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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 17 février 1835

(Moniteur belge n°49, du 18 février 1835)

(Présidence de M. Fallon, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.

Le procès-verbal est lu et adopté.

Pièces adressées à la chambre

Les pièces suivantes ont été adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de la commune de Runes (Hainaut) se plaignent du secrétaire de leur commune. »

« Les sieurs Adolphe et Ulysse Claes adressent des observations en faveur du projet d’augmenter le nombre des notaires. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.


Le sénat informe la chambre, par un message, que, dans sa séance d’hier, il a adopté le budget du ministère de l’intérieur.

Projet de loi communale

Discussion des articles

Titre II. Des attributions municipales

Chapitre II. Des attributions du collège des bourgmestre et échevins
Article nouveau

M. le président. - Un amendement a été déposé par M. Dumortier. Le voici :

« Le juge de paix, avant de disposer sur la demande, interrogera l’individu dont la séquestration est réclamée ; il pourra aussi faire constater son état par un ou des hommes de l’art.

« Son ordonnance n’aura d’effet que pour six mois, si dans ce délai l’interdiction n’a été prononcée. Elle sera sujette à appel.

« Ce temps ne pourra être prolongé que par le tribunal de l’arrondissement après nouvel interrogatoire et sur les conclusions du ministère public, mais sans pouvoir en aucun cas outrepasser ce terme. »

La parole est à M. Dumortier pour développer son amendement.

M. Dumortier. - Messieurs, je pense que ce qui a été dit hier suffit pour motiver l’amendement ; il est inutile de prolonger la discussion.

M. le président. - Voici l’amendement proposé par M. Jullien :

« S’il y a nécessité de déposer la personne de l’insensé ou du furieux dans un hospice, maison de santé ou de sécurité, il en sera donné avis dans les 24 heures au juge de paix ou au procureur du Roi. »

M. Jullien. - Messieurs, j’ai examiné avec l’attention dont je suis capable la question qui est soumise à vos délibérations, et je dois vous avouer que plus je me suis livré à cet examen et plus je me suis convaincu que ce que l’on peut faire de mieux, c’est d’adopter la proposition du gouvernement, ou de mettre dans la loi communale la disposition de la loi de 1790, en y ajoutant l’amendement que j’ai proposé, lequel consiste dans une simple précaution, dans un simple avis à donner aux magistrats du parquet.

Je vais tâcher de réduire la question à ses éléments.

La divagation des insensés et des furieux, aussi bien que des animaux malfaisants ou féroces, est un délit prévu par l’article 475 du code pénal. Ce délit est puni d’une simple amende de 6 à 10 fr. Vous concevez, messieurs, que les législateurs ne pouvaient pas être plus sévères parce que la divagation des fous, des insensés, aussi bien que des animaux malfaisants, est toujours le résultat, non pas du défaut de surveillance des gardiens, mais de ce que les fous échappent à la surveillance des gardiens ; et ce sont seulement les gardiens qui sont passibles de l’amende de 6 à 10 fr.

Lorsque ces fous, ces furieux, ces animaux féroces ou malfaisants, divaguent dans une ville, la sûreté des habitants est menacée, parce que, incontestablement, si les insensés ou les furieux ne commettent pas des excès contre les personnes qu’ils rencontreront, ils sont dans une position à nuire aux autres et à nuire à eux-mêmes.

Dans ces circonstances, toutes les fois que le pouvoir municipal intervient, il ne fait, relativement à ces malheureux, qu’un acte de protection, qu’un acte de police indispensable, parce qu’en s’assurant de la personne de l’insensé, du furieux, il l’empêche de nuire aux autres, et particulièrement de nuire à lui-même, soit en commettant des excès, soit en commettant des actes qui pourraient être qualifiés crimes.

Jusque-là vous concevez qu’il ne s’agit pas de détention arbitraire. Quand on s’assure de la personne d’un homme qui peut nuire aux autres et à lui-même, c’est un acte de protection ; et il faudrait être bien susceptible pour considérer cela comme une arrestation, et comme une arrestation illégale.

Pour savoir ce qu’il y a à faire, voyons ce que l’on fait.

Lorsque dans une commune on s’assure de la personne d’un insensé, d’un furieux, divaguant, dans presque tous les cas on connaît la famille à laquelle il appartient, ou le gardien auquel il était confié. Ce que l’administration protectrice doit faire, c’est de rendre l’insensé à sa famille ou à son gardien. Si l’individu est pauvre, s’il n’est pas réclamé, s’il est étranger, alors il y a lieu à le colloquer, alors il faut s’assurer de sa personne et le mettre dans une maison de santé ou de sécurité : et voilà le point où la question peut avoir un rapport très indirect avec la liberté individuelle. Eh bien, que fait-t-on dans ce cas ?

Les administrations communales sont dans l’habitude de mettre le malheureux dans un hospice destiné à recevoir ces sortes d’individus, ou de le mettre dans une maison de santé, ou dans une maison de sécurité ; alors on informe la famille, s’il en a. Si c’est un pauvre, appartenant à une autre commune, l’autorité municipale a grand soin d’écrire aux autorités de la commune pour lui renvoyer le fou qui lui appartient ou pour se faire payer des frais de son entretien.

Je demande si dans toutes ces circonstances il est le moins du monde question de détention arbitraire ? en aucune manière ; l’autorité ne fait qu’un acte de bonne administration et de bonne police.

Je crois que toute la discussion est née de ce que l’on a confondu ce qui appartient à la liberté individuelle lorsqu’il s’agit du dépôt dans des maisons d’arrêt, avec ce qui appartient au régime des maisons où sont traités les insensés.

Si vous adoptez l’amendement de M. de Brouckere, je ne crois pas que vous arriveriez où l’honorable membre veut vous faire arriver ; car il suppose toujours une détention dont le temps doit être limité. Voyez son amendement :

« Art. 1er. L’individu arrêté comme insensé ou furieux pourra être placé dans un hospice ou maison de santé, en vertu d’une ordonnance motivée, rendue par la chambre du conseil du tribunal de première instance, le procureur du Roi entendu, et ce sur la demande du collège, sur celle des parents lorsque ceux-ci offriront de subvenir à l’entretien de l’insensé ou du furieux, ou même sur celle du ministère public.

« Art. 2. Avant de rendre son ordonnance, le tribunal fera visiter l’individu signalé comme insensé ou furieux par deux médecins en présence d’un juge et du procureur du Roi. Il entendra les témoins qui lui seront indiqués par les parties.

« Art. 3. L’ordonnance du tribunal pourra être attaquée par la voie d’appel. L’appel sera interjeté dans les dix jours.

« Art. 4. La détention ne pourra être prolongée pour plus d’un an, sauf à la prolonger le cas échéant et après une nouvelle enquête, sans pouvoir en aucun cas outrepasser chaque fois ce terme.

« Art. 5. Si avant l’expiration de l’année l’individu détenu demande sa mise en liberté, soit par lui-même, soit par l’intermédiaire de ses parents, le tribunal procédera ou fera procéder à une enquête, et annulera son ordonnance s’il y a lieu. »

Pendant qu’on soumettra l’affaire en chambre du conseil, que deviendra le fou, que deviendra le furieux ? Vous voulez une enquête ? à quoi bon ? pour dire qu’un homme a été arrêté divaguant dans les rues, commettant des actes de fureur, ou de démence ? Mais pendant que vous prendrez ces précautions, que ferez-vous de l’homme dont vous serez obligé de vous assurer ?

« La détention ne pourra être prononcée pour plus d’un an. » Mais je ne veux pas de détention du tout. D’après la manière dont j’entends la protection que la loi accorde, l’individu qui est placé dans un hospice, aux frais de la commune, s’il est indigent, aux frais de sa famille s’il est reconnu, cet individu n’est pas retenu, il n’est là qu’à cause de la position malheureuse où se trouvent ses facultés intellectuelles.

Aussitôt qu’il est guéri, la porte lui doit être ouverte. Vouloir faire une enquête pour le mettre dans l’hospice, et vouloir faire une enquête pour l’en faire sortir, et déterminer le temps dans lequel il restera dans la maison de santé, c’est faire subir une détention ; ce n’est pas là l’esprit de la loi communale, ni celui de la loi de 1790.

« Si avant l’expiration de l’année l’individu demande sa mise en liberté, soit par lui-même, soit par l’entremise de ses parents… » Mais les formalités qui sont indiquées ici par l’honorable auteur de l’amendement sont celles que l’ont suit dans le cas de l’interdiction légale. Un individu ne peut être interdit que sur la demande de sa famille et après avoir entendu des témoins qui déposent d’une manière satisfaisante que l’individu est privé de sa raison.

Quand l’individu demande sa liberté, il faut défaire ce que l’on a fait et comme on l’a fait. L’individu fait entendre des témoins pour montrer qu’il a recouvré l’usage de sa raison. L’interdit a été privé de tous ses droits ; pour les lui rendre il faut s’assurer qu’il est en état de les exercer. Mais l’individu arrêté divaguant n’a rien perdu, et on ne peut lui rien faire perdre. Encore une fois il n’y a ni arrestation, ni atteinte à la liberté individuelle ; il n’y a qu’une mesure de précaution ; et la question appartient beaucoup plus au régime des maisons qui sont destinées à recevoir les insensés et les furieux qu’au régime de la liberté individuelle ; on ne peut pas supposer que dans un cas pareil on attente à la liberté individuelle.

Si dans ce cas on pouvait dire qu’on attente à la liberté individuelle, il faudrait dire qu’on attente à cette liberté en forçant un malade à garder sa chambre, en lui liant les mains et les pieds dans de certaines maladies. Est-ce là aussi une violation de la constitution ? Encore un coup, je ne vois qu’une mesure de police, qu’une mesure de précaution. Je ne vois pas de nécessité de faire autre chose que d’appeler l’attention de l’autorité publique sur ce que vous appelez l’arrestation, et c’est pourquoi j’ai proposé l’amendement dont je vais donner lecture :

« Dans le cas où il y aura nécessité de déposer la personne d’un insensé ou d’un furieux dans un hospice ou dans une maison de santé ou de sécurité, il sera donné avis dans les 24 heures au juge de paix et au procureur du Roi. »

Parce que, d’après l’article 616 du code pénal, ces magistrats sont chargés de veiller à ce qu’aucune arrestation illégale ne puisse avoir lieu.

Cet article 616 est ainsi conçu :

« Tout juge de paix, tout officier chargé du ministère public, tout juge d’instruction est tenu d’office ou sur l’avis qu’il en aura reçu, sous peine d’être poursuivi comme complice de détention arbitraire, de s’y transporter aussitôt, et de faire mettre en liberté la personne détenue, ou s’il est allégué quelque cause légale de détention de la faire conduire sur-le-champ devant le magistrat compétent ; il dressera du tout son procès-verbal. »

Vous voyez bien que lorsque vous obligez la commune, par une suspicion, par une crainte que je ne partage pas, à donner avis au juge de paix, ou au procureur du Roi, sous peine d’être regardés comme complices d’arrestation arbitraire, ces magistrats seront obligés de s’informer des causes de l’arrestation, et ils verront si ce sont des individus privés de raison. Il est donc impossible de donner lieu à des arrestations illégales. Je crois que la loi doit se borner à cette disposition.

