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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 1 décembre 1835

(Moniteur belge n°336, du 2 décembre 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.

M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître les pièces adressées à la chambre.

« La veuve du sieur Desorghen, ex-lieutenant de vaisseau, demande une pension. »

« Les distillateurs du district de Ruremonde demandent :

« 1° Un droit plus élevé à l’entrée des bestiaux étrangers ;

« 2° Une augmentation du droit de transit, et que chaque bête à cornes soit marquée à l’entrée d’une marque qui soit vérifiée à la sortie. »

M. le président. - Il va être donné lecture de la pétition relative à l’objet en discussion.

M. de Renesse procède à cette lecture. - « Le 20 novembre 1835.

« A la chambre des représentants ;

« Messieurs,

« Depuis que vous avez remplacé la loi tracassière hollandaise par une autre loi protectrice de l’agriculture, nous jouissons dans notre industrie de cette liberté qui lui assure une prospérité toujours croissante. Nos produits distillés s’écoutent facilement en Hollande, et avec les droits actuels nous n’avons plus rien à craindre de la fabrication prussienne ; au contraire, nous sommes en état d’y exporter avec bénéfice. De cette manière, notre industrie est assurée et l’agriculture, vraie richesse de la Belgique, trouve dans vos lois protectrices une moisson proportionnée aux travaux et aux frais qu’exige son exploitation.

« Ce succès que nous devons à vos lumières nous impose un devoir, c’est celui de vous en témoigner toute notre reconnaissance, la plus noble des récompenses pour une représentation vraiment nationale.

« Cependant il manque quelque chose pour achever l’œuvre que vous avez commencée dans l’intérêt d’une industrie jadis opprimée sous le gouvernement déchu ; nous voulons parler du préjudice que nous cause l’entrée du bétail étranger.

« Les faibles droits auxquels celui-ci est assujetti à l’entrée du pays nous causent des torts considérables, et bien de manière qu’il nous a été impossible, dans la dernière saison, de nous défaire à des prix raisonnables de nos bestiaux gras.

« Il est encore inutile que la faveur du transit, dont jouit le bétail étranger destiné pour la France, lui assure un marché favorable que nous avons plus de droit d’exploiter que les étrangers.

« Permettez donc, messieurs, que nous osions respectueusement prendre la liberté de vous demander :

« 1° Un droit d’entrée plus élevé sur le bétail étranger.

« 2° De vouloir augmenter le droit de transit, et que chaque bête à cornes soit marquée à l’entrée du royaume d’une marque distinctive, et vérifiée à la sortie pour empêcher que ces bêtes grasses venant de l’étranger ne soient échangées en Belgique.

« Cette demande étant de toute justice, nous avons l’espoir que vous voudrez bien satisfaire aux vœux des soussignés dont les intérêts se lient à ceux du reste des distillateurs du pays.

« Nous avons l’honneur d’être, avec la considération la plus distinguée, vos dévoués serviteurs.

« Les distillateurs du district de Ruremonde, province du Limbourg. »

(Suivent les signatures.)

M. Rogier. - Il me semble que les pétitionnaires disent introduisent facilement leurs produits en Hollande.

M. de Renesse. - Il y a, en effet, dans la pétition : « Nos produits distillés s’écoulent facilement en Hollande. »

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Tant mieux, c’est bon à savoir.

M. le président. - M. Desmet a demandé que le projet de loi sur la péréquation cadastrale soit mis en discussion après celui qui nous occupe ; mais il n’est pas présent.

Projet de loi relatif aux droits sur les bestiaux

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - Nous en sommes à l’article 2 ainsi conçu :

« Par dérogation à la loi générale du 26 août 1822, n°38, en ce qui concerne le territoire compris dans le rayon des douanes déterminé par la loi du 7 juin 1832, n°443, tout fermier ou habitant, propriétaire, détenteur ou possesseur de chevaux, poulains ou de bestiaux dénommés au tarif qui précède, dans l’étendue du rayon des douanes de la province du Limbourg, y compris le rayon autour de Maestricht, de la province d’Anvers, de celle de la Flandre orientale, et enfin de la partie septentrionale de la Flandre occidentale, est tenu de déclarer, dans les huit jours qui suivront l’époque obligatoire de la présente loi, au receveur de l’administration des contributions, douanes et accises du bureau auquel ressortit sa commune, le nombre de chevaux et bestiaux mentionnés au tarif de l’article précédent qu’il entretient ou qu’il nourrit, ainsi que l’endroit de la commune où il s’engage à représenter, lorsqu’il en sera requis par les agents de l’administration, ceux de ces animaux qui ne seraient point dans ses écuries ou ses étables. »

Plusieurs amendements ont été proposés sur cet article 2.

M. Rogier. - L’article premier a réglé les droits à l'entrée et à la sortie ; il me semble que pour compléter ce point, il faudrait régler le droit de transit ou le régime suivant lequel les bestiaux étrangers passeront sur notre territoire ; c’est donc le cas de discuter actuellement l’article 8. Je ne pense qu’il puisse y avoir d’objection contre cette proposition ; après l’importation et l’exportation vient le transit.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - On ne s’est jusqu’ici occupé que de l’importation, et on ne s’occupera pas de l’exportation, laquelle aura lieu conformément à la loi du 26 juillet 1834, c’est-à-dire librement ; quant au transit, c’est à l’article 8 que la discussion doit s’en établir, et si cet article n’est pas adopté, le régime actuel serait maintenu ; car ce qui ne sera pas modifié par la loi actuelle, continuera à subsister.

J’aurai sur l’article 2 des observations à présenter ; mais avant de commencer la discussion de cet article, il faut avoir connaissance des divers amendements qui sont proposés.

- La chambre, consultée, décide qu’elle va s’occuper de l’article 2.


M. le président. - La commission a proposé d’ajouter après les mots « Flandre occidentale, » ceux-ci : « province de Liége, et enfin la province de Luxembourg jusqu’à Schengen. »

Il y a des amendements présentés par MM. de Longrée, Simons, Vandenbossche, Pirson, Zoude C. Vuylsteke.


M. le président. - M. de Longrée demande qu’à la suite des mots « dans l’étendue du rayon des douanes de la province du Limbourg, » on ajoute ceux-ci : « vers le Hollande. »

M. de Longrée. - Messieurs, ce qu’a dit M. le ministre des finances, dans la séance du 27, me donne des craintes. Il se propose, a-t-il déclaré d’établir des mesures à toutes les limites de la province du Limbourg, parce que cette province se trouve enclavée dans le territoire prussien et le territoire hollandais, et forme comme une langue de terre.

Messieurs, il me semble que ce serait établir sa mesure d’une manière inutile pour l’intérêt de notre agriculture, si on l’appliquait à la partie de cette contrée qui touche à l’Allemagne. Considérez de plus que cette partie est assez éloignée de la Hollande : Venloo, par exemple, qui est à un quart de lieue de la frontière prussienne et à quatre lieues de la Hollande ; il eu est de même des autres villes placées sur cette limite.

Si un Prussien arrive aux frontières, on ne lui demandera pas un certificat d’origine ; car cette formalité serait superflue ; il pourrait toujours faire entrer le bétail hollandais. J’espère qu’on n’invoquera pas ici l’axiome : Qui veut la fin veut les moyens ; car on ne peut parvenir à aucun but.

Croyant que l’article 2 laisse quelque chose de vague par ces mots : « dans l’étendue du rayon des douanes de la province de Limbourg, » j’ai demandé que, pour rendre la rédaction plus claire, on mette : « dans l’étendue du rayon des douanes de la province du Limbourg vers la Hollande. »


M. le président. - Voici l’amendement de M. Simons ; il propose de supprimer la particule « de » après les mots : « dans l’étendue du rayon des douanes, » et d’y substituer les mots : « par l’arrondissement de Hasselt et par Ruremonde. »

Il demande encore la suppression des mots : « y compris le rayon autour de Maestricht. »

M. Simons. - Je n’entrerai pas dans de longs développements. Je me propose de parler avec plus de détail, lorsqu’il s’agira de la discussion générale de l’article 2.

Messieurs, la mesure est exceptionnelle ; il ne faut pas la prodiguer ; il ne faut pas multiplier sans nécessité des mesures vexatoires ; il n’y a aucune utilité à appliquer la loi à l’arrondissement de Maestricht, parce que cette frontière touche à la Prusse et non à la Hollande, contre laquelle la loi paraît dirigée. Il en est de l’arrondissement de Maestricht, comme du territoire de Liège.

La fraude se fait, j’en conviens, aux environs de Maestricht, mais elle ne se fait pas pour les bestiaux. Dans le courant de l’année, il n’est pas entré une seule tête venant de la Hollande dans le rayon stratégique de Maestricht ; les mesures ne seraient donc que des vexations sans but ; or, de telles mesures doivent être restreintes aux localités où elles sont indispensables. Prenez garde que la surveillance que vous prescrirez aux douaniers relativement aux bestiaux, ne les détourne de la surveillance qu’ils doivent exercer sur d’autres importations, et n’augmente pas leurs devoirs inutilement.

Je reviendrai sur cet amendement.

- Les amendements sont appuyés.


M. le président. - M. Vandenbossche demande que l’on supprime les dernières lignes de l’article 2 à partir de ces mots : « ainsi que l’endroit... »

M. Vandenbossche. - Je propose de supprimer la dernière disposition de l’article 2, « ainsi que, etc., » parce qu’elle peut donner lieu à des vexations, et que je ne vois pas qu’elle puisse être utile pour la répression de la fraude.

Que le fermier, propriétaire, etc., soit tenu de déclarer dans les huit jours le nombre des chevaux et bestiaux, afin que l’administration puisse s’y présenter pour effectuer l’inventaire prescrit par l’article 3, et que les bestiaux soient présentés aux préposés pour en prendre le signalement, voilà ce que je conçois et ce que j’approuve : que, dans ce même but, il déclare l’endroit de la commune où se trouvent ceux qui ne sont pas dans ses écuries on ses étables, si toutefois on ne veut point lui imposer de les faire retourner à l’étable ou écurie pour y en prendre le signalement, voilà ce que je conçois et approuve encore, quoiqu’il ne serait pas nécessaire d’en faire une disposition, parce que le fermier ou propriétaires a un intérêt à avoir, de ses bestiaux, un inventaire aussi complet que possible, attendu que tous ceux qui ne s’y trouveraient point consignés, seraient présumés avoir été introduits en fraude. Si c’est là le but de la disposition, alors elle ne rend pas l’idée que M. le ministre a voulu y attacher.

Si le but est de faire, même après la confection de l’inventaire, déclarer par le propriétaire l’endroit de la commune où il s’engage à représenter ceux de ces animaux qui ne se trouveraient point dans ses écuries ou étables, toutes les fois que MM. les agents de l’administration se plairaient à l’en requérir, alors la disposition, à mon avis, est inutile ; en second lieu, elle donnerait lieu à une infinité de vexations, et d’ailleurs l’exécution en serait souvent impossible. Elle est inutile : en effet, les préposés de l’administration, qu’ont-ils à vérifier lors de leurs visites ou recensements ? Si le fermier n’a pas de chevaux ou bestiaux qui ne se trouvent point sur l’inventaire, et rien de plus.

