconnais que je n’ai pas les connaissances nécessaires pour contrôler leurs estimations. Seulement je rappellerai quelques observations qui ont été faites par un membre de cette assemblée, et auxquelles on n’a pas encore répondu.

Cet honorable membre a d’abord observé que l’exécution de la route mettrait le gouvernement dans la nécessité de racheter la concession de celle de la Vesdre, rachat qu’il a évalué à un million de francs ; que l’amortissement du capital qu’elle devra absorber ne pourra s’effectuer ainsi que le projet le propose, parce qu’à l’expiration de chaque période de 40 ans, le gouvernement se trouvera dans la nécessité de renouveler entièrement les ornières, ce qui nécessitera de nouvelles dépenses. Le même orateur a encore signalé une omission dans les calculs du devis pour la dépense qui résulte de la construction de locomotives après l’achèvement de la route.

Enfin, l’évaluation de la dépense pour la section de Malines à Louvain, et de cette première ville sur Anvers et Bruxelles, ne m’a pas paru exacte. La section de Malines à Bruxelles a été évaluée à 1,335,420 fr. ; celle de Malines à Louvain à 1,414,500 fr. ; de Louvain Tirlemont à 2,362,390 fr. ; et cependant la longueur de cette dernière section est de 3,700 mètres de moins que la première, et de 5,900 mètres de moins que la seconde. Je sais bien que l’on peut objecter que la section de Louvain à Tirlemont exige plus de travaux d’art : cela peut y contribuer pour quelque chose, mais ces travaux ne manquent pas à la section de Malines à Bruxelles, où il faut trois ponts sur la Senne, un pont tournant sur le canal de Louvain, un passage sous la chaussée de Louvain, etc.

En ce qui concerne les produits de la route, je ne puis m’imaginer comment les auteurs du projet ont pu compter sur des transports aussi considérables d’Anvers à Louvain par le moyen de la route. Il est évident, et MM. les ingénieurs l’ont eux-mêmes reconnu, qu’en ce qui concerne cette partie de la route, les transports continueront de s’effectuer par le moyen ordinaire du canal de Louvain, qui offre une communication aussi facile et plus économique encore que ne pourrait l’être un chemin de fer. Cette partie de la route me paraît donc superflue ; c’est une véritable prodigalité aux dépens du trésor, et inutile au commerce. Je sais bien que l’on a objecté à l’honorable M. Desmet que pour ce qui concerne les marchandises expédiées à une distance plus éloignée que Louvain, le commerce trouvera toujours un avantage d’économie dans la perspective qu’il ne devra pas supporter les frais de débarquement et de chargement sur les chariots.

Mais il faut remarquer que la plus forte partie des marchandises expédiées d’Anvers par Louvain sont transbordées directement du bateau qui les a emmenées à Anvers, dans celui qui est destiné à les conduire à Louvain. Arrivées à Louvain, les frais de séjour, d’entreposage et de chargement sur chariots ne doivent pas se faire plus qu’ils n’auraient eu lieu à Anvers, si la marchandise avait été expédiée directement par un chemin de fer ; ainsi, à Anvers comme à Louvain, mêmes frais de débarquement, de séjour de chargement sur chariots, avec cette différence toutefois que les salaires sont bien moindres à Louvain qu’à Anvers, autant par la concurrence et d’expéditeurs et d’ouvriers, que par le plus bas prix des vivres, différence qui compense largement ce qu’il y a à payer pour le transbordement d’un navire dans l’autre, seule manutention qu’on éviterait en poussant le chemin de fer à Anvers : l’objection n’est pas fondée, et dans tous les cas, fût-elle de quelque poids, tous les frais qui viennent d’être cités ensemble sont bien en-dessous des millions qu’il en coûterait de plus pour la construction de la section du chemin de fer d’Anvers à Louvain.

Outre les diverses considérations que l’on a fait valoir contre l’établissement de la route en fer, il en est une surtout qui mérite de fixer toute notre attention, c’est celle qui rattache ce projet à notre situation politique, vu la grande sollicitude du gouvernement à le recommander au patriotisme des chambres : tant de zèle et d’intérêt ne peuvent-ils pas faire supposer que la diplomatie n’y est pas étrangère ; que les détails seuls appartiennent à MM. les ingénieurs ; que le premier projet vient de MM. Talleyrand, Palmerston et consorts qui attendent impatiemment que la sagesse des chambres ait décidé que leur projet de route en fer soit exécuté, pour, sans s’inquiéter de la dépense qu’elle nécessitera, si elle amènera les heureux résultats qu’on en attend, si elle obtiendra jamais le concours de la Prusse, porter un jugement arbitral et sans appel par lequel, attendu que la Belgique y aura pourvu d’une autre manière et que la paix de l’Europe l’exige impérieusement, elle fera, à nos dépens, le sacrifice au roi Guillaume des droits qui nous sont garantis par le traité des 24 articles, en ce qui concerne le passage des routes, vers l’Allemagne par Maestricht et Sittard ; et plus tard, si l’exécution de la route en fer dont le projet est très beau, mais la réussite incertaine, ne réalise pas l’attente qu’on s’en était formée la Belgique ne serait plus admise à revendiquer pour d’autres communications des droits à l’annulation desquels elle aurait imprudemment donné les mains.

L’entreprise ne serait donc pas seulement commerciale, elle serait en même temps politique, elle touche aux intérêts les plus chers au pays, et doit être envisagée dans toutes ses conséquences.

Il me resterait encore plusieurs observations à faire sur le mode d’exécution de la route ; à cet égard, je partage entièrement l’opinion de l’honorable M. de Puydt pour le système de concession. Je reviendrai sur cet objet lors de la discussion des articles ; dans tous les cas, je ne pourrai donner mon assentiment à ce que la construction ait lieu aux frais du trésor.

M. Verdussen. - Messieurs, vouloir embrasser d’un coup d’œil les points capitaux d’une grave question, les traiter dans un seul discours avec les ramifications qui s’y rattachent, c’est prétendre à l’impossible ; ce n’est point éclairer une matière, c’est l’embrouiller, c’est en un mot s’égarer soi-même et égarer involontairement, peut-être, les autres avec soi. J’espère que je réussirai à ne point tomber dans cette faute, lorsque dans cette discussion générale je me propose de traiter de la nécessité de la route en fer, basée sur l’importance du commerce de transit, question fondamentale dont le développement m’entraînera à toucher plusieurs questions secondaires auxquelles mes honorables adversaires se sont laissés complaisamment aller.

La grande divergence d’opinions qui s’est manifestée dans cette assemblée pourra étonner les étrangers qui nous écoutent et qui nous lisent, lorsqu’ils considéreront qu’il s’agit de la vie ou de la mort du commerce de la Belgique : elle me surprend moins, cette grande divergence, lorsque je porte mon attention sur la manière dont, en général, la question a été traitée par ceux qui ont parlé contre le chemin projeté : de Belge qu’elle est par sa nature, elle est devenue dans leur bouche toute provinciale, et l’intérêt national a été, dans leur pensée étroite, étouffée sous le poids de l’intérêt local. C’est ainsi que des députés de Mons et de Thielt n’ont vu dans la cause de toute le pays que la cause de quelques sociétés pour l’extraction de la houille, de quelques commissionnaires d’Anvers ou d’Ostende ; c’est ainsi que, bornant leurs regards dans le rayon restreint du commerce local et d’approvisionnement, leur vue n’a jamais atteint les limites du domaine qu’ils auraient dû contempler d’un œil fixe ; de ce commerce qui enrichit les nations, qui unit les contrées les plus lointaines, qui embrasse les deux mondes, qui en fait connaître et circuler les productions dans l’intérieur continental, le commerce de transit enfin.

