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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 16 juillet 1834

(Moniteur belge n°198, du 17 juillet 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur R. Vander Hasselt, rentier, à Bruxelles, en qualité de tuteur de sa sœur interdite, demande que la ville de Bruxelles soit contrainte à restituer la partie des contributions foncières payées par le fermier de sa sœur interdite pour un pré situé à Mon-Plaisir qui a été exproprié pour cause d’utilité publique. »

« La régence de Stecken renouvelle sa demande d’indemnité en faveur de ses habitants qui ont été inondés en 1813 par faute des travaux opérés pour la défense du pays devant Ostende. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


« Les membres de l’administration et plusieurs notables de la commune de Latinne exposent la triste situation de la classe des cultivateurs, par suite de la baisse continuelle des céréales, et demandent qu’un fort droit soit imposé à l’entrée des grains étrangers. »

- Cette pétition sera déposée au bureau des renseignements.


M. le président. - Parmi les pétitions, il y en a une qui est relative aux céréales ; elle est déposée sur le bureau.

M. Eloy de Burdinne. - Je crois qu’il faudrait la renvoyer à la section centrale.

M. Cornet de Grez. - Il serait plus simple de nous en donner lecture.

M. le président. donne lecture de la pétition ; elle porte une douzaine de signatures.

M. Lardinois. - De quel district vient-elle ?

M. le président. - Elle vient du district…

M. Lardinois et M. Meeus (en riant) - Elle vient du district qui a nommé M. Eloy de Burdinne.


Il est donné lecture des deux lettres suivantes :

« Monsieur le président,

« Une indisposition que le médecin qualifie de gastrite aiguë, m’a empêché de me rendre à la chambre ces jours-ci, et m’empêchera vraisemblablement encore pendant plusieurs jours. Je vous prie d’en faire part à mes collègues et de leur témoigner mes regrets.

« Recevez, monsieur le président, l’assurance de ma considération distinguée.

« Trentesaux. »

« Bruxelles, ce 16 juillet 1834. »

- Un congé est accordé à M. Trentesaux.

Démission d'un membre de la chambre

« Monsieur le président,

« Dans l’impossibilité de fréquenter assidûment les séances de la chambre pendant 10 mois de chaque année, je me trouve dans la nécessité de donner ma démission de membre de la chambre des représentants.

« Cette résolution, monsieur, n’a rien qui doive étonner ; après avoir rempli des fonctions parlementaires pendant 15 années consécutives, il peut être permis de songer à la retraite.

« Ami de mon pays, son bonheur a été l’objet constant de mes efforts ; je dépose donc mon mandat avec la conviction intime d’avoir payé mon tribut à la patrie, et mes vœux pour sa gloire et sa prospérité n’expireront sur mes lèvres qu’avec le dernier soupir.

« Monsieur le président, je dépose auprès de votre cœur tous mes hommages de respect et de considération.

« Bruxelles, 15 juillet 1834.

« Ange Angillis. »

M. le président. - La démission de M. Angillis sera notifiée à M. le ministre de l’intérieur.

Proposition de loi relative aux droits sur les céréales

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - Nous en étions à la seconde disposition de l’article, laquelle est relative au maximum et au minimum.

M. Jullien. - Messieurs, la question qui vous est soumise n’est pas nouvelle ; j’ai lu quelque part qu’elle s’agitait à Rome il y a deux mille ans, entre ceux qui travaillaient pour recueillir et ceux qui recueillaient sans travailler. C’est même dans une de ces occasions que l’on apaisa le peuple retiré sur le Mont Aventin, par l’apologie ingénieuse que vous connaissez, celui des membres et de l’estomac. Je doute qu’en pareille circonstance, et dans un forum, l’apologue eût chez nous un succès aussi prodigieux.

L’article premier qui est en discussion contient tout le principe de la loi ; on ne doit donc pas être étonné si on reproduit, à l’occasion de cet article, une partie des arguments qui ont été employés dans la discussion générale. Cependant, je tâcherai de ne m’attacher qu’à l’argumentation principale, qu’aux points principaux. Aller plus loin, ce serait abuser des moments de la chambre.

Au milieu des nombreuses considérations qui ont été exposées, je vous prie de ne pas perdre de vue celle-ci : Le but avoué de la loi est d’obtenir le renchérissement des grains. Or, les chambres se composent en général de propriétaires, et même de grands propriétaires, surtout au sénat. Ainsi ce sont vos terres qui produisent les denrées que l’on veut faire renchérir ; ce sont vos greniers ou ceux de vos fermiers qui en sont remplis. Dans cette position je crois qu’il faut de toute nécessité que la loi que vous allez faire soit justifiée complètement par l’intérêt général, si vous ne voulez pas qu’elle prête à des interprétations fâcheuses. Eh bien, est-il dans l’intérêt général, par exemple, que le pain que l’on paie aujourd’hui 12 centimes, soit payé, par l’effet de la loi, à raison de 24 centimes, conformément à votre maximum ? Soutenir qu’il serait dans l’intérêt général que le prix du grain fût élevé dans cette proportion me semblerait tout à fait paradoxal.

On a classé, calculé les différentes populations des villes et des campagnes. Messieurs, classez, calculez la population des villes et des campagnes comme vous l’entendrez : il sera toujours vrai de dire que le nombre des pauvres excède de beaucoup celui des riches, et le prix du pain doit être à la portée du plus grand nombre.

On convient que la cause de la baisse du prix des subsistances est dans l’abondance des récoltes : s’il en est ainsi, il faut convenir que l’homme est un être bien bizarre : nous prions le ciel de bénir nos moissons, et lorsqu’il exauce nos prières, il s’élève des clameurs contre l’abondance ; elle devient, dit-on, une cause de misère ; il semblerait qu’elle est donnée aux nations comme un effet de la colère céleste. Voilà pourtant à quoi se réduit le système des partisans du projet.

C’est l’abondance de l’année passée qui a avili les prix : nous sommes menacés d’une récolte aussi abondante, et voila pourquoi les cultivateurs se plaignent ; voilà pourquoi on veut des lois qui aient pour objet de faire renchérir le prix du pain. Sans rentrer dans la discussion qui a été fort longue, sans rechercher si la baisse des céréales est contraire aux intérêts du petit commerce et à celui des ouvriers, et en admettant les intentions des partisans du projet, telles qu’elles nous ont été formulées par M. de Muelenaere, il paraît qu’on va au-delà de ce qu’on demande.

Que demandaient les partisans du projet ? M. de Muelenaere vous l’a dit : Nous voulons, a-t-il dit, éviter deux maux également grands, savoir : que le consommateur paie le pain trop cher, et d’un autre côté que le cultivateur soit exposé à une ruine complète. Admettons que ces intentions se rallient à l’intérêt générai ; je demanderai maintenant pourquoi, lorsque c’est une vérité proverbiale, lorsque l’on est convaincu que tout le monde peut y trouver son profit quand le blé est à 18 fr. l’hectolitre, je demanderai pourquoi vous élèverez le maximum à 24 fr. ? Si à 18 fr. tout le monde est à l’aise, pourquoi feriez-vous payer 24 fr. au peuple ? Il serait assez difficile de répondre à cette argumentation.

Messieurs, il y a une logique qui vaut mieux que tous les raisonnements possibles, et c’est la logique des faits ; c’est surtout la logique des faits qui doit être consultée dans une question de cette nature ; et il me paraît que les faits qui ont été avancés d’un côté, n’ont pas été suffisamment réfutés ou détruits par l’autre. Ainsi, on a dit contre le système du maximum et du minimum et contre les prohibitions des importations (c’est l’honorable M. Devaux qui l’a dit) : Plus les importations ont été considérables en 1831 et 1832 et plus les prix des céréales se sont maintenus, et ils se sont mieux soutenus que dans les années où les importations avaient été moindres ; ce fait n’a pas été réfuté.

M. Eloy de Burdinne. - Si ! si !

M. Jullien. - On l’a contredit ; mais il n’a pas été réfuté de manière à ce que les conséquences n’en subsistent plus.

Quand le prix des céréales a baissé, on vous a fait remarquer également que l’on comptait 5,000 hectolitres seulement d’importation dans les années 1833 et 1834 : la raison en est simple, c’est que, calculez comme vous voudrez, dès que le prix de vos marchés sera tellement bas que les négociants étrangers n’y trouveront pas de quoi se rembourser de leurs prix d’achats, de leurs frais de transports, de commissions et de consignations, ils ne vous apporteront pas leurs grains. Il n’est pas possible de répondre à cette raison. Aussi longtemps que la baisse de vos prix subsistera, on n’importera pas, parce qu’on ne viendra pas, pour le plaisir de se ruiner, apporter le blé dans vos marchés.

On a dit encore : En France où le système prohibitif est admis, consultez les mercuriales, et vous verrez que dans celles qui nous arrivent des marchés qui nous avoisinent, les prix sont aussi bas et plus bas que chez nous. M. Dumont a essayé de répondre à ce fait, et il a dit que le département du Nord était plus productif en céréales que les provinces de Flandre ; l’honorable M. Dumont est dans l’erreur ; le département du Nord produit en grande partie des graines grosses, des oeillettes, des colzas ; ce sont là des faits statistiques.

Il est reconnu messieurs, que les greniers de la France sont la Beauce et la Normandie, et non pas les provinces du Nord.

Ainsi tombent les calculs que l’on a tirés des mercuriales de la France. Dés l’instant que, dans un pays de prohibition, les grains sont au même taux que chez nous ou à un taux même plus bas, il faut en conclure que ce n’est pas la prohibition qui peut élever le prix des grains.

Un autre fait qui a été avancé par l’honorable M. Smits, qui par sa position et ses connaissances spéciales est plus à même que tout autre de nous fournir des renseignements exacts à cet égard, c’est que sur 32 navires chargés de céréales étrangères, qui sont entrés dans les différents ports intérieurs de la Belgique, deux seulement sont partis sur lest. Les autres ont enlevé de notre pays des valeurs plus ou moins considérables ; et si l’on rattache à ce fait les assertions du commerce que, sur la recommandation de M. Legrelle, je me suis empressé de lire dans l’Emancipation ; assertions desquelles il résulterait que c’est au commerce des céréales que les raffineurs de sucre, les fabricants de clouterie, etc., sont redevables de nouveaux débouchés, il me semble qu’il faut prendre un peu en considération que l’adoption de ce système du maximum et du minimum va menacer d’anéantir ces industries.

Mais les partisans du projet nous rassurent sur les dangers de cette prohibition. Lors, disent-ils, que le prix des grains sera monté au maximum que vous allez fixer (si toutefois il est vrai que nous ayons l’intention de l’établir), les denrées étrangères pourront entrer dans le pays. Il semblerait que les navires resteront en rade devant nos ports, que les convois de céréales stationneront devant nos frontières, et n’attendront que le moment où le prix des grains sera monté à son point culminant pour déverser leurs marchandises dans notre pays. Ce n’est pas ainsi que les choses ont lieu ; du moment que vous avez déplacé un marché, ce n’est qu’avec la plus grande difficulté que le commerce en retrouve la route. Il ne faut pas croire que les négociants étrangers seront portés à saisir le moment du maximum, pour arriver dans nos ports. Ce n’est pas ainsi que procède le commerce. Lorsqu’il connaît un marché, il contribue à en enlever l’excédant. Quand il n’y a plus de marchés, vous êtes exposés à tous les inconvénients qui en résultent.

