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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 29 août 1835

(Moniteur belge n°244, du 30 août 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse lit l’analyse suivante des pièces suivantes envoyées à la chambre.

« Les habitants notables de la commune de Bittendorff demandent la construction d’une route de Stavelot à Trèves par Diekerk. »

« Même demande par les habitants des communes de Bostendorff et de Couschum. »

« Trois habitants de Binche-Bottignies se plaignent des employés de l’administration des contributions directes qui leur feraient payer la contribution personnelle pour des chevaux employés aux usages d’une profession. »

« Le sieur Havard, à Bruxelles, demande l’exécution pure et simple de la loi du 4 thermidor an IV relative à la taxe d’affranchissement sur les imprimés et feuilles périodiques. »

« Les pharmaciens de la province de Liège adressent des observations sur les dispositions de la loi du 12 mars 1818 qui les concernent et qui consacrent, selon eux, un abus dans l’art médical. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.

M. Eloy de Burdinne. - J’appuie la demande de construction des routes qui vous sont réclamées.

En 1834, M. de Puydt, en qualité de membre de la chambre, nous a soucis un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à faire un emprunt destiné à doter le pays de routes dans les localités qui en manquaient, et cela, dans un délai rapproché ; ce projet de loi fut développé par son auteur, appuyé, pris en considération, et envoyé aux sections.

Les divers travaux de la chambre ont sûrement fait perdre de vue ce projet, projet que je considère comme très importants pour le pays. Je demande à la chambre si elle ne croirait pas convenable de l’envoyer aux sections pour que suite soit donnée à cette proposition.

L’auteur (M. de Puydt) ne faisant plus partie de la chambre, et dans le cas où il ne serait pas réélu membre de la chambre aux élections qui auront lieu sous peu de jours, alors je déclare faire mienne la proposition dont il s’agit.

Si cependant, M. le ministre de l’intérieur avait l’intention de nous soumettre un projet de loi de l’espèce dont il s’agit dans un délai rapproché je renoncerais à mon projet ; je le prie donc de vouloir nous dire si son intention est de s’occuper de cet objet immédiatement. Ce serait abuser de vos loisirs que de faire ressortir les avantages des communications. Vous savez les apprécier ; et je n’en doute pas, vous partagez l’opinion que d’en faire jouir promptement le pays, c’est lui procurer un immense avantage.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je déclare que je soumettrai à la chambre à la prochaine réunion un projet relatif à la construction de routes nouvelles dans le royaume.

M. Eloy de Burdinne. - J’espère que M. le ministre s’occupera le plus tôt possible de cet objet. Il doit sentir aussi bien l’importance des voies de communication dans un pays aussi éminemment agricole et industriel que l’est la Belgique.

Projet de loi concernant les étrangers résidant en Belgique

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion continue sur l’article premier de la section centrale et sur les amendements qui ont été présentés à cet article.

M. Dumortier. - Avant que la chambre ne vote l’article premier, je crois devoir lui faire observer qu’il y a connexité complète entre l’article premier et l’article 2 du projet du gouvernement. Ces deux articles ayant été fondus en un seul par la section centrale, il est nécessaire que la discussion s’établisse simultanément sur ces deux articles.

La section centrale a supprimé 1° la disposition du projet du gouvernement qui établissait une exception en faveur de l’étranger marié à une femme belge dont il a des enfants nés en Belgique et en second lieu celle relative à l’étranger décoré de la croix de fer.

La section centrale a également supprimé les expressions qui constituaient une garantie pour l’étranger. Elle n’a pas voulu que ce fût la conduite de l’étranger qui donnât lieu à l’expulsion. Elle a été plus loin que le gouvernement lui-même et par l’organe de son rapporteur elle nous a appris que le droit d’expulsion devait être étendu et qu’il était possible que l’étranger compromît l’ordre et la tranquillité publique par sa présence, par sa seule présence dans notre pays.

Je dois appeler votre attention sur ces diverses modifications.

Messieurs, je regrette sincèrement que le gouvernement ait cru devoir se rallier au projet de la section centrale, à un projet dans lequel les réserves en faveur de la liberté individuelle sont anéanties. Ah ! qu’il a dû paraître étrange au pays de voir que de pareilles dispositions sont proposées par la chambre elle-même, ce serait une chose souverainement déplorable que de voir la chambre adopter des propositions plus liberticides que celles du gouvernement, proposées par une section centrale formée dans son sein.

Songez-y, messieurs, en adoptant un pareil système, vous inviteriez le gouvernement à venir nous proposer des lois de réaction. Vous feriez un appel aux tentatives du gouvernement qui, voyant que vous allez plus loin que lui, ne craindrait pas d’entrer dans une voie que vous lui auriez ouverte. Voilà cependant la portée du système de la section centrale. Je regrette donc bien vivement qu’une émanation de cette chambre ait donné lieu à un pareil scandale ; je regrette que le gouvernement se soit rallié aux dispositions de la section centrale, d’autant plus que ses propres propositions étaient plus raisonnables et que personne ne pouvait en contester la nécessité.

Messieurs, quant à ce qui est des mots retranchés par la section centrale et qui dans le projet du gouvernement constituaient une garantie réelle pour les étrangers, j’ai une trop grande confiance dans les sentiments hospitaliers de la nation pour ne pas croire que vous vous empresserez de les rétablir par votre vote dans l’article premier. Je me suis déjà prononcé dans cette enceinte à diverses reprises au sujet de la nécessité d’une loi sur les étrangers.

Je ne conçois pas qu’un pays puisse exister dans les temps difficiles sans une semblable loi. C’est donc dans l’intérêt du l’Etat, et non dans celui des gouvernements étrangers, que cette loi doit être faite. Si vous voulez que la loi soit faite dans l’intérêt de la Belgique, adoptez le principe qu’il faut que l’étranger par sa conduite compromette l’ordre et la tranquillité pour mériter d’être expulsé !

Pour que l’étranger ne puisse jouir de l’hospitalité que le pays offre aux hommes de toutes les nations, il est nécessaire qu’il ait commis sur notre territoire des actes qui l’en rendent indigne. Il ne doit pas dépendre de la volonté du gouvernement d’expulser ou de ne pas expulser, suivant les exigences des gouvernements voisins, l’étranger qui vient chez nous chercher une pierre pour reposer sa tête. Nous sommes en paix avec la France. Quand des Français seront exilés de leur patrie, faut-il que le gouvernement puisse les chasser de la nôtre, s’ils ne commettent aucun acte répréhensible ? Avec un pareil système, qui peut contester que la Russie ne vienne, lorsqu’elle fera la paix avec nous, demander l’expulsion des malheureux enfants de la malheureuse Pologne. Donnez donc, messieurs, des garanties à l’étranger paisible, à celui qui vient chercher un asile dans notre patrie.

S’il conspire, s’il veut renverser notre gouvernement ou même un gouvernement étranger, s’il n’est venu chez nous que pour faire de la Belgique un foyer de désordre, qu’on l’expulse, j’y consens ; c’est à l’étranger à faire en sorte de ne pas attirer sur lui une mesure d’expulsion ; mais je ne puis consentir à laisser au gouvernement la faculté d’expulser sans motifs l’étranger auquel on n’a à reprocher que ses opinions individuelles.

Remarquez encore, messieurs, quelle serait la conséquence de ce système. Vous faites une loi dans l’intérêt de la nation. La nation jouit en paix maintenant des fruits de la révolution. Mais prenez garde que l’absence de garanties qui entachera votre loi ne tourne un jour contre elle. Prenez garde que l’on ne vienne un jour expulser les hommes que vous avez voulu protéger.

Les lois d’exception ne doivent pas être faites pour les partis, elles doivent l’être pour la patrie. Réfléchissez-y, messieurs. Si vous permettez l’expulsion d’étrangers paisibles, inoffensifs, à raison de leurs opinions, le gouvernement pourra faire un jour ce que fit le gouvernement hollandais, qui expulsait des étrangers à cause de l’habit qu’ils portaient. Qui a rejeté loin de notre frontière des hommes paisibles, par la raison seule que c’étaient des ministres du culte. (Sensation.)

Quand vous aurez fait votre loi, qui vous dit que le gouvernement n’ira pas avec votre loi sur les brisées du gouvernement hollandais ? Les lois d’exception, je le répète, ne doivent pas être faites pour les partis, mais pour la patrie. Je me prononcerai donc pour l’amendement de M. Pirson, qui veut que l’étranger provoque par sa conduite l’expulsion, pour que le gouvernement puisse prononcer cette mesure contre lui.

Vous ne voulez pas que la Belgique soit le refuge, dites-vous, des conspirateurs de tous les pays. Mais si ces conspirateurs sont inoffensifs chez nous, pourquoi leur refuser l’hospitalité ? N’avons-nous pas tous, tant que nous sommes, conspiré contre le roi Guillaume ?

- Plusieurs membres. - Nous nous en faisons gloire.

M. Dumortier. - Il y a de malheureux exilés qui sont forcés de demander un asile sur la terre étrangère. Nous aussi, si la révolution eût échoué, nous eussions dû demander un asile à l’étranger ; que dis-je, plusieurs d’entre vous ont dû se réfugier sur la terre étrangère au moment de la crise. Et qui sait si un jour peut-être nous ne devrons pas demander un asile sur la terre étrangère.

Ne donnons pas messieurs, l’exemple de l’injustice, de l’inhumanité dans la loi, pour qu’on ne nous l’oppose pas un jour si nous avons besoin de réclamer la justice d’autrui. Je dirai, avec M. le ministre de l’intérieur, si la providence avait voulu qu’au lieu de triompher, la Belgique eût succombé dans la lutte, si comme les Polonais nous fussions tous rejetés, sur la terre étrangère, nous nous serions conduits en hommes paisibles, nous eussions respecté l’hospitalité. Pourquoi n’admettrions-nous pas que les étrangers qui se conduiront chez nous comme nous nous serions conduits chez eux, ont droit à l’hospitalité que nous eussions été heureux de rencontrer nous-mêmes ?

Je déplore également pour mon compte que le gouvernement ait supprimé la garantie relative à l’étranger marié à une femme belge dont il a eu des enfants nés en Belgique. L’étranger placé dans cette catégorie est plus attaché à nos institutions, a des liens plus forts dans notre patrie, que celui qui a été simplement autorisé à résider en Belgique. Une autorisation de résidence est une faculté que le gouvernement accorde facilement. Ce n’est jamais une preuve que l’étranger est attaché à la Belgique. En effet, messieurs, quand il s’est agi des expulsions faites par le ministère précédent, n’avons-nous pas vu que le gouvernement avait accordé la faculté de résider en Belgique à un des séides du roi Guillaume qui conspirait contre notre révolution ? C’est donc bien peu de chose à mes yeux que la garantie qu’offre une permission de résidence accordée à l’étranger.

Mais l’étranger qui est marié à une femme belge, qui en a des enfants nés en Belgique, celui-là est attaché à notre pays par des liens bien forts, par des liens de famille, par sa femme, par ses enfants. Celui-là, messieurs, ne permettez pas qu’on l’expulse comme l’étranger nouvellement débarqué. Ce n’est pas que je veuille qu’il soit hors de l’atteinte de la loi. S’il commet un délit qui compromette l’ordre et la sûreté publique, qu’il en subisse la peine. Mais vous ne pouvez entourer de trop de précautions l’expulsion d’un père d’enfants belges. Ah ! si vous êtes insensibles pour le père lui-même, soyez du moins sensibles pour les petits enfants.

La troisième exception à la suppression de laquelle le gouvernement a consenti est celle qui est relative aux étrangers décorés de la croix de fer.

J’ai vu avec une douleur profonde qu’une section centrale, une émanation de la chambre, méconnaissant la dette de reconnaissance que nous avons contractée envers les hommes qui ont contribué de leurs bras et de leur sang à fonder l’indépendance nationale, ait cru pouvoir retirer une exception que le gouvernement avait proposé en faveur d’hommes qui ont versé leur sang dans les journées de la révolution.

J’ai vu avec une douleur profonde que le gouvernement n’ait pas saisi avec empressement cette occasion pour donner un témoignage de son attachement à la révolution. Je le déclare, j’avais vu dans cette clause une preuve bien faite pour nous donner de la confiance, que le cœur des ministres palpitait encore aux souvenirs de notre glorieuse révolution.

J’ai vu avec une douleur profonde que la section centrale ait rayé cette garantie dans la loi et que le gouvernement se soit rallié à cette radiation. Faut-il, grand Dieu, avoir si vite traversé cinq années de révolution pour voir si tôt arriver le jour de l’ingratitude ? Je dirai avec un honorable orateur qui a parlé dans la séance d’hier que jamais sous le congrès ni sous les législatures précédentes rien de semblable ne nous a été présenté dans cette enceinte.

