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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 août 1835

(Moniteur belge n°232, du 19 août 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs engraisseurs de bétail des polders d’Eeckhoven et d’Austruweel demandent que l’entrée du bétail et du foin hollandais soit prohibée. »

« Le sénat académique de l’université de Louvain demande la centralisation des hautes études. »

M. le ministre de l'intérieur adresse une réponse à la pétition des commerçants en liquides de la ville de Tournay, qui lui a été renvoyée par la chambre.


M. Quirini. - Parmi les pétitions, il en est une du sénat académique relative à l’objet en discussion ; je demande que, selon l’usage, elle soit déposée sur le bureau ou que l’on en donne lecture.

M. Verdussen donne lecture de la pétition du sénat académique de Louvain.

Propositions de loi portant augmentation du personnel de certains tribunaux de première instance

Rapport de la commission

M. de Behr, rapporteur d’une commission, est appelé à la tribune.

- Plusieurs membres. - Faites imprimer le rapport !

M. de Behr. - Il s’agit d’un renvoi au ministre de la justice : mon rapport est court.

- La chambre décide que le rapport sera imprimé.

M. Pirson. - Je demanderai que la chambre veuille bien fixer le jour de la discussion du rapport qui vient d’être déposé après le vote de la loi qui nous occupe ; ce rapport ne donnera sans doute lieu à aucune discussion ; il est de l’intérêt de tous les auteurs des projets d’augmentation du personnel dans divers tribunaux que M. le ministre de la justice soit promptement saisi du rapport ; de cette manière il pourra nous présenter un projet général à l’ouverture de la session ordinaire, point sur lequel j’insiste fortement.

Proposition de loi reconnaissant la nationalité belge à certains officiers nés Belges et ayant servi à l'étranger

Motion d'ordre

M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

L’honorable M. de Mérode a présenté et développé un projet de loi relatif aux officiers belges qui sont au service d’une puissance étrangère. Ce projet me paraît mériter toute l’attention et la sollicitude de la chambre, et selon moi, même, il réclame l’urgence. Je n’ajouterai rien aux motifs qui vous ont été développés par son auteur, ils suffisent pour le démontrer. Je demanderai en conséquence que la chambre invite la commission chargée d’examiner ce projet à faire son rapport dans le plus bref délai possible.

M. Dubus. - Je concevrais la proposition du préopinant, si la commission chargée d’examiner le projet présenté par M. de Mérode était en retard ; mais elle vient seulement d’être nommée, et le projet n’a été distribué qu’hier. La commission s’est assemblée aujourd’hui pour se constituer, et déjà on demande qu’elle soit invitée à faire son rapport, comme si elle avait négligé de s’occuper du travail qui lui est confié. Cette motion est contraire aux usages de la chambre. Je m’y oppose comme membre de la commission.

M. Eloy de Burdinne. - Je n’entends faire aucun reproche à la commission, je suis persuadé qu’elle apportera à l’examen dont elle est chargée tout le zèle et toute l’activité possible. Je me bornais à demander qu’on l’invitât à faire son rapport aussitôt qu’elle le pourrait.

M. le président. - M. Eloy de Burdinne insiste-t-il pour que sa motion soit mise aux voix ?

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. le président. - Alors nous allons passer à l’objet à l’ordre du jour, qui est la suite de la discussion de la loi sur le haut enseignement.

Projet de loi sur l'instruction publique

Discussion des articles

Titre III. Des grades, des jurys d’examen et des droits qui sont attachés aux grades

Chapitre premier. Des grades et des jurys d’examen
Discussion générale

M. le président. - A la dernière séance la chambre a décidé qu’il y aurait une discussion générale sur le titre III de cette loi.

M. de Brouckere. - Messieurs, déjà, dans la séance d’hier, j’ai eu l’honneur de faire remarquer à l’assemblée combien le titre dont nous allons nous occuper est digne de votre attention, d’abord à cause de son importance, que personne ne sera tenté de révoquer en doute, en second lieu parce qu’il s’agit d’une innovation, d’une institution telle, qu’il n’y en a pas eu de pareille chez nous jusqu’aujourd’hui. Je ne crains pas d’affirmer, messieurs, que selon que la composition du jury d’examen sera bonne ou mauvaise, l’enseignement supérieur prospérera ou tombera en décadence.

Pour que le jury d’examen réponde à l’attente des gens de bien et des amis de la science, il faut nécessairement qu’il renferme les conditions suivantes :

1° Capacité bien constatée dans la matière, objet de l’examen ;

2° Une certaine habitude de procéder à des examens. L’expérience a prouvé que des savants du premier ordre étaient souvent de mauvais examinateurs, posaient mal les questions, se mettaient trop au-dessus ou au-dessous des élèves, en un mot, ne savaient pas mettre chacun à sa place.

3° Un esprit de justice et d’impartialité : or n’est pas impartial qui veut ; tel homme, avec la conscience la plus scrupuleuse, et à son insu, sera partial, en faveur des hommes de son opinion, de son parti, contre les humains d’une opinion contraire. Il y a parfois une certaine impulsion intérieure, qui agit sur nous, contre notre volonté.

4° Apparence extérieure d’impartialité, ou plutôt, si ce mot apparence exprime mal mon idée, manifestation extérieure d’impartialité, indépendance de tout parti politique. Il ne suffit pas que les membres du jury soient impartiaux, il faut encore qu’aux yeux de l’opinion ils paraissent tels avant tout examen : pour peu que l’on puisse crainte la partialité, beaucoup d’étudiants s’effraieront, et ce fait nuira à leurs moyens et à leurs succès. L’expérience prouve que souvent la plus petite circonstance suffit pour qu’un élève fasse un mauvais examen.

5° Enfin, l’étude des sciences demandant de la stabilité, le jury doit être à l’abri de tous les revirements politiques, des fluctuations de l’opinion politique, des impressions du moment.

Cela posé, il me paraît qu’il serait dangereux de faire nommer le jury par des corps politiques. Les majorités législatives nommeront toujours dans le sens de l’opinion qu’elles veulent faire triompher : l’opinion des minorités sera rarement représentée. Partant, point d’impartialité.

Ajoutez à cela que les majorités variant avec les fluctuations de l’opinion, selon que les élections enverront quelques représentants de plus à droite ou à gauche, le contrecoup s’en fera ressentir dans le jury et par suite dans le sort des universités. Le succès de chacun de ces établissements ne dépendra plus du savoir et des efforts des professeurs, il sera tout à fait subordonné aux élections et à toutes les chances des oscillations politiques. Sans doute la première année, peut-être même la seconde, le jury pourra être nommé d’une manière moins partiale ; mais cette première pudeur passée, survienne surtout quelqu’événement imprévu, la majorité repoussera les candidats de la majorité ou plutôt nommera des jurés hostiles à cette minorité.

Ces considérations, auxquelles je pourrais en ajouter d’autres d’une nature non moins grave, me font regarder ce mode de nomination du jury comme destructif de toute bonne organisation universitaire.

Faire nommer le jury directement par le ministère, ce mode présente aussi de grands inconvénients, qu’il est facile de reconnaître, sans qu’il soit besoin de les signaler. Toutefois j’aimerais mieux une nomination ministérielle directe, qui est exposée au moins à une responsabilité morale qu’une nomination au scrutin secret par une majorité irresponsable. Je repousserai cependant encore ce mode de former le jury d’examen.

Celui proposé par le projet primitif est moins fâcheux que toutes les modifications que l’on y a apportées depuis. Si l’on adoptait ce système, il faudrait seulement que les universités libres, dont l’existence ne pourrait être révoquée en doute et qui seraient en possession d’une certaine confiance, fussent aussi représentées : autrement, les élèves des universités, craignant d’être moins bien traités que ceux des universités du gouvernement, ne voudront pas courir les chances d’un examen moins bienveillant, plus sévère, que celui des étudiants placés en présence d’un de leurs professeurs.

Peut-être serait-il facile, de combiner une forme plus simple qui, sans aucun inconvénient, présenterait toutes les garanties désirables ; ce serait :

1° De former autant de jurys qu’il y a de facultés.

2° De les composer d’un professeur de chacune des deux universités du gouvernement ; d’un professeur de chaque université indépendante, ayant au moins cent élèves ; de deux ou de trois membres, nommés par le gouvernement, de manière que les jurys aient toujours un nombre pair de membres. Comme il n’est pas probable que l’on érige plus de deux universités libres en Belgique, le jury sera ainsi compose de six membres. Si, plus tard, contre toute vraisemblance il s’élevait une troisième université libre, et qu’elle eût plus de cent élèves, elle devrait aussi être représentée par un professeur. Le gouvernement nommerait alors trois délégués, et ce jury serait composé de huit membres.

3° De décider que le jury devrait être au complet, à chaque examen, mais que le professeur appartenant à la faculté où le récipiendaire a fait ses études, n’aura que voix consultative.

4° De décider enfin que chacun de professeurs, membres du jury, sera nommé par la faculté dont il fait partie, et qu’il sera désigné en même temps un suppléant, pour le remplacer en cas d’empêchement.

Je ne vois pas, messieurs, quelle objection raisonnable on pourrait opposer à ce système. On y trouve la garantie d’une capacité réelle et spéciale, la certitude d’une véritable impartialité, résultant de l’équilibre établi parmi les examinateurs et le moyen le plus efficace d’éviter à l’avenir, dans les examens, soit la complaisance qui se contente du simulacre, soit la malveillance moins excusable encore.

D’après ce système tout le monde est représenté, le gouvernement, chaque université ; c’est-à-dire toutes les opinions qui divisent le pays, et surtout les différentes sciences qui composent l’enseignement supérieur. Il y a égalité, avantage pour tous ; privilège pour personne. Aucune réaction politique ne pourrait exercer d’influence fâcheuse sur l’instruction publique, laquelle ne peut que gagner à rester en dehors de tous les débats politiques.

Dira-t-on peut-être qu’il faudrait dans ce système reconnaître l’existence des universités indépendantes ? Mais on reconnaît si bien leur existence qu’on institue pour elles, et pour elles surtout, le jury d’examen, qui pour les universités du gouvernement serait inutile. D’ailleurs, il ne faut pas le nommer directement, et l’on se bornera à consigner le droit de désigner un membre du jury à toute université ayant cent élèves, soit aux universités qui existent actuellement, soit à celles qui s’élèveront plus tard.

Encore une fois, dans ce système on trouve toute garantie de capacité, de justice, d’indépendance, et d’impartialité. Dans tout autre système, malheur à la minorité.

J’ai rédigé, messieurs, un amendement que je déposerai sur le bureau, quand le temps en sera venu. Je demande la permission d’en donner dès aujourd’hui lecture à l’assemblée.

Voici comment il est conçu :

« Le jury sera composé en nombre pair, savoir :

« D’un professeur de chacune des universités du gouvernement ;

« D’un professeur de chaque université libre ayant au moins cent élèves ;

« De deux ou de trois membres nommés par le gouvernement.

« Chacun des professeurs désignés par les universités sera nommé par la faculté dont il fait partie, laquelle désignera en même temps un suppléant pour le remplacer en cas d’empêchement.

« Le jury devra être au complet pour procéder à un examen ; le professeur appartenant à la faculté où le récipiendaire a fait ses études n’aura que voix consultative. »

M. de Nef. - Le mode de nomination à l’effet de former les jurys d’examen pour l’obtention des grades tant aux universités du gouvernement qu’à celles établies selon le premier paragraphe de l’article 17 de la constitution me paraît être un point tellement important et délicat qu’il me semble que le pays tout entier doit y concourir et, partant de là, je pense que l’on obtiendra ce résultat en conférant cette nomination aux mandataires de la nation, c’est-à-dire aux deux chambres. Il ne s’agirait plus ensuite que de rédiger un article pour fixer dans quelle proportion chacune des deux chambres participerait à la nomination et pour régler la forme à suivre à ce sujet.

Il est enfin à remarquer que le gouvernement restant lui-même chargé de deux universités doit aussi prendre part à la nomination des membres composant les jurys d’examen ; cette observation me paraît incontestable, et en conséquence je ne saurais m’opposer à ce qu’on accordât au gouvernement la nomination d’environ un tiers de ces membres, puisqu’il est naturel que celui qui supporte une grande partie des charges jouisse aussi d’une partie des avantages.

Ces considérations, que j’avais déjà eu l’honneur de soumettre en section, se rapprochent presque entièrement du projet tel qu’il a été amendé sur ce point par la section centrale et par M. le ministre de l'intérieur, et auquel je me propose en conséquence de donner mon assentiment.

M. Milcamps. - Messieurs, chaque individu ayant la faculté d’étudier dans les universités de l’Etat ou dans les institutions libres ainsi qu’à l’étranger, et pouvant même parfaire ses études à lui seul, on conçoit qu’il est nécessaire d’établir un jury unique chargé de faite les examens et de conférer les grades académiques.

La question n’est donc pas de savoir s’il y aura un jury d’examen, on sera tacitement d’accord sur ce point ; ce qui fait difficulté, c’est le mode de son organisation.

On est loin d’être d’accord à cet égard.

Le gouvernement avait d’abord proposé de le composer de cinq membres pour les examens de candidat, et de sept pour les examens de doctorat. Dans le premier cas on y appelait un professeur des universités de l’Etat, et dans le second trois. Le choix des autres membres était laissé pour le droit à la cour de cassation, pour les lettres et sciences à l’académie belge, et pour la médecine au gouvernement, sur la présentation de candidat par les commissions médicales.

La section centrale n’admet pas de droit les professeurs des universités dans la composition du jury. Elle propose pour chaque faculté un jury distinct qui serait composé de sept membres dont deux à la nomination du sénat, deux à la nomination de la chambre des représentants, et trois au choix du gouvernement.

Le gouvernement, dans le nouveau projet, s’est rallié au mode proposé par la section centrale.

Si l’on examine maintenant les procès-verbaux des sections, on voit un grand désaccord dans les opinions.

La première voudrait que le choix des membres du jury fût laissé pour les examens des sciences et lettres à l’académie belge, pour les examens en droit à la cour de cassation, et pour les examens en médecine aux commissions médicales.

La deuxième section abandonne la nomination de tous les membres du jury au gouvernement.

Les troisième, quatrième, cinquième et sixième ont des systèmes qui diffèrent de ceux précédents ; c’est dans cette diversité d’opinions que nous sommes appelés à prononcer.

Le système que je repousse avec le plus de force est celui de la section centrale auquel le gouvernement s’est rallié, lequel fait concourir les chambres législatives à l’élection des membres du jury.

J’admettrai difficilement que des professeurs des universités de l’Etat soient admis dans le jury, lorsqu’il s’agirait par exemple de faire les examens des élèves qui auraient étudié dans les universités libres ou à l’étranger, ou de ceux qui auraient fait leurs études à eux seuls. Et d’abord sur quoi le système qui appelle les chambres à élire les membres du jury est-elle fondée ?

Sur ce que, nous dit la section centrale, l’un des éléments du jury doit être l’opinion publique, puisque le jury n’est au fond qu’une garantie d’impartialité donnée aux différentes croyances et opinions qui divisent la nation ; l’intervention des chambres, seules dépositaires de l’opinion publique, est donc non seulement utile, mais nécessaire.

