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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 22 décembre 1837

(Moniteur belge n°357, du 23 décembre 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction st adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« La régence et des habitants notables de la commune de Beech (Limbourg) demandent que la loi du 16 novembre dernier, qui autorise l’entrée des houilles de la Prusse dans le Luxembourg, soit étendue au Limbourg. »


« Des habitants de la commune de Beeringen (Limbourg) réclament le paiement de l’indemnité qui leur revient du chef des pertes qu’ils ont éprouvées par l’invasion des Hollandais en 1831. »


« Des négociants détaillants, de Liége, adressent des observations contre les ventes à l’encan de marchandises neuves. »


« Plusieurs militaires pensionnés demandent que la chambre s’occupe du projet relatif aux pensions militaires. »


« Des habitants de la commune de Bierwaert (Namur) demandent que des modifications soient apportées à la loi électorale. »


- Sur la proposition de M. Simons, la pétition de la régence et des habitants notables de la commune de Beech (Limbourg), relative aux houilles, est renvoyée à MM. les ministres de l’intérieur et des travaux publics.


- La pétition relative aux ventes à l’encan est renvoyée à MM. les ministres des finances et de l’intérieur.

- Les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


Messages du sénat faisant connaître l’adoption des projets de loi suivants :

1° Projet de loi autorisant la perception des impôts actuellement existant jusqu’au 1er février 1838.

2° Projet de loi prorogeant jusqu’au 1er janvier 1839 la loi du 19 juillet 1832 sur les concessions de péage.

3° Deux projets de loi relatifs à des séparations de communes.

- Pris pour notification.

Projet de loi accordant un crédit provisoire de trois millions de francs, au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) présente un projet de loi de crédit provisoire de 3 millions pour le service du département de la guerre.

La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet de loi et de l’exposé de ses motifs. et les renvoie à l’examen de la section centrale du budget de la guerre.

Voici ce projet :

« Exposé des motifs.

« Messieurs, bien qu’il soit encore permis d’espérer que le budget du département de la guerre, pour 1838, pourra être discuté dans le courant de ce mois, comme la chose paraît douteuse à quelques membres de la chambre, et que le ministre de la guerre ne peut pas rester sans allocations, il est nécessaire, pour pouvoir assurer le service, d’obtenir de la législature un crédit provisoire pour faire face aux dépenses du mois de janvier 1838.

« J’ai l’honneur, en conséquence, de déposer un arrêté royal qui m’autorise à vous présenter un projet de loi tendant à faire accorder à cet effet un crédit de 3,000,000 de francs.

« Cette somme suffira pour couvrir les dépenses courantes du département de la guerre et celles que nous pouvons, dès ce moment, regarder comme devant résulter de l’envoi d’un corps spécial dans la province de Luxembourg. Elle permettra ainsi d’attendre que le budget ait pu être examiné par les deux chambres.

« Je vous prie, messieurs, de vouloir bien faire du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter, l’objet de l’une de vos plus prochaines discussions.

« Bruxelles, le 22 décembre 1837.

« Le ministre de la guerre, Willmar. »

(Suit le texte du projet de loi, non repris dans la présente version numérisée).

Projet de loi fixant les droits sur le sucre

Discussion des articles

Article premier

M. Lardinois. - Messieurs, dans une de vos séances précédentes et avant d’entamer la discussion actuelle, la chambre a émis le vœu que l’on fût sobre de discours. Je ne sais pas jusqu’à quel point on s’est conformé à cette recommandation, mais je me suis promis d’être bref malgré les détails que comporte cette question parce que je n’ignore pas que deux budgets importants nous attendent encore.

Lorsque l’année dernière j’ai présenté mon amendement relatif à l’accise sur le sucre, j’ai expliqué suffisamment les motifs qui me guidaient en cette occurrence, et ces motifs ont été rappelés dans le rapport de la commission spéciale chargée de l’examen de cette question.

J’étais révolté de voir que l’impôt sur le sucre était abusivement éludé, et que tandis que les droits d’accises rapportaient plus de 17 millions annuellement, le sucre ne contribuait dans cette somme que pour 120,000 fr.

Mon intention était donc, avant tout, de faire restituer au trésor ce qui lui était dû, mais je voulais y arriver graduellement et avec tous les ménagements qu’exige une industrie aussi considérable que la fabrication du sucre exotique.

A cette époque mon amendement fut surtout combattu par nos honorables collègues députés d’Anvers, qui qualifièrent ma proposition de désastreuse, parce que, suivant eux, elle devait amener inévitablement la ruine des raffineries de sucre.

Cette opposition n’était pas habile, car il était évident qu’un changement dans notre législation sur les sucres devenait indispensable ; et les préoccupations qui se manifestaient déjà en faveur du sucre de betterave faisaient assez prévoir qu’on ne s’en tiendrait pas à mon amendement ; car il s’agissait de l’agriculture, qui rencontre toujours ici de nombreux et puissants appuis.

A en juger par les dispositions qui animent la chambre, vous conviendrez, messieurs, que je ne m’étais pas trompé. Les lumières qui ont été jetées dans la discussion ont amené ce résultat : qu’il doit être aujourd’hui constant pour tout le monde que le rendement déterminé du sucre brut pour la décharge à l’exportation est beaucoup trop faible, et qu’il résulte de cette circonstance que les consommateurs belges paient aux raffineurs de sucre exotique une prime de 3 à 4 millions de francs qui devraient rentrer au trésor.

L’honorable M. Pirmez s’est donné la tâche de prouver ces deux choses, et personne n’a attaqué de front les arguments qu’il a avancés pour soutenir son opinion. D’un autre côté, M. Mercier a démontré à quoi se réduit l’influence du commerce du sucre sur la navigation nationale et sur l’exportation des produits de notre industrie.

Le système qui a été soutenu par les défenseurs du statu quo est venu, au contraire, s’écrouler devant l’évidence des faits, et il aurait été plus prudent d’en reconnaître l’exactitude que de se jeter dans les allusions. A cet égard, je dois faire observer que l’industrie des sucres raffinés est protégée extraordinairement, puisque les sucres étrangers sont frappés, à l’entrée, d’un droit prohibitif.

Parmi les considérations que l’on fait valoir en faveur des raffineries de sucre exotique, ou n’a touché que faiblement celle du droit acquis ; cependant elle est à mes yeux la plus forte et la plus juste dont on puisse se prévaloir. La loi est vicieuse, mais elle n’a pas été faite par les industriels dont il s’agit, ils ne font que s’y conformer. Ils ont créé leurs établissements sous l’empire de cette législation, et vous savez qu’ils sont considérables puisqu’on les estime à une valeur de vingt millions de francs. Maintenant que cet état de chose existe, irez-vous de gaîté de cœur le détruire en adoptant des mesures extrêmes comme le propose l’honorable M. Dumortier ? Je pense, au contraire, que vous devez respecter les droits acquis, et ménagez cette industrie sans cependant négliger les intérêts du trésor, qui a aussi un droit acquis ; car, malgré tous les sophismes dont on s’est servi pour obscurcir cette question, il est certain que la loi a eu pour but d’atteindre le sucre d’un impôt élevé, qui devait rentrer dans les caisses de l’Etat et non profiter à une classe d’industriels.

A l’amendement de M. Dumortier et au mien, est venu se joindre l’amendement de l’honorable ministre des finances, et par celui de l’honorable M. Liedts, auquel je ne m’arrêterai parce que je le considère beaucoup trop maigre pour le public.

Quant à l’amendement de M. le ministre des finances, s’il n’était que transitoire et si son existence était limitée à 3 ou 4 mois, je pourrais le voter, parce qu’alors le gouvernement aurait le temps de nous présenter un projet de loi complet, qui concilierait les droits du trésor avec l’intérêt du commerce et de l’industrie.

Quoi qu’il en soit, je dois dire que je pense que la proposition ministérielle n’a pas été calculée dans toute la portée qu’elle peut avoir. Il est possible qu’elle soit aussi nuisible à la fabrication du sucre indigène qu’à la fabrication du sucre exotique ; il en doit être ainsi puisqu’elle est repoussée par les intéressés des deux industries.

Un autre défaut capital que je reproche à cette proposition c’est le principe de rétroactivité qu’on consacre évidemment malgré les dénégations du ministre. De pareilles mesures sont toujours odieuses, et vous devez vous rappeler quels cris de réprobation furent lancés en 1816 ou 1817 contre le gouvernement du roi Guillaume à cause des droits rétroactifs qui furent établis sur les sucres, les cafés, les potasses, etc. A la vérité, il ne s’agira pas aujourd’hui de visites domiciliaires, puisqu’il suffira d’arrêter les comptes ouverts pour connaître les quantités existantes ; néanmoins ce n’en sera pas moins une cause de beaucoup de pertes et d’embarras.

L’amendement du ministre aura aussi pour résultat de diminuer l’exportation du sucre brut et du sucre raffiné. C’est créer de nouvelles entraves à l’industrie ; car il est tel industriel dont les opérations sont montées uniquement pour l’exportation de ses produits, et vous le forcez de vendre à la consommation intérieure contrairement à ses intérêts.

Avant de donner quelques calculs comparatifs, rappelons-nous que l’amendement en question dispose que la décharge à l’exportation n’aura lieu à l’avenir que pour les trois quarts de la quantité importée, et que l’exportation du sucre brut est prohibée.

Je prends pour base de mes calculs une importation d’un million de kilogrammes de sucre brut, et je raisonne dans les deux hypothèses.

1,000,000 de kil. de sucre brut à 37 produit 370,000 fr.

555,000 kil. de sucre raffiné exporté remboursent 370,000 fr.

D’après l’esprit de la loi actuelle, il ne devrait rien rester en sucre propre à l’exportation ; cependant au taux de 75 p. c., il reste 250,000 kil. brut, qui rendent 195,000 kil. de sucre raffiné, qui doivent être versés dans la consommation.

Remarquez, messieurs, que si j’adopte le taux de 75 p. c., ce n’est pas sans de bonnes raisons. L’expérience a prouvé dans tous les pays que ce rendement est généralement dépassé, et vous savez que le sucre que nous employons est plus riche que celui de la Jamaïque ou des colonies françaises, c’est-à-dire qu’il contient beaucoup de parties saccharines.

Maintenant, opérons sur la même quantité et la même base d’après l’amendement ministériel :

1,000,000 de kil. de sucre brut importé donne ouverture à un compte qui est débité de 370,000 fr.

Sur lesquels le gouvernement prélèvera d’abord un quart ou 92,000 fr.

Il restera donc à pouvoir exporter une quantité de 750,000 kil., qui représentent un droit de 228,000 fr.

Ainsi, 1,000,000 kil. de sucre brut produisant 750,000 kil. de sucre raffiné se réduiront, d’après la loi actuelle, modifiée par l’article premier du projet ministériel, à 750,000 kil. de sucre brut, qui à 55 1/2 produiront 416,250 kil. de sucre raffiné pour l’exportation tandis que le rendement réel sur le pied de 75 p. e. est 462,500 kil. raffiné. En d’autres termes, 1,000,000 kil, de sucre brut que vous aurez importés, et dont le quart de cette quantité aura payé le droit d’accise, produiront 750,000 kil. de sucre raffiné au lieu de 555,000 kil,, c’est-à-dire que pour 250,000 kilogrammes de sucre brut acquitté, il devra être versé dans la consommation 195,000 kil. de sucre raffiné, au lieu de 158,750 kil. Différence en plus : 56,250 kil. de sucre raffiné.