Oui, messieurs, dans toutes les circonstances les représentants de la Belgique avaient considéré d’accord avec la nation les étrangers décorés de la croix de fer comme les plus précieux fleurons de la couronne belge et n’avaient eu pour eux que des expressions de reconnaissance.

Je le déclare, si l’exception proposée par le gouvernement cessait de faire partie de la loi, cette seule circonstance suffirait pour motiver mon vote négatif.

Nous devons, messieurs, respecter ces hommes si nous voulons que la révolution soit respectée. Eh quoi ! Quand il s’agissait de combattre les Hollandais, nous élevions sur le pavois les étrangers qui accouraient défendre notre indépendance. Alors nous manquions d’expressions pour faire leur éloge et pour leur témoigner notre reconnaissance. Et maintenant nous livrerions aux caprices du pouvoir, nous permettrions qu’on expulse sans motifs ces mêmes hommes qui ont combattu à nos côtés sur ce territoire dont on les chasserait.

Nous avons entendu, messieurs, vers la fin de la séance un orateur s’élever pour faire à l’égard des étrangers décorés de la croix de fer une comparaison injurieuse que rien ne justifie. Nous nous lèverions tous pour repousser cette attaque de l’orateur auquel je fais allusion, si nous ne croyons devoir l’attribuer à son impéritie dans la carrière parlementaire. L’accueil que ces expressions ont reçu dans cette chambre répond hautement à l’imputation qu’elles renfermaient. Si la chambre avait pu oublier ce qu’elle doit aux hommes de la révolution, je me serais porté leur défenseur. Je m’estimerai toujours heureux d’être l’ami des hommes de la révolution. Ils peuvent compter sur moi, chaque fois qu’ils auront besoin d’un défenseur, chaque fois qu’il faudra faire quelque chose qui leur soit utile.

- Plusieurs membres. - Nous aussi.

M. Dumortier. - On voudrait nous représenter comme ayant des arrière-pensées, comme voulant susciter des bouleversements, comme des hommes qui ne respectent aucun gouvernement ; nous repoussons les attaques lancées contre nous et nous disons hautement que, si nous sommes des conspirateurs, c’est que nous avons conspiré contre la tyrannie hollandaise. Vous parlez de vos sympathies et des nôtres ; nos sympathies à nous, elles sont pour la révolution et les hommes qui l’ont produite. On les compare à de vils assassins ; eh, messieurs, nous, hommes de la révolution, ne sommes-nous pas aussi des assassins du roi Guillaume ? (Mouvement.) Oui, tous ceux d’entre nous qui ont voté l’exclusion des Nassau, sont moralement des assassins du roi Guillaume.

- Plusieurs membres. - Oui, moralement nous sommes des assassins du roi Guillaume.

M. Dumortier. - Si le principe de la tyrannie eût triomphé, il est hors de doute que chacun de nous eût payé de sa tête l’assassinat moral qu’il avait commis sur la royauté de Guillaume. Car, à ses yeux, c’est comme s’ils s’étaient trempés dans son sang, ceux qui ont décrété l’exclusion de cette famille abhorrée et ceux qui, affrontant les balles hollandaises, ont contribué à renverser ce trône décrépit que la sainte-alliance avait crée pour dénationaliser et asservir les Belges.

Je n’en dirai pas davantage, parce que je crois que les paroles prononcées dans la séance d’hier sont dues à l’impéritie de l’honorable membre. Je crois cependant devoir pour mon compte et au nom de toutes les personnes décorées de la croix de fer, repousser les imputations calomnieuses dont on pourrait flétrir les hommes de la révolution et déclarer que chaque fois qu’un membre se lèvera pour les attaquer dans cette enceinte, il s’élèvera cent voix pour les défendre. (Très bien.)

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous avons beaucoup discuté ; la matière s’épuise. La chambre est fatiguée. Je réclame cependant quelques moments de son attention pour répondre à des reproches faits à la section centrale et qui s’adressent indirectement au gouvernement et pour jeter un rapide coup d’œil sur quelques amendements présentés dans la discussion.

La section centrale dans l’examen du projet du gouvernement a dû d’abord se faire cette question : la loi sera-t-elle temporaire ? sera-t-elle permanente ? Après avoir décidé que la loi devait être temporaire, la section centrale a pensé que les dispositions du projet devaient être modifiées. L’on comprend qu’il doit exister une différence entre une loi destinée à faire partie de nos codes et une loi qui n’est applicable que sous l’empire de certaines circonstances.

Je remarque dans le rapport de la section centrale que l’article premier a été adopté à une majorité de 6 voix contre une. Les élus de la chambre n’ont pas besoin que ma voix s’élève en leur faveur. Rien n’est plus facile à expliquer que l’esprit qui les a guidés.

C’est une loi de confiance qu’ils ont faite. Ils ont cru que la loi cessant d’être en vigueur après un temps donné, le gouvernement ne serait pas disposé à en abuser, forcé qu’il serait de se présenter devant les chambres pour en demander la prorogation. Pour que le gouvernement pût faire le bien, la section centrale n’a pas voulu lui lier la main. Elle a dit : Nous vous donnons une grande autorité pour faire respecter l’ordre ; en retranchant les garanties offertes à l’étranger, nous nous réservons le moyen de prévenir les abus. Nous voulons pouvoir vous retirer la loi si vous en faites un mauvais usage. C’est dans cet esprit que la section centrale a supprimé ces mots : « Par sa conduite ; » c’est par ce motif qu’elle a cru inutiles les deux exceptions qui avaient été proposées par nous.

Quelle a été la pensée de la section centrale ? Elle a voulu que dans tous les cas le gouvernement pût expulser les étrangers qui troubleraient l’ordre et la tranquillité, elle l’a laissé juge des causes par lesquelles l’ordre et la tranquillité publiques seraient troublés.

C’est à tort que l’on a dit que le gouvernement sévirait contre les honnêtes gens et laisserait en paix les escrocs et les faussaires. Le gouvernement pourra user de la loi contre tous ceux indistinctement qui troublent l’ordre public.

M. Gendebien. - Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’on a dit que le gouvernement n’avait demandé aucun moyen pour expulser les banqueroutiers, les escrocs et les faussaires. C’est contre les fripons et les malhonnêtes gens que la loi est dirigée et non pas contre les honnêtes gens. Ce seront les fripons, les escrocs, les faussaires et les voleurs qui tomberont sous les coups de la loi. Laissez au gouvernement le soin de juger si dans l’intérêt de l’ordre et de la tranquillité publique, il y a lieu de faire usage de la loi contre les malhonnêtes gens. Vous voulez que le gouvernement soit incapable de faire le mal, et vous le rendez incapable de faire le bien. Mais vous ne pouvez pas séparer deux choses qui se lient intimement.

La section centrale a cru inutile de laisser subsister les exceptions que le gouvernement avait proposées.

Pouvez-vous croire que la section centrale ait eu moins de reconnaissance que nous pour ceux qui ont versé leur sang dans les journées de la révolution. A-t-elle pu penser que le gouvernement expulserait les décorés de la croix de fer ? Si telle avait été sa pensée, elle aurait fait injure au gouvernement. Mais elle n’a retranché les exceptions que parce qu’elle voyait dans la loi actuelle une loi de confiance.

Vous voulez que le gouvernement ne puisse expulser les étrangers décorés de la croix de fer. Telle a été également la pensée de la section centrale. Elle a cru comme vous que le gouvernement ne serait jamais dans le cas d’expulser les étrangers qui ont reçu cette distinction nationale. On doit présumer que les décorés de la croix de fer seront toujours attachés à notre pays, cependant il n’y a pas impossibilité qu’ils troublent l’ordre et la tranquillité, car un Belge lui-même peut se rendre coupable de ces crimes.

Un ministre tremblera avant de porter la main sur un homme qui a contribué à fonder notre indépendance. Mais s’il l’expulse, c’est qu’il aimera mieux s’exposer aux reproches qu’on ne manquera pas de lui adresser que de laisser la chose publique en danger, il viendra devant vous pour démontrer la nécessité de la mesure qu’il aura prise et demander d’être absous par la législature.

Les mêmes réflexions s’appliquent à l’exception relative à l’étranger qui a épousé une femme belge, dont il a des enfants nés en Belgique. Le gouvernement hésitera avant d’expulser un étranger de cette catégorie, parce que son expulsion entraînerait l’expatriation de sa femme et de ses enfants nés Belges.

Messieurs, je n’ai aucun intérêt à défendre le projet de la section centrale, puisque c’est moi qui dans le projet que j’ai présente à la chambre ai proposé les exceptions qu’elle a retranchées.

Mais je comprends que dans une loi temporaire ces exceptions ne soient pas nécessaires, parce que toutes les garanties sont résumées dans la limite de durée fixée à la loi.

Je reviens à l’exception que j’examine en ce moment. Vous pensez que le gouvernement irait expulser sans de graves motifs un homme qui a une famille belge, que les liens du sang attachent à la Belgique. Croyez-vous un ministre assez cruel pour frapper sans nécessité une femme et des enfants belges ? Toutefois des circonstances graves peuvent se présenter.

Je suis père, messieurs, et j’ai des entrailles de père. Mais je le déclare, si j’avais la police dans mes attributions et qu’un étranger de la catégorie que j’ai indiquée se livrât à des actes qui compromissent l’ordre et la sûreté publique, je ferais taire mes sentiments particuliers et comme ministre je ferais mon devoir ; je l’expulserais.

Je crois avoir expliqué les motifs qui m’ont porté à me rallier aux propositions de la section centrale.

On a cherché à jeter du blâme sur le gouvernement. On a dit que les étrangers qui ont manqué à leurs engagements dans leur pays venaient manquer à de nouveaux engagements en Belgique, et l’on nous a accusés de réserver nos faveurs précisément pour ces hommes. Je ne sache pas qu’aucun de mes collègues ait jamais réservé des faveurs pour de pareils hommes. Ils partagent mes sentiments à cet égard et si l’un d’eux accueillait les malhonnêtes gens qui nous viennent de l’étranger, je déclare que je refuserais de siéger à ses côtés.

Quand vous aurez accordé la loi d’expulsion au gouvernement, je l’invite à s’en servir pour chasser les fripons et les faussaires. Mais il ne suffit pas de les expulser, car ce ne serait pas un service à rendre à nos voisins que de lui renvoyer ses faussaires et ses fripons. Il ne faut pas se contenter de les chasser, il faut les livrer à la peine qu’ils ont méritée.

Je regrette beaucoup que nous n’ayons pas de traités d’extradition avec tous les pays. Mais à défaut de ces traités, le gouvernement pourra se servir de l’arme que vous allez lui confier pour purger la Belgique de ce qui offusque réellement les Belges, de ce qu’il y a chez nous de fripons de toute espèce et de tous les pays. (Approbation.)

J’en viens à l’amendement de l’honorable député d’Audenaerde. Selon lui, il faudra consulter la chambre du conseil de l’arrondissement du domicile de l’étranger pour l’expulser. Il faudra donc que les magistrats de cet arrondissement fassent la police de tout le royaume. Car le fait qui trouble l’ordre et la tranquillité publique n’est pas local par sa nature, il faudrait donc que ces magistrats fussent dans les secrets de l’Etat pour connaître des expulsions.

Vous voulez une loi puissante, utile, qui ne serve que dans le cas de sûreté et d’un autre côté vous voulez des investigations qui entraîneront des lenteurs interminables et qui ne permettront de prononcer l’expulsion que quand il ne sera plus temps. Vous voulez diminuer la responsabilité des ministres en associant le pouvoir judiciaire à l’action du gouvernement.

Tous les publicistes qui ont écrit sur le pouvoir judiciaire sont d’accord sur ce point, qu’il ne doit pas se mêler d’intérêts généraux, qu’il ne doit intervenir que dans les affaires contentieuses.

Ce pouvoir n’a aucune des qualités qui conviennent pour administrer. C’est cependant la participation à l’action administrative que vous voulez lui donner.

L’on a dit que pour la réhabilitation l’on consulte la cour dans le ressort de laquelle réside le condamné. Il y a une différence énorme.

Dans le système du code d’instruction criminelle, le condamné devait résider pendait cinq ans dans le même lieu. Il était obligé de présenter des attestations des autorités municipales. La cour avait donc des moyens de s’assurer de la conduite du condamné.

Une remarque que l’honorable député d’Audenaerde a perdue de vue, c’est que le procureur-général avait d’après la législation française la haute police dans ses attributions. Il ne connaissait pas seulement ce qui se passait les localités, il était par sa position à même de connaître tous les actes du condamné. L’avis de la cour pouvait donc être de quelque utilité. Cependant pour moi (et cette opinion est partagée par beaucoup de légistes) je crois que c’est une faute, une erreur du code d’instruction criminelle. Ce n’est pas à la cour qu’il aurait fallu s’adresser sur la conduite du condamné ; car c’est là une question qui est de la compétence de l’autorité administrative.

