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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 22 décembre 1838

(Moniteur belge du 23 décembre 1838, n°358)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven procède à l’appel nominal à une heure.

M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven donne communication des pièces suivantes adressées à la chambre :

« Le conseil communal de Leewergen (Flandre orientale) demande que les miliciens des classes postérieures à celle de la réserve soient rappelées sous les armes avant de faire marcher cette réserve. »

« Le sieur Jean-François Boeck, ayant perdu la vue au service, demande que sa pension soit portée au taux de la nouvelle loi sur les pensions. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.


Le sénat, par divers messages, informe la chambre de l’adoption des budgets de la justice et de la dette publique et des dotations, de la loi prorogeant celle relative aux concessions de péages, de la loi fixant le contingent de l’armée pour 1839 et de la loi relative à la division des cotes foncières entre les fermiers ou locataires.

Loi qui autorise le gouvernement à accorder un prêt à la banque de Belgique

Dépôt

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, je viens vous soumettre, d’après les ordres du Roi, un projet de loi visant à mettre le gouvernement en position de venir en aide à la Banque de Belgique. La cessation des paiements de cet établissement étant de nature à exercer une influence défavorable sur l’industrie et le commerce, il importe d’atténuer, autant que possible, les effets d’une telle situation, bien que cette banque soit une institution tout à fait privée et qu’elle n’ait aucune espèce de liaison avec le trésor de l’état.

Il serait inutile de rechercher ici les causes de la fâcheuse position dans laquelle s’est placée la banque de Belgique par ses opérations ; cet examen ne saurait remédier au mal, dont il s’agit d’arrêter les progrès. Nous avons pensé aussi qu’il ne serait pas prudent d’entrer ici dans les détails du bilan de la société, attendu qu’un tel examen ne saurait être utilement exposé que dans le sein d’une commission à laquelle vous jugerez sans doute convenable d’envoyer immédiatement le projet avec les pièces dont il sera appuyé, laquelle commission pourra se faire produire tous les documents qu’elle jugera indispensables et entendre les personnes capables de lui donner les explications désirables.

Il nous suffira d’ajouter que, d’après les états et renseignements fournis par la banque de Belgique, les sommes que le projet de loi a pour objet de lui prêter, sont suffisantes pour qu’elle puisse immédiatement reprendre ses paiements, en se soumettant aux conditions que l’article 3 réserve au gouvernement de stipuler.

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir,

« De l’avis de notre conseil des ministres,

« Nous avons chargé notre ministre des finances de présenter, en notre nom, à la chambre des représentants, le projet de loi dont la teneur suit :

« Art. 1er. Il sera ouvert au gouvernement un crédit de deux millions quatre cent mille francs, qui sera employé à faciliter la reprise des paiements de la banque de Belgique.

« Cette somme sera comptée au fur et à mesure des besoins, à titre de prêt audit établissement, soit en bons du trésor, soit en numéraire, moyennant intérêt à 5 p.c.

« Art. 2. Il est également ouvert au gouvernement un crédit de seize cent mille francs, à l’effet de solder, pour compte de la banque de Belgique et moyennant sa garantie, les sommes qui sont dues qui seront réclamées par les personnes qui ont déposé des fonds aux caisses d’épargne instituées par ledit établissement ; ce deuxième prêt sera également productif de 5 p.c. d’intérêts.

« Art. 3. Le gouvernement règlera les conditions propres à assurer le meilleur emploi desdites sommes, et il stipulera le temps et les garanties nécessaires pour leur recouvrement.

« Art. 4. Pour faire face aux crédits susmentionnés, le gouvernement est autorisé à créer des bons du trésor jusqu’à concurrence de la somme de quatre millions, aux conditions déterminées par la loi du 16 février 1833, n°157. »

« Donné à Laeken, le 22 décembre 1838.

« Léopold.

« Par le Roi : le ministre des finances, E. d’Huart. »

M. le président – Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture. Ce projet sera imprimé et distribué.

La chambre veut-elle qu’il soit renvoyé aux sections ou à une commission ?

Quelques voix – Aux sections !

D’autres voix – A une commission !

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Il me paraît indispensable, messieurs, de renvoyer le projet à une commission, car il n’y a guère qu’une commission qui puisse s’occuper de l’examen de tous les éléments d’une semblable proposition ; la prudence même exige qu’on ne laisse pas circuler, dans toutes les sections, les pièces qui seront produites. Tous les membres de l’assemblée pourront, d’ailleurs, en prendre connaissance dans le sein de la commission s’ils le désirent. Quand cette commission sera nommée et constituée, je lui remettrai les différentes pièces qui sont en notre possession, et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour que les documents qui pourraient encore manquer lui soient remis immédiatement.

M. de Jaegher – Nous avons une commission toute formée, c’est la commission permanente des finances. On pourrait lui renvoyer le projet présenté par M. le ministre des finances, si la chambre n’y trouve pas d’objection.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je pense qu’il vaut mieux renvoyer le projet à une commission spéciale. Il peut se faire que tous les membres de la commission des finances ne soient pas présents.

- La chambre décide que le projet sera renvoyé à une commission.

M. le président – M. de Jaegher a demandé que ce fût la commission permanente des finances.

M. de Jaegher – Je retire ma proposition, mais il me semble qu’il faudrait que chacun fût prévenu du jour de la réunion de la commission, pour pouvoir prendre connaissance des pièces, comme l’a dit M. le ministre des finances.

- La chambre décide que ce sera une commission spéciale nommée par le bureau qui sera chargée de l’examen du projet.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je demande que la chambre veuille bien manifester le désir que la commission s’occupe immédiatement du projet qui lui est renvoyé. Cette recommandation toutefois est peut-être inutile, car chacun comprend l’urgence de s’occuper de cette affaire.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1839

Discussion générale

M. de Puydt – La discussion du budget de la guerre présenté cette année un intérêt renouvelé des premiers temps de la révolution belge. Les événements nous mettent en face de mesures d’organisation que l’on a peut-être trop retardées depuis quelques années, et auxquelles il importe de revenir.

J’ai dit, à une autre époque, par quel concours de circonstances ont avait été entraînés à considérer la formation des armées régulières comme inutiles, à cause de quelques succès obtenus contre elles dans des combats de rues, ou sur des troupes démoralisées au milieu d’une population en armes.

J’ai dit aussi, et d’autres avec moi, que les mesures d’économie mal entendues, dans les dépenses de la guerre, pouvaient compromettre l’avenir du pays, et nous avons vu en 1834 un exemple du danger dont notre armée, trop réduire et trop disséminée, avait été un instant menacée. Aujourd’hui, il est donné à tout le monde de comprendre l’utilité absolue de l’armée, la nécessité de compléter son organisation et le besoin de la tenir prête à marcher au premier signal. Messieurs, si je parle d’utilité absolue, c’est que je crois l’existence d’une armée permanente inséparable de notre constitution politique, même en temps de paix, malgré la neutralité fictive dont on a frappé le pays. A plus forte raison, cette armée est-elle indispensable dans les circonstances actuelle, et lorsque tout démontre que le moment est arrivé pour nous de traiter nos affaires nous-mêmes et de prouver que nous sommes dignes de cette liberté que nous avons prétendu conquérir.

Le discours du roi des Français ne m’a nullement surpris et ne modifie en rien mon opinion. Quand je me suis prononcé précédemment pour la résistance au traité des 24 articles, c’était avec la conviction intime que le gouvernement français aurait agi comme on peut le présumer d’après ce discours. Aujourd’hui ma conviction se réalise en un fait patent : la France nous laisse le soin de nous débattre contre la diplomatie : j’accepte volontiers cette position ; je dirai plus, je l’ai toujours souhaitée, parce que j’ai foi dans notre force, dans le succès de nos efforts.

On dira : Vous voulez la guerre avec toutes ses conséquences, dont la moindre est la ruine de notre pays. A cela je réponds : ceux qui ont voulu la révolution et l’indépendance, doivent savoir achever leur œuvre, même au prix de la guerre ; et quant à la ruine du pays, je n’y crois pas.

En 1830, lorsque l’immense majorité des provinces méridionales du royaume des Pays-Bas considérait l’affranchissement de la Belgique et sa séparation de la Hollande comme indispensables à son bien-être, on n’a pas hésité à l’acheter par une révolution. Cependant il y avait aussi à cette époque un commerce plus ou moins prospère que les troubles politiques devaient momentanément bouleverser. Il y avait aussi une industrie en progrès que la révolution devait arrêter dans son essor. Si alors on avait consulté l’industrie seule, si l’on s’était adressé aux intérêts qui vivent de calme et de repos, la révolution ne se serait pas faite : on aurait reculé devant de funestes prédictions, on n’aurait pas voulu pour un résultat incertain courir les risques d’une ruine qui aura été présentée comme certaine. Au lieu d’aller au devant de ces objections inévitables, la révolution s’est accomplie spontanément, la Belgique est sortie nation du chaos, et après deux ans de langueur commerciale on a vu se développer une prospérité industrielle dont il existe peu d’exemples. Ce qui est arrivé alors arriverait encore à présent : nous n’avons demandé conseil à personne avant de nous décider, et nous avons entraîné au contraire, avec nous, dans la voie que nous avons prise, ceux qui nous auraient peut-être arrêtés si nous nous étions montrés irrésolus.

Cela vous prouve, messieurs, qu’il est des circonstances où il ne faut pas délibérer, mais agir ; et si les timides conseils de la peut sont de nature à prévenir ces résolutions spontanées, si fécondes en grands événements, vous voyez combien d’un autre côté les événements improvisés créent d’incidents heureux. En 1830, en proclamant son indépendance, la Belgique a déchiré en ce qui la concerne les traités de 1815, et cependant nulle puissance n’a osé les défendre. Nous avons acquis des alliés, nous nous sommes attiré la sympathie des peuples ; nous avons fondé des institutions sages, et nous avons marché à la tête du continent dans la voie des progrès moraux et industriels. Nous n’avons pas craint la guerre quand nous étions faibles, quand nous n’existions pour ainsi dire qu’en projet ; pourquoi la craindrions-nous maintenant après tant de faits accomplis ?

Si les puissances n’ont pas osé faire la guerre en 1830 pour rétablir ce qu’elles avaient fondé, alors que notre désorganisation rendait cette réaction si facile et quand nous n’avions donné au monde aucun garantie de stabilité, pourquoi viendraient-elles tardivement détruire ce que nous avons édifié avec tant de bonheur, aujourd’hui que nous possédons une armée prête à combattre pour défendre une nationalité reconnue ?

Cependant, messieurs, si telle est la supposition la plus rationnelle sur la marche de nos débats politiques, pourquoi nous menace-t-on ? Pourquoi le gouvernement français lui-même semble-t-il nous abandonner ? C’est que l’on a compté sur notre docilité ; c’est qu’on cru pouvoir sans risque exiger de nous des sacrifices au profit de notre adversaire, dont l’attitude et les armements en ont constamment imposé à l’Europe depuis 8 ans.

Remarquez-le bien, le nœud de cette longue et pénible question, c’est l’armée hollandaise. C’est elle qui, depuis 1830, tient tout en suspens et prolonge l’anxiété des peuples. Par son expédition du mois d’août 1831, elle a donné l’exemple de ce que peuvent l’audace et le courage, elle a créé un incident heureux, dont le traité du 15 novembre a été la conséquence. Par son attitude menaçante, depuis cette époque, elle démontre ce qu’on doit attendre de la persévérance.

Notre conduite, à nous, est désormais tracée par ces faits mêmes. Nous devons imiter la Hollande si nous voulons sortit vainqueurs de la lutte. Donnons aussi à notre armée une attitude menaçante, non pour envahir et faire des conquêtes, mais pour conserver et défendre ce que nous possédons. Pesons à notre tour dans la balance des délibérations de la conférence et des cabinets étrangers. Que l’armée belge neutralise l’effet qu’a produit trop longtemps l’armée hollandaise, et vous verrez changer le langage de ceux qui se constituent nos arbitres d’une façon jusqu’à présent si partiale.

Dans ma manière de voir, tout cela devient une question militaire, parce que la peur de la guerre est l’élément dominant dans la politique du jour.

Le roi Guillaume l’a senti dès le premier instant, il a exploité cette peur. Il a fondé sur elle toutes ses espérances d’avenir. Si nous avions voulu adopter cette tactique il y a sept mois quand le gouvernement hollandais se décida à accepter les 21 articles ; si nous avions préparé alors les armements que nous déployons aujourd’hui, nous n’en serions pas où nous en sommes. La conférence aurait été placée sous l’influence de notre attitude du moment et de ce que nous aurions pu vouloir avec l’appui d’une armée sur pied de guerre ; tandis que, par notre insouciante inaction, nous lui avons donné le droit de croire que nous ne voulions et ne pouvions rien.

Ce n’est pas la première fois, et ce ne sera pas la dernière, que la marche méticuleuse de la diplomatie aura été fatale à ceux qu’une confiance trop aveugle dans leur bon droit aura laissé désarmés vis-à-vis d’adversaires prêts à abuser de la force.