Si tous ou une partie seulement est présente, cela doit leur être, à mon avis, complètement indifférent. D’ailleurs, la mesure serait souvent vexatoire. Il faudrait qu’il leur déclarât l’endroit de la commune où ils se trouvent ; et c’est ce qu’un fermier ne saurait même pas toujours indiquer.

Un fermier cultive ordinairement avec ses chevaux les terres de ses ouvriers journaliers, dispersés dans la commune ; il y envoie son domestique avec des chevaux, et ne sait pas toujours où cet ouvrier les mènera.

Mais, situés sur la lisière, ses exploitations sont pour une grande partie situées sur le territoire hollandais : si donc ses chevaux et ses bestiaux se trouvent en Hollande, dans ce cas il lui est impossible de désigner un endroit de la commune.

Il faudrait que je ne comprenne point la disposition, ou sa suppression me paraît nécessaire.


M. le président. - M. Pirson propose un amendement semblable à celui de M. Vandenbossche.

M. Pirson. - C’est par les mêmes motifs exposés par M. Vandenbossche que j’ai fait la même proposition.


M. le président. - M. Zoude propose cet amendement :

« L’arrêté du gouvernement provisoire du 7 novembre 1830 est révoqué, en ce qui concerne les bestiaux importés par la frontière prussienne. Ces bestiaux continueront à être imposés conformément au tarif du 26 avril 1822. »

M. Zoude. - Si je n’espérais de l’appui de la part de la chambre, j’aurais à craindre, d’après les dispositions du ministre, que la province du Luxembourg, déjà si malheureuse sous beaucoup de rapports, ne soit encore sacrifiée à la politique qui veut des ménagements envers des voisins, parce qu’ils sont forts et que nous sommes faibles.

Cependant M. le ministre des finances connaît plus que personne la détresse de sa province, il sait qu’à aucune autre époque la rentrée des contributions n’y a été aussi difficile, il sait que la seule richesse de nos cultivateurs c’est le bétail (et qui dit cultivateur dans le Luxembourg, dit tout le pays) ; il sait que nos terres ne produisent ni lin ni colzas, la nature de notre sol ne le permet pas ; cela vient peut-être à l’élévation du pays qui est de 400 à 600 mètres au-dessus du niveau de la mer ; mais quelle qu’en soit la cause, il n’en est pas moins vrai que le bétail est la seule ressource de nos laboureurs, qui n’ont d’autre produit échangeable contre le numéraire, seule valeur admise par le fisc.

Les années précédentes, lorsque le bétail sortait du pâturage les distillateurs venaient en faire de nombreux achats ; ils ont maintenant déserté nos marchés, vous en connaissez les motifs.

Mais ce n’est pas seulement la rentrée des contributions qui souffre de cet état de choses, la statistique de l’enregistrement prouvera à M. le ministre qu’il ne se fait presque plus de transaction dans le Luxembourg ; les études des notaires sont désertes ; en revanche les banques territoriales et hypothécaires, etc., sont assiégées de demande de fonds.

Mais ce n’est pas d’aujourd’hui que la province réclame contre l’introduction du bétail allemand, auquel il paraît que M. le ministre ne veut pas appliquer la loi ; il se rappellera que l’introduction de ce bétail était l’objet constant des doléances des députés du plat-pays à l’assemblée des états provinciaux ; il se rappellera que le droit que l’on demandait alors était le même droit que celui que la commission d’industrie vous propose dans son rapport.

Il est vrai qu’à cette époque on n’invoquait pas les ménagements dont on nous parle chaque fois qu’il est question de régler notre ménage, comme si notre indépendance n’avait été reconnue qu’à la condition de consulter les puissances sur chacune de nos lois douanières ; il n’en est pas ainsi, messieurs ; des pensées d’un ordre plus élevé ont dirigé la conférence. Pourquoi donc cet appui aux notes diplomatiques dont un orateur, qui pourrait ménager davantage la susceptibilité nationale, vient nous menacer chaque fois qu’il est question d’une mesure qui intéresse notre industrie ?

Mais je ne sais si ce ne serait pas sous son ministère, qu’une note presque menaçante a été adressée au gouvernement, à qui on reprochait entre autres griefs d’avoir établi ou continué l’établissement d’un droit de transit sur la réglisse, ce qui était une violation du traité de Vienne sur la liberté des fleuves. Qu’est-il arrivé de cette note diplomatique ? c’est que la réglisse a continué d’être imposée, et cependant cet honorable orateur sait beaucoup mieux que moi combien de notes semblables, pour des objets plus ou moins importants que la réglisse, ont été adressées depuis lors au gouvernement, sans que celui-ci ait dévié en rien de la ligne de conduite que lui traçait l’intérêt du pays !

Il est vrai qu’on ne voyait pas alors un membre de la chambre réclamer à la tribune la publicité de ces pièces diplomatiques, publicité souvent inopportune et à laquelle nous avons vu l’ambassadeur d’une grande puissance s’opposer lui-même.

Loin de moi, messieurs, l’idée que l’honorable membre auquel je fais allusion, ait voulu employer ce moyen comme pouvant exercer quelque influence pour faire prévaloir son opinion en matière d’économie politique ; sa franchise est trop connue ; il sait d’ailleurs que la chambre est trop indépendante, et que le sentiment de sa dignité ne lui permettra jamais de céder à des exigences étrangères en pareille matière.

J’engage donc le gouvernement à ne pas avoir égard à toutes ces considérations secondaires, et si nous venons à négocier sérieusement avec la confédération douanière allemande, négociations que je hâte de tous mes vœux, il sera temps encore alors de nous relâcher de nos conditions, qui ne seraient d’ailleurs que la compensation des concessions qui nous seraient faites.

Cependant, s’il est vrai que le projet de loi soit en partie dicté par des motifs politiques, il est évident que nous ne pouvons l’appliquer à la Prusse contre laquelle nous n’avons aucun grief ; mais, attendu qu’en rétablissant le statu quo, on ne pourra nous accuser d’intentions hostiles, que le tarif du statu quo est plus favorable à notre agriculture que le tarif révolutionnaire qui nous régit, que le statu quo a d’ailleurs été le résultat des discussions les plus approfondies, comme nous l’a expliqué l’honorable M. Dubus, je présente mon amendement avec confiance.

Je pense même, d’après ce que vous a dit et répété M. Rogier, que cet amendement doit être adopté : en effet, cet honorable orateur nous a appris que ce bétail que vous réputiez hollandais et que vous vouliez repousser comme tel, n’était en partie que du bétail allemand transitant par la Hollande ; et en effet, messieurs, le bétail qui a alimenté le camp de Beverloo provenait en entier du Hanovre ; eh bien, messieurs, si vous repoussez mon amendement, ce bétail non seulement, mais encore celui de la Hollande, vous arriveront par la Prusse, et la loi de protection que vous voulez accorder au pays n’aura rien protégé ; seulement le bétail étranger aura fait un plus long trajet pour arriver sur vos marchés.


M. le président. - Voici l’amendement de M. C. Vuylsteke ; c’est une autre rédaction de l’article 2 :

« Par dérogation à la loi générale du 26 août 1822, n°36, en ce qui concerne le territoire compris dans le rayon des douanes, déterminé par la loi du 7 juin 1832, n°443, tout fermier ou habitant, propriétaire, détenteur ou possesseur de chevaux, poulains ou bestiaux dénommés au tarif qui existe, demeurant dans l’étendue de cinq kilomètres (ou une lieue) en-deçà de l’extrême frontière, dans le rayon des douanes... (Le reste comme au projet du gouvernement.)

M. C. Vuylsteke. - Messieurs, la loi qui est actuellement soumise à vos délibérations a pour objet la prospérité de notre industrie agricole. Cette loi doit être rédigée de manière qu’elle soit efficace, et qu’elle ne manque pas le but que l’on se propose ; mais les gênes auxquelles elle astreint l’habitant ne doivent pas aller au-delà de ce qui est rigoureusement nécessaire pour assurer l’exécution de la loi.

Le gouvernement dans son projet de loi a pourvu suffisamment à la garantie de son exécution par les articles 3 et suivants ; j’avoue avec plusieurs honorables collègues que les dispositions contenues dans ces articles sont d’une sévérité dont on ne trouve guère d’exemples, que les formalités à remplir sont très difficiles ; mais quand on met ces dispositions en regard de la prévoyance et des astuces des fraudeurs qui, à ma connaissance, sont rompus dans la pratique de la contrebande, le gouvernement se trouve pour ainsi dire dans la nécessité de recourir à des mesures de rigueur, pour prévenir leurs trames.

Mais pour ce qui regarde les gênes auxquelles la loi astreint les habitants, il me semble qu’il n’a pas assez tenu compte de leur position.

Il faut convenir cependant qu’il est de principe incontestable que l’intérêt privé doit céder devant l’intérêt général ; si les particuliers domiciliés dans le rayon sont dans une position à éprouver quelques entraves dans l’exercice de leur industrie, nous devons chercher les moyens qui peuvent servir à les adoucir autant que possible ; nous devons mettre une sage réserve dans nos innovations ; il importe de ne faire peser la rigueur de la loi que là où l’intérêt général l’exige.

Si la loi du 26 août 1822 a réglé d’une manière minutieuse le mode de transport, les moyens de service et de répression de la fraude, sur toute l’étendue du rayon, c’est pour donner plus de facilité aux employés de surveiller la fraude d’objet d’un petit volume, et dont le recèlement et les moyens de transport sont faciles ; mais, pour la loi qui nous occupe, le cas est différent. Il est impossible de transporter à dos une vache, un bœuf gras, ou de les receler dans le faux-fond d’une voiture. Ce sont des objets qui ne peuvent se soustraite à la vue des douaniers.

Je pense donc qu’il serait superflu de rendre applicables les dispositions rigoureuses de la présente loi à tous les habitants du rayon.

Je ferai observer, en outre, que l’article 2, tel qu’il est rédigé, pourrait envelopper dans sa rigueur un très grand nombre d’habitants ; car, veuillez remarquer, messieurs, que la loi ne fixe pas de limites certaines, que les déclarations prescrites embrassent toute l’étendue du rayon ; si donc la chambre se décidait, ainsi que plusieurs membres en ont déjà manifesté le désir, à rétablir le rayon de la douane dans la limite de deux myriamètres de l’extrême frontière, la mesure que l’on nous propose serait vexatoire ; c’est ce que nous ne pouvons admettre.

Il est donc nécessaire de tracer un rayon fixe dans lequel les habitants soient tenus d’observer les formalités que la présente loi prescrit. Mon amendement a donc aussi pour but de pourvoir dès à présent à cette éventualité.

En France, où l’administration de la douane ne laisse rien à désirer, eu égard à la nôtre, en France on a adopté un système analogue à celui que je propose.

