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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 4 mars 1839
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre (notamment pétitions contre le morcellement du territoire (Dumortier))
2) Projet de loi concernant le
traité destiné à régler la séparation entre
(Moniteur belge du 5 mars
1839, n° 64)
(Présidence de M. Raikem)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à 2 heures.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A
M. Lejeune lit le sommaire des pièces
adressées à la chambre :
« Le conseil communal de la ville de Mons et les sociétés charbonnières du couchant de Mons demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
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« Des habitants de Jodoigne et de Marbais demandent que la chambre repoussent le traité qui lui est soumis. »
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« Des habitants de Beaumont, Soignies, Lens, Hautrage, Gheel, Châtelet et Marchienne-au-Pont demandent que la chambre adoptent le traité de paix. »
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« Les habitants des communes de Bertrange, Grevenmacher, Manternach, Wommeldange, Gostuysen, Diekirch et River (Luxembourg) demandent que la chambre repousse le traité qui lui est proposé. »
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« Des habitants de Stavelot et de Havré demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
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« Le conseil communal de Pommeroeul, les habitants de Hensie (Hainaut) demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
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« Le conseil communal de Bruxelles demande que la chambre adopte le traité de paix. »
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« Le conseil communal de St-Nicolas demande que la chambre adopte le traité de paix. »
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« Des habitants de Charleroy, de Montignies-sur-Sambre et de Mariemont demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
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« Les membres et directeurs d’établissements de verreries dans l’arrondissement de Charleroy adressent des observations sur le projet de loi portant des modifications au tarif des douanes en ce qui concerne les verreries. »
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- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.
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Il est donné lecture d’un arrêté royal qui nomme M. Dujardin commissaire auprès de la chambre afin de soutenir la discussion des questions financières relatives au traité proposé.
- Pris pour notification.
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M. Dumortier – Messieurs, je
reçois, à l’instant même, de Tournay trois pétitions qui ont pour objet de
protester contre tout morcellement du territoire ; ces pétitions sont
signées par d’anciens membres du congrès, par tous les conseillers provinciaux
habitant Tournay, par la plupart des membres du conseil communal, par la
plupart des juges du tribunal de commerce, par tout ce que Tournay renferme de
plus respectable en propriétaires, négociants, fabricants. On ne prétendra pas
sans doute que ces personnes n’ont rien à perdre et que c’est pour cela
qu’elles demandent que
J’ai cru, messieurs, devoir donner ces explications parce qu’on avait prétendu qu’une autre pétition, portant 17 signatures, exprimait l’opinion de la localité qui m’a envoyé à la chambre.
Je dépose donc ces trois pétitions sur le bureau, et je demande qu’elles soient insérées au Moniteur, comme l’ont été les autres.
Discussion générale
M. Dequesne – Messieurs, depuis que j’ai l’honneur d’être dans cette chambre, il s’est présenté plus d’une occasion où, dans l’intérêt du pays, nous avons eu à lutter, je ne dirai pas contre l’opinion publique, mais contre la partie de l’opinion la plus bruyante et la plus agissante. Dans ces circonstances, je n’ai pas reculé contre ce que je considérais comme un devoir. J’ai émis et mon vote et mon opinion, au risque de déplaire, au risque de blesser des susceptibilités plus ou moins légitimes. Aujourd’hui que notre position est plus grave que jamais, je ne reculerai pas davantage contre la ligne de conduite que je me suis tracée en entrant dans cette assemblée ; je dirai ce que je crois la vérité, toute pénible qu’elle puisse être, toute contraire qu’elle soit à des sympathies qu’au fond je partage entièrement.
Le point capital des débats se réduit à ceci : Avez-vous l’espoir fondé de sauver le Limbourg et le Luxembourg ? Rejetez le traité. Ne l’avez-vous plus ? Acceptez le traité. Et au terme où nous sommes arrivés, la question est assez grave pour l’examiner avec calme et sang-froid, assez difficile pour considérer la diversité des opinions comme légitime, les intentions comme également pures, également amies du pays.
Pour ma part, après avoir interrogé de nouveau les événements qui se sont passés depuis 1830, examiné la marche et les décisions de la conférence, relu les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte, car voilà la quatrième fois que cette douloureuse question revient devant nous, après avoir consulté les divers rapports qui ont été présentés sur nos affaires étrangères et notamment les derniers si significatifs et si désespérants, et enfin, après avoir cherché à me rendre compte de notre position, de nos alliances, de ce que nous pouvions faire par nous-mêmes, des secours que nous pouvions attendre, j’ai acquis la conviction que tant que le même concert existerait entre les puissances, il nous faudrait toujours finir par céder et que, si ce concert venait à cesser, ce ne serait plus trois cent mille individus, mais quatre millions qui courraient le risque presque certain d’être sacrifiés.
Or, une fois cette conviction acquise, je n’hésite pas à la dire : il ne s’agit plus de se bercer de vaines espérances qui ne font qu’augmenter le mal ; en présence de l’Europe coalisée, il ne nous reste plus qu’un parti, accepter la proposition du gouvernement. Lutter davantage serait ajouter de nouvelles victimes sans reculer d’un pas le sacrifice.
J’examinerai peu, si avec plus de décision et d’énergie, si en se mettant à la tête et non à la suite du vœu populaire, si en le maintenant dans de justes limites, si en laissant moins aller les choses à la dérive, le ministère n’eût pas défendu aussi bien les intérêts qu’il avait à défendre, mieux fait nos affaires, rendu moins poignante une séparation qui pour lui devait être à peu près certaine depuis longtemps. Le moment serait mal choisi. Dans les circonstances où nous nous trouvons, je suis même tout disposé à rendre grâce à la portion du ministère restant pour ne pas avoir désespéré de la chose publique, pour avoir accepté avec courage la responsabilité de la grave proposition qu’il nous a faite. Pour le moment, ce qu’il nous importe, c’est de démontrer que depuis huit ans nous avons fait tout ce qu’il était humainement possible de faire pour sauver nos malheureux compatriotes, qu’aujourd’hui nous sommes arrivés à la dernière limite de la résistance, que plus loin il n’y a plus que dangers sans espérances, que sacrifices sans résultats.
Pour l’établir, qu’il me soit permis de remonter à l’origine, de jeter un regard sur les obstacles qui nous entouraient, sur la lutte que nous avons soutenue. Cet examen est nécessaire, car ici et ailleurs les faits ont été plus ou moins défigurés. Il est sans inconvénient, car aujourd’hui ou jamais le moment est venu de tout dire
Comme on l’a fait
remarquer lors de la discussion des 24 articles, il y a longtemps que le
Limbourg et le Luxembourg sont des provinces vouées au malheur. A toutes les
époques, plus qu’aucune autre province de
Il ne faut pas se le
dissimuler, la formation du royaume des Pays-Bas avait été l’œuvre du congrès
de Vienne, celui auxquels les puissances du nord et même l’Angleterre avait
prêté leur concours le plus unanime, parce que là se rencontrait une de ces
combinaisons qui depuis Louis XIV ont sans cesse occupe les diplomates, une
première barrière à opposer aux attaques de
Et bien, dès le principe
de la révolution qu’avons-nous fait pour sauver le Limbourg et le
Luxembourg ? Malgré les dangers de toute espèce qui nous environnaient,
nous avons protesté, nous avons rompu avec l’Europe entière. Cet acte était
grand, moral, généreux ; mais, on peut le dire avec un homme d’état à qui
on ne refusera pas de la décision, cet acte était d’une excessive témérité, cet
acte pouvait faire avorter notre révolution à son début. Aussi, quand on jette
un regard en arrière, quand l’on examine ce qui s’est passé depuis le 1er
février 1831 jusqu’au 21 juillet suivant, l’on est tenté de se demander si ce
n’est point par une espèce de miracle que nous avons échappé au triple écueil
qui nous menaçait : la réunion à
Viennent maintenant les 24 articles. Pouvait-on agir autrement qu’on ne l’a fait ?
Quelle était notre
position à l’extérieur ? En France, le système belliqueux était plus que
jamais sur le point de prévaloir, et Dieu sait ce que nous avions de bon à
espérer d’un pareil système. Sans doute un ministre illustre et à jamais
regrettable présidait alors aux destinées de
A l’intérieur, la situation de nos affaires était-elle meilleure ? Nous étions sous le coup d’événements désastreux, suite de trop de confiance d’une part, d’une attaque déloyale de l’autre. L’élan national avait fait place à l’abattement. Le contre-coup de ces événements s’était fait sentir à l’étranger. L’on commençait à douter que nous pussions former un peuple, et ici même, plus d’une personne considérait le projet d’une existence indépendante comme un de ces rêves que l’on aime à caresser, mais auquel on ne croit plus. Dans cet état de choses, la question était nettement posée, il s’agissait d’être ou de ne pas être.
S’il était démontré
qu’avec les conditions de la conférence, nous ne pouvions avoir qu’une
existence souffrante, précaire, momentanée, mieux valait rejeter le traité,
courir les chances d’une mort glorieuse. Si, au contraire, après avoir pesé les
choses sans abattement comme sans vaines illusions, l’on reconnaissait que
Au fond, le traité des 24
articles, dans ce qu’il avait de définitif, n’était guère plus favorable à
J’ai parcouru une période qui déjà est loin de nous. J’ai montré que nous avions défendu nos compatriotes avec énergie, avec témérité même, et comme pouvait le faire un petit peuple de quatre millions d’individus, aux prises avec des dangers de toute espèce, sous le coup d’événements désastreux et luttant contre l’Europe entière.
Dans la période qui vient de s’écouler, avons-nous faibli ? Avons-nous reculé devant la mission qui nous était imposée ? N’avons-nous pas rempli notre devoir jusqu’au bout ?
Les illusions et les espérance sont été grandes. Au lieu de les contenir, on les a exaltées. Aujourd’hui que les résultats sont connus, aujourd’hui que nous avons à revenir de si loin, il sera fort difficile d’échapper aux reproches, aux accusations. Et cependant les chambres et le pays ont fait ce qu’ils devaient ; si le ministère s’est grandement trompé, au moins a-t-il fait tout ce qu’il pouvait. Le mal est qu’on ne s’est pas rendu un compte exact de l’état des choses à l’époque où les négociations ont été reprises.
Qu’est-il arrivé à leur début ? Nous avons vu ici faire table rase, publier que les traités n’existaient plus ou plutôt qu’ils n’avaient jamais existé ? Etait-ce bien là notre véritable position ? En raisonnant ainsi, ne se plaçait-on pas sur un terrain facile, mais glissant, mais dangereux.
Je commence par le déclarer, je suis de ceux qui croient que les engagements internationaux ont une valeur, que les traités ne sont pas de simples chiffons que l’on peut adopter ou rejeter à volonté. Je suis de ceux qui croient, et j’aurai l’histoire pour garant, que le droit, plus que la force encore, régissent les affaires de ce monde, que la diplomatie a fait plus pour la grandeur des états que le sabre et le canon, et qu’en définitive, il y a profit aussi bien qu’honneur à remplir ses obligations, quelques dures qu’elles puissent être. Aussi, s’il est une politique que je désire voir adopter dans l’intérêt de mon pays, c’est que l’on s’appuie moins sur la force, les refus de négocier, les ruptures avec les états, que sur le droit, les alliances et les appels à la foi des traités. Là est pour nous, nation peu forte et par le nombre et par la position, au milieu des intérêts divers qui nous entourent, la seule garantie possible de notre indépendance future, indépendance que huit années d’expérience et de prospérité ont dû nous rendre plus chère encore.
Et partant de là, je pense que pour le premier acte diplomatique que nous avons posé comme peuple indépendant, nous devons prendre garde d’être accusés par l’Europe entière d’avoir manqué à la foi jurée, d’avoir annulé arbitrairement un traité signé et accepté et que pour le considérer comme non avenu, il nous faudrait de bien fortes raisons. Or, que l’on pèse celles qui ont été données, l’on verra si nous pouvons aller jusque-là.
L’on a dit que le traité
du 15 novembre 1835 n’existait plus, faute d’avoir été accepté en temps utile
par les parties principales,
Cette raison serait
fondée s’il n’y avait eu en présence que deux intérêts, celui de
Mais, ajoute-t-on, les
puissances n’ont ratifié que sous réserves. Déjà, messieurs, cette objection a
été faite dans le temps, et il a été reconnu que ces réserves n’attaquaient pas
le fonds du contrat, que des stipulations faites en faveur de tiers ne
pouvaient annuler les engagements pris entre les signataires. Dans tous les
cas, ce vice, s’il existait, ne serait pas invocable vis-à-vis de
Quant aux engagements
pris par la conférence, je le sais, messieurs, en nous proposant les 24
articles, les cinq cours annonçaient qu’elles se réservaient la tâche, et
prenaient l’engagement d’obtenir l’adhésion de
Eh bien, je le dirai, parce qu’il est une chose dans mon caractère dont je ne puis me dépouiller, c’est d’être juste envers tout le monde. Oui, les puissances ont fait tout ce qu’il était légitimement possible, pour exécuter les obligations qu’elles avaient contractées vis-à-vis de vous.