C’est alors que les ports d’un pays sont fermés aux arrivages étrangers, que se fait le commerce de grains à l’intérieur, qui n’est jamais entrepris par des hommes d’honneur, parce qu’il est trop sujet à des inconvénients, parce qu’il faut courir des chances qui emportent avec elles quelque chose d’odieux et de dangereux. C’est alors que vous êtes à la merci des accapareurs. Si donc vous ne voulez pas livrer le pays au commerce intérieur, il ne vous reste qu’à ne pas entraver le commerce étranger, il ne faut pas le repousser de vos ports.

Si l’on veut rechercher les motifs des honorables orateurs qui ont parlé en faveur de la loi, l’on peut remarquer que presque tous ceux qui ont parlé avec le plus de conviction ont dit que c’est une loi de satisfaction pour l’agriculture qui vous est proposée.

Ils le sentent tellement bien, que l’honorable M. de Muelenaere nous a dit : Je suis convaincu que la mesure que vous allez prendre ne fera pas hausser le prix des grains. Je pense même que la récolte prochaine fera, par son abondance, baisser, encore ce prix. Je demanderai à mon tour aux partisans du projet s’il est prudent, s’il est opportun, de porter une loi dont, selon leur aveu même, nous ne pouvons espérer de recueillir les fruits que dans deux ou trois ans.

Si vous pouviez nous assurer que la loi est nécessaire pour empêcher les importations de grains, il y aurait peut-être quelque raison de demander l’adoption de la loi ; mais il est, je le crois, démontré jusqu’à l’évidence que l’importation des grains est impossible, lorsque les récoltes en on fait baisser le prix à un taux qui ne permet pas aux négociants étrangers d’opérer des bénéfices qui les défraient de leurs frais de transport.

Puisque les importations ne peuvent avoir lieu lorsque les prix des céréales sont très bas, pourquoi vous presser de porter une loi qui doit apporter un préjudice notable au commerce des grains, si toutefois elle ne l’anéantira pas complètement ?

Depuis quand est-ce que le pouvoir législatif fait des lois de satisfaction ? Si le résultat que vous demandez n’est pas atteint, à quoi satisfera votre loi ? Je concevrais bien que l’on jetât à la tête d’une industrie une loi de satisfaction, si elle devait avoir un effet quelconque. Mais non. Le but avoué de la loi est de faire hausser le prix des grains. Et cependant les partisans du projet ont avoué que le prix des céréales ne baissera pas immédiatement après sa promulgation, et qu’il se passera encore un certain laps de temps avant que les bienfaits que l’on en attend ne se fassent sentir.

Dans une position pareille les agriculteurs ne seront pas satisfaits. Ils vous demanderont une satisfaction réelle au lieu de la satisfaction factice que vous leur offrez et deviendront d’une exigence qui dès lors sera fondée. Dès ce moment la marche sera ouverte, et toutes les industries viendront tour à tour vous demander des satisfactions, comme l’a très bien fait observer l’honorable M. Meeus.

L’agriculture n’étant pas satisfaite, voyant que sa condition va empirer, viendra vous dire : Vous avez cru faire hausser le prix des grains. Au lieu de parvenir à ce but, le taux en est encore descendu. La belle satisfaction que vous aurez accordée aux cultivateurs ! Vous aurez tué le commerce des céréales et vous n’aurez pas amélioré la position de la classe agricole.

Je regarde même comme une circonstance défavorable à l’adoption du projet de loi, que la chambre, ou du moins une grande partie de la chambre, est en désaccord complet avec le gouvernement sur une question aussi importante. Il n’en est pas d’une question de subsistance comme d’une question politique, comme d’intérêts spéculatifs. Sous le rapport des subsistances, l’intérêt du peuple et l’intérêt du gouvernement ne sont qu’un, parce que l’existence des gouvernants et des gouvernés y est intéressée, parce que c’est de la disette que proviennent les alarmes les plus sérieuses, les bouleversements les plus terribles de l’ordre social.

Quand je vois que d’un côté l’on propose un projet de loi dans le but avoué de faire hausser le prix des subsistances, et que d’un autre, le gouvernement repousse le système de la section centrale ; quand je réfléchis que l’efficacité de la loi est douteuse, tandis que le préjudice qu’elle apportera au commerce des grains est certain, je vous déclare que, dans l’embarras où je me trouve de faire un choix, je voterai toujours de préférence pour le gouvernement, parce que le gouvernement a un intérêt véritable dans toute question de subsistance.

C’est au gouvernement à veiller à ce que les objets nécessaires à la consommation du peuple ne viennent pas à manquer, c’est à lui qu’il appartient de savoir s’il n’y a pas lieu d’apporter des modifications à la législation en matière de céréales ; et quand on vient lutter contre lui pour imposer une loi qui doit renchérir les grains, on se rend responsable de toutes les conséquences qui peuvent en résulter. Aussi sous ce rapport, je le répète, je déclare que je me rallierai constamment aux vues du gouvernement, à moins qu’il n’y ait trahison de sa part et arrière-pensée ; je crois de mon devoir donc de voter pour cette fois-ci dans le sens du ministère.

L’honorable M. Helias d’Huddeghem, en répondant à ceux qui avaient combattu le système de maximum et de minimum, a dit qu’à ce système était du à la prospérité dont avait joui l’agriculture belge sous le régime français de 1800 à 1815.

M. Coghen fait un signe négatif. Cependant on pourrait recourir au Moniteur pour vérifier le fait que j’avance, et M. Helias lui-même pourrait certifier avoir exprimé cette opinion.

- Une voix. - M. Coghen nie seulement les conséquences tirées par M. Helias de la prospérité de l’agriculture belge.

M. Jullien. - Je ne sais pas jusqu’à quel point l’assertion de M. Helias est vraie. Je n’ai pu la vérifier, et je ne la mets pas en doute puisqu’il l’a avancée. Cependant, je prie la chambre de vouloir bien remarquer que, de 1800 à 1815, nous avons vécu sous le régime du système continental. Il n’existait pas de ligne de douanes entre la France et la Belgique. Aujourd’hui que toutes nos relations commerciales ont pris un autre cours, que notre situation politique est complètement changée, on ne peut invoquer un exemple qui ne peut influer sur le mode de droit que nous devons adopter actuellement.

L’honorable M. Dumont a fini par dire dans une séance précédente que c’était à tort que l’on avait blâmé les cultivateurs de conserver dans leurs greniers les grains provenant des récoltes de plusieurs années. Je me plais à rendre justice aux lumières de l’honorable membre en ce qui concerne l’agriculture. Cependant, quoique je ne possède pas beaucoup de connaissances spéciales, je crois que, sans être précisément un Triptolème, on peut avoir des notions générales qui vous permettent de formulez une opinion.

Comme l’honorable M. Meeus, j’ai souvent causé avec des fermiers et des propriétaires cultivateurs sur la question de savoir s’il convenait dans l’intérêt du pays que les cultivateurs conservassent leurs récoltes. Il est résulté de ces conversations cette vérité pour moi, que si un cultivateur aime mieux ne pas vendre sa récolte, il ne le fait que dans l’espoir d’en tirer plus tard un plus grand bénéfice en calculant sur la hausse du prix des grains. Mais, il court, en comptant sur la hausse, la chance d’une baisse plus forte.

Il est évident que dans ce cas il perd l’intérêt de son capital, et, en outre, ce capital est exposé à des détériorations que vous a énumérées l’honorable M. Eloy de Burdinne qui prétend que les récoltes sont rongées par les rats, les souris et les charançons. Vous voyez donc qu’il court le risque et d’une perte réelle pour lui-même et d’une perte pour l’Etat, parce que l’on sait qu’un capital mort est un capital perdu pour la société, parce que plus l’argent passe de main en main, plus il est productif et apporte de bien-être à la masse. Ce sont là des vérités qui sont devenues pour ainsi dire triviales. Je ne pense pas qu’elles puissent être méconnues par M. Dumont.

Messieurs, on a fait dans cette discussion des citations assez longues de ce qui a été dit en 1821 par certains orateurs à la tribune française, où s’agitait la même question qui occupe maintenant cette assemblée. Je vous demanderai la permission de lire seulement quelques lignes qui vous feront connaître l’opinion d’un orateur célèbre que la France a trop tôt perdu, et qui, sous le rapport de l’économie politique passait pour avoir des connaissances exactes, de Benjamin Constant. Voici ce qu’il disait à la chambre des députés, dans la séance du 14 mai 1821 :

« Je crois en général que toutes les fois qu’on est venu par des mesures prohibitives au secours d’une classe souffrante, souvent avec de bonnes intentions, quelques fois avec des mauvaises, cette classe n’a été secourue que momentanément, et que ces mesures prohibitives ont fini par tourner contre elle. Quand on a voulu flatter la classe qui vit de ses salaires on a décrété le maximum. Il y aurait là de belles choses à dire. L’effet d’une loi prohibitive est passager et finit toujours par être fâcheux. Je crois que mes honorables amis et moi qui nous sommes élevés contre l’extension extrême de la loi, avons défendu la véritable cause non seulement des consommateurs, mais encore des producteurs et surtout des producteurs moyens, car il est évident que ceux qui gagnent le plus à la hausse des denrées sont les grands propriétaires et qu’ils ont le plus intérêt à faire hausser le prix des grains. »

Voici quelle était dans cette discussion l’opinion de cet homme célèbre. Maintenant, quel système la chambre adoptera-t-elle ? Adoptera-t-elle un système de maximum et de minimum comme on l’a proposé ? Adoptera-t-elle un système de droits progressifs ? Quant à moi, je le déclare, je serais aussi bien que qui que ce fût disposé à venir au secours de l’industrie agricole si j’étais convaincu qu’elle fût en souffrance par suite de l’abondance des récoltes. Cependant, comme je n’ai point cette conviction, si le gouvernement surtout est d’accord sur de M. Lardinois, je suis disposé à adopter un droit d’entrée que l’on croira de nature à assurer à cette industrie une protection plus efficace que celle qu’elle reçoit aujourd’hui. C’est à la discussion à démontrer la nécessité de cette augmentation.

En définitive, après plusieurs jours de débats que j’ai suivis avec une religieuse attention, j’éprouve plus d’incertitude sur le vote que j’ai à exprimer que cela ne m’est arrivé dans aucune délibération de la chambre. Toutefois, je me suis convaincu que le système du maximum et du minimum était inutile, qu’il ne procurerait aucun bien à l’agriculture, aux propriétaires, qu’au contraire il causerait un grand mal au pays en lui enlevant le commerce des grains, un véritable marché de grains qui existe déjà, en le lui faisant perdre à l’avantage des pays voisins, de la Hollande par exemple. C’est un danger qui m’est démontré. Quant aux avantages, je ne les vois pas. Je repousserai donc de toutes mes forces le système de maximum et de minimum.

M. A. Rodenbach. - Dans la séance d’hier, un honorable député de Liège nous a dit qu’il voterait contre le projet de la section centrale et contre tous les amendements qui ont été présentés, parce que le projet et tous les amendements sont prohibitifs, sont contraires à l’entrée des céréales en Belgique. Je lui demanderai si le prix de 20 fr. par hectolitre que je propose comme maximum dans mon amendement est un chiffre prohibitif ? Remarquez bien que ce chiffre est la moyenne du prix du froment depuis 20 années en Belgique. Peut-on après cela qualifier le chiffre de prohibitif ? Vous voyez bien, messieurs, que c’est à tort.

Cet honorable représentant a également dit qu’en 1833 le commerce n’avait pas fait entrer de grains étrangers en Belgique. En effet, en 1833 il n’est entré en Belgique que 61 millions de kilogrammes de grains de toute espèce. Mais pourquoi ne nous a-t-on pas apporté autant de grains en 1833 qu’en 1832 ? C’est, je pense, à cause de la famine, de la disette qu’il y a eu en Russie. Ce n’est pas quand on manque de pain qu’on exporte des céréales. Tout porte à croire que sans cette disette la Russie nous eût envoyé autant de grains en 1833 qu’elle avait fait en 1832.