En vertu de l’article 10 de la loi sur les douanes du 27 juillet 1822 une ordonnance royale du 28 du même mois a statué ainsi qu’il suit : « Art. 3. Les détenteurs de bœufs et vaches, habitant les deux kilomètres et demi (ou la demi-lieue) en deçà des bureaux et brigades formant la première ligne des douanes, ou ceux établis sur certains points, entre cette ligne et l’étranger, devront, dans les quinze jours de la promulgation de la présente ordonnance, faire au bureau le plus voisin de leur domicile la déclaration, etc. »

M. le ministre du commerce et des travaux publics en France a tellement senti la nécessité de faire concorder l’intérêt général avec l’intérêt individuel, que dans un projet de loi sur les douanes qu’il présenta à la chambre des députés dans la séance du 5 février 1834, il ne fit qu’une légère modification à l’ordonnance royale dont je viens d’avoir eu l’honneur de vous donner lecture.

Voici comment est rédigé ce projet : « Titre III. Moyens de service et de répression de la fraude. Art. 31. La demi-lieue frontière dans laquelle l’article 10 de la loi du 27 juillet 1822 autorise une police spéciale aux bestiaux, sera prise en arrière des bureaux et brigades formant la première ligne des douanes vers l’étranger, de manière que la distance en plus n’est que celle qui se trouve entre l’extrême frontière et les bureaux et brigades de première ligne, qui se trouvent presque toujours à une distance très rapprochée de la frontière. »

Si la France est si économe de mesures rigoureuses, nous ne devons pas, nous, en prendre qui frapperaient sur un trop grand nombre de citoyens.

A part l’exemple de la France, je crois que l’idée qui a produit mon amendement est la même qui a dominé le législateur lors de l’adoption de quelques articles de la loi générale sur les douanes. Dans cette loi, tout arbitraire qu’elle est, on a voulu aussi concilier l’intérêt général avec l’intérêt individuel : c’est ainsi qu’elle n’a pas étendu dans tout le rayon la défense d’avoir ou d’établir des magasins et dépôts de marchandises ; c’est ce qui résulte de l’article 277 de ladite loi.

Si l’expérience a prouvé que les dispositions de la loi du 26 août 1822 concernant le pacage sur l’extrême frontière ont été trop libérales, nous devons, en les rendant plus sévères, éviter de tomber dans l’extrême opposé.

L’étendue de territoire que je propose suffira amplement, me semble-t-il, à l’administration pour exercer la plus stricte surveillance ; car, je le répète, les articles suivants, qui prescrivent les formalités à remplir, rendront la fraude très difficile, pour ne pas dire impossible, fussent-ils même modifiés.


M. le président. - Parmi les amendements il en est qui sont relatifs au territoire et d’autres qui se rapportent aux mesures d’exécution de la loi : ceux de la première classe ont été présentés par MM. de Longrée, Simons, Zoude et C. Vuylsteke ; ceux de la seconde classe sont présentés par M. Pirson et Vandenbossche ; nous commencerons par délibérer sur ceux de la première classe.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Avant d’en venir aux amendements qui vous sont soumis, je dois indiquer à la chambre une modification à l’article 2, devenue possible par suite de l’adoption de l’article premier.

Puisqu’on a adopté pour les chevaux un droit d’entrée de 15 francs, et pour les poulains un droit d’entrée de 5 francs, je pense qu’il n’est pas nécessaire d’établir, quant à ces animaux, des moyens de répression, qui eussent été nécessaires si les droits avaient été plus élevés ; cette modification restreindra singulièrement les mesures d’exécution, et la gêne pour les habitants du rayon de la douane : je propose donc à la chambre de supprimer dans l’article 2 ce qui est relatif aux chevaux, et d’effacer comme conséquence de ce retranchement le mot « écuries » afin de garder seulement le mot « étables. »

M. Rogier. - Si l’on met des vaches dans les écuries.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Alors les écuries deviendront des étables et non des écuries.

Maintenant, je viens aux amendements qui ont été présentés.

L’honorable M. de Longrée demande la suppression de tout ce qui concerne la frontière prussienne dans le Limbourg, et que la loi ne soit applicable qu’à la partie de cette province qui touche à la Hollande ; et il appuie sa proposition, dit-il, sur les mêmes considérations qui ont dirigé le gouvernement dans la proposition qu’il vous a faite.

Si l’on voulait examiner rigoureusement la position du Limbourg par rapport à la Hollande et à l’Allemagne, il ne faudrait pas, il est vrai, d’après les principes que nous avons invoqués, appliquer la loi du côté de la frontière prussienne : mais j’ai déjà démontré qu’il ne fallait pas examiner cette position d’une manière si restreinte : il y a dans le Limbourg une langue de terre enclavée entre le territoire prussien et le territoire hollandais, sur laquelle il importe que la mesure s’étende sans distinction de frontières, attendu que l’on parviendrait facilement sans cela à éluder la loi. Il suffirait en effet de faire faire au bétail un petit détour à l’extrémité de cette langue de terre, pour se présenter ensuite à la frontière prussienne où le droit serait moindre.

Je ne crois pas devoir insister sur ce point ; vous connaissez la configuration du Limbourg, et vous savez qu’il suffit de faire quelques pas pour aller de la Hollande en Prusse, sur une longue superficie de cette province.

Avant d’aborder l’amendement de M. Simons, je témoignerai mes regrets de ce que cet honorable membre n’ait pas développé entièrement son amendement ; je ne puis en effet en apprécier la portée, ne connaissant pas tous les motifs sur lesquels il est basé.

Cependant je répondrai deux mots aux courtes considérations qu’il nous a présentées. Il vous a dit qu’il est inutile d’établir la mesure que nous discutons autour de Maestricht, et dans l’arrondissement de Hasselt, puisque dans cet arrondissement on n’introduit aucun bétail de l’étranger.

Je pourrais invoquer contre cette opinion du préopinant une pétition adressée à la chambre, et dans laquelle on se plaît de la fraude de bétail qui se fait dans le rayon de Maestricht ; mais je dirai que lors même qu’il ne se ferait pas de fraude actuellement par ce territoire, si on le place dans une position exceptionnelle, la fraude s’y établira, ou bien on s’y présentera pour payer le faible droit actuellement établi, et par suite on manquera le but de la loi.

L’honorable M. Zoude vous a présenté à l’appui de son amendement des considérations générales sur la situation vraiment malheureuse de la province du Luxembourg, et à cet égard il a paru m’adresser un reproche de ce que, originaire de cette province, je ne me suis pas rallié à l’amendement de la section centrale, tendant à ce qu’il soit accordé aux provinces de Luxembourg et de Liége une protection semblable à celle accordée aux autres parties du royaume dont il est question dans la loi.

Je dirai d’abord qu’ici je ne dois pas être porté à faire une faveur plutôt à la province de Luxembourg qu’à toute autre localité de la Belgique. Les intérêts généraux du pays nous sont confiés, ils doivent toujours nous diriger et ils nous dirigeront toujours ; aucun motif d’affection particulière ne nous fera déroger à ce principe.

L’honorable membre a ajouté que si je ne m’étais pas rallié à la proposition de la section centrale, c’était sans doute pour céder à quelques exigences politiques. Non, messieurs, aucune exigence politique n’a influencé ni la présentation ni la discussion de la loi.

J’ai eu l’honneur de dire à cet égard qu’avec la Prusse, puissance avec laquelle de bonnes relations politiques sont établies, et avec laquelle nous voulions étendre nos relations commerciales, il y avait à observer, dans notre intérêt bien entendu, certains ménagements auxquels nous n’étions pas tenus quant à la Hollande, qui est en guerre avec nous. Placés dans cette position, il fallait voir si la mesure qu’il s’agissait de prendre sur la frontière de Prusse était réclamée impérieusement par l’intérêt général du pays ; car s’il en eût été ainsi, aucune exigence politique n’eût dû nous arrêter ; nous eussions fait les affaires de notre ménage intérieur, sans nous inquiéter de l’opinion de nos voisins.

Mais j’ai déjà démontré par des calculs que l’importation du bétail par la frontière de Prusse était très peu considérable. En 1834, année que j’ai prise pour terme de comparaison, il n’a été introduit de Prusse en Belgique que 1,500 têtes de gros bétail, tandis que de Hollande il en a été introduit 6,000 têtes. J’ai tiré de ces faits la conséquence nécessaire que le mal est infiniment moindre par la frontière de Prusse que par celle de Hollande, et qu’il n’y avait pas lieu dès lors d’appliquer les mesures que nous proposons contre la Hollande, là où le mal n’est pas à beaucoup près aussi grand.

J’ai d’ailleurs présenté une considération particulière en faveur de la Prusse, c’est que les bœufs, vaches et taureaux introduits de ce pays en Belgique, sont pour la plupart et même presque tous des bêtes maigres que l’on achète pour les employer aux travaux agronomes du pays. D’où résulte d’abord que ces animaux sont utiles pour l’exécution de ces travaux et qu’ensuite nos cultivateurs ne perdent pas ainsi l’engraissage du bétail, comme cela arrive à l’égard du bétail venant de la Hollande.

Il résulte donc de tout cela que les considérations politiques aussi bien que les considérations d’intérêt matériel sont toutes différentes relativement à ces deux pays, et elles justifient suffisamment le gouvernement de ne vous avoir pas proposé sur la frontière de Prusse les mêmes mesures que pour la frontière de Hollande.

Les amendements de MM. Vandenbossche et Vuylsteke ne concernant pas le territoire, ils ne sont pas maintenant en discussion ; je me réserve donc de m’expliquer plus tard sur ces amendements.

M. Demonceau. - J’ai prêté une certaine attention à la discussion de la loi qui nous occupe, et j’ai cru pouvoir me rendre compte que le motif de la loi était celui-ci : de rétablir vis-à-vis de la Hollande des mesures analogues à celles en vigueur avant la révolution, en vertu de la loi de 1822.

La loi considérée sous ce point de vue est juste dans mon opinion ; loin d’être une loi de représailles, c’est une loi de bienveillance ; en effet, alors que ce n’est que par voie indirecte que nous pouvons introduire nos produits en Hollande, vous déclarez que vous recevrez les produits de la Hollande moyennant les mêmes droits que ceux dont la Hollande impose les produits étrangers. Vous dites à la Hollande : Nous vous traitons aussi avantageusement que vous traitez les autres puissances. Sous ce rapport la loi peut être nécessaire si elle tend à arriver au système de juste réciprocité que nous voudrions tous voir dominer dans tout le système européen.