Nous ne pouvons l’oublier, c’est au nom du traité des 24 articles et sur notre appel, que les puissances, les unes agissant, les autres laissant faire, ont accompli un grand acte d’humanité aussi bien que de justice, qu’elles ont sauvé d’une ruine presqu’inévitable notre métropole maritime, et qu’elles nous ont mis ainsi en possession du territoire auquel nous avions droit.
C’est encore au nom de ce
traité que les flottes réunies de
La grande faute des puissances et le plus fort engagement que nous puissions invoquer contre les 24 articles, c’est, après la prise d’Anvers et la convention du 21 mai 1833, de ne pas avoir exigé, puisque telle était leur volonté finale, la remise des parties de territoire que nous devions céder ou au moins de ne pas avoir réclamé de notre part une reconnaissance formelle, par laquelle il aurait été stipulé que nous ne détenions plus ces parties, qu’à titre précaire. En nous laissant exercer sur elles acte de souveraineté pleine et entière, sans protestation, sans réclamation aucune, on entretenait les populations qui les habitent, dans l’espoir que leur sort était définitivement fixé au nôtre ; l’on nous autorisait tous à penser qu’il y avait plus ou moins désistement, renonciation aux clauses du traité sous les rapports territoriaux.
Mais d’autre part quand on considère qu’en vingt occasions nous avons invoqué le traité du 15 novembre 1831 comme la base de notre droit public à l’extérieur ; qu’en 1836 encore dans la réponse à l’adresse, on lit cette phrase : « La nation attendra la fin de nos démêlés politiques dans la position que les traités lui ont faite. » Il devenait bien difficile de soutenir avec chance de succès que les traités s’étaient évanouis tout à-coup, qu’ils n’existaient plus, et que nous étions rentrés dans la plénitude de nos droits. Nous avions, comme l’a dit en 1836 un orateur qui occupait alors une position semi-officielle et qui depuis est devenu ministre : « Un sursis qui sans détruire le passé nous laissait les chances de l’avenir. », sursis excellent pour revenir sur ce qui avait été fait, pour en appeler à la justice et à l’humanité des puissances, mais sursis insuffisant pour rompre de piano des engagements contractés.
Ce sont là, dira-t-on, des arguments de légiste. Mais, en fait d’engagements, je ne connais pas d’autre engagement possible. Hors de là, je ne vois plus qu’un seul argument, celui du canon, celui de la force, et pour l’honneur et le bonheur du pays, je désire qu’il soit employé le moins possible.
Ainsi à la reprise des négociations, nous étions en présence des difficultés anciennes, en présence d’une difficulté nouvelle, celle qui résultait d’engagements précédemment contractés. Je voudrais pouvoir dire : ce qui est fait est fait, éviter les récriminations, ou au moins renvoyer cet examen à des temps plus tranquilles. Mais le gouvernement représentatif ne serait plus qu’un vain mot, si dans des circonstances aussi graves et durant le cours des négociation,s un ministère pouvait se réfugier à l’abri du fait consommé. Dans l’attitude fausse où nous sommes placés et à l’intérieur et à l’extérieur, il est de toute nécessité que nous exercions notre droit de contrôle, que nous éclairions l’opinion publique et que nous montrions que derrière le porte-feuille, il y aune responsabilité.
Je suis tout disposé à tenir compte des difficultés qui entourent les ministres. Elles étaient immenses. Mais je n’en dirai pas moins qu’ils n’ont pas été à la hauteur de leur mission, qu’il sont plus ou moins cause de la fausse position dans laquelle nous nous trouvons. Le mal, au reste, n’est pas aujourd’hui. Il y a longtemps que l’on a reproché au ministère actuel de ne pas avoir de système, de marcher à l’aventure, de ne suivre aucune direction. Et, pour ma part, dans les rares occasions où j’ai cru devoir parler, j’ai toujours insisté sur ce point.
Dans les temps ordinaires, l’on peut vivre avec une semblable politique ; si elle ne fait pas de bien, elle ne fait pas de mal, quoique, selon moi, il y ait beaucoup de danger à ne pas avancer, à vivre au jour le jour et surtout pour un pays qui sort à peine de l’enfantement.
Mais dans les temps critiques, comme ceux que nous venons de traverser, il fallait et il faudra toujours beaucoup de prudence, beaucoup de sagesse, mais en même temps beaucoup de coup d’œil et beaucoup de décision, ou sinon je crains fort pour notre existence future.
Or, en se rappelant ce qui s’est passé, que trouve-t-on ? un ministère indécis qui n’ose pas se mettre à la tête de l’opinion, qui marche suivant qu’on le pousse, qui n’a la force, ni de reconnaître, ni de méconnaître les traités, alors qu’il était à la tête du gouvernail, qu’il devait connaître le fonds et le tréfonds de nos relations extérieures, qu’il avait seul tous les éléments nécessaires pour donner une impulsion utile. Tout était remis en question dans le pays, au moment où le calme qui n’exclut pas l’énergie devenait nécessaire. Les défiances étaient soulevées à l’étranger, au moment où nous avions besoin d’inspirer la confiance la plus entière ; maintenant que nous avons la clef des négociations, que nous connaissons la vérité, plus on y réfléchit, plus on voit qu’il n’y avait qu’une seule ligne de conduite à suivre : ne pas abandonner l’excellente position que huit années de possession nous avaient donnée, faire ressortit tout ce qu’une séparation avait d’odieux, mais en même temps reconnaître franchement et loyalement que les traités étaient obligatoires en ce qu’ils avaient de définitif, ne pas laisser planer le moindre soupçon sur notre bonne foi. Là était à l’extérieur notre seule planche de salut ; à l’intérieur, le seul moyen de contenir le vœu populaire dans ses justes limites.
A l’intérieur, par une déclaration franche et explicite, l’on mettait la nation en garde contre les illusions et le désappointement. On évitait qu’elle ne bût une seconde fois au calice qu’elle avait vidé jusqu’à la lie en 1831. On laissait la question sur le terrain là où elle pouvait encore se terminer, le terrain diplomatique. Par là les susceptibilités nationales demeuraient sauves ; car tout n’était plus soumis à notre libre arbitre. Notre dignité nationale était intacte, car l’honneur veut qu’on remplisse nos engagements. Par là encore on était dispensé de prendre une attitude armée. Et si l’on n’échappait pas à la crise qui nous mine actuellement, au moins en diminuait-on singulièrement la gravité, en n’éprouvant pas les intérêts commerciaux.
A l’extérieur, les
écueils se présentaient plus nombreux encore. Il y avait cent chances pour une
que nous ne réussissions pas. Mais ne supposant que le succès fût possible,
nous ne pouvions l’espérer qu’en inspirant la confiance la plus entière, qu’en
attirant, et non en repoussant ; et pour cela il fallait de prime abord
poser nettement la question, faire valoir nos raisons, mais en même temps
reconnaître la validité des traités, aborder à l’instant les moyens termes,
propres à satisfaire tous les intérêts, offrir ainsi à
Au contraire, en laissant supposer qu’on remettait tout en question, l’on se mettait dès le principe en hostilité avec la conférence dont on détruisait l’ouvrage ; l’on forçait les cours du Nord à se resserrer plus fortement que jamais ; l’on inquiétait l’Angleterre qui, au milieu des complications qui l’entourent, doit être peu soucieuse de nouveaux embarras, on la poussait à une manifestation décisive ; et nous voyons, en effet, que dès le mois d’avril elle fit une démarche officielle par laquelle elle déclarait que tous les arrangements territoriaux étaient à ses yeux irrévocables, et dès lors on pouvait considérer l’affaire comme perdue, car il devenait à peu près certain que le cabinet des Tuileries, finirait pas se réunir aux autres cabinets, et que dès lors il se formerait un faisceau contre lequel et nos raisons et nos ouvertures viendraient se briser.
En suivant la direction que j’indique, eût-on réussi ? Je me garderai bien de l’assurer, mais au moins eût-on adopté la marche la plus sûre, la plus rationnelle et la plus convenable. Au reste, s’il y a eu faute, l’on n’en doit pas moins rendre justice au ministère et à notre ambassadeur pour la ténacité qu’ils ont montrée au milieu de l’isolement dans lequel ils se sont trouvés, à travers les répulsions qu’ils ont rencontrées à chaque pas.
Quant à la nation, elle a fait son devoir : tant que l’espoir lui est resté, elle a montré une unanimité, un concours, un dévouement qu’on ne peut assez admirer. C’est une justice que les habitants du Limbourg et du Luxembourg seront obligés de lui rendre. Qu’avons-nous vu, en effet ? tous les partis s’effacer devant cette question, toutes les opinions marcher au même but, les corps organisés venir déposer leur vœu unanime au pied du trône, les chambres céder au ministère un pouvoir illimité, lui abandonner complètement les rênes des négociations, s’abstenir de toute interpellation, voter toutes les propositions faites ou approuvées par lui, et ceux-là même qui trouvaient que la marche suivie n’était pas la plus convenable, et il en est beaucoup parmi nous qui ont gardé le silence, faire le sacrifice de leur opinion, dans la crainte de compromettre les négociations dont ils n’avaient pas la clef. Le ministère a demandé de l’argent et des hommes. Et l’argent a été fourni, et les hommes ont volé gaiement à la frontière. Par suite de ces dispositions le commerce a fortement souffert, et tant que leur espoir n’a pas été perdu, le commerce s’est tu. Au milieu de ce concours cependant, je dois le dire, c’est avec peine que j’ai vu une scission s’opérer dans le ministère. Cette scission a dû être la suite de graves motifs, je n’en doute pas. Mais il me semble que ces motifs auraient dû être prévus à l’avance, qu’en face des événements qui se préparaient, le ministère aurait dû passer en revue toutes les éventualités, s’assurer que dans toutes les circonstances la plus grande homogénéité existerait entre tous ses membres ; tandis qu’au moment où cette détermination a été prise, elle ne pouvait qu’affaiblir singulièrement la marche du gouvernement, alors que, dans toutes les hypothèses, elle avait le plus besoin d’énergie.
Aujourd’hui, quelle est notre position ? les grandes puissances ont prononcé, et, à ce qu’il paraît, en dernier ressort ; notre ennemi naturel, celui avec qui l’honneur nous faisait un devoir de combattre, refuse la lutte, faire retirer ses troupes, accepte le traité et cependant tient notre armée en échec. D’un autre côté, nos alliés nous abandonnent ; parmi eux quelques vœux se font entendre en notre faveur, mais rares, stériles ou même intéressés. Nos frontières se garnissent de troupes prêtes à nous exécuter. Dans cette position, que pouvons-nous faire, nous, petit peuple de 4 millions, contre l’Europe coalisée ? à quoi servirait de nous roidir davantage contre la nécessité ?
Laissons-nous exécuter, dit-on, refusons le traité, ne consommons pas le sacrifice de nos frères.
Mais si nous refusons les propositions qui nous sont faites, il n’y a pas de milieu : ou nous retombons sous le coup du traité du 15 novembre 1831, beaucoup plus onéreux que celui qu’on nous présente, ou nous reculons jusqu’au congrès de Vienne ; nous existons, mais aux yeux de l’Europe nous n’avons plus pour nous que le fait, et par ce refus reculons-nous d’un pas le sacrifice ? Non, messieurs, nous le rendons plus cruel encore. Nous livrons les habitants du Limbourg et du Luxembourg pieds et poings liés à toutes les conséquences d’une invasion armée, nous les livrons sans garantie, nous les exposons aux réactions qu’une semblable exécution entraînerait nécessairement.
Résistons, crie-t-on d’une part, et l’on n’osera pas nous exécuter.
Ce langage, il n’est pas
nouveau. On en tenait un semblable en 1831 lors de la discussion des 24
articles. « L’expérience ne nous a-t-elle pas appris, disait M. Dumortier,
ce que sont les conditions finales et irrévocables de la conférence, ce qu’il
faut attendre de ses menaces ? Vous savez fort bien qu’il lui est beaucoup
plus facile de le faire que de les exécuter ? » Ce qu’on disait ici,
on le disait également en Hollande ; et cependant, un an après, la
citadelle d’Anvers tombait sous le canon français, et vingt mois plus tard les
forces réunies de
Enfin je suppose que les puissances reculent devant une exécution armée, qu’elles aiment mieux de nous lasser que de nous forcer.
