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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 6 février 1838

(Moniteur belge n°38, du 7 février 1838)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure.

M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Pollet Dupire, vitrier à Tournay, demande la libre entrée en Belgique des verres de couleur pour vitrages. »

- Dépôt sur le bureau.


« Le sieur T.-C. Elsen, pharmacien à Venray, né en Prusse, habitant la Belgique depuis 1814, demande la naturalisation. »

- Renvoyé au ministre de la justice.


« Le sieur Vanderstraeten, fabricant de garance, demande une augmentation du droit à l’entrée sur cette substance. »


« Des négociants en toile, de Bruxelles, demandent :

« 1° Une prime d’exportation sur les toiles fabriquées à la main de 5 à 15 fr. ;

« 2° Un droit de 10 p. c. à la sortie sur les lins de toutes qualités ;

« 3° Un droit de 40 fr. par 100 kilog. sur la sortie des étoupes.


« Des fabricants de coutil à Turnhout adressent des observations contre le projet d’augmenter les fils de lin écrus à l’entrée en Belgique. »


« Des fabricants de drap et autres étoffes de lin, de la province d’Anvers, demandent une augmentation de droits sur les draps étrangers et autres étoffes similaires. »


« Un grand nombre de négociants d’Alost demandent un droit sur le lin à la sortie, et un droit sur les toiles et les fils étrangers à l’entrée. »


« Des industriels et fabricants de drap de Verviers et de Liége proposent des modifications au tarif des douanes en ce qui concerne les tissus et fils de laine. »


« La régence de Termonde adresse un mémoire contenant des observations contre la proposition de M. C. Rodenbach relative à la circonscription de la Flandre orientale. »


« Le sieur F. Malafosse, à Toulouse, demande l’ajournement du rapport sur sa pétition en date du 6 décembre, jusqu’à ce qu’il se soit justifié devant ses juges. »


« Le sieur J. Jamotte, détenu aux Alexiens à Louvain, se plaint d’une violation de la liberté individuelle et demande sa mise en liberté. »


« Le sieur A. Marteleux, né en Belgique, par une pétition datée de Secheval (France), demande la radiation de son inscription comme milicien dans la commune de Gédenne qu’il prétend être illégale. »


« Les greffiers des justices de paix de l’arrondissement de Tongres demandent que leur traitement soit augmenté. »


« Le sieur L. Vandenbossche, propriétaire, et ses co-intéressés, demandent la concession de deux embranchements au chemin de fer de l’Etat, le premier de Bruxelles à Louvain par Tervueren et le second de Bruxelles à Gand par Alost et Melle. »


- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


M. de Terbecq. - Messieurs, vous venez d’entendre l’analyse de la réfutation faite par l’administration communale de Termonde, de la proposition de M. Constantin Rodenbach, tendante a établir un quatrième arrondissement judiciaire dans la province de la Flandre orientale ; comme la chambre a décidé, dans la séance du 28 décembre dernier, que la proposition de l’honorable M. Rodenbach serait examinée en sections, je demande, messieurs, que, la réfutation dont je viens de vous entretenir y soit examinée en même temps ; j’ai à cette fin l’honneur de déposer sur le bureau les exemplaires nécessaires pour les sections. J’espère que ma demande, qui me paraît juste, sera accueillie par la chambre.

M. C. Rodenbach. - Je demande que les sections ne s’occupent de cet objet que quand les administrations d’Alost et de St-Nicolas auront répondu à la demande faite par la commune de Termonde. Je demande l’impression du mémoire dont on vient de parler.

M. de Terbecq. - Il est imprimé et il sera distribué.

M. Desmet. - Il y a plusieurs localités intéressées aux changements proposés dans la circonscription existante ; il faut leur donner le temps de présenter leurs observations. Je crois qu’il serait utile d’accorder quatre ou cinq semaines.

M. de Terbecq. - Je ne m’oppose pas à l’ajournement, pourvu que la régence de Termonde ait également le temps de répliquer aux objections qui lui seraient opposées.

- L’ajournement est adopté.


M. de Nef. - Parmi les pétitions il en deux, de Moll et de Turnhout, qui ont rapport direct à l’objet à l’ordre du jour ; je demande leur insertion au Moniteur et leur dépôt sur le bureau.

M. Desmet. - L’honorable secrétaire vient de faire l’analyse de trois pétitions, de Bruxelles, d’Alost et de Renaix, relatives à l’industrie linière ; je demanderai leur renvoi à la commission d’industrie avec invitation de faire un rapport demain ou après-demain.

M. Lardinois. - Je demande que l’on veuille imprimer dans le Moniteur la pétition des fabricants de Liége et de Verviers, afin que la chambre et le sénat puissent en prendre connaissance. Cette pétition fait suite aux avis des chambres de commerce.

M. Verhaegen. - Je demanderai la même faveur pour les pétitions concernant l’industrie linière.


M. Pollénus. - Je prierai la chambre d’inviter la commission des pétitions à faire un prompt rapport sur le mémoire concernant la garance. Cet objet se rattache à celui qui est à l’ordre de jour. M. le président de la commission des pétitions m’a dit que rien ne s’opposait à ce que le rapport fût présenté.

- Les demandes d’insertion au Moniteur de diverses pétitions faites par les honorables membres sont adoptées par la chambre. Leur dépôt sur le bureau, pendant la discussion de la loi des douanes, est en outre ordonné.


M. Zoude annonce que la commission d’industrie est convoquée pour demain et que son rapport est prêt sur les pétitions dont a parlé M. Desmet.


- Sur la proposition de M. Pollénus., la commission des pétitions est invitée à faire un prompt rapport sur le mémoire concernant la garance.


L’honorable M. Smits écrit que la perte douloureuse qu’il vient de faire par la mort de son fils aîné, ne lui permet pas de s’occuper dans ce moment des travaux parlementaires.

- Pris pour notification.


L’honorable M. Vanderbelen demande un congé, sa santé ne lui permettant pas de partager actuellement les travaux de ses collègues.

- Le congé est accordé.


Le sénat, par divers messages, annonce avoir adopté dans sa session dernière le projet de loi sur les sucres, le projet de loi concernant le budget de la guerre pour l’exercice 1838 et le projet de loi concernant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1838.

Projet de loi, amendé par le sénat, organisant l'école militaire

Transmission

M. le président. - Le sénat ayant amendé le projet de loi concernant l’école militaire, il faut le soumettre à une commission ou aux sections.

- La chambre, consultée, le renvoie à une commission qui sera nommée par le bureau.

Projet de loi sur la taxe des barrières

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, dans votre séance du 5 janvier dernier, au moment où l’on discutait la proposition d’ajournement de la chambre, j’ai annoncé que je lui présenterais le projet de loi relatif au maintien de la taxe des barrières. Voici ce projet que j’ai fait imprimer dans l’intervalle qu’a présenté l’ajournement.

Les tableaux qui accompagnent la loi seront distribués ce soir.

Messieurs, la chambre m’a exprimé le désir d’avoir un exposé de tous les faits relatifs à la question d’indemnité. Cet exposé, j’ai l’honneur de le déposer sur le bureau. Je l’ai fait imprimer également pendant l’intervalle que m’a offert l’ajournement.

Le projet concernant les barrières est renvoyé devant une commission qui sera nommée par le bureau.

Projet de loi relarif aux inscriptions hypothécaires

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je vais avoir l’honneur de présenter à la chambre un projet de loi, réclamé depuis quelque temps dans les deux chambres, relativement aux inscriptions hypothécaires. Ce projet est conçu dans un article unique dont je donnerai lecture. Si la chambre le désire, je donnerai également lecture de l’exposé des motifs. (L’impression ! L’impression !)