L’amendement de l’honorable M. Pirson donne lieu aux mêmes observations. Il veut que l’on prenne l’avis de la régence. La même inefficacité dans l’exécution de la loi se présentera.

Il faudra mettre chaque membre du conseil dans le secret des mesures que l’on provoquera. Vous allez partager la responsabilité du ministre entre lui et le conseil. Tout cela est contraire à la nature des mesures que nous vous demandons.

Ce que j’ai dit sur les amendements précédents, s’applique à l’amendement de M. Jullien qui les résume. Une loi altérée par de semblables amendements serait non pas une loi de confiance, mais une loi de défiance, et nous vous déclarons franchement qu’elle ne pourra pas nous convenir.

Quant à l’amendement de l’honorable député de Bruges, qui ne permet pas que le gouvernement expulse avant d’avoir fixé une résidence à l’étranger, mon honorable collègue M. le ministre de l’intérieur l’a déjà repoussé par de puissantes raisons ; je n’ajouterai qu’une observation.

La conduite de l’étranger peut être telle qu’il ne suffira pas de lui fixer une résidence, mais qu’il faille l’expulser. Vous ne laissez donc pas au gouvernement les moyens qui lui sont nécessaires. Laissez-lui les deux moyens et que lui seul soit juge de l’utilité d’appliquer l’un ou l’autre selon la nature du fait. Quand il suffira de fixer une résidence à l’étranger dans le pays, il le fera ; il ne provoquera pas inutilement contre lui des récriminations. Il n’emploiera la mesure la plus rigoureuse que quand l’intérêt et la sûreté de l’Etat l’exigeront.

M. Pirson. - Lorsque M. le ministre de la justice a annoncé qu’il se ralliait au projet de la section centrale, mon intention était de lui demander si hier à 5 h. après-midi, il n’avait pas reçu une dépêche télégraphique portant la nouvelle d’un changement dans l’état politique de l’Europe. Pour m’assurer du fait, j’ai parcouru ce matin tous les journaux et je suis certain que l’état de l’Europe n’est pas changé et qu’aucune dépêche télégraphique n’est arrivée au ministère. Je suis donc à chercher les raisons qui ont engagé M. le ministre à abandonner son projet pour celui de la section centrale.

Selon moi, le projet du gouvernement avait un caractère de fixité que n’a pas le projet de la section centrale. Mais puisqu’il pouvait marcher avec la loi immuable, pourquoi ne pourrait-il pas marcher avec la même loi devenue temporaire ? Quelle différence y a-t-il, quant au fond, entre une loi temporaire et une loi définitive, puisque la législature peut changer demain si elle le juge convenable, toute loi définitive ?

Ainsi le caractère de fixité ou le caractère temporaire ne change rien à la marche du gouvernement. Voila le fait.

Maintenant je ferai une autre question au gouvernement.

Il vient de nous dire que, conformément à l’opinion des membres de cette assemblée, il usera de la loi envers les faussaires, les escrocs. Mais je demanderai comment il fera à l’égard d’un individu qui sera tranquille dans le pays et qui n’aura eu que le malheur de déplaire à son gouvernement ? Je voudrais que le ministère pût répondre aux puissances étrangères : Je ne suis pas autorisé à chasser cet individu.

Je veux faire un acte de confiance envers le ministère ; mais je veux en même temps le mettre dans l’impuissance de faire un acte qui déshonore le pays. Au reste, si les ministres usaient de la loi dans l’intérêt d’une puissance étrangère, la chambre les renverserait. Nous ne voulons pas accorder notre confiance à des valets ; nous ne voulons pas, MM. les ministres, que vous soyez des valets.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous n’aurions pas votre confiance si nous étions des valets.

M. Pirson. - Non, vous n’êtes pas des valets ; et nous ne voulons pas que vous le deveniez.

M. Jullien. - Messieurs, quoique cette discussion soit aussi fatigante pour vous que pour moi, il m’est cependant impossible de ne pas répondre au ministre de la justice.

Vous l’avez entendu, dans tout le cours de cette discussion, les ministres ont réclamé pleine confiance de la chambre. Et lorsque nous avons demandé l’intervention des conseils des régences, et des chambres de conseil des tribunaux, le ministre de la justice a déclaré qu’il ne pouvait admettre l’amendement, parce qu’il ferait descendre l’administration de la police dans les tribunaux, et qu’il n’était pas utile de consulter les conseils municipaux.

Il semblerait, d’après le dire du ministre, que les tribunaux n’ont à s’occuper que du tien et du mien ; c’est une erreur. Tous ceux d’entre vous qui sont familiarisés un peu avec la justice criminelle, savent que pour une action de police, ou pour un crime contre la sûreté de l’Etat, les tribunaux sont compétents.

Cependant le ministre prétend que les tribunaux ne peuvent prendre une décision et qu’il est superflu de leur demander un avis. Mais remarquez que nous ne voulons pas que les tribunaux prennent une décision : nous demandons que les tribunaux accoutumés à distinguer la criminalité d’avec ce qui n’est pas la criminalité, accoutumés à établir les préventions, donnent un avis sage au gouvernement, un avis motivé sur la nature des délits reprochés à l’individu que l’on veut expulser. Voilà toute l’intervention que nous demandons des tribunaux.

Quant aux conseils de régence, je ne conçois pas en vérité comment on les récuse. Un étranger est domicilié dans une commune ; c’est là qu’il a porté le siège de ses affaires ; c’est là qu’il élève sa famille ; c’est là qu’il est connu des habitants ; c’est là que le conseil municipal connaît sa vie publique, sa vie privée ; il peut par conséquent donner les renseignements les plus certains, les plus précis. Pourquoi ne pas le consulter ? Il est le protecteur né des habitants de la commune.

Pourquoi déclinez-vous cette intervention ? C’est, dit-on, parce qu’on ne veut pas que les tribunaux et les conseils municipaux partagent la responsabilité ministérielle : voyez comment les ministres entendent cette responsabilité !

Mais tous les jours, pour la régularité de l’administration, les ministres sont obligés de demander des avis à tous les fonctionnaires, à tout le monde, en matière de commerce, d’industrie, d’administration... Un ministre ne tire pas tout de son propre fond comme une araignée ; il faut bien qu’il demande des conseils ; eh bien, c’est ce que le ministre ne veut pas faire.

Ceux qui ne sont pas persuadés de la nécessité d’accorder des garanties aux étrangers, ceux qui veulent les livrer à l’arbitraire, et à l’arbitraire tout nu du ministère, n’ont qu’à admettre l’article premier de la loi tel qu’il est proposé.

Mais, messieurs, je vous le répète, c’est par une loi sur les étrangers que l’on connaît un peuple et qu’on le juge au-dehors. Si vous voulez qu’on vous juge comme une nation qui mérite d’être comptée dans la grande famille européenne, et d’être placée dans cette famille, où vous aspirez d’être compris, faites une loi qui montre que vous êtes en effet une nation, que vous avez une nationalité réelle, et que vous n’êtes pas une préfecture de police de toutes les puissances de l’Europe. (Aux voix ! aux voix !)

M. de Brouckere. - La discussion ayant duré assez longtemps, je me bornerai à dire à la chambre que les ministres n’ont repoussé mon amendement par aucun motif.

Je demande que le gouvernement envoie l’étranger dans le lieu qu’il déterminera quand on aura un premier reproche à lui faire, et que ce ne soit qu’après une sorte de récidive que le gouvernement puisse l’expulser. Si les faits étaient graves, il tomberait sous le coup des dispositions de nos lois pénales. C’est lorsque le reproche est insignifiant qu’on enverrait l’étranger dans une localité désignée.

Messieurs, si j’avais pu douter un seul instant que les ministres abuseront de la loi, j’en aurais la conviction après ce qu’a dit le ministre de la justice, qui vient d’invoquer les raisons d’Etat pour montrer l’impossibilité de confier les secrets de la police aux tribunaux ; ces mots-là en disent plus qu’ils ne sont gros. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - M. Dumortier m’adresse cet amendement :

« L’étranger qui par sa conduite en Belgique compromet l’ordre et la tranquillité publique, ou qui a été poursuivi ou condamné à l’étranger pour les crimes ou délits qui donnent lieu à l’extradition conformément à la loi du 1er octobre 1833, peut être contraint par le gouvernement de s’éloigner d’un certain lieu, d’habiter dans un lieu déterminé ou même de sortir du royaume. »

M. Dumortier. - Messieurs, il y a une chose que tout le monde sait ; c’est que l’étranger qui s’est rendu coupable dans son pays trouve ici un refuge assuré et dans l’état de la législation et de nos relations avec les peuples voisins, il est difficile de s’en débarrasser. Le ministre de la justice s’est plaint à cet égard : eh bien, je viens de proposer un moyen de compléter la loi sur les extraditions, son propre ouvrage. Je demande que les expulsions aient lieu à l’égard de ceux qui sont poursuivis ou et condamnés pour assassinat, empoisonnement, parricide, viol, incendie, contrefaçon de billets, fausse monnaie, banqueroute frauduleuse.

Dira-t-on qu’il n’est pas nécessaire d’autoriser le gouvernement à expulser les prévenus ou les convaincus de ces crimes puisqu’on peut les extrader ? Mais, messieurs, pour les extraditions, il faut un cartel d’échange entre les pays limitrophes ; il faut encore que l’extradition soit réclamée : sans quoi, s’agirait-il même d’un parricide, il peut rester en Belgique. Je ne veux pas que la Belgique soit l’égout de l’Europe, et je veux donner aux ministres le pouvoir de purger le pays des malfaiteurs étrangers. Il faut faire une loi pour le pays et non pour les circonstances.

- L’amendement est appuyé.

La chambre ferme la discussion.


M. Pirson demande que son amendement soit mis le dernier aux voix.

M. de Behr propose de mettre aux voix les principes des amendements.

M. Vandenbossche retire l’amendement qu’il avait déposé sur le bureau.


M. le président pose cette question à la chambre : « Y aura-t-il intervention judiciaire avec émission d’un avis sur les expulsions ? »

- La majorité de la chambre répond par un vote négatif. Ainsi l’amendement de M. Liedts est écarté.


M. le président pose cette autre question. : « Y aura-t-il intervention de l’autorité municipale avec émission d’un avis sur les expulsions ? »

- La majorité de la chambre répond encore par un vote négatif.

Ainsi l’amendement de M. Jullien est écarté.


M. Pirson. - J’ai demandé que l’étranger ne soit expulsé qu’à cause de sa conduite en Belgique, et non à cause de sa conduite, comme il est dit d’une manière vague dans la loi.

- Cet amendement est mis aux voix. Deux épreuves par assis et levé sont douteuses.

On procède à l’appel nominal.

78 membres répondent à cet appel.

34 votent l’adoption.

44 votent contre.

En conséquence l’amendement est rejeté.

Ont voté l’adoption : MM. Berger, de Brouckere, Keppenne, Stas de Volder, de Renesse, de Roo, Desmet, Vandenbossche, d’Hoffschmidt, Doignon, Dubus, Dumortier, Frison, Hye-Hoys, Jullien, Liedts, Pirson, Quirini, A. Rodenbach, Rouppe, Seron, Smits, Trentesaux, de Troye, Vanden Wiele, Scheyven, Lejeune, Vergauwen, Verrue-Lafrancq, H. Vilain XIIII, C. Vuylsteke.

Ont voté le rejet : MM. Bekaert, Bosquet, Dequesne, Coppieters, Cornet de Grez, Dams, Demonceau, de Behr, Andries, de Jaegher, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Mast de Vries, Donny, Dubois, Pirmez, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Lardinois, Lebeau, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Polfvliet, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, C. Vilain XIIII, L. Vuylsteke, Zoude, Raikem.


M. Dumortier. - Si le projet du gouvernement venait à être écarté, mon amendement n’aurait plus de portée ; il serait inutile ; je demande qu’on mette d’abord aux voix le projet du gouvernement tel qu’il a été proposé, sauf à y ajouter ensuite mon sous-amendement, s’il est adopté.

M. Dubus. - Je crois qu’il convient de mettre d’abord aux voix la proposition de M. Dumortier comme sous-amendement au projet du gouvernement, parce qu’un article se recommande mieux à l’adoption de la chambre quand il est sous-amendé. C’est ainsi que si tout à l’heure on avait mis d’abord aux voix le sous-amendement de M. Pirson, le vote aurait peut-être été différent ; car bien des membres peuvent avoir été préoccupés de l’idée que le vote sur l’amendement excluait le sous-amendement de M. Pirson.

M. le président. - Je n’ai mis cet amendement aux voix, comme je l’ai fait, qu’après avoir consulté la chambre.

M. Dubus. - Je n’ai pas entendu faire un reproche, mais une simple observation.

M. Liedts. - J’ai deux mots à dire pour l’intelligence du vote. En supposant que la rédaction du gouvernement soit rejetée, ce qui, j’espère, n’arrivera pas, ce rejet ne préjugera rien sur l’article 2, dont la section centrale propose la suppression.

