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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 6 mars 1839

(Moniteur belge du 7 mars 1839, n°66)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune fait l’appel nominal à midi 3/4.

M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Des habitants de l’arrondissement de Charleroy déclarent adhérer à la pétition des habitants de cette ville, tendant à ce que la chambre rejette le traité qui lui est soumis. »

« Des habitants de la commune d’Ursel (Flandre orientale) protestent contre l’abandon de leurs frères du Limbourg et du Luxembourg. »

« Le sieur M. Canoy, commissaire de police et contrôleur de l’octroi municipal de Venloo, etc., demande que, dans le projet de loi relatif à la naturalisation des habitants du Limbourg et du Luxembourg, la chambre introduise une disposition qui assimile, quant au traitement, les fonctionnaires salariés par les communes à ceux salariés par l’état. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


M. Gendebien fait savoir par lettre en date de ce jour qu’une indisposition le met dans l’impossibilité d’assister à la séance.

- Pris pour notification.

Projet de loi portant des modifications au tarif des douanes sur les frontières du Luxembourg et du Limbourg

Dépôt

Projet de loi relative aux droits d'entrée, de sortie et de transit des os

Dépôt

Projet de loi concernant la réexportation des grains étrangers entreposés

Dépôt

Projet de loi relatif au mode de désignation des jurys d'examen et prorogeant la loi du 27 mars 1837 pour les étudiants en droit

Dépôt

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) présente quatre projets de loi.

Le premier, subsidiaire au projet de loi relatif au traité de paix, tend à maintenir, dans l’intérêt de l’agriculture et de l’industrie, une partie des rapports commerciaux entre les deux parties du Luxembourg.

Le deuxième tend à remettre en vigueur la loi relative aux droits d’entrée, de sortie et de transit sur les os, dont le terme est expiré.

Le troisième est relatif aux grains entreposés.

Le quatrième propose de conserver pendant une année le mode actuel de nomination des jurys d’examen, et de proroger également pendant une année la loi du 27 mars 1837, restrictive des examens pour les étudiants en droit.

- La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi, en ordonne l’impression et la distribution et renvoie, les 3 premiers, à l’examen des commissions qui seront nommées par le bureau, et le quatrième à l’examen de la section centrale saisie du projet de loi de révision de la loi sur l’enseignement supérieur.

Projet de loi qui autorise le roi à signer le traité de séparation entre la Belgique et la Hollande

Discussion générale

M. le président – La discussion générale continue. La parole est à M. Verhaegen, inscrit pour le projet

M. Verhaegen – Messieurs, c’est, il faut l’avouer, un bien singulier, un bien mémorable spectacle, que celui que nous sommes forcés de présenter à l’Europe en ce moment. Une nation née d’hier, qui compte à peine quatre millions d’habitants, qui n’est encore admise que par le fait au nombre des peuples indépendants, se trouve, malgré elle et par la force des événements, arbitre suprême du repos continental ; elle peut, si elle le veut, donner le signal d’une guerre générale ; en courant aux armes, elle entraîne avec elle et les peuples et les souverains. Mais, si elle le veut aussi, la paix est affermie pour longtemps, la sécurité et la prospérité, qui s’y rattachent si intimement, vont ouvrir une vaste voie au progrès et au développement des idées libérales.

Dans cette grave situation, la mission de la représentation nationale est difficile ; notre position, à nous mandataires de la nation, n’est pas sans embarras.

Ce ne sont, en effet, ni les passions, ni les préventions que nous devons écouter, mais le calme, la modération et l’appréciation froide et consciencieuse des besoins et des vœux réels du pays.

Tous nous avons à remplir un des plus précieux devoirs qui puissent être confiés à des hommes, celui de décider sur l’avenir de la Belgique. Ne nous laissons pas émouvoir par les clameurs des partis, ayons le courage de braver, s’il le faut, une impopularité passagère ; nous ne sommes pas envoyés ici pour nous rendre populaires, mais pour être utiles au pays.

Et surtout, dans les circonstances qui nous menacent, rallions-nous franchement autour de l’autel de la patrie ; réunissons tous nos efforts pour sauver notre Belgique, pour maintenir son indépendance, et quand les baïonnettes étrangères s’amoncellent sur nos frontières, quand la conférence nous dicte impérieusement ses conditions, quand l’absolutisme spécule déjà sur nos dissensions, oublions nos querelles intérieures, soyons Belges avant tout, et fidèles à notre devise nationale, frères, soyons unis et nous serons forts.

C’est avez un sentiment de profonde tristesse, mais non de découragement que j’élève la voix dans cette enceinte ; car, je l’avoue, l’avenir de mon pays m’inquiète. Le premier, le plus sacré de nos devoirs, est de conserver une Belgique, et voilà que des puissances, qui de force se sont constituées nos juges, disposent du sort d’un grand nombre de nos frères, les parquent comme de vils troupeaux et nous disent : « Ce qui est arrêté est irrévocable ; il faut l’accepter, sinon nous forcerons votre acceptation. »

Que pouvons-nous faire ?

Et personne pour nous soutenir ! Notre sœur, notre dernier espoir, la France aussi se déclare contre nous et nous conseille l’obéissance à la nécessité.

C’est là pour nous une cruelle déception ; car lorsque, pendant six années, nous avons cru que les 24 articles ne seraient jamais exécutés, c’était dans la conviction que l’appui de la France ne nous manquerait pas. Mais aujourd’hui elle a signé le nouveau traité, comme l’ont signé l’Autriche, la Russie, l’Angleterre et la Prusse ; elle a mérité, par cette condescendance, les félicitations de la sainte-alliance, et compte pour peu de choses, les plaintes de la Belgique démembrée. N’a-t-elle pas aussi laissé succomber la Pologne ?

On invoque les sympathies de l’opposition française ; mais depuis longtemps nous pouvons apprécier ces sympathies à leur juste valeur.

Dans une discussion toute récente, à l’occasion de l’évacuation d’Ancône, le ministère se défendait en invoquant le droit du pape. L’opposition avouait qu’Ancône n’appartenait pas à la France, que celle-ci n’y avait aucun droit, qu’elle n‘avait pas été appelée par le souverain, qu’elle devait se retirer dans le cas prévu et qui était arrivé ; Cependant, et l’opposition et M. Thiers reprochaient au ministère d’avoir évacué Ancône, tandis que l’intérêt de la France exigeait qu’elle gardât cette position, parce que la dignité de la France le commandait, parce que la France n’avait rien à craindre de l’Europe.

Ainsi, l’opposition ne s’occupait pas du droit et ne tenait compte que de l’intérêt de la France, de la force de la France.

Si donc la France était assez forte pour nous soumettre contre l’Europe entière, et si son intérêt l’engageait ensuite à prendre et à garder la Belgique, l’opposition française dont on invoque les sympathies, emploierait contre nous les mêmes arguments qu’elle a fait valoir contre l’évacuation d’Ancône, et ces arguments auraient encore plus de poids alors, puisque la France aurait fait des sacrifices matériels, exposé des armées et des millions pour résister à l’Europe.

Ainsi soit que le ministère actuel se maintienne en France, soit qu’on le remplace par un nouveau cabinet, et c’est là le seul espoir que peuvent laisse les élections dont nous connaissons déjà quelques résultats, nous n’avons pas de secours à espérer de ce côté. Le ministère Molé regarde l’exécution des 24 articles comme un droit ; un ministère Thiers ou tout autre serait-il même de gauche, dirait que l’intérêt de la France ne peut pas l’engager à résister à toute l’Europe, dans le seul but de conserver à la Belgique quelques lieues de frontière.

Et ne nous faisons pas d’ailleurs illusion sur les véritables dispositions de la France, considérée comme nation ou comme gouvernement.

La nation française veut la paix et la sécurité. Assez de gloire et assez de malheurs l’ont tout à tout illustrée et désolée pour qu’elle aspire enfin au repos. Elle a hautement abjuré tout esprit de conquête, et ne revendique en ce moment que l’honneur de marcher à la tête de la phalange du progrès pacifique.

Si l’existence de la Belgique, comme nation indépendante était menacée par un voisin puissant, on concevrait que l’intérêt et l’honneur de la France, lui fissent un devoir d’intervenir en notre faveur ; mais la question de cession de territoire n’est pas pour elle comme pour nous une affaire où l’honneur, la reconnaissance, tous les nobles sentiments sont engagés ; elle n’apprécie pas, elle ne peut apprécier comme nous tout ce qu’il y a d’odieux, d’inhumain, d’ingrat même à abandonner nos frères pour les livrer à la Hollande ; elle ne sait pas les sacrifices sans nombre faits à notre cause avec tant de dévouement par ces malheureuses populations du Limbourg et du Luxembourg. Pour elle, il n’y a qu’une question de politique là où, pour la Belgique, il y a une question d’honneur et de sentiment.

Et voilà précisément le secret de l’agitation actuelle de la Belgique. Certes, s’il ne s’agissait que des territoires contestés, considérés comme valeur ou comme produit, il y aurait folie complète à courir les chances d’une guerre pour les conserver ; mais les habitants de ces contrées sont nos frères d’affection, de croyances, de dangers. Ensemble nous avons repoussé la Hollande, ensemble nous avons fait une Belgique, ensemble nous espérions la voir heureuse et libre, et, cependant, d’après les décisions de la conférence, à nous les avantages, à eux les charges de l’expiation ! est-ce juste ?

Oui, je comprends que des cœurs généreux, et il en est beaucoup, en Belgique, s’indignent à la pensée de cet abandon. Oui, je suis fier pour mon pays de l’entendre protester hautement, et énergiquement contre une semblable lâcheté. Il est cruel pour nous de voir jusqu’où peut aller l’abus de la force de peuple à peuple ; mais, d’un autre côté, il est honorable de remarquer qu’on ne nous a pas laissé de choix. On ne nous a pas proposé, demandé la cession de nos frères, on nous l’impose, on nous y contraint. C’est un hommage involontaire au caractère nationale des Belges.

Ainsi donc nul appui : une nation de quatre millions pressée par les cinq grande puissances européennes et menacées par la force si elle hésite, voilà notre position. Il y a un luxe remarquable dans ces menaces. Longtemps on s’était borné à ne pas nous reconnaître, à feindre de croire qu’il n’existait pas de Belgique indépendante ; mais si nous sommes un peuple faible numériquement parlant, nous sommes aussi un peuple essentiellement producteur et agricole, et on se passe moins facilement des produits de notre sol et de notre industrie que des révérences de nos ambassadeurs. Peu à peu on est venu à nous reconnaître, et on nous reconnaît tellement aujourd’hui que pour la paix générale, on nous sacrifie généreusement aux inquiétudes des gouvernements.

Devant cette coalition qui peut nous ruiner, nous anéantir, soit par la force d’inertie, soit par la violence, qu’avons-nous à faire ?

Deux choses : accepter le traité qui nous est imposé ou le repousser, en annonçant que nous sommes décidés à mourir les armes à la main, plutôt que d’abandonner nos frères ; et ici il n’y a pas de juste milieu, car un simulacre de guerre ne sauverait pas l’honneur national, il ne servirait qu’à nous faire bafouer par tous les peuples civilisés. D’ailleurs, loin d’alléger les peines de nos concitoyens déjà malheureux, ils les exposeraient encore à tous les nouveaux malheurs d’une invasion à main armée.

Dans l’examen auquel je vais me livrer, je n’écouterai que la voix de ma conscience ; je puis me tromper, il est vrai, mais au moins mes concitoyens, mes frères du Limbourg et du Luxembourg peuvent être convaincus que je n’apporterai dans cette discussion que bonne foi et loyauté ; personne ne doutera de mon entière indépendance et de mon attachement inviolable à la Belgique.

D’abord on ne me fera pas à moi le reproche injurieux de vouloir sacrifier l’honneur du pays à mes intérêts privés, je suis étranger à tout agiotage, à toute opération de bourse, et j’affirme que je ne possède aucune action industrielle ; mais, étranger personnellement à l’industrie et à ses spéculations, je ne dois pas l’être à ses intérêts bien entendus, parce que ses besoins, dans un pays industriel comme le nôtre, sont réellement les besoins de la patrie. Plein de cette conviction, qu’il me soit permis, dans ma position désintéressée, de repousser une objection injuste qui s’est déjà produite dans plus d’une occasion ; que dans cette enceinte, où tous les intérêts sont représentés et doivent se faire entendre, il ne soit point permis de suspecter une opinion ou de lui refuser confiance, parce que son auteur appartiendra sous un rapport quelconque au commerce, à l’industrie. Que deviendrait le pays, si, pour apprécier ses besoins et décider de son sort, il fallait être étranger par position à tous les éléments qui donnent la garantie d’une appréciation éclairée ? loin qu’il faille se livrer à ceux qui ne tenant à aucun intérêt compromis, n’ont rien à perdre au débat, ce n’est pas au contraire, pour se ménager dans l’intérêt particulier des garanties pour l’intérêt général, que la constitution exige des électeurs un cens, qui atteste la possession effective, intéressée au maintien de l’ordre et aux bienfaits d’une bonne administration.

Oui, je soutiens l’industrie parce que je la considère comme la source vivifiante de la richesse des nations, et par suite comme le premier appui des idées libérales. D’autres, je le sais, lui ont depuis longtemps déclaré une guerre à mort, parce qu’ils la craignent ; ils savent bien que lorsque le peuple est bien nourri, bien vêtu, bien logé, il n’a besoin de personne, et qu’alors seulement existe pour lui la liberté de penser et d’agit sans égard à de préjugés surannés.

En second lieu, je ne suis pas dans l’habitude d’écouter les suggestions gouvernementales ni de caresser quelque parti que ce soit ; enfin, je n’ai ni faveurs ni distinctions à demander ; au contraire, je suis prêt à tous les sacrifices dans l’intérêt de mon pays ; mais en même temps je veux rester calme dans la crise et maître de mon opinion.

Pour pouvoir bien apprécier la position du pays, je crois essentiel de rétrograder jusqu’à l’époque où le roi Guillaume annonça l’intention de traiter pour la séparation définitive de la Belgique, d’après les bases principales du traité des 24 articles, parce qu’il y a, dans ce fait et surtout dans sa date, des renseignements très significatifs.

A aucune époque, la Belgique n’avait offert d’aussi brillantes, d’aussi nombreuses apparences de prospérité ; l’industrie se développait avec une vigueur, une énergie que connaissent seules les jeunes nations. L’agriculture florissait, le commerce étendait ses débouchés ; l’esprit d’association, malgré quelques abus inhérents à l’application d’un principe nouveau, s’infiltrait rapidement dans les masses et préparait des résultats qu’on eût regardés comme inouïs quelques années auparavant.

Les capitaux étrangers venaient en foule s’associer aux capitaux belges ; les améliorations introduites par l’industrie étrangère étaient mises en pratique et profitaient au consommateur comme au producteur. Nos centres industriels, Mons, Liége, Gand, Charleroy, voyaient se réaliser en or tous leurs produits, partout, la valeur des propriétés foncières était augmentée, les capitaux ne manquaient à aucune entreprise utile, et nos grandes sociétés financières voyaient leurs opérations recherchées, leur crédit s’étendre sur les principales places de l’Europe.

Ce crédit a soutenu le gouvernement dans des temps de crise, et quand un honorable préopinant, dans la séance d’hier, en parlant de la société générale, lui a donné la qualification de banque du roi Guillaume, il n’a écouté que la voix de la passion ; son langage, comme citoyen belge, je dois le dire, a été celui de l’ingratitude, et, pour mon compte, je proteste énergiquement contre cette qualification tout au moins inconvenante.

Le grand véhicule de la prospérité des peuples modernes, le travail, était devenu l’objet d’un culte assidu. La Belgique offrait aux étrangers émerveillés un vaste atelier où il y avait place pour tout le monde. La condition de l’artisan s’est sensiblement améliorée, et on prévoyait dans un terme assez rapproché le temps où les bras devaient manquer à cet immense développement de forces industrielles.

Ne vit-on pas alors le gouvernement dans la nécessité de venir en aide à l’industrie en renvoyant à leurs ateliers les miliciens réclamés comme instruments indispensables ?

Notre chemin de fer s’exécutait rapidement et était un objet d’envie et d’admiration à la fois, pour les nombreux visiteurs qu’il attirait dans le pays.

Le pays entier offrait en outre un magnifique exemple des bienfaits de la liberté chez un peuple sage et laborieux. Partout régnaient l’ordre et la confiance : partout le calme d’espérances réalisées, la foi en l’avenir.

