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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 8 février 1837

(Moniteur belge n°40, du 9 février 1837 et Moniteur belge n°41, du 10 février 1837)

(Moniteur belge n°40, du 9 février 1837)

(Présidence de M. Fallon, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et un quart. La chambre n’est pas en nombre.

Un membre. - Renvoyons la séance à lundi.

M. Milcamps. - Attendons un peu ; il ne manque pas beaucoup de membres.

- A une heure et demie la séance est ouverte.

M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« M. Quetelet fait hommage à la chambre de 12 exemplaires d’un mémoire sur la détermination de la latitude de Bruxelles.


M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères, en exécution de la loi du 20 avril 1836, transmet à la chambre un exemplaire des budgets provinciaux de l’exercice 1837, et un exemplaire des comptes provinciaux, arrêtés par les conseils provinciaux du Brabant, d’Anvers, du Hainaut et de Liége, dans leur dernière session.


« Les distillateurs de Hasselt adressent de nouvelles observations sur le projet relatif aux distilleries présenté par M. le ministre des finances. »


« Les conseils communaux de Nimy et St-Vast adhèrent au mémoire des fabricants de sucre indigène en faveur de cette industrie. »


« La direction supérieure des églises protestantes du Limbourg demande qu’il soit alloué au budget de l’intérieur un subside pour défrayer les membres et couvrir les autres dépenses que nécessitent les intérêts du culte protestant. »


« Trois rouliers, habitants de Genappe, demande la révocation de l’arrêté royal du 28 décembre dernier, concernant le roulage. »


« Même réclamation de la part de rouliers de Baulers-lez-Nivelles. »


« Les sieur Demonceau, frères, fabricants et filateurs de lin, demandent l’abolition du droit de 3 p. c. sur le fil de lin à la sortie du royaume. »


« Des habitants de Bruges, titulaires d’engagères, adressent des observations sur les explications de M. le ministre des finances sur la réclamation des engagères fourniers par divers habitants de Bruges. »


« Le sieur J.-G. Lieten, entrepreneur de travaux à la maison de sûreté civile et militaire de Hasselt, demande la paiement de ce qui lui revient encore du chef de ces travaux. »


« Plusieurs habitants de la section de Mangaubroux, commune de Stemberg, réclament de nouveau contre la pétition des habitants de la section de Heusy, tendant à ériger cette section comme commune séparée. »


« Le sieur Mouchen, pharmacien à Bastogne, demande que la chambre institue un congrès pour la révision des lois médicales. »


« Le conseil communal de la ville de Gand demande la révision de la loi électorale. »


« Le conseil communal de la ville de Gand renouvelle sa demande que le gouvernement prenne à sa charge les indemnités à payer du chef des pillages commis en cette ville en mars et avril 1831. »


« Des officiers de l’armée belge demandent que la chambre rétablisse la commission des récompenses honorifiques, ou en nomme une nouvelle. »


« Un grand nombre d’habitants propriétaires et cultivateurs de la commune de Wessem (Limbourg), demande la libre exportation des foins récoltés en Belgique en opposition aux pétitions contraires. »


« La dame veuve Lambert Emons de Broeksettard réclame contre une prétendue décision illégale prise par le juge de paix et une dévastation nocturne de sa propriété ordonnée par le bourgmestre. »


« Le sieur Ch. Verbroek, propriétaire à Capellen, réclame de nouveau le paiement de l’indemnité qui lui revient du chef des pertes qu’il a essuyées par suite des événements de la guerre. »


M. Pollénus. - Parmi les pétitions dont on vient de présenter l’analyse, il est une du Limbourg, relative à un objet compris dans le budget du ministère de l’intérieur ; je crois qu’il fait en ordonner le dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion de ce budget.

- Cette proposition est adoptée.


- La pétition relative aux distilleries est renvoyée à la commission des distilleries.


M. de Renesse fait lecture des lettres de MM. de Brouckere, Andries, Beerenbroeck, Polfvliet, Verrue-Lafrancq, Frison, Dubus (aîné), qui s’excusent de ne point assister aux séances, attendu l’état de leur santé, et de la lettre, de M. de Man d’Attenrode qui annonce que la mort de son aïeule maternelle l’oblige à s’absenter.

A la liste des membres malades on apprend aujourd’hui qu’il faut ajouter les noms de MM. Liedts, questeur, Jadot, de Meer de Moorsel.

M. le président. - L’ordre du jour appelle d’abord le développement de la proposition déposée par M. Lebeau ; mais cet honorable membre étant malade, nous allons passer au second objet à l’ordre du jour.

Projet de loi concernant la taxe des barrières

Second vote des articles

Article 2

M. le président. - Un amendement est proposé par M. Pollénus. Il tend à donner des limites aux amendes prononcées pour contravention en matière de barrière ; ces limites seraient de 4 fr. à. 16 fr. ; et par suive de cette proposition il y aurait un changement dans le attributions des juges de paix.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’amendement proposé par l’honorable M. Pollénus a été présenté à la chambre en 1836 par le même orateur, lors de la discussion du projet de loi sur les barrières ; il fut alors combattu par plusieurs membres de l’assemblée, et personne n’en prit la défense. J’engageai l’honorable auteur de l’amendement à le retirer, et sur mes observations il le retira en effet. J’aurai l’honneur de vous exposer les motifs qui me déterminent à demander l’ajournement de l’article qui a été adopté au premier vote.

La chambre est saisie d’un projet de loi sur la compétence ; dans ce projet on s’occupe des justices de paix et des moyens d’étendre leurs attributions. Lorsque la chambre le discutera, elle pourra en même temps examiner la question de savoir s’il convient de déférer aux justices de paix des attributions en matière de barrières.

Messieurs, si à chaque loi que vous discutez, on propose d’amender les règles des juridictions, nous ne pourrez jamais prononcer en connaissance de cause ; de semblables questions demandent un examen approfondi ; or l’amendement de M. Pollénus, qui est d’une grande importance selon moi, n’a été soumis à aucun examen préalable, ni en sections, ni en commission. Il n’a pas seulement pour objet un changement de juridiction, mais il a aussi pour objet de changer d’une manière considérable les pénalités dans les cas de contravention en matière de barrières, du moins telle me paraît la portée de l’amendement dont la rédaction me semble un peu obscure.

Quant au changement de juridiction, je convins qu’il serait utile de diminuer le travail des tribunaux correctionnels, et d’étendre les juridictions des justices de paix, ce qui occasionnerait moins de frais aux parties, et au trésor public, et moins de lenteurs dans le jugement des affaires.

Si j’ai bien compris l’amendement, il s’agirait de changer le taux des amendes. D’après la législature eu vigueur, l’amende est proportionnée à la fraude ; ainsi quand on fraude avec un chariot à huit chevaux, l’amende et le droit s’élève à environ 60 fr. ; quand la fraude a lieu avec un chariot à un cheval, l’amende n’est que de 5 fr. ; c’est suivant le nombre des chevaux et des roues que le droit est perçu et que l’amende est plus ou moins élevée.

D’après l’amendement présenté par l’honorable M. Pollénus, celui qui aurait été passible d’une amende de 60 fr., pourra n’être condamné qu’à 1 fr., et celui qui n’aurait encouru qu’une amende de 5 fr. pourrait être condamné à 15 fr. Toute l’économie de la pénalité serait bouleversée.

Quoiqu’il en soit, je ne demande pas que l’on rejette d’une manière absolue la proposition de l’honorable député de Hasselt, je voudrais qu’elle fût renvoyée à la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à la compétence. Cette commission verra s’il faut étendre les attributions des juges de paix relativement aux barrières ; elle s’occupera en même temps de la pénalité.

On m’objectera probablement que dans la loi communale on a déféré aux juges de paix les contraventions aux règlements municipaux ; mais on invoquerait là un précédent dangereux ; car il en résulterait qu’on se prévaudrait de cet exemple pour changer les juridictions à toute occasion.

Messieurs, c’est un inconvénient assez grand que de faire rechercher les attributions des juges de paix dans plusieurs lois, et non dans une loi organique ; mais il faut considérer en outre que la loi communale est une loi permanente, tandis que la loi des barrières est une loi annuelle où l’on pourrait par conséquent modifier d’année en année la juridiction et la pénalité. Observez de plus que dans la loi communale on n’a pas échangé la pénalité ; tandis qu’ici, au lieu d’une pénalité proportionnelle contre la fraude on propose une pénalité de un à quinze francs.

J’espère que la chambre jugera ces observations assez puissantes, sinon pour repousser l’amendement d’une manière absolue, au moins d’une manière temporaire et conditionnelle ; il y a une commission chargée d’examiner les questions sur la compétence, que l’amendement lui soit renvoyé ; elle verra s’il faut soumettre aux juges de paix les contraventions en matière de barrières.

M. Milcamps. - L’amendement de M. Pollénus tend à attribuer aux tribunaux de police la connaissance des contraventions aux art. 5, 7, 9, 10, 11 et 13 de la loi du 18 mars 1833.

Si l’auteur de l’amendement entend que le tribunal de police ne pourra statuer sur les contraventions que dans le cas où elles ne donneront lien qu’à une peine de 15 fr. ou au-dessous, je dirai que cet amendement n’est pas assez explicite, mais dans ce cas il rentrerait dans les principes du code d’instruction criminelle et deviendrait inutile.

Si, au contraire, il entend que le tribunal de police connaîtra exclusivement de ces contraventions, quelque soit le montant de la peine applicable, il faut le dire dans l’amendement ; mais dans ce cas on déroge au code d’instruction criminelle, d’après lequel un tribunal de simple police ne peut connaître d’une contravention qu’autant que le minimum et le maximum de la peine applicable, sont dans les limites de la compétence (1 à 15 francs d’amende, 24 heures à 5 jours d’emprisonnement).

Il faut donc, si vous voulez déroger au code d’instruction criminelle, ce qui me paraît une chose fâcheuse et que rien ne justifie, il faut que vous fassiez rentrer les contraventions dont il s’agit dans la compétence du tribunal de police, et pour cela, dire que les tribunaux de police connaîtront exclusivement les contraventions aux art. 5, 7, 9, 10, 11 et 13 de la loi du 18 mars 1833, quel que soit le montant de la peine.

Si j’étais partisan de l’amendement de M. Pollénus, je proposerais un sous-amendement dans ce sens, mais je suis d’avis qu’il vaut mieux rejeter cet amendement.

D’après l’art. 12 de la loi du 18 mars 1833, toute contravention aux articles 5, 7, 9, 10 et 11 sera punie d’une amende équivalente à 30 fois le droit exigible dans préjudice au paiement du droit ; ainsi la peine pourra, parfois, s’élever à plus de 60 fr.

D’après l’art. 13 toute violence, qui aurait pour objet d’empêcher la perception du droit, sera punie d’une amende de 2 à 20 francs sans préjudice à l’application du code pénal, s’il y a lieu.

Maintenant vous savez que les tribunaux de police n’appliquent que la peine de 1 à 15 fr., mais ils prononcent en dernier ressort lorsqu’ils appliquent une peine en dessous de 5 francs, je pense, car je n’ai point sous les yeux le code d’instruction criminelle. Or, il est évident que si vous élevez la compétence des tribunaux de police de 15 à plus de 60 fr., il y a lieu à voir s’il n’y a pas lieu à changer, pour les cas de l’amendement, la disposition de ce code relative au premier et au dernier ressort.

Quant à moi, je rejette l’amendement sans cependant voir de l’inconvénient à admettre le renvoi proposé par M. le ministre de la justice.

M. Pollénus. - J’ai de la peine à concevoir comment on peut proposer sérieusement le renvoi de l’amendement à une commission chargée de l’examen d’un projet de loi sur la compétence civile des juges de paix. Je crois me rappeler, avec le ministre de la justice, que l’année dernière on a fait une proposition semblable à la mienne, et qu’elle a été retirée. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui comme il ne s’agit pas de matière civile, mais de matière de police, je ne vois pas que le renvoi demandé soit bien rationnel. Il ne s’agit pas de donner aux juges de paix le pouvoir de prononcer des amendes de 60 fr. ; ce que l’on veut, c’est de réduire le maximum de l’amende à la limite des peines de police dans tous les cas. En réduisant ainsi ce maximum, on ne change rien aux attributions des juges de paix, on fait tomber seulement les contraventions en matière de barrières ou ces affaires de police, dans les attributions de ces magistrats, telles qu’elles sont définies par la législation existante.

L’honorable M. Dubus, à ce que je crois, vous a suffisamment démontré qu’en proposant dans la loi qui nous occupe les mêmes expressions que celles qui se trouvent dans une disposition équivalente de la loi communale, notre but était le même, que nous cherchions à arriver au même résultat par le même moyen.

L’amendement, dit-on, est obscur : Je prierai à cet égard M. le ministre de la justice de faire attention au libellé de la disposition qui porte que les contraventions dont il s’agit seront poursuivies et jugées comme contraventions de simple police.

En disant que ces contraventions doivent être poursuivies et jugées comme des contraventions de simple police, on entend, que la limite s’arrête aux contraventions de simple police.

Mais s’il y avait quelque doute à cet égard, ou pourrait insérer dans la loi une autre disposition également contenue dans la loi communale, et à peu près équivalente à celle qui nous occupe, ce serait de dire :

« Le maximum de ces peines sera réduit à 15 fr. »

Mais, pour ma part, je ne conçois pas qu’il puisse y avoir doute, du moment que l’on dit que ces contraventions doivent être jugées comme contraventions de simple police.

