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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 25 novembre 1835

(Moniteur belge n°330, du 26 novembre 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.

M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dechamps donne connaissance des pièces adressées à la chambre.

« Des habitants de la commune de Luttre (Hainaut) demandent leur séparation de la commune de Pont-à-Celles. »

« Le sieur H.-E. Lezan de Malizard, avocat près la cour d’appel de Bruxelles, né à Paris en 1777, demandent la naturalisation. »

« Les habitants notables de la commune d’Assenede demandent qu’il soit construit un canal d’écoulement des eaux, de leur commune à la mer. »

« Le sieur F. Perlau, membre de la commission supérieure d’industrie et de commerce, à Bruxelles, et fabricant de colle d’os, demande que, dans la nouvelle loi sur les os, la libre sortie des os travaillés continue à être permise moyennant un léger droit.

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l'intérieur, pour créances arriérées

Second vote des articles et vote sur l’ensemble

La chambre confirme successivement et sans discussion les divers amendements adoptés.

On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.

56 membres répondent à l’appel.

53 votent pour l’adoption du projet.

3 s’abstiennent de voter.

En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à énoncer les motifs de leur abstention.

M. Desmanet de Biesme, M. Lardinois et M. Pollénus déclarent s’être abstenus parce qu’ils n’ont pas assisté à la discussion.

Ont répondu oui : MM. Andries, Bekaert, Bosquet, Cols, Coppieters, de Behr, Dechamps, de Foere, de Jaegher, de Longrée, F. de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq. de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus aîné, Fallon, Frison, Jadot, Jullien, Keppenne, Kervyn, Lejeune, Manilius, Mast de Vries, Milcamps, Morel- Danheel, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Quirini, Rogier, Rouppe, Schaetzen, Seron, Simons, Smits, Stas de Volder, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vanden Wiele. Vanderbelen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert, Zoude, Raikem.

Projet de loi relatif aux droits sur les bestiaux

Discussion générale

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Dans la séance d’hier, un honorable député de Turnhout a présenté quelques renseignements statistiques puisés dans un ouvrage de M. Quetelet intitulé : Annuaire de l’observatoire de Bruxelles. Je ne sais quel est le caractère qu’il faut assigner à cette publication ; mais pour ma part, j’admets l’exactitude des chiffres cités par l’honorable membre. Je crois même qu’ils sont assez exacts ; ils s’accordent d’ailleurs avec l’opinion que je me suis toujours faite de la haute importance du bétail dans notre pays.

Il résulte de ces renseignements que nous avions en Belgique en 1828 (je crois que le chiffre n’a pas beaucoup varié depuis lors), une énorme quantité de bétail, notamment en bœufs, taureaux et vaches, 882,000 têtes ; en moutons et agneaux, 774,000 têtes. De ces documents l’honorable député de Turnhout a tiré la conséquence que le chiffre du bétail hollandais introduit dans notre pays est presque insignifiant. Il a fixé aussi votre attention sur un autre point, sur les grandes sommes pour lesquelles chaque année vous exportez du bétail en France.

En effet, il existe dans le pays une très grande quantité de bétail ; j’ai eu l’honneur dans une séance précédente d’attirer sur ce point toute l’attention de la chambre. Je suis encore d’accord avec lui que notre exportation en France est chaque année assez considérable ; c’est encore une observation que j’ai eu l’honneur de faire, en disant que nous devrions avoir nécessairement le moyen d’écouler une partie de nos bestiaux en pays étranger. Je conviens même avec l’honorable préopinant que le chiffre officiel de l’importation en Belgique du bétail hollandais, comparé avec le chiffre du bétail existant dans le pays et avec le chiffre de l’exportation de notre bétail en France, paraît, au premier abord, assez minime.

Je me félicite surtout que ces chiffres aient été fournis à la chambre par l’honorable député de Turnhout ; car cela prouve qu’en 24 heures de temps il s’est opéré un changement notable dans son opinion à l’égard de la question qui nous occupe.

En effet, dans la séance d’hier, après avoir beaucoup insisté et sur le bétail que nous avions dans le pays et sur celui que nous exportons en France, il en a tiré la conséquence que la quantité de bétail importé de la Hollande en Belgique était si minime que ce n’était pas la peine d’adopter la loi, puisque cette importation ne pouvait avoir aucune influence sur notre industrie agricole.

Voyons maintenant ce que l’honorable député de Turnhout disait dans la séance précédente. Pour ne pas me tromper, je cite le texte du Moniteur :

« Seulement le roi Guillaume a la satisfaction de faire payer à ses sujets nos produits un peu plus cher que s’il en permettait l’importation directe, et de se dire qu’il a rompu toute communication avec ses sujets révoltés. »

J’ai déjà répondu à cet argument, et fait ressortir la différence entre la loi que nous discutons et la mesure prise par le roi Guillaume.

La mesure prise par le roi Guillaume, était, pour me servir de l’expression de l’honorable membre, une mesure vengeresse et nullement d’intérêt commercial ou industriel, puisqu’elle porte sur des objets que la Hollande ne produit pas ; que par conséquent cette mesure ne tendait pas à protéger l’industrie du pays, tandis que la nôtre est d’une nature toute différente.

Je continue de citer le Moniteur :

« Nous envoyons cependant en Hollande nos draps, nos cotons, nos fers, nos toiles, nos charbons, nos pierres, nos clous, nos armes, notre zinc, et une foule d’autres produits de notre industrie et de notre sol. Il est vrai que la Hollande nous expédie en échange ses fromages, pour la consommation desquels l’antipathie nationale commence à s’affaiblir ; son bétail (je prie la chambre de faire attention à ces mots), son bétail dont nous avons besoin. »

Ainsi, dans la séance, de lundi, le préopinant trouvait que nous devions continuer à recevoir du bétail hollandais, parce que nous en avions besoin pour la consommation intérieure ; c’est même là-dessus qu’il appuyait en grande partie ses arguments, exprimant la crainte que le prix de la viande ne vînt à hausser, si on empêchait, dans le pays, du bétail hollandais. Cependant, le lendemain, au dire de l’honorable membre nous avons une si grande quantité de bétail, notre exportation est si grande, que l’importation du bétail hollandais est presque insignifiante. Je crois qu’il serait assez difficile de concilier ces deux opinions ; au reste, je n’exige pas cela.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Au contraire je félicite l’honorable membre du progrès qu’il a fait, en reconnaissant (ce qui a toujours été notre opinion à tous) qu’en Belgique il y a surabondance de production de bétail, et que par conséquent nous devons fournir à la consommation intérieur, au moyen du bétail du pays, et en outre procurer à cette industrie des moyens d’exportation. Si l’honorable membre continue à marcher ainsi, nous finirons par nous rencontrer.

J’admets donc les prémisses du député de Turnhout, mais je n’admets pas les conséquences qu’il en a tirées ; il en conclut que puisque le chiffre de l’importation hollandaise est si faible comparé au chiffre du bétail existant dans le pays et au chiffre de nos exportations en France, il est inutile de prendre des mesures contre l’introduction du bétail hollandais.

Vous savez que ce sont encore les mêmes arguments que l’on a fait valoir dans la discussion de la loi des céréales. Alors on appréhendait tellement la mesure proposée, qu’on a commencé par vouloir nous inspirer la crainte que par son adoption l’ouvrier ne mourût en quelque sorte de faim ; mais, comme aujourd’hui, on a fini par dire que les céréales introduites du dehors étaient en si petite quantité, que toute l’importation étrangère suffirait à peine à la consommation du pays pour trois jours. Ce sont, je crois les termes dont s’est servi l’honorable membre auquel je réponds.

« J’ai cité des faits, a-t-il dit. Qu’on me réponde par des faits. » Je crois que nous répondons par des faits. Malgré toutes les exagérations de nos adversaires à cette époque, vous avez voté la loi sur les céréales ; vous avez empêché l’introduction dans le pays des céréales étrangères. Qu’en est-il résulté ? que par là vous avez du moins arrêté la dépréciation ultérieure de vos propres produits. C’est à cette loi que nous devons de ne pas être en ce moment inondés de grains étrangers.

Lorsque la Hollande, pays essentiellement de libre entrée, est obliger de réclamer elle-même une loi protectrice contre l’introduction des grains étrangers, vous sentez que si vous n’aviez pas pris une mesure pour l’empêcher, vous auriez été inondés (c’est le mot) de produits étrangers, et les grains seraient tombés à si bas prix, qu’aujourd’hui le mal serait peut-être pour plusieurs années sans remède.

Je sais bien que le prix des grains, dans le pays, n’est pas élevé ; je sais même que les grains sont à bas prix, mais il en est ainsi dans toute l’Europe. Le prix se soutient mieux sur nos marchés que sur ceux de nos voisins.

On perd trop souvent de vue un point important sur lequel je dois fixer votre attention : c’est que les lois protectrices de l’industrie et de l’agriculture ont aussi leur côté moral. Lorsque dans un pays il y a déjà surabondance de produits indigènes et que néanmoins l’importation des produits étrangers de même nature est permise, la crainte seule de cette introduction forcée déprécie la valeur de vos propres produits. Lorsqu’au contraire vous avez une loi protectrice, lorsque le producteur saura que les produits étrangers de même nature ne viendront pas subitement déprécier les produits du sol sur le marché intérieur, alors il calculera mieux les chances de hausse, les variations sur les prix et il ne sera plus obligé de vendre ses produits à tout prix par la crainte d’une plus forte baisse. Ainsi, si les céréales sont à bas prix dans le pays, l’agriculteur sait au moins qu’elles ne seront pas dépréciées par l’entrée de céréales de la Baltique, du Nord, de la Hollande, etc. ; il peut attendre, il n’est pas obligé de se défaire de ses grains à quelque prix que ce soit.

Un autre bienfait que nous pouvons espérer du projet, c’est que, si, comme je l’espère, il est converti en loi, on pourra dans la Belgique se livrer davantage à l’engraissement des bestiaux car il n’est pas exact, que les bestiaux venant de la Hollande soient, ainsi qu’on l’a dit, toutes bêtes maigres ; il est vrai qu’il vient quelques bêtes maigres du Brabant septentrional. Mais les bestiaux venant de la Hollande proprement dite sont exclusivement des bêtes grasses, et même des animaux d’un très grand poids.

Si maintenant on est rassuré contre l’introduction des bêtes grasses venant de la Hollande, on pourra, avec quelque sécurité, se livrer à l’engraissage, qui est l’opération la plus avantageuse à l’agriculteur ; car dans cette opération tout est bénéfice.

La bête que le cultivateur engraisse consomme le produit du sol, et tout ce qu’elle donne est utile au sol. Ainsi l’engraissage est, sous tous les rapports, favorable à l’agriculture.

M. Manilius. - Comme j’ai l’honneur de faire partie de la commission qui a examiné le projet de loi en discussion, je ne puis d’abord laisser sans réponse la supposition peu bienveillante que lui a faite l’honorable M. Rogier dans la séance d’avant-hier.

Il semblerait qu’un rapport vous est parvenue entaché d’une coupable indifférence, que la commission en un mot aurait négligé d’aller aux renseignements. Non, messieurs, la commission ne mérite pas cette espèce de reproche de légèreté, que l’honorable M. Rogier lui a fait assez légèrement.

Les nombreuses pétitions dont la commission est saisie, les observations et les lumières qu’elle a recueillies dans son sein et par des membres de cette enceinte qui possèdent des connaissances spéciales de cette branche et du directeur de l’administration centrale des douanes et accises, et les renseignements que chacun de nous a recueillis dans ses provinces mêmes, ont établi suffisamment le motif de se rallier au projet du ministre des finances. Quant à moi, je déclare que moyennant quelques modifications, je me rallierai à ce projet, non pour être réformateur, car je crois aussi appartenir comme l’honorable M. Rogier aux bons et honnêtes conservateurs, mais je ne veux point être stationnaire pour laisser impitoyablement anéantir toutes nos belles industries de part en part, car il ne s’agit pas d’une industrie spéciale, que j’aime à protéger ! Toutes celles qui auront les motifs de nature à celles exprimées pour les cotons comme pour l’agriculture, auront toujours ma sympathie.

Il importe de soutenir nos industries nationales, car je le répète, messieurs, si nous voulons persister dans un aveugle esprit de liberté illimité du commerce, nous, nation de 4 millions d’âmes contre l’Europe entière, c’est le plus grand malheur dont l’on peut doter notre pays éminemment industriel.

D’ailleurs je pense, qu’en bon représentant du peuple belge, l’on n’a point ici à faire prévaloir son opinion personnelle sur tel ou tel système d’économie politique de tel ou tel orateur, mais que c’est le vœu positif et le bien-être de la nation qui doit avoir ici le privilège de la priorité et de l’assentiment de ses représentants.

Messieurs, je saisis ce moment pour vous donner connaissance de ce qui arrive sur nos frontières par l’insuffisance de notre douane, notamment le long des frontières hollandaises, dans les provinces des Flandres et d’Anvers, peut-être bien aussi dans d’autres provinces ; mais je m’arrêterai à celle que j’habite. Cette province, qui a une si grande étendue de frontière le long de la Zélande, n’est servie que par 104 préposés de première classe et 188 de seconde classe, répartis en 63 brigades, y compris brigadiers, lieutenants, marins et cavaliers. Tout ce personnel n’est que de 430 hommes/

Ce total minime en proportion subit encore les mutations de maladies ordinaires ; cela est naturel, mais je réclame ici toute votre attention, messieurs. Dans ces contrées il règne deux fois par an des fièvres malignes, et c’est alors que ce petit nombre de douaniers se trouve réduit au point que des brigades entières, même deux, trois brigades adjacentes, sont mises hors de service, et sans moyens de les remplacer, l’administration supérieure n’ayant aucun homme disponible.

Car notez, messieurs, que les hommes qui résistent à la maladie sont épuisés de fatigue par la juste raison qu’ils ont un double et triple service à faire pour leurs camarades à l’agonie, et il s’en suit que par moment la ligne est entièrement dégarnie.

On ne doit donc pas s’étonner que le bœuf gras aussi difficile à conduire, aussi entêté qu’il soit, passe facilement et qu’en général la fraude active et vigilante s’effectue ainsi sans la moindre résistance, sans la moindre inquiétude.