Notre position
serait-elle meilleure ? on peut le dire, car l’étranger sait aussi bien
que nous ce qui se passe ici. Par suite de l’expansion donnée aux affaires,
Ainsi, de quelque côté
que l’on tourne les yeux, que l’on parcoure les cercles de résistance
guerrière, pacifique, semi-pacifique, l’on ne trouve que danger sans chance de
succès aucune. S’il ne s’agissait des intérêts les plus chers de la patrie, je
serais fort disposé à garder le silence, à laisser faire ; je dirais même
aux plus aventureux, aux plus belliqueux : Disposez des ressources de
Maintenant, si j’abandonne cette question devant laquelle toutes les autres viennent s’effacer, si je jette les yeux sur les questions subsidiaires, la dette et la liberté des fleuves, je le reconnais, les propositions de la conférence sont loin de répondre à nos justes griefs, elles nous imposent des conditions onéreuses et contraires à l’équité. Cependant il y a eu progrès, amélioration.
Ainsi, de 8,400,000 florins, la dette a été réduite à 5 millions. Cette réduction est insuffisante. En partant des principes posés par la conférence elle-même, il a été démontré que notre part de la dette ne se montait qu’à 3,815,000 florins, et encore en y comprenant la dette franco-belge plus ou moins problématique. Mais si l’on suppute ce que nous coûterait une résistance infructueuse, le mal qui en résulterait pour notre industrie, mieux vaut encore, sous ce rapport, en passer par les conditions de la conférence.
Malgré ce qu’on ait pu
dire, la question de l’Escaut a fait aussi un pas. Les 24 articles nous
renvoyaient aux traités de Vienne et à la convention de Mayence. La convention
de Mayence consacrait un droit de péage, et l’on sait combien il était
onéreux ; les traités de Vienne posaient, il est vrai, un grand principe,
un principe nouveau dans le droit public, la liberté des fleuves, mais il y
mettaient tant de restrictions que cette liberté n’était, pour ainsi dire, que
nominale ; l’on sait, en effet, combien, malgré des alliances de famille
et de principes, l’Allemagne eut à souffrir des prétentions de
Quant à la question de constitutionnalité, si nous n’avions des précédents, si nous n’avions un traité qui, selon moi, est toujours obligatoire, a toujours force de loi, je renverrais aux développements du rapport, qui établi d’une manière irréfragable que l’article 68 nous donne mission et nous fait un devoir de décider ; et les motifs qu’il en donne me paraissent tellement décisifs, que, pour ma part, je considérerais une déclaration d’incompétence comme un véritable déni de justice.
En me résumant, de quelque côté que je tourne la question, je ne vois plus qu’un parti : autoriser le gouvernement à accepter après avoir tenté, toutefois une dernière démarche. Je sens combien ce mot d’acceptation est dur pour nos malheureux compatriotes, combien il blesse nos susceptibilités nationales, combien il retentira péniblement au cœur de notre armée. Mais, en présence de la force et de la nécessité qui nous étreignent de tous côtés, le temps de la résistance est passé ; il ne nous reste plus qu’à nous résigner. D’autres nations et de plus grandes que la nôtre ont et aussi à étouffer dans leur cœur les sentiments les plus légitimes, et elles n’en sont pas moins grandes, moins honorables aux yeux de l’Europe. Nous avons fait ce qui était en notre pouvoir, et il ne nous reste plus maintenant qu’à en appeler à la justice de l’avenir, et je l’espère, nous ne disons pas à nos compatriotes du Limbourg et du Luxembourg un éternel adieu.
M. Scheyven – Messieurs, quand en 1835 je fus député à la représentation nationale par les habitants du Limbourg, je ne m’attendis pas à voir un jour mettre en doute la nationalité de ceux qui m’avaient confié leur mandat ; j’avais trop de confiance dans leurs droits, j’avais trop de confiance dans la justice de leur cause : oui, messieurs, leurs droits, vous le savez, sont les mêmes que les vôtres ; comme vous ils ont contribué à cette grande œuvre, qui a constitué le royaume de Belgique, comme vous ils ont eu leurs mandataires au sein du congrès national, comme vous je siège dans cette enceinte. Admettre d’autres droits, c’est fouler aux pieds la révolution, qui est la base de notre existence nationale, c’est méconnaître la souveraineté du peuple, consacrée par une disposition expresse de notre pacte fondamental. Hélas, la justice ne triomphe pas toujours, et le faible, qui a droit à la protection du fort, est souvent immolé par lui ! Puisse la solution de la grave question qui se débat en ce moment, ne pas nous en donner un nouvel et douloureux exemple ! Si je dois juger, messieurs, la conduite que vous aurez à tenir par vos actes antérieurs, nul doute que le projet de loi que le gouvernement a eu le triste courage de soumettre à votre approbation, ne soit rejeté. Permettez-moi de rappeler brièvement ce qui s’est passé.
Du moment que le roi Guillaume se montrait disposé à accéder au traité, qui viole nos droits, et porte atteinte à la dignité et à l’honneur national, vous avez voté à l’unanimité une adresse au Roi pour le maintien de l’intégrité du territoire. Bientôt après, la nation, applaudissant à cette manifestation noble et généreuse, est venue la confirmer par les nombreuses pétitions qui nous ont été adressées de toutes les parties du royaume. Ces pétitions, qui toutes respiraient le plus pur patriotisme, prouvaient combien la nation tient à son honneur et à sa dignité.
Depuis, des paroles
royales, appuyées sur l’assentiment unanime de la nation, sont venues nous
rassurer sur notre sort à venir ; nos droits, disait le Roi à l’ouverture
des chambres au mois de novembre dernier, seront défendus avec persévérance et
courage. Ces paroles, accueillies avec tant d’enthousiasme dans cette enceinte
et dans le pays tout entier, prouvaient l’accord parfait qui existait entre le
gouvernement et la nation, et donnaient une nouvelle garantie à l’inviolabilité
de nos droits. Notre adresse en réponse au discours du trône, l’unanimité dans
les votes successifs sur les projets de loi ayant pour but de renforcer l’armée
et de la mettre à même de repousser toute agression, tous ces actes étaient
certes de nature à rassurer, et à faire voir à nos ennemis que
Maintenant cet accord
n’existe plus ; trois ministres que nous devions croire sincèrement
dévoués à notre cause, viennent vous proposer de signer l’acte de séparation.
Pour ma part, je le déclare franchement, je ne puis comprendre comment, surtout
après leur conduite antérieure, ils osent prendre sur ceux cette immense
responsabilité. Je ne m’explique pas que le gouvernement ait pu nous bercer
pendant si longtemps de l’espoir de nous conserver à
Pourquoi le gouvernement nous a-t-il laissé si longtemps dans cette fausse sécurité, si son intention était de se soumettre aux décisions de la conférence au lieu de résister aux exigences de la diplomatie ? Des milliers de personnes ne se seraient pas de nouveau compromises par des manifestations publiques en faveur d’une cause, qui bientôt peut-être ne sera plus la leur. Pourquoi nous demander des millions pour mettre sur pied une armée, si on ne voulait pas s’en servir pour la défense de l’intégrité du territoire ? Pourquoi faire semblant de vouloir résister quand la résignation était dans le cœur ? J’ai attendu plus de fermeté de sa part, j’ai été cruellement trompé.
Mais tout n’est pas consommé encore : il dépend de vous de nous sauver, notre sort est entre vos mains. Voudriez-vous aussi renier vos antécédents ? Pourriez-vous aujourd’hui, sans vous compromettre aux yeux du pays, aux yeux de l’Europe entière, abandonner vos frères du Limbourg et du Luxembourg à leur plus cruel ennemi ? Car, quoique le traité déclare que personne ne pourra être recherché ni inquiété pour cause quelconque de participation aux événements politiques, croyez-vous que par le seul fait de l’acceptation, le roi Guillaume, qui jusqu’ici n’a cessé de traiter la nation belge de rebelles, renoncera aux sentiments de haine et de vengeance envers ceux, il faut bien le dire, qui se sont soulevés contre lui, et ont brisé son sceptre et sa couronne ? Aura-t-il oublié la conduite héroïque de la bourgeoisie de Venloo, quant au mois de novembre 1830, elle fit prisonnière toute la garnison hollandaise ? Pardonnera-t-il le serment d’exclusion à perpétuité de la famille d’Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique, que toutes les autorités communales et provinciales ont dû prêter à leur entrée en fonction ? Et vous, messieurs, qui par vos lois avez prescrit et imposé ce serment à ceux qui forment l’élite de la nation, seriez-vous aujourd’hui les replacer sous sa domination, oseriez-vous vous rendre coupables d’un semblable acte, qui serait sans exemple dans l’histoire d’un peuple civilisé ? Et si, ce qu’à Dieu ne plaise, vous aviez le courage de prononcer le fatal oui, de céder vos compatriotes, vos frères, ne craindriez-vous pas que le remords ne vous poursuive pendant le reste de vos jours ? auriez-vous la force d’étouffer les cris de votre conscience, qui sans cesse vous reprochera les malheurs de tant de familles, les malheurs de tant de victimes.
Avant de vous prononcer sur la grave question que vous avez à résoudre, réfléchissez bien, je vous en supplie, aux conséquences qu’entraînera votre vote ; n’oubliez pas non plus que la révolution a été faite dans un but pour ainsi dire exclusivement moral.
Depuis huit années, nous avons joui d’une constitution qui nous garantissait les libertés civiques, et surtout les libertés religieuses ; lisez le traité inique qui vous est soumis, vous n’y trouverez pas un mot de garantie pour une seule de ces libertés ; vous avez secoué le joug de celui que vous nommiez votre oppresseur, et vous lui livreriez 400,000 de vos frères sans leur garantir au moins le libre exercice de leur culte, la religion de leurs pères ; vous les abandonneriez à la merci du roi Guillaume pour en disposer comme d’un vil troupeau, et votre conscience ne vous dirait pas de repousser un pareil traité ?
Je m’attends à entendre
dire par ceux qui n’ont à cœur que l’intérêt matériel, que le pays ne peut plus
longtemps rester dans la crise où il se trouve, que la stagnation des affaires,
si elle devait continuer encore, le ruinerait. Certes, il serait à désirer que
nos différents politiques fussent terminés le plus tôt possible. Mais l’adoption
du projet de loi, atteindrait-il ce but ? Croyez-vous, quand le Limbourg
et le Luxembourg seront séparés de
Le commerce d’Anvers
deviendra-t-il plus florissant quand la navigation sur l’Escaut sera frappée
d’un droit de 1 florin 50 par tonneau ; et lors même que le pays prendrait
à sa charge ce droit énorme, la navigation sera-t-elle libre de toute
entrave ?
Si ce sont des considérations
d’intérêt matériel qui vous guident, portez un moment vos regards sur la
position des habitants du Limbourg qui sont Belges comme vous, admettez pour un
moment le traité exécuté. Cette partie du pays qui est exclusivement agricole,
où trouvera-t-elle ses grains, dont les deux tiers étaient consommés dans
l’intérieur de
On dira peut-être :
Refusez le traité, c’est la guerre. Mais quand l’honneur national s’oppose à
leur acceptation, quand
Le traité, direz-vous,
est une garantie de votre indépendance et de votre nationalité. Mais ne
voyez-vous pas que le roi Guillaume, supposé qu’il réponde à la déclaration que
son agent a faite à la conférence de Londres de signer le traité, ne s’y
résignera qu’avec l’arrière-pensée de conduire un jour
Je désire que mes
prévisions ne se réalisent pas ; je forme des vœux pour le bonheur de
Messieurs, refusez le traité, l’honneur national sera sauf, et nous n’aurons pas la guerre. Non, les puissances ne se chargeront pas d’exécuter cette œuvre d’iniquité. C’est à vous à voir si vous livrerez vos frères. C’est notre consentement qu’on demande, le donnerez-vous ? Moi, jamais. (Applaudissements.)
M. le ministre des
travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, les trois hommes qui forment
le ministère et qui vous proposent de constituer définitivement la nationalité
belge, appartiennent, l’un par son mandat, l’autre par sa naissance, le
troisième par sa naissance et son mandat, aux deux provinces exclues en partie
de cette nationalité ; en restant aux affaires, ils ont cédé à une
profonde conviction et au sentiment d’un grand devoir. S’ils s’étaient trouvés
hors des affaires, certes ils ne s’y seraient point entrés pour accepter cette
tâche ; mais, se trouvant au ministère et convaincus qu’il n’y a d’autre
mesure à prendre pour
Nous sommes donc aujourd’hui ministres, messieurs, parce que nous l’étions au 23 janvier ; la possession cette fois nous a porté malheur ; elle nous a condamnés, dans cette pénible occurrence, à représenter le gouvernement du pays ; c’est aussi ce sentiment qui nous a engagés à ne faire aucune tentative pour compléter le cabinet ; les nouveaux venus n’auraient pas, eux, comme nous, ce qu’on peut appeler l’excuse de la possession.
