Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés
Bibliographie et liens
Note d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mercredi 19 avril 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant un transfert de crédit au département de la
guerre (Dumortier)
3) Prise en considération de demandes en naturalisation
4) Projet de loi relatif aux péages du chemin de fer (Verdussen, Nothomb, Verdussen, Dumortier, Nothomb, Desmet, Dumortier, Gendebien, (+cour
des comptes) Nothomb, Desmet, Rogier)
5) Projet de loi portant des modifications au tarif des douanes.
Discussion générale (politique commerciale du gouvernement et négociations
commerciales avec
(Moniteur belge
n°110, du 20 avril 1837)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Kervyn lit le
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« L’administration communale de Stabroek demande la
construction d’une digue intérieure et la fortification de la digue actuelle de
Stabroek. »
- Renvoyé à la commission des polders.
________________
« Des marchands d’Ostende demandent que la
chambre adopte une mesure qui empêche la vente à l’encan de marchandises
neuves. »
________________
« Des facteurs
et négociants en poisson, de diverses villes du royaume proposent des
modifications à la loi du 13 avril 1834. »
________________
« Le sieur
S. Willin, à Lavacherie,
réclame contre une décision de M. le gouverneur de la province de Luxembourg
qui oblige son fils au service de la milice par suite de l’exemption accordée
au sieur Paquay. »
________________
« Le sieur
Ch. Vayre, sous-lieutenant au 5ème régiment de ligne,
né Français et fils unique d’une mère belge, demande la naturalisation.
- Renvoyé au ministre de la justice.
________________
« Le sieur
Hotter, sergent à la maison de force de Gand, né en Prusse, demande la
naturalisation. »
- Renvoyé au ministre de la justice.
________________
- Les autres pétitions sont renvoyées à la commission
spéciale qui en fera le rapport.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) présente un projet de loi portant transfert de
diverses sommes non dépensées du budget de 1836 au budget de 1837. Ces sommes
serviraient principalement à couvrir les frais de campement, de cantonnement,
de casernement, et autres, pendant l’exercice courant.
M. Dumortier. - J’ai écouté avec grande attention les développements du projet et
l’exposé des motifs ; il y a une chose qui m’a frappé ; c’est que ce projet est
un remaniement intégral du budget de 1836. (Bruit.)
Mais on n’a pas pris la précaution, dans ce transfert, d’indiquer les articles
où les sommes peuvent être prises. Je demande s’il n’y aurait pas moyen de
donner un crédit sans remanier le budget, ou du moins d’indiquer le libellé des
articles d’où les sommes seront transférées ; car nous n’avons pas les budgets
dans la mémoire.
M. le président. - A qui veut-on renvoyer la loi ?
Plusieurs membres. - A une commission.
M. Dubus (aîné) - A la section centrale du budget de la guerre,
considérée comme commission.
- La proposition de M. Dubus est adoptée.
PRISE EN CONSIDERATION DE DEMANDES EN
NATURALISATION
Un scrutin secret est ouvert pour la prise en
considération de la demande en naturalisation ordinaire formée par le sieur
J.-F. Roger, fonctionnaire municipal.
Cette demande est prise en considération à la majorité
de 62 boules blanches contre 6 boules noires.
_________________
Un second scrutin secret est ouvert sur la demande en
naturalisation ordinaire du sieur E. Manouvrier, autre fonctionnaire municipal.
Cette demande est prise en considération à la majorité
de 56 boules blanches contre 11 boules noires.
_________________
- Ces deux décisions seront portées à la connaissance
du sénat.
M. le président. - Le projet présenté par le gouvernement est conçu comme suit :
« Vu la loi du 12 avril 1835, portant que
jusqu’au 1er juillet 1836 les péages à percevoir sur la route en fer seront
réglés par un arrêté royal et perçus en vertu de cet arrêté ;
« Vu la loi du 1er avril 1836, qui proroge d’une
année celle du 12 avril 1835, dont mention précède ;
« Considérant qu’une seconde prorogation est
nécessaire,
« Nous avons, de commun accord avec les chambres,
décrété, et ordonnons ce qui suit :
« Le délai fixé par l’art. 1er de la loi du 12 avril
1835 est prorogé au 1er juillet 1838. »
La section centrale propose l’adoption du projet.
M. Verdussen. - Messieurs, quoique le projet de loi qui nous est soumis ne soit
qu’une prorogation d’une loi antérieure, je crois cependant que l’objet est
digne de toute notre attention : jusqu’ici nous n’avons eu à nous occuper que
du péage sur de faibles fractions de chemin de fer, sur des sections qui ne
présentent aucune difficulté ; mais, d’ici au 1er juillet de l’année prochaine,
époque à laquelle la nouvelle loi expirera, de nouvelles sections plus importantes
seront probablement ouvertes ; nous aurons peut-être aussi le transport des
marchandises. Je ne sais si M. le ministre a l’intention de faire à la chambre
une nouvelle demande d’autorisation pour la perception du péage des
marchandises ; mais je vous ferai remarquer, messieurs, que cet objet est d’une
importance extraordinaire et qu’il est digne de fixer toute l’attention de la
législature.
Pour ce qui concerne le transport des voyageurs
seulement, il ne faudra pas perdre de vue que si l’on appliquait le tarif
établi pour les sections actuellement exploitées, aux sections à ouvrir plus
tard, et notamment aux sections de Louvain à Liége et au-delà, ce serait tomber
dans l’erreur, car les localités sont tout à fait différentes ; il faudrait, me
semble-t-il, mettre le droit de péage en harmonie avec le prix actuel du
transport par diligence ou par eau. Cette observation est surtout importante en
ce qui concerne le transport des marchandises ; car les difficultés du
transport sont infiniment moindres sur les terrains plats que sur les terrains
inégaux, comme ceux qui seront traversés par les sections d’au-delà de Louvain.
Aussi le prix du roulage est-il infiniment plus élevé dans les pays montagneux
que dans les autres.
Nous avons vu il y a quelque temps,
dans le Moniteur, une espèce
d’annonce qui appelait l’attention publique sur un mode d’exploiter le chemin
de fer en ce qui concerne le transport des marchandises. Je voudrais savoir si
M. le ministre est d’opinion que, par la loi qui nous est soumise en ce moment,
il serait autorisé à régler non seulement le péage des voyageurs, mais encore
le péage pour le transport des marchandises ; avant de voter sur la loi dont
nous nous occupons, je voudrais que M. le ministre entrât dans quelques
explications à cet égard ; je voudrais qu’il nous dît si le gouvernement entend
qu’en vertu de cette loi il pourra se charger du transport des marchandises par
le chemin de fer, s’il entend établir les magasins, faire confectionner les
locomotives et les wagons dont il aura besoin pour le transport des
marchandises ; en un mot, s’il compte exploiter toutes les espèces de
transports par le chemin de fer.
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb). - Messieurs,
l’honorable préopinant se demande si, par la loi qu’il s’agit de proroger, le
gouvernement se croirait suffisamment autorisé à établir un tarif de péages
pour le transport des machandises sur le chemin de
fer. Je crois, messieurs, qu’il faut répondre affirmativement ; la loi qu’il
s’agit de propoger est générale et par conséquent
suffisante. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’article premier de cette
loi, qui est ainsi conçu : « Provisoirement, en attendant que l’expérience
ait permis de fixé d’une manière définitive les péages …, ces péages seront
réglés par un arrêté royal. »
Vous voyez, messieurs, que cet article ne distingue
pas : qu’il s’agit en général de toute espèce de péages tant pour le transport
des marchandises que pour celui des voyageurs. Je n’hésite donc pas à dire qu’une
nouvelle loi spéciale n’est pas nécessaire, que le gouvernement est autorisé à
régler le péage du double transport dont la route est susceptible.
Quant au mode de transport qu’il sera le plus utile
d’adopter, c’est une question que le gouvernement examine et fait examiner en
ce moment : je n’ai pas d’opinion arrêtée à cet égard, et c’est pour cela que
j’ai cru devoir faire en quelque sorte une enquête administrative. Il est bien
certain, d’ailleurs, que ce qu’on commencera à faire sous ce rapport ne sera
qu’un essai.
L’honorable préopinant a
aussi fait remarquer, avec raison, qu’on ne pourra pas appliquer
rigoureusement, aux sections à ouvrir, eu égard seulement à la distance, le
péage tel qu’il se trouve établi pour les trois sections ouvertes ; le péage
devra être mis en rapport non seulement avec la distance parcourue, mais aussi
avec certaines difficultés du transport. Par exemple, le péage sera plus
considérable là où il y a un plan incliné.