Les explications que je viens de destiner prouvent aussi que l’absurdité signalée par M. Milcamps, dans l’article 2, n’existe pas ; cet honorable membre prétend qu’il aurait fallu introduire dans l’amendement la faculté d’appel, du moment que l’on étendait les attributions des juges de simple police ; mais je ferai observer à cet honorable membre que ces attributions ne sont pas étendues, et qu’il n’y a de modification que quant à la fixation du maximum de la peine.

M. Dubus a démontré dans la précédente séance que de cent cas qui se présentent, il n’y en a pas un seul où il puisse s’agir de prononcer une amende supérieure à 15 fr.

M. le ministre de la justice vous a dit qu’il y a des cas où l’amende peut aller jusqu’à 60 fr. Je n’ai pas en ce moment la loi de 1833 sous les yeux. Mais, si mes souvenirs sont fidèles, d’après les bases des amendes comminées par cette loi, la pénalité pourra très rarement excéder la somme de 15 fr.

J’ai dit, messieurs, que dans l’intérêt des contrevenants et de la perception régulière de l’impôt des barrières, il fallait que les contrevenants puisent toujours être jugés avec le moins de frais possible, et que les contrevenants fussent exposés le moins souvent possible à des déplacements toujours coûteux ; j’ai cru devoir saisir l’occasion de cette discussion pour introduire dans la loi une amélioration à cet égard.

S’il y a quelque ambiguïté dans les expressions que l’amendement renferme, je ne demande pas mieux qu’on rectifie la rédaction ; mais je ne puis consentir à ce que l’amendement soit renvoyé soit à l’année prochaine, soit à l’examen d’un autre projet de loi avec lequel l’amendement n’a aucune connexité car ce projet s’applique à la compétence civile ; et la commission, à l’examen de laquelle on renverrait l’amendement pourrait dire avec raison : « Nous sommes saisis d’un projet de loi relatif à la compétence en matière civile ; l’amendement que vous nous avez renvoyé n’a aucune connexité avec ce projet ; l’examen que nous en ferions n’aurait donc pas de but. »

M. Dubus et moi, avons démontré les nombreux avantages qui résulteraient de l’adoption de notre amendement, tandis que M. le ministre n’a point prouvé que l’adoption de cette disposition entraînerait des inconvénients.

Les ministres n’ont point contesté qu’il y a avantage à saisir les juges de simple police de la connaissance des contraventions en matière d’impôt des barrières, de ces affaires réellement minimes qui embarrassent les tribunaux et qui produisent de l’encombrement.

Si les ministres pensent que l’amendement présente quelque ambiguïté, je consens bien volontiers qu’on modifie la rédaction, en ce sens que je n’entends nullement étendre les attributions des juges de simple police, mais que je veux réduire seulement le maximum dans leurs attributions ordinaires.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, le gouvernement n’a aucun intérêt à ce que les attributions de la justice de paix ne soient pas étendues. Il est au contraire dans l’intention du gouvernement, de diminuer les attributions des tribunaux de première instance, et d’augmenter celles des justices de paix, la preuve en est dans la présentation du projet de loi sur la compétence civile, ou sous plusieurs rapports on propose d’étendre les attributions des tribunaux de paix.

Mais, messieurs, la discussion qui a lieu démontre ce que j’ai eu l’honneur de dire, qu’il y a des inconvénients à proposer pour chaque loi des modifications dans les juridictions, les pénalités.

Quand ce ne serait que l’inconvénient de n’être pas préparé à la discussion, d’être privé d’un examen préalable, et cet autre inconvénient de voir éparpiller dans un grand nombre de lois les attributions des justices de paix.

Comme je viens de le dire, la discussion, quelque résultat qu’elle ait, aura toujours l’avantage d’avoir provoqué des éclaircissements sur la portée de l’amendement.

En effet, les trois orateurs qui ont parlé, ont chacun entendu l’amendement d’une manière différente ; on peut effectivement l’entendre dans trois sens.

Les pénalités établies par la loi sur les barrières ont disparu pour faire place aux amendes ordinaires en matière de simple police.

Est-ce là ce qu’a entendu l’honorable préopinant ? On pourrait le croire au premier abord ; mais l’honorable membre vient de vous dire qu’il ne l’a pas entendu ainsi. Comment l’entend-il donc ? Laisse-t-il subsister les pénalités et ne fait-il que changer les juridictions ? C’est-à-dire le juge de paix, d’après le nombre de chevaux et de roues, imposera-t-il la peine proportionnelle qui peut aller jusqu’à 60 francs, quand il s’agit de chariots à huit chevaux ? Non, l’honorable M. Pollénus n’entend pas son amendement de cette manière. Dans son sens, le juge de paix n’ira pas au-delà de l’amende de 15 francs ; mais jusque là il suivra l’échelle proportionnelle.

C’est devant celui qui commet la plus grande fraude que la pénalité s’arrête. Voilà, en vérité, messieurs, une idée singulière, et je ne soupçonnais pas que ce fût ce système que l’honorable préopinant avait en vue de sanctionner.

De tout cela, il résulte que la chambre elle-même n’a pas pu connaître la portée de l’amendement qu’elle a adopté, lors du premier vote, et qu’il est utile de le soumettre à un nouvel examen.

Au reste, je déclare qu’il n’est pas dans mon intention d’éloigner l’examen de la question. Qu’on en fasse, si l’on veut, l’objet d’une proposition spéciale ; qu’on la renvoie à la section centrale qui a été chargée de l’examen de la loi sur les barrières, je m’aboucherai volontiers avec cette section centrale ; alors un projet pourra vous être soumis en pleine connaissance de cause.

Mais il n’y a aucun inconvénient à renvoyer l’article en discussion à la commission chargée de l’examen du projet de loi que j’ai eu l’honneur de vous présenter ; cette commission examinera sous tous les points de vue les avantages qu’il peut y avoir à restreindre les attributions des tribunaux de première instance et à étendre celles des justices de paix ; elle pourra introduire dans la loi l’amendement dont il s’agit ainsi que d’autres dispositions de cette nature qui seraient jugées utiles en matière de police comme en matière civile.

M. Pirson. - Messieurs, le plus grand inconvénient de l’admission de la proposition, que signale M. le ministre de la justice, est de voir disséminer dans différentes lois les dispositions relatives à la compétence des tribunaux ; sans doute c’est là un inconvénient, j’en conviens ; mais la compétence des juges de paix est en hausse et non pas en baisse ; nous sommes tous d’avis qu’il est nécessaire d’augmenter les attributions des juges de paix et de diminuer celles des tribunaux de première instance ; eh bien, messieurs, plus tôt nous pourrons arriver à décharger les tribunaux de première instance d’une partie des affaires dont ils sont encombrés, plutôt nous rendrons un grand service à ces tribunaux et à leurs justiciables. Voici comment je répondrai à ce qu’a dit M. le ministre de l’inconvénient qu’il y aurait à disséminer dans plusieurs lois les dispositions relatives à la compétence des tribunaux : M. le ministre vient de vous dire que cette compétence est réglée par le projet de loi qu’il nous a soumis, mais ce projet ne pourra probablement pas encore être discuté dans la session actuelle, car d’après le travail qui nous reste à faire et le peu de zèle qu’on met à se rendre aux séances, il est fort à croire que nous laisserons un grand arriéré ; eh bien, messieurs, puisque le projet de loi réglant la compétence des tribunaux ne pourra pas être discuté d’ici à un an, rien n’empêche qu’en attendant nous fassions un essai ; d’ici à un an l’expérience nous aura éclairés et lorsque nous en viendrons alors à la discussion de la loi générale sur la compétence, nous pourrons réunir dans cette loi les divers articles qui se trouveraient disséminés dans la loi que nous allons voter, dans la loi communale et dans d’autres lois où il pourrait exister des dispositions concernant la matière. (Aux voix ! aux voix !)

- La proposition faite par M. le ministre de la justice, de renvoyer la disposition à la commission chargée d’examiner le projet de loi relative à la compétence des juges de paix, est mise aux voix et adoptée.

Vote sur l’ensemble du projet

M. le président. - Il va être procédé à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Dans le tableau qui accompagne la loi il y a une faute d’impression à la page 40 du rapport : n°28 il est dit : « Flamisoul, jusques à 5,100 mètres ; il faut dire 500 mètres, etc. »

M. le président. - Cette erreur sera rectifiée.

- La chambre vote par appel nominai sur l’ensemble de la loi ; elle est adoptée à l’unanimité par les 56 membres présents.

Ce sont MM. Bekaert-Baeckelandt, Brabant, Coghen, Coppieters, Dolez, Cornet de Grez, Dams, de Jaegher, De Longrée, F. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Legrelle, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Pirmez, Pirson, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, Seron, Simons, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vanderbelen, Vergauwen, Van Hoobrouck de Fiennes, C. Vuylsteke, Watlet et Fallon.

Projet de loi accordant un crédit pour dépenses arriérées de la caisse de retraite des employés du ministère des finances

Dépôt

M. le président. - L’ordre du jour appelle maintenant la discussion du budget de l’intérieur.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je vais avoir l’honneur de remettre à M. le président un tableau dans lequel j’ai indiqué les différentes allocations qui devront être détachées des budgets de l’intérieur et des finances pour former le budget du département des travaux publics.

Après avoir déposé ce tableau, M. le ministre donne lecture d’un projet de loi accordant un crédit de 500,000 fr. pour dépenses arriérées de la caisse de retraite des employés des finances ainsi que de l’exposé des motifs qui l’accompagne.

M. le ministre dépose également un amendement au budget de la dette publique relatif au même objet.

- La chambre ordonne l’impression de toutes ces pièces.

M. le président. - Désire-t-on le renvoi aux sections ou à une commission ?

M. Pollénus. - Parmi ces propositions il en est une qui tend à faire majorer en faveur de la caisse des retraites une des allocations portées au budget de la dette publique et des dotations ; il me semble qu’il conviendrait de renvoyer cette proposition à la section centrale qui a examiné le budget dont il s’agit. (Non ! non ! en sections !)

On demande le renvoi en sections ; mais je ferai remarquer que par suite de la maladie régnante, le personnel de la chambre, et par conséquent celui des sections, se trouve beaucoup diminué, de manière qu’il serait très difficile de réunir assez de monde pour examiner la proposition. Il me semble donc que tous les motifs se réunissent pour qu’on renvoie à la section centrale la proposition de M. le ministre des finances qui au fond n’est qu’un amendement à un projet qu’elle a déjà examiné.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je propose deux choses distinctes, d’abord un projet de loi accordant un crédit pour régler l’arriéré dû par la caisse des retraites ; et ensuite un amendement au budget de la dette publique allouant, pour 1837, un crédit en faveur de cette même caisse des retraites. La seconde proposition n’est qu’une conséquence de la première, et je pense qu’il convient d’examiner celle-ci avant de s’occuper de l’autre ; car si vous admettez le crédit qui est destiné à régler l’arriéré, par une conséquence nécessaire vous admettez en même temps le crédit demandé pour 1837. Si l’on ne veut pas renvoyer ces propositions à la section centrale qui a examiné le budget de la dette publique et si cela ne devait pas prendre trop de temps, on pourrait les renvoyer aux sections, alors chacun des membres de la chambre prendrait connaissance des documents et y puiserait, j’en suis certain, une conviction tout à fait favorable aux mesures que je propose, car les questions relatives à la caisse des retraites se trouvent tout à fait éclaircies par le rapport de la commission de révision et les observations dont ce travail a paru susceptible.

Si donc le renvoi à toutes les sections ne devait pas trop retarder la chose, je n’y verrais que des avantages.

M. le président. - M. le ministre des finances a déposé un projet de loi relatif aux pensions, et de plus un amendement à introduire dans le budget des dotations.

On propose d’une part le renvoi aux sections, et de l’autre à la section centrale qui a examiné le budget des dotations et de la dette publique.

M. Dumortier. - Je demande que les propositions de M. le ministre des finances soient renvoyées aux sections. Il s’agit de régulariser des dépenses arriérées de six années, de créer une dépense nouvelle qui viendra chaque année grossir notre budget ; vous ne pouvez pas admettre que la section centrale chargée de l’examen du budget de la dette publique qui a épuisé son mandat, puisqu’elle a déposé son rapport, soit seule chargée de l’examen des pièces produites à l’appui de la demande qu’on vient de vous présenter, sa matière est assez grave pour que chacun de nous puisse examiner ces pièces.

Dans les paroles prononcées par M. le ministre des finances à la tribune, j’ai remarqué qu’il était question d’un document par lequel on démontrait que sous le roi Guillaume, indépendamment des 30 mille florins de dotation, on donnait annuellement 200 mille florins pour les pensions.

Je pourrais m’étonner qu’on n’ait pas découvert cette pièce depuis six années ; mais je ne n’en étonne pas, car nous sommes à une époque de découvertes ; chaque jour on en fait de nouvelles.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ce n’est pas une découverte, vous connaissez cette pièce.

M. Dumortier. - Je prie M. le ministre de ne pas m’interrompre. Quand il me répondra, je l’écouterai avec plaisir.

Je pense, dis-je, que la découverte d’une pièce aussi importante, qui doit grever annuellement l’Etat de près d’un demi-million, mérite bien d’être examinée par chacun de nous.