Vous voyez, messieurs, par ces calculs, que l’amendement du ministre rejette une grande partie du produit dans la consommation, et vous savez que plus une marchandise abonde, plus les prix s’avilissent. Il en résultera donc indubitablement une perte non seulement pour le sucre exotique, mais aussi pour le sucre de betterave.

D’après ces motifs, que je pourrais étendre si je voulais entrer dans d’autres détails, il convient de revenir à mon amendement, car il touche au mal et corrige en partie l’abus. Voici comment est conçu cet amendement :

« Par dérogation à la loi du 24 décembre 1829 (Journal officiel, n° 76), et à partir du 1er mars 1838, la décharge de l’accise sur le sucre, en cas d’exportation, est fixée en principal à 40 francs par cent kilogrammes de sucre candi ou de sucre en pains ou en morceaux. »

Je dois vous faire remarquer, messieurs, que par cette modification, j’élève le taux du rendement à 67 kil. environ de sucre raffiné pour obtenir sa décharge du droit de 100 kil. de sucre brut. De cette manière, le trésor ressaisira une partie de ce qui lui est enlevé, c’est-à-dire, 16 à 17 p. c. du bénéfice que donne la prime.

Ce n’est pas de la France ni de l’Angleterre que nous craignent la concurrence sur les marchés étrangers, mais bien de la Hollande qui est régie par le même système que nous. Je sais que si vous adoptez mon amendement, les raffineurs de ce dernier pays auront plus de marge pour la vente de leurs produits à l’extérieur ; cependant, ne perdez pas de vue que sa production est essentiellement subordonnée à sa consommation, et que les lumps qui font l’objet principal des exportations sont astreints à un rendement de 64 et non de 55 1/2 p. c. Une autre considération qui n’est pas à dédaigner, c’est que la Belgique est dans des conditions plus favorables que la Hollande pour sa production, puisque le combustible et la main-d’œuvre sont à meilleur compte chez nous, ce qui influe sur le coût du sucre raffiné.

Un honorable député d’Anvers croit lever toutes les difficultés en proposant la suppression du droit d’accise. S’il veut par là favoriser les raffineurs de sucre exotique et détruire d’un coup les sucreries de betterave, sa proposition est bien calculée ; mais vous ne pouvez jamais donner les mains à une pareille mesure, à moins de ruiner les établissements agricoles, puisque le sucre de betterave ne peut même lutter avec l’avantage du droit d’accise de 37 fr. par 100 kil, qui pèse sur le sucre exotique.

Je vous avoue que j’ai été surpris de voir présenter un tel amendement par l’honorable M. Rogier, lui dont les principes et les sentiments ont toujours tendu vers l’amélioration des classes pauvres.

Il existe en Belgique, comme dans tous les autres pays, des services publics qui sont une cause inévitable de grandes dépenses. C’est à l’impôt qu’il faut recourir pour couvrir ces dépenses, et si vous ne frappez pas une matière aussi imposable que le sucre, vous rétablirez peut-être la mouture ou tout autre impôt aussi inique qui pèsera principalement sur le peuple ! Ce n’est pas certainement ce que voudrait M. Rogier.

Par une espèce de compensation cet amendement fixe un droit d’entrée de 4 fr. par 100 kilog. sur le sucre brut, ce qui rapporterait à l’Etat un revenu de 4 à 500 mille francs annuellement. Vraiment c’est généreux ! Cet objet de luxe fournirait de cette manière une belle part contributive dans l’impôt, en comparaison du sel qui produit 4 millions et de la bière qui en produit 7 au trésor. Je vous citerai encore la France et l’Angleterre qui prélèvent, l’une 25 millions et l’autre 90 millions sur le sucre. Si vous vouliez imiter ces deux gouvernements, vous proposeriez un droit de 40 fr. au lieu de 4 ; mais vous vous en garderez bien, parce que vous fermeriez les portes de vos raffineries d’Anvers et Gand.

M. Smits. - Et la Hollande ?

M. Lardinois. - La Hollande, avec ses colonies, est dans une tout autre position que nous ; d’ailleurs, si nous avons chassé ce gouvernement, ce n’est pas pour en suivre les mauvais errements.

Je répète, messieurs, que l’amendement dont il s’agit ne peut pas être accueilli ; je pense que son auteur n’y a pas assez réfléchi, et qu’il y a été poussé par les déclamations que l’on a faites contre le commerce d’Anvers. Il s’en est plaint et il avait raison ; mais qui provoque le plus souvent ces déclamations ? Ce sont, j’ose le lire, les organes de ce qu’on appelle le haut commerce, qui a besoin que la liberté de commerce coule de suite à plein bord. Nous aimons aussi les théories, et nous voudrions en voir l’application immédiate dans ce qu’elles ont d’utile ; mais n’oublions jamais qu’il existe des intérêts qu’il faut respecter et ménager. Aujourd’hui j’invoque ce principe en faveur des raffineries de sucre comme je l’ai invoqué dans une circonstance récente pour la draperie, et je désire pour le commerce d’Anvers que vous soyez plus heureux que nous.

Nous apprécions toute l’importance du commerce maritime ; c’est un grand élément de richesse, et l’intermédiaire indispensable des échanges. Mais nous ne voulons pas qu’il absorbe ni l’agriculture, ni les manufactures ; en un mot nous voulons éviter que le haut commerce, semblable à certains dieux du paganisme, ne se nourrisse que de victimes. Nous nous débattons aujourd’hui pour arracher en partie de ses mains la prime de 3 à 4 millions qui est due au trésor public.

En me résumant, je dis que mon amendement mérite la préférence sur tous les autres parce qu’il froisse peu l’industrie des sucres et qu’il fera récupérer quelqu’argent à l’Etat. Vous aurez remarqué que je ne me suis pas occupé des sucres de betterave, puisque cette industrie, selon moi, n’est pas en cause. Je ne veux ni entraver, ni seconder ses développements, mais je désire qu’elle réussisse avec les conditions dans lesquelles elle se trouve. Je m’opposerai à ce qu’on accorde des protections à cette industrie, parce que ce serait un grand malheur pour elle et pour le pays. Vous n’ignorez pas, messieurs, que ces établissements nouveaux se créent souvent par engouement et sans envisager les résultats futurs ; les moyens les plus répréhensibles ne répugnent pas aux agioteurs pour attirer les capitaux des propriétaires et des petits rentiers, dans les plus folles entreprises.

Je dois faire une dernière observation. Plusieurs orateurs se sont plaints de la fraude qui existe du côté de Maestricht. Je certifie aussi la vérité de ce fait. M. Mercier a estimé la fraude du sucre à 50,000 kil. ; je suis persuadé qu’il se vend dans la seule province de Liége au moins une quantité aussi considérable de ce sucre fraudé, et il serait enfin temps que le gouvernement prît des mesures pour arrêter cette contrebande scandaleuse.

M. Smits. - Je viens de recevoir une pétition de mes commettants ; ils demandent la suppression du droit d’accise et son remplacement par un droit d’entrée. La pétition est signée de raffineurs. Je la dépose sur le bureau.

M. Mast de Vries. - Messieurs, je partage l’opinion de ceux qui croient que la plus mauvaise proposition qui nous ait été présentée est celle du ministre des finances. Pour moi, elle se résume en deux mots, c’est-à-dire qu’elle rend impossible tout commerce d’exportation et anéantit la navigation.

Dans la séance d’avant-hier, un honorable membre qui, dans cette affaire, parle contre nous, M. Dumortier, a dit que la consommation du sucre en Belgique s’élevait à 5 kilog. par individu ; ce chiffre est évidemment trop élevé, car il conduirait à une consommation de 22 millions et demi de kilog. pour 4 millions et demi d’habitants. Mais M. le ministre des finances a dit ensuite qu’il avait fait un calcul d’après la consommation de 2 kilog. et demi par individu, ce qui conduit alors à 12 millions de kilog. de consommation pour le royaume.

Mais, dans cette hypothèse, comment concilier les dires du ministre ? D’une part il évalue les entrées à 14,000,000 kilog., et il vous dit de l’autre que nous avons besoin de 12,000,000 kilog. pour notre consommation. De manière que notre commerce d’exportation doit se borner à agir sur 2,000,000 de kilog., et certes vous conviendrez avec moi que c’est tout à fait l’annuler. Mais la proposition de M. le ministre est-elle plus favorable aux sucreries indigènes ? Je vous prouverai, messieurs, que la mesure proposée, tout en frappant notre commerce d’exportation, tue aussi les raffineries de sucre indigène. En effet, admettant le chiffre ministériel à l’entrée de l4,00,000, payant les 25 pour cent, il y aura 3,500,000 kilog. qui sont obligés de rester et de se vendre en concurrence avec les sucres indigènes. Ces 3,500,000 kilog., au rendement de 55 p. c., font environ 2,000,000 de sucre raffiné à débiter ; quel effet n’aura point cette quantité sur le produit des sucres indigènes, quand ceux-ci n’ont encore que produit à la consommation qu’une quantité égale de 2,000,000 ?

De toutes les propositions, celle qui me paraît avoir le plus de chances de succès est celle de M. Rogier. En effet, dans la séance d’avant-hier, par une espèce de menace, l’honorable M. Dumortier nous faisait une semblable proposition. Vous vous rappelez qu’il nous dit : Si on vous proposait la suppression de tout droit d’accise, l’admettriez-vous ? Eh bien, c’est précisément ce que demandent les raffineurs et ce que propose M. Rogier. Cet amendement est le seul qui sauvera nos raffineurs. Il arrêtera l’infiltration des sucres étrangers sur nos frontières de France, d’Allemagne et de Hollande. Et par contre, il mettra à même ceux qui s’occupent d’infiltration de marchandises en pays étrangers, à trouver en Belgique un marché qui leur permettra de s’approvisionner de sucre raffiné et de les faire passer ailleurs avec un immense bénéfice.

Par ces motifs, je voterai pour la proposition de l’honorable M. Rogier.

M. Mercier. - Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de revenir sur l’amendement de l’honorable M. Liedts : je l’ai déjà combattu, et M. le ministre des finances nous a suffisamment démontré qu’il ne ferait pas atteindre le chiffre de 1 million, qu’il faut procurer au trésor. Je sais qu’on a prétendu que nous avions exagéré la diminution probable des importations de sucre exotique, cependant il faut convenir, messieurs, que si les exportations de sucre raffiné ne subissent pas une réduction aussi forte que celle que j’ai présumée, il reste toujours vrai, quoi qu’en dise l’honorable M. Mast de Vries, que le sucre de betterave va venir prendre sa place dans notre consommation à peu près dans la proportion de la moitié.

Un relevé que j’ai devant les yeux et que l’honorable rapporteur de la section centrale a compris dans son rapport, renseigne déjà une quantité de 2,655,710 kil. de sucre de betterave, produit dans le pays pendant l’année courante ; mais, remarquez-le bien, ce relevé présente des lacunes, et plusieurs fabriques qui y sont indiquées n’ont pu donner le chiffre de leurs produits ; d’autres y sont omises, et entre autres celle de Waterloo dont la production est immense ; le sucre de betterave fabriqué en Belgique en 1837 peut donc bien être évalué à 4 millions de kilogrammes ; en y joignant pour 1838 les produits des fabriques qui viennent d’être achevées et de celles qui sont en construction, nous arriverons facilement à une production de 6 millions de kil., qui selon moi doit être la moitié de notre consommation totale, et qu’il faut en tous cas déduire de la moyenne des importations de sucre brut.

