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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 15 décembre 1834

(Moniteur belge n°350, du 16 décembre 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dechamps procède à l’appel nominal à une heure et demie.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dechamps fait connaître l’analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Jehu, ex-sous-officier de gendarmerie, pensionné, demande que la chambre porte une loi qui laisse jouir les militaires pensionnés de la pension affectée au grade immédiatement supérieur à celui qu’ils occupaient en quittant le service. »

« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent un subside pour le culte catholique-apostolique. »

« Le sieur Albert de Bal réclame contre le projet du sieur Brasseur d’établir une machine à vapeur pour moudre le grain. »

« Plusieurs fermiers de la commune de Zantvoorde demandent que les droits à l’entrée sur les tourteaux de graine grasse soient diminués. »

« Onze jardiniers d’Anvers, victimes des événements qui se sont passés depuis la révolution, demandent le paiement de l’indemnité qui leur revient. »

« Les notaires de campagne de l’arrondissement de Liége demandent qu’il leur soit accordé d’exercer concurremment avec les notaires des villes, au moins dans leur arrondissement. »

- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.

Projet de loi fixant le contingent de l'armée de l'année 1835

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Evain) a la parole pour une communication du gouvernement. Il présente un projet relatif à la fixation du contingent de l’armée pour 1835.

- Le projet est renvoyé à la section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1835

Discussion des articles

Article 2 nouveau

M. Pollénus. - Messieurs, il me reste toujours des doutes sur l’opportunité de la subvention de guerre que vient pétitionner le gouvernement.

Dans l’examen des motifs allégués à l’appui de ce nouveau subside, j’ai tâché de me mettre en garde contre cet entraînement que l’on produit si aisément chaque fois que l’on vient nous parler des intérêts de la révolution ; il est toujours prudent de se méfier des mots et de bien examiner la chose.

Permettez-moi de rappeler brièvement quelques incidents qui se rapportent à notre situation politique extérieure, et qui se sont passés depuis notre session actuelle.

Dans le discours d’ouverture le chef de l’Etat disait : « Forts des engagement qui nous sont garantis, il nous est permis d’envisager l’avenir avec confiance. » Le Roi annonce ensuite une diminution dans les impôts et la réduction de l’armée.

La réponse de la chambre, à cette partie du discours du trône, respire la même sécurité : « La nation, disions-nous, le 17 novembre, apprendra avec plaisir que nous pourrons diminuer les centimes additionnels, et entreprendre de grands travaux sans imposer de nouvelles charges. »

« Sans imposer de nouvelles charges, » vous vous en souvenez ; c’est là un engagement pris envers le pays, auquel la dignité de la chambre ne permet pas de se soustraire sans motifs graves.

Je suis ainsi amené à me demander quel événement est venu depuis changer notre politique extérieure et a pu remplacer par une frayeur subite cette consolante sécurité dont on aimait à nous entretenir dès notre première réunion. Le gouvernement nous a-t-il révélé quelque fait, quelques notes, quelques protocoles nouveaux qui puissent inspirer des craintes raisonnables pour la conservation des engagements antérieurs ?

Non, messieurs, rien de semblable ne nous a été communiqué ; vous vous rappellerez même que M. le ministre des affaires étrangères, interpellé sur les intentions probables du cabinet tory qui n’existait pas encore, nous a donné l’assurance la plus positive qu’aucun fait n’était parvenu à la connaissance du gouvernement d’où l’on pût inférer que l’administration dont le duc de Wellington était alors le chef, ne se considérerait pas comme irrévocablement liée par les engagements accomplis sous l’administration de ses prédécesseurs.

J’ai foi dans cette déclaration des organes du gouvernement, parce que je n’y vois que la conséquence des nécessités de position du cabinet britannique : quoi qu’il en soit, c’est sur les ministres seuls que doit peser la responsabilité de leurs explications, si tant est qu’elles renfermeraient des réticences que l’on ne doit point garder quand on vient demander des subsides extraordinaires.

Mais je suppose pour un instant que l’arrivée du feld-maréchal de la Sainte-Alliance au timon des affaires ait pu inspirer des craintes fondées aux nations qui comme la Belgique se sont révoltées contre les combinaisons du congrès de Vienne : dans ce cas-là même je demanderai aux partisans de l’impôt de subvention si notre position est encore aujourd’hui la même qu’elle était au moment de la présentation du projet et au jour des explications négatives données par M. le ministre des affaires étrangères. Pour ma part je ne le pense pas ; deux faits sont intervenus depuis, qui selon moi modifient essentiellement notre position.

Depuis la restauration de l’administration tory, la pensée du cabinet anglais a déjà éprouvé une modification dont il faut tenir compte ; car, comme vous savez, le noble personnage qui donnait toutes ces appréhensions a déjà cessé d’être premier ministre ; la haute direction des affaires vient d’échoir à un ancien ministre qui, quoique dévoué au torysme, ne représente cependant pas aussi exactement que Wellington le système usé de la Sainte-Alliance. D’ailleurs on peut, me semble-t-il, avoir quelque confiance dans d’une nation forte et éclairée, et qui saurait, s’il le fallait, résister aux tentatives d’une politique rétrograde et déloyale.

Un autre fait est intervenu, dans le pays même dont on paraît redouter l’attaque ; ce fait me paraît mériter toute l’attention de la chambre parce que, mieux que toutes les inductions il repousse les craintes de cette guerre subite dont la prévision nous est présentée comme l’unique motif du projet de subvention : c’est le rejet du budget par les états-généraux de Hollande. Comment pourrait-on raisonnablement supposer des projets d’agression chez une nation dont les députés réclament de toutes parts des économies, et qui expriment leur volonté par un rejet de budget qui est la dernière raison d’une représentation nationale.

Ne doit-on pas craindre plutôt que la subvention de guerre, au lieu de nous rassurer, ne devienne une source d’embarras nouveaux ? En votant un subside de guerre, ne doit-on pas craindre de fournir au roi Guillaume un prétexte dont il s’emparerait avec empressement pour obtenir de nouveaux subsides destinés à se préparer contre une prétendue attaque dont il puiserait les projets dans cette même subvention ? Vous voyez donc qu’une trop grande précipitation de notre part pourrait fournir à notre ennemi un prétexte d’augmenter des moyens d’attaque que la nation hollandaise paraît décidée à lui refuser.

Je me demande donc en vain où est l’utilité de voter dès ce moment cette subvention ; car, ainsi qu’on l’a déjà dit, des crédits extraordinaires peuvent toujours être votés si les circonstances l’exigent ; les chambres resteront en permanence jusqu’au mois de juin ; je ne vois aucun motif qui puisse justifier une précaution qui me paraît inutile et qui augmenterait considérablement la somme des impôts ; d’ailleurs je crois avoir vu quelque part qu’il restera disponibles à la fin de l’exercice quelques millions destinés au département de la guerre ; ce fond de caisse suffira aux premiers besoins, et la chambre aura tout le temps nécessaire pour voter une subvention de guerre si les circonstances l’exigent : notez bien qu’il y a 40 millions au budget pour le département de la guerre.

Vraiment je ne conçois rien à l’ardeur avec laquelle on semble aujourd’hui vouloir faire des préparatifs de guerre destinés à protéger une révolution qui, à sa source, s’est engouffrée dans la diplomatie, et qui, à peine née, est tombée dans le domaine des négociations. Ce sont les propres expressions d’un diplomate. Qu’y a-t-il donc de changé, et, au jour qu’il est, ne vivons-nous pas encore de diplomatie ?

Cette position peut se prolonger encore pendant assez longtemps.

Je dois ici justifier mes prévisions pacifiques du reproche de témérité qu’on pourrait leur adresser, et pour cela je me contenterai de rappeler quelques mots du discours de M. le ministre des affaires étrangères à la séance du 8 de ce mois. M. le ministre déclara « qu’il n’était parvenu à sa connaissance ni à celle du gouvernement aucune parole, aucun acte, aucun fait, dont on pût directement ou indirectement tirer la conséquence que l’administration tory répudierait aucun des antécédents de ses prédécesseurs ; » et plus loin : « notre position diplomatique n’offre aucun incident nouveau qui puisse inspirer la moindre crainte. » M. le ministre a soin d’ajouter, comme un correctif aux dispositions belliqueuses que pourrait produire le vote d’une subvention de guerre : « Ce ne serait pas en vain, j’en suis sûr, que nous ferions un appel à la loyauté de nos alliés. » C’est à peu près comme si l’on disait : Votez la subvention, et au besoin nous mettrons la diplomatie en campagne…

Messieurs, en vous exposant la situation du système pacifique qui vient d’obtenir tout récemment une sanction parlementaire éclatante dans un pays voisin je n’entends nullement soutenir que des révolutions opérées par la violence puissent se consolider par des protocoles, car ordinairement la force termine ce que la violence a commencé ; j’ai seulement voulu vous prouver que rien n’annonçait que la guerre était tellement imminente que nous puissions nous autoriser de cette prévision pour augmenter les impôts publics.

La guerre ! Oui, je crois qu’un jour on en viendra là ; les pactes que fait le pouvoir absolu avec la liberté des peuples ne peuvent être de longue durée ; notre position ne se présente donc à mon esprit que comme une trêve qui peut être plus ou moins longue ; mais je ne puis y voir la paix. Ménageons donc nos ressources pour le grand jour où la Sainte-Alliance se décidera à engager le combat avec les révolutions de juillet et de septembre. Au jour du danger, aucun sacrifice ne coûtera à un peuple dévoué à ses institutions et au Roi de son choix ; le gouvernement peut compter sur l’appui des chambres.

Je ne puis terminer sans appeler la sérieuse attention des ministres sur les conséquences fâcheuses qui pourraient résulter pour le crédit public, pour l’industrie et les transactions commerciales, du vote d’un subside qui frapperait d’une majoration notable tous les impôts à la fois ; des marques d’inquiétude, les plaintes du commerce, de l’industrie et des contribuables en général, ne manqueront d’assiéger aussitôt le gouvernement et d’ouvrir sans utilité une nouvelle source d’embarras et d’inquiétude pour le pays ; je n’y vois qu’une crise inutile ; j’adjure donc les ministres de prendre ce projet en considération ultérieure.

Messieurs, je termine ainsi que j’ai commencé : il me reste toujours des doutes ; si le gouvernement peut les dissiper, sa responsabilité lui impose le devoir de le faire, car dans le doute je ne pourrai qu’émettre un vote défavorable au projet de la subvention de guerre tel qu’il est conçu, parce que je le regarde comme n’étant pas suffisamment justifie par les intérêts bien entendus du pays.

M. de Brouckere. - Messieurs, dans plus d’une occasion j’ai pris en main la défense du trésor public lorsque ses intérêts me semblaient ou compromis ou menacés par une proposition ministérielle ; et sans porter mes regards bien loin derrière moi, je rappellerai que j’ai été du petit nombre de ceux qui se sont prononcés contre la loi des distilleries, non pas que je trouvasse les dispositions de cette loi mauvaises en elles-mêmes, mais uniquement parce que l’adoption de cette loi devait faire diminuer de 3 millions annuellement les ressources de l’Etat, et parce que le ministre des finances ne nous indiquait pas à quels moyens il aurait recours pour couvrir ce déficit.

Mais, si j’ai eu égard aux intérêts du trésor, ceux des contribuables ne me touchent pas moins ; car, si nous devons selon moi éviter que nos voies et moyens soient au-dessous des dépenses strictement nécessaires, nous devons également prendre soin que la nation ne soit pas inutilement grevée d’impôts onéreux.

La première question qui se présente donc est celle de savoir s’il est urgent, s’il est indispensable d’avoir dès à présent recours à des mesures extraordinaires pour augmenter nos revenus, et si, dans le cas où cette question serait résolue affirmativement, la proposition de M. le ministre des finances tendant à ce que tous les impôts soient augmentés d’un droit de 10 p. c. est admissible dans son entier.

Messieurs, le budget des voies et moyens vous a été présenté par un des organes du gouvernement le 15 novembre dernier ; les sections s’en occupèrent sans le moindre retard, et le 4 décembre le rapport de la section centrale fut présenté à la chambre. Dans l’intervalle, du 15 novembre au 4 décembre, avait eu lieu dans un pays voisin un changement de cabinet ; le 4 décembre, cependant, M. le ministre des finances, après que le rapporteur de la section centrale eut déposé son travail, demanda que la chambre s’occupât le plus tôt qu’il lui serait possible de la discussion des voies et moyens.

