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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 6 mai 1835

(Moniteur belge n° 127, du 7 mai 1835 et Moniteur belge n°128, du 8 mai 1835)

(Moniteur belge n°127, du 7 mai 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.

M. Brixhe donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse de la pétition suivante.

« «Le sieur James Hodson, aîné, commandant d’un détachement de volontaires dans les premiers jours de la révolution, demande que la chambre mette à la charge de l’Etat la somme de 472 fl. 26 c., qui lui est réclamée du chef de 81 fusils pour armer sa compagnie. »

- Cette pétition est renvoyée à la commission chargée d’en faire le rapport.


M. de Brouckere informe la chambre qu’il est dans l’impossibilité de se rendre à la séance du jour.

Projet de loi communale (titre premier), amendé par le sénat

Discussion générale

M. Nothomb. - Messieurs, je ne sais si à travers les émotions qui sont venues se placer entre notre dernière séance et celle d’aujourd’hui, je parviendrai à renouer la discussion qu’un grand événement national a interrompue. (Note du webmaster : l’inauguration de la première ligne du chemin de fer).

Deux orateurs, vous ont dit avant-hier avec beaucoup de raison, quoique sans grand mérite de nouveauté, que le gouvernement sous lequel la Belgique s’est placée, est un gouvernement de majorité ; j’accepte ce principe comme point de départ dans cette discussion ; je veux que la commune soit constituée de manière à ce que le gouvernement central reste un gouvernement de majorité, et je soutiens que si cette chambre reproduit l’opinion que le sénat a réformée, le principe de la majorité sera compromis ; il ne suffira plus au gouvernement central pour exister d’avoir pour lui la majorité parlementaire, il lui faudra surtout l’assentiment de toutes les assemblées communales que vous instituez sans possibilité de dissolution et en leur attribuant une partie du pouvoir exécutif, assemblées qui, prises isolément, ne sont que des minorités par rapport à la grande majorité nationale que nous formons et qui seule a le droit de déterminer le gouvernement.

Avant d’aller plus loin, qu’il me soit permis de me féliciter d’être d’accord sur le principe de la majorité avec deux honorables collègues qui ont presque constamment appartenu à la minorité de cette chambre, et qui rendent ainsi généreusement hommage à un principe dont ils ont été si souvent les victimes.

Ce principe de la majorité, messieurs, est la plus importante conquête de notre révolution ; c’est la plus haute expression de notre indépendance. De 1815 à 1830, il n’a point existé pour nous, et c’est parce qu’il était impossible, dans un sens belge, que le pays s’est séparé de la Hollande, que, pour se séparer de la Hollande, il a consenti à faire une révolution. Si de 1815 à 1830 il y a eu un gouvernement de majorité, c’était le gouvernement d’une majorité étrangère, un gouvernement pour qui la Belgique était une minorité. Là est le grand résultat de la révolution de 1830 ; la Belgique se gouverne elle-même par l’action d’une majorité sortie de son sein, cette majorité n’est plus étrangère, elle est nationale ; elle est le résultat d’un système électoral qui est presque le suffrage universel.

Pour que le gouvernement de la majorité parlementaire soit une réalité, il faut que l’exécution de la volonté nationale soit assurée, il faut que le ministère, qui, quoiqu’institué par le Roi, n’est que le premier agent de la majorité parlementaire, puisse faire exécuter les lois par les agents secondaires dont il dispose ; c’est ainsi, messieurs, que j’arrive à l’objet qui nous occupe plus spécialement.

La question réduite à ses termes les plus simples est celle-ci : Comment s’exercera le pouvoir exécutif dans la commune ?

Pour la commune, de même que pour la province et la nation, la puissance publique est dans la délibération et l’exécution : la délibération est dans le conseil élu par la commune ; l’exécution est en dehors du corps délibérant ; il est donc facile de concilier l’article 29 de la constitution qui attribue au Roi le pouvoir exécutif, et l’article 31 qui porte que les intérêts exclusivement communaux sont réglés par les conseils communaux : le conseil communal règle les intérêts communaux par cela qu’il délibère et décide : la volonté communale est dans le conseil ; le gouvernement conserve le pouvoir exécutif en ce qu’il met à exécution ce que la commune a voulu par son conseil. Ainsi, en règle générale, ce que le conseil communal n’aura pas voulu, ne pourra recevoir d’exécution : dans cette impossibilité d’exécution est la garantie de la commune ; garantie négative, mais toute puissante, qui est toute la liberté communale.

Ce n’est là, messieurs, que placer la commune dans une situation analogue à celle de la nation ; les intérêts nationaux sont réglés par les deux chambres, qui délibèrent et décident ; ce que les deux chambres n’ont pas voulu ne peut recevoir d’exécution, et dans cette impossibilité d’exécution est pour la nation la suprême garantie.

A ces propositions qui naissent de la nature même des pouvoirs, on oppose la distinction suivante : Dans la commune il y a un pouvoir exécutif d’un genre particulier ; il faut distinguer le pouvoir exécutif qui tient aux lois et aux intérêts généraux du pouvoir exécutif qui tient aux arrêtés locaux et aux intérêt communaux ; la première espèce de pouvoir exécutif doit appartenir au gouvernement central, la deuxième à la commune ; ici la commune doit non seulement décider, mais encore faire exécuter ; s’il est impossible de séparer ces deux sortes de pouvoir exécutif, il ne reste qu’à les confier à des agents nommés à la fois, tous ou la plupart, par le gouvernement et les électeurs.

C’est à l’aide de cette distinction qu’on est parvenu à contester au gouvernement une portion du pouvoir exécutif dans la commune.

Ayant ainsi créé un pouvoir exécutif complexe, on a été amené à en déléguer l’exercice à des agents à la fois nommés par le gouvernement central et élus par le peuple. Selon moi, c’est ici qu’est la première déviation : la nature du pouvoir exécutif a été méconnue, l’unité en a été détruite. Au lieu d’un bourgmestre unique, on nous a proposé de créer un collège d’échevins dont le bourgmestre n’est que le président ; de donner à la fois une part dans l’exercice du pouvoir exécutif au gouvernement, et une part à la commune. Il y ici un bourgmestre en plusieurs personnes ; si, tout en laissant au conseil communal le droit de régler, par ses délibérations, les intérêts exclusivement communaux, vous aviez maintenu l’unité du pouvoir exécutif, la question serait restée très simple, et les difficultés qui la rendent presque insoluble ne seraient pas venues à naître.

Un honorable orateur, M. Fallon, qui avant-hier a ouvert la discussion, a comparé le collège des échevins à la commission permanente du conseil provincial ; il a trouvé qu’il y avait entre les deux institutions identité parfaite, il nous a dit : Vous avez placé dans la province à côté du gouverneur une commission permanente du conseil provincial, de même il vous faut placer dans la commune à côté du bourgmestre une commission permanente du conseil communal.

Cette analogie étant ainsi strictement établie, le mode de nomination se présente de lui-même, et l’honorable député de Namur aurait pu ajouter : « Le conseil provincial nomme la commission permanente dans la province, de même le conseil communal nommera la commission permanente dans la commission. » Et remarquez, messieurs, que si ce système d’analogie est vrai, l’élection directe du collège des échevins par les électeurs est écartée comme une inconséquence.

Selon moi, messieurs, il n’y a pas de similitude entre les deux institutions ; et il me sera facile de le prouver. La commission permanente du conseil provincial n’est qu’un pouvoir délibérant comme ce conseil lui-même ; il n’est pas le pouvoir exécutif de la province ; je ne parle pas des attributions judiciaires qui en font un tribunal administratif.

Le conseil provincial n’a qu’une session annuelle qui peut être très courte ; on a senti la nécessité de faire siéger, en quelque sorte, dans l’intervalle d’une session une commission permanente, délibérant sur tous les objets qui ne semblent pas d’une assez haute importance pour être réservés à la session annuelle ordinaire ou pour autoriser une session extraordinaire.

Faites maintenant le parallèle entre ces institutions provinciales et les institutions communales que vous projetez. Le conseil communal n’a-t-il qu’une session annuelle fixe et limitée ? Est-il dans la nécessité de se faire remplacer dans l’intervalle de ses sessions par une commission permanente ? Le pouvoir que vous voulez déléguer à cette commission permanente de la commune, est-ce le pouvoir de délibérer sur des objets qui ne semblent pas assez importants pour être soumis au conseil communal en assemblée générale ?

A toutes ces questions, vous êtes forcés de répondre non, et dès lors comment une assimilation est-elle possible ? Vous demandez pour la commune ce que l’on a donné à la province ; soit : donnez donc à la commission permanente du conseil provincial le pouvoir exécutif en ne laissant au gouverneur que l’influence de son vote, ou bien ôtez le pouvoir exécutif à la commission permanente de la commune.

On me dira qu’il est inutile d’instituer dans la commune une commission permanente purement délibérative, que le conseil communal peut se réunir assez souvent pour régler par lui-même tous les intérêts communaux indistinctement.

Je crois en effet, messieurs, que ceci est vrai dans toutes les communes autres que les grandes villes ; et ici je me permettrai de signaler un vice fondamental, selon moi, de la loi que nous discutons.

Je crois qu’il aurait fallu distinguer entre les grandes villes et les autres communes ; je crois que dans les grandes villes, les intérêts communaux sont assez multipliés et assez compliqués, le conseil communal assez nombreux, pour que la délégation d’une commission permanente puisse être utile et même indispensable ; je consentirai donc à transporter dans l’organisation communale des grandes villes l’institution des commissions permanentes placées à côté du bourgmestre et émanées du conseil communal ; mais dans ce cas encore je n’attribuerai pas à ces commissions permanentes le pouvoir exécutif ; le bourgmestre restera dans la commune ce qu’est le gouverneur dans la province ; le bourgmestre exercera le pouvoir exécutif par suite des décisions presque quotidienne de la commission permanente que l’on nommera, si l’on veut, collège des échevins, et sous ses yeux en quelque sorte. Je comprends aussi que dans les grandes villes il sera convenable d’attribuer à un autre que le bourgmestre le soin de la réduction des actes de l’état-civil ; mais ce n’est pas là une partie essentielle du pouvoir exécutif.

En résumé, je dirai donc à l’honorable orateur à qui j’essaie de répondre, que selon moi il n’y a pas d’analogie entre les commissions permanentes purement délibératives que l’on a instituées dans les provinces, et les commissions permanentes exécutives que l’on veut instituer dans les communes ; j’ajouterai que par exception je pourrai consentir à transporter dans les grandes villes l’institution des commissions permanentes délibératives pour des raisons toutes spéciales qui rapprochent l’organisation des grandes villes de l’organisation provinciale.

J’ai dit qu’il y avait eu une première déviation par l’établissement d’un pouvoir exécutif complexe ; il y a eu une seconde déviation des principes généraux, et celle-ci a conduit à une disposition exorbitante.

On a voulu que le bourgmestre participât en règle générale de l’élection populaire et de la nomination royale, c’est-à-dire qu’il fût choisi par le Roi dans le conseil ; cela posé, on a placé le conseil communal en dehors du droit commun des corps électifs, c’est-à-dire qu’on l’a rendu indissoluble ; mais, après avoir admis cette indissolubilité, on a trouvé que le Roi, forcé de faire le choix de son agent principal dans un conseil immuable, avait un droit très restreint ; on lui a donc permis de prendre, pour des motifs graves, cet agent hors du conseil ; mais l’agent ainsi pris hors du conseil n’aurait pas eu le double caractère de l’élection populaire et de la nomination royale ; on le lui donne par je ne sais quelle fiction ; pris hors du conseil, on le déclare de droit membre du conseil ; disposition exorbitante, je le répète, à laquelle on n’a été amené que parce que l’on a persisté à immobiliser le conseil communal en le rendant indissoluble.

On n’a pas osé dire : Vous choisirez dans tous les cas votre agent dans un corps élu que vous ne pourrez essayer de faire renouveler ; on a dit : Vous laisserez subsister ce conseil qui ne vous offre pas un membre digne d’être, selon vous, votre agent, vous ne le dissoudrez point ; vous ferez votre choix en dehors du conseil, et votre agent ainsi nommé sera membre du conseil.

Dans votre session précédente, j’ai déjà eu l’occasion de faire remarquer qu’il y avait une corrélation jusque-là inaperçue entre le droit de dissoudre le conseil et celui de choisir le bourgmestre dans le conseil ; j’avais dit que la nécessité de faire ce choix dans le conseil était un argument puissant en faveur de la dissolution ; et, en effet, pour échapper à cette conséquence, on a été forcé de permettre le choix hors du conseil, en créant l’agent ainsi nommé membre du conseil.

Un membre. - C’est vrai.

M. Nothomb. - J’avais donc raison de dire qu’il y avait en faveur de la dissolution du conseil communal un argument qui n’existe pas à l’égard du conseil provincial.

Je sais, messieurs, que ces opinions sont assez mal sonnantes dans cette enceinte ; vous les exposer, c’est vous rejeter bien loin du cours habituel des débats ; je risque, je le sais aussi, d’être accusé d’un grand penchant vers ce qu’on appelle les théories, mais je me résigne facilement, et dans l’intérêt du pays je souhaite recevoir un démenti de l’avenir.

J’ai vu avec peine la création d’un pouvoir exécutif multiple, adoptée par le ministère et l’abandon du principe de la dissolution ; ces deux prémisses posées, il est impossible, à mon avis, d’arriver à un système vrai, complet. On essayera de diverses transactions, mais ce ne sont que des transactions péniblement enfantées, et que l’expérience ne sanctionnera pas. Cependant, comme je n’ai de choix qu’entre des transactions, j’accepterai celle qui laisse le plus de force au gouvernement central, c’est-à-dire le projet qui vous est soumis par le sénat, en me réservant toutefois mon vote sur la proposition qui confère la qualité de membre du conseil au bourgmestre choisi hors du conseil, proposition sur laquelle j’attendrai les explications que l’on voudra bien nous donner.

Dans l’organisation communale, comme dans l’organisation provinciale et nationale, je trouve la volonté et l’exécution : la volonté, je la place dans un corps librement et directement élu, mais sujet à l’épreuve de la dissolution ; l’exécution, je la place dans un agent unique, à nommer et à révoquer par le gouvernement central. Je soutiens que l’existence du conseil communal électif sans la volonté duquel aucun acte d’exécution dans le cercle des intérêts locaux n’est possible, est toute la liberté communale.

M. de Robaulx. - Ainsi plus de commune, et centralisation.

M. Nothomb. - Je vous dirai dans quel sens je maintiens la commune et la centralisation, car j’arriverai à ce fameux mot.

Par exception, et sans détruire l’unité ni le caractère du pouvoir exécutif, je donne aux grandes villes une commission permanente purement délibérative à l’instar de ce qui existe dans la province, et que pour des motifs analogiques j’ai essayé d’établir.

Voilà comme je conçois une organisation communale en harmonie avec notre organisation nationale toute moderne, et à laquelle il m’est impossible d’adapter l’ancien système communal. Je le répète, c’est sans le moindre espoir de succès que je me hasarde à énoncer ces idées, mais une discussion générale admet même quelque hors-d’œuvre ; vous me pardonnerez celui-ci, si c’en est un.

On a reproché au sénat, on vous a reproché à vous-mêmes, de faire moins pour les libertés communales que n’avaient fait l’ancien régime, le régime hollandais, le gouvernement provisoire ; dans les discussions soulevées par la loi provinciale et communale, on a souvent cité le passé ; il aurait fallu bien définir le passé, avant de l’assigner comme modèle au présent ; le passé une fois hier, défini, il aurait fallu se rendre compte de la différence des situations.

L’ordre de choses fondé par la révolution de 1830, est une innovation ; l’ancien régime n’en offrait qu’une faible ébauche. Je fais consister le gouvernement central dans les chambres législatives et dans la royauté, et je soutiens que l’innovation est encore plus grande en ce qui concerne les chambres, qu’en rapport à la royauté.