Je partage l’opinion que le jury doit être composé de manière qu’on ait la garantie qu’il procédera à l’examen des élèves sans égard aux doctrines qui leur auront été enseignées et à leur croyance, et certes cette opinion, j’aime à le dire, est très libérale et très constitutionnelle. C’est la confirmation du principe de la liberté indéfinie de toutes les opinions, de la liberté des cultes, du principe que la foi est indépendante de la loi ; c’est la bonne philosophie.

Mais ce sont précisément ces considérations qui me portent à rejeter l’intervention des membres des deux chambres dans l’élection du jury. C’est parce que les chambres sont des assemblées, qu’une certaine opinion peut y dominer, que je les crois peu propres à intervenir dans le choix des membres du jury.

Et puis ce n’est pas là la mission des chambres législatives ; nommer les membres chargés de conférer des grades académiques, ce n’est pas faire une loi, mais un acte d’administration.

Qu’on ne m’objecte pas la nomination des membres de la cour de comptes. C’est là une prérogative constitutionnelle donnée à la chambre qu’il ne faut pas étendre. Et du reste, l’observation faite par la minorité de la section centrale, qu’il faut craindre qu’il ne sorte de l’urne des choix bizarres, me frappe. Gardons-nous de nous y exposer, et qu’on ne dise pas que la nomination des membres de la cour des comptes ne justifie pas cette crainte ; la position n’est pas la même. Il n’y aurait pas d’aussi graves inconvénients, si le choix d’un conseiller portait sur quelqu’un d’une faible capacité. Dans un membre de la cour des comptes, du zèle, de l’exactitude et l’aide de bons chefs de division peuvent souvent suffire.

Mais il n’en est pas de même du choix des hommes chargés de faire les examens et de conférer les grades académiques : le choix doit porter sur des hommes spéciaux, sur des savants. Il y a une grande responsabilité attachée à un semblable choix.

Je repousserai donc le système d’élection par les chambres législatives.

J’ai dit que j’admettrais difficilement des professeurs des universités de l’Etat dans la composition du jury, s’il s’agissait, par exemple, d’élèves appartenant à des universités libres ; et en effet ces professeurs des universités de l’Etat, eussent-ils la plus grande impartialité dans les examens et dans leurs décisions, encore présumera-t-on qu’ils ne sont pas impartiaux, si l’on prononce le rejet ou l’ajournement du récipiendaire d’une université libre.

Dans ces circonstances et jusqu’à présent mon opinion est que chacun des jurys devrait être composé de la manière suivante :

Pour les examens de candidat et de docteur en philosophie et lettres ou en sciences, de quatre membres désignés par le gouvernement et de trois désignés par l’académie belge.

Pour l’examen de candidat et de docteur en droit, de quatre membres désignés par le gouvernement et de trois désignés par la cour de cassation.

Pour l’examen de candidat et de docteur en médecine, de quatre membres nommés directement par le gouvernement et de trois, sur présentation de candidats, par les commissions médicales.

Une désignation spéciale émanée de l’académie pour les sciences et les lettres, de la magistrature pour le droit, et des commissions médicales pour la médecine, et une désignation émanée du gouvernement, sont des garantie non équivoques de capacité, d’indépendance et d’impartialité des membres du jury.

Ce mode rentre dans la proposition de M. de Brouckere en ce que le gouvernement ayant le choix de quatre membres, aura le droit, et il en usera souvent, de nommer des professeurs de chacune des universités de l’Etat et des universités libres.

M. Jullien. - Messieurs, deux questions principales sortent de nos débats. La première est celle de savoir s’il y aura un jury d’examen : Sur cette question, je crois que toute la chambre est d’accord. Tout le monde convient qu’il faut qu’il y ait un jury d’examen.

La seconde question est celle de savoir comment ce jury se compose. C’est là véritablement qu’est toute la difficulté. Quant à moi, je pense avec les deux honorables préopinants, que c’est une très malheureuse idée de la section centrale d’avoir voulu faire intervenir la chambre des représentants et le sénat dans le choix des membres du jury d’examen. On aura beau discuter cette question sous toutes les faces, soyez bien persuadés que la meilleure raison qu’on a déjà donnée et qu’on puisse donner encore pour faire repousser ce mode de nomination, c’est que la chambre des représentants et le sénat sont deux corps politiques. Dès l’instant que cette vérité est incontestable, il est incontestable aussi qu’il n’y a peut-être pas dans tout le royaume une réunion d’hommes moins propres qu’une assemblée politique à faire des choix de savants, d’hommes capables de procéder à des examens et de conférer des grades académiques.

En effet, qu’est-ce que la science a de commun avec la politique ? La science vit dans la retraite, éloignée du tracas des affaires, tandis que la politique mène une vie extrêmement active, peut-être presque toujours à la tribune ou sur le forum. Voilà la grande différence qu’il y a entre la vie de la science et la vie politique.

D’ailleurs, qu’est-ce qui compose les corps politiques ? ce sont les différents partis qui existent dans un Etat ; les différences nuances d’opinion envoient des hommes politiques qui les représentent : eh bien, je vous le demande, y a-t-il des hommes plus incapables de juger que des hommes politiques ? L’expérience vous a prouvé qu’il n’y avait pas de justice politique.

Malheur, trois fois malheur à celui qui dans un procès individuel a affaire à une assemblée politique, car la plupart du temps, son jugement est dicté par les passions et par l’opinion dominante.

Je prends ici un exemple : vous avez dans cette chambre des catholiques et des libéraux ; du moins, c’est ainsi qu’on nous appelle. Eh bien, quand il s’agira de nommer les membres du jury d’examen, ne pensez-vous pas que l’opinion catholique, si elle était dominante, trouverait que l’homme le plus savant du pays, s’il était d’une autre opinion, s’il était accusé d’hérésie, serait incapable d’être membre d’un jury d’examen ?

Voilà où on est entraîné malgré soi, quand on livre aux corps politiques des jugements sur les hommes et surtout sur les questions de capacité. Les savants ne peuvent être jugés que par des hommes de même trempe ; les savants sont plus capables que personne d’apprécier la science de leurs collègues.

J’ai entendu avec plaisir une autre observation qui ne serait pas aussi déterminante que celle que je viens d’émettre, mais qui cependant n’est pas sans un grand poids, c’est que la chambre ferait véritablement acte d’administration si elle nommait les membres du jury d’examen. Si les corps politiques se permettent de nommer aux emplois, aux fonctions, ils usurpent la prérogative royale ; car il est écrit dans la constitution que le Roi nomme aux emplois et fonctions publiques. De quel droit les corps politiques iraient-ils se permettre de nommer aujourd’hui des examinateurs ? Demain ils pourraient nommer des professeurs, et bientôt ils pourraient s’attribuer d’autres nominations.

De cette manière le pouvoir législatif s’immiscerait dans les attributions du pouvoir exécutif. C’est la plus misérable des confusions qui puisse affliger un Etat, parce que, incontestablement, il faut que l’anarchie en sorte.

Une autre difficulté à laquelle n’ont pas pensé les partisans de ce système, c’est que, quand vous donnerez à la chambre et au sénat la faculté de faire ces nominations, il faut que vous déterminiez l’époque à laquelle ces nominations seront faites. Il faut en outre que l’époque déterminée corresponde avec celle de la réunion des chambres, car si ces deux époques ne coïncidaient pas, vous trouveriez encore là des difficultés insurmontables.

Maintenant que vous voilà assemblés, je suppose qu’on vous renvoie ex abrupto, comme on l’a fait il y a quelques semaines : quand il s’agira de nommer le conseil des examinateurs, nous rappellera-t-on pour faire cette nomination ? Ou bien, si la chambre a terminé ses travaux, la fera-t-on venir siéger de nouveau ? Cela n’arrêtera-t-il pas la volonté du gouvernement de dissoudre la chambre quand il le voudrait ? Voilà des difficultés assez grandes, quand il n’y en aurait pas d’autres, pour faire abandonner ce projet.

Les chambres, me dira-t-on, se réunissent tous les ans à une époque fixe ; aux termes de la constitution elles se réunissent au mois de novembre ; au mois de novembre elles nommeront les examinateurs. Il y a un autre inconvénient, si vous nommez les examinateurs une année à l’avance, car vous les exposerez aux obsessions de ceux qu’ils seront chargés d’examiner. Il faut au contraire que les nominations des examinateurs se fassent à l’époque la plus rapprochée possible de l’examen afin que les membres nommés ne soient plus troublés par les sollicitations auxquelles ils seraient exposés si leur nomination était connue six mois ou un an à l’avance. Dans cette position, on n’hésiterait pas à voter contre la proposition de la section centrale, de faire nommer les membres du jury d’examen par les chambres.

Mais alors qui fera la nomination ? Comment le jury sera-t-il composé ? Voilà la grande difficulté. Quant à moi, il me paraît que personne n’est plus capable d’examiner ceux qui veulent obtenir les grades académiques que ceux qui se livrent à l’enseignement que les professeurs, parce que de leur côté, il y a présomption naturelle de connaissance ; il y a plus, il y a preuve de connaissance. Quand un homme est nommé professeur pour enseigner une science, c’est qu’il a fait preuve de capacité, tandis que si vous allez prendre les examinateurs dans la société, en choisissant tel homme qui a la réputation d’être un savant, vous risquez de prendre un ignorant. Dans tous les cas, il n’aurait qu’une présomption vague de capacité, tandis que le professeur à une présomption légale et même une preuve de capacité.

Je pense qu’en définitive, il faudra nommer membres des jurys d’examen des professeurs. Quel nombre convient-il d’en prendre dans les universités libres ; quelle sera la part qu’on fera au gouvernement ? Là-dessus mes idées ne sont pas encore arrêtées. J’attends de la discussion des lumières pour me décider sur la composition du jury ; mais incontestablement je repousserai de tout mon pouvoir la proposition de faire intervenir dans la nomination et la chambre et le sénat.

M. Dechamps, rapporteur. - L’institution d’un jury d’examen et ses différents modes de composition, proposé et par les commissions et pas le gouvernement et par la section centrale, ont subi tour à tour des attaques de plus d’un genre ; des inconvénients se rencontrent dans tous les systèmes mis en avant jusque ici, et je pense que nous devrons nous résigner à choisir celui qui en offre le moins.

Un fait qui doit servir de point de départ dans cette discussion, c’est la liberté d’enseignement. Tous les élèves, n’importe à quelle source ils ont puisé la science, tous doivent être placés sur la même ligne d’égalité, tous doivent pouvoir parvenir aux professions scientifiques qu’ils se sont choisies, aux mêmes conditions, sans que les uns rencontrent des obstacles et les autres des privilèges.

Ceci posé, la première conséquence qui en découle c’est que l’état de choses actuel doit être changé, puisque des universités libres s’étant posées en concurrence avec les universités de l’Etat, l’élève des premières doit être délié de l’obligation de passer ses connaissances au seul creuset d’examen des professeurs des universités rivales de l’Etat.

Une suspicion légitime de partialité pèserait naturellement sur les professeurs des universités gouvernementales, s’ils continuaient à jouir du monopole des examens, et ce fait seul rendrait impossible l’existence des universités libres. La liberté d’enseignement exige donc que nous fassions choix d’un système nouveau qui offre avant tout des conditions d’impartialité.

Il existe deux manières pour obtenir ce résultat : la première, c’est d’établir un jury central d’examen ayant des conditions d’indépendance et de capacité ; la seconde, c’est d’adopter le système suivi à cet égard aux Etats-Unis et en Angleterre.

Ce dernier système, voici en qui il consiste : Aux Etats-Unis, un établissement de hautes études s’élève-t-il, ses fondateurs envoient au congrès général le programme des sciences qu’on y enseigne et indiquent le cadre des études ; la législature, après s’être assurée du degré de confiance qu’il mérite, lui accorde une charte qui donne aux professeurs de cet établissement le droit de faire les examens et de conférer les grades académiques.

En Angleterre, la même législation est adoptée, et vous savez que l’université libre de Londres a obtenu ainsi, il y a peu de temps, la faculté de conférer des grades en concurrence avec Oxford et Cambridge.

Les deux conditions d’impartialité et de capacité se trouvent ici réunies à un degré que nous ne pourrons jamais atteindre dans l’institution des jurys d’examen.

Pour l’impartialité, elle existe tellement qu’il y a surabondance, puisque ce sont les professeurs mêmes de l’élève qui sont chargés de l’examiner.

Pour les garanties de capacité, il est hors de doute que c’est le système qui en présente le plus ; d’abord, pour être bon examinateur, il faut avoir professé, et quelque savant que l’on soit, si l’on n’a pas été professeur, il sera impossible d’avoir cette investigation que donne, seule, une longue habitude de l’enseignement, et par laquelle on suit facilement l’élève à tous les échelons de la science par où il est ajouté ; il sera impossible surtout d’avoir ce tact qui fait apprécier la capacité de l’élève, aux moindres mots qui la révèlent.

Je dirai plus, messieurs, pour être bon examinateur, il faut avoir été le professeur même du récipiendaire, et cela parce qu’aujourd’hui surtout, chaque science étant devenue la proie de mille systèmes contradictoires, l’élève comprendra difficilement un examinateur étranger qui conçoit la science d’après une méthode particulière, et qui la parle dans un langage auquel l’élève n’est pas habitué.

Tels sont les avantages que présente le système suivi aux Etats-Unis et en Angleterre ; il est beaucoup plus simple que celui des jurys, et comporte les deux conditions d’impartialité et de lumières que nous devons trouver dans un bon système d’examen.

Mais des inconvénients graves viennent se placer à côté de ces avantages. Le premier c’est la faculté laissée à la législature d’accorder ou de refuser à une université le droit de conférer des grades. Cet inconvénient empêcherait même que nous puissions jamais adopter ce système, parce que cette faculté laissée à la législature ne peut se concilier avec la liberté d’enseignement.

Le second inconvénient, et il se fait sentir déjà aux Etats-Unis, c’est que les professeurs étant le plus souvent trop indulgents envers leurs propres élèves, les professions d’avocat et de médecins seraient envahies par des médiocrités ou des charlatans, et les garanties que la société doit avoir à cet égard s’évanouissent. Et puis ce serait placer le professeur en lutte avec son intérêt qui est de ménager son élève, ce serait surtout le mettre en face de la séduction, et c’est ce qu’il faut éviter avant tout.

Voici un troisième inconvénient qui se ferait sentir immanquablement dans ce système ; la rivalité, la concurrence existant entre les diverses universités libres et gouvernementales, il pourrait arriver que la facilité d’obtenir des grades et l’indulgence pour les examens serait mise au rabais afin d’attirer les élèves, et vous concevez combien ce résultat serait déplorable pour la science.

La section centrale s’est donc arrêtée au système d’un jury central d’examen ; mais de quels éléments former son organisation ? Ici viennent se placer trois systèmes qui ont été présentés par le gouvernement, par la section centrale, et en dehors par la Prusse.

Examinons d’abord quelles sont les conditions d’existence d’un jury d’examen. Ces conditions me paraissent exactement définies dans l’exposé des motifs de la deuxième commission : « Dans l’intérêt de l’Etat, de l’instruction et des écoles libres, le jury doit offrir des garanties de lumières et d’indépendance. » Garantie d’impartialité, garanties de capacité, voilà les éléments qui doivent entrer dans la composition d’un jury central.

