Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 9 décembre 1834

(Moniteur belge n°344, du 10 décembre 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure et demie.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dechamps procède à l’appel nominal.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dechamps fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.

« Les officiers de la garde civique mobilisée de Bruxelles demandent leur congé définitif ou la demi-solde de non-activité. »

« Le sieur C. Ranson, sous-officier congédié, demande un secours ou une pension. »

« Le sieur Verdhurt, commis de 2ème classe des assises à Beveren, né Français, demande la naturalisation. »

« Plusieurs propriétaires de prairies dites prés de tertre et herbières demandent que le passage établi sur quelques parties des susdites prairies soit converti en chemin vicinal. »

« Le sieur Voordecker, tailleur, dont le fils a été blessé en septembre 1830, demande que la pension dont il a joui de ce chef jusqu’en 1833 lui soit continuée. »

« Plusieurs fermiers de la commune de Gheluvelt demandent que le droit d’entrée sur les tourteaux de graine grasse venant de France soit diminué. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.


M. Van den Wiele, admis dans la séance d’hier, prête le serment prescrit par la constitution.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1835

Discussion générale

M. Liedts. - Messieurs, c’est à l’occasion des budgets que les députés de la nation, passant en revue les abus qui se sont introduits dans les différentes branches du service public, forcent le gouvernement à promettre la réparation des griefs. Il m’a paru, messieurs, que ce ne serait remplir qu’une partie de notre importante mission, si, ne faisant jamais retentir cette enceinte que d’accusations et de plaintes, nous ne présentions aussi de temps en temps à nos concitoyens les avantages de notre position, et si nous ne mettions quelquefois sous leurs yeux le tableau fidèle du présent et du passé. Cette conduite, ce nous semble, en faisant voir au pays toute l’impartialité de notre critique, ne peut que donner plus de force à nos paroles, lorsque à l’occasion du budget des dépenses, nous aurons des actes à blâmer,

Souffrez donc, messieurs, que je compare un moment nos institutions avec celles qui les ont précédées, et que je jette un coup d’œil rapide sur les améliorations les plus saillantes qui ont été successivement introduites depuis 1830. Je sacrifierai les transitions au désir d’être bref.

Il s’est rencontré des gens assez crédules pour se persuader que, pendant notre réunion à la Hollande, 4 millions de Belges supportaient dans les impôts de l’Etat une moindre part que les 2 millions d’habitants des provinces septentrionales au moyen de calculs dont il résulterait, entre autres absurdités, qu’un Hollandais mange deux fois plus de pain, cinq fois plus de viande, six fois plus de sel, sept fois plus de sucre, qu’il boit dix fois plus de genièvre et dix-sept fois plus de rhum et d’eau-de-vie qu’un habitant des Flandres ; on voulait nous convaincre que la Belgique, dans un budget de 85 millions de florins, ne payait que 84 millions de francs, en prenant la moyenne des dix dernières années du règne de Guillaume. Mais, sans nous arrêter à rechercher si dans la dernière période décennale il ne s’est pas présenté une seule année où la Belgique réellement payé que cette somme, il nous est facile de vous mettre sous les yeux une preuve irréfragable que dans les dernières années de notre communauté la Belgique payait au moins 100 millions de francs.

Il suffit pour cela de se rappeler : 1° que les impôts conservés du système hollandais rapportent encore aujourd’hui au trésor de la Belgique la somme de 84 millions 42,519 fr. ; en second lieu, que notre budget actuel ne se compose d’aucun impôt qui n’existât point avant la révolution sauf les additionnels sur la contribution foncière dont nous parlerons tantôt.

Voyons maintenant de quels impôts la Belgique se trouve débarrassée depuis la révolution. Je ne citerai que les pièces officielles à la main.

1° L’unique impôt de mouture, dont l’établissement avait été jadis inutilement tenté à Venise par le conseil des dix et les trois inquisiteurs d’Etat, la mouture, dont le nom seul réveille l’indignation, était enfin tombée sous le poids de la réprobation générale lorsque la révolution éclata ; mais cette suppression même n’était obtenue que par des compensations onéreuses. En effet l’article 7 de la loi du 3 juin 1830 qui devait recevoir son exécution à partir du premier janvier 1831, outre l’établissement d’un impôt sur le café, frappait d’une augmentation les accises sur le sel, les vins étrangers, les boissons distillées à l’intérieur, les bières et vinaigres indigènes, le sucre et la contribution personnelle.

Cette loi qui, d’après son préambule même, devait rapporter 6,560,850 fr pour tout le royaume ou 3,280,425 fr. pour la Belgique, fut abrogée par le décret du 28 décembre 1830.

Voilà donc un premier impôt dont la révolution seule a déchargé le peuple belge : fr. 3,280,425.

2° L’abattage, presqu’aussi odieux que la mouture, en ce qu’il imposait la première nourriture du peuple, produisait en Belgique fr. 3,300,000 ; il fut aboli par arrêté du 1er octobre 1830 : fr. 3,300,000.

3° Une institution qu’affectionnait, dit l’histoire, l’infâme Néron, une institution qui démoralise l’ouvrier, qui éteint chez lui toute idée d’ordre et d’économie et le conduit de la ruine au désespoir et au crime ; la loterie prélevait sur le peuple belge un impôt qui s’élevait en 1821, pour les provinces méridionales, à 526,270 fl. 31 cents, et qui, par une progression effrayante, avait atteint en 1826 la somme de 1,029,567 fl. 70 cents ; elle fut abolie par arrêté du 15 octobre 1830, terme moyen à 750 mille florins ou fr. 1,587,302.

Félicitons-nous, messieurs, de voir, au lieu de cet impôt immoral, s’élever partout des caisses d’épargne où l’ouvrier trouve à placer à un intérêt raisonnable le fruit de ses économies.

4° Le désir de relever les distilleries agronomes auxquelles nos belles Flandres sont en partie redevables de leurs richesses, et peut-être aussi l’espoir d’anéantir sur les marchés étrangers la concurrence des genièvres de Hollande ont fait adopter par la législature une loi qui diminue le produit des distilleries de plus de 2,500,000 fr. par an.

Une plus longue expérience fera voir si, comme je l’ai toujours pensé, la réduction a été poussée trop loin.

5° L’histoire reproche au gouvernement hollandais d’avoir introduit dans ses colonies de l’Inde des serments qui familiarisent le peuple avec le parjure.

Les Belges faisaient le même reproche au gouvernement de Guillaume. Pendant 15 ans on a prodigué l’imposante formalité du serment. Combien de parjures sont dus à la loi de 1817, qui prescrivait le serment pour les déclarations de successions et de mutations par décès. L’abolition de ce serment est encore un bienfait de la révolution. Les registres des recettes prouvent que le trésor perçoit en moins plus d’un million par an, mais la morale publique y a gagné fr. 1,000.000

6° Depuis un grand nombre d’années les provinces des deux Flandres et d’Anvers étaient victimes d’une surtaxe dans l’impôt foncier, dont chaque année la représentation nationale reconnaissait l’existence, et dont le gouvernement reculait chaque année le redressement. Ce n’est que depuis la révolution, qu’en attendant l’entière application des opérations cadastrales, on est parvenu à faire jouir provisoirement ces provinces d’une répartition plus égale de cet impôt, en leur accordant un dégrèvement de 5 p. c., ce qui fait pour ces trois provinces une somme annuelle de 407,000 fr. : fr. 407,000.

7° Depuis que la France avait fait disparaître le droit de transit qu’elle percevait sur la navigation du canal de Mons à Condé, le commerce du Hainaut réclamait vivement la réduction du droit de navigation sur le canal de Pommeroeul à Antoing ; ces réclamations furent écoutées, et l’arrêté du 22 octobre, en y faisant droit, diminua les recettes du trésor de 325.000 fr. par an.

8° Le vin indigène était frappé d’un droit d’accise qui, pour être léger, n’en était pas moins nuisible à cette culture si utile pour quelques parties de notre territoire. Il fut supprimé par décret du 29 décembre 1831. fr. 70,000

9° Ce qui avait rendu l’impôt personnel, sur le mobilier, les foyers, les domestiques, les chevaux, etc., si impopulaire, c’était bien moins la base de l’impôt que la manière odieuse dont se faisait le recouvrement ; les innombrables procès-verbaux qui encombraient les bureaux de l’administration, et les débats scandaleux entre le fisc et les contribuables, dont les tribunaux retentissaient chaque année, en font foi. Aussi ce n’est qu’au moyen de ces perquisitions inquisitoriales dans l’intérieur des habitations qu’on était parvenu à faire produire à cet impôt la somme de 7,943,025 fr. pour la Belgique seule.

Aujourd’hui que la cotisation une fois établie, on ne soumet plus les citoyens à ces expertises le trésor y perd annuellement, depuis le décret du 28 décembre 1830, plus de 440,000 fr. ; mais en revanche les contribuables sont délivrés de ces vexations fiscales. fr. 440,000.

10° Les patentes, dont l’élévation avait excité tant de réclamations, furent réduites d’un quart par le décret du 29 décembre 1831, ce qui fait, par an, une diminution totale d’au-delà de fr. 700,000.

11° Le budget qui nous est soumis introduit un nouvel adoucissement dans l’impôt des patentes, en faveur des bateliers, qui se plaignaient déjà avant la révolution d’être forcés à payer cet impôt pour les intervalles où la navigation est interrompue. La diminution résultant de cette modification sera au moins de fr. 80,000.

12° Le décret du 28 décembre 1830 supprima les 2 centimes additionnels qui existaient en 1830 sur la contribution personnelle, et diminua de 9 centimes les 35 additionnels qui existaient sur les accises et sur les patentes.

Les 22 centimes produisaient, avant la révolution, environ fr. 700,000

Les 35 centimes produisaient, savoir :

Patentes, fr. 900,000

Accises, fr. 200,000

Ainsi, la réduction de 9 centimes équivaut au moins à fr. 1,200,000.

13° Comme, à l’égard d’autres impôts, il existait 22 centimes additionnels pour le trésor et 15 centimes pour l’amortissement sur les droits d’enregistrement, timbres, etc. ; le décret du congrès du 28 décembre 1830 réduisit à 13 les centimes pour le trésor, ce qui donne une diminution de fr. 1,200,000.

14° L’exportation du sucre depuis la révolution est plus que quintuplée, et j’en félicite le pays ; mais comme la restitution du droit à l’exportation est basée sur l’hypothèse que 100 livres de sucre brut ne donnent que 56 livres de sucre raffiné, tandis qu’en réalité ils donnent 72 à 90 livres, d’après la méthode plus ou moins perfectionnée qu’on emploie, il en résulte que depuis que l’exportation a pris cette extension, le trésor, par les restitutions, perçoit en moins qu’avant la révolution plus de 400 mille francs par an.

15° Bien qu’aux termes de l’article 197 de la loi fondamentale, aucune imposition ne peut être établie qu’en vertu d’une loi, un arrêté royal du 26 décembre 1825, qui du reste n’avait jamais été publié, imposait aux passages d’eau un impôt foncier, dont le produit pour le royaume de Belgique était d’environ 125,000 francs. Cet impôt illégal fut supprimé par arrêté du 5 novembre 1830.

16° L’impôt sur les bières n’a fait naître d’autres plaintes que celles relatives à la défense faite aux brasseurs d’introduire des farines dans les brasseries sans un permis. L’arrête du 1er novembre 1830, en levant cette défense, a facilité la fraude et diminué le produit sur la bière de 300,000 francs.

17° Une décision purement ministérielle, du 15 décembre 1827, avait, par voie d’interprétation, surhaussé les droits de timbre des journaux et affiches. L’arrêté du gouvernement du 14 octobre 1830 redressa ce grief.

18° Des arrêtés du 26 janvier 1824 et 26 mars 1825 grevaient d’un impôt, qu’aucune loi n’autorisait, les biens-fonds acquis par les communes, les hospices et autres établissements publics.

Cet impôt illégal, quoique juste peut-être au fond, a été abrogé.

A cette longue série d’impôts modifiés à l’avantage du contribuable, il faut encore ajouter la suppression, par arrêté du 14 octobre 1830, de l’impôt des leges aussi barbare dans sa dénomination qu’illégal dans son origine, et dont on peut approximativement évaluer le produit en songeant que bien des employés des finances et des douanes y trouvaient les moyens de doubler presque leurs traitements.

Il faut y ajouter aussi l’impôt illégalement imposé aux diligences, et enfin la réduction, par arrêté du 17 septembre 1832, des droits perçus sur le canal de Charleroy, de 1 fr. 70 c. à 1 fr. 45 c.

Ce sont des faits, messieurs, que je vous présente, et chacun peut en vérifier l’exactitude. Que l’on fasse maintenant la supputation, et l’on verra que si nous avions conservé tout le système des impositions hollandaises, notre budget, même en tenant compte des centimes additionnels extraordinaires dont l’impôt foncier a été frappé, irait au-delà de 100 millions de francs.

Je ne me fais pas illusion sur notre avenir ; je sais qu’à la paix nous aurons une part quelconque à supporter dans la dette, mais je sais aussi que jamais cette part ne peut s’élever à l’économie annuelle que nous pourrons faire à cette époque sur le budget de la guerre, qui nous enlève aujourd’hui la moitié de tous les revenus de l’Etat.

Voyons maintenant de quelle manière la fortune publique était surveillée et administrée.

L’on est encore bien loin d’être généralement convaincu qu’avec un bon budget des dépenses et une cour des comptes, qui répond au but de son institution, les ministres sont placés dans l’heureuse impossibilité de détourner les deniers des contribuables, et il n’est peut être aucune partie de l’administration du pays, dont le public ait des idées moins nettes que de l’administration des finances. C’est pourquoi un gouvernement loyal doit mettre tous les citoyens en état, aussi bien par la publicité de toutes les recettes que par un budget des dépenses détaillé, de se rendre compte de l’emploi qu’on fait de l’argent qu’ils versent au trésor.

Telles ne semblaient pas être les vues du gouvernement déchu lorsqu’en 1822 il institua le syndicat d’amortissement, que le bon sens public nomma bientôt la caisse d’engloutissement, et dont les oeuvres mystérieuses n’étaient pas soumises à la surveillance publique.