Je me suis associé dès l’origine, et en Belgique et dans le Luxembourg, à la révolution, qui s’est confondue dans un mouvement commun ; beaucoup d’hommes de ces premiers temps siègent encore dans cette enceinte ; l’on ne manquera pas de leur rappeler leurs actes en les sommant de réaliser tout ce que l’insurrection avait promis. Se replaçant en septembre, et octobre 1830, oubliant et les faits et les actes, et les revers du mois d’août, et les stipulations politiques de novembre 1831, on leur dira qu’il existe en quelque sorte un contrat primitif qu’ils ne peuvent rompre. A ce compte il faut que la révolution de 1830 soit conséquente ave elle-même jusqu’au suicide.
C’est toujours par là, messieurs, que se compromettent les révolutions ; elles périssent d’ordinaire par l’excès de leur principe. Et cependant les seules révolutions qui amènent des résultats durables sont celles qui savent transiger.
C’est aussi pour cela que rarement les mêmes hommes commencent et terminent les révolutions : beaucoup de ceux qui les commencent s’arrêtent à leurs premières impressions, qu’ils acceptent comme des engagements définitifs ; conduite généreuse sans doute, mais par laquelle on se jette hors des limites du possible ; ceux qui les terminent se présentent sans engagement ou se soumettent à l’empire des circonstances nouvelles.
C’est là, messieurs, le véritable caractère du dissentiment qui doit éclater parmi vous.
Si vous vous reportez aux premières impressions, aux premiers engagements formels ou tacites de 1830, vous devez peut-être repousser toute transaction ; si vous agissez en hommes de 1839, vous êtes invinciblement amenés à accepter une transaction. Est-ce donc dans les souvenirs de 1830 ou dans les réalités de 1839 qu’il faut chercher les éléments de votre conviction ?
Si je fais ces observations préliminaires par lesquelles je réponds d’avance à beaucoup d’accusations, ce n’est pas que mes antécédents m’embarrassent ; je suis de ceux qui se sont fait le moins d’illusions. Bien qu’associé à la révolution, j’ai toujours dit que la nationalité belge ne pouvait se constituer par elle-même, mais de concert avec les puissances, et dans un système pacifique de négociations.
Tout en faisant la part aux affections locales, ce n’est pas timidement que je viens, comme membre du gouvernement, vous conseiller la résolution qui vous est soumise et qui doit sans guerre constituer l’indépendance belge ; c’est une résolution que vous pourrez hautement avouer, qui n’attend plus même sa justification de l’avenir, mais qui malheureusement est devenue un besoin pour le pays : c’est presque une loi d’urgence.
A mes yeux, la résolution qui vous est demandée, est le dernier acte d’un système que, comme Luxembourgeois, j’ai dû déplorer mais sans lequel il n’y avait point de nationalité belge possible.
Ce système, comme je viens de le rappeler, coexistait dans une transaction pacifique entre tous les intérêts extérieurs compromis par notre révolution de 1830.
Ce qu’on vous propose, messieurs, c’est de rester conséquents avec les législatures qui vous ont précédés ; vous n’avez jamais renoncé à ce système ; votre adresse de novembre dernier n’a été qu’une apparente déviation ; vous n’avez voulu, par cette adresse conditionnelle, que soumettre le système à une sorte d’épreuve.
Vous êtes appelés à achever l’œuvre commencée par le congrès national et continué par les législatures suivantes ; il vous est réservé de clore la révolution ou de la rendre à toutes ses incertitudes. C’est là, messieurs, votre véritable point de vue ; il faut vous y placer pour embrasser votre tâche tout entière.
Les cinq grandes
puissances qui, avec ou sans droit, mais qui, de fait, représentent l’Europe,
vous ont notifié à quelles conditions elles admettent
Cet acte, transaction entre tant d’intérêts, je ne viens pas le justifier, mais l’expliquer, en m’attachant aujourd’hui aux stipulations territoriales.
Je vais donc vous exposer
quel est, selon moi, le principe qui a présidé aux combinaisons que vous avez
une première fois acceptées en 1831, et que la conférence a crû devoir
maintenir en 1839 malgré nos réclamations ; si je démontre que ce principe
tient à des
intérêts politiques et militaires qu’il nous est impossible de détruire, que le
temps seul peut modifier, qu’il n’a point encore modifiés, je croirai en conclure,
ou bien qu’il faut renoncer à constituer une Belgique indépendante, ou qu’il
faut la constituer aux conditions qui vous sont imposées.
Les traités de 1815 avaient érigé le royaume des
Pays-Bas et le grand-duché de Luxembourg ; le royaume des Pays-Bas était
établi au profit de
Le grand-duché de Luxembourg n’a jamais été
véritablement constitué ; la forteresse de Luxembourg a été militairement
occupée au nom de la diète fédérale, et nous avons pensé pendant quinze ans que
c’est à ce fait que se bornaient les relations du Luxembourg avec
l’Allemagne ; le pays a été incorporé au royaume des Pays-Bas, et
considéré comme l’une des provinces méridionales.
C’est dans cet état de choses que la révolution de
Cet état de choses n’était point connu à
l’étranger ; de là tous nos embarras, tous nos malheurs.
Prenant à la lettre les traités de Vienne, on a
supposé que depuis 1815 il existait à côté du royaume des Pays-Bas un état
allemand réellement constitué du nom de grand-duché de Luxembourg, que la
révolution belge avait fait invasion dans cet état pour s’en emparer.
La révolution belge n’avait pas réuni le Luxembourg à
Rien donc de plus naturel que l’adjonction du
Luxembourg à la révolution belge, le contraire n’était pas même possible :
au moment de la commotion révolutionnaire, les Belges ne pouvaient dire aux
Luxembourgeois : « Arrêtez-vous, vous n’êtes pas Belges ; c’est
à tort que le roi Guillaume vous a considérés comme tels ; c’est à tort
que vos députés ont siégé aux états généraux pendant quinze ans comme députés
de l’une des provinces méridionales. »
Ce qui nous semblait si naturel, si nécessaire, a
paru un attentat à nos ennemis, une imprudence à nos amis ; du haut de la
tribune de France nous avons été dénoncés à l’Europe par un orateur, alors
membre du cabinet comme ministre d’état, et personne ne lui a répondu, personne
n’est venu opposé aux traités de 1815 le fait de quinze ans.
Après avoir exposé plusieurs chances de guerre, M.
Bignon disait dans la séance du 13 novembre 1830 : « Je dois encore
en signaler une autre qui a son principe dans les passions des Belges, dans les
imprudences des Belges ; c’est leur prétention mal fondée sur le
grand-duché de Luxembourg. J’articule ce fait à la tribune, afin de dissiper
une erreur trop accréditée, et par la crainte que la presse périodique qui a
rendu tant de services à la cause des peuples, ne contribue à compromettre
l’indépendance des Belges, en les encourageant dans un système d’occupation
capable d’attirer un choix entre eux et l’Allemagne. » M. Bignon analyse
ensuite les dispositions des traités de 1815, comme s’ils avaient réellement
reçu leur application entière.
Telle était la manière de voir de M. Bignon et du
cabinet dont il faisait partie ; ce cabinet avait pour président M.
Laffite et pour ministre des affaires étrangères le maréchal Maison. Le
gouvernement français a cru qu’en droit et en fait le Luxembourg avait, depuis
1815, une existence distincte des provinces belges, et c’est dans ce sens que
les instructions ont été données au prince de Talleyrand à Londres.
C’est vainement que la tribune belge, que le comité
diplomatique du gouvernement provisoire, ont élevé des réclamations ; dans
la séance du congrès du 17 novembre, répondant directement au discours de M.
Bignon, j’ai fait à mon tour un appel à la publicité et à la presse française.
Mais nos explications n’ont point été écoutées ; c’était un parti
pris ; dans le Luxembourg nous étions plus que des révolutionnaires, nous
étions des conquérants.
Dans plusieurs écrits, et récemment encore, j’ai
rétabli les faits, j’ai montré, quel avait été le véritable état des choses de
1815 à 1830 ; je vous rappelle ces écrits, non pour les rétracter, mais
pour répondre d’avance à ceux qui croiraient pouvoir s’en prévaloir contre moi.
Je prétends toujours que les Luxembourgeois ont eu raison de s’associer à la
révolution, que l’Europe commet envers eux une grande injustice en les séparant
de
Si, lorsqu’il en était temps encore, le ministère de
M. Laffite avait voulu s’enquérir des faits, il aurait pu en tirer un parti
immense ; il ne s’agissait pas d’innover dans le Luxembourg, mais de
maintenir ce qui existait de fait. Le roi Guillaume avait, à l’exception de ce
qui concerne la forteresse, refusé de 1815 à 1830 de constituer le Luxembourg
comme état allemand ; pourquoi ne pas se prévaloir de ce refus après
1830 ?
Le gouvernement français est allé plus loin.
Invoquant ce qu’on appelait le principe de non-intervention, il avait déclaré,
quelque temps après l’insurrection de Bruxelles, que l’appel de troupes
étrangères quelconques, leur entrée en Belgique, serait un acte d’hostilité
contre
Ainsi, de septembre à novembre 1830, à une époque où
le prestige révolutionnaire était tout-puissant, où l’Europe semblait
s’ébranler, où l’on pouvait parler haut, très haut, le gouvernement français,
mal conseillé et mal informé, a posé un acte qui est resté acquis à la diète et
à la conférence, et contre lequel nous avons lutté depuis, abandonnés à
nous-mêmes : sans égard aux faits, il a considéré le Luxembourg comme un
état allemand en dehors du royaume des Pays-Bas et destiné à survivre à ce
royaume. Faute grave que nous expions et dont le ministère de M. Laffite ne se
disculpera jamais.
Le 20 décembre 1830, la conférence, en déclarant le
royaume des Pays-Bas dissous et en admettant le principe de l’indépendance
belge, a excepté le grand-duché de Luxembourg, lequel devait continuer à former
un état de la confédération germanique sous la dynastie d’Orange-Nassau ;
en posant les 20 et 27 janvier 1831, les conditions de l’indépendance belge,
elle a maintenu cette exception : elle ne faisait qu’appliquer les
doctrines exposées à la tribune française, le 13 novembre précédent et vainement
refusées par nous.
Le gouvernement français s’est cru assez fort pour
exiger, malgré les traités de Vienne, la dissolution du royaume des
Pays-Bas ; n’aurait-il pas pu au moins essayer d’obtenir également, malgré
ces traités, la destruction entière du grand-duché de Luxembourg ?
N’aurait-il pas pu dire : « Le Luxembourg n’a pas été depuis 1815
véritablement constitué comme état allemand ; je n’entends pas qu’on le
constitue ; je n’entends pas qu’on fasse à côté de
Non seulement on a ignoré et voulu ignorer les faits
en France mais on ne s’y est pas rendu compte de l’importance de la création du
grand-duché de Luxembourg. Ce n’est que dans ces derniers temps que la question
du Luxembourg a obtenu dans les chambres françaises quelque attention, et
encore vous jugerez tout à l’heure si on l’a vraiment appréciée. Dans une
brochure publiée vers la fin de 1831 (De
Vous me permettrez, messieurs, de me citer
moi-même ; dans une discussion assez pénible, je tiens à prouver que je
suis resté fidèle à mes antécédents ; personne n’a pu ignorer mes
opinions ; elles datent de loin, et dans maintes occasions, je les ai
exprimées sans détour.
Je vous disais dans la séance du 26 octobre 1831
(discussion des 24 articles) :
« La question belge était complexe :
commerciale et militaire.
« La question militaire a été résolue contre
nous, parce que l’intérêt européen a paru l’exiger.
« La question commerciale a été résolue en notre
faveur, parce que l’intérêt européen l’a permis.
« La question militaire était celle-ci :
Fait-il prolonger le territoire hollandais jusqu’à Maestricht le long de
« Faut-il joindre à la forteresse de Luxembourg
un territoire assez étendu pour que, sans ridicule, le roi Guillaume puisse
encore s’intituler grand-duc de Luxembourg, et rester membre de la
confédération germanique ?
« Ces deux points fondamentaux ont été décidés
contre nous, et cette décision est hors de la portée de nos délibérations
parlementaires. »
Je vous disais encore dans la séance du 24 décembre
1831 :
« Prétendra-t-on que la confédération germanique
a intérêt à annuler les arrangements du traité du 15 novembre ? L’abandon
gratuit de la partie méridionale du grand-duché de Luxembourg pourrait paraître
jusqu’à un certain point contraire à la constitution fédérale de
l’Allemagne ; mais qu’on le remarque bien, il ne s’agit pas d’un abandon
gratuit, d’une dépossession sans dédommagement. Aux termes du traité du 15
novembre, c’est d’un échange qu’il s’agit ; or, certainement ce n’est pas
violer les statuts fédéraux que d’accepter, de sanctionner un échange, selon
moi, avantageux à l’Allemagne. Un propriétaire qui fait un échange avantageux,
ne méconnaît pas son droit de propriété, il l’exerce utilement.