Mais si nous appliquons ce système à la Prusse, nous devenons injustes. Ainsi il y aurait injustice à rendre applicable à la Prusse un tarif qui impose l’introduction du gros bétail d’un droit de 50 francs par tête. En effet, si nous examinons le tarif prussien (dans ce tarif il y a une distinction entre les bœufs et les vaches), nous voyons que les bœufs sont frappés d’un droit de 5 thalers (17 fr. 60) par tête. Le droit impose par le tarif belge tel que l’a modifié l’arrêté du gouvernement provisoire, est de 10 fl. (21 fr. 16). Ainsi il y a pour les bœufs une différence de 3 fr. 56 en plus dans notre tarif. Mais la différence est bien autre pour les vaches. Le tarif prussien ne les taxe qu’à 3 thalers (11 fr. 16) ; le tarif belge, à 10 florins (21 francs 16). Il y a donc une différence de 10 francs en plus dans notre tarif.

Je bornerai ici mes calculs ; mais vous voyez que même en laissant le tarif tel qu’il est, les droits que vous payez à la Prusse sont d’une quotité inférieure à celle des droits que vous lui faites payer ; il résulte des dispositions de la loi proposée que vous traiterez la Hollande plus favorablement que n’est traitée la Prusse par notre tarif actuel.

Il est certain d’ailleurs que pour les pays de pâturages de la province de Liége, le bétail de la Prusse (provinces rhénanes) est en quelque sorte indispensable.

Il résulte des calculs de M. le ministre des finances qu’en gros bétail la Prusse nous importe plus que nous ne lui importons. Mais si vous considérez l’immense quantité de menu bétail que nous lui exportons, vous trouvez qu’en somme notre exportation en Prusse est supérieure à l’importation qui nous est faite par la Prusse.

Ainsi 38 mille petits cochons ont été introduits de Belgique en Prusse. Nous avons payé en droits à la Prusse pour cette exportation l’énorme somme de 93,000 francs.

Si j’étais certain, comme ont paru l’être quelques membres, que l’on pût arriver à la liberté réciproque du commerce, en prenant une forte position dans le système qui régit l’Europe entière (je cite l’opinion de ces honorables membres d’après le Moniteur) ; si je croyais que les ordonnances rendues en France fussent le résultat du vote dans la question cotonnière ; si enfin, il m’était donné de croire que la Belgique, à peine reconnue indépendante par les pays voisins, la Belgique, pays industriel et agricole, produisant au-delà de ses besoins, pût, en haussant les droits jusqu’à la prohibition et par des menaces contre les Etats voisins, la Prusse et la France, obtenir des concessions de ces puissances, je m’associerais volontiers au système de ceux qui professent ces opinions. Mais je ne pense pas que des menaces eussent d’heureux effets.

Un événement récent me confirme dans cette opinion. Voyez ce qui se passe entre les Etats-Unis et la France. Les Etats-Unis, avec le bon droit pour eux, ont par leurs menaces envers la France établi une scission entre eux et un peuple qui a combattu avec eux sous la même bannière, pour fonder leur indépendance !

Ce n’est pas par des menaces envers l’étranger que vous servirez les intérêts de nos cultivateurs. Il est des droits dont ils souffrent, notamment dans la province de Liége, et qu’il vous appartient de faire cesser. Vous savez que les seuls produits des cultivateurs d’une partie de cette province sont le laitage et le fromage d’Herve. Depuis longtemps, les agriculteurs de la province de Liège ont fait une pétition pour obtenir la réduction d’un droit indirect qu’ils ne peuvent payer, le droit sur le sel. J’ai représente à M. le ministre des finances, qui a bien voulu me demander à cet égard une note écrite, que les cultivateurs du pays de Liége payaient, en droit sur le sel, un impôt de 2 p. c. sur des fromages de 75 grammes, tandis que les sauniers de la Belgique obtiennent l’exemption du droit sur le sel.

Maintenant voulez-vous savoir de quel droit sont imposés les fromages d’Herve à l’entrée en Prusse ? d’un droit de 3 thalers (12 fr. 83 c.) par 50 kilog. Ces fromages pèsent à peu près 3/4 de kilogr. Les agriculteurs font une bonne opération quand ils vendent 45 fr. les 100 pièces. Ces 100 pièces paient un droit de 19 fr. 25 à l’entrée eu Prusse. C’est, comme vous voyez, un droit de 40 p. c.

Je pourrais faire le même calcul pour les draps, pour les cuirs. Les cuirs tannés sont frappés par le tarif prussien d’un droit de 40 p. c. Il serait donc bien que le gouvernement tâchât d’obtenir des concessions de la Prusse. Il pourrait dire : Depuis 1830, le bétail que vous introduisez en Belgique n’est frappé à l’entrée que d’un droit de 10 fl., tandis que sous le gouvernement hollandais, le droit était de 20 fl. Nous avons réduit nos droits à l’importation ; réduisez de même les droits que vous nous faites supporter. Ce sont là, ce me semble, des motifs plausibles pour obtenir des concessions de la part de la Prusse.

Mais, a-t-on dit, si vous n’étendez pas les effets de la loi à la frontière de Prusse, elle n’aura aucun effet, car la Hollande vous enverra son bétail par la Prusse. Mais lorsque la Prusse nous permet de passer par son territoire pour porter nos produits à la Hollande, pourquoi ne pourrait-elle pas laisser la Hollande nous envoyer ses produits par la même voie ?

Que résultera-t-il de la loi ? Que le statu quo sera maintenu. La Hollande ne pourra prendre à notre égard des mesures de représailles.

Je dirai à ceux qui croient possible que la Belgique soit encore inondée de bétail hollandais, qu’il y a trop loin des provinces de la Hollande qui produisent des bêtes grasses à la frontière prussienne pour que ce trajet soit possible ; pendant le trajet, les dépenses augmenteraient considérablement. Ensuite, la fraude dont on se plaint avec tant de raison, ne pourra plus s’opérer ; car sur la frontière prussienne les bureaux de la douane prussienne sont voisins des nôtres.

Pour transiter, il faut obtenir décharge à la sortie ; lorsque les Hollandais sont arrivés à la frontière prussienne, il faut qu’ils obtiennent décharge de l’acquit à caution donné pour le transit en Prusse. Ils sont alors dans notre ligne de douane et nous sommes donc certains d’obtenir le paiement des droits.

Ainsi, sous quelque point de vue qu’on envisage la question nous ne devons pas vouloir empêcher (ce qui serait injuste) comme nous ne devons pas craindre, l’introduction du bétail hollandais par la Prusse.

M. de Longrée. - M. le ministre des finances, pour soutenir son système, vous a dit qu’en raison de la position de la langue de terre du Limbourg jusqu’à ses limites vers celles de la province de Liége, les Hollandais traverseraient aisément cette langue de terre pour arriver dans le pays, et qu’ainsi ils ne paieraient plus que les droits existants aujourd’hui. Mais j’ai déjà expliqué que cette langue de terre était de 27 lieues, et que ce trajet n’était pas possible en raison des frais qu’il occasionnerait.

Etendre les dispositions de la loi la frontière de Prusse, ce serait empêcher nos cultivateurs d’acheter en Prusse les bœufs maigres dont ils se servent pour l’agriculture ; ce serait prohiber les mutations entre nos agriculteurs et ceux de la Prusse. Que disait M. le ministre des finances dans la séance du 23 du mois dernier ?

Voici ses paroles :

« Nous n’agirons pas avec la Prusse comme nous agissons avec la Hollande. Nous avons des motifs de prendre en considération nos relations existantes avec ce pays. Nous sommes d’ailleurs trop désireux de les étendre encore pour les éloigner par des mesures diamétralement contraires à ses intérêts.

« Messieurs, on pourra me dire que dans ce cas la loi sera inefficace puisque la Hollande pourra nous envoyer son bétail par la Prusse. Cela ne sera pas ainsi, la Prusse ne pourra nous envoyer du bétail hollandais ; les détours à faire, les frais de douanes et autres y mettront obstacle ; dès lors si l’on ne doit envisager les choses que par rapport à la Prusse seulement et que l’on considère qu’aujourd’hui les importations de ce pays comparées à celles de la Hollande sont insignifiantes, cette objection ne serait pas fondée. (Je suis parfaitement d’accord avec M. le ministre.)

« Il est une autre considération qui ne se présente pas à l’égard de la Hollande comme elle existe en faveur de la Prusse. Chacun de vous sait que la Hollande n’introduit que des bêtes engraissées dans ses pâturages, destinées à la boucherie ; la Prusse au contraire ne nous envoie que du bétail maigre. Les bœufs qu’on rachète servent aux travaux agricoles. Lorsque ces travaux sont terminés, les agriculteurs belges engraissent leurs bestiaux, et les vendent. Le bétail acquiert ainsi dans le pays une valeur supérieure au prix d’achat, de telle sorte que s’il n’y est pas élevé, il permet au moins de faire quelques bénéfices par l’engraissement. Vous savez que le Birkenfeld, contrée de Prusse, produit des bœufs dont la configuration naturelle est extrêmement propre à supporter les fatigues de la culture des terres ; sous ce rapport, leur importation chez nous est très utile, et vous le voyez, nous sommes par conséquent loin d’avoir, pour prohiber le bétail prussien, les mêmes raisons politiques et les mêmes raisons d’intérêt que vis-à-vis de la Hollande. »

Ce n’est pas seulement le Birkenfeld qui nous envoie du bétail, le pays de Juliers nous en fournit également. Les mesures prises à l’égard de la Prusse sont non seulement injustes ; j’irai plus loin, elles sont impolitiques.

Quant à la fraude que M. le ministre craint, je crois avoir déjà fait connaître qu’il est impossible de pratiquer la fraude en transit par la Prusse. Les frais seraient trop considérables.

M. Simons. - Chaque fois que l’industrie agricole réclame l’appui de la législature, je me trouverai toujours disposé à accueillir favorablement toutes les mesures qui seront jugées nécessaires pour la relever de sa détresse. Malgré les doctrines de quelques économistes modernes et en dépit de toutes leurs belles théories, je pense qu’en Belgique c’est cette industrie qui mérite avant toutes les autres notre sollicitude particulière. Elle forme la véritable richesse du pays, et c’est encore toujours parmi cette classe intéressante d’industriels que, dans les jours de danger, l’on trouve le véritable patriotisme.

Pour mon compte donc j’applaudis de toutes mes forces à la mesure que vous propose le gouvernement, pour réprimer la fraude du bétail qui, quoi qu’on en dise, s’exerce d’une manière effrayante sur la frontière de la Hollande. Depuis longtemps les détenteurs de bétail et les cultivateurs du pays ont fait retentir dans cette enceinte leurs justes doléances ; il est temps que nous fassions droit à leurs réclamations, et surtout que nous y fassions droit d’une manière efficace.

Mais messieurs, si je me trouve d’accord avec le gouvernement sur l’utilité, je dirai même sur la nécessite des nouvelles mesures à introduire pour réprimer efficacement la fraude du bétail, je ne le suis plus du tout en ce qui concerne l’étendue où ces mesures exceptionnelles doivent recevoir leur exécution.

Le but avoué du projet de loi est de réprimer la fraude du bétail et surtout du bétail gras qui nous vient de la Hollande Que ce soit par des vues politiques ou par représailles, n’importe ; toujours est-il que la loi n’est dirigée que contre la Hollande et contre la Hollande seule. A cette occasion, M. le ministre des finances me permettra de prendre acte des paroles qu’il a prononcées dans une séance précédente.