« Le peu de temps qui nous reste, dit-il, d’ici au 1er janvier ; la nécessité que le sénat ait connaissance de ce budget, démontrent que vous serez obligés de vous occuper de la question et de la traiter comme urgente. Je prie la chambre de suspendre la discussion de la loi communale. » Remarquez, messieurs, que ce jour-là, le 4 décembre, M. le ministre des finances ne dit pas un seul mot de la nécessité d’augmenter le chiffre du budget des voies et moyens qu’il avait présenté 19 jours auparavant.

Un membre de la chambre, l’honorable M. Dumortier, prit la parole et dit entre autres choses : « Le budget des voies et moyens offre une diminution notable dans les impôts ; cette diminution avait pour corollaire une diminution correspondante dans les dépenses ; maintenant il n’est pas certain que par les changements arrivés dans un cabinet et qui peuvent influer sur notre position vis-à-vis de la Hollande, cette diminution puisse être effectuée. » M. le ministre des finances n’a pas répondu un seul mot à ces réflexions ; mais trois membres de la chambre se levèrent pour répondre.

Le premier, c’est l’honorable M. Coghen. « Quant aux réflexions, dit-il, faites par le député de Tournay, je lui ferai observer que les budgets sont des propositions faites par le gouvernement. Les réductions qu’ils offrent sont donc présentées par le gouvernement. Si des circonstances politiques nécessitaient une augmentation dans l’état militaire du pays, le gouvernement, d’une part, s’adresserait aux chambres et leur soumettrait des propositions de crédit dont elles comprendraient le besoin, et indiquerait, d’une autre part, les moyens d’y faire face. »

Et comme M. Dumortier avait répliqué, M. Coghen dit encore : « Mais, puisqu’il en est ainsi, nous devons nous en rapporter au gouvernement et ne pas aller au-delà de ce qu’il nous demande. Discutons donc actuellement le budget des voies et moyens tel qu’il nous est présenté, et si, plus tard, des événements forçaient le gouvernement à un surcroît de dépense, il serait temps d’y pourvoir en accordant des centimes additionnels : je ne sais trop comment on pourrait envisager notre empressement à donner des augmentations qu’on ne demande pas. »

Le second membre qui répondit à M. Dumortier, c’est M. Pirson : « Votons, disait-il, ce que le gouvernement demande ; si des événements extraordinaires arrivent, nous verrons ce que les circonstances exigeront. » Cette opinion fut accueillie avec des marques d’approbation.

Enfin le troisième représentant qui se leva fut M. Pollénus. « Quand le gouvernement propose des économies, dit-il, la chambre n’ira pas les refuser sans des motifs plausibles. Je ne vois pas pourquoi nous aurions, plus que le gouvernement, pour des événements futurs… »

Il était impossible, messieurs, de s’expliquer d’une manière plus claire, d’une manière plus explicite. Cependant aucun des ministres présents ne prit la parole pour réfuter ce qu’avaient dit les trois honorables collègues dont j’ai cité les noms.

Jugez d’après cela quel a été mon étonnement (et je suppose que vous l’avez partagé) lorsque le lundi suivant M. le ministre des finances monta à la tribune pour demander une augmentation d’impôts dans le cas où nous aurions une guerre à supporter. Que s’était-il donc passé ? Je prie MM. les ministres de nous le dire ; que s’était-il donc passé entre le 4 décembre et le 8 du même mois ? L’horizon s’était-il rembruni ? Les apparences de guerre avaient-elles atteint quelques degrés de probabilité de plus ? Le cabinet anglais avait-il manifesté quelque intention hostile ? Les Hollandais faisaient-ils des armements extraordinaires ? Non, messieurs, rien de tout cela ne s’est passé, et la révolution opérée dans l’esprit du ministre des finances est encore une énigme.

Il y a plus ; j’ai sous les yeux la preuve que la pensée qu’avait le ministère, le 4 décembre, était la même qu’il avait encore le 8, après que la proposition eût été soumise à l’assemblée. En effet, que disait le ministre des affaires étrangères, répondant aux interpellations qui lui avaient été adressées ? Il disait : « Je déclare qu’il n’est parvenu à ma connaissance, ni à celle du gouvernement, aucune parole, aucun acte, aucun fait dont on puisse directement ou indirectement tirer la conséquence que l’administration tory, dont un noble duc serait le chef, répudierait aucun des antécédents de ses prédécesseurs, et ne se considérerait pas comme lié par tous les actes posés et accomplis sous le ministère de ces derniers. Je déclare que nulle parole, que nul acte, que nul fait ne peuvent faire supposer qu’il soit rien innové dans l’ensemble de la politique extérieure de l’Angleterre et de la France vis-à-vis de la Belgique. »

Ainsi, messieurs, j’avais donc raison, quand je disais que rien ne justifiait la proposition de M. le ministre des finances ; cependant, vous expliquer comment il a été déterminé à la faire, c’est chose facile.

Le ministre avait parlé de faire des économies ; un membre de la chambre répondit qu’au lieu de faire des économies, on ferait peut-être mieux d’augmenter les ressources de l’Etat. Messieurs, il y a peu de ministres qui aient assez de force pour résister à une proposition d’argent qu’on lui fait, et qu’on lui fait aussi gracieusement que celle-là.

Quant à moi j’ai aujourd’hui la même opinion que j’avais le 8 décembre, et le 8 décembre j’avais la même opinion que le 4 ; c’est-à-dire que je ne crois pas à la guerre ; qu’elle ne me semble pas plus possible actuellement qu’il y a trois mois. Que chacun de vous consulte sa conviction, elle sera semblable à la mienne.

Si vous voulez consulter l’opinion publique, vous verrez qu’elle est encore semblable à la mienne.

Ne croyez pas que je vienne ici me poser imprudemment l’organe de l’opinion de la majorité, sans avoir des preuves. En fait d’opinion sur les chances de guerre ou de paix, il est une boussole qu’on peut consulter avec certitude, c’est la cote des fonds publics. Eh bien, l’avènement du ministère tory n’a produit pour ainsi dire aucun effet sur les fonds publics. Ils ont baissé très peu le jour qu’on en apprit la nouvelle, mais la panique s’est bientôt dissipée : les fonds ont remonté à leur cours, et depuis ce temps il n’y a eu aucune espèce de variation. Si l’opinion publique eût craint la guerre, vous eussiez vu une baisse notable dans les fonds.

J’entends déjà que l’on va me répondre : Vous avez raison, une reprise d’hostilités n’est pas probable, mais elle est possible et il faut aviser aux moyens d’avoir en main des ressources pour la soutenir si elle éclatait.

Une reprise d’hostilités est possible !... Assurément, mais cette reprise était possible aussi pendant les années 1832, 1833, et même pendant les 10 premiers mois de 1834 ; avons-nous pour cela jugé nécessaire de surtaxer les contribuables ? Non, messieurs, nous n’avons pas voulu faire peser sur la nation des impôts énormes.

Il n’y a donc pas d’urgence à adopter la proposition du gouvernement. Remarquez d’ailleurs, et déjà l’honorable orateur qui a parlé avant moi vous l’a dit, remarquez que tant que les deux chambres seront réunies, tant que la session ne sera pas close, il sera très facile d’obtenir notre consentement à l’effet de pouvoir recourir à des moyens extraordinaires, si la guerre est imminente. Il serait toujours temps, dans le cas même ou nous serions sur le point de nous séparer, de nous demander un vote extraordinaire pour obvier aux événements qui pourraient véritablement survenir. Qu’objectera-t-on à cela ? On nous dit qu’il ne faut pas nous effrayer pour si peu de chose. Ce n’est d’abord que conditionnellement que nous vous demandons cette augmentation d’impôt. Nous ne la réclamons que par forme d’éventualité.

Cela formera un fonds de réserve pour parer à la guerre, dans le cas où elle aurait lieu ; dans le cas contraire, elle serait employée à alléger d’autant les charges qui pèsent sur les contribuables. Ainsi s’explique l’honorable rapporteur de la section centrale.

Non, ce n’est pas conditionnellement que vous voterez ces 10 p. c. d’augmentation. C’est au contraire très positivement. Car si vous admettez le langage de M. le ministre des finances, à dater du 1er janvier on prélèvera 10 p. c. sur chaque contribution : le gouvernement ne pourra pas en faire usage, vous dit-il, sans notre autorisation ; mais, en attendant, messieurs, les contribuables seront surchargés de ces 10 p. c., et cela est exorbitant.

S’il n’y a pas de guerre, ajoute-t-on, cette somme sera employée à la décharge des contribuables. S’il s’agissait de ne faire peser cette surtaxe de 10 p. c. que sur la contribution foncière, je concevrais ce langage. Chaque habitant en général paie tous les ans la même contribution foncière. Si, en 1835, il paie 10 p. c. de plus, en 1836 il paiera 10 p.c. de moins. Mais tiendrez-vous le même langage en matière de douanes, de mutations, de successions et d’accises ? Assurément non. Si un habitant fait cette année une mutation d’une propriété évaluée à 10,000 francs, on lui dira donc : En 1835, vous en paierez 11,000. En 1836, on vous diminuera d’autant. Croyez-vous qu’on lui restituera les 1,000 francs ? Non, messieurs. Il n’en résultera que ce fait : un autre habitant qui, à son tour, fera une mutation semblable, ne paiera que 9,000 cette année-là. Si c’est moi qui ai déboursé, 1,000 francs, que m’importe que mon voisin paie 1,000 francs de moins que moi ? C’est une fort triste compensation, vous n’en disconviendrez pas. En fait de douanes, les inconvénients ne sont ni moins nombreux, ni moins injustes.

Plusieurs commerçants impliqués dans des spéculations ont fait des commandes plus ou moins considérables à l’étranger, ne comptant payer, quand arriveront leurs acquisitions, que l’impôt établi au moment où ils auront fait leurs commandes, et ce moment pouvait exister encore avant le 5 décembre dernier. Car alors il ne transpirait encore rien de cette surtaxe proposée. Lorsque ces marchandises commandées naguère entreront, on leur fera payer 10 p. c. de plus. Cette mesure, soyez-en bien sûrs, messieurs, jettera la perturbation dans plusieurs branches du commerce.

J’ajouterai encore une dernière observation, c’est que je n’ai pas grande foi en la promesse que l’on nous a faite de décharger les contribuables en 1835, si les fonds perçus ne sont pas employés à faire la guerre. Une fois que l’argent est en caisse, le gouvernement est trop tenté de le dépenser, et il y a alors, dans les chambres législatives, je ne parle pas seulement ici de la Belgique, une grande facilité à voter des fonds qui sont en caisse et qui n’ont pas de destination.

Votez les 10 p. c., et que l’année se passe paisiblement : on viendra vous annoncer alors quelques petits déficits dans quelques parties du budget, et on vous demandera d’affecter une partie des 7 millions en réserve à couvrir ces déficits. Et il à est craindre, messieurs, que les ministres, se connaissant ces ressources, ne mettent moins d’économie dans leurs gestions.

On a dit : Sous le grand empire, on a pris une mesure semblable à celle que l’on propose en ce moment. Mais, sous le grand empire, on n’était pas toujours très juste et l’on se faisait très peu de scrupules de pressurer le contribuable. Remarquez en outre que, si alors on demandait des subventions de guerre, c’est qu’alors aussi on était toujours en guerre. Si nous étions dans cette position et qu’on nous demandât une surtaxe de 10 c., je serais le premier à la voter.

Mais supposons un moment qu’il soit reconnu nécessaire de faire une caisse de réserve ; dans ce cas même, admettrait-on la proposition du ministre, telle qu’elle est, tout entière ? Je ne le pense pas, messieurs ; cette mesure n’a qu’un seul mérite à mes yeux, c’est qu’elle a épargné à M. le ministre des finances des frais de travail et d’imagination. Il lui fallait un moyen. Mettons 10 p. c. de surtaxe sur toutes les contributions, a-t-il dit. C’est un moyen très nuisible, très dangereux ; je ne saurais trop le répéter en m’opposant à son exécution.

Que l’on mette 10 p. c. d’augmentation sur la contribution foncière, je le conçois. 10 p. c. sur le personnel, je le conçois encore, quoique cette contribution pèse plus directement sur le peuple. Mais mettre 10 p. c. sur tous les droits, sur les accises, les douanes : cela, messieurs, est dangereux au dernier point . Surtaxerez-vous l’accise du sel de 10 p. c. ? Mais le sel paie déjà un droit qui monte à 6 fois plus que sa valeur. Augmenterez-vous dans la même proportion l’accise sur la bière ? Mais la bière est la boisson du pauvre.

On vous a dit, messieurs, qu’il est des droits de douane tellement exorbitants, que l’on peut citer certains objets qui ne rapportent rien, parce que les fraudeurs trouvent trop d’intérêt à les soustraire à ces droits excessifs. En fait de finance, vous le savez, messieurs, et surtout en fait de douanes, 2 et 2 ne font pas toujours 4.