M. le président. - Non ; après avoir voté sur l’article premier on votera sur la suppression proposée par la section centrale.

Je mets aux voix l’article premier du projet du gouvernement qui est ainsi conçu :

« L’étranger résidant en Belgique, qui par sa conduite compromet la tranquillité publique, peut être contraint, par le gouvernement, de s’éloigner d’un certain lieu, d’habiter dans un lieu déterminé, ou même de sortir du royaume. »

- Après une double épreuve, cet article est adopté.


Le sous-amendement de M. Dumortier est également adopté.


M. le président. - Je vais mettre aux voix l’ensemble de l’article amendé :

« L’étranger résidant en Belgique, qui par sa conduite compromet la tranquillité publique, ou qui a été poursuivi ou condamné à l’étranger pour les crimes ou délits qui donnent lieu à l’extradition conformément à la loi du 1er octobre 1833, peut être contraint par le gouvernement de s’éloigner d’un certain lieu, d’habiter dans un lieu déterminé, du même de sortir du royaume. »


M. de Brouckere. - J’ai proposé un sous-amendement qui consiste à supprimer à l’article premier les mots : « ou à sortir du royaume. »

- Ce sous-amendement est mis aux voix et rejeté.


M. Lardinois. - Mais qu’avons-nous voté par appel nominal ? ne sont-ce pas les mots « par sa conduite » ?

M. le président. - Le vote a porté sur les mots : « par sa conduite en Belgique. »

- L’ensemble de l’article premier, tel qu’il vient d’être lu, est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2 (du projet du gouvernement dont la section centrale demande la suppression). Les dispositions de l’article précédent ne pourront être appliquées aux étrangers qui se trouvent dans un des cas suivants, pourvu que la nation à laquelle ils appartiennent soit en paix avec la Belgique :

« 1° A l’étranger autorisé à établir son domicile dans le royaume ;

« 2° A l’étranger marié avec une femme belge dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa résidence dans le pays ;

« 3° A l’étranger décoré de la croix de fer. »

- Plusieurs membres. - La division.

M. le président. - Elle est de droit.

- Les numéros 1 et 2 sont adoptés.

« 3° A l’étranger décoré de la croix de fer. »

Plusieurs membres. - L’appel nominal

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je demande la parole.

M. Gendebien. - La discussion est fermée !

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je désire que la chambre ne se méprenne pas sur la conduite du gouvernement dans cette circonstance.

M. Gendebien. - Cela nous importe peu. Vous n’avez pas le droit de prendre la parole.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je prie la chambre de vouloir bien m’entendre, j’ai des éclaircissements à donner.

M. Gendebien. - Nous n’avons pas besoin d’éclaircissements. Je demande la parole pour un rappel au règlement. Aux termes du règlement, on ne parle pas entre deux épreuves. Les ministres, comme tous les membres de la chambre sont soumis à cette disposition. Voilà un quart d’heure que la discussion est fermée et que nous votons, le moment est venu d’en finir.

Si quelqu’un croit devoir donner des explications sur son vote, il les donnera quand il sera appelé pour l’émettre

M. le président. - Je ferai observer que nous ne sommes pas entre deux épreuves, mais je dois ajouter que la discussion au fond est fermée.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je voulais faire au préopinant l’observation que M. le président vient de faire.

Messieurs, lorsque le gouvernement s’est rallié au projet de la section centrale, c’est qu’il a compris que cette section proposait une loi de confiance, et ne supposait point que le gouvernement eût jamais occasion d’expulser un décoré de la croix de fer. Mais puisqu’on élève des doutes, puisqu’on interprète mal les motifs de la section centrale, je déclare que nous nous prononcerons également pour l’adoption de l’exception en faveur des décorés de la croix de fer. (Très bien ! très bien !)

M. le président. - L’appel nominal ayant été demandé par cinq membres, il va y être procédé.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La disposition sera adoptée à l’unanimité.

- Il est procédé à l’appel nominal sur le n°3 de l’article 2.

Il est adopté à l’unanimité des 78 membres qui ont pris part au vote.

Ce sont : MM. Bekaert, Berger, Bosquet, Dequesne, Coppieters, Cornet de Grez, Dams, Demonceau, de Behr, de Brouckere, Keppenne, Andries, Stas de Volder, E. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Vandenbossche, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Stas de Vries, Donny, Dubois, Dubus, Pirmez, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Frison, Gendebien, Hye-Hoys, Jadot, Jullien, Lardinois Lebeau, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Frison, Polfvliet, Pollénus, Quirini, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Rouppe, Schaetzen, Seron, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanden Wiele. Vanderbelen, Scheyven, Lejeune, Verdussen, Vergauwen, Verrue-Lafrancq, C. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Zoude et Raikem.

M. le président. - Un membre s’est abstenu. Il est invité aux termes du règlement à énoncer les motifs de son abstention.

M. de Jaegher. - Messieurs, après ce qui s’est passé hier lors de la discussion qui a eu lieu relativement aux décorés de la croix de fer, j’ai cru devoir m’abstenir parce que mes intentions ayant été mal interprétées, j’ai craint qu’on pût encore mal interpréter ma conduite dans cette circonstance.

- L’ensemble de l’article 2 est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 2 (de la section centrale) devenu art. 3. - L’arrêté royal porté en vertu de l’article premier sera signifie par huissier à l’étranger qu’il concerne.

« Il sera accordé à l’étranger un délai qui devra être d’un jour franc au moins. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. (du projet du gouvernement). - L’étranger qui aura reçu l’injonction de sortir du royaume, sera tenu de désigner la frontière par laquelle il sortira ; il recevra une feuille de route réglant l’itinéraire de son voyage et la durée de son séjour dans chaque lieu où il doit passer.

En cas de contravention à l’une ou l’autre de ces dispositions, il sera conduit hors du royaume par la force publique. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. Le gouvernement pourra enjoindre de sortir du territoire du royaume à l’étranger qui quittera la résidence qui lui aura été désignée. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. En cas que l’étranger auquel il aura été enjoint de sortir du royaume rentre sur le territoire, il pourra être poursuivi, et il sera condamné, pour ce seul fait, par les tribunaux correctionnels, à un emprisonnement de trois mois à un an, et à l’expiration de sa peine il sera conduit à la frontière. »

M. le président. - M. Pirson, au lieu de cet article, propose la disposition suivante :

« S’il rentre, il sera détenu pendant trois mois en prison, d’après condamnation du tribunal correctionnel provoquée par le procureur du Roi, et ensuite reconduit. »

M. Pirson. - Je demande que l’on fasse de cette disposition un paragraphe 2 de l’article 5 qu’on vient de voter.

M. Jullien. - M. Pirson demande-t-il que l’emprisonnement soit réduit à trois mois ?

M. Pirson. - Précisément.

M. Jullien. - Alors, j’appuie cet amendement.

Il est de principe qu’on n’établit une gradation de peine que quand il y a gradation de délit. Or, quelle peut être la gradation du délit de l’étranger qui rentrera dans le pays après qu’il lui aura été enjoint d’en sortir ? Tous les étrangers qui auront été expulsés et qui rentreront, auront fait absolument la même chose. Il n’est pas possible de trouver deux manières de rentrer après avoir été expulsé. Il ne peut donc pas exister de gradation de délit et par conséquent il ne peut pas y avoir de gradation de peine. Fixez la peine à trois mois, même plus si vous voulez, mais il me paraît inutile de laisser aux tribunaux la faculté d’aggraver la peine de l’un plus que celle d’un autre, quand le délit est absolument le même ; car l’action de rentrer dans un pays dont on a été expulsé est une action simple.

Les motifs sur lesquels repose l’amendement de M. Pirson me paraissent frappants de vérité.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La section centrale a supposé que la rentrée de l’étranger expulsé pouvait avoir des caractères différents, qu’il pouvait y avoir récidive ou des circonstances plus ou moins graves. Par exemple, l’étranger pourrait ne rentrer que pour voir sa famille, régler des affaires, ou bien pour revoir des factieux avec lesquels il a été en relation.

M. Lebeau. - J’ai demandé la parole pour faire remarquer que l’article de la section centrale est moins sévère que celui de M. Pirson, abstraction faite du maximum sur lequel je ne me prononce pas. En effet, M. Pirson veut qu’il y ait poursuite toutes les fois qu’un étranger expulsé rentrera, tandis que la section centrale laisse cette poursuite facultative. Si un étranger expulsé rentrait pour voir sa famille ou pour tel autre motif éventuel qu’il est impossible de prévoir, avec l’article de la section centrale, le gouvernement examinerait s’il y a lieu de poursuivre, tandis qu’avec l’amendement de M. Pirson la poursuite serait obligée.

Quant à la gradation, il me semble qu’elle est justifiée par les circonstances qui peuvent accompagner sa rentrée et surtout par le cas de récidive sur lequel la loi est muette.

M. Mast de Vries. - Je proposerai de mettre le minimum à 15 jours.

M. Pirson. - Je retire mon amendement.

M. Trentesaux. - Il me semble que le commencement de l’article n’est pas très français. Du moins, « en cas que » ne sonne pas fort agréablement à l’oreille.

M. le président. - On pourra rédiger l’article de la manière suivante :

« Si l’étranger, etc. »

M. Gendebien. - On a dit que l’amendement de M. Pirson était moins favorable à l’étranger que celui de la section centrale parce qu’il rendait la poursuite obligatoire, tandis que dans l’article de la section centrale elle est facultative. Mais je ferai observer que d’après cet article de la section centrale, la poursuite est facultative, quand il plaira au gouvernement de poursuivre, le tribunal sera obligé de condamner, et qu’il pourra le condamner de trois mois à un an ; je demande que la condamnation soit facultative.

M. Mast de Vries vous a proposé un amendement fort sage. Il me semble que quinze jours à trois mois est une peine suffisante contre un malheureux proscrit qui, après avoir été expulsé, rentre dans le pays ne sachant où aller.

Je propose donc de rédiger ainsi ce paragraphe : « Il pourra être poursuivi et condamné par les tribunaux de police correctionnelle, pour ce seul fait, à un emprisonnement de 15 jours à trois mois.

M. Lebeau. - J’ai fait remarquer tout à l’heure que mon observation ne portait pas sur le maximum. J’ai dit seulement que la poursuite était obligée dans l’amendement de M. Pirson, tandis qu’elle était facultative dans l’article de la section centrale. Je ne pense pas dès lors que c’est à moi que l’honorable préopinant a voulu répondre.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je comprends très bien que le tribunal ait la conviction que la rentrée d’un étranger est innocente, tandis que le gouvernement a pu croire qu’elle avait eu lieu dans des intentions malveillantes et qu’alors le tribunal condamne cet étranger à une peine plus légère. Par ce motif, je ne m’oppose pas à l’amendement de MM. Gendebien et Mast de Vries, pour ce qui concerne la durée de la peine.

M. Pollénus. - Je ne puis admettre l’amendement de M. Gendebien, parce que je crois qu’il serait contraire à tous les principes de saisir un tribunal de faits qualifiés, en lui laissant la faculté de condamner ou de ne pas condamner.

M. Gendebien. - L’honorable préopinant est tombé dans une grave erreur. En général, je le sais, la loi ordonne la peine et le juge est obligé de l’appliquer pour un fait qualifié crime ou délit ; or, quel crime, quel délit pouvez-vous imputer à un malheureux proscrit qui viendra pour voir sa famille, qui sera forcé de venir chercher l’argent qui lui est nécessaire pour vivre à l’étranger, parce qu’on ne sait pas où il est, parce qu’il est obligé de cacher sa retraite et qu’il sait lui qu’en ce lieu, il pourra trouver des moyens d’existence. Ce malheureux compte rester deux heures, il est saisi en arrivant et vous allez lui faire un crime de sa rentrée !

Je ne conçois pas alors qu’avec une loi politique, une loi abandonnée à l’arbitraire d’un ministère, vous forciez des tribunaux à appliquer une peine. Il en résultera que toutes les fois que le ministère par l’intermédiaire de ses procureurs-généraux ou des procureurs du Roi, voudra provoquer une condamnation contre un étranger qui sera rentré n’importe pourquoi après avoir été expulsé, il faudra que les tribunaux, malgré leur conviction, la prononcent.

Vous devez donc rendre l’application de la peine facultative comme la poursuite. Car les lois pénales laissent aux tribunaux non seulement la faculté de condamner à telle ou telle peine, mais d’absoudre, tandis qu’ici vous exigez qu’ils prononcent une peine contre leur conscience, c’est impossible.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne pense pas qu’on doive admettre l’amendement de M. Gendebien, mais je ne m’oppose pas à celui de M. Mast de Vries. En effet, si l’étranger a de justes motifs de rentrer momentanément en Belgique, il peut s’adresser au gouvernement pour en obtenir l’autorisation. Si au contraire il rentre sans avoir obtenu cette autorisation, le gouvernement demeurera encore maître d’apprécier s’il y a lieu ou non de le traduire en justice, selon la garantie des circonstances.