« Nous n’avons pas, a-t-il dit, nous n’avons pas à conserver avec le gouvernement hollandais les égards de bon voisinage, que les autres nations sont en droit d’attendre de nous. Que les Hollandais reviennent envers nous à des sentiments de conciliation et de modération, ils nous trouveront prêts à régler avec eux des conventions d’avantages réciproques.

« Nous n’agirons pas avec la Prusse comme nous agissons avec la Hollande. Nous avons des motifs de prendre en considération nos relations existantes avec ce pays. Nous sommes d’ailleurs trop désireux de les étendre encore pour les éloigner par des mesures diamétralement contraires à ses intérêts. »

C’est probablement aussi par ces considérations majeures que M. le ministre des finances ne s’est pas rallié à la proposition de la commission d’industrie, qui veut étendre ces mesures au rayon des douanes dans toute la province de Liége et dans une partie de celle de Luxembourg.

Mais s’il en est ainsi, je ne sais réellement pas quels sont les motifs qui l’aient pu porter à rendre la disposition de l’article 2 et ses conséquences applicables au rayon des douanes de l’arrondissement de Maestricht, En effet, il est de fait, et pour s’en convaincre, on n’a qu’à jeter un regard sur la carte de la province, que la frontière de l’arrondissement de Maestricht ne touche sur toute son étendue qu’à la Prusse. Cet arrondissement est absolument sous tous les rapports dans la même situation que la province de Liège, et par conséquent ce qui est vrai à l’égard de cette dernière province ne l’est pas moins à l’égard de l’arrondissement de Maestricht.

Il est donc évident que M. le ministre est tombé dans une inconséquence en voulant rendre ces mesures exceptionnelles applicables à l’arrondissement de Maestricht, qui, je ne puis assez le dire, est borné sur toute l’étendue de la frontière par la Prusse, et qui est en outre éloigné de la frontière hollandaise de 25 à 30 lieues.

Mais, m’objectera-t-on peut-être, lorsqu’une fois la porte sera fermée à la fraude vers la frontière de la Hollande, on transitera par la Prusse et on fera entrer le bétail dans le pays en fraude des droits par la frontière prussienne.

Ceci n’est nullement à craindre, au moins en ce qui concerne le district de Maestricht. Plusieurs circonstances s’y opposent.

D’abord, pour transiter par la Prusse, le bétail y est assujetti à un droit de transit assez élevé. Ensuite, pour arriver à la frontière de ce district, il faudrait faire faire au bétail un détour qui, sur le point le plus rapproché de la Hollande, est au moins de 20 à 25 lieues, ce qui occasionnerait une dépense à peu près équivalente au droit d’entrée.

Finalement il est de fait que ces voyages de trente à quarante lieues, que l’on serait obligé de faire faire aux bêtes grasses, sont toujours accompagnés de grands dangers, et qu’en outre le bétail par les fatigues, le manque de soins, etc., perd considérablement pendant la route.

Toutes ces considérations, auxquelles je pourrais en ajouter d’autres, doivent vous donner la conviction que ces craintes sont chimériques, et qu’il est pour ainsi dire impraticable que l’on introduite des bêtes grasses de provenance hollandaise, dans l’arrondissement de Maestricht, par la frontière de la Prusse.

Mais supposons-en pour un moment la possibilité. En ce cas, il ne sera pas moins facile de faire cette introduction par la province de Liége. La frontière vers Henri-Chapelle et Verviers offre la même facilité que la frontière près de Vaals. Sur l’un et l’autre point on trouve des grandes routes. Le passage de la Meuse sur le pont de Liége présente, même en toute saison, des commodités que l’on ne rencontre pas dans le district de Maestricht. On ne peut donc, sans tomber dans une inconséquence manifeste, placer le district de Maestricht dans une autre catégorie que celui de Liége. Pour l’une et l’autre localité, il y a identité de raison, comme il y a identité absolue de position topographique.

Pour ce qui me concerne, je pense que les mesures exceptionnelles ne sont nécessaires ni dans l’un ni dans l’autre district, parce que l’importation des bêtes grasses de la Hollande ne se fera jamais par cette frontière, et que les mesures dont il s’agit, de l’aveu du gouvernement, ne sont pas dirigées contre la Prusse.

J’aime à me persuader, d’après ces considérations sans réplique, que M. le ministre des finances reconnaîtra son erreur, et qu’il donnera les mains au premier amendement que j’ai l’honneur de proposer à l’article 2, tendant à ce que les mesures exceptionnelles ne soient pas rendues applicables au rayon des douanes sur la frontière de l’arrondissement de Maestricht.

L’autre amendement a pour objet d’excepter également de cette mesure, quant à présent, le rayon autour de la forteresse de Maestricht. Voici mes motifs : sans doute personne ne sent plus que moi la nécessité que des mesures énergiques soient prises pour réprimer la fraude qui s’exerce d’une manière vraiment scandaleuse dans les environs de Maestricht. Depuis longtemps j’ai vivement réclamé ces mesures auprès de M. le ministre des finances. Les autorités communales dans le voisinage de cette forteresse ont à maintes reprises pétitionné pour recommander cet objet à la sollicitude du gouvernement, et je me félicite que l’occasion se soit présentée de déclarer en public que pour peu que l’on tarde à s’en occuper sérieusement, vous aurez beau élaborer des lois protectrices de l’industrie et de l’agriculture, la ville et le rayon stratégique de Maestricht deviendra bientôt le rendez-vous des fraudeurs et l’entrepôt général de toutes sortes de marchandises pour en inonder le pays.

C’est ainsi que par la rive droite de la Meuse l’on introduit continuellement en fraude, malgré la loi sur les céréales, une masse de grains étrangers, et je dois le dire, cette importation scandaleuse se fait depuis plus de trois ans au vu et au su des employés de la douane, sans que cette administration se soit donné la peine d’y remédier. Voici comment : Les céréales qui viennent de la Prusse sont déclarées en transit au bureau de la frontière pour être transportées à Maestricht. Au dernier bureau vers Maestricht, l’acquit en transit est dûment déchargé, les grains entrent sans paiement de droit dans le rayon stratégique de la forteresse et en sortent immédiatement après, pour être importés dans le royaume comme productions du sol, et ce sans document quelconque.

J’appelle donc aussi de toutes mes forces l’attention du gouvernement sur cet objet ; je déplore même amèrement que, malgré mes instantes sollicitations, aucune mesure n’ait été proposée de sa part pour arrêter cette fraude qui porte un coup mortel au peu d’affaires commerciales qui se traitent dans le district de Maestricht, en même temps qu’il cause un préjudice notable à l’industrie agricole du pays.

Que le gouvernement propose une loi qui interdise le transit des céréales de la frontière de la Prusse à Maestricht, j’y donnerai volontiers les mains, parce que, par ce moyen, le mal sera coupé à sa racine. Si des considérations politiques s’y opposent, ce que cependant je ne pense pas, eh bien, que l’on propose une loi qui abroge l’article 161 de la loi générale en ce qui concerne la libre circulation, sans document, des céréales dans le rayon autour de Maestricht ; j’y donnerai encore mon adhésion ; bien entendu avec quelques réserves en faveur des malheureux habitants du rayon stratégique de la forteresse.

Que l’on établisse enfin des peines plus sévères contre les fraudeurs dans ce rayon, que l’on y double et triple même le personnel de la douane, s’il le faut, j’y consens encore ; car, je le répète, il est indispensable, il est urgent que des mesures efficaces, des mesures énergiques soient prises dans un bref délai, pour réprimer la fraude qui s’y fait d’une manière vraiment effrayante en céréales du côte de la Prusse, et en toutes sortes de marchandises, sur la route militaire du Brabant septentrional à Maestricht.

Mais, messieurs, si des mesures répressives sont réclamées de toutes parts avec instance pour arrêter la fraude des céréales, du sel, des denrées coloniales, etc., dans cette localité, en est-il de même pour le bétail ? Je n’hésite pas à répondre négativement, et cette dénégation de ma part devra être confirmée par tous mes honorables collègues du district.

Je dirai plus, l’extension de la mesure proposée au rayon autour de Maestricht serait, pour le moment au moins, un acte souverainement ridicule, auquel je ne pourrai jamais donner mon adhésion. Autant vaudrait, parce que cette fraude exige des mesures répressives sur la frontière du Nord, décréter qu’elles seront aussi rendues applicables au rayon des douanes vers la France. Le fait est, messieurs, qu’aucune tête de gros bétail venant de la Hollande n’entre dans le rayon stratégique de Maestricht.

Il est constant et de notoriété publique que l’approvisionnement de cette forteresse en bestiaux se fait dans le royaume. C’est au marché de Tongres et dans les communes rurales du district que non seulement les bouchers, pour la consommation journalière des habitants, mais même les fournisseurs de la troupe, pour les besoins de la garnison, font régulièrement leurs provisions.

Je crois donc avoir prouvé à l’évidence que cette mesure dans le rayon autour de Maestricht est, quant à présent, tout à fait inutile et véritablement un hors-d’œuvre. Je dirai plus, elle aurait nécessairement un résultat inverse de celui que nous nous efforçons d’obtenir.

Déjà M. le ministre des finances vous a entretenus de la grande difficulté que les employés de la douane rencontrent pour garder convenablement la ligne assez étendue autour de cette forteresse. Tout y prête singulièrement à la fraude : la Meuse d’abord, qui traverse le rayon et qui est libre ; sur chaque rive une route militaire, qui toutes deux sont également inaccessibles à l’action douanière.

Ajoutez à cela que sur les deux rives se trouvent des agglomérations de maisons, au beau milieu desquelles passe la ligne de la douane, c’est-à-dire celle qui sépare le rayon stratégique de notre territoire, etc., etc.

Tout ceci vous donne une idée des grandes difficultés qui se présentent pour surveiller la fraude. Le personnel qui existe, et une activité soutenue, ne suffisent pas, à beaucoup près, pour réprimer actuellement la fraude : M. le ministre en a dû convenir lui-même ; et vous voudriez encore énerver cette action de la douane, vous voudriez encore détourner une grande partie de ce personnel, déjà trop faible, de la surveillance de la ligne, pour l’occuper inutilement, et en pure perte, à quoi ? A dresser des inventaires, à faire des visites domiciliaires, à apposer des marques, etc., etc. Vraiment cette manière de renforcer la ligne, et de réprimer la fraude qui s’y commet avec tant d’activité, ne se conçoit pas.

S’il y a quelque chose qui doive étonner, c’est qu’elle vous est proposée par l’administration de la douane ! Mais, comme les erreurs les plus courtes sont les meilleures, j’aime à me persuader que M. le ministre reviendra de celle que je viens de lui signaler, et qu’il donnera les mains à l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous proposer et qui tend à ne pas rendre applicable la disposition de la loi au rayon autour de Maestricht où, je l’ai prouvé à l’évidence, je pense, la nécessité de cette mesure ne se fait nullement sentir, au moins quant à présent.