Le haut commerce, celui qui seul mérite ce nom, n’est que le commerce de transit. Il n’est jamais communal ni provincial ; il est toujours, et par son essence, national. Cette vérité reste debout devant les noms de Brême et de Hambourg, villes opulentes, privées comme nous de colonies et de vaisseaux de guerre, mais dont la nationalité se borne à peu près à leur enceinte.

Le commerce de transit est toujours national, parce que la nation qui a eu le bonheur de le fixer chez elle, est celle qui est parvenue à transformer son sol dans un entrepôt immense où les petits commerçants indigènes et étrangers viennent s’approvisionner, et où les peuples des deux hémisphères viennent, à cet effet, déposer les exubérances de leurs contrées respectives, et les échanger entre elles, en laissant au pays, où se font ces échanges, la récompense qui lui est due pour la facilité qu’il leur a procurée de faire sur son terrain des transactions mutuellement avantageuses. Il n’est donc pas essentiellement nécessaire que le pays, où ces échanges s’opèrent, soit agricole ou manufacturier ; il suffit pour cela que la nature l’ait heureusement placé sur le globe, qu’elle l’ait doté de fleuves sans écueils et de ports salutaires.

Si j’avais à prouver cette vérité devant la représentation nationale, je trouverais mes arguments non seulement dans l’histoire, mais jusque dans le discours de l’honorable député de Thielt, où la haute prospérité commerciale de la Hollande est si souvent et si justement proclamée. Cette fière Hollande est-elle donc si riche de produits ? Son sol couvert d’eau et de digues pour la contenir donne-t-il donc de quoi balancer l’importance des denrées et des richesses de toute nature, que le commerce venait naguère déposer dans ses magasins ?

Non certainement, et quelques fromages, des bestiaux et un peu de toiles, n’étaient point des valeurs suffisantes pour payer tant de trésors. Cependant, son commerce maritime était des plus florissants ; pourquoi ? Parce que ce commerce était universel, qu’il était tout de transit ou d’échange ; parce que le navire qui versait dans ses ports les produits du Sud trouvait à s’y remplir des produits du Nord, dont la contrée qu’il avait abandonnée depuis peu de mois avait soif ; parce qu’enfin les Indes trouvaient dans la Hollande l’entrepôt dont elles avaient besoin pour infiltrer dans les pays inabordables à la marine marchande les fruits dont elles abondent.

C’est donc bien peu connaître l’immense influence du commerce de transit que de le ravaler jusqu’au point de le limiter au commerce de consommation intérieur ; en effet que deviendrait le commerce des villes anséatiques, s’il se bornait à leurs besoins ou à leurs produits indigènes ? Le nom de commerce avili à ce point serait une dérision. Les besoins locaux ! Mais se faisaient-ils donc sentir si péniblement dans la Belgique lorsque, par suite du déplorable traité de Munster, l’Escaut resta fermé et le commerce anéanti ? Non, nous payions un peu plus cher les jouissances de la sensualité que la découverte du Nouveau-Monde nous a fait connaître, mais nous n’en étions pas privés ; nous devînmes les tributaires de la Hollande ou d’autres pays qui avaient eu le bonheur de conserver leur commerce de transit, qui est le seul vrai commerce, et voilà tout.

Nos adversaires ont encore calomnié le commerce de transit, en lui refusant une heureuse influence sur l’industrie minérale, agricole et manufacturière d’un pays. Dès qu’on ne voit dans ce commerce qu’un passage rapide d’une limite à l’autre, on tombe dans de semblables erreurs, parce que le manque d’expérience et l’exagération en engendrent naturellement ; mais lorsqu’avec une parfaite connaissance des choses on trouve inséparable le commerce de transit de celui d’échange, il est incontestable que la nation qui possède le transit est plus à même d’écouler ses produits que celles que les navires n’abordent que rarement et uniquement pour l’approvisionnement intérieur.

Après nous être livrés à ces considérations, jetons, messieurs. avec confiance et satisfaction les yeux sur notre belle patrie et avouons que la nature libérale lui a légué tous les éléments propres à exploiter cette source féconde de la richesse publique, le commerce de transit.

L’excellence du port d’Anvers est une vérité que des siècles d’expériences et la jalousie de nos voisins ont prouvée suffisamment : Ostende même, malgré toute son importance, ne peut être ici rangée que sur la seconde ligne. Ne soyons point ingrats envers la Providence des dons qu’elle nous a faits ; ne les laissons point stériles entre nos mains. Dotés que nous sommes de tous les moyens d’attirer le commerce, nos efforts doivent tendre à le fixer chez nous, par la multiplicité des débouchés, jointe à la célérité et à l’économie des transports.

En vengeant le commerce de transit du reproche de nullité dont quelques orateurs ont cherché à le flétrir, j’ai à peu près rempli ma tâche. De la preuve de l’importance de ce commerce, à celle de la nécessite de la route en fer, il n’y a qu’un pas. Ce serait une absurdité que de supposer un entrepôt universel sans écoulement, un bazar immense dans une impasse. Le transit ne vit, ne s’anime que par ses débouchés, et la nation qui est jalouse de le fixer cherche, ne doit négliger aucun effort pour les ouvrir et les multiplier ; elle doit surtout prendre à cœur de se procurer tous les moyens de réexportation dont sa rivale dans ce genre d’industrie peut disposer.

La Hollande, malgré ses fleuves et ses canaux nombreux, projette une route en fer vers Cologne ; cela seul suffit pour nous faire apprécier l’urgence de la nôtre : s’arrêter dans cette voie d’émulation, c’est reculer ; suspendre la lutte avec notre émule, c’est succomber. Craignons, messieurs, que nos anciens frères ne s’emparent du commerce exclusif avec l’Allemagne, et n’habituent les nations d’outre-mer et les grandes expéditions à envisager les parties septentrionales du ci-devant royaume comme le seul entrepôt principal qu’ils aient à alimenter dans les Pays-Bas.

Je crois avoir rendu nationale la question qui nous occupe, qualité qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’avoir, et je crois avoir par là suffisamment combattu ceux de mes honorables collègues qui semblent vouloir soumettre leur vote approbatif à des considérations d’un ordre inférieur, à des prédilections locales.

Tels sont, par exemple, ceux qui feraient dépendre leur appui au projet, ou du tracé du chemin soit un peu plus à droite, soit à peu plus à gauche du plan ; ou de la simultanéité des travaux sur tous les points ; ou enfin de l’avantage que recueillera telle province sur telle autre par l’exécution du projet. C’est voir mesquinement ce qui ne doit être vu qu’en grand.

Si je ne traitais ici la question du pays, mais celle des localités, j’opposerais encore province à province, intérêt à intérêt. Les mines de houille sont un bienfait de la nature comme le sont le lit d’une rivière et le rivage de la mer. Lorsqu’il sera reconnu, ce qui n’est pas encore prouvé, que le Hainaut se trouverait, non pas ruiné comme on l’a dit fort légèrement, mais plus ou moins froissé dans ses intérêts par la création de la route en fer, pourrait-il réclamer avec justice la suppression de cette voie de transport, en immolant à son intérêt privé celui de deux autres provinces ? J’oserais, s’il le fallait, lui contester ce droit ; mais je l’ai déjà dit, messieurs, la cause que nous plaidons n’est ni wallonne, ni anversoise, ni flamande : c’est la cause de la nation entière, de cette nation que nous représentons dans cette assemblée, aux termes de l’article 32 de la constitution, et non les provinces ou les subdivisions de province qui nous ont nommés.

La nécessité de la route en fer une fois reconnue par la nécessité des débouchés à ouvrir pour l’activité du commerce de transit, peut-il encore entrer dans l’esprit de tout ami de la prospérité du pays de laisser l’exécution de cet ouvrage à l’incertitude de l’entreprise par concession ?