La sphère d’action de cette institution ténébreuse fut étendue d’année en année par de simples arrêtés, dont le résultat était par conséquent de soustraire autant de branches de recettes au contrôle des chambres et du public. Cette caisse, dont nous ne connaîtrons la gestion que lors de la liquidation avec la Hollande, a été supprimée.

La discussion du budget était une véritable dérision. Toutes les subdivisions, tous les chiffres à l’appui des budgets n’étaient que des moyens de contenter la curiosité des députés ; car, après l’approbation, toutes les combinaisons primitives de chaque département étaient bouleversées par le gouvernement, et le contrôle de la cour des comptes devenait presque illusoire. Aujourd’hui, par la division des budgets en articles, les ministres ont les mains liées pour faire un transfert d’un article à un autre.

La cour des comptes, cette institution si utile, qui a pour mission de surveiller les opérations financières du ministère, était directement nommé par le gouvernement ; de sorte que, pendant quinze années, le pouvoir exécutif a joui de l’absurde prérogative de n’être contrôlé dans les finances que par des contrôleurs qu’il nommait lui-même.

Aujourd’hui ce sont les élus de la nation qui nomment ces surveillants, et de crainte que ces fonctionnaires ne se relâchent de l’activité de leurs investigations, de crainte que l’inamovibilité ne ralentisse leur zèle, on les a soumis à une réélection aux époques fixées par la loi.

Si vous ajoutez à cela la faculté réservée à tous les députes de la nation de se faire mettre sous les yeux, aussi souvent qu’ils le jugent convenable, les registres et documents de la cour des comptes, vous conviendrez qu’il n’existe pas de pays où l’administration des finances soit soumise à un contrôle plus sévère.

On ne doit pas s’étonner, du reste, de voir le gouvernement déchu envelopper l’emploi des deniers publics de si épaisses ténèbres ; il eût été difficile de faire approuver par l’opinion publique la corruption mise en oeuvre au moyen de pensions déguisées sous vingt noms différents.

Aujourd’hui, si des places s’accordent encore à la faveur ou à l’obsession, du moins les pensions à charge de la nation ne seront plus le prix de l’honneur vendu, de la séduction ou de la bassesse ; la loi seule peut les accorder.

Des impôts si onéreux, levés d’une manière si vexatoire, un si mauvais contrôle des finances, tous ces maux étaient-ils du moins compensés par une bonne distribution des pouvoirs de l’Etat, par des institutions plus libérales que celles fondées par la révolution ? Comparons :

L’une des plus belles conquêtes de notre révolution, en dépit des déclamations haineuses de certains journaux, c’est le principe de la royauté élective.

La loi de la nature, cette loi sainte, imprescriptible, dont les règles ne trompent jamais, nous crie au fond du cœur que les nations n’appartiennent point aux rois, et que les souverains réunis en congrès à Vienne n’ont pu légitimement imposer une dynastie à la Belgique. A une royauté dont la force était l’unique source, a succédé une royauté produit d’une élection populaire. Ce n’est plus un conseil de despotes déléguant des droits qu’ils n’avaient pas eux-mêmes, c’est la nation belge assemblée en congrès qui, s’adressant avec dignité au prince de son choix, lui soumet les conditions auxquelles il est appelé à régner sur elle.

Encore, si la royauté de 1815 avait été tempérée par une représentation vraiment nationale ! Mais il y avait trois degrés entre le peuple et l’élu.

Or, le peuple qui n’élit que des électeurs, dit Bentham, ne peut point regarder les députés comme son ouvrage : les élus ne tiennent au peuple ni par reconnaissance, ni par responsabilité.

L’élection des députés n’était pas seulement vicieuse dans ses formes, mais le gouvernement était allé, dans le trop fameux arrête Brugmans, jusqu’à s’arroger le droit de juger l’éligibilité des membres élus.

Aujourd’hui personne ne contestera aux chambres le droit exclusif de juger la validité des pouvoirs de leurs membres.

La distinction des hommes en privilégiés et non-privilégiés, ce reste de la barbarie du moyen âge, avait laissé des traces dans la constitution des Pays-Bas ; et les nobles, comme nobles, avaient le droit d’envoyer leurs députés à la représentation nationale. Ces distinctions d’ordres sont abolies, et s’il existe encore des nobles, il est vrai aussi qu’il n’existe plus de noblesse collective.

Voilà pour la deuxième chambre des états-généraux. C’était bien pis pour la première chambre : à une pairie nommée par le roi, à une pairie décrépite, servant de refuge à tous les serviteurs incapables et serviles, délibérant dans l’ombre, grassement payée, la révolution a substitué un sénat, produit d’une élection libre et périodique, délibérant en public, remplissant gratuitement sa mission, et qui, par la manière dont il répond au but de son institution, s’est fait des partisans parmi ceux-là mêmes qui au commencement le repoussaient comme un rouage inutile.

Quels étaient d’ailleurs les pouvoirs des états-généraux ? Le roi s’était réservé à loi seul l’initiative des lois ; de là l’impossibilité d’obtenir des lois à améliorer la marche de l’administration.

Il est inutile de vous dire que cette prérogative précieuse est restituée aux chambres.

Les états-généraux n’avaient pas même le droit d’amender les projets de loi ; de là les lumières qui pouvaient jaillir de la discussion restaient sans fruit : chaque membre arrivait avec un discours, sans aucun espoir de corriger les défauts qu’il avait remarqués dans le projet, et dans la seule vue de faire connaître son opinion à ses commettants.

On était allé jusqu’à refuser aux chambres législatives le droit de nommer leur président : et cependant vous savez que, dans les luttes parlementaires, un président ne peut faire du bien qu’autant qu’il possède toute la confiance de la chambre.

Ce n’était pas assez de n’avoir donné à la Belgique qu’une simagrée de représentation ; on n’avait stipulé aucune garantie pour prévenir, autant qu’il est au pouvoir de l’homme de le faire, la séduction qu’exerce sur certains députés l’appât des emplois. Aujourd’hui, en acceptant une place salariée du gouvernement, le député doit comparaître devant ses mandants, afin qu’ils jugent s’ils reconnaissent à leur mandataire assez de probité et assez de force de caractère pour conserver toute son indépendance dans sa nouvelle position.

Si du pouvoir législatif nous poussons notre parallèle au pouvoir judiciaire, des avantages non moins précieux viennent frapper nos regards.

Comme il n’est aucune action sociale qui ne soit plus ou moins directement du ressort du pouvoir judiciaire, on conçoit qu’il n’y a pas de lois qui aient un rapport plus intime avec le bonheur des particuliers que celles qui assurent une bonne administration de la justice.

Consultez ceux qui ont étudié sur les lieux l’organisation sociale des Etats despotiques, tels que la Russie, l’Italie, l’Espagne, et vous apprendrez que ce qu’il y a de plus intolérable, c’est la manière dont la justice y est rendue.

Consultez ceux qui connaissent la Prusse ; ils vous diront que ce qui fait surtout oublier l’absence des autres garanties sociales, c’est la manière digne d’éloges dont le Roi y a réglé l’administration de la justice.

L’homme finit par s’habituer à tout genre de gouvernement, pourvu que sa personne et ses biens soient sons la protection d’une autorité judiciaire bien organisée. En un mot, l’ordre judiciaire, a dit avec raison un publiciste distingué, est la pierre de touche de la bonté des gouvernements. Aussi l’un des griefs les plus fondés des Belges contre le gouvernement précédent était la mauvaise administration de la justice.

Il n’y a pas de justice lorsque le juge n’est pas placé au-dessus de la crainte et de la complaisance ; et cependant le gouvernement avait tenu pendant quinze ans tous les magistrats dans sa dépendance.

Il ne faut pas seulement que le juge soit réellement, en rendant la justice, dans la plénitude de sa conscience et de sa raison, il faut encore que le justiciable en soit convaincu ; et c’est afin que l’impartialité du juge ne puisse pas même être l’objet d’un soupçon, que notre constitution a fort sagement défendu aux magistrats de recevoir un traitement quelconque pour d’autres fonctions à la nomination du gouvernement.

Ceux qui ont consacré leurs veilles à signaler les lacunes de la législation ont remarqué que les garanties dont nous venons de parler ne sont pas encore suffisantes. Que signifie, en effet, l’inamovibilité de la place, si un juge complaisant peut être nommé par les ministres conseiller, président de chambre, premier président ! Obliger le gouvernement à nommer les conseillers parmi les candidats présentés par la cour même, c’est empêcher toute corruption que pourrait exercer l’espoir de l’avancement. L’honneur d’une cour devant être cher à tous ses membres, il n’est pas à craindre qu’ils veuillent se donner des collègues capables de les déconsidérer.

C’est encore la Belgique, messieurs, qui, la première d’entre toutes les nations de l’Europe, a donné aux citoyens cette nouvelle garantie de l’impartialité de ses magistrats.

Autant la constitution s’est montrée soigneuse à prévenir la corruption de la magistrature, autant il était nécessaire d’améliorer le sort des magistrats qui, par leurs traitements, étaient mis au niveau des fonctionnaires infimes de la société : c’est ce qu’a fait la loi d’organisation judiciaire.

La présence du public aux séances des tribunaux est en même temps une sauvegarde contre la faiblesse ou la prévention du juge, et un frein contre la corruption des témoins ; cependant Guillaume, plus ombrageux sur ce point que le despotisme impérial, avait restreint cette publicité, avant même qu’il ne fût en possession de la souveraineté des Pays-Bas.

Cette garantie a été rendue aux citoyens. (arrêté du 7 octobre 1830). La loi sur le jury, si défectueuse par la manière dont il est composé, a fait accueillir avec quelque défaveur cette institution ; cependant, malgré les vices dont elle est entachée, la statistique ne prouve point que les acquittements dépassent de beaucoup la proportion qui existe dans tous les pays dotés de ce bienfait, c’est-à-dire 6 acquittements sur 35 accusés. Lorsque la révision de cette loi aura eu lieu, je ne doute pas qu’elle ne prenne rapidement racine dans ce pays, car il faudrait désespérer d’un peuple, se disant mûr pour la liberté, et qui ne saurait pas apprécier cette salutaire institution.

Ce n’est pas tout. Le gouvernement précédent s’arrogeait le droit, en élevant un conflit, de soustraire les citoyens à leurs juges naturels et de faire décider par des autorités administratives des contestations, relatives souvent aux droits privés des citoyens. A ce mépris de toutes les garanties, a succédé la disposition qui veut que ces conflits seront dorénavant du ressort de la cour de cassation.

Quelle idée peut-on se former d’un état social, dans lequel le droit de demander aux tribunaux la réparation d’une offense est subordonné à la volonté de celui que l’on peut présumer en être l’auteur ? C’est ce qui avait lieu dans le gouvernement des Pays-Bas, et l’on ne pouvait attraire en justice les administrateurs secondaires qu’autant qu’on en obtenait l’autorisation de leurs supérieurs, dont ils n’étaient que les bras. Plus heureux aujourd’hui, les citoyens belges n’ont besoin d’aucune autorisation préalable pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics pour faits de leur administration.

Le droit de faire grâce après le jugement n’emporte pas, disent fort bien les publicistes, le droit d’empêcher que les prévenus de crimes ou de délits ne soient poursuivis ; ce serait entraver le cours de la justice. Ce ne fut donc qu’au mépris de tous les principes que le roi Guillaume s’arrogea le droit de soustraire des accusés à l’action des tribunaux ; le congrès a rendu impossible le retour de cet abus.

La cour de cassation, transportée en Hollande, était dénaturée dans son essence, en lui déférant la connaissance du fond des affaires ; aujourd’hui elle est rendue à toute la pureté de sa mission.

La puissance qui fait la loi peut seule l’interpréter, et cependant le gouvernement précédent s’arrogeait souvent le droit d’interpréter les lois par de simples arrêtés. Aujourd’hui cette usurpation est défendue par la constitution même.

A ces améliorations nombreuses j’allais ajouter la plus importante de toutes, celle qui permet à la magistrature de couvrir de son égide les citoyens lésés dans leur personne ou leurs biens par des arrêtés illégaux ; mais je me suis rappelé qu’une cour de justice a presque déchiré cette belle page de notre code politique. Heureusement, et c’est Bacon qui l’a dit, les arrêts rendus dans des moments de trouble ne font pas jurisprudence.

A côté de la magistrature s’élève un ordre aussi ancien, aussi respectable que la magistrature même : le barreau, pour lequel un ministre salué par des tribunaux adulateurs du titre de premier magistrat du royaume, affectait un mépris si insultant, est rendu aujourd’hui à toute son indépendance et affranchi de l’obligation de parler une langue qui lui avait été imposée. Espérons que cette indépendance sera bientôt garantie par une loi.

La Hollande nous préparait un code pénal digne du 16ème siècle. La révolution, au contraire, tend à mettre notre système des pénalités en harmonie avec les progrès de la civilisation. C’est ainsi qu’entre autres améliorations, la mort civile que le code philanthropique de l’assemblée constituante avait anéantie et que la fureur des lois révolutionnaires contre les émigrés français avait rétablie, la mort civile, cette institution aussi absurde dans sa dénomination qu’injuste dans ses effets, cette fiction odieuse qui emportait une véritable confiscation, palliée du beau nom de déshérence et qui frappait une épouse et une famille innocente du crime de leur époux et de leur père, la mort civile ne souille plus les codes de la Belgique.

C’est ainsi que la flétrissure, cette aggravation inutile de la peine, n’existe plus de fait.

Il en est de même de l’exécution capitale. Est-ce un bien, me demandera-t-on ? Je l’ignore ; l’expérience seule résoudra cet important problème. Si les crimes en augmentaient, la justice de la peine serait démontrée, parce que sa nécessité le serait : en attendant, rendons grâces au ciel d’être nés dans un pays où le frein de la religion et de la morale a conservé assez de force pour tenter un essai auquel les philanthropes de tous les pays applaudissent.