Tel objet qui antérieurement aura rapporté 100,000 francs, si vous l’élevez aujourd’hui, n’en rapportera plus que 90,000. Je m’en rapporte à tous les membres qui se sont occupés de droits de douanes et de matières financières, qu’ils déclarent si ce que je viens d’avancer n’est pas conforme à la vérité.

Je bornerai ici, pour le moment, mues observations, et j’attendrai, pour parler de nouveau, qu’un ministre veuille bien répondre à l’honorable M. Pollénus et à moi. Je répèterai toujours que c’est un très funeste parti que de charger la nation d’impôts onéreux, lorsqu’il n’y a pas urgence à le faire. Je dirai aussi que si plus tard la reprise des hostilités acquiert de la vraisemblance, je pense que le ministère peut en toute confiance s’adresser à la chambre ; on lui votera alors tous les subsides que réclamera la nécessité démontrée du moment, car je crois qu’il n’est pas un seul député assez peu ami de notre indépendance pour se refuser à accorder son vote à de semblables propositions.

M. Jullien. - Messieurs, voilà déjà deux orateurs, qui sont les seuls que vous ayez entendus dans cette séance, qui viennent de parler contre le projet. Mon intention étant de parler dans le même sens, je demanderai s’il n’y a personne qui veuille parler en faveur du projet. Il est d’usage de donner alternativement la parole aux orateurs qui combattent et approuvent un projet du gouvernement.

M. A. Rodenbach. - Si personne ne prend la parole en faveur du projet, je la demanderai.

M. Jullien. - Je cède alors mon tour à M. A. Rodenbach, à la condition de le reprendre immédiatement après lui.

M. A. Rodenbach. - Puisqu’aucun orateur ne se lève pour défendre la proposition du gouvernement, comme j’ai fait partie de la commission des voies et moyens, je tâcherai de développer les motifs qui l’ont déterminée à vous proposer l’adoption de cette proposition.

Je dirai d’abord à l’honorable M. de Brouckere qu’avant le mois d’août, époque à laquelle le roi Guillaume nous a attaqués, les fonds publics n’avaient éprouvé aucune variation. Ainsi, si la Hollande voulait nous attaquer subitement, nous ne pourrions pas compter sur le thermomètre des fonds publics pour en être avertis.

Le même orateur a dit que ceux qui s’occupent de douanes et de finances devaient savoir qu’en cette matière deux et deux ne font pas toujours quatre. Je suis d’accord avec lui à cet égard. Mais je dois faire observer que le ministre des finances a annoncé qu’il se proposait d’augmenter le personnel des douanes ; je pense même que le projet est prêt. Je ne le connais pas, mais je suppose qu’on changera la ligne de démarcation. Il est certain qu’avec cette augmentation du personnel, les droits de douane, au lieu d’être au-dessous de huit millions, produiront au moins un million de plus. Je suis sûr que M. le ministre de, finances affirmera ce que j’ai l’honneur de vous dire.

Je sais fort bien qu’une demande extraordinaire de 7 millions 238 mille francs est une augmentation exorbitante pour le peuple, mais vous devez savoir aussi qu’il est indispensable que nous soyons constamment sur nos gardes. Si la Hollande a envie de nous attaquer, elle ne viendra pas nous prévenir. Nous ne pouvons pas avoir oublié ce qui s’est passé au mois d’août 1831. Au reste, les ministres nous ont assuré qu’ils garderaient en dépôt, dans une caisse, les sept millions qu’ils vous demandent. Ceux qui ne croient pas à cette promesse du gouvernement, voteront contre l’augmentation ; ceux qui ont confiance dans le ministère, qui le croient incapable de toucher au fond de réserve qu’il demande, ce qu’il ne pourrait faire, ceux-là, et je suis de ce nombre, lui accorderont leur vote.

L’honorable M. de Brouckere a dit qu’on devrait au moins excepter les douanes de cette majoration de 10 p. c. J’avoue, avec l’honorable député de Bruxelles, que cette majoration pourra froisser les intérêts de quelques négociants, que ceux qui recevront leurs marchandises avant le 1er janvier paieront un droit moindre de 10 p. c. que les négociants auxquels leurs commandes n’arriveront qu’après cette époque. Mais il ne faut pas croire pour cela que le négociant y perdra, car il calcule toujours son prix de vente sur celui de revient. En définitive c’est toujours le contribuable, le consommateur qui paie tous les droits.

Mais je ne vois pas pourquoi on ne réclame d’exception qu’en faveur des droits de douane. Ce droit n’est que de 8 millions. Celui des accises qui s’élève à 18 millions pourrait avec autant de raison demander une diminution : le sel paie cinq ou six fois sa valeur, la bière paie considérablement. Mais puisque vous faites porter l’augmentation sur tous les impôts, sur les accises, sur l’impôt foncier, je ne vois pas pourquoi on voterait une diminution en faveur de la douane.

Dans une précédente séance on a dit que l’augmentation des droits de douane serait un obstacle de plus à la prospérité des fabriques de coton, parce que l’élévation du droit sur les matières premières augmenterait le prix de revient du produit de ces fabriques. Je répondrai que le droit sur les cotons bruts est trop minime pour avoir une influence quelconque sur le prix de revient. En effet les cotons bruts ne paient que 85 cents par mille kilogrammes c’est-à-dire huit cents et demi par cent kilogrammes.

Je vous prie de ne pas perdre de vue qu’en affranchissant les droits de douane d’une surtaxe de 10 p. c., vous renoncez à une ressource de 800 mille fr. Il est impossible que vous ne frappiez pas toutes les natures d’impôt, si vous voulez faire un fonds de réserve de sept millions.

L’honorable député d’Audenaerde, dont le discours doit encore être présent à nos souvenirs, nous a dit que les contributions avaient subi une diminution de seize millions de francs depuis la révolution. J’ajouterai qu’en accordant l’augmentation que réclame le gouvernement, nous paierons encore les 2/3 moins que les Hollandais.

Je crois devoir répéter ici ce que j’ai dit dans une autre séance, qu’au besoin le gouvernement hollandais puiserait dans son syndicat. Ou a parlé du budget actuel de la Hollande, mais on n’a pas fait attention qu’entre le budget avoué il y a un budget secret ; que pour la guerre, par exemple, les crédits, bien qu’ils ne figurent que pour 11 millions de florins, s’élèvent réellement à 18 millions en sus, par suite de la faculté qu’a le gouvernement de puiser dans la caisse du syndicat.

M. Jullien. - J’ai déclaré dans la discussion générale que je voterais contre la surtaxe de 10 p. c. dont on propose de frapper toutes les contributions. Je viens tenir ma parole et motiver mon opinion. Je repousse cette surtaxe, d’abord parce que je la considère comme une injure faite au trône, et ensuite parce que je la regarde comme une précaution inutile. Je m’explique.

Vous l’avez entendu lors de l’ouverture de votre session, dans le discours du trône on vous a fait la promesse solennelle d’une diminution de centimes additionnels. Cette promesse se fondait sur ce que la situation du pays et les ressources financières étaient tellement satisfaisantes qu’elles permettaient d’opérer cette diminution.

La chambre a répondu pour le pays en ces termes : « La nation apprendra avec plaisir que les finances sont dans un état satisfaisant et que l’ordre et l’économie qui règnent dans les dépenses publiques permettront de diminuer les centimes additionnels et d’entreprendre de grand travaux d’utilité générale, sans imposer de nouvelles charges au pays. »

Eh bien, messieurs, quatre semaines se sont à peine écoulées depuis le discours au trône et la réponse du pays, que déjà on veut faire mentir et les promesses royales, et les espérances de la nation.

Quelle est donc la raison de ce changement ? La situation du pays, ses relations à l’extérieur ont-elles changé par suite de l’avènement du duc de Wellington aux affaires d’Angleterre et de la formation d’un nouveau cabinet dans ce pays ? Si cet événement avait amené un changement notable dans nos relations avec l’Angleterre, je concevrais que le ministère, ne se trouvant plus dans la même position qu’au jour de l’ouverture de la session, fût venu vous proposer d’autres mesures que celles qui se trouvaient dans ses premières prévisions.

Mais quand il s’agit de répondre à cette question : Nos relations à l’extérieur ont-elles subi un changement ? nous trouvons cette réponse dans les paroles du ministre des affaires étrangères, paroles qui sont concluantes et que je répèterai avec les honorables orateurs qui m’ont précédés : « Il n’est parvenu à la connaissance de notre gouvernement aucun acte du cabinet anglais qui puisse altérer nos relations avec ce pays. Le cabinet de Wellington a poussé la courtoisie jusqu’à nous faire savoir comme aux autres la mort du duc de Glocester. » Après des paroles aussi positives, je demande s’il est possible d’avoir encore la moindre inquiétude.

Il est donc vrai qu’on fait mentir la parole royale et les espérances qu’on avait fait concevoir à la nation.

Mais peut-être me dira-t-on que je me trompe, que les paroles royales n’ont pas menti, puisqu’au commencement de la discussion le ministère a proposé, et la chambre a adopté, une réduction de 10 centimes sur la contribution foncière.

Messieurs, je pense bien que si on venait opposer un semblable argument, la chambre en ferait justice. On répondrait : Si vous avez d’une part dégrevé la contribution foncière de dix centimes, vous veniez maintenant de l’augmenter de 11. C’est une opération que je pourrais appeler puérile. Mais les enfants d’Escobard ne pourraient pas mieux faire. Ainsi, pour ne pas faire mentir le discours du trône, on dégrèverait la contribution foncière de 10 p. c. pour la surtaxer ensuite de 11 p. c. Voila à quoi se réduiraient les belles promesses de la couronne et les espérances de la chambre. Mais non, je ne pense pas qu’on ose venir dire qu’il y a dégrèvement réel là où il n’y a qu’une charge.

Ce n’est, dit-on encore, qu’une simple subvention éventuelle de guerre ; et si la guerre n’a pas lieu, si l’événement n’arrive pas, les fonds seront déposés dans une caisse, comme dit M. Rodenbach ; les ministres rendront compte de ces fonds, et la législature décidera ce qu’elle en voudra faire. Je regarde, quant à moi, cette déclaration comme un véritable leurre. Si la demande est faite en vue d’une éventualité de guerre, je dirai que cette éventualité est accomplie. En effet, messieurs, toutes les fois qu’il s’est agi de savoir si, malgré le traité du 15 novembre et la convention du 21 mai, nous devions nous considérer comme étant en guerre avec la Hollande, n’a-t-on pas toujours répondu d’une manière affirmative ? N’est-ce pas en alléguant cette raison d’état de guerre qu’on nous a fait donner les vivres de campagne aux troupes qui se trouvaient aux portes de la capitale ? Je ne sais pas si on ne les a pas accordées jusque dans la capitale même. C’est en s’appuyant sur cette raison qu’on en accorde encore dans certaines localités.

On a toujours considéré notre pays, bien que les doctrinaires aient donné un autre nom à notre situation, on nous a toujours considérés, dis-je, comme étant véritablement encore en guerre avec la Hollande. Le cas sur l’éventualité duquel vous motivez votre demande est donc arrivé, et il existait au moment où vous avez dressé votre projet de budget, car vous vous êtes toujours considérés comme étant en guerre avec la Hollande.

Vous voulez donc dire que c’est pour le cas de la reprise des hostilités. Dites-le donc : il ne faut pas employer dans cette loi d’expressions que donnent lieu à une interprétation différente de celle que vous avez donnée dans le cas qui s’est présenté sur la question de savoir si nous étions en temps de guerre ou en temps de paix.

Mais cet impôt nouveau si accablant pour le peuple, est-il nécessaire ? C’est à la résolution de cette question que nous devons nous attacher. C’est une mesure de précaution, nous dit-on. Mais si vous n’avez pas besoin de cette mesure, pourquoi grever les contribuables d’une surtaxe aussi insupportable ?

Faites attention, MM. les ministres qui nous demandez de l’argent, des millions, que vous avez les mains pleines. N’avez-vous pas une dette flottante de vingt-cinq millions ? Vous pouvez émettre des bons du trésor jusqu’à concurrence de 25 millions. Bien certainement dans 25 millions il y a place pour sept, si tant est que vous ayez jamais besoin de ce que vous nous demandez.