Il ne faut pas, puisqu’il en est temps encore, que la leçon soit perdue. Le peuple a fait la révolution d’où la Belgique est sortie, l’armée doit la consolider et faire respecter cette Belgique.

Faisons l’armée forte par le nombre et surtout par l’organisation par le commandement et par le perfectionnement des armes spéciales.

Ne perdons pas de vue ce précepte d’un homme célèbre de l’antiquité, philosophe et guerrier tout à la fois : « Que l’art de la guerre est l’art de conserver la liberté. » Si une armée nombreuse est un puissant levier en politique, une armée bien organisée l’emporte sur toute autre à forces égales. C’est donc une armée bien organisée que la chambre doit vouloir.

Les prévisions du budget et des annexes présentés depuis par le ministre de la guerre tendant à ce but ; savoir :

Compléter autant que possible les cadres de l’infanterie pour arriver au plus grand effectif de cette armée ;

Donner à l’artillerie et au génie la force, la mobilité et prépondérance qui leur appartiennent et qui sont nécessaires pour opérer efficacement en cas de guerre ;

Porter au maximum les remontes de la cavalerie et des attelages ;

Reconstituer le service de santé en le relevant de position d’infériorité où il est malheureusement resté trop longtemps

Mettre le matériel et les différents services accessoires en rapport avec les corps combattants de l’armée.

La chambre a une tâche éminemment patriotique à remplir, et comme la chambre veut le but, je ne doute pas qu’elle n’accorde les moyens.

Je me propose d’appuyer particulièrement chacun des articles importants du budget, à mesure qu’ils seront mis en disvussion ; je bornerai par conséquent ici mes observations générales sur l’ensemble de notre position.

L’armée attend avec calme, avec courage, je dirai même avec une sorte d’impatience, que l’occasion lui soit donnée de prouver son dévouement et son utilité. Le désir de venger la défaite du mois d’août 1831 est peut-être pour quelque chose dans cette ardeur ; mais le principal stimulant qui la guide, c’est l’amour de la patrie et la conviction où elle est qu’à elle appartient aujourd’hui la tâche de consolider, de la façon la plus prompte, notre constitution politique.

Si nous méconnaissons cette vérité, si nous cédions à la menace, sans résistance et sans combat, nous descendrions au dernier rang des peuples avilis. Mieux vaut disparaître à toujours du tableau des nations.

M. Desmet – Je vois dans les journaux, et surtout dans les journaux de France, qu’une décision doit avoir été prise par la conférence et que c’est le moment d’interpeller le ministère ; cependant, je ne le ferai pas, parce que j’ai une grande confiance dans le cabinet. Je ne doute nullement qu’il défende la cause du pays, quand le moment viendra de faire cause commune avec le pays pour résister à nos ennemis.

S’il y a une décision, si elle est signifiée, si elle est sérieuse, je n’en sais rien. Peut-être la conférence a-t-elle voulu seulement nous sonder ? c’est ce que je crois. Mais encore une fois je n’ai aucune crainte sur la conduite du cabinet. Le moment viendra où vous recevrez les huissiers pour vous exécuter ; c’est alors qu’on prendra des mesures pour résister. Mais j’ai confiance dans le cabinet ; nous savons qu’il a voté l’adresse, la chambre a été témoin des paroles sorties de la bouche du digne chef de l’état ; il est certain que le pays les a épousées, s’en est rendu solidaire.

Messieurs, cette même volonté de résister qui est dans le cabinet j’espère qu’elle sera insinuée aux ambassadeurs près des cours de France et d’Angleterre, pour que notre cause soit défendue comme le désire la chambre, comme le désire le pays.

Messieurs, nous pouvons très bien défendre notre cause ; elle est juste et sacrée. Ce serait un déshonneur pour nous de ne pas la défendre.

Messieurs, si la décision existe, c’est une injustice, une iniquité envers la Belgique.

Je vous le demande, quel motif a-t-on pour traiter comme cela cette Belgique qui n’a voulu que la paix ? Cette décision serait tout à fait en notre défaveur. Mais quand on viendra l’exécuter, je donnerai tout ce qu’on demandera pour résister.

Dans la section à laquelle j’appartenais, on a insisté pour faire organiser quelques bataillons du premier ban de la garde civique. Ce sera pour l’armée un appui utile et qui coûtera peu de choses. Nous avons vu quels services a rendus la garde civique mobilisée.

J’insiste pour qu’on l’organise dans tout le pays ; l’armement existe, il coûtera peu pour la réunir. On s’étonne partout que cette organisation ne soit pas encore faite. Quel reproche pourrait-on nous adresser parce que nous mettons notre armée sur le pied de guerre. Que nous voulons faire de grands sacrifices pour un danger incertain ? la réponse est facile : N’est-ce donc rien que de voir qu’on veut nous enlever quatre cent mille âmes ?

Est-il un seul Belge qui ne voudrait pas contribuer pour empêcher que ces 400,000 âmes soient abandonnées à la vengeance des Nassau ? Je ne puis concevoir un pareil doute.

Accusera-t-on la Belgique d’être la cause d’une conflagration générale ? Et après cela, la menacera-t-on de devenir une province de France ? Pour moi, je n’ai aucune inquiétude à cet égard. Je crains encore moins ce résultat que la guerre générale ? Est-ce notre faute si une guerre générale s’allume ? Non, ce sera la faute des puissances qui veulent déchirer notre petite Belgique et la vendre à des personnes à quoi elles n’appartiennent pas. Nous avons prouvé depuis la révolution que toujours nous voulions la paix : vous l’avez prouvé par votre adresse, vous avez déclaré que vous vouliez payer plus que vous ne devez, pour racheter vos frères.

Vous ne devez avoir aucune inquiétude, n ne vous fera pas ce reproche.

D’ailleurs, elle est impossible cette guerre : si un gouvernement, notre ami, ne le veut pas, elle n’aura pas lieu. Je crois que c’est l’intérêt de ce gouvernement de nous soutenir, car une restauration en Belgique serait le commencement d’une restauration française.

Nous avons vu avec chagrin dans le discours du roi des français que, pour conserver la paix, on allait sacrifier une partie de cette Belgique ; mais alors ce sera « pax tumuli », la paix du tombeau. Plus on cèdera, plus on exigera, et on finira par détruire le principe de la révolution. Voilà comment j’entends la question.

Mais j’espère que notre cause sera bien défendue, car c’est aussi celle de la révolution de juillet. D’ailleurs, je l’ai déjà dit, j’ai confiance dans le cabinet, et je ne puis douter qu’il ait toujours devant les yeux que si la Belgique abandonne ses droits et ses enfants, elle sera déshonorée, et la risée du monde entier, et que c’est alors que le moment approchera, qu’on pourra commencer à douter qu’elle ne conserve sa neutralité et son nom !

M. Simons – Faut-il de nouveau courber docilement la tête sous le joug que le bon plaisir de la conférence paraît vouloir nous imposer ? L’honneur belge permet-il, même en 1838, de se soumettre honteusement à un démembrement de son territoire ? En un mot, pouvons-nous, sans coup férir, abandonner lâchement trois ou quatre mille de nos frères, et les livrer entre les mains de celui dont nous avons brisé le sceptre de fer qui pesait de tout son poids sur nous ? Voilà la question que se sont posée vos sections à l’occasion de l’examen du budget de la guerre, et que toutes ont rendue négativement avec ce patriotisme qui anime la représentation nationale.

Ce sont aussi ces sentiments qui ont dominé tout le travail de votre section centrale. Elle vous propose à l’unanimité des voix, non seulement l’adoption de tous les crédits pétitionnés par le département de la guerre, mais pour convier le gouvernement à ne négliger aucun moyen propre à opposer la force à la force en cas de besoin, pour lui donner une preuve qu’aucun sacrifice ne coûtera à la Belgique régénérée pour maintenir l’intégrité de son territoire, votre section a même dépassé en plusieurs articles les chiffres du gouvernement.

En présence de ce parfait accord entre le gouvernement et la chambre, en présence de l’enthousiasme général dont les populations de toutes les localités sont animées, en présence de l’élan patriotique avec lequel notre jeunesse répond à l’appel de l’honneur, est-il encore besoin d’élever la voix dans cette enceinte pour soutenir un système que, après mûr examen, la législature, de commun accord avec le gouvernement, a franchement adopté comme le programme invariable de la conduite politique ?

Pour mon compte, je ne le pense pas. Non, après le manifeste qu’elle a notifié à toutes les puissances, par son adresse en réponse au discours du trône ; après la volonté ferme et inébranlable qu’elle a exprimée à la face de l’Europe, de ne jamais consentir à un lâche abandon d’une partie de son territoire, la chambre ne peut reculer devant les conséquences de cette manifestation, quelle qu’elle puisse être, sans se déshonorer elle-même, sans flétrir à jamais le nom du peuple belge, dont elle est la sauvegarde naturelle.

Aussi, messieurs, mon intention n’était pas de prendre la parole dans cette discussion ; mais comme j’ai remarqué que, depuis quelques jours, l’on commence à faire usage de la même tactique qui a ébranlé la majorité de la chambre en 1831, et qui l’a déterminée à accepter alors le traite le plus honteusement inhumain auquel jamais une nation ait consenti à souscrire, je croirais forfaire à l’honneur et renier le mandat honorable dont la confiance de mes concitoyens m’a honoré, si je n’élevais ma faible voix dans cette enceinte pour prémunir mes honorables collègues contre les pièges que de faux patriotes, des âmes viles, des traîtres ennemis de notre nationalité, cherchent à tendre à la bonne foi, pour arracher derechef à la peur un fatal « oui », que l’honneur, la conscience de ses devoirs et le serment que nous avons prêté avant de prendre place dans cette enceinte, nous défendent de prononcer, sous peine de nous déclarer nous-mêmes parjures et traîtres à la patrie, sous peine de porter nous-mêmes le coup le plus fatal à la nationalité belge et de rendre notre existence politique désormais impossible.

Oui, messieurs, il y a des êtres méprisables, indignes du nom belge, qui ne rougissent pas de tenir un langage qui doit soulever d’indignation tout homme qui a quelque sentiment de nationalité et d’honneur.

« Que nous importe, diront-ils, le petit bout de territoire que la diplomatie nous dispute ! »

« La Belgique peut très bien subsister sans ce lambeau peu important sous le rapport commercial. »

D’autres, renchérissant sur ce langage infâme, déversent à pleines mains la calomnie sur l’honneur des populations qu’ils veulent sacrifier à leur égoïsme : « la majeure partie des Limbourgeois et Luxembourgeois menacés de l’abandon ne demandent pas mieux, disent-ils, que de retourner sous le sceptre de leur ancien maître. On aurait de la peine à y créer un seul corps franc et à y recruter quelques volontaires. »

Enfin, pour donner du poids à ces arguments, qu’il me répugne de qualifier, et leur faire produire l’effet qu’ils en attendent, ils ajoutent, comme considération irrésistible, qu’en tout cas ce territoire ne peut pas être mis en balance avec notre nationalité, notre indépendance, qui, par suite d’une résistance aveugle de notre part à la volonté de la conférence, sera de nouveau mise en question.

Bien que je n’aie aucun espoir de faire revenir à de meilleurs dispositions les ennemis du pays qui se permettent un langage aussi récoltant ; bien que j’aie toute confiance dans le patriotisme reconnu de cette assemblée qui saura en faire justice, sans qu’il soit besoin de les réfuter, cependant, comme j’ai la parole, je m’abaisserai à y répondre en peu de mots.

Non, moralement et politiquement la Belgique ne pourra plus soutenir sa nationalité du moment qu’elle aura repoussé de son sein une partie de ses concitoyens. Il en est des nations comme des individus. Un homme flétri dans l’opinion publique, déshonoré par son propre fait, est repoussé indignement de la société de ses semblables. De même une nation qui aura plongé elle-même le poignard dans le cœur de 4 cent mille de ses concitoyens, et les aura voués inhumainement à une mort morale, en les livrant en holocauste à celui dont il ont secoué le joug, est indigne de figurer dans les rang des nations policées. Son nom restera éternellement en exécration, et à la première occasion favorable il sera ignominieusement effacé de la liste de la famille européenne.

Oui, messieurs, pensez-y sérieusement, en donnant notre assentiment sans contrainte au morcellement de notre territoire, nous déchirons nous-mêmes notre pacte fondamentale, nous sapons de gaîté de cœur la base de notre nationalité ; et notre indépendance, si glorieusement conquise au prix du sang le plus pur, ébréchée par un suicide politique, ne peut manquer d’être sacrifiée tôt au tard à l’esprit envahisseur de nos voisins.

Quant à l’attaque déloyale dirigée contre le patriotisme des habitants du territoire cédé, je répondrai à ces viles calomniateurs par des faits.

Vous vous rappelez que, lors de l’organisation communale et provinciale, on a exigé de tous les fonctionnaires de l’ordre administratif le serment d’exclusion à perpétuité de la dynastie des Nassau.

Eh bien, pour vous prouver combien ces populations sont cordialement attachés à nos institutions, combien elles détestent sincèrement le règne de leur ancien maître, il suffira sans doute de vous dire que des treize à quatorze cents conseillers municipaux et provinciaux qui forment sans doute l’élite de la population, il n’y en a pas eu un seul (non, je me trompe), il n’y a eu qu’un seul bourgmestre qui, par attachement au drapeau d’Orange, a refusé de prêter ce serment.