Quels changements ne se sont pas introduits dans nos prisons pour inspirer des sentiments vertueux à ceux qui pour leurs crimes ou délits ont été momentanément séquestrés de la société ?

Depuis 20 ans le code pénal avait supposé l’existence de maisons de correction spéciales pour les détenus au-dessous de 16 ans. Cette disposition, si éminemment morale, était restée sans exécution, et les enfants dont la loi ordonnait la détention, afin de déraciner en eux les premiers germes du vice, recevaient, confondus avec les condamnés de toute espèce, des leçons de crime, là où ils auraient dû puiser des leçons de vertu.

La révolution a réalisé les idées du législateur, et les jeunes détenus, entièrement séparés des autres condamnés, ne reçoivent pas seulement une instruction particulière, mais apprennent aussi différents métiers, pour qu’en sortant de la prison ils puissent vivre honorablement du travail de leurs mains.

L’ignorance est la mère du vice : c’est donc à cultiver l’intelligence des prisonniers que l’on doit s’attacher ; et cependant, si l’on excepte la prison de Gand, ce n’est que depuis 1831 qu’ont été successivement introduites dans nos prisons des écoles où les condamnés apprennent à lire et à écrire.

La religion, dont l’empire est si puissant pour adoucir les mœurs, était autrefois aussi négligée que l’instruction dans les prisons secondaires. Aujourd’hui des aumôniers ont été attachés à presque toutes ces maisons.

Avant 1830, soit que le nombre des criminels que la Hollande envoyait dans nos prisons ne permît pas de renfermer, la nuit chaque reclus dans une cellule particulière, soit qu’il fallût l’attribuer à d’autres motifs, le gouvernement tolérait plusieurs prisonniers dans la même cellule ; de là une démoralisation dont quelques procès ont révélé toute l’horreur. Aujourd’hui l’on travaille à ce que, durant la nuit, chaque criminel soit isolé.

Avant 1830, une foule de gardes et d’employés faisaient le service intérieur des prisons des femmes ; et il n’est pas besoin, je pense, de dire combien ce contact amenait d’abus. Aujourd’hui un grand nombre d’employés et de surveillants y est remplacé par des femmes.

Qu’importent ces belles institutions, dira-t-on peut-être ; le commerce et l’industrie sont en souffrance !

D’abord il faut faire la part de l’exagération, et je demanderai si, en consultant ses souvenirs, il y a quelqu’un qui se rappelle une année de sa vie où l’on ne faisait pas les mêmes plaintes. Pour ma part, depuis que je suis au monde, j’ai toujours entendu répéter la même chose, prôner et regretter la prospérité du commerce du temps passé, déplorer son état actuel. Mais j’admets que quelques branches sont encore en souffrance : qui pourrait nier, sans fermer les yeux à l’évidence, que l’industrie se relève tous les jours, que certaines branches ont même acquis une extension qu’elles n’auraient jamais atteinte sans la révolution, que les houillères sont en pleine exploitation, que la clouterie recommence son ère de prospérité, que l’exportation du bétail a considérablement augmenté, que la vente de l’eau-de-vie indigène augmente sur les marchés étrangers d’une manière étonnante, qu’il y a aujourd’hui plus de raffineries de sucre à Gand seul qu’autrefois dans toute la Belgique, et que jamais le commerce d’armes n’a eu l’importance qu’il a acquise depuis quatre ans ?

Jusqu’en 1832 toute l’attention était absorbée par le besoin de se constituer ; dorénavant toutes les vues doivent se tourner vers les moyens de vivifier le corps social par le commerce et l’industrie. Parmi ces moyens se présentent en première ligne les voies des communications.

Vous le savez, messieurs, rien n’exerce une influence plus grande et plus active sur la prospérité des Etats que les routes et les canaux. Joindre tous les points du royaume au centre par des communications promptes, faciles et peu coûteuses, c’est rapprocher les lieux que la nature a séparées, c’est faire disparaître les distances, c’est réunir tous les membres de la grande famille, c’est, en un mot, faire participer tous les citoyens, même malgré eux, aux lumières et aux bienfaits de la civilisation.

Si ces vérités sont incontestables, personne ne pourra nier non plus que jamais, à quelque époque que l’on remonte dans l’histoire, il n’a été fait en Belgique plus de sacrifices par l’Etat pour améliorer les communications existantes, et en créer de nouvelles, que depuis la révolution de 1830.

Sans parler du chemin de fer, dont personne ne peut encore calculer l’immensité des bienfaits qu’il est destiné à produire, plus de quinze cent mille francs ont été sacrifies annuellement à sillonner le pays, dans tous les sens, des routes restées jusqu’alors en projet.

La même impulsion a été donnée au service des postes ; quatre postes ordinaires par semaine, au lieu de deux, ont été organisées entre la Belgique et l’Angleterre ; ainsi se trouvent doublés nos moyens de communication avec le peuple qui marche à la tête de la civilisation européenne.

Un service entre Anvers, Bruxelles et Paris permet de rendre compte des opérations de commerce aux correspondances de la capitale de France 12 heures plus tôt qu’avant la révolution.

Un nouveau service créé entre Liége et Aix-la-Chapelle accélère de 24 heures la correspondance de la Belgique avec le midi de l’Allemagne.

Voilà pour les nations qui nous avoisinent : à l’intérieur, des améliorations non moins utiles ont été introduites.

Plusieurs nouvelles directions de postes et trois bureaux de distribution ont été créés, d’autres sont projetés. Les communications ont été multipliées entre la capitale et les villes de Namur, de Mons et entre la ville manufacturière de Verviers et tout le royaume, entre Liége, Huy et Namur.

Dans les messageries, les mêmes progrès se font sentir de toutes parts.

De simples arrêtés des 23 janvier et 21 juillet 1818 avaient imposé de nouveaux droits de barrière aux entrepreneurs de messageries.

Les plaintes de ces entrepreneurs ne sont pas restées stériles, et l’effet de ces arrêtés illégaux a été anéanti.

Ce n’était pas assez de cet impôt illégal, on rencontrait encore une foule d’entraves dans de messageries nouvelles. Aujourd’hui, grâce à la manière large d’appliquer les lois existantes sur cette matière, ces établissements sont multipliés et favorisés autant que la conservation des routes et la sécurité des voyageurs le permettent. Aussi chacun sait combien aujourd’hui la concurrence est illimitée et combien cette concurrence a favorisé la diminution des prix, sans que l’on ait eu pour cela plus d’accidents à déplorer qu’avant la révolution.

Il ne suffit pas que les villes aient des communications entre elles, il faut, sous un gouvernement éclairé, que le hameau le plus chétif puisse journellement établir des relations avec tous les points du royaume, et ce bienfait immense sera obtenu lorsque le service des postes rurales, déjà adopté en principe, sera exécuté partout.

A ces moyens matériels d’avancer la sociabilité du peuple viennent se joindre les lettres, les sciences et les arts.

La presse, sauvegarde de toutes les autres libertés, et qui mène à la conquête infaillible de celles qui n’existent pas encore, la presse jouit chez nous d’une liberté sans bornes ; et tandis qu’en France les prisons regorgent d’écrivains politiques, tandis qu’en Hollande l’Onpartydige doit recourir à l’apologue pour faire entendre la vérité aux oreilles de ses maîtres, le journalisme chez nous ne rencontre d’autres censeurs que le public.

Aussi combien de journaux, de magasins, et d’autres ouvrages périodiques, inconnus avant la révolution, répandent aujourd’hui dans tous les coins du royaume ces lumières moyennes qui font le caractère distinctif de l’Angleterre et sans lesquelles un peuple ne peut point s’attacher à ses institutions. Aussi voyez l’impulsion qui s’est communiquée à tous les esprits ; chacun est avide de connaître l’histoire nationale, et depuis la révolution notre pays a vu éclore autant de productions qui se lient à cette intéressante étude que dans les 15 années précédentes.

L’émancipation entière de la pensée n’exerce pas une moindre influence sur les beaux-arts dans les expositions qu’on peut juger de leur développement.

Alors que nous étions réunis à la Hollande, le nombre des statues, tableaux et autres objets d’art envoyés à l’exposition d’Anvers, était en 1816 de 141 numéros ; en 1819, de 185 ; en 1822, de 242 en 1825, de 231 ; en 1828, de 318 ; et aujourd’hui qu’une révolution entreprise, après avoir épuisé toutes les voies de douceur, nous en a séparés, quel a été, croyez-vous, le nombre des objets exposés ? de 459 ; le double de l’exposition de 1825.

Le goût toujours croissant du public pour les sciences et les arts se découvre aux esprits les plus prévenus, et il n’est presque pas de ville tant soit peu remarquable où l’on ne voie les artistes étaler chaque année leurs productions, qui sont vendues aussitôt qu’exposées.

Jamais la Belgique n’avait possédé un conservatoire digne de la patrie de Grétry. Aujourd’hui cet établissement dirigé par un des plus savants professeurs de l’époque promet de fournir plus tard des artistes aussi habiles et aussi instruits que ceux des meilleurs conservatoires de l’Europe.

A la liberté de la pensée se lie celle de l’instruction : le gouvernement précédent avait été jusqu’à vouloir régler ce qui est hors du domaine du législateur ; il prescrivait aux pères de famille l’éducation qu’ils devaient donner à leurs enfants.

Je sais tout ce que laisse à désirer l’éducation publique dans quelques localités ; mais lorsque le projet sur l’instruction qui vous est soumis, et qui est cité même en France comme un modèle, sera passé en loi, j’ai la ferme conviction qu’il n’y aura plus un enfant dans le pays qui ne soit mis en état de recevoir l’instruction.

Les tyrans de la Grèce, qui cachaient leur tyrannie sous les dehors d’une administration paternelle, avaient surtout soin de défendre au peuple de s’assembler. C’était aussi la défense du code sanguinaire de l’empire qui punissait de peines sévères toute assemblée, toute association, de plus de 20 personnes.

Il appartenait au congrès belge d’abroger cette disposition qui avait survécu au royaume des Pays-Bas : il faut que l’opinion publique, qui est l’âme des gouvernements représentatifs, jouisse de la plus entière latitude pour se former et se manifester.

Il en est du reste de cette liberté comme de celle de l’instruction. Parce qu’il se présente dans le pays des moines dont je blâme la fainéantise autant que j’honore les établissements fondés pour le soulagement de l’humanité souffrante, parce qu’il se présente quelques abus, des esprits moroses iraient jusqu’à se priver des bienfaits que les associations littéraires, politiques, scientifiques, doivent produire un jour. Hommes sans foi dans l’avenir, ils révoquent en doute la puissance de la publicité et de la presse ; ils calculent la bonté des institutions nouvelles sur les conséquences d'un jour, et n’en mesurent pas les suites éloignées mais nécessaires.

A ce discours, déjà bien long, permettez-moi d’ajouter deux mots au sujet de cette partie intéressante de la nation qui se dévoue à la défense de la patrie, et qui plus que toute autre a gagné à la révolution.

Vous le savez, il existait dans l’armée des Pays-Bas une peine insultante pour le guerrier, attentatoire même à la dignité de l’homme.

La bastonnade fut abolie dès le 7 octobre 1830.

Depuis longtemps nos soldats belges s’étaient plaints de l’insuffisance de la ration de pain ; par arrêté du 27 octobre, elle fut augmentée d’une demie-livre par homme et par jour.

Les chevrons, ce puissant moyen parmi les soldats, sont accordés aux militaires après chaque période de cinq ans, et donnent droit à un supplément de solde de 5 centimes par jour.

Pour favoriser les officiers hollandais au détriment des Belges, on avait refusé le rang d’ancienneté aux officiers rentrés en Belgique après la bataille de Waterloo. Cette injustice fut réparée par arrêté du 10 octobre 1830.

D’après les tableaux officiels, il existait dans l’armée des Pays-Bas 2,377 officiers hollandais, et les Belges qui formaient les 2/3 de la nation n’en avaient que 417 dont 17 sont restés en Hollande. Aujourd’hui qu’il y a environ 2,500 officiers de tous grades dans notre armée, il y a en tout 136 officiers français, polonais et autres étrangers, appelés en vertu de la loi faite après l’invasion inattendue du mois d’août 1831. Les tableaux nominatifs sont déposés à la chambre, et chacun peut les consulter.

Vous pensez bien, messieurs, que je ne regarde pas comme étrangers ceux qui ont été naturalisés au parc, sous le feu de l’ennemi, et que le gouvernement provisoire n’a pas hésité à conserver dans l’armée. Au ministère de la guerre comme à l’armée, tous les emplois étaient réservés aux Hollandais ; 3 Belges seulement sur plus de 100 fonctionnaires y étaient admis.

Jusqu’au moment de la révolution, un brave qui avait consacré toute son existence au métier des armes, n’était pas même assuré des honneurs et des pensions acquis au prix de son sang. Une délation, le caprice d’un ministre pouvait l’en priver à jamais, sans même qu’il en connût les motifs ou les prétextes.

Le congrès, peut-être poussé trop loin par sa sollicitude pour les militaires, a mis le pouvoir dans l’impossibilité de les priver de leurs grades, honneurs et pensions, que de la manière déterminée par la loi. Peut-être n’a-t-il pas assez calculé les conséquences de cette espèce d’indépendance ! Quoiqu’il en soit, le pouvoir constituant, emporté par son amour pour les braves qui se dévouent à la défense de la patrie, a voulu leur assurer un avantage dont je ne sache pas que les militaires jouissent dans aucun pays du monde.

Messieurs, je viens de parcourir rapidement les institutions de notre nouvel Etat belge et de les comparer avec celles de la domination hollandaise ; chacun de vous appréciera facilement à ce que ce tableau présente d’incomplet.

Je le déclare franchement, lorsque je médite sur nos institutions nationales, lorsque je me souviens que ce sont elles qui forment le génie, le caractère et les mœurs d’un peuple, qu’elles ont été obtenues par une révolution qui a coûté moins d’effusion de sang que telles élections populaires de Philadelphie ou d’un comté de l’Angleterre, je suis fier encore d’être Belge.