L’article proposé par le gouvernement, l’amendement de M. Gendebien et le mien, doivent être insérés dans la loi, avec cette condition de donner avis aux juges de paix et aux procureurs du Roi, dans les 24 heures.

M. de Brouckere. - Messieurs, frappé des inconvénients qui, selon moi, seraient la suite de l’adoption du projet du gouvernement s’il n’était accompagné d’une autre disposition qui donnât de suffisantes garanties à la liberté individuelle, j’avais formulé dans la séance d’hier quelques dispositions sur la marche qui devait être suivie afin que l’on pût ordonner la détention d’individus considérés comme insensés ou comme furieux. Mais en formulant cette disposition je m’étais expliqué sur le doute qui s’était élevé dans mon esprit relativement à l’insertion de cette disposition dans la loi communale. Fallait-il en effet l’y insérer, ou ne valait-il pas mieux qu’elle fît l’objet d’une loi spéciale ?

Depuis hier je me suis encore occupé de cette dernière question, et je suis resté convaincu qu’il vaut beaucoup mieux que les attributions du pouvoir judiciaire en cette matière soient l’objet d’une loi particulière et qu’on se bornât à indiquer dans la loi communale ce que les autorités municipales avaient à faire pour obvier aux inconvénients qui peuvent résulter de la divagation des insensés ou des furieux. J’ai en conséquence proposé un nouveau paragraphe additionnel à celui du gouvernement, et je crois que moyennant l’adoption de cet amendement tous les scrupules seront apaisés.

Il est vrai que je dis de mon amendement ce que M. Jullien dit du sien ; mais c’est au marchand à vanter sa marchandise ; et c’est à la chambre à choisir. (On rit.)

M. le président. - Voici le nouvel amendement déposé par M. de Brouckere :

« Dans le cas où un insensé ou un furieux aura été arrêté, il sera, sous le plus bref délai, mis à la disposition du procureur du Roi, qui agira son égard conformément à la loi. »

M. de Brouckere. - Je vais expliquer cet amendement.

Il résulte du projet du gouvernement qu’en général le collège des bourgmestre et échevins est chargé d’obvier aux inconvénients qui peuvent être le résultat de la divagation des furieux et des insensés : ainsi donc, quand on a quelques craintes à concevoir, c’est à l’autorité communale à prendre les mesures qu’elle juge convenables. S’il le faut, elle peut provisoirement arrêter l’insensé ou le furieux, et le faire mettre en lieu de sûreté ; mais on ne peut laisser à l’autorité administrative le droit de prolonger la détention d’un individu ; car si vous posiez cela en principe dans la loi, il serait trop facile à l’autorité de faire passer pour insensé ou pour furieux tel individu qui ne serait qu’original, ou qui n’aurait qu’une mauvaise conduite, et dont la famille serait intéressée à se défaire.

Dans le cas où il est urgent de faire détenir un individu comme furieux ou insensé, l’autorité municipale en a le droit ; mais s’il faut prolonger la détention, le pouvoir de l’autorité administrative finit, et le pouvoir de l’autorité judiciaire commence.

Eh bien, qu’est-ce que je demande ? C’est que l’autorité communale fasse mettre le fou, dans le plus bref délai, à la disposition du procureur du Roi, lequel agira conformément à la loi.

On dira : Il n’y a pas de loi qui règle la marche que suivra le procureur du Roi. Oui, mais il est urgent qu’une loi intervienne. Il faut que cette loi soit discutée parallèlement à la loi communale. Et conséquemment à cette idée, du premier amendement que j’ai présenté, j’en fais un projet de loi séparé dont je demande le renvoi devant les sections. Elles pourront le modifier, car cet amendement, résultat d’une improvisation, est loin d’être parfait.

Je ne pense pas que l’on puisse faire une objection sérieuse à la proposition que je soumets à la chambre.

L’honorable M. Jullien voudrait que l’autorité communale qui a fait arrêter un individu comme insensé pût le détenir en temps illimité dans une maison de santé ; ce sont là ses expressions.

Mais je sais très bien que si l’individu est insensé, est furieux, et par conséquent dangereux pour la société, il importe peu que ce soit l’autorité communale ou l’autorité judiciaire qui se saisisse de lui. Mais si l’on n’établissait pas des garanties envers ces malheureux, il pourrait arriver que l’on fît passer pour insensé ou furieux l’homme qui ne l’est pas, ou dont on a intérêt à se défaire pour le moment. L’autorité communale ne donne pas assez de garantie que cet abus n’aura pas lieu.

L’honorable M. Jullien ne demande ni enquête, ni visite de médecins ; mais, dit-il, ce n’est pas une détention, c’est une séquestration de la société à laquelle l’individu peut nuire. Oui, s’il était séquestré volontairement, je concevrais qu’il fût inutile d’en faire l’objet d’une loi. Mais comme c’est contre son gré que l’individu sera saisi, il faut bien prévoir les abus qui pourraient résulter de son arrestation.

Si l’individu soutenait qu’il n’est pas insensé, qu’il n’est pas furieux, que cependant les médecins, la famille, le collège des bourgmestre et échevins, enfin les personnes qui sont à même de juger en pareille matière, fussent d’un avis contraire, il faudrait bien qu’un tiers décidât entre l’insensé d’une part et les médecins, la famille ou le collège de l’autre. Ce tiers ne peut être le ministère public, ce tiers ne peut être l’administration municipale. L’autorité judiciaire seule est compétente pour juger en pareille matière.

Que deviendra, me demandera-t-on, l’individu arrêté, en attendant que l’autorité judiciaire ait prononcé ? Il sera mis dans un lieu de sûreté. Evidemment on n’ira pas mettre en liberté un homme supposé dangereux pour la société, pas plus que l’on ne met en liberté un homme prévenu d’un délit grave.

Vous voulez une enquête, dit l’honorable M. Jullien ; mais qui viendra déposer ? L’administration municipale et les personnes qui sauront quelque chose sur l’état de l’individu arrêté. Les témoins à charge diront qu’ils le reconnaissent pour être dangereux à la société. Ils raconteront les actes de démence auxquels il se sera livré, et qui feraient craindre que sa liberté ne fût la cause de grands malheurs. Les témoins à décharge diront les motifs qu’ils ont pour croire qu’il n’existe pas de nécessité d’attenter à la liberté de l’individu regardé comme furieux ou insensé.

Vous voulez, dit l’honorable M. Jullien, que l’on décide pour combien de temps l’individu sera dangereux, ou du moins qu’il ne puisse sortir sans que l’on soit certain de sa guérison. Je veux qu’on lui ouvre la porte dès qu’il sera guéri. Mais je veux aussi qu’il soit constaté qu’il est complètement guéri avant qu’on ne lui rende la liberté. Il s’élèvera toujours une discussion entre l’individu qui prétendra qu’il n’est ni furieux, ni insensé, et entre le collège, ou la famille, ou les médecins qui auront sollicité son arrestation ou la prolongation de sa détention.

En un mot, mon système consiste à autoriser l’administration communale à prévenir les dangers qui pourraient résulter de la divagation des insensés et des furieux. Le collège des bourgmestre et échevins peut aller jusqu’à faire arrêter l’individu. Mais l’arrestation n’est que provisoire. Plus tard il faut qu’elle soit régularisée par l’autorité seule compétente pour faire saisir l’individu, par l’autorité judiciaire. Voilà les seuls principes à poser dans la loi communale. Une loi interviendra pour déterminer quand il y aura lieu de détenir l’individu arrêté et quand il y aura lieu de le rendre à la liberté.

M. Fleussu. - Messieurs, la matière soumise à vos délibérations est délicate. Il s’agit à la fois de la sûreté publique et de la liberté individuelle. Tout ce que nous avons à faire ici, est de tâcher de concilier les deux intérêts. La discussion m’a fait connaître qu’il pouvait se présenter des cas urgents où l’autorité municipale doit avoir le pouvoir de prévenir ces malheurs et la faculté de séquestrer l’individu insensé ou furieux.

D’un autre côté, pour que l’autorité communale ne puisse abuser de la faculté que la loi est dans la nécessité de lui conférer, il faut qu’il y ait une autre autorité qui la surveille.

Toutes ces libertés sont mises sous la sauvegarde de l’autorité judiciaire. Je voudrais donc qu’au moment même où l’administration communale aurait arrêté un individu à cause de son état de démence ou de fureur, l’autorité judiciaire eût l’éveil, afin qu’elle pût s’assurer de l’état de l’individu séquestré.

Il m’a paru qu’on stipulait toutes les garanties désirables, en imposant à l’autorité qui a délivré l’ordre de séquestration, l’obligation d’en donner avis dans les trois jours au procureur du Roi, chargé par celui-ci d’en faire rapport au tribunal qui, après avoir fait constater l’état de l’individu, décidera s’il y a lieu de prolonger la séquestration.

J’ai formulé un amendement qui me semble réunir ces deux idées. Je vais avoir l’honneur d’en donner lecture à la chambre.

La première disposition est celle du gouvernement qui donne au pouvoir municipal le droit de faire une arrestation pour la sûreté publique. Elle lui donne les moyens nécessaires. Les autres dispositions sont en faveur de l’individu.

« Le collège des bourgmestre et échevins est charge d’obvier et de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté.

« L’insensé ou le furieux pourra être placé dans un hospice en vertu d’une ordonnance rendue par ledit collège, soit d’office, soit à la requête des parents.

« Dans ce cas, les parents seront tenus de subvenir à l’entretien de l’insensé ou du furieux. L’ordonnance sera rendue sans frais.

« Il en sera donné avis dans les trois jours au procureur du Roi, lequel sera tenu de faire son rapport au tribunal, qui décidera s’il y a lieu de prolonger la séquestration.

« Le jugement n’aura d’effet que pendant une année, si dans cet intervalle l’interdiction n’a pas été provoquée. »

J’ai fixé le délai d’avis à trois jours parce que souvent ces événements ont lieu dans des endroits éloignés du siège du tribunal.

Le terme d’un an pour provoquer l’interdiction vous paraîtra peut-être trop long ; il m’a semblé qu’il ne fallait point placer la famille dans la nécessité de recourir trop tôt à une mesure qui peut exercer une influence fâcheuse sur l’avenir de l’individu qui en est l’objet.

Il peut arriver, comme l’a fait observer l’honorable M. Dubus, que l’état de démence ne soit que momentané, qu’il répugne à la famille de demander l’interdiction. Une année doit suffire pour s’assurer de l’état de l’individu. S’il est susceptible de guérison, les mesures préventives, passé ce terme, ne seront plus nécessaires. Si l’état de démence continue il y aura lieu de provoquer l’interdiction de l’individu.

Je crois, messieurs, que mon amendement résume les deux opinions. Il y a à la fois garantie pour la société et pour les individus.