- La chambre renvoie le projet à une commission qui sera nommée par le bureau.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes

Second vote du tableau du tarif

Fils de laine

M. le président. - Plusieurs dispositions de la loi concernant les douanes ont été renvoyées aux chambres de commerce, lesquelles ont donné leur avis. Désire-t-on s’occuper des laines ou des verreries ? Il y aurait lieu, ce me semble, à discuter ce qui est relatif aux fils de laine. Voici la proposition que le gouvernement a faite à cet égard :

« Fils de laine. Ecrus et non teints, par 100 kil., 45 fr.

« Tors, dégraissés, blanchis ou teints, par 100 kil., 60 fr. »

M. Demonceau. - Je désirerais que M. le ministre s’expliquât sur les propositions qu’il a faites. J’ai dans le temps présenté des amendements dont ces propositions se rapprochent.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Ces motifs sont consignés dans une note imprimée et distribuée à la chambre. Voici ce qui y est dit :

« Ce droit répond à une proportion moyenne de 1/2 p. c. de la valeur.

« Les droits d’entrée actuels sur les fils de laine sont, pour la première espèce, de 12 fr. 69 c. par 100 kilog.., et de 33 fr. 86 c. pour la seconde.

« L’utilité de l’augmentation de droits est démontrée par la demande qui en a été faite par les chambres de commerce et des fabriques des localités mêmes où l’on fabrique principalement les tissus pour lesquels la laine filée est une matière première.

« Mais, tout en admettant l’utilité ou la convenance d’augmenter les droits d’entrée sur les fils de laine, on ne saurait se dissimuler qu’il serait extrêmement dangereux de le faire dans une proportion trop forte, et on ne saurait, par exemple, admettre un droit de 10 p. c., comme plusieurs chambres de commerce l’ont proposé.

« D’abord, ce serait contrevenir à toutes les règles que de tarifer le fil à 10 p. c., alors que l’on ne veut imposer les tissus, qu’il sert à perfectionner, qu’à 10 p. c.

« On ne peut frapper d’un droit de 10 p. c. un article qu’on peut considérer sous certains rapports comme matière première.

« Pour ces motifs et pour ceux invoqués par la chambre de commerce de St-Nicolas à l’appui de son opposition, il semble qu’il faut admettre le droit indiqué ci-dessus. »

Remarquez, messieurs, qu’il y a une augmentation considérable sur les droits existants, et que la différence entre le tarif présenté par M. Demonceau et adopté par la chambre de Verviers, et celui que nous présentons, est peu considérable ; aussi, osons-nous croire que les industriels que cet objet concerne seront satisfaits.

M. Demonceau. - Il y a en effet, messieurs, une légère différence entre les propositions du gouvernement et celles que j’avais eu l’honneur de vous faire dans une séance précédente. Si je ne me trompe, j’avais proposé 64 pour une catégorie pour laquelle le gouvernement propose 60 ; je ne m’opposerai pas à cette légère modification, surtout parce que je n’entends pas hausser les droits outre mesure ; je me rallierai donc au chiffre de 60, proposé par le gouvernement. J’avais proposé, je pense, pour une autre catégorie, 48 ; le gouvernement propose 45 pour la même catégorie, c’est encore là une diminution peu sensible. Ainsi, messieurs, puisque les propositions du gouvernement diffèrent si peu de celles que je vous avais soumises, et que d’ailleurs elles sont le résultat des avis des chambres de commerce, je déclare m’y rallier.

M. Metz. - Messieurs, j’avais eu également l’honneur de vous soumettre un amendement par lequel je proposais le chiffre de 150 fr. pour une des catégories de marchandises dont il s’agit ; le gouvernement propose de réduire ce chiffre à 125 fr. ; cette proposition étant appuyée principalement par la chambre de commerce de Verviers, je déclare quant à moi m’y rallier.

M. Lardinois. - Messieurs, avant d’entrer en matière, je crois qu’il n’est pas inutile de rappeler que nous ne faisons que reprendre une discussion interrompue depuis trois mois.

Après que vous avez eu prononcé la levée de la prohibition qui existe sur les draps et casimirs d’origine française, il restait encore debout trois amendements relatifs aux tissus de laine, et M. le ministre des finances en a demandé l’ajournement pour en appeler aux lumières des chambres de commerce du royaume. Cette proposition a été adoptée.

Les chambres de commerce ont parlé, et c’est armé de leurs opinions que nous venons de nouveau vous demander justice et protection en faveur de l’industrie drapière.

Vous avez remplacé la prohibition par un droit de 250 fr. pour cent kilogrammes sur les draps, casimirs et autres produits similaires où la laine domine.

Je ne veux pas réveiller les morts et je consens à laisser dormir tranquille la prohibition ; mais nous avons à nous occuper d’une industrie pleine de vie, qui réclame des moyens d’alimentation pour parcourir courageusement une carrière exposée à tous les dangers d’une redoutable concurrence.

La levée de la prohibition amènera indubitablement sur nos marchés une masse de fabricats français qui réduiront de plusieurs millions la vente des draps et casimirs de nos propres manufactures.

Il y a urgence de parer à cet événement si nous ne voulons pas voir nos belles fabriques tomber en décadence.

Le moyen le plus efficace qui se présente aujourd’hui pour compenser ce déficit est de forcer, pour ainsi dire, nos industriels à varier leur production, en prenant des mesures capables de les seconder dans l’entreprise de la fabrication des tissus de laine qui nous arrivent en abondance des pays étrangers.

A cet effet vous aurez à vous prononcer sur trois amendements dont vous êtes saisis.

Le premier, de l’honorable M. Demonceau, consiste à frapper tous les tissus de laine sans distinction de 250 fr. par cent kilog.

Le second, de l’honorable M. Metz, impose certains tissus de 150 fr. les cent kilogrammes.

Et le troisième, qui est de moi, divise les tissus en deux catégories dont l’une supporterait un droit de 200 fr. et l’autre un droit de 150 fr. par cent kilogrammes.

La chambre de commerce de Verviers consultée par le gouvernement a adopté mes catégories, mais elle a réduit la seconde quotité à 125 francs, montrant ainsi son esprit de modération et son désir de conciliation.

Vous avez sous les yeux les tableaux fournis par cette chambre qui ont pour but de vous démontrer qu’elle demande un droit moyen de 10 p. c. sur tous les tissus de laine, en imposant les articles légers à 200 fr. et les articles pesant à 25 fr. Toutes les chambres de commerce, ou au moins la grande majorité, ont réclamé une protection plus forte, et il est à remarquer que même la chambre de commerce d’Anvers, qui par sa positon et ses antécédents incline toujours plutôt vers la liberté que vers la protection, demande également que les tissus étrangers soient frappés d’un droit de 10 p. c.

Tous les produits dont il est ici question se fabriquent en Belgique, à la vérité sur une petite échelle, mais il suffit d’accorder une protection raisonnable pour que la production en augmente progressivement.

Dans une séance précédente je vous ai montré à la dernière évidence, et d’après des documents authentiques, que la Belgique recevait en tissus de laine autres que draps et casimirs pour vingt millions annuellement, et nous nous devons chercher à fabriquer et fournir à notre consommation une bonne partie de ces articles étrangers.

En présence de ce droit modéré que propose le ministre et auquel je me rallie ; en présence de cette presque unanimité des chambres de commerce qui disent d’accorder une protection de 20 p. c. au lieu de 10 que nous demandons ; considérant surtout que la France prohibe ces mêmes tissus, que la Prusse les impose à un droit uniforme de 250 francs, que l’Angleterre ne les reçoit qu’à un droit très élevé, je suis persuadé, messieurs, que vous ne balancerez pas un instant à accueillir la proposition ministérielle.

Sans doute, un droit de 10 p. c. n’est pas suffisant pour lancer de suite nos industriels dans de grandes entreprises, mais il est préférable à un droit de 20 p.c. qui ne serait qu’un appât à la fraude. Nous devons faire en sorte que les droits de douanes ne soient ni illusoires ni éludés.