Il y a plus : vous avez sollicité, vous avez obtenu l’autorisation de faire un emprunt de 35 millions pour votre chemin de fer. Vous allez me répondre que cet emprunt a une destination directe. Si le pays était menacé, et que vous prélevassiez sur ces 35 millions les fonds indispensables pour le salut de la nation, croyez-vous que, lorsque vous viendriez après nous demander un bill d’indemnité pour ce transfert, croyez-vous que nous ne vous l’accorderions pas ? Nous vous en avons déjà accorde des bills d’indemnité pour des choses bien plus graves qu’un transfert, d’où, dans la supposition que j’ai admise, dépendrait le salut du pays. Ainsi les mesures de précaution que vous demandez à la chambre sont inutiles puisque vous avez les mains garnies, et que vous n’avez pas besoin de cette nouvelle somme.

Une chose à laquelle on n’a pas pensé, c’est que, pendant que d’un côté l’on dégrève la contribution foncière de 10 pour cent, de l’autre l’on met sur les contributions indirectes, sur les impôts de consommation, c’est-à-dire sur le impôts qui sont payés par tout le monde, par le peuple, une charge qui va s’élever jusqu’à près de 70 pour cent.

Il y a déjà sur les patentes 26 centimes additionnels et 10 centimes extraordinaires, ce qui fait 36 centimes. Si vous imposez par le projet de loi actuel 10 nouveaux centimes additionnels, cela fera 46, auxquels il faut ajouter le dixième du total, ce qui fera en tout 49 p. s. en sus de l’impôt ordinaire des patentes qui est déjà assez accablant par lui-même.

Rappelez-vous que, d’une autre part, on a dégrevé la contribution foncière de 10 p. c. Si ma mémoire ne me trompe pas, l’on a conservé sur les patentes les 18 centièmes additionnels qui font la dotation du syndicat d’amortissement. Vous savez, messieurs, que c’est sur les impôts indirects, sur les impôts de consommation qu’est payé le syndicat c’est-à-dire qu’est rétribuée, suivant l’expression qu’ont employée dernièrement nos frères du Nord, cette belle femme voilée qu’on nomme le syndicat (hilarité), cette femme qui pour nous n’a jamais été qu’une sorcière maudite. (Nouvelle hilarité.) Car c’est ainsi que je la considérerai jusqu’à ce que son voile soit tombé.

Ainsi, comme je viens de le dire, nous payons encore la dotation du syndicat.

Un inconvénient grave du nouvel impôt, inconvénient qu’ont déjà signalé les orateurs qui ont parlé avant moi, c’est qu’il apporte une augmentation aux droits de douanes, de transit, de tonnage. Quoique l’on ait le droit de faire de telles augmentations, on ne les improvise jamais sans faire du tort au commerce. Ainsi, sous l’empire de la loi existante, un commerçant aura donné l’ordre qu’on lui expédie des marchandises ; ces marchandises sont expédiées, sont en route et lui arriveront le 1er janvier ; eh bien, elles lui arriveront avec 10 p. c. d’augmentation de droits. Cette opération, il ne l’aurait pas faite s’il eût connu l’augmentation de droits ; peut-être se trouvera-t-il ruiné parce qu’il aura plu au gouvernement, sans motifs réels et sans prévenir le commerce, de venir augmenter les droits de douanes.

Veuillez remarquer, messieurs, que jusqu’à présent on a toujours posé comme principe qu’il faut ménager la propriété foncière comme une ressource certaine dans le cas de calamité, ressource nécessaire au trésor public. C’était la guerre sans doute que vous attendiez pour recourir à la propriété foncière, et c’est quand vous croyez que vous aurez la guerre que vous venez dégrever la contribution foncière. Quel temps attendez-vous, quel fléau vous faut-il donc pour demander des ressources à la contribution foncière ?

Lorsque vous reconnaissez comme principe qu’il faut ménager la contribution foncière, tant que les ressources ordinaires suffisent, au moins imposez des charges à la propriété foncière, lorsque ces ressources ne suffisent plus, lorsque l’Etat a des besoins urgents. C’est en présence de ces besoins urgents, de la guerre, le fléau le plus destructeur, le fléau qui coûte le plus au peuple, c’est alors que vous dégrevez la contribution foncière de 10 p. c., sauf, comme je l’ai dit, à augmenter ensuite, de 10 pour cent les contributions indirectes qui touchent à la substance du peuple, les impôts de consommation.

Soyez donc conséquents. Si vous ménagez la contribution foncière pour les moments de crise, quand ces moments sont venus, frappez la contribution foncière. Ou bien je ne vous comprends plus, au moins jusqu’à ce que vous vous soyez expliqués.

L’honorable M. A. Rodenbach a parlé en faveur du projet : il a parlé de thermomètre des fonds publics. Je ne m’arrête pas à cette idée. Y aura-t-il la guerre ? N’y aura-t-il pas la guerre ? Il n’y a pas à répondre à ces questions, dès que la nécessité des fonds demandés n’est pas démontrée. Aurons-nous la guerre ? Pour moi, je crois que nous n’aurons pas la paix sans avoir eu la guerre. Mais la guerre est-elle imminente ? Aura-t-elle lieu dans quelques jours, ou dans quelques mois ? Il est impossible à personne de rien prévoir à cet égard. Cela est dans la main de Dieu.

Que la guerre arrive ou non, toujours est-il vrai qu’il faut que nous soyons en mesure de la faire, que nous soyons sur nos gardes, comme dit l’honorable M. A. Rodenbach. Mais, d’après ce qu’ont dit les organes du gouvernement, d’après la demande qu’a faite tout à l’heure M. le ministre de la guerre, ne nous mettons-nous pas sur nos gardes ! En quoi donc la perception de quelques millions sera-t-elle une mesure de précaution ? Ces millions on les gardera en dépôt dans une caisse, comme dit l’honorable M. A. Rodenbach. (Hilarité.) Belle nécessité vraiment ! (Nouvelle hilarité.)

On aura vexé le pays en lui faisant payer au-delà de ce que l’on doit dépenser. Puis, si l’événement prévu arrive (je ne sais quel événement ; la guerre ? Mais nous sommes en guerre ; ce ne serait donc que la reprise des hostilités), la chambre délibérera ce qu’on doit faire du trésor que l’on aura conservé en caisse. En attendant, vous aurez arraché le pain d’un grand nombre de citoyens ; vous aurez augmenté les objets de consommation déjà frappés d’un droit de 26, 36 p. c., suivant leur nature.

On est revenu avec le discours que l’honorable M. Liedts a prononcé dans l’une des dernières séances ; ce discours nous a procuré de très douces illusions, mais il n’a pas changé la nature des choses. M. Liedts a présenté le beau côté des choses, mais il n’a pas fait voir le revers de la médaille. Si un peuple paie plus que nous, c’est que, quoique moins important, il est plus riche que nous, qu’il peut payer plus que nous. Vous payiez davantage autrefois ; mais alors vous aviez une marine que vous n’avez plus, des colonies, des possessions que vous n’avez plus. Ces comparaisons sont d’ailleurs inutiles. Parce que un peuple souffre, il ne faut pas en faire souffrir un autre sans motif.

Il sera assez temps, lorsqu’un besoin impérieux se fera sentir, de pourvoir à ce besoin par une augmentation d’impôt.

Je voterai donc contre l’article, et s’il est adopté, je voterai contre le budget des voies et moyens.

M. Desmet. - Je voterai le subside extraordinaire ; c’est un acte de prudence dans les circonstances actuelles qui sera approuvé de tout le pays, comme nous devons tous trouver sage et éclairée la précaution prise par le gouvernement, car nous avons affaire à un perfide ennemi qui ne vient exercer sur notre territoire ses actes de vandalisme que quand il sait que nous ne sommes pas sur nos gardes, et qui s’en gardera quand il nous sait prévenus ; et nous pouvons nous assurer que ce subside ne sera dépensé qu’utilement, et que l’armement extraordinaire pour lequel il est demandé, n’aura lieu que quand on y donnera de justes motifs.

Je donnerai aussi mon assentiment au mode que le ministre des finances a suivi pour prélever ces centimes additionnels ; en les prenant en général sur toutes les contributions directes et indirectes, vous êtes sûrs de faire supporter la charge par toutes les classes ; elle sera moins lourde pour chacun, et vous préviendrez les plaintes de partialité et d’injustice.

Je crois d’ailleurs que c’est à tort qu’on veuille toujours frapper indistinctement la contribution foncière, et qu’on se trompe quand on croit que c’est là un moyen d’atteindre le riche et, comme on dit, prendre l’argent où il se trouve ; car on doit savoir que la plus grande population de prolétaires ne se trouve pas dans les villes, mais dans les campagnes, et que là, pour ainsi dire jusqu’au mendiant, y a une part à payer dans l’impôt foncier.

Ce n’est pas le propriétaire seul qui supporte cette charge et qui en souffre quand elle est trop forte. Mais le fermier, c’est le cultivateur, c’est cette classe intéressante de la société, celle que très souvent on considère si peu, et qui cependant, par son travail quotidien, nous donne le pain, procure tout ce dont la société a besoin pour son existence, et qui fait fleurir le commerce et l’industrie ; car c’est une vérité reconnue, quand l’agriculture prospère, que toutes les branches de l’industrie et du commerce fleurissent.

Défions-nous surtout de tuer cette poule aux œufs d’or qui toujours a fait le bonheur et la richesse de la Belgique.

Mais si j’applaudis à la mesure de précaution que le gouvernement nous propose, je dois cependant lui faire le reproche d’être trop indulgent, ou pour mieux dire, trop indolent envers un ennemi qui nous fait sans cesse beaucoup de tort, et pour lequel nous avons parfois plus d’égards que nous n’en aurions envers une nation alliée.

Le gouvernement doit être informé de la nouvelle officielle que le roi de Hollande vient d’augmenter de 25 p. c. les droits sur les produits manufacturés étrangers, importés dans les colonies hollandaises, et il ne peut ignorer que cette mesure est particulièrement dirigée contre les fabricants belges. S’il le voulait, comme je crois qu’il est de son devoir, il pourrait facilement user de représailles, qui gêneraient plus fortement le commerce hollandais, et qui forceraient ce gouvernement à changer de tactique.

Je me suis, à plusieurs reprises, élevé dans cette enceinte contre le trafic scandaleux que nous tolérons de la part des Hollandais, et qui se fait particulièrement sur l’Escaut, en face de Doel, Journellement 25 à 30 navires hollandais se trouvent en station dans ce parage, et déchargent quantité de denrées, marchandises et poissons, provenant de la Hollande, dans des petits bateaux belges, qui, de la sorte, les introduisent à Anvers, et jouissent du bénéfice du droit différentiel de 10 pour cent, accordé aux importations par navires nationaux.

Il est cependant temps, je pense, que nous ne restions plus si bénévolement la dupe des Hollandais, et que nous saisissions l’occasion où le roi de Hollande vient de commencer ses hostilités commerciales dans ses colonies, pour lui répondre par des représailles qui d’abord existeraient en imposant à des droits plus élevés toute marchandise et denrée venant de la Hollande ou des colonies hollandaises, et ensuite en exigeant des navires nationaux des connaissements et papiers dûment légalisés par nos agents consulaires à l’étranger, justifiant les provenances des marchandises importées ; et ainsi prévenir que la ville d’Anvers ne reste plus l’entrepôt de nos ennemis, et que les navires des Hollandais ne soient favorisés du bénéfice du droit différentiel.

Cet objet mérite d’attirer l’attention du cabinet et en particulier celle du ministre des finances, dont le patriotisme est assez connu, pour ne pas douter qu’il souffrira encore longtemps que nous soyons victimes de Guillaume et des Hollandais, et ne tardera à proposer à la législature une mesure pour arrêter ce scandaleux trafic qui se fait dans l’Escaut entre le Doel et Anvers, au grand détriment de notre industrie et de notre commerce, et uniquement pour favoriser notre ennemi, qui nous fait du tort quand il le peut, et toujours comme le faisaient jadis les anciens gueux de mer !

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le gouvernement espère avec plusieurs honorables préopinants que la paix ne sera pas troublée ; mais il croit qu’il est prudent de se préparer les moyens de renforcer notre armée, si plus tard la chose était nécessaire, il croit enfin qu’il ne pas faut attendre au dernier moment pour se créer de nouvelles ressources, c’est à partir du 1er janvier qu’il convient de faire opérer les recouvrements, car, attendre, par exemple, au 1er avril, serait commettre une imprudence.

On nous renvoie aux bons du trésor et même à un emprunt qu’on croit à tort autorisé, car c’est une erreur de l’honorable préopinant.

Mais on sait bien que ce ne serait pas dans les moments de crise qu’on pourrait penser à recourir aux bons du trésor, aux emprunts. Et d’ailleurs, n’a-t-on pas à différentes reprises reproché au gouvernement les fortes émissions de papier, et les emprunts que l’on nous conseille maintenant comme grevant l’avenir.