Examinons de ce point de vue les divers systèmes qu’on a imaginés. Ces systèmes se divisent en deux catégories : Dans la première la loi déterminerait la composition même du jury ; dans la seconde la composition du jury résulterait de l’élection par certains corps.

Dans la première catégorie un seul système a été signalé dans plusieurs mémoires publiés par des professeurs d’université ; il consiste à former le jury d’un nombre égal de professeurs choisis dans chacune des universités de l’Etat et dans chacune des universités libres.

Au premier coup d’oeil, ce système paraît rationnel et convenable ; et en effet, rien de mieux sous le rapport des lumières, car qui peut mieux représenter la science que le corps professoral tout entier ?

Mais la condition d’impartialité, qui est l’idée essentielle attachée à la formation d’un jury, cette condition ne s’y rencontre pas, et pour s’en convaincre, il suffit d’examiner les faits. Je suppose que le récipiendaire soit un élève de l’université libre de Bruxelles : eh bien, n’est-il pas permis de croire, sans faire injure aux professeurs, que ceux des deux universités de l’Etat et de l’université libre de Malines auraient une tendance inévitable à la partialité et à l’exigence envers le récipiendaire ?

Quatre universités étant représentées également dans le jury le récipiendaire aura toujours contre lui une coalition, une majorité formée des trois universités rivales, et cette majorité, n’est-il pas permis de la présumer partiale ?

Il pourrait arriver que la partialité se fît jour dans un sens contraire ; les professeurs pourraient s’entendre pour faire acte de complaisance réciproque ; chacun serait à son tour facile et indulgent à l’égard de l’élève des universités rivales, afin que ses collègues le soient à l’égard des élèves de l’université qu’il représente. On se passerait ainsi réciproquement l’indulgence et la faveur, et le but que nous nous proposons d’atteindre par la formation d’un jury, ne le serait aucunement.

Vous voyez, messieurs, que dans ce système il sera presque impossible d’éviter les collisions ou la camaraderie, et dans ces deux hypothèses l’impartialité, condition exigée avant tout, ne pourrait pas éviter.

Il est un autre inconvénient qui en vaut bien un autre, c’est l’impossibilité pratique qui se place au travers de ce système. Effectivement, puisqu’il s’agit des professeurs des universités libres, il faut d’abord s’entendre sur ce qu’il faut désigner par université. Sera-ce, comme on l’a proposé, le nombre d’élèves qui formera la distinction à faire ? Mais à quel taux fixerez-vous ce nombre ? S’il est trop élevé, les universités libres, qui sont trop naissantes pour l’atteindre dès leur début, auront par là leur existence compromise ; s’il est trop peu élevé, beaucoup de collèges et d’écoles moyennes l’atteindront facilement ; on a proposé 200 élèves, et le sein du jury représentera le chaos.

S’il est vrai, comme l’affirme l’auteur d’un des mémoires dans lesquels le système dont je parle a été présenté, s’il est vrai que les obstacles que doit rencontrer un projet dans son exécution sont en raison exacte de son absurdité, vous conviendrez, messieurs, que celui-ci atteint à cet égard le haut de l’échelle, puisque outre des obstacles nous rencontrons l’impossibilité au bout de la voie.

Plus on creusera le système qui ne veut composer le jury que d’un seul élément, le professorat, plus on trouvera l’impossibilité au fond. Pour être équitable, pour réaliser de bonne foi la liberté d’enseignement, tout le monde convient que les professeurs des universités de l’Etat ne peuvent pas conserver le monopole des grades ; il faudrait donc, pour que le professorat fût représenté dans le jury, que les universités libres se trouvassent à cet égard sur la même ligne d’égalité que leurs rivales, et nous nous retrouvons toujours en face de la définition insoluble du mot université libre.

La section centrale a donc dû rentrer de force dans les systèmes de la seconde catégorie, systèmes qui reposent sur l’élection des membres du jury.

Ici revient se placer celui que le gouvernement avait proposé dans le projet primitif et qui consiste à donner la nomination des membres pour les différents jurys à la cour de cassation, à l’académie belge et aux commissions médicales, faisant entrer dans leur composition à chacun deux professeurs des universités de l’Etat.

Pour cette dernière clause, nous avons vu combien elle est peu équitable, les professeurs nommés par le gouvernement ne pouvant à aucun titre avoir, relativement au jury créé pour tous, un droit que le professeurs des universités libres n’auraient pas.

Quant à la première clause relative aux différents corps auxquels seraient attribuées les nominations, elle ne me paraît pas plus heureuse.

Je n’énumérerai pas tous les inconvénients de détails signalés dans plusieurs écrits ; par exemple, l’incompatibilité qui existe entre la vocation, toute de neutralité et d’impassibilité, d’un membre de la cour de cassation, et celle qu’il devrait revêtir pour entrer dans des considérations de préférence personnelle. Par exemple, la non-existence légale de l’académie belge. Par exemple, le peu de garantie de haute capacité qu’offrent les commissions médicales dont les membres ne sont censés avoir qu’un mérite relatif à la province ; et puis l’impossibilité où se trouveront les plus capables parmi eux de quitter leurs malades, pour siéger pendant un assez long temps dans le sein du jury.

Sans énumérer longuement tous ces inconvénients qui vous sont connus, je vais vous en signaler un qui n’a pas été présenté et que je regarde comme le vice radical de ce système. C’est de confier la nomination des membres du jury à des corps permanents.

L’esprit de corps anime surtout les corps permanents : or cet esprit de corps est aussi défavorable sous le rapport de la capacité exigée pour être examinateur que relativement à l’importance qui doit être sa qualité distinctive.

Par rapport à la capacité, à la science, il est de l’essence des corps permanents d’être stationnaires ; ils ne s’avancent pas avec le progrès des connaissances, et, après un certain temps ils se trouvent en arrière du point scientifique où le siècle est parvenu. Cet inconvénient qui existe pour tous les corps qui ne se renouvellent que rarement, cet inconvénient entache le projet primitif du gouvernement.

Sans doute la cour de cassation et l’académie belge renferment maintenant ce que notre pays possèdent de plus élevé en sciences et en droit ; mais l’inamovibilité, qui est une précieuse garantie d’indépendance sous un autre rapport, est un inconvénient relativement à la science, qui ne consent pas à séjourner avec un corps permanent, et dès lors plus ou moins condamné au statu quo.

L’esprit de corps que je viens de signaler est bien plus encore un inconvénient sous le rapport de l’impartialité.

Malheureusement l’esprit de parti a de nos jours tout envahi, et là où deux hommes se trouvent en face l’un de l’autre, vous pouvez compter deux drapeaux qui les divisent.

Si donc, comme on peut le présumer, les corps dont il est ici question, prenaient une couleur, adoptaient une préférence, il n’y aurait aucun remède à apporter à leur partialité et cette omnipotence sur laquelle le pays et le gouvernement n’auraient aucune action, pourrait détruire à la longue soit les universités de l’Etat, soit les universités libres, selon la direction qu’aurait prise la préférence et la partialité du jury.

Les garanties de capacité et surtout d’impartialité ne se trouvent donc pas dans des corps permanents ; il ne faut pas que le pays et l’Etat soient désarmés et sans contrôle vis-à-vis d’un jury central qui tient entre ses mains le sort de la liberté d’enseignement, puisqu’il dispose des grades dans toute l’étendue d’un pouvoir absolu.

Or, le seul moyen d’obtenir ce contrôle, c’est de confier la nomination, partie à des corps qui se renouvellent par l’élection, partie au gouvernement.

Vous voyez, messieurs, par quelle voie la section centrale est arrivée au système qui est aujourd’hui soumis à vos délibérations, et sans prétendre que ce système soit à l’abri du toute objection, je pense que c’est celui qui apporte les meilleures chances pour obtenir le résultat que nous attendons de l’institution d’un jury d’examen.

Les choix du gouvernement seront la garantie des universités de l’Etat, les choix des deux chambres seront la garantie des institutions libres, et vous concevez, messieurs, que ces choix se renfermeront le plus souvent dans le corps professoral en entier, de manière que nous obtiendrons en pratique, en fait, les avantages qu’offre sous le rapport de la science le système qui veut composer le jury des élus du corps professoral, et cela sans rencontrer l’impossibilité d’exécution et le défaut de garanties que présentait ce système.

Le système de la section centrale a subi des attaques de plus d’un genre, et le ton dont sont revêtues celles qui lui sont venues des professeurs des universités actuelles m’a rappelé, malgré moi, l’émeute des orfèvres d’Ephèse qui voyaient le monopole des statues de Diane s’échapper de leurs mains.

Messieurs, nous n’avons fait qu’appliquer à l’instruction supérieure le système que la commission et le gouvernement avaient adopté à l’égard de l’enseignement inférieur. C’est le produit de l’élection, le conseil communal, qui choisit la commission locale de surveillance pour les écoles primaires ; c’est le produit de l’élection, le conseil provincial, qui choisit la commission provinciale. « L’assemblée des élus de la province, dit la commission, réunit les conditions d’indépendance et de confiance qui seules peuvent garantir le choix que l’opinion publique confirmera. » La section centrale n’a fait que généraliser ce principe en attribuant aux élus de la nation la formation du jury, qui n’est aussi qu’une commission de surveillance pour l’enseignement supérieur. Et toutes les objections contre le système de la section centrale retombent donc sur celui adopté par la commission pour l’enseignement.

On a dit que la mission des chambres étant purement législative, les nominations de ce genre n’entraient aucunement dans ses attributions ; que cette mission des chambres n’avait aucun rapport avec la science et l’enseignement.

Messieurs, si cela était, tous les peuples de l’Europe auraient partagé l’absurdité que quelques-uns veulent attacher au système de la section centrale ; et je vais vous le prouver. En Angleterre et aux Etats-Unis c’est la législature qui, après avoir examiné le programme des cours et le cadre d’enseignement des institutions nouvelles qui s’élèvent, leur accorde ou leur refuse une charte d’existence légale. Or, c’est bien là faire le rôle d’examinateur, c’est donc entrer plus avant dans le domaine de la science que dans le système qui nous est soumis, parce que, en Angleterre et aux Etats-Unis, la législature est obligée de faire des investigations scientifiques pour juger si le cadre des études qu’on lui présente est assez large pour mériter son approbation, tandis que dans notre système le rôle de la législature se borne à faire des nominations pour lesquelles elle est certainement plus apte que pour remplir la mission du jury même, comme cela a lieu dans les pays que je viens de citer.

Si l’enseignement des sciences est tout à fait en dehors des attributions de la législature, deux des pays les plus civilisés du monde ont commis un contresens manifeste ; je vous avoue que pour ma part je m’abstiendrai d’accuser ainsi leur législation confirmée par l’expérience, ne me faisant aucun scrupule d’être absurde à la manière de l’Angleterre et des Etats-Unis, en accordant, à leur exemple, à notre législature un droit analogue à celui qu’ils ont attribué aux leurs.

Messieurs, je vais plus loin : s’il était vrai que les chambres ne dussent pas s’immiscer dans ces sortes de questions d’enseignement, et cela parce que les chambres ne représentent pas la science, il faudrait en conclure que le gouvernement devrait y être également étranger, car je ne pense pas que les ministres la représentent davantage. D’après cette idée, le gouvernement de Prusse empiéterait sur les droits du professorat en nommant lui-même la haute commission d’examen qui réside à Berlin.

Il y a plus, messieurs, d’après cette idée, le gouvernement ne pourrait pas nommer les professeurs de ses universités, puisque la mission de choisir les capacités savantes ne peut appartenir, selon nos adversaires, qu’à ceux qui possèdent des connaissances analogues, qu’à ceux qui représentent la science.

Vous vous apercevez, messieurs, où se trouve l’erreur de ce raisonnement : non, il n’est pas nécessaire que les électeurs du jury offrent toutes les garanties de capacités spéciales que l’on doit trouver dans les membres mêmes du jury, comme il n’est pas nécessaire que tous les électeurs à 20 florins, par exemple, aient le mérite exigé du représentant qu’ils choisissent. Pour élire, pour faire de bons choix, la prudence, un esprit droit et une intelligence ordinaire suffisent ; ce qui est nécessaire surtout, c’est la position dans laquelle doivent se trouver les électeurs pour être en rapport avec les choix spéciaux qu’ils doivent faire ; or, je vous le demande, le gouvernement et les chambres ne sont-ils pas dans une position assez élevée pour bien connaître les talents élevés qu’offrent et le corps professoral et le pays tout entier ?

On avait allégué, à l’appui du système de la section centrale, l’exemple du conseil provincial qui participe à la nomination des conseillers des cours d’appel, et celui du sénat qui présente des candidats pour la cour de cassation ; on a cru répondre à cette allégation qui me paraît très juste, en disant que la cour de cassation était un corps politique chargé du jugement des ministres. Mais c’est bien là une exception lilliputienne, et je doute que la cour de cassation fasse jamais usage de ce droit politique. Sa mission première c’est d’être l’oracle suprême dans l’interprétation des lois, et certainement cette mission nécessite des capacités spéciales et élevées que le sénat serait très peu propre à choisir si le principe de nos contradicteurs avait quelque fondement.

On a dit que l’opinion publique n’avait rien à faire dans le jury, que les électeurs ne nous avaient pas envoyés aux chambres pour représenter la science mais des intérêts très distincts.

Messieurs, cela est parfaitement juste, mais on oublie que le jury est institué pour deux choses ; la premier pour offrir à la société des garanties que les professions d’avocat et de médecin ne seront pas envahies par des charlatans et des incapables, et s’il n’y avait que cet élément nécessaire à la formation du jury, certainement l’intervention des chambres serait fort inutile. Mais si le jury n’était institué que pour ce seul objet, il en résulterait que son institution même serait une absurdité ; car, sous le rapport des lumières nécessaires à un bon examinateur les professeurs des universités de l’Etat offrent toutes les garanties désirables, et je ne sais pourquoi nous changerions quelque chose à ce qui existe.

Il faut, cependant, que le jury soit institué pour autre chose encore, puisque tous nous considérons son existence comme la condition de la liberté d’enseignement puisque l’état actuel des choses, s’il persistait, ruinerait par le fait les universités libres. C’est que, messieurs, le jury est institué non seulement pour offrir une garantie à la société mais pour offrir une garantie d’impartialité aux institutions libres. Or vous savez que l’enseignement des sciences est, aujourd’hui surtout, un camp, une arène, où non seulement les opinions savantes mais aussi les doctrines religieuses et philosophiques établissent leur combat. Plusieurs semblent vouloir tourner ce fait et ne pas l’apercevoir, mais personne ne peut ignorer que c’est là ce qui inquiète les diverses opinions, que c’est dans ce fait que l’on veut taire que se trouve la cause de l’irritation que la question de l’enseignement a toujours causée. Les familles veulent des garanties pour leurs croyances, et l’institution d’un jury, corollaire de la liberté d’enseignement est avant tout une garantie pour que le choix qu’elles feront parmi les universités rivales ne soit pas une cause de partialité de la part des examinateurs.

Vous voyez, messieurs, que sous ce rapport nous rentrons dans le domaine de l’opinion publique, au milieu duquel règnent, vous le savez, les divisions malheureuses qui nous séparent en plusieurs nations intellectuelles et morales.