Est-ce à dire pour cela que tout a marché depuis quatre ans au gré de mes désirs ? A Dieu ne plaise ! mes actes et mes votes sont là pour prouver le contraire. Mais je suis loin aussi de partager l’abattement de certains hommes. Le sublime des institutions humaines n’est point d’empêcher l’abus des lois, puisqu’il y en aura tant qui faudra des hommes pour les exécuter ; mais c’est d’empêcher que les abus ne se renouvellent et ne prennent racine.

Lorsque tous les principes de notre constitution auront reçu leur développement, lorsque surtout il se sera écoulé le temps nécessaire pour qu’ils produisent leurs effets, si la Belgique ne se plaçait point à la tête de la civilisation, il faudrait désespérer de l’influence des institutions politiques, et pour finir enfin par la pensée du baron A. de Staël, je dirai que « si un pays qui a joui pendant de longues années d’une constitution libre, où le peuple a pris part à la direction des affaires et à l’administration de la justice, où il est éclairé par la liberté de la presse, où la pensée, libre d’entraves, peut suivre toutes les routes ouvertes à son essor, si un tel pays n’était pas supérieur en lui-même à ceux qui ont gémi sous le despotisme militaire, ou végété sous le gouvernement des maîtresses et des favoris, il faudrait renoncer à étudier la politique comme une science et prétendre que les affaires humaines sont régies par un aveugle hasard ou attribuer aux nations ces privilèges de naissance que nous contestons avec raison aux individus. »

C’est pour le maintien de l’Etat fondé par la révolution que j’adopte le budget des voies et moyens.

M. F. de Mérode. - Messieurs, j’applaudis assurément à l’ensemble du discours de l’honorable préopinant. Seulement il a quitté un moment son rôle de représentant pour prendre celui de président du tribunal d’Anvers, et censurer ici les arrêts d’une cour supérieure au tribunal dont il est le chef.

Messieurs, je crois devoir repousser le blâme dont la cour de Bruxelles a été l’objet ; car il retombe en plein sur moi-même qui ai partagé la responsabilité d’une mesure que M. Liedts a déclarée illégale et que d’habiles jurisconsultes ont considérée comme permise encore par la loi, tandis que je l’ai regardée comme indispensable après les affreux désordres du mois d’avril provoqués par des étrangers turbulents ou séides d’une restauration détestée.

M. Liedts. - Vous venez d’entendre M. le ministre d’Etat me reprocher d’avoir mis de côté mon rôle de représentant pour prendre celui de président du tribunal d’Anvers. Messieurs, si quelqu’un a manqué aux convenances, ce n’est pas moi ; c’est M. le comte de Mérode. Je n’ai pas parlé comme président d’un tribunal, mais comme député ; et, en cette qualité, j’ai pu m’exprimer aussi librement que je l’ai fait. (Approbation.)

M. F. de Mérode. - Si l’honorable préopinant a pu, comme député, soutenir le président du tribunal d’Anvers, j’ai pu aussi moi, comme député, soutenir le ministre d’Etat : nous avons été à deux de jeu. (Rires d’approbation.)

M. Doignon. - Messieurs, le budget des voies et moyens nous a été présenté par M. le ministre avant l’événement tout à fait inattendu d’un changement de ministère en Angleterre. Cet événement doit-il aujourd’hui exercer quelque influence sur nos délibérations et nous porter à renoncer pour cette année à toute économie et à tout dégrèvement de centimes extraordinaires sur la contribution foncière ? Doit-il nous déterminer à accorder dès à présent une avance au trésor de sept à huit millions, payables par douzième dès le mois de janvier prochain, pour le cas éventuel d’une guerre avec la Hollande ?

Il me semble, messieurs, qu’il y a lieu au moins d’ajourner une mesure aussi extraordinaire : elle ne pourrait être justifiée que par un danger très imminent qui n’existe pas jusqu’ici. Le titre seul de subvention de guerre, sous lequel on veut lever ce nouvel impôt, est propre à jeter l’épouvante et l’alarme dans le pays et spécialement dans le commerce, tandis que les chances les plus probables repoussent ce sinistre événement. Cette charge accablerait d’autant plus l’agriculture qu’elle est déjà dans un état de gêne par suite du bas prix des céréales.

Si les chambres étaient à la veille de se séparer pour longtemps, notre devoir serait peut-être de donner au ministère les moyens nécessaires pour parer à tous les événements ; mais ce n’est point au moment où la chambre siège tous les jours pour ainsi dire sans désemparer, lorsqu’il est libre au gouvernement de recourir à tout moment à son intervention, qu’elle doit à l’instant même l’armer de précautions pour une éventualité qui, d’après toutes les probabilités, n’est pas d’ailleurs à redouter. J’adopterai donc la première idée émise par M. le ministre des finances lui-même, qu’on peut attendre encore quelques semaines avant de se décider pour une pareille mesure.

Je n’ai aussi, messieurs, aucune confiance dans la sincérité des protestations du ministre Wellington, qu’il suivra la ligne politique de ses prédécesseurs. Attendons-nous donc à le voir bientôt trahir ses paroles, en cherchant à favoriser secrètement les vues de notre ennemi.

Mais, j’en ai la conviction, il rencontrera une barrière insurmontable dans les faits accomplis, et si ce ministère ne s’écroule point avant peu, lui-même se verra forcé de céder au nouvel ordre de choses, et de le soutenir malgré ses inclinations particulières.

Notre séparation de la Hollande et notre nationalité sont deux faits accomplis qu’aucune puissance ne saurait détruire. Les Hollandais ne veulent pas plus notre réunion que nous ne la voulons nous-mêmes : il n’est donné à aucun homme de changer la nature de deux peuples que leur caractère, leurs mœurs, leur religion et tous leurs intérêts séparent à jamais.

Le ministère Wellington et les puissances du Nord veulent-ils, lorsque notre révolution est close depuis plus de quatre ans, en risquer une nouvelle, et exposer avant peu de temps l’Europe à un second incendie ? Dans ce moment, comme au premier jour, le peuple belge est prêt à repousser le joug de l’étranger. La politique européenne a fait un essai terrible de l’union de ces deux peuples ; elle sait trop ce qu’il lui en a coûté pour oser en tenter un nouveau. Pourrait-elle surtout oublier cette aversion profondément enracinée contre la maison de Nassau ?

Je le dis à la honte des gouvernements en général ; tel est dans ce siècle leur machiavélisme qu’il y aurait à présent de l’imprudence à se reposer uniquement sur la foi des traités, et faut-il alors s’étonner que les peuples les respectent si peu ? C’est donc bien moins sur le traité du 15 novembre et les protocoles qui l’ont précédé et suivi, que je fonde notre sécurité, que sur l’intérêt qu’ont toutes les puissances elles-mêmes de maintenir notre indépendance et notre neutralité. La France et l’Angleterre ont trouvé leur intérêt particulier dans l’érection du royaume de Belgique ; l’équilibre européen qui ne peut souffrir notre réunion à la France a été également satisfait.

Ces hautes considérations me paraissent tellement indépendantes des questions de dynastie en Espagne et même en France, que je pense même que leur solution, quelle qu’elle puisse être, n’amènerait pas nécessairement un changement à notre existence politique.

L’ennemi, connaissant l’organisation actuelle de notre belle armée, ne voudra plus aujourd’hui se mesurer avec elle, et tenter le sort des armes. Je ne crois donc pas que nous ayons à craindre une invasion, Wellington connaît la valeur du soldat belge, et la lâcheté du Hollandais. J’invoque ici son témoignage à Waterloo.

Ce n’est donc pas sur le champ de bataille, mais sur le terrain des négociations que l’ennemi nous attendra ; rappelons-nous qu’en 1830, lorsque notre révolution éclata, Wellington était encore au pouvoir et que tout son système se réduisait à dire que la question belge devait se résoudre non par la guerre, mais par les négociations. N’en doutons pas, sa pensée serait la même aujourd’hui. Convaincu, comme toute l’Europe, qu’il est impossible de nous livrer de nouveau à la Hollande et à la maison de Nassau, en sanctionnant notre séparation il fera tous ses efforts dans l’intérêt secret de ces derniers, afin de nous imposer les plus dures conditions. C’est donc de ce côté que le gouvernement et les chambres doivent porter principalement toute leur attention.

Nous avons fait remarquer, dès le principe du statu quo, que le plus grand danger qui en résultait pour la Belgique, c’est qu’il assurait au roi Guillaume l’avantage d’attendre tranquillement l’issue des événements politiques en Europe, tandis que la Belgique n’a plus rien à gagner de ces événements, et qu’au contraire elle ne peut être exposée qu’à y perdre. L’arrivée de Wellington ou de Peel au ministère d’Angleterre est un de ces événements sur lesquels a compté le gouvernement hollandais. Nous le verrons probablement tout disposé en ce moment à renouer les négociations et proposer d’autres conditions. Après avoir depuis quatre ans employé tous les subterfuges imaginables pour éluder son adhésion au traité du 15 novembre, il déclarera à la conférence que le vœu du peuple hollandais le presse vivement et qu’il faut de suite en finir.

Mais notre ligne politique est facile à tracer en cette occurrence. C’est maintenant à la Belgique, durant le règne du ministère Wellington, à se prévaloir à son tour du statu quo contre son ennemi, en protestant au surplus qu’à défaut d’acceptation en temps opportun, certaines clauses du traité, et notamment celles relatives aux arrérages de la dette, ont cessé d’être obligatoires pour le pays.

Les puissances ayant renoncé par la convention du statu quo à tout moyen coercitif contre l’une et l’autre des parties, nous pouvons aujourd’hui dire à la Hollande : Quand nous voulions négocier, vous ne l’avez point voulu ; maintenant que vous vous dites disposée à le faire, nous ne le voulons plus, et en tenant ce langage, nous ne ferons qu’user de notre droit, et d’un droit de réciprocité. Il suffit donc à la Belgique de montrer la volonté la plus ferme de refuser tout autre sacrifice ainsi que le paiement des arriérés ; tels doivent être les préliminaires auxquels elle doit se fixer invariablement.

Quant au Luxembourg, la constitution le déclare partie intégrante du royaume de Belgique, sauf ses relations avec la confédération germanique. Si la diète prétendait nous traduire à la barre de son tribunal arbitral, c’est à nous de récuser des juges aussi suspects. De quel droit voudrait-on nous imposer un tribunal qui serait lui-même juge et partie, dans lequel nous ne sommes aucunement représentés et dont on a composé le personnel sans notre participation ?

La position de la Belgique n’a jamais été plus belle et plus forte que lorsque son assemblée nationale eut le courage de restituer certains protocoles. Cependant nous n’avions pas à cette époque une armée sur pied parfaitement organisée comme aujourd’hui. Rappelons-nous, messieurs, que c’est ce courage qui a sauvé le pays des conditions les plus humiliantes que le gouvernement de Guillaume avait alors proposées lui-même.

Il est certain à mes yeux que nous n’aurions pas subi ensuite des conditions aussi onéreuses, si le ministère et les chambres fussent restés fidèles à cet antécédent. On s’est trop alarmé, sans songer que l’alarme était bien plus grande dans le camp des hautes puissances, et qu’elles-mêmes voulaient à tout prix pacifier la Belgique. Tonte notre politique devait être de tirer habilement parti de cette position de nos ennemis, et c’est ce qu’on n’a point fait. La liberté de l’Escaut, cette question vitale pour le pays, pourrait encore être sérieusement compromise par le traité définitif.

Je fais des vœux, messieurs, pour que le ministère actuel comprenne mieux notre situation. La place que nous occupons en Europe est telle que les puissances ne peuvent ignorer que la seule attitude menaçante du peuple belge peut compromettre la tranquillité générale et causer peut-être une conflagration universelle. Leur intérêt évident leur fait donc une loi de contenter ce peuple. Combien de fois n’a-t-on pas dit que la paix générale dépend d’un seul coup de canon tiré en Belgique ?

Ainsi, messieurs, le sort du pays est dans nos mains. Aujourd’hui comme précédemment, notre salut dépend de la fermeté et de l’énergie du gouvernement et des chambres. S’ils se laissaient intimider par certaines manœuvres ou certains événements que nos ennemis feraient surgir à dessein, tout serait bientôt perdu. Ayons encore une fois assez de force et de dévouement pour savoir restituer des protocoles.

S’il fallait ouvrir de nouvelles négociations, la Belgique devrait rester armée pendant tout leur cours. Que l’artillerie belge se tienne à nos frontières, prête à faire partir la bombe plutôt que de souscrire jamais à des conditions désastreuses pour le pays.

Si le ministère Wellington ou Peel devait nous réserver encore quelques moments de crise, serrons-nous autour du trône de Léopold, et que notre union et notre patriotisme prouvent de nouveau à la conférence que la volonté inébranlable de la nation est de maintenir son indépendance et sa nationalité.

Vous voyez, messieurs, que, dans mon opinion, l’état actuel de nos relations extérieures ne pourrait amener que la continuation ou la reprise des négociations diplomatiques. Mais ces négociations n’entraîneraient aucun surcroît de dépenses. Il suffira qu’entre-temps notre armée demeure sur le pied assez imposant où elle se trouve en ce moment, et organisée de manière à pouvoir être augmentée considérablement au premier appel.

Du reste, si d’autres crédits devenaient tout à coup nécessaires, en deux fois vingt-quatre heures ils peuvent être votés par les chambres. Mais il me paraîtrait impolitique de manifester, à cause d’un changement de ministère dans un pays voisin, une inquiétude tellement grave, qu’il faudrait à l’instant même ajouter à nos voies et moyens. Nous devons attendre la suite de cet événement avec calme et prudence, mais sans crainte. Prenons garde que l’adoption de cette mesure, prise avec tant de précipitation, soit plutôt interprétée comme l’effet du sentiment de la peur. Mais, de la peur à la faiblesse, il n’y a qu’un pas. Nos sept à huit millions de réserve seraient peut-être, lors de nos arrangements financiers, convoités d’autant plus par la diplomatie qu’étant déjà versés dans la caisse de l’Etat, il lui serait plus facile de s’en emparer. J’ajouterai que plus on met d’argent à la disposition d’un Etat, plus il est incliné à le dépenser.