Mais ces observations tendent précisément à prouver
que la législature ne pourrait pas en ce moment arrêter un tarif définitif : il
faut que le gouvernement s’instruise par l’expérience, précisément parce que
l’expérience que nous avons faite jusqu’ici sur les trois sections ouvertes ne
peut pas être appliquée mathématiquement en quelque sort aux sections à ouvrir.
Je ne dois pas finir sans faire remarquer à la chambre
qu’il y a dans le projet un vice de rédaction, qui ne se trouve pas dans la
première loi de prorogation : dans cette loi qui est du 1er avril 1836, il est
dit : « Vu l’art. 1er de l loi du 12 avril 1835, etc. ; » la nouvelle
loi doit être rédigée de la même manière, il faut invoquer non pas la loi de
1835 en entier, mais seulement l’art. 1er de cette loi.
M. Verdussen. - Je remercie M. le ministre des travaux publics des explications
qu’il vient de nous donner, et j’entends avec plaisir qu’il est d’avis que le
péage doit varier suivant le plus ou moins de difficultés que les diverses
localités présenteront pour le transport ; mais, messieurs, M. le ministre a
dit qu’avant d’adopter un mode définitif quant au transport des marchandises,
il faudra des tâtonnements, il faudra faire un essai pour le compte de l’Etat.
Savez-vous bien, messieurs, qu’un essai de cette nature est une affaire immense
? Cet essai, c’est la décision même de la question ! Car si, comme la chose est
possible, il est prouvé, après un examen approfondi, qu’il vaut mieux que le
gouvernement loue en quelque sorte le chemin de fer pour laisser transporter les
marchandises par des sociétés ou des particuliers, que de l’exploiter par
lui-même, comment le gouvernement rentrerait-il dans tous les frais que l’essai
dont il s’agit lui aurait occasionnés ? Comment récupérerait-il les capitaux
considérables que cet essai lui aurait coûtés ? Un semblable essai serait donc
jusqu’à un certain point l’accomplissement d’une mesure qui pourrait être plus
tard repoussée par l’expérience.
Un essai de ce genre
offrirait encore un autre inconvénient très grave ; c’est que, dans le cas où
il ne réussirait pas, l’Etat aurait en quelque sorte à sa charge une masse
d’employés dont on aurait eu besoin pour monter le service ; car il est fort
incertain si ceux qui viendraient après le gouvernement exploiter le transport
des marchandises sur la route en fer, voudraient employer les agents qu’ils y
trouveraient, et s’ils ne trouveraient pas plus utile d’en employer d’autres.
Je crois donc que faire un essai comme celui dont a
parlé M. le ministre des travaux publics, ce serait s’engager dans une voie
extrêmement dangereuse, et que l’objet est tellement important, qu’il
conviendrait de ne rien entreprendre à cet égard, avant d’avoir consulté la
législature.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne partage point du tout l’opinion de l’honorable
préopinant ; la chambre étant entrée dans le système de faire exécuter le
chemin de fer aux frais de l’Etat, il est incontestable que l’Etat doit se
charger du transport des marchandises comme de celui des voyageurs ; car si,
lorsque le chemin est construit, on en abandonne les bénéfices aux
particuliers, on aura agi dans l’intérêt de quelques individus, au lieu d’agir
dans l’intérêt de tous ; tous les frais que l’État aura faits seront perdus pour
lui, et tourneront au profit de quelques sociétés qui viendront alors établir
le monopole des moyens de communication.
L’honorable préopinant a dit que lorsque le
gouvernement aura fait un essai, lorsqu’il aura établi le personnel nécessaire
pour le transport des marchandises, lorsqu’il aura fait construire les
magasins, les locomotives et les wagons nécessaires à ce transport, il aura
résolu la question : mais je retournerai l’argument de l’honorable membre, et
je dirai que lorsque le gouvernement aura abandonné l’exploitation du chemin de
fer à des sociétés quelconques, il aura également résolu la question dans un
autre sens ; il aura donné à ces sociétés des droits dont il ne pourra plus les
dépouiller. D’ailleurs, il y a déjà un personnel pour le transport des
personnes, et il suffira de l’augmenter quelque peu pour qu’il puisse également
suffire au transport des marchandises.
Il ne faut pas le perdre de vue, messieurs,
l’exploitation du chemin de fer constitue un monopole : lorque
vous avez décidé que l’on construirait ce chemin aux frais de l’Etat, vous avez
établi en principe qu’il y aurait un monopole ; eh bien, puisque vous avez
admis le principe, vous devez en subir les conséquences ; puisqu’il faut que le
monopole existe, que ce soit au moins au profit de l’Etat ; car, dans une
question d’argent qui amène pour résultat des bénéfices, il est certain que
nous devons désirer que ces bénéfices soient perçus par le trésor public,
puisque c’est le trésor public qui a fait toute la dépense primitive de
construction.
Quant à ce qu’a dit l’honorable préopinant sur la
convenance d’établir des droits différents sur chaque route, il me semble que
cet objet offre encore matière à de mûres réflexions. Etablir des droits
différents, c’est s’exposer à de vives contestations entre les diverses
localités. Je comprends bien que dans telle direction où il y aura un plan
incliné on fasse payer un peu plus ; mais faut-il dans les autres directions
établir des prix différents en raison de telle ou telle localité ? Pour moi, je
regarde cela comme absolument impossible ; le taux du péage doit être uniforme
sur toutes les sections, à l’exception de celles qui enferment un plan incliné.
Mais vouloir, par exemple, qu’alors qu’on ne paie que 1 fr. 20 c. de Bruxelles
à Anvers, on paie 2 fr. ou 2 fr. et demi pour la même distance dans une autre
direction, c’est ce que je ne peux admettre.
Et à cette occasion je ferai
remarquer que le taux du péage admis actuellement entre Bruxelles et Anvers
pourrait être un peu majoré, quant aux places inférieures. Il est certain que
lorsqu’on livrera à la circulation toutes les autres sections du chemin de fer,
l’Etat éprouvera d’énormes pertes, si l’on ne percevait sur ces sections que le
prix actuel des places inférieures entre Bruxelles et Anvers, parce que toutes
les sections ne transportent pas à beaucoup près autant de voyageurs que
celle-ci.
Il convient, avant l’ouverture de nouvelles
communications, que le gouvernement examine sérieusement s’il n’est pas à
propos d’élever tant soit peu le tarif des places inférieures. Si, par exemple,
on portait le chiffre actuel d’un franc et 20 centimes à un franc 50 centimes,
il en résulterait certes un bénéfice considérable à réaliser par le
gouvernement dans la direction de Bruxelles à Anvers, et cela nous mettrait à
même d’établir ensuite un droit similaire dans les autres directions.
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb). - L’honorable M.
Verdussen s’était d’abord demandé si le gouvernement était autorisé, en vertu
de la loi qu’il s’agit de proroger, à établir un tarif pour le transport des
marchandises. J’ai répondu affirmativement à cette question.
M. Verdussen, en prenant une seconde fois la parole,
s’est demandé si le gouvernement ne devait pas consulter la législature, au
préalable et en principe, sur le mode de transport.
Je crois, messieurs, que si le gouvernement s’était
avisé de présenter à la législature un projet de loi pour déterminer le mode de
transport, la législature aurait refusé de statuer ; elle aurait répondu au
gouvernement : Faites un essai, faites-le sans trop vous engager. C’est ainsi,
messieurs, que le gouvernement entend commencer le transport des marchandises.
Il fera un essai, sans trop s’engager, sans se procurer un matériel et un personnel
tellement considérables qu’il soit impossible de reculer, si tant est qu’il
vînt à reconnaître qu’il y a lieu de reculer, et de tenter un autre mode de
transport.
L’honorable M. Dumortier pense qu’il ne faut pas
prendre dans une acception trop rigoureuse les observations qui ont été faites
par M. Verdussen tendantes à faire varier le péage d’après les localités. Je
pense aussi qu’il ne faut pas prendre ces observations dans un sens trop
rigoureux ; je crois qu’il faut que l’ensemble du chemin de fer présente, quant
aux péages, une sorte de compensation d’une section à l’autre, toutefois en
tenant lieu des difficultés majeures, et notamment des plans inclinés .
M. Dumortier croit qu’on pourrait élever les prix sur
la section de Bruxelles à Malines, et surtout les prix des places inférieures.
Je pense, messieurs, que ce serait dépopulariser le chemin de fer que d’élever
le prix, par exempte, d’un franc 20 centimes à 1 franc 50 c. Je crois qu’il
sera peut-être possible d’augmenter le prix des places autres que les places
inférieures ; l’administration pourra songer à créer de véritables places
aristocratiques, en faisant disposer dans les voitures des compartiments à
trois places seulement ; ce qui permettra aux voyageurs d’un rang élevé d’être
seuls comme s’ils voyageaient en poste.