Tous ceux qui ont une doctrine à faire prévaloir et dans laquelle ils ont foi, demandent la liberté d’enseignement ; or, pour qu’elle existe, il faut deux choses : d’abord, que chacun soit libre de puiser où il veut et de répandre comme il veut la science à laquelle se lie en bien des points sa doctrine religieuse ; en second lieu, que des doctrines rivales ne puissent pas lui jeter une barrière au milieu de son chemin, quand il voudra entrer dans une des carrières pour lesquelles la société exige des garanties.

Vous voyez donc que le jury d’examen qui forme cette garantie dont je parle, doit prendre sous ce rapport sa source dans l’opinion générale qu’il est essentiel qu’il représente. Le système qui vous est présenté aujourd’hui par le gouvernement me paraît donc enfermer la condition d’impartialité qui est l’élément principal qui doit entrer dans la composition d’un jury central d’examen, un degré plus$ que tous les autres systèmes présentés.

Pour la condition de lumières et de capacité, j’en trouve la garantie dans la persuasion, je dirai presque la certitude où nous devons être, que les choix et du gouvernement et des chambres seront puisés la plupart dans le corps professoral. Cette persuasion résulte pour moi de cette vérité évidente pour tous que celui qui enseigne est aussi le plus apte à examiner, et l’évidence de cette vérité est la garantie qu’en fait l’enseignement sera représenté dans le jury d’examen. Une autre garantie de bons choix, c’est que les nominations devront se faire successivement par la chambre, puis par le sénat et puis par le gouvernement ; les lacunes qui existeraient au premier degré d’élection pourront donc être comblées au second, et le gouvernement complètera facilement le cadre des examinateurs.

Si toutefois la chambre croyait nécessaire d’avoir d’autres garanties afin d’éviter l’inconvénient signalé de confier le choix de capacités toutes spéciales à une assemblée de 100 membres qui, dit-on, parviendront difficilement à s’entendre et à coordonner leurs votes, il y aurait, messieurs, un moyen très facile de remédier à cet inconvénient, et ce moyen le voici : chacune des deux chambres nommerait une commission choisie dans son sein et qui lui présenterait des candidats. De cette manière, la difficulté qui paraît préoccuper plusieurs membres de l’assemblée serait entièrement levée, car on ne refusera pas aux chambres l’aptitude à choisir parmi les membres qui les composent, ceux dont les capacités spéciales rendent propre à faire de pareils choix. Les commissions du sénat et de la chambre pourront ainsi plus facilement faire coordonner leurs choix respectifs avec ceux du gouvernement, et je pense que ce système doit lever tous les scrupules qui pourraient demeurer encore dans l’esprit de plusieurs d’entre nous.

M. Devaux. - Avant de suivre l’honorable préopinant dans les considérations générales où il est entré, je demanderai la permission d’exposer quelques détails sur les moyens de rendre praticable le système proposé par M. de Brouckere, ou plutôt sur les moyens de faire cesser les difficultés qui s’opposent à ce qu’on l’adopte.

Pour former un jury d’examen, il faut d’abord savoir sur quoi porteront les examens et combien il y en aura. Le système proposé par la section centrale et que le gouvernement a adopté pèche d’abord en ce qu’il est insuffisant pour le nombre des examens. Je vais vous en donner la preuve.

On propose de ne nommer qu’une seule commission pour faire tous les examens d’une seule faculté. Je pense que ceux qui ont proposé ce projet et ceux qui y ont adhéré, n’ont pas songé au nombre d’examens qu’il y aura à faire. Savez-vous combien il y a eu par an d’examens à la faculté de droit, en prenant la moyenne des cinq dernières années ? Il y a eu annuellement, dans les trois universités, 116 examens de candidat en droit et 138 examens de docteur. Remarquez que d’après le projet, les docteurs subiront deux examens, ce qui porte à 392 le nombre d’examens qu’on peut supposer qu’il y aura par an.

Maintenant, vous sentez bien que la liberté de l’enseignement devra avoir pour effet d’augmenter le nombre des élèves, car plus on aura de facilité pour acquérir le haut enseignement, plus il y aura d’élèves et plus il y aura d’examens. C’est le contraire de ce qui arrivera pour les universités de l’Etat. Le nombre de leurs élèves diminuera, mais le nombre des élèves en général augmentera.

En supposant que le nombré des élèves n’augmente pas, d’après les calculs que je viens de faire, le nombre présumé d’examens qu’il y aura à la faculté de droit sera de 382, mettons 400, ce n’est que huit de plus.

D’après le projet de loi, un examen, quand il y a un élève seul, doit durer deux heures et trois heures s’il y en a deux ou trois. L’hypothèse la plus favorable et où il y a moins de temps perdu, c’est une heure par chaque élève. Pour les 400 élèves, voilà donc 400 heures d’examen.

La section centrale et le gouvernement vous proposent de ne créer qu’un seul jury pour faire ces examens, et ensuite ils proposent de ne le faire siéger que 38 jours, ce qui ferait plus de 10 heures d’examen par jour. Les élèves en médecine ont un examen de plus à passer pour être docteurs en chirurgie, nouvelle augmentation d’heures. Un article du projet de loi porte qu’à l’avenir, pour exercer la médecine, il faudra être docteur ; les officiers de santé seront supprimés.

Il résultera de là encore une augmentation dans le nombre des examens. Ce n’est pas tout, il y a encore les examens écrits qui durent trois heures ; il faut arrêter les questions à poser, il y aura discussion sur celles qu’on devra faire entrer dans l’urne, le jury aura à délibérer sur l’admission du récipiendaire, en supposant que cette délibération dure une demi-heure, voilà encore deux cents heures. Le jury est encore charge de désigner au gouvernement les élèves qui méritent des bourses pour suivre leurs études ou pour faire des voyages ; et tout cela on veut le faire faire en 38 jours par un seul jury pour chaque faculté. Cela n’est pas praticable. Dans l’état actuel des choses, chaque université fait un tiers des examens, mais les fait pendant le cours de l’année.

Du moment que vous établissez une seule commission à Bruxelles, vous ne pouvez pas la faire siéger pendant toute l’année, et les deux sessions, l’une de 27, l’autre de 17 jours, ne suffiront évidemment pas.

On me dira que la loi autorise le gouvernement à prolonger les sessions. Mais voyez alors l’inconvénient dans lequel vous tomberez ; vous devrez la faire aller jusqu’à trois mois, vous absorberez toute la vacance des professeurs. Où trouverez-vous des hommes qui voudront siéger pendant trois mois à un jury d’examen ? A quelle perte de temps n’exposerez-vous pas les élèves ? Ils devront attendre des trois mois pour être inscrits, cela pourra arriver pour leurs deux examens, et ils auront perdu six mois pendant le cours de leurs études.

Ceci, messieurs, comme vous le voyez, se rapporte directement à la question du jury. D’après le projet de la section centrale, la chambre aurait à nommer chaque année quatre personnes par chaque faculté et non pas deux : quand nous en viendrons aux détails, je démontrerai qu’il faut que la chambre nomme à chaque session un jury nouveau.

Or, quatre personnes par chaque faculté, cela fait 16 personnes à nommer. Je dis de plus qu’un jury ne pourra pas suffire pour les facultés de droit et de médecine, il en faudra au moins deux ; cela porte à 24 le nombre des nominations à faire. Si je me le rappelle bien, nous avons mis trois séances pour nommer les membres de la cour de cassation. Il n’y en a que sept. Plus le nombre des personnes à nommer est grand, plus il y a de difficultés, plus il y a de scrutins et plus on perd du temps.

Je demanderai ensuite quelle est la personne dans cette assemblée qui se croira en état d’indiquer 24 ou même 16 personnes capables de faire un examen scientifique. Quant à moi, je déclare ma complète incompétence ; je ne crois pas qu’un seul membre puisse prendre sur lui de choisir imparfaitement dans tout le pays, sans oublier aucune province, des hommes capables et impartiaux pour composer les jurys. Les moyens de faire de semblables nominations nous manquent, ce n’est pas dans la nature de nos fonctions ; la chambre n’a pas été instituée pour faire choix de personnes et surtout d’hommes scientifiques.

La chambre renferme un assez grand nombre d’avocats, et je pense que pour le droit civil elle pourrait nommer des examinateurs assez capables. Mais pour la médecine, combien y a-t-il de médecins ici ? un, je crois. Quant aux autres membres, à qui accorderont-ils leur confiance ? Chacun a son médecin et ne connaît pas les autres. Pour agir consciencieusement, chacun devrait donc présenter son médecin comme le plus capable. (On rit.) Les choix seront encore plus difficiles pour les sciences exactes, car nous n’avons aucun rapport avec les sciences exactes, tandis que nous touchons encore par un bout à la médecine. (On rit de nouveau.)

Pour les lettres et la philosophie, le plus grand nombre d’entre nous y est aussi étranger. La raison en est simple, c’est que nous siégeons ici en vertu d’un mandat politique. Nous devons donc, en matière de sciences, laisser juger et prononcer ceux qui y ont consacré leur vie.

Mais, dit-on, je crois que c’est ce qu’a soutenu l’honorable préopinant, on choisira des professeurs ; la qualité de professeur est déjà une présomption de capacité.

Je pense, moi, qu’il serait mal de choisir tous professeurs pour composer les jurys d’examen. Ce ne serait pas impartial, parce qu’en dehors des établissements libres et des universités de l’Etat, il y a des hommes qui étudient chez eux. Si vous composiez les jurys de tous professeurs, ceux qui ne font leurs études dans aucun établissement auraient la même crainte de rencontrer de la partialité qu’auraient eue les élèves des universités libres si les jurys n’avaient été formés que des professeurs des universités de l’Etat, parce qu’ils se trouveront en présence d’hommes intéressés à ce qu’il ne se forme des savants que dans les universités. Vous ne pouvez donc pas choisir tous professeurs, si vous voulez être impartiaux.

Voyez le danger : ces professeurs, il faudra les prendre dans les universités libres et dans les universités de l’Etat ; eh bien, vous serez exposés chaque année à vous prononcer contre les universités libérales ou les universités catholiques, quoique vous n’ayez pas plus intérêt à vous déclarer l’ennemi des unes que des autres. Je dis que c’est là un grand inconvénient ; il faut autant que possible que la chambre se tienne au-dessus de toutes les discussions de parti qui naissent dans le pays ; ce serait les provoquer que de se mettre en position de devoir faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre, et nous nous exposerions par la à des reproches, à des récriminations qui nous discréditeraient dans le pays.

Ainsi les deux qualités qu’on doit chercher dans les examinateurs sont la capacité et l’impartialité. Eh bien, pour la capacité, nous n’avons pas les moyens de nous en assurer ; et pour l’impartialité, nous n’offrons pas plus de garantie, car nous sommes une assemblée politique. On pourra nous adresser des éloges, nous entourer de flatteries, nous dire que nous somme une assemblée comme il n’y en a jamais eu, offrant toutes garanties d’impartialité : défions-nous de ces éloges ; les assemblées politiques sont partiales. Dans les assemblées où tout se décide à la majorité, toujours les passions des partis dictent les décisions, et vous pouvez être sûrs que c’est surtout dans les choix des personnes que les passions se dessinent et décident.

Je ne dis pas dans quel sens on se décidera ; mais il en serait ainsi ; et si on parvenait à faire croire à cette assemblée qu’elle est une assemblée comme il n’y en a pas, comme il n’y en aura jamais, elle devrait être assez sensée pour penser qu’une telle exception ne peut pas durer, qu’il est impossible qu’elle dure.

On vous a déjà présenté d’autres considérations sur ce qu’il y aurait d’impraticable dans ce système. Il me semble que l’on n’a pas répondu à ces objections, à celle tirée, par exemple, du cas de dissolution. Je suppose que la chambre soit dissoute à l’époque où l’on devra former les jurys d’examen. Les élèves perdront leur temps ; ils pourront perdre une année entière. Il est possible que cela arrive ; car il est à désirer que les chambres, ou le corps, quel qu’il soit, de l’Etat, chargé de concourir à la formation du jury, ne fassent les nominations que peu de temps avant les examens. Sans cela les professeurs connus d’avance auraient sur les autres trop d’avantages. Vous sentez que si plusieurs professeurs des universités de l’Etat sont désignés d’avance comme membres des jurys d’examen, tandis que ceux des universités libres ne seraient pas désignés d’avance, les chances ne seraient plus égales.

Mais il y a un inconvénient plus grand à la proposition de la section centrale, sur lequel je suis étonné que le gouvernement ait passé si légèrement, c’est l’inconstitutionnalité complète de cette proposition. La constitution distingue trois pouvoirs. Nous, nous sommes pouvoir législatif, et nous ne sommes que pouvoir législatif. Nous n’avons aucun pouvoir, sinon en vertu de la constitution.

Nous nommons les membres de la cour des comptes, mais c’est en vertu de la constitution. Si la constitution ne nous donnait pas ce droit, la loi n’aurait pas pu nous l’attribuer. Nous avons le droit d’enquête. Mais c’est seulement en vertu de la constitution.

Réfléchissez-y bien. Si vous admettez un autre système, vous ouvrez la porte à tous les empiètements. Dès qu’il y aura une chambre assez exigeante pour le vouloir, et qu’elle trouvera le gouvernement assez faible pour lui céder, elle envahira toutes les attributions du gouvernement. Y aura-t-il la guerre ? La chambre pourra former un conseil de guerre ; elle pourra envoyer un commissaire aux armées, attendu que l’affaire sera importante. Car on n’allègue pas autre chose pour faire attribuer aux chambres la nomination des jurys. Puis, de même que les chambres auront nommé un jury d’examen pour l’instruction publique, elles pourront nommer un jury pour les finances, pour les affaires étrangères, pour tous les ministères ; elles pourront prendre tous les pouvoirs qu’elles voudront. Ce motif seul suffirait pour m’empêcher d’admettre la proposition de la section centrale.

Une fois que vous aurez adopté cette proposition, il n’y aura pas une nomination que vous ne puissiez vous attribuer le droit de faire. Je sais que c’est là ce que veulent quelques personnes. Mais cette opinion n’est pas constitutionnelle ; elle n’est celle ni de la chambre ni du pays.

On a dit que l’on ne faisait qu’appliquer à l’instruction supérieure ce que le premier projet appliquait à l’instruction inférieure. Mais les choses sont bien différentes.

D’abord les états provinciaux sont des corps administratifs ; ensuite, quant aux garanties de capacité, il faut reconnaître qu’il y a loin de décider si un maître d’école sait lire ou écrire, à prononcer sur les plus hautes questions de l’enseignement supérieur.

D’abord dans le premier projet il n’était question que d’une commission de surveillance ; alors il n’y avait pas de grands inconvénients ; l’opinion politique était indifférente.

En Angleterre, dit-on, on fait plus. Mais en Angleterre on suit une loi, et ce que nous allons faire n’est pas une loi, c’est une nomination de personnes. Il s'agit en Angleterre de prononcer sur des questions que chacun peut résoudre et qui n’exigent pas des connaissances spéciales. Tout le monde peut dire si l’établissement d’instruction supérieure de Londres est ou non une université, tandis que tout le monde ne sait pas dire si tel ou tel est capable d’examiner les élèves sur telle ou telle science. Car pour juger d’une capacité, il faut avoir, sinon une capacité égale, au moins la même science, le même jugement.