Enfin, malgré tant de prédictions contraires, cette Belgique si calomniée, cette Belgique qu’on avait essayé de représenter à l’Europe comme ne renfermant qu’une population de séditieux, d’esprits inquiets et turbulents, cette Belgique dont on avait fait un épouvantail à toutes les dynasties, se développait admirablement au milieu de la paix ; elle respectait tous ses engagements et méritait l’estime de toutes les nations par sa modération et son ardeur au travail, comme elle avait mérité leur respect par sa spontanéité à conquérir son indépendance. Tranquille après la victoire, elle se suffisait à elle-même et semblait borner son ambition à son bonheur intérieur, au maintien de ses droits.

Cet état de choses, inespéré, il faut l’avouer, avait trompé bien des prévision, détruit bien des calculs, et s’il se prolongeait pendant quelques années encore, il était à craindre pour le roi Guillaume que l’absolutisme lui-même, son unique appui, ne vînt à se laisser intéresser pour cette jeune nation, qui ne demandait à l’Europe qu’un rang dans la grande famille, à ses adversaires que le temps de prouver la modération et la justice de ses prétentions.

C’est alors que le roi Guillaume désespérant de nous amener par la patience à la nécessité de traiter avec lui, comprenant combien était riche l’avenir qui se déroulait devant nous, fit à ses intérêts le sacrifice de ses répugnances personnelles : il comprit que le seul moyen de nous nuire qui lui restait, était d’exciter chez nous des inquiétudes sur la stabilité de notre position, de nous replonger dans les incertitudes du provisoire, et ce fut d’après ce système qu’il fit annoncer à la conférence son intention de traiter pour un arrangement définitif avec la Belgique.

Cette démarche était habile de sa part, il faut le reconnaître ; mais d’un autre côté, et on n’a pas accordé assez d’attention à cette face de la question, c’était aussi un éclatant hommage rendu à notre Belgique par ce souverain inflexible, qui pendant huit années avait refusé de reconnaître notre révolution. Celui qui persistait à nous regarder comme des sujets révoltés, se rendait enfin à l’évidence ; il constatait officiellement nos succès, nos droits d’insurrection, il adhérait à l’indépendance de la Belgique. N’était-ce pas là un véritable triomphe pour nous ?

Le roi Guillaume voulait traiter parce qu’il savait bien que le statu quo était plus avantageux que la mise à exécution du traité des 24 articles ; son intention était assurément de nous nuire. Mais pour nous nuire, il ne lui restait plus qu’un moyen, celui de reconnaître nos droits de peuple libre et indépendant, pour arriver à un traité avec nous.

Il est à croire, et tous ceux qui ont étudié le caractère et les actes du roi Guillaume auront cette conviction, que le raisonnement de notre ennemi aura été à peu près celui-ci :

Pour arrêter immédiatement les progrès matériels de la Belgique, il faut l’inquiéter sur sa position politique ; son commerce et son industrie seront instantanément entravés. La nation entière s’est prononcée contre l’exécution du traité des 24 articles ; réclamons cette exécution, et je place la Belgique en état d’hostilité vis-à-vis de toute l’Europe ; je la mets en quelque sorte en interdit ; trois partis seulement lui resteront :

Accepter,

Refuser,

Continuer les négociations.

S’il y a acceptation, je crée des divisions en Belgique, je discrédite son gouvernement en l’isolant d’une partie de sa nation, je dépopularise le roi Léopold, en qui les Belges ont tant de confiance : j’ajouterai « à juste titre », car le Roi n’est pas responsable de la faute de ses ministres.

S’il y a refus, c’est la guerre, ou du moins l’expectative de la guerre ; ainsi plus de sécurité, partout stagnation complète du commerce et de l’industrie, et intervention des grandes puissances active ou inerte, mais toujours intervention pour contraindre la Belgique, et surtout chances de restauration.

Si on veut continuer les négociations, grâce à la présence des armées, aux inquiétudes de l’Europe sur la paix générale, à des troubles intérieurs, que l’on peut susciter partout, j’aurai arrêté toute prospérité matérielle, excité des discordes intestines, et cette Belgique si florissante en ce moment, énervée par l’isolement et le marasme, sera bientôt forcée de réclamer une solution comme un bienfait.

Pour compléter l’ensemble de cette tactique que l’on peut deviner, d’après des faits récents et des antécédents non moins significatifs, qu’on ajoute le besoin, pour toutes les puissances absolutistes et autres, d’éloigner du Nord de l’Europe un foyer de dissensions politiques, le vœu général des populations pour le maintien de la paix, l’état de malaise de certains gouvernements, pressés de se trouver sans embarras à l’extérieur pour disposer librement de toutes leurs ressources à l’intérieur, la crainte d’avoir une guerre générale dans les phases de laquelle chacun pourrait être entraîné bien loin au-delà de ses prévisions, et on aura tous les motifs du traité qui nous est imposé.

En deux mots, on aspire après une solution définitive, on la veut à tout prix ; et comme nous sommes les plus jeunes, comme nos droits de nation ne sont pas encore entièrement reconnus, comme on nous a au préalable isolés de tous nos appuis, comme enfin on sait parfaitement que nous ne pouvons exister que par la paix et que toutes nos sympathies belliqueuses doivent finir par céder devant les exigences des intérêts matériels du pays, c’est sur nous qu’on fait peser tous les sacrifices ; on nous enlève nos frères, on démembre notre territoire, on nous force à l’ingratitude ; notre existence nationale est à ce prix.

Rejetons ce pacte impie, s’écrient quelques voix généreuses, restons fermes et calme en présence des bataillons de la sainte-alliance. Attendons qu’on nous attaque et nous nous défendrons. Mais on ne nous attaquera pas ; notre position est la même qu’en 1830 ; un coup de fusil tiré sur nos frontières serait le signal de la guerre générale, et les souverains ont autant et peut-être plus de raisons que nous d’éviter cette terrible extrémité.

Ce raisonnement est séduisant au premier abord, mais est-il fondé ?

Non, notre position n’est plus la même qu’en 1830, elle est bien plus belle, et c’est pour cela qu’il ne faut pas la compromettre.

En 1830 et 1831, les plus beaux rêves sur l’avenir réservé à la Belgique n’allaient pas jusqu’à la prospérité réalisée en 1837 et dans les premiers mois de 1838. En 1830 et 1831 on ne pouvait prévoir les brillants développements de notre industrie, les résultats des améliorations intérieures, les merveilles de l’esprit d’association. En 1830 et 1831 on pouvait résister et résister avec avantage, on n’était pas isolé de tout appui, et après tout on ne risquait que des espérances. Alors les esprits étaient généralement disposés à des mesures belliqueuses, alors régnaient dans les populations ces idées d’agitation et de mouvement qui se font longtemps sentir après les grandes crises politiques ; alors demander à la nation de se lever en masse n’eût pas été une simple métaphore, l’appel eût été entendu, et certes il eût produit de grands résultats.

Mais aujourd’hui, huit années de paix et de prospérité ont créé de nouvelles idées, des besoins tout autres. Toujours le pays veut sa nationalité, son indépendance ; mais du moment qu’elles ne sont pas menacées, il ne veut pas de mesures violentes. Il gémit d’être obligé d’abandonner des frères, mais il ne veut pas mettre en jeu l’existence nationale pour les conserver, d’autant plus qu’il a la conviction que ses efforts, quels qu’ils fussent, resteraient infructueux pour eux et deviendraient nécessairement très dangereux pour lui. Il y a ici une barrière sacrée qu’il ne peut franchir.

Voilà donc mon opinion sur l’état réel des esprits en Belgique : si au moyen de sacrifices on peut éviter la cession des territoires contestés, qu’on l’évite, le pays s’imposera de nouvelle charges pour conserver ses frères, mais qu’on ne risque pas le sort de la Belgique entière pour en conserver une minime partie.

Ce sont là de tristes vérités, je le sais, je le déplore, mais c’est ainsi ; et quelques puissants que nous soyons, nous ne pouvons en cette circonstance changer l’opinion générale.

Mais c’est de l’égoïsme, dira-t-on.

Non, ce n’est pas de l’égoïsme : il n’en est pas des nations comme des individus ; le sentiment intime de la conservation, ce besoin incessant de consolider ce qui est, constituent l’essence de la société : un homme meurt pour défendre son honneur, une nation ne meurt pas, elle cède à la force, en attendant des temps plus favorables.

Je l’avoue hautement, car je regarde comme un devoir sacré d’exprimer ici toute ma pensée. Oui, messieurs, tous mes vœux, toutes mes sympathies, toutes mes affections sont pour la conservation de la Belgique telle que l’a faite la révolution. Je veux de toutes mes forces, de tous mes désirs, l’intégrité du territoire belge ; qu’on nous demande de l’argent, nous en donnerons ; qu’on nous laisse vider notre querelle avec la Hollande de peuple à peuple, abandonnant à la victoire le droit de nos différends, et des premiers je dirai à nos soldats : « Allez venger et sauver la patrie », et ils sauront le faire.

Mais si, au lieu de l’armée hollandaise, c’est l’armée de l’Europe que nous devons rencontrer ; si la force brutale exige l’exécution des volontés de l’arbitraire ; si, sans appui, sans alliance, sans autres ressources que les nôtres, il nous faut affronter toutes les puissances ; si enfin, comme je le crois, notre résistance doit remettre en question l’existence de la Belgique, je ne veux pas de résistance, parce qu’avant tout je veux que la Belgique existe ; je veux l’indépendance et la nationalité de mon pays.

Oui, mon pays avant tout, mon pays au-dessus de tout. Oui, avant tout je veux qu’il existe, et quelles que soient les entraves qu’on lui oppose aujourd’hui, malgré tous les sacrifices qu’on exige de lui, je lui crois assez de force et de vitalité pour attendre du temps un remède assuré aux blessures actuelles. Qu’elle vive d’abord notre Belgique, et Dieu aidant, elle saura bien se faire heureuse et honorée.

D’ailleurs, la résistance nous est-elle permise ? Nous a-t-on même laissé la liberté du choix ?

Hélas non ! la résistance même est impossible. Nos ennemis se cachent derrières les bataillons de la conférence.

Résistons, soit ; mais à qui ?

Est-ce à la Hollande ? Mais la Hollande ne paraît que derrière le rideau. Elle ne songe pas à nous attaquer, tant elle craint de compromettre l’unique succès que lui valut, il y a sept ans, une déloyauté que l’histoire qualifiera mieux que nous. D’ailleurs on ne lui permettrait pas plus qu’à nous d’entrer en ligne.

Reste donc l’Europe… Qui de nous peut songer à l’affronter ? et pourquoi l’affronterions-nous ? elle est unie en ce moment pour nous écraser ; elle veut la paix ; elle nous la présente à la pointe de ses baÏonnettes. Qui donc oserait dire à la Belgique : Résiste à l’Europe ?

Irons-nous, nation de quatre millions d’hommes, à peine sortie du berceau et encore emmaillotée dans les langes de la diplomatie, nous placer en face de l’Europe et la provoquer au combat ? Irons-nous demander à notre armée sur laquelle nous pourrions nous reposer, s’il ne s’agissait que de la Hollande, d’affronter tous les bataillons de la sainte-alliance, lui commander de se faire tuer pour une cause glorieuse, il est vrai, mais stérile, car les plus brillants succès ne changeraient point notre position ?

Mais, dit-on, les souverains représentés à la conférence reculeront devant la guerre. Sera-ce donc une guerre que l’invasion de leurs troupes en Belgique ? Non ; puisqu’on a osé demandé à un illustre initié de battre le briquet qu’il tient en main pour en tirer l’étincelle qui doit embraser l’Europe, puisqu’on veut une seconde Pologne, ce sera un massacre !... Nous aurons pour toute compensation l’honneur d’inscrire le nom de Bruxelles à côté de celui de Varsovie !

Aurons-nous rempli notre devoir, nous mandataires de la Belgique, quand nous aurons attiré les soldats étrangers sur son territoire ; quand nous l’aurons exposée aux chances d’un démembrement, d’une restauration à main armée ?

Un orateur célèbre, combattant en 1831 l’adoption des 24 articles, que j’aurais repoussés avec lui à cette époque, menaçait les partisans de l’acceptation de ce stigmate mémorable : « Il était du congrès, il a vendu ses frères ! » Tous vous savez quel retentissement ont eu ces paroles.

Eh bien, moi, à cette même tribune où parlait avec tant d’âme l’honorable M. Jaminé, je déclare hautement que si, dans les circonstances critiques où se trouve placé mon pays, je me laissais entraîné à voter pour la résistance, je craindrais que mes concitoyens ne m’attribuassent un jour la cause de leurs désastres et ne me fissent cet amer et juste reproche : « Il était de la chambre de 1839, il a compromis la nationalité et l’indépendance de la Belgique. »

Qu’on ne vient pas parler de la France et répéter qu’elle ne peut tolérer l’emploi de la force contre nous. La France a signé le traité et, dès ce jour, nous ne pouvons plus garder d’espoir en elle. Elle est engagée, et il faut lui rendre cette justice, qu’elle est dans l’habitude de respecter ses engagements écrits.

Mais admettons que les puissance signataires du traité n’emploient pas la violence contre nous : n’ont-elles pas encore l’usage de la force d’inertie ?

Elles ne nous attaqueront pas, mais elle nous bloqueront étroitement, elles établiront des cordons sanitaires, elles nous traiteront comme des pestiférés ; nous seront au ban de l’Europe ; notre nom de peuple n’existera plus pour elles ; au-dedans, on sèmera la discorde, on soldera des agitateurs, toutes nos affaires seront arrêtées, notre commerce et notre industrie frappés de mort, déjà ils sont à l’agonie ! Nous supporterions cet isolement pendant quelques mois, mais ensuite ?

Ensuite ? il nous faudra accepter le même traité rendu plus onéreux encore peut-être ; il nous faudra solliciter pour qu’on nous permette de le ratifier ; ainsi une honte de plus, et en outre des sacrifices inouïs sans aucune chance d’avantages.

Qu’on le remarque donc bien, il ne s’agit pas ici d’équité, de justice : pour les arbitres de nos destinées, l’équité et la justice, c’est la force ! Nous ne sommes pas les plus forts, donc nous devons souffrir, voilà leur raisonnement.

Et puis n’est-ce rien pour cette conférence obligée par la puissance des faits de reconnaître une nation qui s’est constituée elle-même par le droit de sa volonté, n’est-ce donc rien que le plaisir de protester ipso facto contre le principe de la souveraineté populaire qui domine les dates mémorables de juillet et de septembre 1830 ? N’est-ce donc rien que cette satisfaction de la France de 1830, sur un traité où on dit à des populations : Vous voulez être Belges, vous vous êtes soulevés avec la Belgique, vous serez Hollandais parce que nous le décidons ainsi ?

Maintenant, reste la voie des négociations à continuer, des délais à obtenir.

Nous réclamerons auprès de la conférence ; mais, ainsi que cela vient d’avoir lieu pour une note relative à un changement de domination pour les parties cédées, on nous répondra qu’il n’y a plus de changements possibles, attendu que le roi Guillaume a adhéré purement et simplement au traité.

Ensuite la Belgique aussi a soif de stabilité et de repos. Depuis un an surtout qu’il est question de débats politiques, voyez quelles pertes nous avons essuyées ? Nos affaires ralenties, nos projets ajournés, notre crédit ébranlé, nos plus puissants établissements, l’honneur et la richesse du pays obligés d’arrêter leurs travaux, les transactions interrompues, le commerce aux abois, et au milieu de tant d’éléments de prospérité, une inquiétude, une gêne, un malaise qui atteignent toutes les classes de la société et en première ligne le peuple qui a besoin de pain.

Il faut cependant que cette situation ait un terme, que le pays soit une bonne fois débarrassé de ces sujets d’alarme, sans cesse exploités contre lui. Qu’on en finisse : tel est le cri général…. Tel est le besoin de la Belgique ; et ce cri, on l’entend proférer par l’artisan comme par le propriétaire, par le commerçant comme par le capitaliste.

De nouveaux délais, si tant est qu’on nous en accorde, ne serviraient qu’à prolonger la crise, et plus elle sera prolongée, plus le pays souffrira.