« Je vais plus loin : je soutiens que si
« La partie méridionale du royaume des Pays-Bas
s’appuyait sur trois rivières : l’Escaut,
« La confédération germanique n’a aucun intérêt
à repousser les arrangements territoriaux, arrêtés par la conférence de
Londres… Elle acquiert politiquement et militairement plus qu’elle ne perd. En
cédant à
C’est ainsi, messieurs, que je caractérisais le
traité du 15 novembre, que j’en indiquais la valeur pour l’Allemagne et
l’Angleterre ; il avait ce caractère, cette valeur en 1831 ; cette
valeur, ce caractère, l’a-t-il perdu ?
Vous voyez, messieurs, quelles ressources la
conférence a su trouver dans la question du Luxembourg ; le royaume des
Pays-Bas s’est retiré de la ligne de forteresses élevés d’Ostende à Dinant,
mais il s’est retranché sur
Je suis amené, messieurs, à discuter la question tant
agitée depuis dix mois.
Le traité du 15 novembre 1831 est-il encore
obligatoire ?
La question est mal posée : c’est la réduire aux
proportions d’un débat de droit civil.
Les arrangements territoriaux, stipulés en 1831 comme
conditions de l’indépendance belge, sont-ils encore considérés comme
nécessaires en 1839,
L’Angleterre et l’Allemagne peuvent-elles renoncer à
ces arrangements ?
C’est là ce qu’il faut nous demander.
Je suis forcé de répondre que ces arrangements sont
encore considérés comme nécessaires, que l’Allemagne et l’Angleterre ne croient
pouvoir y renoncer, que
Le traité du 15 novembre 1831 n’a pas détruit les
combinaisons de 1815 ; il ne les a que modifiées. Le grand-duché de
Luxembourg, Maestricht et la rive droite de
Il est vrai que sept années se sont écoulées ;
au-dedans les populations se sont encore davantage habituées à se considérer
comme Belges ; l’assimilation est devenue plus intime encore ; mais
au-dehors qu’y a t-il de changé ? Les intérêts allemands et anglais
auxquels il a été fait droit par le traité du 15 novembre ne subsistent-ils
pas, ne pèsent-ils pas sur nous de tout leur poids ? Ces intérêts, le
gouvernement français a désespéré de les vaincre en 1830 et 1831 ; le
pourrait-il aujourd’hui ?
L’Allemagne se désisterait-elle du bénéfice du traité
du 15 novembre 1831 ? Consentira-t-elle, en ne conservant que la ville
seule de Luxembourg, a affaiblir sa position sur
L’Allemagne veut être réintégrée dans un de ses
états, et cette réintégration n’est pas à ses yeux un fait isolé et
secondaire ; il se rattache à un ensemble d’idées, de traditions.
Si ces sentiments hostiles de l’Allemagne avaient
besoin d’une justification, ne la trouverait-on pas dans cet esprit belliqueux
qui anime encore presque tous les partis en France, et que nous avons vu se
réveiller dans une récente et mémorable discussion ? Louis-Philippe a
reconnu la nationalité belge, il l’a reconnue sincèrement, sans arrière-pensée,
car je crois à la haute intelligence de ce monarque. Mais notre nationalité
est-elle reconnue par
«
Ainsi le remède aux embarras, à
l’ « ennui » de
Oui,
L’intérêt que l’Allemagne et l’Angleterre avaient aux
stipulations territoriales du 15 novembre 1831, existe donc malheureusement en
1839 comme il existait en 1831 ; il subsiste parce que l’on doute de
Quand
Avons-nous le droit de le prétendre en reportant nos
regards en arrière, en passant en revue tout ce qui s’est fait depuis
1830 ? le plus grand service que le peuple français pourrait nous rendre
aux yeux de l’Allemagne, serait de renoncer sans arrière-pensée à son système
d’extension territoriale ; quand il aura accepté la nationalité belge
comme il accepte la nationalité d’autres états limitrophes, de
Telles sont les considérations qui me semblent
établir l’intérêt que l’Angleterre et l’Allemagne croient avoir, tout en
commettant une grande injustice envers nous, à maintenir au moins jusqu’à
d’autres temps les arrangements territoriaux du traité du 15 novembre 1831,
considérations qui pour moi ne datent pas d’hier, bien qu’elles aient eu besoin
de la nouvelle sanction qu’elles viennent de recevoir ; elles sont le résultat
de toutes mes réflexions, de toutes mes études historiques et politiques. Les
questions européennes soulevées et compromises par les révolutions de 1830 ne
s’offrent point à moi isolées ; elles m’apparaissent comme un incident
d’un long drame qui commence au dix-septième siècle et dont toutes les parties
sont présentes à ma mémoire comme des faits contemporains, drame entremêlé de
traités et de batailles, et dont la scène a été en Belgique ; drame où les
acteurs d’aujourd’hui ne sont pour moi que les acteurs d’autrefois, où le même
personnage, parlant le même langage, s’appelle successivement Guillaume III,
Pitt, Castlereagh, Palmerston ; drame que
Ainsi, en 1830, le gouvernement français a reconnu
l’existence d’un grand-duché de Luxembourg, et en 1831 il a repoussé le seul
moyen qui pût, dans les circonstances présentes, concilier nos vœux avec les
intérêts de l’Allemagne. Demander le Luxembourg en offrant d’entrer dans la
confédération, c’est soulever
Ces considérations, tout anciennes qu’elles étaient
pour moi, ne pouvaient néanmoins dominer mon esprit exclusivement d’une manière
absolue et définitive.
Elles ne pouvaient me dominer d’une manière absolue
et définitive ; car, je le répète, plusieurs n’ont reçu leur sanction que
dans des faits récents.
C’est ainsi que les dispositions hostiles des états
secondaires d’Allemagne viennent de se révéler d’une manière très
remarquable ; le roi de Wurtemberg, en ouvrant la session, a fait allusion
à la question du Luxembourg ; renchérissant sur les paroles royales, la
chambre des députés, et c’est une chambre libérale, a hautement revendiqué ce
qu’en Allemagne on appelle les droits de l’Allemagne ; dans son adresse
présentée le 8 février, elle s’exprime en ces termes : « Nous
partageons fermement l’espoir de votre majesté pour la conservation de la paix.
Mais si elle devait être troublée par des événements imprévus, votre majesté ne
trouvera pas moins en nous et en votre peuple entier, que dans votre fidèle
armée, ce bon esprit qui ne recule devant aucun sacrifice nécessaire pour le
maintien de l’intégrité et la protection de notre patrie allemande. Ces
sentiments nous font partager l’attente de votre majesté que le système de
défense pour la protection de l’Allemagne méridionale, prouvé par les traités,
recevra bientôt son exécution. »
C’est ainsi qu’une tentative très récente est venue
révéler de nouveau les dispositions hostiles du gouvernement français à toute
transaction qui, en conservant le Luxembourg à
Les considérations que je vous ai développés ne
pouvaient non plus nous dominer exclusivement ; on ne pouvait prévoir
l’issue des négociations, ni par conséquent les diriger d’après les seules
chances qu’offrait la question territoriale.
En dehors de cette question il existait des chances qu’il fallait se
ménager.
La non-exécution pendant sept ans était un fait grave
dont il fallait réclamer le bénéfice sans distinction.
On pouvait douter de la sincérité du roi Guillaume, à
qui on pouvait supposer seulement l’intention de changer sa position en
déplaçant les torts.
On pouvait nous mettre en présence, non seulement du
traité du 15 novembre 1831, mais des négociations de 1833 dont les détails vous
sont maintenant connus par le procès-verbal de la conférence ; non
seulement il fallait obtenir mieux que 1831, il fallait obtenir mieux que 1833.
Ce n’est pas que je veuille adresser un reproche au
ministère de 1833, le ministère à qui nous devons la libération d’Anvers et le
statu quo du 21 mai ; personne n’apprécie plus que moi l’habilité de
l’honorable général qui dirigeait les affaires étrangères ; le ministère
de
La marche suivie en 1838 par le gouvernement était
nécessaire, et comme tel les partisans les plus absolus du système pacifique
doivent l’approuver ; elle a été de plus utile.
Je dois m’arrêter sur chacune de ces propositions,
car au point où en sont les choses, c’est, à mes yeux, une des parties
décisives de la discussion.
A en juger par le discours de l’honorable M.
Dequesne, le ministère, dans cette discussion, doit se prémunir non seulement
contre les adversaires de la paix, mais encore contre certains des partisans de
la paix ; d’après les uns il ne faut pas céder ; d’après les autres
il fallait céder plus tôt.
En nous conseillant, nous dira-t-on, d’adhérer à
l’acte du 23 janvier, vous nous déclarez que les arrangements territoriaux sont
irrévocables ; c’est votre argument pour obtenir notre adhésion ;
mais cette déclaration, il fallait nous la faire il y a six mois, il y a trois
mois ; c’eût été un argument pour ne pas prendre la position
extraordinaire que nous avons prise, pour ne pas nous livrer aux dépenses que
nous avons faites. De deux choses l’une, ou vous avez tort de parler ainsi
aujourd’hui, ou vous aviez tort de vous taire.
Je pense, messieurs, ne point affaiblir l’accusation.
J’y réponds.
Si le gouvernement vous propose d’adhérer à l’acte du
23 janvier, c’est non seulement parce qu’il a reconnu que les arrangements
territoriaux sont irrévocables, mais parce qu’il a obtenu d’importantes
modifications sur les autres questions ; il a obtenu à cet égard mieux que
1831, mieux que 1833.
Il a reconnu que les arrangements territoriaux sont
irrévocables ; mais, pour le constater, il fallait que rien n’influât sur
les déterminations au dehors ; parler, douter, c’était s’exposer à
entendre dire : « Si les arrangements territoriaux ont été maintenus,
c’est que vous aviez parlé prématurément, c’est que vous aviez douté. Ce sont
vos paroles, vos doutes qui ont encouragé la conférence de Londres dans son
inexorable arrêt, les chambres françaises dans leur déplorable défection, le
gouvernement et les chambres de l’Allemagne dans leurs tardives
réclamations. » C’eût été une bien autre accusation ; ce n’est pas
tout, eût-on ajouté : « Non seulement, en désespérant à l’avance de
la question territoriale, vous l’avez compromise, ou plutôt vous l’avez
résolue, mais en vous remettant si complaisamment sur le terrain du traité du 15
novembre, vous avez tout exposé ; il fallait vous taire, ne fût-ce que
pour être plus forts sur ces dernières questions. »
C’est à cette accusation que pour ma part j’ai voulu
échapper, tout livré que j’étais à de tristes pressentiments ; ayant à
choisir entre deux accusations inévitables, c’est celle que l’on porte
aujourd’hui qui m’a le moins effrayé.
Par son adhésion du 14 mars, le roi Guillaume avait
réclamé le bénéfice des 24 articles comme s’il les avaient acceptés au 15
octobre 1831, sans réduction de la quote-part qui nous avait été assignée dans
le partage des dettes, avec remboursement des avances faites par le trésor
hollandais depuis le mois de novembre 1830 ; avec le maintien des
stipulations relatives à l’Escaut, c’est-à-dire avec application à ce fleuve du
tarif de Mayence ; il y avait là un grand danger, et nous n’y avons
échappé qu’en cherchant à remettre en question tous les arrangements.
Ce n’est point là une supposition : considérer
comme irrévocables et les arrangements territoriaux et les arrangements financiers,
telle est la position que le gouvernement anglais lui-même avait prise à la fin
d’avril 1838, telle est la position que la conférence entière avait prise dans
les négociations de 1833, et que le gouvernement belge avait à cette époque
acceptée.
Nous avons obtenu la libération des arrérages sans
condition et la réduction de la dette sous la condition de la non-liquidation
du syndicat d’amortissement ; dans les négociations de 1833, l’on avait
regardé comme irrévocable la fixation de notre quote-part de la dette, et l’on
avait songé à établir une compensation entre la remise des arrérages dus à
cette époque et notre renonciation à la liquidation du syndicat
d’amortissement. C’est à cette dernière proposition que l’on serait
probablement revenu. La conférence de Londres, en ne maintenant, par son acte
du 23 janvier 1839, comme irrévocables que les arrangements territoriaux seuls
dictés par un intérêt européen, a consacré une importante innovation.
Le gouvernement néerlandais pouvait ne pas être sincère
dans son adhésion du 14 mars 1838, c’est-à-dire, pour me servir d’une
expression plus convenable, avoir, en adhérant, un autre but que celui d’amener
un véritable dénouement. Cette adhésion donnée subitement avait déconcerté même
les alliés les plus intimes du cabinet de
La marche qui a été suivie était donc nécessaire pour
échapper à un piège ; elle l’était encore pour disculper le pays à ses
propres yeux.