Quoi qu’il en soit, c’est principalement pour combattre l’amendement de l’honorable M. Rogier, que j’ai pris la parole. Sans doute, en ce qui concerne le produit de l’impôt en lui-même, il importe peu qu’on l’obtienne d’un droit de douane ou d’un droit d’accise. Mais sous d’autres rapports, et c’est ce que l’honorable M. Rogier sait aussi bien que moi, l’élévation des droits de douane présentent des inconvénients que n’offrent pas les droits d’accise qui ne se perçoivent qu’à la consommation. Est-ce bien au moment où nous faisons tant d’efforts pour offrir des débouchés à nos produits indigènes que nous irions, par une augmentation du droit de douane sur les sucres, indisposer des puissances avec lesquelles nous avons déjà établi des relations commerciales ? De quel œil une semblable disposition sera-t-elle vue aux Etats-Unis par exemple ? N’aurions-nous pas à craindre des mesures de représailles ? Il en est de même du Brésil d’où nous tirons une partie des sucres importés en Belgique ; croit-on que ces pays et d’autres encore seraient fort disposés à nouer des relations avec nous, lorsque nous adopterions un droit qui leur serait directement hostile ?

L’amendement de l’honorable M. Rogier aurait encore pour effet de supprimer les droits différentiels qui existent à l’entrée des sucres exotiques : un honorable membre de cette chambre, M. A. Rodenbach, nous a exprimé récemment ses regrets de ce que nous n’avions pas encore établi un système de droits différentiels, et cette opinion a paru trouver quelque sympathie dans cette chambre ; cette question sera sans doute examinée, mais en attendant, n’allons pas détruire des droits différentiels établis sur les sucres, en adoptant un droit uniforme sur les sucres bruts importés par navires étrangers ou par navires belges. Une telle mesure serait diamétralement opposée aux intérêts de la navigation nationale qui réclame notre sollicitude. Je déclare que lors même que l’amendement de l’honorable M. Rogier pourrait produire le million nécessaire au trésor public, je lui refuserais mon assentiment par les deux considérations que je viens d’exposer.

Du reste ce produit ne serait évidemment pas obtenu ; car une importation de 14 millions environ de sucre brut à 4 fr. les 100 kilog. serait loin de nous procurer ce résultat.

J’arrive à l’amendement de l’honorable M. Lardinois dont la forme plus que le fonds diffère de celui qui a été présenté par le gouvernement.

Je crois que le but que s’est proposé l’honorable membre ne serait pas atteint par son amendement.

Il est à craindre qu’en portant à 65 le rendement légal, il ne se fasse un plus grand usage des sucres qui renferment peu de mélasse et de sirop, tels que le havane blanc par exemple, et qu’en dernière analyse le sucre de betterave ne trouverait pas une plus forte protection, et le trésor un produit plus élevé que dans l’état actuel des choses. L’amendement du gouvernement, au contraire, assure et cette protection et un revenu convenable pour l’Etat.

Nous ne devons pas nous arrêter à l’observation qui a été faite que, par ce dernier amendement, nous forçons le négociant ou raffineur à vendre une partie de ses sucres dans l’intérieur du pays, tandis que son intention serait de ne faire que le commerce d’exportation : en effet, l’honorable auteur de cette objection suppose lui-même que, sous le régime de la loi actuelle, le raffineur obtient un excédant sur le rendement légal, excédant qu’il ne peut pas exporter, et qu’il est donc bien forcé de livrer à la consommation intérieure. Eh bien, il en agira de même à l’égard du quart de la prise en charge des sucres à son compte de crédit à termes, si ce système est adopté par la chambre, et il n’y aura sous ce rapport qu’un simple changement de quotité. Au résumé, je repousse les amendements des honorables MM. Liedts et Rogier, et je crois qu’il y aurait quelque danger à suivre le mode proposé par l’honorable M. Lardinois.

(Moniteur belge n°358, du 24 décembre 1837) M. Dubus (aîné). - Messieurs, la question qui s’agite dans l’assemblée ne me semble pas s’être simplifiée à mesure que la discussion s’est prolongée ; elle s’est au contraire considérablement compliquée, puisque nous avons en présence plusieurs systèmes ou plusieurs amendements qui se rattachent à des systèmes différents et même opposés. Cela n’est pas étonnant puisqu’il y a des intérêts opposés en présence.

Je crois qu’il faut commencer par bien poser les prémisses, par établir les faits, pour connaître quels sont ceux qui sont incontestables ; je ne dis pas quels sont ceux qui sont incontestés, parce que l’on a tout contesté ; quoi qu’il en soit, je crois qu’il y a des faits incontestables qui surgissent de la discussion actuelle, et qu’en appréciant bien ces faits on peut arriver à reconnaître, si pas avec évidence, tout ce que l’on peut faire, au moins une partie de ce que l’on peut faire sans danger.

Une des industries dont les intérêts sont signalés comme compromis est l’industrie des sucres exotiques. Elle se trouve protégée maintenant par un droit de consommation, qui revient à 37 fr., additionnels compris, les 100 kilog. de sucre brut ; et l’industrie spéciale du raffinage se trouve protégée par un droit de douane énorme de 36 florins les 100 kilog., en principal seulement, droit qui revient à 45 p. c. comme je le ferai voir.

Assurément les raffineurs de sucre exotique, qui sont à peu près les seuls qui raffinent du sucre, jusqu’à présent n’ont pas à se plaindre de la loi actuelle. Quand j’ai dit que le droit de 36 florins revient à 45 p. c., j’ai établi mes calculs sur la valeur moyenne du sucre raffiné, droits de consommation et frais de raffinage payés ; ainsi c’est un droit prohibitif à l’égard des produits du raffinage étranger en faveur de ceux du raffinage indigène, soit que l’on ait raffiné du sucre exotique ou du sucre indigène ; quant au sucre brut indigène, la protection résulte du droit de consommation ; mais cette protection ne lui donne des avantages que sur le marché intérieur, tandis que le sucre exotique obtient en outre, au moyen du raffinage dans le pays, et du drawback qui en favorise l’exportation, des avantages sur les marchés extérieurs. Ces avantages sont invoqués par les raffineurs comme un droit acquis ; on ne veut pas que vous les diminuiez le moins du monde, on ne veut pas que vous y touchiez ; sans cela on vous propose des mesures tout à fait subversives, comme je crois pouvoir le prouver.

Il me semble, messieurs, qu’il n’y a évidemment point de droits acquis dans l’usage au moins qu’on a fait d’une législation déjà ancienne, et qui manifestement a besoin d’être modifiée ; les chiffres que présente la commission sont là pour le démontrer. Le droit de consommation de 37 fr. est un impôt qui doit produire au trésor ; je demande depuis combien de temps il ne produit plus ? Vous apprécierez par là s’il y a ici un droit acquis ; cet impôt, il y a deux ans, rapportait encore 15 à 16 cent mille francs ; c’est dans deux ou trois derniers mois de 1835 que son produit a tout à coup disparu ; on comptait, d’après ce qu’avaient rapporté les dix premiers mois de 1835, sur une somme de 280,000 fr. pour les derniers mois de cette même année ; eh bien, messieurs, au lieu de cela, on a reçu 90,000 fr., et pendant l’année 1836, au lieu de 16 cent mille fr., on a reçu 186,0000 fr. ; ainsi, c’est précisément vers la fin de 1835 qu’on a vu le produit de l’impôt disparaître en quelque sorte comme par enchantement, et l’on dit que cette disparition constitue un droit acquis ; c’est ce qu’on ne parviendra jamais à me persuader.

Cette disparition si étrange doit avoir une cause, et vous devez, messieurs vous attacher à la rechercher. On a voulu jeter des doutes sur la circonstance qui paraissait le plus évidemment être la cause qu’il s’agit de découvrir. C’est que le rendement a été calculé à un taux trop favorable aux raffineurs. Si telle n’est pas en effet en effet la véritable cause, alors qu’on m’explique comment il se fait que nos raffineurs peuvent, au moyen d’une exportation de 12,750,000 kil., recevoir la restitution de tout l’impôt de consommation perçu sur 23 millions de kilog., et livrer tout le reste, à peu de chose près, à la consommation, libre de tout droit ; qu’on m’explique par quelle magie de pareils chiffres ne démontrent pas à l’évidence que le rendement est calculé à un taux trop bas. Ah si les raffineurs disaient : Nous ne livrons rien à la consommation ; après les 12,750,000 kilog. de sucre exportés, tout le reste est perdu ; alors je comprendrais leur dénégation ; mais lorsque tout le monde convient qu’ils fournissent à la consommation au moins 9 ou 10 millions de kilog., et que cependant ils ont reçu la restitution du droit sur ces 9 ou 10 millions, il est évident que le rendement est calculé trop à leur avantage, que l’impôt de consommation se trouve converti en une prime d’exportation. Vous avez tous, messieurs, les chiffres sous les yeux, vous pouvez faire la balance de l’importation et de l’exportation pendant les trois dernières années. Eh bien, vous trouverez une différence moyenne de 11 millions par année. Personne n’osera soutenir que ces 11 millions se soient trouvés anéantis par le raffinage, que les raffineurs n’aient rien fourni à la consommation ; il est si vrai qu’ils fournissent à la consommation et en quantité très considérable, qu’ils n’avaient à soutenir aucune concurrence sur le marché intérieur, avant l’établissement des fabriques de sucre de betterave, lesquelles même, pour la plupart, ne raffinent pas, dont les plus anciennes remontent à deux années, et dont la production a été nulle pendant la première année, puisqu’elles n’ont pu obtenir du sucre brut que vers la fin de l’année, et que le sucre brut n’est pas livré à la consommation. Cependant dès l’année 1836, dès la fin même de 1835, tous les produits de l’impôt ont disparu.

On a voulu trouver la cause de cette disparition dans la fraude, dans l’importation frauduleuse des sucres raffinés à l’étranger ; mais, messieurs, encore une fois, les chiffres répondent victorieusement à cette assertion : de tous les tableaux que nous avons sous les yeux, il résulte suffisamment que le raffinage ne met à néant qu’environ 5 p. c. du sucre brut, que 100 kilog. de sucre exotique importé en Belgique et soumis au raffinage produisent 95 kilog. de sucre de diverses qualités. Tout le monde est encore d’accord à cet égard. Si donc les raffineurs, lorsqu’ils exportent 55 kilog. de sucre raffiné, obtiennent la restitution du droit qu’ils ont payé pour 100 kilog. de sucre brut, il leur reste 40 kilog. de sucre de différentes qualités, à livrer à la consommation, car on ne supposera pas sans doute que les raffineurs le détruisent. Ainsi, messieurs, puisqu’on importe 25 millions de sucre brut, qu’on exporte 12 millions de sucre raffiné et qu’il y a un déchet de 1 million ou quelque peu plus, il est évident qu’il y a 9 ou 10 millions de sucre raffiné livré à la consommation intérieure. Or, à combien a-t-on évalué la consommation intérieure ? Les uns l’estiment à 10 millions, les autres à 12 ; eh bien, supposez, messieurs, qu’elle aille jusqu’à 13 millions ; quelle part trouverez-vous pour l’importation frauduleuse ? Une part bien faible en comparaison du chiffre total de la consommation. Il est donc démontré que ce n’est pas l’importation frauduleuse qui a fait disparaître le produit du droit.