D’après ces considérations générales, je n’irai discuter ni la question de constitutionnalité qui est nettement tranchée par les articles 2, 3 et 68 de la constitution, ni les dispositions particulières du traité. Qu’importe sa teneur et sa forme, puisqu’on nous déclare les armes à la main qu’il est irrévocable ; puisque nous ne pouvons ni le jeter ni le modifier. On ne nous demande pas notre avis, on nous force à donner notre adhésion. Oui, on nous y force puisque notre refus nous attirerait l’emploi de la violence et compromettrait l’existence nationale.

Vous voyez bien que nous ne sommes pas libres de choisir un parti : Nous qui croyons en la Belgique qui avons foi en son existence, nous qui la voulons heureuse et paisible, nous cèderons, avec désespoir, mais en protestant à la face de l’Europe contre la violence dont nous sommes l’objet ; nous courberons avec indignation la tête sous le joug parce que nous ne voyons pas de résistance possible, nous croyons qu’il y aurait lieu à sacrifier le tout à la partie, à risquer l’existence nationale pour tenter de conserver ce que la force tient à nous arracher.

Pour bien apprécier quel est l’intérêt de la Belgique, il n’est pas inutile d’observer la conduite de son ennemi.

Notre seul ennemi est le roi Guillaume, car entre nous et la nation hollandaise, il n’y a au fond d’inimitié réelle. S’il n’existait pas d’intermédiaire entre nous, les deux peuples s’entendraient facilement parce qu’ils ont des intérêts communes ; mais le roi Guillaume a une injure personnelle à venger ; nous avons repousser sa domination, et c’est là un crime qu’il ne nous pardonnera jamais.

Que fait le roi Guillaume ?

Il accepte le traité, et chose bien remarquable, des journaux qui en Belgique se sont constitués ses organes, se prononcent énergiquement pour que la Belgique repousse le traité.

Que conclure de là, sinon que le roi Guillaume n’a agi que dans l’espoir d’un refus de notre part ; refus dont il se promet bien de tirer profit, refus qu’il attend, qu’il excite lui-même, et qui dès lors doit nécessairement être onéreux pour nous.

En recherchant la cause de nos malheurs, vous parlerai-je de certaine effervescence excitée d’abord, puis calmée, puis excitée de nouveau, puis enfin arrêtée ?

Vous parlerai-je d’un revirement d’opinion accueilli par certains organes de la presse, avec ces paroles acerbes : « Puisque le pape aime mieux se faire le confesseur des peuples conduits au supplice, que de se mettre à la tête d’une sainte croisade pour la liberté, le clergé belge abandonnera le pape à cet esprit de vertige et de lâcheté qui entraîne pêle-mêle toutes les puissances vermoulue de l’Europe » (Belge, 22 février).

Non ; des récriminations seraient inconvenantes dans ce moment suprême où la patrie réclame l’union entre tous ses enfants : le mal existe, et il faut avant tout y porter remède. Nous réservons pour d’autres temps nos investigations sur les sources qui l’ont produit.

Reste une dernière, mais bien grave question à traiter, celle de l’honneur national.

Je l’avouerai avec ma franchise habituelle, je ne vois pas que l’honneur national de la Belgique soit le moins du mode compromis par l’acceptation du traité.

Avec-nous la liberté du choix ?

Y a-t-il un moyen praticable de repousser les ordres de la conférence ?

Notre volonté est-elle pour quelque chose dans cette décision ?

A moins qu’on ne vienne soutenir, et on ne le fera pas, que la Belgique doit risquer jusqu’à son existence pour éviter l’abandon de ses frères, je cherche vainement quel moyen nous pourrions employer pour échapper à cette extrémité.

Il est évident pour tout le monde que la Belgique est violentée en ce moment ; qu’elle a fait tout ce qui a dépendu d’elle, et qu’elle a donné à son gouvernement tous les pouvoirs nécessaires pour conserver les populations qui s’étaient associées à son sort. Que peut-elle faire aujourd’hui en présence de l’Europe armée ?

Mais notre adresse en réponse au discours du trône ! Notre adresse qui, je dois le dire (car la franchise avant tout) ne peut pas être justifiée, parce qu’elle ne serait que conditionnelle.

La responsabilité de cette adresse ne doit pas, ne peut pas retomber sur la représentation nationale, mais sur le ministère tel qu’il était alors composé. A lui seul, on demandera compte un jour de tous ces millions inutilement dépensés, de toutes ces manifestations d’opinions maladroitement provoquées et aujourd’hui compromises, de toutes ces bravades qui auraient pu nous exposer à la risée de l’Europe, de ces angoisses entremêlées d’espérances auxquelles nos malheureux frères ont été en butte, de cette crise commerciale et industrielle enfin, qu’il a laissé éclater sans aucune utilité, car pour moi une diminution de la dette, un arrangement prétendument favorable pour la navigation de l’Escaut n’ont aucune importance en présence du morcellement de territoire qui était définitivement arrêté.

La chambre, elle, ignorait où en étaient les négociations avec la conférence : plusieurs fois elle avait demandé des renseignements que le ministère, sous prétexte d’inopportunité, a évité de donner. Dans un but qu’il est inutile de rechercher le gouvernement a voulu une manifestation officielle pour appuyer des réclamations qu’il savait déjà être tardives, car les pièces diplomatiques nous ont appris que, dès le mois d’avril, l’Angleterre fit déclarer au cabinet de Bruxelles qu’il considérait comme irrévocables les arrangements territoriaux du traité de 1831 ; et le 4 août suivant, notre envoyé à Londres annonçait qu’il ne restait plus le moindre espoir. Le discours de l’honorable M. Nothomb, prononcé à votre séance d’avant-hier, a confirmé nos assertions à cet égard.

Tous nous désirions d’autres conditions que celles des 24 articles, et quand le ministère, par un auguste organe, nous a parlé de persévérance et de courage, nous croyions qu’il avait des moyens de résistance, et que tout au moins qu’il avait l’appui de la France. Aussi avons-nous spontanément applaudi au discours du trône, comme à l’expression fidèle de notre pensée.

La commission de l’adresse était composée d’un membre du cabine et d’amis politiques du ministère, nommés sous son influence. Quand les membres de cette commission ont proposé l’adoption du projet, auquel aucun des cinq ministres n’a fait la moindre objection, la chambre a dû croire qu’ils étaient parfaitement d’accord avec le gouvernement, et que celui-ci avait fait des confidences sur les actes diplomatiques jusqu’alors secrets.

Mon honorable ami M. Dolez, et moi, avons vainement essayé d’obtenir quelque peu de temps pour peser et mûrement examiner un document de cette importance ; nous avons réclamé, comme un acte de justice et de convenance, qu’on nous permît au moins de lire le projet qu’on voulait mettre en discussion et qui venait seulement de nous être remis à notre entrée dans la chambre ; mais nos réclamations ne furent point écoutées : peu s’en fallu qu’on ne nous accusât de trahison. La majorité décida que la discussion aurait lieu immédiatement, et dès lors la chambre dut se borner à un vote de confiance. L’adresse fut votée à l’unanimité, parce qu’à en croire les auteurs du projet une unanimité seule pouvait sauver la patrie.

Depuis sont arrivées les injonctions de la conférence qui ne sont que le résultat de décisions antérieures qu’on avait eu soin de nous laisser ignorer. Ces injonctions rendaient notre adresse inutile ; on ne l’a pas même réfutée, on a passé outre.

Oui, nous voulions de la persévérance et du courage dans le maintien de nos droits. Mais doit-on entendre ces mots comme un défi jeté à toute l’Europe ? Non, sans doute… nous avons fait preuve de persévérance pendant huit ans. Quant au courage on ne veut pas que nous en montrions ; on se place entre nous et notre ennemi. Serait-ce du courage que de résister aux cinq grandes puissances de l’Europe ? Nous savions au moment de notre adresse que la Russie, l’Autriche et la Russie étaient contre nous ; nous avions des motifs de craindre que l’affaiblissement de l’alliance anglo-française ne nous enlevât l’appui de l’Angleterre, et les discours de la reine et de lord Palmerston au parlement sont là pour démontrer si nos craintes étaient fondées. Mais nous comptions fermement sur l’appui de la France, et par un mot du ministère pour nous tromper. Aujourd’hui, que le cabinet Molé nous abandonne, serait-ce du courage que de résister à l’Europe, avec le seul espoir du changement de ministère, qui remplace un jour le cabinet actuel en France. Quel que soit le ministère, je dirai en termes explicites ce que vous laissait entrevoir hier l’honorable M. Nothomb, je vous dirai : Timeo Danaos et dona ferentes, car alors ou la France pas plus qu’aujourd’hui ne voudra venir à notre secours, et qu’avons-nous à espérer ? Rien. Ou la France voudra nous secourir, mais ne pourra pas résister à l’Europe entière ; encore rien, si ce n’est la restauration : ou enfin la France voudra et pourra résister seule à toutes les puissances, mais en ce cas, malheur à la Belgique ; la France a aussi un honneur national à venger, des traités odieux à déchirer ; dans l’opinion du plus grand nombre de ses habitants, ses frontières naturelles sont le Rhin et le Moerdyck. Serait-ce du courage que de se laisser entraîner par les partis, dont l’un veut la réunion à la France, l’autre la restauration, et qui, par leurs organes destinés à influencer la représentation nationale, prêchent à la résistance comme un moyen commun pour arriver à leurs buts respectifs ? Serait-ce du courage, après tout ce qui nous est aujourd’hui connu, que d’exposer aux chances de la lutte la plus inégale notre nationalité, notre indépendance ? Non, ce ne serait pas du courage, je le dis hautement, ce serait de la stupidité, de la folie.

La Belgique a montré du courage en 1830, mais on feint de l’avoir oublié. On s’est attaché à faire ressortir les revers de 1831 en laissant soigneusement dans l’ombre les souvenirs de 1830, de cette époque impérissable où nous avons secoué la domination hollandaise, seule, sans armée, animés par un cri sublime : Liberté, fort seulement d’une devise pour laquelle on meurt : Indépendance.

Et on parle de honte pour la Belgique, qui abandonnerait ses frères du Limbourg et du Luxembourg !

Parlez de douleur, de désespoir, mais qu’on ne prononce pas le mot honte, ce n’est pas sa place.

Où donc est-il écrit que l’abus de la force déshonore la victime ? qui osera dire à un peuple de quatre millions : Il fallait résister à des peuples de plus de cent millions et mourir plutôt que de céder !

Qui a jamais prétendu que la France fut déshonorée parce qu’en 1815 elle a dû abandonner des territoires et des populations qui, elles aussi, voulaient rester françaises, et qui sont devenues belges ? qui osera dire que la France fut déshonorée parce qu’elle a consenti à démolir des forteresses qui inquiétaient ses ennemis ?

Elle a cédé à la force, le plus injuste mais le plus puissant des droits. Aujourd’hui que le temps a cicatrisé ses plaies, en est-elle moins la premier nation de l’Europe ?

Qu’on ne dise pas que nous abandonnons nos frères ; la Belgique entière protesterait contre cette calomnie. On nous les arrache.

Non, la honte du traité qu’on nous impose, qui nous est présenté à la pointe des baïonnettes de l’Europe coalisée, n’atteindra jamais notre Belgique, placée entre sa perte et une passive obéissance. Elle restera entière, éternelle cette honte, attachée au front de nos persécuteurs. Ce sera un digne pendant à l’anéantissement de la Pologne, deux nobles fleurons, les derniers sans doute attachés à la couronne vermoulue de la sainte-alliance ! On dira : La Belgique était la plus faible, elle n’a pu résister, mais ce sont ceux qui lui ont violemment arraché ses frères pour les livrer à la Hollande, ceux qui sans autre droit que la puissance du nombre ont disposé de ses populations comme d’un vil troupeau, ce sont ceux-là qui seront responsables au tribunal de l’histoire. On le répètera avec moi : Honte, honte, sans fin, sans relâche sur les oppresseurs de l’humanité, mais respect pour la noble et courageuse persistance de notre patrie ! Honneur à la Belgique, éplorée, malheureuse, mais jamais souillée !!

Et vous dont la main serre encore la nôtre aujourd’hui, vous mes concitoyens du Limbourg et du Luxembourg, membres comme nous depuis des siècles de la grande famille, vous qui vous proclamez heureux et fiers d’avoir préparé et consolidé comme nous l’œuvre de l’indépendance, est-ce à croire que vous cesserez d’être Belges et que nous cesserons d’être frères parce que l’Europe coalisée vous aura dit la menace à la bouche : « Le joug que vous aviez secoué, il nous plaît de vous l’imposer de nouveau ; le maître que vous aviez rejeté, il nous plaît maintenant de vous le rendre. » Non, les traités imposés par la force ne prévalent nulle part sur les droits de l’humanité. La ligne de démarcation tracée par une politique égoïste n’affaiblira, j’en ai l’assurance, ni nos sentiments communs, ni nos communes sympathies : nous resterons ce que nous sommes, les fils d’une même mère, les rejetons d’une même race. Cette séparation que l’impérieuse nécessité nous prescrit et dont la honte ne retombera que sur ceux qui la veulent, rien ne suppose qu’elle doive être éternelle, ni même durable. C’est pour un temps peut-être très limité que nous vivrons sous un sceptre et sous des lois différentes. Une politique plus intelligente des vrais besoins des peuples fera place aux calculs étroits de la politique européenne actuelle. Nous ne nous séparons que pour nous retrouver un jour. Et si, des deux parts que la conférence a jugé à propos de faire du Limbourg et du Luxembourg, elle assigne à notre ennemi la plus peuplée, c’est pur nous, Belges de toutes les autres provinces, une raison de plus de penser que notre royaume retrouvera, en de meilleures circonstances, les limites que la nature et notre courage lui avait données. En acceptant donc le traité qui nous est, non pas offert, mais imposé, je renonce, il est vrai, à des droits actuels, mais c’est pour me réserver toutes mes espérances dans l’avenir.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Lors de l’adhésion du roi Guillaume au traité des 24 articles, le 14 mars dernier, le gouvernement belge avait à choisir entre trois partis : Il devait ou se montrer disposé à accepter immédiatement les clauses territoriales, ou repousser l’intervention de la conférence, ou temporiser et chercher à négocier.

Y aurait-il eu dignité à céder dès le mois de mars, sans faire aucune effort pour conserver les populations du Limbourg et du Luxembourg ? Les puissances eussent-elles été mieux disposées à entrer en arrangement, après avoir obtenu notre adhésion ? je n’hésite pas à dire que non. Du moment qu’on était assuré de notre adhésion, aucun changement n’était plus possible.

Mais, en adhérant immédiatement, vous n’auriez pas seulement perdu le territoire, vous auriez perdu encore une grande partie des arrérages, dont nous avons obtenu la remise ; vous n’auriez obtenu aucune réduction sur la dette. Ce n’est pas une vaine allégation. Dès le 27 avril dernier, le cabinet britannique me fit notifier que tout espoir de la Belgique pour obtenir une modification quelconque au chiffre de la dette serait chimérique, et que tout ce que nous pouvions espérer, c’était une transaction sur les arrérages.

Avec des charges aussi accablantes, la Belgique aurait-elle pu exister ? du moins aurait-elle pu prospérer ? l’abandon de la question territoriale était donc la perte immédiate des habitants, auxquels toutes nos sympathies nous rattachaient. C’était un acte peu honorable, alors qu’il n’était pas commandé par la nécessité, par la force majeure. Le pays n’aurait jamais perdu le souvenir d’un abandon aussi facile, alors que tous auraient été persuadés qu’on s’était trop pressé de le faire.

Le second système, celui de résister à la conférence, de protester contre la délimitation territoriale, conduisait au même résultat. Aussitôt que la délimitation territoriale aurait été officiellement contestée à la conférence, elle se serait empressée de (erratum, Moniteur du 8 mars 1839 : ) poser un acte par lequel toutes les négociations auraient été terminées. Dès lors toute chance, résultant des négociations, toute éventualité favorable étaient perdues. De plus, on ne pouvait manquer de concerter immédiatement les mesures coercitives, et l’on aurait fait d’autant plus facilement que les tribunes de France et d’Angleterre étaient muettes à cette époque. Les négociations sur les arrérages, sur la dette, sur l’Escaut, il ne pouvait en être question dans ce système. Voilà cependant le système qu’on a osé proposer au pays comme la véritable politique.

Celui que nous avons adopté est celui de la temporisation et des négociations.