Mon honorable prédécesseur a appelé avec raison la
nouvelle voie la voie populaire ; nous risquerions, en augmentant le prix des
places inférieures, de lui ôter ce beau titre.
Une remarque que chacun pourra faire,
c’est que les premiers convois qui arrivent à Bruxelles, et les derniers qui en
partent, servent principalement à amener les ouvriers des environs de
Bruxelles, et à les ramener dans leurs foyers. Augmenter les prix des places
inférieures, l’ouvrier n’aura plus cette facilité, il devra s’établir à
Bruxelles.
Ce que je dis de cette ville est applicable aux
autres. Sous ce rapport le chemin de fer est un immense bienfait pour les
ouvriers des campagnes qui peuvent quotidiennement venir travailler en ville et
retourner le soir dans leurs foyers.
Revenant à la question principale et réellement
importante, posée par l’honorable M. Verdussen, relativement au mode de
transport des marchandises, je crois que l’appréciation de ce mode de transport
doit rester abandonnée, comme essai, au gouvernement.
M. Desmet. - Messieurs, je conçois les craintes qui ont engagé
M. Verdussen à adresser son interpellation à M. le ministre des travaux
publics. L’honorable membre craint que si le gouvernement va se livrer à une
nouvelle exploitation, les frais qui en résulteront ne seront pas compensés par
la recette que l’on pourra faire.
Jusqu’à présent, messieurs, je n’ai pu comprendre que
la loi du chemin de fer ait accordé au gouvernement la faculté d’exploiter ;
car quand la loi du chemin de fer a été votée, certainement on n’a pas entendu
que le gouvernement aurait perçu des péages, mais n’aurait pas le monopole de
l’exploitation, et à cet égard je conçois le but de la question faite par
l’honorable M. Verdussen.
L’honorable M. Dumortier vient encore nous affirmer que l’exploitation du
chemin de fer est un véritable monopole entre les mains du gouvernement ; c’est
déjà un grand mal, et l’honorable membre doit le reconnaître ; mais, au moins,
lorsque le gouvernement veut exercer un monopole, il faut qu’il en résulte de
grands bénéfices pour le trésor public.
Or, je ne vois nullement que le chemin de fer nous
procure ces grands bénéfices. Au contraire, le déficit qui a été signalé par la
section centrale du budget du chemin de fer monte à une somme de 280,000 fr.,
et quoi qu’on en dise, est réelle, et il augmentera nécessairement, si vous
vous livrez à de nouvelles dépenses pour le transport des marchandises.
Ne croyez pas que le gouvernement puisse, sous ce
rapport, lutter contre la navigation ; le transport des marchandises par les
chemins de fer pourra seulement remplacer les messageries.
Je demanderai maintenant à M. le ministre des travaux
publics si son intention est de continuer l’administration du chemin de fer,
comme elle est organisée actuellement. Aujourd’hui tout se fait par un seul
département ; ordonnateur et comptable, tout se trouve dans la même
administration. On dépense des millions, sans que les mandats passent par la
filière de l’administration des finances. L’on fait des avances de plus d’un
million, sans qu’on en rende compte. Les choses ne se passent pas ainsi en
France ; on n’y laisse prélever de crédits que d’une somme de 20,000 fr., et
encore on fixe l’époque où la liquidation doit en avoir lieu. Je prie M. le
ministre des travaux publics et la chambre d’ouvrir les yeux sur l’abus de la
comptabilité du chemin de fer ; c’est vraiment un scandale qui fait beaucoup
crier dans le public et qui un jour pourrait avoir des suites fâcheuses.
Si on n’avait que le
chemin de fer pour exemple, il serait déjà clairement démontré que toutes les
régies des gouvernements sont mauvaises et dangereuses, tant pour le trésor que
pour la moralité des employés. J’engage donc M. le ministre des travaux publics
de rendre cette compatbilité plus régulière et de
rentrer dans l’esprit de la constitution, qui ne souffre aucunement de telles
comptabilités ; je suis même fortement étonné que la cour des comptes le
supporte ; il paraît qu’ici elle ne remplit pas son devoir.
Je n’en dirai pas plus sur cette administration du
chemin de fer, car j’en ai suffisamment pour voter contre le projet.
M. Dumortier. - Je dois ajouter quelques mots, parce que les paroles que j’ai prononcées
tout à l’heure pourraient être mal comprises.
Certes, lorsque j’ai dit qu’il était possible d’élever
quelque peu le prix des places inférieures, mon intention n’était pas de faire
une proposition qui fût au désavantage du peuple.
Je ne pense pas que la classe ouvrière profite du
chemin de fer à un degré aussi étendu que le prétend M. le ministre des travaux
publics. Le motif en est très simple, c’est que le transport d’un habitant
quelconque depuis Anvers jusqu’à Bruxelles, coûtant 1 fr. 20 c., et autant pour
le retour, il faudrait que l’ouvrier déboursât quotidiennement 2 fr. 40 c.
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb). - Je n’ai entendu
parler que des ouvriers de Vilvorde.
M. Dumortier. - Pour les ouvriers de Vilvorde, je le conçois. J’ajouterai, au reste, que
j’ai souvent vu, pendant la belle saison, une foule de personnes moyennées qui
se mettaient sur les wagons, et qui me paraissaient pouvoir payer quelques
centimes de plus.
Je m’associé, au surplus, à l’intention de M. le
ministre des travaux publics qui pense qu’il sera possible d’élever le prix de
places aristocratiques ; il est juste, alors qu’on augmente le prix des places
réservées au peuple, qu’on élève aussi cela des places à l’usage des classes
aisées.
Je pensais que d’Anvers à
Bruxelles le prix des places dans les berlines était de 5 fr., mais on vient de
me dire qu’on ne paie plus que 3 fr. 50 c. ; c’est ce qui me faisait dire que
le prix des berlines ne pouvait pas être élevé, parce que le prix de 5 francs
était déjà presque celui qu’on payait autrefois pour faire ce trajet. Mais je
reconnais que le prix actuel de ces places peut être élevé. On pourrait aussi
élever un peu le prix des autres places sur cette route, afin de pouvoir le
baisser sur d’autres.
Vous faites les 8 lieues de Bruxelles à Anvers pour 1
fr. 20 c. ; la route d’Ostende à Bruxelles, par les diverses directions sera
environ quatre fois celle d’Anvers à Bruxelles ; il faudrait que l’on demandât
5 fr. pour le prix des moindres places. Pensez-vous que la somme que produirait
cette route suffirait pour sa dépense ? Il est certain qu’il y aurait perte.
Cette route, loin de rapporter quelque chose, amènerait des déficits.
Rappelez-vous la différence qui existe entre le taux modéré des prix établis
par le gouvernement et celui que proposaient les sociétés qui se présentaient
pour avoir la concession. On paie aujourd’hui moins de la moitié de ce qu’on
aurait payé à une société privée. Ainsi, on pourrait sans inconvénient élever
les prix actuels de 10 à 15 p. c. ; le public aurait encore un avantage à ce
que la route fût exploitée par le gouvernement.
M. Gendebien. - Messieurs, la première fois que je me suis opposé à
l’exploitation du chemin de fer par le gouvernement, j’ai dit qu’il devrait
prendre en considération deux choses : les exploitants actuels des routes par
les diligences, afin de ne pas jeter la perturbation dans les entreprises qui
datent de longtemps. Arrangez-vous, disais-je, de façon à ne pas ruiner des
spéculations antérieures. On pouvait tirer parti de la route sans jeter de
perturbation dans les entreprises de transport ; mais le mal a été fait ; je
crois qu’il est sans remède. Je ne sais s’il y aurait maintenant grand avantage
à changer de mode. Aujourd’hui, il s’agit d’établir un mode de transport des
marchandises.
Je répète ici ce que j’ai dit à propos du transport
des voyageurs, je désire que le gouvernement froisse le moins possible d’intérêts
particuliers ; je désire que le gouvernement reste maître des locomoteur et des
wagons, c’est une nécessité, mais qu’il ne se fasse pas agent immédiat, qu’il
ne se fasse pas facteur, qu’il ne se fasse pas colporteur des bureaux du chemin
de fer aux extrémités de la ville et des diverses localités où il passera ;
sans cela il arrivera qu’il aura une armée d’employés dont il pourrait sentir
un jour la nécessité de se débarrasser.
Il me semble impossible qu’un ministre se charge de la
responsabilité qui pèse sur les agents ordinaires de transport de marchandises.
Je désire que le gouvernement, dans le choix du transport à établir, considère
surtout deux choses : la responsabilité qui pèserait sur lui, responsabilité
qui serait plus grande que si elle était subie par un particulier, parce que
chaque particulier, étant intéressé par sa bourse, exerce une plus grande
surveillance et fait partager la responsabilité par ses agents. Le gouvernement
ne peut pas associer à son entreprise tous les employés du chemin de fer ; la
responsabilité pèsera tout entière sur lui.