Menacés qu’ils sont d’une restauration, il faut un patriotisme à toute épreuve pour oser affronter les conséquences terribles d’un acte aussi significatif d’attachement aux institutions qui nous régissent. Il est douteux qu’au cœur de la Belgique, si belle, si prospère, l’on rencontre des sentiments patriotiques aussi purs, aussi sincères !

Il sera sans doute inutile de vous parler des nombreuses pétitions qui vous ont été adressées de ces localités. Le rapport qui vous a été présenté à ce sujet par notre honorable collègue M. Doignon, quelques jours avant notre séparation, est encore présent à vos esprits et me dispense de vous les signaler, pour donner un démenti aux bruits calomnieux qu’on se plait à répandre dans le public sur le comptes des habitants des deux provinces menacées. Cependant, je ne puis me dispenser de vous citer encore un fait en réponse à l’insinuation perfide qui tend à faire accroire que, dans ces localités, on aurait de la peine à organiser quelques volontaires.

Je mets en fait que la ville de Maestricht seule compte plus de trois cents officiers de tous grades dans les rangs de notre belle armée, et que tous sont prêts à verser la dernière goutte de leur sang pour défendre leurs foyers menacés. L’honorable ministre de la guerre, ici présent, confirmera, je n’en doute nullement, le fait dont il s’agit. Il parle plus haut que tout ce que je pourrais vous dire à cet égard. Peu de villes en Belgique peuvent se glorifier de fournir un contingent aussi notable à notre belle armée !!!

J’aurais encore beaucoup d’autres considérations d’ordre bien supérieur à faire valoir pour prouver que la Belgique ne peut plus reculer devant la position qu’elle a prise ; que pour elle il n’y a pas de milieu ; ou elle doit se faire arracher par la force une partie d’elle-même, et défendre à outrance l’intégrité de son territoire, ou bien elle doit renoncer à sa nationalité, à son indépendance.

Je me réserve de traiter ce point dans un autre moment. Il me suffit pour le présent d’avoir lavé mes compatriotes de la calomnie la plus infâme que la malveillance tente à déverser sur ces malheureux.

Je me résume en deux mots : il ne s’agit pas seulement d’une faible portion de notre territoire, ce n’est là qu’une question secondaire ; il s’agit de la base fondamentale de notre existence politique, il s’agit de notre honneur national, il s’agit de votre indépendance. Pour maintenir ce bien précieux intact, je ne reculerai devant aucun sacrifice et je voterai pur tous les fonds que le gouvernement demandera pour nous préserver du plus grand malheur qui nous puisse jamais arriver : notre démembrement.

M. d’Hoffschmidt – Messieurs, le vote du budget de la guerre n’est pas douteux ; je suis certain qu’il sera voté à l’unanimité ou à très peut de voix près, car quels seraient les hommes qui voudraient refuser les fonds nécessaires au ministre qui est chargé de la défense du pays ? Un seul regret sera exprimé, c’est celui que les crédits demandés ne soient pas plus élevés. Le gouvernement devrait cependant assez compter sur le patriotisme et le dévouement des chambres pour leur proposer des mesures plus efficaces.

En présence des événements graves qui s’agitent et qui sont de nature à ébranler de fond en comble la nationalité belge, devons-nous nous borner encore à émettre des votes affirmatifs pour appuyer le gouvernement dans la crise où se trouve le pays ?

Je ne le pense pas, messieurs, nous devons de nouveau l’appuyer explicitement et le maintenir dans le système, ou plutôt dans la marche politique qui lui a été nettement tracée.

En effet, les chambres à l’unanimité, le pays entier ont dit au Roi et aux ministres :

Défendez notre territoire, défendez l’honneur national ; pour cette cause sacrée le pays est prêt à faire tous les sacrifices que vous croirez nécessaires.

En présence de manifestations si unanimes, le Roi est venu vous dire dans cette enceinte : « Mon gouvernement défendra les droits du pays avec courage. » Ce courage, messieurs les ministres, il est temps de se préparer à le traduire en coups de fusil. Le temps de la diplomatie a été assez long ; ce règne est fini, c’est celui des armes qu’on doit y substituer, pour justifier votre langage et l’attitude qu’a prise la nation.

En effet, depuis le discours du trône, qu’est-il arrivé ? Un 97e ou 99e protocole a été enfanté, par la conférence de Londres. Tout le monde le connaît. Le ministre des affaires étrangères seul paraît l’ignorer. Que demande ce protocole ? le démembrement de la Belgique.

La France et l’Angleterre, ou plutôt les cabinets français et anglais nous ont abandonnés ! Ce n’est pas là, messieurs, ce que nous étions en droit d’attendre de ces alliés !

En présence de tels faits j’ai le droit de dire, comme je viens de le faire, que le règne de la diplomatie est fini.

Même avec la France et l’Angleterre, le gouvernement doit prendre un autre langage. Je conçois que jusqu’à présent il ait eu quelque déférence pour les gouvernements de ces deux pays qui, d’après l’attente générale, devaient nous être d’un si grand secours. Maintenant qu’ils ont consenti à notre humiliation, le gouvernement ne doit plus avoir de relations avec eux que pour leur déclarer que puisqu’eux, gouvernements, nous abandonnent, c’est aux peuples que nous en appelons.

Le temps est venu, messieurs, de faire cet appel aux peuples. C’est à eux seuls que nous devons recourir ; c’est sur eux que nous devons compter. Ces peuples comprennent que la cause que nous défendons est la leur aussi bien que la nôtre, et leur secours ne nous manquera pas.

Que notre gouvernement dise donc au cabinet du roi Louis-Philippe lui-même qu’après sa conduite pusillanime il n’a plus aucune déférence à attendre de nous. Il est temps que nous ne soyons plus traînés à la remorque de ces gouvernements qui se laissent humilier eux-mêmes.

Je viens de dire que nous en appellerions aux peuples, que nous pouvons compter sur leur sympathie. En effet, la France, cette nation si généreuse et si brave, ne laissera pas humilier à ses portes une nation qui n’a jamais cessé de lui tendre une main amie.

Pour moi, je suis convaincu que la nation française volera à notre secours. Déjà tous les départements du Nord sont en émoi. Leurs sympathies pour nous sont telles que leur gouvernement, quelle que soit sa puissance, tenterait vainement d’arrêter leur élan en notre faveur. Au premier coup de fusil tiré par les prussiens dans le Luxembourg, vous verriez ce peuple généreux courir à notre défense ; le gouvernement français sera débordé quoi qu’il fasse, mais c’est à nous à donner l’exemple du courage. Les lâches ne trouvent pas de sympathie, et ils n’ont pas droit d’en attendre.

Commençons donc par nous tenir prêts à combattre ? Que le gouvernement, qui s’est chargé de la défense du pays, soit à la hauteur de sa mission. Sa tâche est belle, sa tâche est noble. Qu’il s’en montre digne. Pour moi j’ai la confiance qu’il fera son devoir ; car il y a dans le ministère des hommes dont la conduite passée est un garant pour l’avenir ; ils ne reculent pas devant des difficultés qu’il leur est réservé de vaincre pour l’honneur du pays et le leur.

L’armée montre aussi dans ce moment un zèle digne d’éloge, et dont je félicite bien sincèrement le ministre de la guerre. La classe de 1837 vient d’être appelée. Eh bien, tous les miliciens ont rejoint. Jamais cela ne s’était vu. Dans les temps calmes il faut quelquefois des gendarmes pour ramener les permissionnaires dans nos garnisons. Aujourd’hui ils se sont tous rendus sous les drapeaux avec enthousiasme et en chantant la Brabançonne. Ils demandent à marcher. Les officiers disent que si on ne les fait pas marcher maintenant, il faut supprimer l’armée. Ils demandent avec instance qu’on les mette à même de servir utilement leur pays.

Qu’on ne tarde donc pas davantage à prendre l’attitude qui nous convient, et attendons de pied ferme les ennemis des nations qui défendent leur liberté.

Quand je vois cet enthousiasme général de l’armée et de tout le pays, il m’est impossible de croire que l’honneur national et nos populations menacées ne soient pas sauvés.

Ce ne sont pas (comme l’a dit l’honorable M. Simons) quelques hommes indignes du nom belge qui ne voient que leur porte-feuille, et qui sont prêts à vendre leurs concitoyens, qui changeront la disposition générale de la Belgique entière. Non, jamais la Belgique ne reculera devant des menaces telles que celles de la conférence. On a beaucoup parlé de lâcheté. Mais vraiment il faudrait pour cela que cette lâcheté fût du plus bas étage ! En effet, où sont les armées qui nous menacent ? Où sont les canons braqués contre nous ? la mèche qui doit les allumer n’est pas prête encore. Faisons bonne contenance, et on verra de quel côté est la crainte : les armées du Nord, messieurs, sont composées d’hommes qui commencent à distinguer entre la cause des peuples et la cause des souverains, et qui sentent qu’eux aussi ils auront besoin de la sympathie des nations.

Enfin, messieurs, nous avons à opter entre la gloire et l’infamie ! la nation a opté pour la gloire ; elle a laissé la honte pour ceux qui veulent commettre un acte unique dans les fastes de l’histoire. Le gouvernement, je n’en doute pas, suivra cette impulsion. En effet, comment supposer le contraire, tandis qu’il est évident que si le gouvernement n’usait pas de tous les moyens qu’il a pour défendre le pays, adieu la royauté belge. Sa popularité serait à jamais perdue, et il ne resterait à la nation qu’à courber la tête sous le joug, et à nos hommes d’état qu’à cacher leur honte le reste de leurs jours.

Je n’en dirai pas davantage aujourd’hui pour ne pas arrêter le vote du budget de la guerre, que je voterais dans les circonstances actuelles, fût-il double de ce qu’il est. (Marques d’approbation.)

M. Brabant – Quelque élevées que soient les dépenses du budget de la guerre pour l’exercice 1839, je considère ces sacrifies comme légers en comparaison des droits sacrés pour la défense desquels ces sommes vous sont demandées.

Le gouvernement demande près de 50 millions. Mais quand je vois l’emploi de ces 50 millions, le peu de troupes, l’insuffisance des troupes qu’ils sont destinés à solder, je regrette qu’il n’ait pas demandé davantage. Le budget primitif ne porte qu’un effectif de 48,924 hommes. Les amendements déposés à la section centrale par M. le ministre de la guerre ont porté cet effectif à 52,000 hommes environ. Sans doute le gouvernement doit connaître mieux que nous ce qui est nécessaire pour la défense du pays. Le discours du trône nous a annoncé que nos forces seront toujours en proportion de celles que tient la Hollande. Mais sommes-nous bien sûrs de ne pas être trompés sur la Hollande ? Ces renseignements ne nous arrivent que par des gens en qui on ne peut guère avoir de confiance ; et nous ne savons pas si ces renseignements ne sont pas connus de nos ennemis, qui les arrêteraient au moment où il serait le plus nécessaire de les recevoir.

J’ai à regretter qu’on ne soit pas en état de compléter immédiatement les cadres qui seraient nécessaires pour recevoir le contingent de 110,000 hommes que vous avez voté. M. le ministre de la guerre, dans les explications qu’il a données à l’appui de ses suppléments de crédit, a reconnu que ce ne serait qu’avec du temps et certaines difficultés qu’on parviendrait à organiser les cadres de la réserve. Il est, je pense, un moyen (j’appelle là-dessus l’attention de M. le ministre de la guerre) de terminer cette difficulté ou du moins de la réduire. Ce serait, au lieu d’avoir 25 bataillons qui composent les 9 régiments de réserve, de réduire ces cadres, et d’après l’effectif de la réserve 18 bataillons suffiraient. J’appelle là-dessus l’attention de M. le ministre de la guerre. Je sais qu’on ne peut pas faire de l’organisation dans cette enceinte. Je n’ai pas la prétention d’en faire. Je le prie seulement de vouloir bien examiner cela avec attention.

Messieurs, je dois à la chambre une explication sur une accusation grave qui a été portée contre moi. (Mouvement d’attention.) Je la ferai très courte, et avec toute la réserve que les circonstances me prescrivent.

J’ai été calomnié. On m’a accusé d’avoir sciemment et systématiquement compromis les mœurs et la santé du soldat. Cette accusation n’aurait jamais trouvé créance chez les gens raisonnables et impartiaux, si l’on n’avait tronqué des lettres, supprimé des signatures, et tronqué un procès-verbal du conseil dont j’étais alors le chef. Jamais le logement des troupes n’avait été dans mes attributions (ce n’est qu’accidentellement que je m’en suis occupé.) Je vous donne ma parole d’honneur que cet abus, je l’ai fait cesser aussitôt que j’en ai eu connaissance, quelque inconvenante que fût la lettre qui me dénonça le fait, pendant que j’étais ici à Bruxelles.

Maintenant, je ne rechercherai pas par la faute de qui cet abus s’est prolongé ; je laisserai cela dans l’oubli.