C’est évidemment, selon moi, dans l’appréciation du rendement que se trouve le vice de la loi ; pour soutenir le contraire, la commission s’est appuyée sur les tableaux qui se trouvent à la suite de son rapport, pages 54 et 55, et dont elle tire une moyenne, comme si toutes les qualités de sucre qui s’y trouvent mentionnées étaient réellement employées dans une égale proportion ; comme si les raffineurs n’avaient pas intérêt à choisir les qualités qui rendent le plus. Elle va même jusqu’à prendre une moyenne entre les produits d’Anvers, comme si une même qualité de sucre brut n’était pas susceptible de produire autant Anvers qu’à Gand. Je citerai, par exemple, une espèce de sucre qu’on a appelé dans le rapport moscovades, eh bien, messieurs, on veut nous faire croire que cette qualité de sucre qui rend 50 p. c. de sucre raffiné à Gand, ne rend que 30 à Anvers ! Voilà encore une de ces merveilles que je ne puis pas admettre. Certainement, messieurs, si le sucre dont il s’agit produit 50 p. c. de raffiné à Gand, il peut également produire 50 p. c. à Anvers, et c’est une absurdité véritable de venir dire qu’il faut calculer le rendement sur une moyenne entre 30 et 50. Voilà, messieurs, un des divers calculs qui nous ont été soumis sérieusement.

Je pense au contraire, quant à moi, d’abord qu’entre les diverses qualités il fallait, pour le calcul du rendement, s’attacher à celle qui, toutes conditions nivelées, produit le plus, et ensuite prendre le rendement dans la ville où l’on a trouvé que le rendement est le plus considérable ; car évidemment, puisque ce rendement a été obtenu, c’est qu’il est possible, et vous devez calculer sur le rendement possible ; car si vous calculez en dessous, on trouvera ce rendement puisqu’il est possible, et la loi sera encore éludée par là.

La commission part donc d’une base fausse dans le calcul du rendement ; mais indépendamment de cela, si l’on admet même la base que la commission a adoptée, il est évident qu’elle est tombée dans une grande erreur, puisqu’elle suppose que le rendement moyen est de 55 1/2 kilog. en sucres raffinés, et qu’elle en conclut que dès qu’on exporte ces 55 1/2 kilog., l’on doit obtenir la restitution de tout le droit, dans lequel est même compris le droit sur le sucre vergeois qu’on livre à la consommation.

Cette conséquence, en effet, est très erronée, puisque ce sucre vergeois, selon la commission elle-même, reste dans le pays et y est consommé ; il est vrai que le rapport de la commission va jusqu’à dire que les raffineurs le donnent à vil prix ; mais tout à l’heure je ferai voir qu’ils le livrent à des prix tels que le consommateur paie amplement les droits même sur cette qualité de sucre. Vous avez donc tort de dire que la législation a raison de faire restituer le droit, même sur le sucre vergeois, à celui qui n’a exporté que le sucre raffiné.

Avant d’arriver à cette démonstration, je veux attirer votre attention sur la nature des exportations qui sont cause de la disparition du produit du droit. Je crois qu’il y a là des faits utiles à constater, et des conséquences à tirer de ces faits.

L’exportation totale qui a été en 1834 de 8,818,000 kil., s’est élevée en 1835 à 10,680,000 kil., et en 1836 à 12,751,000 kil.. Il serait intéressant de rechercher quelle est la cause de cette augmentation si rapide. A cet effet, voyons pour quels pays se font les exportations principales, et sur quelle espèce d’exportation porte l’augmentation principale.

Eh bien, messieurs, l’exportation principale a lieu vers l’Allemagne. Une chose qui est faite pour étonner, surtout après que nous avons entendu dire que l’exportation des sucres était principalement utile pour favoriser la navigation de long cours, c’est qu’il n’y a presque rien qui alimente la navigation de long cours, puisque presque tous les sucres s’en vont en Allemagne, c’est-à-dire dans un pays tout à fait voisin. Si cela pouvait favoriser une navigation, ce serait tout au plus le cabotage, et nullement cette grande navigation dont on a présenté les intérêts comme si gravement compromis par le projet actuel.

Des 8,818,000 kilog. exportés en 1834, 7,774.000 kilog. sont allés en Allemagne ; sur les 10,680,000 kilog. exportés en 1833, l’Allemagne a reçu 9,212,000 kil. ; enfin ce même pays est entré pour un chiffre de 11,142,000 kil. dans l’exportation de 1836, qui a été de 12,751,000 kilog.

Ainsi vous remarquez dans les exportations vers l’Allemagne une augmentation successive correspondante à celle que vous voyez dans les chiffres de l’exportation totale.

Donc la cause véritable de la disparition du produit du droit est le développement qu’ont pris nos exportations en Allemagne.

Maintenant de quelle nature sont ces exportations ? Sur ce point, ce n’est pas d’aujourd’hui, mais il y a un an déjà que j’ai demandé des renseignements ; ils me paraissaient absolument nécessaires, pour qu’on pût apprécier les questions actuelles sous leur véritable point de vue. Mais, à mon grand regret, la commission n’a pas jugé à propos de s’occuper de cet objet ; elle n’a demandé aucun renseignement sur ce point, et par suite, n’en a obtenu aucun. J’ignore pourquoi la commission n’a pas jugé convenable de le faire, mais pour ma part je crois qu’il était essentiel de recueillir ces renseignements, et vous allez comprendre cette importance.

J’ai ouvert les tarifs comparés qui nous ont été distribués, il y a trois ou quatre ans, et à l’article sucres, dans le tarif prussien, j’ai vu que ce tarif assimilait les sucres lumps aux sucre bruts, avec l’addition de ces mots : « Pour les raffineries indigènes, sous contrôle. »

Ainsi, les sucres lumps sont admis en Allemagne comme sucres bruts ; mais remarquez bien qu’ils ne sont pas admis en consommation, qu’ils sont seulement admis pour les raffineries indigènes sous contrôle, c’est-à-dire, qu’il n’y a que des raffineurs qui puissent les acheter, à la condition de les raffiner.

Donc, ce que nous appelons sucre raffiné sous le nom de sucres lumps, les Allemands, probablement meilleurs appréciateurs de la qualité de ce sucre, le nomment sucre brut et ne le livrent à la consommation qu’après l’avoir raffiné.

Or, serait-il vrai que toute cette énorme exportation vers l’Allemagne se compose en presque totalité ou au moins en très grande partie de sucres lumps ? Voilà une question que j’ai déjà faite et que je fais encore ; car pour moi, je pense que l’exportation consiste principalement en lumps. D’où il faut conclure qu’en dépit de la moyenne que la commission a cherchée, c’est du sucre brut, ou du moins ce qui est estimé sucre brut par les Allemands, qu’on a exporté en Allemagne sous le nom de sucre raffiné.

Mais ce sucre brut, l’avons-nous fait payer bien cher aux Allemands ? Messieurs, je trouve dans les tableaux mêmes qui ont été présentés par la commission, que nous vendons ce sucre brut aux étrangers, à raison de dix-huit florins et quelques cents les 100 kil. Et quand je cherche dans les mêmes tableaux combien nous payons les sucres bruts qui sont importés des colonies, je trouve que la moscovade, qui est la qualité la plus infime, nous coûte environ 15 fl., et que celle qui nous coûte le plus cher, nous coûte 24 ou 25 fl., non compris les droits.

Ainsi, le sucre que notre législation appelle sucre raffiné, le sucre que nous avons raffiné, nous le vendons aux Allemands à meilleur marché que nous n’achetons le sucre brut des colonies.

Si vous voulez réunir ces différents faits, pourrez-vous encore sérieusement agiter la question de savoir quelle est la cause de la disparition du produit du droit ? Est-il permis, après ce rapprochement, d’élever encore un doute sur cette question, à moins qu’on ne vienne dire qu’il ne s’exporte presque pas de ce sucre lumps ? Or, c’est ce que personne n’a soutenu.

Quant à moi, parlant des divers éléments qui peuvent servir à former notre conviction, je considère comme démontré qu’il y a un vice dans le calcul légal du rendement ; que le rendement est calculé beaucoup au-dessous du taux auquel il devait l’être même en moyenne, et que c’est à cette cause que nous devons attribuer la disparition du produit de droit.

Je crois encore que ce qui a augmenté l’influence défavorable de ce vice de la loi, c’est le vice qui a eu lieu dans l’exécution même, vice dont le gouvernement n’est pas responsable, mais qui résulte d’un défaut de définition. Je pense que le gouvernement n’a pas pu être aussi sévère qu’il aurait voulu l’être dans l’examen des qualités des sucres exportés, et que la loi n’ayant pas défini ce qu’on devait entendre par sucres raffinés, tous les sucres qui présentaient la moindre cristallisation a été admise par les tribunaux comme sucre raffiné.

Dans les tableaux p. 54 et 55 dont j’ai parlé, on distingue toujours les produits du raffinage, en sucres raffinés, sucres vergeois et sirop, indépendamment du déchet.

On m’a assuré cependant qu’on obtient le sucre lumps par un travail si peu considérable, que sauf une petite quantité de sirop, et sauf le déchet, tout est lumps, et par ce moyen l’on obtient par la restitution du droit un avantage énorme. L’on m’a montré un morceau de sucre lumps prétendument raffiné, et c’était un sucre qui était aussi coloré que la cassonade la plus brune.

Ainsi, il ne suffirait pas même de corriger le vice dans le calcul du rendement, il faut encore corriger l’autre vice de la loi qui consiste dans l’absence d’une définition suffisante, et M. le ministre a présenté des dispositions dans ce sens.

J’ai fait remarquer tout à l’heure que les raffineurs ou au moins la commission, et plusieurs honorables membres qui ont pris la parole, présentent le consommateur comme étant en quelque sorte hors de cause.

Ils disent que pour calculer le rendement, on doit se borner à rechercher ce qu’on peut obtenir de sucre raffiné, et compter pour rien ce qu’on obtient en sus, en sucre vergeois et en sirop, parce que ces sucres-ci sont livrés à un prix très vil à la consommation, de sorte que cette classe de consommateurs qui prend des qualités moindres, ne paie pas d’impôt. Eh bien, le tableau fourni par la commission elle-même vient répondre à cette allégation.

Ce tableau est à la page 58 du rapport.

Vous pouvez apprécier du premier coup d’œil si le consommateur paie ou non le droit, car on met en regard le prix de chaque qualité de sucre en entrepôt, le prix en consommation. Eh bien, je vais prendre quelques qualités au hasard. Le sucre candi blanc, par exemple, se vend 28 cents 1/2 en entrepôt, et 48 cents en consommation. Ainsi, 100 kilog. se vendent 57 florins en entrepôt et 96 fl. en consommation. La différence est plus que le double du droit.

Prenons maintenant les sucres en pain raffinés. La première qualité se paie en entrepôt 25 florins 30 cents et en consommation 53-21 les 100 kil. ; l’étranger paie donc les 100 kil. 50 fl. 60 cents, et le consommateur belge les paie 106 fr. 42 cents. Le prix pour lui est plus que doublé. Quant aux lumps, ils se vendent les 50 kil. de première qualité 18 fl. 91 c., et de la deuxième 18 fl. 68 c. en entrepôt, et 36 fl. 89 c. et 134 fl. 23 c. en consommation. Ainsi, sur toutes les qualités, le consommateur semble payer même plus que le double du droit.

Je comprends cependant cette différence qui excède le droit, parce que je sens fort bien qu’au moyen de la prime, qui est le résultat du faux calcul du rendement, nos raffineurs peuvent donner leurs sucres sur les marchés étrangers au-dessous du prix. Voilà pourquoi, au lieu de trouver pour toute différence le montant du droit, qui est de 17 florins et des cents, vous trouvez en moyenne 37 ou 38 florins.

Arrivons au sucre qu’on n’exporte pas, au sucre vergeois, qu’on dit livrer à vil prix. Il se vend en consommation 66 à 67 florins les 100 kil., la première qualité ; la moindre se vend 45 florins 80 cents.