M. Pirson. - J’ai demandé la parole pour motiver en peu de mots mon amendement. Après les développements présentés par les honorables préopinants ma tâche sera facile.

Je ne considère qu’une chose dans l’objet dont il s’agit. C’est que nous votons une loi d’organisation communale. Nous n’avons donc qu’à indiquer à l’autorité communale la marche qu’elle aura à suivre dans le cas de divagation d’insensés et de furieux. Il ne peut être question d’indiquer aux tribunaux les pouvoirs qui leur sont dévolus en pareille circonstance. Je le répète, nous ne nous occupons que des devoirs de l’autorité communale. S’il existe une lacune dans la législation à l’égard de l’autorité judiciaire, que M. le ministre de la justice nous présente une loi, ou que le projet de M. de Brouckere soit mis immédiatement en discussion, nous la comblerons. Pour le moment, si nous indiquons aux autorités communales la marche qu’elles ont à suivre, nous aurons rempli notre but.

J’adopte le premier paragraphe de l’article de la section centrale et j’ajoute : « Le juge de paix en donnera avis dans les 24 heures au procureur du Roi, qui pourra ainsi que toutes les parties intéressées demander par-devant le tribunal de première instance le maintien ou de la décision du juge de paix conformément aux lois existantes. » Le reproche que j’ai entendu répéter contre la proposition de la section centrale, c’est que la séquestration prononcée par le juge de paix sur la demande de l’autorité communale était définitive : mon amendement remédie à cet inconvénient. Mais pour ce qui est de la manière dont l’autorité judiciaire doit décider qu’il y a lieu à la détention définitive de l’individu il me semble que ceci ne doit pas faire l’objet d’une disposition de la loi communale.

M. Jullien. - Messieurs, je suis bien loin de croire que l’amendement que j’ai proposé vaille mieux que celui de l’honorable M. de Brouckere. Je serais bien malheureux si j’attachais quelque importance au succès de mes amendements. Quand j’en soumets à la chambre, c’est à elle à décider ce qu’elle en veut faire.

Il me semble que l’honorable M. de Brouckere et moi nous ne sommes pas très éloignés de nous entendre ; nous ne différons que sur un point. L’honorable M. de Brouckere adopte la proposition du gouvernement. Il demande le renouvellement de la loi de 1790. Il veut que l’on mette l’insensé ou le furieux à la disposition du procureur du Roi tandis que je demande que ce soient les autorités municipales qui puissent arrêter les insensés et les furieux et les mettre dans les maisons de santé ou de sécurité suivant la convenance ou les lieux : nous ne différons que sur ce point.

Des partisans du système contraire veulent traiter les insensés et les furieux comme des détenus. Je demande, moi, qu’on les traite comme des malades. Aux yeux de la loi, ainsi que de la raison et de l’humanité, les insensés et les furieux que l’on arrête divaguant dans les rues ne peuvent être considérés que comme des malades.

Sont-ils réclamés par leurs familles ? Il faut les leur rendre. Sont-ils étrangers ? Il faut que l’autorité communale prenne des informations sur leurs familles et les leur rende également quand elle les a trouvées. Sont-ils pauvres ? Il faut les mettre dans des hospices. Les autorités communales ayant sous leur direction les établissements de bienfaisance sont plus à même de le faire.

Je demande comment l’on pourvoit au sort de ces malheureux dans les amendements qui vous sont présentés. On propose de séquestrer l’insensé ou le furieux pendant un temps déterminé, pendant une année par exemple, de faire rendre un jugement, à la requête des parents, pour savoir si la séquestration sera de six mois ou d’une année. Mais ces formalités entraîneront des frais : qui les supportera ? C’est là la question qui arrête. Toutes les fois qu’il a été question dans les administrations municipales de la manière de pourvoir à la sûreté des habitants, compromise par la divagation des insensés ou des furieux, c’est toujours la question des frais qui a arrêté.

Je suppose un insensé placé dans un hospice en vertu d’une ordonnance qui dit qu’il y restera six mois ou une année. Pouvez-vous refuser à sa famille qu’il lui soit rendu, puisqu’il n’a été arrêté que parce que sa divagation pouvait être dangereuse ? Si vous le détenez après la réclamation de la famille, ne commettez-vous pas un attentat à la liberté individuelle ? L’insensé séquestré n’est pas un prévenu ; il n’a pas commis de délit ; il n’a besoin que du secours momentané de la loi.

Les procureurs du Roi n’ont d’autres lieux de détention sous leurs ordres que les prisons. Si vous confiez à l’autorité judiciaire la séquestration de l’insensé, le procureur du Roi ne pourra l’enfermer que dans une prison. Car il n’a pas de relation directe avec les hospices. Tandis que les administrations municipales sont dans une position toute différente. Elles exercent une surveillance immédiate sur les établissements de bienfaisance auxquels elles accordent des subsides pour la plupart du temps. Elles seules sont en état de donner aux furieux et aux insensés le refuge que leur position, que l’humanité réclame.

Je crois que l’amendement que j’ai proposé, en nécessitant la notification au procureur de Roi et au juge de paix, remédie à tout. Dès l’instant que l’autorité judiciaire est prévenue de l’arrestation, c’est à elle, sous peine de complicité, à faire tout ce qu’elle croira utile dans l’intérêt de l’individu arrêté et à empêcher qu’un acte arbitraire ne se consomme. Je persiste donc dans mon amendement.

M. Dubus. - Au nombre des principes invoqués par le préopinant, il en est je pense un qui ne sera contesté par personne. Il s’est attaché à établir, la première fois qu’il a pris la parole, qu’il ne fallait pas confondre les mesures de sûreté, de protection même comme il les appelle, exercées à l’égard d’hommes réellement furieux et insensés et dont l’existence dans la société peut compromettre la sûreté publique ; qu’il ne fallait pas confondre ces mesures avec l’incarcération d’individus prévenus de crimes ou de délits. Il a dit que lorsque par une mesure de sûreté et de protection l’on séquestre un insensé, ce n’est pas une arrestation arbitraire, ce n’est pas une détention dans le sens de la loi. Je suis d’accord avec lui sur ce point.

Mais conclure de là que l’autorité communale aura entre les mains le pouvoir de prendre une décision dont les conséquences seront de priver un individu de sa liberté, conclure de là que ces mesures exemptes de tout contrôle ne sont pas une question de liberté individuelle, c’est ce que je ne puis admettre, c’est ce en quoi je ne puis être d’accord avec l’honorable préopinant qui a toujours supposé qu’il ne serait fait qu’un bon usage du pouvoir qu’il s’agit de confier aux administrations municipales. Qui nous assure qu’il ne se présentera pas des abus dans l’exécution de la loi ? C’est ce à quoi il faut parer.

Il faut prévoir l’époque de la mise en liberté de l’individu arrêté. Lorsque quelqu’un est privé de sa liberté, il importe peu que ce soit par un acte de l’autorité administrative ou de l’autorité judiciaire, que ce soit par un jugement ou par une mesure administrative, que cela s’appelle mesure de protection ou de sûreté. Le résultat est le même, c’est que l’individu est privé de sa liberté, c’est qu’il et où il ne veut pas être, c’est qu’on l’empêche de sortir.

Mais, dit-on, c’est un insensé, un furieux. Voilà une question de fait qui doit être examinée et décidée par l’autorité compétente. Or, on a déjà fait la demande dans cette enceinte, et je la répéterai, quelle est l’autorité compétente pour décider que l’individu arrêté est un furieux ou un insensé ? Il n’y en a pas d’autre que l’autorité judiciaire.

Si ce n’étaient les inconvénients signalés qui résulteraient de l’action judiciaire même la plus rapide, je ne consentirais en aucune manière à ce que l’autorité administrative agît en pareille matière. Remarquez qu’il s’agit de l’état et de la liberté de la personne. Sous l’un et l’autre rapport, c’est à l’autorité judiciaire qu’il appartient de prononcer.

C’est elle qui protége la liberté, comme elle connaît de l’état de la personne. Mais les inconvénients signalés sont réels ; il est vrai qu’il peut être absolument nécessaire de séquestrer provisoirement le furieux ou l’insensé jusqu’au moment où l’autorité judiciaire aura pu porter son jugement en connaissance de cause. Dès lors, il faut bien attribuer quelque chose à l’autorité administrative qui est chargée de la police municipale. Mais remarquez-le bien, il faut que la mesure que pourra prendre l’autorité administrative soit définie par vous, que cette mesure doit être provisoire et n’avoir d’effet que jusqu’au moment où l’autorité judiciaire aura eu le temps de connaître de l’affaire, à moins que l’autorité judiciaire ne juge la séquestration nécessaire.

Eh bien, la proposition de M. Fleussu atteint absolument ce but. L’autorité administrative prend une mesure d’urgence, de sûreté publique : elle en donne connaissance aussitôt au ministère public qui est obligé de faire son rapport au tribunal, et le tribunal décide dans le plus bref délai possible si la séquestration doit être continuée. Et pour quel terme cette séquestration pourra-t-elle être continuée ? limite-t-on le terme de la séquestration qu’il sera facultatif aux tribunaux de prononcer ? Oui, la séquestration des individus arrêtés comme furieux ou insensés ne pourra excéder une année.

Il me semble que la proposition de M. Fleussu ne peut pas rencontrer d’objection bien sérieuse, il me semble qu’elle pourvoit tout à la fois aux inconvénients qu’on avait fait ressortir de l’action judiciaire et à la garantie de la liberté individuelle.

A la vérité la proposition de cet honorable membre ne prescrit pas les règles de procédure à suivre en pareille matière ; elle ne dit pas que le tribunal devra s’attacher à tel moyen plutôt qu’à tel autre pour constater l’état de l’individu, si on lui fera subir un interrogatoire ou si on fera une enquête. Mais il va de soi que le tribunal appréciera dans sa sagesse les moyens auxquels il doit avoir recours. D’ailleurs, ces moyens, ce n’est pas dans la loi communale qu’il convient de les écrire : cela doit faire l’objet d’une loi séparée, si tant est qu’il soit nécessaire de les prévoir. Mais je ne pense pas qu’on doive regarder comme un hors-d’œuvre dans la loi communale ce que l’honorable M. Fleussu propose d’ajouter à la disposition présentée par le ministre, puisque c’est là un amendement qui limite la portée trop générale des termes dans lesquels est conçue la proposition du ministre, afin de prévenir les inconvénients auxquels peut donner lieu la rédaction trop vague et trop générale de cette proposition.

L’amendement de l’honorable M. Jullien ne me paraît pas atteindre le but qu’on se propose et auquel on arriverait en adoptant celui de M. Fleussu.

M. Jullien propose d’ajouter simplement à la disposition présentée par le ministre cette phrase : « S’il y a nécessité de déposer l’individu dans une maison de santé, il en sera donné avis dans les 24 heures au juge de paix ou au procureur du Roi. » Mais on ne dit pas ce que le procureur du Roi devra faire.