J’espère que mes collègues me connaissent aussi pour ne pas croire à cette accusation. L’estime de la chambre me justifiera aux yeux du pays.

De toutes parts – Oui ! oui !

M. Pollénus – En présence des événements qui nous occupent en ce moment, je sais que ce n’est pas par de longs discours qu’il convient de répondre aux calomnies publiées par des journaux, organes d’un gouvernement voisin, ni à ceux qui nous taxent de faire une vaine parade de patriotisme. C’est par des faits que je répondrai aux uns et aux autres.

Je déclare , ainsi que les orateurs qui m’ont précédé, que je suis prêt à voter les fonds que demande le gouvernement, et tous autres fonds qui pourraient encore être trouvés nécessaires pour organiser de la manière la plus complète la défense du pays. Si j’ai un regret, c’est de ne pouvoir me rassurer entièrement qu’au moyen des sommes proposées il sera possible de parer aux éventualités dont nous paraissons menacés de la part de la Hollande et de la part de la confédération germanique.

Du reste, messieurs, ce n’est pas à nous à vouloir faire de l’administration ; le but que nous voulons atteindre, nous l’avons indiqué ; les moyens que réclamera le gouvernement, nous les lui accorderons ; c’est aujourd’hui au gouvernement à user de ces moyens, à lui de répondre de l’intégrité du territoire. Sa responsabilité doit rester entière, son action libre.

Ainsi qu’on vous l’a dit, messieurs, des journaux qui sont connus pour les organes d’un gouvernement voisin ont déclaré récemment que, dans le Limbourg et dans le Luxembourg, on trouverait à peine trois personnes désintéressées qui résistent à rentrer sous la domination hollandaise. L’honorable M. Simons vous a déjà articulé quelques faits qui répondent à ces assertions aussi mensongères que perfides ; à ces faits, j’en ajouterai un autre :

Lorsque par l’adresse du mois d’avril, nous avons déclaré que nous considérions le traité des 24 articles comme ne pouvant plus lier la Belgique, et que nous en appelons à l’énergie du gouvernement, pour protester contre l’exécution de ce traité, vous le savez, le Limbourg a ratifié cette manifestation de la manière la plus solennelle, le drapeau national fut hissé jusque sous le canon de Maestricht.

Les habitants de la commune de Meerssen nous dirent dans leur pétition : « Si vous avez besoin d’argent, demandez-en ; si du sang doit être répandu, nous sommes prêts à verser le nôtre pour la défense du pays ! » Voilà ce qu’on disait sous le canon de Maestricht.

Parlera-je des conseils provinciaux ? mais les conseils provinciaux ne se sont pas bornés à une simple adresse ; ils se sont rendus en corps près du chef de l’état, pour protester de leur attachement à la cause nationale : je ne sais donc comment les journaux auxquels j’ai fait allusion, se sont assez peu respectés pour dire qu’il y a à peine trois voix qui manifestent de la répugnance à rentrer sous le joug qu’ils ont brisé avec nous.

Pendant bien longtemps, messieurs, je n’ai pas cru à la possibilité de complication, véritablement sérieuses qui pussent compromettre l’intégrité du territoire ; en effet, les droits de la Belgique me paraissent d’une justice si évidente que je n’ai jamais conçu que dans le conseil des souverains on n’imaginât d’élever le moindre doute sur la légitimité de nos droits. Je n’ai pas cru, voyant que le temps faisait successivement justice des préventions que l’on avait élevées contre nous, que l’on pût aujourd’hui, quand la Belgique a donné tant de garanties à l’Europe, que nous sommes en pleine paix, je n’ai pas cru, dis-je, que les puissances pussent se décider à tirer l’épée contre nous et se jeter ainsi à tête baissée dans une conflagration que, dans leur langage hypocrite, elles déclaraient vouloir éviter : aussi ai-je vu avec douleur, dans un discours royal qui a retenti aux quatre coins de l’Europe que l’on était prêt à faire, à l’occasion de la question belge, un sacrifice au repos de l’Europe. Un sacrifice au repos de l’Europe ! Et quel sacrifice veut-on faire ? on veut achever l’œuvre commencée dans les 24 articles ; on veut arracher à la Belgique 400,000 âmes qui lui appartiennent depuis quatre siècles ! Mais croit-on faire quelque chose pour le repos de l’Europe que d’ôter à la Belgique ce qui a été reconnu en faire partie par la maison d’Orange elle-même ? En 1830 le prince d’Orange refusait le titre de Belges aux habitants du Limbourg ? non, il n’aurait osé le faire : dans sa proclamation du 6 octobre il les appelait Belges comme les habitants des autres provinces méridionales.

Non, on ne fera rien pour le repos de l’Europe en sacrifiant le Limbourg, en consommant une nouvelle injustice. Mais ce sacrifice ne sera pas consommé ; la justice de notre cause, la sympathie des peuples, la civilisation de l’Europe nous protégeraient contre l’indifférence des uns et l’injustice des autres. Aujourd’hui, tout ce qu’il y a d’hommes généreux a pu juger notre cause ; et dans aucun pays, pas même dans les pays despotiques, des déchirements de nations ne sauraient inspirer de sympathie aux peuples. Si ce système odieux du partage des populations est encore conçu dans quelques cabinets, je n’en crois pas moins que les peuples se montreront assez dignes de la civilisation, de notre époque pour oser résister à des partages avilissants pour l’humanité.

Qu’on cesse donc de nous objecter ce prétendu repos de l’Europe, que l’on dit vouloir servir ; l’Europe ne peut désormais recevoir des services qui répugnent à toute idée de civilisation, ce repos de l’Europe n’est autre chose qu’un abus de mots pour déguiser une nouvelle concession déplorable ; la France ne jugera pas l’intérêt de l’Europe comme l’a fait son gouvernement.

Messieurs, on nous objecte que les moyens de défense que nous organisons ne doivent nous conduite à aucun résultat ; mais, ainsi que l’a déjà dit M. d’Hoffschmidt, ces armées, dont on nous menace, nous ne les apercevons pas encore, et la confédération sait bien qu’au premier coup de canon le sol pourrait trembler sous ses pieds… Tout ce qui nous importe, c’est de préparer l’organisation de toutes les forces du pays ; et je me tiens pour assuré que si le gouvernement dispose avec discernement et avec énergie des forces du pays, on y pensera à deux fois avant de venir nous replacer sous la domination que nous répudions : quoi qu’il arrive, nous avons à défendre l’honneur national, il n’y a pas à hésiter. Je voterai donc, ainsi que je l’ai dit, pour toutes les demandes faites par le département de la guerre.

Avant de terminer, je répondrai en un mot à un honorable collègue dont les explications ont déjà reçu votre unanime approbation ; je lui sais gré d’avoir renoncé à entrer dans les détails d’une complication administrative fâcheuse ; en agissant ainsi, il a donné une nouvelle preuve de dévouement au pays, il doit être assuré qu’il a acquis de nouveaux titres à l’estime de ses collègues.

M. Doignon – Je ne viens pas demander au ministère qu’il veuille nous communiquer l’état de ses négociations sur la question territoriale ; déjà chacun de nous en sait assez pour se former une opinion sur ce point ; et dans cette assemblée il n’y a guère que nos ministres sur leur banc qui semblent ignorer ce qui s’est passé à la conférence de Londres.

Mais en ce moment il est un autre point auquel j’attaque bien plus d’importance qu’à une communication politique, je voudrais entendre de la bouche de nos ministres quelques paroles sur la question du territoire ; je voudrais les entendre confirmer ici les sentiments et la résolution que la chambre a solennellement exprimés dans son adresse.

Nous devons le dire, messieurs, nous n’avons pu nous défendre d’un certain étonnement. Tandis que, dans plusieurs discussions au sénat et dans cette chambre, nous avons entendu de tous parts des accents de patriotisme, nous avons vu nos ministres y répondre par un silence absolu. Cependant la chambre dans son adresse, s’est prononcée d’une manière assez explicite ; et pourquoi craignent-ils de parler comme la chambre elle-même ? Si le système de résistance adopté par celle-ci est désormais, comme cela doit être, la ligne politique qu’ils se sont tracée, il est impossible qu’il y ait de l’indiscrétion à le dire et à le redire tout haut avec nous.

Dans l’attente peut-être de plus graves événements, et lorsque la plus grande responsabilité pèse sur chacun de nous, on me permettra de pousser plus loin mes questions.

Ou le gouvernement est disposé intérieurement à céder, et alors on concevrait ce silence absolu, car ses paroles pourraient ensuite se trouver en contradiction avec ses actes ; ou, au contraire, il est disposé à résister et à tenir tête à l’orage ; dans ce cas, pourquoi fuir ce langage de fermeté que la chambre tient elle-même ?

Un honorable membre a dit, dans une séance précédente, que l’opinion de la chambre était tellement unanime que nos ministres seraient tenus de se retirer s’ils s’écartaient des intentions qu’elle a si hautement exprimées. Mais l’attachement qu’ont des ministres pour leur banc n’est, à mes yeux, qu’une bien faible garantie. Si je sais, d’une part, tout l’amour que des hommes d’état portent souvent à leur portefeuille, je sais aussi qu’avec quelque habilité et de la ruse ils peuvent trouver les moyens de le sauver, tout en étudiant les intentions des chambres.

Mais que la diplomatie le sache bien, on chercherait inutilement à travailler la majorité de cette chambre pour l’amener à consentir à l’abandon du Limbourg et du Luxembourg. Si, après le vote de son adresse, elle avait la faiblesse d’y souscrire, elle serait, avec tout le pays, la honte et la risée des autres nations.

En 1831, l’on a cédé à la peur ; car la France n’aurait pas plus souffert la restauration au mois de novembre qu’elle ne l’avait permise au mois d’août précédent. Peut-être essaiera-t-on, en 1838, de nous jouer une seconde fois, aussi par la peur. Soyons toujours en garde contre les moyens d’intimidation, et pénétrons-nous bien que, quelles que soient leurs menaces, les puissances redoutent bien plus que nous de troubler la paix générale.

Je doute, d’ailleurs, qu’un acte de la législature ordinaire suffise pour livrer à la Hollande le Limbourg et le Luxembourg ; il ne s’agit point, comme dans le cas prévu par l’article 68 de la constitution, d’une simple cession de quelques villages, de quelques parcelle du sol belge, mais d’une population de plus de 350,000 habitants, d’une population supérieur à celle de la province de Namur, supérieure à celle de la province d’Anvers. En d’autres termes, il s’agit au vrai de céder au-delà d’une province tout entière ; or c’est là l’atteinte la plus grave à l’intégrité du territoire, c’est là un véritable démembrement au territoire de la Belgique, tel que l’a constitué l’article 1er de la charte, suivant lequel la Belgique se compose de neuf provinces, y compris la totalité du Limbourg et du Luxembourg. Ce démembrement entraînerait aussi le morcellement de la représentation nationale, qui perdrait près d’un dixième de ses membres. Or, aucun changement ne peut être apporté à la constitution que par la convocation de nouvelles chambres, et les résolutions de celles-ci sont prises alors à la majorité au moins des deux tiers (article 131).

A l’égard de la défense du territoire, je rappellerai au gouvernement que la chambre a déclaré, dans son adresse, qu’il fallait que la Hollande renonçât à tout esprit d’envahissement sur les populations du Limbourg et du Luxembourg et qu’elle était prête à tout faire pour les défendre. Ainsi, nous préparatifs militaires doivent avoir pour but, non seulement de s’opposer à toute agression de la part de la Hollande, mais encore de repousser les troupes de la confédération germanique qui mettraient le pied sur notre sol. Dans toutes les discussions, c’est dans ce sens qu’il a été entendu qu’on devait pourvoir à la défense du territoire. Le ministère, il est vrai, a encore gardé le silence sur ce point ; mais j’en ai tiré la conséquence que c’est ainsi qu’il le comprend, et son silence actuel me confirmera de nouveau dans cette opinion.

Le gouvernement doit regretter aujourd’hui de ne pas avoir apporté à la loi sur la garde civique les changements qui étaient réclamés de tous les côtés. Cette loi organique est trop onéreuse, et pour avoir trop exigé, on n’a rien obtenu. L’organisation actuelle est insuffisante.

Mais les moyens d’y suppléer ne manquent point ; qu’il soit fait un appel au patriotisme des habitants ; il existe, dans chaque province, un nombre considérable de volontaires qui s’empresseront de courir aux armes.

Au mois d’août 1831, en très peu de temps, une légion de volontaires fut levée, armée et équipée dans la ville que j’habite. Cette légion, qu’on appelait légion « nervienne », envoya même un détachement jusqu’à Louvain. Dans nos principales villes, nous avons des corps militaires composés de volontaires, tels que les artilleurs et d’autres ; tous sont prêts à voler à la frontière au premier signal. Ce ne sont que les armes qui pourraient manquer ; qu’on en forme aussitôt des dépôts suffisants. Ce n’est pas en vain non plus qu’on ferait un appel aux étrangers qui ont pour nous les plus vives sympathies. La France et même l’Angleterre nous en fourniraient des milliers. Nous comptons, au surplus, avec la ferme confiance sur le dévouement et la bravoure de notre armée.