Notre politique n’est pas restée inconnue ; elle vous a été indiquée dans le comité secret du mois d’avril dernier. Prolonger le statu quo aussi longtemps que ce sera raisonnablement possible, en s’efforçant d’arriver à un arrangement qui nous permette de conserver intacts le Limbourg et le Luxembourg, tel est le programme que nous avons posé dans cette séance. Cette politique peut être avouée hautement à l’intérieur ; car elle a obtenu non-seulement votre suffrage, mais ceux de tout le pays, comme l’ont prouvé des adresses d’un grand nombre de conseils communaux et de presque tous les conseils provinciaux.

Cette politique peut également être avouée à l’extérieur, et lorsque les craintes qui ont récemment agité l’Europe seront dissipées, elle rendra justice au sentiment patriotique qui a animé le gouvernement et le pays.

La politique du ministère avait-elle des chances de succès ? Oui, messieurs. En premier lieu un désaccord s’était manifesté entre les membres de la conférence, lorsqu’il s’est agi de constater par un protocole l’adhésion du roi Guillaume. La conférence a en quelque sorte été dissoute par ce désaccord. Jusqu’à ce que de nouvelles instructions aient été envoyées aux ambassadeurs des diverses puissances vers la fin de juillet.

En supposant les négociations reprises comme elles l’ont été au mois d’août, ne pouvaient-elles pas être rompues soit par un désaccord entre les puissances, soit par la retraite du cabinet de La Haye ? comme celle qu’il avait opérée en 1833 ?

Les chances de voir établir une trêve entre la Hollande et la Belgique n’étaient pas non plus dénuées de fondement ; en effet, le précédent d’une trêve est dans les annales historiques de la Hollande ; une trêve semblait convenir à la politique expectante de son roi. Mais cette trêve devait, dans mon opinion, être accompagnée du paiement au moins partiel de notre part dans la dette commune.

La prolongation de l’état de possession du territoire était sans doute un des moyens les plus assurés de le conserver comme définitif. Plus les intérêts se multiplient, plus les liens se resserrent, et plus il est difficile de séparer les populations.

L’espoir d’une transaction moyennant une indemnité pécuniaire, était encore une ressource probable ; mais ce moyen on ne pouvait y avoir recours officiellement, qu’après avoir obtenu la réduction importante sur le chiffre exagéré de la dette qui nous avait été imposée en 1831 ; on devait en attendant se borner à l’indiquer.

Nous pouvions compter que les états généraux de la Hollande, que le cabinet de La Haye lui-même, se montreraient en définitive favorables à un semblable système de transaction. Et alors, (erratum, Moniteur du 8 mars 1839 : ) les démarches se faisant simultanément par les deux pays, et étant appuyées par un ou deux gouvernements, auraient eu des chances de succès.

La diète aurait peut-être trouvé dans la satisfaction complète des deux états une garantie plus forte pour le maintien de l’équilibre européen, que dans la possession de quelques cantons du Limbourg et du Luxembourg, ou que dans l’association de ces populations à la confédération germanique.

On pouvait encore chercher une compensation territoriale qui eût été de nature à satisfaire les prétentions de la diète. Par exemple, la constitution de la place de Maestricht en place fédérale, qui aurait soulagé les Hollandais d’une charge militaire très pesante, aurait offert à l’Allemagne un rempart plus précieux que la possession des cantons ruraux du Limbourg et du Luxembourg, sans toutefois, semble-t-il pouvoir porter ombrage à la France ; mais cette proposition ne fut pas accueillie.

Plusieurs événements indépendants de la question belge pouvaient encore surgir pendant le cours de la négociation : ainsi la question d’Orient pouvait appeler sur elle toute l’attention des grandes puissances ; elle pouvait faire tomber la nôtre dans l’oubli. C’était là un motif de plus pour ne pas nous presser relativement à la question territoriale.

Toutefois si le gouvernement a pris l’initiative de ce système, s’il l’a formulé dès l’ouverture de la négociation avant que les chambres ou le pays se fussent prononcés, ce serait une erreur de croire que le gouvernement ait jamais engagé les chambres ou le pays à faire des manifestations. Le gouvernement n’a pas pu s’exprimer sur ces voeux qu’on a fait entendre, parce qu’en cherchant à modérer les espérances du pays il aurait proclamé en quelque sorte lui-même l’abandon du territoire, ou qu’il ne concevait plus d’espoir de le conserver.

La politique du ministère a eu l’assentiment des chambres ; et cependant les chambres étaient divisées en deux grandes fractions dont l’une semblait disposée à tout risquer pour la conservation du Limbourg et du Luxembourg, tandis que l’autre paraissait fermement résolue à poser des limites aux sacrifices. Dans cette situation des opinions dans le sein des chambres, la politique du ministère devait être approuvée jusqu’au moment où les événements obligeraient le gouvernement à adopter le système de la paix, ou le système de la résistance ; je dis résistance pour éluder le mot guerre.

Aucune profession de foi n’a été exigée de notre part, et nous avons toujours évité de proclamer une opinion absolue sur cette question grave.

Dira-t-on que les chambres étaient persuadées du succès de la négociation sur la question du territoire ? Non, messieurs, personne d’entre vous ne le dira. Les actes diplomatiques invoqués contre nous vous étaient connus ; la presse, vos relations habituelles avec les membres du cabinet vous mettaient à même d’être suffisamment informés. Toujours vous avez considéré la question territoriale comme très problématique.

Mais, messieurs, avez-vous été induits en erreur à l’ouverture de votre session ? Nullement, les faits étaient connus, et dans le sein de votre commission de l’adresse j’ai eu soin de les expliquer en détail, sans aucune réserve, sans aucune réticence. De quoi s’agissait-il alors ? d’exercer une grande influence sur la tribune française. A cette époque aucune décision n’était émanée de la conférence, les choses étaient encore entières.

Je puis m’appuyer du rapport que le ministre des affaires étrangères de la Hollande vient de faire aux états-généraux dans une séance du 4 de ce mois. Voici, messieurs, le passage de ce discours qui expose la situation des affaires de cette époque :

« Ces délibérations qui, d’abord, n’étaient que préparatoires et ne portaient pas le caractère officiel, laissaient bien, à la fin de l’année dernière, supposer jusqu’à un certain point leur résultat, mais n’avaient point encore acquis le degré de maturité nécessaire pour permettre de faire quelques ouvertures sur les particularités de la négociation. »

Vous le voyez donc, ni vis-à-vis de la Hollande, ni vis-à-vis de la Belgique aucune décision de la conférence n’était arrêtée.

Une sympathie vivement exprimée, un appui promis dans l’adresse des chambres françaises, joints aux compensations pécuniaires que la Belgique était disposée à offrir, présentaient encore une grande chance de réussite ; le gouvernement français, avant de s’engager, a attendu la fin de la discussion des adresses ; il nous eût suffi de l’appui moral qui serait résulté de sa non-participatioon aux derniers actes de la conférence.

Messieurs, si nous eussions proféré dans cette enceinte des paroles de découragement, si nous avions proclamé qu’il fallait se résigner au sacrifice, y eût-il eu des expressions assez sévères pour accuser le ministère, et ne lui aurait-on pas dit : Arrivés à cette époque si (erratum, Moniteur du 8 mars 1839 : ) précieuse de la réunion des chambres françaises, et quand nul engagement nouveau n’existe entre les plénipotentiaires de la conférence, comment pouvez-vous faire entendre des paroles de désespoir ? Mais pourquoi exprime-t-on des regrets sur la marche qui a été suivie ? C’est qu’il est dans la nature de l’homme de s’occuper successivement d’espérance et de regret, n’eussiez-vous pas ressentis si une politique contraire eût été adoptée, si le gouvernement s’était empressé d’adhérer aux dispositions territoriales du 15 novembre 1831 ! Quels regrets plus vifs encore vous eussent saisis si, suivant l’opinion de quelques membres, le gouvernement se fût hâté de protester contre le traité du 15 novembre, si une telle protestation vous avait privés des avantages que nous avons pu obtenir dans la négociation, et si cette protestation eût été suivie, dès l’été dernier, d’une exécution militaire !!

Si nous avons eu le malheur de ne point obtenir de succès sur la question territoriales, au moins avons-nous remporté des avantages considérables en ce qui concerne la remise des arrérages de la dette, la réduction sur la rente annuelle, les stipulations sur l’Escaut.

Avec quelles difficultés ces avantages ont-ils été obtenus, lorsque le roi Guillaume adhérait purement et simplement au traité que nous avions nous-mêmes accepté, lorsque cette adhésion était considérée par lui comme un sacrifice immense, lorsqu’il la donnait à regret et sous la condition qu’aucune modification ne serait apportée au traité.

Cependant, messieurs, vous avez vu que, dans son adhésion aux nouvelles propositions du 23 janvier, il déclare que son attente a été déçue, que de nouveaux sacrifices lui sont imposés. Ces paroles du plénipotentiaire hollandais, consignées dans la note qu’il a adressée à la conférence, sont encore confirmées par le discours du ministre des affaires étrangères de Hollande, dans la récente communication qu’il a faite aux états-généraux. Voici en quels termes il s’exprime :

« La comparaison des traités proposés par cette note, avec les 24 articles dont la signature avait été offerte de notre part, présente diverses modifications à ces articles, quelques-unes indifférentes ou préférables pour la rédaction, d’autres défavorables à la Néerlande, sans que la charge résultant de la perte des arrérages, et de quelques dispositions particulières relatives à l’Escaut, puisse être compensée par la suppression de la liquidation du syndicat d’amortissement. Néanmoins le gouvernement jugea qu’il fallait souscrire à ces nouveaux sacrifices. »

Ainsi, messieurs, le ministère a su obtenir pour le pays de grands avantages en ce qui concerne ses intérêts matériels ; il a su conserver le concours entre le gouvernement et les chambres dans les circonstances les plus difficiles, il a su maintenir l’ordre intérieur au milieu de tant d’agitations, il a défendu l’intérêt du Limbourg et du Luxembourg jusqu’aux dernières limites du possible ; il leur a procuré toutes les chances d’événements et d’arrangements favorables que pouvaient amener de longues négociations ; finalement il s’est décidé à vous proposer l’acceptation du traité, et, dans cet acte, les membres restants du ministère espèrent avoir mérité les suffrages du pays : il n’y a eu, dans cette conduite, ni absence de système, ni absence de volonté, ni absence de vigilance, ni absence de courage. Nous avons résisté à toutes les instances qui ont été faites aussi longtemps que le dernier protocole n’a point été revêtu de toutes les signatures, aussi longtemps que l’adhésion du roi Guillaume n’a point été donnée.

C’est dans ces circonstances cependant qu’on vous propose, messieurs, je ne dirai pas de persévérer dans votre adresse, mais d’en exagérer le sens, car vous n’y avez jamais attaché cette portée absolue, vous n’avez jamais entendu proclamer une résistance sans limites. J’ai conservé le souvenir d’opinions individuelles émises par un grand nombre de membres de cette assemblée et je puis affirmer que jamais on n’a entendu proclamer en quelque sorte la ruine éventuelle du pays.

D’ailleurs, messieurs, la Belgique est-elle le seul pays qui ait émis une opinion ou posé un acte dont il faille revenir ? M. le ministre des travaux publics vous a fait connaître en quels termes le roi des Pays-Bas avait protesté de son côté contre les actes de la conférence ; je pourrai faire ici une nouvelle citation, c’est la réponse faite au nom de ce même roi au comte Orloff, envoyé de la cour de Russie ; voici en quels termes elle était conçue :

« (erratum, Moniteur du 8 mars 1839 : ) Pour ce qui concerne la forme du traité à conclure entre le roi des Pays-Bas et les cinq cours, comme sa majesté a déclaré à la nation et à l’Europe ne pouvoir souscrire aux 24 articles, leur signature actuelle compromettant son honneur. »

Et malgré une déclaration aussi positive, le roi Guillaume a donné son adhésion, non seulement au traité des 24 articles, mais encore au traité du 23 janvier dernier.

On vous a rappelé, messieurs, l’exemple du congrès : cette assemblée mémorable, dans sa séance du 1er février, rédigea une adresse à la conférence dans laquelle elle s’exprimait en ces termes :

« Le congrès (erratum, Moniteur du 8 mars 1839 : ) n’abdiquera dans aucun cas en faveur des cabinets étrangers l’exercice de souveraineté que la nation belge lui a confié ; il ne se soumettra jamais à une décision qui détruirait l’intégrité du territoire et qui mutilerait la représentation nationale ; il réclamera toujours de la part des puissances étrangères le maintien du principe de la non-intervention. »

Mais on a oublié de vous rappeler que cette protestation si patriotique fut suivie quelques mois plus tard de l’acceptation des 18 articles qui détachaient en principe le Luxembourg et la Belgique, lui laissant seulement la possession provisoire et les espérances que pouvait fournir la négociation qui devait être ouverte avec la diète germanique sous les auspices de la conférence.

On vous a plusieurs fois entretenus de la Pologne ; la Pologne a été l’objet des protestations les plus solennelles de la part du parlement d’Angleterre et de la part des chambres françaises : « La nationalité polonaise ne périra point », disait-on en France ; vous savez, messieurs, ce qui en est advenu.

On vous a cité le courage héroïque de la Pologne, mais on a omis de dire que la Pologne se trouvait dans une de ces situations extrêmes où il n’y avait point de traité, point de (erratum, Moniteur du 8 mars 1839 : ) trève, point d’amnistie possible. Vaincre ou mourir était la condition inévitable.

Plus heureux, messieurs, il nous est permis de délibérer sur un traité de paix , la Belgique peut se constituer définitivement, être reconnue de tous les états de l’Europe, recevoir l’abdication de son ancien souverain, et cela sans avoir eu à soutenir une guerre périlleuse, une guerre ruineuse.

Si l’histoire doit honorer le nom polonais, parce que la Pologne s’est trouvée dans la dure nécessité de combattre jusqu’à l’extermination, elle n’aurait pas la même indulgence pour nous si nous prononcions nous-mêmes notre suicide.

Oui, messieurs, la question de nationalité est ici en jeu ; qu’on ne se le dissimule pas, depuis huit années la question hollando-belge a jeté l’inquiétude entre toutes les puissances ; cette question doit avoir un terme, et si jamais l’opinion venait à prévaloir que la nationalité belge est impossible, si la représentation nationale proclamait, en repoussant le traité, que la Belgique n’a de conditions d’existence que dans les chances favorables d’une guerre, alors, messieurs, d’autres mesures pourraient être prises.

M. Beerenbroeck – Messieurs, dans un moment solennel, lorsqu’on va décider du sort du pays, que la patrie est menacée de perdre ce qui doit lui être de plus cher, la conservation de son territoire, on ne devrait plus s’attacher à rechercher quels sont ceux qui, par un coupable aveuglement de leur ambition, ont conduit le pays au bord de l’abîme ; on ne devrait s’occuper que des moyens de surmonter les obstacles qui nous environnent ; mais, messieurs, la conduite de nos hommes d’état depuis quelques mois a été si inconséquente, qu’il est impossible de ne pas s’y arrêter un moment.

La lecture des deux rapports du ministère des affaires étrangères a tout mis au grand jour ; il n’y a qu’une opinion parmi le membres de cette chambre, opposants et défenseurs du traité, tous avouent que le ministère a mal conduit nos affaires, qu’il a mal dirigé l’opinion publique.

Il n’appartient pas à moi, qui repousse le traité, de me constituer le défenseur de ceux qui acceptent le traité et qui, malgré cela, blâmeront la conduite du gouvernement. Je laisse cette tâche aux membres qui appartiennent à cette fraction de la chambre. Leur rôle est facile, et le ministère n’échappera pas à ces critiques ; il trouve sa condamnation dans ses rapports mêmes.