Je signale ces faits à M. le ministre et je les déclare exacts ; je pense même que M. le ministre ne l’ignore point, mais il m’étonne que dans le budget il ne demande pas une somme expresse pour augmenter le personnel des simples douaniers, motivé sur cet exposé. Aussi serait-il à désirer que l’on rétablît la seconde ligne de douanes, attendu qu’il est constant que depuis sa suppression la fraude a pris une rapide croissance.

Je suis loin d’adresser des reproches aux employés de la douane, qui vraiment font un service extraordinaire ; ils sont plutôt dignes d’éloges et je pense qu’ils méritent beaucoup d’égards et plus de soins ; car, quand les fièvres dont j’ai déjà parlé règnent, la mortalité est grande et souvent le moribond se trouve sans secours de l’art médical. Je réclame aussi l’attention de M. le ministre à cet égard.

Messieurs, j’ai encore une observation à faire sur ce qu’a dit l’honorable M. de Nef concernant la corruption des employés des douanes par certains négociants ; il a rappelé à notre souvenir ce qui s’est passé sons l’ancien gouvernement : en effet, des intelligences de cette nature ont été découvertes, mais non pas sur la ligne ni entre de simples douaniers, mais dans l’entrepôt, je crois, d’Anvers, et entre les employés de grades élevés. Car vraiment, messieurs, je dois vous le répéter, nos simples douaniers sont la plupart dans un tel état de misère que souvent, quand il y a des décès, on a besoin de recourir à des quêtes afin de pouvoir les enterrer d’une manière décente et convenable.

J’écarte donc le soupçon d’infidélité et de corruption, et je persiste à dire qu’il y en a une trop petite quantité pour la surveillance de la ligne, que le nombre des simples douaniers demande à être augmenté si l’on veut l’exécution non seulement des lois que nous voterons, mais de toutes celles dont le pays est déjà doté et qui à regret ne lui profitent point.

J’espère que ces réflexions mériteront l’attention du ministère et de la chambre lors de la discussion du budget des finances.

M. Pollénus. - Je viens donner mon assentiment au projet de loi en discussion, pour autant qu’il subira des modifications notables.

Il me paraît résulter de la discussion que c’est particulièrement l’introduction en fraude de bestiaux étrangers C’est un point qu’ont admis, ce me semble, tous les orateurs entendus dans cette discussion ; c’est le seul point qui n’ait point été contesté.

J’appellerai l’attention de la chambre sur les paroles d’un honorable député de Turnhout (M. de Nef). Cet honorable membre, après avoir donné son approbation au projet de loi, a fini par dire que dans son opinion, à lui qui est placé sur la frontière de la Hollande et dans une province où, je crois, l’on fait un commerce assez considérable de bétail, il pensait que les droits existants seraient suffisants dans le cas où l’on pourrait prévenir la fraude. Si je mets ceci en rapport avec tout ce qu’ont dit MM. les ministres, il me semble que l’on n’a pas contesté la vérité de ce fait. Nous devons donc nous appliquer à prévenir la fraude.

Je me demande si ce n’est pas au contraire, en quelque sorte l’encourager, que d’augmenter les droits de douanes. Pas plus que M. le ministre des affaires étrangères, je ne veux défendre un système absolu, parce que ce qui est absolu n’est presque jamais bon, je le sais. Mais je dis que, ce point : l’existence de la fraude établie, il faut en tirer une conséquence opposée à celle qu’en tirent les auteurs du projet ; car plus vous augmentez les droits, plus vous intéressez la fraude, plus vous l’activez.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demande la parole.

M. Pollénus. - Encore le dernier orateur que vous avez entendu est convenu que la fraude s’exerçait en Flandre, le long de la frontière zélandaise. Il vous a signalé cette fraude comme due à l’insuffisance du personnel de la douane ; nous devons donc augmenter ce personnel et renforcer les mesures de précaution, parmi lesquelles il en est dans le projet auxquelles je donnerai mon assentiment, Mais je ne pourrais consentir à une élévation des droits à l’entrée, puisque, je le répète, elle n’aurait d’autre résultat que d’encourager la fraude.

Voilà ce que j’avais à dire sur le projet de loi en général. J’ai maintenant à adresser à M. le ministre des finances une demande qui se rapporte à l’article 2.

Lorsqu’il s’agit d’une loi pénale, d’une loi fiscale, je pense que la chambre est d’avis avec moi que la prescription du législateur doit être claire, afin que la loi ne soit pas un piège. Je demande donc à être éclairé sur ce point et ce que l’on entend, à l’article 2, par le rayon autour de Maestricht.

Pour ce qui concerne le rayon à la frontière de Belgique, il est déterminé par une loi ; les particuliers auxquels s’appliquent des mesures gênantes savent que c’est à eux que la loi s’applique. Mais le rayon autour de Maestricht, jusqu’où s’étend-il ?

Voici pourquoi je fais cette demande. Si je ne me trompe, le rayon (dit stratégique) autour de Maestricht aurait subi différentes fois des modifications. Si les informations que j’ai reçues sont exactes, M. le ministre de la guerre aurait, il n’y a pas longtemps, consenti à une nouvelle extension de ce rayon sur les exigences du général Bibbets. Or il importe que les communes autour de Maestricht sachent à la charge desquelles d’entre elles seront les dispositions résultant de la loi que nous discutons.

Je ne sais pas jusqu’à quel point sont efficaces les mesures que l’on prend pour prévenir la fraude, soit sur la frontière, soit sur le rayon si variable de Maestricht. J’appelle à cet égard votre attention sur les paroles d’un honorable membre de la chambre qui habite le Limbourg.

Vous savez qu’il existe deux routes militaires : l’une de la Prusse à Maestricht, l’autre de la Hollande à Maestricht ; il y a alors la Meuse qui est libre. A-t-on pris des mesures suffisantes pour prévenir la fraude qu’il est facile de faire par ces différentes voies ?

Prenez-y garde ; car le roi Guillaume est commerçant et n’est pas ennemi de la fraude ; et tâchons de faire une loi efficace et qui ne puisse pas être éludée ; car je rappellerai à la chambre qu’elle a voté des lois qui ont été éludées : il en a été ainsi de la loi qui tendait à empêcher l’introduction du bois dans les forteresses étrangères, notamment dans celle de Maestricht : cette loi avait été portée d’après les plaintes qui s’étaient élevées dans les Flandres. Eh bien, quel en a été l’effet ? Que l’on portait le bois à une petite distance de Maestricht ; que là un petit détachement venait le chercher, et que le bois entrait dans la citadelle, sans payer le moindre droit. Ne votons pas une loi qui soit aussi inefficace que celle-là.

Je me résume et je dis que je suis très disposé à accorder mon vote à la loi sur le bétail pourvu qu’elle protège efficacement utilement et non systématiquement cette branche de l’agriculture. Je le désire d’autant plus que dans le Limbourg les agriculteurs réclament souvent pour que la fraude qui se fait au moyen du rayon de Maestricht, non seulement en bétail, mais en céréales, soit poursuivie. Au moyen d’un acquit à caution on arrive jusqu’à une lieue de Maestricht (car notre bon ministre de la guerre a consenti à étendre le rayon stratégique jusqu’à une lieue de Maestricht), et là on reçoit restitution des droits perçus. Quelquefois cent charrettes par jour arrivent ainsi de la Prusse dans le rayon, où elles s’éparpillent en toute liberté.

La fraude se fait sur tous les points avec une activité vraiment effrayante. Je tiens d’une personne bien informée qu’au bureau de Vaals les recettes ont diminué depuis très peu temps à peu près d’un tiers. La fraude s’exerce non seulement sur les céréales, mais encore sur les denrées coloniales. Mais en supposant que la police de la douane fût bien faite, vous auriez fait une chose inutile si M. Evain étendait encore demain, comme il paraît disposé à le faire à chaque demande du généraI Dibbets, le rayon stratégique actuel autour de Maestricht.

Comme le rayon n’est pas défini par la loi, je désire que l’on spécifie dans le projet en discussion à qui s’appliqueront les mesures douanières que l’on y propose. Il faut que ces explications me soient données pour que je donne mon vote à la loi. Car je n’admettrai jamais des dispositions spéciales qui frapperaient des citoyens sans qu’ils en aient été avertis. J’espère que l’on m’éclairera sur ce point et que l’on me montrera que les précautions seront prises pour que la fraude par les trois voies militaires soit impossible.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demande la parole pour faire observer immédiatement à l’assemblée que presque tout le discours de l’honorable préopinant repose sur une erreur. Il admet comme un fait incontestable, comme un point sans réplique, que la répression de la fraude est le principal but de la loi, que l’existence de la fraude a uniquement donné naissance au projet soumis à vos délibérations. L’honorable préopinant est dans l’erreur. S’il avait été présent à l’ouverture de la discussion, il aurait vu que l’importation du bétail hollandais qui n’a pas été introduit en fraude a fait souffrir à la Belgique un préjudice de plus de 2 millions et demi, et qu’outre la quantité de bétail étranger consommé en Belgique, notre pays supporte encore une perte par le transit de ce bétail par la France.

Tout en démontrant que les considérations émises par l’honorable préopinant reposent sur une base fausse, nous ne contestons pas cependant qu’il n’entre du bétail en fraude. Voilà aussi pourquoi nous avons proposé non seulement une augmentation de droits pour réprimer les importations non frauduleuses, mais encore des mesures tendant à réprimer cette fraude.

L’honorable M. Pollénus s’est appuyé de ce que vient de dire un honorable député des Flandres au sujet de la fraude qui s’exerce dans sa province. Mais l’honorable M. Manilius n’a pas prétendu que le bétail hollandais est introduit en fraude par cette partie de la frontière. Il n’a fait allusion qu’à l’introduction frauduleuse des marchandises. Et en effet il n’entre pas de bétail par les pays malsains dont il a parlé.

M. Pollénus a lancé contre le gouvernement et contre le ministre de la guerre en particulier une accusation que je ne puis laisser sans réponse.

L’honorable préopinant vous dit d’une manière positive que M. le ministre de la guerre, toujours prêt à céder aux exigences du général Dibbets chaque fois que celui-ci voudra étendre le rayon stratégique aux environs de Maestricht, a encore récemment étendu ce rayon.

Avant de lancer des accusations semblables, qui, si elles étaient fondées, dénoteraient chez le gouvernement une condescendance coupable aux exigences de l’ennemi, il faudrait être sûr de ce que l’on avance. L’on n’attaque pas ainsi dans cette enceinte le gouvernement ou un ministre en particulier sans que ces attaques n’aient du retentissement au-dehors et ne nuisent au pays. Si pareille chose était arrivée, l’honorable préopinant aurait sans toute raison de s’élever contre la faiblesse du ministère. Mais il n’en est rien.

Le rayon stratégique de Maestricht est établi depuis 1833. C’est en 1833 qu’il a été fixé en vertu de conventions militaire, qui déterminaient des avantages de part et d’autre. Le chef de l’état-major général a stipulé alors, entre autres, une limite au-delà de laquelle les employés des douanes ne peuvent pénétrer armés. Mais récemment il n’y a pas eu le plus léger changement à ce rayon.

L’honorable M. Pollénus se demande ensuite comment s’exécutera la loi dans les environs de Maestricht, là où le rayon de la douane n’est pas déterminé. Je répondrai que le rayon a été déterminé en 1832 par la loi qui restreint le territoire réservé à un myriamètre. Ainsi les habitants des environs de Maestricht n’ignorent pas s’ils sont ou non hors des limites du rayon déterminé par la loi. Celui-ci restera d’ailleurs tel qu’il est depuis longtemps.

Le même orateur dit que la fraude est extrêmement active dans le Limbourg ; cela est vrai et il ne peut en être autrement à cause de la situation politique de cette province. Une forteresse au cœur du pays, entourée d’un rayon stratégique assez développé, des routes libres au transit ainsi qu’une rivière par où les marchandises trouvent un passage sans entrave, constituent une position telle qu’il serait impossible d’arrêter la fraude lors même que les employés se tiendraient, pour ainsi dire, par la main. Les nombreux procès-verbaux de saisie et de contravention dressés chaque jour par les employés des douanes prouvent l’activité de la fraude ; ils prouvent aussi que leur surveillance est active et que si l’on ne réprime pas entièrement la fraude, ce n’est pas manque de bonne volonté, mais uniquement la disposition particulière des localités.

M. Rogier. - Messieurs, un honorable membre de la commission qui vous a fait un rapport sur le projet du gouvernement, M. Manilius, vient de déclarer, je ne sais pas si c’est en son nom ou au nom de la commission, qu’elle s’était d’abord ralliée au projet du gouvernement, et qu’elle s’y rallie maintenant. Cependant la commission n’a pas déclaré qu’elle se ralliait au projet primitif, puisqu’elle l’a étendu et qu’elle demande une élévation de droits, et même la prohibition, pour d’autres frontières que celles de la Hollande. Il serait très important de savoir si la commission se rallie réellement au projet du gouvernement. Vous sentez combien, dans ce cas, la commission pourrait se préciser. L’on n’examinerait la question que relativement à la Hollande. Si la commission ne se rallie pas, il serait temps qu’elle défendît son opinion.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Une membre de la commission est libre de dire qu’il se rallie au projet du gouvernement sans que pour cela il puisse parler autrement qu’en son nom personnel. Ce serait la première fois dans cette assemblée que l’on verrait un membre déclarer au nom de 12 ou 13 de ses collègues qu’il se rallie au projet du gouvernement. Je pense qu’il n’y a pas lieu de donner suite à la proposition de l’honorable M. Rogier, qui tendrait à provoquer de la part de chacun des membres de la chambre une déclaration sur son opinion individuelle.

M. Manilius. - J’ai voulu dire seulement que l’opinion de la commission se rapprochait de celle du ministre, mais elle propose cependant des amendements.

M. Rogier. - C’est tout ce que je voulais savoir. Du moment que l’honorable M. Manilius n’a parlé qu’en son nom personnel, la commission persiste dans sa proposition.

(Moniteur belge n°335, du 1er décembre 1835) M. Dubois. - Messieurs, ceux d’entre nous qui ont suivi avec quelque attention les différents débats qui se sont élevés dans cette chambre, à l’occasion de quelques lois proposées pour favoriser l’industrie agricole de notre pays, doivent maintenant connaître les arguments et les moyens qu’emploient contre ces lois nos adversaires, les sectateurs d’une liberté illimitée de commerce, les amis des hautes spéculations.