On l’a dit, messieurs, si les fonds en réserve ne sont pas nécessaires, la législature pourra en disposer. Si l’horizon politique s’éclaircit, on pourra cesser la perception des fonds demandés. Le gouvernement renouvelle l’engagement de cesser cette perception s’il en reconnaît la possibilité. Il est d’honorables préopinants qui n’ont pas, à ce qu’il paraît, confiance dans les assurances du ministère ; libre à eux dans ce cas de voter contre la proposition.

Le dégrèvement des dix centimes additionnels extraordinaires sur la contribution foncière, a été présenté par différentes personnes, comme une faveur accordée à l’agriculture, au détriment du commerce et de l’industrie, tandis que dans la réalité et pour les hommes qui examinent les choses sans prévention, il est constant que cette réduction n’a d’autre but et n’aura d’autre résultat que de ramener tous les impôts à l’égalité proportionnelle.

De ce que dans les circonstances difficiles et impérieuses, la propriété foncière a été frappée de 40 et de 20 centimes additionnels, lorsque les autres impôts directs n’en supportaient que 13 et 10, est-il raisonnable de prétendre que ce serait aujourd’hui favoriser la première, que de la placer sur la même ligne que ceux-ci ?

Singulière justice distributive, vraiment que celle qui consisterait à maintenir une classe de contribuables dans une plus mauvaise position que les autres, par cela seul qu’elle aurait précédemment eu des charges beaucoup plus lourdes à supporter. Pour mon compte ce n’est pas ainsi que je comprends l’équité ; actuellement surtout qu’il n’y a pas la moindre raison d’exiger plus d’une sorte d’impôt que de l’autre, toutes les branches de la fortune publique jouissant à peu près d’une égale prospérité.

Ne ruinons pas la propriété, quand nous pouvons faire autrement, ne l’épuisons pas d’avance ; si la guerre éclatait et avait quelque durée, ce serait à elle qu’il faudrait encore recourir, car les 7 millions que l’on vous demande aujourd’hui ne seraient pas suffisants, et nous serions bien heureux alors de trouver le propriétaire foncier en état de procurer sur-le-champ les ressources nécessaires à l’Etat.

Il est bon de remarquer encore, ainsi que je l’ai dit en présentant le budget ordinaire des voies et moyens, que la péréquation cadastrale devant être adoptée pour 1835, plusieurs provinces auront d’assez fortes augmentations à supporter, et trouveront déjà l’impôt foncier bien lourd d’après les bases du principal et des additionnels, telles qu’on vous les propose aujourd’hui. Cette observation sera appréciée dans toute sa force, lorsqu’il s’agira de cette péréquation.

J’attends les honorables membres qui appartiennent aux provinces dont le contingent devra être augmenté, nous verrons si alors ils trouveront encore que le propriétaire foncier ne paie pas assez.

D’honorables membres sont d’avis que les droits de douanes ne doivent pas être compris dans la mesure générale, parce qu’ils craignent que la surtaxe de 10 p. c. sur ces droits n’ait une influence fatale à notre commerce.

S’il était vrai que cette surtaxe fût de nature à nuire à quelques articles de notre commerce, ce que je suis bien loin d’admettre, elle serait nécessairement avantageuse à d’autres, car si elle atteint spécialement les denrées de consommation immédiate, elle protège les produits de notre industrie. Mais en considérant attentivement l’exiguïté de l’augmentation qui n’est que le dixième de droits qui généralement ne s’élèvent pas à plus de 5 p. c. de la valeur réelle des objets, on reste convaincu que les désavantages que présente la mesure ne peuvent être sensibles qu’en théorie et aucunement dans la pratique, et l’on se persuade facilement que les perturbations du commerce que l’on fait sonner si haut sont plus imaginaires que réelles.

Permettez, messieurs, que je vous cite quelques exemples de l’insignifiance des dix centimes additionnelles dans les résultats de leur application.

Le café paie un droit d’entrée de 4 fr. les 100 kil, et qui est de moins de 5 fr. en ajoutant les accessoires ; ainsi les 10 centimes additionnels font 1/2 centime par kil, ou 1/4 de centime par livre usuelle.

Je passe aux bois de teinture : le bois de Fernambouc est soumis aux mêmes droits que le café ; il supportera donc également une augmentation de 1/4 de centime par livre. Les bois de toutes autres espèces non désignées au tarif paient 2 fr. à l’entrée : ainsi l’augmentation sera de 1/8 de centime par livre usuelle. Pour les bois de Brésil et, de Caïac et de Sapan le droit d’entrée étant de 20 centimes par 100 kil., cela donnerait avec les additionnels 1/80 de centime d’augmentation par livre usuelle.

Les cuirs verts et salés paient de droit 74 centimes, avec les additionnels, à peu près 90 cent, par 100 kil. ; ainsi ils paieraient 9 centièmes de centime par kil., ou moins de 1 cent, par 10 kil., ou à peu près 1 cent. par 20 livres.

Pour les cuirs secs, et ce sont ceux-là qui entrent principalement, le droit n’est que 2/3 des droits sur les cuirs ci-dessus, c’est-à-dire, que les 10 centimes additionnels sur ces droits feront peser une augmentation (erratum au Moniteur belge n°351, du 17 décembre 1834 :) de moins de 1 centime sur 30 livres usuelles.

Pour les sucres, un des objets sur lesquels l’impôt est le plus élevé, le droit est d’environ 40 fr. (cette somme comprend les droits de douanes, d’accises avec les centimes additionnels) ; ainsi le droit revient à 40 centimes par kil. L’augmentation de 10 centimes additionnels sur ce droit sera donc de 4 centimes par kil. ou de 2 centimes par livre usuelle.

Pour les soieries, que l’on signale souvent comme étant portées à un taux trop élevé, les droits d’entrée, centimes additionnels compris, sont de 9 fr. 58 c. le kil., dont la valeur, terme moyen, est comptée à raison de 100 fr. Les 10 centimes additionnels ne portent donc l’augmentation qu’à moins d’un centime par franc de la valeur.

Pour le thé boé et Congo, les droits, additionnels compris, sont de 64 fr. 68 cent. les 100 kil., ce qui fait 65 centimes par kil. et porte ainsi la subvention à 6 1/2 cent. par kil. Ou bien à 3 1/4 c. par livre usuelle.

Le droit est presque double sur les thés les plus fins.

On a parlé du sel et on s’est élevé contre cet impôt frappant un objet de consommation indispensable au pauvre comme au riche ; le sel paie pour tous droits d’accises 17 fr. 63 c. par 100 kil. dont 17 12 cent. par kil., la subvention sera donc de 0,01 3/4 par kil. ou moins d’un centime par livre usuelle. Ainsi, en supposant que par tête ou consomme 10 livres de sel la surtaxe reviendra à moins d’un décime par individu. Une famille de dix personnes ne supportera donc pas une augmentation d’un fr. par année.

Messieurs, on a parlé dans la dernière séance des cotons en laine ; eh bien, le coton en laine paie à l’entrée 1 fr. 91 c. les 100 kil., additionnels ordinaires compris. La surtaxe sera donc (erratum au Moniteur belge n°351, du 17 décembre 1834 :) de 19 centimes par cent kilo, ou moins d’un centime pour 5 kilo.

Les tissus de coton imprimés ou teints ; le droit d’entrée, additionnels ordinaires compris, est de 239 fr. 56 les 100 kilo ; ainsi, il est à peu près de 2 fr. 40 c. par kilo ; la surtaxe sera donc de 24 centimes par kilo ; ce qui est certes avantageux à l’industrie cotonnière, puisque l’augmentation sur la matière première est de moins de 1 centime pour 5 kilo et que, fabriquée, le droit est de l fr. 20 c. pour la même quantité. Vous voyez que loin de nuire à l’industrie comme on l’a avancé dans une des séances précédentes elle se trouvera protégée.

Les droits de transit sont généralement très bas comparativement à ceux dont il vient d’être parlé, on peut donc se dire que l’augmentation du dixième du droit, sera insignifiante. Ces droits étant très modérés, il n’y a pas lieu à faire de calculs sur leur produit présumable, cela doit se réduire à très peu de chose

On a présenté le 10 p. c. sur les droits de douanes comme étant de nature à nuire aux négociations entamées avec une nation voisine. Mais il me semble an contraire que chez cette nation comme chez nous et partout ailleurs, on envisagera le vote de la chambre tel qu’il doit l’être ; comme une manifestation énergique contre les éventualités d’une politique rétrograde et non sous le point de vue étroit d’une tracasserie commerciale,

On a aussi parlé de droit de tonnage dans le cours de cette discussion ; eh bien, d’après l’article 294 de la loi générale, le droit de tonnage quelque soit le nombre de voyages que fait le navire, ne se paie qu’une fois à la première entrée et à la première sortie du navire pendant l’année.

Cette disposition est applicable aux navires nationaux ou à ceux qui y sont assimilés, et ces derniers sont ceux de :

L’Amérique septentrionale, Angleterre, Autriche, Brème, Danemarck, Hambourg, Lubeck, Mecklembourg, Norwège, Oldenbourg, Hanovre, Portugal, Prusse, Provinces-Unies d’Amérique, Salonique, Suède, Syrie, Turquie et ses dépendances.

Vous voyez, messieurs, que les navires de tous les pays avec lesquels nous faisons un commerce suivi sont mis au rang des navires nationaux.

La plupart des vaisseaux de ces nations faisant ordinairement plusieurs voyages dans une année l’augmentation de 10 p. c. du droit existant, répartie sur divers voyages, sera insensible.

En effet, le droit de tonnage est de 95 centimes par tonneau l’entrée et 95 centimes à la sortie ; avec les additionnels, à l’entrée et à la sortie, le droit revient (erratum au Moniteur belge n°351, du 17 décembre 1834 :) à 2 fr. 15 c., la surtaxe sera donc de 21 1/2 centimes par tonneau, et le tonneau étant estime à 1,000 kil. de marchandises, la surtaxe n’équivaudra en définitive qu’à deux centimes à peu près pour 100 kil. de marchandises entrées et 100 kil. de marchandises sorties, dans le cas le plus défavorable, celui où le bâtiment ne ferait qu’un seul voyage.

On a aussi parlé de la perturbation que le commerce interlope pourrait trouver dans la surtaxe des 10 p. c. du droit. Mais chacun sait que ce genre de commerce tout à fait de détail, qui consiste principalement en café et en tabac, repose sur des convenances de commodité locale et de voisinage que la différence minime est presque insensible de la majoration projetée du droit sur ces marchandises, ne saurait gêner le moins du monde. Pour le moment je bornerai là mes observations. Je crois que les exemples que j’ai cités répondent victorieusement à ce qui a été dit, et même à ce qu’on pourra dire encore sur les prétendues perturbations que la subvention de 10 centimes occasionnera dans l’industrie et le commerce.

M. Meeus. - Je dois vous avouer qu’il m’a paru étrange de voir proposer un projet de loi si peu élaboré d’abord par le ministère, et si peu élaboré ensuite par la chambre. Cependant les questions qu’il soulève ont, dans mon opinion, une portée tellement étendue que je pense que la loi aurait dû passer devant les sections, et que peut-être on aurait dû appeler les chambres de commerce et leur demander un avis.

Lorsque M. le ministre des finances est venu présenter le projet en discussion, j’étais, avec plusieurs autres membres de la législature, occupé, comme conseiller de régence, à rechercher les moyens les plus convenables pour augmenter les revenus de la ville de Bruxelles, et pour mettre ses recettes au niveau de ses dépenses. Depuis quinze jours environ, nous nous donnions beaucoup de peine dans l’étude du tarif de nos impositions, et nous ne pouvions nous mettre d’accord sur la manière dont il fallait augmenter certains objets de consommation, et comment il fallait agir à l’égard d’autres. Nous n’avons pas cru que le projet ministériel pût nous procurer beaucoup de lumières. Nous avons été seulement étonnés que pour les intérêts du pays on ne se donnât pas plus de peine, quand pour les intérêts d’une commune, des personnes, habituées à traiter des questions financières, se trouvaient arrêtées devant un grand nombre de considérations. Vous savez que le projet de loi a seulement passé devant une commission qui a conclu dans son rapport à l’adoption.

Quoi qu’il en soit, il faut faire ressortir tout ce que ce projet offre de contraire à l’intérêt général du pays, à l’intérêt du trésor.

Je vous disais tout à l’heure que les questions que soulevait le projet exigeaient un examen approfondi. Et par exemple, je demanderai à M. le ministre des finances s’il a bien vu que son projet ne présente aucune contradiction avec nos lois existantes sur les différentes matières imposables et qu’il faudra frapper d’une subvention de dix centimes.