Mais, messieurs, si ceux qui acceptent le traité ne cachent pas leur mécontentent, à quelles accusations les ministres ne doivent-ils pas s’attendre de notre part, de nous qui repoussons cet odieux traité, de nous qui croyons qu’avec plus habilité on aurait pu conjurer l’orage qui est venu fondre sur le pays ! Si nous avions pu soupçonner la faiblesse de nos hommes d’état , pensez-vous que nous n’aurions pas plutôt retiré notre confiance à ces hommes ? Mais nous les croyions incapables, au moins quelques-uns, de venir défendre à cette tribune un acte par lequel 350,000 habitants sont retranchés de la Belgique pour les livrer comme une marchandise. C’est surtout au ministre des affaires étrangères que j’adresse ces reproches ; ce n’est pas par ses paroles, je dois le dire, qu’il m’a trompé, je n’ai pas l’habitude de mendier des confidences aux ministres, parce que ordinairement elles font plus de mal que de bien sur l’esprit d’un député, et quand même je me serais adressé au ministère, je n’en aurais pas su davantage. M. de Theux, vous le savez, est presque muet quant aux affaires, ou du moins, il pousse la discrétion jusque dans ses dernières limites. Je ne demandais pas d’engagement de lui, il en avait pris vis-à-vis de la chambre et du pays ; je comptais sur sa loyauté et sa probité ; qualités que jusqu’ici on lui reconnaissait. Je le croyais ferment résolu de quitter plutôt son portefeuille que de nos proposer l’acceptation d’un traité si déshonorant et qui compromet à jamais la royauté. J’ai été malheureusement dupe de ma bonne foi, et beaucoup de mes amis avec moi. Et pourquoi, nous adversaires de ce traité, ne pas avoir confiance dans le cabinet, lorsque ces hommes provoquent de la part des populations menacées d’un démembrement des manifestations patriotiques, lorsqu’ils viennent voter ou pour mieux dire conseiller une adresse qui rend toute cession, sans se déshonorer, impossible, demandent les miliciens sous les drapeaux, procèdent à des adjudications de chevaux de remonte, remplissent les cadres des officiers, appellent d’un pays étranger un illustre général, poussent l’énergie au point de faire partir deux agents diplomatiques qui exigent le renvoi du général polonais ! Tout cela était bien de nature à inspirer de la confiance, et ce n’est que lorsque nous voyons deux membres du cabinet connus par leur fermeté se séparer de leurs collègues parce qu’ils s’apercevaient qu’on jouait la comédie, que nous avons reconnu que nous nous sommes laissé endormir ; mais c’était trop tard ; le remède au mal était devenu impossible. A Londres, tout était déjà consommé.

Pourquoi, si le gouvernement n’a pas eu l’espoir de conserver le territoire, a-t-il engagé la chambre et le pays à se prononcer avec tant de force contre le démembrement ? Est-ce, comme le dit une brochure que le Moniteur a insérée dans ses colonnes, probablement par ordre du ministère, qu’en contestant sur trois points à la fois, le territoire, la dette et la navigation, il espérait parvenir à un dégrèvement de la dette Mais, si tel a été son plan, il n’y aurait pas d’expressions assez fortes pour flétrir les ministres. Comment ! on aurait provoqué des manifestations patriotiques des populations du Limbourg et du Luxembourg, et pourquoi ? Pour parvenir à un dégrèvement de la dette ! Cette tactique, si elle est habile, comme on le prétend, est au moins la plus immorale, la plus inhumaine qu’on ait jamais pu imaginer. Si le fait pouvait être prouvé, il faudrait mettre en accusation ceux qui se jouent ainsi d’un peuple.

Il est vrai que le ministre, dans son rapport, a eu soin de dire que dans les instructions adressées à nos agents diplomatiques, il leur a toujours recommandé la question territoriale : si le fait est vrai, pourquoi ne déposez-vous pas les pièces sur le bureau ? Vous justifieriez, de cette manière, votre conduite ; mais puisque vous persistez à nous les refuser, vous me permettrez de croire que vous avez mal négocié : vous direz tout ce que vous voudrez, vous ne détruirez pas mes doutes ; je dirai plus, je n’ajoute aucune foi à vos paroles ; il me faut des actes, et ce n’est que lorsque je les aura parcourus, que je verrai si j’ai tort ou raison. Messieurs, si le gouvernement ne se sentait pas de force ni de volonté pour conserver le Limbourg et le Luxembourg, il aurait dû depuis quatre ans adopter une toute autre politique envers nous. C’était pour lui un devoir de ne rien faire qui fût de nature compromettre les populations du territoire contesté envers leur ancien souverain£. Ce n’est pas que je veuille dire qu’il aurait fallu les abandonner à elles-mêmes, non ; mais l’action du gouvernement ne devait être que purement administrative ; il ne fallait pas les contraindre à souscrire à des mesures politiques ; si la Belgique méditait le projet d’abandonner un jour ces deux provinces, il eut été d’une sage politique d’insérer dans les lois une mesure qui dispensât ces habitants de la prestation du serment, au moins dans ce qu’il a de blessant envers le roi Guillaume, auquel on voulait les renvoyer un jour. Cette politique que la prudence conseillait n’a pas été observée ; on a demandé aux administrations provinciales et communales, en un mot, à tous les fonctionnaires, le serment non pas seulement de fidélité à la constitution, mais on a eu soin de leur rappeler préalablement qu’ils juraient l’exclusion perpétuelle des Nassau. Je dois le dire, tous les fonctionnaires ont souscrit avec empressement ; ils croyaient que c’était la plus forte garantie de la conservation de leur territoire ; depuis ils étaient dans une parfaire sécurité. Je le demande, maintenant, y a-t-il quelque chose de plus révoltant, si après avoir rendu toute réconciliation avec leur ancien maître impossible, on vient proposer de lui livrer ces populations ? Voilà cependant ce que trois ministres ont le triste courage d’entreprendre. Ne craignez-vous pas, hommes d’état, la vengeance de ceux que vous abandonnez si misérablement ?

L’histoire, je l’espère, ne vous épargnera pas ; il sera écrit dans ses pages : Un Limbourgeois et deux Luxembourgeois ont demandé le sacrifice de 350,000 de leurs compatriotes.

Il me semble que je comprends votre politique Tout ce que vous voulez, c’est de faire reconnaître à tout prix la dynastie du roi Léopold ; mais ce n’est pas au dix-neuvième siècle qu’on sacrifie des hommes à des vues politiques, ils ne sont point comme jadis le patrimoine des rois ! Quelles que soient les explications que vous viendrez donner pour vous justifier, vous n’y parviendrez pas ; je le dirai toujours, votre règle de conduite était nettement tracée par l’adresse du mois de novembre, vous l’avez acceptée, dès ce moment vous preniez l’engagement de ne pas consentir au morcellement du territoire. Si vous ne vous sentiez pas le courage, si vous n’aviez pas de foi en vos propres forces, il était de votre devoir de quitter cos portefeuilles. La Belgique ne manquait pas d’hommes énergiques et capables pour dignement terminer ce que vous aviez commencé sans avoir le courage d’achever.

Mais pourquoi, messieurs, m’arrêter plus longtemps aux fautes de nos hommes d’état ? Il est temps de nous occuper de l’avenir. Et quel avenir, messieurs ! La Belgique, horriblement mutilée, flétrie, déshonorée, forcée d’abandonner 350,000 de ses frères les plus dévoués ; la Belgique accablée d’une dette qu’elle n’a jamais contractée, réduite à payer, entre les mains d’un receveur hollandais placé dans une des principales villes du royaume, un tribut pour la navigation de son fleuve, environnée par une puissance qui conspirera toujours contre elle afin de rendre son existence militairement et commercialement impossible. Voilà les fruits de notre aveugle bonne foi.

Non, messieurs, sommes-nous encore liés envers les cinq puissances par le traité du 15 novembre ? Plus d’une fois vous avez dans des circonstances solennelles répondu négativement. Je me dispenserai donc de discuter longuement ce point. Je ne pourrai que répéter ce qui a été dit à ce sujet, et d’ailleurs, les meilleurs raisonnements ne changeraient en rien notre situation. Les puissances ne veulent pas nous écouter ; c’est en invoquant les règles de l’équité et sous prétexte d’accorder de grands avantages qu’elles demandent à la Belgique de souscrite à un traité qui n’est autre chose que la déchéance de sa nationalité. Je ne ferai donc qu’une seule observation. Vous avez dû remarquer, messieurs, que le Limbourg est donné en échange du Luxembourg ; cet échange serait fait pour se conformer au désir du roi : ainsi, en cédant le Luxembourg vous auriez pu conserver le Limbourg. Dans une séance précédent la même observation a été présentée, et le ministère est venu déclarer que ce désir n’a jamais été exprimé par le gouvernement ; c’est possible, mais je dirai encore une fois : Déposez vos pièces sur le bureau et nous verrons si ce que vous avancez est vrai. Je n’en dirai pas davantage sur ce point, car si toute ma province eût été conservée, j’aurais tout de même voté contre les traités.

Selon moi, tous les Belges ont droit aux mêmes avantages ; le Luxembourg doit y être compris.

Messieurs, vous n’accepterez plus le traité qui vous est soumis. Il a fait son temps, vous l’avez déclaré par votre adresse du mois de novembre ; la loi des circonstances malheureuses l’a créé, nous l’avons subie, mais aujourd’hui nous demandons à notre tour à profiter des circonstances plus favorables qui se présentent. Il faut distinguer les époques, nous ne sommes plus au temps qu’on disposait de nous sans notre libre consentement ; il y a eu une époque de résignation, nous étions faibles, nous venions de subir une défaite, suite à une attaque imprévue. C’est sous l’impression de cette défaite que les puissances nous présentèrent ce traité ; mais aujourd’hui que la Belgique est forte, qu’elle a une armée forte et bien disciplinée, qui brûle du désir de laver l’affront qu’elle a reçu en août 1831, les circonstances sont bien changées ; nous ne pouvons plus nous laisser imposer un traité si humiliant, si onéreux au pays ; nous devons montrer à l’Europe que nous avons le courage qui fait les nations libres.

Messieurs, nous ne pouvons pas dans ce moment compter sur l’appui de nos alliés, la Belgique ne doit compter que sur elle-même ; son sort est entre ses mains, et si avec du courage, elle ne sauve pas son territoire, elle sauvera au moins son honneur.

Mais, me dira-t-on, vous voulez la guerre avec toutes ses conséquences ; vous ne songez donc pas qu’il y a un commerce, une industrie en souffrance. A ceux qui parlent ainsi, je répondrai : Ceux qui ont voulu la révolution et l’indépendance doivent achever leur œuvre.

En 1830, le pays n’était pas sans commerce ; il y avait aussi une industrie dans les provinces, et lorsque l’immense majorité de la population était lasse du joug d’un gouvernement qui méconnaissait ses droits, elle n’a pas hésité à acheter l’indépendance au prix d’une révolution ; si alors on avait consulté l’industrie, si l’on s’était adressé aux intérêts qui vivent du calme, la révolution se serait-elle faire ? évidemment non. On aurait reculé devant les cris et les prédictions de ceux qui devaient perdre des désastres qu’un mouvement populaire traîne souvent à sa suite ; mais ces alarmes ne furent pas écoutées, la Belgique prit spontanément les armes, proclama son indépendance, et, après deux ans de crise, elle a vu se développer une industrie qui a fait l’étonnement des étrangers : et ici je ne parle pas de cette industrie d’agiotage, qui est venue après, celle-là ne mérite pas de fixer notre attention, elle est tombée par ses propres excès, et j’espère, pour l’honneur et le bonheur du pays, qu’elle ne se relèvera plus jamais. Ce qui s’est fait en 1830 se fera encore. Alors nous n’avons pris conseil de personne. Nous étions faibles, nous n’avons pas craint la guerre, et nous ne l’avons pas eue ; et aujourd’hui que nous sommes forts, nous reculerions lorsqu’on prétend nous faire signer le déshonneur du nom belge, lorsqu’on demande de morceler deux provinces qui ont puissamment contribué à consolider l’indépendance, dont les habitants ont partagé tous les périls, que la constitution a reconnus Belges, et qui l’étaient depuis plusieurs siècles. Vous en voyez les mandataires dans cette assemblée ; de même que leurs concitoyens qui siègent aux conseils provinciaux et communaux, ils ont prononcé l’exclusion perpétuelle des Nassau. Mais là ne se sont pas bornés les vieux de ces populations. Vous vous rappellerez, messieurs, les pétitions qui arrivèrent de tout côté dans cette chambre, lorsque l’adhésion du roi Guillaume au traité du 15 novembre fut connue ; vous avez vu avec quelle énergie ces corps composés de députés de tous les cantons se sont exprimés contre tout morcellement, et malgré ces preuves éclatantes de sympathies à la cause nationale, la Belgique devrait abandonner ces populations pour les livrer au pouvoir de leur ancien maître irrité ! N’y a-t-il pas impossibilité morale ? la Belgique peut-elle y consentir sans compromettre ce qu’il y a de plus cher à une nation, son bonheur ? Il y a pour une nation ce qui la fait vivre ou péril la dignité, l’honneur qui fait vivre, et la honte qui fait périr.

Pour justifier l’abandon du Limbourg et du Luxembourg, on compare le pays à un homme et l’on dit : Si un membre est attaqué d’une maladie qui menace de compromettre l’existence du corps entier, il faut le couper pur conserver le reste. L’argument ne me paraît pas concluant dans le cas qui nous occupe : pour qu’il fût exact, il faudrait supposer que le membre que vous séparez fût mort après l’amputation ; or, ce ne sera pas ici le cas, la partie amputée à la Belgique vivra, souffrira, alors même que le corps sera peut-être sauvé. L’argument dont je viens de parler a eu dans le temps, aux yeux de quelques personnes, beaucoup de valeur ; pour moi, je l’ai toujours envisagé comme très mal appliqué à la question territoriale.

C’est au nom des intérêts matériels surtout qu’on demande aujourd’hui la paix : la crise est épouvantable, disent ses partisans, et qui oserait en calculer les suites, si l’état actuel des choses devait se prolonger ? J’apprécie ces cris à leur juste valeur, on sait ce qu’il faut en croire. De tout temps on a vu que ceux qui s’occupent du commerce et de l’industrie sacrifient l’avenir au présent ; une mauvaise paix, pourvu qu’elle arrive immédiatement, leur paraîtra toujours meilleure qu’une fin honorable qui se fait un peu attendre. Mais, messieurs, puisque c’est au nom des intérêts matériels qu’on vous invite à accepter le traité comme si la signature du Roi doit tout réparer, je parlerai de mon côté aussi des mêmes besoins de ma province pour le rejeter.

Je dirai toujours que nos intérêts moraux sont ceux que je défends en premier lieu, mais croyez-vous que nos intérêts matériels ne se trouvent pas engagés dans la question ? Indépendamment des impôts écrasants que nous devons payer, je vous citerai encore les céréales, les bois, le bétail et beaucoup d’autres objets trop longs à énumérer, objets sur lesquels nous avons été appelés à faire des lois dans cette chambre, et dont les effets par l’adoption du traité tourneront contre nous. Je n’oublierai pas non plus l’achèvement du grand canal du Nord destiné à relier l’Escaut au Rhin, ouvrage d’un si haut intérêt pour nous et pour la Belgique, que vous ne pouvez vous dispenser d’achever. Eh bien, ce canal ne se fera plus jamais ; la Hollande ne l’achèvera pas sur son territoire quand même la Belgique le ferait sur le sien, le roi Guillaume a intérêt à s’y opposer. Le Luxembourg, aura des raisons de cette nature, je le suppose, à faire valoir ; ses députés probablement vous les indiqueront.

Mais, messieurs, il est curieux de voir quels sont nos arbitres. Entre la France et l’Angleterre qui nous abandonnent, la première de ces puissances qui a intérêt à nous tenir faibles, la seconde parce que notre industrie lui porte ombrage, nous y voyons la Prusse, l’Autriche et la Russie ; ainsi sur cinq cours, il y a deux alliés qui nous abandonnent et trois qui sont nos ennemis. Peut-on s’imaginer que la conférence, ainsi composée, puise faire quelque chose de favorable à la Belgique, à cette Belgique qui aux yeux de cette majorité, n’a tort que d’avoir déchiré quelque pages du traité de 1815 ?

Pour mon compte, messieurs, je vois dans les tentatives de la conférence, non un fait isolé, mais un achèvement vers une restauration ou peut-être le partage du pays. On veut humilier la Belgique, on veut la marquer d’un affront, et pour y arriver on commence par lui demander l’abandon d’une partie de son territoire ; ce résultat obtenu, d’autres exigences suivront pour arriver enfin aux principes de la sainte alliance. Léopold à leurs yeux n’est qu’un usurpateur. Que la Belgique y consente volontairement, et vous verrez les exigences de ces puissances s’accroître. Nous sommes entourés de puissants voisins dont les uns méditent la ruine du pays, et dont les autres convoitent sa richesse ; ils veulent que la Belgique reste faible, il faut la déshonorer, ils n’ignorent pas qu’un gouvernement né d’une révolution ne se soutient que par sa force morale ; lui ôter cette force morale, c’est préparer sa chute : cette vérité est encore plus vraie dans ce pays, à cause de ses institutions libérales, que je nommerai démocratiques : ce n’est que par l’amour de son indépendance, de son honneur national fortement menacé dans l’esprit de la nation, que la Belgique restera indépendante. Eh bien, je dis que le démembrement du territoire porte une si grave atteinte à la dignité du pays, qu’il sera sans âme, et par conséquent, sans véritable force morale ; il n’y aura plus que les hommes alliés par leur sort à son existence qui le défendront ; mais la nation restera indifférente ; elle fera plus, elle maudira une révolution si bien commencée et si misérablement terminée.