Ainsi, tandis que les sucres que nous appelons raffinés, les lumps sont livrés à l’étranger à 37 florins les 100 kil., la plus infime qualité de vergeoise est vendue, en consommation, 46 florins. Après cela on vient dire que le consommateur belge ne paie pas de droit !

J’attache de l’importance à vous faire apercevoir cela, notamment quant aux qualités qui ne s’exportent pas et qu’on dit être livrées à vil prix au consommateur, et sans payer de droit. Vous voyez que celui-ci paie, même des qualités infimes, beaucoup plus cher que des sucres raffinés ne se vendent à l’étranger.

Cependant, au moyen de l’exportation de 55 1/2 kilog., tout le droit a été payé et bien payé. Eh bien, le consommateur des 40 autres kilog. le paie encore une fois. Dès lors, n’est-il pas évident qu’il y a prime ?

Messieurs les simples chiffres que je viens de produire répondent à ce qui a été dit par le rapporteur et par un honorable député d’Anvers, sur le vil prix auquel on donne ces sucres en consommation. D’ailleurs, que ce ne sont pas seulement des sucres vergeois que nos raffineurs livrent à la consommation, mais bien des sucres de toutes les espèces, puisque leur tableau établit un double pour toutes les espèces. Mais le prix en consommation est calculé de manière à comprendre le droit pour toutes les espèces, y compris le sucre vergeois.

Si réellement cette restitution n’emportait pas une véritable prime, je demanderais comment on pourrait expliquer un autre fait produit dans la discussion de l’année dernière et que la commission n’a pas compris non plus dans son examen ; c’est le transfert qui se fait du droit d’exporter avec bénéfice de restitution. Croyez-vous que les raffineurs donneraient de l’argent pour acheter le droit d’exporter leurs produits si le calcul du rendement n’emportait pas une prime ? Ces transferts se faisaient en bourse, à tant p. c. de prime, avant la discussion actuelle, et cela n’aurait pas eu lieu s’il n’en résultait pas une prime d’exportation.

Je reviens à ce que j’ai dit en commençant. Quand on veut s’appesantir sur les faits, il est hors de doute que le rendement est calculé un taux beaucoup plus élevé. Cela n’est pas incontesté, mais cela est évidemment incontestable.

La cause du mal étant ainsi bien constatée, on demande alors quel est le meilleur moyen d’y remédier. J’ai dit qu’il y avait deux vices, l’un consistant dans le faux calcul du rendement, l’autre consistant dans un défaut de définition du sucre raffiné.

M. le ministre dans ses amendements a proposé un remède au second de ces vices, mais le premier subsiste.

Le remède qui se présente le plus naturellement à l’esprit, c’est de diminuer le drawback ; puisque ce vice consiste en ce que le drawback est trop élevé, que cela est évident, il n’y a qu’à le diminuer. Mais, dit-on, vous allez tuer le commerce d’exportation des sucres raffinés, si vous changez le moins que ce soit la législation existante ; on dit cela, en effet ; mais on ne se donne pas la peine de le démontrer. Il y a plus, on fournit des arguments qui prouvent le contraire, entre autres ce qu’on a dit relativement à la Hollande. Comparons en effet le drawback belge avec le drawback hollandais. Le rendement est calculé à 55 1/2 kilog. p. c. en Belgique, et à 61 1/3 et 64 1/4 en Hollande, 64 1/4 pour tout ce qui compose la plus grande partie de nos exportations. Ainsi, c’est le chiffre de 64 qui doit fixer notre attention. De plus on applique en Hollande une circulaire qu’on refuse d’appliquer en Belgique, parce que les tribunaux n’appliquent que les lois. Dans cette circulaire se trouvent les définitions que M. le ministre propose d’introduire dans la loi ; de sorte qu’à ce taux de 64, on ne peut pas commettre les abus qui sont signalés en Belgique. Il y a là une différence notable, une différence de 16 p. c. Que répondent à cela nos adversaires ? Oh ! ils vous disent que les raffineurs hollandais trouvent une ample compensation dans une réduction de droit de 8 p. c. qu’ils obtiennent sur le sucre brut des colonies. Mais d’abord la différence dans le drawback étant de 16 p. c., il y a évidemment une erreur grossière dans cette allégation.

Et puis quelle est donc cette déduction de 8 p. c. ? Sont-ce les raffineurs qui en profitent ? Mais pas du tout. Une déduction de 8 p.c. sur le sucre colonial est en faveur des colonies. C’est le colon producteur qui en profile. Lorsque le sucre des colonies hollandaises et le sucre d’une autre provenance se présentent en concurrence sur le marché hollandais, les raffineurs savent faire la différence des conditions, et les prix s’établissent en conséquence. Ne prenez donc pas en considération cette déduction ; elle est en faveur des colons et ne profite nullement aux raffineurs. Je n’en tiens aucun compte.

Il reste donc que le rendement se trouve augmenté en Hollande, et par suite le drawback abaissé sans aucune compensation.

Que vous dit la commission sur ce point ? Voici comment s’exprime le rapport :

« Vous avez pu voir, messieurs, par l’exposé que nous vous avons fait de la législation hollandaise, qu’en Hollande on a cru remédier au mal en augmentant la proportion du rendement en sucre fin ; cependant les recettes du trésor de ce pays, loin d’avoir augmenté, deviennent tellement de plus en plus désastreuses que le gouvernement hollandais se plaint amèrement de ne point y trouver de remède. »

C’est-à-dire que le résultat a été qu’en Hollande on a exporté plus encore sous la nouvelle législation qu’auparavant. Il est aisé de le démontrer. D’abord vous voyez que sous ce nouveau drawback l’impôt a moins rapporté au trésor.

Et si les exportations avaient réduit presqu’à rien le produit de l’impôt sous l’ancien drawback, elles l’ont fait dans une autre proportion plus forte encore sous le nouveau.

Cependant quelle est la limite des exportations ? La consommation à l’intérieur ; car il n’y a que celle-là qui puisse payer les droits et fournir les moyens d’accorder une restitution qui emporte une prime d’exportation. La consommation a été la même, et a produit par conséquent la même somme au trésor. Il n’y a pas là de sucreries de betterave.

Dès lors les exportations, loin de diminuer, ont manifestement augmenté : en effet le résultat que la Hollande a obtenu en substituant le rendement de 64 fr. à celui de 55 fr., a été que pour n’opérer que l’effet de laisser à l’impôt le même produit qu’avant le changement, les exportations ont dû augmenter déjà dans la proportion de 55 à 64 ; et on dit que les recettes ont été de plus en plus désastreuses ! Il est donc manifeste que le drawback même, calculé sur un rendement de 64 fr., est insuffisant. Cela résulte à toute évidence de l’allégation même du rapport.

Il est bien vrai que le rapport ajoute :

« En même temps que des membres des états-généraux (les journaux nous l’ont appris) se sont plaints tout aussi amèrement de ce que l’augmentation décrétée en 1833, dans la proportion du rendement légal, n’avait fait que favoriser, sur les marchés étrangers, la concurrence des raffineries belges au détriment des raffineries hollandaises, et n’avait été d’aucun secours pour les recettes du trésor de la Néerlande. »

Eh bien, les membres des états-généraux qui ont dit cela, ont dit une véritable inconséquence ; car les deux choses ne peuvent coexister. Il ne peut être arrivé en même temps que la Hollande ait vu diminuer les exportations de sucres raffinés, et ait vu diminuer en même temps le produit net de l’impôt sur le sucre, la consommation ayant été la même.

Ainsi, si l’on proposait maintenant le chiffre de 64 au lieu de 55 1/2, vous ne devez aucunement craindre qu’il résulte de ce changement que la Hollande nous enlève nos exportations. D’abord c’est précisément le chiffre de la Hollande ; mais il y a plus, c’est que, dans l’état actuel des choses, il est évident que la Hollande ne peut pas nous nuire et que nous ne pouvons pas nuire à la Hollande.

Ceux qui présentent cet épouvantail ne font pas attention à l’observation que je viens de rappeler et qui avait été présentée par un honorable député de Nivelles, M. Mercier, à savoir que ce qui dans notre système de drawback limite l’exportation, c’est la consommation intérieure du pays, parce que c’est celle-là qui fixe le chiffre du droit, et que c’est la restitution du droit dans une proportion donnée qui rend seule l’exportation possible.

Or, si la Hollande exporte dans une proportion telle que le produit net de l’impôt soit réduit à rien, dès lors elle a atteint le maximum de ses exportations possibles ; car assurément elle n’exportera pas 1 kilog. sans restitution de droit, condition à laquelle on soutient qu’il est impossible d’exporter ; car si on prétend qu’on ne peut exporter même alors que la restitution du droit est calculée sur un rendement de 64, par exemple, à plus forte raison n’exportera-t-on pas si aucun droit n’est restitué.

Ainsi qu’on ne présente pas cet épouvantail d’une augmentation d’exportation en Hollande à notre préjudice.

Quant à nos exportations, elles ne peuvent que diminuer, parce que le sucre de betterave fournissant plus à la consommation, le sucre exotique y fournira moins ; et nécessairement, moins il y aura de sucre exotique lié à la consommation, moins il sera perçu d’impôt par suite, moins il sera payé de drawback, et moins, par conséquent il y aura d’exportations.

La comparaison de notre loi avec la loi hollandaise prouve que nous devons établir, pour moyenne du rendement, un chiffre supérieur à 64 ; surtout elle doit nous donner la conviction que ce chiffre ne rendrait pas les exportations impossibles.

Maintenant voyons quel est le chiffre français. J’ignore quel il était avant la loi de 1833, car je puise tous mes chiffres dans le rapport de la commission. Selon ce rapport, par une loi de 1833, le rendement a été calculé à 70 fr. pour le sucre plus fin et à 75 fr. pour l’autre sucre. A la fin de 1834, on a trouvé ces chiffres insuffisants, et on les a élevés à 73 et à 78 fr. En fixant son attention sur ce changement, l’honorable rapporteur de la commission a dit que par là on a tué l’exportation. Il ne nous dit à quelle époque est morte cette exportation, ni ce qu’elle était auparavant. J’aurais voulu pouvoir prendre en considération des renseignements sur ce point ; cependant je soumettrai à la chambre des chiffres que je puise dans une pièce imprimée par les soins du commerce d’Anvers l’an dernier ; c’est le rapport fait à la chambre des députés de France par M. Dumont en mars 1837. A la page 1ère de ce rapport, je crois qu’en 1835 (donc sous l’empire de la loi de 1833), les raffineurs français n’ont exporté en effet que 1,259,000 kilog., et qu’en 1836, sous l’empire de la même loi, ils ont exporté 6,494,000 kil.

Vous voyez d’après ces chiffres que même avec le rendement de 73 et de 78 les exportations de France ont été en augmentant. Il s’agit bien de sucre raffiné et de restitution de droits, l’expression du rapport le prouve ; la voici :

« En 1835, 69,339,548 kil. de sucres coloniaux ont acquitté 39,932,180 fr. de droits ; sur cette quantité, 1,259,625 kil. ont été exportés sous bénéfice de prime, après raffinage, et ont affaibli de 826,513 fr. les recettes du trésor. En 1836, 65,874,678 kil. de sucres coloniaux ont acquitté 32,370,592 fr. de droits sur cette quantité, 6,494,802 kil. ont été exportés sous bénéfice de prime, après raffinage, et ont affaibli de 4.263,076 fr. les recettes du trésor. »

Remarquez que l’exportation a augmenté en présence d’une importation moindre.

Ainsi il serait très inexact de dire avec l’honorable rapporteur que le chiffre adopté en France pour le rendement a tué l’exportation, puisque nous voyons que sous l’empire de cette législation l’exportation a augmenté dans une forte proportion.