M. le ministre a demandé qu’on fît en sorte que l’examen de ses propositions fût terminé avant la discussion du budget des dotations et de la dette publique. Si telle était son intention, il n’avait qu’à présenter ses propositions plus tôt, il ne devait pas attendre que le budget des dotations fût à l’ordre du jour, il devait les présenter en même temps que ce budget. Puisqu’il a attendu pour nous faire ses propositions que le rapport sur le budget de la dette publique fût déposé et mis à l’ordre du jour, nous pouvons bien aussi attendre quelques jours pour nous livrer à un examen convenable.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il y a une foule d’erreurs dans ce que vous venez d’entendre, et l’honorable préopinant lui-même pourra s’en convaincre quand il lira les développements dont j’ai accompagné mes propositions, il verra d’abord que la pièce dont il a parlé n’est pas une pièce nouvellement découverte, mais une pièce déjà communiquée à la chambre il y a bien longtemps.

Voilà pour ce document qu’on voudrait présenter comme ayant été découvert avec une sorte d’à-propos. C’est parce que je regardais cette pièce comme d’une grande importance que j’ai cru devoir la reproduire de nouveau avec la proposition que j’ai l’honneur de vous faire.

M. Dumortier vous a parlé ensuite d’un demi-million nouveau dont on allait grever annuellement notre budget. C’est encore une erreur ; nous demandons 500 mille fr. pour régulariser un arriéré à répartir sur six années et sur le dernier semestre de 1830 que nous avons payé à la décharge du gouvernement hollandais et pour la moitié duquel nous n’avions touché aucune retenue. C’est donc pour six années d’arriéré et un semestre pour lequel nous n’avions fait que la moitié de la recette, que nous demandons 500 mille fr.

Quant à la somme nouvelle, laquelle n’a toutefois jamais été qu’ajournée, à payer annuellement, vous verrez qu’elle est loin d’être ce que l’on prétend ; les pièces vous prouveront que l’on ne demande qu’environ le sixième du chiffre supposé par le préopinant.

M. Dumortier s’est encore trompé lorsqu’il a dit que je demandais que l’examen de mes propositions eût lieu immédiatement, afin de pouvoir les discuter de suite et en même temps que le budget des dotations et de la dette publique ; je me suis borné à demander que l’examen eût lieu le plus tôt possible, parce qu’il s’agissait d’une dette sacrée, dont il ne fallait pas trop différer le paiement, les intéressés attendant après ce qui doit leur en revenir pour vivre.

Je ne demande pas que les projets que j’ai déposés soient soumis à une discussion prématurée et superficielle ; je désire au contraire qu’ils soient l’objet d’un examen consciencieux et approfondi de chacun des membres de cette chambre, persuadé que je suis qu’après cet examen, tous ceux qui se sont opposés dans le temps aux crédits demandés pour la caisse de retraite reviendront de leur première opinion.

Je ne fais donc aucune objection à ce que le projet de loi que j’ai présenté soit renvoyé aux sections. Ce que je réclame de l’humanité de la chambre, c’est qu’elle s’en occupe le plus tôt possible.

On m’a reproché de n’avoir pas présenté plus tôt les propositions dont il s’agit. A cela, je répondrai que depuis quelques semaines les bureaux du ministère des finances sont en quelque sorte désorganisés par la maladie régnante, et que j’ai assez de peine à faire marcher les affaires aussi vite que de coutume. La moitié des fonctionnaires de mon département, comme la moitié des membres de la chambre elle-même, sont retenus chez eux par indisposition. Voila en grande partie la cause du retard qu’a éprouvé la présentation du projet que je viens de déposer.

- Le projet de loi et l’amendement au budget de la dette publique déposé par M. le ministre des finances, sont renvoyés à l’examen des sections.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1837

M. le président. - La suite de l’ordre du jour est la discussion du budget de l’intérieur.

Rapport sur une pétition

M. Hye-Hoys. - Je suis chargé de faire le rapport de pétitions relatives au budget de l’intérieur ; la chambre a demandé que ce rapport lui fût fait avant la discussion de ce budget, Je demande à être entendu. (Oui ! oui ! Parlez !)

Messieurs, plusieurs jardiniers fleuristes de Bruxelles et des environs demandent que la société d’horticulture de Bruxelles soit empêchée de vendre par partie, ou en plus petit détail les fleurs et arbustes provenant de son jardin si le subside de 25,000 francs qu’elle reçoit du gouvernement et de la régence de Bruxelles continue à lui être accordé.

Votre commission doit déclarer d’abord que ces deux pétitions n’ont été remises à la commission qu’après le vote définitif du budget de l’intérieur de 1836. Elle reconnaît que les plaintes faites par les pétitionnaires méritent toute l’attention de la chambre : ils exposent le tort incalculable que leur fait le jardin botanique de Bruxelles, où, contre l’usage des autres villes du royaume, les fleurs, plantes et arbustes se vendent comme en plein marché, et de manière à ruiner tous les jardiniers fleuristes qui supportent toutes les charges, tandis que le jardin botanique étant exploité par une société d’actionnaires riches, ne supporte pas de ce chef toutes les charges qui pèsent sur eux, et que par là ils peuvent faire vendre les plantes et arbustes à des prix bien moins élevés que les jardiniers. Il y a encore à ajoutera à cela, messieurs, que la société du jardin botanique de Bruxelles reçoit chaque année non seulement un subside de la régence qui se monte à 6,000 fl., mais un autre subside du gouvernement de 6,000 autres florins ; de manière que ces deux subsides ensemble dépassent la somme de 25,000 fr., outre les faveurs précitées, et lui permettent avec toute facilité de porter la ruine chez les réclamants.

Votre commission ayant examiné la demande des pétitionnaires est d’avis, que quant au premier subside que la société aurait de la part de la régence la chambre n’a pas à s’en occuper, vu que cela résulte d’un contrat passé, le 10 avril 1826, entre la société et la régence, et que la constitution garantissant à chacun le libre exercice de son industrie, la société est dans son droit de vendre au prix qu’il lui convient les fleurs et arbustes de son jardin sans qu’aucune autorité puisse y mettre obstacle ; mais pour ce qui concerne les 6,000 florins accordés par le gouvernement, la commission propose de renvoyer ces deux pétitions à M. le ministre de l’intérieur avec demande d’explications, attendu que cette société ne paraît pas remplir, d’après le dire des pétitionnaires, ses engagements ni envers la régence, ni envers le gouvernement, et propose en outre le dépôt au bureau de ces deux pétitions, pendant la discussion du budget de ce département.

M. Dumortier. - La commission des pétitions a grand tort de proposer le renvoi au ministre de l’intérieur avec demande d’explications. Quand le jardin botanique fut fondé par une société particulière, le gouvernement a pris l’engagement de donner un subside afin de faire jouir la capitale de ce superbe établissement, en y admettant le public à certains jours. La commission a toujours rempli ses engagements. Si quelque a une proposition à faire, il la fera quand on en sera à l’article du budget de l’intérieur. Je ne vois pas de raison pour demander au ministre des explications sur les sommes votées jusqu’à présent à cet établissement en vertu d’un contrat.

Le jardin botanique est un des plus beaux établissements qui existent dans la capitale ; et ce serait mettre son existence en doute et faire chose très préjudiciable à la ville de Bruxelles et à la science dans le pays, que de renvoyer les pétitions dont il s’agit au ministre de l’intérieur avec demande d’explications. Je demande qu’on se borne à ordonner le dépôt des pétitions sur le bureau pendant la discussion du budget de l’intérieur.

M. Desmanet de Biesme. - On avait demandé le contrat passé entre le gouvernement et les propriétaires du jardin botanique, ce contrat ne s’est pas retrouvé. Mais il est certain que les propriétaires du jardin doivent en avoir un double. M. le ministre pourrait le leur demander. Nous ne savons pas si la somme qu’on leur a payée jusqu’ici leur a été allouée à perpétuité ou pour un temps déterminé.

Il y a des plaintes sur ce que ce jardin subventionné fait aux jardiniers fleuristes une concurrence que ceux-ci ne peuvent pas soutenir. Il me semble qu’il est nécessaire de renvoyer les pétitions au ministre, afin que d’ici à la discussion de cet article de son budget, il puisse se procurer les renseignements nécessaires.

M. Desmet. - Vous avez vu dans le rapport de la section centrale que l’arrêté, par lequel le roi Guillaume avait donné à la société de Bruxelles six mille florins, n’a pu être retrouvé. Je crois que cet arrêté doit être au nombre des pièces que conserve l’administration de cette société. La raison pour laquelle la section centrale a demandé communication de ce document, c’était afin de savoir si le temps pendant lequel les six mille florins seraient alloués n’était pas expiré. Je crois qu’il faut appuyer la proposition qui a été faite du renvoi de la pétition au ministre de l’intérieur avec demande d’explications. Je ne crois cependant pas que les plaintes des marchands fleuristes soient fondées : le jardin botanique, loin d’avoir toutes les plantes qui devraient être dans sa collection, manque de beaucoup de choses, et par conséquent ne peut fournir aux autres ce qu’il n’a pas lui-même, et on lui adresse un reproche qu’il est dans l’impossibilité de mériter.

M. Dumortier. - Je ne comprends pas le but de la demande du renvoi de la pétition au ministre ; est-ce pour empêcher l’administration du jardin botanique de tirer parti des plantes qu’elle fait cultiver ? Mais n’est-elle pas libre de disposer de ce qui lui appartient, de vendre, de donner même les végétaux ? Est-ce pour chercher à lui retirer le crédit de six mille florins qui lui est accordé annuellement ? Mais réfléchissez aux suites qu’aurait une semble mesure. Si on retire les six mille florins à cet établissement, il sera vendu : son administration ne demande pas mieux que d’avoir un prétexte pour le vendre. Ses dépenses sont telles qu’elles surpassent les produits ; l’administration est obligée de vendre des plantes, des arbrisseaux, pour faire face à ses dépenses. L’entretien et le chauffage des serres coûtent beaucoup, et les actionnaires de la société du jardin botanique ne retire rien, ou presque rien, de leurs actions.

Ce serait un acte d’un affreux vandalisme que de provoquer la vente de cet établissement, et ce serait en provoquer la vente que d’ordonner le renvoi de la pétition au ministre de l’intérieur. Je demande que la pétition soit purement et simplement déposée sur le bureau ; si quelqu’un a besoin d’explications, le ministre est là et pourra les donner pendant la discussion ; mais il ne faut pas mettre en doute l’existence d’un établissement aussi magnifique.

M. de Jaegher. - Je ne partage pas l’opinion du préopinant quand il dit qu’on ne doit pas renvoyer la pétition au ministre avec demande d’explications ; mais je suis de son avis quand il soutient qu’on ne peut refuser au jardin botanique le droit de vendre des plantes. On prétend que les riches actionnaires n’ont pas des charges aussi lourdes que les jardiniers ; mais c’est le contraire qui est vrai : les jardiniers cultivent par eux-mêmes tandis que les actionnaires font cultiver par d’autres.

Pourquoi la société a-t-elle demandé un subside ? C’est parce que ses revenus ne pouvaient suffire ; ne serait-ce pas demander l’anéantissement de cet établissement que de vouloir aujourd’hui l’empêcher de tirer parti de ces plantes et de ces arbrisseaux et que de lui retirer encore le subside qu’elle a reçu jusqu’ici ? J’appuie la demande d’explications et en même temps j’appuie la demande d’un subside, parce que je crois le jardin botanique un établissement utile, faisant honneur à la ville de Bruxelles, qui doit être conservé.

M. Hye-Hoys. - D’après la pétition, je vois que la société s’est engagée à faire un cours de botanique, et cependant il n’y a pas eu de cours.

M. Dumortier. - Il y a un crédit porté au budget pour la société d’horticulture ; renvoyer la pétition au ministre avec demande d’explications, c’est faire une menace à cette société et c’est, je le répète, un acte de vandalisme que de prendre des mesures qui amèneraient la destruction d’un établissement qui est le plus beau de son espèce en Europe. Il serait déplorable que vous en compromettiez l’existence ou que vous la mettiez en doute.

M. de Jaegher. - J’appuie le renvoi précisément pour savoir dans quelle position se trouve la société d’horticulture, afin que la chambre se prononce une bonne foi sur cette question.

M. Desmet. - Il faut savoir si l’arrêté du roi Guillaume existe ; mais ce n’est pas pour rejeter l’allocation de six mille florins ; c’est pour connaître le véritable état des choses. Quant à l’objet de la pétition, je crois que la société est loin de faire tort aux jardiniers et qu’elle vend très peu ; c’est à ce point qu’elle fait difficilement face à ses dépenses.

- La demande d’ajournement est adoptée, et la pétition restera déposée sur le bureau pendant la discussion.

Discussion générale

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - En conséquence du changement d’attributions opéré dans les ministères, il y a des changements à faire au tableau du budget de l’intérieur : A l’art. 2, personnel, il faudra faire une réduction de 38,000 fr lesquels seront transférés au budget des travaux publics. Il faudra aussi faire une réduction de 8,000 fr. à l’art. 3, matériel ; et une réduction de 10,000 fr. sur les dépenses imprévues. Il y a quatre chapitres qui seront transférés en entier aux travaux publics ; ce sont les chapitres des travaux publics, des mines, de la garde civique et de la milice. Les modifications, comme on voit, seront faciles à saisir.

M. Dubois. - Messieurs, l’honorable rapporteur de votre section centrale, chargée d’examiner le budget de l’intérieur, commence son rapport en ces termes : « Chaque année vos sections vous signalent l’absente des détails et des explications qui devraient accompagner les budgets, pour en rendre l’examen plus facile… » Cette réflexion, si simple, est vrai pour chacun de nous. Déjà, à différentes reprises, elle a été présentée à cette chambre ; plusieurs de nos honorables collègues ont demandé avec instance des détails indispensables, des renseignements positifs, des rapports, en un mot, sur chaque branche d’administration, et il est vraiment étonnant que jusqu’à présent tous les ministres qui se sont succédé, se soient montrés si peu empressés à satisfaire à de si justes, à de si légitimes instances. En effet, ce n’est que par un examen sérieux et réfléchi du budget que nous pouvons contrôler la gestion de nos ministres, juger de l’emploi utile qu’ils dont des deniers qui leur sont alloués, décider des améliorations progressives qu’il serait utile d’introduire dans notre régime intérieur.