Il y a des causes si saintes, messieurs, que la
raison abstraite ne suffit point à la conscience pour en justifier le
sacrifice ; la conscience hésite, elle veut hésiter. Elle se complait dans
ses hésitations jusqu’à ce que les faits viennent la placer en face des
nécessités réelles.
Ce qu’il fallait surtout attendre c’était la réunion
des chambres françaises ; il fallait tâcher de maintenir jusqu’à cette
époque la conférence dans l’inaction.
Nous voilà même arrivé à la session du parlement
britannique, nous ne sommes pas seulement condamnés par les trois cabinets
absolutistes, nous avons laissé aux deux grandes tribunes du monde civilisé,
aux tribunes de France et d’Angleterre, le temps de parler ; les deux
grands gouvernements parlementaires nous ont aussi abandonnés. Sur quoi
voulez-vous que nous comptions encore dans notre système de résistance ?
Il faut, me répondra-t-on, nous procurer des appuis
en dehors des gouvernements et des chambres, faire un appel à
Toute négociation même désespérée sur un objet est
sujette, lorsqu’elle en embrasse plusieurs, à présenter dans son cours les
chances non de succès direct, mais de rupture, ce qui équivaut souvent au
succès, ce qui pour nous équivalait au succès. Ce sont ces chances qu’il
fallait aussi nous ménager. Il pouvait y avoir sur un objet en dehors de la
question territoriale désaccord des cinq puissances entre elles, ou des cinq
puissances avec le cabinet de La Haye ; dans ce cas la rupture eût par
notre silence laissé intacte la question territoriale. Le roi Guillaume pouvait
se refuser à toute réduction de notre quote-part de la dette, exiger le
maintien pur et simple des stipulations relatives à l’Escaut ; il y avait
là autant de chances de désaccord et de rupture. C’est également dans cette
prévision que nous nous sommes efforcés de faire marcher avant la question
territoriale toutes les autres questions. L’une de celle-ci venant à se heurter
contre un obstacle, la voie se fût trouvée par cela même fermée. Ce n’était
point raisonner d'après de pures suppositions ; il existait un précédent
qui devait nous engager à ne pas nous mettre trop vite à découvert et à marcher
avec précaution ; les négociations n’avaient-elles pas été en 1833 précipitamment
rompues par un incident inattendu ? Et quel bonheur qu’au jour de la
rupture en 1833, nous ne nous soyons pas trouvés engagés sur toutes les
questions, dont plusieurs sont ainsi restées livrées aux chances de
l’avenir ! Récemment encore n’avons-nous pas voulu notre ménager une
dernière chance par notre silence, celle de la non-adhésion du roi Guillaume à
l’acte du 23 janvier ? Et s’il avait refusé d’adhérer en rappelant les
termes de sa première adhésion du 14 mars 1838, voyez comme notre position
restait belle devant l’avenir.
Pour apprécier la marche d’un gouvernement, il faut
non seulement tenir compte de ce qui est arrivé, mais de ce qui pouvait
arriver, dans les limites de certaines probabilités ; c’est ce que l’on
fait rarement, c’est ce que M. Dequesne n’a pas fait. Il y a des résultats
négatifs qui restent inaperçus : ce sont les dangers auxquels on échappe,
les écueils que l’on évite.
C’eût donc été une faute, et une faute impardonnable
que de ne connaître, dès que l’adhésion du 14 mars nous a été communiquée la
force obligatoire du traité du 15 novembre 1831, même en faisant des réserves
par rapport aux stipulations financières et fluviales ; on aurait pu se
prévaloir de notre adhésion immédiate aux arrangements territoriaux pour maintenir
tout le traité ; en ce qui concerne les arrangements territoriaux, il
existait d’ailleurs un fait nouveau, le statu quo de sept ans, fait que certes
nous ne devions pas déclarer sans importance. De ce fait naissait une question
morale qu’un gouvernement national devait poser à la diplomatie européenne,
question morale que M. Thiers a exposée avec beaucoup d’habilité dans son
discours du 17 janvier, en se demandant si, tout en reconnaissant l’existence
du traité du 15 novembre 1831, il n’était pas, par le statu quo de sept ans,
survenu un fait de nature à influer sur le mode d’exécution.
A une certaine distance sans doute on a pu d’étonner,
dans le lointain de l’avenir on pourra s’étonner, que les Belges se soient
refusés à l’exécution d’un traité qu’ils avaient accepté : étonnement dû à
un oubli grave, c’est que ce traité était demeuré sept années sans exécution. A
une certaine distance ou dans le lointain de l’avenir, sept années apparaissent
comme sept semaines, comme sept jours ; elles s’effacent ; mais pour
nous contemporains et concitoyens qui vivons du présent, ce sont sept
prodigieuses années. En 1831,
Du jour où la grande résolution du roi Guillaume de
reconnaître la nationalité belge, nous fut annoncée, il m’a semblé qu’il y
avait pour nous un milieu à tenir entre le système indéfini de résistance et le
système immédiat de concession ; céder immédiatement, c’était s’exposer à
subir non seulement les stipulations européennes, mais toutes les dispositions
du traité de 1831, telles qu’elles avaient été arrêtées d’urgence sous la
première influence de nos désastres militaires et avec la précipitation
qu’avait commandée le désir de trouver une solution ; résister
indéfiniment, c’était s’exposer à compromettre la nationalité belge, au milieu
d’une sorte de coalition européenne et d’une crise intérieure. Ce milieu, le
gouvernement a-t-il su le tenir ? je le crois, malgré d’apparentes
déviations ; les arguments extraordinaires qui ont été effectués dans ces
derniers temps ont été commandés par l’attitude subitement prise par
Cette crainte était très sérieuse, messieurs ;
j’appelle sur ce point toute votre attention ; au lieu de faire de
nouvelles propositions, la conférence pouvait procéder par déclarations, elle
pouvait exiger le désistement de
Cette marche, je n’hésite point à le dire, a été
suivie avec habilité et succès.
Rappelez-vous, messieurs, le comité secret du 28
avril 1838 ; vous étiez alors en présence du traité du 15 novembre
1831 ; vous être maintenant en présence de l’acte du 23 janvier 1839 ;
de quels sinistres pressentiments n’étions-nous point dominés dans cette
première et douloureuse révélation de notre position ? De toutes parts, la
situation s’offrait sombre et décourageante. J’entendais murmurer autour de
moi, sur ces bancs : Au moins si nous étions libérés des arrérages. Le
traité du 15 novembre était devant nous comme une montagne infranchissable. Qui
de nous osait à cette époque se promettre la révision de tout ce que le traité
de 1831 ne renfermait point d’européen ? Révision qui a reçu une
remarquable application par l’acte du 23 janvier ; résultat qu’on n’avait
point obtenu en adoptant dès le premier jour le système de concession, résultat
que vous compromettrez en vous jetant dans le système indéfini de résistance.
Dans ses rapports du 1er et du 19 février,
M. le ministre des affaires étrangères vous a initiés à tous les détails de la
longue et laborieuse négociation qui a suivi l’adhésion du roi Guillaume du 14
mars 1838.
La question que vous avez dû vous poser en relisant
ce récit, c’est de savoir si tout est épuisé dans le système diplomatique, si
tout a été essayé.
On avait d’abord espéré d’empêcher toute reprise des
négociations, en comptant sur des dissidences dans le sein de la conférence.
La reprise des négociations étant décidée, on a
espéré les faire recommencer à neuf, c’est-à-dire sans accepter pour point de
départ les actes de 1833.
Ce point de départ étant près d’être accepté, l’on
s’est efforcé d’obtenir la priorité en faveur de la question de la dette ;
et en cela on a réussi.
Tantôt abordant l’ensemble, tantôt s’arrêtant à l’un
ou à l’autre détail, l’on a successivement espéré :
Ou d’obtenir le maintien du statu quo de la
convention du 21 mai 1833, en assurant à
Ou d’amener le roi Guillaume, en faisant poser, d’une
manière générale, le principe de la révision financière, à proposer lui-même le
rachat du territoire.
Dans ces derniers temps, nous avons nous-mêmes fait
directement cette proposition.
Nous avons songé à fédéraliser le Luxembourg, soit en
faisant entrer notre Roi dans la confédération, soit en réservant à la diète
germanique la souveraineté militaire.
Tout a été essayé.
Tout a échoué.
Nous avons, comme en juin 1831, tout offert hors la
cession : la transaction pécuniaire offerte en conséquence du décret du
congrès national du 2 juin
Tout est donc consommé dans l’ordre diplomatique.
La conférence a, par son acte du 23 janvier 1839,
reproduit les arrangements territoriaux de novembre 1831 et modifié les
arrangements financiers et de navigation.
Faut-il ou non adhérer à cet acte ?
En n’y adhérant point que faut-il faire ?
Telles sont les deux questions qui se présentent, et
c’est à dessein que je les pose en même temps.
En adhérant à l’acte du 23 janvier, nous prenons une
résolution complète par elle-même ; nous le savons, c’est notre
réconciliation avec l’Europe, c’est la reconnaissance de notre nationalité,
c’est la paix.
En déclarant que nous n’adhérons point à cet acte,
nous prenons une résolution incomplète, purement négative, qui ne suffit point.
A l’appui de notre adhésion, que ferons-nous ?
C’est là, messieurs, ce qu’il ne faut pas perdre de
vue.
Le parti que le gouvernement propose est seul
réel ; tout autre résolution vous ramènerait dans peu de temps à ce
parti ; mais sans aucun des avantages qu’il offre aujourd’hui.
Dans une discussion ordinaire, l’affirmative semble
seule engager, la négative n’engage point. Il n’en est pas de même dans cette
question, il ne suffit pas de dire que vous ne voulez pas de cette proposition,
il faut dire ce que vous ferez en n’en voulant point.
Recherchons donc ce que l’on peut faire en refusant
l’adhésion.
La seule idée qui se présente, c’est la guerre, et
même la guerre immédiate.
La guerre immédiate, je suis embarrassé de définir ce
système, bien que ce soit, hors le parti de la guerre, le seul logique. La
guerre, et contre qui ? La guerre, et avec quelles chances de
succès ? la guerre, et par quels moyens ? Vous avez contre vous
Vous vous jetterez dans les provinces rhénanes ;
vainqueurs, il vous restera encore à vaincre
Je n’insiste donc point ; j’attendrai que cette
proposition vous soit faire.
Ne voulant ni la paix, comme le propose le
gouvernement, ni la guerre, comme je viens de le supposer, dans quelle situation
se mettra-t-on en n’adhérant pas ?
Essayons de la définir.
Ce n’est pas l’ancien statu quo pacifique ;
celui-là a disparu sans retour, il a perdu ses deux grands caractères : la
confiance au-dedans, car il a éclaté une crise ; la sécurité au dehors, car
les puissances qui le garantissaient nous menacent maintenant.
Il ne peut donc être question de rétablir l’ancien
statu quo pacifique.
Quel sera le caractère de la nouvelle situation
intermédiaire entre la paix que l’on ne veut pas et la guerre que l’on n’ose
point ?
Ce caractère variera d’après les intentions et les
espérances.
Pour ceux qui pensent qu’il faut au besoin se
défendre, il faudra maintenir les armements, ce sera le statu quo que
j’appellerai de résignation.
C’est celui que l’honorable comte Félix de Mérode a
formulé en système, c’est à celui-là que je vais m’arrêter.
Selon mon honorable ami qui reconnaît la crise
intérieure, et l’impossibilité d’une guerre et même du maintien des armements,
il aurait fallu déclarer à la conférence que l’on n’adhère point et que l’on ne
se défendra point ; que l’on attendra l’occupation, mais que pour se
venger on ne paiera point : de cette manière, dit-il, notre dignité est
sauve et le nom de notre Roi ne sera pas apposé à l’acte de mutilation.
J’aurais vivement désiré pouvoir me rallier à cette
proposition qui peut séduire au premier abord, mais qui me semble ne pas
résister à un examen attentif.
Vous déclarez que vous ne défendrez pas les
populations du Limbourg et du Luxembourg ; mais n’est-ce pas au fond les
abandonner ?
Vous attendrez l’occupation militaire ; mais les
populations que vous laisserez sans défense, vous seront-elles bien
reconnaissantes de l’expédient auquel vous avez recours pour sauver votre
dignité ?
Vous vous vengerez en ne payant pas la dette ;
mais on vous forcera au paiement par un blocus maritime, par la fermeture de
l’Escaut.
Le Roi ne signera pas, dites-vous ; il ne
signera pas avant l’occupation, mai sans doute que vous voudrez que, le mal
étant fait, on en recueille au moins les avantages, c’est-à-dire, que la
reconnaissance du pays soit obtenue ; on signera donc après l’occupation,
c’est-à-dire que l’on ratifiera la mutilation. Votre principe est-il encore
sauf dans ce cas ? Si vous voulez qu’il reste sauf, ne faut-il pas que
l’on ne signe jamais, c’est-à-dire que le pays existe sans traité de
reconnaissance ; en d’autres termes, qu’il renonce à se constituer ?