Depuis qu’il s’est agi ici d’économie agricole et industrielle, ils n’ont pas varié. Toujours les mêmes reproches d’incurie et d’ignorance politique, toujours les mêmes appréhensions pour le commerce extérieur, toujours les mêmes craintes pour l’intérieur. On nous dit : Eh quoi, le monde entier marche vers l’affranchissement de toutes entraves commerciales, tous les peuples ouvrent leurs portes, abaissent leurs barrières, bientôt ils congédieront leurs douanes, et vous, vous voulez vous renfermer chez vous, vous voulez vous isoler ; quand tout tend à la liberté, vous rêvez des lois de prohibition ; quand tout autour de vous marche et progresse, vous vous arrêtez et vous restez stationnaires ; vous négociez avec la France, vous voulez obtenir d’elle un traite de commerce favorable ; vos manufactures, votre industrie agricole même le réclament, et vous ne craignez pas d’irriter la susceptibilité de cette puissance, et vous ne craignez pas d’éloigner à jamais toute chance de succès, tout espoir d’arrangement.

Enfin, pour ce qui regarde l’intérieur de votre pays, le sort des prolétaires, des consommateurs, n’est-il pas vrai que vos prohibitions feront monter à un degré intolérable le prix des denrées de nécessité première ? Faut-il enrichir le propriétaire aux dépens de l’ouvrier ? Faut-il favoriser les campagnes au risque de voir régner dans nos villes le désordre ?... On disait tout cela, messieurs, à l’occasion de lois analogues ; on l’a dit aujourd’hui pour combattre la loi sur la sortie des bestiaux, et on redira encore longtemps ces phrases, qui sont là comme le cortège obligé de la longue querelle qui divise l’industrie agricole et le haut commerce.

Toutes ces choses ont été réfutées mille fois, et de mille manières. Ce serait trop long pour recommencer ici. Qu’il me suffise de vous rappeler, messieurs, qu’un fait plus puissant que tous les raisonnements, qu’un fait dont l’importance a été reconnue par nos adversaires mêmes, a justifié nos vues à nous, et nos prévisions ; que les heureux effets de la loi sur les céréales, tant et si amèrement incriminée, ont trompé tous les calculs de nos plus habiles statisticiens, et ont réduit à des proportions ridicules les menaces et les craintes de nos adversaires.

Alors comme aujourd’hui un honorable député d’Anvers voyait dans le projet de loi une atteinte à la liberté du commerce, une tendance manifeste vers la prohibition, qui irriterait gravement nos voisins ; il prédisait la ruine du haut commerce ; il déplorait la détresse future de l’industriel, et cependant la loi a été votée et nos voisins s’en sont peu inquiétés, et le haut commerce n’a pas péri, et le pauvre mange encore le pain au prix qu’il le payait avant la proposition de la loi. Voilà, messieurs, un fait qu’on ne détruira pas ; un fait, qui en économie politique est toujours beaucoup plus exact que des chiffres, et dont chacun de nous peut déduire des conséquences favorables au nouveau projet que nous discutons.

Si les calculs économiques de nos honorables adversaires ont failli, c’est peut-être qu’ils cherchent trop à généraliser leurs idées et leurs théories ; qu’ils ne songent pas assez souvent que la prétendue science politique économique ne consiste encore que dans la science des faits, dans l’art d’apprécier des différences ; que cette science, comme le dit un célèbre publiciste, doit, dans la pratique, procéder bien plus par exceptions que par règles générales. Les théories puisés dans les faits généraux, sans égard aux circonstances qui modifient ces faits à l’infini, séduisent et égarent les esprits les plus justes.

Je viens de dire que nos adversaires sont amis exclusifs de la liberté du commerce ; je ne me suis pas trompé. J’ai pour témoins leurs discours, leurs actes, leurs constants efforts contre tout ce qui pourrait porter atteinte à ce principe. Le croirait-on cependant ! depuis hier l’honorable député de Turnhout a abandonné ce terrain pour prendre une position tout opposée. Il a déclaré que son système est celui de l’immobilité, qu’il est déterminément stationnaire. Au risque de tomber d’une erreur dans une autre non moins grave, il accuse ses adversaires d’être hommes du mouvement, et il a invente à son propre usage le système douanier du statu quo.

Si l’honorable M. Rogier croit ainsi se rapprocher de ceux qui combattent ses principes, il se trompe étrangement. En se déclarant dans cette occasion si hautement défenseur du statu quo, il ne s’est pas aperçu que la question n’est nullement là ; qu’il ne s’agit ni d’avancer, ni de reculer, mais de rétablir notre tarif des douanes relatif à l’entrée des bestiaux, sur les mêmes bases toujours ; que de rendre à une industrie intéressante du pays la protection qu’elle a eue constamment sous le régime hollandais ; de restituer aux herbagers belges un droit de garantie et d’encouragement qu’ils ont toujours possédé, qu’ils ont toujours dû avoir, que les cultivateurs hollandais eux-mêmes, si supérieurs à nous, avaient besoin d’avoir et qu’ils ont encore.

En un mot, il ne s’agit de rien autre que de remplacer l’arrêté du gouvernement provisoire du 7 novembre 1830 par une disposition nouvelle qui rétablisse les droits antérieurement existants sur l’entrée des bestiaux étrangers. Ce serait là, rigoureusement, un régime de statu quo ; mais je crois que ce n’est pas ainsi que l’entend mon honorable adversaire, et puis la nouvelle loi diffère sous beaucoup de rapports de celle qui existait sous le régime hollandais.

Ainsi donc on peut être de nouveau tranquille. Avec la loi telle que nous la propose M. le ministre des finances, on ne dira pas que la Belgique recule en fait de libertés commerciales, qu’elle devient prohibitionniste, parce qu’elle prend des précautions en faveur de ses herbagers et de ses distillateurs contre un gouvernement ennemi et égoïste, contre une concurrence redoutable ; la barrière prussienne ne sera peut-être pas relevée ; nous ne craindrons rien de la France, parce qu’il ne dépendra que d’elle de remédier au mal qu’elle nous imputerait ; les Hollandais ne pourront s’en prendre qu’à leur propre gouvernement ; les bouchers d’Anvers trouveront encore des bêtes maigres pour les engraisser à leur profit, attendu que les herbagers pourront dorénavant nourrir des élèves ; enfin le prix de la viande n’augmentera pas ; nous en avons pour garant toute la durée de l’époque pendant laquelle le gouvernement hollandais lui-même avait interdit l’entrée des bestiaux en Belgique, et celle notamment du séjour de l’armée française sur notre territoire.

Je crois, messieurs, que ces simples considérations doivent suffire pour modifier les intentions de ceux qui conçurent le projet de loi et de ceux qui en soutiennent le principe devant vous.

On a beaucoup parlé du mode d’exécution de la loi ; j’attendrai la discussion des articles pour former mon opinion à cet égard.

Néanmoins, avant de terminer, je dois relever une autre erreur qui est échappée à l’honorable M. Rogier qui, dans le discours qu’il a prononcé avant-hier, crut pouvoir affirmer qu’il n’était arrivé à la chambre des pétitions que d’une province centrale du royaume, du Brabant.

Il y a près d’un an que je remis moi-même sur le bureau de la chambre une pétition des herbagers de Dixmude et du Furn-Ambach, dans laquelle les pétitionnaires exposent les souffrances de cette industrie et la nécessité qu’il y a de venir à son secours. Ils proposent un nouveau tarif pour l’entrée et le transit, et si j’ai bonne mémoire il est à peu de chose près le même que celui que présente le ministre dans son projet de loi.

Au reste, messieurs, il est vrai que chaque membre de cette chambre ne possède pas d’élégants tableaux statistiques, dressés et collationnés avec soin dans l’un ou l’autre ministère, et indiquant la quantité et l’importance du bétail qui a transité par notre pays ou qui a été vendu à l’étranger ; il est vrai que les chambres de commerce du pays n’ont pas été consultées ; mais l’évidence se démontre-t-elle ? En admettant que ces documents seraient d’une importance sérieuse et réelle, ce dont pour ma part je doute fort, car je me défie souverainement de l’exactitude des chiffres et des tableaux statistiques qui trompent presque toujours, faut-il tant de choses, tant d’enquêtes, tant de consultations, pour établir un fait apparent, qui est évident pour tous ceux qui veulent voir, pour tous ceux qui ont l’habitude d’observer ce qui se passe autour d’eux ? Faut-il des renseignements sans fin à nous, députés d’un peuple agricole que l’on doit supposer être quelque peu instruits des besoins des localités que nous représentons ?

Que ceux qui doutent, qu’ainsi l’honorable M. Rogier, laissent pour un instant les chiffres de M. Quetelet ; qu’ils rentrent dans leurs provinces, dans l’intérieur du district qui les envoie à cette chambre ; qu’ils interrogent le premier cultivateur venu et ils retourneront avec la conviction que la nécessité de modifier notre tarif des douanes est une chose vivement et universellement sentie et réclamée.

En vérité, messieurs, il faut être bien décidé à vouloir se perdre dans les théories de la doctrine ; il faut se complaire grandement dans les nuages de la statistique et de la métaphysique économique ; il faut avoir entièrement oublié les choses pour ne pas voir ce qui est vu de tout le monde, pour ne pas sentir ce qui est compris de tous.

(Moniteur belge n°330, du 26 novembre 1835) M. Smits. - C’est une singulière manière d’argumenter que de nous représenter sans cesse comme voulant la liberté illimitée du commerce.

A entendre nos honorables adversaires, nous ne voulons protéger que le commerce. Mais toute autre industrie, nous n’en voulons point. Plusieurs fois dans cette enceinte nous avons soutenu que nous ne sommes pas partisans de la liberté illimitée du commerce, nous avons dit que ce serait une utopie au point où en est la législation commerciale des autres peuples. Tous nos actes ont été conformes à cette profession de foi.

Ce que nous demandons, c’est le statu quo ; sous ce rapport, nous sommes véritablement des stationnaires, mais des stationnaires qui ont la conviction que cet état est favorable à toutes nos industries, et cela nous pourrions le prouver par des preuves officielles et mathématiques.

L’honorable préopinant a parlé de l’opinion que j’ai émise lors du vote de la loi sur les céréales. Eh bien, nous avons soutenu à cette époque que la loi n’aurait aucun effet, même qu’elle serait désastreuse dans ses conséquences pour quelques branches industrielles du pays. L’honorable membre a cité les effets favorables de la loi. Je vous demanderai, messieurs, qui a eu raison de l’honorable préopinant ou de moi.

Voyez, messieurs, le tableau, du prix moyen des céréales en Belgique depuis 1833. Vous verrez si nous n’avons pas eu raison de dire que la loi n’aurait aucun effet pour l’augmentation du prix des céréales.

En 1833, le froment blanc coûtait dans tout le royaume 14 fr. 75 c. l’hect. ; le froment roux, 14 fr. 61 c.

En 1834, le froment blanc coûtait 13 fr. 19 c. ; le froment roux, 14 fr. 53 c.

Dans le premier semestre de 1835, le froment blanc coûtait 14 fr. 13 c. ; le froment roux, 15 fr. 28 c.

Vous voyez donc, messieurs, qu’il n’y a pas eu une augmentation dans le prix des céréales depuis l’époque antérieure à la promulgation de la loi. Au contraire, Il y a eu une légère dépréciation. Mais on dit que la loi a eut le bon effet d’empêcher la baisse du prix des céréales. C’est possible, mais elle a eu, en même temps l’effet d’empêcher l’exportation d’un grand nombre de nos produits industriels.

Lors de la discussion de cette loi, j’ai prouvé, les états de douane à la main, que les treize ou quatorze navires qui sont entrés pendant le premier trimestre de 1834 et qui avaient apporté pour un million environ de valeur, avaient exporté pour au-delà de deux millions de produits industriels. Depuis que le commerce des grains a cessé, ces demandes n’ont plus eu lieu. La loi a donc été contraire à l’industrie et à l’agriculture, en ce sens que l’industrie agricole a besoin qu’il y ait spéculation dans le commerce des grains, pour élever ses valeurs. Aussi longtemps qu’il n’y a pas spéculation les prix ne dépassent pas un certain niveau.

S’il y avait disette en France ou en Angleterre, par exemple, comme le maximum du prix des grains est fixé à 25 francs, les agriculteurs ne pourraient exporter leurs grains, parce que le manque de céréales dans les pays étrangers amènerait bientôt ce maximum. Les agriculteurs seront donc toujours obligés de se contenter du marché intérieur qui ne leur présentera pas des avantages considérables.

Je ne nie pas l’utilité d’une nouvelle législation sur les céréales. Mais je crois que la loi existante ne produira jamais aucun avantage réel aussi longtemps que le maximum et le minimum existeront. Aussi voyez en Hollande, où il est question d’établir une loi sur la matière, on propose un tarif gradué comme en France et en Angleterre ; mais jamais des hommes qui connaissent le commerce des grains ne se sont avisés de proposer l’établissement d’un maximum et d’un minimum.

En voila assez sur ce point.

Quant au projet de loi qui vous est soumis, il porte évidemment le cachet de la sollicitude de l’administration pour le premier de nos intérêts, l’intérêt agricole. Pour ma part, je le déclare, je m’y rallierai volontiers si le ministre consent à opérer une diminution sur le tarif, à réhabiliter le transit et à rendre moins sévères les mesures dans le rayon de la frontière.

Pour ne pas effrayer l’honorable M. Eloy, je ne vous rappellerai plus ce que l’on a déjà fait pour les céréales. Je ne vous parlerai plus de la loi dont je viens de vous entretenir, de la loi sur les distilleries, de la loi sur la péréquation cadastrale dont l’intérêt agricole va jouir bientôt dans sa plénitude.

Je me permettrai seulement d’appuyer les observations de l’honorable M. Rogier, quand il a dit que l’agriculture était dans un état satisfaisant. En effet, tous les produits de la terre ont augmenté successivement de valeur depuis plusieurs années. Ainsi les pommes de terre qui en 1833 et 1834 se vendaient 3 fr. 21 l’hectolitre, se vendent aujourd’hui 4 fr. ; le foin qui valait en 1833 5-30 les 100 kil., vaut aujourd’hui 7-3 ; la paille en 1833 se vendait 3-68, elle se vend aujourd’hui 4-60. Il en est de même de presque tous les autres produits. Le beurre ne s’obtient sur les marchés des grandes villes qu’à un franc le demi-kilo.