Ce serait une grave erreur que d’assimiler les anciens états-généraux à nos chambres législatives. Les anciens états-généraux ne formaient pas une partie essentielle du gouvernement ; ils étaient composés des délégués des états de chaque province ; ces délégués recevaient un mandat spécial ; les états-généraux ainsi formés, se réunissaient de loin en loin, dans des cas extraordinaires. L’institution des états-généraux n’avait donc rien de permanent ni de fondamental : il ne s’y rattachait ni idée de représentation nationale, ni obligation de convocation périodique. Les états-généraux votaient l’impôt ; et le vote de l’impôt constituait la principale garantie publique ; le pouvoir législatif, tel qu’il est connu de nos jours, n’existait point ; le prince rendait seul les lois sous le nom d’ordonnances, en respectant toutefois les coutumes et les franchises du pays. Tout cela a disparu.

Nous avons institué des états-généraux élus directement, et non délégués par les états provinciaux ; qui représentent, non la province, mais la nation ; qui, non seulement votent l’impôt, mais qui font les lois. Il a donc surgi parmi vous une puissance nouvelle, la puissance législative, attribuée aux chambres, sous la condition du concours royal.

Si, sous l’ancien régime, on avait ôté aux états-provinciaux le vote de l’impôt, que leur serait-il resté ? Rien, ou presque rien. Les villes et les communes s’administraient elles-mêmes ; le pouvoir judiciaire était même municipalisé, si je puis m’exprimer de la sorte ; la mission des états provinciaux était presque tout entière dans le vote des subsides ; car, qu’on le remarque bien, l’administration, monstrueusement unie à la haute, basse et moyenne justice, était plus bas que les états-provinciaux, elle était dans la commune.

Il s’est donc fait un déplacement complet de toute la puissance publique ; le droit de voter l’impôt est sorti de la province pour être dévolu aux chambres législatives ; l’administration a été séparée du pouvoir judiciaire, et comme corps administratifs, les conseils provinciaux ont pris place au-dessus des autorités municipales ; il a été institué un gouvernement général, centre de l’action politique.

Toutes les conditions sociales sont donc aujourd’hui changées ; ceux qui demandent une espèce de restauration des institutions communales, n’ont point saisi le véritable caractère de l’ancien régime ; ceux qui veulent effrayer le pays sur la perte de ses anciennes franchises communales, n’ont point saisi le véritable caractère du régime nouveau.

La commune, c’est tout l’ancien régime ; aujourd’hui la nation, la province même dominent la commune ; la commune n’a plus qu’une existence secondaire ; ce n’est plus le tout ; ce n’est plus qu’une partie de l’ordre nouveau. Et il y a un grand progrès dans ce mouvement qui a porté les forces sociales de la base au sommet en leur imprimant l’unité ; c’est ce mouvement qui a fait qu’il y a une Belgique, une nation belge.

De 1815 à 1830, il a existé un gouvernement central, mais qui n’était pas national pour nous ; la nationalité belge se replia sur elle-même dans la commune et la province, désespérée de ne pouvoir se déployer dans les institutions qui formaient le gouvernement central.

Au défaut de ces libertés dont jouissent les nations comme nations, on était même disposé à exagérer les besoins de communale et provinciale ; n’osant demander à l’avenir l’indépendance, on demandait au passé le régime communal comme une consolation.

Je ne chercherai pas jusqu’à quel point l’organisation communale octroyée par le roi Guillaume en 1817 et 1825 est plus ou moins libérale que l’organisation que nous projetons ; il me suffit d’insister sur ce fait, que les situations sont changées. Le gouvernement déchu, comme je l’ai dit en commençant, n’était pas pour nous un gouvernement national, un gouvernement de majorité.

Le gouvernement de la majorité, c’est le principe nouveau, que nous avons conquis en proclamant notre indépendance ; aujourd’hui le gouvernement n’est plus je ne sais quel être en dehors du pays ; le gouvernement c’est le pays ; le gouvernement ce n’est pas le Roi seul, c’est le Roi et la majorité des deux chambres.

Attribuer au roi tel ou tel droit, c’est au fond l’attribuer à des ministres qui ne sont que les organes de la majorité parlementaire. Je ne dirai pas avec l’honorable M. Fleussu que le gouvernement représentatif est la lutte entre le trône et l’élément populaire : je suppose que j’ai bien saisi ses paroles ; c’est selon moi la lutte entre les divers intérêts du pays, lutte admirablement organisée, lutte dans laquelle le trône n’est pas acteur, mais dont il est seulement spectateur ; sa place est en dehors de la lutte, sa mission est de reconnaître quel est l’intérêt qui est en majorité dans le pays, et c’est à cette majorité qu’il donne le pouvoir par le choix de ses ministres. La lutte est alors entre la majorité en possession du ministère, et les minorités qui y aspirent, qui auront à leur tour le pouvoir si elles cessent d’être des minorités, si l’une d’elles devient majorité ; ce jour-là, le pouvoir se déplacera, et malheur au trône qui, s’obstinant à conserver le pouvoir à la majorité déchue, entrerait en lutte avec la majorité nouvelle.

J’ai entendu dire qu’il se peut qu’un ministère réunisse toutes les opinions ; je le veux bien ; mais alors il y aura des ministres, mais pas de ministère ; tôt ou tard le principe de la majorité rétablit l’unité ministérielle.

L’organisation communale enfin, que le gouvernement provisoire a improvisée, et en face de laquelle nous nous trouvons encore, est toute de circonstance ; on ne pouvait laisser debout les municipalités instituées par le gouvernement qu’il s’agissait de détruire ; il fallait surtout remplacer par des hommes dévoués au nouvel ordre de choses les bourgmestres nommés par le roi Guillaume. Le gouvernement provisoire n’arriva pas de prime abord à l’organisation que l’on a tant préconisée ; il nomma plusieurs bourgmestres, et ce fait est très remarquable, il reconnut bientôt qu’il manquait des renseignements personnels nécessaires pour présider au renouvellement des autorités locales ; il céda à la nécessité en étendant le principe de l’élection à l’organisation communale tout entière ; il ne lui était pas possible d’agir autrement.

Ce qu’il a fait est justifié par les circonstances : il a pris la nation par sa base : la commune, pour la jeter dans le mouvement révolutionnaire.

Voilà quatre ans et plus que cette organisation exceptionnelle existe, et deux fois l’ordre public a reçu de profondes atteintes. Le gouvernement provisoire lui-même s’est vu obligé de porter la main sur son œuvre, en suspendant la régence de Gand, suspension qui n’a cessé qu’à l’avènement de la royauté. Le gouvernement du Roi a été aux prises avec la régence de Liége ; dans la lutte les deux chambres se sont jointes à lui, et il s’est trouvé moins fort que le gouvernement provisoire ; il n’a eu d’autre ressource que l’oubli ; il a condamné la régence de Liége à l’oubli : peine d’un genre tout nouveau en matière de répression administrative. Voilà l’organisation communale dont on nous fait l’éloge, que l’on voudrait perpétuer.

Je dirai donc à ceux qui invoquent l’ancien régime, qu’il n’existait point alors pour la Belgique de véritable gouvernement central, et de majorité.

A ceux qui invoquent le régime hollandais, qu’il existait bien alors pour la Belgique un gouvernement central, mais appuyé sur une majorité étrangère ;

A ceux qui invoquent le gouvernement provisoire, je répondrai que l’organisation qu’il a ébauchée n’était qu’une mesure révolutionnaire, et rien de plus.

Je demanderai à ceux qui pensent avec moi que le gouvernement nouveau est un gouvernement de majorité nationale, c’est-à-dire le gouvernement du Roi et de la majorité parlementaire qui se produit dans les deux chambres, je leur demanderai s’il faut que la puissance publique se déplace de nouveau par le rétablissement de communes presque indépendantes ; s’il faut la laisser s’échapper du sommet pour s’éparpiller de nouveau dans toutes les localités.

Ne nous laissons pas dominer par l’ancien esprit communal et provincial, ne nous laissons point entraîner par les souvenirs du régime français ou hollandais à une décentralisation mal entendue : décentraliser la Belgique serait la dénationaliser.

Conservons le gouvernement à la majorité des deux chambres législatives, majorité dont le pouvoir exécutif n’est que l’agent, et sachons bien que par une corrélation intime, le jour où le pouvoir exécutif ne sera plus rien, la majorité parlementaire ne sera plus rien, ce sera une tête sans bras, une volonté sans organe. Et ce jour-là vous essaierez en vain de rappeler à vous les éléments épars de l’action publique ; lorsque vous aurez fait reprendre à chaque province, à chaque commune son mouvement particulier, vous leur direz en vain de rentrer dans le mouvement général : vos lois réparatrices seront impuissantes.

Il a fallu la grande révolution de 90 pour niveler la Belgique. Il nous a fallu le rude apprentissage de la France et de la Hollande pour nous façonner à l’uniformité ; on ne décrète pas l’unité par une loi ; l’unité naît du temps et des événements. Ne dites donc pas que si vous avez, par votre loi communale, poussé trop tout la décentralisation, vous reviendrez sur votre œuvre.

L’ancienne existence communale que vous voulez refaire, et l’existence nationale moderne qu’il est de votre tâche de maintenir, sont incompatibles ; et l’histoire est là qui proclame cette incompatibilité ; si vous voulez être commune du moyen-âge, soyez-le, mais alors renoncez à être nation. Car qu’étions-nous jusqu’à la fin du dernier siècle ? On ne peut assez le répéter ; il y avait ici des provinces et des communes, mais pas de nation.

Le génie de la dynastie bourguignonne, le génie de notre grand empereur, car nous aussi nous avons un grand empereur, le génie de Charles-Quint donna quelque temps à notre existence une apparente unité, mais cette unité ne résultait pas des institutions, elle n’était que dans les vues de ces princes. Aussi quand une dynastie nationale est venue à manquer à nos ancêtres, le principe d’unité n’était plus nulle part ; il n’y avait que des destinées locales, jalouses, mesquines, sans grandeur, sans éclat ; il n’y avait plus de grande destinée nationale.

Voilà comment les communes et les provinces belges (car je ne dirai point la nation belge) ont traversé la seconde moitié du dix-septième siècle et le dix-huitième ; et dans quel état d’humiliation ? La politique moderne a sans doute pu compter des adversaires dans chaque localité, mais elle n’a pas rencontré ce grand adversaire que nous appelons la Belgique.

L’Escaut a été fermé : ce n’était qu’un intérêt provincial ; la Flandre a été démembrée : l’étendue territoriale de la Flandre n’était qu’un intérêt provincial ; la compagnie d’Ostende ne parvint pas à s’établir ; le commerce des Indes était un intérêt local, presque municipal.

C’est ainsi que l’ancienne diplomatie a disposé à son aise des provinces et des communes ; l’aurait-elle osé si elle avait trouvé une Belgique homogène ? Si de nos jours, pour régler nos limites, il nous a fallu accepter une douloureuse transaction, ce sont les fautes de nos pères que nous avons expiées, de nos pères qui se complaisaient dans leur existence communale, sans s’enquérir de ce que devenait l’existence nationale à Munster et à Utrecht.

Sans vouloir calomnier nos ancêtres, soyons en garde contre les souvenirs du passé ; la Belgique n’est une nation que par l’unité, que par la centralisation ; cette chambre, qui est la Belgique personnifiée, n’est un pouvoir que par l’unité, que par la centralisation. C’est parce qu’il nous est permis de mettre en commun toutes nos forces, toutes nos ressources, de les appliquer selon les circonstances à un but unique qui serait au-dessus de chaque force, de chaque ressource locale, que nous sommes capables de grandes choses comme nation ; c’est grâce à la centralisation financière par exemple, la plus onéreuse sans doute, que nous pouvons, par des travaux industriels et stratégiques, assurer notre prospérité et notre indépendance, nous faire une place dans le monde politique et industriel.

J’accepte donc volontiers, pour ma part, le reproche d’être partisan de la centralisation et je crois appartenir à la véritable politique progressive ; le progrès pour moi n’est pas le retour au XVIIème siècle.

M. Dechamps. - Plus nous avançons dans la discussion de la loi communale, plus la ligne de démarcation entre les différentes opinions devient tranchée, plus nous nous divisons sans vouloir nous comprendre.

On a posé la question d’une manière assez étrange : On dirait qu’il s’agit d’une lutte entre le pouvoir central et les communes ; on dirait que l’on ne peut défendre les libertés de celles-ci sans se déclarer l’ennemi de l’unité nationale, sans se placer parmi les démolisseurs, et réciproquement.

Mais, messieurs, il n’en est pas ainsi, et nous ne sommes heureusement pas placés dans cette alternative. L’unité nationale n’est pas, selon moi, cette uniformité symétrique ; cette absorption de la vitalité de chacun des membres du corps social ; ce serait là l’unité compacte et morte d’un bloc de marbre ou de pierre, ce ne serait pas l’unité vivante d’un tout organique. Nous avons beau nous forger des théories superbes de centralisation ou de décentralisation, il faut avant tout tenir compte des faits devant lesquels nos spéculations doivent se courber, car vous savez, messieurs, qu’il n’y a rien au monde de plus inflexible et de plus entêté qu’un fait.

Or, d’un côté il est de fait qu’il existe des communes en Belgique, c’est-à-dire des agrégations ayant leur vie propre, leurs intérêts distincts, leur liberté d’action dans le cercle de ces intérêts locaux : cette décentralisation est donc dans la nature des choses, et vouloir la détruire c’est vouloir détruire un fait enraciné dans les mœurs, c’est créer des centres de résistance, comme l’a dit M. Lebeau dans une acception différente.

D’un autre côté, il est un autre fait, c’est qu’il existe une nation, c’est-à-dire une hiérarchie, une unité entre ces membres divers du corps social, et le pouvoir central est le premier anneau de cette chaîne unitaire. La centralisation est donc aussi dans la nature des choses et dans un certain sens l’Etat doit avoir la main dans toutes les communes, pour maintenir cette unité nationale.

Je pense que jusqu’ici nous sommes tous d’accord ou à peu près ; mais si nous descendons à l’application, voilà que nous ne savons plus nous entendre ; et savez-vous pourquoi, messieurs ? C’est parce que nous ne considérons chacun des articles que pris isolément, et qu’au lieu de faire la part de l’Etat et de la commune d’après un système qui embrasse la loi tout entière, nous voulons établir cette part dans chacun des articles séparés, ce qui est impossible.

Par exemple, lorsque nous discutons la question de nomination des bourgmestres et des échevins, on dirait que ce sont les seuls articles de la loi, et que si le pouvoir central n’a pas une action puissante sur ces nominations, c’en est fait de l’unité nationale et de la centralisation.

Mais c’est là une erreur, et l’on oublie que nous avons déjà accordé au gouvernement une intervention très forte dans d’autres parties de la loi. Réfléchissons bien, messieurs, que pas un acte un peu important ne peut se faire dans la commune sans être soumis préalablement à l’approbation de la province ou du gouvernement ; que les actes laissés en dehors de ce contrôle peuvent toujours être annulés s’ils blessent l’intérêt général et les lois du pays ; que l’Etat a les moyens nécessaires pour vaincre l’inertie que la commune pourrait lui opposer.

Réfléchissons que nous avons donné au pouvoir central un droit répressif de suspension et celui de révocation, sans conditions ni limites. Ce droit de révocation illimité est un des moyens de centralisation les plus puissants que l’on puisse imaginer, et dans l’hypothèse même où le bourgmestre ne devrait pas sa nomination au gouvernement, il n’en serait pas moins sous sa dépendance à cause du droit de révocation que l’Etat laisse suspendu au-dessus de sa tête : comme l’épée de Damoclès.

Je ne regrette pas de voir ces armes dans les mains du pouvoir central ; j’ai toujours pensé que ce pouvoir répressif était celui qui lui était naturellement assigné, et que nous devions le lui accorder assez étendu pour maintenir l’unité législative, et empêcher les abus et les usurpations.

Mais vouloir concentrer et résumer toute la part d’intervention de l’Etat dans la commune dans cette seule question de nominations ; vouloir y établir cette part comme s’il n’avait d’ailleurs aucun autre moyen d’action, comme si c’était cette seule question qui devait décider du degré qui serait laissé au gouvernement dans les intérêts municipaux, c’est une étrange exagération et une erreur très dangereuse.

On parle de centralisation ; mais qui oserait soutenir qu’il n’en n’existe pas, et même d’une manière prépondérante, dans une législation qui donne au pouvoir central un contrôle très étendu dans la commune sur les actes et sur les personnes, de manière, à ce qu’aucun acte puisse ne pas être approuvé ou annulé, de manière à ce que les personnes soient sous la menace d’une suspension ou d’une révocation ?