Enfin, je demanderai encore, en terminant, pour quels motifs on n’aurait point levé la milice dans les parties du Limbourg et du Luxembourg qu’on prétend nous disputer ? et pourquoi l’on n’envoie point des troupes dans ces mêmes parties, en les laissant peut-être ainsi à la merci d’un coup de main ?

M. Kervyn – Messieurs, tous les orateurs qui viennent de prendre la parole ont, comme conséquence de leur discours patriotique, fait un nouvel appel à la bourse des contribuables. Ils veulent, comme nous le voulons tous, la défense du pays, si cette défense, peut, à l’encontre de la diplomatie conserver nos droits territoriaux. Moi-même, tout le premier, je ne reculerai pas devant la résistance si cette résistance peut avoir un résultat. Mais, à mon avis, en nous lançant dans des dépenses ayant pour but de prendre l’offensive, nous courons à notre perte ; à mon avis, le moyen le plus sûr de perdre notre territoire, le moyen infaillible de donner gain de cause à la diplomatie, ce serait de nous épuiser avant le temps. Prenons donc garde, messieurs, de faire un usage prématuré et exagéré de nos ressources ; attendons qu’on nous attaque ; car, remarquez-le bien, un pays épuisé sous le rapport financier est bien près de perdre son énergie. Nos ennemis ne manqueraient pas de mettre à profit un système de temporisation qui nous serait fatal, plus fatal même qu’une attaque prompte et loyale que notre courage pourrait repousser. Je soumets, messieurs, ce peu de mots aux réflexions de la chambre et du ministère. J’en ai dit assez pour que je sois compris.

M. Pollénus – Messieurs, je dois un mot à la réflexion que vient de faire l’honorable préopinant. Certes la volonté d’éviter toute dépense inutile n’a jamais manqué à la chambre chaque fois qu’elle a cru pouvoir le faire sans compromettre la dignité du pays. Si moi et mes honorables collègues avons engagé le gouvernement à ne pas retarder la préparation de nos moyens de défense, c’est que nous avons été déterminés par les événements et surtout par une communication faire par un gouvernement voisin. Lorsqu’on nous annonce du haut d’un trône qu’une solution est prochaine, croit-on qu’on puisse encore sans danger retarder les armements ? Je crois, moi, que ce qu’il y aurait de plus dangereux dans ce moment, ce serait de perdre un temps utile. Si quelques dépenses ont été faites pour repousser une attaque dont on nous menace, et que nous voulons repousser, nous trouverons dans ces circonstances mêmes les motifs de notre justification. Plusieurs de nos protecteurs nous abandonnent ; c’est à nous à faire tout ce qu’il faut dans l’intérêt de notre défense : Aide-toi, le Ciel t’aidera !

M. Desmet – Le discours prononcé par mon voisin n’a rien de contraire à l’opinion du préopinant. Que dit-il au ministère ? Nous avons pleine confiance en vous ; vous connaissez l’état du pays ; quand vous croirez les dépenses utiles, faites-les. Mettez-vous en mesure de résister à une injustice quand elle sera prête à se consommer.

M. de Longrée – Je viens à mon tour protester contre les insinuations perfides que quelques ennemis ont cherché à répandre sur l’esprit dominant des habitants du Limbourg, en avançant qu’à quelques exceptions près, tous ne demandent pas mieux que de repasser sous la domination hollandaise. En retournant la phrase, nous resterons dans la vérité, et c’est la seule, mais bien tranchante arme, que je leur opposerai ; je dis moi, j’affirme sur l’honneur qu’à bien peu de personnes près, tous les Limbourgeois sont on ne peut plus dévoués au pays et à son gouvernement, et qu’ils ne trouveront aucun sacrifice trop fort pour conserver leur nationalité belge.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Messieurs, j’ai un très petit nombre d’observations à communiquer à la chambre en réponse à quelques-unes de celles qui ont été faites, et afin de bien préciser de nouveau dans quel sens le budget doit être entendu.

La chose la pus importante que j’ai entendu dire, c’est que les troupes actuellement sous les armes, pourraient être insuffisantes, et cette observation a été appuyée sur le peu de confiance que pourraient mériter les renseignements que nous aurions sur la force d’une armée ennemie : je prierai la chambre de se rappeler, que, dans une autre circonstance, le reproche contraire nous a été adressé ; et on a prétendu que le gouvernement s’exagérait au contraire la force de cette armée. Quoi qu’il en soit, je crois que les renseignements multipliés que nous recevons, et qui se contrôlent et se confirment les uns par les autres, peuvent donner au gouvernement une certitude assez grande pour apprécier qu’il ne se trompe pas, et qu’il est en mesure de ne pas être surpris de ce côté.

On a signalé la difficulté que le gouvernement rencontrerait à compléter les cadres des régiments de réserve, et en général de tous les cadres de l’armée ; et l’on a cru indiquer un remède au mal.

Le gouvernement fera usage de tous les moyens possibles pour suppléer à l’insuffisance qui pourrait exister dans les cadres, mais le mode que l’on a indiqué, ne me semble pas pouvoir être employé : les bataillons en général sont l’unité de force de l’armée, et il ne faut pas rendre trop considérable cette unité de force, surtout lorsque les cadres n’ont pas eux-mêmes un personnel, extrêmement grand.

L’orateur auquel je réponds s’est plaint d’une lettre inconvenante qui lui a été adressée, et je dois dire que, de toutes les explications personnelles dans lesquelles il a jugé à propos d’entrer, je ne dois regarder comme concernant l’administration militaire que cette seule plainte ; je regrette bien vivement que telle chose eût eu lieu, et ce serait certainement contre mes intentions ; mais s’il y a eu dans la correspondance quelques expressions un peu trop fortes, ce serait l’objet même de cette correspondance qui pourrait être invoqué à titre d’excuse.

Je reviens, messieurs, au budget lui-même et à la portée qu’il doit avoir ; je répéterai, à cet égard, ce que j’ai déjà dit, que le budget, tel qu’il vous est maintenant soumis, n’est destiné qu’à permettre au gouvernement de solder une armée de 50,000 hommes et de rendre disponibles le matériel et les cadres nécessaires pour une armée aussi forte que celle que la loi relative au contingent nous permettra d’avoir, c’est-à-dire tout ce que, sur une armée de 110,000 hommes, il est possible d’avoir sous les armes en effectif disponible. Mais je dis en même temps que si le besoin d’avoir un grand nombre d’hommes sous les armes se faisait tout d’un coup sentir, le budget n’étant pas voté par douzièmes le gouvernement pourrait prendre, sur le chiffre voté pour l’année toute entière, la somme qui serait nécessaire pour solder, dans le moment donné, un nombre de troupes supérieur à la moyenne sur laquelle le budget a été calculé. Il faut donc bien comprendre qu’avec le budget, tel qu’il est maintenant soumis à la chambre, il est impossible de solder, d’une manière continue, un nombre d’hommes plus élevé que celui que j’ai indiqué tout à l’heure ; mais ce budget permettra au gouvernement de compléter assez l’organisation de l’armée, pour qu’en cas de besoin tous les hommes disponibles puissent, dans un temps extrêmement court, être appelés et mis sous les armes.

M. Dumortier – Messieurs, dans l’adresse que vous avez votée, après avoir manifesté votre ferme volonté de maintenir vos droits et tracé la ligne de conduite que le gouvernement devait suivre, vous avez déclaré à la face de l’Europe, qu’aucun sacrifice ne vous coûterait pour maintenir l’intégrité du territoire. C’est dans ces circonstances, messieurs, que nous avons à voter le budget de la guerre ; pour mon compte j’y donnerai mon plein et entier assentiment, et je me bornerai à dire, avec plusieurs honorables collègues, que la somme pétitionnée pour l’effectif des hommes sous les armes n’est pas assez forte, j’aurais désiré qu’on nous eût demandé une somme plus élevée ; mais comme M. le ministre de la guerre nous a donné l’assurance réitérée que s’il est nécessaire, il emploiera, au moment du besoin, le crédit alloué pour l’année entière, je crois que nous pouvons, sans manquer à la prudence, voter le budget tel qu’il est demandé. C’est en effet en ce moment que nous avons à prouver combien nous sommes conséquents avec nous-mêmes, combien nous sommes décidés à ne pas reculer de la position que nous avons prise.

Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, plusieurs gouvernements qui jusqu’ici ont paru vouloir nous soutenir, semblent aujourd’hui nous abandonner ; je ne dis pas qu’ils nous abandonnent, mais je dis qu’ils paraissent disposés à le faire, et j’espère qu’un jour viendra où ils sentiront la nécessité de nous soutenir. A cet égard je ferai remarquer à l’assemblée que la question belge dans les circonstances actuelles est une question bien grande, bien majeure pour l’Europe, car il s’agit de savoir ce qui vaut mieux pour les états secondaires, l’alliance des gouvernements despotiques ou bien celles des gouvernements constitutionnels ; la conduite des grandes puissances constitutionnelles en Europe, la conduite de la France et de l’Angleterre envers la Belgique, est une immense leçon pour les états de second ordre ; il faut qu’ils sachent en définitive, si l’appui des gouvernements constitutionnels est bonne à quelque chose, ou bien s’il leur serait plus utile, tout en conservant leurs principes d’indépendance, de liberté, de s’allier aux gouvernements despotiques. C’est là ce que l’issue de nos affaires apprendra à l’Europe, et je désire que les paroles que je prononce en cette circonstance, aient de l’écho en France et en Angleterre, afin qu’un jour nous puissions savoir de quel côté nous devons chercher des alliés pour les trouver au moment du besoin.

Si l’alliance des états constitutionnels de premier ordre n’est utile que pour les fortifier et leur servir d’auxiliaire, et que, d’un autre côté, leur appui est inefficace au moment du besoin alors mieux vaut cent fois, pour les états de second ordre, s’allier aux gouvernements despotiques dont l’alliance est franche et efficace au jour du danger.

Dans l’adresse que nous avons votée, messieurs, nous avons déclaré que nous voulons maintenir notre indépendance et l’intégrité de notre territoire. Or, l’indépendance d’un pays ne consiste pas seulement en une déclaration de principe faite sur le papier, l’indépendance est quelque chose de plus réel ; et d’abord, pour être indépendant, un peuple, quel qu’il soit, doit ne rien devoir à aucune puissance d’un ordre quelconque, ni grande ni petite, et le jour où une nation est débitrice d’une autre nation, ce jour-là elle a perdu son indépendance. Or, si nous en croyons les bruits qui sont répandus, on persisterait à vouloir faire payer à la Belgique une dette qu’elle n’a point contractée : la dette hollandaise ; ce serait là, messieurs, vous le comprenez sans peine, une atteinte mortelle portée à l’indépendance de la Belgique, car lorsqu’un peuple paie une dette qui n’est point la sienne, et qu’il paie cette dette sans aucune indemnité, il paie un tribut à l’étranger et perd par cela même son indépendance. Ouvrez les pages de l’histoire, et vous verrez que du jour où les nations mêmes les plus puissances ont commencé à payer un tribut à l’étranger, dès ce jour leur indépendance a été perdue. L’empire romain nous offre un exemple frappant de cette vérité : le jour où Rome commença à payer le tribut aux barbares, le règne des barbares commença. Il en serait de même pour la Belgique ; le jour où elle commencerait à payer un tribut à la Hollande, ce même jour le règne de la Hollande commencerait.

« Mais, dit-on, on propose un dégrèvement sur la dette. » Ici je dois faire remarquer à l’assemblée et au pays tout entier que le dégrèvement proposé équivaut à peu près à rien, car il n’est autre chose que la représentation des droits que nous avions par le traité de 1831 à la liquidation du syndicat d’amortissement ; il ne faut pas que l’on se trompe sur la portée de ce prétendu dégrèvement ; il faut que l’étranger sache que nous connaissons notre position, et que ce n’est là qu’une réduction fictive, une réduction nominale qu’on nous offre, et dès lors il demeure évident qu’on veut nous faire payer une dette qui n’est pas la nôtre, qu’on veut nous faire payer un tribut à l’étranger.

Je le demande, messieurs, pourrons-nous jamais consentir à une pareille dégradation ? Non, sans doute, il n’est personne dans le pays qui puisse le vouloir.

Et s’il se trouvait jamais une assemblée qui oubliât assez les intérêts du pays pour souscrire à un traité qui renfermât une clause aussi honteuse et aussi funeste, je le déclare ici, l’opinion de toute la Belgique est tellement prononcée à cet égard, que peu d’années s’écouleraient sans que le peuple belge ait cessé de payer le tribut Il faut que l’étranger le sache, la législature elle-même n’aurait pas la puissance d’imposer au pays une condition aussi humiliante, aussi fatale.