Les huiles ont subi une hausse tellement exorbitante que le pauvre ne peut plus en alimenter sa lampe de travail.

M. A. Rodenbach. - Grâce à l’agiotage.

M. Smits. - Que ce soit cette cause ou une autre, il n’en est pas moins que l’huile de lin se vend aujourd’hui 7 et celle de colza 75.

L’on a dit dans la séance d’hier que l’on avait cherché à effrayer l’assemblée lors de la discussion de la loi sur les céréales, en disant qu’il y aurait une espèce de famine causée par la hausse du prix du pain, et qu’en définitive il n’y a pas eu de famine.

Il est vrai qu’il n’y a pas eu augmentation dans le prix des céréales, et c’est ce que nous avions soutenu. Mais en sera-t-il de même à propos de la loi actuelle ? Je ne le pense pas. Déjà, dans la plupart de nos villes, le prix de la viande est de 50 cent. le demi-kilogramme, etc.

Il est à craindre qu’en frappant d’un droit prohibitif l’introduction du bétail étranger, vous ne fassiez renchérir le prix d’un aliment nécessaire à la classe ouvrière. L’on a dit que l’on remédierait à ces fâcheuses conséquences en forçant les villes à ne pas trop imposer les comestibles à l’entrée, et qu’il devrait y avoir un rapport entre les droits du gouvernement et l’octroi des villes.

Je suis tout à fait de cet avis, et je crois qu’il faudrait limiter toute imposition municipale sur les objets de consommation à la moitié de la taxe imposée par le gouvernement. Telle était la règle suivie autrefois. Mais s’il est essentiel de la rétablir dans le plus bref délai, ainsi que l’a dit le ministre des affaires étrangères, (car il y a des villes où l’exercice de toute industrie deviendra bientôt impossible), il n’est pas moins vrai que la cherté de la viande existera en attendant.

Quand on veut frapper des objets de première nécessité, il importe de ne pas perdre de vue que la Belgique n’est pas seulement un pays agricole, mais également un pays industriel. Or, notre intérêt industriel veut que nous écoulions nos produits au dehors. Pour cela il faut que la main-d’œuvre, les matières premières, les éléments du travail soient tels qu’ils puissent lutter avantageusement avec les étrangers sur les marchés étrangers. Or, quand vous aurez augmenté le prix des objets de première nécessité, il faudra que le taux des salaires suive la même proportion, et dès lors vous enlèverez à la Belgique l’avantage qu’elle peut avoir sur les autres nations, car il faut remarquer que c’est dans nos villes que ces augmentations se font sentir, que ce sont nos villes qui renferment les populations industrielles.

J’ai dit que je craignais que l’élévation excessive du droit sur le bétail ne nuisît à d’autres branches de la prospérité publique ; et cette crainte, je l’ai exprimée comme un fidèle et loyal député, qui doit avant tout considérer les intérêts généraux, c’est-à-dire l’intérêt commun du pays.

Je crois cependant ne pas me tromper. Mes craintes me paraissent assez justifiées par les documents statistiques qui sont sous presse et qui recevront bientôt la publicité. Par ces documents, la Belgique verra si on a négligé ses intérêts matériels, si nous sommes ou non en voie de prospérité ; elle se convaincra qu’à aucune époque elle n’a été dans une voie aussi prospère qu’aujourd’hui. Si donc nous sommes dans cette voie de prospérité, il faut prendre garde de l’encombrer et être bien prudent, bien sévère, pour les mesures à prendre.

Ce n’est pas ici le moment de vous présenter le tableau de nos rapports commerciaux, mais je vous demanderai la permission de vous parler de la partie de ces rapports qui ont trait à la loi en discussion.

Pour ce qui concerne notre commerce de bestiaux avec la France, nous trouvons qu’en 1831 notre exportation vers la France a été de 80,113 pièces de bétail, et la France ne nous en a envoyé que 763.

En 1832, la France nous a pris 101,152 pièces, et ne nous en a donné que 104. En 1833, nous avons exporté 111,171 pièces, et la France en a importé chez nous 117. En 1834, nous avons fourni à la France 135,458 pièces, et nous en avons reçu 135. De sorte que, sur ces quatre années, nous avons eu un excédant d’exportation vers la France de 417,374 pièces de bétail. Cette exportation augmenterait encore si la France baissait son droit qui est aujourd’hui de 50 fr. par tête. Je vois M. le ministre des affaires étrangères qui fait un signe de dénégation. Cela me paraît évident, et ne peut pas faire l’objet d’un doute.

J’espère et j’ai l’espoir fondé que le gouvernement français tâchera de diminuer son tarif. Mais si nous élevons le nôtre au niveau du sien, il est à craindre que ce gouvernement ne rencontre des obstacles dans son parlement. Car vous savez, messieurs, que dans les chambres françaises, il y a plusieurs personnes qui ont toujours insisté pour l’augmentation du droit à l’entrée du bétail.

Si donc nous élevons notre tarif, ces membres s’appuieront sur notre faute, pour refuser la diminution que nous pourrions demander.

Maintenant, examinons notre situation commerciale, sous le rapport du bétail, vis-à-vis de l’Allemagne.

L’Allemagne nous a importé, en 1831, 1,138 pièces de bétail, et nous lui en avons envoyé 30,329. En 1832, nous en avons reçu 1,880 et nous lui en avons donné 27,230. En 1833, elle nous en a fourni 3,684, et nous lui en avons importé 30,136. En 1834, nous en avons reçu 10,066, et nous lui en avons donné 45,160. La différence en notre faveur, en quatre années, est de 117,177.

Vous voyez qu’ici encore il pourrait être imprudent d’élever trop fortement notre tarif. Car je prie l’assemblée de croire que je ne m’oppose pas à une augmentation raisonnable qui ne soit pas de nature à provoquer des mesures de représailles de la part des pays avec lesquels nous sommes en bonnes relations.

Ce que je désire démontrer, c’est que nous devons d’autant moins mettre nos droits à un taux excessif que nous tirons de la Prusse les bœufs de labour dont nous avons besoin. Par une trop grande élévation de notre tarif, vous frapperiez notre agriculture en les privant de ces animaux de travail dont elle a besoin.

Messieurs, c’est à tort que quelques membres présentent comme insignifiant notre commerce avec la Hollande ; et pour ne parler que du commerce de bétail, voici notre situation telle qu’elle résulte des importations et exportations constatées depuis notre séparation. En 1831 la Hollande a importé chez nous 1,112 pièces de bétail, nous lui avons rendu 15,621 pièces ; en 1832, elle a importé 1,063 pièces et nous lui en avons donné 17,368 ; en 1833, nous en avons reçu 3,648 et nous lui en avons donné 18,026.

Enfin, en 1834, elle nous a pris 10,101 pièces, et nous en a donné 17,584.

Si la Hollande nous a donné plus de bétail qu’elle n’en a reçu en 1834, cela vient de ce qu’elle a permis pendant cette année l’exportation de son bétail vers la Belgique. Là, la balance commence à nous être défavorable, c’est ce qui m’engage surtout à consentir à une augmentation de droit, toujours dans certaines limites.

Maintenant, il faut que je dise que l’augmentation que vous avez aperçue dans les exportations vers la Hollande consiste en veaux, cochons, agneaux, etc. ; mais il n’est pas moins vrai que c’est un commerce qui intéresse notre agriculture.

Maintenant, pour établir notre véritable situation, il faut voir la différence qu’il y a entre les importations et les exportations de gros bétail, c’est-à-dire bœufs, taureaux, vaches et génisses

En 1831, nous avons reçu de la Hollande 1,008 pièces de gros bétail, et nous y en avons envoyé 417. En 1832, nous avons reçu 170 pièces, et nous avons donné 2,504. En 1833, nous en avons importe 1,584 pièces, et nous en avons exporté 2,865.

Enfin en 1834, nous avons reçu 8,979 pièces, et nous en avons donné 2,976. Ainsi, pendant les années 1832 et 1233, nous avons envoyé en Hollande plus de grosses pièces que nous n’en avons reçu, et en 1833 et 34, la Hollande nous en a donné plus qu’elle n’en a pris.

Maintenant, appliquant à ces données statistiques les calculs posés par M. le ministre des finances, je trouve que la Hollande nous a importé pendant les 4 dernières années, pour une valeur de 2,755,570 fr. et qu’elle a exporté de chez nous pour 3,091,320 fr., ce qui établit une différence en notre faveur de 335,750.

Ici je dois faire une observation, car il faut établir les comptes dans leur vérité.

Ce calcul diffère de celui du ministre des finances. Et voici en quoi : c’est que le ministre a compris dans ses évaluations le transit, parce que, a-t-il dit, ces bestiaux qu’on a fait transiter de la Hollande pour aller en France, on les aurait achetés sur nos marchés.

Voilà la différence qui existe entre nos calculs et ceux du ministre.

Messieurs, j’ai voulu vous exposer cette situation, parce que quelques membres paraissaient croire que nos relations avec la Hollande étaient insignifiantes. J’ai cru, pour éclairer l’assemblée sur ce point, devoir lui faire connaître les détails dans lesquels je viens d’entrer, afin qu’ils servent de guide à nos délibérations.

Moi aussi, messieurs, je désire protéger l’agriculture, c’est le premier de nos devoirs. Je voterai toute loi proposée dans le sens indiqué par plusieurs honorables collègues, c’est-à-dire avec des droits moins élevés que celui qu’on propose, avec la réhabilitation du transit et avec un adoucissement aux mesures peut-être trop sévères qu’on a cru devoir provoquer.

M. Mast de Vries. - Messieurs, une des principales objections qui aient été faites par les adversaires du projet de loi qui nous occupe, est celle de dire que le résultat de la loi serait une augmentation sensible sur la viande de boucherie.

Si cette objection était sérieusement fondée, messieurs, nous devrions refuser la loi. Car votre vote priverait plus ou moins l’ouvrier d’une nourriture dont il peut difficilement se priver.

Mais, messieurs, des chiffres à la main, je crois pouvoir détruire les craintes qu’on a élevées à cet égard. En effet, messieurs, quelle est la demande que vient de faire M. le ministre des finances ? C’est de porter le droit de fr. 21-16 actuel à 50 fr., en d’autres termes une majoration de 28-84. Eh bien, messieurs, appliquons ce chiffre à un bœuf, par exemple, de 800 livres, et la majeure partie sont d’un poids plus élevé, la majoration sera donc de 3 1/2 centimes.

Je ne sais où certains journaux ont trouvé que la majoration proposée élèverait le prix de la viande de 17 1/2 centimes.

Si on n’adopte pas des mesures efficaces pour arrêter la fraude, comme le fraudeur vend à meilleur marché que celui qui fait honnêtement et tranquillement son commerce, cette majoration sera réduite à 2 1/2 centimes par livre, et si nous appliquons ce calcul à celui fait par un honorable membre sur le bétail introduit, l’augmentation ne sera plus que d’un demi-centime sur la masse générale de la consommation.

Aujourd’hui, la majeure partie de nos cultivateurs ne peut pas se défaire de ses bestiaux, tandis que nos bouchers font des bénéfices énormes. Ces bénéfices varient de 50 à 60 p. c.

Je dirai que chez moi, où il n’y a pas d’octroi, nous payons la viande 50 centimes la livre, comme on la payait quand l’abattage existait.

Je ferai une autre observation. Si on rejette la loi, les choses resteront dans l’état où elles se trouvent, et il en résultera que les cultivateurs, ne trouvant pas à se défaire de leurs bestiaux, n’en élèveront plus qu’en proportion de leurs besoins. Alors l’étranger sera en pleine possession de nos marchés et nous fera subir l’augmentation de prix que nous voulons éviter. Et si nous avons le malheur d’avoir la guerre, ce qui n’est pas impossible, nous n’aurions peut-être pas assez de bestiaux pour notre consommation intérieure.

Quant à moi, je recule devant ces considérations, et je crois devoir voter pour le projet de loi en demandant toutefois qu’on supprime une partie des mesures trop rigoureuses qu’on a cru devoir introduire.

M. Zoude. - J’avais demandé la parole, mais j’y renonce pour le moment. Je me réserve de parler lors de la discussion des articles.

M. Desmet. - Messieurs, je dois vous avouer que je m’étonne que dans ce moment on puisse contester l’utilité de la mesure que nous propose le gouvernement. Je pensais qu’elle aurait eu un assentiment général, j’avais le droit de le croire, car je ne puis voir qu’on saurait raisonnablement contester que la correction que le gouvernement veut porter au tarif actuel à l’égard du bétail étranger est une mesure doublement utile et entièrement dans l’intérêt du pays.

D’abord elle empêchera qu’une grande quantité de numéraire ne sorte de Belgique pour allez fournir les coffres d’une nation ennemie, laquelle nation prend journellement contre nous des mesures tellement rigoureuses et hostiles que rien, absolument rien de nos productions dont elle n’a pas nécessairement besoin ne peut entrer sur son territoire. Quand elle agit contre nous en ennemie, serait-il bien politique et prudent de la traiter comme amie ?

En second lieu, cette mesure offrira-t-elle de grands avantages à notre agriculture ?

Cela n’est pas moins évident et peut facilement se démontrer, car c’est un fait constant que la grande quantité de bétail gras étranger qui encombre et gâte nos marchés, la fait beaucoup souffrir, en empêchant nos distillateurs et cultivateurs d’engraisser le nombre des bestiaux nécessaire pour fournir à leur culture la quantité de fumier dont elle a besoin.

L’honorable ministre des finances vous a présenté un calcul par lequel il vous a fait voir que le bétail étranger de toutes espèces faisait sortir annuellement du pays pour 4 millions de francs. Vous avez remarqué, messieurs, que le calcul de M. le ministre n’était fait que d’après la quantité de bétail qui était entrée en payant les droits ; cependant il est certain qu’une très grande quantité entre en fraude, et je n’hésiterai point à doubler la somme établie par M. le ministre et à porter le numéraire que nous transportons annuellement en Hollande, pour le bétail gras, au-delà de 7 millions. Et ce calcul, messieurs, ne vous paraîtra pas exorbitant, quand vous apprendrez que sur le marché seul de Bruxelles arrivent hebdomadairement au-delà de 300 bêtes grasses de Hollande. En fixant donc le nombre de 400 bêtes hollandaises qui entrent semaine commune en Belgique et qui se présentent sur les marches de Bruxelles, Anvers, Malines, Liège, Gand, Lokeren, etc., je resterai encore en dessous de la réalité.