Vous savez combien on se fait peu de scrupule de voler
le gouvernement ; on s’en fait davantage quand il s’agit de voler un
particulier ; la chose est d’ailleurs plus difficile.
Je conçois la nécessité d’un essai, quoiqu’elle ne me
paraisse pas aussi grande qu’on le prétend. Mais je désire que cet essai se
borne à l’intervention la plus minime, afin que le gouvernement s’engage le
moins possible dans un mode qu’il devrait abandonner plus tard.
Quant au taux du péage, je pense qu’il doit être
uniforme, qu’il doit être réglé pour tel poids et telle distance, et qu’il ne
doit pas être moindre dans une localité que dans une autre. S’il y avait une
différence à établir, je voudrais que ce fût pour les voyageurs et les
marchandises qui ont le plus long trajet à parcourir ; ce serait un moyen de
multiplier les transports par cette voie. C’est sous ce rapport seulement
qu’une différence pourrait être admise, s’il y avait lieu d’en établir une.
Quant à celle proposée, je ne pense pas qu’on puisse
l’admettre ; ce serait une injustice de favoriser une localité plutôt qu’une
autre, le chemin de fer ayant été fait au profit de tous. S’il fallait calculer
le prix des péages d’après le prix des transports par voie ordinaire, le péage
d’Anvers à Bruxelles serait moindre que celui de Liége à Bruxelles, non
seulement en proportion de la distance, ce qui ne serait que juste, mais parce
que le transport se faisant d’Anvers à Bruxelles par le canal, tandis que de
Liége à Bruxelles il se fait par le roulage, il coûte moins dans le premier cas
que dans le second en raison de la distance parcourue. On ne peut pas
évidemment prendre cette circonstance en considération. Il faut un péage
uniforme.
Quant au péage pour les voyageurs, je
ne suis pas de l’avis de M. Dumortier, qu’il faille augmenter la rétribution
perçue sur ceux qui vont dans les wagons ; car c’est le moyen de transport du
peuple, c’est aussi celui qui constitue
la masse des voyageurs. Si vous jetiez du discrédit sur ce moyen de
circulation, en augmentant le prix de ces places, vous ne savez pas où il
s’arrêtera. Dans l’intérêt même de l’entreprise, il faut plutôt le diminuer que
l’augmenter. Il faut un taux uniforme sur toutes les routes sans distinction,
et en fixer le maximum à 15 centimes par lieue ; c’est à peu près ce qu’on paie
aujourd’hui sur la route d’Anvers. On pourrait établir les prix des berlines à
50 centimes par lieue, et régler un prix moyen pour les places intermédiaires
entre les wagons et les berlines.
Mais, je le répète encore une fois, qu’on se garde
bien d’augmenter le prix de la dernière place, car c’est ce qui constituera
toujours la masse des voyageurs, et si on faisait une statistique, on verrait
que c’est ce qui produit le plus. Avant de rien changer à cet égard, qu’on
calcule bien les conséquences de ce qu’on pourra faire.
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb). - Je prends de
nouveau la parole, parce que je ne puis laisser sans réponse une allégation de
l’honorable M. Desmet. Le chemin
de fer ne présente pas de déficit. Celui qu’on suppose exister tient à une
fausse manière d’établir les calculs. On veut que les trois sections
actuellement achevées supportent l’intérêt et l’amortissement de tout l’emprunt
voté pour exécuter la loi du 1er mai 1834. Cette manière de calculer n’est pas
exacte. C’est être injuste envers le chemin de fer, si je puis parler de la
sorte. Les trois sections achevées doivent supporter l’intérêt et
l’amortissement de la somme qu’elles ont coûté. Voilà la seule manière d’être
juste envers le chemin de fer. A cet égard, j’ai donné les renseignements les
plus complets à la page 13 du préambule du compte-rendu que j’ai publié.
Vous y voyez que les trois sections ont coûté six
millions environ, lesquels six millions exigent pour intérêt et amortissement
324,000 fr. ; ajoutez à cela les 745 mille francs nécessaires pour entretien,
exploitation et perception, vous aurez 1,069,000 fr. Il faut que les trois
sections du chemin de fer livrées à la circulation donnent cette somme. C’est à
quoi se réduit la dette du chemin de fer envers l’Etat.
Ainsi, il faut que la recette des trois sections du
chemin de fer s’élève cette année à la somme de 1,069,000 fr. ; tout ce que la
recette donnera au-delà de cette somme sera bénéfice. Et je puis dire dès à
présent, sans craindre de prendre un engagement téméraire, que cette somme sera
dépassée ; très probablement la recette ira de 1,200 mille francs à 1,500 mille
francs. Le bénéfice sera donc assez considérable.
Une autre chance de bénéfice se présente dans le
transport des marchandises. Ce transport se fera en grande partie par les mêmes
moyens dont on se sert pour le transport des voyageurs. Il y aura souvent
double emploi quant au matériel. Le transport des marchandises se fera ainsi à
moins de frais que si on faisait constamment des convois spéciaux de
marchandises.
L’honorable M. Desmet s’est plaint des vices qui
existent, dit-il, dans l’administration et la comptabilité du chemin de fer.
Voici ce qui se passe :
Les paiements se font de deux manières. Il y a des
paiements qui se font par mandats visés préalablement par la cour des comptes,
c’est-à-dire de la manière régulière ; d’autres se font directement sans visa
préalable, mais avec obligation d’une reddition de comptes subséquente. Il est
ouvert des crédits, dont chacun n’a jamais dépassé 100 mille fr., à un
fonctionnaire du ministère des travaux publics qui a bien voulu accepter les
attributions de comptable extraordinaire. Sur ces crédits il effectue certains
paiements ; jusqu’à présent ces paiements se sont bornés aux expropriations ;
ils ne sont effectués que lorsque les contrats sont définitifs ; il y a plus,
chaque fois le ministre intervient pour délivrer une autorisation spéciale.
Au fur et à mesure que les crédits de 100 mille francs
sont épuisés, le comptable extraordinaire en rend compte à la cour des comptes
qui régularise les dépenses et lui donne un quitus.
Cette marche est nécessaire. Si elle ne continuait pas
à être suivie, certains travaux du chemin de fer éprouveraient des retards.
Il est également ouvert des crédits, mais moins
considérables, aux ingénieurs du chemin de fer. C’est sur ces crédits qui sont
de 10 à 20,000 fr., que sont entre autres payés les ouvriers tous les quinze
jours, à ce que je crois.
On ne peut exiger que ces ouvriers, recevant un
salaire souvent minime, soient payés sur des mandats soumis au visa préalable
de la cour des comptes.
Le comptable extraordinaire, au
ministère des travaux publics, et les deux ingénieurs-directeurs, ont plusieurs
fois exprimé à mon prédécesseur, et m’ont réitéré à moi-même, le désir de
redevenir étrangers à tout maniement de fonds.
En ce moment, je m’occupe, d’accord avec la cour des
comptes, de rechercher un moyen nouveau qui offre toute garantie en fait de
comptabilité, sans entraver les travaux du chemin de fer ; il est probable que
le gouvernement instituera un comptable spécial en dehors du ministère des
travaux publics et de la direction du chemin de fer.
Je me plais du reste à déclarer que le comptable
extraordinaire et les deux ingénieurs ont fait preuve de dévouement en
acceptant les délicates fonctions dont ils désirent être déchargés, et qu’ils
n’ont consenti à remplir que pour ne pas entraver l’administration ; il se sont
acquittés de ces fonctions exceptionnelles en hommes d’honneur.
Il m’est impossible de répondre aux observations de M. Gendebien. Si j’y répondais, c’est
que j’aurais personnellement arrêté un mode de transport, ce que je ne puis pas
dire. Si même j’avais une opinion à cet égard, je ne la dirais pas publiquement
; je dois rester neutre ; les chambres de commerce que j’ai consultées ont
droit à cette réserve de ma part.
M. Desmet. - Je
devrais renoncer à la parole, d’après ce que vient de dire M. le ministre des
travaux publics qu’il va changer la comptabilité. Mais il est à désirer qu’il
la change le plus tôt possible ; car il y a des erreurs que, je crois, il ne
connaît pas.
Il a dit que ces crédits sont ouverts à une seule
personne. Il paraît qu’il en est ouvert à trois personnes, on pourra s’en
assurer si on veut se rendre à la cour des comptes ; et on y verra en même
temps à combien s’élèvent les sommes qu’on prélève sur le fonds de l’emprunt,
sans qu’on sache à quoi on les emploie et sans qu’aucune pièce de dépenses soit
produite.