Mais, objectera-t-on peut-être, si la nécessité de cette mesure ne se fait pas sentir actuellement, il se pourrait que par la suite l’on exploitât la route militaire par Brée, concédée à la forteresse de Maestricht par le traite de Zonhoven, pour faire entrer le bétail dans cette forteresse sans paiement de droit et pour ensuite l’introduire frauduleusement dans le pays.

Je ne pense pas, messieurs, que cette introduction frauduleuse soit jamais à craindre par cette route, parce que la grande distance qui sépare la frontière hollandaise de la ville de Maestricht y est et sera toujours un obstacle. En effet, la dépense que nécessitera le circuit à faire faite aux bêtes grasses, et il ne peut s’agir principalement que de celles-ci, sera presque l’équivalent du droit d’importation à payer. Il n’est donc nullement probable que l’introduction frauduleuse se fasse jamais par cette voie.

Mais, quoi qu’il en soit, ce n’est pas par des possibilités éventuelles et qui probablement ne se réaliseront jamais que l’on puisse motiver l’exécution de mesures aussi vexatoires que celles dont il s’agit.

Oui, messieurs, quoi qu’on en dise, elles seront surtout vexatoires autour de Maestricht, et même dans quelques localités impraticables. En effet, c’est là que se réaliseront tous les inconvénients qu’un honorable membre vous a déjà signalés dans une précédente séance.

Dans quelques localités on rencontre sur la ligne de démarcation des agglomérations de maisons, des hameaux, des communes ; de manière que vous aurez tantôt une maison d’habitation séparée de ses étables, tantôt des étables traversées par la ligne, dont une partie se trouvera dans le rayon stratégique et l’autre partie dans le rayon douanier, etc., etc.

Abstraction de ces considérations, il en existe d’autres bien plus majeures et que M. le ministre des finances paraît avoir totalement perdues de vue. Les habitants du rayon stratégique sont Belges comme nous, ils paient les impôts à l’Etat, leurs fils sont assujettis aux lois sur la milice ; ils prennent part aux élections, ils sont appelés comme jurés, etc., etc.

Comme tels, sans doute, ils doivent aussi jouir des avantages assurés aux Belges.

Cependant aucune disposition ne se rencontre dans la loi en leur faveur. Ils seront assimilés aux étrangers, et lorsqu’ils voudront conduire leur bétail au marché, ils seront impitoyablement repoussés, à moins de se soumettre au paiement du droit. Le pouvez-vous constitutionnellement ? Je ne le pense pas.

Tous les Belges sont égaux devant la loi, et vous voudriez mettre hors de la loi tous ceux qui habitent dans le rayon de la forteresse. Jamais je ne donnerai les mains à une disposition aussi inique.

Prenez des mesures fortes et énergiques pour réprimer la fraude qui se fait dans les environs de Maestricht, je ne m’y oppose pas. Je les ai provoquées moi-même depuis plus d’un an auprès de M. le ministre de l'intérieur en ce qui concerne les céréales.

Je ne reculerai devant aucunes, quelque exorbitantes qu’elles soient, bien entendu pourvu qu’elles soient accompagnées de dispositions qui mettent les habitants du rayon stratégique à même d’introduire les produits de leur sol dans le royaume sans paiement de droit. Mais je ne puis donner mon adhésion à des mesures vexatoires sans nécessité, sans utilité quelconques.

Je dis sans utilité car, je le répète, la forteresse fait tous ses approvisionnements en bétail au marché de Tongres et dans les communes environnantes. C’est un fait incontestable qu’il ne se fait pas d’importation de bêtes grasses de provenance hollandaise dans le rayon stratégique.

Au reste, messieurs, je veux qu’à tout événement le gouvernement ait les mesures nécessaires à sa disposition pour repousser la fraude, si tant est qu’elle trouvât moyen de se frayer une voie par la route militaire dont j’ai déjà parlé.

Pour apaiser toutes les craintes que l’on pourrait encore avoir à cet égard, je propose un article nouveau, qui met le gouvernement à même de rendre applicables à ce rayon les mesures que vous arrêterez, aussitôt que la nécessité s’en fera sentir.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je remettrai à demain, puisque nous ne sommes plus en nombre, ce que j’avais à dire sur l’espèce d’acte d’accusation lancé contre le gouvernement par M. Simons. Ses paroles, si elles restaient sans réponse pourraient avoir l’effet le plus fâcheux.

Il en résulterait que le gouvernement voit avec une sorte de plaisir la fraude des céréales dans les environs de Maestricht. Il est impossible de ne pas relever une semblable accusation. (Parlez ! parlez ! nous voilà maintenant en nombre.)

Je suis étonné que l’honorable préopinant qui habite le Limbourg, et qui par sa position est à même de connaître le rayon stratégique de Maestricht et les difficultés politiques qu’il a soulevées plusieurs fois, que cet honorable membre, dis-je, sans tenir aucun compte de ces difficultés, vienne reprocher au gouvernement la fraude qui se fait sur ce point, alors surtout qu’il reconnaît lui-même que la position des localités rend cette répression impossible.

L’honorable membre a dit que depuis plus de 4 ans l’on introduit en fraude des céréales en Belgique par le rayon stratégique de Maestricht ; il indique par quel moyen cette fraude se fait, c’est par le transit ; les céréales étrangères arrivent par la voie du transit dans les limites du rayon de Maestricht. Là elles sont déposées et exportées ensuite hors du rayon comme provenant du sol. Je voudrais que l’honorable préopinant nous indiquât le moyen de prévenir ces tristes inconvénients.

Il réclame à la vérité, pour la répression de la fraude des céréales, des mesures extrêmement rigoureuses. Il veut à cet égard que l’on soumette à une législation spéciale les habitants du rayon de Maestricht. Dans ce cas, il ne veut pas les considérer comme Belges.

Mais lorsqu’il s’agit de la répression de la fraude du bétail qui fait l’objet de l’article en discussion, l’honorable membre rappelle en faveur des habitants du rayon leur qualité de Belges.

Il ne veut pas qu’on leur applique des mesures dont l’application s’étend aux habitants d’autres parties du royaume qui sont incontestablement belges. Je ne puis concilier de telles contradictions.

L’honorable membre dit qu’il résulte d’une lettre dont il vient de donner lecture, et de deux renseignements qui lui sont parvenus, qu’il ne s’introduit pas de bétail en fraude par le rayon de Maestricht ; et de là les motifs de son amendement. Eh bien, je suppose que ce fait soit vrai : il n’en sera pas moins positif, ainsi que je l’ai déjà dit tantôt, que si l’on excepte le territoire de Maestricht de la législation répressive consacrée par le projet, l’introduction du bétail aura lieu immédiatement par ce territoire après l’adoption de la loi ; car ce serait laisser le territoire de Maestricht en communication directe, non interrompue et des plus faciles par une rivière navigable, avec la Hollande.

L’honorable M. Simons nous assure qu’il s’empresserait d’adopter les mesures les plus sévères qui tendraient à arrêter la fraude des marchandises par le rayon stratégique ; eh bien que l’honorable membre donne la garantie qu’il agira ainsi, en votant les mesures répressives que nous demandons aujourd’hui contre une autre espèce de fraude ; si ces mesures ne sont pas commandées à cette heure par l’introduction du bétail, elles le seront aussitôt qu’elles auront été appliquées à d’autres points du royaume.

L’honorable membre parle de dispositions extrêmement vexatoires, qu’il prétend que nous appliquerions à l’égard du rayon stratégique de Maestricht en n’admettant pas son amendement.

Ces mesures seraient vexatoires si elles ne s’appliquaient qu’à cette partie du territoire belge, mais elles sont communes à tous les habitants du territoire réservé de la douane dans la partie du royaume indiquée dans le projet ; et d’ailleurs, quand nous serons arrivés à la discussion des articles d’exécution, vous verrez qu’il pourra bien en résulter quelque gêne, mais qu’il n’y aura aucune des vexations que l’on redoute.

Le préopinant ajoute : Vous allez donner aux employés de la douane une occupation extraordinaire, et ils ont déjà trop à faire. Je réponds à cela qu’une fois les inventaires dressés, l’occupation nouvelle de la douane sera peu importante ; mais il y aurait réellement pour les douaniers un surcroît de surveillance excessive, quoiqu’inefficace, s’ils devaient veiller à la répression de la fraude du bétail, dans le cas où l’on n’étendrait pas au rayon stratégique les mesures proposées dans cette loi.

Remarquez, messieurs, qu’il n’y aurait aucune espèce de raison d’adopter l’amendement de l’honorable préopinant plutôt que celui de l’honorable M. de Longrée. Le premier demande d’excepter des mesures répressives la partie du Limbourg qui est en communication directe avec la Hollande, aussi bien que la partie plus éloignée de la même province qui fait l’objet de l’amendement de l’honorable M. de Longrée. Comme je l’ai déjà dit, si la fraude peut s’opérer par terre, par la langue de terre comprise entre la Hollande et la Prusse, elle peut de même très facilement dans le rayon stratégique de Maestricht par la Meuse.

M. Eloy de Burdinne. - L’honorable ministre des finances a dit que l’intérêt général commandait l’adoption des mesures répressives demandées par la loi. Je partage également cette opinion et je pense qu’il est de l’intérêt général d’en étendre l’application à la frontière prussienne.

M. le ministre a dit encore, en répondant très judicieusement à l’honorable M. Simons, que si l’on exceptait le rayon de Maestricht, c’était donner le moyen d’éluder les mesures que vous allez prendre dans le rayon des Flandres.

Je ferai remarquer a M. le ministre que si l’on excepte le rayon de Maestricht, il y aura moyen d’introduire par cette partie du Limbourg le bétail hollandais, hanovrien et prussien (car je m’inquiète peu de la provenance du bétail, dès que son introduction nuit à l’industrie de mon pays). Il en résultera donc que si l’on se borne aux lignes ou aux points proposés par le gouvernement, la loi sera illusoire.

L’honorable ministre des finances vous a dit que la province du Luxembourg tire de l’Allemagne du bétail nécessaire aux travaux agricoles, surtout des bœufs destinés à l’attelage. Je demanderai aux hommes plus instruits que moi des besoins du Luxembourg si les bœufs d’Allemagne sont indispensables pour les travaux agricoles. Si cela est, je reviendrai de mon opinion. Mais si les renseignements que l’on m’a donnés, et si le peu de connaissances que j’ai du Luxembourg, sont exacts, l’on pourrait faire servir les élèves de cette province aux attelages. Si je me trompe, je prie les honorables membres mieux à même de connaître les besoins de Luxembourg de me détromper à cet égard ; leur opinion modulera mon vote.