J’aurai donc pour l’année un nombre de 20 à 21 mille bêtes, à 300 fr. par tête, ce qui fait une somme de plus de 6 millions de fr. pour l’entrée seule des bêtes à cornes.

Le plus chaud adversaire du projet du gouvernement est le député de Turnhout ; non pas l’honorable commissaire du district de ce nom, mais l’honorable fonctionnaire qui a l’administration de la province où ce district se trouve.

Dans les considérations générales que M. Rogier a fait valoir dans la séance d’avant-hier, pour combattre le projet et refuser à l’agriculture la protection qu’elle a droit d’attendre de la chambre belge, il a fait pour première objection que dans ce moment il était très impolitique d’entraver l’entrée du bétail hollandais, vu que les Hollandais commençaient à recevoir beaucoup de nos denrées et de nos produits de fabrication.

Messieurs, ne vous y trompez point, ce que les Hollandais nous enlèvent n’est guère de quelque importance en comparaison de ce que nous prenons d’eux et prenez attention que ce qu’ils viennent prendre chez nous, c’est ce dont ils ont nécessairement besoin et rien d’autre chose ; et vous pouvez être assurés que ce qu’ils viennent chercher dans ce moment, ils le viendront encore chercher quand on aura mis à exécution la loi ; car ils en ont besoin, et ne peuvent s’en passer.

Mais pour tous les produits de notre fabrication dont ils n’ont pas besoin, au lieu de les laisser entrer plus librement, ils augmentent tous les jours les entraves, et en empêchent plus rigoureusement l’entrée. Consultez à ce sujet ceux qui fréquentent et commercent avec la Hollande, ils vous affirmeront ce que j’avance.

Je peux citer en témoignage deux fabriques d’indiennes de la ville d’Alost, qui ont des maisons de commerce en Hollande ; on m’a assuré que depuis plus d’un an la surveillance est tellement augmentée aux frontières qu’il est pour ainsi dire impossible de faire passer quelques produits dans l’intérieur de la Hollande.

Il n’est que trop constant, et je crois que l’honorable M. Rogier, par les fonctions qu’il remplit dans une province limitrophe, devrait le savoir plus qu’un autre, que la Hollande défend l’entrée de tous nos produits dont elle n’a pas nécessairement besoin, et nous autres, toujours dupes, nous acceptons presque tous les produits qu’elle a intérêt de laisser sortir ; non seulement le bétail gras, mais aussi son poisson ; car, quoi qu’en disent quelques honorables membres députés de la province d’Anvers, c’est toujours du poisson hollandais qui entrer dans leur port et jamais du poisson pris par des Belges, et en outre quantité d’autres denrées et produits, que journellement une centaine de bateaux hollandais transbordent en face du Doel et de Lillo.

L’honorable membre reproche encore au ministre et au gouvernement de ne pas avoir consulté, avant d’avoir présenté son projet, le bureau de l’industrie et du commerce, les chambres de commerce, les commissions d’agriculture, les professeurs de l’école vétérinaire, et je ne sais qui encore M. Rogier voudrait que le gouvernement eût consulté.

Moi au contraire je fais un reproche au ministre de ne pas avoir fait plus d’instances dans la dernière session, pour que le projet y eût pu être discuté, car la mesure eût pu être plus efficace, et notre agriculture en eût déjà ressenti des avantages ; et que l’honorable contradicteur se tranquillise, le pays ne sera pas pris au dépourvu, car la nation entière est étonnée que le gouvernement ne songeait pas à présenter des mesures pour empêcher l’entrée du bétail gras hollandais.

Nous savons du reste que toutes ces propositions de consultation sont des moyens d’ajournement, ce dont le pays se soucie fort peu ; il veut qu’on agisse et se soucie fort peu de théorie pour ajourner et remettre une bonne mesure, et que par ces prétextes on serve continuellement les intérêts des Hollandais au détriment des nôtres.

L’honorable M. Rogier nous a dit aussi, dans ses considérations générales, que dans la province qu’il administre, les bouchers et quelques agriculteurs font sortir de Hollande du bétail maigre pour engraisser, et que, par conséquent, la mesure proposée nous fera beaucoup de tort.

*>Vraiment, je suis on ne peut plus étonné qu’on soit à Anvers même si peu informé de la chose. Consultez cette fois-ci, je dirai à l’honorable M. Rogier, et vous apprendrez de tous côtes que les Hollandais ne nous envoient presque pas du tout de bêtes maigres ; ils en ont besoin pour les engraisser, soit sur les pâturages, soit dans les distilleries ; nous ne recevons de la Hollande que des bœufs gras en plus grande quantité et quelques génisses pleines.

Les Hollandais sont plus adroits que de nous laisser arriver des bêtes maigres ; ils savent trop que nos distilleries en ont besoin ils savent trop que nous les cherchons, et c’est un motif pour eux de ne pas les laisser sortir.

L’honorable M. Rogier ne s’explique pas comment on peut faire entrer en fraude du bétail ; ce n’est pas un petit paquet ou une pacotille qu’une bête à cornes, dit-il ; c’est un objet assez lourd et assez perceptible pour qu’on ne puisse facilement le faire entrer en fraude.

Si l’honorable membre eût consulté les administrations des communes frontières de sa province, elles lui auraient appris que rien n’est plus facile que la fraude du bétail si on ne prend pas d’autres mesures pour la défendre que celles qui existent dans ce moment ; et, à ce sujet, l’honorable membre n’est pas d’accord avec son collègue de Turnhout, qui a signalé la grande fraude qui se faisait.

L’honorable membre reproche encore au gouvernement qu’il n’a pas choisi un bon moment pour châtier, en présentant le projet, les habitants des villes et favoriser les agriculteurs. Je crois que le châtiment ne sera pas très pénible, et je laisse l’honorable contradicteur consulter les villes comme les campagnes, et je n’hésite point à déclarer que partout il rencontrera une grande majorité qui applaudira au projet et rendra grâce au gouvernement qu’il propose de telles mesures de protection pour l’agriculture.

Car quand l’agriculture souffre, on le ressent aussi bien dans les villes qu’à la campagne, et je ne pense pas que l’honorable membre voudrait mettre en doute que l’agriculture est la base de l’édifice social et la source de toutes les richesses et de toutes les industries, et quand elle prospère, toutes les branches de l’industrie et du commerce sont florissantes.

L’agriculture peut seule sans commerce extérieur faire fleurir une nation pendant des siècles, tandis que le commerce extérieur sans agriculture ne procure aux peuples qui s’y livrent qu’une prospérité passagère peu durable.

L’honorable M. Rogier a encore fait le reproche au gouvernement que son projet allait faire souffrir le consommateur et faire monter le prix de la viande à un taux exorbitant.

Je crois que l’honorable membre peut se tranquilliser, la viande ne sera pas hors de prix en adoptant la mesure bénévole que le gouvernement propose en faveur de l’agriculture. Si ce n’est dans quelques villes où la viande est partout sans prix, on la donne pour ce qu’on peut avoir, jusqu’à moins de 10 centimes la livre.

On a vu pendant les deux années que les Hollandais, pour encore une fois nous faire du mal, ont défendu la sortie du bétail gras vers la Belgique, et au moment même que nous avions deux armées dans le pays, le nôtre et l’auxiliaire de France, que la viande n’a pas baissé de prix, et quoique quelques bouchers d’Anvers aient adressé à la chambre une pétition contre le projet, je suis certain que la grande majorité des bouchers du pays y applaudiront, car dans ce moment on peut dire qu’il n’y a point de marché pour la viande ; le métier de boucher est absolument gâté, tout le monde abat du bétail et en fait faire le débit par de petits bouchers, qui livrent la viande en ville comme à la campagne à tout prix.

Il faut bien le faire ainsi, quand à cause de l’énorme masse de bétail hollandais qui entre dans le pays, ni distillateur, ni cultivateur ne peut plus vendre.

Non seulement que le bétail gras est descendu au prix de 25 pour cent, et le bétail médiocre à 40 pour cent, encore on ne peut s’en défaire ; et c’est ici où se fait le plus grand tort, c’est que la concurrence hollandaise a entièrement gâté notre marché de l’intérieur ; quand notre bétail est gras, et doit quitter le pâturage ou sortir de l’étable du distillateur, on ne peut le vendre, on doit le conserver avec perte, ce qui entrave extraordinairement cette industrie.

En finissant, l’honorable contradicteur, nous a fait le reproche d’être des imprudents réformistes, mais des réformistes qui marchaient à reculons ; et nous autres, disait-il, nous sommes de sages et prudents conservateurs et stationnaires.

Je ne sais si cet éloge que l’honorable M. Rogier se donne à lui-même, sera répété par la nation. Je pense que le pays entier est convaincu que notre tarif actuel est vicieux et contraire aux intérêts nationaux ; je pense aussi que le pays entier applaudira à la mesure que le gouvernement nous propose, pour user de représailles envers nos ennemis.

Et, tout en disant qu’il fallait conserver ce qui existait, vous devez remarquer, messieurs, que l’honorable membre a proposé divers changements au tarif actuel, et dans ceux même qu’il a proposés, je pense encore qu’il n’aura pas beaucoup de partisans à son opinion, car, si je ne me trompe, il a proposé des modifications pour faciliter la sortie de quelque matière première, comme, par exemple, les peaux fraîches ; je crois que les tanneurs lui prouveront que sa proposition, sans procurer des avantages aux cultivateurs, feront beaucoup de tort à leur industrie. En France et en Prusse les peaux fraîches sont fortement imposées à la sortie, tandis que l’entrée en est libre.

Je crois pouvoir dire donc que l’honorable membre n’est pas toujours conservateur et stationnaire, comme il aurait voulu le faire croire un instant, et si, dans sa réformation, il croit ne pas marcher à reculons et agir contre les intérêts du pays, nous en laisseront juges la nation et ses diverses espèces d’industriels.

Quant à l’objection qu’on a faite que pendant l’époque de notre réunion à la Hollande, on ne se plaignait point quoique le bétail de la Hollande entrait alors librement, je répondrai que si on ne faisait pas entendre de plaintes particulièrement à l’égard du bétail, c’est parce qu’on en faisait en général sur l’anéantissement de nos distilleries ; on ne pouvait se plaindre qu’on ne savait que faire du résidu des distilleries et qu’on ne pouvait engraisser avec avantage du bétail, parce que, ne pouvant distiller on n’avait pas trop de résidu et on ne devait pas chercher à engraisser le bétail. Mais à cette époque les distillateurs qui ont pu continuer à distiller se plaignaient aussi qu’ils ne pouvaient vendre avec avantage leur bétail gras en Belgique ; ils étaient forcés de faire entrer leur bétail en France et de payer le droit prohibitif de 50 francs par tête ; je pourrais citer à l’appui de ce que j’avance la maison de frères Dooms à Lessines, qui transportaient tout le bétail de leurs étables en France.

On doit aussi considérer que, pendant l’union à la Hollande, le bétail maigre de Hollande entrait en Belgique et était en prix plus proportionné avec le bétail gras ; il y avait moins de perte en engraissant. Les Hollandais dont les distilleries florissaient alors, n’étaient point forcés de donner à si bas prix leur bétail gras qu’aujourd’hui, et à l’exportation ils ne jouissaient point de la prime de sortie, comme ils en profitent aujourd’hui, ce qui augmenter beaucoup la facilité de leur vente, en y trouvant un moyen de diminuer le prix.

Pendant l’époque de notre réunion, la viande a successivement été à très haut prix ; en 1829, sans aucun motif connu, elle se vendait à Bruxelles 1-50 le kilogramme, tandis qu’au moment de la révolution, et quand le gouvernement hollandais avait défendu l’entrée du bétail gras en Belgique, le prix ne surpassait pas un franc.

Je dois quelques mots de réponse à l’honorable député d’Anvers, chef de notre bureau d’industrie et de commerce ; je vous dirai que cela ne m’étonne point que l’honorable membre se soit prononcé contre le projet du gouvernement, car nous avons tous la conviction que l’agriculture et l’industrie nationale ne trouveront jamais un défenseur dans le chef du bureau de l’industrie ; je respecte beaucoup l’opinion de l’honorable membre, mais je n’hésite pas de déclarer que c’est bien triste et déplorable pour le pays d’avoir une telle opinion systématique dans un bureau qui devrait uniquement s’occuper à faire faire des progrès à l’industrie nationale ; et certes ce n’est pas une école qui convient à notre pays.

L’honorable chef du bureau de l’industrie veut bien adopter le projet du gouvernement, mais à condition que les mesures d’exécution soient beaucoup modifiées et que surtout le transit ne soit pas prohibé.

Messieurs, nous avons tous compris les intentions de l’honorable membre : il veut bien une loi, mais il ne veut pas que vous preniez les moyens de la mettre à exécution ; c’est-à-dire que pour votre prospérité et l’intérêt de votre pays, vous devez conserver un statu quo qui est favorable à notre ennemi et qui nous fait beaucoup de mal ; si c’est ainsi que l’honorable membre veut servir son pays et travailler dans l’intérêt général de la nation, je ne sais si cette même nation partagera l’opinion de l’honorable M. Smits.

Je ne relèverai pas toutes les allégations que l’honorable membre nous a faites, et surtout dans ses calculs ; je n’ai pas eu le temps de les vérifier, mais si je dois en juger par ce qu’il nous a dit concernant les bœufs de labour, je pourrais lui dire qu’il est mal informé et nous a communiqué des renseignements erronés, car il est très inexact d’avancer que tous les bœufs dont nous nous servons pour labourer nous arrivent de Prusse ; nous savons tous le contraire.

Messieurs, je n’en dirai pas plus sur le projet, je n’ai voulu discuter que son principe ; pour ce qui concerne l’économie des articles et les moyens que nous devrons employer pour mettre efficacement la mesure à exécution, je me réserve de faire mes observations quand on la mettra en délibération, et je crois que nous pourrons alors tranquilliser les honorables MM. de Longrée et Jullien, et diminuer leur peur panique sur les mesures que le gouvernement nous propose d’adopter contre l’entrée du bétail hollandais. Et tout en appuyant ce que vous a dit l’honorable M. Andries que l’acquit à caution doit être remplacé par la marque du fer rouge, je me réserve aussi d’en parler quand on discutera les articles qui contiennent ces dispositions.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je demande la parole.