Quelle différence y a-t-il, quant au maintien du principe, entre ratifier
l’occupation après avoir d’abord refusé de signer ou signer pour prévenir
l’occupation ? Vous signerez dans tous les cas, vous signerez pour
prévenir ou pour ratifier.
Le système du statu quo de résistance n’est pas
nouveau ; il a été essayé par le roi Guillaume.
J’aurai occasion de revenir sur quelques-unes de ces
réflexions en examinant les conséquences du statu quo en général, conséquences
que je vais tâcher de faire ressortir à l’aide d’un rapprochement dont je suis
vivement frappé.
Il y a une grande analogie entre notre position
d’aujourd’hui et celle que le roi Guillaume avait prise à la suite du traité du
15 novembre 1831 ; résister à propos, c’est ce que notre ancien maître n’a
jamais su ; s’il l’avait su, il régnerait encore sur nous. La dernière
époque où il pouvait céder à propos, ce fut en 1833 ; vous avez vu, par le
procès-verbal secret des négociations d’abord, quelles conditions il aurait pu
obtenir ; il a pensé que la réaction intérieure s’arrêterait en Hollande
et que l’Europe absolutiste ne l’abandonnerait point ; comptant sur des
incidents favorables, il a cru que le temps était pour lui.
Ce que la postérité reprochera au roi Guillaume, ce
n’est pas d’avoir cédé ; c’est de n’avoir pas cédé à propos. Représentant
du principe absolutiste, sa position était haute ; il en est descendu, il
est déchu dans l’histoire ; il n’a pas seulement abdiqué comme roi, il
abdique encore comme homme d’état.
Le roi Guillaume a dit qu’il attendrait dans le statu
quo ; vous savez ce que ce système a coûté à son peuple.
Le roi Guillaume a, pendant sept ans et plus, tenu
Il a augmenté de plus de cent millions de florins la
dette de
Il a perdu les arrérages de la quote-part de la dette
de
Il a vu réduire cette quote-part.
Il n’a pas voulu du traité du 15 novembre 1831 ;
il accepte aujourd’hui l’acte du 23 janvier 1839, c’est-à-dire beaucoup moins.
Il s’est compromis aux yeux de son peuple en risquant
de dépopulariser sa dynastie.
Je ne veux pas dire que par l’acte du 23 janvier la
conférence a été injuste envers
A son tour,
Elle restera dans une situation forcée.
Elle augmentera non pas sa dette, car elle ne
trouvera pas d’emprunteur, mais ses impôts qu’elle dépensera d’une manière
improductive.
Elle paiera à
Ne voulant pas de l’acte du 23 janvier, on menacera
de la replacer en présence du traité du 15 novembre non modifié : c’est ce
que le gouvernement anglais a déjà annoncé.
En compromettant le crédit, en détruisant l’industrie
et le commerce, en exigeant des sacrifices de tout genre, directs ou indirects,
elle risquera de dépopulariser la révolution elle-même : le jour pourra
revenir où on lui posera derechef cette terrible question : La nationalité
belge est-elle compatible avec le bien-être public ?
Le roi Guillaume, fort de son principe, a résisté à
l’Europe pacifique ; forte de son principe,
La conduite du roi Guillaume pourra paraître à
certains égards excusable : d’abord personne avant lui ne s’était trouvé
dans une position analogue ; aucun précédent ne pouvait l’éclairer. En
second lieu, il comptait sur des incidents au dehors ; et en effet il s’en
est fallu de peu. Freschi et Alibaud lui auraient donné raison.
Dès 1833, j’ai signalé les fautes de la politique
hollandaise ; dans la séance du 25 avril 1834, je disais en parlant de la
position prise par le roi Guillaume, position qui alors faisait l’admiration
d’une partie de l’Europe : « Le dénouement si longtemps attendu sera
probablement le résultat de l’épuisement financier, d’une réaction intérieure,
lente, légale ; mais inévitable, mais irrésistible ; réaction que la
convention du 21 mai aura en quelque sorte provoquée. » Cette réaction
nous l’avons par la suite imprudemment encouragée ; je me consolai en supposant
qu’au moins le roi Guillaume, fidèle à son rôle historique, résisterait à la
crise en léguant à son successeur la nécessité de céder ; effrayé des
avertissements que recevait de nous-mêmes le peuple hollandais, je m’écriai
dans votre séance du 9 mai 1837 : « Je ne suis point ici pour
encourager la réaction qui s’opère en Hollande ; ce que je demande, c’est
que le ciel accorde de longs jours au roi Guillaume et une longue patience à
son peuple. » j’ose prédire avec plus d’assurance encore le sort de
La question hollando-belge trouvera sa solution en
Belgique comme elle la trouvée en Hollande, dans la réaction intérieure ;
en Belgique comme en Hollande, c’est le pays qui est vaincu par lui-même. Si la
réaction paraît trop lente, si quelques intérêts en Europe, si la position de
quelques cabinets exige qu’elle soit plus rapide, on l’accélérera pas les
menaces, par quelques démonstrations militaires, par un commencement de mesures
coercitives ; dans peu de semaines, le roi Guillaume fera peut-être à la
conférence l’offre de se charger lui-même de fermer l’Escaut : opération
facile, car il lui suffira de faire avancer quelques frégates devant
Flessigue ; proposition désastreuse, car dans le lointain elle suffira pour
engager les navigateurs à ne pas appareiller vers nos côtes ; offre
insolente dont je désire préserver
Mais, me dira-t-on, si le pays doit être vaincu par
lui-même, attendez au moins qu’il le soit : ne désespérez pas de lui à
l’avance ; au lieu d’applaudir, pour ainsi dire à la crise, tâcher de
l’arrêter, ou, au moins, d’en atténuer les effets. Le jour où
C’est-à-dire, messieurs, que le passé ne sera plus un
enseignement ; qu’il faudra que
Mais, dit-on, il ne s’agit pas de résister
indéfiniment, il s’agit seulement de ne pas rendre
D’après l’honorable comte F. de Mérode, la résistance
doit être passive, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de résistance ; on
laissera occuper les deux portions de provinces. Un doute cependant s’offre à
mon esprit : je conçois qu’on reste passif devant une force
imposante ; mais que fera-t-on s’il se présente d’abord des troupes peu
considérables ? resterez-vous encore spectateurs, ou bien les repousserez-vous ?
Dès lors vous avez la guerre avec l’Allemagne, la guerre dont vous ne voulez
pas.
D’après d’autres membres, il ne faut pas renoncer à
toute résistance ; il est urgent, il est vrai de désarmer à l’intérieur,
mais on jettera 12,000 hommes peut-être dans le Luxembourg en leur adjoignant
les populations que l’on armera et les volontaires de toutes les nations que
l’on appellera.
Malheureuses provinces, et c’est là ce que ceux qui
se disent vos amis exclusifs vous offrent : une déclaration d’impuissance
de
Préoccupé d’un faux point d’honneur, on oublie et
Y a-t-il un milieu entre se défendre et ne pas se
défendre ? Y a-t-il un milieu dans la défense même ?
Non, messieurs : ne pas défendre les
territoires, c’est les abandonner ; abandonner les territoires, c’est au
fond adhérer ; c’est faire la chose sans le dire.
Se défendre, messieurs, ce n’est pas se défendre
partiellement, c’est faire de la cause du Limbourg et du Luxembourg la cause
belge ; c’est associer
Je dirai, messieurs, à
Déclarez-vous.
Vous êtes obligés d’avouer votre impuissance :
j’en prends acte ; dès lors je sais ce qu’il nous reste à faire à vous et
à nous ?
Vous n’adhérez point et vous ne défendez point ;
mais pour que votre honneur, votre digité soit sauve, il faut que les deux
provinces soient occupées ; c’est-à-dire que vous voulez que la cession
que vous ne pouvez empêcher soit précédée de l’anarchie, d’une résistance
isolée et locale, d’une guerre de buisson à buisson et de l’occupation
militaire. Ayan à choisir entre deux maux, c’est le plus grand mal que vous
préférez.
Vous reconnaissez avec moi :
1° Que la conférence ne modifiera point les
arrangements territoriaux ;
2° Que
Nous sommes d’accord sur ces deux points.
C’est-à-dire que la question n’est pas savoir si le
traité sera exécuté, mais comment il le sera ?
Le sera-t-il administrativement ?
Le sera-t-il militairement ?
Le sera-t-il pas un retour paisible à l’ancienne
domination ?
Le sera-t-il à travers les périls d’une résistance
partielle et avec la défaveur que laisse une exécution militaire.
L’honorable comte Félix de Mérode a nettement défini
son système de résignation ; un autre honorable collègue, ancien membre du
cabinet, a été moins précis en vous disant qu’il aurait voulu ne céder
« qu’en présence de la force majeure, et pour ainsi dire au moment de
subir la contrainte. »
Je suis exactement de cet avis, avec cette différence
que je soutiens qu’il y a force majeure, que nous ne sommes pas au moment de
subir la contrainte, mais que nous la subissons réellement.
Pour que la force majeure soit constatée, faut-il que
Pour que la contrainte existe, faut-il que les deux
provinces soient occupées ?
Si la force majeure était constatée par une longue
suite de maux, notre honneur serait sauf. Et pourquoi ? pensez-vous que
l’Europe doute de notre impuissance et que nous ayons besoin de la
détromper ? Croyez-moi ; elle ne partage aucune de nos
illusions ; à ses yeux, peut-être, nous avons déjà trop fait ; elle
n’en exigeait point autant, et si vous lui aviez promis l’impossible, elle
n’aurait point pris acte de votre promesse. Vous n’êtes point déshonorés pour
avoir résisté aussi longtemps qu’il existât quelque espoir ; mais, je
n’hésite point à le dire, maintenant que vous êtes seuls contre tous, vous
compromettriez votre honneur en résistant, soit activement, soit passivement,
sans chance quelconque de succès, et uniquement pour constater ce que l’on
sait : votre isolement, votre impuissance. Ne nous faisons pas de fausse
idée de l’honneur, messieurs ; l’honneur consiste dans la saine
intelligence de ses intérêts et de ses forces ; quand on fait ce que l’on
peut, on fait tout ce que l’on doit.
Je vous demande la permission d’insister sur les
effets du statu quo, car ce système sera le refuge de tous ceux qui ne veulent
ni de l’adhésion, ni de la guerre.
Les partisans du statu quo vous disent :
Attendez que
L’occupation militaire sauvera les apparences, et
pour obtenir ce triste résultat, vous exposez ces deux provinces à tous les
fléaux. Si vous ne pouvez pas les préserver de la restauration, au moins
préservez-les de la guerre et de l’anarchie : laissez-leur au moins le
bienfait de la paix et de l’ordre, puisque c’est tout ce que vous pouvez leur
donner. Les intérêts du Luxembourg sont ici d’accord avec ceux de
Espérez-vous peut-être, avant que
Beaucoup de bons esprits, tout en reconnaissant que
le seul parti à prendre est l’adhésion aux arrangements territoriaux, trouvent
que l’adresse du mois de novembre les met dans l’impossibilité de le faire. Si,
selon eux, l’honneur leur défend d’adhérer, ce n’est pas l’honneur entendu dans
un sens général, c’est l’honneur personnel, l’honneur parlementaire si je puis
m’exprimer ainsi. J’ai déjà dit que l’adresse du mois de novembre est
conditionnelle ; la condition ayant manqué, vous êtes dégagés, et
pleinement dégagés. Si l’engagement a été sans condition absolue, alors vous ne
pouvez pas même vous arrêtez dans le statu quo armé, ou dans la résistance
passive ; vous ne pouvez pas même dire que vous céderez quand le pays sera
exténué et les provinces occupées ; vous devez ne jamais céder, combattre
à outrance, accepter la lutte sublime, mais désespérée, des Thermopyles. Vous
n’allez pas jusque là ; donc il y a une condition dans votre adresse, il y
a une limite dans votre résistance. Du moment que vous reconnaissez avec moi
qu’il y a une limite, une condition, nous sommes d’accord ; il me suffit
de vous prouver que la condition qui vous tenait engagés, manque, que la limite
contre laquelle vous devez vous heurter, est déjà devant vous.
Le public a pris acte de votre adresse, vous
dit-on ; elle a retenti en Europe. Le public, messieurs, tient compte des
dates, et c’est ainsi qu’il juge les événements, c’est ainsi qu’il juge la
conduite de notre adversaire qui a fait des déclarations bien autrement
énergiques, bien autrement absolues que la vôtre. Par exemple, voici en quels
termes, le plénipotentiaire néerlandais notifiait à la conférence, le 20
septembre 1832, que son maître n’adhérerait jamais
au traité du 15 novembre : « Le roi ne transigera jamais ni sur les
droits territoriaux et la souveraineté de
Nous vous proposons la paix : logiquement c’est
par une proposition de guerre qu’on devrait répondre ; mais la guerre on
la sait impossible. On veut donc rester dans le statu quo modifié ou non ;
on sait que l’on doit céder, mais on dit que le moment de céder n’est pas
encore venu : c’est une question de date. Vaut-il mieux céder aujourd’hui
que dans six mois ?