Le budget offre en résumé l’histoire annale de chaque département. Il faut qu’il nous dise ce qui a été fait, ce qu’on n’a pu faire, ce qui doit être fait. Où donc trouvons-nous cela ? où sont les titres, où sont les renseignements auxquels nous puissions puiser ? Je vous le demande, messieurs, pouvons-nous apprendre quelque chose de ces froides nomenclatures qu’on nous représente tous les ans ; de ces longues colonnes de chiffres qu’on y rattache comme pour numéroter chaque année du squelette officiel ?

Messieurs, si ces réflexions, que je vous présente rapidement, sont justes pour tous les budgets de l’Etat en général, leur vérité devient plus frappante encore, plus actuelle surtout, appliquées au budget qui va nous occuper.

L’honorable ministre de l’intérieur régit à lui seul ce qui, en d’autres pays, forme la besogne de plusieurs chefs de département. L’administration intérieure, générale et provinciale, police, instruction publique, cultes, industrie, commerce, beaux-arts, tout ce qui a vie, tout ce qui est susceptible de progrès, tout ce qui a de l’avenir, à quelque chose près, tout ce qui est à faire, tout ce qui est à administrer dans un Etat, tout est là. Et lorsqu’arrive le moment de discuter sur des intérêts aussi majeurs ; quand vous êtes appelés à voter sur ce qui intéresse aussi gravement l’Etat et chacun de vos concitoyens, on se présente devant vous avec quelques tableaux bien alignés, bien encadrés, soigneusement numérotés ; avec cinq ou six pages mortes.

On nous demande 1,184,132 francs pour frais de l’administration dans les provinces ; 1,017,793 fr. pour l’instruction publique ; on nous demandera 910,000 fr. pour l’industrie et le commerce, 412,000 pour les beaux-arts, 95,000 fr. pour la garde civique, et depuis six ans il ne nous est intervenu aucun rapport officiel sur ce qui se passe dans nos provinces ; rien qui nous fasse connaître leur situation ; rien qui nous exprime leurs vœux ; rien qui nous indique leurs besoins ou leur bien-être. Depuis deux ans, une loi a été votée par la chambre, qui organise l’instruction supérieure ; elle est organisée et rien ne nous a encore été dit touchant la situation de nos universités ; pas un mot sur les opérations du jury d’examen, dont il serait si intéressant de connaître les travaux et le mode d’opérer, à la veille que nous sommes de réviser une institution toute neuve et qui n’a été adoptée par nous que sous une manière d’essai. Je dois ajouter ici que j’ai vu avec satisfaction que M. le ministre a déposé au commencement de cette séance un rapport sur l’objet que je traite. Quoique ces renseignements nous viennent un peu tard, la chambre en saura gré à M. le ministre.

Qu’est devenue la garde civique ? Il n’y a que les habitants des grandes villes qui, de temps en temps, voient manœuvrer quelques compagnies ; dans les petites villes et dans les localités inférieures, elle a entièrement disparu. Que va-t-on faire ? On ne nous dit rien ; mais les notes fournies par M. le ministre à la section centrale prouvent que là, comme dans d’autres branches de son administration, il n’y a ni ensemble, ni vues arrêtées. Espérons que le nouveau ministre fera des efforts pour tirer cette institution du complet désordre dans lequel elle se trouve actuellement.

Les beaux-arts, l’agriculture, le commerce fleurissent. Chaque année le discours du trône nous en donne l’assurance, et ici, du moins, je me plais à le reconnaître ; pour ce qui regarde le commerce, le ministère s’est fait un devoir de nous le démontrer. Le beau tableau du commerce de la Belgique avec les pays étrangers et une œuvre pour laquelle le paya lui saura gré. Mais cette prospérité dont on s’applaudit peut-être trop, messieurs, car je me défie ordinairement de toute félicité qu’on s’exagère, parce qu’elle mène toujours à sa suite, une fausse sécurité ; cette prospérité, dis-je ce développement étonnant de nos beaux-arts, de notre industrie, etc., sont-ils le fait du ministre ? Pouvons-nous le complimenter sur cette heureuse situation ? C’est là, messieurs, une question grave, à laquelle je ne prétends pas répondre en ce moment. Néanmoins, s’il fallait la résoudre sur les données et les rapports qui nous sont venus de lui, il faudrait au moins s’abstenir, car il ne nous a pas encore communiqué ses vues touchant l’état présent et le sort futur de nos beaux-arts, de notre agriculture, de notre industrie et de notre commerce.

Je ne finirais pas, messieurs, si j’entrais dans tous les détails d’une ainsi vaste administration, dont le budget comprend tant et de si différentes choses, Tout y est inexplicable, tout y est obscur pour nous. Le ministre seul possède les renseignements que nous devrions avoir ; lui seul a la clef de tout. Pourquoi ne pas nous instruire ? Je serais heureux pour ma part de pouvoir lui donner de justes éloges ; qu’il m’en donne l’occasion.

Pour en faciliter les moyens, je demande, messieurs, avec l’espoir fondé d’être appuyé et d’être écouté avec quelque bienveillance par l’honorable ministre de l’intérieur, je demande qu’il ne nous présente plus de budget sans qu’il l’ait fait précéder d’un rapport général et circonstancié sur nos affaires intérieures, sur l’état de l’administration et sur la marche qu’on désire lui imprimer.

Et la chose n’est pas aussi difficile ; une grande partie de ce travail est préparé ; M. le ministre n’a qu’à s’emparer d’un antécédent qui lui servira de guide et qui lui donnera les meilleures lumières.

Chaque année, avant de présenter leurs budgets, les bourgmestres de nos plus grandes villes, comme ceux de nos plus petites communes, sont obligés de présenter au conseil, au nom du collège de régence, un rapport général sur la situation de leur commune ; chaque année les commissaires d’arrondissement présentent le même rapport à leur gouverneur respectif sur la situation de l’arrondissement ; chaque année le gouverneur, au nom des états provinciaux, instruit le conseil général de tout ce qui a été fait, de tout ce qui a été tente par l’administration durant l’exercice écoulé : n’est-il pas rationnel que le ministre s’exécute à son tour ? Qu’il fasse- lui-même ce qu’il a prescrit de faire aux administrations inférieures qu’il dirige ; qu’il rende aux chambres et au pays les mêmes comptes que rendent à la province et à la commune le gouverneur et le bourgmestre ? En un mot, n’est-ce pas là le complément logique, nécessaire de la tâche imposée à ceux qui administrent le pays ?

Chacun de nous, messieurs, a lu avec plaisir certains rapports sur la situation administrative de nos provinces, dressés par les gouverneurs et par les députations des états. Nous avons suivi avec intérêt les discussions qui ont eu lieu au mois d’octobre passé dans le sein des états provinciaux ; mais ce n’est pas assez de connaître les besoins d’une localité particulière, ce n’est pas assez d’avoir des rapports partiels ; tous ces efforts, tous ces essais isolés doivent être ramenés à un même but, à la prospérité générale de l’Etat ; il faut qu’un même lien les réunisse, les fasse marcher de front vers un bien-être plus avancé, vers un avenir meilleur.

Au ministre de l’intérieur incombe la tâche de nous présenter ce travail ; à lui appartient de recueillir tous ces éléments épars pour en faire un tout clair et satisfaisant : car ce n’est pas un travail purement mécanique, une nouvelle publication de ces rapports que je demande, mais une appréciation raisonnée, basée sur eux, des besoins moraux et matériels du pays,

Alors, messieurs, on ne pourra plus se plaindre, comme toutes les sections l’ont fait si justement au moment qu’elles examinèrent le budget, que les renseignements nous manquent.

Ces rapports généraux renouvelés ou du moins amendés tous les ans, dans ce que dans l’intérêt du pays on aurait trouvé essentiellement d’y changer, nous rendrons familiers avec chaque article du budget. Guidés pas le ministre, nous voterons avec connaissance de cause sans être obligés de nous donner mille peines pour aller à la recherche de documents que malgré tous nos efforts nous sommes incapables d’obtenir.

M. Pollénus. - Un honorable membre nous a dit qu’il serait probablement question d’un budget supplémentaire pour le département de la guerre ; dès lors il me semblerait qu’avant dans la discussion des articles du budget de l’intérieur, il faudrait savoir à quoi s’en tenir relativement à ce budget supplémentaire. Il est en effet des articles au budget de l’intérieur qu’on pourrait ajouter ; car nous devons voter les lois de finances de manière à mettre nos dépenses au niveau des recettes. S’il était vrai que les circonstances présentes exigeassent des accroissements de dépenses, il faudrait le savoir. A mon avis, il eût été préférable de discuter le département de la guerre avant le département de l’intérieur : mais un fait indépendant de la volonté du ministre de la guerre l’empêche d’assister à nos séances. Cependant les autres membres du cabinet pourraient nous dire si le gouvernement est fixé sur la somme qu’il convient d’ajouter au ministère de la guerre.

Il ne faut pas perdre de vue que nous ressources sont limitées, et qu’une règle, à l’observation de laquelle un de nos honorables collègues nous a rappelés, c’est d’établir la balance entre nos dépenses et nos recettes. Je prierai les ministres présents de vouloir bien nous dire si le gouvernement a pris une résolution à l’égard des dépenses supplémentaires ; car si le budget de la guerre doit subir une augmentation, il deviendra indispensable de réduire quelques articles du budget de l’intérieur.

Puisque j’ai la parole j’adresserai d’autres questions à M. le ministre de l’intérieur relativement à quelques points qui concernent ma province.

Au mois d’octobre dernier, il a été pris un arrêté royal, par lequel quelque chose a été changé de la loi provinciale relativement aux élections des conseillers. Loin de vouloir ici accuser en rien les intentions du ministre de l’intérieur, je dirai que la loi provinciale était inexécutable dans les localités dont je parle et que l’arrêté était pris pour la rendre praticable. Cet arrêté (n°466 du Bulletin officiel), a attribué à deux cantons de ma province, la faculté d’élire un conseiller de plus que ne comportait le tableau ; mais en même temps on a supprimé l’élection de trois conseillers provinciaux attribués au canton de Maestricht. La disposition royale a été soumise à l’examen du conseil provincial du Limbourg dans la session d’octobre dernier à l’occasion de la vérification des pouvoirs, et le conseil a annulé l’élection des conseillers dont il s’agit, d’ou il est résulté que trois cantons très importants du Limbourg se sont trouvés prives de représentants au conseil provincial.

Les formalités prescrites par la loi provinciale ne pouvaient être remplies pour ce qui concerne le canton de Maestricht, à cause de l’occupation de cette ville par les troupes hollandaises, mais il me semble que le gouvernement aurait agi avec beaucoup de prudence en ne prenant pas la mesure dont il s’agit.

Cependant je dois ajouter qu’au moment où le gouvernement pris cette mesure, les chambres n’étaient pas assemblées et qu’il ne pouvait avoir d’autre intention que de donner à la province de Limbourg le plus grand nombre de représentants possible ; il me semble, toutefois, qu’après que le conseil eut annulé les élections dont il est question, le gouvernement aurait dû faire procéder dans le plus court délai à de nouvelles élections ; tout annonçait que la session devait plus ou moins durer et que les nouveaux conseillers auraient pu prendre part à une partie des délibérations les plus importantes du conseil.

Je prie M. le ministre de vouloir nous dire s’il se propose de provoquer une mesure législative ou de prendre toute autre mesure légale pour qu’à la future réunion des conseils provinciaux tous les cantons du Limbourg puissent être représentés.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Quant à la dernière question qui vient de m’être faite par l’honorable préopinant, je puis déclarer que sous peu la chambre sera saisie d’un projet de loi qui lèvera les difficultés qu’a pu rencontrer l’exécution de la loi provinciale. En ce qui concerne le budget supplémentaire du département de la guerre, je ne suis pas maintenant en mesure de répondre aux interpellations qui m’ont été adressées à cet égard ; aussitôt que M. le ministre de la guerre sera rétabli et qu’il pourra s’occuper d’affaires, le gouvernement arrêtera définitivement les dispositions qu’il croira devoir présenter aux chambres dans l’intérêt de la défense du pays.

M. Doignon. - Je suis encore un peu indisposé, je réclamerai l’indulgence de la chambre.

J’ai lieu de croire, messieurs, que les paroles que je vais prononcer étonneront quelques-uns d’entre vous, et, en dehors de cette enceinte, plusieurs autres partageront probablement cet étonnement.

La Belgique, messieurs, est aujourd’hui ce qu’elle a toujours été, c’est-à-dire une nation inviolablement attachée à la foi de ses pères. En 1789, comme en 1830, elle s’est levée comme un seul homme pour défendre et venger principalement ses libertés religieuses.

Notre édifice social étant reconstruit sur de nouvelles bases, il était donc de la politique du pouvoir royal d’appeler au timon du nouvel Etat des hommes qui, par un libéralisme vrai et sincère, pussent inspirer de la confiance à l’opinion religieuse de la presque totalité des Belges.

Je ne crois point, messieurs, commettre une indiscrétion en disant ici tout haut à la tribune ce qui se dit tout haut dans le pays et au dehors.