Le Roi m’a chargé de vous présenter un projet de loi autorisant un transfert au chapitre VIII du budget de mon département.

L’article unique de ce projet est ainsi conçu :

« Une somme de cent mille fr. est transférée de l’article premier, chapitre VIII du budget de la justice, à l’article 6 du même chapitre. »

Un exposé de motifs détaillé, accompagné de quelques pièces à l’appui, justifie ce transfert.

Je le dépose sur le bureau.

Je prie cependant la chambre de me permettre de dire quelques mots pour lui faire connaître l’objet de ma demande.

Au budget de 1835, une somme de 735,000 francs avait été portée à l’article premier du chapitre VIII pour la nourriture et l’entretien des prisonniers ; sur cette somme il a été fait une économie de plus de cent mille francs. Au même chapitre une somme de 950,000 fr. a été portée pour achat de matières premières nécessaires aux travaux des prisonniers et pour leurs salaires. Cette somme est épuisée et je viens vous demander les moyens de ne pas suspendre les travaux des prisonniers.

Je viens vous demander de convertir une somme devenue une dépense improductive en une somme qui aura pour but des dépenses productives ; bien plus ce n’est pas une dépense que je demande de pouvoir faire, c’est une avance que je réclame à charge de restituer plus que vous n’aurez alloué, car la matière première sera convertie en matière ouvrée.

J’espère que d’après ces considérations, vous renverrez le projet à la section centrale chargée d’examiner le budget du ministère de la justice pour l’exercice de 1836 ; elle pourra dans un bref délai présenter un rapport sur la loi que je vous soumets.

M. Gendebien. - Peut-être vaudrait-il mieux nommer une commission spéciale pour examiner cette loi !

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La section centrale fera l’office de commission spéciale ; elle a les documents nécessaires pour examiner la loi et son travail pourra être très prompt.

- La proposition de M. le ministre de la justice ou le renvoi du projet à la section centrale chargée d’examiner le budget du ministère de la justice est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi relatif aux droits sur les os

Dépot

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je viens vous présenter un projet de loi portant prorogation de la loi sur l’entrée, la sortie et le transit des os ; cette loi expire au 31 décembre prochain, il faut qu’elle soit renouvelée avant cette époque.

- La chambre renvoie le projet à la commission d’industrie.

Projet de loi relatif aux droits sur les bestiaux

Discussion générale

M. le président. - M. Desmaisières, rapporteur, a la parole pour résumer la discussion.

M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, après les discours lumineux qui ont été prononcés dans les séances d’avant-hier, d’hier et d’aujourd’hui, en faveur du projet de loi, il me reste peu de chose à dire pour justifier les opinions et les votes émis par la commission d’industrie au nom de laquelle j’ai eu l’honneur de vous présenter mon rapport ; aussi je n’aurais pas pris la parole dans la discussion générale, si je n’avais pas cru de mon devoir de répondre aux reproches, aux sarcasmes mêmes, qui ont été dirigés contre mes honorables collègues et moi, par un seul membre de cette assemblée, il est vrai, et celui qui s’est posé en véritable contradicteur du principe de la loi.

Je dirai d’abord que je ne sais si cet honorable membre a fait preuve de politique prudente en disant que les marchés de la Hollande sont fournis en grande partie par les produits agricoles et industriels de notre pays : toutefois je puis assurer qu’il est loin d’en être ainsi ; et les arrêtés du roi Guillaume, arrêtés qui, quoi qu’on en dise, sont rigoureusement exécutés, ne tardent pas à prouver les assertions de cet honorable membre.

On a témoigne le plus grand étonnement de ce que ni la commission d’industrie, ni le ministre n’avait produit des documents statistiques à l’appui du projet de loi et à l’aide desquels il aurait fallu démontrer le malaise de l’industrie concernant le bétail : à cela je répondrai, comme j’ai déjà eu l’honneur de le faire dans une autre occasion : c’est que j’ai peu de foi dans tous les documents statistiques, qui, pour la plupart, sont préparés tranquillement dans le cabinet, et de manière à faire prévaloir l’opinion que l’on défend. Je ne connais de documents statistiques vrais et réels, en fait d’importation, d’importation et de transit, que ceux qui sont produits par le ministère, et relevés sur les importations, les exportations et le transit régulier, c’est-à-dire sur ceux qui ont lieu sans fraude. Dès qu’il y a fraude, et c’est ici formellement le cas, ces documents statistiques sont nécessairement très incomplets et ne peuvent rien prouver.

D’ailleurs, messieurs, est-il donc si nécessaire d’avoir ces documents pour se convaincre du malaise général que ressent le pays, en ce qui touche l’industrie du bétail ? Chacun de nous n’est-il pas à même d’interroger les bouchers de sa localité et d’en apprendre que la plus grande partie des bestiaux qu’ils débitent viennent de l’étranger.

Si l’honorable membre auquel je réponds dans ce moment, s’était donné la peine de s’arrêter quelquefois au marché de Malines ; à ce marché, le plus important du pays, et qui est situé dans la province qu’il administre ; à ce marché qu’il traverse très souvent ; si, dis-je, il s’y était arrêté un moment, il aurait appris de la bouche même des marchands de bestiaux, et de la plupart des bouchers du pays qui le fréquentent, que la plus grande partie des animaux qui s’y vendent venait de la Hollande.

M. A. Rodenbach. - Ce sont les Hollandais eux-mêmes qui les vendent.

M. Desmaisières, rapporteur. - Ma conviction sur le sujet qui nous occupe est formée d’une manière inébranlable. Si elle pouvait être ébranlée le moins du monde, ce serait par la contradiction manifeste qui existe entre les deux honorables représentants de Turnhout. L’un, administrateur du district de Turnhout, nous a dit qu’il y avait malaise et que le malaise était porté à ce point qu’il y avait urgence de voter la loi ; et il nous l’a fait avec tout le district de Turnhout ; l’autre nous a dit qu’il n’y avait pas malaise ; en vérité, j’éprouverais quelque embarras à me prononcer ici entre deux autorités à la fois si respectables et si compétentes, si l’opinion du second en fait de système commercial ne nous était connue pour être favorable à la liberté de commerce quand même.

Il est vrai que cet honorable membre n’a pas encore eu le courage de manifester ouvertement cette opinion ; mais toujours est-il que tous ses discours, que tous ses votes tendent à faire prévaloir ce système.

Il y a quelques années, les politiques de la doctrine nous disaient : « Les Français viennent assiéger la citadelle d’Anvers, viennent bombarder, blesser, tuer même les Hollandais ; toutefois les Français ne font pas la guerre aux Hollandais. » Que nous disent aujourd’hui les doctrinaires en fait de commerce ? Ils nous disent : « Vous vous plaignez de ce que l’agriculture souffre en Belgique : voulez-vous un moyen de la faire prospérer ? admettez chez vous tous les produits agricoles de l’étranger et ne vous embarrassez pas si l’étranger repousse vos produits. » Messieurs, il n’y a que des doctrinaires qui soient capables de comprendre ces principes-là ; et comme je ne suis pas doctrinaire vous me permettrez de ne pas chercher à les expliquer.

Je dirai seulement que je suis partisan de la liberté réciproque du commerce, mais non de la liberté du commerce quand même, dont je suis l’ennemi. J’ajouterai que le seul moyen de voir arriver pour nous la liberté réciproque du commerce, c’est de prendre une position, et une forte position dans le système qui régit actuellement l’Europe entière.

Loin de moi de reprocher à l’honorable membre de se montrer, quoique fonctionnaire public, opposé aux vues du ministère ; je crois son opposition consciencieuse, je n’en fais pas de doute ; je le crois de bonne foi, et cette opposition lui fait selon moi le plus grand honneur. Toutefois vous savez, messieurs, que cet honorable membre n’a pas toujours partage mon opinion sur ce point.

Nous sommes, a-t on dit, réformateurs à reculons. Eh ! messieurs, que faisons-nous cependant ? Nous ne faisons que continuer la réforme commencée dans les dernières années de notre réunion à la Hollande, la réforme arrachée alors au gouvernement hollandais par les réclamations parties de tous les points du royaume ; et cette réforme, messieurs, est la seule qui puisse nous conduire à celle que désire notre honorable adversaire, à la liberté du commerce.

Un honorable membre est revenu sur l’objection tirée de la loi des céréales. Il a cherché à prouver, d’après des chiffres dont lui seul a pu avoir une connaissance exacte, que cette loi sur les céréales avait produit des effets tout contraires à ceux qu’on en attendait. Cependant nous avons vu avant lui le ministre des finances, le ministre des affaires étrangères et, je crois, même le ministre de l’intérieur, nous assurer qu’elle avait produit réellement les effets que nous désirions. Et d’ailleurs, pour en être convaincu, faut-il d’autres preuves que celles qu’a données le ministre des affaires étrangères ?

Il n’y a que deux années que cette loi existe, et après une si courte expérience, le gouvernement hollandais lui-même, le gouvernement d’un pays qui peut-être est le seul en Europe qui puisse pratiquer la liberté du commerce quand même, ce gouvernement vient de proposer aux états-généraux de Hollande une loi pareille à la nôtre.

Le prix des huiles, a dit encore cet honorable membre, est plus élevé qu’il ne l’était il y a quelque temps ; c’est là un bienfait que ressent l’agriculture par suite du système qui nous régit.

Messieurs, malheureusement ce n’est pas l’agriculteur qui se ressent de ce bienfait, c’est l’agioteur. C’est celui qui a spéculé sur la hausse des huiles, aux dépens du producteur.

Mais, s’est écrié l’honorable députe de Turnhout, la chambre a rejeté à tout jamais ce qui est prohibition ou ce qui y ressemble, lors de la discussion de la proposition relative aux cotons. Messieurs, la chambre ne s’est pas prononcée de cette manière ; et quand bien même on eût voté sur cette proposition, quand bien même la chambre eût rejeté la proposition dont il s’agit, à l’unanimité, en aurait-il pu être autrement, lorsque ceux qui avaient proposé la prohibition eurent le courage d’y renoncer, dès qu’on leur eut démontré qu’elle n’était pas nécessaire ?

La Belgique, dit-on encore, a, pendant 15 années de sa réunion à la Hollande, souffert sans mot dire la concurrence du bétail hollandais. Mais, messieurs, le Belge ne souffrait pas sans mot dire ; nos agriculteurs se plaignaient et se plaignaient beaucoup.

Seulement il fut un temps, et ce temps a commencé avec le régime qui a tué nos distilleries ; il fut un temps où ces plaintes revêtirent une autre forme. De directes qu’elles étaient, elles devinrent indirectes ; elles se portèrent naturellement sur la principale cause qui ruinait l’industrie agricole.

Plusieurs orateurs nous ont dit : Si le prix du bétail sur nos marchés, par suite de la grande importation du bétail étranger est si bas, comment se fait-il que le prix de la viande soit si élevé ? La réponse à cette question se trouve dans la lettre écrite au Journal d’Anvers et signée par plusieurs bouchers de cette ville, peut-être par ces mêmes bouchers que l’honorable député de Turnhout a consultés.

M. Rogier. - Il y en a un !

M. Desmaisières, rapporteur. - Tout en s’opposant aux droits d’entrée sur le bétail, les auteurs de cette lettre prétendent qu’il faudrait augmenter les droits d’entrée sur le suif et sur les peaux fraîches, objets de leur commerce ; car ils nous assurent que s’ils sont obligés de maintenir le prix de la viande à un taux élevé, malgré l’abaissement du prix du bétail, c’est parce qu’ils ne peuvent pas vendre convenablement le suif et les peaux fraîches puisqu’ils n’en ont pas le monopole. N’est-ce pas là un aveu tout à fait explicite que les bouchers signataires exercent à Anvers un monopole sur la viande et par ce moyen en tiennent les prix élevés ?

J’ai eu l’honneur de dire dans mon rapport pourquoi la commission d’industrie s’était ralliée au mode de perception par tête proposé par le ministre ; mais si le droit sur le bétail maigre devait être diminué, ou bien si la chambre jugeait, ce que je ne pense pas, devoir augmenter le droit sur le bétail gras, il serait nécessaire d’en revenir au mode de perception au poids.

En ce qui touche les mesures d’exception proposées pour l’exécution de la loi, elles sont l’œuvre du ministre qui en a déjà commencé la défense, et qui continuera, j’en suis sûr, à les défendre mieux que je ne pourrais le faire. Quoi qu’il en soit, la commission, je n’en doute pas, adoptera toutes les mesures d’exécution moins sévères, moins vexatoires, que celles qui sont proposées, si elles peuvent assurer à la loi son efficacité ou une bonne exécution.

Relativement aux amendements présentés par M. Andries et sur lesquels je me propose de parler plus tard, je dirai qu’ils me paraissent contenir des vues qui peuvent être utiles.

Maintenant, messieurs, ii me reste une dernière objection à combattre, c’est celle qui est relative aux représailles que l’on craint de la part de la Prusse.

La commission ne s’est décidée à vous proposer d’étendre les effets de la loi à la frontière prussienne que parce que les honorables membres qui la composaient avaient pris des renseignements à cet égard : il en est qui habitent les provinces de Liége et de Luxembourg, voisines de la Prusse, et ils nous ont affirmé que le bétail prussien introduit chez nous causait le plus grand tort à nos agriculteurs de ces mêmes provinces.

Aujourd’hui il est démontré par les renseignements donnés par le ministère, qu’en définitive nous exportons plus en Allemagne que la Prusse n’exporte dans notre pays. S’il en était ainsi, il ne faut pas étendre les effets de la loi à la frontière prussienne. Mais je dois protester contre l’argument dont on s’est servi ; et je dis que, quant à moi, jamais la crainte des représailles ne m’arrêtera, si je vois la nécessité d’étendre les effets de la loi à la frontière prussienne. Un fait récent, que j’aurai l’honneur de vous citer, vous prouvera, messieurs, que ces craintes de représailles sont purement chimériques.