L’honorable membre dit que cela est inutile, que c’est prévu par les articles 615 et 616 du code d’instruction criminelle.

Mais quel sera le résultat de ces dispositions des articles 615 et 616 du code d’instruction criminelle, appliquées au cas dont il s’agit ? Ces articles supposent non pas l’exercice de la mesure administrative que l’article proposé a pour objet d’autoriser, mais supposent une détention véritable, motivée sur l’une des causes de détention prévues par la loi. Il me semble que même d’après le texte de l’article 616 et d’après ce qu’a dit l’honorable membre, une séquestration motivée sur l’état mental de l’individu et appuyée sur un acte de l’autorité administrative, n’est pas une détention, que cela d’après le langage des lois ne peut pas s’appeler une détention.

Eh bien, quand on présentera au procureur du Roi l’acte de l’autorité administrative, il devra s’arrêter devant cet acte, il n’aura aucune information à prendre ; il devra tenir pour constant que l’individu séquestré est insensé ou furieux, parce qu’il aura été déclaré furieux ou insensé dans cet acte. Tout son ministère se bornera là du moins : telle est la thèse de l’honorable préopinant, telle qu’il l’a exposée lui-même. Il faut aller plus loin, messieurs, il faut charger l’officier du parquet de saisir la justice ordinaire de l’examen de la question, de faire un rapport sur cette question, et prescrire à l’autorité judiciaire d’examiner et de prononcer dans un bref délai. C’est ce que propose l’honorable M. Fleussu.

J’appuierai donc la proposition déposée dans cette séance par l’honorable M. Fleussu. Et à l’appui de ce que j’ai dit tout à l’heure, qu’en cette matière c’est réellement l’autorité judiciaire qui est compétente, que l’autorité administrative ne peut intervenir que provisoirement en quelque sorte, je pourrais invoquer une instruction du gouvernement français lui-même postérieure à la loi du 16-24 août 1790 dont on veut introduire une disposition dans la loi communale actuelle. C’est une lettre du ministre de l’intérieur du 30 fructidor an XII.

« J’ai remarqué, monsieur, dans les comptes analytiques des préfets, que plusieurs ont fait, de leur propre autorité, arrêter des insensés, pour être, sur leur ordre, enfermés dans des maisons de force.

« Je crois devoir pour prévenir ces abus, vous rappeler les principes et les règles de cette matière. »

Voilà des mesures administratives prises par les préfets regardées par le ministre de l’intérieur comme des abus.

Je continue : « Suivant la loi du 22 juillet 1791, conforme à ce sujet aux anciens règlements, les parents des insensés doivent veiller sur eux, les empêcher de divaguer, et prendre garde qu’ils ne commettent aucun désordre. L’autorité municipale, suivant la même loi, doit obvier aux inconvénients qui résulteraient de la négligence avec laquelle les particuliers rempliraient ce devoir.

« Les furieux doivent être mis en lieu de sûreté. »

Vous voyez que la lettre porte sur la séquestration, et qu’elle fait une distinction entre les insensés et les furieux. Quant aux furieux, ils doivent être mis en lieu de sûreté.

« Mais, ajoute-t-elle, ils ne peuvent être détenus qu’en vertu d’un jugement que la famille doit provoquer. »

Vous voyez la mesure provisoire, la mise en lieu de sûreté, placée à côté de la mesure définitive prononcée par le tribunal, c’est-à-dire le jugement.

« La loi du 8 germinal an XI indique avec beaucoup de détails la manière dont on doit procéder à l’interdiction des individus tombés dans un état de démence ou de fureur. C’est aux tribunaux seuls qu’elle confie le soin de constater cet état.

« Les lois qui ont déterminé les conséquences de cette triste infirmité ont pris soin qu’on ne pût arbitrairement supposer qu’un individu en est atteint ; elles ont voulu que sa situation fût établie par des preuves positives, avec des formes précises et rigoureuses.

« En substituant à ces procédés réguliers une décision arbitraire de l’administration, on porte atteinte à la liberté personnelle et aux droits civils de l’individu que l’on fait détenir. »

Il s’agissait dans les actes qui ont provoqué cette circulaire de mesures administratives prises à l’égard d’insensés furieux divaguant, et dans l’intérêt de la sûreté publique, par les préfets. Ces actes ont été critiqués par le ministre de l’intérieur d’alors, comme portant atteinte à la liberté individuelle.

Vous voyez donc que la séquestration des insensés et des furieux est une question qui touche à la liberté individuelle. Tout acte tendant à faire supposer un état mental qui n’était pas régulièrement constaté est de la compétence des tribunaux, car les tribunaux sont les protecteurs de la liberté individuelle et par conséquent l’autorité compétente pour constater l’état de la personne.

Je crois que d’après ces principes qui ne peuvent pas être méconnus, il y aurait lieu d’adopter la proposition de l’honorable M. Fleussu.

M. Legrelle. - Personne n’ignore le danger qu’il y a à laisser divaguer des insensés ou des furieux, et que c’est aux bourgmestre et échevins à prendre des mesures à l’égard des personnes qui sont en état de folie. Parmi ces mesures vous placerez la faculté de déposer l’individu atteint de fureur dans un asile ou hospice destiné à ces sortes de maladies, car un homme en démence est un homme malade. Mais cette mesure prise par l’autorité communale ne doit être que provisoire, il faut que dans un certain délai l’autorité judiciaire connaisse de la situation de l’individu, pour prendre à son égard telle mesure que de droit.

D’accord sur les principes, je ne discuterai pas si on doit se borner à indiquer dans la loi communale ce qui regarde les autorités communales ou si on doit examiner en même temps ce qui concerne l’autorité judiciaire. Je n’examinerai la question qu’en ce qui concerne les autorités communales.

Je trouve une grande différence entre l’amendement de M. Jullien qui laisse à l’administration le soin de déposer l’individu aliéné dans un hospice et tel autre amendement d’après lequel l’individu serait remis entre les mains du procureur du Roi pour en disposer comme de droit. Il est certain que dans le second cas vous traiterez l’aliéné non comme un malade, mais comme un prévenu ; et comme l’a fort bien fait sentir l’honorable M. Jullien, le procureur du Roi n’a pas à sa disposition de lieu pour faire déposer cet individu, si ce n’est la prison, le lieu d’arrestation de la commune. Ce n’est pas là qu’il convient de déposer un homme à qui on n’a rien à reprocher que son état malheureux de folie.

Vous croyez obvier à cet inconvénient en laissant au procureur du Roi la faculté de le faire déposer dans un hospice. Mais le procureur du Roi ne peut le faire sans sortir des attributions de l’autorité judiciaire car, les hospices sont dans les attributions communales, et l’autorité judiciaire ne peut avoir aucune action sur ces établissements.

Je voudrais apporter seulement une légère modification à l’amendement de M. Jullien qui serait de substituer le délai de trois jours à celui de 24 heures, Il m’est souvent arrivé de voir des individus dans un état d’ivresse qui ressemblent à de la démence, à de la fureur, qu’on a arrêtés, conduits devant l’autorité municipale comme des insensés divaguant dans la rue, et dont la prétendue folie disparaissait quand leur état d’ivresse était passé. C’est ce qui me fait croire qu’il convient de fixer à deux ou trois jours au lieu de 24 heures le temps pendant lequel l’autorité municipale pourra retenir dans un hospice, un individu réputé insensé. On peut être sûr que jamais l’autorité municipale n’abusera de cette faculté car ce n’est qu’à son corps défendant qu’elle dépose un individu dans un hospice, étant obligée de faire les frais de son entretien. Les individus pauvres placés dans les hospices sont à la charge de la régence.

je voterai donc pour l’amendement de M. Jullien en substituant le terme de trois jours à celui de 24 heures.

M. Lebeau. - Quoi que je n’aie pas assisté au commencement de la discussion dont la chambre est occupée, ayant été appelé par des fonctions antérieurement exercées à faire de la question dont il s’agit l’objet de quelques recherches et de quelques études, je prendrai la liberté de soumettre de courtes observations à l’assemblée.

Il me paraît que la majorité de cette chambre est d’accord sur deux points : le premier, que les mesures les plus urgentes, dont l’exécution ne peut être différée sans danger pour la tranquillité publique à l’égard des insensés furieux, doivent être prises par l’autorité municipale, autorité dont l’action s’exerce habituellement d’une manière préventive et incessante. D’autre part, la majorité de cette chambre semble croire, et c’est aussi mon opinion, qu’une fois qu’il a été pourvu aux besoins du moment, s’il est nécessaire qu’une décision qui a plus de portée, qui frappe la liberté individuelle d’une manière moins provisoire soit adoptée, elle rentre dans la compétence exclusive du pouvoir judiciaire.

D’où vient que la majorité de cette chambre se trouvant d’accord sur la double part à faire à l’autorité municipale et à l’autorité judiciaire, on ne parvienne pas à s’entendre ? C est que, si je ne me trompe, on veut introduire dans la loi communale une disposition qui doit trouver place dans d’autres lois, une disposition qui tient à la procédure. C’est ce qui, sans doute, a motivé la proposition de l’honorable M. de Brouckere, qui pense devoir faire de cette disposition l’objet d’une loi spéciale.

Si on pouvait faire cesser le doute qui s’est élevé à l’occasion de l’exécution de la loi de 90, sur la question de savoir si l’administration municipale a le droit d’ordonner une séquestration provisoire en faisant intervenir aussitôt l’autorité judiciaire, on aurait fait tout ce qu’on doit faire en ce moment ; on aurait satisfait à des scrupules très honorables, et que je partage jusqu’à certain point.

Je ne soumets mon amendement qu’avec défiance à l’appréciation de la chambre ; cependant je crois devoir appeler son attention sur la proposition suivante.

Je reproduis le paragraphe présentée par M. le ministre de la justice et j’ajoute cette disposition :

« Le collège prononcera au besoin leur séquestration provisoire. Il en sera immédiatement référé au pouvoir judiciaire, qui décidera, d’après les formes à établir par la loi, si cette séquestration sera maintenue ou révoquée. »

De cette manière, nous ne nous engageons pas dans une discussion destinée à soulever une foule de questions qu’on ne peut pas résoudre sans avoir eu le temps de les méditer.

On a parlé de séquestrer provisoirement les aliénés dans un hospice ou dans une maison de santé.

Je ferai remarquer que cette disposition sera inexécutable dans beaucoup de localités, car dans la plupart des communes il n’y a pas d’hospice ; on devrait, au besoin, approprier immédiatement un local provisoire pour recevoir ces malheureux et les garder jusqu’à ce qu’on puisse les transférer dans un hospice spécial. C’est une mesure que commanderait la sûreté publique, lorsque surtout l’insensé ou le furieux est étranger à la commune.

On vous a parlé de l’appel contre une décision d’un tribunal qui maintiendrait la séquestration provisoire ; on peut demander quelles seraient les formes, les délais ? On a supposé que l’appel serait parfois interjeté mal à propos par des parents. Messieurs, on n’aura pas toujours cela à craindre ; il y a parfois aussi des parents intéressés à maintenir les autorités dans l’erreur sur la situation morale d’un individu séquestré, des parents qui, loin de vouloir le faire mettre en liberté, chercheraient à le faire retenir.