On pense généralement que le ministère actuel a été formé dans ces vues de prudence et de conciliation, et que c’est spécialement M. le ministre de l’intérieur de Theux qui représente dans ce cabinet l’opinion religieuse dominante en Belgique, afin, dit-on, d’en défendre ou favoriser les intérêts.

Eh bien ! je dois le dire hautement, cette idée qui s’est malheureusement trop accréditée dans le pays, est sans aucun fondement, et il est plus important de détruire cette erreur que d’un côté elle excite des défiances et que de l’autre, elle inspire une fausse sécurité. J’estime qu’il est plus que temps de dissiper enfin cette prévention.

Appartenant moi-même à l’opinion catholique, je crois donc devoir déclarer que je ne reconnais point M. le ministre de Theux comme représentant cette opinion.

Ce qui selon moi caractérise ce ministre ainsi que ses collègues, c’est une tendance à envahir et centraliser au profit du seul pouvoir de qui ils tiennent leur mandat et au grand préjudice des droits des autres pouvoirs constitutionnels.

Or, je suis maintenant persuadé que dans toute leur administration et leurs vues politiques, l’opinion religieuse dominante du pays n’est pas plus respectée ni ménagée que tout ce qui s’oppose à leurs desseins d’envahissement.

Ces hommes d’Etat ont tout à fait suivi les errements des ministres auxquels ils ont succédé. Sous les dehors du libéralisme et de certaine modération, au vrai ils ne sont rien moins qu’hostiles, comme leurs prédécesseurs, à une influence qui n’est pas gouvernementale. Tout récemment encore ne viennent-ils pas de fortifier leur système de centralisation ou de pouvoir fort, en s’associant un des plus ardents défenseurs de ce système, M. Nothomb, l’ami le plus dévoué et le plus fidèle du ministère Lebeau, dont on connaissait au fond le peu de sympathie pour le catholicisme ? Que les temps sont changés ! qui aurait pu croire, il y a deux ans, à une semblable alliance ?

Personne n’ignore que la liberté de l’enseignement est pour l’opinion catholique le droit le plus précieux et que c’est pour la conquérir que nous avons combattu le gouvernement de Guillaume.

Eh bien, M. le ministre de Theux et ses collègues n’ont pas craint de reproduire, sur l’enseignement primaire et moyen, un projet de loi que le roi Guillaume n’aurait certainement pas osé présenter aux états-généraux.

Le ministère hollandais s’était borné à exiger des instituteurs communaux des certificats de capacité et de moralité délivrés, comme le propose encore le projet de loi, par des commissions provinciales, et vous vous souvenez, messieurs, des réclamations que cette seule prétention a soulevées dans tout le pays, tellement qu’on dût renoncer à exécuter l’ordonnance royale dans la plupart des localités.

Mais, aujourd’hui, c’est un système bien plus hardi qu’on vous présente, c’est, en définitif, un système tout complet d’instruction nationale ; sous un prince protestant qu’on vient vous demander. Au mépris de la liberté acquise à la commune comme à tout autre citoyen, on veut réglementer ou plutôt asservir l’enseignement qu’elle doit être libre de donner.

Afin qu’une seule école communale, dans tout le royaume, ne puisse échapper aux conditions préventives établies par ce projet en violation du texte formel de la constitution, l’on a recours à deux moyens principaux : ériger des écoles d’office et aux frais des communes si elles n’enseignent pas au vœu de la loi, et offrir à toutes des subsides à la condition encore de satisfaire à ce qu’elle prescrit et de se soumettre à la surveillance d’une autorité étrangère.

En outre, dans la vue de peupler bientôt toutes les écoles des instituteurs dit gouvernement, des écoles normales sont établies par lui et sous sa seule direction.

Ce qui enfin couronne l’œuvre, c’est l’institution d’une commission supérieure d’instruction, placée prés du ministère et nommée par le pouvoir royal pour exercer la haute surveillance sur tout l’enseignement du royaume, commission supérieure d’où partiront nécessairement les instructions, les ordres et toute l’impulsion gouvernementale à donner aux communes et aux provinces, en exécution de la loi. Or, cette impulsion devra naturellement embrasser tout ce qui concerne l’instruction dans chaque localité, les objets de l’enseignement, les méthodes, les livres, les doctrines, le choix des instituteurs, etc.

Guillaume aussi et ses ministres n’agissaient point directement, mais par la voie des commissions et à l’aide de tous leurs agents dans les provinces et les communes.

Dans la crainte probablement d’éveiller des souvenirs qui pourraient nuire au succès du projet de loi, ou par une sorte de pudeur, on s’est gardé de parler des inspecteurs pour l’enseignement primaire. Mais je défie le gouvernement d’exécuter la loi convenablement si bientôt après, il ne rétablit point les inspecteurs du régime de Guillaume, soit sous ce même nom ou sous un autre.

En un mot, je l’ai déjà observé et je ne saurais trop le répéter, quelque soit la liberté purement apparente que ce projet semble avec assez d’adresse vouloir laisser aux communes et aux provinces, il est hors de doute que des écoles réglementées par une loi doivent finir par devenir des écoles gouvernementales ; car toujours demeure-t-il vrai que c’est au gouvernement qui tient de la constitution même le pouvoir exécutif, qu’il appartiendra de faire observer et surveiller l’exécution de cette loi comme il le jugera convenir dans nos communes et nos provinces : toujours est-il vrai que celles-ci ne sauraient dès lors se soustraire aux conditions qui leur sont imposées par la législation et à tout ce qui leur sera prescrit en conséquence par l’autorité supérieure.

Or, ce vaste système successivement appliqué à toutes les communes du royaume, doit évidemment conduire avec le temps au monopole de fait au profit de cette autorité. Deux ou trois ans d’attente sont du reste peu de chose pour nos hommes d’Etat, dès qu’au moyen du principe qui leur est concédé, ils ont la certitude d’arriver tôt ou tard à leurs fins.

Mais j’en appelle à la bonne foi de conseillers de la couronne. Est-ce bien ainsi qu’ils entendent respecter l’opinion catholique du pays, qui attache un si haut prix à la liberté de l’enseignement, et qui regarde comme odieux tout système qui y porte atteinte ?

M. le ministre Ernst nous a fait aussi sa profession de foi sur cette matière avant son entrée au ministère. Sous un prince protestant, il veut une éducation nationale, autrement dite gouvernementale ou ministérielle, et il en fait même une obligation indispensable pour le gouvernement, tandis que rien de semblable n’est écrit dans notre charte. Bien loin de là, le congrès a positivement aboli l’art. 223 de l’ancienne loi fondamentale qui statuait que l’instruction publique devait être un objet constant des soins du gouvernement.

Le congrès national a proscrit toute disposition pareille. Il s’en est rapporté au régime de la liberté qu’il a proclamé de la manière la plus large, et c’est seulement par exception et pour y suppléer, s’il y a lieu, qu’il appelle le législateur à régler une instruction aux frais de l’Etat. Encore le voyez-vous, il ne s’agit là que d’une instruction aux frais de l’Etat et nullement de celle donnée aux frais de la commune.

Dernièrement un arrêté royal a nommé un inspecteur pour les collèges et autres établissements subsidiés. Je demanderai au ministère s’il prétend attacher aux subsides le droit d’inspecter et de surveiller. Dans ce cas, il s’arrogerait un droit qu’on lui a constamment dénié dans cette chambre, et il anticiperait même sur son mauvais projet qui attribue semblable droit aux subsides, droit qui emporterait avec lui celui d’imposer aux communes des devoirs et des obligations, et leur ravirait ainsi leur liberté.

On se souvient encore qu’une institution avait excité sous le gouvernement précédent toutes les susceptibilités des catholiques belges. C’était l’établissement d’un directeur pour les affaires du culte. Qui l’aurait cru, à peine M. le ministre de Theux est-il arrivé au ministère qu’il s’est empressé de créer cette direction, ce que son prédécesseur, je crois, n’aurait osé faire.

Guillaume et le gouvernement impérial cherchant à dominer peu à peu le culte catholique, avaient certainement leurs vues en nommant un directeur général pour les cultes. Mais notre constitution ne donnant à l’Etat aucune doctrine ni opinion religieuse, les affaires du culte catholique, comme celles des autres religions, n’ont aucune direction à recevoir de la part du gouvernement ; je lui dénie le droit de diriger dans un sens quelconque les affaires du culte. Si, au fond, on n’a entendu faire du directeur qu’un chef de division, pourquoi ne pas exprimer l’emploi par son nom, et lui en donner un précisément qui est inconciliable avec notre régime constitutionnel ? Lorsqu’un gouvernement adopte une qualification ou un nom, ne doit-on pas penser qu’il le fait sérieusement, ou qu’au moins il incline à adopter bientôt la chose elle-même.

Lorsqu’en 1817, le roi Guillaume nomma un directeur, ces fonctions parurent d’abord également sans importance et sans conséquence sérieuse. Mais bientôt, pour maintenir son titre avec son emploi, le titulaire chercha tous les moyens de se rendre indispensable, et il y parvint notamment en exhumant toute cette législation impériale si contraire à la liberté du culte catholique. Au lieu de songer à la reformer, il y persista plus que jamais et enchérit même quelquefois sur le gouvernement impérial. Or, le titulaire actuel ne pense pas plus que M. le ministre à travailler à une semblable réforme, et il sera d’autant moins porté à le faire qu’elle aurait pour effet de diminuer encore la prétendue utilité des fonctions de directeur.

Mais le ministère actuel désire avec ardeur une autre institution très dangereuse et par sa nature hostile à toutes nos libertés comme à l’opinion catholique et aux autres opinions religieuses. C’est la création d’un conseil d’Etat qu’on établirait soit sous ce nom ou sous une autre dénomination.

Nous n’avons point encore oublié que toutes les mesures défavorables contre la liberté du culte tant sous l’empire que sous Guillaume ont été proposées ou sanctionnées par le conseil d’Etat ; et de cette manière le pouvoir royal semblait chaque fois se mettre en dehors des coups portés contre cette liberté. Il y a plus, il avait eu soin de choisir pour membres de la commission des cultes, des personnes connues comme catholiques, mais c’était de ces catholiques dont on était sûr, passionnés pour faire du pouvoir fort aux dépens des droits de la religion et de l’église.

Aujourd’hui comme alors, ce serait un prince protestant qui aurait la nomination des membres du conseil d’Etat et par conséquent du comité ou de la section des cultes. Par le choix qu’a fait jusqu’ici le pouvoir royal de ses ministres d’Etat et de ses ministres, on peut d’ailleurs juger de celui qu’il ferait pour composer son conseil d’Etat.

Si notre constitution avait voulu un conseil ou une commission d’Etat, elle en aurait certainement parlé comme l’a fait la charte française qui était cependant sous les yeux des membres du comité de constitution.

Mais ce conseil ou cette commission d’Etat, comme on voudra l’appeler, aurait nécessairement une part au moins indirecte à la confection de nos lois, ce qui serait inconstitutionnel ; car la législature actuelle reconnaissant tant pour elle que pour les chambres qui lui succédèrent, que ce corps une fois constituée est compétent à toujours pour lui donner des avis motivés sur chaque loi, elle devra, si elle est conséquente, prendre au moins ses avis en considération, C’est en d’autres termes, comme si à l’égard de toutes les lois a proposer, elle consentait d’avance à les renvoyer à l’examen d’une commission permanente et gouvernementale, entièrement nommée par le seul pouvoir exécutif. Or, un consentement semblable et ainsi anticipé serait une atteinte manifeste à la prérogative constitutionnelle des chambres présentes et futures, et elle serait d’autant plus grave que, pour ce qui les concerne, c’est naturellement dans leur sein même qu’elles doivent instruire les lois à faire.

La constitution ayant déterminé les seuls pouvoirs appelés à la confection de nos lois, le législateur ne pourrait sans la violer admettre en principe qu’un autre corps, constitué d’ailleurs exclusivement par le pouvoir royal, pourra venir y prendre une part soit directement soit d’une manière au moins indirecte.

Le ministère peut sans doute instruire comme il le juge convenir, les projets de loi qu’il nous présente ; mais il ne peut d’avance demander à la législature qu’elle sanctionne et pour toujours un mode d’instruction qu’il lui plaît d’adopter. A cet égard chacune des branches du pouvoir législatif doit respectivement demeurer absolument libre et indépendante et pour le présent et pour l’avenir.

Les chambres qui ont à présent une action et une influence si directes et si faciles à exercer sur le ministère, n’en auraient aucune contre le conseil ou la commission d’Etat, puisque ses membres nommés à vie par le pouvoir royal seraient sans relations avec la législature, et formeraient corps tout à fait séparé et indépendant de celle-ci : les chambres pourraient donc souvent renverser le ministère, qu’elles ne sauraient jamais faire tomber un mauvais conseil d’Etat, et s’il devenait dangereux par ses systèmes, et ses doctrines, il faudrait se résigner à le laisser dominer le pays, ses institutions et toute l’administration gouvernementale. En Espagne et en Portugal, les conseillers d’Etat sont au moins présentés par les chambres, et le conseil se trouve toujours ainsi en harmonie avec les autres pouvoirs constitutionnels.