Vous savez, messieurs, que par la loi d’août 1822, les sucres ayant été imposés plus fortement qu’ils ne l’étaient auparavant, soit à l’entrée, soit par le droit d’accise, on a accordé aux raffineurs, qui se plaignaient à juste titre, une remise des droits à la sortie, remise à laquelle les Anglais ont donné le nom de drawback. Je demanderai à M. le ministre des finances sur quoi porteront les dix centimes de subvention relativement au sucre, Je lui demanderai si la restitution sera proportionnée aux droits d’entrée et d’accise ?

Je suppose qu’il me réponde oui : dans ce cas, je ferai observer que le trésor ne recevra pas les 10 centimes, et qu’on aura bien soin de mettre en charge à la fin de cette année tous les sucres qui sont en Belgique. On fera tant sortir de sucres du pays que le trésor recevra très peu.

Supposons maintenant qu’il réponde non ; c’est-à-dire que les 10 centimes ne seront pas perçus à la sortie : je crois que c’est là la pensée du ministère. Dans ce cas, vous portez préjudice à nos raffineries qui n’ont commencé à prospérer que depuis quelques mois.

C’est en effet depuis quelques mois que nos raffineurs écoulent une assez grande quantité de sucres en Allemagne.

Par cet exemple qui pose une alternative à laquelle le ministre des finances ne répondra pas...

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Si, je répondrai facilement, et même si l’honorable membre veut me le permettre, je vais faire la réponse sur-le-champ. Il suppose que le décompte s’opère sur les centimes additionnels ; c’est une erreur ; le décompte ne s’opère que sur le principal. C’est sur le principal que l’encharge et la décharge se font.

M. Meeus. - La loi de 1822 qui est en vigueur dit cependant qu’il sera remboursé proportionnellement au principal et aux centimes additionnels. Si les centimes additionnels ne sont pas comptés, le raffineur sera lésé et son industrie en souffrira.

Dans le cas contraire c’est le trésor qui se trouvera lésé. Il faudrait, afin d’éviter que cela eût lieu, trouver, en même temps que vous augmenteriez les droits, des moyens nouveaux pour que le raffineur ne vît pas son industrie attaquée et compromise.

Je ne m’étendrai pas davantage sur bien d’autres exemples faciles à citer dans ce moment. Mais je l’avouerai, la précipitation que l’on met à voter les lois de cette importance, me paraît inexplicable. Il n’est pas permis d’apporter à leur examen toute la maturité nécessaire.

Puisque M. le ministre des finances vient de parler de douanes, je veux attaquer le projet sous ce rapport. En Belgique, il est une ligne de douanes très mal gardée ; je ne dirai pas que ce soit la faute du gouvernement, ni celle des ministres. Peut-être cela dépend-il de la position topographique du pays. Je n’entrerai pas dans un examen détaillé de ce qui en est cause. Ce qui est vrai, c’est que cette ligne est fort mal gardée.

En face de cette ligne de douanes, se trouve un commerce qui certes n’est pas très honorable, mais qui n’en existe pas moins ; et il s’établit réellement, entre notre ligne de douanes et ce commerce, une espèce de lutte à qui fera au meilleur marché pour celui qui a des matières à introduire, je sais qu’il est des particuliers honorables, négociants qui ne voudraient pas faire usage de ces moyens illicites ; mais le plus grand nombre est celui qui en use.

Ainsi, vous voulez augmenter encore les droits énormes qui occasionnent cette fraude et vous ne voulez pas que cette fraude-là augmente avec ces droits ? Assurément, vous n’y parviendrez pas. On ne peut imprimer aux douanes une marche plus régulière qu’en cherchant des moyens capables d’empêcher la fraude. Ces moyens ont toujours été si illusoire chez nous, que je puis à l’appui de mes assertions, faire valoir un exemple que personne ne pourra récuser.

Sous le gouvernement hollandais, un ministre achète à Paris une vaisselle plate : on vient à lui et on lui fait l’offre de la lui frauder, moyennant une prime de 5 p. c. Vous ignorez sans doute que je suis ministre, répond celui-ci à la personne qui lui faisait cette proposition. Cela m’est indifférent, répartit le négociant ; et il fut chargé de cette opération. Le directeur des douanes fut informé sur-le-champ et se trouva sur les lieux avec de nouvelles forces. Le ministre, de retour à Bruxelles, y trouva sa vaisselle plate.

Je vais passer, messieurs, à des considérations d’une autre nature, pour lesquelles je réclame toute votre attention, Lorsque vous frappez un impôt, quel qu’il soit, de 10, de 15 ou de 20 p. c. d’augmentation, je comprends que cet impôt ainsi augmenté ne puisse donner lieu qu’à une diminution de consommation. Mais lorsque vous ne le frappez que pour une année, vous concevrez facilement que tous ceux qui auront à payer au gouvernement, auront bien soin de remettre à l’année suivante tout ce qui ne leur sera pas absolument nécessaire pour l’année courante. En matière d’enregistrement par exemple, la hauteur des droits d’enregistrement est telle que la fraude qui se fait relativement à eux est patente pour tout le monde.

Croyez-vous que vous n’augmenterez pas considérablement cette fraude en faisant peser votre surtaxe sur les droits d’enregistrement ? Quelqu’un qui aura envie de faire une acquisition de propriété en septembre, par exemple, remettra cette affaire à janvier de l’année suivante. Cela est rationnel. Un homme d’honneur fera un engagement sous seing privé avec une autre personne et remettra l’acte authentique à trois mois plus tard. Que suivra-t-il de là ? Au lieu de percevoir les 10 p. c. additionnels, vous subirez un déficit considérable. C’est pour cela, messieurs, qu’en de telles questions il faut apporter toute la maturité nécessaire ; il faut laisser blanchir ses cheveux sur un semblable travail....

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Et laisser entrer les Hollandais.

M. de Brouckere. - N’interrompez pas.

M. Meeus. - Vous allez voir que ce que vous dites là est aussi peu fondé que ce que vous avez dit précédemment. Je viens de dire que non seulement vous ne recevrez pas les 10 centimes de surtaxe, mais encore que vous ferez tort à ce que vous receviez antérieurement.

Donc, si quelqu’un fait une proposition qui puisse faire entrer les Hollandais, c’est vous et non pas moi, puisque votre loi est mauvaise, et qu’au lieu de vous procurer des ressources nouvelles elle réduit celles que vous aviez déjà.

M. le ministre vous a dit, parlant des douanes, que la mesure était plus favorable que nuisible pour ceux qui confectionnent en Belgique ; pour ce qui a rapport à la matière première et à la matière fabriquée, il faut établir une grande différence entre les considérations qui sont relatives à l’une ou à l’autre. Si nos commerçants doivent acheter leurs matières premières avec une augmentation de droit de 10 p. c., je ne vois pas que cela puisse être encourageant pour eux. Quant aux matières fabriquées, ce que je viens de dire tout à l’heure répond suffisamment. Si nos droits d’entrée sont trop élevés, vous augmentez la fraude et non la confection. Cela est trop clair pour avoir besoin de plus de développements.

J’attends les observations que l’on va me faire : Si vous critiquez le projet de loi, dira-t-on, au moins faut-il en proposer un qui mette à la disposition du gouvernement la somme dont il a besoin. Quant à moi, je ne suis pas ministre des finances ; je ne me sens pas les capacités nécessaires pour l’être, (on rit) mais je réponds que si je devais proposer un projet, j’aurais soin auparavant de démontrer la nécessité de ce projet. Jusqu’ici il ne m’a pas été démontré, ni par les organes du gouvernement, ni par les membres qui les ont soutenus, qu’il était nécessaire d’augmenter les contributions. Quand même je conviendrais que notre armée doit être renforcée, est-ce à dire pour cela que cela doive avoir lieu dans 15 jours, au 1er janvier ? Ne peut-on pas attendre deux ou trois mois ? A cette époque l’horizon sera tout à fait serein on tout à fait obscurci.

Il est impossible que jusque-là nous n’ayons ou toute tranquillité ou des preuves qu’on doit en venir à des hostilités. Le ministre de la guerre n’a-t-il pas à sa disposition une somme énorme qu’il pourra employer s’il y a lieu ? Mais il n’en restera plus rien à la fin de l’année, objecte-t-on. C’est ce qu’il faudra prouver encore.

On vous a dit qu’il fallait prendre une attitude plus menaçante. J’y consens volontiers ; mais avant de charger les contributions comme vous voulez le faire, avant de savoir si cette mesure produira les deux tiers de ce que vous en attendez, faut-il donc tant se presser, et que cela ait lieu d’ici à six semaines ou deux mois ? Admettez que vous allez avoir cette somme en caisse et qu’elle ne serve pas à l’emploi pour lequel elle aura été perçue, voudrez-vous avec elle diminuer la dette flottante ? Tout ce qui tendrait à cela serait à mes yeux une mesure sage et bien entendue.

Mais si ce n’est que cela, nous avons tout le temps de présenter des projets de loi et de les combiner de telle manière qu’ils ne compromettent pas à la fois et les intérêts des contribuables et les intérêts du trésor public. Pour ma part, dans cette alternative, et ne voyant pas que le gouvernement ait dans son projet atteint le but qu’il s’est propose, je me verrai obligé de voter contre l’amendement. Cependant, je dois l’avouer, si enfin il était nécessaire d’avoir efficacement et de suite une somme de sept millions, il faudrait prendre d’autres moyens, et la contribution foncière serait celle qui offrirait le plus de ressource.

Messieurs, on n’est pas assez convaincu de cette vérité que c’est toujours le propriétaire, celui qui possède, qui finit par payer : toute la différence est que cela fait un long circuit avant d’arriver jusqu’à lui, ou bien qu’il paie directement. Je sais qu’on va m’opposer le petit propriétaire. Je voudrais bien qu’on questionnât le petit propriétaire, le petit rentier qui habite la campagne ; qu’on lui demandât s’il n’aime pas mieux payer 20 ou 30 centimes additionnels sur les contributions foncières que de voir prendre cette somme sur tous les objets qui sont pour lui de première nécessité : sur la bière, qu’il consomme pour lui et ses ouvriers ; sur le petit verre de genièvre, qui démoralise, dit-on, mais qui cependant est nécessaire à l’ouvrier ; sur le sel, qui est non seulement un objet de première nécessité pour la consommation particulière du petit propriétaire, mais même pour la vente de ses produits ; car si les produits de sa ferme sont en beurre et viande de toute nature, il doit y employer du sel pour s’en défaire.

Mais tout cela ce ne sont que des avances qu’il fait pour le riche qui les paiera plus tard. C’est ainsi qu’il est vrai de dire que le propriétaire finit par payer toutes les impositions. Car, à part les fortunes en portefeuille il y en a très peu en Belgique de fortunes en portefeuille, toutes les impositions se résument à payer les domestiques plus cher, la nourriture plus cher, et à recevoir moins de son fermier, parce qu’il paie plus cher les objets de consommation. La différence est que, pour arriver au propriétaire, on commence par vexer des citoyens vis-à-vis desquels on devrait avoir plus de ménagement parce que leur position est tellement précaire que la moindre chose la met en péril.

Le petit propriétaire dit avec raison que ceux qui ont de l’argent en abondance s’entendent pour faire face aux charges publiques. Je préfère payer largement mon fermage que de voir augmenter tous les objets dont j’ai besoin. J’aimerais mieux payer cinq ou six francs de plus pour les trois ou quatre hectares que je possède que de me voir tourmenté par des augmentations sur toutes les matières qui entrent dans ma consommation. Je pense que véritablement on exagère l’intérêt qu’on porte au petit propriétaire, afin de dégrever celui qui possède beaucoup. Cependant, messieurs, nous devons d’autant plus faire attention à ne pas charger le petit fermier, qu’on pourrait nous accuser de travailler dans notre propre intérêt.

Car la législature se compose en grande partie de grands propriétaires. S’il faut opposer une résistance à l’ennemi, s’il faut faire des sacrifices, c’est à nous à donner l’exemple, à ne craindre de nous imposer directement nous-mêmes, à tâcher de ne pas blesser dans son industrie le petit fabricant, le petit agriculteur qui a besoin de toute notre protection.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’avais demandé la parole au moment où l’orateur qui vient de cesser semblait dire qu’il eût fallu mûrir le projet en discussion pendant une année avant de vous le soumettre ; les explications dans lesquelles il est ensuite entré rendent inutiles les observations que je me proposais de faire. Je céderais la parole à mon voisin.