Néanmoins, je rends hommage au patriotisme du gouvernement, qui s’est empressé de nous faire la proposition dont s’agit. Cette démarché et le vif intérêt que nous y avons tous porté, convaincront suffisamment la conférence que le peuple belge est toujours le même, et que toujours il est disposé à donner à son gouvernement tout ce qu’il lui demandera, comme à verser encore son sang pour le triomphe de la cause nationale.

J’admettrai donc les réductions proposées par le gouvernement. La Hollande a cru aussi devoir réduire de quelques millions son budget de la guerre. Quoique je me défie de la sincérité de ses actes, je ne vois aucun danger réel à suivre son exemple et à augmenter notre armée, comme le proposait hier le ministre, dans la proportion des armements de la Hollande.

J’adopterai également la nouvelle réduction des 10 centimes extraordinaires sur la contribution foncière. Nous devons depuis trop longtemps ce soulagement à l’agriculture sur laquelle cet impôt pesait exclusivement ; car ce n’est point la propriété qui en définitive supporte ces centimes additionnels, mais nos cultivateurs eux-mêmes en sont chargés en vertu des clauses de leurs baux qui les obligent au paiement de toutes contributions foncières prévues et imprévues : cette surcharge n’étant que temporaire, elle ne peut influer sur les prix des baux qui demeurent toujours les mêmes au profit des propriétaires.

Je regretté vivement que le pays doive encore subir, cette année, le système d’impôts que nous a légué le régime hollandais. On nous répond chaque fois qu’en général il y aurait du danger à changer quelque chose à l’ensemble de ce système : mais une réponse aussi vague ne démontre pas que toute amélioration est impossible : elle ne prouve pas qu’on ne pourrait imposer certains objets de luxe et des denrées coloniales. Plusieurs de ces articles ont même déjà été ou se trouvent encore imposés : pourquoi ne pourrait-on, au moins à leur égard, revenir à ce qui s’est déjà pratiqué ? Je me plais à croire que le temps manque à notre nouveau ministère pour examiner mûrement les changements que le pays attend avec tant d’impatience. Mais rien n’empêche qu’il puisse le faire dans le cours de la session.

M. le ministre reconnaît dans son exposé des motifs, que le produit des distilleries est au dessous des prévisions et que la loi nouvelle n’est point aussi favorable à l’agriculture qu’on pourrait l’espérer. Déjà l’an dernier, j’ai exprimé le désir qu’on augmentât au moins de quelques cents l’impôt sur les distilleries, et l’expérience me semblait déjà avoir prouvé suffisamment la nécessité d’un changement de système.

Le gouvernement partageant en ce moment notre opinion, je ne vois plus aucune raison pour ne pas introduire ce changement ou exiger au moins une augmentation de quelques cents. Qu’est-il besoin de l’ajourner encore à l’exercice 1836, lorsque l’expérience déjà acquise démontre maintenant l’erreur de la législature ?

La section centrale ne s’est point expliquée sur ce point important dans son rapport. Elle reconnaît certainement avec M. le ministre que la loi nouvelle a ce grave inconvénient, qu’il est de notre devoir de faire cesser au plus tôt, d’habituer le peuple, par le bon marché du genièvre, à une consommation immodérée de cette liqueur dangereuse pour la santé et la moralité. Je sais qu’avec le système adopté une trop forte augmentation de droit serait une invitation à la fraude ; mais on pourrait se borner pour cet exercice à exiger quelques cents de plus par hectolitre, et ainsi on diminuerait au moins dès à présent le mal que produit cette loi et qu’il paraît urgent d’arrêter. Si j’avais la certitude que le ministre prêterait son appui à un semblable amendement, je pourrais en faire la proposition.

Je donnerai aussi mon assentiment à la proposition du gouvernement en faveur des bateliers : elle n’est que la réparation d’une injustice la plus criante à l’égard de cette classe nombreuse de contribuables, injustice qui les a portés à se soulever partout contre le gouvernement déchu dans les grandes journées de notre révolution.

M. Desmet. - C’est pour motiver mon vote que je prends la parole.

Je pense, comme quelques orateurs qui ont parlé hier, que nous devons nous tenir sur nos gardes, qu’ayant toujours présente à la mémoire la catastrophe de 1831, nous ne saurions prendre trop de précautions pour ne plus la voir arriver une deuxième fois.

On doit croire que le roi de Hollande, dans la voie de revoir à la tête d’un gouvernement qui prend une part active dans l’arrangement de nos affaires, un personnage qui a le plus haut grade dans son armée, et que, aux dépens de nos domaines, il avait si grassement doté, se berce d’espoir, comme toute la faction orangiste et antinationale, de voir arriver le jour qu’il pourrait de nouveau venir exercer sa domination sur notre patrie, et n’épargne aucune intrigue, aucune machination, et fera tous les efforts et tous les sacrifices possibles, pour faire réaliser ses espérances et venir, au nom de la sainte-alliance, mettre à exécution ses actes de vengeance contre les Belges, qui ont secoué le joug de la tyrannie.

Et, si nous pouvons porter quelque croyance à des journaux étrangers, on devrait encore soupçonner que les cours du Nord continueraient leurs tracasseries à notre égard ; car les feuilles rapportent que l’envoyé de France près du cabinet de Berlin aurait informé son gouvernement que l’on s’occupait sérieusement dans cette capitale de l’affaire du Luxembourg, et qu’elle serait jugée contre la Belgique, avec menace d’intervention, si elle ne se résignait pas à accepter de bonne grâce le grand-duché.

je le répète, je ne sais point de quel poids on peut considérer cette nouvelle, mais l’objet me paraît assez important pour que le gouvernement prenne des informations précises à ce sujet, et que le ministère veuille nous dire ce qu’il en sait. Nous voyons encore qu’en Hollande le gouvernement ne veut rien faire connaître aux états-généraux, et qu’à des interpellations faites par quelques membres les ministres de Guillaume n’ont rien voulu répondre et ont déclaré que le moment n’était pas encore arrivé que le gouvernement pouvait donner quelques explications sur les affaires politiques et s’ouvrir sur les arrangements à conclure avec la Belgique.

Mais si je suis d’avis que la prudence nous dicte de surveiller de près nos ennemis et de nous tenir en mesure, je pense cependant qu’il n’y a pas du tout lieu de nous alarmer un seul instant, que nous pouvons être très confiants dans l’avenir et que nous ne devons aucunement craindre qu’on osera atteindre notre indépendance et qu’il serait même ridicule de soupçonner qu’un simple changement de ministère en Angleterre changerait de suite sa politique à notre égard et provoquerait, uniquement pour faire triompher une opinion, une conflagration générale, dont le résultat, j’en suis persuadé, ne serait pas en faveur des absolutistes.

Je pense de même que dans les circonstances actuelles, nous pouvons avoir pleine confiance dans ceux qui se trouvent aujourd’hui à la tête de notre gouvernement, et qu’il y a lieu d’espérer que la fatale époque du mois d’avril 1834 leur servira de leçon pour prémunir la Belgique contre toute surprise ; qu’ils agiront comme ils parlent, que leurs promesses ne seront point des mensonges et qu’ils comprennent assez la volonté de la nation belge pour ne plus songer à proposer à faire la moindre concession, ni à céder un pouce de notre territoire.

Je dois cependant faire observer à M. le ministre de la guerre, et quoiqu’on l’ait déjà fait hier, que son explication qu’il a donnée sur ce fait qu’un officier hollandais, précédé d’un trompette et accompagné de deux ordonnances, serait arrivé jusqu’au milieu de Turnhout devant la demeure du général Langerman, à l’insu de tout le monde et sans avoir rencontré en sa route aucun poste, une seule sentinelle, n’a pas été satisfaisante, et lui faire encore remarquer que ce fait est trop important dans les circonstances actuelles, pour ne pas y attirer toute son attention et même celle du cabinet, et l’engager avec instance de mieux faire garder nos frontières vers la Hollande, comme je l’engage aussi de mettre la même surveillance à l’égard de nos frontières vers la Flandre, afin de prémunir les habitants des polders des nouveaux actes de vandalisme, que Guillaume pourrait faire exercer contre eux à la première occasion.

Je voterai le budget de recettes, tel qu’il nous a été présenté, cependant avec une légère modification que je proposerai quand on discutera les articles du projet de loi ; je le vote surtout parce que je vois qu’on propose une diminution sur les centimes additionnels dont était chargé l’impôt foncier, et que je crois voir établi par cette diminution un plus juste équilibre dans divers impôts.

Si je donne mon assentiment au budget des recettes, ne croyez pas cependant que j’approuve tout ce que M. le ministre des finances a dit dans l’exposé des motifs qui l’accompagnent : au contraire, j’en devrais relever plusieurs allégations ; mon honorable ami, M. Desmaisières a fait voir hier dans son lumineux discours, qu’il a prononcé à la fin de la séance, combien il était inopportun d’avancer qu’on ne pourrait plus faire de modifications au tarif des douanes, sans qu’on ait fait une révision complète de ce tarif ; je ne reviendrai donc plus sur ce point, mais j’aimerais dire deux mots sur les distilleries de grains, dont M. le ministre a cru devoir critiquer la nouvelle législation.

A la vérité, il paraît qu’aux finances on se soit donné le mot pour honnir la loi qui a émancipé nos distilleries, et se plaindre que l’administration ne jouit plus des faveurs du régime hollandais. Mais quels sont les arguments qu’on fait valoir, quels sont les faits qu’on nous cite ?

La seule allégation que j’ai entendue jusqu’à ce jour, messieurs, c’est que depuis la nouvelle loi on boit trop de genièvre, qu’il y a plus d’ivrognes dans le pays. La loi serait donc mauvaise parce que la consommation et le débit de nos produits alcooliques sont augmentés ! Mais je demanderai si l’on a fait le relevé de l’accroissement du nombre des ivrognes en Belgique, et si la statistique des cas d’ivresse se trouve augmentée. Je crois qu’on n’on n’en est pas mieux informé que moi et que l’ivrognerie est un pur prétexte pour faire retomber nos distilleries dans l’esclavage néerlandais, et rouvrir la porte aux vexations et fiscalités, et priver l’agriculture des bienfaits qu’elle a déjà éprouvés de la loi. Mais ce dont on est certain et qu’on ne dit point, c’est que :

1° Nous n’employons ni ne buvons plus de genièvre hollandais, dont cependant nos marchés étaient encombrés avant la loi, et que nos produits fournissent en majeure partie les marchés hollandais, ce qui est constaté par les pétitions que les distillateurs de la Hollande ont fait parvenir à leurs états-généraux.

2° Que de la Prusse n’entre plus de liqueurs, et que la Belgique, surtout la province de Luxembourg, en fait entrer considérablement dans ce pays ; les journaux allemands en font foi.

Et enfin, que la nouvelle loi sur les distilleries a entièrement arrêté la contrebande de eaux-de-vie de France ; et si quelques contrebandiers y ont perdu, sans doute que le pays y a gagné. Il y a donc une seule vérité constatée, c’est que la consommation des produits alcooliques se fait de nos propres produits, et que l’étranger est chassé de nos marchés.

Avant que les droits réunis fussent introduits par le gouvernement français dans la Belgique, les distillateurs avaient à supporter un petit droit sur la matière première ; cette loi était susceptible de grands abus ; mais par la modicité du droit, ils préféraient de déclarer exactement que de s’exposer à payer de fortes amendes.

Alors aussi la Belgique abondait de petites distilleries, et spécialement dans les contrées des terrains sablonneux et stériles où l’engrais manque pour les fumer ; chaque distillateur, ayant besoin d’engrais, avait une distillerie petite ou grande en activité, par pour le bénéfice que rapportait le genièvre, mais pour l’engrais et la nourriture de ses bestiaux. Les bestiaux engraissés étaient en grand nombre, la viande se vendait à 20 pour cent à meilleur compte qu’aujourd’hui, et un commerce des plus lucratifs pour la Belgique et des plus favorables pour son agriculture se faisait alors avec la France dans le bétail gras qui provenait de nos distillateurs, tandis qu’en après nous recevions au contraire des bêtes de Hollande, et que le Hollandais les faisaient passer par notre pays pour les renvoyer en France.

Lorsque notre pays fut envahi par les troupes du nord, et réuni à la Hollande, cette administration des droits réunis reçût le nom d’accise et détruisit d’année en année les petites distilleries par les vexations et les injustices sans exemple de la plupart des employés de cette administration, soutenus par quelques-uns de leurs chefs, armés du chef-d’œuvre incompréhensible de la loi du 26 août 1822, contenant 78 articles de punition, et de la fameuse loi générale de la même date, auxquelles il était impossible d’échapper, et qui mettaient à la merci des employés et des chefs de l’administration les plus honnêtes distillateurs qui, quoique la justice et le bon droit entièrement avec eux, étaient toujours forcés de passer des transactions et remplir, par ce moyen, la bourse des employés et surtout celle des chefs de l’administration ; et je crois que c’est là le principal motif pour lequel les employés aux finances en veulent tant à la loi qui nous a délivrés des fiscalités et des ruineuses amendes qui se payaient au profit de ces messieurs.

Il est à observer que la loi de 1822 a particulièrement anéanti nos distilleries proprement appelés agricoles, et qu’à la vérité ce sont celles qui se sont relevées par la nouvelle loi. Qu’on en veuille faire le relevé et on verra combien le nombre en est augmenté ; et que le ministre des finances veuille prendre des information dans sa propre province, il saura quel bien fait la nouvelle loi y a fait à l’agriculture. J’ai vu avec plaisir que le ministre des finances a pris des informations sur l’effet de la loi sur les distilleries, près des administrations municipales ; je ne doute pas que le résultat ne réponde à ce que nous venons d’avancer, et je désirerais qu’on fasse une enquête en règle sur le point de la distillation des grains : on verra alors de quel bien-être elle est pour l’agriculture, et quels sont les bienfaits qu’on a déjà éprouvés par l’émancipation d’une industrie qui est si favorable à l’agriculture.