Si jamais les avis du conseil avaient pour but et pour effet de décider et de lier l’Etat, ce corps anéantirait lui-même tout à fait le pouvoir législatif, mais il ne faut pas qu’ils aient cet effet exagéré pour détruire en grande partie la responsabilité ministérielle. Sous l’empire comme sous Guillaume, le conseil d’Etat n’avait pas aussi le droit de décider, mais dans le fait l’influence morale de ses avis a toujours été telle qu’ils étaient généralement regardés comme des décisions, et qu’ils avaient nécessairement pour conséquence d’affaiblir considérablement la responsabilité des ministres. Il serait si commode à nos hommes d’Etat de pouvoir souvent se retrancher ainsi derrière un corps que les chambres ne pourraient atteindre.

Je suis persuadé que si le projet d’un conseil d’Etat n’avait été d’abord vivement désiré par le gouvernement lui-même, il n’aurait point obtenu en 1834 l’assentiment du sénat. Cette nouvelle institution serait spécialement destinée à servir de retraite aux ministres démissionnés, et sous ce rapport, tous les ministres passés, présents et futurs, sont personnellement intéressés à tout employer dans les chambres pour la faire adopter.

De plus longs développements sur cette question trouveront leur place ailleurs.

J’ai dit, en commençant, que je croyais les arrière-pensées du ministère actuel aussi défavorables à nos libertés religieuses qu’à toutes les autres libertés constitutionnelles. A l’appui de ce que j’avance, j’ajouterai encore ce qui suit :

L’art. 16 de la constitution porte que l’Etat n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination, ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque. L’adoption de ce principe a été dictée au congrès par les leçons de l’expérience qui ne nous avait que trop prouvé combien une pareille disposition est nécessaire pour assurer vis-à-vis de l’Etat l’indépendance du culte catholique.

Quoi qu’à cet égard on ne m’ait fait aucune confidence, j’ose dire que je suis fondé à croire que déjà le gouvernement ne voit cet article qu’avec le plus vif regret, et que, malgré une défense aussi formelle, s’il n’intervient point officiellement, il désire le faire au moins par des voies détournées. Je ne doute pas que cet article de la constitution ne soit un des premiers dont le pouvoir royal fera demander la révision à la première occasion qu’il jugera favorable.

A la suite de notre révolution, ne devait-on pas s’attendre à voir le culte affranchi d’une foule de dispositions de la législation impériale et du régime hollandais plus ou moins contraires à la liberté ? Mais loin de là, le gouvernement se plaît dans l’ancienne ornière et il trouve que tout est pour le mieux avec une semblable législation. Il feint de ne pas se douter des nombreux griefs dont elle a constamment été l’objet, et sauf le changement consacré en termes exprès par l’art. 16 et qui est, d’ailleurs, je crois, peu respecté, toutes les affaires relatives au culte sont réglées et traitées aujourd’hui sur le même pied qu’avant la révolution.

Ainsi, pour ne citer que deux exemples, aujourd’hui encore un curé ne sera point libre de révoquer un sacristain laïc ou un bedeau dont la conduite serait répréhensible. Il ne sera pas même libre d’après cette législation de choisir ses prédicateurs ; on lui objecterait comme on le fait encore, les art. 32 et 33 du décret de 1809. Il ne serait pas libre nous plus à un citoyen de construire un temple chez lui et sur son terrain sans l’autorisation du gouvernement, ce serait sans doute contrevenir aux dispositions d’un autre décret impérial, etc., etc.

Vous observerez vainement à ceux qui tiennent à conserver tout l’arsenal de cette législation de l’empire et du roi Guillaume, que désormais la liberté des cultes doit être comme les autres une vérité en Belgique. Ils vous diront que l’ancienne loi fondamentale proclamait aussi cette liberté dans des termes même énergiques, et que cependant on maintint alors toutes les modifications et restrictions établies par les lois et décrets existants. A cette époque comme encore aujourd’hui sans doute les grands mots d’ordre public, d’intérêt général et de police servaient de prétexte aux ministres pour les laisser en vigueur.

Le gouvernement est déjà tellement jaloux d’étendre son pouvoir qu’il s’oublie au point d’invoquer encore aujourd’hui dans ses actes les odieux articles organiques du 18 germinal an X. Je ne citerai qu’un fait pour abréger. Guillaume s’appuyant de l’un de ces articles érigeait par la grâce de Dieu des succursales catholiques. Notre nouveau pouvoir royal se fondant sur le même article érige de même, à l’exemple du roi Guillaume, des succursales pour le culte catholique.

Je ne prétends pas contester ici au gouvernement le droit qu’il a de reconnaître ou non l’existence d’une succursale pour lui attribuer un traitement à la charge de l’Etat. Mais il n’a pas le droit de créer ou ériger lui-même la succursale. Ce droit n’appartient et ne peut appartenir qu’à l’autorité supérieure ecclésiastique, et il est parfaitement libre au ministère d’examiner ensuite s’il y a lieu ou non de reconnaître la nouvelle succursale pour y attacher un traitement. Ainsi que l’a dit M. Lebeau lui-même dans la discussion de la loi sur les traitements des vicaires, le droit seul de reconnaissance appartient à l’Etat et non celui d’érection.

Mais encore, ce n’est point en vertu d’un article organique que l’Etat a le droit de reconnaître une succursale pour lui donner un traitement, mais à cause de cette considération que ce traitement formant une dépense à charge du budget de l’Etat, le gouvernement est naturellement appelé a juger si cette dépense est réellement commandée par la nécessité, et qu’on ne peut admettre que l’autorité ecclésiastique puisse avoir le droit de mettre à la charge du trésor autant de traitement qu’il lui plairait en érigeant des succursales dont l’utilité ne serait aucune reconnue.

Mais dans toutes les questions graves qui intéressent plus ou moins la liberté catholique et ses droits, n’avons-nous pas vu constamment tous les ministres, y compris M. de Theux, se poser nos premiers adversaires. Pouvaient-ils se montrer plus à découvert que dans la fameuse discussion sur l’établissement d’un jury d’examen ? L’université catholique attachait, comme l’université libre de Bruxelles, la plus grande importance à obtenir un jury qui fût, autant que possible, indépendant du gouvernement. Or, il n’a dépendu d’aucun de nos ministres que nos intérêts fussent sacrifiés à leur passion pour ce qu’ils appellent la prérogative royale : lorsqu’il fut question de voter sur la combinaison très sage qui enfin a été adoptée, on vit tous nos ministres se retrancher dans l’abstention la plus singulière pour ne pas dire absurde, en telle sorte que notre système pour la composition du jury ne l’a emporté que d’une seule voix au premier vote.

Nos libertés religieuses se lient intimement à nos franchises communales comme à toutes nos franchises constitutionnelles. Or, n’avons-nous pas vu encore des orateurs les plus modérés de notre opinion, accuser le ministre de machiavélisme dans la discussion des points les plus importants de la loi communale ?

A l’occasion de cette discussion, n’avons-nous pas entendu professer au banc ministériel cette doctrine inconstitutionnelle que l’Etat aurait la direction de la morale dans le pays ? Y-a-t-il, je le demande, un système plus opposé à la liberté de toutes les opinions morales et religieuses et spécialement de l’opinion catholique.

Je dois ici rappeler que j’ai à cette époque pris acte de ce qu’a déclaré dans cette même discussion M. Nothomb, alors simple député. On peut résume par ces mots, dit-il, le chapitre II de notre constitution : « Non intervention du gouvernement dans la direction intellectuelle, morale et religieuse du pays. » Lui-même réfutait alors l’opinion ministérielle.

Malgré la grande majorité de la chambre qui avait rejeté la proposition ministérielle sur les traitements des vicaires, n’avons-nous pas vu encore avec quelle ténacité le ministère a reproduit de nouveau son système déjà précédemment rejeté, et n’avons-nous pas été témoins de toutes les difficultés qu’il a suscitées pour empêcher que la législation reconnaisse les droits les plus légitimes du clergé catholique vis-à-vis de l’Etat. Il a dû enfin céder de guerre lasse.

Mais c’est encore dans le choix et la nomination des fonctionnaires de toute espèce, que le ministère nous révèle particulièrement ses vues agressives contre l’opinion religieuse dominante du pays. Sans aucun égard pour cette opinion, qu’une prudence toute politique devrait au moins le porter à ménager, il choisira de préférence et sciemment les personnes d’une intolérance notoire et qui affichent ouvertement leur mépris pour le culte de l’immense majorité des Belges. S’il est vrai qu’on peut juger du but qu’on se propose par le choix des individus qu’on emploie, de semblables nominations ne doivent-elles pas faire naître les plus sérieuses réflexions. D’après l’ensemble de ces nominations, on voir clairement qu’elles ne peuvent être la conséquence de ce système de modération qu’il convient de suivre en tout temps, mais bien l’effet d’une combinaison qui cherche à nuire, pour ne pas dire plus.

Lorsque tous les ans nous voyons le ministère français, dont le principal membre, M. Guizot, est protestant, porter constamment dans son budget une somme majeure qui, spécialement, est consacrée à des subsides pour cette classe d’instituteurs primaires catholiques dont le mérite supérieur est reconnu en France depuis bien des années ; dans notre Belgique catholique le ministre ne pétitionne au budget aucune somme destinée à accorder des traitements ou suppléments à ces mêmes instituteurs de l’opinion catholique, et il attendra sans doute qu’un membre de la chambre prenne l’initiative pour leur faire obtenir des subsides de traitements qui leur sont dus certainement à autant de titres au moins qu’aux autres instituteurs déjà salariés par l’Etat. Ils ont été compris, il est vrai, dans les secours pour dépenses matérielles des écoles, mais ils ne figurent aucunement dans la répartition des 225 mille francs qui est cependant portée et allouée chaque année pour traitements des instituteurs de toutes les opinions.

Soyez-en convaincus, messieurs, l’opinion catholique, par sa nature, n’est ni exclusive ni intolérante ; elle ne demande ni faveurs ni privilèges, mais elle veut la justice, la tolérance.

Enfin, le dirai-je, voulez-vous encore une preuve du mauvais esprit qui anime le gouvernement contre l’opinion religieuse dominante en Belgique, tournez vos regards sur les moyens et les efforts extraordinaires qu’emploie chaque fois le gouvernement pour éliminer de cette chambre les membres, mêmes les plus distingués, qui appartiennent à cette opinion. Je puis vous dénoncer ce fait, car jusqu’ici moi-même je n’ai point encore été compris dans l’anathème ministériel. Du reste, il n’aura pas plus de prédilection pour les hommes d’une opposition opposée s’il ne croit pas pouvoir compter sur leur complaisance ou leur faiblesse.

Je pourrais, messieurs, vous exposer une série d’autres faits et de circonstances plus ou moins graves, mais je m’arrêterai ici ; je ne le dirai point et je ne veux pas les dire.

S il m’était permis de pénétrer dans les archives des ministères, je viendrais, les pièces à la main, convaincre ceux qui doutent encore de la mauvaise tendance dont je les accuse. Toutes les dénégations et leurs protestations ne sauraient détruire les faits. Tout sacrifier pour faire place au prétendu pouvoir fort, et chercher à le faire régner partout et à le faire dominer exclusivement et au détriment de nos libertés religieuses comme de toutes les autres ; telle est, paraît-il, la pensée fixe et permanente du cabinet.

Il faut avouer que le pouvoir royal a cependant fait preuve d’habileté en appelant au ministère quelques hommes appartenant, selon lui, à la nuance catholique. C’était un moyen très adroit pour obtenir l’assentiment des catholiques confiants et de bonne foi, aux mauvais projets qu’on a adoptés, comme à ceux qu’on se propose encore de faire passer, et spécialement ceux que nous avons signalés plus haut. Ouvriront-ils enfin les yeux ? C’est ce que je n’ose espérer. Ils se trompent étrangement s’ils croient qu’il s’agit d’empêcher le gouvernement de marcher. Qu’ils essaient de montrer une volonté ferme et persévérante, et bientôt le cabinet, cédant de bonne grâce, abandonnera son funeste système.

Je remarque, en terminant, que, sans m’en apercevoir, tout en faisant la critique du ministère, j’ai peut-être fait son éloge ; car au total, je pourrais fort bien avoir démontré qu’il a très bien mérité du pouvoir royal.

Quoi qu’il en soit, j’airai la conscience satisfaite. Quelque pénible que m’ait paru la tâche que je viens de remplir, je n’ai point cru devoir reculer devant elle ni devant les conséquences qui pourraient m’être personnellement désagréables.

(Moniteur belge n°41, du 10 février 1837) M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Vous aurez sans doute été aussi étonnés que nous, messieurs, d’entendre parler des périls que courraient, d’après l’honorable préopinant, la liberté des cultes et la liberté de l’enseignement. L’honorable membre trouve que la liberté des cultes est gravement compromise par la nomination d’un directeur chargé des affaires des cultes au département de l’intérieur ; veuillez bien remarquer que nous n’avons pas eu l’absurdité de nommer « un directeur des cultes, » en présence de l’article de la constitution qui a été cité, mais nous n’avons pas cru porter la moindre atteinte à cette disposition en nommant un directeur chargé des affaires des cultes. Je crois, messieurs, que tous les cultes seraient gravement mécontents s’il n’y avait plus au ministère de l’intérieur aucune affaire concernant les cultes, car il s’en suivrait qu’il n’y aurait plus de subsides à accorder, plus de donations ni de legs à approuver, choses qui constituent les seules attributions du directeur des cultes ; car, dans le sens de l’honorable préopinant, je serais un ministre des cultes. Je n’en dirai pas davantage sur ce grief.

L’honorable membre a prétendu que le gouvernement aurait une certaine répugnance pour l’art. 16 de la constitution. Je vous avoue, messieurs, que je n’ai jamais entendu exprimer une semblable répugnance par qui que ce soit, et je ne pense pas qu’on puisse citer un seul acte où elle se manifeste. J’en dirai tout autant de l’intervention occulte que le gouvernement exercerait dans la nomination des ministres des cultes ; je ne connais encore aucun acte de ce genre.