S’il est vrai que ce pouvoir répressif est nécessaire pour que les communes ne s’isolent pas dans une indépendance sauvage qui briserait l’unité nationale, il n’en est pas moins vrai que l’intervention du gouvernement dans les nominations doit se circonscrire dans d’étroites limites parce que la nomination des magistrats municipaux est avant tout une question d’intérêt communal et que la part de l’Etat ne doit donc y être qu’accessoire.

Personne ne peut nier que le bourgmestre et les échevins ne soient principalement des agents communaux, et nous le nierions que le fait n’en existerait pas moins dans nos mœurs : si cela est, il faut nécessairement que leur nomination dérive d’abord de l’élection : poser un principe contraire, c’est faire de la théorie, c’est contrarier les faits, c’est proclamer que les mandataires de la commune n’ont pas besoin de son mandat.

Que le bourgmestre soit en même temps le délégué du gouvernement, c’est incontestable, et je veux bien qu’il participe à sa nomination ; mais il ne faut pas que cette exception détruise la règle et que la sanction de l’élection puisse jamais être écartée.

Messieurs, les différentes opinions qui se sont manifestées à l’égard des nominations peuvent se classer dans trois systèmes dans lesquels toutes les nuances viennent se résumer.

Le premier est celui qui, assimilant la commune à la province, considère le bourgmestre comme l’agent du pouvoir exécutif et les échevins comme les magistrats communaux. Ce système a été développé par M. Fallon avec une grande clarté à la séance précédente.

Le second, partant de l’idée qu’il faut une homogénéité entre les bourgmestres et les échevins, parce qu’ils agissent presque toujours de concert, veut faire dériver leur origine de la même source. Les uns veulent placer cette source dans l’autorité royale, les autres dans l’élection populaire.

Le troisième système est intermédiaire : comme dans le premier, les échevins y sont considérés comme des agents exclusivement communaux, et ce serait le conseil qui les choisirait lui-même. Il obtient aussi cette homogénéité entre le bourgmestre et les échevins que le second système veut établir, en restreignant le choix du bourgmestre par le Roi dans le sein du conseil ; de cette manière leur origine provient d’une source commune, l’élection.

Le premier système qui assimile la commune à la province est très spécieux, et il a l’avantage de présenter un organisme plus complet et plus vaste ; mais l’inconvénient que j’y trouve, c’est de satisfaire aux idées théoriques plutôt qu’aux faits.

Il ne faut pas façonner le peuple pour des lois a priori, mais il faut coordonner les lois avec les mœurs du peuple ; or, vous ne ferez jamais comprendre aux populations de la Belgique que le bourgmestre puisse être exclusivement un commissaire du Roi ; quoi que nous fassions, elles ne l’assimileront jamais à un gouverneur ; toujours elles le regarderont comme un délégué de la commune.

Et puis l’idée d’un bourgmestre qui n’aurait comme le gouverneur aucune voix délibérative dans le conseil, est une idée que vous n’introduirez jamais dans nos mœurs, et qui du reste, en ravalant le rôle du bourgmestre au-dessous de celui du dernier conseiller, présente un inconvénient des plus graves. Cependant il est difficile de comprendre comment un bourgmestre qui ne serait pas élu conseiller, pourrait délibérer sur les intérêts communaux.

Le système qui confère au Roi la nomination du bourgmestre et des échevins, le premier en dedans ou en dehors du conseil, les seconds sur une liste de candidats ou autrement, a l’avantage d’établir une homogénéité dans le collège des bourgmestre et échevins ; mais en même temps il brise l’homogénéité qui doit exister dans le conseil tout entier, en introduisant dans son sein un bourgmestre qui n’a aucune communauté d’origine avec lui.

Ici se présente aussi l’inconvénient que j’ai signalé tout à l’heure, celui de se mettre en désaccord avec les faits avec les mœurs du peuple, en créant un commissaire du Roi au lieu d’un bourgmestre, dans la véritable acception du mot.

Mais le défaut essentiel de ce système, c’est d’attribuer au gouvernement le rôle principal dans les nominations, en ne laissant à la commune qu’un droit de présentation très indirect, encore ce droit n’existerait-il pas lorsque le bourgmestre serai choisi en dehors du conseil.

Or, dans mon opinion, c’est là froisser la nature des choses, c’est intervertir les rôles et restreindre l’action de la commune dans un cercle bien étroit. Cette idée que les bourgmestre et échevins sont avant tout des magistrats municipaux, et que la mission du bourgmestre, comme agent du pouvoir, n’est qu’accessoire, cette idée ne peut être niée par personne ; il ne faut que jeter un coup d’œil sur leurs attributions pour en être convaincu.

N’est-ce donc pas intervertir les rôles, n’est-ce pas contrarier les faits tels qu’ils existent, que de faire dans ces nominations la part du gouvernement beaucoup plus grande que celle de la commune ?

Et c’est cependant ce qui serait, si nous adoptions l’article du sénat aussi bien que celui de la section centrale.

Je le demande, après avoir donné au pouvoir central les droits nombreux de contrôle et de répression dont j’ai parlé plus haut, ne suffit-il pas de lui accorder la nomination du bourgmestre dans le sein du conseil ? S’il en était autrement, je ne sais vraiment s’il resterait encore assez d’action dans la commune pour parler de bonne foi de liberté municipale, et je serais curieux que quelqu’un me montrât où cette liberté pourrait se réfugier.

Messieurs, en défendant ces libertés de la commune, je crois en même temps défendre l’intérêt du gouvernement.

Je suis persuadé qu’une centralisation administrative trop forte est une cause d’affaiblissement pour l’Etat, et que les franchises communales circonscrites dans de sages limites sont, lorsque les mœurs du peuple les comportent, comme en Belgique, ce qu’il y a de plus heureux pour le pouvoir central.

Quand le gouvernement est obligé de prendre en main l’administration de toutes les agrégations locales, les ressorts de la machine gouvernementale sont tellement tendus qu’ils s’usent bientôt et se relâchent. La responsabilité des moindres actes opérés par tous les agents de l’Etat dans les communes retomberait sur le pouvoir central, et il deviendrait ainsi en butte à tous les mécontentements, à toutes les oppositions qui se formeraient sur l’étendue du pays entier.

Les communes, ne pouvant s’occuper suffisamment de leur ménage intérieur, s’occuperont des affaires de l’Etat ; moins vous leur donnerez un but d’activité dans le cercle de leurs intérêts locaux, plus cette activité s’étendra aux intérêts généraux, et tous les yeux étant ainsi continuellement ouverts sur le gouvernement, son action en sera paralysée, et les oppositions locales qui surgiront à tout propos lui ôteront sa sécurité et sa force.

C’est donc dans l’intérêt même de l’Etat que je veux ne pas trop restreindre les libertés communales. Je pense qu’elles sont un gage de paix pour les communes et une véritable garantie pour le gouvernement.

M. Milcamps. - D’après les opinions de certains orateurs, il semblerait qu’au mode de nomination des bourgmestres et échevins sont attachées les destinées de la Belgique. L’un de ces orateurs a été jusqu’à avancer que si on avait la faiblesse d’adopter le mode de nomination proposé par le sénat, il s’opérerait dans le pays une réaction. Je n’ai pas besoin de dire tout ce qu’a de sinistre une pareille prévision.

Je n’ai pas, messieurs, les frayeurs de cet orateur ; pour moi, il est manifeste que le mode de nomination proposé par le sénat, en ce qui concerne les échevins, a reçu dans le pays plus d’accueil que celui qui avait été adopté par la chambre des représentants.

Quoi qu’il en soit, nous restons en présence de quatre systèmes.

Avant d’entrer dans des développements sur chacun de ces systèmes, fixons d’abord notre attention sur ce que permet la constitution.

L’article 31 dispose que les intérêts exclusivement communaux sont réglés par les conseils communaux.

Mais cet article pose seulement le principe qu’il appartient au conseil de régler tout ce qui est d’intérêt communal ; il ne s’occupe pas du mode de nomination des conseillers. Ce mode de nomination est réglé par l’article 108 de la constitution.

D’après cet article, les conseillers doivent être élus directement. Il ne peut y avoir d’exception que pour les chefs des administrations. Qu’entend-on ici par chefs ? Je veux bien concéder qu’on doit entendre seulement celui qui doit présider le conseil, le bourgmestre, si vous voulez qu’il ait cette dénomination.

Ainsi, le système qui proclamerait l’élection directe des conseillers avec exception pour le président, et s’arrêterait là, se conformerait le mieux à la lettre et à l’esprit de la constitution.

Mais si la législature veut un autre ordre de choses, si la législature veut un collège des bourgmestre et échevins qui soient à la fois les mandataires de la commune et les mandataires du gouvernement, il devient évident que cette institution des collèges n’est plus une émanation, une conséquence directe de l’article 108 de la constitution, mais simplement une œuvre législative portée en vertu de l’article 26 de la constitution. Or cette œuvre, vous pouvez la créer, pourvu que dans son organisation vous n’y introduisiez rien de contraire au principe de l’élection directe des conseillers ; sauf l’exception en ce qui concerne le chef, et pourvu qu’il n’y ait que des élus du peuple, toujours sauf l’exception du chef, qui règlent les intérêts communaux.

Maintenant, revenant aux quatre systèmes : soit que les électeurs nomment directement les échevins (premier vote de la chambre), soit que le conseil communal les nomme dans son sein (opinion de M. Fallon), soit que le Roi les nomme directement dans le sein du conseil (vote du sénat), soit qu’il les nomme dans le sein du conseil sur une liste de candidats (proposition de la section centrale), il devient évident que, dans chacune de ces hypothèses, il n’y aura que des élus du peuple qui régleront les intérêts communaux et qu’aucune atteinte ne sera portée ni à l’article 31, ni à l’article 108 de la constitution.

Quel est actuellement celui de ces quatre systèmes qu’il convient d’adopter ?

Ici chacun de nous ne peut exprimer que son opinion personnelle, et s’efforcer à la faire partager par ses collègues. Je repousse, comme je l’ai toujours fait, la disposition qui conserverait directement aux électeurs la nomination des échevins. Je ne reproduirai pas les arguments employés contre ce mode de nomination qui, d’après ce qui s’est passé dans les sections, n’a plus aucune chance de succès. On a vu en effet dans le rapport de la section centrale que, sur 49 membres, 12 seulement se sont prononcés en faveur de l’élection directe par les électeurs.

Quant à la proposition d’attribuer au conseil communal la nomination des échevins, je me bornerai à quelques observations.

La conséquence de ce système, c’est qu’il ne pourra être donné à ces échevins, conjointement avec le bourgmestre, que des attributions purement d’intérêt communal, mais que toute attribution d’intérêt général devra être accordée au bourgmestre seul : telle que l’exécution générale des lois ; les fonctions de ministère public près le tribunal de police du canton de justice de paix. La conséquence rigoureuse de ce système, c’est la modification qui va résulter des lois qui attribuent des fonctions aux collèges des bourgmestres et échevins.

Dans la plupart des justices de paix, c’est un échevin ou assesseur qui remplit les fonctions d’officier du ministère près le tribunal de police (article 144 du code d’instruction criminelle). Il faudra en charger exclusivement le bourgmestre, ou tout au moins lui accorder le droit de délégation, délégation qui devra porter sur la personne à désigner par la loi, car je ne vois pas à quel titre un échevin nommé par le conseil remplirait les fonctions d’officier du ministère public près d’un tribunal de police. Ce serait fausser le principe de la responsabilité ministérielle, dans des cas où il s’agit souvent de la liberté individuelle. Je vois de graves inconvénients à l’adoption de l’opinion de M. Fallon.

Vient actuellement la proposition du sénat qui confère au Roi la nomination des échevins dans le sein du conseil, et la proposition de la section centrale qui confère au Roi la nomination des échevins dans le conseil sur une liste de candidats.

Je réunis les deux propositions, parce qu’elles me semblent reposer sur les mêmes principes et offrir peu de différence dans leurs résultats. Aussi je me propose de voter la première de ces propositions qui sera mise en délibération, et si elle n’est pas adoptée, je voterai la seconde : c’est assez dire que je rejetterai tout autre système.

Messieurs, pour ne pas être trop long, je ne rappellerai pas les raisons qui militent en faveur du vote du sénat ; je me bornerai à résumer les considérations qui m’ont déterminé à partager l’avis de la section centrale.

En accordant au Roi le droit de nommer les échevins dans le sein du conseil sur une liste de candidats présentés par le conseil, la section centrale a pensé qu’elle satisfaisait à ce qu’exige l’intérêt local, et à ce qu’exige l’intérêt général.

S’agit-il en effet, pour le collège des bourgmestre et échevins, de traiter des objets exclusivement communaux ; par cela seul que les bourgmestre et échevins seront choisis parmi les élus du peuple, que les échevins seront désignés par le conseil, ils offriront une garantie qu’ils agiront dans l’intérêt de la commune ; et d’ailleurs, ne seront-ils pas sous la surveillance immédiate et journalière du conseil !

S’agit-il, pour le collège des bourgmestres et échevins, de traiter des objets qui se rattachent exclusivement à l’intérêt général, par cela seul que ces trois fonctionnaires auront reçu leur nomination du gouvernement, qu’ils en seront les agents, ils offriront une garantie qu’ils agiront dans l’intérêt général, et pouvant être révoqués, ils ne pourront se refuser à l’exécution des lois, ce qui est punissable, ni y opposer une force d’inertie qu’on peut atteindre par la révocation.

Si le collège des bourgmestre et échevins a à s’occuper d’objets qui intéressent à la fois l’intérêt local et l’intérêt général, dans ce cas, par cela seul qu’ils seront tous et presque toujours à la fois les élus du peuple, les mandataires de la commune et les agents du gouvernement, ils seront dans la nécessité d’agir de manière à concilier l’intérêt local avec l’intérêt général ; ils devront se diriger par des principes de justice, en un mot, faire leur devoir.

Ainsi le mode proposé en dernier lieu par la section centrale paraît offrir à la commune toutes les garanties désirables, en même temps que le gouvernement y trouvera aussi sa garantie. Je conviens que les mêmes avantages résultent du système du sénat ; mais quant aux deux autres systèmes, je ne pourrai y donner mon assentiment.

(Moniteur belge, n°128, du 8 mai 1835) M. Gendebien. - Je ne suivrai pas un des préopinants qui a développé longuement des théories qui auraient pu trouver leur place au congrès, qui pourraient être susceptibles de discussion s’il s’agissait de faire une constitution. Je pense qu’aujourd’hui ces théories doivent être mises de côté. Il s’agit de faire application d’une constitution, et non d’en formuler une. Je ne suivrai pas non plus cet orateur dans les excursions qu’il a faites dans l'histoire de notre pays. Je crois les temps auxquels il s’est reporté trop loin de nous, quoique je pense aussi que si l’on voulait nous rendre nos libertés toutes défectueuses quelles étaient, notre situation politique et notre prospérité matérielles seraient de beaucoup préférables à nos institutions d’aujourd’hui.

Je préfère me rapprocher un peu plus de l’époque actuelle, et arriver tout de suite à 89, puisque, selon un orateur qui a parlé dans la séance d’avant-hier, c’est de cette époque que date la conquête si heureuse, à son avis, du pouvoir central. Je ne sais, messieurs, où il faudra s’arrêter pour trouver la conquête du pouvoir central. Mais, puisque l’honorable M. Lebeau nous a placés sur ce terrain, voyons quelles sont les institutions et les révolutions qui se sont succédé depuis 1789.

Nous avons une première constitution c’est celle de 1791, la constitution de l’assemblée constituante d’immortelle mémoire. Je trouve à la section 2 du chapitre IV (administration intérieure) des dispositions que je crois devoir rappeler textuellement.

« Il y a dans chaque département une administration supérieure, et dans chaque district une administration subordonnée. »

« Art. 2. Les administrateurs n’ont aucun caractère de représentation.

« Ils sont des agents élus à temps par le peuple, pour exercer, sous la surveillance et l’autorité du roi, les fonctions administratives. »

Voilà donc, messieurs, dans le régime de la constitution de 1791, les institutions communales et provinciales ; tous les administrateurs sont directement élus par le peuple. Est-ce de cette constitution que M. Lebeau a fait dater la conquête du pouvoir central, la conquête de la centralisation ? Je le veux bien.