En admettant même (ce qui est une supposition toute gratuite) que l’intention de la chambre serait de ne pas protéger l’industrie belge, elle devrait encore moins adopter cette tarification dans l’intérêt du trésor qui en retirera 4 à 500,000 fr. Cela vaudrait beaucoup mieux que d’imposer la bière, le café et le sel qui servent à la nourriture de la classe pauvre. Je bornerai là mes observations, messieurs, qui ont été provoquées par un de mes voisins, et dans le dessein de rappeler quelques faits qui ont rapport à cette discussion.

M. Desmet. - Je demanderai à l’honorable M. Lardinois, qui me semble adopter la tarification proposée par M. le ministre de l’intérieur, s’il pense que la prohibition étant levée pour les draps et casimirs d’origine française, la tarification qu’on propose en ce moment pourra compenser les pertes qui résulteront pour notre industrie de la levée de cette prohibition ? Il semble que l’honorable membre pense qu’on ne peut plus revenir sur la levée de la prohibition ; je ne partage pas cet avis ; je crois moi qu’il y a encore moyen de maintenir la prohibition : il suffit pour cela de rejeter l’ensemble de la loi, et si la chambre ne le faisait pas, alors le sénat peut encore le faire, et si le sénat le faisait, je ne doute pas que les industriels de Verviers lui en rendraient grâce.

Je crois, messieurs, que la levée de la prohibition aurait les conséquences les plus funestes pour la Belgique, qu’elle anéantirait complétement notre industrie ; il faut donc à tout prix maintenir la prohibition.

Je vois bien ce que craint le député de Verviers ; il craint que, s’il n’adopte pas le système du ministère, qui est de lever la prohibition à l’entrée des draps français, il n’obtienne pas des modifications au tarif actuel en ce qui concerne les provenances d’Angleterre et d’Allemagne. Pour moi, je ne puis partager cette manière de faire, et il me semble que j’aurais une plus grande confiance dans la chambre qui ne peut pas vouloir l’anéantissement d’une branche quelconque de l’industrie nationale, et ne prêtera pas toujours la main à l’exécution du système destructeur qui règne dans ce bureau de commerce qui est établi au département de l’intérieur, qui, au profit de l’étranger, ruinerait totalement la Belgique, et en ferait un second Portugal.

Quand on veut sincèrement le bonheur de son pays, quand on ne veut pas que l’industrie soit anéantie, on ne doit pas, par crainte de tout perdre, choisir la moins mauvaise des propositions qui sont faites ; si vous entrez dans la voie déplorable qui est suivie par le département de l’intérieur, vous arriverez à la ruine de notre industrie ; le système suivi par le bureau du ministère de l’intérieur qu’on appelle le bureau de l’industrie et du commerce, tend directement à anéantir l’industrie au profit du commerce de commission. Et on ne pourrait pas dire qu’il travaille dans l’intérêt du véritable commerce extérieur, car le système suivi au département de l’intérieur n’est même pas partagé par les armateurs et commerçants de la ville d’Anvers : la discussion qui a eu lieu dernièrement au sénat sur la prime du sucre, l’a clairement démontré ; on y a fait voir que ce système n’est réellement qu’au profit des productions étrangères et favorable à quelques courtiers ou commissionnaires.

Je prie donc l’honorable M. Lardinois de nous dire s’il croit réellement que la tarification dont il s’agit peut remédier au coup fatal que la levée de la prohibition a porté à notre industrie ; je le lui demande avec un certain empressement, afin que la chambre soit bien informée quand elle devra aller au vote sur l’ensemble du projet, et je ne doute pas qu’elle y refusera son assentiment quand elle saura que c’est une loi destructive pour diverses branches importantes de l’industrie belge ; je fais surtout cette remarque depuis que j’ai lu les derniers avis des chambres de commerce, qui, comme vous l’aurez vu comme moi, commencent à se déclarer ouvertement contre le système anti-national qui est constamment suivi dans le bureau de commerce du département de l’intérieur ; et ici je vous prie, messieurs, de méditer ce qu’en dit la chambre de commerce de la ville d’Ypres.

M. Lardinois. - Messieurs, l’honorable préopinant vient de m’adresser une espèce d’interpellation : il demande si la tarification qui nous est proposée remplacera convenablement la prohibition qui a été levée pour les draps et casimirs d’origine française. Je lui ferai d’abord remarquer que le mieux est souvent l’ennemi du bien ; ce proverbe reçoit ici son application : certainement si on avait adopté le projet primitif du gouvernement, si on avait levé la prohibition et maintenu en même temps le droit de 5 ou 6 p. c. qui existait à l’entrée des draps et casimirs étrangers, avec la prime qui s’accorde sur les draps français, sans doute alors on aurait détruit l’industrie drapière, et non seulement l’industrie drapière, mais encore les bas et les bonneteries, et toutes les industries dont il s’agissait dans le projet de loi ; mais remarquez bien que le gouvernement a fait de grands pas dans le système des améliorations ; il a écouté les observations qui ont été faites dans cette enceinte ; il a écouté l’opinion publique ; il a pris l’avis de tous les corps constitués, et il a modifié considérablement ses premières propositions. Je n’adopterai donc pas le système de l’honorable M. Desmet, de voter contre l’ensemble de la loi ; car, je le dis franchement, le système qui nous est actuellement proposé par le ministère, vaut mieux pour l’industrie drapière que le maintien de la prohibition ; et s’il en résulte du bien pour l’industrie, ainsi que je l’espère, le mérite en appartient d’abord au gouvernement.

M. Verhaegen. - Messieurs, j’ai parlé dans le principe comme parlait alors l’honorable Lardinois, mais je ne pourrais pas parler comme il parle aujourd’hui ; si j’ai défendu l’industrie drapière, c’est parce que les principes de l’économie politique, comme je l’entends, m’y engageaient ; aujourd’hui, je vois mes prévisions se réaliser ; j’ai craint, et avec raison, que si chacun pouvait se procurer un léger avantage, au moyen de la loi en projet, l’intérêt général serait négligé ; c’est ce qui arrive en effet. L’industrie drapière, par exemple, étant satisfaite, ses défenseurs voteront probablement pour l’ensemble du projet de loi, et l’industrie linière sera sacrifiée, les verreries seront sacrifiées ; en dernière analyse, chacun ayant obtenu ce qu’il désirait, sauf quelques industries qui seront les victimes nécessaires des autres, la loi sera adoptée. C’est ce que je ne puis pas comprendre, c’est ce que je ne puis pas admettre. Si au commencement j’ai soutenu le système que défendaient alors nos honorables collègues de Verviers, je combats aujourd’hui le système qu’ils appuient maintenant, et c’est toujours le même principe qui me guide. Les avis des chambres de commerce qui ont été consultées m’ont confirmé dans la conviction que la levée de la prohibition est un malheur pour notre industrie ; par conséquent je suis résolu à voter contre l’ensemble du projet et ne plus donner les mains à aucune disposition qui tendrait à favoriser l’une ou l’autre localité particulière.

Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs nous sommes entrés dans un très mauvais système ; la France fait son tarif exclusivement en sa faveur, toutes les dispositions lui en sont favorables ; elle ne s’inquiète nullement de ses voisins, elle ne consulte que ses propres intérêts. Qu’avions-nous à faire dans cette occurrence ? Nous avions à faire aussi un tarif qui fût entièrement en notre faveur ; puis nous aurions pu traiter avec la France ; notre position eût été alors égale à la position de la France ; la France dans son tarif a stipulé pour elle, nous aurions dû stipuler pour nous dans le nôtre, et alors nous aurions pu en venir à des concessions réciproques. Mais ce n’est pas ainsi qu’on a agi : chacun vient ici défendre ses intérêts ; naguère encore on entendait les honorables députés de Tournay parler fortement contre la loi et annoncer qu’ils l’auraient rejetée ; au commencement de la discussion tout le monde paraissait d’accord pour voter contre l’ensemble de la loi dans le cas où justice générale n’aurait pas été rendue, quand même quelques localités spéciales auraient obtenu satisfaction pour leurs intérêts ; c’est là un engagement d’honneur qui, ayant l’intérêt général pour base, ne peut être condamné par personne : je viens aujourd’hui demander l’exécution de cet engagement d’honneur ; si tout le monde n’obtient pas satisfaction, si les verreries, si l’industrie linière sont sacrifiées, un engagement d’honneur exige que nous votions tous contre l’ensemble du projet.