M. le président. - La parole est à M. de Brouckere.

M. de Brouckere. - Mon intention était de soumettre à la chambre quelques observations sur le budget des voies et moyens ; mais le plus grand nombre de ces observations regardait particulièrement le département de la guerre, parce que, vous le savez, il absorbe la moitié de nos revenus. Comme je m’aperçois que le chef de ce département n’est pas présent, je ne veux pas maintenant m’occuper d’objets qui rentrent dans ses attributions. Je renonce donc à la parole pour ce moment, me réservant de présenter à la prochaine occasion qui s’offrira, et qui, je suppose, n’est pas très éloignée, les développements que je m’étais proposé de soumettre aujourd’hui à la chambre.

M. Seron. - Messieurs, M. le ministre des finances vient vous demander une subvention de guerre de plus de 6 millions qu’il dit éventuelle, mais qu’on percevra à dater du 1er janvier prochain. En même temps, il persiste dans son projet de faire diminuer de moitié, c’est-à-dire de plus d’un million et demi, les centimes extraordinaires, additionnels à la contribution foncière. Pour justifier cette réduction, il croit inutile de faire valoir le poids accablant supporté par la propriété immobilière depuis la révolution.

Le fardeau de deux emprunts forcés en 1832, celui de 40 centimes extraordinaires en 1833, et de 20 centimes en 1834, a, dit-il, pesé sur elle sans exciter ses murmures ni altérer son patriotisme. (Les murmures et le patriotisme de la propriété immobilière !) Il serait injuste qu’après de si nombreux sacrifices, et alors que les nécessites politiques ne les rendent plus indispensables, elle restât surchargée plus que les autres impôts directs.

Sans doute, messieurs, dans un Etat bien ordonné, tous les contribuables doivent être imposés en raison de leurs forces ; ils ont droit à l’égalité proportionnelle. Le gouvernement lui-même est intéressé à ce qu’elle s’établisse parce qu’elle rend moins onéreux et plus facile le recouvrement des charges publiques. Si donc la contribution foncière est trop élevée comparativement à la contribution personnelle et à la taxe des patentes, comme M. le ministre des finances le prétend, il est juste et raisonnable de la modérer. Mais ne pose t-il pas ici en fait ce qui est en question ?

Avant la révolution française, la dîme seule enlevait le cinquième du revenu net des terres labourables et des prairies naturelles ou artificielles. Un autre impôt frappait tous les biens-fonds non privilégiés ; c’était dans les provinces belges la taille réelle, en France la taille et les vingtièmes.

Sous le gouvernement de Bonaparte, les centimes additionnels, les contributions de guerre que chaque année voyait se renouveler plusieurs fois, les remises des percepteurs, des receveurs généraux et des receveurs particuliers retranchées de vos rôles de répartition et mises à la charge du trésor depuis 1823 ; tous ces accessoires, dis-je, égalaient quelquefois le principal et doublaient ainsi l’impôt foncier.

Aujourd’hui, en 1834, les centimes additionnels du trésor, y compris les 2 centimes du fonds de non-valeurs, se réduisent à 5 pour cent du principal ; aujourd’hui, s’il faut en croire MM. les employés du cadastre dont la science est regardée comme infaillible, la contribution foncière ne prend au propriétaire que le onzième ou, tout au plus, le dixième de son revenu : mais je veux admettre qu’elle lui en ôte le huitième, les évaluations cadastrales me paraissant exagérées ; dans cette hypothèse, je la trouve encore très modérée et très supportable.

Direz-vous qu’il en est de même des patentes et de la contribution personnelle et mobilière ? A défaut de données plus positives et que ne comporte pas la nature des choses, considérez, je vous prie, qu’en 1829 ce dernier impôt, bien que les côtes mobilières eussent été doublées, ne dépassait guère 3 millions de francs en principal pour toutes les provinces dont se compose la Belgique ; qu’aujourd’hui il s’élève à 7 millions 400 mille francs aussi en principal ; qu’alors les communes rurales en supportaient une bonne partie ; que maintenant il est à peu près nul dans ces communes par la suppression de la cote personnelle et l’exemption des maisons dont la valeur locative ne va pas à 20 florins par année ; au lieu qu’il surcharge démesurément les villes grandes ou petites où le moindre loyer excède 20 florins ; que ce même impôt manque absolument de bases ; qu’en effet la valeur locative d’une maison, ni ses foyers, ni ses portes et fenêtres, ou les meubles qu’elle renferme, ne peuvent donner la mesure des facultés du propriétaire ou du locataire qui l’occupe, pas plus que la monture d’un négociant, d’un facteur ou d’une chirurgien, si sensément mise par la loi au rang des chevaux de luxe, ne peut faire apprécier l’étendue de leurs affaires et de leurs bénéfices.

Considérez que plus un impôt laisse de prise à l’arbitraire et à l’injustice, plus il doit être modéré si l’on veut le rendre tolérable ; enfin considérez que celui dont je parle a été, dès son établissement, accueilli par un cri général de réprobation, et que bien qu’il ait 12 années d’existence et que nous soyons, comme on l’a dit ici des bêtes d’habitude, cependant il est difficile de trouver un seul contribuable qui ne s’en plaigne et ne le maudisse encore à l’heure qu’il est.

Quant à l’impôt des patentes, il n’est ni moins odieux ni moins arbitraire, ni moins pesant, puisqu’aux taxes très élevées, fixées par la loi, et qu’en venu de ses dispositions, MM. les agents du fisc augmentent à peu prés à leur gré, il faut ajouter, outre les dix centimes extraordinaires, les 26 centimes ordinaires dont ce même impôt est grevé à l’instar des accises et des droits de timbre et d’enregistrement.

En vous parlant, d’ailleurs, du fardeau des deux emprunts de 1832, on oublie qu’ils ont aussi pesé sur la contribution personnelle, avec cette différence que la plupart de ceux qui la paient et qui ont le malheur de n’être que locataires et de n’être pas riches, ont été réduits à vendre leurs obligations à 50, 55 et même à 60 pour cent de perte ; au lieu que MM. les terriens ont vendu les leurs au pair, et ont même joui des intérêts sur le pied de cinq pour cent par année.

Quant aux 40 et aux 20 pour cent d’augmentation, je ne vois là aucun sacrifice ; j’y vois un acte de justice tendant à ramener les contribuables à l’égalité proportionnelle. Certes, les membres de la chambre qui ont voté ces additions, n’ont pu le faire que parce qu’ils ont cru avec moi que la contribution foncière était trop peu élevée comparativement aux autres impositions.

Je ne m’apitoierai pas avec la commission spéciale sur la classe des cultivateurs. Elle n’est pas plus, elle est peut-être moins dans la gêne que la classe des marchands, des artisans et des ouvriers. Si le prix des céréales a baissé, les récoltes ont été plus abondantes et il y a eu au moins compensation. D’ailleurs, les productions de la terre ne consistent pas uniquement en céréales ; les céréales ne sont pas l’unique ressource des cultivateurs ; ils tirent aussi un grand parti de leurs bestiaux. ; ils font maintenant beaucoup d’argent de la laine de leurs moutons, il est des gens qui vous prient de ménager leurs pauvres fermiers auxquels ils ne feraient pas grâce d’un sol de fermage.

Mais que fait la contribution foncière aux fermiers ? ils ne le paient que comme une partie du prix de leur bail. Je ne vois pas non plus que MM. les propriétaires de bois soient fondés à se plaindre ; grâce à l’influence que donnent les richesses aux intrigues de leurs gens d’affaires et à la diminution momentanée du prix des taillis, ils sont parvenus à obtenir dans les provinces cadastrées des réductions considérables, comme si le revenu net eût dû être fixé sur les produits des quatre dernières années ainsi qu’ils l’ont prétendu, au lieu de l’être sur les produits des 15 ou des 20 dernières années, suivant le voeu de la loi. Maintenant leurs forêts sont trop peu imposées ; les employés du cadastre en conviennent eux-mêmes.

Sous le régime hollandais, on cherchait aussi l’argent où il n’est pas. Je n’appuierai jamais un pareil système. Je ne voterai jamais une réduction sans motifs de la contribution foncière dont la conséquence serait le maintien et même l’augmentation de deux impôts odieux et certainement trop élevés.

Au reste, avant de voter des impôts, il conviendrait de connaître la destination qu’on veut leur donner, afin de nous mettre à portée de juger jusqu’à quel point ils sont nécessaires : d’où la nécessité d’examiner premièrement les budgets de dépenses. Mais, au rebours, les ministres veulent qu’on s’occupe d’abord des recettes. J’aurais désiré aussi que dans un compte d’ordre et d’administration ils voulussent bien nous faire connaître la ligne sur laquelle ils se proposent de marcher afin d’être sûr qu’on ne pillera plus personne, pas même les orangistes, et qu’on mettra un terme à l’ambition et aux envahissements du clergé qui nous domine et qui nous mange. Les ministres ayant jugé à propos de garder le silence sur la demande que nous leur avons adressée hier à cet égard, je me vois forcé de rejeter en totalité le budget des voies et moyens.

M. de Foere. - Comme membre de la commission chargée de l’examen du budget des voies et moyens, je crois devoir donner à la chambre quelques explications sur un point qui a été discuté dans une séance de la commission à laquelle il ne m’a pas été possible d’assister. Cette question est assez importante pour motiver les explications que je vais donner. Elle doit d’ailleurs se représenter devant la chambre, lorsqu’elle sera appelée à examiner le travail qui sera présenté par la commission des finances. Membre de cette dernière commission ainsi que de celle des voies et moyens, j’ai cru ces explications nécessaires pour ne pas paraître en contradiction avec moi-même.

On a soulevé dans le sein de la commission la question de savoir s’il ne serait pas avantageux pour le trésor de créer des billets de banque de l’espèce de ceux qu’émet la banque. Votre commission, dit le rapport, s’est accordée à regarder cette mesure comme dangereuse et impraticable ; elle exposerait le pays à tous les inconvénients qu’entraîne la création d’un papier-monnaie, et forcerait l’Etat à avoir constamment en caisse des valeurs en numéraire représentant celles qu’il aurait émises, ou à se livrer à des spéculations de banque dans lesquelles le gouvernement ne saurait s’ingérer.

Je ferai remarquer que ces motifs sont autant applicables à la banque de Bruxelles qui émet ces sortes de billets qu’ils le seraient à l’Etat. Le rapport dit en premier lieu : « Cette mesure exposerait le pays à tous les inconvénients qu’entraîne la création d’un papier-monnaie. » Mais le papier-monnaie existe en circulation ; peu importe son origine ; peu importe qu’il ait été émis par l’Etat, par la banque de Bruxelles, ou par toute autre banque. On ne peut attacher aucune importance à l’origine d’émission pourvu que l’on ait confiance en ce papier-monnaie. Or sur quoi repose l’émission des billets de la banque de Bruxelles ? Uniquement sur le crédit de cette banque.

Sur quoi repose ce crédit ? sur la bonne foi et les ressources de cette banque. Or, ce serait faire injure à la nation belge et aux représentants de cette nation que de croire, que toute cette nation et ses représentants n’auraient pas assez de bonne foi pour représenter en monnaie d’or et d’argent une somme égale au montant des billets émis par l’Etat. Il serait absurde de prétendre que l’Etat n’a pas autant de ressources que la banque de Bruxelles, composée de capitaux agglomérés par ses actionnaires.

Cette émission, dit encore le rapport de la commission, est impraticable pour l’Etat ; mais cette pratique existe, et des billets sans intérêt sont émis par l’Etat dans le royaume de Prusse, à tel point que non seulement le gouvernement prussien, mais la nation tout entière ne voudrait se désister de ce système d’émission. Or, si cette mesure se pratique dans un Etat, vous ne pouvez pas dire qu’elle est impraticable dans un autre !

Les valeurs commerciales qui existent en circulation sont telles que tout l’or et tout l’argent qui existent dans le monde entier ne suffiraient pas pour représenter les transactions qui se font en papier-monnaie, je ne dirai pas dans une année, mais en un seul jour.

Sur quoi donc se base le crédit ? Sur la bonne foi des commerçants et sur leurs ressources. Eh bien, la bonne foi d’une nation doit toujours être établie. Si elle n’avait pas de bonne foi, elle n’aurait pas même de budget. En outre, les ressources d’une nation ne sont-elles pas toujours plus grandes que celles d’une banque !

Le rapport dit aussi que la mesure dont il s’agit forcerait l’Etat à avoir constamment en caisse des valeurs en numéraire représentant celles qu’il aurait émises. Mais cette objection s’applique également. La banque de Bruxelles, pour établir le crédit de ses billets, doit avoir en caisse assez de numéraire pour acquitter les billets qui lui sont présentés. L’objection que l’on fait contre la mesure proposée au profit de l’Etat existe donc, je le répète, pour la banque.

En outre, messieurs, je considère l’émission des billets de la banque de Bruxelles comme inconstitutionnelle. D’après la constitution, tous les Belges sont égaux devant la loi. Je dis donc qu’accorder un semblable privilège à une seule société, c’est une inconstitutionnalité flagrante. Si vous n’accordez pas le même privilège aux autres banques qui voudraient émettre des billets, il y a évidemment inconstitutionnalité. Aucune association particulière, depuis la constitution, ne peut jouir d’un pareil privilège.

Un troisième motif allégué par le rapport contre la mesure, c’est qu’elle forcerait l’Etat à se livrer à des spéculations de banque dans lesquelles un gouvernement ne saurait s’ingérer. J’aurai l’honneur de faire remarquer que l’émission des bons du trésor, des billets, des bons royaux comme on voudra appeler ces valeurs, est tout à fait indépendante des spéculations de banque. Le motif allégué par la commission n’existe donc pas.

Telles sont les explications que je désirais soumettre à la chambre pour ne pas paraître, comme je l’ai dit, en contradiction avec moi-même lorsque la chambre aura à examiner le travail de la commission des finances, attendu que mon nom est apposé au rapport de la commission chargée de l’examen du budget des voies et moyens.

Un autre point sur lequel je crois devoir appeler l’attention de la chambre, c’est celui du dégrèvement de l’impôt foncier.