L’honorable député auquel je réponds a dit aussi qu’il n’y avait pas de pétitions, que l’agriculture ne réclamait pas. Eh, messieurs, toute la Belgique ne savait-elle pas qu’un projet de loi sur les céréales avait été présenté à la chambre par l’honorable M. Eloy de Burdinne et qu’elle devait incessamment s’en occuper ? Cela vous explique qu’il n’y ait pas eu de pétitions. Pour moi, je puis vous assurer que si vous ne votiez pas la loi, les pétitions vous arriveraient de tous côtés. C’est alors que vous entendriez les doléances, les plaintes de l’agriculture auxquelles vous ne voulez pas croire.

Cet honorable député de la province de Liège a dit encore que les bras manquaient à l’agriculture ; il est possible qu’ils manquent dans sa province, mais je pourrais citer plus d’un district où il s’en faut bien qu’il en soit ainsi. Ainsi les années précédentes c’étaient des ouvriers belges qui faisaient la moisson dans la Flandre hollandaise ; ils en ont été chassés ; par suite de cette mesure une foule de gens sont dans la misère. Si donc dans la province de Liége les bras manquent, ailleurs on manque d’ouvrage, on manque de pain.

L’honorable député de Thielt a dit que la chambre était fractionnée en deux partis : les protectionnaires et les satisfactionnaires. Cet honorable membre appartient, je pense, au parti des satisfactionnaires : il est, je suppose, satisfait du prix actuel des grains qui ne s’élève qu’à 13 fr. pour le froment et seulement à 9 francs pour le seigle. Pour moi, je ne suis pas satisfait de pareils prix ; et je me range dans la classes des protectionnaires.

Cet honorable membre a également parlé de l’Angleterre, des impôts qui pèsent dans ce pays sur l’agriculture et particulièrement de la taxe des pauvres. Je lui répondrai en lui assurant que la taxe des pauvres ne pèse pas autant sur l’industrie agricole que sur l’industrie manufacturière. Je tiens cette particularité du docteur Bowring dont le nom fait autorité.

D’ailleurs on ne peut guère citer l’exemple de l’Angleterre, où les céréales sont d’un tiers plus chères qu’en Belgique, en raison de son tarif protecteur. Puis, je l’avoue, je n’ai pas de confiance dans les chiffres de tous ces missionnaires anglais ; ces chiffres sont la plupart du temps commandés. Adam Smits lui-même a été payé pour publier son ouvrage. Car l’Angleterre, cette nation la plus puissante dans le commerce, ne recule devant aucun sacrifice quand il s’agit de ses intérêts : la protection qu’elle accorde au commerce est immense ; et ce n’est pas une vaine allégorie que celle du lord chancelier ayant pour siège un ballot de marchandises.

Pour parler de la France, qu’on a également citée, je dirai que de 1810 à 1830, il n’est entré de céréales étrangères dans ce pays que pour la nourriture de 64 jours. C’est ce qui résulte des documents officiels publiés en France. Ainsi, en France, on ne reçoit des céréales étrangères que pour la nourriture d’un jour et demi par année, et lorsqu’on prouve ici qu’il est entré en Belgique des céréales étrangères pour la nourriture du pays pendant 6 semaines, on répond que c’est l’affaire d’un déjeuner.

L’honorable député auquel je réponds, a demandé si le système aujourd’hui en vigueur avait fait du tort à la Belgique. Oui, répondrai-je, et tellement dans les Flandres, qu’un grand nombre de petits propriétaires ont vu leurs biens grevés d’hypothèques, ou vendus au profit des capitalistes.

Dans nos Flandres, le bénéfice est tellement petit pour nos cultivateurs, que lorsqu’ils ont passé 40 années dans la même carrière, ils ne se trouvent pas plus avancé que lorsqu’ils ont commencé. Cela prouve que l’agriculteur a besoin de protection ; si vous laissez les céréales au vil prix où elles sont maintenant, il est impossible qu’il puisse se soutenir.

J’ai entendu l’honorable rapporteur lui-même dire qu’il avait acheté du seigle à 5 francs. Lorsqu’un négociant achète du seigle à ce prix, je demande s’il ne faut pas adopter un minimum et un maximum.

Il est possible que lorsque les récoltes en Russie seront venues, il nous arrive encore de masses des grains considérables. Avant de recevoir ces grains, il faut que nous nous soyons débarrassés de nos grains, et pour cela il faut adopter un tarif protecteur.

M. Meeus. - Je remarque que depuis hier on rentre constamment dans la discussion générale, ainsi que vient de le faire l’honorable préopinant.

On parle trop peu de la question qui doit s’agiter en ce moment, celle de savoir s’il convient d’établir un minimum et un maximum.

Messieurs, je ne tomberai pas dans le même inconvénient que l’honorable préopinant ; je ne vous dirai plus que c’est l’intérêt de propriétaire qui vient ici se cacher sous l’intérêt du cultivateur. Je veux examiner la question du minimum et du maximum non seulement par rapport au commerce, mais par rapport à l’agriculture elle-même.

Il me paraît que les partisans du système du minimum et du maximum devraient prouver ce qui n’est pas prouvé jusqu’à présent, c’est-à-dire que ce système ne nuirait pas au commerce des grains. Voilà la seule question qui doit nous occuper en ce moment.

Pour moi, messieurs, il me semble facile de prouver que le système que l’on propose doit détruire en Belgique ce que j’appelle le véritable commerce des grains ; mais d’abord il faut nous mettre d’accord sur ces termes : le commerce des grains.

De la manière dont M. Dumont entend le commerce des grains, il semblerait que faire ce commerce est une chose qui doit toujours exister en Belgique, et qu’il existe tout bonnement dans l’intérêt du pays, à voir naviguer des bâtiments chargés de grains d’une partie du monde à l’autre.

Ce n’est pas ce commerce, messieurs, qui importe le plus au pays. Nous savons que, dans certaines circonstances, la Belgique ne peut se passer des grains étrangers : si nos greniers regorgent, si nos marchés sont plus bas que les autres, nous savons que l’étranger finira par vendre des grains ou en acheter ; mais ce qu’il est essentiel dans l’intérêt du pays, c’est que vous ne détruisiez pas le commerce existant en Belgique, c’est-à-dire que vous ne forciez pas les négociants qui s’occupent de tranches intéressantes du commerce de fermer leurs comptoirs, et de porter leur industrie ailleurs.

Il n’est pas indifférent pour notre pays d’avoir des négociants dans nos ports de mer qui fassent le commerce des grains.

J’ai déjà dit, messieurs, que lorsque la Belgique avait été réunie à la Hollande, le véritable commerce des grains n’existait pas. Il n’y avait pas dans toute la Belgique un seul négociant en commerce de grains, j’en appelle à MM. les députés anversois, qui pourront certifier le fait ; il n’y avait pas à Anvers un seul négociant qui fît ce que nous appelons le véritable commerce de grains, qui recevait de l’étranger des navires chargés de grains, et qui en retour exportaient à l’étranger notre excédant si nous en avions.

Ce commerce, messieurs, je le répète, n’a pas existé pendant les 5 à 6 premières années de notre réunion à la Hollande ; ce n’est qu’en 1822 ou 1823 qu’il s’est établi à Anvers des maisons qui font le véritable commerce de grains.

J’ai déjà eu l’honneur de le dire. En 1827, l’Angleterre eut besoin d’approvisionnements considérables ; les négociants d’Anvers, qui connaissaient toutes les difficultés du commerce de grains (car ce commerce en a beaucoup), ont su exporter dans un temps donné une quantité considérable de grains en Angleterre. C’est grâce à ces maisons de commerce qui existaient à Anvers que nous avons pu approvisionner ainsi l’Angleterre.

Je citerai une de ces maisons parce qu’elle est très connue, qui dans cette année 1821 a servi ses intérêts en servant ceux de son pays. La maison a expédié de Belgique plus de navires que toutes les autres maisons ensemble.

Pourquoi, messieurs, en 1827 le cultivateur a-t-il pu vendre convenablement ses grains ?

C’est parce qu’il existait à Anvers des négociants qui, apprenant que l’Angleterre venait d’ouvrir ses ports, se sont empressés d’envoyer dans nos provinces des émissaires pour acheter des grains. Ces négociants sont arrivés assez à temps en Angleterre pour vendre leurs grains, tandis que des nations plus éloignées, des villes maritimes tout aussi bien situées qu’Anvers pour faire le commerce de grain, n’ont point livré de grains à l’Angleterre.

Dans la Grande-Bretagne, les ports sont ouverts pendant seulement un mois. La raison est facile à concevoir : c’est que lorsque sur tous les points du continent, l’Angleterre ouvre ses ports, tout le monde y apporte son excédant, et bientôt elle a la quantité de produits qui lui est nécessaire ; la baisse des prix survenant à l’intérieur, elle ferme ses ports.

Si je cite cet exemple, c’est pour faire comprendre combien il est essentiel de ne pas détruire à Anvers, à Ostende, en un mot, dans les ports de mer où nous recevons des céréales, de ne pas détruire, dis-je, le commerce des grains, et de l’encourager au contraire s’il était possible.

S’il n’existait pas à Anvers des maisons qui font le genre d’affaires dont je viens de parler, croyez-vous qu’il y aurait dans cette ville de grands magasins, de grands entrepôts et des approvisionnements considérables ? Bien certainement non. Et s’il n’y avait de grands inconvénients, jusqu’à ce que le maximum fût atteint, vous auriez une hausse dans les prix, et il n’y aurait aucune barrière à opposer au commerce de grains dont a parlé l’honorable M. Jullien, c’est-à-dire, le commerce presque honteux de ceux qui se livrent à des spéculations pour gagner sur la misère du peuple. Avant que l’étranger par ses importations ait rétabli l’équilibre, vous aurez éprouvé le mal.

Je crois, messieurs, que ces deux points sont incontestables : c’est que pour les expéditions vous avez besoin du commerce des grains, et que vous en avez également besoin pour l’importation des grains étrangers, lorsque par disette, par manque de récolte, vos prix tombent dans les limites que vous voulez établir.

Après avoir prouvé ces deux points, il me reste à prouver qu’avec le minimum le commerce des grains ne peut rester fixe en Belgique. J’invoquerai ici, non des faits puisqu’on ne les aime pas, mais seulement les règles du bon sens. Comment pouvez-vous imaginer que les négociants riverains du Danemarck et des bords de la mer Noire iront expédier des grains en Belgique, alors qu’ils trouvent plus d’avantage à les expédier dans le port de Rotterdam, et où s’ils sont sûrs que si la baisse survient, ils pourront vendre ?

Ne l’oubliez pas, messieurs, entre les proverbes que l’on a cités, il en est un dont il faut se souvenir. Voici ce proverbe : N’est pas marchand qui toujours gagne. Plus d’une fois il arrivera que celui qui expédie dans l’espoir d’y gagner finit par y perdre ; c’est une chance qu’il faut laisser à ceux qui expédieront dans nos ports.

Souvent lorsqu’un négociant riverain expédie pour la Belgique, il peut arriver que le minimum soit atteint : que doit-il faire alors ? S’il a envoyé du froment il lui est impossible surtout de le faire retourner en mer, car le froment s’échaufferait et serait perdu : force est donc à son correspondant de le déposer sur nos marchés et de l’emmagasiner.

Il faut ensuite qu’il fasse une seconde expédition, qu’il aille à Rotterdam, car il n’est pas libre de vendre même à perte. Comment donc voulez-vous qu’on expédie encore alors qu’on ne peut vendre même à perte ?