L’honorable ministre des travaux
publics vient de vous dire que les crédits qui sont ouverts sans être liquidés
ne s’élèvent qu’à 100,000 fr. ; je pense que l’honorable ministre des travaux
publics n’est pas bien informé des sommes qui ont été prélevés au crédit ; au
moment que le dernier rapport sur la partie du budget qui concerne le chemin de
fer a été fait, ces crédits montaient au-delà de 1,300,000 fr. dont on n’avait
pas rendu compte. A cette même époque le personnel du chemin de fer coûte
au-delà de 265,000 fr., sans les sommes qui ont été payées pour frais de route
et de séjour d’une quantité de mêmes employés et qui s’élèvent très haut. Si on
voit la chose de près, c’est énorme ce que coûte l’administration du chemin de
fer ; il est à espérer que cela change, car avoir un monopole gouvernemental à
un tel prix, c’est un peu dur pour
Je le répète donc, qu’on se désabuse sur ces
soi-disant bénéfices du chemin de fer, car il est certain qu’en ce moment les
recettes sont en dessous des dépenses, compris les paiements de l’intérêt du
capital de 280,000 fr., et que pour le travail fait jusqu’à ce jour il y a une
dépense d’au-delà de 15 millions ; il ne reste pas 3 millions à prélever sur
les 18 millions de l’emprunt.
M. Rogier. - Puisqu’on
a cru devoir s’occuper de l’éventualité du transport des marchandises, je me
permettrai de donner mon opinion en peu de mots.
Je crois qu’il est impossible au gouvernement de ne
pas commencer par lui-même l’essai du transport des marchandises comme il a
fait pour le transport des voyageurs. Ainsi, c’est par forme d’essai que le
gouvernement s’est chargé du transport des voyageurs. Il faut bien reconnaître
que cet essai a complètement réussi jusqu’ici.
Dernièrement, en faisant ressortir la capacité du
gouvernement à exploiter certains genres de service, j’ai eu occasion de faire
remarquer combien le nombre d’accidents sur la route en fer d’Anvers à
Bruxelles était moindre que sur la route en fer de Liverpool à Manchester
exploitée par l’intérêt particulier. J’en ai conclu que relativement à la
sûreté des voyageurs, le gouvernement était souvent plus capable que l’intérêt
privé et se tirait mieux d’affaire.
Je pense que ce que le gouvernement a fait avec tant
de succès pour le transport des personnes, il le fera avec un égal succès pour
le transport des choses. Tout doit nous porter à le croire. Quant à moi, tout
me porte à l’espérer.
Du reste, je conçois très bien la réserve de M. le
ministre des travaux publics, qui ne se prononce pas, attendu qu’il a été
établi une enquête sur le meilleur moyen de commencer cet essai.
Je crois cependant que c’est au gouvernement à faire
cet essai. Il serait impossible d’en charger l’intérêt particulier.
Nous ne savons pas ce que la route en fer peut
produire, non seulement quant au transport des voyageurs, mais encore quant au
transport des marchandises. Ce n’est que lorsque la route en fer aura été
exploitée pendant un an ou deux, et aura été achevée dans ses parties
principales, que l’on pourra en évaluer les produits, et alors établir des
tarifs et des conditions avec les particuliers, si tant est que par la suite on
en vienne à transporter les marchandises par les particuliers, extrémité à
laquelle j’espère que le gouvernement ne sera pas réduit.
Je pense, avec l’honorable préopinant, qu’il ne peut
s’agir en aucune manière d’augmenter le prix des places des wagons destinés au
transport des classes pauvres. La route en fer n’a pas été proposée dans le
principe comme mesure fiscale, mais comme mesure commerciale et politique. A la
vérité, à ceux qui nous objectaient que la route en fer ruinerait le pays et
nous conduirait à l’hôpital, nous avons dit au contraire que le pays en
retirerait, indépendamment des avantages commerciaux et politiques,
accidentellement peut-être des avantages pécuniaires ; mais jamais nous n’avons
indiqué la route en fer comme moyen principal de produire des fonds au trésor.
Je crois que nous ne devons pas encore aujourd’hui envisager l’exploitation de
la route comme moyen fiscal : d’ailleurs, si on veut élever le prix du
transport des voyageurs, s’élèvera la question de savoir si on ne diminuera pas
le nombre des voyageurs et par conséquent la somme du produit. Je crois que ce
résultat serait probablement atteint contre la volonté de ceux qui parlent
d’augmenter le prix des places.
Les wagons à eux seuls, si j’ai bonne mémoire, ont dû
rapporter, la première année, plus que tous les autres moyens de transport
réunis. Pour une certaine classe de voyageurs, 10 centimes, c’est une somme
assez considérable ; 10 c. pour aller et 10 c. pour le retour, cela fait 20 c.,
c’est-à-dire le quart de beaucoup de journées. C’est le quart de ce que gagnent
les paysans qui vont vendre leurs denrées au marché. Quant à moi, j’inclinerais
plutôt, comme l’honorable M. Gendebien, pour une diminution que pour une
augmentation.
La route en fer a été un véritable bienfait pour la
classe populaire. On peut dire qu’elle a été l’émancipation de la classe
ouvrière, à laquelle elle a permis de se transporter, suivant ses besoins, dans
les différentes localités. Avant la route en fer, malgré l’égalité et la
liberté garanties par la constitution, les ouvriers, les paysans restaient
esclaves chez eux sans pouvoir sortir selon leurs intérêts et leurs besoins.
Aujourd’hui on peut dire qu’il y a égalité pour tous les Belges sous ce
rapport. Tous les Belges peuvent se transporter, non pas avec autant de
commodité, mais ce qui est beaucoup, avec autant de célérité, où leurs besoins
les appellent. Sous ce rapport, il y a une véritable égalité matérielle, plus
profitable et plus réelle que l’égalité politique garantie par la constitution.
- L’article premier et les considérants du projet de
loi sont successivement mis aux voix et adoptés. L’ensemble du projet est
ensuite adopté à l’unanimité des 73 membres qui prennent part au vote.
Ont pris part au vote : MM. Andries, Beerenbroeck,
Bekaert, Berger, Coppieters, Cornet de Grez, David, de Behr, de Brouckere, de
Foere, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, W. de Mérode,
Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Roo,
Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon,
Donny, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Gendebien, Heptia,
Hye-Hoys, Jadot, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Lejeune. Liedts,
Manilius, Mast de Vries, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez,
Pirson, Polfvliet, Raikem, Raymaeckers,
A. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Seron, Simons, Smits, Stas de Volder,
Thienpont, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Verdussen, H,
Vilain XIIII, Watlet, Zoude.
M. Rogier. - Je demande la parole pour
faire une motion d’ordre.
Je veux engager la chambre à demander l’impression
des lois françaises qui ont, dit-on, apporté des adoucissements aux douanes en
faveur de
M. le ministre de
l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ne
vois aucune difficulté à satisfaire l’honorable membre ; je pense que demain
cette impression sera faite, et rien n’empêche que la discussion ne commence.
M. Lardinois. - J’appuie la demande
faite par M. Rogier ; cependant il conviendrait de préciser ce que l’on doit
imprimer : sont-ce les dernières lois adoptées par la chambre française, ou sont-ce
les lois promulguées depuis 1835 ? Si on demandait l’impression de la
législation existante, il faudrait imprimer des volumes.
Ce dont nous avons besoin, je crois, ce sont les
lois de 1836. Que l’on compulse le bulletin français, et que l’on nous distribue
les lois qui concernent
M. Rogier. -
Le gouvernement connaît les concessions faites par
M. le ministre de
l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - On fera
même imprimer les anciennes dispositions en regard des nouvelles.
Plusieurs
membres. - C’est cela ! c’est cela !
M. Doignon. - Le projet de loi soumis à
votre discussion présente des questions d’une haute gravité qui méritent toute
notre attention.
Mais, je m’empresse de le dire, ces questions,
messieurs, sont la plupart déjà jugées par les réclamations unanimes du
commerce, de l’industrie et des fabriques du pays.
Dans son exposé des motifs, le gouvernement, sans
chercher même à nous démontrer aucune de ses assertions, vient affirmer, avec
une assurance qui étonne, que
Je ne puis m’empêcher, messieurs, de vous faire
d’abord remarquer ce qu’il y a d’étrange dans cette manière de procéder.
Notre ancien ministère avait nommé des commissaires
à l’effet de négocier à Paris un traité de réciprocité entre nous et
La voie de la négociation était certainement la
plus convenable, celle qu’indiquaient la raison, la prudence et la nature même
des choses ; et si cette marche est restée sans succès jusqu’à ce jour, de quel
œil devons-nous voir aujourd’hui la demande si empressée de notre ministère,
tendant à nous faire accéder aussitôt aux désirs du gouvernement français ?