On a cité un autre fait, c’est l’invocation de la loi du 18 germinal X : tout le monde sait que cette loi contient des dispositions de diverses natures, et que, depuis la révolution, le gouvernement n’a jamais invoqué celles qui ont trait aux entraves à la liberté des cultes ; quant à celles qui ont rapport à des affaires matérielles, celles-là ont continué à recevoir leur applications dans l’intérêt des cultes eux-mêmes. Ainsi, messieurs, lorsque, par exemple, un évêque diocésain nous demande un traitement pour une nouvelle succursale, nous recourons à la loi qui nous autorise à accorder ces traitements, mais jamais nous n’avons eu l’absurde prévention de croire que nous puissions accorder l’investiture religieuse au desservant de cette succursale. Nous n’avons jamais eu davantage la prétention d’ériger nous-mêmes des succursales, ni d’empêcher les évêques d’en établir librement ; les documents fournis à la section centrale prouvent qu’il est une foule d’annexes dont les desservants remplissent les fonctions de desservants de succursales ; jamais le gouvernement ne s’est occupé de cela, si ce n’est pour ce qui concerne les traitements.

L’honorable membre nous reproche aussi notre conduite, relativement à la loi sur les traitements des vicaires ; sous ce rapport encore les accusations de l’honorable préopinant sont dénuées de tout fondement. Il s’agissait d’examiner la question de savoir s’il y avait lieu à continuer l’ancien système ou s’il fallait mettre les traitements des vicaires à la charge de l’Etat ; cette question avait déjà été agitée lors de la discussion de la loi communale, mais seulement d’une manière incidente, et lorsque nous vous avons présenté un projet de loi à cet égard, nous avons cru, avant d’assumer une aussi forte charge pour le trésor de l’Etat, devoir soumette la question à votre appréciation : du moment que nous avons vu que vous étiez disposés à mettre la dépense à la charge de l’Etat, nous ne nous y sommes nullement opposés, parce qu’en définitive c’est à nous qu’il appartient de savoir quels sont les subsides que le pays peut fournir, et quelles sont les charges qu’il peut supporter.

Il est un autre grief, c’est l’institution d’un conseil d’Etat ; nous ne savions pas, messieurs, que le ministère fût responsable d’un projet que le sénat a cru devoir proposer même avant notre entrée au ministère ; vous êtes saisis de ce projet, et vous le discuterez lorsque vos travaux le permettront.

J’en viens, messieurs, à ce qui concerne l’enseignement ; mon prédécesseur vous a saisis d’un projet de loi sur l’instruction publique, vous serez également appelés à le discuter, mais je ne crains pas de dire dès maintenant que l’honorable préopinant en a singulièrement dénaturé les dispositions ; lorsque vous vous occuperez de ce projet, vous pourrez voir jusqu’à quel point les assertions de l’honorable membre sont fondées.

Le gouvernement a-t-il eu l’intention d’entraver la liberté de l’enseignement supérieur en ce qui concerne le jury d’examen ? Si la mémoire de l’honorable préopinant était plus fidèle, il se serait rappelé que nous-mêmes nous avons proposé à la chambre, dans un rapport supplémentaire, l’adoption du système présenté par la section centrale, et que la seule cause de notre abstention a été que nous nous sommes trouvés placés entre deux opinions différentes ; celle qui voulait attribuer la nomination exclusivement au gouvernement et celle qui voulait l’attribuer exclusivement aux chambres : nous avons demandé la priorité pour le projet de la section centrale, et comme cette priorité a été refusée et que nous nous trouvions par conséquent placés entre deux opinions extrêmes, nous avons cru devoir nous abstenir.

Du reste, messieurs, je ne pense point qu’il ait été dans l’intention des auteurs de la proposition de déférer la nomination des membres du jury au gouvernement, d’entraver la liberté de l’enseignement ; pour vous convaincre à cet égard, je crois qu’il suffirait de vous rappeler que parmi ceux qui ont voté dans ce sens, il en est plusieurs qui ont toujours fait profession de vouloir que la liberté d’enseignement régnât dans toute son étendue.

Mais le gouvernement a commis une usurpation de pouvoir en chargeant un professeur d’université de faire, dans le courant de l’année dernière, l’inspection des athénées et collèges qui reçoivent un subside de l’Etat ; veuillez, messieurs, vous rappeler que vous-mêmes vous avez voté dans le budget de l’intérieur les fonds nécessaires pour couvrir les frais de cette inspection ; et je vous le demande, messieurs, en quoi, à cette occasion, la moindre atteinte a-t-elle été portée à la liberté de l’enseignement, quelles sont les prescriptions qui auraient été données à l’inspecteur dont il s’agit, d’entraver le moins du monde cette liberté ? Qu’on cite un seul fait, et je suis prêt à répondre, mais je pense que sans doute on ne regardera pas comme une atteinte portée à la liberté de l’enseignement que le gouvernement désire connaître la situation des établissements qui reçoivent un subside du trésor.

Le même orateur qui a fait un grief au ministère d’avoir, dans la discussion de la loi communale, demandé pour l’autorité administrative le pouvoir d’interdire la représentation de pièces connues notoirement comme portant atteinte à la morale publique, veut cependant, en ce qui concerne l’enseignement primaire, que le gouvernement favorise exclusivement certains établissements. Nous voyons la une contradiction.

Quant à nous nous avons pensé et nous pensons encore que les dispositions que nous avons soutenues dans la loi communale ne pouvaient produire que de bons effets.

En ce qui concerne les subsides aux établissements d’instruction primaire, je pense que nous en avons fait une répartition convenable autant que les circonstances l’ont permis.

Vous vous rappelez que le fonds de 200,000 fr. a été presqu’exclusivement consacré à continuer des subsides aux divers établissements d’instruction primaire qui en jouissaient. Jusqu’à présent il n’a pas été question de retirer ces subsides sans des motifs fondés. Quant au surplus de ces fonds, le gouvernement n’a point frappé d’exclusions les établissements que le zèle religieux et la charité dirigent plus particulièrement.

Le gouvernement aurait encore, suivant le même orateur, pris à tâche de nommer particulièrement les fonctionnaires publics les plus notoirement opposés aux idées de liberté religieuse. C’est encore là une accusation banale que nous repoussons de toutes nos forces comme tous les griefs que j’ai déjà rencontrés. Enfin la même tendance se manifesterait dans les élections aux chambres. Le préopinant a eu soin de dire que quelles que pussent être à cet égard nos dénégations, il n’y aurait aucun égard. Sans avoir nous-mêmes égard à cette réserve, nous nous bornons à déclarer que ces faits sont de pures inventions.

Je pense, messieurs, que j’ai déjà besoin de m’excuser auprès de vous pour m’être autant étendu dans ma réponse à tous ces griefs.

M. Dubois. - L’honorable ministre de l’intérieur vient de répondre très longuement aux griefs présentés par M. Doignon, qui lui a reproché entre autres choses de ne pas être assez catholique. Je lui demanderai si après cela il n’avait pas un mot à dire en réponse à la question que je lui ai adressée et qui est également intéressante. Je lui ai demandé si lorsque chaque année les bourgmestres font un rapport sur leur commune, et les gouverneurs un rapport sur leur province, il ne conviendrait pas que le ministre de l’intérieur fît chaque année aux chambres et au pays un rapport sur la situation morale et matérielle du pays. Que M. le ministre de l’intérieur veuille bien dire quelles sont à cet égard ses intentions. Déjà ce rapport avait été promis par le ministre prédécesseur de M. de Theux ; depuis trois ans que cette promesse est faite, elle n’a pas été réalisée. Je demande donc à M. le ministre de l'intérieur s’il a sérieusement l’intention de présenter chaque année ce rapport sur la situation du pays.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je dois dire également que le grief d’absence de renseignements est très peu fondé. Vous savez comme dans toutes les discussions le gouvernement va au-devant des désirs des chambres pour leur communiquer tous les renseignements qu’elles peuvent désirer. En ce qui concerne spécialement les budgets, nous avons cru inutile de répéter annuellement les longues explications données depuis plusieurs années.

Quant au rapport général sur la situation intérieure du pays, je ne puis prendre d’engagement précis. Tout ce que je puis dire, c’est que le ministère est très disposé à communiquer à la chambre tous les renseignements qui pourront lui être utiles pour faciliter ses travaux.

M. Desmet. - Quoique M. le ministre dise qu’il donne à la chambre tous les renseignements qu’elle désire, je ferai observer que plus d’une fois on n’a pu délibérer sur des demandes du budget de l’intérieur dans les sections et dans la section centrale, parce que nous manquions des renseignements nécessaires. Voilà quatre ans qu’à chaque budget de l’intérieur on s’est plaint que des renseignements manquaient ; nous savons bien que dans ce ministère il y a encombrement d’affaires, mais que sera-ce à présent que le département des affaires étrangères y est joint ? Tout ce que le vois de tout cela, c’est que de plus en plus il y aura négligence dans les affaires administratives, et que le pays, au lieu d’être gouverné par des ministres, le sera par les employés des bureaux !

Je me joindrai donc à la demande qu’a faite un honorable préopinant d’un rapport annuel sur la situation du pays.

Ce rapport on l’a dans tous les pays ; et, à défaut de ce document indispensable, chaque année nous votons en aveugles le budget de l’intérieur. Il est plus commode, je le sais, de ne point faire d’exposé de la position administrative du pays, et d’un autre côté aussi on a plus de liberté d’administrer à sa guise ; mais je ne sais si la chambre sera toujours si bénévole d’allouer des fonds au département sans connaître à quoi ces fonds sont employés.

Je demande que l’on réponde à la question faite par l’honorable M. Pollénus : « De combien sera l’augmentation dont on aura besoin au budget de la guerre ; » car il faut avant tout soigner les affaires de la guerre, et si nous pouvions savoir de combien une augmentation est nécessaire au budget de la guerre, cela aurait quelque influence sur les votes que nous aurons à émettre à propos du budget de l’intérieur.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Tout ce que je puis dire c’est qu’il est vraisemblable qu’il y aura une demande de crédits supplémentaires pour le dépôt de la guerre. Quel sera le montant de cette demande ? Je ne puis le dire en ce moment. Au, surplus je ne comprends pas en quoi ce renseignement pourrait exercer de l’influence sur la discussion du budget de l’intérieur ; car vous vous rappelez que les dépenses principales de l’intérieur sont indispensables ; ce sont : les fonds d’administration dans les provinces, les frais du culte, les frais pour l’instruction et autres dépenses fixes du même genre. Il n’y a au budget de l’intérieur, d’après ses attributions actuelles que des dépenses réellement indispensables.

M. Desmet. - L’année dernière le ministère avait demandé une somme d’environ 150,000 francs pour achat de divers objets d’arts et de science. La chambre a accordé celle de 300,000 francs. Eh bien, c’est cette dernière somme que le ministère demande cette année. Assurément ce n’est pas indispensable. Je ne comprends donc pas ce que veut dire le ministère quand il vient d’affirmer que tout ce qu’il demande dans son budget est indispensable ; je pense, au contraire, que dans le budget de l’intérieur il a bien des choses qu’on peut envisager comme de purs objets de luxe et dont le pays pourrait se passer même sans faire tort à un progrès des sciences et des arts, comme, par exemple, les 365,000 francs que le ministre avait dépensés pour l’achat de la bibliothèque Van Hulthem : le temps prouvera que les sciences n’auraient rien perdu si on n’avait pas été si léger à dépenser cette énorme somme.

Pour moi, je pense qu’il y a beaucoup d’articles du budget de l’intérieur que nous pourrions mettre de côté. Il serait bon pour cela que l’on nous fît savoir quels sont les besoins du département de la guerre.

Les dépenses de la guerre, je les vois indispensables, et je ne doute pas que toute la chambre partage ici mon opinion qu’il faille commencer à voter les dépenses indispensables de la guerre avant celles de luxe et d’agrément qui figurent en grande quantité dans le budget de l’intérieur.

M. Pollénus. - Je crois, si mes renseignements sont exacts que la proposition que l’on se dispose à faire pour augmenter le budget du département de la guerre s’élève de 4 à 5 millions. (Dénégations au banc des ministres.)

M. Pollénus. - Alors à combien s’élèvera-t-elle ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - On vous a dit tout à l’heure qu’on ne le savait pas.

M. Pollénus. - On sait cependant que cette somme n’atteindra pas celle de 5 millions ou de 4 millions.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Oui.

M. Pollénus. - Pour ma part je ne suis pas d’avis comme on l’a dit, que toutes les sommes pétitionnées au budget de l’intérieur soient indispensables. Il y a à ce budget des demandes d’allocation dont je ne vois en aucune façon l’urgence et qui pourraient être appliquées à une autre destination. Mais je suis obligé de répondre un mot à l’honorable M. Desmet, quoiqu’à certains égards il partage mon opinion.

En parlant des probabilités d’augmentation du budget de la guerre, il a donné à entendre qu’il voterait pour ces augmentations. Pour ma part, je ne suis pas disposé à voter ces majorations, à moins qu’on ne démontre qu’elles sont nécessaires, qu’elles sont indispensables, car vous savez que le budget de la guerre absorbe déjà à peu près la moitié de nos ressources.