Lorsque j’ai parlé sur la loi des douanes, je n’ai consulté aucune industrie particulière, parce que je suis étranger à toutes les industries ; je n’ai eu en vue que l’intérêt général ; j’ai vu que le système général était mauvais, je l’ai combattu en raison de ce qui avait été dit sur l’industrie drapière. Je me remets aujourd’hui dans cette position, et j’exhorte tous mes collègues qui entendaient précédemment la question comme je l’entendais à bien se rappeler l’engagement d’honneur de ne pas accepter une loi qui est essentiellement mauvaise.

Je voterai donc quant à moi contre l’ensemble de la loi ; j’engage tous mes collègues qui étaient précédemment d’accord avec moi à voter dans le même sens ; j’ai cru devoir vous soumettre ces réflexions, pour que l’on ne s’étonnât pas du vote que j’émettrai en cette circonstance.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je m’abstiendrai de rentrer dans la discussion générale ; je m’abstiendrai également de combattre l’opinion des honorables préopinants qui tend à isoler complétement la Belgique des autres pays sous le rapport commercial. Je rappellerai seulement que dans la question spéciale qui nous occupe, les chambres de commerce de Verviers et de Liège sont certainement des juges compétents ; or, si l’on prend connaissance des droits qui ont été proposés par la chambre de commerce de Verviers ainsi que de celle de Liége, il me semble que l’on doit être convaincu, lorsqu’on les compare avec notre proposition, que l’industrie drapière trouve son apaisement. Dès lors, il me semble inutile d’entrer dans la discussion.

M. Dumortier. - Messieurs, je suis fortement de l’avis de l’honorable M. Verhaegen, et je pense comme lui que si les diverses industries pour lesquelles la loi a été originairement proposée ne reçoivent pas une satisfaction convenable, notre devoir est de voter contre la loi, et c’est ce que je me propose de faire. Mais s’il arrivait que les industries reçussent satisfaction, je ne vois pas pourquoi on repousserait une loi qui accorderait aux industries ce qu’elles demandent.

Maintenant, quant à l’article qui nous occupe et à celui des draps, je pense que nous ne pouvons mieux faire que d’admettre la proposition de la chambre de commerce de Verviers. Mais je dois dire que je regrette d’avoir vu l’honorable M. Demonceau retirer son amendement en ce qui concerne les mérinos.

Vous savez messieurs, qu’il se fabrique peu de mérinos en Belgique ; cette branche peut prendre un immense développement puisqu’il s’introduit de cet article pour des sommes considérables en Belgique.

D’autre part, vous ne pouvez pas méconnaître que la suppression de la prohibition qui a été admise concernant les draps aura pour résultat qu’une partie notable de draps étrangers viendra concourir sur nos marchés contre les draps indigènes, et par conséquent la production indigène se trouvera diminuée d’une somme équivalente à celle de l’introduction des draps étrangers.

Dès lors, il me paraissait qu’on devait offrir à la fabrique de drap de Verviers une compensation de ce qu’elle perd relativement aux mérinos et aux laines. Je regrette pour mon compte que l’argument de M. Demonceau n’ait pas été maintenu, ou tout au moins qu’on n’ait pas adopté la modification qui a été proposée par la chambre de commerce de Verviers, qui me paraît être très raisonnable et devoir être admise en cette circonstance si l’une des honorables députés de Verviers faisait une proposition concernant cet objet, je déclare d’avance que j’y donnerais mon assentiment.

Dans les objets en discussion, je vois aussi figurer l’article fils de laine. Le gouvernement propose un droit d’entrée de 45 fr. par les fils de taille écrus et non teint, par 100 kilog., et un droit de 60 fr. sur les lits de laine tors, dégraissés, blanchis ou teints, par 100 kil. Je me demande si ce droit ne sera pas préjudiciable à certaines industries, car pour beaucoup d’industries le fil de laine est une matière première. Or, dans l’état actuel des choses, une grande partie de ces fils de laine viennent de France en Belgique, et jouissent en entrant de la prime d’exportation que la France donne relativement aux laines ouvrées. Nous pouvons donc produire ces tissus à un prix d’autant plus bas que nous avons cette laine filée à meilleur compte.

Vous le voyez donc, messieurs, l’industrie peut tirer un avantage réel de la prime d’exportation dont il est question ; c’est ce qui a lieu à Tournay. A Tournay les tapis se fabriquent en grande quantité avec de la laine filée en France. Je remarque bien que quant à la fabrication des draps, on propose d’augmenter le droit sur les draps qui viennent de l’Allemagne et de l’Angleterre, mais je ne vois pas que l’on propose une semblable augmentation en ce qui concerne les tapis.

D’un autre côté, je remarque, dans l’avis de la chambre de commerce de Saint-Nicolas, un passage qui me paraît exiger une explication. « Quant aux fils de laine, dit cette chambre, il serait dangereux d’augmenter les droits d’entrée sur celle peignée ; ce serait étouffer le germe de plusieurs industries naissantes où le fil de laine peignée commence à être employé ; le petit nombre des miniatures, d’ailleurs, qui se trouvent dans le pays, ne sauraient faire toutes les différentes qualités. »

Voilà donc une chambre qui déclare qu’augmenter le droit sur le fil de laine peignée, serait étouffer le germe de plusieurs industries naissantes. Si le fil de laine est une matière première, nécessaire à ces industries, je ne pense pas qu’il faille les sacrifier. Je désire avoir une explication sur ce point, car j’avoue que je ne serais pas disposé à voter une augmentation de tarif pour faire plaisir à une industrie quelconque, aux dépens d’une autre industrie.

M. Demonceau. - M. Dumortier me reproche d’avoir retiré mon amendement tendant à établir un droit de 250 fr. pour les tissus de laine. L’honorable membre doit comprendre qu’alors que la chambre de commerce de Verviers, plus compétente que moi en pareille matière, dit qu’elle se contentera d’un droit de 200 fr., je ne dois pas insister pour avoir 250. Cependant, j’aurais voulu ne pas retirer mon amendement, sauf à le voir rejeter, parce que, bien que je ne sois pas industriel, je n’ai pas la conviction que malgré les amendements que l’on a fait subir la loi qui nous occupe, Verviers n’en souffrira pas.

L’honorable M. Dumortier attaque particulièrement mon amendement approuvé par le gouvernement, et qui tend à imposer le fil de laine. Le fil de laine, dit-il, est une matière première ; cependant, avant que la laine soit convertie en fil, elle exige bien plus de manipulation que la conversion du fil en tissu. Sans être industriel, j’ose déclarer que la manipulation pour obtenir le fil est pour ainsi dire quadruple de celle qui est nécessaire pour convertir le fil en tissu.

M. Dumortier a cité aussi l’avis d’une chambre de commerce qui n’est pas d’accord avec le gouvernement, pour imposer le fil de laine. Il est probable que l’honorable membre n’aura pas lu attentivement l’avis de la chambre de commerce de Tournay, qui est sans doute un juge compétent, et qui partage entièrement l’opinion du gouvernement, à savoir qu’il y a lieu d’imposer le fil de laine. Mais je déclare que d’après les renseignements que je me suis procurés, il y a avantage et avantage immense, pour les fabricants, à pouvoir confectionner lui-même le fil.

Voilà les renseignements qui m’ont été donnés ; et en cela je suis parfaitement d’accord avec la chambre de commerce de Tournay.

Je ne continuerai pas la lecture de l’avis de la chambre de commerce de Tournay mais il en résulte que les Français viennent nous vendre ce qui sert pour les tisserands ; mais ils ont l’avantage de choisir la laine et de ne vendre que ce qu’ils savent ne pas convenir à leur fabrication.