En outre, messieurs, vous remarquerez que, d’après l’amendement de M. Mast de Vries, le minimum de la peine est de quinze jours.

Maintenant, si vous voulez que la loi ait une sanction, il faut que du moment où la contravention à la loi sera formelle et reconnue, la condamnation s’ensuive. Que la peine soit légère ; très bien. Mais qu’il y ait toujours condamnation, quand il y aura eu infraction à la loi.

M. Pollénus. - Si la chambre admettait l’amendement de M. Gendebien, tendant à rendre facultative l’application de la peine prononcée par cet article, il y aurait là, selon moi, une véritable contradiction avec le vote par lequel nous avons exclu l’intervention des tribunaux dans la question d’expulsion.

Pour pouvoir autoriser un acquittement dans le cas où le fait prévu par le projet est constant, de quoi connaîtraient alors les tribunaux ? Mais évidemment de la question politique, de la question de savoir si la tranquillité publique a été oui ou non troublée par la personne expulsée.

Messieurs, j’ai repoussé l’intervention des tribunaux dans cette question politique, je l’ai fait dans l’intérêt de l’indépendance et de la dignité de la magistrature. Laissons aux tribunaux leurs attributions, le pouvoir de juger d’après des règles, mais épargnons-leur le danger d’intervenir dans des questions purement administratives, purement gouvernementales.

Mais, dit-on, les tribunaux ne pourront donc jamais absoudre. Les tribunaux pourront absoudre tout comme dans toutes les autres matières, mais seulement dans les cas où le juge peut absoudre. Mais dès qu’un fait est qualifié crime ou délit, et que le prévenu ne se trouve dans aucun des cas d’excuse déterminés par les lois ordinaires, dès lors la condamnation devient une nécessité. Admettre des peines facultatives, c’est bouleverser les idées que règlent et qui déterminent la nature et les attributions du pouvoir judiciaire.

S’il arrive qu’un expulsé se trouve dans un cas tout exceptionnel, qu’il puisse invoquer des intentions toutes pures, mais alors il y a encore deux moyens. En premier lieu, le gouvernement peut prévenir les poursuites, en dernier lieu, il a encore le droit de grâce, et bien certainement le gouvernement ne manquera pas d’en faire usage, s’il pense que la personne expulsée a agi sans intention coupable.

M. de Brouckere. - Pour s’opposer à l’amendement de M. Gendebien on a dit que dans aucun cas on ne pouvait laisser aux tribunaux la faculté d’appliquer une peine à un délit qualifié, que ce serait compromettre la dignité des tribunaux. Je vais vous prouver au contraire par un texte de loi que ce n’est pas la première fois qu’on laisse aux tribunaux la faculté d’appliquer ou de ne pas appliquer une peine à un délit qualifié.

L’article 586 du code de commerce porte : « Sera poursuivi comme banqueroutier simple, et pourra être déclaré tel, le commerçant failli qui se trouverait dans l’un ou plusieurs des cas suivants, etc. » La suite de l’article énumère quatre cas de banqueroute simple, où le juge a la faculté d’appliquer ou de ne pas appliquer une peine.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, ma question est de savoir s’il convient que les tribunaux puissent (comme l’a très bien dit l’honorable député d’Hasselt) s’immiscer dans la question des motifs de l’expulsion. Or, à cet égard, la chambre a déjà prononcé et cela suffit pour que nous soyons assurés qu’elle n’admettra pas l’amendement de M. Gendebien.

M. de Brouckere. - Je veux rectifier une erreur de M. le ministre de la justice. La question soumise aux tribunaux n’est pas de savoir quels sont les motifs de l’expulsion, mais quels sont les motifs de la rentrée de l’expulsé dans le pays. Car c’est pour sa rentrée dans le pays qu’on le punit.

M. Gendebien. - Le ministre de la justice avait dit d’abord qu’il admettait mon amendement.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est l’amendement de M. Mast de Vries que j’ai admis. Mais je n’ai nullement adhéré à un amendement qui tendrait à rendre la condamnation facultative.

M. Demonceau. - Puisqu’on veut que les tribunaux usent d’indulgence, que l’on déclare applicable l’article 463 du code pénal. On pourra ainsi réduire la peine à une simple amende de 6 fr. (Non ! Non ! Aux voix ! aux voix !)


- La proposition de M. Gendebien, tendant à ce que la condamnation soit facultative, est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

L’amendement de M. Mast de Vries tendant à fixer le minimum de la peine à 15 jours, et le maximum à 6 mois d’emprisonnement est mis aux voix et adopté.

L’article 5 avec cet amendement est ainsi conçu :

« Si l’étranger auquel il aura été enjoint de sortir du royaume rentre sur le territoire, il pourra être poursuivi, et il sera condamné pour ce seul fait, par les tribunaux correctionnels, à un emprisonnement de 15 jours à 6 mois, et à l’expiration de sa peine, il sera conduit à la frontière. »

L’article 5, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

Articles additionnels

M. le président. - La chambre a maintenant à discuter les dispositions additionnelles proposées par M. Fallon.

La parole est à M. Fallon.

M. Fallon. - En prenant part à la discussion générale, j’ai déclaré que si je n’étais pas mieux éclairé par les débats, je proposerais les amendements sur lesquels j’appelais à l’avance l’attention de la chambre.

Bien loin de lever mes scrupules, la discussion a confirmé mes prévisions et c’est un devoir pour moi de persister plus que jamais, tout au moins dans la partie que je considère comme la plus importante des amendements que j’ai proposés.

Je ne rentrerai pas dans la discussion générale, je me bornerai à résumer les motifs de ces amendements, en indiquant dans quels points la discussion les a renfermés.

Il faut une loi d’expulsion.

Cette loi peut être constitutionnellement placée à côté de la règle constitutionnelle.

On est assez généralement d’accord sur ces points.

Mais pour que cette loi soit constitutionnelle, il faut qu’elle soit exceptionnelle.

Il faut qu’elle soit exceptionnelle, non pas dans ce sens qu’elle ne serait que temporaire, mais dans ce sens qu’elle serait spéciale, c’est-à-dire telle qu’elle n’absorbe pas la règle.

Il importe que l’on ne se trompe pas à cet égard et c’est pour qu’on se comprenne bien que je dois relever ici un argument qui été présenté et que je désire avoir mal saisi.

On a dit que la loi serait exceptionnelle et par conséquent constitutionnelle par là même qu’elle ne serait que temporaire. Et on a donné pour raison que ce n’est que faire une exception dans certaines circonstances.

Mais on ne fait pas, je pense, attention que ce serait précisément là un renforcement d’inconstitutionnalité.

L’article 130 ne nous dit-il pas, en termes clairs et précis, que la constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie et par conséquent ni pour un temps, ni à toujours, ni dans aucune circonstance ?

Il faut donc y prendre garde, messieurs, la loi qui tiendrait en suspens les effets de l’article 128 pour un temps, quelque court qu’il soit, serait très improprement qualifiée de loi exceptionnelle dans le sens légal, ce serait une loi doublement inconstitutionnelle. Je partage à cet égard la doctrine de M. le ministre de l’intérieur.

Ce ne serait pas parce que la loi ne serait que temporaire ou de confiance que je lui donnerais mon suffrage, mais parce qu’elle serait nécessaire à mon pays, et pour moi, il sera toujours nécessaire, en tout temps, d’en expulser les étrangers qui viennent y compromettre l’ordre et la tranquillité publique ; mais parce qu’elle pourrait convenir à mon pays quelles que soient les mutations qui pourraient survenir au banc des ministres ; mais enfin parce qu’elle serait constitutionnelle, c’est-à-dire au cas présent, parce que dans son principe et dans son application elle ne serait qu’une exception à la règle de l’article 128.

J’ai réclamé l’application de ces principes avec la plus intime conviction en 1831, et, malgré les scrupules qui ont été manifestés par quelques-uns de mes honorables amis, ceux qui ont soutenu la même opinion que moi, peuvent, sans craindre le reproche de versatilité, imiter mon exemple et adopter le principe de la loi en discussion.

S’il y a quelque chose de changé entre les deux époques, ce ne sera pas notre opinion, mais bien l’objet en discussion.

Comparez en effet la loi de 1831 avec celle de 1835 et vous verrez s’il est vrai, comme on dit, que nous nous trouvons encore sur le même terrain.

La loi de 1831 plaçait sous la surveillance du gouvernement tous les étrangers, et elle lui permettait de les expulser à son gré, sans aucune distinction, et sans qu’il fût besoin de rechercher s’ils compromettaient ou ne compromettaient pas l’ordre et la tranquillité publique.

Là, il était évident que la règle toute entière était livrée à la discrétion et à l’arbitraire du pouvoir exécutif, sans la moindre responsabilité.

Ici, au contraire, la loi ne veut être appliquée qu’aux étrangers qui troublent l’ordre et la tranquillité publique, et si elle est faite de manière à ne s’appliquer qu’à ceux-là, il est incontestable qu’elle est exceptionnelle, puisque la règle doit rester debout pour tous les autres, c’est-à-dire pour tous ceux qui ne compromettront pas l’ordre et la tranquillité publique.

Cette intention de la loi est précisément ce que je cherchais à assurer par mes amendements.

Je veux faire en sorte que l’exécution de la loi ne soit pas en contradiction avec son principe ; qu’elle ne soit pas faussée dans son application, et, qu’exceptionnelle dans son principe et dans sa volonté, la loi reste exceptionnelle dans son exécution ; qu’en un mot, l’arme que nous allons confier au pouvoir ne puisse frapper impunément l’étranger qui ne compromet pas l’ordre et la tranquillité publique.

Pour cela faire, il n’y avait que deux moyens.

Ou bien, formuler la loi de manière à ce qu’elle ne puisse s’égarer dans son application ;

Ou bien l’environner de garanties contre l’exécution abusive. Le premier moyen serait incontestablement préférable.

Je voudrais aussi trouver dans la loi la spécification de tous les cas où l’ordre et la tranquillité publique seraient légalement réputés compromis.

Mais j’ai bien cherché et je n’ai pas trouvé ce moyen ; j’ai écouté attentivement la discussion et je n’ai entendu personne qui ait été plus heureux que moi.

Je persiste donc à croire que la chose est impossible.

Or, de ce qu’il n’est pas possible de spécifier tous les faits de nature à compromettre l’ordre et la tranquillité publique ; de ce que ces faits échappent à mes prévisions parce qu’ils peuvent aller à l’infini ; de ce qu’ils peuvent être plus on moins inoffensifs ou plus ou moins hostiles, suivant les circonstances et les événements politiques, la conséquence n’est pas qu’il faut repousser le principe de la loi par la considération qu’elle ne qualifie pas plus spécialement le fait contre lequel elle est destinée à sévir.

Lorsque l’on reconnaît que la loi est nécessaire, je ne puis admettre l’opposition par trop commode de ceux qui se bornent à dire que celle qui est proposée est mauvaise, sans se donner le soin d’indiquer le moyen d’en faire une meilleure, et de manière à ne pas lui faire manquer son but, c’est-à-dire, à ce qu’elle reste prompte dans son application.

Ne trouvant pas de moyen de l’améliorer dans sa disposition principale, de la rendre plus spéciale dans sa spécialité, je me suis attaché à celui d’empêcher qu’elle n’envahisse la règle constitutionnelle dans son exécution, et c’est là le but de mes amendements.

Ils ont en effet pour objet d’entourer l’exécution de certaines garanties contre les abus d’applications, convaincu que je suis que, telle qu’elle est proposée, elle consacre le plus large arbitraire, elle place la responsabilité ministérielle hors de toute atteinte et ne laisse aucun remède contre le redressement des abus.

J’attendais qu’on me prouvât que j’étais dans l’erreur, que ces moyens de redressement restaient à la disposition des chambres et j’ai retiré mes amendements avec d’autant plus de satisfaction que j’eus obtenu la principale garantie dont je voulais m’assurer, celle que la chambre resterait dans son droit d’exiger des explications catégoriques sur les causes d’expulsion.

Il paraît que la chambre s’attend qu’il en sera ainsi, que ses prérogatives resteront entières et efficaces, du moins on le lui répété à satiété.

Eh bien, messieurs, la chambre est complètement dans l’erreur, et c’est ici que je réclame toute son attention.