C’est ici qu’il est nécessaire de faire ressortir la différence essentielle qui existe entre la nécessité d’une construction qui tient à l’existence nationale, et l’utilité d’un projet qui ne compromet point les intérêts de la nation entière. Personne ne peut garantir que des amateurs se présenteront si le gouvernement offre à la spéculation publique une entreprise qu’on a, dans cette enceinte même, entourée de mille dangers et d’innombrables éventualités.

On ne conteste plus l’utilité de la route en fer ; le paradoxe a rougi de son audace démesurée, il n’ose plus aller jusque-là ; mais on entoure son exécution de mille difficultés et de toutes les illusions de la prévention. Quoi ! on a eu la triste prudence d’exagérer au gouvernement les chances auxquelles il s’exposerait en faisant l’entreprise par lui-même ; on l’engage à reculer devant l’imminence des dangers, et après tant de soins perfides on appelle à grands cris l’exécution du chemin par voie de concession !

Ce conseil ne peut être sincère, quand l’utilité de la confection est généralement reconnue, quand il y a péril en la demeure ; et supposons que l’examen des travaux à confier aux concessionnaires rassurât ceux-ci sur le résultat de leur entreprise, combien de temps ne faudrait-il pas leur accorder raisonnablement pour dessiller leurs yeux, pour établir en eux une confiance qu’on a pris à tâche d’ébranler et pour étudier par eux-mêmes un projet aussi vaste et aussi compliqué ? Un orateur qui a parlé dans la séance d’hier, a évalué à deux ans le minimum de ces travaux préparatoires. Avant que ce temps ne fût expiré, le déplacement total du commerce de transit serait consommé, et les efforts de la nation, pour retenir ce qui existe encore ou pour récupérer en partie ce qui en a déjà été perdu, deviendraient sinon impuissants, du moins fort incertains.

C’est à tort qu’on nous supposerait opposés au système de concession, et nous l’accueillons bien volontiers pour les communications qui ne sont point d’une nécessité absolue et immédiate, et pour les établissements qui ne sont qu’utiles ; mais nous ne pouvons attendre patiemment le moment indéterminé auquel il plaira à MM. les entrepreneurs de nous faire leurs propositions, lorsque le délai, l’inaction et l’incertitude compromettent tout le pays en compromettant l’existence de son commerce maritime, lorsque l’insouciance apparente du gouvernement semblerait annoncer qu’il renonce à cette source de la prospérité publique ou qu’il en méconnaît l’importance. Si une route est nécessaire, et je prends ici le mot dans toute l’étendue de son acception, hâtez-vous de le faire sans aucun délai, vous ne sauriez trop vous presser. N’est-elle qu’utile, n’est-ce qu’une amélioration, ne la répudiez pas ; mais alors vous pouvez la confier à l’industrie privée et l’exposer aux lenteurs qu’elle traîne naturellement à sa suite.

Je n’ai traité qu’une question qui m’a paru avoir été trop négligée par les orateurs qui m’ont précédé, et je me résume.

Le commerce de transit est le véritable commerce, l’établir chez soi, c’est ouvrir la veine d’où découle la prospérité nationale.

Ce commerce n’est point local, il est toujours national et pour l’établir il ne faut négliger aucun des débouchés sans lesquels il ne saurait exister. Voilà ce que j’ai cherché à établir. Il en résulte nécessairement que l’Etat seul doit se charger d’une construction dans laquelle tout le pays est intéressé et dont le délai pourrait entraîner la perte d’un source importante de notre bien-être futur, délai inévitable, et par l’incertitude de l’existence d’entrepreneurs-concessionnaires et par le temps qu’il faudrait leur laisser pour établir et vérifier leurs calculs avant même de mettre la main à l’œuvre.

M. de Ridder, commissaire du Roi. - Messieurs, dans la séance d’hier, l’honorable M. de Puydt vient enfin de nous indiquer les points particuliers de notre travail qu’il a cru reconnaître fautifs, et sur lesquels il avait fondé les conclusions et qu’il vous avait précédemment soumises.

Les chiffres dont il s’agit ont rapport :

1° Aux frais de transport de la nouvelle voie comparés à ceux de la voie fluviale.

2° A la hauteur des tarifs de péage, sur les canaux concédés et sur ceux qui restent la propriété de l’Etat.

3° Au montant des dépenses calculées au devis pour l’établissement de la nouvelle communication projetée.

Nous répondrons d’abord aux observations de l’orateur relatives aux devis.

M. de Puydt estime que le montant de la première partie de route que nous avons portée à 16 millions 1/2 seulement doit coûter au moins 24 1/2 millions, s’en rapportant tout à fait à cet égard aux évaluations faites par un inspecteur des ponts et chaussées et que nous avions déjà combattues dans notre réplique du 1er septembre.

Cependant, pour arriver à une semblable argumentation, M. l’inspecteur avait eu besoin de majorer tous les articles du devis sans aucune exception, tandis que M. de Puydt au contraire ne s’est attaché qu’aux chapitres : Terrains, terrassements, ponts et souterrains, et enfin aux intérêts des capitaux.

L’article de la voie à rouage, le plus essentiel de la dépense, M. de Puydt n’en a point parlé : probablement par suite de la déclaration que vous veniez d’entendre de la part de M. le ministre à l’égard du prix du fer, d’où résulte déjà une première économie sur nos évaluations, qui, à raison de 60 francs le tonneau, produit plus d’un million ; et quoique de bonne foi, M. de Puydt devait au moins retrancher ce million du montant de la rectification qu’il propose ; il a laissé son total présumé à 24 millions.

Voyons comment il y arrivera : acquisitions, terrains.

Tout en contestant les éléments de nos calculs, il semble cependant admettre la quantité de 420 hectares, que nous disons suffisante. Il nous suffit dès lors d’indiquer sur quel pied les évaluations des emprises ont été dressés. Et, MM. les membres de la chambre, qui ont à cet égard des connaissances spéciales, seront à même d’apprécier si nos estimations sont ou non suffisamment élevées.

1° Aux abords d’Anvers, les terrains sont évalués, sur 3/4 de lieue de longueur, à raison de 12,000 francs l’hectare, terme moyen, non compris une somme de 50,000 francs pour dépenses imprévues, en abattage de haies et clôtures.

De là, jusqu’aux approches de Malines, nous avons évalué les prés de première classe à 6,000 fr. et ceux de deuxième classe à 4,000 fr., les terres labourables à 5,000 fr., celles dont la surface retourne au propriétaire, après emprunts ou dépôts, à 3,000 fr.

Nous avons également affecté une somme de 12,000 fr. pour abattage de plantations.

2° Pour les abords de Malines, nous avons évalué les terrains, sur une lieue de longueur, à raison de 10,000 fr. l’hectare, non compris 40,000 fr. pour dépenses imprévues, et 9,000 fr. pour abattage de plantations.

Entre Malines et Louvain, nos évaluations s’élèvent, pour les prés de première classe à 8,000 fr., les prés médiocres et humides à 3,500 fr., les terres labourables à 4,000 fr., les terrains retournant aux propriétaires, à 3,000 fr., l’abattage de plantations à 8,000 fr.

3° Pour les environs de Louvain, sur une demi-lieue de longueur de part et d’autre de la ville, les terres labourables sont portées à 8,000 fr. Une autre somme de 20,000 francs est mise en réserve pour subvenir aux imprévus.

De Lovenjout à Tirlemont, les terres sont portées à 4,000 fr., les bois à 3,000 fr., les emprunts à 3,000 fr. et l’abattage de plantations à 8,000 fr.

4° Aux abords de Tirlemont, sur un quart de lieue de part et d’autre de la ville, les terrains sont évalués à 7,000 fr. Plus une somme de 10,000 fr. pour dépenses extraordinaires.