L’amendement a pour but de favoriser la filature dans le pays, ce que nous devons désirer, puisque maintenant les négociants de Tournay paient à l’étranger une main-d’œuvre dont les Belges pourraient recevoir le prix aussi bien que les Français. Il y a plus, je pense que les ouvriers établis à Tourcoing sont en général des Belges parce qu’ils ont l’avantage, avec la prime qu’accorde la France, à introduire du fil en Belgique.

Je crois donc qu’on devrait adopter l’amendement, alors surtout qu’il a été admis par la plupart des chambres de commerce, qui ont bien reconnu qu’il ne s’agit point ici d’une matière première, mais d’une matière préparée et qui donnerait lieu à plus de travail dans le pays, si elle arrivait sans aucune préparation.

M. Lardinois. - Lorsqu’on parle d’une matière qu’on ne connaît pas très bien, on s’expose à tomber dans de grandes erreurs ; c’est ce qu’a fait l’honorable M. Dumortier. Ses observations ne me paraissent nullement fondées. Il vous dit : « Après avoir obtenu une protection pour les draps, les industriels de Verviers demandent maintenant un droit protecteur sur les fils de laine qui s’emploient particulièrement dans le district de Tournay et autres districts du Hainaut ; car la fabrication des draps et des tapis de Tournay emploie ces fils provenant de la France. » A cet égard je vous ferai remarquer que pour les draps de Tournay on n’emploie pas une once de fil provenant de l’étranger.

M. Dumortier. - Je n’ai pas parlé de draps.

M. Lardinois. - Vous avez parlé de molletons, ce qui comprend les draps communs. D’ailleurs Tournay fabrique des draps en étoffes communes ; si vous ne le savez pas, je vous l’apprends.

La laine se fabrique de deux manières : il y a le fil de laine cardée qui sert pour la fabrication des draps proprement dits ; il y a ensuite le fil peiné qui sert pour la fabrication du mérinos et autres étoffes sèches.

L’honorable M. Dumortier vous dit qu’il faut favoriser la fabrication des tapis de Tournay en n’imposant pas le fil de laine provenant de France. Mais je ferai remarquer à M. Dumortier que pour la fabrication de Tournay on n’emploie pas une aune de fil provenant de France. On emploie pour cette fabrication des fils de laine cardée qui proviennent en partie de Verviers. Maintenant, pour les étoffes sèches fabriquées à Tournay, on fait venir le fil de laine en Belgique, de France et d’Angleterre. Les chambres de commerce ont demandé sur ce fil un droit de 48 à 64 fr. Cette qualité représenterait un droit de 6 p. c.

Le gouvernement, qui veut toujours diminuer, accorde seulement un droit de 45 et de 60 fr. Eh bien, ce chiffre donne un droit de 5 p. c. Un droit de 5 p. c. pour favoriser une industrie qui n’est pas récente ! Il y a dix ans qu’il y avait à Tournay une filature de laine peignée qui n’a pu se soutenir faute de protection ; il y en a une à Verviers, il y en a 2 ou 3 à Liége ! On vous demande un droit de 5 p. c. contre la France qui prohibe nos produits, contre l’Angleterre qui les frappe d’un droit de 40 p. c. ! D’ailleurs, c’est moins dans l’intérêt de la filature de laine que dans l’intérêt de l’agriculture que le droit est proposé. Nous avons dans le pays des laines longues, mais elles ne sont pas assez lustrées. Il faut des croisements de races. Eh bien, lorsque nous aurons un droit de 5 p. c., nous pourrons payer plus cher la laine au propriétaire, qui sera ainsi encouragé à améliorer ses troupeaux. C’est donc dans l’intérêt de l’agriculture que le droit est demandé.

L’honorable M. Dumortier m’a fait un reproche de ce que je n’ai pas maintenu les tapis dans mon amendement ; mais je lui ferai remarquer que c’est dans l’intérêt de cette industrie, car le droit existant représente un droit plus fort que celui que j’avais proposé, puisque l’article « tapis » se trouvait dans la catégorie des étoffes imposées à 125 fr. les 100 kil.

M. Dumortier. - Je commence par remercier l’honorable M. Lardinois de la bonne opinion qu’il a de moi, lorsqu’il prétend que je connais moins bien ce qui se passe à Tournay que lui, M. Lardinois. Je crois, au reste, que peu de personnes croiront que je ne sais pas mieux que lui ce qui se passe à Tournay. Il me serait facile de le prouver. Je n’aurais qu’à réfuter une à une les erreurs où il est tombé relativement à Tournay. Mais je craindrais d’ennuyer la chambre ; je ne le ferai point. Je me bornerai à déclarer que je ne regarde pas comme la vérité ce que M. Lardinois a dit de Tournay.

Pour ne citer qu’un fait, l’honorable membre a dit qu’il y avait des filatures à Tournay. Il est vrai qu’il y en a une. Cela n’est pas « des » filatures.

Il y avait une filature à Tournay ; mais, comme le dit la chambre de commerce, cette filature a fait faillite. Je ne connais pas la cause de cette faillite. Toujours est-il vrai que cette filature n’existe plus. Ainsi on vous demande une protection pour des fabriques qui n’existent pas.

Maintenant, M. Lardinois vous dit qu’il n’entre pas dans les tapis de Tournay des fils de laine venant de l’étranger. Mais cela est inexact ; il entre dans les tapis de Tournay des fils provenant de l’étranger. Il est donc évident que vous prendriez une mesure contre cette industrie elle-même. La chambre de commerce de Bruxelles fait remarquer que tandis que les tapis sont frappés d’un droit de 37 p. c. en France, de 25 p. c. en Angleterre et de 60 p. c. en Autriche et en Russie, notre industrie, sans débouchés, ayant 4 millions de consommateurs, n’aurait qu’une protection de 10 p. c. réduite à 6 p. c. par la manière dont les déclarations sont faites. Voilà ce que demande la chambre de commerce de Tournay. Pour moi, je ne puis partager cet avis. Ce n’est pas, au reste, la première fois que toutes les industries ne sont pas représentées dans une chambre de commerce. Ces chambres ne comportent pas la représentation de toutes les industries d’une localité ; ce qui le prouve, c’est que cette chambre de commerce ne dit pas un mot de la fabrication des tapis qui est la première industrie de la localité.

M. Lardinois. - L’honorable M. Dumortier raisonne toujours sur une fausse hypothèse. Il ne veut pas se rendre à l’évidence des faits. Je lui ferai observer qu’il ne s’agit pas de draps ; car on demande une augmentation sur le fil de laine peignée ; or, on ne fabrique pas des draps avec des fils de laine peignée.

Je suis surpris que cet honorable membre critique l’avis de la chambre de commerce de Tournay. Moi, j’admire beaucoup l’avis de cette chambre de commerce ; le style et le raisonnement en sont remarquables ; puis on voit que c’est l’œuvre de personnes qui ont une conviction profonde, de négociants qui sont restés sous l’impression des mesures proposées dans le projet primitif du gouvernement, qui menaçait la bonneterie et d’autres industries du pays.

Je répète que l’honorable M. Dumortier raisonne sur un fait qui est faux. Il dit que les fils provenant de France servent à faire des tapis. Dans les fils qui servent à la fabrication des tapis, il n’y a pas une once de fil provenant de France, parce qu’il ne nous arrive pas de l’étranger des fils de laine cardée.

M. Dumortier. - Cela n’est pas exact.

M. Lardinois. - Je vois que l’honorable membre ne sait pas comment on fabrique les tapis de Tournay. Je répète qu’il n’entre pas une once de fil étranger dans la fabrication de ces tapis. Les fils qui servent à la trame et à la chaîne (lorsque la chaîne n’est pas composée de fil écru) sont des fils de laine cardée. L’honorable membre est complétement dans l’erreur lorsqu’il croit que ce sont des fils provenant de France.