Dans mon opinion, je me contenterais (et en cela je croirais atteindre le but le plus impartial), je me contenterais de la désignation par le ministre de l’intérieur quel qu’il fût, catholique ou libéral ; et je serais moralement sûr d’un choix meilleur, parce que j’aurais le choix d’un homme responsable, agissant vis-à-vis de l’opinion. Ainsi les négociants, quand ils font une convention, stipulent qu’en cas de contestation, chacun d’eux nommera un arbitre, et qu’un troisième arbitre sera nommé par le tribunal de commerce. Il est très rare que ce dernier ne fasse pas un choix convenable, parce qu’un homme qui agit en face du public est toujours plus impartial qu’un corps.

Pour moi ce que je demande, c’est la capacité et l’égalité dans les jurys d’examen. Ainsi on pourrait dire que pour les élèves des universités de l’Etat, le jury serait ainsi formé : trois professeurs des universités libres, trois professeurs des universités de l’Etat, et deux ou quatre autres personnes ; pour les universités libres : trois professeurs des universités de l’Etat, trois professeurs des universités libres, et un certain nombre d’autres personnes. Si les élèves ne fréquentaient aucune université, le jury serait formé de trois professeurs désignés par le gouvernement et de quatre personnes étrangères aux universités.

Mes idées ne sont pas assez mûries pour que je formule un amendement, mais je ne veux pas du système partial qu’on veut faire prévaloir ; et en le repoussant je veux éviter à la chambre un ridicule ; car je suis persuadé que la chambre ne retirerait pas autre chose des nominations qu’elle veut s’attribuer.

M. Dumortier. - L’article que nous discutons maintenant est incontestablement le plus grave de la loi en ce qu’il tend à établir en Belgique un système nouveau, un système différant totalement de ce qui a existé jusqu’à présent parmi nous.

Par les articles précédents, vous avez institué l’instruction aux frais de l’Etat, vous avez voulu une instruction forte et vous n’avez rien négligé pour l’assurer au pays ; vous avez créé deux universités et vous n’avez lésiné, ni quant au nombre des professeurs, ni quant à la dépense.

Après avoir constitué l’enseignement supérieur aux frais de l’Etat, vous devez maintenant vous occuper de l’enseignement donné par les établissements qui doivent leur existence à la liberté d’enseignement et de l’enseignement donné par le père de famille à ses enfants. C’est pour cela que vous êtes appelés à voter aujourd’hui sur la question des jurys d’examen. C’est une conséquence du principe de la liberté d’instruction pose par la constitution. Vous avez là une route tracée d’où vous ne devez pas dévier.

Jusqu’à présent les établissements du gouvernement avaient seuls le privilège de donner les grades ; et l’on n’avait pas à se plaindre de ce système. La constitution a ouvert un nouvel ordre de choses ; elle a voulu que des établissements libres puissent s’élever à côté de ceux du gouvernement ; elle a voulu aussi que le père de famille pût inculquer ses maximes à ses enfants. Dès lors, vous devez établir un mode de donner des grades qui donne des garanties aux établissements de l’Etat, aux établissements libres et aux pères de famille. Vous devez donc établir les jurys d’examen.

Ces jurys, comme on l’a dit avant moi, doivent offrir des garanties d’impartialité et de capacité. Trouvons-nous ces garanties dans les différents systèmes qui nous ont été présentés ? Je ne le pense pas. Je crois pouvoir le démontrer avec facilité.

D’abord il existe un premier système, celui du premier projet, qui consiste en ce que les membres des jurys d’examen seraient nommés par trois corps, savoir : la cour de cassation, pour le droit ; les jurys médicaux, pour la médecine ; et enfin, l’académie des sciences, pour les sciences et les lettres.

Mais la cour de cassation, vous le savez, n’est pas un corps politique, ce n’est pas non plus un corps scientifique : c’est un corps purement judiciaire. La cour de cassation rend des arrêts ; et c’est tout. Elle n’a pas aux yeux de la loi d’autres attributions. Ce n’est que par une singulière aberration qu’on voudrait la faire intervenir dans la composition des jurys d’examen, dans la proposition et le jugement des concours des universités. Je ne suis donc pas étonné que l’on n’ait pas soutenu ce système, je vais même jusqu’à me demander si la cour de cassation accepterait de telles fonctions, si elle consentirait à les remplir.

Quant aux jurys médicaux, je ferai remarquer à la chambre que ces jurys ne représentent rien. Ils sont nommés par le gouvernement, sous des influences directes ou indirectes. Aucune loi ne les constitue, ils ne représentent pas même le corps médical du pays. Dès lors vous ne pouvez leur donner aucunes attributions ; vous ne pouvez les faire intervenir dans la composition des jurys d’examen.

Je ne trouve qu’un corps qui offre des garanties de capacité et d’impartialité ; et ce corps (les membres de cette assemblée dussent-ils en rire), c’est l’académie des sciences. J’avoue que j’étais fortement disposé à appuyer le projet du gouvernement. Mais la manière dont on accueille tout ce qui concerne cette institution qui, quoi qu’on puisse dire, jette beaucoup d’éclat sur le pays ; la manière dont la chambre a accueilli l’amendement que j’ai déposé à la fin de la séance d’hier, et qui tendait à rendre l’académie des sciences juge des concours, ne me laissent guère espérer, sur la question qui nous occupe, une solution plus heureuse.

Je vais donc examiner quels corps, abstraction faite de ceux que je viens de citer, peuvent nommer les jurys d’examen. Je n’en vois plus que trois : le corps professoral, le gouvernement et les chambres. Le corps professoral (c’est le système de l’honorable M. de Brouckere) nommerait les jurys d’examen.

M. de Brouckere. - C’est-à-dire qu’il concourrait avec le gouvernement à leur nomination.

M. Dumortier. - Je parle maintenant du corps professoral ; tout à l’heure je parlerai du gouvernement.

Dans la loi dont nous nous occupons, nous avons largement doté le corps professoral. Personne ne peut s’en plaindre. Mais faire intervenir le corps professoral comme juge de l’instruction après l’avoir établi fabricant d’instruction (on rit), c’est le rendre juge et partie ; c’est greffer deux matières l’une sur l’autre.

Mais on propose que le corps professoral nomme deux membres du jury, chaque université libre un membre, et que le gouvernement intervienne pour le surplus. Je demanderai à ceux qui défendent ce système ce que c’est qu’une université ; par exemple, un établissement qui n’a qu’une seule faculté, et qui prend le titre d’université, est-il réellement une université ? En fait, il existe des établissements de ce genre. Où trouvez-vous dans la loi la définition du mot université ?

Pour moi je mets en fait que, d’après ce système, une ville, en augmentant un peu l’instruction dans son athénée, en y ajoutant une chaire ou deux, par exemple, et en lui donnant le titre d’université, faculté qu’ont toutes les villes du pays, pourrait par cela seul envoyer un représentant au jury d’examen. Voilà où vous arrivez avec le système de M. de Brouckère. Ce système n’a pas de limites.

D’ailleurs quel en serait le résultat ? un combat pernicieux entre tous les membres des jurys d’examen. Chaque membre étant envoyé pour représenter une opinion et pour la faire prévaloir, il en résulterait une lutte perpétuelle entre les membres du jury. Vous seriez donc bien loin d’avoir formé un corps homogène, d’avoir établi le système de fusion que vous désirez voir dans l’enseignement. Je ne crains donc pas de dire que ce système est le plus vicieux que vous puissiez adopter.

Messieurs, je n’hésite pas à le déclarer, je pense que les professeurs doivent certainement être admis dans les jurys d’examens, mais comme capacités, et non comme professeurs. Car de même que des hommes très savants peuvent n’appartenir à aucune université (et il y a de cela plus d’un exemple), de même des hommes très médiocres (et nous en avons vu des exemples) peuvent enseigner dans des universités. Je le répète, si les professeurs sont appelés à faire partie des jurys, ce doit être non comme professeurs, mais comme représentants de la science ; ce serait dénaturer l’institution du jury qui doit être éminemment impartial que de les y faire entrer en leur qualité de professeurs.

Vient maintenant un troisième système. On veut que les membres des jurys soient nommés par le gouvernement. Quant à moi, je rejette ce système comme radicalement mauvais, comme détestable, comme subversif de toute liberté d’instruction. D’abord je ferai remarquer que, pour mon compte, je trouve que les objections présentées contre la nomination par la chambre s’appliquent à la nomination par le gouvernement. En effet, la chambre, dit-on, est un corps politique. Mais le gouvernement n’est-il pas un corps politique ?

La chambre, dit-on, n’est pas capable de faire cette nomination. Mais le gouvernement est-il plus capable ? Les ministres et leurs employés sont-ils plus versés dans les sciences et les lettres que les membres de la représentation nationale ? La chambre, dit-on encore, n’est pas impartiale. Mais trouvez-vous qu’un ministère, qui doit représenter la majorité de la chambre, offre plus de garanties d’impartialité ? Ainsi toutes les objections contre la nomination par les chambres s’appliquent, je le répète, à la nomination par le gouvernement.

Mais l’intervention du gouvernement serait dangereuse ; elle aurait un résultat funeste en faisant intervenir des professeurs nommés par le gouvernement comme agents du gouvernement. Assurément un jury ainsi composé serait loin d’offrir toutes les garanties désirables aux élèves qui auraient fait leurs études ailleurs que dans les universités du gouvernement. Je me prononce donc pour la nomination exclusive des membres du jury par les deux chambres, ou au moins que la majorité du jury soit nommée de cette manière.

Ainsi que je l’ai dit, les hommes désignés par le gouvernement seraient à la fois juges et parties. D’ailleurs pouvons-nous nous confier dans les choix du gouvernement ? Je ne crois pas que tout ce qu’il a fait jusqu’ici doive nous inspirer une telle sécurité. J’entends chaque jour des membres protester contre les nominations faites par le gouvernement, dire qu’elles sont entachées d’incurie, et même de trahison dans certaines circonstances. Je vois le plus grand nombre des membres de la chambre protester souvent contre les actes du gouvernement ; et j’entends ces mêmes membres soutenir aujourd’hui que le gouvernement seul doit nommer les membres des jurys d’examen. Mais, messieurs, soyez donc conséquents avec vous-mêmes. Ou n’adressez plus de reproches au gouvernement, ou soutenez avec moi qu’il ne doit pas intervenir dans la composition des jurys d’examen !

Mais voulez-vous que je vous prouve par un exemple toute l’absurdité de votre proposition ? La presse, vous le savez, est un moyen d’instruction, comme l’enseignement lui-même.

Si vous voulez tant l’intervention du gouvernement quand il s’agit d’une liberté aussi précieuse que celle de l’enseignement, que ne l’admettez-vous également quand il s’agit de la liberté de la presse ? Je suppose qu’il soit question d’établie un jury de surveillance de la presse. Est-ce le gouvernement que vous chargeriez de le composer ? Vanteriez-vous alors sa capacité et son impartialité ?

Mais non, messieurs, il n’y aurait qu’une voix dans cette enceinte pour dire que le gouvernement ne peut intervenir en matière de liberté. Ces mêmes membres qui demandent l’action du gouvernement, seraient les premiers à s’y opposer, s’il s’agissait de la liberté de la presse, preuve manifeste du peu de garantie qu’offre la nomination du gouvernement, lorsqu’il s’agit de protéger la liberté.

Reste donc les chambres représentatives. Et ici je vois des hommes d’opinions différentes en toute autre circonstance se réunir pour proclamer leur impuissance.

Les chambres sont des corps politiques, dit-on. Donc les chambres ne peuvent être ni capables, ni impartiales. Elles ne présentent aucune garantie de capacité ni d’impartialité.

Messieurs, je crois que c’est faire un très mauvais compliment à ses collègues de s’exprimer de la sorte. J’ai entendu avec regret déverser le blâme sur cette assemblée. Un membre qui prend toujours à tâche de jeter de l’encens vis-à-vis de la majorité a représenté cette majorité comme profondément partiale, profondément ignorante, comme n’ayant jamais fait aucune espèce d’études, comme plongée dans la plus crasse stupidité.

Ordinairement on représente cette majorité, si ignare, si incapable de juger, comme capable de tout au contraire.

Je livre à vos réflexions, messieurs, cette divergence d’opinions dans l’orateur que je combats. Je pense, moi, que cette chambre qui peut se tromper quelquefois quand il s’agit de nominations, ne se trompera pas lorsqu’il s’agira de constituer les jurys d’examen. En effet, je crois qu’il n’est personne d’entre nous qui ne connaisse les noms de nos illustrations scientifiques, il n’est personne qui ne sache quels hommes il faut appeler à faire partie des jurys d’examen, qui ne sache les discerner dans le nombre des candidats qui se présenteront. La chambre ne rejettera pas les illustrations belges du sein des jurys d’examen.

Si c’est au gouvernement que la nomination des membres de ces jurys est laissée, c’est sur les hommes en faveur, sur ceux qui assiègent les antichambres des ministères que le choix tombera. Si je voulais prouver par les enseignements du passé ce qui arrivera dans l’avenir, les exemples ne me manqueraient pas, et je n’aurais pas besoin de les aller chercher dans des universités.

Vous savez que dans maintes circonstances le gouvernement fait subir mille tracasseries aux hommes les plus savants du pays. L’on a festoyé au contraire ceux qui écrivaient dans les journaux pour le gouvernement.

De pareilles partialités n’arriveront pas dans mon système. Les chambres seront impartiales. Elles seules pourront prononcer un jugement réellement bien assis en ce sens qu’elles n’auront personne à festoyer ni à récompenser. Elles récompenseront le mérite et n’auront rien à donner aux solliciteurs.

Mais, dit-on (et ici je rencontrerai ce que l’on appelle la grande objection), la nomination des jurys est un acte d’administration, et nous ne sommes, dit M. Devaux, que pouvoir législatif et rien que cela. Nous ne pouvons pas bouleverser les formes gouvernementales, intervenir dans les nominations qui appartiennent au pouvoir exécutif. Cela serait d’un exempte funeste. Je conteste, messieurs, tout ce que l’on a dit à cet égard. Je conviens que la nomination des jurys d’examen est un acte d’administration. Mais où avez-vous trouvé dans la constitution que l’administration soit le monopole du pouvoir exécutif ?

Nulle part vous ne trouverez une phrase comme celle-là, de laquelle il résulterait que le gouvernement administre le pays. Quand le gouvernement administre, c’est que la loi lui confère ce pouvoir. Nous, membres de la législature, nous pouvons nous ingérer dans l’administration du pays aussi bien que le gouvernement lui-même.

Je proteste contre les paroles du préopinant qui auraient une grande portée si on les laissait passer sous silence ; elles tendraient à faire regarder la chambre comme une machine à faire des lois. Nous ne pouvons pas faire de l’administration ! mais répondez : ne votons-nous pas les budgets qui sont bien des actes d’administration générale ? N’avons-nous pas le droit de faire des enquêtes, de demander aux ministres des explications sur tous les objets d’administration ? La constitution n’a jamais accordé au gouvernement le droit exclusif d’administrer le pays.

L’on prétend que le gouvernement a seul le droit d’administrer. Cela est absolument inexact, parce que la constitution déclare dans les termes les plus formels, à l’article 78, que le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux qui lui sont conférés par la constitution et les lois qui en émanent. Citez-moi au contraire un seul article de ce genre relatif à la législature dans la constitution. La constitution a posé des limites au pouvoir royal. Elle n’en a pas fixé pour la législature, image du peuple, de qui émanent tous les pouvoirs. C’est ce que l’on ne peut méconnaître, sans se rendre en quelque sorte coupable d’une hérésie politique.