Lorsque j’ai dit que la presse serait bâillonnée, parce qu’elle ne connaîtra pas les motifs de l’expulsion ; que l’opinion publique serait égarée parce qu’elle n’en saura pas davantage ; que la tribune serait muette, ou que son langage serait illusoire ; qu’il en serait de même du droit de pétition et qu’enfin la responsabilité ministérielle serait hors de toute atteinte, par là même qu’il serait impossible de la mettre en prévention, on m’a répondu que toutes ces craintes étaient chimériques, que la presse et la tribune feront ce qu’elles ont fait précédemment et que la chambre avertie saura toujours bien se faire rendre compte des motifs de l’expulsion, en exigeant des ministres les explications qu’elle trouvera convenir.

Eh bien, messieurs, tout cela n’est qu’une véritable déception et j’en tiens la preuve par écrit.

Sans doute, la presse criera ; sans doute la tribune fera entendre sa voix ; tout cela fera du tapage, mais n’aura de résultat que quand les ministres le voudront bien.

Ci-devant, la presse et la tribune pouvaient se faire entendre utilement, parce qu’ils avaient un sujet sur lequel ils pouvaient parler, c’est-à-dire sur l’illégalité dans la mesure bien plus que sur les causes de l’expulsion. Vous savez qu’alors on soutenait que le droit d’expulsion était illégal, et non sans raison, puisqu’on nous demande maintenant de le légaliser. Or, comment voulez-vous qu’ils parlent d’illégalité, alors qu’ils ignoreront les motifs de l’expulsion ?

Mais, répète-t-on, la tribune les connaîtra quand la chambre le voudra.

Je prends le discours de l’honorable M. Nothomb et je lis : qu’en tout état de choses les ministres seront toujours obligés de répondre aux interpellations de la chambre ou de justifier leur silence. Notez bien l’alternative.

Je prends le discours de M. le ministre de la justice et je lis : que des explications ne seront jamais refusées, à moins que des raisons d’ordre public ou l’intérêt même de l’étranger ne s’y opposent.

C’est là qu’est le piège tendu à l’article 128, et tenons-nous bien pour avertis qu’il ne faudra pas plus tard en prétexter cause d’ignorance. Si la loi reste faite telle qu’elle est formulée, la chambre conservera le droit d’exiger des explications des ministres, cela ne fait plus de doute, mais de leur côté les ministres se trouveront autorisés à les refuser à la chambre et à garder le silence, lorsque la raison d’Etat s’y opposera, et comme ce seront eux, et non la chambre, qui seront juges de cette raison d’Etat ou d’ordre public, vous pouvez bien vous attendre à rencontrer cette raison d’Etat chaque fois qu’elles auront fait abus de la loi.

Que l’on me dise maintenant si avec une loi pareille, la responsabilité ministérielle ne se mettra pas à couvert quand elle le voudra ? Que l’on me dise si les prérogatives de la chambre resteront entières et efficaces ? Que l’on me dise enfin si, en insistant pour l’article premier de mes amendements, je fais chose inutile en demandant que les arrêtés d’expulsion avec l’explication de leurs motifs soient communiqués à la chambre.

Je ne me suis pas borné là, j’ai été plus loin, j’ai voulu aller au-devant de l’objection que je prévoyais, j’ai demandé en outre une commission permanente et on ne m’a pas compris.

La majorité de la chambre, avec le ministère, avait trouvé bon la veille de faire intervenir la chambre dans un acte d’administration pour la conservation d’une liberté constitutionnelle ; et aujourd’hui qu’il s’agit encore d’une liberté constitutionnelle, la commission que je propose est un envahissement, c’est une perturbation dans les pouvoirs.

Cette commission serait inconstitutionnelle, parce que la constitution veut que toute commission fasse rapport à la chambre et l’on dit cela, tout en reconnaissance que lorsqu’il s’agit de l’étranger, on peut déroger par exception à toutes les dispositions quelconques de la constitution quelles qu’elles fussent.

Cette commission serait inutile, parce qu’il existe une commission des pétitions, comme si la commission des pétitions pouvait faire un rapport efficace sur une pétition qui ne lui apprendra pas autre chose, sinon que le pétitionnaire a été expulsé sans savoir pourquoi.

Voici, messieurs, en quoi je considérais la commission permanente comme étant d’une utilité incontestable, c’est que je prévoyais bien qu’on viendrait nous dire, à l’occasion, qu’une raison d’Etat empêche de publier à la tribune les motifs de l’expulsion et que je voulais empêcher que la responsabilité ne s’échappât par un semblable prétexte, une commission étant là pour recevoir les communications qu’il y aurait prétendument danger de révéler en séance publique.

Je la considérais encore comme utile, parce que je trouvais dans sa création le moyen d’empêcher à la chambre les discussions longues et irritantes dans les cas où la chose n’en eût pas valu réellement la peine.

Au reste, la proposition de cette commission permanente n’ayant pas paru obtenir de l’accueil dans la discussion, et la chambre paraissant préférer faire elle-même l’office de cette commission, je retire de mes amendements tout ce qui a rapport à cette commission, et je m’en tiens à l’article premier.

Au moyen de cet article en effet, la chambre, saisie des arrêtés d’expulsion et de leurs motifs, pourra toujours les envoyer à une commission spéciale, et donner à cette commission tel mandat qu’elle jugera convenir.

Je vous abandonne maintenant cet amendement, messieurs, quel qu’en soit le sort, il en restera toujours quelque chose d’utile, c’est que, pour la direction de chacun de nous, nous auront été suffisamment prévenus que si la loi reste telle qu’elle est, nous ne connaîtrons les motifs d’une expulsion que lorsqu’aucune raison d’Etat n’empêchera le ministre de donner ces explications, ce que je traduis, moi, dans ces termes : que, quand il y aura abus, il y aura nécessairement une raison d’Etat pour que vous ne puissiez pas le découvrir.

Si ce système vous convient, vous repousserez mon amendement, mais vous le repousserez au moins en pleine connaissance de cause.

Quant à moi, sans l’amendement, c’est-à-dire sans la garantie que le ministère sera toujours obligé de communiquer à la chambre les motifs d’expulsion sans pouvoir légalement s’en dispenser sous prétexte de raison d’Etat, je repousserai la loi que je considérerai comme le prélude d’un plan plus complet de désordre et de renversement de nos institutions.

Je sais bien que la chambre pourra toujours se mettre à l’occasion en contradiction avec la loi qu’elle aura votée, en ce sens que, malgré qu’il soit entendu que, dans le sens de la loi, le ministre pourra garder le silence sous prétexte de raison d’Etat, je sais bien, dis-je, que la chambre pourra toujours le forcer à rompre le silence par un refus de budget.

Mais peut-on penser de bonne foi qu’en présence de la perturbation d’un refus de budget et du sort d’un étranger, le choix peut être douteux ? Le malheureux étranger restera sacrifié ; quelque calomnieux, quelque vils que soient les motifs de son expulsion, ils resteront inconnus, et quelque constitutionnelle ou inconstitutionnelle qu’ait été l’application de la loi, le fait restera consommé sans remède et sans que la responsabilité ministérielle en soit le moins du monde atteinte.

M. Trentesaux. - Après avoir entendu, le discours de l’honorable M. Fallon, je me crois obligé de dire comment j’entends la loi, et je crois que tout le monde l’entend comme moi. Je crois que la loi que nous faisons est pour nous et que les étrangers n’ont rien à y voir.

Nous avons fait, pour les gouvernements étrangers, par la loi d’extradition, tout ce que nous pouvions faire pour eux. Dès lors la loi actuelle est pour nous, et les gouvernements étrangers n’ont pas à s’en prévaloir près de notre gouvernement.

En effet la loi, qui est tout entière dans l’article premier, porte que l’étranger, qui par sa conduite compromet l’ordre et la tranquillité publique, pourra être expulsé du pays. Il n’y a rien là qui puisse concerner les gouvernements étrangers. Je crois que le gouvernement commettrait une grande faute, s’il écoutait une proposition d’un gouvernement étranger, motivée sur la loi. La première chose que le gouvernement devrait répondre, c’est que nous avons fait la loi pour nous et que nous sommes seuls juges de son application. Je conseille fort au gouvernement de résister à la première demande qui pourra lui être faite, car, je le répète, nous avons fait assez pour les gouvernements étrangers, par la loi d’extradition.

Il y a un point encore du discours de M. Fallon sur lequel je crois devoir dire un mot ; c’est la question de permanence ou de temporanéité, question qui ne me paraît pas de l’essence de cette loi.

La question de temporanéité n’est qu’une question de prudence ; et je crois qu’il est prudent de ne faire qu’une loi temporaire, comme vous l’avez décidé. Dans une autre circonstance vous avez décidé que vous feriez un essai. Eh bien, la temporanéité n’a d’autre objet qu’un essai. Mais la loi eût-elle été permanente, je ne crois pas qu’elle eût été inconstitutionnelle ; car à mes yeux, elle ne permet qu’une exception autorisée par la constitution.

Mais on se demande quels sont les motifs qui détermineront le gouvernement à prononcer une expulsion. Les motifs du gouvernement ne peuvent pas être autres que ceux indiqués par la loi. Si j’étais gouvernement et qu’on me demandât les motifs d’une expulsion, je dirais : J’ai jugé l’expulsion nécessaire parce que l’étranger, dont il s’agit, compromettait par sa conduite l’ordre et la tranquillité publique.

Je crois que je ne ferai jamais la demande des motifs spéciaux d’une expulsion. Ce serait une distraction ; car les motifs sont dans la loi.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous sommes d’accord avec l’honorable préopinant. Je ferai seulement remarquer que le préopinant se trompe, quand il croit que la loi d’extradition a été proposée dans l’intérêt des pays étrangers. C’est dans l’intérêt de la Belgique qu’elle a été faite, c’est aussi dans l’intérêt de la Belgique qu’elle existe. C’est ainsi que nous avons réclamé l’extradition d’un chef de brigands qui, après avoir désolé les communes de la Flandre par des attentats contre la propriété commis avec la réunion des cinq circonstances qui entraînent la peine de mort, rôdait sur la frontière française et profitait de toutes les occasions de rentrer dans le pays.

Quand nous avons réclamé cette extradition, ce n’a pas été dans l’intérêt de la France, mais dans l’intérêt de la Belgique, ou plutôt dans l’intérêt de la Belgique et de la France. C’est aussi dans l’intérêt commun de la France et de la Belgique que la France a réclame de nous des faussaires, des forçats évadés, et c’est dans l’intérêt commun que nous les lui avons livrés.

Maintenant je tâcherai de réfuter l’honorable député de Namur. Suivant lui, la responsabilité du gouvernement et les prérogatives de la chambre recevraient une grave atteinte par le projet de loi.

Quant à moi, je ne comprends pas comment on modifierait la responsabilité du gouvernement, ni comment la chambre renoncerait à ses prérogatives. Je n’entrerai pas dans la question de constitutionnalité, je crois qu’elle a été assez discutée. Mais il est certain que la responsabilité du gouvernement reste entière, que les prérogatives de la chambre restent entières.

Pour venir directement aux amendements de l’honorable préopinant, je ferai remarquer qu’il a retiré la partie la plus importante de ces amendements qui consistait à faire intervenir la chambre dans l’administration de l’Etat. Nous nous sommes élevés contre cette intervention. Jamais nous n’y avons consenti, et nous n’y consentirons jamais.

La seule question est maintenant de savoir si le gouvernement doit faire connaître à la chambre les arrêtés d’expulsion et si ces arrêtés doivent être motivés.

M. Fallon. - Je ne demande pas que les arrêtés d’expulsion soient motivés.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je prierai alors M. Fallon de vouloir bien dire en quoi consiste son amendement.

M. Fallon. - Je demande que les arrêtés d’expulsion soient communiqués à la chambre, avec une note explicative des motifs de l’expulsion. La chambre fera ce qu’elle voudra. Je ne demande pas autre chose.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est plus que je n’avais dit ; car si un arrêté était motivé, au moins l’étranger pourrait cacher ces motifs quand ils seraient de nature à porter atteinte à sa réputation, à son honneur ou à celui de sa famille. Mais fournir aux chambres une note explicative des motifs de l’expulsion, alors que l’étranger expulsé ne réclame pas, ce peut être aussi contraire aux désirs qu’à l’intérêt de l’étranger.

L’étranger, quoi qu’on en ait dit, saura se défendre contre une expulsion injuste et tracassière ; il pourra vous la faire connaître, s’il le juge convenable. Il trouvera, comme je l’ai dit, des défenseurs dans les organes de la presse et dans cette chambre.

On a dit que nous avions fait des expulsions quand il n’y avait pas de loi, que nous avions fait des expulsions illégales. Messieurs, je proteste contre cette assertion ; je prétends que nous n’avons jamais fait d’expulsions illégales. Les expulsions ont été faites, en vertu des lois sur les passeports et de l’arrêté du 6 octobre 1830, lois et arrêté en vigueur.