Dans les campagnes, les prés sont portés à 4,000 fr., les bois à 4,000 fr., les terres labourables à 4,000 fr., les emprunts à 3,000 fr., les terres pour dépôts qui retournent au propriétaire à 2,400 fr.

5° Aux abords de Waremme, l’hectare est porté à 8,000 fr., non compris un imprévu de 10,000 fr. ; les près de 1ère classe sur une demi-lieue de longueur à 6,000 fr., les prés de deuxième classe à 4,000 fr., les terres labourables de 1ère classe à 4,000 fr., les terres labourables de 2ème classe à 3,500 fr., les emprunts pour dépôts à 2,400 fr.

6° Aux environs de Liége, l’hectare à 8,000 fr. Indemnités particulières à 25,000 fr.

Dans les campagnes, les prés sont portés à 6,000 fr., les terres labourables à 4,000 fr., les dépôts et emprunts à 2,400 fr.

7° Dans la vallée de la Vesdre, les jardins vergers à 10,000 fr., les prés de première classe à 8,000 fr., les prés de deuxième classe à 4,000 fr., les terres de première classe à 6,000 fr., les terres ordinaires à 4,000 fr., les emprunts hors du corps de la route à 4,000 fr., les dépôts à 3,000 fr., les imprévus à 38,000 fr.

Maintenant, à toutes ces estimations de terrains, nous avons ajouté 8 p. c. pour frais d’expertise, d’acquisitions, etc.

En sorte que la quantité de 420 hectares sus-énoncés sont évalués, en total, à la somme de 2,204,940 fr., ou si l’on veut, terme moyen, à 5,219 francs par hectare, tout compris.

Et il est à remarquer que, sur toute la ligne, aucune propriété bâtie ne doit être démolie, si ce n’est un ou deux hangars de peu de valeur.

Si quelques honorables membres désiraient avoir à cet égard de plus amples détails, je tiens ici, sur feuilles volantes, pour chaque section de route, les estimations spécifiées par quantité d’hectares.

M. Eloy de Burdinne. - Je demanderai communication de ces documents pour les environs de Liége.

M. de Ridder, commissaire du Roi. - Passons actuellement aux ouvrages de terrassement.

Ce n’est pas, dit l’honorable M. de Puydt, nos calculs résultant de l’application de certains prix à des quantité d’ouvrages que l’on conteste, mais bien la quantité elle-même de ces ouvrages.

Messieurs, je ne connais d’autre manière d’établir des calculs de terrassements qu’en effectuant d’abord des nivellements que l’on inscrit sur un plan ; ce travail, messieurs, le voici :

Il a été déposé au greffe de la chambre pendant plus de trois mois. Ce profil de la route indique à la fois la masse des terres à déblayer ou remblayer, ainsi que les transports à effectuer à différentes distances.

Je demanderai donc à M. de Puydt qu’il veuille bien nous signaler les erreurs qu’il a pu y découvrir.

Nous avons, messieurs, quelque peine à concevoir qu’on vienne sans le moindre fondement déclarer positivement à la chambre que nous n’avons ni fait, ni à faire les nivellements nécessaires avec le temps dont nous pouvons disposer ; il faut, messieurs, bien peu connaître les opérations de cette espèce, pour ignorer qu’en moins de 6 semaines on peut faire un nivellement, avec vérification, de toute la ligne d’Anvers à Verviers. Et, en effet, on sait qu’un employé quelque peu exercé peut niveler une demi-lieue de longueur dans sa journée, et qu’ainsi une distance de 27 lieues peut être rapportée en 10 à 15 jours, par les opérations simultanées de 5 à 6 personnes.

A l’égard des ouvrages d’art, M. de Puydt a commis une erreur que nous aimons à croire involontaire.

En effet, il a déclaré hier que nous n’avions compté les souterrains en général qu’à raison de 150 francs le mètre courant ; tandis que ce prix ne concerne que les courtes galeries obligées dans la vallée de la Vesdre à travers un terrain schisteux, non sujet à frais d’épuisement.

Les souterrains de Bautersem et de Contich, l’un de 500 et l’autre de 600 mètres, sont estimés à 600 francs par mètre ; ce qui fait quatre fois davantage que n’a dit M. de Puydt. Les ponts et autres ouvrages que l’orateur croit trop peu estimés, l’ont été par nous de la même manière que les ouvrages existant le long des canaux d’Antoing et de Charleroy, où l’expérience nous a prouvé que les prix étaient convenables.

Nous devons peut-être avertir l’honorable ingénieur qui siège ici comme député de Mons, que ces prix ne sont point comparables à ceux des ouvrages exécutés dans certaines concessions belges, à la connaissance de l’orateur, dont les devis ont pu se trouver insuffisants, si, aux frais de leur établissement primitif, on ajoute les dépenses faites ou encore à faire pour la reconstruction des ouvrages qui se sont successivement écroulés.

Nous croyons avoir répondu aux objections spéciales de M. de Puydt, en ce qui concerne le montant des travaux, que nous évaluons à 15,274,310 fr.

Cependant, l’honorable orateur ne voulant avoir confiance que dans les évaluations de celui qui fut jadis notre maître, nous a fait voir que même en adoptant l’estimation de M. Vifquain pour les travaux, on n’arrive qu’à un montant de 19,167,905 francs (voyez page 25 de la réplique) ; car il est évident, d’après les explications donnés dans une séance précédente par un honorable député de Verviers, que le million supposé nécessaire par M. Vifquain, pour le rachat de la concession de la route de la Vesdre, était un double emploi.

M. de Puydt est revenu sur le chapitre des intérêts des capitaux pendant l’exécution du travail, et au lieu de la somme de 1,225,000 francs que nous avons reconnue nécessaire en calculant séparément pour chaque section de route l’importance des avances et la durée des travaux et ce jusqu’au moment de la perception des péages ; au lieu, dis-je, de la somme de 1,225,000 francs, M. de Puydt, d’accord avec M. Vifquain, prétend élever ces intérêts à la somme exorbitante de 4,235,000 francs, répondant pour les 3 années à 21 p. c., taux d’intérêt hors de toute proportion avec ceux qui on suffi pour une durée de 5 années à raison de 16 p. c. seulement dans l’exécution des canaux d’Antoing et de Charleroy.

M. de Puydt a prétendu, dans la séance du 11, que d’après les chiffres mêmes de notre mémoire, il trouvait la preuve de l’impossibilité de soutenir le transit, au moyen de la route projetée, vis-à-vis la concurrence hollandaise.

L’honorable M. Smits, dans la séance du 14, vous a donné sur cette matière tous les apaisements désirables ; l’un de nous avait essayé de répondre sur-le-champ au rappel que M. de Puydt venait de faire de cette objection que nous avions lieu de croire déjà détruite, mais le trouble où l’avait jetée la persistance de l’orateur à donner au texte de notre mémoire une interprétation si différente de la vérité, l’a empêché de continuer sa démonstration.

Nous le répétons, nous n’avons jamais prétendu qu’au moyen de la route en fer, exécutée seulement sur le territoire belge, il fût possible d’accaparer au profit du commerce belge tout le transit qui a lieu aujourd’hui par le Rhin hollandais ; mais nous avons dit (page 90 du mémoire) qu’en attendant l’exécution de la route d’Eupen à Cologne, on pouvait exporter vers le Rhin, dans l’espace de 3 jours, pour un prix à peu près égal à celui de la navigation à voile, bien entendu y compris l’octroi que la Hollande perçoit encore en vertu du traité de Mayence. Et nous ajoutions (même page, ligne 25) qu’une partie très notable de ces expéditions pourrait avoir lieu de concurrence avec les bateaux à vapeur de Rotterdam, quand bien même la Hollande renoncerait en faveur de son commerce au droit d’octroi qu’elle possède.