Messieurs, si vous pliez si facilement aux exigences des grandes puissances, si vous croyez que, chaque menace qu’on vous fait, vous devez obéir de crainte de perdre votre nationalité, alors croyez moi, vous serez souvent appelés à subir des affronts. Déjà les journaux allemands nous apprennent que les cours du Nord exigent le renvoi du général Scrzynecki, pour rester conséquent il faudra encore une fois céder. Et qui vous garantit qu’on ne viendra pas bientôt vous dire : Votre liberté religieuse, votre liberté d’enseignement trouvent trop de sympathie parmi nos sujets catholiques ; votre liberté de presse trouble la tranquillité intérieure de nos états, vos institutions provinciales et communales sont trop anarchiques, vos débats parlementaires ont trop de retentissement chez nous, votre pays est un foyer de conspirations, vous êtes un embarras pour nous, vous êtes un obstacle à la paix européenne. Si vous voulez vivre en paix avec nous, modifiez nos institutions ; à ce prix et à ce prix seulement nous vous laisseront tranquilles. Que répondrez-vous à ces exigences ? Vous crierez un peu ; mais bientôt, poursuivis par la peur et toujours préoccupés de votre existence, vous vous soumettrez.

Messieurs, les puissances du nord n’ont jamais abandonné leurs systèmes. Ces monarques ont accepté la révolution comme un fait qu’ils ne pouvaient comprimer alors. Le mouvement populaire en France, en Belgique, en Pologne, et dans d’autres états, était trop général en 1830 pour pouvoir être comprimé ; on a laissé venir le calme et maintenant qu’on se croit assez fort on ne se cache plus. C’est de nouveau le droit divin qui doit triompher ; en un mot, il faut revenir aux traités de 1815.

La Belgique peut-elle maintenant se soumettre aux injonctions de la conférence, messieurs ? Elle ne le peut pas, son existence serait compromise ; cette première humiliation obtenue, on essuiera une seconde, une troisième, jusqu’à ce que, dégoûtés du triste rôle qu’on vous fait jouer et convaincus que votre situation est sans avenir, vous ne voyiez de salut que dans une restauration. Voilà à mon avis ce que les puissances du Nord vous préparent.

Mais, me dira-t-on, la Belgique une fois reconnue par toute l’Europe s’appuiera sur le traité garanti par les cinq puissances. Messieurs, vous savez quelle valeur il faut attacher à ces actes, les signatures des rois sont des signatures de circonstance ; ouvrez l’histoire et voyez si la Pologne, malgré les traités n’a pas été partagée ; trois fois on lui a garanti son territoire et trois fois elle a été partagée, et aujourd’hui il n’y a plus de Pologne, c’est une province russe. Pour parvenir à la rayer de la liste des nations, il a fallu 60 ans ; il n’en faudra pas autant pour la Belgique, notre nationalité est trop jeune ; si elle se laisse fouler aux pieds une première fois, il est permis de croire qu’elle ne résistera plus jamais. Ce n’est pas ainsi qu’ont fait les petits états en Europe qui se respectent : la Suisse a eu le courage, il n’y a que quelques mois encore, de résister aux caprices des grandes puissances ; la Hollande n’a pas craint de percer ses digues et d’inonder ses belles et riches provinces pour gagner son indépendance ; la Belgique, au contraire, est toujours prête à souscrire à ce qu’on lui demande parce qu’une attitude menaçante froisse quelques intérêts. Il faut avouer, messieurs, qu’une nation qui ne veut supporter aucun sacrifice pour se constituer solidement, ne mérite pas de conserver son indépendance.

Quant à la guerre, je n’y crois pas ; les puissances redoutent bien plus que nous de troubler la paix européenne ; elles se garderont bien de s’y engager légèrement ; on nous fait des menaces, on compte sur notre faiblesse, c’est de nouveau le système d’intimidation qui a réussi en 1831 auquel on a recours aujourd’hui. Et quelles seront donc les armées qui doivent nous envahir ? Ce ne sera pas assurément la France, ni l’Angleterre ; cette dernière, il est vrai, pourrait bloquer nos ports ; mais elle y réfléchira avant de le faire. Les Anglais sont commerçants avant tout, et je pense que lord Palmerston ne voudra pas de nouveau se rendre aussi impopulaire qu’il l’a été en 1832, lorsque, d’accord avec la France, la flotte anglaise est venue bloquer les ports de la Hollande ; il se rappellera le vif mécontentement que cette mesure provoqua dans le pays de la part du commerce maritime. Et d’ailleurs, le dernier discours du ministre anglais doit y faire disparaître les doutes ; Ce ne sera pas non plus la Russie qui nous exécutera ; cette puissance est trop éloignée de nous, et les affaires de Perse et de Pologne absorbent toute son attention. L’Autriche ne mettra pas la main à l’œuvre, la politique constamment pacifique de cette cour me fait croire qu’elle ne se laissera pas entraîner dans une affaire aussi compliquée ; mais la Prusse, je ne la crains pas : il est vrai qu’elle n’aime pas la Belgique à cause de son catholicisme et de ses institutions libérales, mais ce gouvernement ne s’engagera pas dans des embarras qui pourraient compromettre la tranquillité déjà fortement ébranlée de ses provinces rhénanes.

Reste donc la confédération germanique : ce corps composé de plusieurs petits états d’Allemagne à la disposition de la Prusse et de l’Autriche, recevra-t-il ordre de franchir la frontière ? j’en doute ; les mêmes puissances qui reculent devant une agression par leurs propres troupes ne conseilleront pas cette mesure aux cours dont ils sont les chefs, et puis l’entrée de soldats allemands dans le pays ne me parait pas acceptable par la France ; son gouvernement, je veux le croire, y consentirait, mais la nation verrait-elle cette occupation d’un œil indifférent ? Mais j’admets cependant que les puissances se chargent de nous exécuter. Quel grand mal y aurait-il à refuser le traité dans ce moment ? je conviens volontiers que la Belgique est trop faible pour combattre toute l’Europe, mais n’allons pas au devant des événements : si les puissances sont irrévocablement décidées à nous faire subir le traité, nous sous soumettrons quand elles en viendront à l’exécution et vous signerez tout en protestant contre la violence qu’on nous fait. Attendons ce moment ; de cette manière au moins, en vous soumettant, vous ne signerez pas votre déshonneur. Mais décréter dès à présent l’abandon de 350,000 de vos frères, vous ne le pouvez pas sans passer pour des ingrats aux yeux de toute l’Europe et sans appeler sur vos têtes la malédiction de ceux que vous cédez.

Le roi Guillaume parviendra difficilement à gagner la confiance de ces populations, mais je vous le dis hautement, si vous avez le malheur de les renvoyer sous son sceptre, vous n’aurez pas de plus grands ennemis que les habitants du Luxembourg et du Limbourg.

Messieurs, si nous croyions à la guerre, pensez-vous donc que nous voudrions engager le pays dans une guerre générale ? mais non, messieurs, nous serions les premiers à vous conseiller l’acceptation du traité ; mais nous pensons que notre système vous préservera de la guerre, en même temps qu’il pourra sauver les deux provinces contestées.

Prenons donc du courage, ayons de la fermeté, surtout soyons unis et nous pourrons encore sauver nos concitoyens ; faisons voir qu’il n’y a pas d’entêtement de notre parti, que la question n’est pas non plus autant dans l’importance du territoire que dans celui de l’honneur. C’est un sentiment d’honneur qui guide la Belgique. Montrons qu’il y a impossibilité morale de souscrire à l’abandon de 350,000 de vos frères qui se sont insurgés le même jour, qui ont partagé vos périls et qui doivent profiter aussi du bénéfice de l’indépendance qu’ils ont été appelés à fonder ; la Belgique ne peut les faire rentrer sous la domination de leur ancien maître irrité, sans flétrir ce qui doit être le plus cher, l’honneur.

Pour triompher, messieurs, je le sais, nous aurons peut-être des épreuves à surmonter. A l’intérieur, il y aura souffrance dans quelques intérêts, le commerce et l’industrie élèveront la voix ; à l’extérieur, on nous effraiera, des troupes seront envoyées sur nos frontières ; que tout cela ne vous décourage pont ; n’oublions pas qu’une nation ne se constitue pas sans qu’il ne lui en coûte quelques sacrifices : nous en avons déjà fait quelques-uns, faisons encore un sacrifice pour achever dignement notre œuvre.

Pour vous faire connaître mon opinion sur un des articles du traité , vous me permettrez, messieurs, de dire quelques mots sur le projet de loi qui accompagne celui de l’acceptation du traité, auquel on donne le titre de « Loi de naturalisation des Limbourgeois et Luxembourgeois. » Ce projet paraît être présenté pour faciliter l’adoption du traité. Vous voudrez bien, à cause de ma position tout exceptionnelle, me permettre de faire quelques réflexions à ce sujet. Je ne ferai pas un compliment au ministère de sa sollicitude pour nous ; il aura au moins dû avoir la délicatesse de garder son projet en portefeuille jusqu’à l’adoption du traité. Mais écoutez le gouvernement, il nous veut tant de bien ! Non content d’avoir stipulé une amnistie dans le traité, il veut bien nous dire d’avance que nous pouvons rentrer en Belgique. Quant à l’amnistie, messieurs, nous concevons que nous ne serons pas traduits devant la cour d’assises, mais que pour cela il n’y aura pas une réaction ; nous ne sommes pas assez aveugles pour l’admettre. Eh bien, c’est pour cela, répond le ministère, que nous vous présentons le second projet. Venez avec nous, c’est en frères que nous vous traiterons ; vous aurez des emplois ; rentrez en Belgique, nos bras vous sont ouverts.

Messieurs, j’ai sincèrement embrassé la révolution dès son début. Je n’étais lié par aucun serment envers le roi Guillaume. Jeune encore, les mots d’indépendance, de liberté, me souriaient, quoique maintenant cette révolution tourne contre moi, je ne regretterai jamais de m’être associé à votre cause ; j’en aurai toujours mérité cet avantage que j’ai appris à connaître les hommes. Dans mon inexpérience je me figurais trouver partout des sentiments généreux, et maintenant je m’aperçois que cette belle qualité n’est tombée en partage qu’à un petit nombre : je vous avoue que ce fait m’inspire un grand dégoût des affaires publiques.

Je suis aujourd’hui, messieurs, appelé à profiter de la loi de naturalisation ; ma position me permet une émigration : mais croyez-vous, je n’accepterai pas vos offres. Si la Belgique pousse l’égoïsme jusqu’à nous abandonner, nous qui prétendons avoir des droits à jouir des bénéfices de la révolution, elle sera trop flétrie, trop déshonorée aux yeux du monde entier pour que je veuille encore porter le nom de Belges. Non, messieurs, je renonce à ce titre ; je rentrerai dans le pays qui m’a vu naître, je rentrerai au milieu de ceux qui m’ont donné tant de marques d’estime et que par un simple vote vous retranchez de la grande famille ; comme moi, ils refuseront l’hospitalité que vous leur offrez. Eh ! est-ce bien sérieusement que le gouvernement par son projet croit faire acte d’humanité envers nous, qu’il croit par là cicatriser les plaies qui vont s’ouvrir ? Il doit avoir la conviction lui-même qu’il n’aura rien fait ; la plus petite notion de l’organisation sociale doit lui dire que la presque totalité des populations ne peut pas s’expatrier ; leurs moyens d’existence s’y opposent de la manière la plus formelle ; et puis, messieurs, il existe dans l’homme un instinct qui le lie au sol où il a pour la première fois vu le jour, où il a passé la plus grande partie de sa jeunesse.

La patrie, je le veux bien, n’est pas toute entière au lieu qui nous a vus naître ; mais l’homme a pour sa maison paternelle, pour sa famille, pour ses concitoyens, pour ses propriétés, une affection qu’une poignée d’or ne remplace pas toujours. Peu de personnes se résigneront à abandonner les lieux où les attachent les souvenirs de leurs ancêtres, pour rentrer dans un pays ingrat qui ne promettra qu’une existence précaire et dont le nom sera sans prestige. Un petit nombre de fonctionnaires seul répondra à votre appel, et non pas parce qu’ils s’honoreront du nom de Belge : non, messieurs, le nom de Hollandais sera désormais au moins aussi considéré que le vôtre ; ils vous suivront parce que leur sort est lié à celui de la Belgique. Ainsi la Belgique se sera montrée généreuse envers le Limbourg et le Luxembourg sans qu’il lui en ait coûté beaucoup.

Je prie mes honorables collègues de croire que mes paroles sont le résultat d’une profonde conviction, et fort de la justice de notre cause, j’attends avec calme le jugement que vous allez porter. Mais si par malheur vous décidiez contre nous, l’Europe entière sera là pour vous juger ; elle dira : La majorité l’a emporté, et cependant le bon droit était du côté de la minorité ! J’ai dit (Marques nombreuses d’approbation.)

M. H. Vilain XIIII – Appelé pour la troisième fois à délibérer sur les préliminaires de paix, bases futures et fondamentales de la nationalité belge et gages de sa reconnaissance par tous les gouvernements, votre assemblée, messieurs, aura-elle atteint par sa décision le terme de ce long trajet d’incertitudes et de pénibles concessions que notre révolution a parcouru ? Passant des dix-huit aux vingt-quatre articles, des vingt-quatre aux présentes transactions, le pays trouvera-t-il dans celles-ci la consommation des sacrifices d’hommes et de territoires exigés par l’Europe pour son repos et son équilibre ? Fâcheuse position que nous fait à trois reprises le congrès des puissances ! nécessité cruelle à subir que d’être ainsi l’artisan de notre propre dislocation que de servir sans cesse de victime expiatoire à la paix générale ! Œuvre ingrate imposée chaque fois à la législature belge : entourée qu’elle est de passions et de sentiments exaltés, c’est à elle qu’il est demandé d’étouffer de ses mains les ferments de discordes prêts à embraser le continent, et, malgré ses embarras et se répugnance, de poser la clef de voûte de l’édifice européen ! Œuvre dont l’Europe n’apprécie pas assez les difficultés d’exécution, et qu’elle aurait dû récompenser par de plus larges concessions territoriales, par une solution plus prompte et plus franche, dans son sein, de notre jeune nationalité.

Ici, messieurs, je ne discuterai pas la constitutionnalité de votre vote par rapport à l’adoption du traité. Si la compétence de la chambre était de ce chef mise en doute, le paragraphe 3 de l’article 68 devrait être effacé du code fondamental. Il deviendrait un non-sens, et les discussions d’une chambre antérieure sont là pour justifier notre opinion.