Il demeure vrai aujourd’hui, comme à l’époque de la
nomination de nos commissaires à Paris, que ce n’est que pas le rapprochement
et la comparaison des tarifs des deux pays, considérés respectivement dans leur
ensemble, qu’il est possible de juger leurs rapports entre eux, relativement
aux douanes, et par suite d’opérer mutuellement des réformes, en harmonie ou
compatibles avec les intérêts bien entendus des deux nations. Procéder
partiellement en pareil cas, comme le propose le gouvernement, c’est vouloir se
jeter de propos délibéré, et sans motifs, dans une voie périlleuse qui ne peut
non conduire qu’à l’erreur ou à la déception.
Il est en effet telle modification proposée par nos
voisins qui, prise isolément, pourrait paraître une faveur de leur part, et qui
cependant ne serait rien moins qu’une concession, mais plutôt peut-être un
véritable leurre, dès qu’on la mettrait de suite en regard de tout leur système
prohibitif et restrictif, comparé aux dispositions déjà toutes libérales et
généreuses de notre tarif. De même, il est tel changement désiré par nos
voisins qui, envisagé en lui-même, semblerait d’abord pour nous de peu
d’importance, parce qu’il ne blesserait aucune industrie rivale, et qui
néanmoins, serait réellement du plus grand poids pour
Or, il suffit de porter un instant notre attention
sur les tarifs des deux pays pour être convaincus que telle est notre position
vis-à-vis de
Depuis 1815, époque de notre séparation,
On conçoit donc aisément qu’intéressé lui-même à
détourner nos regards de cette masse de prohibitions et de restrictions dont il
nous accable, le gouvernement français préfère aujourd’hui renoncer à négocier
sur l’ensemble des deux tarifs pour ne s’occuper que de quelques articles de
détail. Etant déjà amplement satisfait de sa situation pour le surplus, ses
vues sont remplies dès qu’en traitant partiellement cette affaire, il parvient
à obtenir la bonne composition qui lui reste à désirer pour quelques articles
spéciaux.
Mais que doit faire
Ainsi, dans mon opinion, il s’élève une fin de
non-recevoir contre la proposition du gouvernement de modifier dès à présent
notre tarif dans un sens favorable aux intérêts de
S’il est vrai que nos voisins se sont refusés à
négocier jusqu’aujourd’hui, nous devons alors en ce moment manifester notre
ferme intention de nous arrêter définitivement aux nombreux avantages déjà par
nous consentis, dont
Mais, relativement à cette réciprocité, il importe,
messieurs, d’aborder de suite une objection qu’on renouvelle claque fois que
Un peu de réflexion suffit pour répondre à cet
argument. L’erreur de ceux qui nous l’opposent provient de ce qu’ils ne voient
uniquement que les chiffres des importations respectives, sans tenir compte des
circonstances, telles que la différence des populations des deux pays, de
l’étendue de leurs territoires, la nature et l’espèce des produits importés de
part et d’autre, et la position particulière d’un petit Etat vis-à-vis d’une
grande nation. Or, il est évident que, pris égard à toutes ces circonstances,
La population de
De là, il résulterait encore qu’en admettant, comme
on l’a avancé, que
On voit donc que s’il arrive que
On voit donc encore que s’il pouvait être vrai
qu’une égalité purement mathématique dût être établie entre les importations de
deux nations malgré leur différence dans la population et l’étendue de leur
territoire, on tomberait dans cette autre absurdité que toujours la grande
puissance aurait une importation de beaucoup supérieure, et que par suite il
lui serait constamment facile d’écraser la petite. Par exemple, nous venons de
démontrer que lorsque
Au surplus, le malheureux Portugal offre un triste
exemple de ces hypothèses ; depuis que l’Angleterre pourvoit en grande quantité
à ses besoins et à sa consommation intérieure, les fabriques et le commerce de
ce royaume sont anéantis au profit de l’étranger. Assurément,
Mais, au reste, pour juger sainement le résultat
des relations des deux pays, il ne suffit point de considérer leur mouvement
commercial en masse, mais il faut encore entrer dans le détail des objets dont
il se compose respectivement. Or, il est constant que notre importation vers
Je dois donc admirer la bonhomie de MM. nos
ministres, lorsque je les vois assez crédules pour accepter au sérieux les
prétendues concessions faites par
Quant à son nouveau tarif concernant les toiles, il
est de notoriété qu’il a été calculé dans la vue de rendre illusoire la
diminution du droit, et de faire même payer plus que précédemment ; nos
chambres de commerce vous l’ont déjà expliqué et prouvé suffisamment.
L’exécution donnée à ce tarif depuis près d’un an
prouve maintenant à évidence que, par l’effet seul de la multiplication des
classes et de la vérification trop rigoureuse à laquelle il n’est pas possible
d’échapper, une toile qui, auparavant, pouvait souvent être taxée à 30 ou à 65
francs, est classée aujourd’hui à 36 ou à 75 francs.
Mais, pour surcroît de préjudice, la vérification
est aujourd’hui entourée de tant de difficultés, que nos voituriers qui,
antérieurement, étaient expédiés de suite, se voient à présent obligés
d’attendre à la douane deux ou trois jours ; il est tellement vrai que ce
nouveau mode de perception est généralement reconnu vexatoire et plus onéreux,
que le commerce français lui-même, et nommément les négociants en toile de la
ville de Lille, ont unanimement adressé une pétition aux chambres et au
ministère français, afin de le faire changer. J’ai sous la main une copie de
cette pétition.
Le gouvernement français n’a donc fait qu’améliorer
son tarif dans son intérêt fiscal exclusivement.
Il s’est conduit de la même manière à l’égard de
nos tapis : on n’en a un peu abaissé le droit d’entrée que pour mieux en
assurer la perception contre la fraude, et afin de le laisser en même temps
assez élevé pour qu’il demeure toujours l’équivalent d’une véritable
prohibition. On a même ajouté à la rigueur du précédent tarif en augmentant la
primé de sortie pour les tapis en laine fabriqués en France. Nos beaux tapis
dont la réputation était européenne restent donc toujours sans débouchés, et
nos fabriques languissent tellement que quelques-unes se sont déjà émigrées en
France.
Les chambres de commerce vous ont déjà démontré que
c’est le même calcul d’intérêt qui a dirigé le ministère français relativement aux
fers en fonte, aux chevaux et à d’autres articles.
Après avoir examiné de près ce qui concerne les
houilles, on est forcé de reconnaître les mêmes intentions.
Nos houilles, comme celles d’Angleterre, lui sont
tellement indispensables, qu’elle ferait même probablement, s’il le fallait,
des sacrifices pour maintenir chez elle notre importation, et peut-être
sommes-nous actuellement dans une position à pouvoir en réclamer, car nos
exportations nombreuses pour
Mais il y a plus,
On prétend qu’elle pouvait nous faire plus de mal en
nous privant de tout ou d’une plus grande partie du littoral ; mais cette
crainte est réellement imaginaire ; il est hors de doute que la nécessité fait
ici la loi à
Relativement à nos pierres à bâtir, le gouvernement
français, par l’effet d’une erreur singulière, les avait jusqu’à présent
confondues avec les marbres, et par suite taxées à un taux excessif.
Or, si
Craindrait-on d’altérer nos relations amicales avec
Craindrait-on encore que le ministère français use
de représailles ? D’abord il ne peut y avoir de représailles à exercer contre
la partie qui déjà est elle-même victime, et qui serait bien plus autorisée que
l’autre à recourir à un pareil moyen.
Mais rien ne saurait justifier une telle
appréhension. Comme
Je conclus encore de tout ce qui précède que
notamment la réduction majeure sur l’entrée des vins, sollicitée par nos
voisins, serait de notre part une concession purement gratuite et aussi imprudente qu’impolitique.
En tout temps, l’entrée de ses vins a été pour
Déjà, dès 1833,
Réfléchissez-y, messieurs : dès qu’une concession
est faite par un petit Etat à une grande nation voisine, il n’est plus libre à
cette petite puissance de la retirer à volonté sans s’exposer à quelques
dangers. Il se peut que celle-ci se trouve dans la plus fâcheuse position
lorsqu’elle voudrait ensuite révoquer l’avantage consenti par elle, ou y mettre
des conditions. Le commerce français étant une fois mis en possession de cette
faveur, ne pourra-t-on pas dire que sa révocation serait regardée comme un acte
d’hostilité ou au moins comme un procédé contraire à la bonne intelligence
entre les deux Etats, ou enfin faire valoir contre nous d’autres considérations
de cette nature ?
Nous ne devons donc pas en douter, du moment où
nous nous serions dessaisis de cette arme puissante,
Une sage prévoyance veut donc qu’on tienne en
réserve des concessions de cette espèce pour être consenties, s’il y a lieu,
dans une convention réciproque, mais non séparément et de la manière dont on
nous le propose.