Dès lors le commerce des grains est perdu à Anvers. C’est pour l’agriculture le plus grand mal que vous puissiez causer à la Belgique qui, ayant tous les ans un excédant de produits agricoles, ne peut s’en défaire que par la voie du commerce. Je ne veux pas, messieurs, prolonger davantage ce débat. Je me suis attaché à ne parler que de ce qui est en ce moment en discussion. J’attendrai qu’on réponde aux observations que j’ai faites, et si on y répond, je me charge de réfuter ce qu’on dira.

M. de Theux. - L’amendement de l’honorable M. Lardinois est la continuation de ce qui existe, c’est-à-dire un droit constamment uniforme, quelle que soit la baisse des céréales. Le principe d’un maximum et d’un minimum est présenté par la section centrale et par la commission d’industrie, avec des droits intermédiaires uniformes. Un troisième système, celui des droits gradués est proposé par M. Eloy de Burdinne. C’est entre ces trois systèmes que vous avez à opter.

Le système d’un droit constamment fixe n’existe dans aucun des Etats limitrophes ; il n’existe ni en Angleterre, ni en France ; il n’existe pas non plus en Danemarck, ni en Suède. Dans ces différents pays, qui sont des pays de production de céréales, on a senti que dans certains cas il fallait défendre ou gêner plus ou moins la sortie des grains.

On a senti aussi qu’on devait par contre rendre l’importation plus difficile quand les prix devenaient trop bas. Si, en Hollande, un système contraire existe, c’est parce que, dans ce pays, la majeure partie des habitants ont intérêt au libre commerce des grains, parce que la culture des blés ne fait pas, comme en Belgique, la principale richesse du pays. Il en est de même dans d’autres pays qui ont toujours surabondance de grains et où jamais on n’en importe. De ce nombre est la Prusse.

Ainsi, il demeure constant que, dans tous les Etats agricoles, il y a soit prohibition absolue, quand les grains sont à trop bas prix, soit un droit plus fort, selon que le prix est plus ou moins bas. Si donc nous voulons imiter nos voisins et profiter de leur expérience, nous devons adopter ou le système du maximum et du minimum proposé par la section centrale, ou celui des droits gradués, proposé par M. Eloy de Burdinne.

Messieurs, je ferai d’abord remarquer à l’assemblée qu’il y a très peu de différence entre le maximum et le minimum des droits établis en France et en Angleterre, et la prohibition absolue que nous présente la section centrale. En effet, le droit minimum tel qu’il est en France est de 10 francs 75 centimes lorsque l’hectolitre se vend 15 francs. C’est presque la totalité du prix. Lorsque ce prix est descendu à dix francs, le droit d’entrée est de dix-huit francs, presque le double de la valeur. Evidemment c’est là une véritable prohibition. Car comment peut-on supposer qu’on paie 18 francs par hectolitre de droit d’entrée sur des grains étrangers, pour les vendre ensuite à 10 francs ? Peut-on supposer davantage qu’on paie 10 francs de droit par hectolitre pour vendre à 15 francs, c’est-à-dire qu’on se contente de 5 francs par hectolitre pour la valeur du blé et les frais de transport. C’est encore là une véritable prohibition. Ainsi, soit que nous adoptions le système de la section centrale, soit que nous adoptions le tarif français. vous aurez le même résultat.

C’est donc à tort qu’on voudrait attribuer plus particulièrement au projet de la section centrale l’anéantissement du commerce des grains qu’au système des droits gradués. Ainsi peu importe qu’on ait dit qu’il fallait laisser au négociant la faculté de vendre à quelque prix que ce soit ; car, qu’est-ce que c’est que cette faculté de vendre, quand avant de vendre, on doit payer la totalité du prix qu’on va recevoir ? Je suppose qu’un négociant ait un million d’hectolitres de grains en entrepôt et que le prix tombe à 15 francs, je vous demande s’il ira payer 10 francs par hectolitre, pour vendre ensuite à 15 francs. A plus forte raison ne le fera-t-il pas, s’il doit payer 18 francs de droit, à peu près le double de ce qu’il recevra, pour avoir la permission de vendre.

C’est encore à tort qu’on a dit que l’établissement d’un maximum et d’un minimum aura pour résultat d’anéantir entièrement le haut commerce. En effet, le haut commerce, au moins en Belgique, a principalement pour objet le commerce avec l’étranger, la Belgique produisant constamment plus de grain qu’elle n’en consomme. Il est évident que le commerce d’importation ne peut pas être considérable quand le principal commerce doit être le transit ou l’entrepôt pour réexporter.

Mais, dira-t-on, si vous convenez que le commerce d’importation ne peut pas être considérable, pourquoi vous opposez-vous à la libre entrée des grains ? Il y a une réponse à cela qui ne me paraît pas difficile à donner. C’est que si la libre entrée existait, la possibilité de vendre indéfiniment des grains étrangers forcerait les détenteurs de grains indigènes à vendre à quelque prix que ce soit, pour empêcher cette concurrence, afin de paralyser les importations. Il est constant que la faculté illimitée d’importer amènerait une baisse considérable et non en proportion des quantités de grains existantes dans le pays.

Ainsi je me résume et je dis que je ne veux pas d’un droit constamment uniforme, car il ne pare en aucune manière aux inconvénients d’une baisse excessive.

Quant au système d’un maximum et d’un minimum et à celui des droits gradués, j’attache peu d’importance à ce qu’on adopte l’un plutôt que l’autre, parce que les résultats sont absolument les mêmes.

M. Smits. - Je partage entièrement l’opinion de M. Jullien. La question que nous avons à examiner ne peut se résoudre que par des calculs et des faits ; c’est par ce motif que nous en avions établi un grand nombre ; mais, loin de nous suivre sur ce terrain, nos adversaires se sont constamment tenus sur celui des généralités, et l’honorable M. de Muelenaere lui-même a dit que dans cette question, les calculs étaient inutiles, qu’il ne fallait pas parler de chiffres, parce que les céréales, comme aliments des peuples, devaient être l’objet de considérations spéciales.

Si les céréales comme toutes les autres denrées manquaient en Belgique, le gouvernement prendrait des mesures. Si nos lins étaient détruits par un événement quelconque, si les houillères, par un accident qu’on ne peut prévoir, venaient à être inondées, peut-être faudrait-il défendre l’exportation de la houille et du lin. Mais ce sont là des questions d’ordre public que le législateur pourra toujours examiner en temps et lieu.

Pour prouver que le système du maximum et du minimum peut être appliqué à la Belgique, l’honorable M. Helias d’Huddeghem a dit que ce système ne nous était pas étranger, qu’il avait existé du temps de notre réunion à l’empire français.

L’honorable M. Jullien a expliqué comment ce système a existé. Il n’y avait pas de minimum, mais seulement un maximum ; et ce maximum était contre l’agriculture au lieu de lui être favorable. Comme les ports de la Hollande et de la Belgique étaient bloqués par la flotte anglaise, aucuns grains ne pouvaient être apportés.

La France ayant une armée immense, presque toute l’Europe était sous les drapeaux, il fallait empêcher que les grains ne prissent d’accroissement de valeur, c’est pourquoi le gouvernement français a établi un maximum.

Ainsi l’exemple cité n’est nullement applicable à la circonstance actuelle.

Le même membre a dit qu’il voterait pour la proposition de la section centrale parce qu’elle reproduisait les systèmes admis en France et en Angleterre. Il me semble qu’il y a une espèce de contradiction dans la manière dont l’orateur a motivé son vote, puisque nous avons établi que le système de maximum et de minimum n’existait pas en Angleterre. Si je me trompe je prie l’honorable membre de vouloir bien me répondre.

Lorsque nous voyons qu’en France même tous les esprits éclairés demandent l’abolition des mesures prohibitives du tarif français, je ne comprends pas qu’il soit opportun de l’adopter tandis qu’il conviendrait bien mieux à nos intérêts d’adopter les mesures en matière de douane de notre rivale commerciale. Car si nous persévérons dans la voie où nous sommes entrés, la Hollande deviendra le marché de la France et de la Belgique.

Déjà la Hollande a mis à profit notre imprudence. Lorsqu’en 1833 nous avons rétabli le tarif de 1830 sur les céréales, la Hollande s’est empressé de réduire ce tarif qui était le sien, et dès ce moment une foule de navires destinés pour nos ports ont pris la route de Rotterdam, et depuis l’adoption de la loi précitée les prix des céréales ont fléchi sur tous les marchés de la Belgique. Depuis cette époque nos bassins ont été abandonnés.

J’ai oublié de faire une observation qui pourra produire quelque impression sur cette assemblée. On a beaucoup parlé des immenses importations de 1832, on leur a attribué le trop plein des magasins de grains et la baisse du prix de cette denrée.

Mais on a exagéré beaucoup l’influence qu’ont eue ces importations. On n’a pas remarqué qu’une grande quantité de ces importations est entrée en France après avoir subi dans notre pays l’opération de la mouture et y avoir laissé les bénéfices de cette opération ; cette considération que nous ne pouvons appuyer de chiffres, à cause de la transformation de la marchandise, n’en subsiste pas moins dans toute sa vérité.

Un de mes honorables adversaires a dit que l’agriculture avait droit aux protections dont jouissent les autres industries, et a demandé qu’un droit aussi élevé que pour la plupart de ces industries soit également accordé à l’agriculture.

Nous avons établi que le droit qui protège actuellement nos céréales s’élève à 40 ou 60 p. c. de la valeur de la marchandise. Personne n’a contesté nos calculs. Je ne connais véritablement aucune industrie qui soit aussi privilégiée, si j’en excepte l’industrie des fers.

Maintenant la section centrale propose encore 50 p. c. d’augmentation sur le droit actuel, ce qui l’élèverait à 100 ou 110 p. c. Je ne sais pas jusqu’à quel point il peut être convenable d’accorder une protection aussi exorbitante.

Pour ce qui concerne le maximum et le minimum on n’a pas répondu à nos objections. Nous avons supposé une opération commerciale ; nous avons dit que lorsque le froment était par exemple de 16 à 17 francs l’hectolitre, il pouvait y avoir peut être quelque marge pour essayer une expédition ; mais que comme le prix des céréales pouvait baisser pendant ce trajet de la marchandise, de manière à ce que le minimum fût atteint avant son arrivée dans nos ports, il ne restait dans ce cas d’autre ressource à l’expéditeur que de laisser anéantir la valeur des denrées par des frais d’entreposage ou de la réexporter vers la Hollande ou les lieux d’où elle était présente.

Je le répète on n’a pas répondu à cette objection et en effet, on ne pouvait rien y répondre, parce qu’il est constant que lorsque le minimum s’établit par suite de l’abondance des récoltes en Belgique cette abondance existe presque toujours aussi en Hollande, en Prusse, en Angleterre et en France, de sorte que tout transit vers ces pays devient impossible.

Il y a plus, lorsque le minimum sera établi, que de forts arrivages seront introduits dans nos ports, je les suppose entreposés au moment où le prix des grains s’élèvera, l’on en jettera dans la consommation une quantité énorme qui ramènera le minimum et le rendra, pour ainsi dire, perpétuel. Ainsi la mesure proposée tend précisément à nuire à l’agriculture que l’on veut protéger.

Je ne m’arrêterai pas davantage sur des questions qui ont été d’ailleurs approfondies dans la discussion. Je trouverais beaucoup plus prudent que la chambre se ralliât à la proposition de M. Lardinois, que je ne trouve certainement pas bonne, mais je la considère comme moins mauvaise que celle de la section centrale.