Je crois qu’en présence de ces considérations nous ne devons pas hésiter à augmenter le chiffre moyen du rendement d’après lequel la restitution sera payée.

Il est évident surtout que le chiffre que vous présente l’honorable M. Lardinois, loin d’offrir quelque excès, est trop modéré ; car, en vous proposant une restitution de 40 fr. par 100 kilog. de sucre raffiné, il suppose un rendement moyen de 66 kilog. 2/3, si mon calcul est juste. Eh bien, d’après ce que nous connaissons du résultat des chiffres hollandais et même des chiffres français, n’y a-t-il pas lieu de croire qu’avec le taux de 66 2/3 le trésor ne recevrait rien ?

Il me semble surtout que si l’on adoptait la base de cet amendement, il faudrait faire une différence entre les sucres lumps et les autres sucres raffinés, et que si, par exemple, on calcule un rendement de 65 pour les sucres raffinés, il faut admettre un rendement de 70 pour les sucres lumps ; car on ne peut, selon moi, introduire une moindre différence que celle-là.

C’est l’augmentation du rendement qui, selon moi, entre tous les moyens proposés, devait obtenir la priorité. Je regrette que la chambre ait accordé la priorité à un autre système sur lequel il me sera, quant à moi, extrêmement difficile de me prononcer, parce que j’ai quelque peine à apprécier tous les résultats qu’il aura s’il est adopté. On propose de déclarer que, sur les droits résultant de la prise en charge, une quantité donnée seulement sera restituée et que le reste sera définitivement acquis au trésor.

Je conviens que c’est là le moyen le plus certain que je trésor reçoive quelque chose ; je conviens de cela ; mais je ne suis pas également convaincu que ce soit le meilleur parti dans l’intérêt même des différentes industries dont il s’agit dans la discussion actuelle.

Deux amendements vous ont été présentés dans ce sens. Le second, celui de M. Liedts, ne produirait au trésor qu’une somme très faible ; le premier, celui de M. le ministre des finances, oblige les raffineurs de sucre exotique à livrer à la consommation : 1° un quart de toutes leurs importations ; 2° en maintenant le rendement à 55, une partie égale à peu près aux 4/5 de toutes leurs exportations, ce qui fait une quantité considérable.

En supposant 14 millions de kilogrammes d’importation, je trouve que, déduction faite du déchet, les raffineurs, en supposant qu’ils atteignent la dernière limite de l’exportation, n’exporteront plus que 5,827,500 kilog. et devront livrer à la consommation 7,472,500 kil. sur 14 millions.

Or, dans l’état actuel des choses, les raffineurs peuvent-ils même mettre en consommation 7 1/2 millions ? Déjà pour 1837, d’après les tableaux que j’ai sous les yeux, et alors que beaucoup de sucreries de betterave étaient en construction et ne produisaient rien encore, la production totale des autres était calculée à 2,655,710 kil.

On peut croire qu’elle sera au moins double pour 1838, et toute cette quantité double appartiendra à la consommation intérieure, et dès lors le chiffre de 7 millions et demi, résultant d’une importation de 14 millions supposée par le ministre, présente déjà une quantité plus forte que la part probable du sucre exotique sur le marché intérieur.

Cependant si je devais croire que l’on rejetât les amendements tendant à élever le rendement, je me croirais obligé d’adopter comme un moindre mal la proposition de M. le ministre des finances ; de sorte que je confesse que je serai réellement embarrassé sur le vote que je devrai émettre, si la chambre persiste à donner la priorité à la proposition de M. le ministre des finances.

Je terminerai en disant un mot sur un amendement d’un honorable député d’Anvers, M. Rogier. Il a voulu fournir au ministre des finances un autre moyen d’atteindre le but qu’on se propose ; ce moyen consisterait à supprimer tout droit de consommation et à se borner à un droit d’entrée de 4 fr. par 100 kilog. Le droit de consommation est de 37 fr. et 2 centimes. Le droit d’entrée actuel est estimé en moyenne par M. le ministre à un franc environ ; ensemble 38 fr. De 38 à 4 fr. la chute est assez forte.

L’honorable membre qui ne voulait pas, disait-il, de mesures brusques de peur de porter dommage à l’industrie, me paraît avoir proposé la mesure la plus brusque de toutes. Je chercherai tout à l’heure à en apprécier la portée ; maintenant voyons si elle produirait la somme que l’on veut obtenir. M. le ministre des finances a supposé une importation de 14 millions ; il suppose une exportation de 3,800,000, ce qui laisse à peu près 7 millions et demi pour la consommation intérieure, chiffre même trop élevé en présence de la production des raffineries de sucre de betterave.

M. Rogier suppose une même importation de 14 millions. Alors il faut de deux choses l’une, ou croire qu’on obtiendra les mêmes exportations, quoique rien ne soit restitué, ou croire que l’adoption de son amendement fera cesser toute concurrence sur le marché intérieur, même de la part des producteurs de sucre de betterave : il est impossible, en effet, d’admettre une importation de 14 millions, si l’exportation n’est plus possible, à moins qu’on n’ait le monopole de toute la consommation ; le chiffre est donc évidemment trop élevé ; or, si le chiffre est trop élevé, on n’obtiendra pas pour le trésor la somme que l’on a eue en vue.

Les raffineurs conserveraient-ils leurs débouchés extérieurs ? D’après le dire de nos adversaires, ils ne l’atteindraient plus car s’il est nécessaire, pour rendre l’exportation possible, que l’on restitue le droit perçu sur 100 kilogrammes de sucre brut, sur l’exportation de 55 kilogrammes seulement de sucre raffiné, ce qui manifestement constitue une prime, comment concevoir que l’exportation sera encore possible, et que l’on pourra encore lutter sur le marché extérieur, alors qu’au lieu d’une prime vous aurez une perte de 4 fr. par 100 kil. de sucre brut, ce qui reviendra à plus de 4 fr. par 100 kil. de sucre raffiné ? Il me paraît de la dernière évidence que l’on n’exportera plus, que l’on perdra le marché extérieur dont on a joui maintenant. Mais alors il faut rentrer dans la seconde hypothèse : c’est que l’on croit, au moyen d’un amendement semblable à celui que l’on propose, obtenir le monopole de la consommation intérieure, parce que l’on tuera l’industrie indigène. Cette seconde hypothèse a beaucoup plus d’apparence que la première à mes yeux ; et telle est, je crois, la portée de la proposition. Je ne serais pas étonné qu’elle eût été faite dans ce but, et qu’ayant été comprise ainsi, elle ait été appuyée par ce motif par les raffineurs de sucre exotique.

Je comprends parfaitement qu’ils aiment mieux un gain moindre mais qui durera, qu’un gain plus considérable, mais qui a moins d’avenir.

Je vous ai fait apercevoir, ou plutôt j’ai appelé votre attention sur un point qui avait déjà occupé d’autres orateurs. J’ai appelé votre attention sur ce fait, que la consommation intérieure est la limite des exportations dans le système actuel. Que résulte-t-il de là ? Que plus la production de sucre indigène fera de progrès pour alimenter la consommation intérieure, plus les raffineurs de sucres exotiques perdront le moyen d’exporter ; ils entrevoient donc dans un avenir quelconque la perte de leurs débouchés extérieurs ; et ils préfèrent à cet avantage ainsi compromis le monopole perpétuel de la consommation intérieure. Or, comment obtenir ce monopole ? en retirant subitement la protection que donne la législation actuelle à une industrie qui ne fait que s’établir, qui n’a encore fait que des dépenses, qui a jeté des capitaux et qui n’a pas encore reçu un sou de production.

Le droit de 37 f., ajouté au modique droit de douane, fait 38 fr. Ce droit-là est une protection assurée pour le sucre indigène. Le droit de 36 fl. à l’entrée des sucres raffinés à l’étranger vient corroborer cette protection. Si vous retirez le droit de 37 fr., vous retirez la protection à l’abri de laquelle les raffineries de sucres indigènes, au nombre de 40, dit-on, se sont établies. Vous faites perdre d’un trait de plume tous les capitaux qui ont été aventurés dans ces entreprises. Depuis deux ans vous laissez faire les dépenses énormes de premier établissement, et maintenant vous viendriez dire aux entrepreneurs : C’est autant de perdu pour vous !

On ne prétendra pas sans doute qu’une protection de 4 fr. sera suffisante. On nous a donné les prix des sucres étrangers. La qualité la plus riche est le sucre de la Havane ; on l’estime au-delà de 100 fr. les 100 kil. : sur cette qualité le droit reviendrait à moins de 4 pour cent. Comment peut-on croire que vous protégerez notre production indigène par un droit de 4 p. c. que vous voulez substituer à un droit de 38 p. c., et cela brusquement, quand les établissements sont tous nouveaux !

Il est manifeste que la diminution du droit de 38 fr.. à 4 fr. amènera celle du prix de la denrée dans la même proportion ; en conséquence il sera absolument impossible à ceux qui ont formé des sucreries indigènes de soutenir la concurrence avec les sucres des colonies ; leurs établissements seront fermés, ils seront ruinés, et par suite les raffineurs de sucre exotique auront le monopole. Et le droit de consommation étant diminué dans une grande proportion, il en résultera que la consommation augmentera, puisque le sucre diminuera de prix, et cela sans donner un sou de plus au trésor, mais en ajoutant de plus grands bénéfices à ceux que la consommation actuelle assurerait à MM. les raffineurs. C’est là peut-être ce qu’ils se promettent.

Est-il juste, est-il sage d’adopter cette mesure ? Est-il sage de protéger les colonies étrangères et les raffineurs des produits de ces colonies, au préjudice de nos sucreries indigènes ? Est-il juste de condamner ceux qui viennent de former des établissements à perdre leurs énormes dépenses ? Evidemment non. Rejetez donc d’emblée l’amendement du député d’Anvers, et que les raffineurs d’Anvers appuient de toutes leurs forces dans des pétitions. (Aux voix ! aux voix !)

(Moniteur belge n°357, du 23 décembre 1837) M. le président. - M. Donny vient de déposer un amendement d’après lequel le sucre brut, importé par navires belges, paierait un droit de 4 fr. les 100 kil., et un droit de 5 fr. 50 c. les 100 kil. par navires étrangers.

La parole est à M. Gendebien .

M. Gendebien. - Je renonce à la parole. Il est impossible de rien ajouter à ce qu’a dit le préopinant. Je la prendrais si quelque orateur combattait l’opinion développée par M. Dubus .

M. le président. - La parole est à M. Donny pour exposer les motifs de son amendement.

M. Donny. - Messieurs, je ne serai pas long. J’ai l’honneur du vous présenter un sous-amendement, en partie pour faire droit à une juste observation du ministre des finances, et, en partie, pour maintenir le système des droits différentiels existants, en ce qui concerne les sucres.

Dans la séance d’hier M. le ministre des finances, combattant les calculs que j’avais faits à l’appui de l’amendement de M. Rogier, nous a fait remarquer que dans les calculs de M. Rogier et dans les miens, il se trouvait englobé un droit de douanes actuellement perçu, et qui doit être déduit de nos résultats. Cette observation est parfaitement juste.

Mais si l’on adopte mon sous-amendement, il en résultera une augmentation du produit qui compensera la déduction indiquée par le ministre.

Quant aux droits différentiels, vous savez que les sucres, par navires belges, paient un droit de douane de 10 cents par 100 kil., et qu’ils paient un droit de 80 cents par navires étrangers ; la différence entre les deux droits est de 70 cents ou 1 fr. et demi ; et c’est cet état de choses qui m’a déterminé à porter le droit d’entrée par navires étrangers à 5 f. 50.