Lors de la discussion de la proposition relative à l’industrie cotonnière, n’avons-nous pas vu dès le début de la discussion une opposition des plus formelles ; l’ambassadeur de France qui s’était placé à la tête de cette opposition ne nous a-t-il pas dit : « Si vous augmentez le moins du monde l’entrée sur les cotons, la France non seulement sera obligée de vous refuser les concessions que vous avez demandées, par vos commissaires à Paris, mais elle sera en outre obligée d’user de représailles ? »

J’eus le bonheur alors de vous faire partager mon opinion. Je dis : « Non, la France n’usera pas de représailles ; il ne lui en reste plus à prendre ; elle en a trop usé déjà pour son propre intérêt. Vous n’avez pas à les craindre. Quelles que soient les menaces de la France, elle sera obligée de revenir des prétendues représailles dont elle a usé jusqu’à présent. »

Eh bien, vous avez émis un vote que j’ose dire patriotique et éminemment national.

Dans la séance du 10 septembre, vous avez, malgré l’opposition diplomatique à la tête de laquelle la France s’était placée, voté à l’unanimité le principe de l’augmentation des droits sur les cotons, et le 10 octobre, à un mois de date, jour pour jour, Louis-Philippe signait une ordonnance qui accordait plusieurs des suppressions de représailles que nous avions demandées.

Voilà le cas qu’il faut faire de toutes ces menaces diplomatiques !

On a dit quelquefois, et souvent même dans cette enceinte, que la diplomatie avait arrêté l’essor de la révolution ; que, de protocole en protocole, nous nous étions laissé conduire dans une voie qui portait la plus grande atteinte à notre indépendance politique ; prenons garde qu’il n’en soit de même de notre indépendance commerciale et industrielle. (Sensation.)

M. Rogier. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Mon intention n’est pas de suivre l’honorable préopinant dans toutes les attaques plus ou moins personnelles qu’il a cru devoir adresser à un adversaire du projet de loi ; il en est une seule que je me dois de relever.

Suivant lui je ferais de l’opposition contre le ministère, et il a fait allusion aux doctrines que je professais lorsque je siégeais au banc des ministres. Je crois que ma conduite a prouvé, comme elle prouvera encore, que je ne suis pas en opposition avec le ministère, dans les questions où mon opposition me placerait vis-à-vis de lui dans une fausse position. Mais dans les questions spéciales, notamment en ce qui concerne le tarif des douanes, je n’ai jamais reproché à un membre de cette assemblée, étant en même temps fonctionnaire public, l’opposition qu’il pouvait faire contre le ministère.

Je rappellerai que, dans ces circonstances, M. le ministre des affaires étrangères qui occupait dans la chambre la même fonction que j’y ai maintenant, n’hésita pas (sans se considérer pour cela comme opposé au gouvernement, au ministère) à se ranger dans les rangs des adversaires du ministère, notamment dans la question des céréales et dans celle des toiles. L’un et l’autre, nous avons conservé la même opinion, en changeant de position.

Je crois que le ministère compte assez sur ma loyauté, pour être assuré que s’il entrait dans mes intentions de faire une opposition systématique contre toutes les propositions du gouvernement, je cesserais à l’instant ou d’être fonctionnaire ou d’être député.

M. le président. - La parole est à M. A. Rodenbach.

M. Jullien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je sais qu’il y a des membres inscrits pour la parole, et qui ne l’ont pas encore eue dans cette discussion. L’honorable M. A. Rodenbach a déjà parlé une fois.

M. A. Rodenbach. - Il y a des membres qui ont parlé quatre et six fois.

M. Jullien. - Un abus n’en justifie pas un autre. Je crois qu’il faut d’abord accorder la parole aux orateurs inscrits qui n’ont pas été entendu, parce que lorsque cette liste sera épuisée, on pourra délibérer s’il y a lieu de prononcer la clôture, tandis qu’il serait inconvenant de la prononcer avant d’avoir entendu des orateurs qui n’ont pas encore parlé.

M. Pirson. - Je demande aussi la parole pour une motion d’ordre.

Il se passe ici une chose toute nouvelle : nous n’avons qu’un seul véritable adversaire du projet ; il me semble que c’est pour lui un grand honneur que toute l’assemblée soit obligée de se défendre contre lui. It est temps cependant que cela cesse ; voici assez longtemps qu’il est le plastron de la chambre. (On rit.)

Je demande que l’on passe à la discussion des articles. Moi-même, je m’abstiendrai de parler dans la discussion générale ; j’en demande la clôture.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. de Foere. - Il est plusieurs principes jetés dans la discussion auxquels on n’a pas répondu. Je demande que la discussion générale continue.

M. Smits. - Je m’oppose également à la clôture. Après avoir entendu plusieurs orateurs trois ou quatre fois, il serait inconvenant de ne pas entendre des membres qui n’ont pas encore parlé dans cette discussion.

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et n’est pas adoptée.

M. A. Rodenbach. - Je n’insiste pas pour avoir la parole avant les membres qui n’ont pas encore parlé.

M. de Foere. - Messieurs, avant d’entrer dans le fond de la question et avant de rencontrer les principales objections qui ont été élevées contre le projet de loi, je crois devoir déclarer pour mon compte que je le dégage de tout esprit d’hostilité ou de représailles contre les pays étrangers. Je crois que c’est aussi la pensée de la très grande majorité de la chambre.

En effet, messieurs, en suivant cette règle de politique commerciale, nous ne faisons que nous mettre sur la même ligne sur laquelle toutes les autres nations se sont placées aujourd’hui. Ces nations adoptent un système commercial tel qu’il leur paraît convenir aux intérêts de leur pays. Elles sont incontestablement dans leur droit. Nous, nous restons dans le nôtre en cherchant comme elles à établir une législation qui convienne aussi aux intérêts de notre propre pays.

C’est ainsi que nous repoussons d’avance toute accusation d’hostilité et de représailles ; c’est aussi le vrai moyen d’éviter que nos voisins ne prennent des représailles contre nous, alors que nous ne faisons que ce qu’ils font eux-mêmes dans l’intérêt de leurs pays respectifs.

Mais l’honorable ministre des affaires étrangères a exprimé le désir qu’on usât de prudence politique envers la Prusse. Il faudrait, selon lui, ne pas prendre envers elle des mesures qui pourraient provoquer de son côté d’autres mesures qui nous seraient nuisibles. L’honorable député d’Anvers vient de nous donner le même conseil. Cette question mérite d’autant plus notre attention que, dans une autre circonstance importante, l’honorable ministre nous a communiqué une note diplomatique du gouvernement prussien, tendante à nous faire craindre ces représailles.

Messieurs, il est utile d’examiner une bonne fois le mérite de ces communications et de ces conseils, attendu qu’ils pourraient faire sur quelques membres de la chambre une impression qui deviendrait nuisible aux intérêts du pays et qui nous arrêterait à chaque pas dans les discussions de nos lois commerciales.

Messieurs, à des notes diplomatiques on répond par des notes diplomatiques. Le ministre des affaires étrangères n’a qu’à prendre les éléments de ses réponses dans le langage diplomatique de la Prusse même. L’Angleterre lui a fait des objections contre ses droits différentiels de tonnage. La Prusse lui a répondu : Je ne sais que protéger l’emploi de nos propres capitaux, de notre propre matière première, et notre propre travail. Or, que faites-vous dans votre propre législation ? Vous faites exactement la même chose. Toute votre législation commerciale et maritime est basée sur le même principe.

« Votre législation impose des droits énormes sur les grains étrangers. Ces droits nuisent beaucoup à l’agriculture de la Prusse. Mais enfin vous imposez ces droits dans l’intérêt, dites-vous, de votre propre agriculture. Nous ne vous contestons pas le droit d’en agir ainsi. Mais alors, soyez assez justes de nous reconnaître le même droit ; soyez assez impartiaux pour nous permettre de faire ce que vous faites vous-même, ; car nos lois à nous deux sont fondées sur la même base, sur le principe protecteur des intérêts de nos pays respectifs. Nous ferons plus encore. Nous imposerons aussi des droits plus élevés sur les produits anglais que vous nous vendez, à mesure que nous parviendrons à les fabriquer nous-mêmes pour les besoins de notre propre consommation. Ce ne sont pas des mesures de représailles que nous prendrons envers vous, mais de simples mesures protectrices de notre propre industrie, parfaitement semblables à celles que vous croyez devoir prendre vous-mêmes. »

Le ministre anglais, M. Huskisson, qui nous a révélé ces faits dans le mémorable discours qu’il a prononcé, en 1824, au parlement d’Angleterre, a ajouté que le langage de la Prusse étant parfaitement juste, et qu’il n’avait rien à y redire.

Je demanderai maintenant ce que la Prusse aurait à objecter si, par l’intermédiaire de notre ministre des affaires étrangères, nous lui répondions par les propres termes de son langage ; si nous lui faisions observer que nous ne prenons pas des mesures hostiles envers elle, mais seulement des mesures protectrices de notre propre commerce, de notre propre industrie, des mesures basées sur les intérêts de notre pays ; enfin des mesures telles qu’elle prend elle-même dans ses propres intérêts ? M. le ministre des affaires étrangères pourrait ajouter que nous sommes forcés de comprendre dans la loi les frontières prussiennes, afin d’éviter que le bétail hollandais ne nous soit importé par ses frontières. C’est une des raisons pour lesquelles la France élève ses barrières contre nous ; elle craint que les marchandises anglaises ne lui arrivent par nos frontières.

J’entre maintenant dans le fond de la question.

Toutes les fois que nous discutons une question commerciale, la chambre se divise en deux camps. Cette division n’est pas propre à nos débats ; elle s’établit aujourd’hui dans tous les parlements européens. La présomption favorable est du côté de ceux qui, dans notre chambre, soutiennent le système protecteur.

C’est un fait incontestable que les grandes majorités de tous les parlements de l’Europe, de concert avec leurs gouvernements respectifs, soutiennent ce système. C’est aussi celui des gouvernements absolus. Il serait dangereux pour la Belgique qu’elle s’isolât, ou qu’elle prétendît être plus sage que toutes les autres nations. Mais enfin les deux camps sont là.

Dans le premier se trouvent ceux qui défendent le système d’une liberté commerciale plus ou moins étendue. Ils se fondent sur les intérêts du consommateur et, par conséquent, aussi sur les intérêts de l’industrie en tant que le prix des premiers besoins de la vie influe sur le prix de la main-d’œuvre. Ils défendent aussi, disent-ils, le haut commerce du pays. Les intérêts des commissionnaires du commerce étranger et ceux des localités maritimes s’y trouvent confondus. L’autre camp est occupé par ceux qui fondent les intérêts du pays sur l’emploi de ses propres capitaux, de ses propres bras et de sa propre matière première.

Je ne parlerai pas d’un troisième camp. Il n’existe que nominalement. Quelques-uns, sans principes fixes, se jettent tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre. D’autres, sentant l’exagération de leurs principes de liberté commerciale, et convaincus que leurs théories n’ont aucun retentissement dans le pays, déclarent quelquefois qu’eux aussi ils veulent des droits, mais des droits modérés. L’un d’eux nous a dit hier d’une manière positive qu’il voulait le statu quo, le maintien du tarif actuel. Mais un autre, dans des circonstances semblables, nous a déguisé plus mal encore la pensée de ce parti. Il nous a dit qu’il serait dans les intérêts de la Belgique qu’elle devînt un bazar général où les marchandises étrangères viendraient dans tous leurs assortiments s’exposer à la vente des consommateurs indigènes et étrangers. Ceux-là appartiennent au premier camp. Ce n’est qu’effrayés de leurs propres exagérations et sentant le poids de leur isolement, qu’ils ont quelquefois l’air de se rapprocher de quelques pas du camp de leurs adversaires.

Mes antécédents parlementaires ont déjà suffisamment prouvé que je suis du nombre qui défend le système protecteur de notre propre commerce et de notre propre industrie. Je ne vois de salut pour la Belgique que dans l’emploi de ses capitaux, de ses bras et de ses matières premières.

Remarquez que pour moi ce principe reste debout, soit que la législation commerciale d’une ou de plusieurs nations étrangères change ou non à notre égard.

Si d’autres nations font tomber à notre égard leurs barrières commerciales et industrielles, je m’associerai à ceux qui feront des efforts pour faire tomber les nôtres à l’égard de ces nations. Je ne ferais que suivre alors le même principe. Je croirais qu’alors la liberté réciproque dans les échanges commerciaux ne serait que l’application directe du principe qui fait consister la prospérité, l’aisance, le bonheur et la tranquillité intérieure du pays dans l’usage de ses capitaux, dans l’emploi de sa propre matière première et dans son propre travail. Si alors la concurrence s’établit, alors aussi le marché pour notre industrie s’agrandit, et les désavantages sont largement compensés par les avantages.

Vous n’attendez pas de moi, messieurs, que je réfute sérieusement les objections puisées dans les intérêts du haut commerce.

Aussi, pour la première fois, elles n’ont pas été sérieusement présentées. Il semble que nos adversaires commencent à comprendre que, dans tous les pays, les intérêts de ce commerce doivent être combinés avec les intérêts du pays tout entier, et que, sous ce dernier rapport, il lui reste encore un assez grand cercle d’opérations commerciales.

Il peut, dans ses intérêts, exporter nos propres produits et nous importer les marchandises et les denrées que nous ne produisons pas. Ce sont là tout à la fois ses intérêts et ses devoirs sociaux. S’il se livre à toute autre spéculation, il ne peut être que nuisible au pays.

Vous exigerez moins encore de moi que je prenne en considération sérieuse les arguments puisés dans les intérêts des commissaires du commerce et de l’industrie étrangers, et des localités maritimes. Je conçois que, par un système de liberté commerciale, ces commissaires et même toute la ville d’Anvers doit prospérer. Mais la prospérité de quelques individus et même toute une ville n’est pas celle du pays tout entier. Un tout ne se forme que de toutes ses parties.

La question tout entière se concentre donc dans les intérêts des consommateurs, intérêts qui aussi se réfléchissent sur le prix de la main-d’œuvre, et qui, d’après nos adversaires, seraient opposés aux intérêts des producteurs de bétail. C’est donc là où je prends la question qui nous divise.

Dans l’espèce, les intérêts des consommateurs de viande et par suite ceux des industriels ne pourraient être lésés que par deux causes. En premier lieu, par le monopole des bouchers ; ensuite, lorsque le bétail manquerait aux besoins de la consommation.

Non seulement ce monopole est à craindre, mais il est impossible. Cette impossibilité est démontrée par des faits constants.