Nous avons, messieurs, dans l’adresse, fait une proposition largement conciliante, une proposition pleine de noblesse et de générosité ; nous avons déclaré que, pour donner un gage de paix à l’Europe, nous sommes prêts à faire des sacrifices pécuniaires pour racheter ce que la Hollande appelle ses droits sur le Limbourg et le Luxembourg, mais nous avons déclaré en même temps que si on nous faisait la guerre, nous ne consentirions plus à aucun sacrifice. Personne de nous ne désire la guerre ; nous ne cherchons pas à troubler la paix de l’Europe, nous voulons faire dans l’intérêt de la paix tout ce qui est compatible avec notre honneur et notre indépendance ; mais si l’on voulait nous sacrifier à la Hollande, alors notre rôle serait tout tracé. Si nous sommes prêts à de grands sacrifices pour la paix de l’Europe, nous sommes prêts aussi à courir les chances de la guerre le jour où l’on voudrait nous contraindre à exécuter un traité destructif de notre nationalité.

Mais quels sont les moyens qu’on emploierait pour nous forcer à exécuter le traite du 15 novembre ? c’est ici que la question devient embarrassante : comment nous condamnerait-on à exécuter nous-mêmes un traité qui consacrerait notre ruine ? celui qui entreprendrait cette tâche ne ressemblerait pas peu à un médecin qui, ayant condamné un malade à avoir le bras coupé, voudrait le contraindre à se le couper lui-même. Qui donc viendra forcer la Belgique à accomplir elle-même le sacrifice dont on la menace ? C’est ce que personne n’a su dire jusqu’ici. Croyez-moi, messieurs, montrons de la vigueur, montrons de l’énergie, et nous n’aurons pas d’agression à craindre. Les puissances ont plus peur que nous d’exciter une guerre générale, car la Prusse a des provinces rhénanes, la France une Lorraine qui montrent pour nous une vice sympathie et qui pourraient fort embarrasser ceux qui voudraient nous contraindre.

Je pense donc, messieurs, que nous devons accorder au gouvernement tous les crédits qu’il demande pour la guerre, et en ce qui me concerne, je déclare que je les voterai sans la moindre difficulté, surtout ce qui est relatif aux hommes. Nous avons aujourd’hui à remplir une des plus grandes pages de notre histoire ; à l’époque de la révolution nous en avons rempli une d’une manière brillante, j’espère que nous ne ferons pas moins aujourd’hui.

Lors de la révolution nous avons chassé l’étranger de notre territoire, montrons que nous sommes décidés à l’en chasser encore s’il s’y représentait, montrons que nous sommes encore les hommes de la révolution ; les gouvernements qui voudraient nous sacrifier, ne comprennent pas les vœux de leurs peuples ; ces peuples feront bien comprendre à leurs gouvernements que leur volonté est de nous soutenir.

Personne ne demandant plus la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la discussion des articles.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre I. Administration centrale

Articles 1 à 5

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »


« Art. 2. Traitement des employés et gens de service : fr. 170,000. »


« Art. 3. Frais de route et de séjour : f. 10,000. »


« Art. 4. Matériel du ministère : fr. 52,000. »


« Art. 5. Dépôt de la guerre : fr. 19,000. »

Chapitre II.Soldes et masses de l’armée, frais divers des corps

Section I. Solde des états-majors
Articles 1 à 4

« Art. 1er. Etat-major général : fr. 726,857 45. »


« Art. 2. Indemnité aux généraux, commandants des corps et officiers dans une position spéciale : fr. 93,900. »


« Art. 3. Etat-major des places : fr. 273,496 40. »


« Art. 4. Intendance : fr. 146,523 70. »

- Ces divers paragraphes sont successivement adoptés.

Article 5

« Art. 5. Etat-major particulier de l’artillerie : fr. 267,527 40. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Messieurs, je ne serai pas long dans les observations que j’ai à soumettre à la chambre, d’autant plus que le chiffre que la section centrale a alloué pour l’état-major de l’artillerie est le même que celui qui a été proposé par le gouvernement. Mais je ne puis accepter le principe qui a guidé la section centrale en vous proposant de l’allouer. Le gouvernement a demandé que la majoration soit admise d’une manière permanente, tandis que la section centrale voudrait qu’elle fût accordée temporairement.

L’année dernière, j’avais proposer d’élever la solde des officiers de l’état-major de l’artillerie au taux de celle des officiers de l’état-major de la cavalerie, et j’avais fondé particulièrement ma proposition sur cette circonstance que la majoration totale était très faible ; ou plutôt lorsqu’une seule objection fut faite qu’il ne fallait pas augmenter la solde de l’artillerie, tant que le génie ne recevrait pas de majoration, j’avais répondu que pour faire jouir d’une augmentation l’état-major du génie, il fallait une somme relativement beaucoup plus forte que celle qui était nécessaire pour l’état-major de l’artillerie. J’insistai alors pour faire adopter le principe, parce que la chambre avait paru le sanctionner l’année précédente ; la chambre toutefois refusa d’allouer les fonds.

J’insiste de nouveau pour que le principe soit admis pour l’artillerie, et qu’il soit étendu à l’état-major du génie ; je défends ce principe, parce que, selon moi, les armes savantes doivent être les mieux rétribuées, d’abord parce qu’elles ont besoin, pour l’accomplissement de leurs devoirs, de faire des dépenses plus grandes. On donne en général une solde plus forte en raison de ces dépenses. Ainsi la solde la plus forte dans tous les pays est toujours celle de la cavalerie, par le motif que la dépense de cette arme est beaucoup plus considérable, pour l’uniforme et l’entretien des chevaux. Quant aux officiers de l’état-major du génie et de celui de l’artillerie, outre qu’ils sont astreints à ces dernières dépenses, ils ont à supporter des frais considérables d’achat de livres et d’entretien de bibliothèque.

La plus forte solde est donc due aux services qui exigent les plus grandes dépenses, aux services qui ont exigé des frais d’instruction plus coûteux. Cette augmentation est due encore en raison du temps et du travail plus considérable qu’exige l’accomplissement du service. Il est bien certain qu’il faut un travail plus grand, plus difficile, pour bien faire le service de l’état-major que pour faire celui de troupe. Enfin on regarde partout la solde comme étant en quelque sorte une échelle à laquelle on mesure la considération des différentes classes de fonctionnaires. Or, la plus grande considération est sans aucun doute due aux armes qui exigent le plus d’instruction, pour qu’elles puissent remplir les devoirs qui leur sont imposés.

Par ces motifs, je demande que l’augmentation de solde soit votée comme une chose permanente, et non pas comme un supplément de solde accordé seulement aux officier qui seraient chargés d’un service extraordinaire ou qui feraient partie de l’armée en campagne. Car la véritable proposition de la section centrale est d’allouer le chiffre que le gouvernement propose, mais de l’allouer seulement à titre de gratification. Je trouve que la solde de ces officiers doit être définitivement la même que la solde du corps d’état-major de la cavalerie.

M. Desmaisières, rapporteur – Messieurs, ainsi que vient de le dire M. le ministre de la guerre, le gouvernement et la section centrale sont d’accord ici, quant au chiffre, mais ils diffèrent sur la question de principe.

Au budget de 1837, M. le ministre de la guerre a demandé que l’on mît les officiers d’artillerie, appartenant aux batteries montées, sur le même pied que les officiers de la cavalerie et ceux de l’état-major général, et cette proposition a été accordée tant par la section centrale d’alors que par la chambre sans aucune difficulté.

Au budget de l’année dernière, M. le ministre est venu demandé d’étendre cette majoration aux officiers de l’état-major d’artillerie, sans la proposer en même temps pour les officiers de l’état-major du génie. Lorsque la chambre est venue à la discussion de l’article, la section centrale a demandé le rejet de la majoration globale, quoiqu’elle ne fût que de 1,330 francs ; elle a fait cette proposition précisément à cause de la question de principe, et j’ai dû défendre cette proposition contre les instances qu’a faites M. le ministre de la guerre pour obtenir la majoration.

J’ai commencé par dire que, quant à moi, je reconnaissais qu’une espèce de sentiment d’équité commandait de mettre les officiers des corps savants sur le même pied, quant à la solde, que les officiers de cavalerie et de l’état-major général. Mais, en ma qualité de rapporteur de la section centrale, j’ai dû exposer consciencieusement les motifs qui militaient contre l’admission du principe de majoration. M. le ministre de la guerre a exposé de son côté les motifs qu’il croyait devoir militer en faveur de la majoration. La chambre a pris une décision dans le sens de la proposition de la section centrale, c’est-à-dire qu’elle a rejeté le principe de la majoration.

Au budget actuellement en discussion, M. le ministre de la guerre a de nouveau demandé que ce principe de majoration fût admis, et cette fois il l’a proposée tant pour les officiers de l’état-major du génie que pour ceux de l’artillerie.

J’ai eu l’honneur, messieurs, de vous exposer l’opinion de la section centrale dans mon rapport. La section centrale a cru qu’en présence d’une décision formelle de la chambre, après une discussion approfondie, elle devait persister dans le refus d’admettre le principe de la majoration. Elle a cru de son devoir de persister dans ce refus, parce qu’elle a vu plus loin dans le budget une nouvelle demande de majoration de traitement en faveur des officiers de santé. La section centrale a bien admis que les officiers du service de santé devaient être mis sur le même pied que les officiers de l’état-major du génie dans la position sédentaire, mais elle n’a pas voulu les assimiler à l’état-major général, attendu que les majorations de solde auraient été énormes ; car tel officier verrait même doublé son traitement, par suite de l’admission du principe.

Voilà, en peu de mots les motifs pour lesquels la section centrale a cru devoir proposer de nouveau le rejet du principe que le ministre de la guerre a en vue par ses propositions de faire admettre, principe qui consiste à mettre la solde des officiers de l’état-major et du génie, quelle que soit leur position, sur le même pied que les officiers de l’état-major général et de la cavalerie.

Cependant, considérant que lorsque les officiers de l’état-major de l’artillerie et du génie sont appelés au service actif ou à des travaux extraordinaires, il est de toute justice que leur solde soit alors égales à celles des officiers de l’état-major général et de la cavalerie, la section centrale a admis les chiffres proposés par M. le ministre de la guerre, mais avec cette restriction qu’elle ne l’accorderait que pour la proposition que je viens de définir.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – J’ai quelques observations à ajouter. Pour les officiers d’état-major, qu’ils soient en résidence ou à l’armée active, la solde est la même. Dans aucun pays je ne connais, pour le génie et l’artillerie, l’existence d’une solde de résidence et d’une autre solde de pied de guerre. La solde est partout la même, quelle que soit leur position, mais quand les officiers du génie sont chargés de dirigés de grands travaux qui exigent une besogne extraordinaire, ils reçoivent une indemnité extraordinaire. Mais je le répète, il n’existe nulle part de différence entre la solde de résidence et la solde de service actif. La section centrale voudrait maintenir l’état-major du génie et l’artillerie de notre armée dans une position d’infériorité que je regarde comme injuste sous deux rapports, d’abord eu égard au corps d’état-major avec lequel il y a assimilation complète, et eu égard à tous les corps savants de tous les pays. Cependant dans notre pays les armes savantes ont relativement une importance plus grand que partout ailleurs. Il n’y a pas de pays où, sur une surface aussi restreinte, il y ait autant de places fortes, où leur besoin se fasse autant sentir.

Or, ce ne sera pas en traitant nos officiers du génie et de l’artillerie d’une manière injuste relativement aux autre armes, que nous pourrons faire face au besoin signalé. Je le répète, messieurs, je considère comme chose très importante de bien payer ces officiers, et j’espère que la chambre partagera mon opinion.

- Le chiffre proposé par le gouvernement à l’art. 5 est adopté.

Article 6

« Art. 6. Etat-major particulier de l’artillerie : fr. 307,667 75 »

Adopté.

Section 2. Solde de troupes
Article premier

« Art. 1er. Infanterie : fr. 12,111,462. »

- La section centrale propose de réduire ce chiffre à 12,077,919 francs et 30 centimes.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – La question des officiers de santé est la même que pour les officiers de armes savantes. Je crois devoir également soutenir à leur égard la question de principe. Ici la question de principe est d’un intérêt d’autant plus grand que le chiffre de la section centrale diffère d’une manière notable de celui du gouvernement. Ce principe d’assimilation, je ne l’ai pas inventé, je l’ai trouvé chez une nation voisine qui est assez généralement prise pour modèle pour tout ce qui concerne l’organisation militaire.

Il a été généralement reconnu dans cette enceinte qu’il était désirable qu’une augmentation de traitement fût accordée aux officiers de santé. Partageant tout à fait cette opinion, j’ai pensé qu’il était utile de partir d’un principe et de lui faire produire toutes ses conséquences. De là, il est résulté que les augmentations de traitement ont paru être exorbitantes pour les autres. Mais ce résultat n’est pas la faute du système nouveau, mais bien de l’ancien système ; c’est là que les anomalies existaient, puisqu’elles se manifestent dans l’application d’un même principe aux différentes positions.