Elle présente trois avantages. C’est de laisser l’uniformité dans le tarif actuel. Tandis que le projet de la section centrale y établit une mobilité continuelle. En second lieu, elle laisse subsister le droit actuel sur les orges, sur les avoines, et sur tous les articles que notre pays ne produit pas en quantité suffisante pour sa consommation ; enfin elle impose au transit un droit convenable, tandis que la section centrale en agit autrement, comme si le pays avait un intérêt quelconque à défendre ce transit, qui est pour lui une source de bénéfices.

M. de Muelenaere. - Messieurs, l’honorable préopinant ainsi qu’un membre qui a pris la parole dans la séance d’hier, m’a attribué des expressions que je n’avais pas prononcées. Je rectifierai donc leurs assertions.

On a prétendu que j’avais soutenu qu’il ne fallait tenir aucun compte des faits. J’en appelle aux souvenirs de mes honorables collègues. Ils se souviendront que j’ai dit que ce n’était pas par des chiffres que l’on pouvait apprécier la position actuelle de l’agriculture, attendu que chacun des partis en avait offert qui se détruisaient les uns par les autres. Un orateur a paru se plaindre de ce qu’on n’a pas tenu comptes de ses calculs. Je lui demanderai si dans cette discussion nous n’avons pas été saturés des chiffres que l’on nous a offerts de part et d’autre. Et s’il tient à une réfutation, mon honorable collègue et ai M. Eloy de Burdinne est tout disposé à lui présenter 4 ou 5 pages de chiffres qu’il a dans la main. (Hilarité.)

Au surplus tous les chiffres que nos adversaires nous ont opposés ont été réfutés. Ainsi on a voulu prétendre qu’en 1832 l’importation des céréales n’avait pas influé sur le prix des grains. Mais on a répondu à ces chiffres par des chiffres. On a prouvé qu’en effet les prix des céréales s’était soutenu, mais est-ce parce qu’il y avait eu des importations considérables ? Evidemment non. On a fait observer qu’à cette époque l’Europe était sous les armes, toutes les puissances entretenaient des armées disproportionnées. Lorsqu’on est venu soutenir que le défaut d’importation avait fait baisser le prix des céréales, on a répondu que l’on en tenait aucun compte des circonstances étrangères qui avaient amené ce fait, que la disette qui désolait la Russie y avait fait refluer les grains de la Baltique.

On a prouvé par des chiffres que la baisse de 1832 n’avait commencé qu’à l’époque où les grains étrangers étaient venus lutter sur nos marchés avec les grains indigènes, et que l’importation avait été presque nulle pendant le premier semestre de cette année.

Il résulte donc de tous ces exemples que je cite au hasard que presque tous les raisonnements basés sur des chiffres ont été détruits par des raisonnements basés sur d’autres chiffres.

Je n’ai pas voulu, comme on l’a dit, écarter la discussion des faits. Il y a des faits qui ne reposent pas sur des chiffres. C’est la marche que j’ai adoptée. J’ai prié la chambre de vouloir bien faire un appel à ses souvenirs, de vouloir bien rappeler les faits qui s’étaient passés sous ses yeux, faits concluants que l’on ne pouvait révoquer en doute. Je vous ai priés de vous rappeler ce qui s’est passé de 1815 à 1823, alors qu’il y eut un commencement de famine ; je suis passé alors à l’époque du régime désastreux de la loi néerlandaise, dont le résultat a été de forcer un grand nombre de nos cultivateurs d’abandonner leurs exploitations.

Dans une discussion précédente un honorable député de Bruges a dit que l’on n’avait répondu à ses objections que par des lieux communs et des déclamations (ce qui n’est ni très poli ni très parlementaire). Le fait est que l’un de mes honorables amis se proposait de refuser les chiffres de M. Devaux, mais nous avons été très étonnés de lire dans le Moniteur à l’endroit où se trouve le compte rendu de la séance : « Nous donnerons demain le discours de l’honorable membre. »

Comme M. Devaux m’avait adressé dans son second discours, des paroles peu parlementaires, hier je me proposais de répondre aux assertions de l’honorable membre. Mais j’ai été arrêté par cette même phrase insérée au Moniteur d’aujourd’hui : « Nous donnerons demain le discours de l’honorable membre. » L’on sent bien que pour réfuter des chiffres, il est impossible d’en offrir d’autres sans avoir les données de son adversaire sous les yeux.

Je suis persuadé que la cause du fait que je signale, ne doit pas être attribuée à M. Devaux. Je trouve seulement que la rédaction du Moniteur a manqué à cet égard envers cet honorable membre en n’insérant pas son discours.

Je profiterai de cette occasion pour me plaindre a mon tour de la manière peu exacte dont mes paroles ont été reproduites dans le compte rendu de nos discussions sur le projet actuel. Je vous avoue que je n’ai pas l’habitude de lire les paroles que j’ai prononcées dans cette enceinte. Mon honorable ami m’ayant engagé à parcourir le Moniteur, j’y ai trouvé mon opinion tronquée d’une manière qui la rendait méconnaissable. Je citerai quelques-unes de mes paroles.

« Si vous admettez en principe qu’on peut importer les grains quand ils sont à haut prix, vous admettez en même temps qu’on peut en exporter quand ils sont à bas prix. »

Or, j’ai dit évidemment tout le contraire. Reproduisant l’opinion de mon honorable ami M. Dumont, j’ai dit : « Si vous consacrez en principe la libre entrée des grains, quand ils sont à bas prix, par une conséquence directe, et pour qu’il y ait compensation en faveur du cultivateur, vous devez permettre l’exportation des grains lorsqu’ils sont à un prix élevé. »

Le Moniteur me fait dire ensuite : « Ce qui m’a surpris dans cette discussion, c’est de voir M. le ministre de l’intérieur ne pas partager cet avis. » J’ai dit au contraire : « Ce qui m’a surpris dans cette discussion, c’est de voir M. le ministre de l’intérieur partager cet avis. »

Dans un autre passage du même discours, troisième page, deuxième colonne, trente-cinquième ligne, au lieu de : « Veuillez-vous rappeler ce qui s’est passé de 1816 et à 1823, » on m’a fait dire : « Veuillez-vous rappeler ce qui s’est passé en 1816 et 1817. »

Quelques lignes plus loin il y a encore une erreur de date ; on me fait dire : « Ce que nous voulons c’est ce que le pays tout entier voulait en 1832 » ; or, j’ai dit : « ce que nous voulons, c’est ce que le pays tout entier voulait en 1822. »

Ces diverses erreurs dénaturaient assez mon opinion pour que j’aie cru devoir les rectifier.

M. Devaux. - Je serai toujours extrêmement sensible au reproche que l’on pourra me faire de manquer aux formes parlementaires. Si M. de Muelenaere me fait ce reproche, c’est qu’il ne m’a pas bien entendu ou peut-être cela provient-il de ce qu’il ne lui a pas été possible de lire mon discours dans le Moniteur puisqu’il n’y a pas encore paru.

J’ai dit : « Lorsque d’un côté le rapporteur de la section centrale prescrit les doctrines, que de l’autre les chiffres qui dans la question constituent les faits sont proscrits par M. de Muelenaere, la discussion se trouve restreinte aux lieux communs et aux déclamations. » Mais loin de moi la pensée que M. de Muelenaere se soit renfermé dans des lieux communs et des déclamations. Au contraire, je rends justice à son habileté et à son talent, bien nécessaires au reste pour qu’en proscrivant les doctrines et les faits il ait fait un discours où il y a si peu de lieux communs, si peu de déclamations. Mais, messieurs, il fallait pour cela une habileté que tout le monde n’a pas, et pour ma part, placé entre cette double proscription des faits et des doctrines, j’ai pu m’effrayer, j’ai pu craindre de tomber dans les lieux communs, dans les déclamations.

L’honorable préopinant a fait ensuite allusion à la circonstance par suite de laquelle deux discours prononcés par moi dans la même séance n’ont paru que le surlendemain dans le Moniteur ; je ne pense pas que l’intention de l’honorable membre ait été de donner à penser que j’aurais voulu changer quelque chose aux paroles que j’aurais prononcées ; je ne pense pas qu’il ait eu l’intention de m’inculper à un tel degré.

Quant à la circonstance relative à mon discours, je pourrais dire que d’autres discours aussi ont été ajournés ; ainsi, un discours prononcé par M. Coghen dans la séance d’hier n’a pas encore paru dans le Moniteur ; mais puisqu’on demande l’explication, je la donnerai.

Quant à moi, je ne trouve pas qu’il y ait un grand argument à revoir ses discours ; c’est au contraire, selon moi, horriblement fastidieux ; et pour ma part, j’aimerais mieux prononcer dix discours qu’en revoir un seul pour le Moniteur. Non seulement c’est un travail fastidieux, mais c’est un travail difficile ; car, quelque volonté qu’on ait, la mémoire manquent souvent et on a beaucoup de peine à reproduire exactement ses paroles telles qu’on les a prononcées.

Il serait donc à désirer que le Moniteur fût constamment de lui-même un miroir fidèle des débats de la chambre, qu’il pût se passer de toute révision. Pour moi, je suis très sobre de ces révisions. Depuis quatre ans, je n’ai revu que quatre discours, et encore ne l’ai-je fait que sur la demande de MM. les sténographes. Il est vrai que depuis quatre ans on ma fait dire plus d’un contre-sens non seulement dans le Moniteur, mais dans tous les journaux. Et, à cet égard, je ne prétends faire de reproche à personne. Tel orateur parle d’une manière claire, tel autre d’une manière obscure, un orateur parle lentement, un autre trop vite. Je comprends qu’il est difficile de se faire à l’organe de tout le monde.

Pour les deux discours auxquels M. de Muelenaere a fait allusion, je dis à MM. les sténographes que s’ils croyaient nécessaire que je les revisse, ils voulussent bien me les renvoyer. Je les reçus le soir ; comme je suis dans l’impossibilité physique de lire à la lumière, comme ma vue ne me la permet pas, je ne relis mes discours que le lendemain de très bonne heure ; à 6 heures du matin ils étaient au Moniteur ; ils n’ont pu paraître que le surlendemain.

Pour les paroles que j’ai prononcées dans la séance d’hier, elles ont été revues hier soir même par une personne que j’avais chargée de ce soin. J’ai donc le regret de ne pouvoir vous expliquer comment elles n’ont pas encore paru dans le Moniteur. Voilà des explications bien triviales sur une circonstance bien mesquine, C’est l’honorable député de Bruges qui m’a mis sur ce terrain.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si on signale quelques inexactitudes dans le Moniteur, on ne prétend pas, sans doute, les reprocher au ministère ; car on sait que la rédaction des séances de la chambre est sous la direction de la questure.

Au reste, il ne serait pas juste de prétendre reprocher à MM. les sténographes quelques inexactitudes que contient le compte-rendu des séances. Il faudrait une habilité extraordinaire pour suivre, sans jamais se tromper, toutes les discussions spéciales qu’ils ont à recueillir, pour reproduire tous les discours au gré des orateurs qui les ont prononcés. Il est impossible qu’il n’y ait pas quelques erreurs. Mais sous ce rapport les ministres ne sont pas plus privilégiés que quelque membre que ce soit de la chambre. Je pourrais vous citer tel passage de paroles que j’ai prononcées où par le retranchement d’une négation on me fait dire le contraire de ce que j’ai dit.

On a semblé faire à un orateur un reproche de ce que son discours n’avait pas paru dans le Moniteur le lendemain du jour où il avait été prononcé ; pour moi, cela ne me paraît pas un si grand avantage ; c’est, au contraire, ce me semble, un désagrément réel ; et pour mon compte, je l’éprouve quelquefois ; ou l’un de mes discours est ajourné, ou bien encore on en insère la moitié et on renvoie l’autre au lendemain ; c’est ce qui m’est arrivé tout dernièrement encore, et je vous assure que je n’ai pas pris cela pour une faveur du directeur du Moniteur.