Lorsque la chambre a demandé des explications sur ces expulsions, le ministère ne les a-t-il pas données. Croyez-le, messieurs, la chambre quand elle voudra des explications sur une expulsion, trouvera toujours moyen de les obtenir. Le ministère n’a-t- il pas toujours besoin de votre bienveillance ! Croyez-vous qu’il soit possible qu’un ministre se taise, quand on pourra le croire dans son tort ! Ce n’est pas une sérieuse objection. La chambre saura toujours forcer le gouvernement à s’expliquer, quand elle le jugera convenable. Mais la chambre pourra aussi respecter les motifs qui détermineraient le gouvernement à garder le silence.

Telles sont les relations de la chambre et du gouvernement. Je ne comprends pas un ministère d’une autre manière.

Il est au moins inutile de faire connaître les motifs de l’expulsion, parce que si l’étranger expulsé a un intérêt à les publier, il pourra toujours le faire par ses relations avec la presse, avec les membres des chambres, et avec les chambres mêmes par le droit de pétition.

M. Fallon. - M. le ministre de la justice a cru que ce que je disais des expulsions illégales s’appliquait au ministère actuel. A cet égard, il est dans l’erreur. J’ai parlé seulement des expulsions faites sous le précédent ministère, en vertu de la loi de vendémiaire an VI. Je prétends qu’alors les expulsions étaient illégales car on ne les justifiait pas autrement que par la loi de l’an VI.

M. Gendebien. - Et Guinard !

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il a été expulsé en vertu des lois sur les passeports.

M. de Brouckere. - Le droit d’expulsion a jusqu’à présent été exercé par le gouvernement et sous ce ministère et sous le ministère qui l’a précédé...

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je demande la parole.

M. de Brouckere. - Alors je me tais pour écouter le ministre de la justice. Je parlerai après lui.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne veux pas interrompre l’orateur ; je n’ai pas ce droit-là. Je demande la parole pour parler après lui.

M. de Brouckere. - Vous demandez la parole quand je n’ai rien dit encore, Eh bien parlez !

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai demandé la parole parce que je soutiens que nous n’avons pas fait d’expulsions illégales, et que nous n’avons fait qu’exécuter la loi. Comme je veux en cela contredire l’orateur, comme je suis persuadé que je pourrai lui répondre, j’ai demandé la parole.

M. de Brouckere. - M. le ministre de la justice me contredira tant qu’il voudra ! Quoi qu’il en soit, je dis que le droit d’expulsion a été exercé sous le ministère actuel et sous le précédent ministère.

Si on en doute, nous avons les aveux du précédent ministère. Alors les expulsions avaient lieu en vertu de la loi de vendémiaire an VI, maintenant elles ont lieu en vertu de la loi sur les passeports et de l’arrêté du 6 octobre 1830.

Maintenant je demande à quoi servira la loi que nous votons ; car si vous avez le droit d’expulsion, soit en vertu de la loi de vendémiaire, soit en vertu de l’arrêté du 6 octobre, avez-vous besoin d’une loi nouvelle ? Que vous en ayez besoin ou non, la chambre vous l’a accordée par un premier vote et très probablement elle le ratifiera par un second. Je demanderai au moins au ministère si maintenant qu’il aura une loi complète d’expulsion, il considérera comme abrogés l’arrête du 6 octobre et les lois sur les passeports.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Non ! non !

M. de Brouckere. - Je pensais bien que c’était « non ! non ! » (On rit.) Vous l’entendez, messieurs, c’est deux fois non, une fois pour les lois sur les passeports et une fois pour l’arrêté du 6 octobre.

Maintenant que le ministère a contre les étrangers trois lois sans compter la loi de vendémiaire, il ne sera pas embarrassé pour prononcer des expulsions. Quand l’étranger aura compromis par sa conduite la tranquillité publique, on l’expulsera en vertu de la loi que nous discutons et que vous voterez lundi. Quand il n’aura pas compromis la tranquillité publique, on l’expulsera en vertu de l’arrêté du 6 octobre. Enfin, quand l’étranger se présentera en Belgique avec des papiers que l’on ne trouvera pas en règle, on l’empêchera d’entrer, en vertu des lois sur les passeports. Il y aura donc trois moyens d’expulsion.

Mais si, d’après cela, un étranger arrive en Belgique, il faut convenir qu’il sera bien débonnaire ; car le gouvernement aura à l’égard des étrangers le pouvoir le plus arbitraire.

M. Jullien. - C’est ce qu’il demande.

M. de Brouckere. - Je le sais ; mais la chambre ne devrait pas l’accorder. Voulez-vous que le gouvernement ait des droits plus étendus que ceux qui lui sont attribués par la loi en discussion et par la loi d’extradition ? Faudra-t-il qu’il conserve le droit d’appliquer de prétendues lois sur les passeports et l’arrêté du 6 octobre 1830, arrêté que je soutiens avoir cessé d’exister, avec les circonstances qui l’ont fait naître ?

La chambre a décidé sur ce point. Quant à moi, je ne cesserai jamais mes efforts pour empêcher l’arbitraire. Je tente, dans ce but, un dernier effort en demandant l’abrogation de l’arrêté du 6 octobre. Après je ne dirai plus un mot. Je ne demande que la permission de lire cet arrêté et la faveur à chacun de vous de le comparer avec la loi actuelle :

« Mesures relatives aux étrangers qui arrivent à Bruxelles.

« Le gouvernement provisoire,

« Considérant que beaucoup d’étrangers passent en Belgique, les uns avec l’intention honorable d’y porter des secours contre les entreprises du despotisme hollandais, mais d’autres, en grand nombre, pour y chercher des moyens d’existence équivoque, au milieu des embarras inséparables d’un état de transition ;

« Arrête :

« Art. 1er. Les commandants de place et ceux des gardes bourgeoises établies dans les communes frontières, ainsi que les chefs de douane, se concerteront avec les autorités civiles pour surveiller l’introduction d’étrangers qui viendraient en Belgique dans un autre but que celui d’y traiter leurs affaires particulières. »

Voulez-vous qu’on ne puisse plus entrer en Belgique qu’après avoir justifié qu’on y vient pour traiter des affaires particulières ?

« 2. Provisoirement et vu l’urgence, les autorités ci-dessus mentionnées ne permettront l’entrée du pays qu’à ceux qui justifieront des motifs qui les y amènent. »

Pensez-vous que ce provisoire de 1830 existe et faudra-t-il encore que l’étranger, qui entre en Belgique, justifie au premier douanier venu du motif qui l’y amène ?

« 3. Tous autres étrangers non munis d’autorisation du gouvernement sont tenus de justifier de leurs ressources ; dans le cas contraire ils seront renvoyés chez eux. »

Eh bien, je vous le demande encore, prétendez-vous que tout étranger qui veut entrer en Belgique soit tenu de se présenter devant un policier quelconque pour justifier de ses ressources pécuniaires !

« 4. Il est expressément défendu d’arborer aucun drapeau ou de porter aucune cocarde étrangère à la Belgique : sont seules exceptées de la présente interdiction les personnes attachées à la diplomatie.

« Bruxelles, le 6 octobre 1830.

« Les membres du comité central.

« DE POTTER, comte F. de Mérode, Ch. ROGIER, Sylvain VAN DE WEYER. »

Voilà messieurs, l’arrêté du 6 octobre ! Je vous demande s’il peut exister, si ce n’est pas un devoir pour nous d’en prononcer l’abrogation dans la loi dont nous nous occupons. Je propose donc d’ajouter à la loi l'article suivant :

« L’arrêté du 6 octobre 1830 est abrogé. »

M. le président. - M. d’Hoffschmidt dépose un sous-amendement à l’article additionnel proposé par M. Fallon, qui consiste à le faire précéder des mots : « S’il y a réclamation de la part de l’expulsé. » L’article serait alors ainsi rédigé :

« S’il y a réclamation de la part de l’expulsé, les arrêtés d’expulsion, avec l’indication de leurs motifs, seront adressés aux chambres immédiatement après leur exécution, si elles sont assemblées, sinon à l’ouverture de la prochaine session. »

La parole est à M. d’Hoffschmidt pour développer son amendement.

M. d'Hoffschmidt. - Je n’aurai que quelques mots à dire pour motiver mon amendement.

Le principal argument que l’on a fait valoir pour repousser l’amendement de M. Fallon, c’est qu’il provoquait des explications sur les motifs de l’expulsion, alors que cela était contraire au désir et à l’intérêt de l’étranger expulsé. Je conçois en effet qu’il eût pu en être ainsi. Mais c’est là une exception, ou plutôt il y a une exception à cette règle. C’est pour cela que je propose de borner aux cas où il y aurait réclamation de la part de l’expulsé, l’amendement de M. Fallon tendant à obtenir la communication aux chambres des arrêtés d’expulsion, avec l’indication de leurs motifs.

L’honorable M. Fallon a très bien dit que souvent les ministres savaient éluder les interpellations qui leur étaient faites. Hier je me suis moi-même étendu sur ce point, je n’en dirai pas davantage. Je pense qu’il serait dangereux d’adopter la loi si la garantie proposée par M. Fallon n’y était pas insérée. En effet quel contrôle la chambre pourra-t-elle exercer pour empêcher le pouvoir d’abuser du droit d’expulsion ? Aucun, car trop d’exemples nous ont appris que le droit d’interpellation ne signifie rien, et que quand nous voulons l’exercer, les ministres savent bien nous éconduire par des fins de non-recevoir.

Je crois que ce que je viens de dire suffit pour justifier l’amendement que j’ai proposé et qui tend à ce que l’article additionnel proposé par M. Fallon ne soit appliqué que quand il y aura réclamation de la part de l’expulsé.

M. le président. - M. Pirson propose de modifier comme suit l’amendement de M. Fallon :

« Les chambres pourront toujours demander des explications au ministère sur les motifs des expulsions et il sera tenu de les donner en séance publique ou en comité secret. »

La parole est à M. Pirson pour développer son amendement.

M. Pirson. - Je ne dirai que deux mots. A la première lecture, il vous semblera peut-être que mon amendement ne fait que consacrer un droit qu’ont déjà les chambres, celui d’interpeller les ministres. Mais, comme l’ont dit MM. Fallon et d’Hoffschmidt, les ministres savent fort bien éluder ces interpellations. Tandis que, d’après mon amendement, le gouvernement sera obligé de s’expliquer.

M. Lebeau. - Une simple réflexion suffirait pour déterminer la chambre à écarter les amendements des deux honorables préopinants ; c’est qu’au lieu de consacrer une prérogative de la chambre, ils méconnaissent, ils restreignent sa prérogative.

Comment : par cela seul qu’un étranger ne se plaindrait pas de son expulsion, je n’aurais pas, comme député, le droit d’interpeller les ministres à ce sujet ! Mais je ne veux pas subordonner mon droit à la réclamation d’un étranger. Tel étranger expulsé n’aurait peut-être pas la possibilité de réclamer ; et pour cela la chambre, ou un de ses membres, ne pourrait pas réclamer en son nom !

Vous le voyez, messieurs, ces amendements vont directement contre la pensée de leurs auteurs. Au lieu de consacrer une prérogative de la chambre, ils la mettent en doute. Si vous admettiez l’un de ces amendements, de ce qu’il ne serait pas dans une autre loi, on pourrait, par un argument à contrario, en conclure que la chambre n’a pas le droit de demander aux ministres des communications de pièces. Il est donc impossible d’admettre ces amendements, qui, je le répète, vont directement contre la pensée de leurs auteurs. (Aux voix ! aux voix !)

M. Pirson. - Je me bornerai à dire que M. Lebeau m’a fait dire le contraire de ce que j’ai dit. (Aux voix ! aux voix !


- La chambre est consultée sur les amendements de MM. d’Hoffschmidt et Pirson.

L’amendement de M. d’Hoffschmidt est appuyé ; il y sera donné suite. L’amendement de M. Pirson n’est pas appuyé.


M. Gendebien. - Messieurs, c’est en quelque façon pour un fait personnel que je demande la parole. (Parlez ! parlez !)

On a cité un acte du gouvernement provisoire. Il m’importe puisque j’ai eu le malheur d’en faire partie... (Réclamations ; interruption.) L’honneur si vous voulez, mais ce qui a été un malheur pour moi. Enfin, puisque j’ai eu le bonheur, le malheur, ou l’honneur d’en faire partie, je dois un mot d’explication.

D’abord je n’ai pas signé l’arrêté du 6 octobre. J’étais alors en mission. Mais, si je m’étais trouvé à Bruxelles, il est très probable que je me serais joint à mes collègues pour signer cet arrêté. Car, vous, le savez, au 6 octobre, les Hollandais étaient encore à une lieue de Bruxelles. On n’a pas oublié que ce n’est que le 27 septembre que les Hollandais sont partis et que des mesures vigoureuses étaient alors nécessaires.