Dans le cas où le gouvernement hollandais, pour favoriser ses commerçants, abandonnât les droits dont il s’agit, il est évident que le gouvernement belge peut accorder la faveur semblable à son commerce. Et puisque l’orateur n’évalue le tonnage du transit qu’à 16,000 tonneaux seulement, on comprendra qu’il est extrêmement facile et plus avantageux à l’Etat d’accorder, dès à présent, en drawback, à la frontière, des primes sur ce transit plutôt que de se soumettre au subside que M. de Puydt conseille de payer à l’avance à un concessionnaire.

Il nous reste à répondre sur un point essentiel que l’orateur nous conteste : il s’agit messieurs, des chiffres du tableau comparatif des péages sur les communications appartenant à l’Etat, ou concédés à des particuliers (tableau inséré à la page 13 des notes sur le mode d’exécution).

Les partisans du système de concession ont compris que la condamnation de leur système doit résulter de la comparaison des tarifs ; aussi, à plusieurs reprises, on a voulu nier l’exactitude de ces chiffres accusateurs. Les documents qui nous ont servi à établir ce tableau, nous les livrons à l’examen de la chambre, qui saura apprécier quel est le plus grand degré de confiance que doit inspirer, ou l’ensemble des pièces que nous avons l’honneur de lui soumettre, ou la lettre particulière dont M. de Puydt a parlé.

M. de Theux. - Messieurs, jusqu’ici la discussion ne présente que deux opinions.

Les partisans du projet ne craignent point de soutenir qu’il procurera au pays l’avenir le plus heureux ; que l’emprunt de 35,000,000 suffira pour l’établissement de la route, que les revenus du chemin suffiront pour le paiement des intérêts et l’amortissement du capital ; que l’exécution aux frais de l’Etat est un mode essentiellement avantageux pour cette entreprise, que le mode de concession en compromettrait l’exécution, et grèverait en tous cas le commerce de péages trop onéreux.

Les adversaires du projet soutiennent avec la même assurance, qu’en l’adoptant, on engagera l’Etat dans une entreprise ruineuse, soit en elle-même, soit au moins par le mode d’exécution ; ils en concluent qu’il faut recourir au mode de concession, comme étant le seul capable de garantir les intérêts de l’Etat.

Quant à moi, ne partageant ni la conviction absolue des partisans du projet, ni celle de ses adversaires, je pense qu’il y a des motifs suffisants pour autoriser le gouvernement à commencer l’exécution d’une partie de la route qui ira de Bruxelles à Anvers, mais qu’il n’y a point de motifs suffisants d’autoriser dès maintenant le gouvernement à exécuter le chemin de fer dans tous les développements du plan.

Pour soutenir cette opinion, je tâcherai de prouver qu’elle ne présente aucun inconvénient grave, qu’elle présente au contraire de grands avantages.

Ne serait-ce point une imprudence pour un Etat comme le nôtre de s’engager dans l’exécution d’un système complet de chemin de fer, partant du centre du pays, et s’étendant aux quatre extrémités ?

Cette imprudence ne serait-elle point d’autant plus grave, qu’aucun antécédent dans ce pays ne sert de base pour évaluer la dépense et les produits de cette vaste entreprise ?

Lorsque le succès de l’entreprise peut encore être considéré comme incertain, lorsque d’autre part elle se divise naturellement en plusieurs sections, la raison me semble commander d’entreprendre et d’achever l’une de ces sections avant de s’obliger à la construction des autres.

On en a souvent appelé dans cette discussion aux exemples de l’Angleterre, de l’Amérique, de la France, de l’Allemagne. Mais on n’a pas fait attention que, loin d’entreprendre l’exécution d’un système complet, aucune de ces nations n’a encore fait exécuter un seul chemin de fer aux frais de l’Etat. En Angleterre ou en Amérique, l’expérience acquise par l’exécution de chemins de fer par voie de concession a suffisamment éclairé ces gouvernements essentiellement protecteurs des intérêts du commerce ; et cependant c’est encore par voie de concession que de nouveaux chemins vont être exécutés !

En Prusse, le gouvernement loin d’exécuter un chemin à ses frais a même refusé d’accorder des subsides pour l’exécution de ceux qui sont actuellement projetés.

Si nous voulions donc nous en tenir à l’autorité des exemples, nous devrions adopter immédiatement le système des concessions : mais l’absence d’éléments et le manque d’expérience pour bien apprécier les produits du chemin de fer, et par conséquent, pour apprécier le taux convenable des péages à concéder, la nécessité éventuelle de modifier ces péages, me paraissent être des motifs suffisants pour autoriser le gouvernement à exécuter la section de Bruxelles à Anvers.

Cet essai ne peut, en aucun cas, grever notablement l’Etat, alors même qu’il ne répondrait point aux espérances qu’on en a conçues. La dépense n’en est évaluée qu’à 3,081,000 fr. ; la double voie, si elle devenait nécessaire, coûterait 1,200,000 fr. ; ainsi, en tout 4,000,000 au plus.

Cette partie de la route peut être achevée en moins d’une année, et offrir, par conséquent, l’exploitation la plus prompte.

Elle est d’ailleurs, dans tous les cas, une partie essentielle au succès de toute autre section du même projet.

Dans tous les cas, la législature obtiendra par cette expérience des données assez certaines pour les autres parties du chemin.

Les différences de localités, quant aux difficultés d’exécution, quant à la circulation présumée des voyageurs et au transport des marchandises, pourront être appréciées avec assez de fondement, d’autant plus que la ligne de Bruxelles à Anvers offre le concours d’une voie navigable et d’une belle chaussée ; laquelle, indépendamment d’un service complet de messageries, sera encore, incessamment parcourue par une voiture à vapeur.

0n pourra apprécier également, par les transports qui seront effectués par Bruxelles et Anvers, si l’augmentation présumée à résulter (Erratum au Moniteur belge n°85 du 26 mars 1834 :) de l’exécution de la route doit nécessiter une double voie, et si une voie simple pourra suffire pour toutes les autres parties. Je dois ajouter qu’en commençant l’exécution du chemin par cette partie de la route, il ne faut point séparer ses produits d’avec ceux des autres parties qui pourront être construites successivement ; il faut nécessairement que ses péages servent à garantir la totalité de l’emprunt qui pourra être contracté.

On ne doit pas craindre que l’exécution des autres parties du chemin puisse être ajournée indéfiniment si l’expérience pour la première partie est heureuse. En ce cas les chambres s’empresseront de concourir avec le gouvernement pour en hâter l’exécution. Si au contraire l’expérience ne répondait point aux calculs faits par l’administration, alors il s’agirait d’examiner quels sacrifices l’exécution des autres parties de la route peut entraîner pour l’Etat, et s’il y a des motifs suffisants de faire ces sacrifices.

La marche proposée ne doit point inquiéter ceux qui ont une conviction de la bonté de l’entreprise ; ils doivent trouver dans leur conviction même la certitude d’un essai heureux et par suite d’une exécution complète ; cette marche ne doit point non plus inquiéter les adversaires du projet, car si les faits répondent à leur opinion, ce projet ne recevra point d’exécution ultérieure aux frais de l’Etat.

En suivant cette marche, on est assuré de ne point affecter le crédit public, de ne point inquiéter le pays, de ne point y causer de divisions, et de préparer avec mesure la transition au nouveau système si l’expérience vient le justifier.

J’en viens aux aperçus qui ont été donnés sur les produits de la route.

D’après le projet de la section centrale, la route en fer doit assurer non seulement le paiement des intérêts de l’emprunt, mais encore son amortissement.