J’ai encore fait observer à l’honorable M. Dumortier que si je n’ai pas maintenu les tapis dans mon amendement, c’est que cette industrie est plus favorisée par le tarif actuel qu’elle ne l’aurait été par ma proposition. Du reste, libre à M. Dumortier de faire sienne ma proposition ; mais je pense qu’il ne voudra pas prendre cela sous sa responsabilité.

Quant au droit sur les fils de laine peignée, nous avions demandé qu’il fût de 6 p. c. Le gouvernement a réduit ce droit à 5 p. c. et je me suis rallié à sa proposition. Je vous prie de ne pas perdre de vue que ce droit a pour but de favoriser l’agriculture tout autant que la filature de laine peignée.

L’honorable membre a fait observer qu’il n’y a jamais eu qu’une filature de laine à Tournay et qu’elle est tombée en faillite. Je ne le conteste pas ; mais cette fabrique était considérable. Je ne connais pas les causes de la faillite ; tout ce que je puis dire, c’est qu’il y avait à la tête de cet établissement un homme qu’on disait très capable, et si cet établissement a succombé, c’est en partie au défaut de protection pour les fils de laine qu’il faut l’attribuer. Du reste, il n’est pas ici question d’un droit exagéré qui pourrait atteindre la fabrication de certaines étoffes, puisqu’il ne s’agit que de 5 p. c. Cet objet est si insignifiant qu’on est surpris de rencontrer de l’opposition dans un membre de cette chambre.

M. Gendebien. - On propose un droit de 45 et de 60 fr. les 100 kilog. sur les fils de laine. On nous assure que cela représente un droit de 5 1/2 à 6 p. c. Je ne vois aucune difficulté à l’adoption de ce droit. Mais je demande si le ministre garantit sous sa responsabilité l’exactitude du calcul : il résulte d’une vérification qu’il aurait fait faire, que le droit proposé représente bien un droit de 5 1/2 à 6 p. c.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - J’ai tout lieu de croire que le calcul est exact. Il a été fait par la chambre de commerce qui a toujours montré la plus grande sincérité. Il n’y a donc aucun motif de douter de l’exactitude de ce calcul.

M. Gendebien. - Dans la question des toiles l’opération avait été faite dans la chambre. On avait dit à la chambre que le droit proposé représentant un droit de 7 p. c. ; et l’honorable M. de Langhe a établi ensuite que le droit proposé en représentait un de 35 p. c. Aujourd’hui on s’appuie sur un calcul de la chambre de commerce de Verviers. Je le veux bien. Je n’ai aucun motif de défiance. Je prie même la chambre de se rappeler que j’ai défendu cette chambre de commerce, alors qu’on l’attaquait avec violence. Mais je dis que la chambre ne peut voter sans examen, à moins que le ministre n’engage sa responsabilité en garantissant l’exactitude de ce calcul. A défaut de cette garantie, je ne voterai pas le chiffre proposé.

M. Demonceau. - Lorsque j’ai proposé mon amendement, ce n’a été qu’après avoir consulté un homme dans lequel j’ai la plus grande confiance. Il m’a dit que le droit de 64 fr. représente un droit de 6 p. c.

Je regrette que l’honorable M. Smits soit retenu chez lui par d’aussi tristes motifs. Mais je suis certain que s’il était ici, il affirmerait qu’il résulte des communications qui lui ont été faites officiellement et officieusement que le droit proposé dans mon amendement représente un droit de 6 p. c. Au reste je déclare que je ne demande qu’un droit de 5 p. c. et rien de plus. S’il y a erreur dans le chiffre proposé, je ne demande pas mieux que de la voir rectifier.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je ne fais aucune difficulté à admettre le fait comme vrai, et à prendre la véracité sur moi ; la vérification en aurait dû être faite par le directeur du commerce qu’une circonstance malheureuse a empêché de se rendre à la séance ; je comptais prendre moi-même des renseignements, mais je n’ai pu le faire attendu que j’ai été en conférence jusqu’à l’heure même de l’ouverture de la séance ; il ne m’a pas été possible de prendre connaissance des détails, mais je n’ai aucune doute sur la véracité du fait.

M. Lardinois. - Je ne suis pas surpris de l’observation de l’honorable M. Gendebien, car il faut reconnaître qu’en effet nous avons été mystifiés lorsqu’il s’est agi de la discussion du tarif sur les toiles, puisqu’au lieu de 10 p. c. qu’on voulait, on a eu 20 et 25 p. c. ; j’approuve donc fort l’observation de M. Gendebien, mais je vais donner à l’honorable membre quelques explications qui seront, je pense, de nature à le satisfaire.

On a estimé les fils de laine écrus et non teints à 8 fr. par kilog., et les fils tors, dégraissés, blanchis ou teints à 11 fr. Maintenant remarquez que la laine que l’on emploie généralement pour les filatures est une laine commune de 3 à 4 fr. le kilog. En supputant le déchet, la main-d’œuvre et autres frais vous verrez que vous ne dépasserez pas en moyenne les prix indiqués ; d’ailleurs vous n’avez qu’à consulter les tableaux statistiques qui nous ont été fournis, et vous trouverez par les évaluations à l’article fils de laine que ces chiffres sont aussi exacts que possible, et je vous assure que vous pouvez y avoir confiance.

- Le chiffre de 45 francs par kil. pour les fils de laine écrus et non teints est mis aux voix et adopté.


« Tors, dégraissés, blanchis ou teints, par 100 kil., 60 francs. »

- Adopté.


« Tissus et étoffes de laine qui ne sont pas classés dans une des catégories énoncées ou qui ne sont pas dénommés spécialement dans le tarif, par 100 kil., 180 fr. »

M. Dumortier. - Je demande, messieurs, qu’on ajoute à ce libellé les mots suivants : « ainsi que les tapis ; » si la chambre ne se croyait pas suffisamment éclairée sur la matière pour adopter immédiatement cet amendement, on pourrait remettre le vote de l’article à demain ; dans tous les cas, je pense que les tapis méritent bien autant de protection que les étoffes communes, et que d’ailleurs l’amendement que je propose est littéralement extrait de l’avis de la chambre de commerce de Bruxelles. Si vous frappez les fils de laine d’un droit plus élevé, il faut également frapper les tapis, qui se fabriquent avec ces fils.

- L’amendement de M. Dumortier est appuyé.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, il y a au tarif un article spécial pour les tapis ; je demanderai donc que la proposition de l’honorable M. Dumortier soit distraite de l’article qui nous occupe en ce moment, et qu’on ne s’occupe que demain de cette proposition.

M. Dumortier. - Je me rallie à la proposition de M. le ministre de l'intérieur.

- Le chiffre de 180 fr. est mis aux voix et adopté.


« Coatings, calmoucks, alpaga, duffels, frises, castorines, serges, domets, baies, molletons, kerseys, couvertures et autres tissus de cette nature, par 100 kil, 125 fr. »

- Adopté.


« Droit de sortie pour les tissus, 10 centimes par 100 kil. »

- Adopté.


« Fils de lin »

M. le président. - Nous allons passer à l’article « fils de lin. »

M. Demonceau. - Vous vous rappelez, messieurs, que lors de la première discussion sur cet article, l’honorable M. Rogier a émis une assertion qui avait pour but de retarder la mise à exécution du tarif jusqu’au jour de la levée de la prohibition ; le ministère avait alors appuyé cette idée ; le lendemain, je faisais observer à la chambre et au ministère que je considérais cette réserve comme très fatale à l’industrie ; j’ai toujours la même conviction à cet égard. Et je voudrais que le ministère demeurât libre de promulguer la loi quand il l’entendra, et qu’on ne stipulât rien qui pût retarder la mise en vigueur du tarif ; si vous allez prévenir les négociants étrangers, longtemps d’avance, des changements qui seront introduits dans le tarif à une époque déterminée, les Anglais, les Prussiens pourraient, au moyen du tarif actuel, inonder la Belgique de leurs produits, et alors la crise qu’on craignait il y a quelques mois, et à l’égard de laquelle on n’est pas encore rassuré entièrement, deviendrait inévitable le jour où la prohibition sera levée.