Mais voulez-vous la preuve que vous pourriez conférer les plus hauts emplois ? Ouvrez la constitution, elle dit dans les termes les plus formels que le Roi nomme aux emplois d’administration générale et des relations extérieures, « sauf les exceptions établies par la loi. »

Ainsi vous pourriez voter une loi par laquelle vous, membres de la législature, vous nommeriez les ambassadeurs, et cela d’accord avec la constitution, parce que la constitution admet des exceptions au pouvoir de nommer des ambassadeurs. Voilà ce qui prouve combien est inexact le système du préopinant, qui voudrait faire regarder la chambre comme une machine à voter les lois et le gouvernement comme le pouvoir exclusivement administratif. Ce serait le renversement des rôles. Le gouvernement n’a pour l’exécution des lois d’autres pouvoirs que ceux que la constitution lui assigne, tandis que vous, pouvoir législatif, vous n’êtes limité par rien.

Ouvrez encore l’article 108 de la constitution, vous y verrez que le congrès a bien entendu que le pouvoir législatif tout aussi bien que le Roi pouvait et devait faire en sorte que les institutions provinciales et communales ne sortissent pas de leurs attributions. Toutes les pages de la constitution sont pleines de cet esprit que le pouvoir émane de la nation, et le congrès a voulu rappeler partout le principe de la souveraineté du peuple. On ne peut donc dire que nous soyons une machine à voter. C’est, je le répète, proférer la plus grande des hérésies.

Messieurs, j’ai expliqué les motifs pour lesquels il me semble que nous ne pouvons pas admettre les divers systèmes défendus dans cette enceinte qui consistent à donner la nomination des jurys au corps professoral ou au gouvernement, parce que dans ce dernier cas le gouvernement serait juge et partie, et qu’il n’est pas possible d’admettre à la fois qu’il donne l’enseignement et qu’il juge de la valeur de l’enseignement. J’ai prouvé que vous pouviez, sans blesser la constitution, donner ce pouvoir aux chambres, en supposant que vous écartiez les corps spéciaux et surtout l’académie des sciences. Je ne pense pas qu’il y ait d’autres corps que la chambre des représentants et le sénat propres à nommer les jurys d’examen. En effet, qu’a fait la constitution en matière d’instruction ?

Elle a laissé l’instruction aux pères de famille. Or, le gouvernement représente-t-il les pères de famille ? Non, il représente le pouvoir exécutif ; il n’a pas la prétention de les représenter. Seuls, nous sommes l’émanation des pères de famille. C’est donc à nous et au sénat qu’il appartient de nommer les jurys d’examen qui sont la garantie des doits du père de famille. C’est un droit qui résulte de la nature des choses.

Déjà le congrès a établi en principe que la législature nomme les membres de la cour des comptes. Elle n’a pas fait intervenir le gouvernement parce que c’est le gouvernement qui fait les dépenses, et qu’il serait absurde qu’il se jugeât lui-même. Or, le cas est le même ici. C’est le gouvernement qui donne l’instruction. Il ne peut donc se juger lui-même.

La même autorité qui crée la cour des comptes doit créer les jurys d’examen. Pour moi donc, j’adopterai tout amendement qui tendra à faire nommer les membres des jurys par les corps législatifs à l’exclusion de tout autre pouvoir.

M. Devaux. - J’ai demande la parole non pas pour rencontrer le préopinant dans les idées neuves qu’il a émises sur ce pouvoir administratif, mais pour répondre à un fait personnel. Si j’avais dit ce que l’orateur me fait dire, je devrais des excuses sincères à la chambre ; mais aucun de vous ne se sera trompé sur mes paroles. J’avoue que je ne me sens pas capable de nommer des médecins, des astronomes et d’autres savants. Je pense que beaucoup de membres de cette chambre sont dans la même position que moi. Je ne dis pas tous les membres, parce qu’il y a des hommes d’une capacité supérieure qui peuvent décider en matière de sciences comme en tout autre. Mais ces hommes sont extraordinairement rares dans cette assemblée comme ailleurs.

L’on m’a accusé de jeter de l’encens à la majorité. Je crois n’avoir jamais jeté d’encens à personne, n’avoir jamais été flatteur. Je connais deux espèces de flatteurs, ceux qui flattent le pouvoir et ceux qui flattent les partis. Je crois que ma vie toute entière me donne le droit d’être placé en dehors de ces deux classes d’hommes dont l’une ne m’inspire pas plus de sympathie que l’autre. (Approbation.)

- La discussion générale est close.

M. le président. - La chambre passe à la discussion des articles.

Articles 36 à 38

« Art. 36. Il y aura, pour la philosophie et les lettres, les sciences, le droit et la médecine, deux grades, celui de candidat et celui de docteur.. »

- Cet article est adopté ainsi que les suivants.


« Art. 37. Nul ne sera admis à l’examen de candidat en droit s’il n’a reçu le titre de candidat en philosophie et lettres. »


« Art. 38. Nul ne sera admis à l’examen de candidat en médecine s’il n’a reçu le titre de candidat en sciences naturelles, physiques et mathématiques. »

Article 39

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’art. 39.

« Art. 39. Nul ne sera admis à subir l’examen doctoral dans une science s’il n’a déjà été reçu candidat dans la même science.

« En outre, nul ne sera admis au grade de docteur en médecine, s’il ne prouve qu’il a fréquenté avec assiduité et succès, pendant deux ans au moins, la clinique interne, externe et des accouchements. »

M. de Foere. - Le deuxième paragraphe de l’article 39 détruit, dans ses résultats, la liberté d’enseignement.

Si vous maintenez ce paragraphe, il y aura impossibilité d’établir des cours privés à côté des universités. La clinique est ordinairement enseignée par le professeur qui est en même temps médecin de l’hôpital civil. Permettra-t-il que son rival vienne donner des leçons de clinique dans son hôpital ? Tous ses intérêts s’y opposeront. D’abord ses intérêts matériels. L’article 21, déjà adopté, lui donne un droit exclusif à la somme provenant des inscriptions à ses cours. Ensuite son amour-propre permettra-t-il qu’il soit débordé par son rival ? L’affirmative ne se trouve pas dans le cours habituel des faits humains. Je vous demanderai au surplus s’il pourra le permettre ? Non, il introduirait le désordre le plus complet dans le traitement des malades.

Ensuite vous avez déjà sanctionné vous-même cette impossibilité. Vous avez adopté l’article 8 qui attache les hospices de Gand et de Liége à l’enseignement clinique médical et chirurgical de l’Etat.

Si donc vous admettez le deuxième paragraphe de l’article 39, vous rendez impossible les cours privés de médecine, de chirurgie et d’accouchements qui s’élèveront à côté des universités de l’Etat.

Vous me demanderez maintenant, messieurs, est-il nécessaire, est-il, du moins, utile que ces cours privés puissent s’élever à côté des universités ?

L’affirmative me paraît indubitable. Personne n’ignore quelle a été l’utilité des cours privés donnés à Paris en médecine, en chirurgie, en accouchements, d’abord par l’immortel Bichot, ensuite par Sisfrane, par Broussais et par plusieurs noms très recommandables. Chacun sait les progrès que ces professeurs ont fait faire à chaque branche de l’art de guérir qu’ils enseignaient privativement. Les cours privés étaient beaucoup plus suivis que les cours du corps enseignant de l’Etat, et, remarquez-le bien, messieurs, ces cours privés étaient plus suivis que les cours publics, malgré les inscriptions à l’université de Paris que les élèves étaient obligés de prendre pour être aptes à passer docteurs dans quelque branche de l’art de guérir. Ces élèves étaient obligés de payer deux cours à la fois.

Quant à la question de savoir si un cours de clinique pour les élèves est d’une nécessité indispensable, je ne suis pas compétent à me prononcer sur ce point mais je m’en réfère à cet égard au mémoire qui a été adressé à la chambre par le corps enseignant de l’université. Dans ce document cette indispensable nécessité est repoussée. J’en appelle encore aux universités d’Allemagne qui, pour la plupart, sont établies dans des villes peu populeuses, et où, par conséquent, le nombre des malades doit être très rétréci.

Je demande donc, non de supprimer le cours de clinique, là où il peut être suivi, mais de supprimer le deuxième paragraphe de l’article 39, attendu qu’il exige une condition qui ne pourra être remplie par les élèves d’un cours privé en médecine et en chirurgie ; ou bien je demande qu’à ces élèves qui suivent des cours privés on fournisse le moyen de faire un cours de clinique.

Je n’ai pas comme M. Jullien le talent de faire rire gratuitement l’assemblée ; aussi je ne lui envie pas ce talent ; je le lui passe très volontiers, je n’y aspire même pas. Je me contente de discuter d’une manière sérieuse les questions qui nous sont soumises.

M. Jullien croit avoir répondu aux observations que j’ai eu l’honneur de vous soumettre en en rencontrant une seule. Si, dit-il, il existe un médecin d’un hospice qui refuse l’entrée dans l’hôpital aux professeurs des cours privés et à ses élèves, la difficulté sera levée par l’administration des hospices. Mais les faits ont prouvé que l’administration des hospices s’est constamment refusée à l’admission des professeurs privés et de leurs élèves. Je pense même que cette admission est impossible dans l’exécution. Si ces professeurs privés enseignent un autre système de médecine que celui du professeur de l’Etat, si les uns suivent le système de Brown, lorsque les autres suivent celui de Broussais qui lui est opposé, si les uns enseignent et pratiquent le système basé sur l’humorisme et les autres celui appelé homéopathique, pourra-t-on soumettre les malades à des traitements différents et même contradictoires ? Vous sentez, messieurs, que cette admission est impossible dans l’exécution.

Les professeurs des cours privés stimulent d’une manière efficace le zèle et le talent des professeurs de l’Etat. Le professeur d’un cours privé est intéressé à donner ses leçons d’une manière supérieure aux leçons de son rival. Celui-ci est à son tour intéressé à redoubler de zèle et de talent pour donner ses leçons et pour former de bons élèves. Avec les cours privés à côté de sa chaire, le professeur de l’Etat ne pourra plus s’endormir tranquillement sur son cahier qu’il ne fait que dicter à ses élèves après leur avoir dit avant de commencer son cours : Comptez- moi d’abord 50, 60, 80 francs. Avec les cours privés, ces abus seront impossibles, ou du moins rares.

Voici un troisième avantage. Si vous ne rendez pas les cours prives impossibles par votre deuxième paragraphe de l’article 39, ces cours seront une pépinière pour le professorat des universités de l’Etat et pour celui des universités libres. Le choix ne sera plus aussi douteux. On choisira les professeurs privés qui se seront distingués par leurs connaissances, qui se seront fait un nom, qui auront donné des preuves positives, des preuves de fait de leur aptitude au professorat.

Mon expérience à moi est, et vous l’aurez probablement faite aussi, que les connaissances les plus étendues et les plus profondes dans quelque branche que ce soit, ne suffisent pas pour être professeur. Dans les divers cours d’études auxquels j’ai assisté, je n’ai rencontré qu’un seul professeur qui possédât véritablement le talent d’enseigner, quoique, parmi les autres, il s’en trouvât qui eussent des connaissances très profondes dans la branche qu’ils enseignaient.

Pour avoir la qualité de professeur, messieurs, il faut au-dessus du savoir, ou de la science, il faut, dis-je, avoir le talent d’expliquer ; il faut que le professeur ait le talent d’être clair, précis, méthodique, analytique. Bien que beaucoup de savants aient le talent de raisonner avec des savants, ils n’ont pas pour cette raison celui de s’y faire comprendre par les élèves.

On objectera peut-être qu’un cours de clinique est nécessaire pour former de bons élèves en médecine, en chirurgie. Certes, un cours de clinique est considéré comme nécessaire : mais alors mettez les élèves des cours privés dans la possibilité de suivre ce cours. Or, d’après l’article 8, vous les avez exclus des hôpitaux de Gand et de Liége ; vous avez attaché ces hôpitaux aux élèves des universités de l’Etat, et, d’autre part, vous exigez de tous les élèves en médecine et en chirurgie la condition d’avoir suivi, pendant deux ans, un cours de clinique avant d’être aptes à se présenter devant le jury.

M. Jullien. - Je ne suis pas versé dans les sciences de la médecine, encore moins dans celles des accouchements. (Hilarité). J’ai cela de commun, je pense, avec l’honorable préopinant. (Hilarité). C’est pourquoi je me hasarderai à présenter quelques observations.

D’abord si j’ai bien compris l’honorable préopinant, il a manifesté la crainte que l’on ne pût mettre à exécution le deuxième paragraphe de l’article en discussion. Lorsqu’un médecin, a dit ce préopinant, sera attaché à un hôpital dont il fera le service, ne craignez-vous pas qu’il en refuse l’entrée à d’autres médecins, et même à des élèves qui pourront devenir ses rivaux ? Si vous voulez que les élèves qui se présentent devant les jurys d’examen aient suivi des cours de clinique interne et externe, encore faut-il que vous leur facilitiez les moyens de remplir cette obligation et d’avoir les connaissances dont vous vous voulez qu’ils justifient. C’est un vieil adage que qui veut la fin veut les moyens.

Mais remarquez que ces hôpitaux sont placés sous la surveillance des administrations des hospices, lesquelles sont à leur tour sous la surveillance immédiate des administrations municipales. Lorsque des élèves qui voudront suivre des cours de clinique subiront le refus que prévoit l’honorable préopinant, ils pourront s’adresser à l’administration des hospices et si celle-ci ne faisait pas droit à leur réclamation, recourir en dernier ressort à l’administration municipale qui ne manquerait pas elle de mettre ordre à un véritable abus.

Dans tout cas, il y a un autre moyen que l’honorable préopinant a perdu de vue ; c’est que quand la loi en discussion sera votée, le gouvernement fera les règlements et arrêtés nécessaires pour que la volonté de la législature soit exécutée. Si de pareilles difficultés se rencontraient, le gouvernement ne manquerait pas de les résoudre. Sous ce rapport donc, les scrupules de l’honorable préopinant doivent être levés.

Quant à la suppression des études de clinique…

M. de Foere. - Je ne l’ai pas demandée.

M. Jullien. - Je le croyais. Du reste, je n’ai pas saisi toutes les observations faites par l’honorable préopinant. Je me bornerai donc à celles que je viens de présenter et qui doivent avoir levé ses scrupules.

M. de Foere. - Je demande la parole pour un fait personnel. (On rit.) Si M. Jullien aspire au talent de faire rire, je n’ai rien à lui envier sous ce rapport ; quant à moi, j’aime à discuter d’une manière sérieuse des questions sérieuses.

J’en reviens à la difficulté qui est agitée. Si un professeur est en même temps médecin de l’hôpital, comment pourra-t-on le forcer à recevoir d’autres élèves que les siens ? A Paris jamais Bichat, ni Broussais, ni d’autres célébrités pareilles n’ont pu obtenir l’entrée dans les hospices qui n’étaient pas les leurs, malgré toutes les démarches qu’ils avaient faites à cet égard. Le système présenté par l’honorable préopinant est donc impossible dans la pratique.