Je ferai remarquer cependant que, dans leur dernier mémoire, MM. les commissaires du Roi proposent de ne couvrir par ces produits que 1/5 de la dépense de la section de Gand à Ostende, et par conséquent de laisser les 4/5 de cette dépense, ou une somme Erratum au Moniteur belge n°85 du 26 mars 1834 :) de 3,500,000 fr., à charge de l’Etat.

En ce qui concerne les expéditions entre Anvers et Cologne, deux causes peuvent diminuer l’élévation des transports : l’établissement d’un chemin de fer d’Amsterdam à Cologne, chemin qui ne sera probablement construit qu’en opposition avec le nôtre, et la suppression de tous droits de navigation. De là peut-être même la nécessité de supprimer tout péage sur le chemin de fer en ce qui concerne le transit, pour conserver la concurrence en faveur des ports d’Anvers et d’Ostende.

Je crois inutile de parler ici de la question politique. L’indépendance de la Belgique est le résultat de sa révolution. Elle devint une nécessité de fait en politique ; elle fut bientôt reconnue de droit ; elle n’a donc rien de commun avec le chemin de fer.

La liberté de l’Escaut, comme celle des autres fleuves, est aujourd’hui une nécessité commerciale européenne ; elle est garantie par des traités qu’on peut regarder, en ce point, comme indissolubles. Toutefois, je reconnais l’utilité de diminuer la rivalité de la Hollande, en se ménageant la ressource d’Ostende. Je reconnais également l’utilité d’animer, autant que les ressources financières de l’Etat le permettent, le commerce de ces deux ports. C’est le désir d’arriver à ce résultat qui m’engage à me prononcer en faveur d’un commencement d’exécution de la route en fer.

Les voyageurs doivent former une des principales sources des produits du chemin ; cependant on ne doit pas compter avec trop d’assurance sur ces produits si l’on considère combien les moyens de transport déjà existants sont nombreux, commodes et à bas prix. En effet, en prenant le taux le plus bas, tel qu’il se trouve indiqué au premier mémoire publié à l’appui des projets, l’on voit que Erratum au Moniteur belge n°85 du 26 mars 1834 :) le prix du voyage de Bruxelles à Liége serait de 7 francs 8 centimes, à quoi il faut ajouter encore les frais d’un omnibus pour se rendre au chemin en dehors de la ville au point de départ, et ceux pour se faire transporter en ville à leur arrivée.

Or, le prix n’étant que de cinq francs, tous frais compris, il est évident que les personnes qui ne regardent point à la perte de quelques heures ne donneront point la préférence au chemin de fer.

D’ailleurs, le chemin de fer n’étant point parcouru pendant la nuit, il est encore évident que nombre de personnes, pour ne perdre aucune partie du jour, continueront à voyager de nuit avec la diligence actuelle.

Quant à l’augmentation de voyages qui seront déterminés par une plus grande vitesse, il est impossible de la déterminer sans le secours de l’expérience.

Il n’est pas moins difficile de prévoir quel sera le transport des houilles et celui de marchandises pour la consommation intérieure, alors que nous ne connaissons pas encore à quel taux il faudra fixer les péages pour couvrir la dépense, ni quels seront les frais de transport par cette voie nouvelle. Cependant pour fixer les produits présumés, on a dévolu à la route en fer la totalité du transport des marchandises ; l’on y a fait entrer une grande augmentation de transport de houille.

On a signalé le succès de quelques chemins de fer ; mais il est évident que l’expérience faite dans d’autres pays, dans quelques localités seulement, ne peut nous éclairer suffisamment alors que nous ne connaissons point exactement les circonstances particulières qui ont paru influer sur le succès de ces entreprises.

Mais il en sera tout autrement d’une expérience faite en Belgique. Chacune des circonstances qui aura influé dans une localité pourra être appréciée avec pleine connaissance et servir de point de comparaison pour les autres localités.

Quant à la concession à accorder, la principale objection est certainement celle qui résulte de la difficulté d’établir convenablement le taux des péages, et de traiter avantageusement avec une compagnie qui se trouverait sans concurrence.

Du reste, en règle générale, je considère le système de concession comme très avantageux. En premier lieu ce système fait payer les routes par ceux qui s’en servent, sans engager l’Etat. En second lieu, il permet à l’Etat de ne point augmenter la masse de ses dettes pour la construction des routes. Pour apprécier cette considération, il suffit de jeter ses regards sur l’Angleterre, d’évaluer la valeur des routes et des canaux construits par des compagnies, et d’ajouter ce capital à celui de sa dette actuelle : certainement son crédit en éprouverait une funeste influence, quels que soient d’ailleurs les revenus qu’elle retirerait de ces travaux.

En troisième lieu, ce système tend à simplifier l’administration publique, ce qui est un grand bien lorsqu’il peut être atteint sans léser l’intérêt général.

Mais ce système ne doit pas être absolu, il ne doit pas empêcher l’Etat d’employer son crédit et ses soins à des travaux publics sans que des circonstances particulières l’exigent.

Je pense, messieurs, que nous pouvons décréter en principe qu’il sera établi un système de chemin de fer ;

Que nous pouvons autoriser le gouvernement à en exécuter une section ;

Que nous devons surseoir notre décision sur le mode d’exécution des autres parties jusqu’à ce que les résultats de l’exécution de cette première partie nous soient connus.

M. de Laminne. - Est-il urgent de mettre les ports de la Belgique en communication avec les populations rhénanes ?...

Quelques voix isolées disent encore : Non !

L’esprit du siècle répond : Oui !

Mais cette communication sera-t-elle établie par canalisation ou par voies à rouages ? On a démontré que la canalisation complète était impossible sans emprunter une terre ennemie. On a de plus fait assez ressortir tous les inconvénients des canaux. Ils ont, néanmoins, leur mode spécial d’utilité ; mais ce n’est pas trop que la Belgique possède, en sus de ses routes pavées, des chemins de fer et des canaux suivant l’opportunité.

Relativement à la proposition qui nous occupe, on peut reconnaître que les partisans d’un canal qui n’irait même que jusqu’à la Meuse, sont en grande minorité.

Quant au chemin de fer par Visé, c’est bien celui-là qui prête directement à la critique qu’on a faite lorsqu’on a dit que notre route ne serait qu’un cul-de-sac dans l’hypothèse où la Prusse ne vint pas s’y recoudre. En un tel cas, il se trouverait fait à pure perte puisqu’il manquerait son principal objet : le transit.

Il n’en est pas de même du chemin métallique par la vallée de la Vesdre. Celui-ci obtiendrait, sans contredit, mon approbation si j’étais tout à fait étranger aux intérêts de la province de Liége. Eh bien, les rapports qui me lient à cette province ne peuvent pas constituer des motifs de voter dans un sens contraire à mes convictions.

Je me propose donc, quant à présent, d’adopter la direction tracée par le projet de loi et par les plans du gouvernement ; parce que je suis de ceux qui désirent une nouvelle voie commerciale et que je crois celle-ci plus qu’aucune autre dans les conditions voulues pour être la plus productive possible, courir le moins de chances, vivifier le plus de provinces et s’approcher le plus de l’issue de la rivière qui doit un jour nous verser les produits des Ardennes.

S’il est, dans cette assemblée, des voix qui semblent être opposées à cette direction, parce qu’elle ne passe pas dans le désert, parce qu’elle est utile à trop de monde ou par cela seul que Liége en retirerait de l’avantage, moi j’y donnerai la mienne par le motif que le chemin en débat est d’utilité générale et que je ne dois pas être arrêté par la considération qu’une localité en éprouverait des soucis pour la concurrence de l’un ou de quelques-uns de ses produits industriels.

Si une simple prévision de cette nature devait avoir de l’influence, il ne faudrait pas s’en tenir là, mais descendre dans la discussion des intérêts isolés chaque fois que l’on concevrait un projet d’amélioration.