Vous voyez que la centralisation dont nous avons fait la conquête, n’est pas exclusive de l’élection directe des magistrats, non seulement de la commune, mais même de la province ; par conséquent l’on a fort mauvaise grâce de venir nous accuser de vouloir décentraliser le pouvoir, alors que nous ne demandons pas qu’on laisse toute l’administration des communes et des provinces entre nos mains, c’est-à-dire entre celles des électeurs, mais que nous demandons simplement la nomination des bourgmestres et des échevins.

Encore ne demandons-nous pas tout cela, puisque nous avons déjà accordé au gouvernement la nomination du bourgmestre, mais dans le sein du conseil, et l’on veut maintenant nous arracher la nomination de ce fonctionnaire même en-dehors du sein du conseil. Le gouvernement ne se contente pas de cette prétention ; il veut aussi nommer les échevins.

En 1793, nouvelle constitution, qui consacre également l’élection directe des autorités départementales et municipales par le peuple.

En 1795, autre constitution, même disposition. Toujours l’élection directe par le peuple, de la magistrature, non seulement provinciale, mais aussi communale ; seulement le directoire exécutif est autorisé à faire surveiller l’exécution des lois par un agent du gouvernement. Toutefois les élections sont libres et directes, et l’administration est libre et indépendante ; l’agent du directoire n’a qu’un simple droit de surveillance.

Toutes ces constitutions, faites dans des temps de tourmente et d’embarras inextricables, ont toujours proclamé l’élection directe et ne l’ont jamais considérée comme exclusive de la centralisation, si nécessaire dans ces temps de dangers de toutes espèces.

Messieurs, où faut-il donc arriver pour trouver la conquête du pouvoir central, ainsi que l’entendent nos hommes d’Etat, nos ci-devant républicains, aujourd’hui honteux de l’être, aujourd’hui séides du pouvoir fort ? Il faut arriver à la constitution, de l’an VIII, à un 18 brumaire, qui a précédé d’un mois, si je ne me trompe, la promulgation de cette constitution. Vous connaissez tous la constitution de l’an VIII ; elle fut le tombeau des libertés en France, comme le 18 brumaire fut la substitution du sabre à la loi. Telle est l’origine de la centralisation et du pouvoir fort qui dura 14 ans. Pour un 18 brumaire, je pense que nos hommes d’Etat ne le tenteront pas.

Nous avons bien dans nos annales un 5 et 6 avril ; mais pour un 18 brumaire, je ne pense pas qu’on l’essaie. L’on a bien essayé de marcher dans cette voie en expulsant de malheureux étrangers sans défense, en faisant, au moyen des journaux salariés par la liste civile ou par certains partis, calomnier les meilleurs citoyens, en provoquant le peuple à les insulter, à les piller. Mais n’a pas osé aller jusqu’à un 18 brumaire. Avant de l’oser, il faudra avoir un homme arrivant du fond de l’Egypte et de l’Italie, ayant parcouru la moitié du monde, couvert de lauriers et commandant à une armée victorieuse toute dévouée à son chef, à un homme dont le génie était de nature à entraîner les masses.

Heureusement nous n’en sommes pas là ; mais si l’on ne peut y arriver par la gloire, par le prestige du génie, on y arrivera peut-être par la calomnie ; car en calomniant les hommes attachés à leur pays et à ses institutions, en les molestant de telle façon qu’à la fin, ils préfèrent abandonner momentanément la partie pour laisser le champ libre aux amis du pouvoir fort, du pouvoir central, aux amis d’un 18 brumaire, on arrivera peut-être momentanément à ce résultat. Mais de quelle durée sera cette conquête ?

Je demande que l’on veuille bien me dire si la conquête du pouvoir central, à moins de le faire dater du 18 brumaire, je demande si cette conquête, même réalisée par un utopiste du pouvoir fort, est nécessairement exclusive de la nomination directe par le peuple du bourgmestre et des échevins, je dirai plus des administrateurs provinciaux. Vous avez vu que non. Pour prouver le contraire, il faut arriver à un 18 brumaire ; et vous en connaissez, messieurs, les conséquences.

Croyez-vous, messieurs, que si vous n’abandonnez pas au gouvernement le soin de nommer selon son bon plaisir le bourgmestre et les échevins en dedans ou en dehors du sein du conseil, nous allons retomber, ainsi que nous en menace M. Nothomb, dans les malheurs de nos divisions provinciales d’autrefois ?

D’abord, messieurs, avant nos malheurs, nos provinces avaient joui d’une grande prospérité, et c’était à nos institutions populaires et provinciales qu’elles la devaient ; si des malheurs sont survenus, c’est par suite des intrigues de nos voisins jaloux de notre prospérité, qui, pour partager plus facilement nos dépouilles, nous ont divisés et ont mis la main sur nos libertés. C’est à la jalousie de nos voisins et non à nos institutions provinciales et communales que nous devons le démembrement de nos provinces, la décadence de notre prospérité.

Croyez-vous, par exemple, ainsi que l’honorable M. Nothomb a paru nous en menacer, que si vous ne donnez pas au Roi la nomination du bourgmestre et des échevins, l’on va démembrer nos provinces, qu’il n’y aura plus comme autrefois moyen d’avoir une compagnie des Indes, de faire prospérer l’industrie ?

La centralisation amenée par la révolution de 89 a eu sans doute, pour nos provinces, ce bon effet qu’elle nous a donné une loi commune, des intérêts communs, qu’elle a fait disparaître les douanes qui existaient de province à province, même de ville à ville ; il n’est pas un homme sensé qui puisse contester l’utilité du pouvoir central sous ce rapport. Mais partir de ce principe pour refuser au peuple la nomination de ses magistrats municipaux, c’est pousser le système jusqu’à l’absurde.

Le pouvoir de l’empereur fondé sur la centralisation pouvait encore s’expliquer dans un pays comme la France, qui par suite de ses commotions politiques était obligée de lutter à l’intérieur et à l’extérieur contre toute l’Europe. Mais quel résultat en définitive a eu ce pouvoir fort ?

Aussi longtemps que l’astre qui semblait présider à toutes les actions de l’empereur a maintenu son vif éclat, aussi longtemps qu’il a ébloui tout le monde, l’empereur a été l’objet d’un culte, d’une idolâtrie ; mais aussitôt que son étoile a pâli, chacun a remplacé l’enthousiasme par la haine et même par la calomnie. On a été jusqu’à refuser une étincelle de génie à cet homme qui sera toujours grand malgré les grandes fautes qu’il a commises. Et vous voulez, vous, gouvernement d’un jour, vous qui n’avez rien pour éblouir, vous qui n’avez recueilli jusqu’ici que de la honte, vous qui n’avez pas d’envahissements à repousser, vous voulez tenter les mêmes excès que lui ; et pourquoi ? pour succomber sous l’influence de la civilisation, pour être précipités comme lui dans le néant.

De l’empire au gouvernement de Guillaume, la transition est un peu brusque. Le gouvernement de Guillaume était un gouvernement de conquête. Nous avions été conquis. L’on était en droit de nous traiter en pays conquis. Voyez ce qu’a fait le roi Guillaume que l’on a fort bien fait de chasser à son tour.

Le roi Guillaume a été moins illibéral que le gouvernement actuel. Je défie que l’on réponde directement à cette proposition. Nous étions un peuple conquis. Une constitution nous avait été imposée. Cette constitution laissait aux communes et au roi Guillaume le soin de faire les règlements communaux par l’intermédiaire des états provinciaux. Eh bien, d’après l’article 37 du premier arrêté qui a été pris par Guillaume, les bourgmestres et les échevins, étaient nommés par le Roi sur une liste triple de candidats présentés par le conseil.

Notez bien que l’article 36 exigeait que le bourgmestre et les échevins fissent partie du conseil. Aujourd’hui l’on veut plus, l’on veut que le Roi puisse nommer le bourgmestre en dehors du conseil et les échevins dans le conseil, mais sans présentation de candidats.

En 1824, le roi Guillaume s’est arrogé le droit de nommer le bourgmestre soit dans le sein, soit hors du sein du conseil dans les circonstances extraordinaires. C’est ce droit que le gouvernement actuel veut s’arroger. Mais il y a une différence énorme dans la position de ce gouvernement-ci et dans celle du gouvernement d’alors. Aujourd’hui, vous donnez au gouvernement le droit de suspendre ou de destituer le bourgmestre et les échevins, pouvoir que le roi Guillaume n’avait pas. Là est toute l’illibéralité de votre projet.

Que m’importe à moi, peuple, que j’aie le droit même de nommer directement mes administrateurs, si le gouvernement peut, lorsqu’ils lui déplaisent, les suspendre ou les destituer ?

Je demande si ce n’est pas là une véritable ironie, une véritable dérision. Indépendamment de la violation de la constitution qui est flagrante, nous fera-t-on croire à nous, Belges, peuple de bon sens, que nous faisons un acte merveilleux de puissance, en formant l’élément dans lequel le gouvernement choisira les administrateurs de la commune, du moment qu’après les avoir nommés, le gouvernement aura le pouvoir de les destituer selon son bon plaisir ?

Le roi Guillaume était plus conséquent. Il voulait leur laisser au moins leur indépendance. Pourtant alors nous étions un pays conquis. Aujourd’hui, de vaincus que nous étions, nous sommes par la seule force de notre volonté devenus vainqueurs, et cependant l’on veut nous traiter plus mal que sous le roi Guillaume.

Notez bien que d’après la loi fondamentale le roi pouvait agir ainsi qu’il a agi, tandis qu’aux termes de l’article 108 de la constitution, le gouvernement de Léopold ne le peut point. Il y a évidemment violation de ce pacte. Nous avons de plus un article qui porte que le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux qui lui sont conférés par la constitution. La loi fondamentale, au contraire, accordait formellement au roi Guillaume le droit de faire les nominations et les règlements, de concert avec les régences et les états provinciaux.

Le pouvoir central a fait lui-même sa part, il pouvait la faire. Nous, peuple conquérant, nous avons fait la part du Roi. Nous lui avons dit : Acceptez-vous à ces conditions, oui ou non ? Il a accepté, et maintenant il trouve sa part insuffisante ; il veut plus même que le roi Guillaume qui avait, sans conteste, le droit de la faire lui-même. Lequel de ces deux gouvernements est sous ce rapport plus modéré, plus libéral ?

Mais qu’a-t-on répondu à cela ? L’on vous a dit que les institutions communales sous le roi Guillaume étaient bien autrement illibérales qu’elles ne le seront maintenant.

Il n’y avait pas, vous a-t-on dit, un dixième des électeurs qu’il y aura aujourd’hui. (Je regrette de ne pas avoir le Moniteur sous les yeux ; car vraiment ces observations sont curieuses.) Songez, messieurs, que c’est là une erreur capitale, pour ne rien dire de plus. C’est qu’alors, en effet, le cens électoral était moins élevé qu’il ne le sera.

A Bruxelles, par exemple, il fallait pour être électeur payer 50 florins, aujourd’hui, il faudra payer 120 francs. L’on n’est parvenu à vous tromper à cet égard qu’en oubliant de vous parler du premier degré. L’on ne vous a parlé que du deuxième.

Pour faire partie du premier degré d’élection, il ne fallait payer que 50 florins de contributions. Sans doute le rôle des patentes en était exclu. Je conviens que c’était une grande injustice. Pour moi qui me suis constitué le défenseur de l’industrie et du commerce, je dirai que c’est un tribut que le roi Guillaume a payé à certaine coterie qui travaille aujourd’hui encore à arriver au même résultat.

Il ne faut donc pas se le dissimuler, messieurs, nous sommes, après avoir couru tous les hasards d’une révolution, après en avoir supporté toutes les charges, nous vainqueurs, nous sommes moins bien traités par le pouvoir exécutif que nous avons créé, que lorsque la Belgique était un pays conquis.

Un honorable membre a dit qu’il fallait faire intervenir le gouvernement dans l’administration des communes, c’est-à-dire lui permettre d’envahir ces administrations. Pour le prouver, il vous a fait la longue nomenclature des subsides alloués aux communes soit par les provinces, soit par l’Etat. Mais de ce que certaines communes reçoivent des subsides, s’ensuit-il que le bourgmestre doive être nommé en dehors du sein du conseil, que les échevins doivent être nommés par le Roi ?

Ne trouvez-vous pas d’autres garanties dans l’intervention journalière de toutes les autorités qui, depuis le commissaire de district jusqu’au ministre, ont un droit de surveillance sur les moindres actes de l’administration locale ? Une commune demandera un subside. Il faut qu’elle remonte toute la filière administrative pour arriver jusqu’au gouvernement ; il faut, de plus, que les sommes soient allouées par les chambres ; puis lorsque la somme est accordée, il faut qu’elle redescende toute la cascade administrative hiérarchique pour pouvoir la dépenser. Vous voyez qu’il est inutile, pour surveiller l’emploi des subsides que la nation ou la province accorde à la commune, que le gouvernement ait la nomination des échevins, que le bourgmestre soit nommé à volonté hors du conseil ou dans le conseil, qu’il y ait voix délibérative au non.

Messieurs, pour combattre la proposition de la section centrale que je n’adopte pas non plus, mais par d’autres motifs, M. Lebeau a dit qu’il serait très souvent difficile quelquefois impossible de présenter des candidats. Il a cité les communes de 1,000 habitants et au-dessous, qui composent plus de la moitié des communes de la Belgique ; dans ces communes il n’y a que 6 conseillers, et puisqu’il faut y nommer deux échevins, il y aurait quatre candidats à présenter, c’est-à-dire deux membres seulement du conseil seraient exclus de la présentation.

Il a prétendu que cette exclusion serait un brevet d’ignorance et d’ineptie pour ces deux membres. Mais quand le gouvernement nommera le bourgmestre en dehors du sein du conseil, en dehors de la commune, d’après votre système ne délivrera-t-il pas là un brevet d’ignorance et d’ineptie pour la commune tout entière ? Vous voyez bien qu’il y a de la maladresse tout au moins à vous servir de pareils arguments.

Il y aura, dit le même orateur, impossibilité de nommer des candidats pour les échevins, parce que les citoyens qui sont habiles à faire partie du conseil ne le seront pas toujours à faire partie du collège des échevins ; il a cité le receveur, le greffier de la justice de paix, les ministres des cultes et beaucoup d’autres fonctionnaires. Mais la démonstration qu’a faite M. Lebeau ne prouve qu’en faveur du principe de l’élection directe des échevins. Car ces difficultés peuvent se présenter beaucoup plus insurmontables pour le gouvernement.

Je pars du principe de défiance que vous montrez pour l’élection populaire, et je dis que quand les communes voudront éluder la loi, et avoir telles ou telles personnes pour échevins, elles nommeront au conseil un certain nombre de citoyens qui ne peuvent être échevins, et le gouvernement sera obligé de nommer pour échevins les seuls conseillers sur lesquels il puisse arrêter son choix.

Le gouvernement a-t-il prévu ce cas, y pourvoira-t il dans le système qu’il préconise ? Il y a plus. Il pourrait arriver que le conseil tout entier fût composé d’hommes inhabiles à occuper les fonctions d’échevins. Que deviendra la nomination royale ? Elle sera neutralisée. Avez-vous pris des dispositions pour éviter cette neutralisation ?

Notez bien que si vous déshéritez les communes d’un droit qui leur est acquis par la révolution et que le gouvernement provisoire a consacré, ainsi que la constitution, elles chercheront à réaliser par tous les moyens cette impossibilité de choix par le pouvoir royal. Vous voyez bien, M. Lebeau, que quand on cherche des difficultés dans l’exécution d’un système, on en trouve toujours.

La révélation faite par M. Lebeau doit nous convaincre de la nécessité de laisser l’élection directe des échevins aux communes ; d’ailleurs cette révélation au moins imprudente dans son système, réveillera l’attention des collèges électoraux qui auront grand soin de ne nommer au conseil communal que le nombre de citoyens réunissant les qualités requises pour être échevins ; et pour assurer leur nomination, ils leur adjoindront des conseillers qui ne peuvent être échevins.