Sous un autre point de vue, exiger d’un élève qu’il ait suivi la clinique d’un médecin, ne me paraît conduire à rien d’utile. Il y a différents systèmes dans la pratique de l’art de guérir ; il y a celui de Brown, celui de Broussais, celui de beaucoup d’autres ; ainsi, en exigeant d’avoir suivi la clinique d’un médecin, c’est exiger d’avoir vu mettre en pratique un système unique.

Je demande la suppression du paragraphe 2 de l’article 39, parce que je ne veux pas que des élèves qui auraient reçu des leçons privées soient repoussés des grades.

M. de Brouckere. - L’honorable préopinant semble avoir eu particulièrement en vue, lorsqu’il a demandé la parole, de montrer l’utilité des cours particuliers. Après avoir établi cette utilité, que personne ne conteste, il en tire la conséquence que pour être promu au grade de docteur en médecine, en chirurgie ou en accouchements, il n’est pas indispensable que l’on ait suivi des cours de clinique.

Je n’ai pas envie de prouver à l’honorable préopinant qu’il a eu tort de préconiser les cours particuliers ; cependant il ne viendra à l’idée de personne de fonder une école de médecine sans mettre à côté un hospice pour la clinique. Il est impossible de former un médecin, un accoucheur, sans lui présenter la pratique après la théorie, et l’on fait bien d’exiger que l’élève prouve qu’il a suivi un cours de clinique.

Le brevet de docteur en médecine, en chirurgie, ou en accouchements, est un certificat pour lequel vous attestez que tel individu à qui il est délivré est apte à exercer l’art de guérir ; et, si vous donner un diplôme à un jeune homme qui n’a pas suivi de clinique, vous ferez une chose imprudente ; c’est la clinique qui forme le praticien ; et toutes les théories du monde, en médecine, jusqu’ici du moins, ne font rien sans pratique. Je le répète, on a fait sagement d’exiger dans la loi en discussion, de celui qui veut être docteur, médecin, chirurgien ou accoucheur, de prouver qu’il a suivi des cours de clinique. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - Le premier paragraphe de l’article 39 est ainsi conçu : « Art. 39. Nul ne sera admis à subir l’examen doctoral dans une science (il y avait primitivement dans une faculté), s’il n’a déjà été reçu candidat dans la même science. »

M. Dubus. - Avant de se prononcer relativement à ce changement de rédaction, il faudrait qu’on le justifiât.

Le mot faculté est consacré par l’usage, par les règlements anciens. Pourquoi introduire un autre mot auquel on a donné diverses acceptions ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je pense que l’article 39 ne peut donner lieu à aucune ambiguïté, et sous ce rapport il n’a besoin d’aucune justification.

L’article 36 établit des grades dans les quatre branches de l’enseignement, et l’article 39 dit qu’on ne peut être admis au grade de docteur si, préalablement, on n’est pas gradué candidat. Il y a parfaite harmonie entre ces deux dispositions.

On substitue le mot science au mot faculté, parce qu’il ne s’agit plus, comme anciennement, de grades universitaires donnés à des élèves d’une faculté mais de grades donnés par un jury à une personne qui a fait ses études d’une manière quelconque. Le mot faculté n’est réellement plus applicable.

M. Dubus. - Je suis satisfait de l’explication.


- Le premier paragraphe mis aux voix est adopté.

Le deuxième paragraphe est ainsi conçu :

« En outre, nul ne sera admis au grade de docteur en médecine s’il ne prouve qu’il a fréquenté avec assiduité et succès, pendant deux ans au moins, la clinique interne, externe et des accouchements. »

- Adopté.

L’ensemble de l’article 39 mis aux voix est également adopté.

Article 41

M. le président. - L’article 41 est relatif à la composition du jury. Plusieurs amendements sont présentés sur cet objet. Il y a la proposition primitive du gouvernement, la proposition de la section centrale, celle de M. de Brouckere, celle de M. Dumortier, et une de M. Devaux.

Article 40

L’article 40 est conçu en ces termes :

« Art. 40. Des jurys, siégeant à Bruxelles, feront les examens et délivreront les certificats et diplômes pour les grades.

« Toute personne pourra se présenter aux examens et obtenir des grades, sans distinction du lieu, du temps, où elle aura fait ses études. »

M. Demonceau. - Vous dites ici d’une manière générale et absolue que le jury délivrera les certificats et les diplômes ; s’ensuivra-t-il que le jury devra délivrer, par exemple, le certificat constatant qu’on a suivi un cours de clinique ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il résulte de l’article 39 que ce n’est pas le jury qui délivre ce certificat. Il n’y a que le professeur ou le médecin dont on a suivi la clinique qui puisse certifier ce fait. Les certificats dont il est question dans l’article 40 sont ceux dont il est fait mention à l’article36 (l’ancien article 81).

Cet ancien article est ainsi libellé : « Nul ne sera admis à l’examen de candidat en sciences s’il n’a subi, devant le jury de philosophie, une épreuve préparatoire sur les matières suivantes :

« Les langues grecque et latine, l’histoire nationale, l’anthropologie, la logique et l’histoire de la philosophie. »

M. Dubus. - M. le ministre de la justice vient de citer l’article 81. ancien, mais je ne vois pas que cet article soit conservé.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il est conservé ; il est placé ailleurs ; il existe encore.

M. Dubus. - Je n’ai plus rien à dire.

- Les deux paragraphes de l’article 40 sont adoptés.

Article 41

M. le président. - La chambre passe à la délibération sur l’article 41 ou sur la composition du jury.

Les amendements présentés par MM. de Brouckere et Dumortier sont appuyés et seront par conséquent mis en discussion.

M. Dumortier. - Dans mon amendement j’ai proposé un jury pour les candidats et un jury pour les docteurs ; un seul jury ne suffit pas.

M. Jullien. - Messieurs, la plus grave objection qui ait été faite contre l’amendement de M. de Brouckere, qui tend à donner aux professeurs les examens dont il s’agit dans l’article 41, est celle qu’a présentée l’honorable rapporteur de la section centrale. Il reproche à cet amendement de conduire à la partialité.

Il est presque impossible, a-t-on dit, à des professeurs chargés d’examiner les personnes qui demandent des grades, de n’être pas favorables aux élèves de leurs universités, et de l’être moins aux élèves des autres universités.

Je ne puis admettre ce reproche ; et d’abord, si vous introduisez dans le jury d’examen une quantité égale de professeurs, pris dans chaque établissement, aucune université ne pourra prévaloir par ce mécanisme, car la partialité d’un professeur neutralisera la partialité de l’autre. Mais, a-t-on ajouté, ne craignez-vous pas qu’il y ait une espèce de transaction entre les professeurs : passez-moi cet élève, dira l’un, et je vous passerai tel autre élève.

Messieurs, il y a dans cette prévision quelque chose de véritablement ignoble ; quant à moi, je repousse cette honteuse idée de transaction, cette présomption de partialité qui pèse sur des hommes exerçant une profession honorable : je crois que des professeurs, que des hommes exerçant des fonctions éminentes, seraient incapables d’une aussi révoltante partialité. Où les conduirait d’ailleurs une semblable partialité ? à un but contraire à celui qu’ils doivent avoir.

Quel est en effet leur but ? de faire prospérer leur établissement ; c’est, par conséquent, de n’être point favorables à des hommes incapables.

Quel honneur des hommes sans instruction pourraient-ils faire à une université ? Les professeurs ne sont donc pas intéressés à dire : Passez-moi tel ignorant, je vous passerai tel autre ignorant.

La position que les professeurs occupent dans la société doit faire écarter toute suspicion semblable ; et je crois qu’on ne peut pas s’arrêter à ces prétendues impossibilités du système présenté par M. de Brouckere.

On a cité l’Angleterre et l’Amérique ; on a dit que la législature examinait le programme des cours. Eh bien, oui, messieurs ; et je trouve que les législatures ont grandement raison, parce que dans ces pays, il s’agit avant tout de faire des citoyens ; et les doctrines y sont du ressort des gouvernements. On ne veut pas que de mauvaises doctrines s’infiltrent dans la société. Sous ce rapport il n’y a rien qui concerne les personnes, car les parlements y examinent uniquement les choses en examinant les programmes ; mais ici il s’agit de juger du mérite des individus, ce qui est bien différent.

Je n’abuserai pas plus longtemps de vos moments. J’ai seulement voulu répondre aux reproches que le rapporteur de la section centrale faisait au système de M. de Brouckere, système qui jusqu’ici me paraît le meilleur, et que j’adopte provisoirement ; car si on en produit un qui me semble plus convenable encore, je donnerai la préférence à ce dernier.

M. Dumortier demande, je crois, que le jury d’examen soit composé de sept membres ; quatre seraient nommés par la chambre, trois par le sénat ; la proportion n’est pas gardée, car nous devrions en nommer deux fois autant que le sénat, par le nombre que nous avons cent pour cent sur le sénat.

M. le président. - Voici un amendement proposé par M. A. Rodenbach :

« Chacun des jurys d’examen sera composé de sept membres. Trois seront nommés par la chambre des représentants, deux par le sénat et deux par le gouvernement. »

M. A. Rodenbach. - Peu de mots suffiront pour développer mon amendement. Au lieu de deux membres choisis par la chambre des représentants, je demande qu’il y en ait trois. C’est le nombre de nominations que la section centrale attribuait au gouvernement.

Le gouvernement pourra nommer deux professeurs de ses universités. Il me semble qu’il aura pas là une assez grande part d’influence.

M. Dechamps, rapporteur. - L’honorable député de Bruges m’a fait le reproche d’avoir porté une accusation révoltante contre le corps professoral. Messieurs, telle n’a pas été mon intention ; mais il me semble que dans une loi où il s’agit d’impartialité avant tout, il est bien permis de prendre des garanties contre la partialité là où elle peut se rencontrer.

On prend bien des garanties contre les juges ; on exerce contre eux des récusations. Nous devons agir de même à l’égard des professeurs. Je ne vois pas là d’accusation révoltante et ignoble, suivant l’expression de M. Jullien. Il n’a pas saisi la principale objection que j’ai faite contre le système de M. de Brouckere. J’ai dit que dans ce système il y aurait presque toujours suspicion de partialité. Voici dans quel sens. Quatre universités seront représentées également dans le jury, le récipiendaire aura toujours contre lui une majorité coalisée formée des trois universités rivales, et devant cette majorité il devra succomber.

Ainsi, j’ai constaté, puisque nous pouvons supposer qu’il y aura rivalité et concurrence entre les universités libres et celles de l’Etat, qu’il y aura toujours une majorité de trois universités contre celle où le récipiendaire aura fait ses études.

Il y a donc là présomption de partialité. Mais le principal argument que j’ai avancé, c’est l’impossibilité matérielle de distinguer une université libre. L’honorable M. Dumortier a ajouté des développements à cette objection, et avant de voter, j’espère qu’on y répondra.

M. de Brouckere. - Je ne comptais pas revenir sur les développements dans lesquels je suis entré au commencement de cette discussion. J’ai présenté mon amendement, s’il convient à la chambre, elle l’adoptera ; s’il ne lui convient pas, elle le rejettera. Je m’en consolerai facilement.

Plusieurs systèmes sont en présence, c’est à la chambre à choisir celui qu’elle préfère.

J’ai quelques mots à répondre à l’objection singulière que vient de répéter le préopinant. Si je n’ai pas répondu à son premier discours, c’est que je croyais que des objections semblables n’étaient pas de nature à exercer de l’influence sur la chambre ; si dans un jury se trouvent quatre membres délégués par quatre université, ce jury doit être partial, il est impossible qu’il ne le soit pas, parce que l’élève d’une université aura les trois professeurs des autres universités contre lui. Je demande s’il est possible de faire une supposition plus bizarre.

Vous pensez donc que les quatre universités vont se trouver dans une rivalité telle que chaque professeur de ces universités sera prêt à commettre toutes les injustices pour nuire à une université rivale, et quelque bon que sera un élève, quelque brillant que soit son examen, vous supposez que les trois professeurs des universités auxquelles il n’appartient pas, vont se prononcer contre lui.

C’est là une supposition qui est tout à fait inadmissible. Cette partialité ne peut pas se supposer. Il y aura toujours présent à l’examen un professeur de l’université à laquelle appartient le récipiendaire. S’il se passait des injustices aussi révoltantes que celle que suppose le préopinant, le public en serait bientôt informé.

Une autre objection faite par le même orateur, c’est que l’on ne sait pas ce que c’est qu’une université et qu’il pourra dépendre de tout enseignement moyen de dire qu’il s’appelle université. Tout le monde sait ce que c’est qu’une université et une école d’un enseignement moyen ou supérieur aurait beau prendre le titre d’université qu’il n’en imposerait à personne. Une université est un établissement d’enseignement où se trouvent les quatre facultés, où se donnent tous les cours qu’un élève doit avoir suivis pour passer son examen. Un établissement qui ne réunirait pas ces conditions ne serait pas une université.

M. Devaux. - J’ai posé une question qui n’a pas été résolue. J’ai demande si on établirait un jury distinct pour les candidats et pour les docteurs. M. Dumortier a fait cette distinction, mais il fait nommer tous les membres des jurys par les deux chambres, il fait sans doute aussi nommer de la même manière les suppléants. Il en résultera que pour les quatre facultés vous aurez à nommer huit membres et huit suppléants par faculté, c’est-à-dire 64 personnes pour les quatre facultés. Il est impossible de faire autrement que de nommer deux jurys par faculté. J’ai fait le calcul : il y aura 5 ou 600 heures rigoureusement comptées employées pour les examens de candidats et de professeurs en droit. Vous ne pouvez pas faire faire 600 heures d’examen par le même jury.

En supposant que vous le fassiez siéger cinq heures par jour et c’est beaucoup, la session devra durer trois mois. Or, il est impossible de faire siéger des professeurs pendant trois mois dans un jury d’examen, vous absorberez toutes leurs vacances ou vous les enlèverez aux travaux de professeur et les élèves seront exposés à être retardés de trois mois.

Ainsi que je vous l’ai dit, je voudrais qu’on fît ce qui est raisonnablement possible pour éviter de faire prendre à la chambre un rôle aussi peu convenable et sujet à tant d’inconvénients pour elle et pour le pays tout entier. J’ai essayé toutes les combinaisons.

On a fait à l’amendement de M. de Brouckere un reproche que je conçois en allant aux fonds des choses. On croit une division non seulement entre les universités libres et les universités de l’Etat mais entre les universités libérales et les universités catholiques, et dans cette hypothèse, avec l’amendement de M. de Brouckere, les choses ne seraient pas égales, car dans un jury l’université catholique n’aurait qu’un représentant, quand les autres en auraient trois. Pour mon compte, je ne partage pas cette crainte, mais puisqu’on l’a manifestée, je voudrais la faire cesser ; je voudrais trouver un moyen d’éviter cette disproportion en faveur des universités d’une opinion et contre celles d’une autre opinion. Je reconnais que c’est très difficile, mais je voudrais arrêter votre attention à l’idée à laquelle je m’étais arrête ce matin. Je ne pensais pas que les choses eussent été si vite, je n’ai formulé ma pensée que très imparfaitement.

Les élèves des établissements particuliers (je définirai tout à l’heure ce que j’entends par les élèves d’un établissement particulier). Je fais des commissions différentes pour les différentes catégories d’élèves. Je les divise en trois catégories : les élèves des établissements particuliers, les élèves des établissements de l’Etat, et les élèves qui ne suivent ni les cours des établissements particuliers, ni ceux des établissements de l’Etat.