Otez à Liége tous les articles que donne aussi le Hainaut, et la direction de la route n’en resterait pas moins la même parce qu’elle est la seule rationnelle ; car Liége a autre chose que des houilles à verser dans la consommation et le commerce : ses clous, ses armes, les draps, les aluns, le zinc, les fers blancs et les futurs arrivages du canal de l’Ourthe.

Et quant aux houilles, si le Hainaut a intérêt à nous tenir éloignés de ses foyers de consommation, ceux-ci ont un intérêt tout contraire et doivent désirer que le chemin se fasse, pour profiter de la concurrence, si tant est que cela doit faire baisser les prix. Je communiquerai à la chambre une opinion qui fait en ceci autorité, et qui se trouve exprimée dans une entrevue dont voici le résumé :

« Ceux qui émettent de bonne foi l’opinion que la construction du chemin de fer doit entraîner la ruine des houillères du Flénu sont dans l’erreur la plus complète sur les effets de cette importante construction.

« Nos houillères peuvent, en général, rivaliser avec celles du Hainaut, sous le rapport de la qualité des produits, vu que le bassin de Liège renferme toutes les espèces et qualités de houilles, depuis la plus maigre et la plus médiocre, jusqu’à la plus grasse et la plus recherchée ; mais ces dernières sont moins abondantes à Liège que dans le Hainaut, et si une concurrence sérieuse pouvait s’établir momentanément entre Liége et le Flénu sur les marchés de Gand, Anvers, etc., elle ne tarderait pas à s’évanouir par l’augmentation de prix que ce débouché entraînerait dans les houilles grasses de Liége. Ceux qui voient les choses sous un aspect si alarmant pour le Hainaut ignorent sans doute que, dans le moment de la plus grande prospérité des houillères, et surtout de celles de la province de Liège, de 1826 à 1830, l’importance de l’exploitation ne s’y élevait pas encore au tiers de celle du Hainaut ; ils ne songent pas que pour l’usage des machines à vapeur, le Flénu répond à nos bonnes qualités de houille grasse, et que même, à égalité de prix, le Hainaut conserverait l’avantage de la priorité dans ses relations commerciales ; le Flénu est d’ailleurs une sorte de nécessité pour la fabrication du gaz, qui prend une grande extension dans tout le pays ; et le chemin de fer contribuera peut-être à le faire employer à cet usage dans nombre de villes où les houilles du Hainaut n’ont pas accès aujourd’hui.

« En un mot, je crois qu’il est permis d’affirmer que le bien-être que le chemin de fer apportera à la province de Liège, ne résultera point de la part que ses houillères enlèveront aux bénéfices actuels de celles du Hainaut, mais de la facilité et de l’économie avec lesquelles ses exploitations répandront leurs produits entre Louvain, Verviers, et jusqu’à la frontière prussienne, de l’augmentation de consommation qui en sera la conséquence et de la légère hausse que celle-ci apportera dans les prix. Dans l’état actuel des choses, ces effets sont un vrai besoin pour la province de Liège, si ce n’est qu’au travers du prisme de l’égoïsme et de l’exagération, que le Hainaut peut y entrevoir une cause de décadence pour ses établissements. »

Ces renseignements me sont fournis par M. Devaux, ingénieur des mines. Messieurs, le silence même des industriels de Liége et, notez-le bien, des exploitants, témoigne assez s’ils partagent cette opinion.

On a attribué à des discussions avec les bateliers de la Sambre le fait que les Français venaient s’approvisionner à Liége. Mais il le faut rapporter à une autre cause, savoir que lors de l’ouverture du canal de Charleroy, le Hainaut a voulu relever le prix de ses houilles.

Quant au gouvernement, il doit être sans passions hostiles : toutes les provinces doivent occuper une place égale dans sa sollicitude. Demain suggérez-lui des vues de haut intérêt à réaliser dans d’autres directions, il s’empressera certainement d’y rattacher volontiers son époque et nonobstant que Liége en éprouvât alors quelque lésion. Car la résultante de toutes les considérations qui tiraillent en sens divers, serait donc l’inertie ; et rien de grand ne se commencerait jamais.

Je dis commencer, parce que, de proche en proche, notre route en question rayonnera dans tous les sens, et elle n’est qu’un début ; j’ai entendu avec déplaisir taxer le gouvernement de faits odieux, de propositions d’un caractère d’iniquité révoltante, d’absurdité, de sottise, que sais-je ! de vous amuser avec des images, etc. Mais... ce gouvernement... c’est le nôtre. Est-il donc censé avoir un autre intérêt que celui du pays ? Et nous semblons traiter avec le gouvernement comme avec l’ennemi !

Mais qu’a-t-il fait en cette circonstance, que de proposer aux chambres un projet de loi entouré de tous les éclaircissements possibles ? il n’a nullement dissimulé, puisqu’il a dit ouvertement que les houillères de Liége recevraient avantage de la route. Loin d’agir de son propre mouvement, il soumet ses vues à la discussion parlementaire au sujet de la réalisation d’un ancien projet modifie sur l’exigence des circonstances. Que voudrait-on de plus ? Car c’est maintenant le vote des chambres qui va assumer le bien et le mal de la chose. Si le projet est jugé nuisible à la nation, il sera rejeté ou modifié ; mais si l’on croit qu’il tire son mérite d’un caractère de bien général, la chambre adoptera.

Voilà un an bientôt que les propositions sont connues, que les mémoires sont publiés et les calculs livrés au grand jour.

Je ne conçois pas d’autre manière de procéder une grande opération de ce genre.

Maintenant, au lieu d’encourager l’administration dans cette voie durable, on nous annonce que ses agents seront forcés de reconnaître qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent ; on lui impute des arrière-pensées politiques préjudiciables au pays. Et enfin, c’est au moment d’exécuter qu’on propose aujourd’hui une enquête, une espèce de suffrage universel dont il eût fallu parler au moins à l’ouverture de la session.

Je voterai aussi probablement pour que l’exécution soit laissée au gouvernement avec une commission de surveillance. Ce n’est pas que j’aie entière confiance dans les travaux entrepris par l’Etat. On a cité dans cette chambre des faits que j’aurais moi-même rappelés ; mais entre deux partis il faut choisir celui que l’on croit être le moins mauvais ; et la concession est, pour le cas qui se présente, le parti que je crois le moins bon.

Je voudrais que le chemin de fer se fît, qu’il se fît vite et qu’il se fît bien.

Or, je pense comme plusieurs de mes collègues, que demander le mode de concession, ce serait bien demander l’ajournement.

Mais en supposant qu’il s’offrît pourtant une concurrence satisfaisante pour une entreprise de 35 millions, ce que je ne puis admettre parce qu’on manque de moyens de calculer les produits futurs trop subordonnés à l’éventualité, et qu’on ne peut prévoir l’usage qui sera fait de la route ; mais en supposant, dis-je, que des compagnies se présentent à ce jeu de hasard, encore m’abandonnerais-je plus volontiers, pour ce tronc principal, pour ce type, aux soins de ceux qui se sont approprié l’idée, qui ont fait une étude approfondie et complète de la matière et des localités, qui ont dressé les coupes, visité l’Angleterre, concilié au projet le génie prussien, et qui feront certainement de cette belle entreprise, le motif d’une émulation de bonne et prompte exécution, de stricte économie, et de parfaite réussite. Ce sera là leur illustration aux yeux de l’étranger et l’occasion de captiver l’applaudissement du pays.