J’espère que ceux de mes collègues qui combattent les droits différentiels, ne combattront pas mon sous-amendement ; ce n’est pas à propos d’une question sur les sucres qu’on doit toucher aux droits différentiels. Ils sentiront que si les droits différentiels doivent être détruits, ils doivent l’être par des concessions réciproques dans les traités de commerce.

Voilà les considérations que j’ai à faire valoir à l’appui de mon sous-amendement.

M. le président. - M. Dubus dépose un amendement tendant à élever le rendement des sucres. Ce rendement s’élèverait à 75 p. c. pour certains sucres…

M. Desmaisières. - On vous a répété, dans le long discours que vous venez d’entendre, tout ce qui a été réfuté dix fois ; cependant il est un point de ce discours auquel il est bon de répondre, et je promets de renverser tout ce qu’a dit l’orateur en deux minutes si la chambre veut m’accorder la parole. (Aux voix ! aux voix !)

- La chambre consultée ferme la discussion.

M. le président. - La chambre a décidé qu’elle accordait la priorité à la question de savoir si une partie du droit sera définitivement acquise au trésor sans être sujette à restitution, question qui résulte de l’article premier des propositions de M. le ministre des finances. Je vais mettre cette question aux voix.

M. Dubus (aîné). - Je désirerais qu’on votât d’abord sur la question de savoir si le rendement sera augmenté, car ce n’est que dans le cas où cette question serait résolue négativement que j’adopterais la proposition de M. le ministre des finances comme un moindre mal.

M. Rogier. - Il est impossible, messieurs, qu’on aille aux voix sur une question qui n’a pas été mise en discussion ; on n’a mis en discussion que l’article premier des propositions de M. le ministre des finances ; c’est sur cet article que toute la discussion a porté ; c’est à cet article que des amendements ont été proposés, et si la chambre veut rester conséquente avec elle-même, elle doit voter d’abord sur cet article et sur les amendements qui y ont été proposés par l’honorable M. Liedts et par moi. Il faut donc mettre aux voix, en premier lieu, l’amendement de M. Liedts, ensuite le mien, si celui de M. Liedts n’est pas adopté, et enfin la proposition de M. le ministre des finances dans le cas où les deux autres auraient été écartés.

Quant à la question du rendement, elle reste intacte, et on la traitera à l’article 2 ; elle peut avoir été discutée accidentellement pendant la discussion de l’article premier ; mais ce n’était pas là sa place, car la chambre a entendu séparer les deux discussions.

M. Metz. - Vous voyez, messieurs, que nous en venons insensiblement à ce que j’ai eu l’honneur de vous prédire il y a quelques jours, quand je soutenais qu’il convenait, pour mettre de la régularité dans la discussion, de l’arrêter d’abord à la question de savoir si l’on changerait ou si l’on ne changerait pas le taux du rendement. La chambre a décidé, il est vrai, qu’elle s’occuperait d’abord de l’article premier de M. le ministre, mais cet article a donné lieu à tant d’amendements, à tant d’observations, qu’il me semble que la chambre ferait bien maintenant de revenir à la question la plus naturelle, à la question qui est nécessairement préalable, c’est-à-dire celle du rendement.

M. Pirmez. - Je crois, messieurs, qu’il faut voter d’abord sur la proposition qui s’écarte le plus de la loi actuelle : si c’est la proposition relative au rendement qui s’écarte le plus de la législation actuelle, commencez par cette proposition ; si c’est la proposition de M. le ministre, commencez par celle- là. Je crois, messieurs, que c’est le vrai moyen d’en sortir.

M. Desmaisières, rapporteur. - Il est un fait, messieurs, qui est reconnu par nos honorables adversaires, c’est que la chambre a formellement décidé, non seulement qu’elle ne voterait pas sur la question du rendement avant d’avoir voté sur la proposition du M. le ministre des finances, mais même que la discussion ne s’établirait que sur cet amendement. Est-ce maintenant parce que nos adversaires ont, malgré l’intention de la chambre, porté la question sur le terrain du rendement, que nous devrions revenir sur notre première décision ? En vérité, messieurs, cela serait inouï dans les annales parlementaires.

M. Smits. - Messieurs, les observations qui viennent d’être faites par l’honorable M. Desmaisières sont parfaitement justes. Je ferai remarquer en outre que c’est bien l’article premier des propositions de M. le ministre des finances qui s’écarte le plus de la législation actuelle, car il tend à établir un système entièrement nouveau, tandis que les propositions relatives au rendement ne tendent qu’à modifier la loi actuelle. Il n’y a donc pas à hésiter pour voter d’abord sur l’article premier de M. le ministre des finances, d’autant plus que la chambre a décidé qu’on discuterait cet article et non pas l’article 2 qui est relatif au rendement.

M. Metz. - Il y a deux jours, messieurs, j’avais l’honneur de vous dire que les raffineurs de sucre exotique préféreraient dix fois l’adoption de la proposition de M. le ministre des finances à une discussion sérieuse sur le taux du rendement qui est bien réellement de 70 p. c. au moins, au lieu de 55, comme la loi le suppose ; ce qui prouve que le rendement réel est tel que je l’établis, c’est le chiffre des importations. (Interruption.) Si le rendement est vicieux, l’amendement de M. le ministre des finances qui ne frappe que sur un quart de la restitution est insuffisant puisqu’il laisse subsister les trois quarts de l’abus dont on se plaint.

M. Desmaisières. - L’orateur rentre dans le fond de la question ; tout à l’heure la chambre…

M. Metz. - Je ne rentre pas dans le fond de la question ; je dis seulement qu’il faut voter d’abord sur la question du rendement ; que si la loi est vicieuse, il ne faut pas seulement détruire un quart du vice, mais l’extirper tout entier.

J’appuie de toutes mes forces les observations de l’honorable M. Dubus qui tendent à faire décider en premier lieu la question du rendement.

M. Rogier. - Nous faisons un appel à la bonne foi de la chambre. C’est sur l’article premier que la discussion a été ouverte, c’est sur l’article premier que la discussion a été close ; c’est donc sur l’article premier qu’il faut voter.

Maintenant on vient dire qu’il est plus important de voter d’abord sur la question du rendement ; nous nous opposons à ce qu’il soit voté immédiatement sur cette question ; si l’on veut revenir sur la décision de la chambre, qu’on mette alors en discussion l’article 2, qui concerne le rendement ; mais qu’on ne mette pas cet article aux voix sans qu’il ait été discuté ; ce serait une chose injuste, ce serait une chose dont il n’y a peut-être pas d’exemple dans toutes les discussions parlementaires.

M. F. de Mérode. - Messieurs, on veut nous embrouiller, on veut empêcher la chambre de voter comme elle a l’intention de le faire. Il est évident que de la manière dont nous marchons, nous ne ferons rien qui vaille ; la chambre n’obtiendra pas les résultats qu’elle a en vue d’obtenir. Il me semble que les articles 1 et 2 ont toujours été discutés simultanément, le ministre des finances l’a lui-même reconnu. Maintenant si l’on est d’avis de discuter encore, si la chambre n’est pas assez éclairée sur l’article 2, eh bien, que la discussion continue sur cet article, je le veux bien ; car j’aime encore mieux que la discussion recommence que d’être obligé de voter d’une manière telle que le résultat serait tout à fait opposé à celui que je voudrais obtenir.

M. Mercier. - Messieurs, je crois qu’on pourrait simplifier la question en décidant d’abord quel mode l’on adoptera dans les modifications éventuelles à introduire dans la législation actuelle ; et en effet, je propose que la chambre délibère sur les trois questions suivantes :

1° Augmentera-t-on le rendement ?

2° Réservera-t-on une quotité de la prise en charge ?

3° Augmentera-t-on la quotité du droit de douanes ?

M. Verdussen. - J’en appelle à la bonne foi de la chambre. A-t-on décidé oui ou non que la discussion s’établirait en premier lieu sur l’amendement de M. le ministre des finances ? Maintenant on veut bouleverser cette dernière décision. Nous espérons que la chambre la maintiendra.

M. Desmaisières. - Qu’on lise le procès-verbal, et l’on verra que la chambre a décidé que la discussion était ouverte sur la seule question de savoir si une parte de la prise en charge sera définitivement acquise au trésor. Je m’aperçois que M. le président confirme ce que je viens de dire.

M. Dolez. - Messieurs, il me paraît que ce que vient de dire M. Desmaisières ne s’oppose pas à ce qu’on vote d’abord sur la proposition de M. Dubus.

La chambre a décidé qu’on discuterait d’abord l’article premier du projet ; mais l’honorable M. Dubus a présenté une proposition qui amende cet article premier ; nous restons dans les termes généraux de nos usages, si nous votons en premier lieu l’amendement qui s’écarte le plus du projet ; or, l’amendement de M. Dubus s’en écarte plus que l’amendement de M. le ministre des finances ; donc, en mettant l’amendement de M. Dubus aux voix en premier lieu, nous nous conformons à nos usages.

M. Dumortier. - Messieurs, on a invoqué la résolution que la chambre a prise à l’ouverture de la discussion. Voici ce qui s’est passé... Sur la proposition de l’honorable M. de Brouckere, la chambre a décidé que la discussion s’établirait en premier lieu sur le projet de la commission, et que la proposition de M. le ministre des finances serait considérée comme amendement au projet de la commission, je me suis alors levé pour demander si l’on entendait absorber par là ma proposition et celle de l’honorable M. Lardinois ; et il m’a été répondu que ces deux propositions seraient discutées comme amendements à tout le reste.

Maintenant, messieurs, quelle est la question principale ? C’est le projet de la commission. Quel est l’amendement qui s’écarte le plus de la question principale ? Evidemment c’est le mien. C’est donc mon amendement qu’il faut mettre d’abord aux voix ; viendront ensuite, s’il y a lieu, ceux de mon honorable ami et de M. Lardinois.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, il n’y a pas de doute que la chambre a décidé que la discussion s’établirait d’abord sur l’article premier du projet que j’ai présenté ; il n’y a pas de doute non plus que la discussion ne s’est pas restreinte à cet article, et que, de part et d’autre, on a discuté la question du rendement.

Maintenant la chambre est-elle liée par sa décision ? Nullement. Si elle est actuellement décidée à accorder la priorité à la question du rendement, ce qu’elle pourrait faire, ce serait d’entendre les orateurs qui auraient encore à présenter des observations sur ce point. Mais, évidemment, il serait déraisonnable que la chambre suivît une autre marche que celle qu’elle croit la meilleure.

M. Gendebien. - Messieurs, la discussion est arrivée à maturité sur tous les points, de l’aveu même de M. le rapporteur qui doit mieux le savoir que tout autre, et qui, après le discours de M. Dubus, s’est levé pour déclarer que les arguments dont s’était servi cet honorable membre, avaient déjà été dix fois produits et dix fois réfutés.

Eh bien, je propose qu’on mette aux voix la question de savoir si une partie de la prise en charge sera acquise au trésor oui ou non. Si cette question est résolue affirmativement, alors, et alors seulement, on discutera l’article 2 qui devra être mis en rapport avec ce que vous aurez décidé à l’article premier, tandis que si vous résolvez négativement la question que j’ai posée, vous pourrez mettre immédiatement aux voix le taux du rendement.

- La discussion sur la question de priorité est close.

M. le président. - Je vais mettre aux voix si on donnera la priorité à cette question : Une partie de la prise en charge sera-t-elle définitivement acquise au trésor ?

- Après deux épreuves douteuses, on procède à l’appel nominal dont voici le résultat :

Nombre des votants, 78.

Pour, 35.