Mais, quant au traité lui-même tel qu’il nous est soumis, cet acte contient, il faut l’avouer, plusieurs améliorations, et plus de lumière, plus de certitude environnent cette fois le résultat de son adoption. Si le gouvernement ratifie l’acte du 23 janvier, ce ne sont plus des bases très vagues de négociations qu’il aura reconnues ainsi qu’aux 18 articles, ce n’est plus un traité provisoire et non consenti des deux parties auquel il adhérera, mais bien un traité final de pacification signé à l’avance par son plus mortel ennemi. C’est en même temps un acte de paix et de déchéance que le plénipotentiaire du roi Guillaume donnera à notre envoyé. Le droit viendra se joindre au fait, et nous connaissons dès ce jour cet avantage, et cette reconnaissance doit être d’un grand poids dans notre détermination. La quote-part des dettes communes diminuée, une navigation de l’Escaut plus libre et moins onéreuse, tous ces bénéfices nous sont immédiatement acquis… et cette certitude réunirait l’unanimité de nos votes si la fatale disposition des deux parties de provinces n’était pas en même temps exigée. Sur ce point la conférence, méconnaissant et nos sympathies et les garanties même de son futur repos, n’a point cédé à nos instances, l’arrêt inique est prononcé, et pour l’infirmer les adversaires du traité propose trois moyens : la guerre immédiate, la résistance armée et celle non armée, en refusant le paiement de la dette. J’avoue que le moins logique de ces trois systèmes me paraît être la résistance non armée et le refus de servir la dette, car du moment où vous troupes seront rentrées dans leurs foyers, la Hollande et la diète s’empareront des territoires contestés, et l’Angleterre et la Hollande bloquant vos ports ne tarderont pas à vous faire acquitter et au-delà les charges du contrat. Ce biais d’exécution blessera peut-être moins votre orgueil, mais c’est payer un peu cher cette question, c’est risquer votre nationalité, c’est compromettre la destinée des populations enlevées alors par la conquête et sans garanties. Conserver au contraire toute notre armée sur pied, résister en cas d’agression, n’importe où elle ait lieu, entretenir cette armée et la résistance trois mois, six mois, un an s’il est nécessaire, c'est là le second système qui maintient momentanément l’intégrité du territoire, qui satisfait la fierté nationale, mais qui compromet aussi notre sort par les chances d’un partage, et bien certainement sape toutes les bases de la fortune publique. Une des qualités les plus indispensables d’un home d’état, c’est de connaître à fond les moyens dont il peut disposer, c’est l’appréciation exacte du territoire et du caractère de la nation qu’il dirige. Cette qualité première manquerait, ce me semble, à ceux qui proposent le statu quo, qui n’est lui-même que la guerre défensive.

Un grand ministre l’a dit depuis longtemps : guerre défensive, guerre consomptive. Combien la justice de cet axiome est-elle plus applicable à la Belgique, dont toute la lisière du nord et de l’est est dégarnie de défenses naturelles, dont la superficie manque de profondeur et nécessite ainsi un grand déploiement de bataillons ; et puis le tempérament du peuple belge peut-il comporter une telle attente : peuple impatient et difficile à contenir, bien plus apte à se précipiter sous les drapeaux pour l’attaque qu’à être longtemps maintenu dans l’incertitude et l’inaction ! L’adversaire le plus redoutable du gouvernement, dans cette situation, serait le peuple lui-même. Reste la guerre agressive. Eh bien, celle-là aurait peut-être été possible dès la signification des propositions de la conférence ; elle eût été même plus praticable pour le parti de la résistance. Dans toutes les longues alternatives de nos négociations, je n’ai même jamais conçu que deux systèmes rationnels, l’acceptation du traité ou la guerre immédiate.

Celle-ci entreprise avec vigueur, avec témérité même, dès la connaissance des charges onéreuses du traité, aurait pu changer la face des choses par ses heureux résultats.

Nos adversaires du nord et de l’est étaient désarmés. Peu de troupes dans le Brabant, un nombre bien plus minime dans les provinces du Rhin, et 50,000 Belges jetés dans le Brabant septentrional, un pareil nombre présenté à la Prusse, auraient ébranlé bien des résolutions.

Et tout cas, par la victoire on aurait crée des compensations de territoire ; et si cette campagne qui ne pouvait être longue eût amené la défaite, celle-ci n’eût pas été plus ruineuse qu’un statu quo prolongé, ni mît en plus grand péril notre nationalité aussi fortement compromise par le refus d’acceptation et une guerre défensive.

Le parti de la résistance, qui n’est pas le mien, n’a pas immédiatement poussé à cet expédient ; l’Europe s’est émue, la Hollande, la Prusse, ont armé, et leurs troupes observent dans ce moment et maintenant nos mouvements. Ainsi la résistance est ruineuse, et le bilan de ce que l’attente même pacifique nous a déjà coûté est facile à dresser ; l’attaque serait inopportune. Quelle autre combinaison praticable le génie de nos antagonistes peut-il trouver ? je n’en vois aucun, et c’est ce qui me détermine à subir le traité et à faire cette acceptation la moins onéreuse possible au pays.

Les heureux retards du roi Guillaume à signer le premier traité, retards bien propres à lui enlever sa réputation de grand politique ; les efforts multipliés de notre gouvernement à disputer le chiffre de la dette, ont amené dans celle-ci quelque diminution, et si dans nos arbitres de la conférence, dans ceux surtout de Londres et de Paris, nous eussions trouvé non point de meilleurs amis, mais des juges plus équitables, ce chiffre eût encore été considérablement réduit. Reste à voir si tel qu’il est posé, il comprend la dette du livre auxiliaire belge, la liquidation des pensions et traitement d’attente et les remboursement des engagères.

Le texte de l’article 13 me paraît obscur sur ce point. L’alinéa 4 décide que moyennant la création de ladite somme de rente de 5 millions de florins, la Belgique se trouvera déchargée envers la Hollande de toute obligation du chef du partage des dettes publiques du royaume des Pays-Bas. Et par qui seront payés les créanciers que je viens de signaler ? Devront-ils se faire liquider à Amsterdam, par l’entremise des courtiers hollandais, après de longs retards, à grands frais de commissions et de courtage ? ou bien ces prétentions sont-elles comprises dans le transfert à opérer à Utrecht par les commissaires des deux pays ? Qui sera le juge des contestations qui s’élèveront au sein de cette commission des finances ? En tout cas, j’espère que la conférence en corps n’aura rien à y dire ; sa récente décision n’est point propre à me rassurer.

Le pilotage de l’Escaut est aussi mieux déterminé, la concurrence des pilotes est établie dans tout son cours, et le droit de tonnage, au lieu d’être indiqué sous le mot « modéré », détermination vague et (erratum, Moniteur du 10 mars 1839 : ) captieuse, est fixé à 1 fr. 50 c., on n’a plus à craindre l’application accablante du tarif de Mayence. J’appelle sur ce sujet l’attention du gouvernement sur les (erratum, Moniteur du 10 mars 1839 : ) facilités de tonnage et de navigation à procurer à la ville de Gand pour le parcours du canal de Terneuse. La révolution est venue subitement interrompre le service de ce grand débouché à peine ouvert ; mais déjà on avait pu apercevoir son utilité. Les navires américains auraient pris cette direction pour le commerce des cotons dont Gand devenait le marché, et les dépenses de ses immenses bassins méritent bien qu’on relève aussitôt cette navigation.

Un point plus important à vérifier pour la navigation nationale, c’est de connaître si le régime de la neutralité stipulé pour le territoire de la Belgique s’étend à la neutralité de son pavillon ; en un mot, si une guerre maritime éclatait entre quelques-unes des puissances qui ont voulu notre neutralité, ces puissances reconnaîtraient-elles à notre pavillon les bénéfices de la neutralité pour couvrir sa marchandise ? L’état neutre ainsi reconnu apporterait autant de bénéfices au-dehors qu’au-dedans : à l’intérieur, en défendant la Belgique contre toute agression ; sur les mers, en l’enrichissant par ses relations pacifiques avec tous les peuples. Le pavillon belge au milieu des combats serait le lien d’union entre les deux mondes, et cette neutralité ainsi étendue et reconnue par tous les gouvernements fermerait bientôt une clause essentielle des du droit des gens. Je signale aux médiations du pouvoir ce point du traité.

Voilà, messieurs, quelques-unes des améliorations du nouveau traité ; mais ces perfections seraient-elles plus grandes encore, que ce traité n’en serait pas moins, à mes yeux, un acte injuste et impolitique, que l’arbitraire volonté de la conférence, que l’obstination de la diète m’obligent à accepter. Devant le grand tribunal de l’opinion publique, tribunal au-dessus des rois, cette cession d’hommes est déjà jugée. La Belgique, contrainte, d’une part, à livrer ses compatriotes, offrant, par sentiment et non par intérêt, des monceaux d’or pour les racheter ; de l’autre, le congrès des rois refusant tout arrangement, et cela par amour-propre plutôt que par mesure de sûreté contre les Belges, qui, depuis huit années de révolution, possédant ce territoire, n’ont point troublé leurs voisins et les inquièteraient encore moins en état de paix ; ce congrès, dis-je, craignant la guerre, et plantant des jalons de guerre, vouant l’unité allemande, et la rompant par le mélange de populations étrangères et irritées, mécontentant les Belges, et ne satisfaisant pas les Hollandais, voilà le spectacle que la décision de Londres a porté devant l’Europe : décision inhumaine et anti-sociale ; mais faut-il la suivre dans cette voie rétrograde, faut-il par un cri de guerre faire reculer la civilisation, peut-être d’un demi-siècle ? Car je le reconnais la Belgique, point central de l’édifice européen, tient la guerre sous son manteau ; les inquiétudes générales surgissant à l’approche de nos débats, toute la politique attentive à leurs résultats, quatre armées s’observant à peu de distance et qu’une étincelle allumée par nous peut mettre en subite conflagration, tout nous prévient que le volcan est bien sous nos pieds, mais qu’enfin la Belgique peut disparaître dans son éruption.

Convient-il de l’allumer, convient-il de jouer le tout pour le tout ? et la Belgique placée déjà à la tête du progrès par sa constitution, doit elle recourir à la guerre, à cet instrument brutal du despotisme et de la barbarie ? Qu’elle attende plutôt sa réparation de la progression des connaissances humaines, de l’extension de sa puissance et de son commerce, d’une meilleure appréciation par les peuples voisins de son bon gouvernement. C’est là la vraie propagande, et plus d’un embarras de ces pays viendra à notre aide.

Fortifions notre neutralité contre la France, où les discordes ambitieuses n’ont cessé de bouillonner. Suivons, d’un œil attentif, les débats prochains de la Hollande, car celle-là, ne possédant plus que la moitié d’un royaume, devra, à la paix, refaire sa loi fondamentale. L’Allemagne travaille à son émancipation, et plus d’une crise viendra la troubler dans cette œuvre. Toutes ces futures difficultés des gouvernements les plus proches peuvent, dans un avenir peu éloigné, nous rendre et au-delà les territoires qui nous sont aujourd’hui arrachés.

Un nouvel état, messieurs, ne se moule point d’un seul jet. Sa perfection, ses nécessités de frontière et de territoire, ne s’obtiennent point immédiatement. Sa jeune puissance doit s’établir d’abord et se faire reconnaître. Puis ses alliances, ses affinités, se créent. L’esprit national prend de la force et en donne aux extrémités. Parvenu à ce degré d’excellence et de stabilité, ayant obtenu ses conditions premières d’existence, il profite alors par une politique habile des moindres fautes et des accidents de dynasties ou de perturbations de voisinage. Ainsi ont procédé au XVIe siècle les anciennes Provinces-Unies ; ainsi le Brandebourg, se faisant d’abord reconnaître comme royaume au commencement du XVIIIe siècle, puis s’agrandissant par des acquêts, est parvenu de nos jours au premier rang des puissances. Ainsi sur notre territoire même s’est élargi jadis le cerce de Bourgogne, auquel il n’a manqué qu’une succession de chefs pour rester unis. La disjonction des deux provinces est une cruelle phase de notre histoire ; tous nous la déplorons, mais ce sacrifice nous est imposé par la volonté de six puissances : l’évidence nous en est acquise, et vos retards, vos murmures protestent à suffisances contre cet abandon. La Belgique, en se voilant la face, subira pour l’instant la loi suprême qui gouverne le monde, qui courbe les grands comme les petits états, les rois comme les peuples : la nécessité.

M. de Renesse – Messieurs, lorsque des ministres, qui s’étaient associés aux votes de nos adresses au Roi pour le maintien de l’intégrité territoriale, nous ont ensuite, par leurs actes, donné lieu de croire qu’ils suivraient la voie de l’honneur que nous nous étions tracée, nous avons dû être étonnés de voir, lors de la retraite de deux honorables ministres, que la majorité du ministère, ne tenant aucun compte des paroles royales de défendre nos droits avec persévérance et courage, ni des adresses des chambres, semblait se résigner à ratifier un traité déshonorant, et venait maintenant nous proposer son acceptation.

Aussi longtemps que nous voyions parmi nos ministres des hommes d’énergie et à sentiments généreux, la nation pouvait espérer que le gouvernement marcherait avec l’opinion publique, si unanimement manifestée ; elle avait droit de prétendre que tous les ministres, qui se sont associés aux votes patriotiques de la chambre, ne manqueraient pas à leurs engagements les plus formels ; l’on ne pouvait penser que la majorité du ministère voulait tromper la représentation nationale ; car tout ministre, comme tout membre de la chambre, doit savoir maintenir son vote, et ne doit point rétrograder lorsqu’il a déclaré avec la chambre, et à la face de l’univers « que l’on ne reculerait devant aucun sacrifice pour la défense du pays, si une force abusive tentait de priver de leur patrie des concitoyens qui ne veulent pas cesser de l’être. »

Si vous, ministres, qui êtes restés au pouvoir, vous n’aviez pas la ferme volonté de maintenir l’intégrité territoriale, il ne fallait pas placer dans le discours du trône les mots de vouloir défendre nos droits, nos intérêts « avec persévérance et courage », il ne fallait pas surtout compromettre l’honneur de la royauté belge aux yeux de toutes les nations, en reculant actuellement devant les conséquences de ces paroles, qui ont été accueillies dans toute la Belgique avec tant d’enthousiasme ; vous étiez donc des imprudents conseilleurs de la couronne, si vous ne vous sentiez pas le courage ni la persévérance de terminer nos affaires politiques, d’une manière honorable ; vous deviez plutôt vous retirer des affaires, et faire place à d’autres hommes énergiques, qui, avec les deux honorables ex-ministres, auraient repoussé un traité déshonorant, qui sous tous les rapports, blesse l’honneur et les intérêts les plus chers de la Belgique.

En suivant une politique aussi pusillanime, pouvez-vous espérer d’inspirer encore quelque confiance à ceux qui ont à cœur la conservation de l’honneur national ? Votre conduite est plus que blâmable, elle est surtout perfide, parce que vous faisiez croire à la nation, par vos actes, que vous marchiez d’accord avec elle, que vous ne reculeriez devant aucun moyen pour la défense de ses droits. Si vous ne vouliez pas suivre la marche politique tracée par la représentation nationale, il fallait avoir le courage, la franchise de déclarer publiquement votre opinion à la face de la nation ; celle-ci aurait alors avisé aux moyens, pour que le gouvernement ne méconnaisse point les protestations unanimes contre le morcellement du territoire, et pour qu’il ne s’écarte pas de la voie de l’honneur ; mais vous avez cru rendre la cause de la résistance impopulaire, en demandant et dépensant inutilement les deniers des contribuables, en rappelant surtout sous les armes les hommes mariés de la réserve, si nécessaires chez eux à l’entretien de leurs familles, tandis que des miliciens de classes postérieures étaient encore en congé ; vous avez espéré amener ceux qui veulent la résistance à se courber sus le joug d’un traité infâme, et leur dépeignant sous les couleurs les plus sombres la situation du pays, par suite de la crise financière et industrielle que vous laissez continuer malgré les vives démarches faites auprès du gouvernement pour l’établissement d’une banque d’escompte qui rétablirait le crédit public ; cependant la nation connaît les causes de cette crise ; elle sait que des spéculations ne reposant que sur un agiotage poussé à l’excès, que la rivalité de quelques sociétés financières qui voulaient accaparer et ruiner toutes les industries particulières, on a amené ce désastre qui serait arrivé même sans nos événements politiques, puisque déjà l’année dernière, avant l’acceptation des 24 articles par le roi Guillaume, plusieurs des sociétés anonymes, pas nées viables, marchaient vers leur déconfiture.