« Les élèves des établissements particuliers seront examinés par trois professeurs des universités de l’Etat désignés par le gouvernement, plus trois professeurs délégués par l’établissement particulier auquel appartient l’élève, plus quatre membres étrangers la fois aux universités de l’Etat et aux établissements particuliers, et désignés par le gouvernement. »

Voilà pour les élèves appartenant à des établissements particuliers.

Si un élève de l’université de Malines se présentait, l’université de Malines déléguerait trois professeurs, le gouvernement déléguerait un nombre égal de professeurs des universités de l’Etat, et ensuite il nommerait quatre personnes étrangères aux universités.

Voici maintenant comment je composerais la commission pour les élèves des universités de l’Etat.

Trois professeurs pour la faculté de l’université à laquelle ils appartiennent, trois professeurs particuliers. Ceux-ci sont tirés au sort parmi tous les professeurs désignés pour faire partie des jurys. C’est pousser l’impartialité aussi loin que possible.

De plus quatre membres désignés par le gouvernement et étrangers aux deux catégories d’établissements.

Enfin pour les élèves qui n’ont fait leurs études ni dans les universités ni dans les établissements particuliers, je fais désigner par le gouvernement trois professeurs d’université et quatre personnes étrangères aux universités. Notez bien que, si dans ce cas le gouvernement nomme sept personnes, c’est qu’il s’agit d’élèves n’appartenant à aucune catégorie d’établissements qui auront étudié chez eux ou en pays étranger.

En cas de partage, le récipiendaire ne peut manquer d’être reçu. L’élève de Malines, par exemple, se présente devant la commission qui se compose de trois professeurs de son établissement, trois professeurs des universités du gouvernement et trois personnes étrangères à ces établissements. En supposant que les trois personnes de Malines lui soient favorables, il faudra que parmi les professeurs restants il en trouve au moins deux complètement impartiales. L’on ne soutiendra pas que rien ne sera plus facile.

J’accorde une autre faculté à l’élève qui se présente devant le jury d’examen. C’est qu’il pourra être interrogé pendant la première demi-heure par les professeurs de l’établissement d’où il sort.

Il pourrait arriver que l’élève fut intimidé par les professeurs étrangers ou qu’interrogé sur certaines branches de l’examen il répondît mal, tandis qu’il aurait fait preuve de plus de connaissances sur d’autres. La faculté d’être interrogé pendant la première demi-heure aura l’avantage de le rassurer, et en second lieu de faire ressortir son savoir sur certains points. La seconde demi-heure de l’examen sera consacrée aux questions des professeurs étrangers à son établissement.

Reste la liste des professeurs que chaque établissement particulier devra envoyer au gouvernement. Mois projet porte que chaque établissement particulier fera parvenir d’avance au gouvernement la liste des professeurs qu’il désirerait voit faire partie des jurys d’examen, ainsi que de leurs suppléants en cas d’absence ou de maladie. Un établissement ne pourra envoyer de professeurs à un jury d’examen qu’autant que toutes les branches d’instruction sur lesquelles les élèves seront interrogés devant ce jury y seront enseignées.

Ce dernier article me semble préférable à celui qui donne le nom d’université à un établissement, à raison du nombre de ses élèves.

Une école de médecine peut avoir 40 élèves et ne pas dépasser ce nombre par des causes locales, et cependant réunir toutes les matières d’enseignement qui constituent le programme d’une faculté de médecine.

Tels sont les amendements que je crains de déposer sur le bureau avant qu’ils ne soient définitivement rédigés. Mais tel qu’il est, mon projet me paraît réunir au plus haut degré des conditions d’impartialité. Remarquez que sur un jury de 10 membres, (le nombre de 7 m’a paru trop peu élevé), il serait malheureux qu’il ne se trouvât pas au moins deux hommes impartiaux. Il n’en faut pas plus pour que l’élève d’une université libre ou d’une université de l’Etat réussisse. Je terminerai en disant que quel que soit le sort de ma proposition je ne sanctionnerais jamais de mon vote une disposition qui tendrait à donner à la législature la nomination des jurys d’examen.

- L’impression des amendements de M. Devaux est ordonnée.

M. Dubus. - Je ferai une observation sur l’amendement présenté par M. Devaux ; c’est que si l’honorable membre a trouvé le système qu’il a voulu combattre impraticable, le sien l’est encore davantage. Il augmente le nombre des membres des jurys ; en même temps il triple le nombre des jurys. Il veut 8 jurys pour les quatre facultés. Il veut en même temps 3 catégories de jurys pour les trois catégories d établissement ; cela fera 24 jurys. A 10 professeurs par jury, cela fera 240 membres. Je ne sais où on trouvera ce nombre. L’on veut probablement que les élèves qui introduiront 3 professeurs dans un jury spécial défraient leurs dépenses pendant leur séjour dans la ville où se fera l’examen pour qu’ils puissent jouir de la liberté de l’enseignement. Il me paraît que c’est l’acheter un peu cher.

Je fais cette observation à part le principe. En principe, l’amendement de M. Devaux doit être rejeté aussi bien que celui de M. de Brouckere. Il faut des jurys d’examen pour éviter un double écueil : la facilité des admissions et la partialité des examinateurs. Je répondrai à certains membres qui ne veulent pas que l’on fasse planer le moindre soupçon de partialité sur le corps professoral, que je n’envisage pas les professeurs comme professeurs, mais comme hommes. Même à l’époque où il n’y avait pas d’établissements rivaux, la rivalité des universités de l’Etat suffisait pour entacher de partialité les examens dans chacune d’elles. C’est que les professeurs sont hommes, et comme tels accessibles aux sentiments de l’humanité.

Ils admettaient trop facilement les élèves pour les attirer dans leurs universités. Qu’on lise l’ouvrage de M. C. de Brouckere sur l’enseignement supérieur. Il dit très laconiquement : la rivalité des trois universités de l’Etat s’est bornée à faciliter les examens. Cet abus était signalé en 1829. Les professeurs se montraient très faciles pour attirer les élèves dans leurs établissements. Ainsi, cet abus avait été signalé à la tribune du congrès, par une pétition très remarquable qui proposait comme moyen de réforme l’établissement de jurys d’examen.

Ainsi, la question qui nous occupe doit être examinée sous deux faces ; il faut que nous empêchions qu’à l’avenir il y ait dans les examens possibilité d'admissions faciles ou partiales. Cette question est une des plus importantes que nous ayons à discuter. Car elle touche à l’une des garanties les plus importantes consacrées par la constitution, à la liberté de l’enseignement.

Je vous demande, messieurs, si vous trouverez cette condition d’impartialité dans les amendements présentés par les membres auxquels je réponds.

L’honorable M. de Brouckere fait une part très large aux universités de l’Etat et une part pour ainsi dire nulle aux établissements privés. Il donne deux ou trois nominations au gouvernement, ensuite il veut que l’on nomme un professeur de chaque université de l’Etat. Voilà quatre nominations que ferait le gouvernement. Je vous prie de jeter à cette occasion les yeux sur l’un des articles les plus importants de la loi que vous avez voté hier. Vous y verrez combien les nominations des membres choisis dans les universités sera à la discrétion du gouvernement.

Ou peut confondre le gouvernement et ceux qui le dirigent. Je sais bien que certaines personnes ne sont pas éloignées de faire nommer tous les membres par le gouvernement. Ce serait une révoltante injustice. Que diriez-vous en effet si l’on vous proposait de faire nommer tous les jurys par les professeurs d’une université libre. Vous vous récrieriez. Eh bien le cas ici est le même.

Ils ont déjà 4 membres du jury assurés parmi les professeurs, dans le système de M. de Brouckere. Mais quel sera la part des établissements privés ? un professeur dans chaque université, ayant plus de cent élèves. Mais d’abord qu’entendez-vous par une université ? Hier un membre prétendait qu’on ne pouvait donner ce nom qu’à un établissement qui aurait organisé l’instruction supérieure dans toutes les branches. Ainsi si les établissements privés organisaient l’instruction dans presque toutes ses branches, et qu’il leur en manquât une seulement, le gouvernement seul composerait le jury.

Mais existe-t-il un jury pour toutes les branches d’enseignement ? Non ; quand il s’agit de composer un jury, vous distinguez les branches d’enseignement ; pourquoi ne les distingueriez-vous pas également quand il s’agit de la part que les établissements privés doivent prendre à la composition du jury ? Si vous n’admettez pas ce système vous réduisez à rien l’intervention des établissements privés. Vous concentrez tout dans les mains du gouvernement.

Pour moi, je suis convaincu qu’on n’aura un jury véritablement impartial qu’en le faisant nommer par les chambres. Je désirerais que tous les membres du jury fussent ainsi nommés. J’insiste pour que ce mode de nomination soit adopté, au moins pour la majorité du jury.

On a opposé une question de constitutionnalité, des inconvénients pratiques. Quant à la question de constitutionnalité, elle est oiseuse, et n’existe pas dans l’espèce. Que l’on appelle l’acte dont il s’agit comme on voudra, on ne trouvera aucune disposition constitutionnelle qui ôte au législateur le droit de l’attribuer aux chambres. Voulez-vous l’appeler un acte de haute administration ? Mais plusieurs actes semblables sont attribués par la constitution à la législature, il n’y a dans la constitution aucun article portant que des actes semblables ne pourront pas être attribués aux chambres. En matière de nomination vous voyez que la constitution charge la chambre des représentants de nommer les membres de la cour des comptes et charge le sénat de présenter aux places vacantes à la cour de cassation.

On était même d’avis d’attribuer ces dernières nominations à la chambre des représentants (ceux qui faisaient partie du congrès peuvent se le rappeler), ce n’est que sur l’observation que la cour de cassation est appelée à juger les ministres, et que la chambre des représentants a le droit de les mettre en accusation , que l’on s’est rallié à l’idée d’attribuer au sénat le droit de présentation. Et ce n’est pas parce que la cour de cassation est un corps politique, c’est comme garantie de l’ordre judiciaire.

Nous, qu’avons-nous à établir ? Des garanties pour la liberté d’enseignement, des garanties telles que cette liberté soit vérité, soit autre chose qu’une phrase de la constitution. Nous trouverons ces garanties dans la nomination par les chambres de la majorité des jurys d’examen.

C’est un droit qui résulte pour les chambres de leur mandat même ; car leur mission consiste principalement à garantir toutes les libertés fondées par la constitution. Les chambres sont l’élite de la nation, nommée par la nation elle-même. Vous ne pouvez trouver d’autres garanties à ces libertés que le concours des chambres. Si la nation ne voulait plus ses libertés, elle n’aurait plus besoin de chambres, ce serait une révolution. Par cela seule que les chambres sont l’élite de la nation, les notabilités d’une science quelconque ne peuvent lui demeurer inconnues. Ainsi ces savants qui prétendent à une réputation européenne, si leurs prétentions sont fondées, ne seront pas inconnus sans doute aux élus de la nation, au milieu de laquelle ils vivent.

On a demandé si les chambres possédaient les connaissances nécessaires pour composer des jurys d’examen dans toutes les sciences. Mais on est parti d’une fausse supposition : celle que, pour choisir un examinateur, il faut être capable soi-même d’en remplir les fonctions. C’est là une fausse supposition. L’admettre, ce serait rendre toute élection impossible. Jamais on n’a exigé de l’électeur qu’il fût capable de remplir les fonctions de l’élu. Ainsi, ceux qui nomment les membres des deux chambres, ou même la majorité d’entre eux, sont-ils capables de faire des lois ? Ce sont eux cependant qui nomment les législateurs. De même, sans que nous soyons capables de remplir les fonctions d’examinateurs, nous pouvons nommer les examinateurs, et les choisir parmi les notabilités de la science.

On a fait observer que d’une part il serait nécessaire d’avoir deux jurys distincts : un pour le grade de docteur ; un autre pour le grade de candidat, et d’autre part, il y aurait un si grand nombre d’examens à faire que les 38 jours fixés par la loi ne suffiraient pas. L’objection repose sur des renseignements statistiques qui ne sont pas à ma disposition, et sur lesquels j’attendrai la réponse de M. le ministre de l’intérieur. Mais je ferai remarquer cependant, que s’il y a un grand nombre d’examens, ce n’est pas assurément dans chacune des quatre facultés. Je pense que dans les facultés des sciences et des lettres, il n’y a qu’un petit nombre d’examens. Et si cela est vrai on m’accordera que le temps qu’exigeront les examens ne sera pas tel que l’a supposé un honorable membre.

Je crois donc que dans tous les cas on pourra supprimer le double jury et se contenter d’un seul jury dans la faculté des sciences et dans la faculté des lettres. Ceci diminue considérablement le nombre des nominations, nombre que l’on a voulu rendre effrayant.

Et d’autre part, s’il était vrai, ce que je n’admets pas jusqu’ici, qu’il fallût un jury distinct pour les grades de candidat et pour les grades de docteur dans les facultés de droit et de médecine, (il est certain que ce sont ces sciences qui offrent le plus grand nombre de sujets), il n’y aurait pas grand inconvénient relativement à elles. Cependant comme le ministère n’en propose qu’un, c’est qu’apparemment il pourra démontrer que cela est praticable et peut se concilier avec les différents articles du projet.

Les objections que j’ai faites contre la proposition de M. de Brouckere me paraissent pouvoir être appliquées à celle de M. Devaux ; seulement celle-ci est beaucoup plus compliquée et me paraît introduire, outre les inconvénients graves de partialité que j ai reprochés au jury provenant de la première, des inconvénients pratiques, puisqu’il y aurait un très grand nombre de jurys : il y en aurait, d’après son système, six pour chaque faculté.

Si j’ai bien compris, pour les élèves des établissements particuliers, l’honorable membre veut trois professeurs des universités de l’Etat, trois professeurs appartenant à des établissements particuliers, et quatre membres étrangers. Mais par qui les professeurs seraient-ils désignés ? Les quatre membres étrangers le seront-ils par le gouvernement ? quelle garantie cela pourra-il donner à l’élève ?

Quant aux élèves des universités de l’Etat, ils ont pour examinateurs trois professeurs de leur université, plus encore quatre professeurs désignés par le gouvernement, et trois professeurs des établissements particuliers.

Ainsi, pour les élèves particuliers, il y a trois contre sept et pour les élèves du gouvernement il y a au contraire 7 contre 3 ; est-ce là de la justice distributive ?

Je ne peux pas me persuader que l’on puisse adopter une pareille proposition ; ni que l’on puisse appeler une semblable combinaison la mise en action de la liberté de l’enseignement.

Je ferai une dernière observation concernant les choix de la chambre. Dans mon opinion la grande majorité de l’assemblée veut l’impartialité pour l’enseignement, elle fera son choix d’après cette pensée. Si elle se trompe, l’expérience l’éclaircira, et elle ne réélira pas ceux qui n’auraient pas rempli son attente.

Messieurs, les professeurs des universités sont hommes, ils ont des passions, et ne croyez pas que pour avoir montré de la partialité dans leurs jugements, les corps auxquels ils appartiennent ne les réaliseraient pas ; ils en obtiendraient au contraire les suffrages, par suite de cet esprit qui anime toutes les corporations.

Je bornerai là mes observations quant à présent.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de l’amendement de M. Dumortier.

La séance est levée à 5 heures.