L’arrêté exorbitant que le gouvernement provisoire a aboli, a été plus souvent invoqué peut-être dans des vues blâmables d’intérêt privé que dans l’intérêt public. Il est à ma connaissance personnelle, et sans doute aussi à celle de plusieurs membres de cette chambre, que les choses se sont déjà passées ainsi sous l’empire de cet arrêté. Voilà une hypothèse qui n’est pas prévue par l’amendement de l’honorable M. Fleussu. J’ai prouvé qu’il laissait indécises d’autres questions assez graves encore.

Si vous voulez organiser la procédure à suivre pour exercer le recours vers le pouvoir judiciaire, vous courez grand risque de prolonger encore cette discussion pendant un jour ou deux, tandis que l’établissement de ces formes, qui ont besoin d’être examinées avec maturité, sera mieux placé dans la discussion d’une loi spéciale.

J’adopte donc l’idée de M. de Brouckere, et je pense que son amendement serait un bon canevas de la loi à faire, si le ministère ne présente pas la sienne, qu’on a dit à peu près rédigée.

M. de Brouckere. - Mais l’amendement de M. Lebeau n’est que la reproduction de celui que j’ai présenté. Je prie M. le président d’en donner lecture.

M. le président. - Voici l’amendement de M. de Brouckere : « L’insensé ou le furieux qui aura été arrêté sera, dans le plus bref délai, mis à la disposition du procureur du Roi qui agira à son égard conformément aux lois. »

M. de Brouckere. - Je regarde l’amendement de M. Lebeau comme ne disant pas autre chose que le mien. Si M. Lebeau préfère le sien, je lui fais le sacrifice du mien.

M. Lebeau. - Je n’attache pas assez d’importance à mon amendement, comparé à celui de M. Brouckère, pour croire que je ferais un grand sacrifice à l’honorable préopinant en lui abandonnant la préférence.

Je dois cependant faire observer qu’il existe une différence entre les deux propositions. C’est que M. de Brouckere tranche cette question que je laisse indécise. Je me borne à appeler l’intervention de l’autorité, sans préciser si ce sera le tribunal ou le procureur du Roi qui interviendra, et je dois dire que, par l’autorité judiciaire, j’entendrais plutôt la magistrature que le parquet. La chambre décidera, si notre système lui convient, laquelle des deux rédactions vaut mieux. La chambre décidera si c’est au procureur du Roi à intervenir d’abord, sauf à lui imposer l’obligation de saisir le tribunal de la question, ou si le tribunal doit être directement saisi.

Je déclare après tout ne pas tenir infiniment à ce qu’on préfère mon amendement.

M. de Brouckere. - Je retire le mien très volontiers, je n’y tiens pas.

M. Jullien. - On a dit qu’il y avait impossibilité dans les communes rurales d’ordonner la séquestration d’un aliéné et un placement dans une maison de santé, un hospice ou un lieu de sûreté, parce que dans ces communes il n’existe pas de ces sortes de maisons. Mais si dans une commune rurale il n’y a pas d’hospice, il y en a au moins un dans l’arrondissement. S’il n’y a pas de maison de sûreté consacrée à la garde des aliénés, lorsque l’autorité communale aura ordonné le placement d’un insensé pauvre ou étranger dans un hospice ou lieu de sûreté, cette ordonnance recevra son exécution. On enverra l’individu dans l’hospice de l’arrondissement.

Tout l’inconvénient que j’aperçois dans le système de ceux qui veulent qu’on mette l’aliéné arrêté à la disposition de l’autorité judiciaire, c’est que vous le traitez comme un prévenu tandis que je le considère comme un malade. Faites attention à ce qui pourra arriver ; c’est que si c’est un étranger, sa famille ou quelques parents voudront le réclamer, à moins que ce ne soit un pauvre.

Si c’est un pauvre, il est à la charge de la commune, il n’y a pas à hésiter ; s’il appartient à une famille aisée, elle le réclame pour lui faire donner des soins, il n’y a pas un mot à dire. Mais avec votre système qu’arrivera-t-il à l’étranger en état de fureur, échappé de chez lui et divaguant dans la commune, ainsi que j’en ai vu un exemple à Bruges ? il sera mis à la disposition du procureur du Roi et restera en prison aussi longtemps qu’il ne plaira pas à ce magistrat de requérir un logement. Interviendra le jugement qui ordonnera la séquestration de l’individu pendant un temps déterminé ; la famille sera prévenue du malheur arrivé à son parent ; elle s’empressera de le réclamer, elle demandera qu’il lui soit rendu ; mais pas du tout : il aura été prononcé une condamnation ordonnant la séquestration, il faudra qu’elle s’exécute. Vous appelez cela protéger la liberté individuelle ; pour moi, il me semble que c’est tout le contraire.

Si l’autorité séquestre un insensé, elle le séquestre comme un malade à qui elle veut faire donner des soins. Dans cette position il est toujours libre ; sitôt qu’il est guéri, on lui ouvre les portes de l’hospice où il était séquestré.

Il y a un principe en droit, c’est que la capacité d’un individu ne peut pas être suspendue. Aussi longtemps que l’interdiction n’a pas été prononcée, qu’il n’y a pas eu jugement, il est censé capable, ses droits ne peuvent pas être suspendus. Et vous, avant que l’interdiction ait été déclarée, vous traitez l’insensé comme s’il était interdit. Voilà l’inconvénient de ce système.

La proposition que j’ai faite au contraire suffit pour éveiller l’attention de la justice, puisqu’elle porte qu’il sera donné avis de la séquestration de l’insensé au juge de paix et au procureur du Roi, et qu’aux termes de l’article 616 du code d’instruction criminelle ces magistrats sont tenus, aussitôt cet avis reçu, sous peine d’être poursuivis comme complices de détention arbitraire, de se transporter près de la personne détenue, et de la faire mettre en liberté s’il n’y a pas cause légale de détention.

Ainsi vous aurez rempli un devoir d’humanité, de justice, de raison ; vous n’aurez attenté aux droits de personne. L’individu arrêté pourra sortir, être rendu à sa famille ; ce qui dans votre système ne peut avoir lieu.

M. Gendebien. (pour une motion d’ordre). - Hier, lorsqu’a commencé la discussion, j’ai prévu, j’ai même prédit qu’elle serait fort longue, et qu’après cette discussion si longue on finirait par ne plus se comprendre. J’ai proposé le renvoi de tous les amendements en sections, à la section centrale ou à une commission. On n’a pas tenu compte des observations que j’avais eu honneur de faire, et l’on a été en avant. Aujourd’hui on est encore un peu plus embarrassé qu’hier. La chambre n’a pu parvenir à se former une conviction ; cependant la matière est assez délicate pour que l’on ne vote pas sinon avec conviction, car elle tend essentiellement à la liberté individuelle.

Je pense qu’avant d’aller plus loin, il faudrait, après cette deuxième séance de discussion, convenir de l’objet à discuter.

Si vous voulez continuer la discussion, séparez les objets à discuter ; car vous ne pouvez pas tout discuter à la fois. Sinon, renvoyez toutes les propositions à la section centrale ou à une commission,

Lorsque l’on a été embarrassé sur le vote à émettre au sujet de la proposition de M. le ministre de la justice, c’est qu’on n’en a pas aperçu toute la portée. On a craint, en admettant dans la loi communale la disposition de la loi du 16-24 août 1790 de s’engager plus qu’on ne voulait, de compromettre la liberté individuelle.

Si vous voulez, indépendamment de l’article de la loi communale, adopter une loi spéciale, il n’y a pas la moindre difficulté ; vous pouvez adopter la proposition du ministre avec la modification que j’ai présentée.

Aussi que je l’ai dit, vous pouvez faire un projet de loi distinct de la loi communale ; je pense même qu’il en sera mieux ainsi ; car l’objet sur lequel on vous propose de statuer tient plus au code de procédure qu’à la loi communale.

L’honorable M. Dumont a dit hier à cet égard quelque chose de bien saillant ; il voudrait que l’on fît du tout un seul projet, parce qu’il s’agit de consacrer l’intervention de judiciaire, ce qui n’appartient pas plus à la loi communale qu’à toute autre loi. Ceci rentre dans la généralité de toutes les lois ; c’est une disposition qui devra être consultée autant par l’autorité judiciaire que par l’autorité communale.

Il vaut mieux ne pas parler de cet objet dans la loi communale, ou, si vous en parlez, vous borner à l’article proposé par M. le ministre de la justice, modifié, si vous le voulez, comme le propose M. Jullien. Mais assurément l’on ne peut voter sur cet article si la chambre ne prend pas l’engagement de le compléter par une loi spéciale qui devra être votée avant la loi communale. Sans cela, quant à moi, je ne pourrai pas voter la proposition ; car elle serait une source d’abus. C’est ce que prouve l’instruction ministérielle dont l’honorable M. Dubus vous a donné lecture. Ces abus se représenteraient probablement ; car toutes les autorités se ressemblent ; tous les gouvernements se ressemblent.

J’insiste donc pour le renvoi des différentes propositions, y compris celle de M. de Brouckere, aux sections, à la section centrale, ou à une commission. Sinon, je demande que la chambre décide sur quel objet on discutera ; car si l’on discute tous les objets à la fois, on n’en finira pas.

M. Raikem. - Je présenterai une simple observation sur la motion d’ordre.

Si j’ai bien compris l’amendement de M. Jullien (et je crois l’avoir bien compris), il formerait avec la proposition de M. le ministre de la justice une disposition complète en ce qui concerne la conduite à tenir par le collège des bourgmestre et échevins.

M. Jullien a développé les motifs qui l’ont engagé à faire sa proposition, c’est que la démence étant un état de maladie (et elle a toujours été considérée comme telle), ce qu’il convient de faire avant tout, c’est de porter secours à l’insensé ; c’est donc dans un hospice, et non dans une maison de force, qu’il faut le conduire.

Ce que l’on a critiqué dans l’instruction ministérielle, c’est la réclusion de l’insensé dans une maison de force. Voilà ce que l’on a voulu empêcher ; car c’est seulement en étant conduit dans un hospice que l’insensé recevra les soins qu’exige son état. C’est, je crois, ce que chacun peut désirer.

Je pense que, sans sortir aucunement de la loi communale, la chambre peut fort bien adopter la proposition de M. le ministre de la justice et celle de M. Jullien sans recourir à aucune autre disposition.

M. Gendebien. - Quelque désir que j’aie de ne pas entrer dans la discussion du fond, je dois répondre à l’honorable préopinant.