Contre, 48

En conséquence la priorité n’est pas accordée à la question posée.

Ont répondu oui : MM. Bekaert, Coghen, David, de Florisone, de Langhe, de Man d’Attenrode, de Muelenaere, de Perceval, Dequesne, de Renesse, Desmaisières, Donny, Bernard Dubus, Hye-Hoys, Kervyn, Lejeune, Liedts, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Polfvliet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Smits, Stas de Volder, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Van Volxem, Verdussen, Vergauwen, Vilain XIIII et Raikem.

Ont répondu non : MM. Beerenbroeck, Berger, Coppieters, Corneli, Dechamps de Jaegher, de Longrée, de Meer de Moorsel, de Mérode (Félix), de Mérode (Werner), Demonceau, de Puydt, le Sécus, Desmanet de Biesme, de Terbecq, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dolez, Dubus (aîné), Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Frison, Gendebien, Jadot, Lardinois, Lecreps, Mercier, Metz, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Pollénus, Raymaeckers, Scheyven, Seron, Simons, Thienpont, Trentesaux, Troye, Willmar et Zoude.

- La chambre donne la priorité à la question de savoir si on augmentera le rendement.

M. le président. - Je vais mettre cette question aux voix dans sa généralité.

M. Rogier. - Je ne pense pas qu’il soit question de mettre aux voix cette question qui n’a pas été mise en discussion. Je réclame de la bonne foi. On a lâché le mot de finesse dans cette discussion, moi je ferai appel à la bonne foi. Est-il vrai ou non que cette question n’a pas été mise en discussion ? Cela est évident, puisqu’elle est comprise dans l’article 2 et que l’article premier seul a été discuté.

M. le ministre a déclaré qu’il ne voulait pas s’occuper de la question du rendement ; il a porté la discussion sur l’article premier. Maintenant on veut voter sur cette question de rendement qui n’a pas été traitée par nous. Cette question est très importante, elle a droit maintenant à une discussion. Je ne concevrais pas que la chambre pût suivre une autre marche. Je demande qu’on s’en réfère au procès-verbal, s’il le faut.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je suis de l’avis de l’honorable préopinant, qu’on discute la question du rendement, qu’on entende ceux qui veulent parler sur cette question ; mais je ne suis pas d’accord avec lui quand il dit qu’on ne l’a pas discutée. On en a parlé dix fois et dix fois on a répondu, comme vous l’a dit M. le rapporteur ; mais ce n’est pas une raison pour ne pas recommencer la discussion sur ce point : je demande qu’on entende les orateurs qui désirent le traiter.

M. Verdussen. - Lorsque le rapporteur a dit que dans le discours de M. Dubus il se trouvait des choses dix fois répétées et dix fois réfutées, il n’a pas voulu embrasser dans ce reproche tout le discours ; car M. Dubus a présenté des réflexions nouvelles, auxquelles il n’a pas encore été répondu.

M. Lardinois. - La discussion a été ouverte sur l’amendement de M. le ministre et tous les autres amendements, mais on a donné la priorité à l’amendement de M. le ministre. Ceux qui n’ont pas voulu de cet amendement ont soutenu, moi mon amendement, et d’autres le système d’élévation du rendement.

Mais il est vrai de dire que les défenseurs du système actuel n’ont pas touché à cette question du rendement ; il serait souverainement injuste de ne pas accorder la parole aux adversaires de ce système, et un jour pour exposer leur opinion.

M. Dolez. - Je ne puis concevoir qu’on prétende que la question du rendement est intacte, en-dehors de nos discussions antérieures. Non seulement elle a été discutée, puisque tous les orateurs en ont parlé, mais elle a été formulée en amendement par M. Dubus. C’est après la présentation de cet amendement qu’on a prononcé la clôture. Il s’agissait de savoir à quelle question on accorderait la priorité. On a examiné la question en termes généraux, sauf à examiner ultérieurement quel serait le chiffre que l’on fixerait.

La chambre a décidé la question de priorité en faveur de la question du rendement ; c’est cette question que nous devons mettre aux voix, celle de savoir si le rendement sera changé ou non. Si la chambre décide qu’il sera changé, je ne demande pas mieux ; si la chambre décide qu’il n’y a plus lieu de le changer, de voter sur la proposition du ministre, la chambre sera conséquente. Si la proposition de M. Rogier était admise, en décidant la priorité, la chambre n’aurait rien décidé. J’espère que la chambre, conséquemment au vote qu’elle a émis par appel nominal, va décider si le rendement sera changé sauf à en fixer le chiffre plus tard.

M. Pirmez. - Je ne crois pas qu’on puisse se refuser à la proposition de l’honorable M. Dolez ; ce serait nier l’évidence que de dire qu’il n’a pas été parlé du rendement. Que l’on mette aux voix la question de savoir si le rendement sera changé ou non ; quant à la quotité du rendement, si quelques orateurs veulent prendre la parole. qu’ils soient entendus. Mais dire que l’on n’a pas parlé du rendement, c’est abuser de la permission de nier l’évidence ; moi-même j’en ai parlé ; le Moniteur est plein de discours sur le rendement, il n’y a pas autre chose dans le Moniteur depuis quatre jours.

M. Desmaisières, rapporteur. - Je dois donner une explication ; j’espère que cette fois on me permettra de la donner.

Je dois dire qu’il me paraît qu’il se passe ici quelque chose de tout à fait étrange. Quand nous demandons le maintien d’une décision prise par la chambre, il y a deux jours ; quand notre honorable président nous annonce que cette décision a réellement été prise, on nous dit : Oui, la chambre a pris une décision, mais elle peut revenir sur cette décision. Maintenait c’est ce qu’on a fait, on a émis un vote contraire au premier. L’honorable M. Dolez vient argumenter de ce nouveau vote, et demande qu’on soit conséquent avec ce nouveau vote ; ainsi, lorsqu’il s’agit de compromettre les intérêts de notre cause, on peut revenir sur une décision prise ; mais lorsqu’ainsi l’on compromettrait l’intérêt de la cause de nos adversaires, on doit s’en tenir strictement à ce qui a voté.

Je dois répondre à l’honorable M. Gendebien auquel l’honorable M. Verdussen a déjà répondu pour moi. Quand j’ai dit que l’honorable M. Dubus aîné était revenu sur tout ce qui a été réfuté plus de dix fois, j’ai dit en même temps qu’il y avait dans son discours un côté neuf de la question, sur lequel j’aurais à m’expliquer ; ce point, messieurs, c’est le rendement. Je voulais expliquer que l’honorable M. Dubus s’est trompé dans la comparaison qu’il a faite de différents chiffres, parce qu’il a pris des chiffres qui n’ont pas été établis à la même époque, mais qu’ils résultent de la moyenne prise dans différentes années.

M. Rogier. - Je n’aime pas à prolonger davantage cette discussion ; je ferai un dernier appel à la bonne foi. L’honorable M. Metz qui a soulevé la question, l’honorable M. Gendebien qui l’a soutenue, ont déclaré qu’ils ne s’opposaient pas à ce que la question du rendement soit discutée.

Un membre. - Non pas la question, mais le chiffre du rendement.

M. Rogier. - Mais, messieurs, le chiffre c’est la question ; d’ailleurs ces honorables membres n’ont pas parlé du chiffre, mais de la question du rendement ; c’est à eux que j’en appelle pour soutenir notre proposition.

Ce n’est pas l’envie de faire de nouveaux discours qui nous pousse ; mais nous ne voulons pas que la discussion soit close sur un objet qui n’a pas été mis en discussion. La discussion n’a pas été ouverte sur l’article 2 ; comment voterait-on l’article 2 sans qu’il ait été mis en discussion ?

M. Gendebien. - Veuillez vous rappeler que lorsqu’il s’est agi pour la première fois de la question d’ordre à établir pour la discussion, j’ai demandé positivement si la proposition qui était faite excluait les amendements de MM. Lardinois et Dumortier ; on m’a dit que non ; or, sur quoi portaient les amendements de MM. Lardinois et Dumortier ? Sur la question du rendement.

L’honorable rapporteur vous dit que lorsqu’il a déclaré, après le discours de l’honorable M. Dubus aîné, que celui-ci n’avait dit en général que des choses qui avaient été déjà réfutées dix fois, il avait fait une exception pour la question du rendement ; mais, ainsi que je l’ai déjà dit, M. Dubus, depuis le commencement jusqu’à la fin de son discours, n’a pas fait autre chose que de traiter la question du rendement ; tout ce qu’il a dit tendait à démontrer son insuffisance.

L’honorable M. Rogier m’interpelle de m’expliquer ; mais je me suis déjà expliqué fort clairement. J’ai dit que si on adoptait la question proposée par le ministre, et qui vient d’être écartée par la décision de priorité, dans ce cas on serait obligé de discuter la question du rendement, puisqu’il faudrait le mettre en rapport avec la portion du droit qui serait déclarée acquise au trésor.

J’ai ajouté que dans le cas du rejet, qui est le cas où nous sommes, il n’y aurait plus lieu à discussion même sur le chiffre du rendement, puisque nous restions dans les termes généraux de la loi et de la discussion des amendements qui y sont proposés. Voilà ce que j’ai dit. Je n’ai rien à retrancher, rien à expliquer ; je n’ai qu’à reproduire mes paroles.

Un grand nombre de membres. - Aux voix !

M. Smits. - Mais il me semble que la chambre ne peut décider si l’on augmentera ou non le rendement. La chambre, en se prononçant sur cette question, peut se trouver dans le cas de se mettre en contradiction avec elle-même ; car lorsque l’on abordera la question de la quotité du rendement, il est possible que l’on reconnaisse que le rendement ne doit pas être augmenté. Cela est très possible, car M. le ministre des finances n’a pas proposé d’augmentation de rendement. Ainsi, vous ne pouvez vous prononcer sur cette question sans vous exposer à vous mettre en contradiction avec vous-mêmes ; je crois donc que la discussion doit continuer sur la question du rendement ; d’ailleurs, la proposition de M. Dubus a été lancée à la fin de la séance, et immédiatement après la clôture a été prononcée.

M. Trentesaux. - Il est très vrai qu’on a parlé sur la question du rendement ; mais la véritable importance est dans la fixation du rendement. Or, a-t-on discuté sur un chiffre ? Point du tout. C’est là cependant qu’est toute l’importance ; il importe donc, et en conscience il y a obligation pour nous, de continuer la discussion sur la quotité du rendement.

M. Dolez. - Il me paraît qu’on perd de plus en plus de vue tout ce que la chambre a décidé. Tout à l’heure la chambre a décidé qu’elle s’occuperait d’abord de la question de principe ; elle a donné la priorité à la question de savoir si on augmenterait le rendement. Nous avons voté sur ce principe ; mettons-le d’abord aux voix ; viendra ensuite l’application, c’est-à-dire la fixation du chiffre.

M. Dubus (aîné). - On est d’accord sur le chiffre ; mais on demande que la chambre passe aux voix sur le principe.

M. Rogier. - Cela dégénère en jeu de mots. Le principe du rendement n’est mis en question par personne ; tout le monde est d’accord qu’il faut conserver un rendement. Si la chambre veut mettre en question s’il y aura un rendement, je ne sais pas ce que cela signifie.

- La chambre consultée décide qu’il n’y a pas lieu à ouvrir la discussion sur la question de savoir si le rendement sera augmenté.

M. le président. - Je vais consulter la chambre sur la question de savoir s’il y a lieu d’augmenter le rendement.

- La majorité répond affirmativement ; en conséquence la chambre décide que le rendement sera augmenté.

La discussion et la fixation du chiffre du rendement sont renvoyées demain.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.