M. Dujardin, commissaire du gouvernement. - Messieurs, l’exemple cité par l’honorable préopinant pour démontrer que le ministre des finances ne s’est pas occupé avec maturité du projet de loi en discussion n’est pas heureux, car c’est lui précisément qui est dans l’erreur relativement à la prise en charge des sucres. Au moment de l’exécution de la loi du 24 décembre 1829, il a été décidé que les sucres seraient pris en charge à l’entrée pour le principal seulement, tandis que les centimes additionnels ne seraient appliquées qu’aux quantités livrées à la consommation, mais que quand il y aurait exportation on déchargerait du montant des droits à restituer la quantité exportée, le compte des prises en charge inscrites sur les registres de la douane.

Ainsi le ministre avait réfléchi à cette circonstance spéciale que l’honorable M. Meeus suppose avoir été oubliée, et les raffineurs n’éprouveront aucune perte par la nouvelle disposition qui vous est proposée. S’il y avait une différence entre la législation actuelle et celle que nous espérons que vous adopterez, cette différence serait en faveur du raffineur de sucre, car il bénéficierait de 10 p. c. de la surtaxe sur les quantités qui existent entre le déchet réel et le déchet supposé. Ces quantités, restant dans la consommation, seraient exemptes du droit de 10 p. c. qui devait les frapper.

Voilà, messieurs, toute la différence, et vous voyez qu’elle est en faveur des raffineurs. Est-ce un bien, est-ce un mal ? c’est une autre question ; mais le résultat ne sera pas tel que le prétendait l’honorable M. Meeus.

On a parlé aussi du commerce interlope. Ce commerce, ainsi que l’a déjà dit le ministre des finances, ne recevra aucune atteinte de la nouvelle proposition du gouvernement :il s’exerce sur les frontières de France et sur les frontières de Prusse. La faible augmentation qui doit résulter de l’application de la surtaxe de guerre, n’est pas de nature à changer nos relations avec les frontière françaises. Nous n’avons là aucun concurrent à craindre. Nous continuerons à fournir aux départements du nord de la France, les petites quantités de sucre, de café et de tabac, que ces départements sont habitués à prendre chez nous.

Sur les frontières de la Prusse, nous pourrions avoir à craindre la concurrence de la Hollande, si les effets de l’augmentation du droit n’étaient pas si peu sensibles, qu’ils ne pourront pas dominer les habitudes des localités, lesquelles plus encore que le bon marché des denrées portent les sujets prussiens à s’approvisionner chez nous de denrées coloniales.

On vous a dit que la fraude seule profitera de l’augmentation que nous demandons ; que c’est un nouvel aliment que nous lui donnons. Messieurs, ma réponse est encore la même ; l’exiguïté de l’augmentation est telle qu’elle ne peut présenter qu’un appât très faible à la contrebande. D’ailleurs par une heureuse coïncidence le ministre des finances a, dans le budget des dépenses, demande une allocation assez forte, pour garantir la ligne contre toutes les tentatives de cette nature. Si comme nous l’espérons, cette demande reçoit votre approbation, la fraude au lieu de prendre une nouvelle extension par suite de l’aliment qu’elle trouverait dans la faible augmentation du droit, sera au contraire déjouée par les nouvelles forces qu’on va lui opposer.

Quant à l’anecdote citée par l’honorable orateur qui vient de parler, elle est sans doute fort jolie, mais elle ne peut être appliquée ni à la Belgique ni à un ministre belge.

Le fait s’est passé à Genève. C’est M. de Saint Cricq, alors directeur général des douanes, qui, peiné de ce qu’on lui disait de la facilité et de la sécurité avec lesquelles la contrebande se faisait de l’étranger en France, acheta des bijoux chez un orfèvre de Genève qui les lui vendit en se chargeant de les lui faire parvenir.

Toutes les précautions qu’il prit à son arrivée et les ordres qu’il donna à la douane, n’empêchèrent pas ses bijoux de lui arriver à son hôtel.

Ce fait qui s’est passé en France où les lignes de douanes sont si bien garnies, vous indique combien il est difficile d’empêcher la fraude des objets d’une grande valeur comparativement à leur poids, mais ne prouve rien contre le tarif ni les douanes belges.

Mais, dit encore l’honorable membre, si la contribution extraordinaire que vous demandez, ne doit exister que pendant une année, n’est-il pas à craindre que l’on ne retarde l’enregistrement des contrats sous seing privé, ou des spéculations en matière de commerce, et que l’on ne parvienne à atteindre le 1er janvier 1836, si la contribution extraordinaire ne doit être perçue que jusqu’à cette époque ; on parviendrait ainsi à soustraire ces actes ou ces opérations à l’application de la surtaxe de 10 p c. et l’on retarderait la rentrée au trésor du principal du droit pendant tout le temps que la perception de la subvention serait jugée nécessaire.

Messieurs, la réponse à cela est encore l’exiguïté de cette augmentation. Il est hors de probabilité qu’une spéculation commerciale, qu’une mutation en matière d’immeubles, choses qui ne sont au reste que des spécialités, soient retardées uniquement par l’espoir de se soustraire à la légère surtaxe de 10 p. c. du droit.

Ce cas d’ailleurs ne pourrait porter que sur des opérations commerciales à faire en novembre et décembre 1835 ; et il est à espérer qu’à cette époque la situation politique du pays sera fixée et que la loi aura pu être retirée.

Le même membre a dit qui ne pouvait concevoir qu’on trouvât une protection pour l’industrie dans une augmentation d’impôts qui frappe à la fois la matière première et la matière fabriquée. M. le ministre des finances n’a pas dit que la subvention demandée constituerait une protection pour l’industrie, puisque la matière première serait par l’effet de cette subvention frappée d’un droit plus fort à l’entrée. Il a exprimé une opinion toute contraire. Mais il a dit en même temps que l’augmentation du droit sur les matières premières serait plus que suffisamment compensée par l’augmentation du droit sur les produits fabriqués. L’industrie intérieure pourra fournir ses produits à la Belgique avec plus davantage, et M. le ministre des finances a cité à cet égard un exempte qu’il a tiré de l’industrie cotonnière.

L’orateur auquel je réponds a fait remarquer que l’augmentation du droit, loin d’être une protection pour le commerce servira d’appât à la fraude. J’ai déjà eu l’honneur de répondre à cet égard que la perception du droit se trouvera garantie par l’augmentation du personnel, et que la fraude ne pourra diminuer la force qui lui sera opposée par la nouvelle organisation que le ministre se propose de donner au service des douanes.

M. de Robaulx. - La subvention de guerre est-elle nécessaire ou non ? Voilà, messieurs, la première question qui doive être soumise à la chambre. La question d’application ne peut venir que subsidiairement.

Dès le début de la discussion sur le budget des voies et moyens, j’avais pressenti que la proposition qui nous occupe en ce moment devait faire corps avec la discussion générale, dont on a cependant décidé la séparation. J’ai dit que dans l’état actuel de l’Europe, dans un moment où tous les cabinets de l’Europe obéissent a une influence contraire à l’esprit des révolutions, au moment où l’Angleterre et la France subissent des revirements de ministères, j’ai dit qu’il fallait savoir jusqu’à quel point nous puisions des motifs de confiance et de sécurité dans la position de notre pays.

J’ai soutenu qu’avant de voter la loi des voies et moyens il fallait savoir jusqu’à quel point on devait augmenter ou diminuer la somme des impôts dont nous allions charger le peuple. Pour vous bien pénétrer de la gravité des circonstances où nous nous trouvions, j’ai dit que nous ne pouvions avoir aucune confiance dans le cabinet qui vient d’envahir l’administration anglaise, que c’était un cabinet hostile à notre pays par le personnel qui y a fait invasion, que dès lors, nous, révolutionnaires, nous devions prendre des mesures pour nous garantir contre les projets d’un parti en hostilité contre nous.

J’ai demandé si le tribunal d’arbitrage qui a été institué à Francfort, qui aux yeux des puissances du Nord a une influence directe sur une partie de notre pays, avait mission, oui ou non, de s’occuper de la totalité du Luxembourg en tant qu’il fait partie de la Belgique. Le ministère interpellé sur la question que j’avais posée, interpellé sur cette espèce de sommation que j’avais faite, de nous présenter un rapport sur la situation intérieure et extérieure de notre pays a répondu (et vous avez accepté bénignement cette réponse) à toutes nos questions : néant. Je ne sais rien. Je ne puis rien dire. Aucun acte, aucun fait, aucune parole ne font pressentir un changement dans nos relations diplomatiques.

Voilà le langage de M. le ministre des affaires étrangères. Voilà sa manière toute pateline de se défaire des interpellations incommodes ; et nous, bons et francs Belges, nous nous contentons de l’explication. Nous, c’est-à-dire vous ; car moi, je ne m’en suis pas contenté, et j’ai cru devoir protester contre cette manière de se débarrasser des interpellations. Mais, au moment où je le faisais, M. le ministre des finances se disputait avec moi pour monter à cette tribune, où il allait par son projet démentir les paroles toutes pacifiques de son collègue, le ministre des affaires étrangères.

Dans un cabinet bien constitué, et je ne fais pas plus allusion à celui qui existe actuellement qu’à tous les cabinets passés de la Belgique, s’il y avait cette homogénéité si désirable dans les affaires, nous n’aurions pas vu un contrasté aussi choquant que celui qu’a offert la présentation du projet actuellement en discussion. Nous n’aurions pas entendu en même temps le ministre des finances nous demander de l’argent en invoquant la possibilité de la reprise des hostilités et le ministre des affaires étrangères nous dire : Rien n’est changé, nous sommes dans la même quiétude qu’il y a plusieurs mois.

Il faut remarquer que le ministère actuel n’avait pas été appelé à donner des explications depuis son entrée au pouvoir. Ainsi, depuis notre séparation de l’été dernier, aucune espèce de renseignements sur la situation de l’Europe n’est arrivé à notre gouvernement. Les révélations de M. le ministre des affaires étrangères se sont bornées à nous indiquer que l’on avait réduit son département à sa plus simple expression, c’est-à-dire en rapport avec la nullité du rang de notre diplomatie en Europe ; c’est-à-dire qu’on ne lui avait communiqué aucun mot, aucune marche à suivre. (Réclamations). La chose est ainsi, messieurs ; j’appelle un chat, un chat.

M. le ministre des affaires étrangères ne dit pas : Vous aurez la guerre ; mais il dit simplement : il faut que nous soyons sur nos gardes et que nous soyons préparés contre l’éventualité de la guerre. Cette mesure est sage, et en cela je l’approuve. Je suis d’avis qu’il ne faut pas attendre le moment de la reprise des hostilités pour se préparer à les repousser.

Mais pourquoi cette insistance de la part du ministre de ne pas vouloir nous dire : Il y a d’autres motifs encore pour prendre ces précautions. Il y a quelque chose de nouveau qui changera notre situation actuelle. Pas du tout : selon MM. les ministres, on ne nous demande que des précautions en l’air, sans conséquence ; pour parer à des événements qui très probablement n’arriveront jamais.

Je ne me range pas à l’avis de l’honorable M. de Brouckere, dont j’adopte cependant les opinions en beaucoup de circonstances. Je suis loin de partager la sécurité que lui inspire le silence du cabinet sur les éventualités de la guerre. Ce silence n’est pas de nature à me rassurer sur notre avenir. Au surplus, notre dissentiment se réduit à ceci : l’honorable M. de Brouckere croit davantage M. de Muelenaere. Je crois davantage M. d’Huart. (Hilarité.) M. de Muelenaere est tranquille ; M. d’Huart tremble sur son siège curule. (Nouvelle hilarité.)

Il y a quelque chose que nous ne nous expliquons pas, que le ministère ne peut ou ne veut pas nous expliquer. Quant à moi, je n’ai pas le fil conducteur du dédale de la diplomatie. Il fut une époque où j’étais pour quelque chose dans la diplomatie de notre pays, pas officiellement au moins. Mais cela m’a inspiré un tel dégoût que j’y ai renoncé. Je me suis retiré lorsque j’ai vu les choses perdues et que j’ai cessé de nourrir l’espoir de sauver notre indépendance et notre chère nationalité belge.

Quoique sans données certaines, j’ai consulté l’état actuel de la politique européenne. Je dis qu’autant que les événements publics semblent le présager, il y a à craindre de la part des puissances absolues un plan de campagne contre les peuples qui se sont libérés, un plan contre-révolutionnaire. Je suis d’avis qu’il y a lieu de prendre des précautions. Je crois, sans craindre d’être taxé d’alarmiste, que les plans élaborés dans les réunions des Etats de l’Allemagne sont prêts à être mis à exécution, et je crois que ce sera aux dépens de notre nationalité que l’on voudra écorner de nouveau.