Mais, vous a dit l’honorable M. Demonceau, les bœufs qui viennent de l’Allemagne sont des bœufs maigres. De cette manière nous favorisons l’industrie des nourrisseurs de bétail. Mais, messieurs, notre pays ne présente-t-il pas aux nourrisseurs plus de bétail maigre qu’ils n’en ont besoin, et faut-il accorder la préférence à l’étranger ? faut-il accorder aux nourrisseurs de bestiaux la faculté d’aller à l’étranger au détriment des habitants de leur propre pays ? Pour moi, je ne partagerai jamais cette manière de voir.

Je sais que bien des membres s’apprêtent à voter contre la loi dans la crainte qu’elle ne vienne à faire hausser le prix de la viande. Vous savez que, lorsqu’il fut question de la loi sur les céréales, les mêmes craintes furent manifestées à l’égard du prix du pain.

Plusieurs membres. - Ce n’est pas la question.

M. Eloy de Burdinne. - L’honorable M. Demonceau a dit que pour être juste, il fallait ne pas appliquer à la Prusse les mesures que nous prenons contre la Hollande, par la raison que la Prusse impose un droit très minime sur le bétail de notre pays. Si la Prusse agit ainsi, c’est qu’elle sait fort bien que nous ne lui enverrons pas de bétail. Si elle pouvait craindre que notre bétail ne vînt approvisionner ses marchés, bien certainement elle se hâterait d’élever le droit d’entrée sur cette branche de notre industrie.

L’honorable M. Demonceau a dit : « Prenez-y garde, la Belgique envoie à la Prusse 30,000 petits cochons. » (On rit.) Mais je ferai remarquer que l’année où l’on a introduit ces petits animaux, puisque le nom de cochons vous fait rire (nouvelle hilarité), ces 30,000 petits animaux ont produit à peine à notre pays une somme de 150,000 francs. Ces petits animaux depuis deux années sont tellement à vil prix, que l’on s’en procure à raison de 50 centimes la pièce dans toute la Hesbaye.

Messieurs, on vous a parlé aussi des fromages. Il s’agit du fromage de Herve. (Hilarité.) Ne riez pas, c’est une branche très intéressante de notre industrie, à laquelle je m’intéresse beaucoup. Remarquez que la Prusse n’est pas aussi modérée sur le droit du fromage que sur le droit du bétail. Ce droit monte, d’après les calculs de M. Demonceau, à 40 p. c. de la valeur. Vous voyez bien que la Prusse ne se gêne pas pour imposer un droit élevé sur les produits de notre pays. Nos voisins ne prennent à l’étranger que ce qu’ils ne peuvent se procurer chez eux.

L’honorable M. Demonceau a dit que la protection accordée par la loi en discussion au bétail maigre tournera au profit du canton de Herve. Ce pays n’est pas un pays producteur. On n’y nourrit du bétail que pour y faire du fromage, et l’on ne s’en procure d’autre que pour remplacer les animaux dont on est obligé de se défaire à cause de leur âge. Il n’en est pas de même des autres parties du royaume. Cette considération doit mériter votre attention.

Au surplus, je crois la Prusse trop raisonnable pour trouver mauvais que nous prenions des mesures pour protéger notre industrie ; si nous prenions une loi spéciale contre elle, elle aurait droit de se plaindre. Le plus important d’ailleurs est d’éviter la ruine de la propriété. Quand une fois elle est ruinée, il n’est pas si facile de la remettre sur pied. C’est le propriétaire que l’on frappe lorsque l’on atteint l’agriculture. L’on rétrograde, et je sais que la rétrogradation n’est pas de votre goût.

J’ajouterai quelques mots sur la province du Limbourg. La réponse de M. le ministre des finances a rendu ma tâche facile.

L’honorable M. Simons a dit qu’il résultait de renseignements pris au ministère, qu’aucun bétail n’avait été déclaré au rayon stratégique : cela me prouverait que la fraude se fait très facilement de ce côté.

Il pourrait être entré des milliers d’animaux sans qu’au ministère on en sût rien. Je prierai M. le ministre des finances d’adopter, pour toutes les marchandises introduites dans le rayon, les mesures proposées pour le bétail. Je crois que l’on arriverait alors à un résultat favorable. Dans tous les cas, messieurs, mon intention est de voter pour que l’application des mesures de protection soit faite aux frontières de la Prusse, aussi bien qu’à celles de la Hollande. Par ce moyen l’on ne nous accusera pas de faire des lois de haine, et en étendant à toutes les frontières l’application des mesures répressives, c’est le seul moyen d’avoir une loi efficace.

M. Jullien. - C’est sur les moyens d’exécution de l’article 2 que j’avais demandé la parole. Comme la chambre a décidé que l’on s’occuperait d’abord de l’étendue du rayon, je prierai M. le président de conserver mon inscription pour le moment où l’on s’occupera de la deuxième partie de l’article.

M. Desmaisières, rapporteur. - J’avais demandé la parole dans la discussion générale renouvelée, au moment où, en parlant de l’amendement présenté par la commission relativement aux frontières de Prusse, un honorable député de Bruges vous disait :

« Voilà ce qui résulte de l’absence de documents. Mais voici bien autre chose. Le ministère présente un projet de loi qui est renvoyé à une commission ; cette commission fait un travail et change tout le projet ; elle vous propose de prendre des mesures pour empêcher l’importation sur tout le rayon de la frontière du coté de la Prusse surtout. Et que voyons-nous ? que la commission n’a pas su que nous exportions plus de bétail en Prusse qu’elle ne nous en importe. Ainsi, si par bonheur un membre n’avait pas appris que l’exportation vers la Prusse était plus considérable que l’importation, la proposition de la commission pouvait être adoptée.

« En effet, l’honorable rapporteur a déclaré qu’il ne savait qu’aujourd’hui, et d’après ce qu’il avait appris en séance, que notre exportation en Prusse était plus considérable que son importation dans notre pays. Ainsi, de ce qu’une commission n’avait pas les éléments nécessaires de travail, il pouvait résulter que nous aurions pris des mesures prohibitives contre un Etat, sans connaître nos relations dans cette matière avec cet Etat. Voilà les conséquences du défaut de documents ! »

Il y a deux choses essentielles à remarquer dans ce peu de lignes que je viens de citer. C’est d’abord un reproche non mérité, adressé au rapporteur de la commission, et à la commission qui je remercie bien sincèrement d’avoir coopéré à son travail ; c’est d’autre part un éloge, que nous sommes bien loin d’envier, adressé à un autre membre de la commission d’industrie que nous avons eu le regret ne point voir prendre part à nos travaux.

J’ai peut-être eu personnellement un tort. C’est, lorsque j’ai parlé immédiatement après que ces prétendus renseignements statistiques eurent été fournis à la chambre, de m’être trop facilement laissé séduire par leur authenticité.

J’ai eu assez de foi dans le caractère que revêt hors de cette enceinte l’honorable membre qui a produit ces documents pour croire que c’étaient des documents officiels que le gouvernement avouait, qu’il regardait comme exacts.

Mais quelle a été ma surprise lorsque j’ai entendu déclarer ici successivement par deux ministres que ces documents étaient inexacts, qu’ils les reniaient, que c’étaient des documents statistiques travestis. Pour comprendre dans ce chiffre on s’est servi... (Interruptions.)

Ce que je dis, messieurs, est relatif à l’amendement présenté par la commission sur les frontières de Prusse ; ainsi je suis dans la question. Les documents statistiques que l’on a produits sont relatifs aux frontières prussiennes.

M. Lardinois. - Mais M. Smits est absent.

M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, il est temps de revenir une bonne fois de cette tactique employées par plusieurs membres de cette assemblée, qui ne savent pas ce qu’il y a de pénible dans les fonctions de membre d’une commission et surtout dans celles de rapporteur.

Quand on n’a pas de bons arguments à présenter contre l’opinion de la commission ou du rapporteur, on vient les accuser de partialité ou de négligence : s’il continuait d’en être ainsi, vous ne trouveriez bientôt plus de membres de commission et surtout de rapporteurs.

Maintenant, je dirai que nous n’avons pas fourni de documents statistiques à l’appui de l’amendement que nous avons proposé relativement à la frontière prussienne, parce que nous n’en avons pas de complets, et que l’expérience a prouvé que des documents statistiques incomplets, au lieu d’éclairer une discussion, ne font qu’y jeter le trouble et la confusion.

Je ferai d’ailleurs remarquer que le reproche qu’on nous a adressé de ne pas avoir apporté de documents statistiques à l’appui de notre opinion, nous vient de membres de cette assemblée qui, quand ils étaient assis sur le banc ministériel, ne nous en donnaient pas. Les auteurs des propositions sur les toiles, les lins et les céréales, se rappellent ce qu’ils ont obtenu.

- Plusieurs membres. - A la question ! à la question !

M. Desmaisières, rapporteur. - Je réponds à une accusation dirigée contre la commission d’industrie et contre moi en particulier.

J’ajouterai même que ces membres qui ne nous ont pas donné de documents statistiques n’ont pas osé prendre couleur dans la discussion de ces lois.

Dans mon opinion personnelle, nous ne faisons ici ni une loi de menaces, ni une loi vengeresse ; mais une loi dans l’intérêt de notre propre agriculture, dans l’intérêt général par conséquent du pays.

Lorsque la Prusse a établi ces droits prohibitifs auxquels le député de Verviers a fait allusion, elle n’a pas considéré si cela nous faisait du tort ou du bien ; elle a examiné si cette mesure lui était utile.

Faisons donc une loi protectrice de notre agriculture, nécessitée par l’intérêt général du pays ; faisons une loi fondée sur ce principe : Salus populi suprema lex.

N’examinons pas si elle sera nuisible à tel ou tel pays voisin. Au reste, quant à la frontière française, elle est hors de cause. La frontière hollandaise, elle est jugée. Il ne reste donc plus que la question de la frontière prussienne.

Ici, messieurs, je remarque dans les diverses opinions émises, une extrême divergence. J’avoue que, quant à présent, il me serait difficile de bien asseoir une opinion à cet égard. Mais s’il était cependant démontré que le bétail hollandais pût nous arriver en transitant par la Prusse, alors nécessairement il faudrait établir sur la frontière prussienne un droit tel, qu’en ajoutant les frais de transport et de transit en Prusse le bétail hollandais paie le même droit en entrant par la Prusse qu’en arrivant directement de la Hollande. A cet égard, il y aurait des calculs à faire, que nous ne sommes pas à même d’établir en séance publique. Si la chambre adoptait cette opinion, il serait nécessaire de demander à la commission un rapport sur les divers amendements proposés à ce sujet.

M. Berger. - Je répondrai à l’interpellation que nous a faite l’honorable M. Eloy de Burdinne, que le bétail de la Prusse n’est nullement indispensable à notre agriculture, que nous avons au contraire dans le Luxembourg des bœufs très bons pour la culture. Ils n’ont pas la taille des bœufs prussiens, mais ils sont assez forts pour ce travail.