Plusieurs membres. - La clôture.

M. Meeus. - Il ne me paraît pas possible de clore la discussion sans avoir entendu le rapporteur de la section centrale. Je réclamerai de plus la parole pour l’honorable M. Eloy de Burdinne ; il a à faire à la chambre une communication de chiffres que j’entendrai avec le plus grand plaisir.

- La clôture est mise aux voix et rejetée ; la discussion continue.

M. Eloy de Burdinne. - Je serai court ; je me bornerai à quelques observations d’après les notes que j’ai prises. C’est particulièrement à l’honorable M. Devaux que je veux répondre ; il m’a accusé d’être un faux prophète, il a prétendu que je me trompais.

Eh bien, je puis vous assurer que dans bien des localités déjà à l’époque de l’année où nous sommes, les prix des terres sont diminués de 20 p. c.

L’honorable M. d’Hoffschmidt pourra vous certifier ce fait ; nous ne sommes que dans le courant de l’année, attendez jusqu’au bout.

L’honorable député de Bruges vous a dit hier que les droits d’enregistrement loin d’être diminués, étant augmentés pendant le premier trimestre de 1834 comparativement à l’année 1833. Eh bien, voilà ce à quoi l’honorable député de Bruges n’a pas pensé.

D’abord on a fait les titres nouvels pendant le premier semestre de 1834, ce qui a donné un surcroît de droit considérable, de plus on emploie infiniment de timbre, grand nombre de débiteurs ont effectué des remboursements pour ne pas passer le titre nouvel, par suite d’opposition de donner ce titre, on a dû contraindre les débiteurs par voie d’huissier, ce qui a occasionné encore grand nombre d’enregistrement et une quantité considérable de timbres.

Pour établir des calculs parfaitement justes, il faudrait consulter les documents que pourrait nous présenter M. le ministre des finances ; on verrait d’après ce document si j’ai été mauvais prophète. Au surplus, nous ne sommes pas au bout et nous règlerons nos comptes à la fin de l’année.

M. Devaux s’apitoyant sur ceux qui nous importent des grains, a dit que les grains qui vont débarquer chez nous, s’ils trouvent la prohibition, vont pourrir faute de pouvoir retourner en mer. J’en suis persuadé ; cependant, M. Devaux ne voudrait pas que les nôtres pourrissent pour sauver ceux des étrangers. Si M. Devaux le voulait, il faudrait réclamer l’impôt foncier à l’étranger.

Messieurs, lorsque nous voyons tant de grains étrangers en Belgique, lorsque la quantité s’en est encore augmentée par ce qui a été importé cette année, il faut prendre des mesures en faveur de l’agriculture, autrement nous verrions se renouveler cette époque de 1820 à 1826, pendant laquelle plusieurs agriculteurs n’ont pu vendre leurs grains ; moi-même, j’ai été dans ce cas, et lorsque j’ai vendu, il m’a fallu subir une perte d’un tiers.

On a parlé de spéculations, on dit : Pourquoi les fermiers spéculent-ils ? je répondrai que si on défend aux fermiers de spéculer, il faut le défendre à tout le monde ; et que puisque les fermiers ont la chance de perdre ils peuvent aussi chercher la chance de gagner.

Du reste, ce n’est pas les spéculateurs qui m’intéressent ; mais croyez-vous que ce soit une spéculation à l’agriculteur que de conserver ses produits dans un moment où les prix ne sont que nominaux ; c’est-à-dire lorsqu’ils ont un nom et point d’effet ?

Je défierais à un propriétaire de présenter maintenant des grains sur aucun marché, il ne les vendra pas, on ne veut pas des grains dont les prix sont cotés. Si j’apporte sur le marché une assez grande quantité de grains, je n’en vendrai que 2 ou 3 sacs ; si je veux absolument les vendre pour me procurer de l’argent, j’irai trouver un négociant qui me les achètera un franc au-dessous du prix du marché. Ce négociant me dira : les prix étant en baisse, je ne puis acheter qu’en calculant sur la baisse qui peut arriver encore. (M. Meeus fait un geste de dénégation.) M. Meeus dit non, c’est qu’il n’est pas agriculteur. Je regrette de ne pas le voir attaché à la charrue, il trouverait probablement sa position moins agréable que celle de gouverneur de la banque. (On rit.)

Messieurs, et je le répète, il n’est pas question de s’intéresser aux grands propriétaires ni aux grands fermiers, c’est la classe pauvre, cultivant la terre, la classe des petits propriétaires qui m’intéresse, ceux-là n’ont pas à spéculer, et ils ne peuvent soutenir la spéculation des autres.

Ces malheureux fermiers ne pouvant obtenir aujourd’hui par la vente de leurs grains le prix des frais de culture et de leur salaire, ne pouvant même avoir par la suite par cette vente de quoi payer leurs baux, ils seront expropriés, ainsi que cela est arrivé en 1822, époque où cependant le prix des grains était, je crois, un peu plus élevé.

Je termine, messieurs, en vous lisant un passage d’un rapport de la commission d’agriculture en 1822

M. Meeus (à M. Fleussu). - Est-ce signé ?

M. Eloy de Burdinne. - Je n’en impose jamais, on peut voir l’original du rapport au ministère de l’intérieur.

Voici ce passage :

« La commission éprouve les plus vifs regrets, non seulement de ne pas pouvoir annoncer quelques améliorations introduites dans les différentes branches de l’économie rurale, mais de devoir avouer aussi qu’à aucune époque des temps modernes, la situation des agriculteurs n’a été aussi déplorable qu’à celle actuelle.

« D’un côté, le prix de tous les produits de leurs exploitations fut tombé à un taux tellement inférieur, que leurs valeurs n’égalent plus les frais de culture et les contributions, tandis que de l’autre, toutes les dépenses auxquelles ils sont assujettis sont successivement augmentées depuis une trentaine d’année et n’offrent plus aucune proportion avec les prix des céréales qui précédemment formaient la base de la plupart des transactions et réglaient les salaires.

« Nous indiquons ci-après les baisses successives que les pains ont éprouvées dans notre province, depuis 1820.

« Cet état de choses a déjà amené la ruine d’un grand nombre de cultivateurs et en menace graduellement les autres. La plupart des fermiers sont redevables de leur fermage pour plusieurs années, et l’impossibilité de les acquitter s’accroît de jour en jour. Beaucoup après avoir épuisé les épargnes provenant de leurs économies précédentes, ainsi que la valeur de leur patrimoine, demandent à résilier leurs baux, en offrant aux propriétaires de leur abandonner leurs récoltes, leurs bestiaux et les attirails de labour, sollicitant comme une faveur, de diriger en qualité de domestiques l’exploitation au compte des maîtres ; beaucoup d’autres sont expropriés et vont grossir le nombre des journaliers privés de travail par suite de l’impérieuse nécessité où sont les cultivateurs, de restreindre ou de diminuer même les travaux, qui dans d’autres temps ont été considérés comme indispensables.

« Les moins malheureux des fermiers sont ceux qui, à l’expiration de leurs baux, peuvent abandonner leurs fermes, et se retirer avec le produit de la vente de leurs mobiliers d’exploitation, pour en exister, en attendant des circonstances moins malheureuses, mais le nombre de ces fermiers est à peine d’un sur cinquante. »

Messieurs, après avoir cité ce passage, je n’en dirai pas davantage.

M. Meeus. (pour un fait personnel). - Je dirai à M. Eloy de Burdinne que je suis plus que persuadé que la vérité sort de sa bouche ; mais je rappelais qu’hier l’honorable membre lui-même a dit, en parlant des rapports de la commission, que plusieurs de ces rapports étaient tout à fait opposés aux résolutions prises au sein de la commission.

N’avez-vous pas dit cela mon honorable collègue ? (M. Eloy de Burdinne fait un signe affirmatif). Eh bien, il était donc intéressant de savoir si le mémoire qu’allait citer M. Eloy de Burdinne était signé, et s’il n’était pas semblable à ceux dont l’honorable membre avait parlé hier.

Maintenant d’après ce qu’a dit M. Eloy de Burdinne, je n’émets plus aucun doute.

M. Helias d’Huddeghem. - Je n’ai pas dit, messieurs, que le principe du maximum et du minimum existait en France et en Angleterre, mais j’ai dit que la législation de ces deux peuples révélait une même pensée que l’on retrouve sous toutes les formes dans les anciennes comme dans les nouvelles lois pour la France et l’Angleterre, et de venir au secours de l’agriculture, dès qu’il y a surabondance, et de venir au secours du consommateur dès que s’approche la disette.

J’ai dit et je répète, que des droits protecteurs de l’espèce de ceux qui existent en France et en Angleterre, équivalent certes au maximum et au minimum que l’on vous propose d’adopter.

M. Dumont. - Messieurs, un honorable préopinant qui avait blâmé les propriétaires qui avaient conservé des grains, en me répondant, m’a fait parler comme si j’avais voulu les encourager à le faire. Telle n’a pas été mon opinion, j’ai voulu dire que c’était à tort qu’on les avait blâmés, parce que, selon moi, ils avaient rendu service à la chose publique.

M. Coghen, rapporteur. - Messieurs, un honorable député de Bruges a prononcé anathème contre la loi qui nous occupe, et cet anathème il l’a formulé en disant que le projet était anti-raisonnable et anti-commercial. En Angleterre et en France, il existe des droits bien plus protecteurs. J’aurai l’honneur de prouver la différence entre ces système et celui que nous proposons. Les hommes distingués qui sont à la tête de ces deux grandes nations, ne seront pas flattés de recevoir de la part d’un ancien ministre un compliment de cette nature.

Malgré tout ce qu’on en a dit, j’aurai néanmoins le courage de défendre le projet de loi qui nous occupe.

Nous aurions désiré être d’accord avec le gouvernement sur le système ; nous aurions désiré que le ministre de l’intérieur voulût bien se prononcer et nous dire s’il consentait à le soutenir, ou s’il se proposait de le combattre. Le ministère prudent, a voulu connaître l’opinion du commerce ; il a envoyé dans toutes les villes où il existe des chambres consultatives et les rapports qu’il a reçus, nous les ignorons.

Si le ministère ne voulait pas se rallier au système que la section centrale et la commission d’industrie ont eu l’honneur de vous proposer, il aurait peut-être été possible de l’entendre et de le modifier. Mais ce n’est qu’après deux jours de débats, que le gouvernement s’est prononce contre le travail de vos collègues.

Quant au maximum que la section centrale vous propose d’établir, l’honorable M. de Muelenaere a prouvé que s’il n’était pas écrit dans la loi, en cas d’une hausse excessive, il serait impossible au gouvernement de maintenir la liberté d’exporter nos céréales. Si le prix du pain arrivait au double de la valeur actuelle, j’annonce dès aujourd’hui des malheurs incalculables si le gouvernement ne prenait pas des mesures pour empêcher la sortie des céréales. Or, la loi est faite pour l’avenir ; pourquoi ne pas arrêter dès à présent pour une circonstance de cette nature, les mesures que l’humanité et la tranquillité générale réclameraient ? Est-ce chose imprudente que de stipuler dès à présent ce que vous ne sauriez jamais éviter ?

Quant au minimum j’en ai déjà expliqué les motifs et je trouve qu’on ne m’a pas répondu. D’abord il faut qu’on mette de la franchise, et permettez-moi de le dire, il faut qu’on mette de la franchise et de la bonne foi dans les allégations. On ne cesse de dire : On ne peut pas importer, aucun pays ne peut vous apporter des grains quand les vôtres sont à bas prix.