Il y a plus, il pourra arriver qu’ils nomment un nombre plus faible ou même qu’ils ne nomment aucun conseiller ayant capacité pour être échevin. Ce sera alors un affront grave pour le gouvernement. Cette lutte arrivera nécessairement, car jamais le peuple belge ne se prêtera à la spoliation de ses libertés. Que fera cependant le gouvernement dans une pareille position ? II devra capituler ou recourir à des coups d’Etat, et vous savez combien ces luttes sont profitables au pouvoir.

Maintenant, messieurs, il y aura, vous a-t-on dit, des haines, de la camaraderie, de basses intrigues en jeu, pour obtenir les fonctions de bourgmestre et d’échevin ; mais l’honorable orateur qui a dit cela a dit immédiatement après qu’il était bien difficile de trouver des bourgmestres. Or c’est là une contradiction évidente, car s’il y a concurrence pour obtenir les fonctions de bourgmestre, il n’est donc pas difficile d’en trouver, et s’il n’y a pas concurrence, on ne verra pas se manifester pour arriver au pouvoir les sentiments haineux, les intrigues, les basses calomnies dont il a cherché à vous effrayer.

Mais si la camaraderie et les basses intrigues sont à craindre, c’est bien plus de la part du gouvernement : non pas que je lui suppose de mauvaises intentions, mais parce qu’il est impossible que dans le plus grand nombre des communes, même avec la meilleure volonté du monde, il nomme toujours le plus capable et celui qui inspirera le plus de confiance. Car il ne suffit pas d’être capable, il faut encore inspirer la confiance, être aimé, estimé dans la commune. Voilà dans la commune, comme dans le royaume, les conditions qu’il faut remplir pour user du pouvoir d’une manière profitable au pays et au gouvernement.

La commune, vous dit-on, donne un brevet d’ignorance et même d’ignominie à ceux qu’elle exclut de la candidature. Mais que sera-ce de la part du gouvernement, s’il nomme directement le bourgmestre et les échevins ? Ne donnera-t-il pas un brevet d’ignorance et même d’ignominie à ceux qu’il ne nommera pas ?

M. Lebeau. - Je n’ai pas dit d’ignominie.

M. Gendebien. - Soit ; ne leur donnera-t-il pas un brevet d’imbécillité ! S’il en est ainsi pour la commune, n’en est-il pas ainsi a fortiori pour le gouvernement ? Il n’est pas limité dans son choix, il est entièrement libre, tandis que le conseil est contraint de présenter quatre candidats sur six, et par conséquent d’en exclure deux. Tout le monde saura qu’il est impossible qu’il agisse autrement ; tout le monde saura aussi que c’est le gouvernement qui les contraint d’agir ainsi ; c’est donc sur le gouvernement que tombera l’odieux de cette exclusion, qui ne manquera pas de rappeler la violation de la constitution à l’aide de laquelle on les a placés dans cette fâcheuse position.

Je le dis, parce que c’est ma conviction ; un gouvernement qui veut être fort, en Belgique surtout, doit chercher sa force dans la confiance, et il n’obtiendra la confiance de la nation qu’en demandant le moins d’éléments de force possible. Qu’il rende la nation libre et heureuse de manière qu’elle n’ait rien à envier à personne, alors le gouvernement sera fort, alors il sera à l’abri des commotions politiques internes et externes.

Je dois, messieurs, répondre encore à une autre objection : des orateurs vous ont dit que ces raisons que je viens de combattre suffisaient pour les faire persister dans leur opinion ; ils ont ajouté que depuis que vous avez adopté l’article 101, il n’y a plus moyen de ne pas donner au gouvernement la nomination directe des échevins dans le conseil. Cet article que l’on dit irrévocablement adopté par la chambre, porte que « les bourgmestre et échevins veillent à l’exécution des lois, des règlements arrêtés d’administration générale, sauf les cas où les lois, règlements et arrêtés confieraient au bourgmestre seul le soin de les exécuter. » Cet article n’a pas été adopté irrévocablement, mais n’importe.

Vous avez ainsi fait, dit-on, du pouvoir exécutif un pouvoir multiple ; les échevins y participent, ils doivent donc être nommés par le Roi. Je conviens que, pour mon compte, je préférerais que le bourgmestre fût seul chargé de l’exécution des lois. Mais pour cela je voudrais qu’aux termes de la constitution, il fût nommé directement par les électeurs, ou au moins, s’il était nommé par le gouvernement, qu’il fût toujours pris dans le sein du conseil.

De cette façon je suis prêt à concéder au bourgmestre seul le soin de l’exécution des lois ; il ne prendrait conseil des échevins que quand il s’agirait de délibérer ; le collège des échevins donnerait son avis, et protesterait au besoin contre l’administration du bourgmestre. Mais en consentant à ce que l’on donnât un pouvoir aussi étendu au bourgmestre, je dis de quelle manière j’entendrais qu’il fût nommé.

Mais vous voulez que le bourgmestre fasse seul exécuter les lois, et vous voulez avoir le droit de le prendre en dehors du conseil et même en dehors de la commune pourvu qu’il y soit éligible. Voyez, messieurs, si ce n’est pas une monstruosité. Un homme étranger à la commune sera nomme bourgmestre ; du fond de sa demeure et souvent à une grande distance, il ordonne que l’on exécute les dispositions qu’il prend ; par là vous supprimez tout au moins la responsabilité morale du bourgmestre vis-à-vis de ses administrés. Croyez-vous que le peuple devra être satisfait ? Croyez-vous que vous aurez satisfait à l’obligation de la constitution ? Croyez-vous que tel soit son esprit ?

J’admets donc, je le répète, que le bourgmestre soit seul chargé de l’exécution des lois et des ordonnances que rend le gouvernement, dans la limite de ses pouvoirs ; mais je veux comme garantie, d’un autre côté, qu’il soit nommé par la commune et jamais au moins hors du conseil.

Un honorable orateur vous a dit tout à l’heure qu’on était arrivé à cette conséquence de l’article 101, qu’après avoir chargé les échevins de l’exécution des lois, vous étiez par une conséquence nécessaire contraints de donner voix délibérative au bourgmestre lors même qu’il est pris hors du conseil.

Je ne sais si c’est par voie de conséquence que l’on donne dans tous les cas voix délibérative au bourgmestre. Mais ni la chambre ni même le gouvernement n’avaient admis cette conséquence ; car c’est la une proposition du sénat, et je ne sais si c’est par voie de conséquence ou par esprit de contradiction qu’il est arrivé à ce résultat.

D'après le projet du gouvernement lui-même, si ma mémoire est bonne, le bourgmestre pris hors du conseil n’avait que voix consultative. Le sénat lui donne dans tous les cas voix délibérative, alors qu’il autorise en même temps le gouvernement à nommer les échevins directement. Je vois là de la part du sénat une volonté d’accorder au gouvernement tout ce qu’il demande ; mais je ne puis y voir aucune conséquence forcée d’un système adopté.

Le sénat n’y a pas réfléchi ; il veut donner au bourgmestre étranger au conseil voix délibérative dans le conseil. Mais je vous défie de donner voix délibérative dans le conseil à un bourgmestre pris hors du conseil, sans violer ouvertement la constitution. Ce serait donner au gouvernement le droit de faire un conseiller communal ; or, vous ne pouvez donner à personne ces attributions ; car les électeurs ont seuls le droit de nommer un conseiller communal.

On a bien, à l’aide d’équivoques puériles, pour ne rien dire de plus, contesté aux électeurs communaux le droit de nommer directement leurs échevins ; mais, pour la nomination des conseillers communaux, il n’y a pas d’équivoque possible, l’élection directe est consacrée en termes formels. Dès lors que le gouvernement n’a pas le pouvoir de nommer un conseiller, comment voulez-vous qu’il puisse faire participer aux délibérations un bourgmestre pris en dehors de ce conseil ? Vous ne pouvez donc pas donner voix délibérative au bourgmestre pris hors du conseil ; c’est une chose impossible.

Eh bien, maintenant, que l’on considère, si l’on veut, l’article 101 comme entraînant toutes les graves conséquences que je viens de combattre ; du moment que la constitution ne vous impose pas le devoir de déléguer au collège des bourgmestre et échevins l’exécution des lois, et la constitution ne le dit pas, pourquoi ne le délégueriez-vous pas au bourgmestre seul, pourvu qu’il soit toujours pris dans le conseil ? Ainsi disparaîtrait la prétendue nécessité de donner toujours au bourgmestre voix délibérative, parce que le prétexte que vous mettiez en avant pour obtenir cette disposition exorbitante disparaîtrait. Je crains d’abuser des moments de la chambre.

C’est, depuis un an, la troisième ou la quatrième fois que je parle sur cette question ; j’aurais encore beaucoup de choses à dire, mais je crains de tomber dans des redites ; je me bornerai donc à une seule observation.

Dans la séance d’avant-hier, on a fait fi, on a montré même beaucoup de dédain au sujet de pétitions que l’on a réduites à une seule. Messieurs, il n’y en a pas une seule. Il y en a plusieurs. Pour mon compte, il m’en a été adressé du Hainaut deux que j’ai remises sur le bureau. L’une était, je crois, de Soignies ; l’autre, je me le rappelle parfaitement, était de Thieux. On ne m’accusera pas d’avoir provoqué ces pétitions. Je n’ai pas quitté Bruxelles depuis six mois.

Veuillez-vous rappeler, messieurs, les dédains de Van Maanen, du roi Guillaume et des séides du pouvoir fort de cette époque, quand les premières pétitions arrivèrent ; ce n’était que quelques pétitions isolées faites par des hommes obscurs et en très petit nombre ; on les méprisait ; et lorsque les pétitions sont venues en grand nombre, provoquées qu’elles étaient par ces mêmes dédains que nous voyons aujourd’hui, on a crié à la conspiration, à l’intrigue, à l’esprit de coterie ; on a enfin insulté alors la nation en masse dans sa représentation. Croyez-moi, messieurs, on en viendra là chez nous aussi.

Déjà certains journaux salariés par la liste civile et par certaine coterie ne fonctionnent pas mal ; vous avez eu autrefois un petit échantillon de son savoir-faire. Lorsque cette chambre maltraitait les patrons de des journaux, lesquels étaient alors au ministère, ces journaux, pour les venger, disaient qu’il serait plus facile de corrompre la chambre dissoute que d’obtenir une chambre corrompue par les nouvelles élections. Je cite à peu près textuellement. Veuillez faire attention que la chambre que l’on imitait ainsi n’est autre que celle-ci ; car, sauf quelques loups-cerviers du gouvernement et quelques libéraux, les membres de l’ancienne législature font presque tous partie de celle-ci.

Eh bien, aujourd’hui on essaie de nouveau de faire déconsidérer le droit de pétition et la législature, surtout les membres les plus indépendants. C’est aux mêmes moyens que recourait le roi Guillaume que nous avons chassé.

J’ai lu une des pétitions qui m’ont été adressées ; je n’ai pas eu le temps de lire l’autre ; je l’ai déposée immédiatement sur le bureau ; mais j’y ai vu les noms les plus honorables. N’y eût-il qu’un nom, aurions-nous le droit de révoquer en doute l’importance de ce nom ? Il suffit qu’un citoyen use de son droit constitutionnel pour qu’il soit respectable et que nous devions le respecter.

C’est, vient-on nous dire, la montagne en travail qui enfante une souris. On disait la même chose sous le roi Guillaume. Vous savez ce qui en est advenu. Attendez quelque temps encore et vous verrez ce qui en adviendra.

Je ne répondrai pas à ce qu’a dit un honorable préopinant que les dispositions votées par le sénat avaient reçu un meilleur accueil dans le public que celles adoptées par cette chambre. Je ne sache pas qu’aucune pétition ait été adressée à la chambre pour soutenir les dispositions adoptées par le sénat. Beaucoup vous ont été adressées pour vous inviter à persister dans le vote que vous avez émis, ou si vous revenez sur ce vote, pour que vous décidiez que le bourgmestre devra toujours être pris dans le sein du conseil et même qu’il doit être élu directement par le peuple. Je ne sais de quel public l’honorable préopinant a voulu parler. Toutes les personnes, en dehors de cette chambre, que j’ai entendues parler sur ces questions, n’hésitent pas à donner la préférence aux dispositions votées par cette chambre et critiquent même fort amèrement celles votées par le sénat.

Au reste, en un mot comme en cent, c’est le temps qui prouvera qui a raison, du sénat ou de cette chambre.

Je désire me tromper, mais je crois que le gouvernement se fait le plus grand tort en n’adhérant pas aux dispositions votées par cette chambre, qui était loin de s’être montrée trop exigeante. Le gouvernement va semer des haines, des dissensions, des défiances dans les communes ; il recueillera une nouvelle révolution, parce que, comme l’a dit un honorable membre, d’après les lois politiques comme d’après les lois de la physique, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Que le gouvernement y réfléchisse, c’est son affaire plus que la mienne.

Quant à moi, je retourne tranquillement au foyer domestique que je n’aurais jamais dû quitter. S’il arrive une nouvelle révolution, je ne la verrai, j’espère, pas autrement que par la fenêtre. Malheur à ceux qui s’y seront engagés ; malheur à ceux qui, après une expérience récente, l’auront aussi imprudemment provoquée !

M. H. Dellafaille, rapporteur. - Messieurs, les discussions auxquelles a donné lieu le rapport de la section centrale ont principalement roulé sur trois points : la faculté donnée au gouvernement de prendre, dans des cas de nécessité et sous certaines conditions, le bourgmestre hors du sein du conseil ; la voix délibérative attribuée à ce bourgmestre, et, enfin le mode de nomination des échevins.

Quant à la disposition qui donne au gouvernement le droit de prendre le bourgmestre dans certains cas hors du conseil, ni votre section centrale, ni vos sections particulières n’ont cru devoir présenter d’amendement. Il y a des cas dans lesquels il peut être nécessaire que le gouvernement soit investi de ce droit. D’abord le bourgmestre doit réunir certaines conditions sans lesquelles il ne peut pas être nommé. Il faut en second lieu qu’il ait la volonté de remplir cette place. Il est beaucoup de personnes qui acceptent bien le mandat de conseiller, mais qui ne veulent point accepter les fonctions de bourgmestre.

Indépendamment de ces conditions, il faut encore que le bourgmestre soit capable de remplir sa place. Un bourgmestre doit, par exemple, avoir une instruction plus étendue qu’il n’est rigoureusement nécessaire pour un conseiller. Pour celui-ci, du bon sens et de la droiture peuvent quelquefois suppléer à la médiocrité des connaissances. Le bourgmestre doit, comme administrateur et comme officier de police judiciaire, posséder plus ou moins de connaissances en matière d’administration et de législation.

Supposez que quelques membres du conseil ne veuillent point accepter les fonctions de bourgmestre, que d’autres se trouvent dans des cas d’exclusion. Le choix du gouvernement peut très bien se trouver restreint entre un très petit nombre de conseillers, et rien ne peut vous garantir que parmi eux se trouvera un homme capable de former un bourgmestre convenable.

Si dans un pareil état de choses vous contraignez le gouvernement à renfermer son choix dans le conseil, vous l’exposez à donner à la commune non un administrateur, mais une machine à signer. Je ne pense pas que ce soit rendre un service à la commune. Vous envenimez une plaie réelle pour beaucoup de communes, en remettant plus que jamais l’administration réelle entre les mains du secrétaire.

La chambre a reconnu, par un vote précédent, la nécessité de donner dans certains cas d’exception au gouvernement le droit de prendre le bourgmestre hors du conseil. Vous avez sagement décidé qu’il ne pourrait être fait usage de ce droit que par exception et seulement en cas de nécessité. Ces mots peuvent paraître un peu vagues, mais si vous considérez que le gouvernement est tenu de prendre l’avis motivé de la députation provinciale, vous trouverez sans doute que cette règle est suffisante pour parer aux abus.

En effet, le gouverneur peut être trompé par les rapports qui lui sont faits ; les autres fonctionnaires de l’ordre administratif placés sous sa dépendance peuvent se trouver entraînés par diverses causes et proposer légèrement telle mesure ; mais il n’est pas à croire que la députation provinciale puisse aisément être induite en erreur, elle qui est obligée de connaître toutes les localités et qui est moins que les gouverneurs et les commissaires de district exposée à se laisser influencer dans un sens défavorable par la moindre contradiction.