Je crois que si des circonstances peuvent légitimer un acte tel que l’arrêté du 6 octobre, ce sont bien celles où étaient alors placés mes collègues. Aujourd’hui, vous voulez perpétuer cet arrêté, vous voulez jeter de l’odieux sur le gouvernement provisoire. Car vous ne pourrez trouver rien de plus arbitraire ! c’est là un acte de dictature. Quant à moi je proteste contre la conservation de cet arrêté dans des temps calmes. Je déclare que je repousse l’odieux que l’on veut jeter sur moi, sur mes collègues, sur le gouvernement provisoire, en appliquant cet arrête aujourd’hui.

Voilà tout ce que j’avais à dire !

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, les étrangers peuvent se trouver dans trois positions. Ou ce sont des étrangers qui arrivent en Belgique, et nous avons le droit de les recevoir ou de ne pas les recevoir, en vertu des lois sur les passeports. Ces lois ont été exécutées sans interruption et sans contestation, sous l’empire français, sous le régime hollandais et depuis la révolution. Ces lois ont été appliqués au sieur Guinard, et elles eussent été appliqués aux autres évadés de Ste-Pélagie, s’ils étaient venus en Belgique/

Ou bien ce sont des étrangers qui n’ont aucun moyen d’existence, le gouvernement peut leur interdire toute résidence en Belgique, en vertu de l’arrêté du 6 octobre 1830.

Loin de moi la pensée de faire un reproche au gouvernement provisoire d’avoir pris cet arrêté. C’est une disposition sage d’ordre public et du droit des gens. Car on doit pouvoir repousser les étrangers sans ressources qui viennent dans le pays pour l’exploiter.

On demande s’il faudra qu’en vertu de l’arrêté du 6 octobre, les étrangers se présentent devant le ministre de la police ou un officier de police pour justifier de ses ressources. Mais cet arrêté est exécuté depuis quatre ou cinq ans, sans avoir donné lieu à aucune plainte. Il a été appliqué au sieur Dejudicibus. Des interpellations nous ont été adressées sur cette mesure ; des explications ont été données, mais personne n’a protesté contre l’application de l’arrêté du 6 octobre.

D’ailleurs, s’il pouvait y avoir quelque doute sur le droit qu’a le gouvernement d’appliquer l’arrêté du 6 octobre, ce doute serait levé par la proposition qu’a faite l’honorable membre auquel je réponds ; car il a proposé depuis longtemps l’abrogation de cet arrêté. La chambre est saisie de ce projet qu’elle jugera en connaissance de cause. Pour moi, je pense que vous ne pouvez pas abroger une disposition qui est nécessaire qui existe dans tous les pays.

Quant aux étrangers qui résident en Belgique, et qui y ont tous les moyens d’existence, peuvent-ils être expulsés ? Nous ne l’avons pas pensé dans l’état actuel de la législation. Le précédent ministère avait cru pouvoir les expulser, en vertu de la loi de vendémiaire.

La chambre n’a pas désapprouvé le gouvernement. Mais nous, nous avons besoin d’une loi, à l’égard des étrangers qui, résidant en Belgique, compromettraient par leur conduite l’ordre et la tranquillité publique.

M. d'Hoffschmidt. - J’ai un mot à répondre à l’honorable M. Lebeau qui paraît ne pas m’avoir bien compris. Il a dit que mon amendement tendait à restreindre les prérogatives de la chambre. Il aurait raison si mon amendement était relatif au droit d’interpellation. Mais il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de communication d’arrêtés avec indication de leurs motifs.

M. Lebeau. - Mais un député a le droit de faire cette demande, et la chambre prononce.

M. d'Hoffschmidt. - Ah ! la chambre prononce ! Mais quand M. Lebeau était ministre et qu’on lui adressait de telles demandes de renseignements, il savait bien s’en tirer ! (On rit.) C’est un exemple que ses successeurs ne manqueraient pas de suivre.

- Un grand nombre de membres. - La clôture ! la clôture !

M. le président. - Quelqu’un demande-t-il la parole contre la clôture ?

M. de Brouckere. - Je demande la parole contre la clôture, pour répondre quelques mots à M. Ernst qui m’a mis personnellement en cause. C’est en quelque sorte une justification que je veux présenter. La chambre ne se refusera pas à l’entendre.

J’ai demandé l’abrogation de l’arrêté du 6 octobre 1830. Quel argument m’oppose M. Ernst ? Vous avez si bien reconnu, dit-il, l’existence de cet arrêté, que vous en avez demandé l’abrogation. Je dois dire franchement qu’il y a là de la mauvaise foi…

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

D’après un article du règlement, toute imputation de mauvaise foi est interdite. C’est une violation de l’ordre. Or ici évidemment l’orateur s’est permis une imputation qui n’est pas autorisée par le règlement. Il ne lui appartient pas de taxer de mauvaise foi un membre de cette assemblée, qu’il siège au banc des ministres, ou sur les autres bancs de la chambre. Il est temps que la chambre fasse respecter chacun de ses membres.

Comment, parce qu’on siège au banc des ministres, on pourra être impunément taxé de mauvaise foi ! Je pourrais, messieurs, demander le rappel à l’ordre de l’orateur qui s’est permis une telle sortie. Je ne le ferai pas. Mais je ne permettrai jamais que l’on taxe de mauvaise foi les honorables collègues qui siègent avec moi sur ce banc.

M. le président. - Je dois rappeler à M. de Brouckere qu’aux termes de l’article 19 du règlement toute imputation de mauvaise intention est interdite

M. de Brouckere. - Nous savons cela, M. le président.

Messieurs, je n’imiterai pas M. d’Huart qui se fâche si fort. Je commence par déclarer que je ne me fâche pas.

M. d’Huart m’attribue une imputation de mauvaise intention, une excitation au désordre. Je voudrais bien savoir quand j’ai troublé l’ordre, quand je suis sorti des bornes de la modération. Je ne sais si l’on pourrait en dire autant de M. d’Huart, en recherchant ses antécédents parlementaires.

Mais je ne veux pas les rechercher. (On rit.)

M. d’Huart a dit qu’il ne demanderait pas mon rappel à l’ordre. Je le remercie beaucoup de sa complaisance. Mais il a dit qu’il ne permettrait jamais un langage tel que le mien. Que M. d’Huart sache que je n’ai besoin de la permission d’aucun membre de la chambre, ni surtout de celle d’un ministre, pour exprimer mon opinion. Je ferai tout ce que le règlement permet ; et je ne crains le rappel à l’ordre que du président.

J’ai dit qu’il y avait mauvaise foi de la part de M. Ernst. Voilà ce que M. d’Huart ne veut pas permettre.

- Quelques membres. - La clôture !

M. de Brouckere. - Je prie M. le président de vouloir bien me continuer la parole. Je crois que je suis modéré. Je ne me fâche pas. Je ne fais pas comme le ministre des finances. Il est vrai aussi que je ne suis pas ministre.

M. Ernst prétend que je reconnais l’existence de l’arrêté du 6 octobre, puisque j’en demande l’abrogation.

M. Eloy de Burdinne. - M. de Brouckere n’a la parole que sur la clôture.

M. le président. - La clôture n’a pas été prononcée.

M. Eloy de Burdinne. - C’est vrai, mais elle a été demandée.

M. le président. - Je prie M. Eloy de Burdinne de ne pas interrompre.

M. de Brouckere. - Ne faites pas attention M. le président. Ce ne sont pas les interruptions de M. Eloy de Burdinne qui m’empêcheront de continuer. Un peu de patience, M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne. - Je soutiens que la chambre n’a pas été consultée et qu’elle aurait dû l’être.

M. Lebeau. - Je déclare que je serai le premier à voter contre la clôture, pour que la chambre entende M. de Brouckere. Mais il est parfaitement exact que la clôture avait été demandée par plus de 10 membres, que M. de Brouckere n’avait demandé la parole que sur la clôture, et qu’il ne devait l’avoir que pour expliquer les motifs pour lesquels la clôture ne devait pas être prononcée. La chambre devait ensuite être consultée.

M. le président. - Après que M. Brouckere a eu parlé contre la clôture, il n’y a pas eu d’opposition à ce qu’il parlât sur le fond. J’ai donc pu, de l’assentiment de la chambre, lui laisser la parole.

La parole est continuée à M. de Brouckere.

M. de Brouckere. - J’espère qu’on finira par me laisser parler !

On a prétendu que j’avais reconnu l’existence de l’arrêté du 6 octobre, parce que j’ai demandé l’abrogation de cet arrêté. J’ai dit, et je répète, qu’à cet égard, il y a eu mauvaise foi de la part de M. Ernst ; car si on recourt aux considérants dont j’ai fait précéder cette proposition, on y lit :

« Considérant que l’arrêté du 6 octobre a cessé d’exister avec les circonstances qui y ont donné jour ; considérant qu’il s’est élevé à cet égard des doutes dans quelques esprits. »

Je demandé si, après cela, on peut dire que je reconnais l’existence de l’arrêté du 6 octobre. La chambre en sera juge.

La chambre sera juge aussi entre moi, qui m’explique froidement quand je suis accusé, et M. d’Huart qui se fâche à froid, quand on ne lui a rien dit.

- Un grand nombre de membres. - La clôture !

M. Dumortier. - Je demande à dire quelques mots sur la question si grave de l’existence des lois sur les passeports, question qui vient d’être soulevée pour la première fois.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je demande la parole pour un fait personnel.

Il suffit d’exposer les faits pour que la chambre juge si je mérite les paroles que m’a adressées M. de Brouckere. J’ai dit que le fait seul de la proposition d’abroger l’arrêté du 6 octobre en supposait l’existence. Je ne suis pas entré dans les motifs qui ont déterminé l’auteur de la proposition. J’ai pris le fait de la proposition et comme jurisconsulte, j’ai dit :

Si on n’admettait pas l’existence de l’arrêté du 6 octobre, on n’aurait pas besoin d’en proposer l’abrogation. Voilà l’argumentation à laquelle je me suis livré. (La clôture ! la clôture !)

- La clôture est mise aux voix et prononcée.


Le sous-amendement de M. d’Hoffschmidt à l’article additionnel proposé par M. Fallon et cet article additionnel sont successivement mis aux voix ; ils ne sont pas adoptés.


L’article additionnel proposé par M. de Brouckere, et tendant à abroger l’arrêté du 6 octobre 1830, est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

M. Gendebien. - Je demande que mon vote affirmatif sur l’article additionnel proposé par M. de Brouckere soit inséré au procès-verbal.

M. le président. - Le vote affirmatif de M. Gendebien sera inséré au procès-verbal.


M. Liedts. - Il y a encore un article nouveau proposé par moi, et qu’il conviendrait, je crois, de mettre maintenant aux voix car je ne pense pas que la chambre ait statué sur ce point.

J’ai proposé un article conçu en ces termes :

« Les étrangers. qui seront condamnés du chef de banqueroute frauduleuse, d’escroquerie ou d’abus de confiance, pourront, par le même jugement ou arrêt, être condamnés à sortir du territoire de la Belgique, après avoir subi leur peine, et de la manière indiquée aux articles 6 et suivants de la présente loi. »

Le ministre de la justice, dans une explication qu’il a donnée, a dit que les gens dont il s’agit étaient dangereux, compromettaient la tranquillité publique, et que par conséquent ils tombaient sous le coup de la loi. Si l’on donne une étendue semblable à la rédaction de l’article et aux mots sûreté publique, je crains que toutes les condamnations ne deviennent un prétexte pour expulser un étranger. On l’expulsera, pour une condamnation comme calomniateur, ou pour tout autre fait de police ; avec une élasticité semblable, l’arbitraire sera encore plus large que je ne le craignais.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’amendement est inutile. D’après l’amendement présenté par M. Dumortier et adopté par la chambre, tout étranger condamné dans son pays peut être expulsé, à plus forte raison peut-on expulser celui qui sera condamné en Belgique.

M. Dumortier. - Mais on ne fait pas des lois avec des : « à plus forte raison » ; dites que l’étranger condamné en Belgique pourra être expulsé.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Mais nous devons avoir plus de confiance dans les condamnations prononcées chez nous que dans les condamnations prononcées au-dehors ; ainsi l’expulsion est nécessairement possible.


M. le président. - M. de Mérode demande que la loi soit exécutoire jusqu’à la paix avec la Hollande.

M. F. de Mérode retire son amendement.

M. Dumortier et M. Pirson demandent que la loi ne soit obligatoire que jusqu’au 1er janvier 1837.

- Cet amendement est rejeté.

M. le président. - La section centrale propose la disposition suivante formant le dernier article de la loi :

« La présente loi ne sera obligatoire que pendant trois ans à moins qu’elle ne soit renouvelée. »

- Cette disposition est adoptée.

La loi entière est par conséquent adoptée par un premier vote.

La séance est levée à quatre heures.