Quelles craintes avez-vous donc ? quels motifs vous agitent pour vous opposer avec tant de force contre l’établissement d’un minimum ? Avez-vous des motifs que vous n’osez avouer ? Dites-le franchement. Il résulte toujours de l’aveu de nos adversaires que si la précaution est inutile, du moins elle ne sera pas dangereuse.

Messieurs, nous ne voulons pas prononcer la hausse des grains, nous ne voulons pas, comme on l’a fait entendre, imposer de 36 millions le consommateur ; mais nous voulons défendre notre agriculture, la défendre contre la concurrence étrangère. Ce n’est pas imposer la consommation, que de frapper d’un droit les produits étrangers à l’entrée, surtout dans un pays qui produit de l’aveu de tous les membres de cette chambre, au-delà de ce qu’il a besoin pour sa propre consommation.

Pour faire ressortir que le système mixte est loin de pouvoir être comparé à ce qui existe en France et en Angleterre, je citerai quelques exemples d’application des tarifs de ces deux pays.

Je prendrai pour point de départ les chiffres 23, 21, 19 et 17 qui règlent en France les quatre classes, pour la fixation des droits. Et pour ne pas multiplier les citations, je prendrai une moyenne entre les quatre points de départ. Vous allez voir combien est modéré le système que nous proposons pour la Belgique.

Le froment pour la Belgique serait prohibé à l’entrée quand il serait descendu à 13 fr., et il serait admis au-dessus de ce prix jusqu’à 24 fr., moyennant un droit de 3 fr. par hectolitre. Une fois arrivé au taux de 24 fr., l’entrée devient libre et la sortie est défendue.

En France, quand le prix est à 13 fr., le droit est de 15 fr. 25 centimes, là où nous ne demandons que 3 fr.

Pour le seigle en Belgique, nous fixons le minimum à 8 fr. Quand il est descendu à ce taux, l’importation est défendue. Mais elle est permise depuis 8 fr. 1 cent, jusqu’à 15 fr. 99 cent., en payant un droit de fr. 1 50 cent. par hectolitre, tandis qu’en France, si le seigle descendait à 8 fr., le droit serait de 13 fr. 65 cent.

En Belgique nous avons borné le régime spécial aux deux objets principaux des céréales, au froment et au seigle ; en France le régime spécial frappe également l’orge, le sarrasin et l’avoine.

Le blé sarrasin, qui paiera en Belgique un droit fixe de 90 centimes par hectolitre, paie au prix de 10 fr., auquel il est un droit de 7 fr. 90 centimes en France ; l’avoine est admise chez nous, à raison de 75 centimes par hectolitre ; en France, au taux de 9 fr., elle paie 7 fr. 50 c. de droit.

Je passe au tarif anglais. Ce pays est en effet dans une position tout à fait particulière. Il est difficile d’établir une comparaison, parce que tous les objets y sont comparativement plus chers.

La propriété y est frappée d’un droit d’environ 337 millions pour les pauvres, le land-tax et la dîme, ce qui fait environ les trois quarts de la totalité de notre budget. L’Angleterre accorde une forte protection à son agriculture, cela se conçoit ; voyons l’application de son tarif.

D’après le document que je me suis procuré quand j’ai proposé mon travail, les prix anglais pour le froment étaient de 46 à 47 schellings le quarter. Cela répond à 20 fr. l’hectolitre. Le droit était alors de 17 fr. 75 cent, à l’entrée par hectolitre. Si le grain pouvait baisser au taux actuel de la Belgique, ce qui causerait la ruine de l’agriculture en Angleterre, le droit d’entrée serait de 26 fr. 50 cent.

L’orge qui est à 11 fr. 85 cent. l’hectolitre, paie 9 fr. 50 cent. de droit. Nous proposons 1 fr. 20 cent.

Si l’orge pouvait descendre en Angleterre au prix avili de la Belgique, à 8 fr., elle paierait à l’entrée 14 fr. 25 cent. de droit.

Pour le seigle qui est à 14 fr. l’hectolitre, on paie 9 fr. 25 c. ; nous proposons 1 fr. 50 c.

Pour l’avoine, nous proposons un droit de 75 cent. ; en Angleterre où elle est à 8 fr. 75 cent. l’hectolitre, elle paie 7 fr. 50 c. de droit.

Maintenant je laisse aux adversaires du projet de préférer le tarif français ou le tarif anglais, j’avais réservé ces explications pour le moment de la discussion des chiffres, maintenant ils peuvent faire apprécier la législation de la France et de l’Angleterre, et la comparer avec celle proposée.

Lorsque la section centrale a été réunie (je crois que les membres qui la composent ne trouveront pas mauvais que je revête ce fait), je me suis opposé avec force à toute augmentation du minimum ; augmenter le droit et puis restreindre la faculté d’importer le froment et le seigle me paraît une protection assez forte.

Avant de finir, messieurs, je dois vous faire remarquer que c’est sous le régime de l’ancien système sous lequel nous sommes encore, que les calamités dont le pays a été frappé ont eu lieu, c’est sous le régime de la liberté la plus entière que la disette la plus effrayante a affligé la Belgique en 1816 et 1817.

Je laisse à la sagesse de la chambre de décider si elle préfère mettre dans la loi ce qu’elle veut ou si elle aime mieux cacher sa pensée en augmentant le droit d’importation lorsque le prix des mercuriales aura atteint le taux de 14 francs pour le froment et de 8 francs pour le seigle. J’ai dit.

M. Devaux. - Je demanderai à l’honorable rapporteur de la section centrale si ses calculs sont basés sur le prix des marches régulateurs les plus élevés de France. Il y a des marchés régulateurs d’où il convient mieux de tirer des comparaisons, parce qu’ils sont plus rapprochés de la Belgique.

Quand les prix sont à 17 fr. sur les marchés du Nord, le droit sur le froment est de 7 fr. 25. 0ù est alors l’avantage que le rapporteur de la section ventrale a signalé, relativement aux prix élevés ?

Quand les blés sont de 18 à 19 fr. l’hectolitre, le droit français est de 2 fr. 25 par 1,000 kilogrammes. La commission le porte à 3 fr. ; de 20 à 21, 25 c., à 3 fr. ; de 21 à 24 25 cent., à 3 fr.

Je ne vois pas l’avantage qui résulte de la comparaison en faveur du projet.

M. Coghen, rapporteur/ - En commençant j’ai eu l’honneur de vous dire, que pour ne pas multiplier les calculs j’avais pris la moyenne entre les 4 points de départ.

M. le président. - Il va être procédé au vote sur le deuxième paragraphe de l’article premier, c’est-à-dire sur la question de savoir s’il y aura un droit de minimum et de maximum.

- Plusieurs membres. - L’appel nominal.

- La chambre passe à l’appel nominal.

71 membres sont présents.

Un membre s’abstient.

45 ont adopté.

26 ont rejeté.

Le deuxième paragraphe de l’article premier est adopté.

- Ont répondu oui :

MM. Bekaert Brixhe, Coghen, Cols, Coppieters, Cornet de Grez, de Behr, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Londre, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, Desmet, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Hane, Donny, Dubois, Dumont, Eloy de Burdinne, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Morel-Danheel, Olislagers, Pirson, Polfvliet, Pollénus, Poschet, Raikem, A. Rodenbaeh, Schaetzen, Simons, Thienpont, Vandenhove, Vuylsteke, L. Vuylsteke, Zoude.

Ont répondu non :

MM. Berger, Boucqueau de Villeraie, Corbisier, Davignon, de Brouckere, de Foere, de Puydt, Devaux, d’Hoffschmidt, Duvivier, Fleussu, Frison, Jullien, Lardinois, Legrelle, Meeus, Nothomb, Quirini, Rogier, Smits, Ullens, Vanderbelen, Vanderheyden, Verdussen, H. Vilain XIIII, Watlet.

M. Fallon. s’est abstenu par le motif qu’il n’avait pas assisté aux débats.

- Le 3ème et le 4ème paragraphe de l’article premier sont mis aux voix et adoptés.

Articles du tarif

M. le président. - La discussion est ouverte sur le premier article du tarif.

M. Meeus. - On demande de modifier le tarif de douanes existant actuellement par rapport aux céréales. Voilà quel a été le but du vote de l’article premier, mais l’on n’a pas dit dans quel sens cette modification serait faite. Il n’avait pas été résolu que l’on ne pourrait élever ou abaisser les droits du tarif proposé par la section centrale. Il n’y a pas de doute qu’en votant l’établissement d’un droit de maximum et de minimum, vous avez cru dans votre pensée protéger suffisamment l’agriculture. Il me paraît qu’en raison même de ce vote l’on pourrait abaisser autant que possible le taux des droits.

Je ne sois pas pourquoi l’on ne pourrait pas se contenter d’un droit d’un franc par hectolitre. Je propose donc de frapper le froment d’un droit d’un droit par hectolitre, ce qui fera 12 fr. 50 c. par 1,000 kilogrammes.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, si l’amendement de M. Meeus était accepté, je déclare qu’il n’existerait plus de droits sur les grains étrangers.

Les céréales qui nous viennent de Russie et de Pologne, sont séchées au four, ces céréales ainsi séchées subissent une différence de plus d’un franc par hectolitre ; comment après cela, adopter l’amendement ?

M. Meeus. - Je ferai remarquer à l’honorable préopinant, qu’il nous vient d’autres grains que les grains séchés ; ces grains sont la plus minime partie des grains que nous recevons.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le tarif actuel frappe le froment d’un droit de 22 fr. 50 c. par 1,000 kilogrammes à l’importation.

M. Coghen, rapporteur. - Le droit est plus fort, il est de 23 fr. 80 c.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Bien qu’il pourrait être contesté, je veux bien admettre ce chiffre de 23 fr. 80, la section centrale propose de porter ce droit de 23 fr. 80 à 37 fr. 50, c’est-à-dire 14 fr. en plus.

L’honorable M. Lardinois a proposé le chiffre moyen de 30 fr. ; c’est une augmentation de 7 francs par 1,000 kilogrammes. Je crois que cette proposition mérite de fixer un moment l’attention de la chambre.

Pour ce qui concerne le transit, le commerce s’est élevé avec raison contre le taux existant. Puisqu’on vient accorder des faveurs à l’agriculture, ou si l’on veut, qu’on lui a rendu justice, il est convenable de rendre justice au commerce et de lui accorder des faveurs alors que ces faveurs ne nuisent pas à l’agriculture.

Je propose de réduire le droit pour le transit de 2 fr. 80 c. à 1 fr. 50 c.

M. Cornet de Grez. - Il est un fait certain dont personne n’a parlé dans cette discussion, et que je crois devoir soumettre à la chambre.

Depuis nombre d’années, le gouvernement danois est obligé de recevoir ses impôts en nature. Or, ne pouvant s’en défaire, les Etats de Danemarck les expédient en pays étrangers. Si vous adoptez qui vous est propose par M. Meeus, il en résultera que tous les grains du Danemarck viendront sur nos marchés en concurrence avec les nôtres.

M. Coghen, rapporteur. - Relativement à la quotité du droit, je me suis expliqué tout à l’heure ; quant à la proposition de M. le ministre de l’intérieur, je n’y vois aucun inconvénient.

M. Eloy de Burdinne. - La discussion s’embrouille au lieu de devenir plus claire. Il s’agit maintenant de décider quelle sera la quotité du droit, de quoi il faut nous occuper.

J’aurai l’honneur de faire observer à M. le ministre de l’intérieur que le droit sur le transit est établi d’après les droits sur l’importation et qu’ainsi il faut d’abord savoir quels seront les droits sur l’importation.