Je pense donc qu’il est inutile de vouloir justifier cette différence ou anomalie. Je m’attacherai au principe lui-même. Je dirai d’abord que, d’après le désir manifesté la première fois que j’ai eu à défendre le budget de la guerre, j’ai rendu l’admission au grade d’officier de santé aussi difficile que possible. J’ai établi qu’il ne fallait pas se présenter pour exercer l’art de guérir dans l’armée avec moins de garantie de talent qu’on n’en exigeait pour les autres parties de la population. Je n’ai admis aux examens et aux concours que des hommes pourvus d’un diplôme universitaire. La première conséquence de cette mesure, c’est que pour arriver à être officier de santé dans l’armée, il faut prouver qu’on a fait plus d’études qu’on n’en exigeait auparavant. C’est là une première raison pour leur accorder une augmentation de solde. En outre, la difficulté des examens qu’ils ont à subir est assez connue, puisque cela a été l’objet de réclamations multipliées. Cette mesure garantit à l’armée des médecins plus instruits, des médecins doués du plus grand mérite relatif qu’on peut attendre des hommes qui s’adonnent à l’art de guérir.

A ces considérations se joint celle des dépenses pour livres, instruments, que doit faire un officier de santé pour se tenir au courant de la science. C’est une raison encore pour motiver l’allocation d’appointements plus forts.

Il y a encore d’autres raisons tirées de l’intérêt du service. Il est certain que de bons médecins une fois connus se font dans la carrière civile un sort préférable à celui que présente l’armée et surtout à celui qui les attend au bout de la carrière.

Il est nécessaire de faire la position aussi bonne que possible pour que ceux qui ont embrassé cette carrière militaire s’y attachent et ne l’abandonnent pas lorsqu’un avantage se présentera pour eux de la quitter.

Je crois que ce n’est nullement faire une chose exorbitante que de donner aux médecins et aux pharmaciens, car le même raisonnement s’appliquer à ces derniers, de leur donner, dis-je, la solde de l’état-major, de la partie de l’armée la mieux rétribuée.

Je désire que la chambre veuille adopter le chiffre que j’ai proposé. Je prie de remarquer que, par le chiffre présenter en dernier lieu, on alloue une augmentation de traitement aux officiers de santé de tous les grades, excepté le dernier, qui conserve la solde actuelle, parce que j’envisage cette catégorie d’officiers de santé comme constituant une véritable école d’application de l’art de guérir. Je pense que dans cette position, il est inutile de donner une solde plus élevée que la solde actuelle ; je pense qu’il n’est pas juste de donner à un médecin de bataillon adjoint-commissionné la même solde qu’à un médecin de bataillon muni d’un brevet obtenu après un stage de deux ans, dans un ou plusieurs hôpitaux d’instruction.

M. A. Rodenbach – On doit convenir que les officiers de santé étaient généralement mal payés et qu’ils ont droit à un augmentation ; mais cependant pas aussi excessive que celle qu’on propose ; surtout dans un moment où nous devons être économes des deniers du peuple. Je trouve cette augmentation exorbitante ; la section centrale propose des majorations de 400 fr. et de 800 fr. ; mais dans la proposition du gouvernement on va jusqu’à doubler des traitements actuels. Une augmentation de 800 fr. suffit pour engager des hommes de talent à entrer dans l’armée comme officiers de santé. Avec la somme que vous demande le gouvernement on pourrait avoir mille hommes de plus sous les armes.

M. le ministre nous a parlé de la sévérité des examens ; je ne crois pas que les pharmaciens y soient soumis, ils sont reçus par les commissions provinciales ; l’augmentation ne devrait donc pas être demandée pour eux. Je pense que le ministre a été trop loin. Il s’agit ici des deniers du peuple nous ne devons pas l’oublier et nous devons en être avares.

On ne demande aucune augmentation pour les autres officiers de l’armée.

- M. le ministre devrait se rallier à la proposition de la section centrale.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – La section centrale, pour les états-majors de l’artillerie et du génie, a admis le chiffre proposé pour les officiers attachés à l’armée, active, mais elle a manifesté le désir qu’une exception fût faite pour ceux qui sont attachés à un service sédentaire ; d’après cela, il doit lui paraître juste, et elle admettra sans doute que, pour le service de santé, la même chose ait lieu, c’est-à-dire que la solde la plus forte soit accordée aux officiers de l’armée active et l’autre aux officiers en résidence fixe.

J’aurais alors à proposer un amendement qui réduirait le chiffre de l’article « infanterie » à 11,376,307 85 c.

M. Desmaisières, rapporteur – Il paraît que M. le ministre de la guerre se rallie, quant au service de santé, à la proposition de la section centrale, sauf qu’il voudrait faire admettre par la chambre, en faveur des officiers de santé en campagne, la même exception proposée par la section centrale et admise par la chambre pour les officiers de l’état-major du génie et de l’artillerie. La section centrale n’a pu être consultée à cet égard ; quant à moi personnellement, je crois pouvoir y adhérer, car il est certain qu’il est très important que le corps des officiers de santé soit bien composé. La santé et la vie des braves défenseurs de la patrie en dépendent ; nous ne devons donc pas refuser une majoration qui doit contribuer à la bonne composition du corps de service de santé. Mais il doit être entendu que, dans la position sédentaire, ils ne seront assimilés qu’aux officiers de l’état-major du génie et de l’artillerie dans la position sédentaire.

M. Dumortier – J’étais disposé à voter tous les articles du budget ; je suis encore résolu à n’en rejeter aucun, mais il me semble que l’allocation demandée par le gouvernement pour le service de santé est un peu exagérée. Il faut donner le nécessaire sans doute, mais il ne faut pas dilapider les deniers du pays, surtout alors qu’on veut mettre sur pied le plus d’hommes possible. Ainsi que l’ont dit plusieurs orateurs et spécialement l’honorable M. Rodenbach, plusieurs traitements sont doublés. Nous sentons tous la nécessité d’accorder des augmentations ; mais M. le ministre de la guerre veut doubler les traitements. Entre augmenter les traitements et les doubler, il y a de la différence.

La section centrale a proposé une échelle d’où il résulterait l’avancement d’un grade, quant aux appointements, dans les grades inférieurs. Ainsi un médecin adjoint touche 1,480 francs, il toucherait ??? francs, ce qui est le traitement d’un médecin de bataillon. La section centrale propose d’accorder à tous les médecins-adjoints le traitement de médecin de bataillon. M. le ministre de la guerre va plus loin, il veut donner aux médecins-adjoints le traitement de médecin de régiment, c’est-à-dire qu’il faut donner, quant au traitement, un avancement de deux grades à tous les officiers de santé. Je suis, je le répète, disposé à voter tous les articles du budget, mais, en vérité, ceci est trop fort. Je crois qu’en admettant la disposition de la section centrale, on satisferait à un devoir que nous connaissons ; aller plus loin, ce serait de la dilapidation.

M. Desmaisières, rapporteur – Je crois que l’honorable préopinant n’a pas compris la discussion. M. le ministre de la guerre s’est mis d’accord avec la section centrale, quant à la majoration qu’il avait proposée pour les officiers de santé dans la position sédentaire :; il demande seulement pour les officiers de santé en campagne le même supplément de solde que vous avez voté pour les officiers de l’état-major de l’artillerie et du génie.

Plusieurs membres – On est d’accord.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je prierai M. le président de mettre d’abord aux voix le premier chiffre, et ensuite, si ce chiffre n’est pas adopté, celui qui a pour objet de n’accorder qu’aux officiers de santé en campagne la solde proposée.

- L’article premier est mis aux voix et adopté avec le chiffre de 2,111,052 80.

Article 2

« Art. 2. Cavalerie. Chiffre du gouvernement : fr. 3,769,093 . 10. Chiffre de la section centrale : fr. 3,756,010 55 »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Par application du même principe, il y a lieu d’allouer ici le chiffre de la section centrale, majoré de 15,924 fr. 95 c., montant du supplément de solde pour les officiers de santé qui font partie de l’armée en campagne.

M. Brabant – Il me semble que l’on faciliterait beaucoup le travail si l’on faisait un article séparé intitulé « Supplément de solde aux officiers de santé en campagne ». Par ce moyen la besogne du budget serait plus coulante.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Maintenant qu’on se comprend, je pense que qu’on marchera assez promptement puisque c’est revenir à la proposition du gouvernement pour toutes les troupes ; en effet, toutes les troupes sont sur le pied de guerre. Lorsque viendra l’article du budget relatif au service sédentaire, la pharmacie centrale, etc., la chambre votera sur la question de principe, et décidera si la proposition de la section centrale doit être adoptée ou écartée.

M. Demonceau – Je trouve par addition que le chiffre est de 3,772,959 fr 30 c.

M. le président – Le chiffre est celui du ministre, 3,769,9093 fr 10 c.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je trouve qu’il est plus simple de revenir à la proposition primitive du gouvernement, sauf à voter plus tard sur la question de principe. Le gouvernement désire que les officiers de santé aient la solde de l’état-major du génie ; la section centrale veut que cette solde soit accordée seulement à ceux qui appartiennent à l’armée active. Or, tous les officiers de santé qui sont près des corps se trouvent dans cette catégorie, les corps étant tous sur le pied de guerre. Près des dépôts ce sont les officiers de santé de la garnison qui font le service.

M. Desmaisières – Je crois qu’on peut procéder ainsi que le propose M. le ministre de la guerre.

M. Demonceau – Si j’ai fait une observation, c’est parce que j’ai craint qu’on n’accordât pas au gouvernement tout ce que la section centrale lui allouait ; je craignait que le gouvernement n’eût pas tout ce qu’il désirait.

- Le chiffre 3,769,093 fr 10 c. est adopté.

Article 3

« Art. 3. Artillerie. Le chiffre primitif était 2,931,785 francs 5 centimes. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. Génie. 410,589 fr 15 c. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – J’ai ici une augmentation de 19,370 francs à proposer. Dans la rédaction du budget, on a commis une omission.

Ordinairement, lorsque les officiers, appartenant au bataillon de sapeurs mineurs, sont détachés à l’état-major des corps, et font le même service que les officiers du génie, ils ont la solde de l’état-major. D’un autre côté, il y a toujours un certain rapport entre la solde des officiers des troupes du génie et celle des officiers de l’état-major du génie. Or comme on donne une augmentation aux officiers de l’état-major, il paraît convenable d’en accorder également une, aux officiers des troupes du génie ; c’est pour ces deux motifs que je propose l’augmentation de 19,370 francs.

M. le président – Le total sera 430,800 fr.

- Ce chiffre de 430,800 est adopté.

Article 5

« Art. 5 Gendarmerie. 1,505,216 fr 45 c. »

- Adopté.

Article 6

« Article 6. Ambulances. » 414,500 fr. 30 c. sont demandés par le gouvernement.

- La section centrale accorde 393,351 fr.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – C’est toujours la même question. Elle adopte maintenant la proposition du gouvernement comme temporaire.

- Le chiffre du ministre est adopté.

Section III. Masse des corps, frais divers et indemnités
Articles 1 à 12

« Art. 1er. Masse de pain : fr. 1,811,445 88 »


« Art. 2. Fourrages : fr. 6,247,163 01 »


« Art. 3. Habillement et entretien : fr. 5,133,135 45 »


« Art. 4. Entretien du harnachement, traitement et ferrure des chevaux : fr. 368,764 80 »


« Art. 5. Renouvellement de la bufflerie et du harnachement : fr. 352,632 80 »


« Art. 6. Casernement des chevaux : fr. 139,967 72 »


« Art. 7. Casernement des hommes : fr. 928,028 80 »


« Art. 8. Frais de route des officiers : fr. 150,000 »


« Art. 9. Transports généraux et autres : fr. 150,000 »


« Art. 10. Primes d’encouragement et de rengagement : fr. 25,000 »


« Art. 11. Chauffage et éclairage de corps-de-garde : fr. 95,000 »


« Art. 12. Frais de police : fr. 35,000 fr. »

- Ces différents paragraphes sont successivement adoptés.

Article 13

« Art. 13. Cantonnements, logements et nourriture : fr. 2,105,957 fr 58 c. »

M. Pollénus – Je désirerais savoir, soit par M. le rapporteur de la section centrale, soit par M. le ministre, si, dans l’évaluation de la dépense qui fait l’objet de cet article, il a été tenu compte de la cherté croissance des vivres ; il me semble qu’il serait bien difficile de continuer à payer les indemnités de logement sur le pied actuel ; je fais cette observation parce que je ne vois rien à cet égard dans le rapport de la section centrale. Je désirerais une explication à cet égard, car l’indemnité qu’on accorde ne doit pas être illusoire.

M. Desmaisières, rapporteur – La section centrale a accordé le chiffre demandé par M. le ministre de la guerre ; il est probable que M. le ministre le juge suffisant.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Le chiffre que j’ai demandé est le même que celui qui a été voté l’année dernière ; mais, d'après les renseignements que j’ai recueillis, je pense qu’il sera réellement suffisant.

M. Pollénus – Cette déclaration me suffit.

- Le chiffre de 2,105,954 francs 58 centimes est mis aux voix et adopté.

Articles 14 à 16

« Art. 14. Frais de découchers des gendarmes : fr. 70,000. »


« Art. 15. Remonte : fr. 1,879,480 fr.


« Art. 16. frais de bureau et d’administration des corps : fr. 420,000. »

- Ces paragraphes sont adoptés.

Chapitre III. Service de santé

Article premier

« Art. 1er. Personnel de l’administration centrale. »

Le ministre demande 31,902 fr. 75.