Je crois, messieurs, que je suis entièrement d’accord avec le ministère, car, je me souviens que lors de la discussion, au sénat, du budget des voies et moyens, l’honorable M. d’Huart faisait remarquer à cette assemblée que le produit du droit d’accise sur les vins avait diminué parce que le commerce n’a pas fait de provisions l’année dernière, dans la prévision de l’abaissement du droit dont il était question ; M. d’Huart faisait en même temps observer au sénat qu’il ne faut jamais prévenir longtemps d’avance le commerce des changement qu’on veut introduire dans le système des droits. Je voudrais que l’on appliquât ici ce principe et que la loi pût être obligatoire aussitôt qu’elle aura reçu l’assentiment des deux chambres, et que le gouvernement aura jugé convenable de la promulguer. Cela est indispensable dans l’intérêt de l’agriculture dont je prends la défense.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je pense, messieurs, qu’il n’y a aucune disposition dans la loi qui empêchera de la rendre obligatoire immédiatement après qu’elle aura été promulguée, sauf ce qui concerne la levée de la prohibition des draps ; je crois en outre qu’il est inutile actuellement d’y introduire une telle disposition.

Lorsque la loi a été présentée, il pouvait exister des raisons pour stipuler qu’elle n’aurait été obligatoire dans plusieurs de ses parties qu’à une époque déterminée ; mais ces raisons n’existent plus de même, car il s’est écoulé presque deux ans depuis la présentation du projet ; il nous a été soumis en effet au mois d’avril 1836, et nous voilà bientôt au mois d’avril 1838 ; avant que la loi ait passé au sénat, il ne restera plus que quelques mois avant l’époque de la levée de la prohibition fixée au 1er janvier 1839 ; je ne vois donc nul inconvénient à ce que le nouveau tarif fût rendu obligatoire immédiatement après sa promulgation.

M. le président. - On vient de me faire observer que la commission d’industrie devait présenter son rapport sur la question concernant les fils de lin. Trouve-t-on à propos de ne s’occuper de cet article qu’après la présentation du rapport ? (Oui ! oui !) En ce cas, nous allons passer à l’article « verreries. »

Verreries

« Glaces à miroir : droits d’entrée : 6 p. c. ; droits de sortie : 1/2 p. c. ;

« Verres et cristallerie de toute sorte, taillée ou gravée, par 100 kil. : droits d’entrée : 100 fr. ; droits de sortie : 50 c.

« Verres et cristallerie de toute sorte, unie ou moulée, par 100 kil. : droit d’entrée : 40 fr. ; droits de sortie : 50 c.

« Verres à vitre, par 100 kil. : droit d’entrée : 15 fr. ; droits de sortie : 50 c.

« Cloches à cylindre et bocaux, à la valeur : droits d’entrée : 20 p. c. ; droits de sortie : 1/2 p. c.

« Bouteilles ordinaires, par 100 bouteilles : droits d’entrée : 6 fr. ; droits de sortie : 10 c.

« Bouteilles d’une contenance de 7 litrons et au-dessus, par pièces : droits d’entrée : 60 c. ; droits de sortie : 2 c.

« Fioles d’apothicaire, flocons d’eau de Cologne, et autres de cette espèce, à la valeur : droits d’entrée : 10 p. c. ; droits de sortie : 1,2 p. c.

« Verres cassés ou grésil : droits d’entrée : 10 c. ; prohibé à la sortie. »

M. Desmet. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour proposer à la chambre de remettre à demain la discussion de cet article. Dans le projet de tarification présenté par le gouvernement, il n’y a aucune base ; si l’honorable M. Frison, qui connaît la matière, était en ce moment parmi nous, il pourrait nous donner des renseignements ; mais je crois que l’honorable membre sera de retour demain ; il y a donc lieu à ne pas voter aujourd’hui sur une question qui met en jeu une des industries les plus importantes du district de Charleroy.

Rappelez-vous, messieurs, que la levée de la prohibition a été enlevée pour ainsi dire par surprise. (Dénégations.) Oh ! messieurs, c’est là un fait très exact. N’est-il pas vrai qu’on a conservé la prohibition lors du premier vote, et qu’on espérait que cette prohibition serait maintenue au second vote ? N’est-ce pas même dans cette prévision qu’il n’y a pas eu la moindre discussion ? Je demande donc que la chambre, avant de statuer sur l’article qui nous occupe, laisse au moins s’écouler l’intervalle d’un jour.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, je pense que lors même que le gouvernement se serait borné à déposer les avis des chambres de commerce, vous n’eussiez eu aucun reproche à lui faire, car c’étaient là les seuls renseignements qui lui avaient été demandés. Mais, allant plus loin, le gouvernement, dans le but de faciliter la discussion, a présenté divers amendements, entre autres celui sur les verreries dont nous sommes occupés à présent.

Si le préopinant, qui attaque les chiffres présentés dans le travail du gouvernement, avait pris la peine de lire les avis des chambres de commerce, et surtout des chambres de commerce les plus intéressées, celles qui connaissent le mieux la matière, il aurait vu qu’il n’y avait pas tant à se récrier ; car nous pouvons dire que l’article des verreries a été combiné avec les intéressés eux-mêmes. Différentes propriétaires de verreries ont été entendus au département de l’intérieur, et c’est en suite de ces conférences que les chiffres qui se trouvent dans le travail du gouvernement ont été arrêtés de commun accord ; ainsi je ne comprends pas cette sollicitude prohibitive, alors que les intéressés eux-mêmes sont contents.

Quant à ce qu’a dit le préopinant qu’il y aurait eu surprise dans le second vote relatif aux verreries, je répondrai que tous les membres qui ont pris part à ce vote ont très bien compris la portée de la décision à laquelle ils allaient coopérer ; personne n’a le droit de dire qu’il y a eu subtilité dans le vote dont il s’agit, ni dans aucun vote de la chambre ; les questions sont toujours clairement posées.

M. Desmet. - Je m’étonne fort de ce que vient d’avancer M. le ministre des finances ; il prétend que le projet de tarification que je regarde comme n’ayant aucune base, a été concerté de commun accord avec les parties intéressées. Eh bien, pour mon compte, j’ai appris le contraire ; on m’a dit qu’on a cherché à prouver au gouvernement qu’il y avait impossibilité de former un tarif. On a demandé au ministère de quelle manière on imposerait les demi-cristaux ; ii n’a pas su répondre, et voilà pourquoi cet article n’est pas compris dans le projet. Pour vous prouver que j’ai voulu m’éclairer en me rendant de ma personne dans des établissements, je tiens en main deux objets : or, je défie un membre quelconque de cette chambre de distinguer l’un des deux objets de l’autre ; eh bien, l’un vaut 9 centimes et l’autre 45 fr. la pièce !

J’ai montré tout à l’heure les deux objets à quelques-uns de mes collègues ; quand j’ai demandé lequel des deux valait davantage, ils m’ont indiqué précisément celui qui a le moins de valeur.

Messieurs, on vous dit que le tarif qu’on vous a proposé a été arrêté de concert avec les industriels ; eh bien, qu’on consulte M. Cappellemans, il vous dit en termes positifs que si vous levez la prohibition, la cristallerie est perdue pour le pays, et nous perdrons cette importante branche industrielle qui, la Belgique peut s’en glorifier, a pris naissance chez elle et qu’elle a léguée à la France ; la belle œuvre de M. Artigues sera anéantie pour la Belgique ; et nous verrons ainsi expatrier de chez nous, l’un avant et l’autre après, de nos plus intéressantes branches industrielles et cela grâce à l’opinion systématique qui règne aujourd’hui dans le bureau de commerce du département de l’intérieur.