M. A. Rodenbach. - On a reproché au système qui est en discussion d’anéantir le commerce, et voilà qu’on réclame en faveur du commerce un avantage, et cela parce qu’on ne veut pas que le commerce soit détruit.

Les entrepôts sont le système de la France, de l’Angleterre, du monde entier ; avec des entrepôts on peut faire tout le commerce de grains, j’admets donc l’amendement de M. le ministre de l’intérieur.

M. Dumont. - Il s’agit maintenant, messieurs, de rendre le droit fixe.

Un honorable membre a manifesté qu’il préférait un système progressif, je regrette que la question n’ait pas été discutée. Quant à moi, je trouve des inconvénients à établir le droit fixe que propose la section centrale.

Si je considère le temps où les céréales sont à un prix élevé, je trouve le droit trop fort ; si je considère le temps où les céréales sont à un prix très bas, je le trouve trop faible.

Sauf les lumières qui pourraient m’éclairer, je suis extrêmement embarrassé ; j’ai cherché à m’éclairer en faveur du système progressif, plusieurs membres m’ont témoigné aussi le désir d’avoir une discussion à cet égard.

Il me semble que dans l’intérêt de l’agriculture et du consommateur, le droit progressif vaut mieux, je ne sais ce que préfère le commerce, et c’est pour cela que je voudrais entendre sur cette question des organes du commerce.

Si la discussion s’établissait sur ce sujet, la chambre pourrait renvoyer la question à la section centrale.

M. Coghen, rapporteur. - La section centrale a abandonné le système du tarif progressif, pour éviter des embarras, des variations qui se renouvelleraient tous les jours, et nous avons adopté le droit fixe, parce que ce système assure plus de certitude.

M. Devaux. - Il me semble désirable que les droits soient échelonnés d’après les prix ; en France, on a introduit ce système comme une concession au commerce, qui se plaignait du système du maximum et du minimum.

Lorsque le maximum sera atteint l’importation sera libre ; il en résultera des prix par secousse.

Je suppose que le maximum soit à 20 fr., et que les prix soient à 19 fr. A ce prix il peut y avoir des grains étrangers en entrepôt ; celui qui devra vendre ces grains, dira : Attendons que les prix arrivent à 20 fr. et nous n’aurons plus à subir de droits ; lorsque les prix seront en effet arrivés à 20 fr. et que le maximum fixé sera atteint, tous les grains se trouveront importés dans le même espace de temps, et vous aurez une baisse très forte, une sorte de secousse.

M. Eloy de Burdinne graduait les droits quand le blé n’était pas descendu à 17,50, le grain étranger ne payait rien et quand les prix étaient arrivés à ce taux, le droit n’était que de 50 centimes.

D’après le projet on paiera 3 francs. Quand les prix étaient de 2 francs au-dessous on ne payait encore qu’un franc de droit. Le projet de loi impose également 3 francs. Aussi les chambres de commerce, dans leurs rapports, ont-elles donné la préférence au projet de M. Eloy de Burdinne, sur celui de la section centrale. Il me paraît aussi plus équitable et conduire au but que vous voulez atteindre.

Ce système mériterait les honneurs d’une discussion et d’un examen approfondis. Une loi de cette nature est une chose grave ; il faut y réfléchir avant de la voter.

On pourrait entre le maximum et le minimum adopter un droit progressif. Cela n’empêcherait pas de conserver le chiffre de 13 francs pour le minimum. On pourrait au lieu de 3 francs porter le droit à 3 francs 50 centimes. Mais une fois que le prix de 18 francs est atteint, les grains n’ont plus besoin de la même protection que quand il est à 13 francs, tout le monde même convient qu’ils n’en ont plus besoin du tout.

Le droit progressif me paraît devoir obtenir la préférence sur le système du droit fixe.

M. A. Rodenbach. - Déjà 45 voix contre 26 ont donné la préférence au système du maximum et du minimum, vous ne pouvez pas revenir sur le système progressif. Je vais cependant combattre le système progressif de France.

Que reproche-t-on à ce système, auquel M. Devaux veut donner la préférence ? On trouve que l’échelle est trop grande, que c’est un dédale dont on ne peut pas sortir. Les négociants français s’en plaignent et n’en veulent plus. Je vous demande si nous devons adopter ce système, au moment où la France est sur le point de l’abandonner. J’ajouterai que c’est le système progressif qui a totalement anéanti le commerce de grains en France, depuis que ce système est en vigueur. Je suis étonné que ceux qui se sont montrés jusqu’à présent si favorables au commerce, viennent maintenant soutenir un système qui lui est si contraire.

M. Meeus. - Le préopinant se trompe quand il établit une comparaison entre ce que la chambre a décidé, par rapport à l’établissement d’un maximum et d’un minimum, et le tarif progressif que veut proposer l’honorable M. Devaux. On peut avoir un maximum et un minimum, et en même temps un tarif progressif.

La section centrale veut que l’on paie le même droit pour le froment, lorsqu’il est à 23 francs que quand il est à 14 ; vous avouerez qu’il y a là contre-sens. A 1 fr. de différence dans le prix, elle empêche la sortie des grains indigènes et elle ne permet l’entrée libre des grains étrangers que moyennant un droit de 3 fr. Ainsi quand le prix aura atteint 24 fr., vous en interdirez la sortie et vous recevrez sans droit les grains étrangers, et quand il n’est qu’à 22 fr., les grains étrangers ne peuvent entrer qu’en payant un droit de 3 fr. Il y a là quelque chose d’irrationnel.

Je conçois qu’avec un maximum et un minimum, on puisse adopter un système de droits progressifs, et je crois que l’honorable M. Devaux nous a fait une proposition tout à fait rationnelle. Ce que la chambre doit faire, c’est de renvoyer à la section centrale, pour que la chose soit plus mûrement examinée. Comme le dit fort bien cet honorable ministre, une loi est une chose sérieuse, il faut y réfléchir avant de voter. Remarquez bien, je vous prie, que si on trouve plus tard des inconvénients à la loi qui nous occupe, on aura plus de peine à y porter remède qu’on n’en aura maintenant à améliorer dans quelques-unes des parties, la loi toute mauvaise qu’elle est.

M. Coghen, rapporteur. - J’ai dit que je pensais qu’une échelle graduée serait plus équitable, mais que c’était pour éviter des embarras au commerce que nous avions proposé un droit de 3 francs, pour qu’il ne fût pas soumis à des fluctuations. Au surplus, ce droit fixe n’aura pas une influence énorme, car quoique le chiffre du droit soit fixé à 3 fr., le droit réel ne s’élèvera pas à cela. Car pour établir ce droit, nous avons pris une moyenne de 80 kil. par hectolitre et il arrive souvent que l’hectolitre ne pèse que 72 et 74 kil. Comme le droit se perçoit au poids, moins le blé pèsera, plus il y aura d’hectolitres et moins le droit sera élevé. Je le dit, parce que déjà une remarque de cette nature a été faite dans cette enceinte. On a dit qu’un droit de 10 p. c. n’était en réalité que de 6.

Un droit fixe n’a pas tant de complications, le commerce sait à quoi s’en tenir. C’est par ces motifs que je le trouve préférable. Si on trouve le droit de 3 fr. trop élevé, qu’on fasse la proposition de le diminuer.

M. Meeus. - Je ne conçois pas comment l’honorable M. Coghen repousse l’échelle de droits gradués dans l’intérêt du commerce. Je ne vois d’embarras dans ce système que pour l’administration. Pour le commerce je n’en vois pas ; si, quand le prix du grand est à 16 fr., le droit est 1 fr. 50 c., je vois pour le commerce un droit moitié moindre. Si vous avez une échelle graduée, bien certainement il en résultera que vous établirez le droit plus fort quand les prix seront bas, que quand ils seront élevés. C’est nécessairement dans l’intérêt du commerce. Je ne comprends pas qu’on puisse invoquer l’intérêt du commerce pour faire prévaloir le système du droit fixe.

C’est une chose ridicule de faire payer à 23 fr. 99 c., un centime au-dessus du prix où l’importation est tout à fait libre, le même droit que quand le grain est au minimum. Je ne comprends pas comment cela a pu échapper à l’honorable rapporteur, lui qui montre ordinairement tant de lucidité.

M. Eloy de Burdinne. - Si on renvoie à la section centrale, le vote de la loi en sera encore retardé. Il ne l’a été déjà que trop. La chambre pourrait, ce me semble, s’occuper immédiatement du tarif gradué que je lui ai proposé, tout le monde a pu l’examiner. Dans ce cas je ne m’opposerais pas à ce qu’on y revint, mais si on devait le renvoyer à la section centrale, je soutiendrais le système que cette section centrale et la commission d’industrie ont proposé.

M. de Foere. - Messieurs, je partage sur la question d’un droit fixe l’opinion de l’honorable M. Coghen. Lorsque les droits sur l’entrée des céréales étrangères sont échelonnés, il en résulte que sous l’empire d’une semblable loi céréale les importations, pendant telles années, sont fortes ; et pendant telles autres, elles sont nulles. Elles suivent les prix des céréales d’après l’importance de leurs variations. Il en résulte aussi que le commerce extérieur, ainsi que le commerce intérieur, sont privés d’une règle sûre d’opérations commerciales. Un droit fixe est un droit régulateur pour l’un et pour l’autre. Cependant, puisque le tarif gradué qui nous est proposé par M. Eloy de Burdinne propose sur les céréales étrangères un droit moins élevé que celui proposé par le tarif fixe de la section centrale, je ne m’opposerai pas à l’adoption de son système de gradation, si la chambre désire en faire l’essai.

M. Coghen, rapporteur. - J’ai sous les yeux l’opinion de la chambre de commerce de Louvain et d’Anvers, qui demandent la stabilité du droit, celle d’Anvers surtout qui s’exprime à cet égard de la manière la plus formelle.

Je suis fâché de ne pas avoir les documents sous les yeux ; mais je suis sûr qu’il en a été ainsi presque partout.

M. Smits. - Je demande le renvoi de la proposition qui vous est soumise à la section centrale.

M. A. Rodenbach. - Je dirai à M. Meeus que la chambre de commerce d’Anvers elle-même a déclaré qu’un droit fixe est le seul droit qui convient au commerce ; s’il demande un autre droit, il ne représente donc pas le commerce.

M. Meeus. - J’appuie le renvoi proposé par M. Smits. Quant à l’opinion de la chambre de commerce d’Anvers cité par le préopinant, je lui ferai observer que cette chambre a émis son opinion, ne sachant pas qu’il y aurait un droit de maximum et minimum. Cela change toute la question.

La chambre de commerce a dit qu’elle aimait mieux un droit fixe qu’un droit de maximum et de minimum. La question change du tout au tout. Si vous consultiez actuellement la même chambre, elle donnerait un avis tout opposé.

M. Coghen, rapporteur. - J’appuie la motion de renvoi à la section centrale. L’adoption du système du maximum et du minimum ne s’oppose pas à l’introduction d’un droit progressif.

Du reste, les opinions qui ont été citées ont été données par la chambre de commerce sur la proposition de M. Eloy et non sur le travail de la section centrale.

Les documents y relatifs n’ont pas été communiqués par le ministre de l’intérieur.

M. Meeus. - Tout ce que je voulais que M. Coghen dît, c’est que la chambre de commerce d’Anvers n’a pas été consultée.

M. Pirson. - Je demanderai que l’on adjoigne à la section centrale, dont l’opinion est bien prononcée en faveur de son système, quelques autres personnes telles que M. Eloy de Burdinne.

M. Coghen, rapporteur. - Je désire que les membres qui voudraient nous éclairer de leurs lumières veuillent bien se rendre dans le sein de la section centrale.

- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 4 heures et demie.