La section centrale propose de n’allouer que 28,569 fr. 50 c.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – C’est ici, messieurs, que, comme je l’ai fait observer tout à l’heure, se présente la question de principe ; le chiffre de 3,902 fr. 75 c. suppose que les médecins faisant partie du service seront rétribués comme je l’avais primitivement proposé ; le chiffre de 28,569 fr. 50 c. suppose au contraire que le traitement des membres du service appelé sédentaire sera tel que le suppose la section centrale. Ainsi, messieurs, selon que vous adopterez l’un ou l’autre chiffre, vous trancherez dans l’un ou l’autre sens la question de principe qui n’a pas été décidée jusqu’ici.

Le chiffre de 31,902 francs 75 centimes est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Pharmacie centrale : fr. 139,800 fr. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Hôpitaux sédentaires (personnel) »

M. le ministre a demandé en dernier lieu 289,945 fr. 15 c.

La section centrale propose le chiffre de 262,266 fr. 40 c.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – L’observation que j’ai faite sur l’article 1er s’applique également à cet article-ci ; c’est encore la question de principe que la chambre va décider en votant sur le chiffre.

M. Desmaisières, rapporteur – Je dois dire, messieurs, qu’il y a eu évidemment erreur dans le vote qui a été émis tout-à-l’heure ; nous étions d’accord sur la question de principe : il s’agissait d’assimiler les officiers de santé à ceux de l’état-major du génie dans la position sédentaire et le vote qui a été émis les assimile aux officiers de l’état-major général.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je désire que la chambre soit bien convaincue que les choses se sont passées comme je l’ai dit ; j’ai demandé positivement qu’on mît aux voix le chiffre du gouvernement, qui tranchait, dis-je, la question de principe dans le sens de ma proposition ; il n’y a donc pas eu de malentendu, et la chambre a bien certainement décidé la question de principe.

M. Desmaisières, rapporteur – Je n’ai pas compris cette explication de M. le ministre, mais ce qui est certain, c’est que tout le monde croyait qu’on était d’accord sur la question de principe. Je crois donc qu’il y aurait lieu de revenir sur le vote de l’article 1er, car si on laissait cet article tel qu’il est, et que, pour celui dont nous nous occupons en ce moment, on adoptât la réduction proposée par la section centrale, tout en considérant ce vote comme décidant la question de principe, il y aurait contradiction entre les deux décisions.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je ne puis que rappeler à la chambre ce que j’ai dit lorsqu’il s’agissait de la solde de l’infanterie ; j’ai dit que le vote qui serait émis sur ce point n’impliquerait point la question de principe, que cette question se présenterait lorsqu’on en serait arrivé au service sédentaire, que la décision à prendre alors trancherait la question de principe.

M. Demonceau – Il me semble, messieurs, que la question reste entière et que la chambre pourra la décider comme elle l’entendra, en votant sur l’article qui lui est soumis en ce moment.

M. Dumortier – Je dois faire remarquer à la chambre que le chiffre proposé par M. le ministre pour les officiers de santé du service sédentaire correspond entièrement au chiffre du traitement des médecins de régiment, de manière que d’un seul coup on augmenterait les membres du service sédentaire de deux grades ; or, cela ne s’est jamais vu ; ce serait une véritable dilapidation des deniers publics. On vient de dire que la chambre a décidé la question de principe ; je ne comprends rien à cela, on n’a voté qu’un chiffre ; si on veut que la chiffre décide une question de principe : qu’on l’expose nettement et de manière que tout le monde la comprenne ; alors la chambre verra ce qu’elle aura à faire, alors elle verra si elle veut que les officiers de santé du service sédentaire soient augmentés de deux grades à la fois.

M. Verhaegen – Hier, messieurs, on ne voulait pas d’économie, aujourd’hui on en veut.

Il s’agit de rétribuer des officiers comme ils doivent l’être, et le vote qui vient d’avoir lieu, rend justice à ceux à qui elle est due. La chambre a parfaitement su ce qu’elle votait. Des explications ont précédé le vote. Le ministre de la guerre a clairement indiqué quelle était son intention en soumettant cette question, nous l’avons tous bien comprise, et nous nous sommes levés pour, parce que nous avions l’intention d’allouer le chiffre du gouvernement. Le vote est consommé, et ce serait sans exemple que la chambre revînt sur un vote consommé. On est quelquefois rigoureux dans un autre sens, et nous en avons eu un exemple hier. Un amendement avait été déposé, et l’on a prétendu qu’il état trop tard.

Par suite, l’amendement n’a pas été mis aux voix. Je ne veux pas en faire un reproche à la chambre, puisque la chose est passée. Mais aujourd’hui l’on prétendrait revenir sur un vote consommé ; je demande si la chose est possible. On voudrait, sur une seconde question, revenir au vote qui a été émis sur une première question, décidée dans le sens de la proposition du gouvernement. La chambre jugera si on peut maintenant décider le contraire de ce qu’elle a décidé il y a une minute. Quant au premier vote, je le répète, il est parfait, il est consommé, il n’y a pas lieu d’en revenir.

M. Desmaisières, rapporteur – Messieurs, le vote est consommé, dit l’honorable préopinant, et moi je soutiens que le vote n’est pas consommé : nous sommes à l’art. 3 qui présente la même question, nous pouvons donc prendre une décision contraire de celle que nous avons prise à l’art. 1er. Il y aura cette différence, que maintenant nous déciderons en connaissance de cause, tandis que tout à l’heure nous avons décidé sous le coup d’une erreur. Comment pourrait-il entrer dans notre pensée qu’il s’agissait réellement de la part du M. le ministre de la guerre, de venir demander que la question de principe fût décidée en faveur des officiers de santé dont il est question à l’article 1er, tandis qu’il ne l’avait pas demandé pour les officiers de santé appartenant aux corps, tandis qu’il avait reconnu qu’il ne proposait une majoration supérieure à celle de la section centrale qu’à titre de supplément de solde ? Ainsi il aurait pu se faire qu’on eût accordé la majoration la plus forte aux officiers de santé du service actif, seulement, à titre de supplément, tandis qu’on aurait accordé cette même majoration aux officiers du service sédentaire, d’une manière permanente.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Si l’honorable rapporteur a voté pour le chiffre le plus élevé, il est certain qu’il a été dans l’erreur. Si d’autres sont dans le même cas, ils se sont également trompés. Voici comment les choses se sont passées : quand il s’est agi de voter la solde de l’infanterie, j’ai demandé qu’on mît aux voix le chiffre le plus élevé qui était celui de la proposition primitive du gouvernement ; j’ai ajouté que pour le cas où la chambre rejetterait la majoration de solde proposée d’une manière générale, je demanderais qu’on l’adoptât pour le service de campagne. C’est ainsi que la question a été posée. Mon intention a été de provoquer un vote sur le principe ; elle ne pouvait être douteuse, et c’est même dans la crainte qu’on ne se trompât que j’ai eu soin de l’expliquer. Je pensais que puisque l’on était arrivé à un nouveau service auquel la différence de solde était applicable, il était de mon devoir de persister pour l’adoption du principe, c’est ce que j’ai fait. La chambre jugera maintenant ce qu’elle a à faire.

M. Demonceau – Je reconnais que le vote est consommé sur un article, mais j’en appelle aux souvenirs de M. le ministre de la guerre. J’ai suivi cette discussion avec beaucoup d’attention ; je n’ai pas l’habitude de me mêler de la discussion du budget de la guerre, et si je m’en suis mêlé cette fois-ci, c’a été pour demandé une addition. Lorsque M. Brabant a proposé un amendement qui avait pour but de faire un article spécial, j’ai très bien compris que M. le ministre a dit qu’il était préférable qu’on fît une addition et qu’il était entendu que la somme ne serait accordée qu’à titre de supplément de solde. Ce que je comprends à la première discussion, c’est qu’il serait hors de proportion que les officiers du service sédentaire eussent une solde plus forte que ceux du service actif.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – L’honorable M. Demonceau se trompe, les officiers du service de santé auraient autant que les officiers du service en campagne, mais pas plus. Je prie la chambre de se souvenir, que répondant aux observations de M. Brabant, j’ai dit seulement que maintenant qu’on comprenait que la proposition primitive du gouvernement était précisément celle à laquelle il faudrait revenir par les amendements, il était inutile de faire un article spécial. C’est alors que la chambre a consenti à voter dans le sens que l’indiquais.

M. Brabant – Messieurs, la question est de savoir si l’on appliquera aux officiers de santé du service sanitaire le tarif de la section centrale, ou celui de M. le ministre de la guerre. L’on a appliqué temporairement le tarif de M. le ministre de la guerre aux officiers qui font le service actif à l’armée. Y a-t-il les mêmes raisons pour appliquer ce tarif aux officiers de santé du service sédentaire ? je crois que non, et cela pour deux motifs. La première raison qui justifie une plus forte augmentation de solde pour les officiers de santé du service actif, c’est qu’ils sont obligés d’avoir un cheval, et de changer très fréquemment de résidence, et que ces changements entraînent à des dépenses beaucoup plus fortes que le service sédentaire. Second motif, c’est que l’officier de santé qui change très fréquemment de résidence, ne peut pas se faire une clientèle, tandis que tous les officiers du service sédentaire, les médecins principaux, ceux qui sont attachés aux hôpitaux à demeure, peuvent se faire une clientèle, et comme M. le ministre l’a déclaré au sein de la section centrale, ce sont souvent les médecins les plus courus de l’endroit où ils résident.

- Personne ne demandant plus la parole, le chiffre de 289,945 fr. 15 c. proposé par le gouvernement est mis aux voix et n’est pas adopté ; celui de 262,266 fr. 40 c. proposé par la section centrale est ensuite mis aux voix et adopté.

Articles 4 et 5

« Art. 4. Hôpitaux sédentaires (matériel) : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Elèves de l’école vétérinaire : fr. 3,000. »

- Adopté.

Chapitre IV. Ecole militaire

Articles 1 à 4

« Art. 1er. Solde des élèves : fr. 47,450. »


« Art. 2. Traitement de l’état-major, des professeurs , examinateurs, répétiteurs et employés du service intérieur : fr. 103,865. »


« Art. 3. Matériel et frais de bureau : fr. 28,685 »


« Art. 4. Ecole des sous-officiers : fr. 20,000. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je me rallie au chiffre de la section centrale, mais je désire que pour cette année le chiffre reste réuni en un seul article, comme l’année dernière, parce que nous sommes encore à compléter notre organisation. La loi n’a pas encore une année d’existence et n’a pas encore reçu une extension complète.

Plusieurs allocations ne pourront pas être appliquées suivant les articles proposés : si la division était introduite au budget prochain, elle pourrait être observée, mais si on l’établissait maintenant, on serait obligé de proposer des transferts. On sait, du reste, que jusqu’à présent, l’administration de l’école s’est rigoureusement renfermée dans son budget.

M. Desmaisières – Je crois pouvoir me rallier, au main de la section centrale, à la proposition du ministre, d’autant plus qu’il s’engage à introduire l’année prochaine la division que nous proposons aujourd’hui.

Le chapitre IV réduit à un article unique de 200,000 fr. est adopté.

Chapitre V. Matériel de l'artillerie et du génie

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Matériel de l’artillerie : fr. 1,884,300 fr. »

- Adopté


« Art. 2. Matériel du génie : fr. 3,691,694 50. »

Adopté.

Chapitre VI. Traitements divers

Articles 1 à 4

« Art. 1. Traitements temporaires de non-activité, réforme, etc. : fr. 203,685 30. »

- Adopté


« Art. 2. Traitements des aumôniers : fr. 32,500. »


« Art. 3. Traitements des employés temporaires et solde des domestiques : fr. 51,125 50. »


« Art. 4. Pensions de militaires décorés sous l’ancien gouvernement, et secours sur le fonds de Waterloo : fr. 30,085 15. »

Chapitre VII. Dépenses imprévues

Article unique

« Article unique. Dépenses imprévues : fr. 106, 428 fr. 58 »

- Ces paragraphes sont adoptés.

Vote des articles et vote sur l’ensemble du projet

La chambre décide que le budget de la guerre sera voté d’urgence.

Les amendements introduits sont confirmés.


On passe au vote des articles de la loi.

« Art. 1er. Le budget de la guerre pour l’exercice 1839 est fixé à la somme de 49,823,000 francs suivant le tableau annexé à la présente loi. »

- Adopté.


« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1839. »

- Adopté.


La chambre procède au vote par appel nominal sur l’ensemble du budget.

En voici le résultat : 64 membres sont présents et votent pour l’adoption.

La chambre adopte.

Ont voté pour l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Brabant, Coppieters, Corneli, Dechamps, de Florisone, de Langhe, de Longrée, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Puydt, de Renesse, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, Devaux, d’Hoffschmidt, Doignon, Dolez, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Frison, Gendebien, Keppenne, Lardinois, Lecreps, Lejeune, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, A Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Seron, Simons, Smits, Stas de Volder, Thienpont, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Verhaegen, Willmar, Zoude, Peeters.


La chambre, sur la proposition de M. Gendebien, décide qu’elle aura séance demain à une heure.

La séance est levée à 5 heures ¼.