M. de Brouckere. - Je dois à la bonne foi de déclarer que ce qu’a dit M. d’Huart relativement au tarif des verreries est exact. Ce tarif a été arrêté, après que le gouvernement eut consulté plusieurs personnes intéressés dans les verreries et qui se connaissaient parfaitement en fabrication et verreries et de cristaux ; et parmi ces personnes se trouvent l’honorable M. Frison, dont l’honorable préopinant regrette l’absence. D’après cela, il n’y a pas de motif pour différer le vote de l’article « verreries. »

M. Coghen. - Messieurs, en effet, M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères a assemblé chez lui quelques industriels, pour avoir leur avis sur la tarification des cristaux. Des personnes aptes à pouvoir juger du coup fatal porté à l’industrie, de la levée de la prohibition, ont reconnu que puisqu’il fallait respecter la décision de la chambre, il fallait bien fixer un chiffre, et le fixer de manière à ne pas donner ouverture à la fraude. Les chiffres de 100 fr. et de 40 fr. ont été en effet arrêtés, de commun accord, avec des personnes compétentes. Je crois que les chiffres sont insuffisants ; je crois que puisqu’il faut se soumettre à la volonté de la législature, et puisqu’un vote a prononcé la suppression de la prohibition, il faut tâcher de rendre le mal fait le moins fatal possible à l’industrie. Le chiffre de 100 fr. représente à peu près une protection de 16 p. c. pour les cristaux taillés ou gravés ; mais il n’en est pas de même pour les cristaux unis ou moulés, parce que cet article renferme peut-être 2,000 variétés ; il serait difficile dès lors d’établir une moyenne exacte.

Toutefois en renforçant la loi de quelques dispositions particulières, et puisqu’il faut se soumettre au vote de la chambre, je crois que l’industrie pourra peut-être se défendre contre une concurrence écrasante.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ferai remarquer que le chiffre de 100 fr. est celui qui a été proposé par la chambre de commerce de Charleroy.

M. Desmet a parlé de la difficulté de distinguer les cristaux d’avec les verres dans certaines circonstances. Et bien, c’est pour ce motif que nous avons supprimé la catégorie des verres, et que nous l’avons confondue avec la catégorie des cristaux.

- L’ajournement de l’article « verreries, » proposé par M. Desmet, est mis aux voix et n’est pas adopté.


M. le président met aux voix et la chambre adopte l’article suivant :

« Glaces à miroir : droits d’entrée : 6 p. c. ; droits de sortie : 1/2 p. c.. »


M. le président met en délibération l’article suivant :

« Verres et cristallerie de toute sorte, taillée ou gravée, 100 fr. à l’entrée par 100 kil. »

M. le président. - M. Coghen présente l’amendement suivant :

« Verrerie et cristallerie de toute sorte, taillée, gravée, dorée, colorée ou avec application, etc. »

M. Coghen. - Il y a des cristaux et des verres qui sont unis, qui ne sont pas gravés, ni taillés, mais qui sont dorés, colorés, ou avec application. Ce sont pas exemple les verres auxquels on ajoute un portrait ; verres qui sont fort chers et qui ne paieraient pas 1 p. c. de la valeur, si on leur appliquait le droit de 40 fr. les 100 kil. C’est pour éviter cela que j’ai proposé mon amendement.

- L’amendement de M. Coghen est mis aux voix et adopté.

M. Gendebien. - Je vois que l’on met sur les glaces à miroir un droit de 6 p. c. à l’entrée ; mais ceci est un objet de luxe ; il convient donc de l’imposer davantage, d’autant mieux que la perception de cet impôt serait facile, car la fraude en est impossible.

M. le président. - l’article est voté.

M. Gendebien. - Dans ce cas je me réserve de présenter un amendement au second vote.

M. de Brouckere. - Je ferai remarquer qu’il n’y aura pas de second vote ; par conséquent, si l’on juge à propos d’introduire un changement dans cet article, il faut le faire aujourd’hui. Je ne conçois pas que la chambre fasse la moindre difficulté de revenir sur son vote ; mais je ferai remarquer que les industriels réunis au ministère de l’intérieur ont examiné s’il ne fallait pas porter à un taux plus élevé le droit d’entrée sur les glaces à miroir. Ils ont été unanimement d’avis que si on faisait maintenant dans le pays des glaces à miroir qui pussent soutenir la concurrence avec les glaces françaises, il faudrait élever le droit. Ils ont pensé que du jour où des manufactures de glaces existeraient dans le pays, il serait du devoir du gouvernement de présenter un projet de loi ; mais ils n’ont pas cru qu’il fût nécessaire d’établir dès à présent un droit d’entrée plus élevé sur les glaces à miroir. Voilà ce qui s’est passé au sein de la commission. Je crois que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’adopter le droit proposé, sauf à l’élever lorsque les manufactures de glaces qui sont projetées, seront établies.

M. Gendebien. - La commission qui s’est réunie au ministère de l’intérieur, n’a pas examiné cet article sous le point de vue sous lequel je l’envisage, celui de l’impôt. Par conséquent l’avis de la commission non plus que celui des chambres de commerce ne peuvent être invoqués et contre la proposition que je fais d’élever à 12 p. c. au moins le droit d’entrée sur les glaces à miroir. Cet impôt aura le double avantage de fournir une somme au trésor et d’exciter à la fabrication des glaces. Je fais donc la proposition d’élever à 12 p. c. le droit d’entrée sur les glaces ; je ne pense pas que la chambre veuille m’opposer une fin de non-recevoir.

M. Coghen. - Comme l’a fort bien fait observer l’honorable M. de Brouckere, la commission s’est occupée du droit à établir sur les glaces à miroir. Elle a pensé qu’il convenait d’établir un droit de 6 p. c. à l’entrée seulement jusqu’au moment où il existera dans le pays des manufactures de glaces, ce qui aura lieu, je crois, au commencement de 1839.

Comme impôt sur un objet de luxe, j’approuve la proposition de l’honorable M. Gendebien : mais ce serait un droit à la valeur qu’il faudrait établir ; or, comme il est presque impossible de déterminer d’une manière précise la valeur de ces objets, on devra plus tard, si l’on veut que l’impôt atteigne réellement les glaces, établir un droit basé sur le mètre carré et sur le poids ; car le prix des glaces varie selon leur épaisseur et leur étendue.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il conviendrait de réfléchir au moins jusqu’à la séance de demain sur l’amendement de M. Gendebien. L’honorable membre fait observer qu’il s’agit d’un objet de luxe et qu’on peut d’autant mieux l’imposer qu’il n’y a pas de fraude à craindre. Je ne veux pas soutenir le contraire, mais je ferai remarquer que la plupart des glaces nous viennent d’Allemagne ; que nous avons déjà, dans le projet de loi en discussion, augmenté les droits sur plusieurs provenances de ce pays ; qu’il y a lieu de bien peser s’il convient d’ajouter encore une disposition qui pourrait être considérée comme défavorable à un voisin qui n’a, lui, pris aucune mesure douanière hostile envers nous. La question ainsi envisagée est assez grave pour qu’on y pense jusqu’à demain.

Supposons que l’on importe en Belgique pour 200,000 fr. de glaces à miroir ; l’augmentation proposée de 6 p. c., ce serait 12,000 fr. de plus pour le trésor. Nous n’en deviendrions pas, vous le voyez, beaucoup plus riches.

- La chambre, consultée, prononce l’ajournement du paragraphe « glaces à miroir, » proposée par M. le ministre des finances.

M. Dumortier. - L’heure est avancée, et je suis informé qu’une pétition de fabricants de cristaux, dans laquelle la chambre trouvera d’utiles renseignements, doit être déposée aujourd’hui. Je demande par ces motifs l’ajournement à demain du reste de l’article.

- La chambre, consultée, prononce l’ajournement de l’article « verreries » proposé par M. Dumortier.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il résulte de l’état des importations de tapis qu’il a été introduit en 1835 pour une valeur de 74,657 fr. ; en 1836, 66,401 fr. ; et dans les 9 premiers mois de 1837, 55,376 fr.

Ces renseignements me paraissent utiles pour juger la proposition annoncée par M. Dumortier.

- La séance est levée à 4 heures.