Un principe posé et que la constitution semble avoir admis, c’est que dans l’état de guerre ou dans l’état de quasi-guerre dans lequel nous nous trouvons, l’industrie agricole, la grande propriété doivent supporter la plus grande part des dépenses de l’état. Puisque l’on considère l’état actuel comme état de quasi-guerre, je ne vois pas pourquoi, par opposition à ce principe, on dégrèverait l’impôt foncier.

Le malaise qu’éprouve l’industrie agricole, n’est pas l’élévation de l’impôt. Elle souffre surtout de ce que la grande propriété ne veut pas se considérer comme une industrie, et veut se tenir en dehors de la civilisation actuelle. Le placement de fonds dans les possessions territoriales doit être subordonné aux mêmes chances que les placements de fonds d’une toute autre industrie. Cependant les grands propriétaires prétendent jouir toujours de la même élévation des baux, alors même que les produits agricoles diminuent. Ce qui est aussi absurde qu’injuste. Si toute autre industrie doit subir les chances de la variation dans le prix des produits, la grande propriété doit être soumise aux mêmes chances. Si vous ne maintenez pas l’impôt foncier au même taux, il en résultera que jamais on ne détruira cet abus dans le pays. Ce n’est qu’en maintenant l’impôt foncier à la même élévation, qu’on forcera les grands propriétaires à baisser le prix des baux. Or, il est incontestable que l’élévation du prix des baux est la seule véritable plaie de l’agriculture.

Un troisième point enfin que j’ai à porter à votre attention, c’est un principe admis par M. le ministre des finances, savoir que la balance entre les revenus et les dépenses du trésor public est une condition d’ordre dont on ne peut se départir, sans compromettre gravement les finances d’un Etat et sans grever l’avenir de charges onéreuses.

Cependant, messieurs, l’article 4 du projet propose le maintien en circulation de 25 millions de bons du trésor. Je le demande, messieurs, n’est-ce pas se mettre en contradiction ouverte avec ses propres principes ? Cette somme n’accroît-elle pas la dette publique ? Car notre dette flottante n’est aujourd’hui autre chose qu’un véritable emprunt.

Un emprunt en temps de paix nous mènerait au point où est arrivée l’Espagne, et où arriveront tous les pays qui continuent de lever des emprunts sans mettre au niveau leurs ressources et leurs dépenses. C’est ainsi que l’Angleterre, que la Hollande, qu’un grand nombre de pays sont arrivés à un véritable état de crise. Si aujourd’hui le ministère, d’un côté, réduit le budget des voies et moyens, de l’autre, fait des emprunts, il léguera à ses successeurs une charge très onéreuse. Ce fait m’a paru en désaccord avec les principes émis par M. le ministre des finances sur la nécessité de la balance entre les ressources et les dépenses de l’Etat. Si le budget des voies et moyens ne répond pas au budget des dépenses, ce système nous entraînerait dans des conséquences dangereuses pour le pays.

Telles sont les observations que j’avais à soumettre à la chambre.

M. A. Rodenbach. - J’ai demandé la parole pour répondre aux assertions du ministre des finances et des députés de Tournay relativement à la loi sur les distilleries : je craindrais que ce que ces honorables membres ont dit laissât de mauvaises impressions dans cette enceinte et dans le public contre le système sur lequel la loi a été basée.

Je ferai d’abord observer à M. le ministre des finances qui assure que le nombre des distilleries agricoles n’est pas augmenté, et promet de produire un état pour appuyer son dire, que la distinction qu’il veut établir entre les distilleries est une erreur, car il n’y a pas d’autres distilleries que des distilleries agricoles.

En effet que produisent-elles ? De l’alcool, des résidus et des engrais : les résidus servent à la nourriture du bétail ; les engrais sont employés pour fumer les terres ; aussi, il est non seulement inexact, mais il est encore absurde d’avancer que les distilleries agricoles n’ont pas augmenté en nombre.

Sous le gouvernement hollandais on avait bien fait des catégories, des classifications relativement à ce genre d’industrie ; toutes ces classifications n’ont rien de réel ; il n’existe pas autre chose que des distilleries agricoles ; et quand ces établissements augmentent en nombre, le nombre des distilleries augmente.

Nos distilleries travaillent maintenant au moins six fois autant qu’avant la révolution ; notre ennemi le sait, et par tous les moyens il cherche à paralyser cette source de notre richesse agricole, comme il cherche à paralyser les branches de notre industrie manufacturière. On sait que récemment il a frappé d’un droit de 50 p. c. les cotons fabriqués en Belgique, que l’on veut exporter dans ses colonies.

Nos distilleries ayant porté un coup funeste aux distilleries hollandaises, on comprend les motifs des mesures que notre ennemi veut prendre contre elle ; mais gardons-nous de nous associer à ses desseins et de favoriser l’intérêt hollandais au détriment du nôtre.

Il s’agit, dit-on, dans cette question d’un autre intérêt que de l’intérêt matériel ; il s’agit de l’immoralité qui est la suite de l’usage trop répandu des liqueurs alcooliques, usage qui se propage à proportion du bas prix des spiritueux ; mais en France où les eaux-de-vie n’ont pas un prix supérieur à celui de nos genièvres, va-t-on, sous ce prétexte, diminuer la production des eaux-de-vie, et ruiner une branche de l’agriculture ? non, sans doute ; faisons de même et soutenons un moyen de prospérité que les Hollandais avaient anéanti chez nous pendant leur domination, et que la loi qu’on attaque doit faire revivre.

Détruire les distilleries, ce serait donner à la Hollande les bénéfices que nous pouvons faire nous-mêmes. Il est vrai que ce ne serait pas la première faute de ce genre que nous commettrions ; je n’en citerai qu’un exemple :

Sur l’Escaut on tolère une fraude funeste à nos intérêts, on transborde sur de petits navires belges toutes les provenances hollandaises. Le café, entre autres denrées, est apporté par les navires de nos ennemis jusqu’à nos portes, et il est introduit en Belgique à leur grand profit.

Pour attaquer le système libéral sur lequel la loi des distilleries est fondée, on a dit que sous l’ancien système de perception des impôts sur les spiritueux ils produisaient trois millions, et que maintenant ils produiront à peine 5 ou 6 cent mille francs ; cependant, s’il faut en croire les recettes déjà effectuées cette année, il est probable que cet impôt produira environ dix-huit cent mille francs et peut-être deux millions.

Si l’on veut absolument diminuer la consommation du genièvre, il faut employer d’autres moyens que d’attaquer la base de la perception de l’impôt mis sur la fabrication de cette liqueur : on peut, par exemple, augmenter la patente de ceux qui débitent le genièvre en détail ; mais lorsqu’une loi est profitable à notre agriculture et fatale à notre ennemi il serait impolitique d’y toucher.

M. Desmanet de Biesme. - Je veux réfuter quelques assertions erronées émises dans la discussion.

Pas plus que M. Seron, je ne défendrai le système de l’impôt personnel. Depuis longtemps on a fait sur ce point les plus vives et les plus justes réclamations. Toutefois nous ne pouvons reprocher à un ministère nouvellement arrivé au pouvoir l’existence d’un mode établi depuis longtemps, et sur lequel, il nous l’a promis, il va proposer de grandes modifications.

Je ferai les mêmes observations sur l’impôt des patentes. Il est beaucoup d’abus que renferme notre législation à cet égard ; aussi ont-ils été l’objet de nombreuses plaintes. Par exemple dans nos campagnes, les particuliers font à la fois plusieurs petits commerces, et sont obligés d’en agir ainsi, à cause du peu d’importance que chacun de ces petits commerces comporte dans une commune rurale ; on les force à prendre plusieurs patentes. Il est vrai que lorsque le percepteur n’a pas trop l’esprit fiscal, il ferme les yeux et n’écrase pas le malheureux marchand ; mais il en est d’autres qui font exécuter la loi dans toute sa rigueur, ce qui cause beaucoup de mal au petit commerce et provoque beaucoup de mécontentement.

On s’est entretenu de l’impôt foncier. MM. Seron et de Foere paraissent vouloir le conserver au taux où il est parvenu. M. le ministre de finances a fait remarquer avec raison, que la propriété foncière avait supporté le poids de deux emprunts.

Il est une chose à laquelle on ne fait pas assez attention dans nos discussions : on s’imagine qu’en Belgique la propriété foncière est dévolue à quelques familles riches, tandis qu’il est peu de pays où le territoire soit aussi divisé. L’erreur dans laquelle on se complait pourrait avoir de fâcheux résultats : c’est qu’en voulant frapper le riche, on accablerait réellement le pauvre qui possède un coin de terre.

En ce moment les propriétés foncières tendent à diminuer de valeur à cause de la diminution du prix de leurs produits : les céréales sont en baisse ; le bétail ne se vend pas bien ; les chevaux sont presque sans valeur. Tout ce que l’on fait maintenant pour l’industrie, les canaux, les chemins de fer, ôtent tout prix à ces animaux en les rendant inutiles ; l’agriculteur en souffre. Je sais bien que dans les questions d’intérêt général on ne doit pas s’occuper de quelques malheurs privés ; mais ici je veux constater un fait. On nous avait promis un traité avec la France pour l’exportation de notre bétail. Ce débouché serait de la plus grande utilité à notre agriculture.

On a prétendu que l’augmentation de l’impôt foncier ne portait aucun préjudice au fermier, que c’était le propriétaire qui supportait ces surtaxes ; on ne sait donc pas que ce sont les fermiers qui sont chargés de payer l’impôt foncier ; les emprunts même qu’on aurait voulu ne faire payer qu’aux riches ont été payés, dans nos provinces du moins, par les fermiers ; car dans les baux il y a cette clause : « Tous les impôts, même ceux établis sous le titre d’emprunts, seront payés par le fermier. » Si jamais nous éprouvions des moments de crise qui exigeassent de la nation de grands sacrifices, il faudrait mettre l’impôt sur la fortune présumée des particuliers et non sur les biens, parce que, sous ce dernier mode, les riches ont trouvé le secret de le mettre à la charge du pauvre.

Relativement aux bois, j’ignore si, dans le district qu’habite M. Seron, de grands propriétaires ont pu les vendre ; ce que je sais, c’est que les évaluations cadastrales sont exagérées. Dans le canton de G… on estime les bois à 36 francs de revenu annuel ; on ne les coupe qu’au bout de quatorze années ; cependant jamais le propriétaire n’en a retiré 400 fr. ; il a beaucoup de peine à en retirer la moitié.

J’ai des bois de 15 ans à vendre, et je ne peux pas en avoir 150 fr. Tout cela se comprend facilement par la substitution de la houille au bois dans les usages domestiques et dans les usines : aussi les propriétaires de bois feront-ils entendre de justes plaintes dans cette enceinte.

C’est depuis quatre ou cinq années que ces choses se sont établies, et cependant on part d’évaluations faites depuis dix années ; on sent combien est fautive la manière dont on procède pour établir l’impôt. Il me semble tout à fait juste que dans les sacrifices auxquels il faut consentir pour la Belgique, toutes les branches d’industrie manufacturière doivent contribuer autant que l’industrie agricole dont les produits, depuis quelques années, ont diminué de valeur.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ayant à répondre à plusieurs orateurs, surtout à un grand nombre d’objections faites relativement à des chiffres, je demande à répondre demain à l’ouverture de la séance. J’espère qu’il y aura de cette façon plus de clarté et plus d’ordre dans la discussion.

M. Duvivier. - Je signalerai seulement à M. le ministre des finances que, dans une loi antérieure à son entrée en fonctions, il a été admis des modifications à la contribution personnelle, modifications telles que cette loi actuellement en vigueur n’excite aucune plainte, ni aucune réclamation.

M. Verdussen. - Messieurs, M. le ministre vient de dire qu’il répondra demain aux différentes objections qui lui ont été faites. J’appellerai son attention sur deux points importants.

Je remarque dans le budget des voies et moyens qu’il n’est point fait mention d’un revenu qui, je crois, doit y figurer. Une loi a été votée en juillet 1833 ; cette loi alloue un subside de 185,000 francs à la caisse des retraites, et il a été dit, article 2 de cette loi, que cette somme n’était accordée qu’à titre d’avance remboursable par la caisse de deux en deux ans.

Le premier cinquième était exigible le 1er juillet 1835. C’est donc une somme de trente-sept mille francs qui devrait rentrer dans les caisses du trésor. Je ne vois nulle part cette rentrée qui pourtant a été fixée par une loi . Si vous laissez sans exécution une loi qui intéresse un grand nombre de personnes, vous porterez à croire que cette loi a été abrogée. Non seulement le premier cinquième de 1835 est exigible, mais encore les autres qui sont remboursables de deux ans en deux ans. Ceci est la première observation sur laquelle j’appelle l’attention de M. le ministre des finances.

Ma seconde question a pour but de savoir si la somme de quarante mille francs portée dans le budget des voies et moyens, et sous le titre de recouvrement d’avances faites au ministère de la justice, répond au crédit qui figure à l’article 3 chapitre 9 du budget de ce ministère, sous le titre de frais de transport des mendiants, etc., pour avances à faire aux communes. S’il en est ainsi, je regrette de ne voir figurer qu’une somme de 40,000 francs, alors qu’on en demande une de 74,000. Pourquoi le chiffre de la recette est-il baissé, tandis que celui de la dépense est de beaucoup supérieur ?

M. Dumortier. - Messieurs, je ne saurais garder le silence après les principes mis en avant par l’honorable M. Seron, relativement à un changement dans le système des impositions. Quand la révolution éclata, on jugea nécessaire d’apporter un changement dans les impôts. On l’appelait à grands cris ; si quelqu’un avait élevé la voix pour les laisser subsister tels qu’ils étaient, il eût été accueilli par un hourra d’improbation.