Remarquez, messieurs, que les membres de la députation élus en cette qualité par leurs collègues, nommés au conseil provincial par les électeurs, ont pour juges de leurs avis leurs collègues d’abord et en définitive les électeurs. Si donc ils contribuaient à faire dégénérer en abus la faculté accordée pour les cas de nécessité, il est hors de doute que justice se ferait de pareils conseillers.

Le gouvernement, dira-t-on, n’est pas obligé de suivre les avis de la députation. A la rigueur, non ; mais moralement, oui. Si le gouvernement ne tenait aucun compte des avis de la députation, s’il nommait sous le plus léger prétexte le bourgmestre hors du conseil, si en un mot il faisait de l’exception la règle, le conseil provincial d’abord et cette chambre au besoin retentiraient nécessairement des réclamations qui s’élèveraient contre cet abus.

Quant à la disposition qui accorde au bourgmestre pris hors du conseil voix délibérative dans cette assemblée, j'avoue que j’y attache personnellement fort peu d’importance. Lorsqu’un bourgmestre aura été pris hors du conseil, soit qu’il ait ou non le droit d’y voter, il est hors de doute qu’il fera tous ses efforts pour obtenir que le suffrage de habitants vienne ratifier le choix du gouvernement ; et si ce choix a été bon, il est encore presque hors de doute qu’il y réussira.

Effectivement, il faudrait que ce fonctionnaire fût bien antipathique à la commune pour qu’il ne fût pas élu conseiller. S’il en était ainsi, c’est que le gouvernement se serait trompé ; et dès lors il aurait intérêt à le révoquer ; car ce bourgmestre manquerait totalement le but que s’était proposé le gouvernement. Il ne serait pour ce dernier qu’un obstacle dont on ne saurait assez tôt se débarrasser.

Je ne regarde donc la position du bourgmestre, sans voix délibérative, que comme transitoire ; mais en attendant qu’il soit nommé membre du conseil, cette position sera au moins très équivoque, et le bourgmestre n’aura aucune influence dans la commune. C’est pour éviter cet inconvénient, et dans l’intérêt de l’administration, que la section centrale vous propose de donner dans tous les cas voix délibérative au bourgmestre.

Elle a pu le faire, car l’article 108 de la loi fondamentale exempte formellement le chef de l’administration communale de la condition de l’élection directe, imposée aux autres membres de cette administration. C'est donc de l’article 108 de la constitution qu’elle a fait usage. Il ne nous reste à discuter la question que sous le rapport de l’utilité.

L’honorable M. Fallon a dit qu’il était étonné qu’on n’ait pas, lors de la discussion de la loi provinciale, songé à tous les avantages de ce système, et donné voix délibérative au gouverneur dans le conseil provincial. L’honorable orateur sentira la différence extrême qui existe entre le gouverneur d’une province et le bourgmestre d’une commune. Le gouverneur est principalement, sinon exclusivement, l’homme du gouvernement. Le bourgmestre a une double qualité ; s’il est agent du gouvernement, il est aussi fonctionnaire de la commune.

Il y a un autre motif pour lequel on n’a pas voulu donner au gouverneur voix délibérative dans le conseil provincial. Membre de la section centrale qui a examiné cette loi, je puis rappeler ce qui s’est passé dans son sein. On a agité la question de savoir si le gouverneur aurait voix délibérative et présiderait le conseil. Eh bien, sans vouloir vous indiquer quelle pouvait être l’opinion de mes collègues, et pour ne parler que de la mienne, je dirai qu’en m’opposant à ce que le gouverneur eût la présidence du conseil et y eût même voix délibérative, je fondais mon opinion, entre autres motifs, sur l’intérêt de l’administration.

Du temps du gouvernement français, si ma mémoire est fidèle, je crois que le préfet n’avait pas le droit de prendre séance au conseil général du département.

Ce sont les règlements promulgués par le roi Guillaume qui ont changé cet état de choses et qui ont donné voix délibérative dans le conseil provincial et la présidence de cette assemblée au gouverneur. Lorsque cette ordonnance parut, elle fut taxée d’inconstitutionnalité. Cependant, à tout prendre, la chose était possible, quoiqu’elle ait donné lieu à des inconvénients, à des réclamations. Alors les états provinciaux délibéraient à huis-clos ; mais, du moment où la publicité a été décrétée pour les séances des corps provinciaux, il est devenu impossible d’en donner la présidence au gouverneur. On ne peut pas exiger que le même homme préside et réponde aux interpellations qui lui sont adressées par les divers membres, qu’il prenne la parole et soutienne les propositions du gouvernement. Pour vous en fournir une idée, je vous demande s’il ne serait possible à un membre du cabinet de présider cette chambre.

Voilà un des motifs pour lesquels nous avons refusé au gouverneur la présidence du conseil provincial. Et dès le moment qu’il ne le présidait point, peu importait qu’il eût dans une assemblée nombreuse voix délibérative ou non. Nous avons pensé que cette voix délibérative devenait inutile, et que le gouverneur ne devait figurer dans le conseil provincial que comme commissaire du gouvernement.

J’ajouterai que si la constitution ne consacre pas formellement cette doctrine, les expressions dont elle se sert y sont favorables, car elle fait une distinction entre le gouverneur et le bourgmestre. Elle qualifie le premier de « commissaire du gouvernement près les administrations provinciales, » tandis qu’elle appelle le bourgmestre « le chef des administrations locales. » Il me semble qu’il convient que le chef de l’administration communale fasse partie du conseil de la commune. Les termes mêmes de la constitution semblent favoriser cette opinion.

En ce qui concerne les échevins, on a d’abord agité la question de constitutionnalité, à laquelle il convient de répondre. Un des honorables préopinants a dit qu’il ne fallait que de la bonne foi pour la résoudre. Je crois cependant qu’il est encore permis de douter de la meilleure foi du monde s’il est constitutionnellement nécessaire que les échevins soient nommés par les électeurs. Je suis dans ce cas. Selon l’honorable préopinant, la chambre a décidé la question. Je me permettrai d’être d’un avis différent. La chambre n’a décidé la question que sous le rapport de l’utilité. La question constitutionnelle n’a été agitée que par les orateurs, mais la chambre n’a formulé aucune opinion à cet égard.

Remarquez que si la constitution imposait l’obligation de faire nommer les échevins par les électeurs, ce système serait exclusif de tout autre ; on ne pourrait plus faire admettre la nomination par le Roi, soit sur présentation, soit sans présentation, pas même la nomination par le conseil ; il fallait, si on voulait faire décider par la chambre que la nomination des échevins déférée à d’autres qu’aux électeurs violait la constitution, il fallait, dis-je, demander la question préalable, et sur l’article du projet du gouvernement, et sur tous les amendements, même sur celui présenté par l’honorable M. Doignon, qui demandait avec moi la nomination par le conseil. Cette question préalable n’a pas été demandée sur la demande de M. Dubus, qui partageait cependant l’opinion de M. Dumortier.

M. le président a mis aux voix la question de principe : Le gouvernement aura-t-il une influence dans le choix des échevins ? Cette question fut résolue affirmativement. Par là se trouvèrent écartées et la nomination par les électeurs et celle par le conseil ; le système de nomination sur présentation de candidats est celui qui a obtenu la préférence.

Au second vote, la question préalable n’a pas encore été demandée ; on a mis aux voix la nomination des échevins par les électeurs comme étant l’amendement qui s’éloignait le plus de la proposition primitive. Cette proposition ayant obtenu la majorité, le système du projet primitif comme les amendements se sont trouvés écartés et n’ont pu être mis aux voix.

Ceux qui soutiennent que la nomination doit être faite par les électeurs auraient raison si les échevins formaient une partie distincte du conseil. Mais que sont les échevins ? Absolument rien que des conseillers de régence chargés d’exécuter les délibérations du conseil et des détails de l’administration journalière dont le conseil lui-même ne peut pas s’occuper. Ce sont des délégués du conseil, agissant pour le conseil.

Il faut remarquer, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire l’année dernière à propos de ce même article, que les échevins sont si peu un élément distinct des autres conseillers, qu’il ne serait pas nécessaire d’en créer. Un honorable membre a rappelé qu’un projet d’organisation communale, qui a été présenté au congrès, n’en créait point. A l’époque du premier vote sur cet article, j’ai dit, et je répète encore, que nous ne sommes nullement obligés d’établir ces places, et que nous pourrions fort bien suppléer au besoin le bourgmestre, soit par le conseiller le plus ancien, soit par tous les conseillers à tour de rôle.

Vous voudrez bien remarquer, messieurs, que je n’ai jamais prétendu que ce système fût bon ; mais je soutiens que la constitution ne s’y opposerait pas. Dès lors j’ai pu dire que les échevins sont uniquement des conseillers chargés de l’administration journalière, et partant les délégués du conseil et non des électeurs.

Il ne faut pas perdre de vue que la question semble avoir été décidée par la chambre lors de la discussion de la loi provinciale. Pas une voix ne s’est élevée pour demander que les membres de la députation fussent nommés par les électeurs. On n’a vu en eux que des délégués du conseil provincial. Cependant, comme la constitution réunit constamment dans les mêmes expressions les autorités communales et provinciales, il faut en inférer ou qu’on a le droit de faire nommer les membres de la députation de la commune autrement que par les électeurs, ou que la chambre a commis une inconstitutionnalité en déférant à d’autres qu’aux électeurs la nomination des membres de la députation provinciale.

Je ne partage nullement l’opinion des honorables membres qui soutiennent que par ces mots : « les administrations communales, » notre loi constitutionnelle n’entend parler que des collèges. Je leur rappellerai qu’à l’époque où fut votée la constitution, les règlements en vigueur entendaient par administration communale tout le conseil. C’est aussi ce sens que j’attribue aux expressions de l’article 108. Mais ceci ne fait rien, selon moi, à la question qui nous occupe. Que veut l’article 108 ? Que tous les membres des conseils, hors les chefs, pour lesquels la loi peut faire une exception, soient élus par les habitants. Si ceux des conseillers élus qui remplissent les fonctions d’échevins sont reconnus n’agir que pour le conseil ou en son nom, la constitution ne nous empêche pas d’adopter pour le mode de leur nomination le parti qui nous paraît préférable.

D’un autre côté, je ne saurais admettre avec quelques honorables membres qui soutiennent une opinion toute contraire, que ces mots : « les chefs » puissent s’entendre du bourgmestre et des échevins. Un corps ne peut avoir qu’un chef. Dans l’espèce, il n’est pas exact de dire que les bourgmestres et les échevins soient égaux en droits. Le premier est le chef du collège, quelquefois avec voix prépondérante ; il l’est encore du conseil où les échevins ne paraissent que comme simples conseillers et sans aucune attribution. S’il fallait admettre ce système, vous auriez donc les chefs de l’administration, puis le chef des chefs.

Je pense que par cette expression il est impossible que la constitution ait voulu désigner un autre fonctionnaire que le bourgmestre seul, et je remarque que quoique, d’après l’article 108, les chefs puissent être exemptés de l’élection directe, personne jusqu’ici n'aessayé de proposer de prendre les échevins hors du conseil, ainsi qu’il a été pour le bourgmestre.

Il me reste à vous dire quelques mots du système proposé par la section centrale. Les différentes combinaisons ont déjà été si longuement traitées, que je crois pouvoir me dispenser de les examiner ; je me bornerai donc à vous exposer les motifs de la section centrale et à répondre à quelques objections.

La section centrale n’a pu songer à vous proposer la nomination des échevins par les électeurs. Ce système a pu être soutenu ; mais, dans les circonstances présentes, ses principaux adhérents doivent reconnaître eux-mêmes qu’il a peu de chances de parvenir à être formulé dans la loi.

Celui qui confère la nomination purement et simplement au gouvernement, paraît également n’être pas destiné à réunir la majorité des suffrages dans cette enceinte.

Effectivement, il a été rejeté deux fois : une première fois l’année dernière, lorsqu’on a admis la nomination sur listes de candidats ; et une deuxième fois, au second vote, lorsqu’on a admis l’élection populaire. 19 voix seulement sur 49 se sont prononcées en sa faveur dans les sections particulières.

Les membres de la section centrale ont cru qu’il y avait lieu de prendre un terme moyen, la nomination par le conseil, ou la nomination par le Roi sur présentation de candidats. Le dernier système est celui qui a triomphé. La minorité qui voulait que la nomination fût déférée au conseil, ayant échoué, a cru pouvoir se rallier à un système qui, après tout, assurait l’intervention de la commune dans le choix des échevins.

Selon un honorable préopinant ce système serait inadmissible. J’aurai l’honneur de lui faire remarquer seulement que l’année dernière l’assemblée n’en a pas jugé ainsi. Et si elle se déterminait à l’adopter, elle pourrait encore le faire sans craindre d’être blâmée. Ce système en outre est le même que celui qui a été pratiqué de 1817 à 1824.

D’après les premiers règlements promulgués sous Guillaume, non seulement les échevins, mais le bourgmestre lui-même, étaient nommés sur présentation. Ainsi, si le nouveau projet modifie ce système, c’est au profit du gouvernement.

On craint, dit-on, que si les échevins ne reçoivent pas leur nomination du Roi, la minorité du conseil se trouvera exclue du collège échevinal. Je ne crois pas que cette crainte soit un motif fondé ; car, dans un corps, qui doit donner l’impulsion ? c’est la majorité. Elle doit seule influer sur la suite à donner à ses délibérations.

Je ne pense pas, comme l’a dit un honorable membre, que la présentation de candidats soit un brevet d’incapacité pour ceux qui ne sont pas portés sur la liste ; s’il en était ainsi, le choix du gouvernement serait également un brevet d’incapacité pour tous ceux sur lesquels il ne tomberait pas.

L’honorable orateur abordant le champ des hypothèses suppose que, par suite des incompatibilités, il pourra se faire que le conseil ne puisse faire son choix. D’abord j’aurai l’honneur de lui répondre que les communes qui n’ont que 7 conseillers n’auront à présenter quatre candidats qu’une seule fois lors de la première organisation, et qu’à toute autre époque il ne s’agira que d’en présenter deux seulement. Ensuite, s’il ne faut que faire des suppositions, je lui demanderai ce qui arriverait si dans tout le conseil il n’y avait personne qui pût être échevin. L’une supposition peut se réaliser comme l’autre.

L’argument tiré de la disposition de l’article 101 n’est pas non plus très solide, puisque cet article ne fait que continuer ce qui s’est pratiqué sans inconvénients pendant 18 ans.

Un autre orateur a dit qu’il ne suffirait plus au gouvernement d’avoir la majorité dans les chambres législatives, qu’il devrait l’avoir encore dans les communes, qu’il ne pourrait plus, sans l’assentiment des autorités communales, faire exécuter les lois. Je ne comprends pas l’objection. Je ne vois pas en quoi les communes pourraient entraver la marche du gouvernement. Les chambres législatives peuvent produire cet effet, en déclarant au gouvernement qu’elles lui refusent leur concours. Alors s’arrête la marche du gouvernement. Mais les administrations provinciales et communales ne peuvent rien de semblable.

J’ai vu l’administration des communes tout entière donnée à des administrateurs sur le choix desquels le gouvernement n’avait aucune influence. J’admets que ce système peut être changé. Mais depuis qu’il est en vigueur, les lois n’ont jamais été entravées dans leur exécution.

Elles ne l’ont pas été non plus depuis 1817 jusqu’à 1824 sous un régime moins favorable au gouvernement que celui que propose la section centrale, puisque le bourgmestre lui-même était nommé sur présentation de candidats.

On a allégué la suspension de la régence de Gand et l’écart de la régence de Liége. Mais la régence de Gand a été suspendue par des motifs politiques et non pour s’être opposée à l’exécution des lois. Mais la régence de Liége a commis un abus de pouvoir, non dans l’exécution des lois, mais dans un acte de l’autorité communale. Cet abus eût été immédiatement réprimé s’il n’y avait pas eu d’incertitude sur le droit actuel d’intervention du gouvernement sur les actes des régences ; il n’a rien de commun avec l’exécution des lois dont il n’a pas même été question.