Il a dit que le but de la proposition de M. Jullien était que des secours fussent portés aux furieux, aux insensés, qu’ils fussent traités comme des malades. Nous le voulons tous ; mais nous voulons de plus des garanties contre l’arbitraire, nous ne voulons pas que l’on considère comme malades, comme des insensés ou des furieux, des individus mieux portants que les autorités qui les font arrêter. Que l’on règle les soins à donner aux insensés considérés comme malades, mais que l’on n’applique pas, comme on l’a déjà vu, ces mesures à d’autres qu’à des malades.

On mettra, a-t-on dit, les insensés dans des hospices, dans des hôpitaux ; fort bien ; mais l’honorable M. Jullien a ajouté : « ou dans des maisons de sécurité. » Comme on l’a fait remarquer, dans le plus grand nombre des communes il n’y a pas d’hospices ; les insensés devront donc être enfermés dans des maisons de sécurité. Mais qu’est-ce que des maisons de sécurité ? Je n’en connais même pas à Bruxelles. Que veut-on dire par là ? Est-ce à Hal, à Vilvorde, à Malines, à Jodoigne qu’il y a des maisons de sécurité ? Ce sont donc des prisons ! Ainsi pour donner des soins aux insensés, aux furieux, pour les traiter comme des malades, on les mettra dans des maisons de sécurité… c’est-à-dire en prison !

Mais, ajoute-t-on, ne craignez pas que les individus arrêtés comme furieux restent, dans ces maisons de sécurité, plus longtemps qu’il ne sera nécessaire ; les communes seront intéressées à ce qu’on ne les y garde pas trop longtemps, puisqu’elles sont obligées de payer les frais. Si vous n’avez pas d’autres objections à faire, je ne trouve pas que ce soit bien rassurant pour les malheureux en butte à la vindicte de quelques membres du gouvernement ou de l’administration. On trouvera toujours aisément 50 centimes par jour pour leur donner du pain et de l’eau. On veut, dit-on, les traiter comme malades ; on les mettra à la diète, ce ne sera pas cher alors. On trouvera d’ailleurs dans les fonds de la haute police de quoi payer la nourriture de tous ceux que l’on voudra détenir sous prétexte de folie ou de fureur.

Je trouve donc que l’honorable préopinant n’a fait que résoudre la question par la question. Car nous voulons tous que ceux qui sont réellement malades soient bien traités ; mais nous ne voulons pas que des individus supposés malades puissent jamais être privés arbitrairement de leur liberté.

Je n'en dirai pas davantage, sinon que je ne vois pas de solution satisfaisante à cette discussion, et que je ne puis pas voter par la crainte de l’abus qu’on pourrait faire des dispositions proposées.

M. Raikem. - Je dirai quelques mots pour rectifier ce qu’a dit l’honorable préopinant.

J’avais uniquement parlé sur la motion d’ordre ; l’honorable préopinant, pour me répondre, s’est occupé de la discussion du fond.

J’ai dit que si l’on adoptait la proposition de M. le ministre de la justice et en même temps celle de M. Jullien, elles pourraient fort bien entrer dans la loi communale. Il est constant au contraire que si l’on faisait intervenir plus ou moins l’autorité judiciaire, la disposition ne pourrait plus faire partie de la loi communale. Je me suis uniquement attaché à prouver que la proposition de M. Jullien était de nature à être insérée dans la loi communale.

Je ne crois pas devoir entrer dans la discussion du fond, à moins que l’assemblée ne décide que la discussion doit continuer, et alors je me réserve de répondre aux dernières observations qui ont été faites. Je crois cependant devoir faire observer que nous sommes tous d’accord sur la nécessité de soigner les insensés. Mais, dit-on, ne pourra-t-on pas appliquer à des personnes qui ne seraient pas malades des dispositions que nous ne voulons être appliquées qu’aux insensés ? Mais ce serait là un abus. Or, quelques précautions que vous preniez, on pourra toujours en abuser. Si l’on ne voulait insérer dans les lois que des dispositions dont on ne pût pas faire abus, on serait obligé de ne faire aucune disposition législative.

Je ne crois pas devoir en dire davantage, me réservant, je le répète, de présenter, si la discussion continue, de nouvelles observations.

M. Dumortier, rapporteur. - Je pense que ce qu’il y a de mieux à faire c’est de renvoyer tous les amendements à la section centrale et d’inviter leurs auteurs à se rendre dans son sein pour s’entendre entre eux. Dix ou douze amendements ont été présentés. Vous devrez ouvrir la discussion sur chacun d’eux, et quand on ira aux voix, agiter auquel il convient de donner la priorité. Je demande s’il y aura possibilité de sortir de cette discussion.

Veuillez remarquer qu’à l’exception de M. Jullien et de l’honorable préopinant qui trouvent que tout est au mieux dans la proposition de M. le ministre de la justice, tous les autres orateurs ont reconnu que s’il fallait prendre des mesures contre les insensés et les furieux, il fallait aussi faire en sorte que l’on ne pût pas abuser du droit que la loi consacrerait à cet égard ; les autres orateurs ne sont pas dans une sécurité parfaire sur l’impossibilité des abus ; ils craignent au contraire qu’il n’y ait abus ; et il ne faut pas croire que ces craintes soient chimériques.

Permettez-moi, pour vous le prouver, de vous donner lecture de quelques lignes d’un journal d’hier.

(Ici l’orateur donne lecture du narré fait par un journal de Bruxelles de l’arrestation faite lors des dernières élections d’Angleterre, d’un électeur de l’opposition sous prétexte de folie, et de sa séquestration pendant toute la durée des élections.)

Voilà ce qu’ont signalé les journaux d’hier. Ce qui est arrivé lors des dernières élections dans un pays voisin pourrait fort bien arriver dans notre pays. Il convient donc d’insérer dans la loi des garanties contre de tels abus. Pour cela il convient de consacrer dans la loi le principe de l’intervention de l’autorité judiciaire.

Mais, dit-on, on ne peut imposer dans une loi communale des obligations à l’autorité judiciaire. C’est cependant ce que vous avez fait dans la loi communale au sujet de l’intervention des commissaires de police ; ce que vous avez fait, dans plusieurs dispositions de la loi provinciale, dans celle relative aux peines à appliquer contre ceux qui troubleraient les séances du conseil, et dans la disposition stipulant une pénalité contre les membres du conseil qui prolongeraient d’un jour au-delà du terme fixé par la loi le terme des séances du conseil. Ce n’était pas alors de l’autorité judiciaire, c’était du conseil provincial que vous aviez peur.

Les intérêts des citoyens ne sont-ils donc pas aussi sacrés que ceux du pouvoir exécutif ! Quand il s’agit de protéger la liberté individuelle, ne pouvez-vous consacrer le principe de l’intervention de l’autorité judiciaire, dont vous êtes si prodigues quand il s’agit de protéger le pouvoir ! je crois qu’il serait possible que les auteurs des amendements s’entendissent à ce sujet.

J’appuie donc le renvoi à la section centrale. M. le ministre de l’intérieur et les auteurs des amendements seraient invités à assister à sa réunion.

M. Jullien. - Je ne sais pas jusqu’à quel point est vrai le fait rapporté par un journal et dont M. Dumortier vient de donner lecture. Mais il n’y a rien d’extraordinaire à voir atteint de folie un électeur, voire même un législateur. Tout dépend de la vérité d’un fait : si l’électeur était en état de folie ou de fureur, on a bien fait de l’arrêter ; si on a fait abus de la disposition de la loi, il faut prendre des précautions pour éviter de tels abus.

Mais quelles garanties plus fortes pouvez-vous trouver à cet égard, que dans l’avis donné dans les 24 heures au juge de paix et au procureur du Roi qui, sous peine d’être poursuivis comme complices de détention arbitraire, sont tenus de faire mettre en liberté la personne détenue, ou s’il est allégué quelque cause légale de détention, de la faire conduire sur-le-champ devant le magistrat compétent ?

L’honorable M. Gendebien demande ce que j’entends par maisons de sécurité, si ce ne sont pas des prisons. Certes, si j’avais voulu parler de prisons, j’aurais placé le mot dans mon amendement. Les maisons de sécurité dont j’ai parlé sont précisément des maisons affectées au traitement des aliénés ; ce ne sont pas des prisons. Il y a à Bruges deux établissements de ce genre : l’hospice Saint-Julien et une maison particulière. Dans l’hospice de Saint-Julien on reçoit uniquement des aliénés, et ils y sont fort bien traités. Lorsque la régence de Bruges envoie dans cet hospice quelqu’un qui peut payer, il reste dans cet hospice à ses frais ; lorsque c’est un pauvre envoyé de quelque commune rurale, la commune paie 300 fr. Voilà des maisons de sécurité. Je pense que toutes les précautions nécessaires sont prises dans la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre.

Je m’oppose au renvoi à la section centrale qui mettrait à néant la discussion d’aujourd’hui et celle de la dernière séance.

M. Dubus. - Je crois que c’est la motion d’ordre de l’honorable M. Gendebien qui est en discussion ; c’est donc sur la motion d’ordre que je parlerai.

Quoique j’ai annoncée qu dans mon opinion c’est la proposition de l’honorable M. Fleussu qui me semble préférable et que je n’aperçoive pas d’inconvénient possible à son adoption, cependant j’appuierai le renvoi à la section centrale, parce que cela pourra amener un examen plus approfondi des amendements présentés. Peut-être les auteurs des amendements se mettront-ils d’accord sur une rédaction que l’on adopterait sans discussion ultérieure ou du moins après une courte discussion ; ainsi on ne perdrait pas de temps ; on en gagnerait au contraire.

Pour combattre le renvoi, on dit qu’il est bien plus simple de voter la proposition de M. le ministre modifiée par M. Jullien. Je comprends que ce soit plus simple pour ceux qui ont, à cet égard, une opinion formée, qui sont résolus à n’accepter que cela ; mais il n’en est pas de même pour ceux qui ont l’opinion contraire. Il faut donc une discussion ultérieure pour ramener tous les esprits à la même opinion.

On prétend que la proposition du ministre, modifiée par M. Jullien, est la seule qui puisse entrer dans la loi communale, et l’on soutient que l’on ne doit rien prescrire à l’autorité judiciaire dans une pareille loi. Dans d’autres circonstances, plusieurs membres se sont aussi opposés à ce que l’on introduisît dans la loi des dispositions judiciaires, des dispositions pénales ; mais, comme on ne voulait pas que des abus pussent compromettre l’ordre, on a mis des dispositions pénales et dans la loi provinciale et dans la loi communale.

Dans la loi provinciale il y a des dispositions pénales, pour le cas où les conseils provinciaux continueraient leurs délibérations après le terme fixé pour la session. On n’a pas consenti à renvoyer cette pénalité à une loi spéciale, ou à une loi générale ; on a exigé comme garantie d’ordre que la peine fût insérée dans cette loi provinciale.

Dans la loi communale, lorsque vous avez organisé le principe de la publicité des délibérations des conseils communaux, on a exigé que l’on mît aussi une disposition pénale.

Ces dispositions sont certainement des règles pour l’autorité judiciaire, et ces règles, l’autorité judiciaire est bien obligée d’aller les chercher dans la loi provinciale et communale. C’est en faveur de l’ordre que vous avez agi ainsi ; avez-vous moins de souci pour la liberté individuelle ?