A l’époque de la révolution, messieurs, ces réclamations étaient très fondées, aujourd’hui elles ne le sont pas. Les impôts ne sont plus ce qu’ils étaient sous Guillaume. Le système de vexation fiscale était alors à l’ordre du jour ; on pressurait le contribuable sous tous les rapports ; en matière de contribution personnelle, il se commettait des vexations inouïes dont peu de nations ont fourni d’exemples. Cela est abrogé aujourd’hui, et le contribuable n’est plus exposé à ce qu’on vienne visiter tout chez lui, depuis la cave jusqu’au grenier, afin de baser ce qu’il doit subir d’imposition. On se plaignait des mesures en vigueur en matière de distilleries. Vous les avez modifiées. La mouture excitait des plaintes non moins vives et non moins répétées : la mouture a cessé d’exister.

Il en a été de même de l’abattage. La loterie, le plus immoral de tous les impôts, n’a-t-elle pas été supprimée ? Des contributions iniques, inconstitutionnelles sur les bacs et les bateaux, n’ont-elles pas été également abolies ? On a supprimé celles qui pesaient sur les vins indigènes, sur les esprits fabriqués dans le pays. On a réduit les droits sur les patentes, les accises, l’enregistrement, les brasseries. On a abrogé la formalité du serment en matière de succession. Voilà, j’imagine un considérable système de modifications.

Aussi les plaintes de 1830, renouvelées aujourd’hui, ne me semblent-elles qu’un vain écho auquel nous ne devons prêter aucune attention. Je regarde toute modification en ce moment comme un mal. Les plus vieux impôts sont toujours les meilleurs, aussi longtemps que les peuples ne s’en plaignent pas. Voulez-vous la preuve, messieurs, que les impôts ont subi des modifications suffisantes ?

Les réductions produites depuis la révolution s’élèvent à 22 millions de francs. Comptez-vous cela pour rien et faut-il encore bouleverser le système des impôts ? Si on veut bien examiner ce que je viens d’avancer, j’espère qu’on ne sera plus si empressé de vouloir ce bouleversement. S’il avait lieu, il en résulterait deux choses.

D’abord un déficit pour le trésor public ; car il est impossible de prévoir ce que rapportera un impôt à établir, et l’on sait parfaitement à quoi s’en tenir sur celui qui existe. Toutes les fois que le roi Guillaume a voulu changer le mode des impôts, il en est résulté un déficit dans les perceptions, et alors on a dû recourir à des emprunts. Est-ce le cas, dans la position où se trouve la Belgique, de s’exposer à voir se tarir le trésor public ?

Un second résultat dangereux, ce sera de favoriser certains individus, ou plutôt de nuire aux uns en favorisant les autres.

Quand un impôt s’établit, messieurs, il est toujours odieux, mais il peut s’améliorer avec le temps. Ainsi l’impôt-patente, sous Guillaume, donna lieu à de nombreuses injustices et à de vives réclamations. Peu à peu ces injustices furent redressées.

Ce que je dis pour les impôts-patentes, messieurs, peut s’appliquer à tous les impôts, car tous ils excitent des réclamations et des plaintes, et pour tous aussi ces réclamations et ces plaintes amènent avec le temps de notables améliorations. En établissant des impôts nouveaux ou en bouleversant le système adopté pour ceux qui existent, vous vous exposez infailliblement à perdre le fruit de ces améliorations. Il est incontestable de plus que vous vous aliénerez le cœur des contribuables.

Ceux dont vous déduiriez la quotité des impôts, ne vous en sauraient aucun gré, tandis que ceux qui verront la leur augmentée s'en prendront à la révolution et lui deviendront hostiles. Aussi longtemps qu’un pays est en révolution, il faut prendre garde d’indisposer les contribuables.

Je m’opposerai donc à tout changement de système d’impôts, aussi longtemps que ce changement ne sera pas hautement réclamé par l’opinion publique.

Quelles sont aujourd’hui les plaintes graves qui s’élèvent contre la contribution personnelle ou contre l’impôt des patentes ? Je me trompe, des réclamations vives et fondées ont été faites contre les patentes des bateliers. Mais le ministre des finances vient de proposer de faire cesser l’abus dont on se plaint. C’est ainsi qu’en redressant peu à peu les abus qu’on rencontre, on arrivera sans secousse, sans inconvénient, à répartir l’impôt d’une manière équitable tandis que la substitution d’un système nouveau au système existant ne peut avoir lieu sans préjudice pour les contribuables et pour le trésor.

Par ces motifs, je m’opposerai toujours à un changement de cette nature.

M. Meeus. - Je ne pensais pas prendre la parole dans cette discussion, mais les paroles que vient de prononcer l’honorable préopinant m’engagent à rompre le silence et à m’expliquer sur quelques-unes de ses assertions.

L’honorable préopinant, voyant (passez-moi l’expression) tout couleur de rose, trouve que, dans le système des impositions tel qu’il existe aujourd’hui, tout est pour le mieux. Certes, messieurs, j’admets ses prémisses. J’admets avec lui que les modifications apportées aux impôts depuis la révolution les ont rendus moins odieux, moins onéreux aux yeux du public qu’ils ne l’étaient. Mais est-ce à dire pour cela que nos impôts soient aussi bons que le prétend l’honorable préopinant, qu’ils ne doivent plus subir de modifications ? Une des raisons qu’il donne, c’est que par une nouvelle répartition, on s’aliénerait, on aliénerait à la révolution le cœur des contribuables qui, payant trop peu aujourd’hui viendraient à être imposés à ce que la justice et l’équité les obligeraient à payer.

Vous vous aliénerez ceux que vous imposerez plus qu’ils ne sont aujourd’hui. Voilà la doctrine de l’honorable préopinant. Mais si vous adoptiez cette doctrine, vous devriez renvoyer toute l’administration du cadastre et renoncer à ses travaux. Car enfin, d’ici à peu de temps le cadastre étant achevé, il va s’ensuivre entre tous les contribuables une péréquation qui nécessitera non seulement de petites, mais de lourdes augmentations pour certains contribuables. Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire dans d’autres circonstances, il y a dans la répartition de l’impôt foncier des inégalités tellement choquantes que des propriétés ne paient que 3 ou 4 p. c. de la valeur locative, tandis que d’autres en paient 20. Et vous voudriez, dans la crainte d’aliéner le cœur des contribuables qui ne paient pas ce qu’ils doivent payer, laisser peser sur ceux qui paient trop la taxe telle qu’elle est établie ?

Ce sont là des assertions que je ne puis pas laisser passer sous silence.

J’admets avec l’honorable préopinant que les impôts sont devenus plus tolérables depuis la révolution ; cependant, je ne saurais admettre avec le ministre des finances que la contribution personnelle ne donne lieu à aucune réclamation, car cet impôt est vicieux, son assiette est mauvaise. Je ne veux pas m’étendre davantage sur ce sujet. Comme je l’ai dit en commençant, mon intention n’était pas de prendre la parole ; mais je n’ai pu entendre, sans y répondre, la doctrine émise par le préopinant.

Puisque j’ai la parole, je répondrai aussi quelques mots à l’honorable M. de Foere, qui a émis des principes que je ne puis laisser passer sans réponse.

Il vous a dit qu’il avait proposé à la section centrale un nouveau moyen de procurer des ressources à l’Etat. Ce moyen était une émission de billets de banque par l’Etat.

L’honorable abbé a argumenté fort logiquement, quand il dit : « Ce qu’un établissement particulier peut faire, l’Etat peut le faire également ; si un établissement particulier inspire une confiance fondée sur la bonne foi et sur les moyens pécuniaires, ce sont là des avantages que l’Etat possède à un degré supérieur.» J’admets cela volontiers avec l’honorable préopinant, et je serais charmé pour mon compte que l’Etat belge pût réaliser ce qui a été de tout temps en question chez nos voisins.

Il a cité la Prusse. J’ignore jusqu’à quel point les billets sont en circulation. Mais, si le fait existe, c’est un exemple que le gouvernement belge ne doit pas perdre de vue. Quant aux inconvénients que présenterait ce moyen de se procurer des ressources, ce n’est pas le moment de les discuter. Quand on présentera un projet de loi sur cet objet, je m’étendrai davantage.

L’honorable abbé de Foere a dit qu’aujourd’hui la banque belge était en possession d’un privilège, et que, d’après la constitution, aucun établissement ne pouvait jouir d’un privilège, attendu que tous les Belges sont égaux devant la loi.

Messieurs, l’honorable abbé est complètement dans l’erreur. Il me semble qu’il est permis à chaque particulier, à toute nouvelle société qui voudra se former, d’émettre des billets de banque. S’il y a privilège aujourd’hui dans les statuts de la banque, ce privilège est en faveur du Roi, envers qui la société générale est liée pour la somme des billets à émettre et la forme dans laquelle ils doivent être émis.

Je pense que l’honorable abbé n’aura pas réfléchi sur ces saines doctrines.

M. Dumortier. - Je dois deux mots de réponse à l’honorable préopinant. Il n’y a rien de si facile pour combattre un adversaire que de dénaturer ses propositions. C’est ce qu’a fait l’honorable préopinant. Suivant lui, j’aurais prétendu que tout était au mieux dans le système actuel de l’impôt, et qu’on aurait tort d’aliéner le cœur des contribuables, qui ne paient pas ce qu’ils doivent payer au trésor public, en les imposant comme l’exigent la justice et l’équité. Je nie formellement avoir rien dit de semblable. Si le système d’impôt qui existe était à créer, je serais un de ses plus ardents adversaires.

J’ai dit que je m’opposerais à la substitution d’un nouveau système à cause des injustices que l’établissement de tout système nouveau entraîne nécessairement après lui, parce que ces injustices excitent des mécontentements et ne peuvent se réparer qu’avec le temps.

Je demande si c’est le moment de faire naître des mécontentements dans le pays, alors qu’aucune plainte ne se fait entendre. Oui, messieurs, aucune plainte ne se fait entendre. Vous dites que des réclamations s’élèvent contre notre système d’impôts ? Mais je vous demanderai où sont les pétitions qui vous ont été adressées contre l’emprunt foncier, contre l’emprunt des patentes et contre la contribution personnelle. Nous avons fait droit à toutes les réclamations qui nous ont été adressées. L’impôt foncier a été diminué, les Flandres ont été dégrevées de la surtaxe dont elles se plaignaient. Pourquoi, maintenant que le pays ne fait pas entendre de plaintes, opérer un changement qui amènera pour les contribuables des injustices et des abus et pour le trésor public un déficit qu’on ne pourra couvrir qu’au moyen d’un emprunt.

Ce n’est que contre un changement de cette nature que je me suis prononcé ; quand aux améliorations partielles, je serai toujours prêt à y donner mon assentiment.

M. de Foere. - L’honorable député de Bruxelles a été induit en erreur lorsqu’il a dit que j’avais proposé à la commission une émission de bons royaux faite par l’Etat. J’ai dit au contraire que, pour cause d’absence, je n’avais pas assisté à la séance, à la discussion de cette question.

Je suis charmé d’un autre côté que l’honorable député de Bruxelles s’accorde à dire avec nous que l’Etat tout entier doit nécessairement jouir de plus de crédit qu’un établissement particulier pour une émission de bons sans intérêt, car il sera toujours vrai de dire que le crédit est uniquement fondé sur la bonne foi et sur les ressources du débiteur.

L’honorable membre de Bruxelles est également dans mon opinion lorsqu’il dit que chaque banque particulière du pays, chaque maison de commerce peut émettre des billets de banque. Mais je n’ai pas contesté à la banque de Bruxelles le droit d’émettre des billets de banque. J’ai dit que, depuis la mise en vigueur de notre constitution, il était inconstitutionnel d’accorder ce privilège à cet établissement seul. Nous sommes donc d’accord sur le principe, avec cette seule différence que, selon moi, la permission d’émettre des billets ne devrait être accordée qu’en vertu d’une loi qui garantît les intérêts du public, afin qu’une sécurité suffisante soit offerte au pays pour éviter les nombreux abus qui pourraient résulter de l’émission ordinaire d’un papier-monnaie.

M. Meeus. - A tout ce que vient de dire l’honorable M. Dumortier, je répondrai seulement que je préfère un seul fait avéré à une nuée de pétitions. Dès qu’il ne m’aura point prouvé que dans telle partie des Flandres, ou plutôt dans tout le royaume l’un paie 2, tandis que l’autre paie 10, je dirai qu’il y a une iniquité révoltante dans la répartition de la contribution foncière.

Je dirai à M. de Foere qu’il n’y a pas de privilège pour la banque, puisqu’en définitive tout le monde peut émettre des billets de banque. Si l’honorable orateur n’établit pas catégoriquement qu’il n’est pas vrai que les particuliers, les sociétés commerciales puissent faire ces émissions, je ne serai pas convaincu de l’existence du privilège qu’il signale. D’ailleurs, comme je l’ai déjà dit, c’est précisément l’opposé à l’égard de la banque. Car cette société, liée par son contrat, ne peut émettre de billets qu’à certaines conditions stipulées par ce contrat. Il me semble donc que s’il y a privilège, à coup sûr, ce n’est pas du côté de la banque.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je ne veux pas anticiper sur la discussion grave, sans doute, que soulèvera tôt ou tard un projet de loi sur une répartition plus équitable de la contribution foncière. Cependant je crois devoir faire observer dès à présent qu’on serait dans l’erreur si l’on considérait mon silence comme un acquiescement aux opinions que vient d’émettre l’honorable député de Tournay

M. Dumortier. - Je crois que les préopinants n’ont pas compris ce que j’ai dit. J’ai dit que je m’opposerais à un changement de système, mais non pas à des améliorations lorsqu’elles seront reconnues nécessaires. C’est que j’ai dit et redit à satiété. La seule chose à laquelle je m’opposerai toujours, c’est un bouleversement complet de système qui ne peut manquer d’établir un déficit dans les ressources de l’Etat et d’exciter en même temps de vives réclamations de la part des contribuables. Les améliorations partielles, je les appelle de tous mes vœux et je serai toujours le premier à les appuyer de mon vote.

Projet de budget de la chambre de l'exercice 1835

Rapport de la commission

M. Desmet. - J’ai l’honneur de déposer sur le bureau le rapport sur le budget de la chambre. (L’impression !)

- L’impression du rapport sur le budget de la chambre est ordonnée.

La séance est levée à quatre heures et demie.