Je sais bien qu’à la séance d’ouverture de la session nous avons entendu parler de la position hostile de notre ennemi. Je me rappelle que la même phrase a été reproduite dans un discours d’un ministre. Mais ces mots que je suis habitué à entendre me frappent peu. J’attendrai qu’il soit articulé des faits de nature à motiver une augmentation au budget de la guerre. A moins qu’on articule des faits, je ne suis pas disposé à voter cette augmentation.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Pourquoi donc alors votre motion ?

M. Pollénus. - C’était pour mettre le gouvernement à même de justifier l’utilité de la demande qu’il compte faire. Puisqu’on a jugé à propos de ne rien dire, j’ai pu dire, dès à présent, qu’il faudra des faits pour me convaincre, et non pas des paroles.

M. F. de Mérode (pour un fait personnel). - L’honorable M. Doignon a signalé les ministres d’Etat comme étant en opposition avec les sentiments religieux de la majorité des habitants de la Belgique. L’honorable M. Doignon me semble ici avoir manqué à la tolérance qu’il recommandait cependant au ministre, lequel, selon lui, oublierait sur ce point l’esprit de notre système constitutionnel. C’est une sorte d’inquisition morale qu’il a exercée sur la classe des ministres d’Etat, et comme j’appartiens à cette classe peu nombreuse, j’ai cru devoir réclamer contre les allégations dont elle a été l’objet. (On rit.)

M. Doignon. - J’ai critiqué en général la nomination des ministres d’Etat et j’en avais le droit : à chacun de nous appartient le droit de critiquer les actes du gouvernement. Je n’ai entendu appliquer mon observation à aucun ministre d’Etat personnellement. Si M. le comte de Mérode croit devoir s’appliquer à lui-même mes réflexions, il est libre de le faire, je ne puis l’empêcher.

M. F. de Mérode. - Vous ne m’avez pas, si vous voulez, attaquer personnellement ; mais il est vrai que vous avez critiqué une classe de ministres excessivement restreinte. (On rit.)

- La chambre passe à la discussion des articles.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 180,220. »

M. le président. - Ce chiffre doit être réduit à 142,220 fr., par suite du transfert de 58,000 au budget du ministère des travaux publics.

- Le chiffre de 142,220 fr. est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Matériel : fr. 28,000. »

Des membres. - Nous ne sommes plus en nombre. L’appel nominal.

M. de Jaegher. - On prétend que nous ne sommes plus en nombre ; moi je crois le contraire. Que les membres qui veulent partir quittent la salle, mais qu’ils ne nous empêchent pas au moins de continuer nos travaux.

M. Van Hoobrouck de Fiennes. - Des membres pensent que la chambre n’est plus en nombre ; qu’on exécute en conséquence le règlement. Que l’appel nominal constate si nous sommes en nombre, oui on non.

M. le président. - Je ferai observer que le bureau est chargé de constater si la chambre est en nombre ; or, jusqu’à présent le bureau n’a pas constaté qu’il n’y ait pas assez de membres dans la salle pour que la délibération soit valide. Au reste, si des membres persistent à demander l’appel nominal, je consulterai l’assemblée.

De toutes parts. - Continuons ! continuons !

M. le président. - Nous en sommes à l’art. 3 : matériel, 28,000 fr

Ce chiffre doit être réduit à 20,000 fr., par suite du transfert d’une somme de 8,000 fr. au budget du ministère des travaux publics.

- Le chiffre de 20,000 fr. est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Frais de déplacement : fr. 2,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Pensions et secours

Article premier

« Art. 1er. Pensions à accorder à des fonctionnaires ou secours : fr. 8,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Secours, continuation de secours, avance de pensions à accorder par le gouvernement à d’anciens employés belges aux Indes du ci-devant gouvernement des Pays-Bas, ou à leurs veuves : fr. 9,127 46 c. »

- La section centrale propose une réduction de 81 fr. 09 c., à laquelle M. le ministre déclare consentir.

Le chiffre, ainsi réduit, est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Secours à des employés ou veuves d’employés qui, sans avoir droit à la pension, ont néanmoins des titres à un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 6,000. »

M. le président. - La section centrale propose de rédiger cet article comme suit :

« Secours à des fonctionnaires ou veuves de fonctionnaires, à des employés ou veuves d’employés qui, sans avoir droit à la pension, ont néanmoins des titres à un secours à raison de leur position malheureuse : fr. 6,000. »

La section centrale propose en outre une réduction de 1,000 francs.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) déclare adhérer à cette réduction, d’après les motifs donnés par la section centrale.

- Le chiffre de 5,000 francs est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Secours aux légionnaires ou aux veuves de légionnaires qui se trouvent dans une position malheureuse : fr. 55,000.

M. le président. - La section centrale propose une réduction de 10,000 francs ce qui ne porterait le chiffre qu’à 45,000 francs.

M. le ministre adhère-t-il à la réduction de la section centrale ?

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Non, M. le président.

Messieurs, la majoration de 10,000 fr. proposée à l’art. 4 est destinée à accorder des secours à des veuves de légionnaires.

Quelques-unes de ces veuves s’étant adressées l’an dernier au sénat, lors de la discussion du budget de l’intérieur, leurs titres à l’obtention d’un secours ont été discutés ; et, je dois le dire, les titres ont été très favorablement apprécies dans le sénat.

Je pense même que c’est pour éviter d’amender le budget de l’intérieur, en y introduisant une somme assez peu considérable pour cet objet, que le sénat n’a pas fait droit à ces pétitions.

Je me suis alors engagé, messieurs, à demander des renseignements précis sur le nombre de ces veuves et sur l’importance de la charge qui pourrait en résulter pour l’Etat, et je me suis assuré que, moyennant une somme de 10,000 fr., le gouvernement serait à même de satisfaire, non seulement aux réclamations qui sont déjà connues, mais encore aux réclamations éventuelles.

Il est à remarquer, messieurs, que quoique la commission chargée par la chambre d’examiner le projet de loi qui vous a été présenté en faveur des légionnaires, ait conclu dans un sens négatif, en ce qui concerne un droit strict de la part des légionnaires, cette commission a cru cependant qu’il y avait des titres d’équité, des titres d’humanité en faveur de cette classe de citoyens.

Messieurs, vous venez de voter des secours pour des veuves d’anciens fonctionnaires ou employés. Vous avez vote au budget du ministère de la justice une semblable allocation en faveur d’une classe d’infortunés, en faveur des aveugles et des sourds-muets, quoiqu’à la rigueur, l’Etat ne soit pas tenu d’accorder ces secours.

Dans cette circonstance, nous n’invoquons pas non plus le droit strict en faveur des veuves de légionnaires, mais nous faisons un appel à vos sentiments d’humanité.

Je crois, véritablement, messieurs, que, vu la faible importance de l’allocation, il y a des motifs très légitimes pour que la chambre accède à la demande que j’ai eu l’honneur de lui faire.

M. Heptia, rapporteur. - Quand la section centrale a refusé le crédit demandé pour secours à des veuves de légionnaires, le motif principal qui l’a guidée a été que ces veuves n’avaient aucune espèce de droits, fondés sur la loi, à réclamer des secours à la charge de l’Etat.

La section centrale a pensé, en outre, que si l’on entrait dans cette voie, d’accorder des secours à toutes les personnes qui peuvent en avoir besoin, l’application de ce système pourrait mener fort loin, et donner lieu à un antécédent plus ou moins fâcheux.

Plusieurs membres de la section centrale ont cru voir dans l’état des veuves qu’on se propose de secourir la preuve que ces sortes de secours étaient accordés, dans certains cas, d’une manière un peu légère.

Du reste, l’humanité est un fort beau sentiment, mais la section centrale n’a pas cru devoir y céder, à cause du précédent dangereux qu’elle a craint de poser, en accordant des secours dans cette occasion.

M. A. Rodenbach. - J’appuierai la majoration de 10,000 fr. demandée par le gouvernement en faveur des veuves de légionnaires.

La chambre a voté une somme pour secours à des veuves d’employés ; ces employés ont touché de leur vivant des appointements plus ou moins élevés, et ont ainsi pu laisser quelques économies à leurs veuves. Mais il n’en est pas ainsi pour les veuves de soldats, puisque ceux-ci ne reçoivent que quelques sous par jour : aussi la plupart d’entre elles se trouvent-elles dans la misère, et en outre chargées de plusieurs enfants.

Si l’on se décide à accorder des secours à des veuves d’employés, il me semble qu’il existe plus de motifs encore pour traiter aussi favorablement les veuves d’anciens militaires qui ont versé leur sang pour la patrie, qui ont été couverts de blessures et qui ont obtenu le signe de l’honneur.

D’après ces considérations, je voterai pour les 10,000 fr.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - J’ai une seule observation à ajouter.

Il est à remarquer que les légionnaires depuis 1813 ont perdu les pensions dont ils jouissaient ; les premiers secours leur ont été accordés en 1835.

Il est réellement plusieurs veuves de légionnaires qui ont des titres très légitimes à l’obtention d’un secours.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur le chiffre de 55,000 fr.

48 membres prennent part au vote.

3 s’abstiennent (ce sont MM. de Jaegher, Desmet et Pollénus).

39 votent l’adoption.

10 votent le rejet.

En conséquence le chiffre est adopté.

Ont répondu oui : MM. Bekaert, Berger, Goblet, Brabant, Coppieters, Dolez, Cornet de Grez, Dams, de Longrée, F. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, de Renesse, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Fallon, Hye-Hoys, Keppenne, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Pirmez, Pirson, Raymaeckers, A. Rodenbach, Seron, Stas de Volder, Troye, Vandenbossche, Vanderbelen, Vergauwen, Van Hoobrouck et Watlet.

Ont répondu non : MM. Doignon, Dubus, Eloy de Burdinne, Heptia, Kervyn, Simons, Thienpont, Ullens et C. Vuylsteke.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.

M. de Jaegher. - Lorsque nous votons des sommes assez considérables pour divers objets, il me répugne de refuser une somme de dix mille fr. pétitionnée au nom du malheur ; mais comme membre de la section centrale je n’avais pas eu tous mes apaisements sur les objections dont cette demande de crédit avait été l’objet, et je craignais les inconvénients qui devaient résulter de l’adoption du principe. Par ces motifs je me suis abstenu.

M. Desmet. - Je me suis abstenu parce que je suis dans le doute : tantôt les ministres nous disent que ces légionnaires n’ont pas de titres, tantôt qu’ils en ont. Dans cet état de choses, je ne savais que faire.

M. Pollénus. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. de Jaegher.

Chapitre III. Frais de l’administration dans les provinces

Articles 1 à 10

« Art. 1. Province d’Anvers : fr. 121,577. »

- Adopté.


« Art. 2. Province du Brabant : fr. 129,375. »

- Adopté.


« Art. 3. Province de la Flandre occidentale : fr. 140,157. »

- Adopté.


« Art. 4. Province de la Flandre orientale : fr. 142,748. »

- Adopté.


« Art. 5. Province du Hainaut : fr. 143,557. »

- Adopté.


« Art. 6. Province de Liége : fr. 131,730. »

- Adopté.


« Art. 7. Province du Limbourg : fr. 116,680 20 c. »

- Adopté.


« Art. 8. Province du Luxembourg : fr. 130,800. »

- Adopté.


« Art. 9. Province de Namur : fr. 109,508.

- Adopté.


« Art. 10. Frais de route et de tournées des commissaires de district : fr. 18,500. »

- Adopté.

Chapitre IV. Instruction publique

Articles 1 à 6

« Art. 1. Frais des jurys d’examen pour les grades académiques : fr. 80,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Universités : fr. 535,993. »

- Adopté.


« Art. 3. Frais de l’école industrielle à Gand : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais d’inspection des athénées et collèges : fr. 8,800. »

- Adopté.


« Art. 5. Subsides annuels aux établissements d’enseignement moyen : fr. 105,000. »

- Adopté.


« Art. 6. Indemnités aux professeurs démissionnés dans les athénées et collèges : fr. 5,000. »

- Adopté.

Article 7

« Art. 7. Instruction primaire : fr. 255,000. »

M. Devaux. - Je demanderai qu’on veuille remettre le vote de cet article à demain. Il existe une demande d’une localité de ma province pour avoir une augmentation d’allocation ; l’instruction de cette demande est commencée au ministère, on la trouve juste et on s’informe aujourd’hui même si le subside réclamé est suffisant pour faire face à cette demande. On peut ajourner cet article jusqu’à demain et passer à un article suivant.

- L’ajournement proposé par M. Devaux est adopté.

Article 8

« Art. 8. Subside pour l’instruction des sourds-muets et des aveugles : fr. 20,000. »

- Adopté.

Chapitre V. Cultes

Article premier

« Art. 1er. Culte catholique : fr. 4,016,150. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Culte protestant (chiffre demandé par le gouvernement) : fr. 80,000 fr. ; (chiffre proposé par la section centrale) : fr. 79,000. »

M. Pollénus. - Au commencement de cette séance il a été donné lecture de l’analyse d’une pétition de la direction des églises protestantes du Limbourg, dans laquelle je trouve que cette direction se plaint de ce que depuis 1830 elle n’est pas défrayée de réunions qui ont lieu conformément à des arrêtés royaux relatés dans la constitution. Les signataires de la pétition font remarquer que leur réclamation a pour objet non pas d’obtenir une augmentation de traitement, mais simplement une indemnité pour déplacements auxquels ils sont tenus. Je demanderai la remise de l’article à demain, afin de laisser à M. le ministre de l’intérieur le loisir d’examiner cette réclamation.

- La proposition de M. Pollénus est adoptée ; en conséquence la discussion de l’art. 2 du chap. V est remise à demain.

- La séance est levée à 4 heures et un quart.