Je prendrai la liberté d’adresser une question à M. le ministre des finances. Il s’agit de savoir si on maintiendra ou si on majorera le tarif actuel sur les frontières de Prusse. Cette question me paraît complexe : il me semble qu’il faudrait d’abord examiner la question de savoir si on maintiendra le droit existant, et ensuite si on maintiendra le mode de perception par tête. Je demanderai à M. le ministre si, dans le cas où la chambre maintiendrait le droit actuel, il ne consentirait pas à ce qu’il soit perçu au poids comme sur les autres frontières,

J’attendrai qu’il réponde à ces questions avant de présenter les observations que j’ai à soumettre à la chambre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’interpellation de M. Berger est complexe : sur le premier point, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de donner d’explication. Nous n’avons proposé d’augmenter le droit que sur les frontières de Hollande et sur les frontières de Prusse jusqu’à la province de Liége. Nous n’avons donc pas eu la pensée de modifier les droits existants à l’égard de la Prusse ; nous ne l’avons pas davantage maintenant.

Sur le second point tendant à savoir s’il ne faudrait pas adresser le même mode de perception au poids sur les frontières de la Prusse que sur les frontières hollandaises, je dirai que si cela ne devait pas entraîner une discussion interminable, je ne m’y opposerais pas ; mais comment établir un droit au poids représentant une moyenne satisfaisante égale au droit actuellement perçu par tête sur les frontières prussiennes ? Je ne sais pas si nous pourrions parvenir à nous entendre.

Aujourd’hui, les bœufs pesant 300 kilog. paient le même droit que ceux de 500. Quel taux prendrait-on si on établissait le droit à raison du poids ? On entrerait nécessairement dans une discussion longue et difficile qui n’amènerait aucun résultat parce qu’il serait trop difficile d’établir une moyenne représentant le droit existant.

Si on pouvait espérer de tomber d’accord sur cette moyenne, il serait très facile d’insérer dans la loi une disposition à ce sujet ; il suffirait de dire : Le droit depuis tel endroit de la frontière prussienne jusqu’à tel autre sera de 10, 20 ou 25 p. c. moindre que celui perçu sur la frontière de Hollande. La rédaction de l’amendement ne serait donc pas une difficulté ; c’est uniquement cette moyenne sur laquelle il serait, je le répète, extrêmement difficile de s’entendre.

M. Berger. - Je crois qu’il me serait facile de prouver qu’en appliquant à la frontière prussienne la base adoptée pour la Hollande, le taux de 10 centimes par kil., nous maintiendrions le droit actuellement existant. Il résulte des explications données par le ministre des finances, dans des séances précédentes, qu’il n’arrive par la frontière prussienne que du bétail maigre et de taille inférieure. Si nous devons prendre la moyenne du bétail hollandais à 400 kil., la moyenne du bétail qui nous vient de la Prusse ne doit pas dépasser 250 kil. Le droit adopté pour les frontières de la Hollande, appliqué au poids de 400 kil., donne un droit de 40 fr par tête. Si vous appliquez ce même droit au poids de 250 kil., vous avez un droit de 25 fr., c’est-à-dire à peu près le même droit qu’aujourd’hui. Il y aurait de plus cet avantage qu’il y aurait uniformité dans le mode de perception.

S’il nous vient de la Prusse quelques pièces de bétail de 250 kil., il nous en vient aussi de 180 et 100 kil. : eu adoptant pour la frontière prussienne le tarif adopté pour la frontière hollandaise, ce bétail ne paiera que selon son poids ; 18 francs, quand il pèsera 100 kil., et 10 francs, quand il n’en pèsera que 100. Il paiera moins qu’il ne paie maintenant. Il me semble que nous serions injustes vis-à-vis de la Prusse si, après avoir adopté une autre base vis-à-vis de la Hollande, nous maintenions le droit par tête sur la frontière prussienne.

Quant au transit, je dirai que si nous n’adoptons pas la même base pour toutes les frontières, nous ferons une loi des plus mauvaises, une loi complètement illusoire ; et à cet égard, pour porter la conviction dans vos esprits, je n’aurais qu’à établir un calcul approximatif de ce que paiera le bétail hollandais transitant par la Prusse et entrant par la frontière prussienne.

Un bœuf paie en Prusse un droit de transit de 3-70. Supposons qu’il ait un trajet de 30 lieues à faire, ce trajet se fera en cinq jours à six lieues par jour, c’est comme cela qu’on fait voyager ces animaux, Quelle est la dépense par jour de cette espèce ? On ne compte que 50 centimes par jour ; je mets cela à un franc par tête par jour. Cinq jours, cela fait 5 fr. Ajoutez cela au droit de transit vous avez 8-70 ; ensuite le droit est de 20 fr., ce qui fait 28-70. Le bœuf de Hollande qui est le double d’un bœuf prussien, entrera par la frontière de Liége pour 28 fr. 70 c. Je voudrais voir réfuter ces calculs.

Je vous le demande, votre loi ne sera-t-elle pas complètement illusoire ? En fixant les frais de transport à 5 fr,, je crois les avoir portés au double de la dépense réelle.

Vous écarterez tous ces inconvénients si vous appliquez les mêmes bases à toutes les frontières, parce que de cette manière les gros bœufs paieront le même droit, par quelque frontière qu’ils entrent.

M. Pollénus. - D’après les observations que j’ai présentées dans la discussion générale, on a dû supposer que je suis disposé à adopter l’amendement proposé par M. Simons, quoique par un motif différent de celui développé par cet honorable préopinant.

Il ne faut pas s’étonner que cette discussion soit longue ; vous vous rappelez combien les faits cités différaient. Ceci vient du manque de renseignements à l’appui du projet. Nous avons à regretter ce manque de données pour le point du rayon stratégique autour de Maestricht. Car vous avez vu qu’à cet égard le ministre et M. Simons n’étaient pas d’accord.

M. le ministre des finances a commencé par reprocher à mon honorable collègue d’être en contradiction flagrante avec lui-même quant à son système relatif au rayon autour de Maestricht. Comment, lui a-t-il dit, vous demandez des mesures répressives pour les céréales, et vous n’en voulez pas pour le bétail ! Il y a là contradiction flagrante.

Je pense que mon collègue répondra à cette accusation. Mais je commencerai par y répondre de mon côté.

Sous quel rapport M. Simons a-t-il soutenu l’inutilité des mesures répressives dans le rayon, quant au bétail ? Parce que, disait-il, il ne se fait pas d’importation de bétail hollandais par Maestricht. L’honorable M. Simons ne s’est pas contenté de faire cette allégation, il a produit un document officiel, et ceci m’a frappé ; j’ai entendu un instant auparavant le ministre des finances invoquer une pétition des bouchers de Liége qui a été lue à la séance d’hier.

L’importation du bétail étranger était signalée par une pétition signée des nourrisseurs de bétail de la ville de Liége, tandis que M. Simons produisait une pièce, émanant du département des finances, qui constate que, durant les années 1834 et 1835, il n’a pas été introduit une seule tête de bétail par le rayon de Maestricht, provenant de la Hollande. Quant à la notoriété publique, M. Simons nous a dit que les habitants de Maestricht et la garnison s'approvisionnaient sur le marché de Tongres.

Je reviens au rayon de Maestricht. J’ai commencé par dire que déjà dans la discussion générale j’avais présenté quelques observations sur la partie de l’article concernant ce rayon, que je trouvais une difficulté à admettre et que je ne pourrais pas admettre, parce que je ne savais pas ce qu’il fallait entendre par le rayon autour de Maestricht. Comme il s’agissait d’une loi fiscale, d’une loi pénale, il m’a semblé que le législateur devait définir ce qu’il entendait par rayon autour de Maestricht de la même manière que le gouvernement définit le rayon des douanes, « déterminé par la loi du 7 juin 1832. » On indique même le numéro du Bulletin des lois.

Je voudrais que le rayon autour de Maestricht fût de même défini, s’il est susceptible de l’être, comme le rayon des douanes. Pourquoi pas : « tel qu’il est défini par la loi de ou l’article de.... ? »

J’ai dit que je voudrais que les habitants n’eussent aucun doute sur l’étendue de ce rayon, parce que je disais que si mes renseignements étaient exacts, le rayon stratégique avait subi des changements récents.

On m’a répondu que cela était faux. C’est là l’argument que m’a opposé l’honorable ministre des finances.

En donnant quelques explications sur ce point, j’adopterai un langage qui, pour être moins ministériel, sera plus parlementaire. Je disais donc que si mes renseignements étaient exacts, ce rayon aurait reçu des modifications. Et voici d’où je tenais mes renseignements : un fonctionnaire public m’a assuré qu’il aurait transmis un mémoire au département de l’intérieur par lequel on se plaignait du changement apporté au rayon. Notez que c’est d’un fonctionnaire public que je tiens cela, fonctionnaire appartenant à l’ordre judiciaire qui demeure dans ma ville. Je pourrais le nommer, car il ne m’a nullement recommande le secret. Ce document doit encore se trouver au département de l’intérieur ; j’aurais désiré le voir, car il est accompagné de pièces.

Remarquez, messieurs, que c’est sur la foi d’un fonctionnaire public que je connais depuis longtemps que j’ai osé, sous forme dubitative, annoncer que le rayon autour de Maestricht avait subi des changements, et le lendemain de la réplique du ministre des finances, j’ai eu occasion de voir à Bruxelles un employé des douanes qui a fonctionné dans le rayon douanier de Maestricht, et n’en est sorti que depuis quelques mois. Voici ce qu’il m’a dit :…

C’est encore sous forme dubitative que je l’avance.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - C’est commode !

M. Pollénus. - Il m’a dit que depuis trois mois environ, le planton de douanes avait été obligé de reculer de 500 toises.

Il était auparavant à la distance d’un mille depuis plusieurs mois, il aurait dû reculer de 500 ; il est à 1,500 d’après le dire de ces employés. J’avais quelques motifs pour croire qu’il y avait eu des changements au rayon douanier.

J’irai plus loin maintenant, je pense pouvoir établir que de la manière dont le projet est formulé, il n’y a pas de certitude en ce qui touche le rayon de Maestricht, quoique le ministre des finances ait dit. Ce rayon n’est autre que ce qu’il était en 1832.

Il est de notoriété publique, en effet, que nos troupes, en 1832, ne se tenaient pas à la distance où elles se tiennent aujourd’hui. Il est vrai de dire que ce rayon, quoiqu’il en soit question dans un arrêté royal de janvier 1832, n’a jamais été déterminé d’une manière claire et précise. Cependant le ministre et la commission auraient bien dû nous dire ce qu’ils entendent par le rayon autour de Maestricht et à quelle distance est le périmètre occupé par l’ennemi. Dans une semblable loi, tout doit être précis. Ce qui est dans cette loi doit être connu de tout le monde, chacun doit savoir ce qu’elle lui impose ; il ne peut y avoir d’exception à cet égard.

Je dirai comme M. Simons : Les habitants du Limbourg sont Belges aussi, qu’ils soient autour de Maestricht, ou qu’ils n’y soient pas ; et ils ne peuvent être frappés que par la loi et point d’une manière vague et arbitraire. (A demain ! A demain ! L’heure est avancée.)

- La séance est levée à 4 heures et demie.