Je ne puis dès lors m’expliquer comment la chambre
de commerce de Bruxelles a pu bénévolement consentir à la réduction proposée
sur les vins français, lorsque, d’ailleurs, elle-même termine son rapport en
exprimant le vœu que nous ne devons ni ne pouvons faire de concessions qu’à la
condition d’une juste réciprocité. Or, n’est-il pas clair qu’une pareille
concession nous enlèverait l’un des moyens les plus efficaces d’arriver à cette
juste réciprocité, que nous devons premièrement désirer voir s’établir entre
les deux nations ?
Nous devons, dit la section centrale elle-même,
nous arrêter dans la voie des concessions ; il y a des intérêts et des devoirs
que nous ne pouvons trahir : entre nations, il n’y a ni concessions ni avances
à faire, la réciprocité est de droit. Attachons-nous donc à l’opinion unanime
qui ressort des avis de nos chambres de commerce, savoir qu’il ne faut rien accorder de ce que
l’on nous propose, à moins que
Toutefois, qu’à l’exemple de
Je finirai, messieurs, par une réflexion que je
livre à vos méditations.
C’est principalement en matière de douanes que le
législateur d’un petit Etat doit constamment se souvenir qu’il est entouré de
grandes nations. Plus cet Etat est petit, plus il doit être attentif à ce que
ses voisins puissants n’envahissent ses marchés et sa consommation intérieure ;
il y va, dans ce cas, de même de son commerce et de son industrie, je dirai
plus, et peut-être en même temps de son existence et de son indépendance
politique.
Des questions de la nature
de celles qui vous sont soumises en ce moment sont donc aussi quelquefois des
questions d’honneur national, c’est lorsqu’une grande puissance, abusant du
droit du plus fort, chercherait à imposer à la petite des concessions injustes.
Certes, une grande nation se déshonorerait elle-même à en agir ainsi ; mais la
petite doit lui montrer alors que la force d’un peuple ne consiste pas toujours
dans ses millions d’habitants, mais premièrement dans l’énergie de son
patriotisme et l’amour de son indépendance.
Enfin, si
M. de Nef. - A l’exception des draps et
de quelques autres articles à l’égard desquels il faut, par mesure de
réciprocité, maintenir des droits élevés et équivalant à une véritable
prohibition, je suis en général partisan des diminutions à faire sur les droits
d’entrée, et je ne crois nullement par là sacrifier à l’étranger notre
industrie nationale ; il est notoire en effet que, malgré les droits élevés
actuellement existant, la fraude est tellement active et organisée, que toutes
les marchandises peuvent être introduites en Belgique moyennant une prime
d’assurance à payer aux fraudeurs.
Il résulte de là que les
recettes du trésor sont amoindries, que le fabricant belge ne peut pas plus
soutenir la concurrence que si les droits étaient presque égaux au montant de
la prime, et enfin que l’appât de la fraude, par suite de la hauteur des droits
de douanes, donne lieu à une corruption dégradante, à la violation du serment
et à une faute d’autres faits d’immoralité.
Ce serait donc un bon système que celui qui, saif quelques exceptions, aurait pour base de diminuer les
droits de manière à ce qu’ils n’excédassent plus de 2 ou de 3 p. c. le montant
de la prime d’assurance ; on verrait alors bientôt la fraude devenir plus rare,
et le négociant paierait au fisc ce qu’il paie aujourd’hui aux fraudeurs par
entreprise.
Quant à
M. Manilius. - Invariable dans mes
principes, je soutiens qu’aussi longtemps que les puissances voisines
encourageront leur industrie nationale par le système de protection douanière,
il serait absurde pour
Le projet de loi que nous sommes appelés à discuter
aujourd’hui tend à enlever la protection à plusieurs branches de notre
industrie nationale, qui n’ont pas cessé cependant d’avoir besoin d’être
protégées par réciprocité. Car rien n’a été fait, rien n’a changé pour motiver
une autre mesure.
Que
Non, messieurs, nous n’avons plus les mêmes poids
ni les mêmes mesures aussitôt qu’il s’agit de commerce et d’industrie ; nous,
nous voulons ouvrir nos barrières, tandis qu’on nous les tient fermées. Elles
sont longtemps ouvertes pour maints produits français, tandis qu’elles restent
sévèrement fermées pour ces mêmes produits belges. Et en outre de tant d’institutions
analogues aux françaises, j’ajouterai que notre trône même est partagé par une
princesse française.
Eh bien, messieurs, c’est sous de tels auspices que
l’industrie française vient exploiter, en libre concurrence avec l’industriel
nationale, la consommation de
L’industriel manufacturier belge ne peut pas
aspirer à traiter les affaires avec un allié aussi près, et il doit cependant
souffrir qu’il vienne, lui industriel français, partager avec tant d’avantage
la faible consommation de son étroit pays. Est-ce supportable, est-ce juste,
messieurs, que dans un pareil état de chose, ou nous propose de lever les
quasi-droits de réciprocité qui ont été accordés en d’autres temps par esprit
de justice.
Vraiment, messieurs, quand on jette les yeux sur
les tarifs de douanes belges et fiançais, le cœur saigne d’y voir tant d’anomalies.
Tout est funeste à
Voilà la condition des industriels manufacturiers
belges, vis-à-vis de
Le ministère nous répliquera sans doute : mais
n’a-t-on rien fait pour les toiles, etc. ? D’avance je dirai non, on n’a rien
fait pour les toiles, au contraire, et s’il arrivait que l’on persistât à le
soutenir, il me sera facile de prouver que l’on n’a fait que du mal, au lieu de
bien, dont on ose se flatter.
Quant aux autres produits que
Soyons fermes, donnons-nous tous la main,
soutenons-nous mutuellement. Agriculture, industrie et commerce ne doivent
avoir qu’une seule voix, et en chaque occasion toutes leurs forces réunies,
doivent s’opposer à toute influence, tonte prétention des cabines étrangers
tendant à nuire à l’une de ces trois branches de la richesse de notre beau pays
; toujours je m’inclinerai pour le bien-être de l’intérêt commun ; et je me
rallierai aussi facilement au système de liberté illimitée en commerce qu’à
l’union d’une grande puissance, comme je persisterai et insisterai pour la
protection et la réciprocité, aussi longtemps que nous continuerons d’être
opprimés par nos puissants voisins.
Quant à l’union à une grande nation, nous n’avons
guère à espérer que de
Pense-t-on que, quand les contributions sont
régulièrement payées, que tout marche à merveille, et qu’il suffit d’un instant
de répit pour faire étalage de prospérité, que dès ce moment tout est fait ? et
ainsi sans avoir rien à fait, croit-on qu’il n’y a plus rien à faire que des
concessions ? Que l’on se détrompe, il reste beaucoup à faire pour la
prospérité de l’industrie manufacturière ; il reste à lui procurer des
débouchés, à lui fournir de nombreux consommateurs, ou à lui ménager ses
propres marchés.
J’engage le gouvernement à y songer sérieusement,
Mais des modifications au
tarif des douanes dans le sens de celles proposées, c’est travailler à la
destruction de nos manufactures, et j’espère bien que la chambre prendra une
attitude ferme, que sa volonté sera bien prononcée, car il ne s’agit que de
vouloir, messieurs, et pour vouloir il y a des motifs, et vous en avez les
moyens : faites-en usage, refusez des concessions onéreuses et humiliantes,
vous satisferez à la fois à la nation entière qui attend cette détermination de
ses représentants, et vous rendrez service en même temps au gouvernement, s’il
a (comme nous n’en doutons pas) l’intention sincère de faire respecter les
intérêts du pays ; et si, contre totale attente, le gouvernement voulait
incliner à sacrifier les intérêts de la nation, vous aurez prévenu un semblable
malheur par votre fermeté.
Il est néanmoins quelques articles sur lesquels
j’admettrai des modifications dans l’intérêt de mon pays ; mais pour ce qui
concerne la manufacture de draps, la bonneterie, les verreries et autres, je
vous en conjure, messieurs, songez bien aux conséquences fâcheuses qui
pourraient en résulter.
Je bornerai là mes observations pour le moment,
jusqu’à la discussion des articles.
M. Zoude. - Si le projet, que je viens
combattre, n’était hostile qu’à la province à laquelle j’appartiens, je
croirais encore devoir me présenter à la tribune, dans la confiance que je
rencontrerais chez vous, messieurs, cette sympathie que vous avez si souvent
témoignée envers un pays qui s’est associé avec tant de dévouement et a donné
de si fortes preuves de fidélité aux principes de la révolution.
Mais ce projet sacrifie également toutes les
industries auxquelles il s’applique.