Vous profitez maintenant de cette crise pour décrier avec le parti financier et industriel, par les journaux à leur solde, ceux qui veulent une défense honorable ; vous les représentez comme voulant la ruine du pays ; vous déclarez que toute résistance ultérieure serait impossible, et vous ne restez au pouvoir que pour consentir à notre déshonneur, pour fouler aux pieds nos intérêts les plus chers, pour ne tenir aucun compte de toutes les protestations les plus formelles contre la restauration de nos frères du Limbourg et du Luxembourg que vous voulez lâchement abandonner sans avoir fait aucun effort pour les défendre, et dont vous préjugez déjà le délaissement, en présentant à la chambre, même avant qu’elle se soit prononcée sur le traité de « chair humaine », un projet de loi, qui doit leur permettre de réclamer la qualité de Belge, pour le cas où ils seraient obligés de quitter le foyer de leurs pères, que vous n’avez pas eu le courage de leur conserver. Mais la nation, qui a plus de patriotisme et de sentiments généreux que ceux qui sont actuellement au timon de nos affaires, ne reculera devant aucun sacrifice, pour maintenir et défendre l’intégrité territoriale ; elle sera votre juge ; ses mandataires ne consentiront jamais à l’avilissement de la nationalité belge, et j’ose espérer qu’ils n’assumeront pas sur eux la grave responsabilité de vouloir le malheur et le déshonneur de la Belgique ; si cela arrivait, si nous devions être sacrifiés aux exigences du roi Guillaume, c’est à vous seuls que la nation pourrait l’imputer, et pas à la représentation nationale, qui vous a tracé une ligne de conduite conforme à l’honneur du pays, et avait mis à votre disposition tous les moyens pour défendre nos droits, nos intérêts « avec persévérance et courage ». Mais ni vous, ni votre diplomatie, vous n’avez rien fait pour éclairer le monde politique sur nos justes réclamations pour repousser les perfides intrigues du cabinet de la Haye ; et encore, en dernier lieu, vous nous avez attiré une nouvelle mystification de la conférence, en lui faisant une proposition tardive, que vous saviez d’avance qu’elle repousserait.

Le refus que vous avez fait de déposer sur le bureau de la chambre les documents relatifs aux négociations, et surtout vos instructions à nos agents diplomatiques, semble prouver que vous craignez le contrôle des membres de la chambre ; que vous voulez que nous ne puissions faire aucune investigation sur la marche que vous avez suivie dans nos affaires politiques ; si, à cet égard, vous n’aviez aucun reproche à vous faire, vous ne nous refuseriez pas de nous produire les documents qui serviraient peut-être à éclairer notre conviction, à prouver qu’il n’a pas dépendu de vous que nous n’ayons pu obtenir des conditions plus équitables.

Maintenant, ou la conférence méconnaît nos justes réclamations, ou elle a rejeté nos offres pécuniaires ; il fallait suivre l’exemple du congrès national, et protester avec nous contre un traité inique, qui doit nous arracher violemment des populations généreuses qui veulent rester Belges, qui, en 1830, ont repoussé avec nous la dynastie des Nassau, se sont constamment compromises vis-à-vis du gouvernement de Guillaume, ont, par conséquent, droit à notre appui pour les défendre et les protéger contre la restauration, et qui ne se laisseront pas livrer à leur ennemi sans opposer une vive résistance, surtout après que toutes leurs autorités provinciales et communales, qui sont électives et représentent certainement l’opinion générale, ont protesté de la manière la plus légale et la plus formelle contre toute cession de territoire, et prouvent que les allégations du comte Molé et de lord Palmerston sont de la plus grande inexactitude, lorsqu’ils prétendent que les habitants des districts à céder sont plus attachés au gouvernement hollandais qu’à celui de la Belgique.

C’est en soutenant l’union du gouvernement et des chambres, et non en cherchant à semer la division que vous pouviez parvenir avec nous à surmonter toutes les difficultés de notre situation actuelle ; mais en provoquant maintenant vous-mêmes les pétitions de certaines villes, du parti industriel et financier, pour l’acceptation d’un traité infâme, que vous avez le triste courage de vouloir imposer à la Belgique, vous faites jouer une honteuse palinodie, et vous ne détruisez pas les protestations unanimes contre le morcellement du territoire, émanées des corps constitués et électifs, qui représentent plutôt l’opinion de la généralité des habitants du royaume, que celle représentée par certaines sociétés financières et industrielles, qui sacrifieraient tout, même la nationalité belge, pour pouvoir continuer à exploiter le pays à leur manière ; car si elles avaient eu à cœur le véritable intérêt de notre prospérité et de notre crédit public, elle se seraient gardées de former plusieurs associations anonymes, qui ne reposaient sur aucune base solide, végétaient par l’agiotage et sont la cause de la crise actuelle.

En adoptant une politique faible et peureuse à la Molé, prête à se soumettre aux menaces de ceux qui se sont établis nos juges politiques, vous avez compromis notre bonne cause, et vous employez maintenant tous les moyens d’intimidation pour faire croire que partout nous sommes entourés d’ennemis prêts à fondre sur nous, que nos ressources sont épuisées, qu’il n’y a plus aucun moyen de prolonger une résistance sans autre but que la ruine totale du pays ; mais en agissant ainsi, il semble que vous défendez plutôt les intérêts du roi Guillaume que ceux du roi des Belges, puisque vous voulez consentir à ce que la Hollande nous entoure de toutes parts, pour qu’elle puisse continuellement, au moyen de viles intrigues de son gouvernement, exercer une influence funeste sur la tranquillité du pays, même sur l’avenir de nos relations commerciales avec l’Allemagne, dont il cherche déjà à nous faire exclure ; et quoique le roi Guillaume semble vouloir actuellement reconnaître notre indépendance de sa dynastie, nous serons toujours pour lui une nation révoltée, et il respectera d’autant moins un gouvernement qui s’est toujours montré timide et faible, et prêt à se soumettre aux exigences des puissances, qui n’ont cherché qu’à l’humilier et à jeter de la considération sur une nation qui a su conquérir sa liberté.

J’ose toutefois espérer que la chambre aura assez de patriotisme pour repousser avec protestation un traité infâme et contraire à la constitution ; qu’elle maintiendra ses votes des adresses au Roi, et que par les mesures énergiques qu’en prendra actuellement, elle parviendra à sauver une partie de ses concitoyens du Limbourg et du Luxembourg de la restauration, qui serait pour eux le plus grand des malheurs. Si cependant la majorité de la chambre faiblissait dans les circonstances actuelles, si elle méconnaissait et ne respectait plus les protestations les plus formelles contre le morcellement du territoire, il faudrait douter de l’avenir d’une nationalité déshonorée, et je n’aurais qu’à déplorer que nos malheureux compatriotes se soient associés à une révolution, et surtout à une nation qui a si peu de sentiments de générosité, qui préfère le vil intérêt matériel à la conservation de populations généreuses, qui ont versé leur sang pour l’indépendance commune, et ont droit d’être maintenues Belges comme tous les autres habitants de la Belgique.

M. Hye-Hoys – Messieurs, si je m’abandonnais à des sympathies ineffectives, à l’espoir d’une vengeance prochaine et au désir bien vif de faire oublier les malheurs de la campagne de 1831 ; si je voyais le moyen de soutenir nos prétentions avec succès, je voterais immédiatement pour la résistance, et je la soutiendrais de toutes mes forces. Le Luxembourg et le Limbourg qu’on nous réclame sont deux parties de provinces pleines de vie de notre Belgique, et qui vont être malheureusement séparées d’un pays auquel elles ont toujours appartenu. Personne plus que moi n’a d’affection pour ces populations que huit années d’efforts communs, que les mêmes sentiments politiques et religieux nous ont rendues frères à jamais. J’apprécie toute l’étendu du malheur de ces deux pays qui, depuis huit ans, ont établi avec nous des rapports sociaux solides et durables, rapports qu’il faut brusquement rompre pour livrer de généreux citoyens à un gouvernement qui ne peut pas les aimer. Si quelqu’un s’afflige de ce divorce et déplore cet abandon nécessaire, j’ai le droit de dire que personne ne le fait plus sincèrement que moi. Jusqu’au dernier moment, je me suis payé d’espoir, et si je renonce à toute illusion, c’est qu’avec calme, j’ai examiné notre position et trop malheureusement compris qu’il y va de notre avenir, si nous ne nous résignons à ce grand sacrifice.

J’entends partout des hommes généreux appelés à la résistance, fonder sur elle le plus belles espérances !

Mais sur quoi reposent ces vœux ? Si le succès était toujours pour les plus justes causes, ils auraient raison d’appeler la guerre. Si l’enthousiasme et l’amour de son pays pouvaient détourner les dangers qui nous menacent, je m’associerais aussi à ces sentiments vraiment patriotiques ; mais quand je jette mes regards sur l’avenir, de sinistres présages viennent m’apprendre quel est notre véritable devoir et ce que le pays attend de nous. La Belgique veut la paix, ses intérêts sont froissés, et peuvent l’être davantage encore avant peu, et cependant certaines personnes s’aveuglant sur des symptômes alarmants iraient par une déclaration inopportune aggraver notre position.

Examinons brièvement ce que feraient les partisans de la résistance ; il suffira, je pense, d’indiquer les mesures qu’ils provoquent pour en démontrer l’insuffisance et le danger. Les uns voudraient tenir l’armée au complet, continuer les mesures de guerre et repousser ceux qui viendront nous enlever le Limbourg et le Luxembourg.

L’exécution de ce projet serait, je le pense, le signal de la guerre générale, et d’une lutte entre la France et les grandes puissances du Nord, lutte où nous verrions la nationalité belge anéantie, et notre pays, après avoir servi de champ de bataille, agrandir l’état qui aurait triomphé !

D’autres voudraient réduire l’armée de moitié, d’un ou deux tiers même, lui donner les provinces menacées à garder et à défendre au besoin. Je ne vois dans une pareille proposition qu’une faute des plus grandes ; car s’il est de notre dignité de faire la guerre, il est de notre devoir de ne pas la faire à demi, et nous agirions contrairement à l’humanité, si nous livrions une armée réduite et affaiblie à la merci d’un ennemi fort et puissant, sans avoir aucun espoir de succès.

Enfin d’autres voudraient maintenir l’armée au grand complet, jusqu’à l’arrivée de l’ennemi, et se retirer à son approche sans coup férir. Je ne puis croire que ce soit sérieusement que certaines personnes veuillent réaliser ce dernier projet ; développer notre armée d’un air menaçant pour la faire battre en retraite à l’approche de l’ennemi, c’est la soumettre à une épreuve honteuse, ou faire un appel à l’insubordination. Mais ne craint-on pas qu’indépendamment du danger qu’il y aurait à leurrer ainsi notre belle armée, il y aurait impossibilité même à le faire ? Savons-nous quand les puissances viendront exécuter le traité que nous discutons en ce moment ? Ne nous laisseront-elles pas l’arme au bras jusqu’à ce que nous demandions à nous soumettre ? Savons-nous jusqu’où ira leur patience ? Ne triomphera-t-elle pas de notre courage ? et en attendant le moment de l’exécution et de notre retraite, comment le trésor fera-t-il face à ces dépenses ? et à quoi d’ailleurs auraient servi ces dépenses ? la chambre a-t-elle songé aux contributions énormes, aux emprunts forcés qu’elle devra voter ; et pourquoi, messieurs, le pays veut-il en définitive détruire ses ressources sans but ou pour nous retirer au moment où nous aurons fait tout ce qui est en notre pouvoir, afin d’exalter l’armée et l’opinion publique ? Non, non, messieurs, le pays ne veut pas de ces mesures ; la résistance, telle que plusieurs l’entendent, ne sera pas accueillie avec faveur par ceux qui aiment vraiment la Belgique, qui connaissent ses intérêts et veulent éviter l’anéantissement de sa prospérité ; je dis de plus que la résistance serait d’une mauvaise politique et qu’au lieu de nous être utile elle pourrait nous perdre à jamais. Voyez en effet, messieurs, comme tout se réunit pour nous accabler ; la France et l’Angleterre nous abandonnent, et les puissances sont unanimement d’accord pour exécuter le traité qu’on nous propose. Mais, a-t-on répété plusieurs fois, les puissances sont d’accord en apparence, mais qui ne voit pas que leurs intérêts ne sont pas les mêmes ; que des causes de désunion sont nombreuses dans leurs états, et que bien qu’elles nous menacent de leur colère, elles ne peuvent jamais être d’accord pour nous exécuter, et qu’il nous suffit de braver leurs menaces pour assurer le triomphe de notre cause ! Oh, s’il y avait quelque espoir de réussir, si ces objections étaient fondées, que je serais heureux de pouvoir embrasser cette opinion ! Mais quand on voit le bon côté d’une affaire, il ne faut pas s’en dissimuler les inconvénients. Pourquoi les puissances ne seraient-elles pas d’accord pour nous exécuter ? Ne savons-nous pas qu’en ce qui touche le territoire fédéral la confédération est extrêmement jalouse de ses droits, et que les puissances qui composent la conférence peuvent avoir des embarras chez elles, sans que les intérêts de la confédération en souffrent ? Il y a une grande différence entre la diète, comme puissance, et les puissances du Nord prises individuellement ; et que feront nous contre la diète ? Notre armée est belle et imposante, mais elle est limitée ; voulons-nous guerroyer contre des forces trois et quatre fois plus étendues. Irons-nous, sans espoir de réussir, provoquer la destruction de notre armée et de notre nationalité ? Irons-nous pour deux parties de territoire risquer l’existence du royaume ? Car qu’on nous exécute, c’est incontestable à mes yeux : la France a exécuté la Hollande en ce qui concerne la citadelle d’Anvers, et j’ai l’intime conviction qu’elle permettra à la confédération de nous exécuter pour le Luxembourg et le Limbourg ; mais n’importe, quel sera le terme de l’exécution ? Ne nous aveuglons pas sur la triste réalité de notre position ; admettons, même que les puissances ne nous contraignent pas immédiatement : ce qui semble à certaines personnes la chose probable et la plus avantageuse ! La prudence nous ferait toujours, dans ce cas encore, un devoir de conserver notre armée au complet. Mais jusqu’à quand resterons-nous sur ce pied ruineux ? sera-ce pendant dix mois ou dix ans ? car les partisans de la guerre ne voudront apparemment jamais céder. Mais a-t-on calculé ce que coûte une pareille armée, et au bout de quelques années ne demanderons-nous pas nous-mêmes, fatigués de nos efforts sans succès, le bénéfice de ce traité que l’on veut repousser aujourd’hui ? ceux qui sont appelés à représenter leur pays ne peuvent pas se dissimuler que la vengeance et la guerre ne sont pas les meilleurs juges aujourd’hui, et que le véritable intérêt national exige qu’on envisage la question sous toutes ses faces avec calme et sang-froid. La France et toutes les puissances veulent la paix, et elles sont d’accord pour nous soumettre par tous les moyens possibles. Ne parlons plus des sympathies de la France, n’espérons pas en elle : elle s’est montrée à découvert, elle rejette notre cause, toute juste et sainte qu’elle est, et se joint à ceux qui nous contraignent à céder. Et que pouvons-nous, messieurs, quand tous se réunissent pour nous écraser.

La Belgique a eu le courage de faire une révolution pour revendiquer ses droits comme nation, elle comprendra assez sa véritable position pour la clore. Nous avons supporté de grandes dépenses depuis quelques temps, et ce ne sont pas là nos plus grands sacrifices ; car vous savez ce que les bruits de guerre ont apporté de trouble dans le commerce et l’industrie. Les opérations sont devenues difficiles, le crédit public souffre ; les commandes sont en suspens ; les consommateurs s’imposent des privations, et si nous n’y prenons garde, nous aurons avant peu fait naître une crise dont les conséquences peuvent être désastreuses ; et qu’on ne se moque pas des alarmes du commerce : le commerce c’est la vie de la nation, il emploie ses capitaux, ses bras, et ses lumières ; mais le commerce vit de confiance avant tout ; et quand il est paralysé, c’est le signal de l’inertie et de la mort du pays ; or, le pays ne peut plus rester pendant longtemps dans la position actuelle sans que nous voyions se succéder les faillites, la banqueroute et la misère ; tout le monde est intimement convaincu de la bonté de notre cause ; mais on sens instinctivement aussi que les moyens de résister avec succès, nous manquent.

Je ne suis pas de ceux qui font au gouvernement un crime d’avoir pris des mesures énergiques, qui ont pu faire croire à une guerre imminente. Le gouvernement a agi avec la prudence convenable ; les circonstances seules lui ont manqué ; ce n’est pas lui qu’il faut attaquer dans nos malheurs ; nous ne pouvons nous en prendre qu’aux puissances qui sont unanimes pour nous écraser, et n’allons pas, dans cette épouvantable loterie de la guerre, risquer l’enjeu de notre pays, pour la conservation très éventuelle de deux fractions de provinces. Gémissons, messieurs, sur ce divorce malheureux qu’il n’est pas en notre pouvoir d’empêcher ; disons avec un autre membre un adieu qui ne sera pas éternel à nos frères du Luxembourg et du Limbourg, et résignons-nous à perdre momentanément la meilleure des causes, et à accepter un traité qu’on nous impose par la force, mais que la prudence nous empêche de repousser.

- La séance est levée à 4 heures et demie.