Je ne puis non plus concevoir en quoi le système de la section centrale ôterait le pouvoir au gouvernement pour le donner aux autorités communales. Les administrations communales d’après le projet ne se trouvent nullement indépendantes. Il ne faut pas se figurer que parce que les échevins seront nommés sur présentation d’une liste de candidats, les communes vont former autant de petites républiques. C’est pour éviter ce danger que le projet a pourvu à tous les cas. Il a énuméré les cas où on pourrait réformer les actes des communes, afin que les administrations ne pussent briser les liens qui les attachent au gouvernement. C’est dans ce but que nous les avons obligées à porter à leur budget les dépenses mises à leur charge par les lois. Toutes les précautions sont prises pour les empêcher de se soustraire aux obligations qui leur sont imposées par la loi et de s’affranchir de l’action légale du pouvoir central.

Je ne vous entretiendrai pas, messieurs, des défauts ou des avantages des divers systèmes. Tout a été dit à cet égard, et je suppose que vos convictions sont formées. Rapporteur de la section centrale, il me suffit d’avoir répondu aux objections nouvelles qui ont été présentées. Sans doute, ce système ne satisfera pas tous les vœux, mais je crois qu’il ne viole en rien la constitution, et que s’il obtenait vos suffrages, la commune conserverait des droits précieux moins étendus, il est vrai, que beaucoup de membres de cette assemblée ne le désirent, mais que nous ne devons cependant pas méconnaître.

M. le président. - La parole est à M. Gendebien.

M. de Robaulx. - Je le prie de vouloir bien me la céder pour quelques minutes.

Messieurs, le discours très lumineux que vous venez d’entendre ne m’a nullement convaincu que mon ami Seron et moi nous avions tort de proposer l’élection directe des bourgmestres et des échevins par le peuple. Tout lumineux que soit ce discours, j’avoue que je ne l’ai pas trop bien compris, s’il a pour but de nous faire revenir sur nos théories. Je suis un peu prévenu par la position même du rapporteur ; je ne puis considérer les observations qu’il nous a soumises que comme partant du ministère, dont il est un des employés salariés.

J’engagerai mon ami M. Gendebien à être très court, et à revenir très peu sur des questions sur lesquelles nos opinions sont arrêtées. Tout à l’heure un orateur, à l’apparition duquel vous vous ne attendez peut-être pas, arrivera dans cette enceinte pour remplir la promesse qu’il a faite, lors du premier vote, de faire tous ses efforts pour revenir à l’élection directe des échevins par le peuple.

Si pas aujourd’hui demain, M. Ernst, après avoir lu le discours du rapporteur et des autres membres qui ont parlé dans le même sens, viendra armé de pied en cap d’arguments qui seront mieux écoutés que ceux de mon honorable ami et les miens.

J’engage donc M. Gendebien à ne pas rentrer dans la discussion, bien persuadé que M. Ernst viendra demain, escorté de son honorable collègue M. d’Huart, à faire les efforts qu’il a promis à la face de la nation, quand il siégeait encore sur les bancs de l’opposition.

M. Gendebien. - Mon intention n’est pas de revenir sur ce que j’ai dit, quoique je ne compte nullement sur l’engagement solennel, sur la parole de M. Ernst qui, en désertant son banc de député, a déserté ses opinions. Je ne crois pas qu’il vienne pour soutenir une opinion que j’ai toujours soutenue et que je soutiendrais encore si, comme lui, j’avais eu le malheur de descendre des bancs de la chambre sur ceux du ministère.

Je n’ai demandé la parole que pour relever un fait. Un honorable préopinant vous a dit que le système de nomination des bourgmestres par le chef de l’Etat était si naturel, si bien senti, que le gouvernement provisoire avait d’abord adopté ce système.

L’honorable membre est dans une complète erreur. Les Hollandais ont quitté Bruxelles le 27 septembre à 4 heures du matin. Dans la même journée, j’ai contribué à la nomination de trois bourgmestres. Le premier qui a été nommé siège dans cette enceinte. Nous avons été obligés de pourvoir au plus pressé ; en vertu de la dictature dont nous étions revêtus, nous avons pu et nous avons dû, sans poser de système, nommer des bourgmestres. La preuve que nous n’avons pas voulu poser de système se trouve dans l’arrêté du 8 octobre et dans le considérant qui le précède, et d’un autre côté dans l’obligation imposée aux trois ou quatre bourgmestres nommés de se soumettre à l’élection ordonnée par cet arrêté.

Le considérant qui motive l’arrêté et qui n’est composé que de deux lignes, suffit pour constater que ce n’est pas une mesure purement révolutionnaire, mais réfléchie, et dont le but est acceptable et doit être accepté et respecté aujourd’hui comme il l’était alors.

Voici ce considérant : « Voulant pourvoir à la recomposition des régences d’après les principes d’une révolution toute populaire dans son origine et dans son but. » Il était constant alors pour tout le monde que les empiétements du roi Guillaume sur l’élément électoral avaient été une des causes de la révolution ; il était évident pour tout le monde (car tout le monde était alors de bonne foi) que le but de la révolution était de créer des institutions libérales, populaires.

Le gouvernement provisoire a satisfait ce vœu, ce besoin général ; il n’est intervenu ni directement ni indirectement dans la composition des magistratures municipales. Les bourgmestres, les échevins et les membres du conseil ont été nommés directement par les électeurs. Aucune objection, aucune critique ne s’est élevée sur ce point, ni alors, ni depuis.

C’est pour la première fois que j’entends dire aujourd’hui, par un séide et un serviteur du pouvoir fort à la vérité, que cette mesure est purement révolutionnaire, et rien de plus. Je désire que le gouvernement royal ne soit jamais plus révolutionnaire ou contre-révolutionnaire que nous ne l’avons été, même dans le flagrant de la révolution, et surtout lorsque nous avons pris l’arrêté du 8 octobre.

Un ex-ministre, après avoir soutenu que notre gouvernement est plus libéral que le gouvernement de Guillaume, en ce qui concerne la loi communale, a osé avancer qu’il était même plus libéral que le gouvernement provisoire, parce que celui-ci avait fixé à 100 florins le maximum du cens électoral.

Je prie l’assemblée de faire attention qu’il donnait aussi le droit électoral à tous les arts, à toutes les professions libérales. Je rappellerai ensuite à M. Lebeau, auteur de cette observation, que la première querelle que j’eus avec lui à mon retour de Paris le 10 octobre 1830, eut précisément pour objet la hauteur du cens ; je lui rappellerai que pour l’élection communale je ne voulais aucun cens, je voulais qu’on y appelât tous les citoyens âgés de plus de 21 ans ; et pour le congrès je voulais un abaissement considérable du cens. Je ne pense pas que M. Lebeau veuille contester ce fait, puisque cette querelle s’est renouvelée devant la commission de constitution au sujet de la discussion de ma proposition de diminuer le cens pour les élections du congrès.

Maintenant je ferai observer à M. Lebeau qu’il est en contradiction avec lui-même, lorsqu’il accuse l’arrêté du gouvernement provisoire d’être moins libéral que la loi que nous discutons, et à cause du cens plus élevé, puisque, lors de la discussion de la loi électorale, il a soutenu qu’un cens élevé était plus libéral qu’un cens moins élevé. M. Lebeau n’oserait pas le nier. Et voilà comment M. Lebeau se pose dans une discussion où il se sent mal à l’aise ; pour se tirer d’embarras, il se met en opposition avec lui-même, il renie ses propres théories. Je dirai à M. Lebeau et à ceux qui qualifient l’arrêté du gouvernement provisoire de n’être qu’un acte purement révolutionnaire, qu’il est et restera toujours plus rationnellement libéral que toutes les lois faites ou à faire, puisqu’il consacre l’élection directe des magistratures communales.

Je n’ajouterai plus qu’une observation, que cet arrêté a été exécuté dans un temps de révolution et même d’exaspération, car il a été exécuté immédiatement après sa promulgation. (Ici l’orateur lit un passage de l’arrêté.) Ainsi donc, messieurs, le gouvernement non seulement ne craignait pas l’élection directe même dans le flagrant de la révolution, mais il provoquait même tous les bons patriotes à se réunir en collège électoral pour le cas où les régences encore en fonctions auraient négliger de les convoquer.

Quels ont été les abus, quels ont été les résultats funestes de ce premier essai, de ce premier pas fait dans le champ aujourd’hui si redouté de l’élection directe ? Aucun, messieurs : depuis deux ans que nous discutons la loi communale, nos hommes d’Etat si intéressés à attaquer l’élection directe n’ont pu nous citer que deux exemples qu’ils qualifient d’abus graves de ce mode d’élection. Je prouverai tout à l’heure que ce ne sont pas même des abus ; mais je suppose qu’on puisse en citer cinquante, cent ; je suppose même que la moitié des élections aient été malencontreuses, n’y trouverait-ou pas encore la preuve de la bonté de ce genre puisque dans un moment révolutionnaire on aurait pu atteindre le juste milieu entre les bonnes et les mauvaises élections ?

Dans ce cas même le peuple eût été aussi sage que nos grands hommes aujourd’hui, puisqu’ils font consister leur gloire et leur triomphe à atteindre partout le juste milieu. Si vous voulez être justes, vous devez reconnaître que le peuple, en faisant pour la première fois usage de sa souveraineté, a été plus sage que tous les rois despotes qui, après des siècles d’expérience, ne savent pas encore faire un usage modéré de leurs prérogatives.

Sans doute il peut et il doit résulter des inconvénients de l’élection directe ; mais ces inconvénients sont inséparables de toute œuvre humaine ; l’homme est destiné à errer, mais les gouvernants ne sont-ils pas aussi des hommes ?

Après tout, et quel que soit leur désir d’en trouver de plus nombreux, nos faiseurs n’ont signalé que deux inconvénients graves. On a, disent-ils, été obligé dé suspendre la régence de Gand, et de condamner la régence de Liége à l’oubli ; c’est là, vous a-t-on dit, un nouveau genre de châtiment.

Quant à la régence de Gand, avait-elle mérité, oui ou non, cette suspension ? je n’en sais rien. J’ai cru la mesure nécessaire. C’est là un acte de dictature, puisque la constitution n’existait pas, et en pareil cas il n’y a pas de conséquence à tirer d’un pareil acte. Après l’attaque de Grégoire, la régence de Gand était signalée par des hommes en qui le gouvernement devait avoir confiance, elle était signalée comme ayant agi de connivence avec Grégoire. Les électeurs de Gand ont donc pu se tromper, puisqu’on a été obligé de suspendre leur œuvre.

Mais le gouvernement a mauvaise grâce de s’en faire un argument puisqu’il a lui-même levé la suspension, et qu’il a rétabli la régence dans les fonctions qui lui avaient été déférées par l’élection populaire. Après avoir examiné la chose de plus prés, le gouvernement a donc dû reconnaître que les électeurs ne s’étaient pas trompés, ou que tout au moins ils n’avaient pas fait abus de leur droit d’élection directe.

Ainsi donc, sur les deux abus signalés aujourd’hui par le gouvernement, en voilà un que le gouvernement a reconnu lui-même n’avoir rien de grave ; ainsi la moitié de son argument lui échappe.

L’autre moitié lui échappe également ; car quel reproche y a-t-il à adresser aux électeurs de Liége, pour un acte isolé de la régence de son choix ? Cet acte lui-même est-il bien coupable ? Nous avons le droit d’en douter ; il a été blâmé dans cette enceinte par le gouvernement et par ses amis, mais aussi il y a trouvé de nombreux défenseurs. Il a été blâmé par l’échevin qui s’est prétendu victime d’un acte arbitraire ; mais lui seul s’est plaint, et aucune pétition que je sache aucune plainte des administrés de la régence de Liège n’est arrivée jusqu’à nous.

S’il y a eu du scandale, c’est le gouvernement qui l’a produit par des menaces malencontreuses qui devaient rester sans effet, non à cause d’un vice dans la loi électorale, mais par l’absence de dispositions légales réglant les rapports entre les administrations communales et l’administration supérieure. On a insulté et exaspère violemment une des plus honorables magistratures du pays ; elle s’est contentée de mépriser les rodomontades et les menaces impuissantes, et elle a continue à marcher si régulièrement et d’une manière si profitable pour tous les administrés, que depuis longtemps on ne songerait plus à cette affaire, si on n’affectait d’en parler ici à tout propos.

Ainsi donc on a eu beau se battre les flancs, on n’a pu articuler aucun fait qui constatât un abus réel de l’élection directe. Je n’en dirai pas davantage ; je pense que s’il y a lieu de la part de la chambre à revenir sur ses précédentes résolutions, ce sera pour donner au peuple l’élection directe dont il fut doté par le gouvernement provisoire. Dans tous les cas, je proteste contre toute décision qui donnerait au gouvernement le droit de choisir le bourgmestre en dehors du conseil, et, à plus forte raison, contre la résolution qui lui donnerait voix délibérative même lorsqu’il est nommé en dehors du conseil.

M. Lebeau. - Je regrette, messieurs, qu’une circonstance inattendue vienne encore prolonger une discussion qui semble avoir déjà dépassé ses limites naturelles ; il vient de m’être adressé une interpellation à laquelle je ne puis m’empêcher de répondre : je n’ai pas extrêmement présents à la mémoire tous les faits qui se sont passés lors de mes relations avec le gouvernement provisoire, mais je crois pouvoir affirmer que M. Gendebien s’est trompé complètement quand il a dit qu’une conversation s’était engagée entre nous sur le sujet dont il a parlé.

Je me rappelle très bien que j’eus avec M. Gendebien une conversation sur le système d’élection adopté pour la formation du congrès national. M. Gendebien demandait que l’on fît figurer sur la liste des adjonctions quelques catégories que la commission de constitution n’y avait pas comprises.

Messieurs je pensais que si l’on avait admis les adjonctions, il y avait cependant plusieurs grades purement universitaires à exclure. M. Gendebien se récria, il insista et fit remarquer avec quelque raison que dans les exclusions il y avait bon nombre d’individus auxquels la révolution devait beaucoup ; son système prévalut.

J’affirme, autant que je puis le faire, maintenant que cinq ans nous séparent de cette époque, que je n’ai jamais eu aucune autre espèce d’entretien à ce sujet avec l’honorable M. Gendebien ; j’en appelle à l’honorable M. Nothomb, à l’honorable M. Dubus, si toutefois il participait alors à nos travaux. Se rappelle-t-il qu’on nous ait jamais communiqué l’arrêté du 7 octobre ? Pour moi je déclare n’en avoir eu connaissance que par le Bulletin officiel.

J’ai à répondre à une objection qui n’est pas plus fondée que le reproche qui m’a été adressé. On prétend que j’ai dit que le système de l’arrêté du 8 octobre était moins libéral que le système du gouvernement ; je n’ai jamais dit cela, j’ai dit qu’il était moins libéral, dans le sens qu’attachent à ce mot nos adversaires ; c’est-à-dire que le cens en est moins élevé, qu’il crée un plus grand nombre d’électeurs : je n’ai jamais appliqué l’expression de libérale à l’extension du cens électoral.

Dans le congrès, j’ai voté contre l’abaissement du cens, et l’expérience ne m’a pas détrompé. Voyez en France, qu’est-ce qui demande l’abaissement du cens ? Ce sont les légitimistes autant au moins que les hommes du mouvement ; la Gazette de France, c’est la Quotidienne, autant et plus que le Courrier Français et le National.

On a procédé contre moi par des insinuations (insinuations tout au moins de négligence), tactique dont je m’abstiens toujours dans cette chambre. On est venu faire encore allusion, je le pense du moins, aux tristes scènes des 5 et 6 avril. Je m’en rapporte sur ce point à un vote solennel de la chambre et au jugement des électeurs de Bruxelles. Tout récemment, ils ont eu l’occasion de porter un jugement sur ma conduite politique ; on sait comment ils l’ont fait et comment ils ont protesté contre les calomnies dont certains journaux étaient remplis envers moi à l’occasion de ces déplorables événements. C’est en présence de ces calomnies que j’ai été nommé représentant de Bruxelles, à une immense majorité. Et remarquez-le, mes relations avec le district de Bruxelles étaient rompues ; j’étais en quelque sorte étranger à la capitale. Je n’ai pu influer sur l’esprit électoral ni par ma position, ni par ma présence.

Je suis entré dans cette digression pour prouver l’injustice de l’insinuation à laquelle on paraît s’être livré de nouveau envers moi à l’occasion d’événements que je déplore, que j’ai toujours blâmés autant que qui que ce soit, et qu’il n’a pas dépendu des ministres d’empêcher. Je regrette d’en avoir entretenu la chambre, mais il n’a pas dépendu de moi de lui épargner ce hors-d’œuvre.