Il se pourra présenter aussi sur le cours des travaux des modifications désirables ou des obstacles imprévus qui viendraient compliquer les embarras avec les concessionnaires : par exemple il se peut que la ville de Liége persiste à demander une déviation du premier tracé pour que le chemin passe dans la ville ; Il se peut aussi qu’elle y renonce au dernier moment. Dans d’autres endroits, comme dans les gorges de la dernière section, on demandera peut-être d’autres rectifications, et on sera toujours le maître d’y avoir les égards convenables. Enfin ne peut-il pas survenir des raisons de changer le point de raccordement avec la Prusse ? Et même tandis qu’on sera à l’œuvre, ne viendra-t-il pas la pensée de meilleurs rails, etc., quel motif d’accélérer, suspendre ou détourner ? Le gouvernement ne trouverait-il pas à employer à ce grand monument l’armée belge qui a sous les yeux comme provocation les chaussées romaines ?

Me tournant du côté des compagnies, j’y vois de plus graves inconvénients, et je voudrais commercer ave elles par des essais sur des embranchements.

Je ne suis pas assez certain qu’elles remplissent toujours consciencieusement les engagements pris, et surtout ceux avec les propriétaires expropriés, peu au fait d’affaires ; mais je sais comment les sociétés de mines agissent en pareil cas, et je puis assurer qu’elles se mettent fort à l’aise. Je pense qu’il vaut beaucoup mieux, pour les propriétaires fonciers, qu’ils aient à faire directement avec le gouvernement, qui est présumé avoir une règle égale pour tous.

En cas de guerre ou autre catastrophe qui arrêterait les travaux du gouvernement, les compagnies ne continueraient pas toujours d’agir, quoi qu’en pense un honorable collègue, surtout si ce sont des compagnies étrangères (ex. : la société de la canalisation de l’Ourthe, qui devait avoir fini endéans cinq ans.)

Elles ne dont pas toujours mieux que l’Etat (ex. : les ponts qu’il a fallu reconstruire sur la Dendre, et les défauts de plusieurs canaux.)

Je pourrais citer une ville qui a donné en concession son éclairage pour une assez longue période d’années, et qui s’en repent et qui est en procès.

En adoptant le projet de loi, le chemin sera entrepris cette année, ce qui n’arriverait pas si l’on doit attendre des soumissionnaires.

Admettant, pour mon compte, le projet de loi, je ne me cache pas certaines objections, mais qui ne seraient pas levées par les concessions.

Sur les 420 hectares à exproprier, d’après le mémoire, il en est 125 de jardins, prairies et bosquets, ce qui suppose qu’il y aura une infinité de propriétaires tourmentés par l’expropriation de parcelles auxquelles ils attachent des prix d’affection et sous ce point de vue, je ne puis que vivement déplorer l’imperfection de la loi qui oblige un citoyen et, dans ce cas-ci, peut-être plusieurs milliers de citoyens à faire l’abandon forcé de leurs biens sous la raison d’utilité publique.

Je voudrais qu’en principe, nul ne fût jamais contraint de laisser prendre ce qui lui appartient que dans des circonstances extrêmement impérieuses, et dans les cas où il serait évident que ses exigences ont leur source dans l’attrait d’un lucre exagéré, d’un gain illégitime. Mais je voudrais toujours que le dommage lui fût payé au double de la valeur vénale.

En second lieu je vois (aussi dans le mémoire des ingénieurs), que la voie à rouage croisera à niveau 29 fois des grandes routes et 268 des chemins communaux. Cela me semble devoir présenter des embarras et des dangers fréquents, je l’avoue.

Mais ces difficultés ne sont pas particulières à notre pays, elles existeront pour toutes les routes de fer. Elles existeraient surtout pour les canaux.

Enfin, quoique le chemin de fer doive nécessairement amener quelques déplacements parmi les professions industrieuses, il est pourtant impossible de s’arrêter devant ces objections qui sont toujours exagérées ; car vous proscririez donc aussi tout à l’heure les locomotives, construites pour parcourir les routes ordinaires, et vous condamneriez sans doute l’importation de toutes les machines à vapeur, si cela était encore en question ? et, par une même conséquence, les chemins de fer par concession. Il pourra y avoir pour un moment quelques intérêts froissés, car, c’est ce qui arrive à l’occasion de toute entreprise, osée sur une grande échelle ; mais il vaut mieux que ce mal passager résulte du fait d’un accroissement d’activité en Belgique, que par l’affaiblissement et l’extinction de toute activité.

Voici une citation du discours de Francoeur, pour le dictionnaire technologique :

« Quand on commença à fabriquer les cotonnades de France, le commerce tout entier d’Amiens, de Reims, de Beauvais, etc., se mit en réclamation et représenta toute l’industrie de ces villes comme détruite.

« Ce fut bien pis quand la mode de toiles peines vint à s’introduire ; toutes les chambres de commerce se mirent en mouvement. De toutes parts il y eut des délibérations, des mémoires, des députations et beaucoup d’argent répandu. Rouen, à son tour, peignit la misère qui allait assiéger ses portes : les enfants, les femmes, les vieillards, dans la désolation ; les terres en friche, et cette riche province devenue un désert. Tours fit voir les députés de tout le royaume dans les gémissements et prédit une commotion qui occasionnera une convulsion dans le gouvernement politique... Lyon ne voulut point se taire, sur un projet qui répandait la terreur dans toutes les fabriques, etc., etc. »

On sait si ces tristes prévisions ont été suivies de quelque réalité.

Sous le rapport moral il y aurait peut-être à voir ce que les mœurs d’un nation ont à gagner ou à perdre en attirant les étrangers. Mais l’examen de ces considérations difficiles serait ici sans influence et sans résultat.

Le chemin de fer est-il une des ces conceptions utiles qui puisse désormais se caser en Belgique parmi les perfectionnements industriels, et en y rachetant plusieurs inconvénients par de grands avantages ? Je m’associe, pour l’affirmer, au ministère passé auquel nous devons la première idée, au gouvernement actuel qui l’a adoptée avec ardeur ; aux chambres de commerce et à toutes vos sections qui l’ont si favorablement accueillie.

Mais doit-on se diriger sur Verviers ? je n’en doute pas. Enfin doit-il être fait par l’Etat ? c’est l’opinion pour laquelle je penche malgré les inconvénients signalés.

Il ne faut pas rapetisser le projet jusqu’aux dimensions de la Belgique, mais, ainsi qu’on l’a dit, le considérer comme se coordonnant avec un système qui commencera par unir Paris à Cologne, et finira par se ramifier sur toute l’Europe. Elle aura aussi une puissante influence sur la suppression des douanes qui ne pourront se maintenir devant le besoin croissant de rapidité et de fusion dans les relations de peuple à peuple.

Adoptez ces vues, c’est véritablement faire un grand acte de civilisation.

Et notez bien qu’il ne dépend pas de nous de ne point faire le chemin de fer. Nous pouvons l’ajourner, mais il y faudra venir pour notre propre conservation quand tout le monde en aura autour de nous. Appartient-il au peuple belge de marcher en traîneur sur la voie des perfectionnements ? et l’avenir se trouvera-il chevillé au présent par votre vote rétrogressif ? Nous ferez-vous faire, dans une gare d’évitement hors du courant des progrès, une halte à jamais regrettable ?

Quant à la proposition que vient de faire M. de Theux, elle est de nature à être examinée ; mais il me semble qu’on pourrait accorder les 35 millions, et laisser à la prudence du gouvernement et de la commission de procéder ainsi que l’indiquer l’orateur. On pourrait modifier dans ce sens la rédaction de l’article 2 du projet.

Démission d'un membre de la chambre

M. le président. - Je dois donner à la chambre communication d’une lettre qui m’est adressée.

M. de Renesse donne lecture d’une lettre de M. Basse par laquelle cet honorable citoyen déclare ne pouvoir accepter le mandat de député que le suffrage des électeurs de Bruxelles lui avaient conféré.

M. le président. - La notification sera transmise au ministre de l’intérieur.

- La séance est levée un peu avant 5 heures.