L’on ne tenterait pas, messieurs, ces sourdes atteintes à notre indépendance, si nous n’avions pas faibli alors que l’on nous comptait pour quelque chose. Car, depuis notre acceptation des déplorables, des funestes traités des 24 articles et des 18 articles, nous n’avons plus le même crédit en Europe. Aujourd’hui on traite de nous et sans nous. On ne remet plus de notes à M. de Muelenaere. On ne nous formule plus de marche à suivre. On attend le moment que l’on croira favorable pour nous présenter tout bonnement un traité dont nous n’aurons pas eu connaissance, comme une lettre de change à acquitter à vue, traité à l’exécution duquel il nous sera impossible de nous soustraire.

Je dis donc qu’il est prudent à nous de ne pas nous fier à l’état actuel de tranquillité dont nous jouissons, que le calme pourrait être précurseur de la tempête ; c’est sous ce rapport que le projet de loi qui vous a été présenté par M. le ministre des finances ne me paraît pas inutile, et je l’avoue, si je n’avais pour lui refuser ma sanction des motifs que je vais vous expliquer, je l’appuierais de mon vote parce que les mesures de précaution qu’il tend à prendre me paraissent bonnes.

Fidèle aux principes du gouvernement représentatif, je ne crois pas devoir voter en faveur d’un projet présenté par des hommes qui n’ont pas ma confiance. Je ne fais pas ici d’application personnelle. Mais je dis que le système du cabinet actuel étant de suivre le système déplorable du précédent ministère, étant d’exécuter à l’intérieur des mesures aussi déplorables qui portent atteinte au droit d’asile, je ne puis et ne dois point appuyer de ma voix un semblable cabinet, quoique bien disposé à changer de manière d’agir dès que l’on abandonnera la voie ou tous les ministères sont entrés pour en suivre une plus conforme à l’esprit de notre révolution, lorsque l’on voudra bien l’accepter dans toutes ses conséquences et dans tous ses errements.

Lorsqu’une pareille rénovation se sera opérée, je voterai en faveur des projets de loi présentés par le ministère qui l’aura amenée, quels que soient les hommes dont il sera composé.

J’admets donc, messieurs, que le projet de loi a quelque chose de plausible en lui-même et qu’on pourrait en accepter les motifs. La question est de savoir, en supposant ainsi la subvention de guerre nécessaire, sur qui elle doit peser. Il faut de l’argent pour mettre notre armée en état de marcher au premier signal, voyons où nous trouverons cet argent.

Vous ne le savez que de reste. Je n’ai pas la prétention de dire du nouveau. La contribution foncière avait été, d’après le projet de M. le ministre des finances, dégrevée d’une partie des centimes additionnels qui lui étaient imposés, parce qu’il croyait notre position améliorée, parce qu’ayant alors plus de confiance dans la stabilité des choses, il était persuadé que nous n’aurions pas besoin d’augmenter notre armée.

Dominé par l’idée que nous n’avions pas besoin de ces centimes extraordinaires, il a dégrevé la contribution foncière de l’impôt additionnel auquel elle n’avait été taxée que pour subvenir aux dépenses nécessitées par des circonstances extraordinaires. Mais voilà que des événements imprévus surgissent. Vous croyez que M. le ministre des finances va nous dire : Je me hâte de renoncer à mon projet de dégrèvement de la contribution foncière, puisque des circonstances que je croyais écartées, se reproduisent. Pas du tout...

Je vois M. le ministre des finances faire un signe de dénégation. M. le ministre des finances a trop de perspicacité pour ne pas me comprendre. Non, vous n’avez pas renoncé à dégrever la contribution foncière. Je sais bien qu’elle sera frappée par votre nouvelle loi d’un impôt de 10 centimes additionnels. Mais vous rejeter sur la masse des contributions auxquelles, jusqu’à ce jour, dans des cas identiques, nous avions jugé nécessaire qu’elle seule pourvût.

Le ministre nous a dit tout à l’heure : Nous avons fait le dégrèvement pour rétablir l’égalité entre les contributions ; mais le ministre a mis en fait ce qui est en question ; il a fait une véritable pétition de principes. Il s’agit en effet de savoir si, avec les centimes additionnels, la contribution foncière était surchargée : vous pensez qu’il en est ainsi ; nous pensons le contraire. La contribution foncière avait supporté, et sans trop de gêne, les centimes additionnels ; dès lors, puisqu’il s’agit de demander une somme égale ou inférieure à celle que produisaient ces centimes, je ne vois pas la nécessité de changer ce mode de perception. Les réclamations n’avaient pas été très nombreuses jusqu’ici ; on n’avait entendu que des voix qui indiquaient une tendresse trop vive pour la propriété foncière. Quand il faut avoir de l’argent, on doit aller le prendre là où il est, et là où son déplacement cause le moins de mal. Tel est mon avis ; je n’exige pas que le ministère le partage. Toutefois, quand ces dix centimes seront votés, il verra à quelle foule de réclamations il sera en butte.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - On ne demande que quinze cent mille francs.

M. de Robaulx. - C’est une chose singulière qu’on vienne nous dire : Ce n’est que quinze cent mille francs ! Les ministres sont gens qui se mettent à l’aise ! Au lieu d’examiner les ressources du pays, ou d’examiner la partie scientifique de l’économie sociale, ils viennent simplement faire remarquer que le sac est vide et qu’il faut pour le remplir 10, ou 15, ou 20 centimes additionnels ! Je ne suis pas grand financier, mais je serais ministre des finances dix, ou quinze, ou vingt fois mieux qu’eux ! (On rit.)

Voyons quels maux on cause au pays en frappant les contributions autres que la contribution foncière, et en favorisant celle-ci.

Les accises se présentent d’abord. Elles donnent lien à un crédit permanent. Qu’arrivera-t-il par les dix centimes de subvention ? C’est que les négociants qui ont des marchandises en dépôt paieront tout au comptant, afin qu’elles ne soient pas frappées par le nouvel impôt.

Tous les négociants qui ont des liquides soumis à l’accise vont payer avant le 31 décembre, et vous verrez que d’ici à 3 jours on aura perçu plus de 100,000 francs au lieu de 10,000. Cela n’est pas un mal, direz-vous. C’en est un, en ce sens, que les grands négociants vont écraser les petits. Vous ne devez pas, je crois, frapper les pauvres an bénéfice des riches. Cela n’est pas, je crois, l’intérêt du ministère. Si vous doutez de ce que je vous ai dit sur les accises, allez consulter les registres, et vous verrez si cela n’est pas vrai.

Parlerai-je des droits d’enregistrement ? Du droit de mutation, par exemple ? Quand il a été question de changer les lois d’enregistrement on s’est écrié : C’est tout un système nouveau : ne touchez pas à ce qui existe. Quand on vous a parlé d’ôter le privilège donné aux ventes de bois, qu’est-il arrivé ? La chambre des représentants a adopté le projet : une autre chambre l’a rejeté. On a conservé un privilège en faveur des riches.

Et celui qui sera obligé de vendre son petit mobilier paiera 10 p. c., un pauvre malheureux qui n’aura pas de bois, paiera cinq fois la valeur de ce que paie un riche.

Il y a aussi un droit de succession porté à un taux exorbitant, il est de 12 p. c., et en ajoutant ce qu’on demande cela le porterait à 14 p. c. Comment est-il permis de majorer un droit de cette manière ? Ainsi, quand vous aurez 100 bonniers de terre, on vous en prendra 14.

Je vous le demande, messieurs, vous qui avez une tendresse si paternelle pour les propriétaires, dites-moi s’ils ne seront pas froisser comme les autres, Je ne parle pas seulement des propriétaires, mais de toutes autres successions petites ou grandes.

Le timbre et l’enregistrement va se trouver augmenté aussi ; vous savez cependant tous que les droits de timbre et d’enregistrement sont si exorbitants, que celui qui n’a qu’une créance de 12 ou 1,500 fr. n’oserait pas intenter une action de justice et préfère renoncer à la chance de se faire payer, que de tenter un procès. Ce sont encore les malheureux qui souffriront ici de l’augmentation. Il coûte autant pour signifier un acte de 600 fr. qu’un acte de 200 mille fr.

Pour les douanes, M. Meeus et d’autres orateurs nous en ont parlé ; je ne ferai que répondre à une explication donnée par le ministre.On lui a dit : Comment, vous augmentez de 10 p. c. les droits sur les soieries et les vins, vous qui avez envoyé des commissaires à Paris, afin de chercher à conclure un traité de commerce ; vous allez faire crier les négociants en vins et en soieries de France, et c’est précisément dans l’intérêt de ces négociants que la France conclurait un traité avec nous, parce que ce sont eux qui envoient le plus de produits en Belgique !

Qu’a répondu le ministre ? On appréciera les motifs qui ont dirigé la législature ; on ne se plaindra pas de la loi, parce qu’on saura que ce n’est pas en haine des produits français, mais dans un but patriotique qu’elle a été votée.

Mais, messieurs, je vous le demande, que fait la cause patriotique belge aux marchands de soieries de Lyon et aux marchands de vins ? Dites-moi quels égards les marchands français ont pour les intérêts nationaux de la Belgique. Examinez cette grande enquête commerciale qui se poursuit en France, compulsez toutes les réponses des négociants et dites-moi s’ils ont eu l’intention de faire quelque chose dans l’intérêt de notre nationalité.

M. Pirson. - Eh bien, nous ne ferons rien pour eux.

M. de Robaulx. - Ah, vous ne voulez rien faire ! Comme vous êtes les moins forts, vous devez commencer par plier si vous voulez avoir de bonnes conditions.

Je dis donc que les négociants en vins et soieries, dès qu’ils verront frapper leurs produits de 10 p. c. en plus, vont crier contre nous et renforcer les motifs exprimés dans l’enquête contre toute communication avec la Belgique. Je prétends qu’il est impolitique, au moment d’ouvrir des rapports commerciaux avec la France, de frapper ses produits d’un nouveau droit.

Vous savez que depuis longtemps les négociants français demandent la libre introduction de vos fers et de vos houilles pour pouvoir soutenir la concurrence avec l’Angleterre. Ce débouché allait s’ouvrir pour nous, et vous venez le fermer par l’élévation de votre tarif.

Je sais ce que le ministre va répondre : On n’ira pas se plaindre pour une augmentation de 4 centimes par kilogramme.

Il n’y a, vous dit-on, que 4 centimes sur les cent kil. Ce que l’on vous demande, c’est un quart, un centième de centime ; c’est tellement minime qu’on n’y prendra pas garde.

Quand on a fait la loi qui frappe de droits les exportations étrangères, il est à supposer que l’on a consulté les moyens de l’industrie pour former le tarif. Quand on a trouvé que 100 fr. suffisaient, l’on a considéré comme trop élevé un droit de 110 fr. par autant de kil.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - De livres usuelles.

M. de Robaulx. - J’ai employé exprès le terme de kilogrammes, et je suis étonné d’entendre se servir de l’expression de livres usuelles un membre du gouvernement, qui applique des règlements dont le but est de faire disparaître ces vieilles dénominations.

Il est une industrie toute nouvelle en Belgique. Je veux parler de l’impression des foulards. Des pétitions ont été déposées, sur le bureau de la chambre. Elles tendent à obtenir un encouragement en faveur de cette industrie.

Comment voulez-vous que le principal fabricant qui a fait cette démarche envisage votre réponse, puisqu’au lieu de la protection qu’il attend, il apprendra que vous augmentez de 10 p. c. le droit sur les foulards écrus, c’est-à-dire sur la matière fabriquée qui doit recevoir l’impression dans ses ateliers ?

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le droit sur les soieries étrangères est restitué à la sortie.

M. de Robaulx. - Croyez-vous que vous n’aurez pas frappé cette industrie d’une augmentation de droits, parce que vous restituerez le droit à la sortie ? Les foulards imprimés en Belgique ne serviront-ils pas presque exclusivement à la consommation intérieure ? Vous voyez donc que votre réfutation n’en est pas une.

J’entends l’honorable M. Lardinois dire qu’il n’y a pas de loi qui vous autorise à restituer ce droit perçu à la sortie. Si son assertion est vraie, il y a un article de la constitution, qui serait violé, c’est celui qui établit qu’on ne peut suspendre l’exécution des lois.

Je me résume. Vous allez frapper l’industrie d’une augmentation de droits déjà considérables ; et cela, pour ôter à la contribution foncière une partie de ses charges. Je ne comprends pas en bonne administration un système pareil à celui-là. Et je déclare que je ne m’y associerai jamais. J’ai dit.


M. de Behr., rapporteur de la section centrale du budget des voies et moyens, présente un rapport sur les amendements de MM. de Brouckere et Dumortier.

- L’impression est ordonnée.

La séance est levée à 5 heures.