Nous vous disons que puisqu’il faut céder, il vaut
mieux le faire aujourd’hui, sans prolonger la crise intérieure, et sans exposer
les populations qu’on nous enlève à des maux inutiles.
Nous disons que c’est là faire les affaires du pays
avec intelligence. Nous ajouterons que c’est encore les faire avec humanité.
Il y a des personnes qui trouvent qu’en effet ce parti
est le plus avantageux, mais il leur paraît immoral ; il y a un pacte
entre toutes les populations qui se sont associées pour opérer le mouvement de
1830 ; en acceptant le concours des Luxembourgeois et des Limbourgeois,
Tout cela serait vrai si
Considérée sous son véritable point de vue, la
nécessité qui la caractérise, l’impossibilité du parti contraire, la
proposition qui vous est faite n’est point entachée d’immoralité.
Cette proposition sauve la nationalité belge, le
grand résultat de notre révolution : premier côté moral.
Cette proposition conserve la paix générale que vous
pouvez, jusqu’à un certain point, compromettre, sans toutefois vous assurez par
là les chances de succès : deuxième côté moral.
Cette proposition arrête en Belgique une crise
intérieure qui doit amener la misère, en exposant à de tristes tentatives les
vertus publiques et privées : troisième côté moral.
Cette proposition préserve le Luxembourg et le
Limbourg d’une lutte inégale qui ne peut qu’empirer sous tous les rapports le
sort des populations qu’on nous enlève : quatrième côté moral.
Ne vous laissez donc pas effrayer par ceux qui vous
disent que vous manquez à l’honneur et à la morale ; je le répète, la
moralité du parti qu’on vous propose est dans sa nécessité et dans
l’impossibilité du parti contraire.
J’ai dit, messieurs, que la haute position
révolutionnaire qu’on voudrait faire prendre à
Le but de la révolution de
Mais, me répondra-t-on, votre nationalité n’est point
assurée si vous restituez aujourd’hui les territoires tenus en dehors des
traités du 15 novembre 1831 ; vous posez un précédent dont on se prévaudra
contre vous, dès que les circonstances le permettront, on vous demandera
d’autres restitutions, l’on finira par exiger de vous l’abdication de votre
nationalité tout entière. Ce sont là, messieurs, des craintes chimériques.
C’est au nom du droit public européen que la confédération germanique
revendique le grand-duché de Luxembourg ; quand vous serez constitués, le
droit public européen vous servira à votre tour de garantie. Le même principe
que vous subissez maintenant vous protégera un jour. Si un voisin puissant vous
menaçait dans la possession des territoires que les traités vous reconnaissent,
vous invoqueriez contre lui ce droit public européen que la diète de Francfort
invoque aujourd’hui contre vous. Vous dites que la possession même en dehors
des traités suffit ; mais n’est-ce pas vous livrer vous-mêmes à ma merci
de quiconque sera plus fort que vous ? Si on vous enlève le Luxembourg
allemand, c’est que vous avez les traités contre vous ; si vous les aviez
pour vous, vous le garderiez ; vous garderez donc vos autres provinces,
puisque les traités vous les assurent.
Les peuples, messieurs, ne vivent pas dans l’état de
nature ; ils vivent sous l’empire du droit public positif, droit imparfait
puisque c’est l’œuvre de l’homme, mais nécessaire. Le droit public se modifie
par les révolutions et les guerres, ; la révolution de
Un peuple non reconnu par les autres peuples n’est
pas un véritable peuple ; un territoire non reconnu par le droit public
n’est qu’une possession sans garantie. Un droit sans reconnaissance n’est pas
un droit, mais une prétention. Tels sont les principes du droit public
positif ; si je me permets de vous les rappeler, c’est que j’entends
demander autour de moi : « A quoi bon une
reconnaissance ? » Lorsqu’à Campo-Formio Bonaparte, à qui on offrait
de reconnaître la république française, s’est écrié : « Le soleil n’a
pas besoin d’être reconnu » ; il était dans l’ivresse de la
victoire ; plus tard, un pied sur la marche du trône, il sollicita
l’abdication de celui qui se faisait appeler Louis XVIII ; et à l’apogée
de sa puissance, il a regardé son titre comme incomplet, parce que l’Angleterre
n’avait pas reconnu ni l’empereur ni l’empire.
Ce que personne n’avait osé prévoir arrive ; la
dynastie que nous n’avons dépossédée qu’en partie abdique, notre dynastie
nationale obtient tous les genres de légitimité. Il semble qu’un grand empire
peut sans danger se trouver en présence d’une dynastie totalement dépossédée,
et cependant l’Angleterre de 1688 ne s’est sentie définitivement constituée que
lorsque la tombe a englouti le dernier représentant de la dynastie
déchue ; un demi-siècle après la révolution de 1688, les échos des
montagnes de l’Ecosse avaient encore reconnu la voix d’un Stuart, et de nos
jours Napoléon disait à la veuve du dernier prétendant : Si vous aviez un
fils, je remuerais l’Angleterre. Pour un petit état, en face d’un prétendant
qui a conservé l’un de ses trônes, la situation serait toujours périlleuse.
Ce péril vient à cesser pour nous ; ce que
Bernadotte n’a point obtenu des descendants de Gustave Wasa, ce que Napoléon
n’a point obtenu du comte de Lille, nous l’obtenons de la dynastie
d’Orange-Nassau ; en abdiquant, le roi Guillaume dégage tous les autres
princes ; et ceux de ses anciens sujets qui avaient cru devoir lui rester
fidèles ; vous obtenez de
Ceux qui avaient nié la possibilité de ces résultats
en contesteront aujourd’hui l’importance.
Notre révolution, avant son neuvième anniversaire,
est close ; elle est définitivement close et pour
Permettez-moi, pour terminer, de m’arrêter encore à
ces derniers mots.
La révolution est close, messieurs ; elle n’a
pas manqué à sa destinée, puisqu’elle lègue au monde la nationalité
belge ; elle n’a pas tout obtenu, mais nul n’obtient tout ici bas et de
prime abord. C’est une grande bataille de huit ans ; tous les combattants
malheureusement ne sont point appelés à jouir de la victoire. Mais la victoire
est l’œuvre de tous. Cette révolution se présentera la tête haute dans
l’histoire, car elle a été heureuse et sage. Aux prises avec des difficultés
sans exemple, la nation belge s’est constituée : à ceux qui doutaient
d’elle, elle a prouvé qu’elle savait être ; aux partisans des institutions
libérales elle a prouvé qu’on peut allier l’ordre à la plus grande liberté ;
aux partisans des intérêts matériels, elle s’est montrée capable d’organiser le
travail public et privé. La révolution de
M. Zoude – Messieurs, je ne saurais regretter trop vivement que
l’ajournement des chambres n’ait pas été suivi immédiatement de leur
dissolution. Le pays eût fait connaître alors par ses nouveaux mandataires sa
volonté pour l’acceptation ou le rejet
du traité.
Privé de cet appui, je formerai mon vote d’après la
manière dont j’envisage la position où nous sommes placés.
Je crois que si la politique a permis aux puissances
de se coaliser contre nous, l’intérêt de la légitime défense nous permet de
nous coaliser avec les peuples contre les puissances.
Je crois qu’après avoir inutilement invoqué la
justice des rois, nous devons faire appel à la justice des peuples.
Je crois que si nous ouvrions nos rangs aux hommes
généreux de France, d’Irlande et d’ailleurs encore, nos ennemis ne compteraient
plus sur leur nombre et moins encore sur leur courage.
Si un manifeste semblable avait été signifié à la
conférence, je pense que les souverains qui y sont représentés ne se seraient
pas facilement décidés à mettre leurs menaces à exécution.
On invoque la sainteté des traités ; cela me
rappelle des souvenirs de mon jeune âge : lorsqu’on parlait alors d’un
homme dont la probité était à toute épreuve, on disait de lui qu’il était franc
et droit comme l’épée d’un roi.
J’ai entendu plus tard les moralistes nous dire que
si la justice était bannie des nations, elle se réfugierait dans le cœur des
monarques ; mais depuis que les peuples ont joué aux échecs avec les rois,
nos illusions se sont dissipées, le prestige qui les entourait a été détruit,
et si ce qui a été dit quelque part était malheureusement vrai, que la parole
n’ait été donnée à l’homme que pour déguiser sa pensée, c’est à l’homme-roi
auquel on avait voulu faire allusion.
Ne sont-ce pas, en effet, ces mêmes souverains qui
viennent de dicter les arrêts de la conférence, qui avaient garanti au prince
Léopold la possession du Luxembourg lors de son avènement au trône ?
Ne sont-ce pas encore les mêmes souverains qui
avaient pris l’engagement formel de faire respecter la suspension
d’armes ? Et lorsque nos soldats, qui se reposaient à l’ombre de la foi
jurée, furent égorgés,
Les traités, dit-on, sont inviolables ; mais le
congrès de Vienne, qu’on invoque pour nous arracher le Luxembourg, avait
garanti l’existence du royaume de Pologne, et ce royaume, veuillez bien vous en
souvenir, morcelé d’abord, anéanti aujourd’hui, est livré à un vainqueur dont
la férocité n’a d’exemple que dans les siècles reculés et parmi les peuples
barbares.
Cependant, les puissances garantes, voisines de cette
scène de carnage, ne l’ont pas seulement
contemplée avec indifférence, mais on pourrait croire maintenant qu’elles l’ont
vue avec complaisance, puisque leurs ambassadeurs nous ont sommé de violer les
droits de l’hospitalité en requérant l’expulsion d’une des plus grandes
illustrations militaires de cet infortuné pays, pour la livrer sans doute à la
cage de fer de ce Tamerlan moderne.
Mais honneur au gouvernement ! il n’a
pas permis, et
Mais, Messieurs, quand même vous auriez
commis cette lâcheté, que vous seriez soumis à toutes les conditions d’un
traité plus déshonorant encore que celui qui vous est offert, vous ne
trouveriez pas pour cela grâce aux yeux des puissances, parce que vous avez le
tort d’être issus d’une révolution, vous avez le tort de présenter une Belgique
où règnent l’ordre, l’union entre les citoyens, l’accord entre les grands
pouvoirs de l’état ; vous avez le tort de signaler votre entrée dans la
famille européenne, par un grand développement d’industrie et avec l’éclat
d’une prospérité au moins apparente ; et c’est cet exemple dangereux qu’on
veut soustraire aux yeux des peuples qui seraient tentés de vous imiter.
C’est pourquoi, n’étant pas avilis par la
misère, ni déchirés par les partis, on ne veut tolérer votre admission au rang
des puissances qu’à la condition de vous y montrer avec la flétrissure des
défaites de 1831, morcelés ensuite et puis rançonnés.
Oh ! si nous voeux avaient pu être
exaucés, lorsque naguère nos armées étaient face à face de l’ennemi, quelques
avant-postes se seraient heurtés, et bientôt une mêlée générale se serait alors
engagée, et l’Europe eût bientôt appris que les Belges d’aujourd’hui étaient
encore les Belges de César ; mais on nous devina, et lorsque l’impatience
était à son comble, la conférence ordonna aux armées de s’éloigner ; les
Hollandais obéirent avec empressement, et nos soldats en murmurant.
Mais patience, soldats ; la paix qu’on
nous prépare n’est qu’une trêve de courte durée, car
Elle n’a pas voulu, cette France, je veux
dire le gouvernement de Louis-Philippe n’a pas voulu, que le trône de
On sait, en effet, que les masses, en
France, ont de vives sympathies pour
En présence d’un semblable avenir, je ne
puis que voter le rejet du traité.
Mais on invoque, comme nécessité de se
soumettre, la gêne, la crise qu’éprouve le commerce ; je ne me dissimule
nullement les embarras financiers, mais qui est-ce qui ignore maintenant que
dès le mois de novembre le gouvernement a pu prévenir toutes les catastrophes
dont nous sommes les témoins, qu’il est encore en son pouvoir aujourd’hui d’en
arrêter les progrès ?
L’autorisation d’offrir des millions au
commerce a été demandée, elle est sollicitée encore par les maisons financières
les plus respectables de l’Angleterre, et un ministre, abusé sans doute,
s’obstine à les refuser. Le temps ne tardera pas à faire connaître sous quelle
influence funeste il a agi ce ministre dont je repousse la politique, mais à la
probité duquel je rends cependant un solennel hommage.
- La séance est levée à 4 heures et demie.