Toutes les fois que, dans un pays, une industrie est entre les mains d’un grand nombre d’individus, ou largement disséminée, ce n’est pas le monopole qui s’établit, c’est au contraire la concurrence.

C’est là la tendance naturelle de ces industries. Or, telle est celle des bouchers. Dans la supposition gratuite que ce monopole puisse s’établir, soit dans quelques petits villages, soit momentanément dans les grandes villes, je dirai que les lois ne se fondent pas sur des faits exceptionnels, ni sur des éventualités passagères, mais sur les faits généraux et sur l’état normal et ordinaire des choses.

Quant à la possibilité d’insuffisance de bétail à la consommation intérieure, je répondrai que c’est encore, dans notre pays, argumenter de cas rares et exceptionnels, et que c’est vouloir fonder les lois sur ces cas.

Il n’est personne chez nous, qui connaisse l’histoire de cette industrie, qui ne sache qu’à part les cas d’épidémie, non seulement les bestiaux n’ont jamais manqué aux besoins de la consommation intérieure, mais que même nous en avons exporté chaque année en grande quantité. C’est donc raisonner contre des faits constamment posés pour se retrancher derrière des éventualités que tous les antécédents du pays repoussent.

Je tâcherai maintenant de prouver que l’intérêt du consommateur est dans l’adoption même de la loi.

Notre législation sur les distilleries n’a pas pour but de produire une grande quantité de genièvre. Si c’était là son objet, elle serait contraire aux intérêts du pays. Elle ne tendrait qu’à démoraliser la classe ouvrière et à nuire au bon ordre du pays. Cette loi a eu pour but principal une production plus considérable de bétail, et, au moyen de ses engrais, une plus grande fertilité de nos terres, une augmentation plus considérable de nos produits agricoles. Or, si vous adoptez la loi, les distillateurs, dont le nombre a été considérablement agrandi par la loi, élèveront un nombre plus considérable de bestiaux, qui, de leur côté, par l’engrais qu’ils fournissent à l’agriculture, font augmenter de beaucoup nos produits agricoles.

Il y aura donc non seulement une production plus grande de bétail, mais même une influence plus grande des premiers besoins de la vie que nous fournit l’agriculture. De tout temps les distilleries ont produit cet effet dans notre pays. La conséquence naturelle en est que ces causes feront non seulement baisser le prix de la viande ; elles feront aussi baisser le prix des autres premiers besoins de la vie animale. C’est encore un fait constamment reproduit. Là où il y a sur le marché abondance de marchandises, là aussi leur prix descend dans les intérêts de leurs consommateurs.

Je passe à quelques objections particulières.

L’honorable député de Turnhout a cité des chiffres. Je vais examiner leur mérite.

Plus d’une fois j’ai dit dans nos débats que les chiffres ne prouvent rien alors qu’ils ne représentent pas exactement les faits qui les ont produits, ou lorsque les arguments qu’on prétend en tirer ne sont pas fondés sur une appréciation juste de ces faits, ou lorsque les effets que fait ressortir de ces chiffres n’ont pas été rattachés, avec précision, à leurs causes. L’honorable députe nous a dit : Voyez quelle énorme quantité de bétail existe dans la Belgique. Mon chiffre est pris dans l’annuaire de Bruxelles.

Comparez cette énorme quantité à celle qui nous est fournie par la Hollande, et voyez s’il vaut bien la peine d’en parler. Mais le chiffre qui devait servir de point de comparaison ne devait pas être celui du bétail qui existe en Belgique, mais celui qui, chaque année, est propre à être abattu dans le pays. Il raisonne comme celui qui vous dirait : Nous avons une population de 4 millions, donc nous pouvons avoir une armée d’autant de millions de soldats ; tandis que ce chiffre se réduit aux individus qui sont en état de porter les armes, et qu’encore ce chiffre doit excepter les individus réclamés, pour les autres besoins du pays.

Il nous donne le chiffre des têtes de bétail introduites de la Hollande. Mais ce n’est que le chiffre légal ; il ne comprend pas dans le nombre les têtes de bétail qui ont été introduites en France. Il n’en tire pas moins ses conclusions.

Il argumente aussi du chiffre des bestiaux que nous vendons à la France, et il ne voit pas que dans ce chiffre sont nécessairement compris les bestiaux que nos commerçants avec la France vont acheter en Hollande.

Il ne voit pas non plus qu’alors que ces chiffres seraient vrais et que les conclusions qu’il en tire seraient fondées, il raisonne contre lui-même ; car, dans ce cas, nous n’avons pas à craindre de disette de viande sur nos marchés.

L’honorable député d’Anvers tombe dans les mêmes erreurs. Ses calculs ne sont pas plus concluants. Il établit une balance entre les importations de bétail de la Hollande en Belgique et les exportations de bétail de la Belgique en France. Selon son calcul, cette balance nous était favorable en 1831 et en 1832, et défavorable en 1833 et en 1834. Il prend ensuite un terme moyen dans ces quatre années, et il résulte, selon lui, que la balance nous reste encore favorable. Mais il n’entre pas dans les causes qui ont produit ce résultat. Ce sont encore des causes éventuelles, passagères, exceptionnelles, qu’il voudrait nous faire prendre comme bases de notre loi, en dépit de l’état normal et régulier des faits.

En 1831 et 1832, le gouvernement hollandais défendait la sortie du bétail en destination pour la Belgique, et les fournisseurs de l’armée hollandaise trouvaient qu’en raison de la proximité de cette armée aux frontières belgiques, il leur était plus avantageux de lui livrer du bétail belge.

Ces deux causes ont disparu en 1833 et 34, et l’ordre normal a pris son empire ; la balance, pendant ces dernières années, nous est devenue défavorable dans une proportion considérable, et c’est cette balance que M. Smits voudrait voir continuer !

Vous voyez, messieurs, quelle est la puissance des chiffres lorsque les faits qui les représentent sont mal appréciés, ou lorsque les effets chiffrés ne sont pas justement rattachés à leurs causes. Encore une fois, ce ne sont pas les chiffres, ni les documents statistiques, quelque exacts qu’ils soient, qu’il faut consulter ; mais les faits et les faits justement appréciés.

Le même honorable membre se trompe encore lorsque pour prouver que l'état de notre agriculture est satisfaisant et n’a pas besoin de l’encouragement de la loi en discussion, il nous donne les prix plus élevés des pommes de terres et de l’huile. Le premier de ces prix est dû à la mauvaise récolte des pommes de terre. La seule mauvaise récolte qui ait eu lieu depuis environ vingt ans. L’autre prix est l’effet du monopole et de l’agiotage.

J’adopterai, messieurs, le principe de la loi. Quant à ses moyens d’exécution, je dois les vouloir exempts de vexations inutiles, mais efficaces. Je m’attacherai donc à ceux que la discussion nous présentera avec la double qualité de leur efficacité et leur opportunité.

M. Smits. - J’en ai fait la remarque.

M. de Foere. - M. Smits dit qu’il reconnaît cette vérité. Je dis que c’est seulement de cet état normal qu’on peut tirer des conséquences, état normal qui a commencé en 1833 et 34, lorsqu’a été abolie la loi hollandaise par laquelle le roi Guillaume défendait l’introduction du bétail hollandais en Belgique.

Il ne suffit pas de présenter des documents, quelque exacts qu’on puisse les supposer ; toute la question est dans la juste appréciation de ces documents. Il faut, pour bien faire cette appréciation, rattacher les effets à leurs causes. Il faut ne prendre pour base qu’un état normal et non un état exceptionnel, parce que jamais on ne peut tirer des conséquences générales de faits particuliers.

C’est par la même raison que le député d’Anvers s’est trompé quand il a cité quelques faits qui prouveraient que l’agriculture en Belgique est aujourd’hui dans un état prospère. Il a argumenté du prix élevé de quelques produits agricoles. Ces prix sont dus à des circonstances fortuites ; ce sont des cas exceptionnels. Le prix des pommes de terre est élevé, mais c’est la deuxième fois en 29 ans que ce légume manque. Je demande s’il est possible de baser un raisonnement sur de pareils faits.

Il vous a parlé aussi du prix des huiles ; mais il aurait dû détruire ce qu’on avait déjà dit que l’élévation des prix venait des achats faits dans ce but par une société qui possède de grands capitaux.

De sorte, messieurs, que tous ces cas particuliers, que toutes ces exceptions ne peuvent jamais conduire à un résultat législatif.

J’ai dit.

M. F. de Mérode. - Chaque fois qu’il s’agit d’établir des mesures protectrices de l’industrie ou de l’agriculture belge, on cherche à épouvanter la chambre à l’égard des vexations que vont subir ceux qui doivent se trouver soumis à certaines formalités de visite ou autres analogues. On dirait, messieurs, que chez nous on est incapable de supporter la moindre gêne dans l’intérêt public.

J’habite souvent la première ligne des frontières françaises, où le régime douanier est assez sévère, et je ne vois pas que les obligations que l’on impose au cultivateur le rendent malheureux. Ces obligations l’enrichissent au contraire, parce qu’elles lui procurent le débit de son bétail, qu’il ne vendrait pas aussi facilement si la contrebande se plaçait sans difficulté grave en concurrence avec lui sur le marché intérieur.

Voulez-vous donner de l’aisance à vos campagnes, assurez au moins ce marché à leurs habitants. Un de nos collègues M. d’Hoffschmidt, presse le gouvernement de conclure des traités de commerce avec les gouvernements étrangers. Ces traités, je les désire assurément. Mais la Belgique n’a pas le pouvoir de les dicter, tandis qu’elle est maîtresse de régler ses propres affaires et de se réserver le débit qui se fait chez elle-même.

J’appuie aussi, très instamment, les réclamations qui ont été adressées par des préopinants contre l’élévation des octrois et le paiement exclusif par tête de bétail.

Nous avons des provinces qui n’élèvent que des animaux de petite taille.

Ces animaux se trouvent ainsi exclus de la consommation des villes et des campagnes, et demeurent improductifs entre les mains de ceux qui les possèdent.

C’est en vain que dans le centre des Ardennes les paysans jouissent d’une liberté illimitée de promener leur bétail dans leurs campagnes et leurs bruyères ; cette précieuse liberté les laisse pauvres et dénués, tandis que les cultivateurs français de la frontière soumis au despotisme de la douane, despotisme si terrible du moins dans le discours de quelques préopinants, vendent leurs bœufs et leurs moutons avantageusement ; ils se procurent de l’argent, argent qui vaut mieux, quoi qu’il en dise, que des produits agricoles ou industriels venus de l’étranger quand les mêmes produits sont déjà surabondants, parce que les écus offrent un moyen d’échange infaillible et jamais refusé, et que les autres substances brutes ou fabriqués sont loin de posséder le même privilège.

La logique et les raisonnements ont sans doute beaucoup de vérité, mais à l’égard des intérêts matériels les faits me paraissent toujours préférables. La loi sur les céréales, d’après les argumentations de ses adversaires, ne devait produire aucun bien ; cependant, le prix de blé s’est mieux maintenu en Belgique que si cette loi n’eût pas existé ; car le blé est actuellement à plus vil prix dans les provinces du nord de la France qu’en Belgique ; il en sera de même de la loi sur le bétail étranger. Car la sortie de plusieurs millions n’est pas indifférente, et il me suffirait de savoir que la Hollande fournit la moitié de la consommation de la capitale, de la consommation d’une ville de cent mille habitants, pour que j’adoptasse des mesures qui tendraient à rendre ce débit aux cultivateurs belges.

Les économistes citadins qui font de l’agriculture de cabinet avec des livres, oublient que lorsqu’il y a surabondance de produits, la moindre introduction de produits similaires étrangers occasionne des baisses très fortes, parce que la diminution du prix de l’objet n’est pas en raison simple de cette surabondance, mais en raison double et triple ; ayez, dans une année de bonne récolte, un dixième de blé de plus qu’il n’en faut pour la consommation de nos marchés, ce n’est pas une diminution du dixième qui affectera le prix des céréales, mais une diminution du quart ou du cinquième au moins. Il en sera de même en cas de mauvaise récolte, un vingtième de déficit sur les besoins annuels produira une hausse du quart et quelquefois du tiers de la valeur.

C’est ce que comprenaient fort bien nos pères qui, sous l’ancien régime, ne permettaient pas en tout temps la libre entrée et sortie des grains.

Au surplus, messieurs, je dois rendre justice à M. Rogier, il n’est point partial, et ses théories ne ménagent pas plus dans l’occasion les consommateurs que les producteurs. En 1830, à l’époque de la révolution, les céréales étaient chères. Il devenait essentiel de prohiber leur sortie, et malgré toutes les difficultés du moment, M. Rogier était tellement dominé par les principes absolus de la liberté du commerce, qu’il s’opposa à cette mesure protectrice du consommateur souffrant, et n’y consentit enfin qu’avec une répugnance vaincue par la force et l’accord des opinions contraires à la sienne. J’ajouterai à mes observations que d’après les plaintes qui se font entendre sur la fraude, il entre peut-être par cette voie la même quantité de bétail que celle qui a été déclarée à la douane.

Dès lors ce ne serait plus cinq mille têtes introduites en Belgique, mais neuf ou dix mille ; et si les précautions prises envers la contrebande sont à l’eau de rose, si vous ne voulez pas admettre les acquits à caution et autres moyens usités en France, mieux vaut laisser les choses dans le statu quo.

Je déclare au surplus que je ne me prononce pour la loi proposée par aucun esprit d’hostilité contre la Hollande, mais uniquement parce que nous avons un superflu de bétail qu’il ne faut pas augmenter. Que la Hollande nous envoie des fromages en concurrence avec la Suisse, peu m’importe qu’elle nous expédie encore d’autres objets dont la Belgique n’est pas abondamment pourvue : je serai loin de m’y opposer ; car je ne désire nullement imiter le roi Guillaume, qui arrête en Hollande l’introduction de certains produits belges que la Hollande ne fournit pas, et cela par des motifs d’étroite vengeance qui ne doivent jamais diriger notre conduite.

- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

D’autres membres. - La clôture ! la clôture !

M. Lardinois. - Nous ne sommes plus en nombre !

M. le président. - On va procéder à l’appel nominal pour voter sur la clôture : cet appel nominal constatera en même temps si nous sommes en nombre.

- On procède à l’appel nominal, et la clôture est prononcée à l’unanimité des soixante membres présents.

- La séance est levée un peu avant cinq heures.