Cependant, messieurs, ce sont des ministres belges
qui vous le proposent, ce sont des ministres qui avaient fait preuve de
patriotisme et qui jouissaient de votre confiance tout entière ; mais, nous le
disons avec un profond regret, infidèles à leurs antécédents, plutôt que
d’abdiquer le pouvoir, ils ont eu le triste courage de venir vous proposer l’anéantissement
d’une partie de vos industries.
Encore si, avant de hasarder ce projet désastreux,
ils avaient consulté les chambres de commerce, que l’on fatigue souvent pour
les intérêts les plus minimes et qu’on ne consulte qu’après coup dans les questions
vitales qui vous sont soumises, leur responsabilité morale eût été mise à
couvert, et puisqu’il s’agissait de sacrifices à faire à
Mais, messieurs, lorsqu’en laissant échapper, de
temps à autre, quelques mots sur l’intention du gouvernement d’apporter des
modifications au tarif des douanes, chacun de nous s’attendait à une refonte
presque générale, on savait en effet que le tarif actuel rédigé lorsque nous
étions réunis à
C’est ainsi qu’à l’article « bois, » on a
maintenu à la sortie les droits établis sur les douves et cerceaux propres à la
fabrication des barils à harengs ; on a maintenu de même toutes les bizarreries
qui vous ont été signalées si souvent ; et puisque nous parlons de bois et que
la question de ceux étrangers avait été agitée à la chambre, nous pensons qu’on
aurait pu avoir l’air de s’en occuper en proposant au moins un droit
différentiel en faveur des navires nationaux ; mais on ne prononce le mot
« bois » que pour vous entretenir misérablement de celui de réglisse.
Mais
Avant d’examiner ces prétendues concessions, nous
dirons que nous avons devancé
J’ai eu en 1835 copie d’une délibération du conseil
général du département des Ardennes qui appuyait la demande des industriels de
Charleville et Sedan qui sollicitaient une forte diminution d’entrée des fers
étrangers ; ils invoquaient notamment les besoins qu’ils avaient de celui du
Luxembourg.
Le gouvernement a dû céder enfin, mais c’est après
s’être assuré que la forgerie et les houilles françaises n’en souffriraient pas
; aussi le ministre Duchâtel disait à la législature le 20 avril 1836 qu’il
n’était jamais entré dans la pensée du gouvernement de favoriser l’importation des
fers étrangers au détriment de la fabrication nationale, et cependant la
pénurie du fer est telle dans quelques provinces que l’agriculture emploie
encore des charrues de bois.
Et M. Thiers,en établissant les zones, a expliqué
avec quel soin il avait consulté l’intérêt des houillères françaises et celui
des consommateurs : c’est ainsi qu’il a baissé les droits là où les houilles
françaises ne pouvaient arriver faute de communication, qu’il les a modifiés
suivant les zones pour équilibrer le prix dans les divers lieux de grande
consommation ; que, dans l’intérêt des canaux et de la main-d’œuvre, il a
facilité l’entrée des houilles belges qui, arrivées à Rouen, ont acquis une
augmentation de valeur de plus de 3 millions dont profitent les départements du
Nord, de l’Oise et de
Ajoutez que l’emploi des houilles belges est
indispensable aux usines qui ont des chaudières ou machines à vapeur, parce que
sous un même volume elles ont l’avantage de fournir plus de calorique et de ne pas
ronger le fer comme la houille anglaise, tandis que celles d’Anzin sont
absolument impropres à cet usage.
Cependant
Ce qu’elle doit, c’est de calculer les suites d’une
interruption dans l’arrivage des houilles anglaises, qui pourrait amener une
crise commerciale qui lui serait plus fatale que l’invasion d’une partie de son
territoire ; mais, avec la ressource des houilles belges, elle n’aura pas cette
catastrophe à redouter.
La section centrale avait donc bien raison de dire que
Le projet du gouvernement, motivé sur ces
concessions, était donc bien inutile ; aussi a-t-il été généralement accueilli
avec défaveur.
Mais il faut lier, il faut entretenir des relations
de bon voisinage avec
Mais on demande si la puissance à laquelle le
gouvernement voulait donner satisfaction a bien lieu de se plaindre de la
hauteur du droit dont ses produits sont frappés, ou seulement de l’exception
dont elle est l’objet ; si, au lieu de faire descendre les droits au niveau de
ceux dont les provenances des autres pays sont frappées, il ne conviendrait pas
mieux d’élever ces derniers à la hauteur des premiers.
Ne fallait-il pas encore s’assurer si les griefs
reprochés à
Or, on sait qu’une des plaintes les plus vives
était dans la hauteur des droits dont nos bestiaux sont frappés à leur entrée
en France ; ce dont se plaignaient non seulement les Belges, mais encore les
fabricants français.
Eh bien, loin de donner satisfaction à cet égard,
le ministre du commerce a dit l’an dernier qu’il ne fallait pas que l’ombre
même de l’inquiétude alarmât le cultivateur et que jamais il ne serait proposé
de réduction à l’entré du bétail étranger : telles sont les paroles d’anathème
prononcées du haut de la tribune contre
Ce que
Vous y auriez vu que lorsque le mot prohibition est
disparu, il a été remplacé par un droit prohibitif dans toute son acception ;
que tels sont les droits qu’on dit réduits en faveur des établissements de
cuivre de Namur et de Malines, ceux des tapis en faveur de Tournay, des céruses
en faveur des diverses villes qui les fabriquent, des fers et fontes sur
lesquels je me suis explique plus haut. Sur le fer ou bois dans l’intérêt de la
province de Luxembourg, je répondrai à cet acte de bienveillance en citant un
document officiel, le rapport sur la situation commerciale du Luxembourg,
rédigé par la députation provinciale : là nous lisons que les exportations des
fers en barres, battus ou coulés, n’avaient subi aucun changement et étaient
d’une rare insignifiance. Ce qui est justifié par les états d’exportation de
1836 et les comparaisons avec ceux des années antérieures.
On y parle aussi du transit des ardoises par
On ajoute encore la réduction du droit sur les
chevaux dans l’intérêt encore du Luxembourg ; c’est une dérision : le droit est
descendu au taux auquel la fraude les livrait, même avec garantie ; cette
mesure est donc tout entière en faveur du trésor.
Il reste donc vrai que
M. Charles Dupin a dit aussi qu’il fallait repousser
les produits étrangers qui n’offrent pas de travail aux ateliers, et, admettre
seulement ceux qui leur procurent une grande activité. Eh bien le gouvernement
français a fait ce qu’il avait dit, il a admis le fer et la houille, matières
premières qui sont le principe et la force de toutes les industries et il a
écarté tout ce qui n’offrait pas du travail à sa classe ouvrière. Cependant,
comme je l’ai déjà fait remarquer, il a supprimé la prohibition pour quelques
produits, mais il laisse subsister la chose, et c’est encore ce qu’il avait dit
à satiété lors de la fameuse enquête de 1834.
Mais un argument irrésistible est invoqué ; c’est
celui de la balance du commerce entre les deux pays.
Messieurs, l’étude de l’économie politique nous a
appris dans quelles erreurs on avait versé avec ces balances commerciales.
Mais de quoi se composent principalement les objets
importés de France en Belgique ? De liquides tels que vins, eaux-de-vie,
huiles, objets de consommation improductive ; on bien de chiffons, tels que cotons,
soieries, objets de mode et auxquels, pour la plupart, la main-d’œuvre ne peut
plus ajouter de valeur.
Messieurs, ne cédons plus rien de nos intérêts
matériels ; plus nous défendrons nos droits, plus nous nous montrerons
indépendants de toute influence étrangère, plus grande sera la considération
dont nous jouirons en Europe ; la crainte de la plupart des gouvernements,
c’est de nous voir asservis à
Quant à
Assurés que nous sommes du besoin de nos fers et de
nos houilles de la part de
Des pétitions nombreuses vous ont engagés à
solliciter notre association aux douanes allemandes ; vos diverses commissions,
auxquelles elles ont été renvoyées, ont craint d’influencer par leurs rapports
cette tendance qui se manifestait partout et aurait pu nuire aux négociations
entamées avec
Mais, dans l’état où en sont les choses, je
demanderai bientôt à la chambre qu’il me soit permis de lui communiquer les
nombreux renseignements que j’ai recueillis ; ils sont contraires à ma
sympathie pour
Notre gouvernement a émis une noble pensée, c’est
qu’en toute question de douanes la plus grande prospérité doit être la règle,
les concessions contraires l’exception : ici je reconnais des ministres
vraiment belges.
Mais nous croyons pouvoir prouver que sinon sur
quelques articles, tels que les batistes et les soieries, le gouvernement a
presque toujours dépassé l’exception, ce que je tâcherai de démontrer lors de
la discussion des articles sur lesquels je me réserve de demander la parole.
- La séance est levée à quatre heures.