Les règles qu’il s’agit de prescrire aux juges pour protéger la liberté individuelle seront aussi bien trouvées par eux dans cette loi que les autres cas de pénalité qui y sont déjà contenus ; c’est donc mal à propos que l’on veut écarter certaines dispositions qui, au fond, n’ont pas été sérieusement contestées, et qu’on veut écarter sous le prétexte qu’elles ne peuvent entrer dans la loi communale.

Je crois qu’il y a lieu de s’occuper de tous les amendements, et je persiste à penser que l’on gagnera du temps en renvoyant tous les amendements à la section centrale.(Aux voix ! aux voix !)

M. Raikem. - Je n’ai que quelques mots à dire pour répondre aux objections présentées par l’honorable préopinant. En émettant mon opinion précédemment, je n’ai pu nullement prévoir si l’on adopterait ou non l’amendement de M. Jullien ; mais j’ai fait observer que cet amendement rentrait dans les dispositions de la loi communale et ne s’en écartait en aucune manière en ne faisant intervenir que l’autorité municipale/

Sur ce point on a dit : Vous ne voulez pas faire intervenir l’autorité judiciaire dans la loi communale, cependant considérez combien de fois on l’a déjà fait intervenir pour d’autres questions.

Je réponds : Je conçois que l’on fasse intervenir l’autorité judiciaire quand il s’agit d’assurer l’exécution d’une mesure d’ordre ; mais M. Jullien croit qu’elle n’est pas nécessaire ici. La question est en celui-ci : l’intervention de l’autorité judiciaire est-elle nécessaire ? Et il faut la résoudre affirmativement avant que l’on puisse soutenir le système de l’honorable préopinant.

Mais, poursuit-on, vous devez prévenir les atteintes que l’on pourrait porter à la liberté individuelle sous le prétexte que telle ou telle personne est insensée : vous voyez donc que tout ce que l’on objecte rentre dans la question du fond ; c’est donc cette question qu’il faut traiter ; et le renvoi à la section centrale est inutile.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ce que j’ai prévu hier est arrivé ; j’ai dit que, si l’on ne résumait pas les discussions par un vote, on les recommencerait : et, en effet, aujourd’hui les discussions se sont renouvelées, embarrassées d’autres amendements. Je vous ai fait observer qu’il fallait se décider entre deux espèces de mesures, entre des mesures administratives et entre des mesures qui consisteraient dans l’organisation d’un système de législation pour les aliénés ; j’ai dit qu’il fallait faire une loi spéciale à cet égard. On paraissait disposé à adopter ce que je proposai.

On pouvait en effet se contenter d’insérer dans la loi communale la disposition de la législation de 1790 qui donne aux autorités communales le droit de prendre des mesures provisoires, des mesures de nécessité, et renvoyer les autres mesures à prendre à une autre loi. J’ai annoncé que les matériaux pour cette autre loi étaient préparés dans mon ministère et que j’étais prêt à présenter un projet sur cette matière.

La section centrale vous a fait un rapport sur la question ; après la longue discussion d’hier, on a renvoyé la suite de la discussion à la séance de ce jour ; tout le monde a donc pu se former une opinion et tout le monde peut voter. Je ne crois pas que nous gagnions rien en renvoyant encore une fois l’objet qui nous occupe à la section centrale. Si nous consentons à passer à la délibération sur les amendements, je crois qu’il faut donner la priorité à celui de M. Jullien, parce qu’il est en harmonie avec la proposition du gouvernement qui ne demande que des mesures administratives.

Je fais une grande différence entre des dispositions judiciaires qui porteraient la sanction de quelques règles de la loi communale et les dispositions judiciaires que l’on présente ici.

Les règles de la loi communale dont il s’agit en ce moment n’ont pas besoin de sanction. La question est celle-ci : Voulez-vous que le collège des bourgmestre et échevins puisse prendre temporairement et sous sa responsabilité les mesures nécessaires pour éviter les accidents qui résulteraient de la divagation des insensés ? Est-il convenable ou non de régulariser la législation en ce qui concerne la détention des insensés pendant un temps plus ou moins long ? Je crois qu’on peut répondre affirmativement ; et relativement à la seconde question, je le répète, je suis prêt à présenter un projet, à moins que la chambre ne croie que la proposition de M. de Brouckere soit capable de servir de base. Aujourd’hui comme hier je pense que c’est là la seule marche à suivre.

- Le renvoi des amendements à la section centrale, mis aux voix, n’est pas adopté.


M. Dumortier, rapporteur. - La discussion n’a pas été ouverte aujourd’hui sur la question du fond ; je demande à faire une observation. Je suis disposé à me réunir à l’opinion de M. de Brouckere, et j’accorderai la priorité à cette proposition en y faisant une modification.

Je crois qu’il faut que l’administration soit investie d’un pouvoir ; mais je voudrais que ce pouvoir fût restreint aux cas d’urgence.

Je voudrais donc que l’on dît dans l’amendement : « En cas d’urgence le collège de régence prononcera la séquestration provisoire. L’expression au besoin ne me paraît pas suffisante ; c’est dans les cas d’urgence qu’il faut donner des pouvoirs aux bourgmestre et échevins.

Je rappellerai le passage qu’a cité l’honorable M. Dubus, duquel il résulte que le gouvernement français a reconnu que la séquestration des insensés appartenait à l’autorité judiciaire, mais que c’était seulement par exception que l’on déferait cette faculté à l’autorité communale. J’engage de nouveau l’honorable M. Lebeau à opérer la modification que j’indique. Je réclame la priorité pour son amendement.

M. Lebeau. - En mettant l’expression au besoin dans mon amendement, j’ai cru satisfaire à toutes les exigences. C’est même une espèce de pléonasme dans l’hypothèse dont il s’agit, puisqu’il est question de furieux et d’insensés. Le mot au besoin s’appliquera à ceux d’entre eux qui ont des intervalles de lucidité. Mais il me semble que l’expression d’urgence ne peut se trouver dans la loi.

Je persiste à croire que mon amendement doit obtenir la préférence sur celui de l’honorable M. Jullien, parce qu’il ne préjuge rien, si ce n’est qu’il donne à la chambre une garantie qu’elle désire trouver dans la loi : le principe du recours au pouvoir judiciaire sur les arrestations exécutées par l’autorité municipale.

L’amendement de M. Jullien d’ailleurs rencontrerait des difficultés d’exécution là où il n’y a ni hospices, ni maisons de santé, ni maisons de sécurité ; et à ce propos je demanderai, comme l’a fait un honorable préopinant, ce que c’est qu’une maison de sécurité. Pour ce qui est de la séquestration provisoire des insensés, vous avez fait tout ce qu’il y avait à faire, et quand vous ferez une loi spéciale, vous aurez satisfait à toutes les exigences raisonnables ; cette loi, on vient de vous le dire, est prête à vous être soumise ; la proposition de l’honorable M. de Brouckere peut, d’ailleurs, faire immédiatement l’objet de nos délibérations, et j’y vois, pour mon compte, je le répète, tout au moins un fort bon canevas.

M. Raikem. - Si j’ai bien compris l’amendement du préopinant, il faudrait en référer à l’autorité judiciaire en cas de séquestration d’un insensé, et l’autorité judiciaire devrait décider d’après les formes à établir par la loi.

Je n’ai pu saisir du premier coup d’œil la portée de l’amendement. Je crois cependant que dans le moment actuel l’on ne pourrait faire usage du pouvoir qu’il donne à l’autorité municipale. Cependant les lois sont faites pour être exécutées ; si l’amendement consiste à en appeler à la législation à intervenir pour mettre le principe à exécution, je pense que l’on ne peut l’admettre ; nous aurions une disposition qui ne pourrait être exécutée, qui devrait être complétée par une autre loi. Quant à moi, je pense que si l’on adoptait la proposition de l’honorable M. Jullien, il vaudrait mieux faire une loi complète sur la matière si tant est que nous en ayons besoin d’une.

M. Lebeau. - Cela me paraît évident. J’ai dit qu’il me semblait qu’un projet spécial, celui qu’on nous annonce ou celui de l’honorable M. de Brouckere, devait compléter la législation sous ce rapport. Autant je suis disposé à accorder aux autorités communales la faculté de séquestration provisoire de la manière la plus explicite, de manière à faire cesser tout doute en faveur de cette autorité, autant je veux obtenir la garantie que par le recours à l’autorité judiciaire, il ne pourra jamais être abusé de cette faculté et porté atteinte à la liberté individuelle.

M. Raikem. - Il a été dans l’intention des auteurs des amendements de prendre des mesures de précaution et en même temps de donner toute garantie au principe de la liberté individuelle. L’amendement de M. Jullien a cet avantage qu’il pourra être mis à exécution dans la loi communale, tandis que celui de M. Lebeau dépend quant à l’exécution de la loi à intervenir. Le premier doit donc avoir la préférence sur le second.

M. Dubus. - Il me paraît que le but des partisans de l’amendement de M. Jullien se développe. Il me semble manifeste, quant à moi, que l’on a entendu empêcher que l’on pose dans la loi actuelle le principe d’une autre loi. L’on ne veut pas que l’on dise plus tard : Nous avons prescrit qu’une autre loi serait faite ; il faut que cette loi soit votée.

Ainsi d’une part quand on demande des garanties pour la liberté individuelle à propos d’un article général qui peut la compromettre, on nous répond : Ce n’est pas ici le lieu de s’occuper ; elles seront mieux placées dans la loi de ces questions et lorsqu’ensuite nous réclamons qu’au moins il soit fait mention dans la proposition de la loi à intervenir, on a peur qu’il en résulte un engagement en faveur de cette liberté individuelle que l’on veut compromettre.

J’appelle toute votre attention réfléchie sur cette discussion. L’on semble redouter que le principe même que nous réclamons ne soit posé dans une autre loi.

Vous devez tirer de tout ceci une conséquence évidente, c’est qu’il est nécessaire de poser cette garantie dans la loi que vous faite. Ne donnez pas une arme dont on puisse abuser sous le prétexte d’une seconde loi. C’est au moment où vous avez les agents du gouvernement, car les bourgmestres et les échevins seront par cette loi les agents du gouvernement, c’est en ce moment qu’il faut poser dans cette loi des dispositions propres à prévenir l’abus de l’arme que vous confiez.

Mais l’on craint de déclarer dans la loi communale que l’intervention de l’autorité judiciaire sera réglée par une loi pour l’arrestation des insensés et des furieux. C’est que l’on a peur des magistrats inamovibles indépendants du pouvoir.

L’amendement de l’honorable M. Lebeau offre toute garantie. Au contraire, l’adjonction faite dans celui de M. Jullien est complètement inutile. Je défie que l’on dise quand le ministère public aura à faire quelque chose. On lui donnera avis de la séquestration de l’individu. Mais que fera-t-il ? Il sera en présence de la décision administrative. On lui dira que l’affaire n’est pas de sa compétence. Il faudrait que l’on expliquât de quelle nature sera son intervention. Si vous croyez que la décision administrative soit de sa compétence, au moins insérez-le dans la loi.