M. Nothomb. - Je serai très bref, J’ai dit que l’arrêté du 8 octobre 1830 était une mesure révolutionnaire et rien de plus ; je vais vous dire comment il a été rédigé, car j’étais présent à sa rédaction, et je me le rappelle fort bien. (L’orateur donne lecture du passage.) A coup sûr un arrêté où l’on trouve à propos de dire et coetera pour ne pas se mettre d’accord sur les professions et pour se tirer d’embarras, est au moins étrange, et cet et coetera est certes bien révolutionnaire. (On rit.)

Je n’ai pas dit que le gouvernement avait adopté le système de nommer des bourgmestres, mais il a pendant dix jours fait des bourgmestres ; il n’a pu aller plus loin, et dès lors il en a abandonné la nomination dans les communes aux citoyens eux-mêmes. J’ai dit que l’expression dont on se servait dans l’article 2 était révolutionnaire, c’est-à-dire transitoire.

M. de Robaulx. - Vous ne devez pas vous plaindre de la révolution, vous.

M. Nothomb. - Je persiste à dire qu’un arrêté dans lequel on abandonne la nomination à tous les bons patriotes ne mérite pas le nom de révolutionnaire, ou transitoire si on l’aime mieux.

M. Gendebien. - Voici le fait dans toute son exactitude. Je suis arrivé de Paris le 10 octobre ; l’arrêté pour les élections du congrès était déjà imprimé et sur la table. M. Lebeau se trouvait au gouvernement provisoire, raisonnant probablement sur cette pièce ; je la pris immédiatement, et je trouvai le cens trop élevé : on me dit ne pouvoir le changer puisqu’il y avait déjà une règle établie à ce sujet pour l’élection des administrations communales, c’était l’arrêté du 8 octobre ; une discussion, une dispute si vous le voulez, s’éleva alors entre M. Lebeau et moi ; je dis que pour les élections communales je ne voudrais pas de cens, que pour les élections du congrès je voudrais qu’il fût abaissé. J’ai demandé qu’on étendît le droit des professions libérales à des catégories qu’on voulait exclure : on adopta cette proposition, on repoussa l’autre en partie. Voilà l’exacte vérité.

On dit que ce sont les journaux légitimistes en France qui plus que ceux du mouvement soutiennent l’abaissement du cens ; je ne sais si M. Lebeau ne lit que les journaux légitimistes ; mais moi qui ne les lis pas, je sais que le National, que tous les journaux libéraux, et depuis trois ou quatre semaines le Constitutionnel lui-même, notez bien ceci, en reviennent à la réforme électorale et à l’abaissement du cens.

Quand j’ai parlé des 5 et 6 avril, M. Lebeau s’est écrié : On a voulu m’attaquer ! Quelle étrange susceptibilité ! Il n’y a donc que lui d’attaquable, il croit donc qu’on ne peut s’en prendre qu’à lui ! (On rit.) M. Lebeau ne s’aperçoit pas qu’il y a de graves inconvénients à se montrer aussi susceptible en pareille occasion.

A la suite et à prétexte des tristes événement des 5 et 6 avril, et par un arrêté du 12 avril, on a expulsé 21 étrangers à la fois ; voilà le coup d’Etat ou l’objet auquel j’ai fait allusion. C’est le seul qui pût avoir quelques rapports avec le 18 brumaire dont je venais de parler.

M. Nothomb vous a relu l’arrêté du gouvernement provisoire du 8 octobre 1830, en faisant remarquer que mon nom ne s’y trouve pas ; si je ne l’ai pas signé, c’est parce que j’étais absent, comme je viens de le dire ; mais je l’ai approuvé. Il le trouve révolutionnaire ; et cela pourquoi ? parce qu’il contient un et caetera ! J’invite M. François de s’occuper de cet et caetera révolutionnaire. (On rit.) Ce sont là des révolutionnaires d’une nouvelle espèce à la recherche desquels il doit mettre ses soins au plus vite, car ce sont peut-être des républicains. (On rit.) Voici cet article de l’arrêté du gouvernement provisoire qui sue la révolution par tous les pores : « Ceux qui exerceront des professions libérales, avocats, médecins, professeurs, instituteurs, etc. »

Et parce que nous avons appelé tous ces citoyens aux élections, l’arrêté est révolutionnaire ! nous étions dans l’embarras et nous avons mis etc. pour nous en tirer ! Mais quels étaient donc ces embarras de nature tellement grave que nous n’avons trouvé d’autre moyen de nous en tirer que par un et cœtera révolutionnaire. On n’en signale aucun ; d’où je conclus que c’est mon contradicteur qui seul éprouve quelque embarras à me répondre, et qui, pour s’en tirer, a imaginé de révolutionner notre et caetera.

Une autre disposition du même arrêté, et non moins révolutionnaire, prouve que la mesure n’était pas permanente ; c’est celle où nous faisons une invitation à tous les bons citoyens. Cette disposition est nécessairement transitoire, et ne peut nullement influer sur toutes les autres. Est-ce que les autres ne peuvent pas, malgré elle, être permanentes ? Vous le voyez, on n’a que des pauvretés à nous opposer ; ou en est réduit à trouver de la révolution dans un et cœtera, cela est bien misérable. Que M. François suive à la piste ce révolutionnaire-là. (On rit.) S’il le trouve, il aura bien mérité de la patrie et du gouvernement. (On rit.)

M. Dubus. - Je dois répondre à une interpellation que l’on m’a faite.

Messieurs, les premiers membres du comité de constitution ont été nommés vers le 5 ou le 6 octobre 1830 ; comme je n’ai été nommé membre de ce comité que le 9, je n’ai pas eu connaissance des débats auxquels a donné lieu le projet du 8 octobre.

Je me souviens parfaitement que l’arrêté relatif aux élections du congrès a été communiqué en projet au comité de constitution ; qu’il a même été élaboré dans le sein de ce comité ; que postérieurement un arrêté a diminué le cens électoral ; que le cens a été diminué de moitié pour les campagnes, et que cet arrêté a été soumis aussi au comité de constitution.

Je ne saurais dire si alors M. Lebeau s’est opposé à l’abaissement du cens ; quant à moi, j’ai voté pour cet abaissement, et je crois que j’ai bien fait. Mais veut-on savoir quelle était l’opinion du comité de constitution sur le principe de l’arrêté du 8 octobre, principe que l’on a qualifié sous le nom de mesure révolutionnaire ? Vous devez comprendre que ce que l’on trouve de plus révolutionnaire dans cet arrêté, c’est la nomination directe des bourgmestre et échevins. Eh bien, le comité de constitution voulait l’élection directe, et la voulait sur la proposition de M. Lebeau. (On rit.) Oui, c’est M. Lebeau qui a proposé l’article portant que les lois provinciale et communale consacreraient le principe suivant : « L’élection sera directe, sans aucune exception. » Et tout le monde a si bien compris que cela emportait l’élection directe des bourgmestres, échevins et conseillers, que dans presque toutes les sections du congrès, il s’est trouvé des membres qui ont demandé une exception relativement au bourgmestre.

L’article a été proposé par M. Lebeau, et adopté par le comité de constitution à une assez forte majorité. J’y ai donné mon assentiment.

Vous pouvez reconnaître par là que l’élection directe n’était pas une mesure transitoire, L’opinion du comité et de tout le monde était que, par l’élection directe, on faisait la réparation d’un grief, on faisait la restitution d’un droit ravi au peuple. (Bien ! bien !)

Puisque j’ai la parole, je rappellerai une motion qu’a faite un honorable députe de Bruxelles à la dernière séance. Il a demandé si M. le ministre de l'intérieur n’avait rien à dire dans la présente discussion générale ; le ministre a répondu qu’il parlerait en temps et lieu. Quant au lieu c’est apparemment dans cette enceinte (on rit) ; quant au temps il me semble qu’il est arrivé.

Nous connaissons la loi telle que nous l’avons votée ; et je vous prierai de vous souvenir que le ministre l’a votée avec nous. Il a donc reconnu alors qu’elle faisait au pouvoir une part assez large pour conserver l’ordre dans le pays ; car ce serait une injure que de supposer le ministre vouloir admettre des dispositions contraires à l’ordre public. Nous connaissons, sur le nouveau projet, l’opinion de la section centrale ; nous devons désirer connaître maintenant encore l’opinion du ministère.

M. Lebeau. - Je demande la parole pour un fait personnel. C’est bien malgré moi, messieurs, mais j’y suis provoqué, que je viens prolonger une discussion déjà si longue par un incident oiseux. Toutefois, je ne puis faire abnégation de moi-même jusqu’au point de ne pas répondre.

Quand il serait vrai que le paragraphe proposé par moi eût été rédigé ainsi : « Ces lois consacrent l’application des principes suivants : 1° L’élection directe, » en résulterait-il qu’on eût posé un principe absolu, exclusif de toute exception, applicable à la province comme à la commune, puisque le paragraphe s’applique également aux institutions provinciales et communales ?

- Plusieurs membres. - Oui ! Oui !

M. Lebeau. - Puisque vous admettez que cela exclut toute exception, il faudrait donc que j’eusse voulu par là que le gouverneur de la province fût élu directement ?

M. Gendebien. - Pourquoi pas ?

M. Lebeau. - Pourquoi pas ? Le voici ; c’est que si quelqu’un eût fait cette proposition au comité de constitution, on lui aurait ri au nez. MM. de Gerlache, Devaux, Nothomb. n’auraient certes pas admis cette proposition, ni moi non plus ; encore moins l’aurions-nous faite.

Comment auraient-ils pu l’admettre puisque quelques jours après, à l’ouverture du congrès, ces messieurs ont émis ainsi que moi un avis différent ? Il est impossible, avec bonne foi, avec impartialité, de supposer que j’aie posé un principe aussi absurde ; je dirai aussi anarchique. Quelle que soit la diversité de nos opinions sur la nomination des bourgmestres, il ne peut y avoir qu’un avis sur la nomination des gouverneurs. (La clôture ! la clôture !)

M. Dumortier. (pour une motion d’ordre). - Avant de clore la discussion, il faudrait que le gouvernement expliquât sa pensée sur les articles en discussion. Certainement il ne doit pas entendre que sa pensée soit un mystère pour nous.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Si je ne veux pas parler dans la discussion générale, c’est parce que je serais obligé de répéter tout ce que je dirais lors de la discussion des articles. C’est pour abréger les moments de la chambre que je garde le silence actuellement. Mais je m’expliquerai.

M. de Robaulx. - C’est une habitude constante : chaque fois qu’un rapport est présenté par la section centrale, M. le président interpelle le ministre pour savoir s’il adhère aux conclusions qu’elle prend. Ce fait a été rappelé à M. le ministre de l’intérieur, et j’ai vu, par les journaux, que l’on avait répondu : Mais le projet en discussion et celui du sénat et n’est pas celui du gouvernement.

Cette réponse me paraît erronée. Le sénat n’a pas fait usage de son initiative pour le projet de loi ; il a simplement voté sur un projet du gouvernement. C’est le gouvernement qui a présenté le projet d’organisation communale, et lorsque la section centrale a fait son rapport, le ministre a déclaré qu’il s’expliquerait article par article ; en sorte que nous avons mis en discussion le projet du gouvernement ; et ce sont les dispositions de ce projet qui ont été adoptées ou rejetées. Le sénat, à qui le projet a ensuite été soumis, a supprimé des amendements proposés par la section et un amendement que mon honorable ami M. Seron et moi avions présenté.

Le sénat ayant terminé son travail dans le sens tout patriotique qui lui est particulier, le projet nous a été renvoyé de nouveau, et vous êtes encore saisis du projet du gouvernement.

Maintenant la section centrale fait un rapport sur la loi amendée par le sénat ; il faut donc savoir, selon l’usage, si le ministère adhère ou repousse les conclusions de ce rapport. Nous avons besoin de connaître la pensée du gouvernement pour ne pas batailler dans le vide. Pourquoi le ministère veut-il nous laisser dans le vague ? C’est qu’il sait avoir assez d’amis dans cette chambre pour lui ôter toute inquiétude. Cependant il est nécessaire que nous sachions à quoi nous en tenir. Quant à moi, je m’opposerai à la clôture de la discussion générale aussi longtemps que le gouvernement ne se sera pas expliqué.

M. Jullien. - Je suis aussi curieux qu’un autre d’entendre l’opinion du gouvernement sur la question qui nous occupe, et je le suis d’autant plus que vous vous rappellerez que dans cette discussion il y a eu deux gouvernements, l’un qui approuvait certaines dispositions, l’autre qui les rejetait. (On rit.) Cependant je ne puis admettre l’opinion de M. de Robaulx, laquelle aurait pour but, en quelque sorte, de forcer le ministre à s’expliquer. D’ailleurs, sur quoi le ministre s’expliquerait-il ? Sur l’ensemble de la loi ? Mais cela est impossible ; il ne peut s’expliquer que sur chaque article.

On parle du sénat ; mais le sénat n’a rien à faire dans la discussion qui nous occupe. Chacun prend part à la discussion générale comme il l’entend. Si je me suis abstenu de parler sur la question considérée d’une manière générale, c’est parce que je veux parler sur la nomination des échevins, et je comprends que j’aurais été obligé d’entrer dans des redites en discutant deux fois le même objet ; or, j’éprouve autant de dégoût à répéter les mêmes choses que la chambre en a de les entendre.

M. Gendebien. - Je regrette de ne pouvoir partager l’avis de M. Julien ; mais je crois qu’il est indispensable de connaître l’opinion du ministre avant de clore la discussion, autrement nous discuterons dans le vague.

M. Nothomb. - Messieurs, on a invoqué nos précédents ; je n’ai qu’un mot à dire. Dans les discussions qui ont eu lieu précédemment sur diverses lois, M. Rogier a souvent répondu à la question de savoir s’il adhérait ou pas aux conclusions de la section centrale : J’attendrai les lumières de la discussion pour savoir à quoi m’en tenir. (La clôture ! la clôture !)

M. de Brouckere. - Messieurs, par une circonstance tout à fait indépendante de ma volonté, je n’ai pu assister au commencement de la séance ; mon intention était de prendre part à la discussion ; mais puisqu’on insiste pour la clôture, je m’abstiendrai de parler.

Toutefois je ne puis m’empêcher de vous répéter combien je suis étonné de voir l’obstination que met le ministère à garder le silence.

Il est vrai, je dois en convenir, que le ministère est dans une singulière position. Comme l’a très bien fait remarquer M. Jullien, il y a ici deux ministères, deux gouvernements ; deux des ministres sont d’un avis ; deux autres sont d’un avis différent et n’osent même pas se montrer dans la chambre. La situation est embarrassante.

Cette dissidence n’est pas la seule cause d’embarras. Chacun de ces gouvernements défend le juste milieu, mais chacun entend ce juste milieu à sa manière, et c’est ce que vous a très bien expliqué un honorable membre. M. Lebeau vous avait déclaré qu’il posait sa bannière au milieu du juste milieu ; cependant il nie un juste milieu pour en approuver un autre : il a distingué le juste milieu en bon et en mauvais. Le rapport de M. Dellafaille ou les conclusions de la section centrale sont du mauvais juste milieu, ce qui n’est pas très flatteur pour elle.

De tout cela résulte que le ministère est entre quatre positions nées des deux gouvernements et des deux espèces de juste milieu : il peut donc être embarrassé pour s’expliquer.

Jamais la législature n’a été en présence d’une position aussi bizarre : le ministère est divisé d’opinions, les chambres sont divisées d’opinons, et M. Lebeau a pris pour patron M. Audry de Puyraveau ; il y a là de quoi embarrasser tout le monde.

Quoi qu’il en soit, on ne peut forcer le ministère à parler ; s’il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, il n’y a pire muet que celui qui ne veut pas parler.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Pour calmer les inquiétudes que l’on manifeste sur de prétendus embarras que l’on signale, je dirai que ces embarras n’existent pas, et que si je n’ai pas pris la parole, c’est pour ne pas prolonger inutilement la discussion, car je considère maintenant toute continuation de la discussion comme oiseuse. (La clôture ! la clôture !)

- La clôture mise aux voix est adoptée à une grande majorité.

La séance est levée à 5 heures.