L’on a cité les articles de la loi qui fixent l’action du procureur du Roi. Oui, le ministère public a à s’occuper de séquestration si c’est une détention. Mais l’on a dit que la séquestration des insensés et des furieux ne pouvait être assimilée à une détention. Ainsi, l’on se prévaudra des dispositions et du texte même de la loi pour repousser l’intervention du ministère public.

Ainsi, l’amendement de M. Jullien ne donne aucune garantie. Il ne peut satisfaire ceux qui craignent les abus. L’amendement de l’honorable M. Fleussu atteignait mieux le but que nous nous proposons. Je ferai remarquer qu’on l’a bien critiqué ; mais que, quant au fond, on ne l’a pas discute.

Il me semble, pour l’ordre de la délibération et de la mise aux voix, que c’est la proposition qui modifie le plus celle du gouvernement qui devrait obtenir la priorité. La proposition de M. Fleussu remplit cette condition. Ce ne serait que dans le cas du rejet de cet amendement qu’il faudrait passer à celui de M. Lebeau, moins explicite que le premier. Cette marche est rationnelle. Les partisans de l’amendement de M. Fleussu, s’il est rejeté, se rallieront à celui de M. Lebeau, qui, s’il n’assure pas les garanties que nous voudrions voir dans la loi communale, pose le principe que ces garanties existeront dans un acte séparé du pouvoir législatif.

M. Jullien. - Vous me permettrez de répondre puisque j’ai été interpellé. Les observations qui vous ont été présentées par un des honorables préopinants ont été dictées par une défiance extrême des administrations municipales. On croirait d’après cela que ces administrations ne sont composées que d’hommes appartenant au gouvernement. Si cela était vrai, il faudrait encore examiner si toutes les fois que le gouvernement touche à quelque chose, on doit être en défiance.

Mais les administrations communales ne sont pas composées d’hommes du gouvernement ; si le bourgmestre est nommé par le Roi, il est aussi l’élu du peuple, car il était conseiller municipal avant d’être nommé bourgmestre ; si les échevins sont nommés par le Roi, c’est sur une liste triple de candidats présentée par le conseil municipal. Ce sont donc bien les élus du peuple. Je ne sais pas pourquoi on voudrait traiter avec défiance dans cette assemblée des administrations ainsi composées.

On a peur, dit-on, de l’autorité judiciaire. Nous en avons si peu peur que nous venons, au moyen de l’avis qu’on sera tenu de lui donner dans les deux ou trois fois 24 heures, d’appeler son investigation sur l’arrestation afin de prévenir tout abus.

Le procureur du Roi, dit-on, que fera-t-il ? Il fera ce que lui prescrit l’article 616 du code d’instruction criminelle. D’après l’article 616, toutes les fois que le procureur du Roi ou le juge de paix est averti qu’un individu est retenu dans un lieu qui n’a pas été destiné à servir de maison d’arrêt de justice ou de prison, il est tenu, sous peine d’être poursuivi comme complice de détention arbitraire, de prendre connaissance des faits ; il verra si l’autorité municipale a usé ou abusé de son pouvoir. S’il reconnaît que l’autorité communale n’a fait qu’user du pouvoir qui lui est conféré, le procureur du Roi approuvera ou devra approuver le dépôt de l’aliéné. S’il pense au contraire que l’autorité communale a abusé de son pouvoir, il se transportera sur les lieux et ordonnera que l’individu soit mis sur-le-champ en liberté. Vous voyez que toutes les précautions sont prises

Personne n’entend s’opposer à ce qu’on propose une loi qui règle de quelle manière on devra faire entrer ou sortir les individus placés dans les hospices pour aliénation. Mais quant à présent, il n’y a aucun inconvénient à adopter la proposition du ministre et mon amendement.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - On paraît vouloir faire revenir la chambre sur un vote qu’elle a émis hier après une longue discussion. On avait proposé de renvoyer le principe et. les amendements, et de faire du tout une loi spéciale, Vous avez rejeté cette proposition. Et dans quel dessein l’avez-vous rejeté ? Pour poser le principe en ce qui concerne les mesures administratives à prendre. Aujourd’hui, on veut que ces mesures administratives soient subordonnées à une loi qu’on fera par la suite. On ne peut plus reproduire cette proposition déjà écartée par la chambre.

Quant à ma proposition, je ferai remarquer de nouveau qu’elle n’innove pas. Je ne fais qu’introduire dans la loi communale une disposition de la loi de 1790, qui s’exécute sans difficulté, qui dans son application n’a présenté aucun abus et n’a donné lieu à aucune réclamation.

Je persiste à demander la priorité pour l’amendement de M. Jullien qui se concilie très bien avec la disposition du gouvernement.

M. Dumortier, rapporteur. - Je proposerai un sous-amendement à la proposition de M. Lebeau. C’est de substituer aux mots : « d’après les formes à établir par la loi, » ceux-ci : « Conformément aux lois. »

M. Raikem. - Je demande la parole pour faire une observation à l’honorable préopinant. Déjà l’honorable M. Jullien a répondu aux arguments tirés de ces prétendues craintes que nous aurions de l’autorité judiciaire et des dangers que pourrait courir la liberté individuelle ; il a parfaitement démontré qu’il ne s’agissait que d’une mesure provisoire.

Quant aux mots : « conformément aux lois » que l’honorable préopinant vient de proposer de substituer aux mots « d’après les formes à établir par la loi, » je désirerais qu’il voulût bien nous expliquer la portée de son sous-amendement, si par ces mots : « conformément aux lois, » il entend les dispositions du code civil eu matière d’interdiction. J’attendrai l’explication de l’honorable membre pour lui répondre.

M. Dubus. - Je demande à faire une dernière observation relativement à l’ordre de la délibération. M. le ministre de la justice a trouvé que l’amendement de M. Jullien se conciliait avec la proposition du gouvernement. Cela ne m’étonne pas ; cet amendement, dans mon opinion, n’ajoute rien à la disposition du gouvernement, c’est une phrase nulle. Et le ministre a conclu à ce qu’on lui donnât la priorité.

Je ferai observer que précisément parce que cet amendement n’ajoute rien ou presque rien à la disposition, on ne doit pas lui donner la priorité, à moins qu’on ne veuille violer le règlement. Aux termes du règlement, c’est l’amendement qui s’éloigne le plus de la proposition principale qui doit d’abord être mis aux voix, afin que ceux qui ne veulent d’une disposition intermédiaire que dans le cas où la plus éloignée serait rejetée, puissent voter.

C’est ainsi que ceux qui veulent de la proposition de. M. Fleussu si elle est rejetée, pourront se rallier à celle de M. Lebeau ; et si toutes deux sont écartées, peut être adopté l’amendement de la section centrale modifié par M. Dumortier.

Il faut suivre le règlement, sans cela bien des membres seront mis dans l’impossibilité de voter. Ce n’est qu’en se conformant au règlement qu’on mettra tous les membres à même de se prononcer sur tous les amendements.

M. Dumortier, rapporteur. - Je demande qu’on mette d’abord aux voix la proposition de M. Fleussu, puis celle de M. Lebeau, ensuite l’amendement de la section centrale, celui que j’ai proposé, et enfin celui de l’honorable M. Jullien. Si tous ces amendements étaient écartés, il ne resterait que la proposition du gouvernement à mettre aux voix. (Oui ! oui !)


M. le président met aux voix l’amendement de M. Fleussu.

- Il n’est pas adopté.


On passe à l’amendement de M. Lebeau que M. Dumortier a proposé de sous-amender.

M. Dumortier, rapporteur. - Je retire mon sous-amendement.

- L’amendement de M. Lebeau est mis aux voix. Il n’est pas adopté.


M. le président. - Je vais maintenant mettre aux voix l’amendement de la section centrale.

Plusieurs amendements ont été proposés, à la première disposition, par MM. de Robaulx et Gendebien.

M. Gendebien. - Je retire le mien.

M. Raikem. - Ces amendements portent sur la proposition du gouvernements dont la première disposition de la section centrale n’est que la reproduction.

- La proposition de la section centrale est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.


M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Jullien avec le sous-amendement de M. Legrelle qui substitue un délai de 3 jours à celui de 24 heures, sous-amendement auquel M. Jullien se rallie.

) Plusieurs membres. - L’appel nominal !

- L’amendement de M. Jullien sous-amendé par M. Legrelle est mis aux voix par appel nominal ; en voici le résultat :

70 membres sont présents,

2 s’abstiennent ;

68 prennent part au vote ;

56 ont voté pour l’adoption,

12 ont voté contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l’adoption : MM. Verrue-Lafrancq, Bekaert, Berger, Brabant, Coghen, Cols, Cornet de Grez, de Behr, de Foere, A. Dellafaille, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubois, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Helias d’Huddeghem, Jullien, Lardinois, Legrelle, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Pirson, Polfvliet, Troye, Raikem, C. Rodenbach, Simons, Smits, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert, Watlet, Zoude.

Ont voté contre : MM. de Brouckere, Doignon, Dumont, Dumortier, Fleussu, Gendebien, Lebeau, Meeus, Pollénus, Seron, Vanderheyden, Vergauwen.

Se sont abstenus : MM. Dubus et Trentesaux.

M. le président. - J’invite les membres qui se sont abstenus à vouloir bien, conformément au règlement, faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Dubus. - Je me suis abstenu parce que d’une part la disposition portant seulement qu’il sera donné avis au procureur du Roi et au juge de paix dans les trois jours de l’arrestation me paraît incomplète ; à ce titre je n’ai pas voulu l’adopter. D’autre part je n’ai pas voulu rejeter un amendement qui, s’il n’améliore pas sensiblement l’article, au moins ne le dénature pas.

M. Trentesaux. - Je me suis abstenu sur cet amendement comme je me suis abstenu sur tous les autres, parce que je les crois tous inutiles, et que je pense que la loi se suffit à elle-même, puisque, indépendamment des attributions spéciales aux collèges des bourgmestres et échevins que vous avez déterminées, vous les avez chargés des fonctions que la loi leur défère, et que leur devoir se trouvait tout tracé par une loi en vigueur dont la proposition du ministre ne faisait que répéter le texte.

Je suis donc fondé à dire que tous les amendements étaient inutiles et que la loi se suffisait à elle-même.


M. Dumortier, rapporteur. - Les amendements de M. le ministre de la justice n’ont pas été votés.

M. Gendebien. - J’ai compris que l’on votait à la fois sur la proposition de M. Jullien et celle du ministre de la justice. (Oui, oui). Je demande l’insertion au procès-verbal de mon vote négatif.

M. le président. - Le vote négatif de M. Gendebien sera inséré au procès-verbal.

Quant à l’amendement de M. Pirson, la chambre, sans doute, le considère écarté par celui qui vient d’être adopté.

- La séance est levée à quatre heures et un quart.