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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 décembre 1839

(Moniteur belge n°348 du 14 décembre 1839)

(Présidence de M. le président)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven fait l’appel nominal à une heure et demie.

M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven donne communication des pièces adressées à la chambre :

« Des marchands brasseurs de la ville de Mons adressent des observations en faveur du projet relatif à l’entrée de l’orge étrangère. »

Déposé au bureau des renseignements.


« Les administrations communales d’Ursel et Oostwinckel adressent des observations en faveur du maintien de la section actuelle du chemin de fer entre Gand et Bruges. »

Renvoi à M. le ministre des travaux publics.


« Le sieur Platau, cabaretier à Bruxelles, acquéreur de terrains près la station du chemin de fer, se plaint de ce que toutes les conditions de vente ne soient pas exécutées, et demande que les intéressés soient rassurés sur le projet d’une nouvelle station. »


« La dame veuve Gondry, maîtresse de postes à Mons, demande une indemnité du chef de pertes qu’elles a essuyées par suite de la révolution et de deux arrêtés royaux en date des 16 mars et 31 juillet 1833. »


« Le sieur A. Lagoutte de Lacroix, titulaire d’un brevet pour un système de courbes à petits rayons dans les chemins de fer, s’adresse à la chambre pour obtenir réparation de prétendus dommages que lui a fait éprouver le département des travaux publics.

- Renvoyé la commission des pétitions.


M. le président invite les présidents des sections à convoquer leurs sections pour l’examen du projet de loi concernant la refonte des anciennes monnaies.

Projet de loi qui ouvre au gouvernement un nouveau crédit pour construction de routes pavées et ferrées

Rapport de la section centrale

M. Demonceau dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi tendant autoriser l’émission de 12 millions de bons du trésor pour couvrir les dépenses du chemin de fer et des routes pavées.

La chambre en ordonne l’impression et la distribution, et en fixe la discussion après celle du budget des affaires étrangères.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Cutsem – Messieurs, différentes pétitions ont été adressées à la chambre, entre autres une pétition de la chambre de commence de Courtray, pour demander que la législature s’oppose à la construction du canal de l’Espierre ; ces pétitions ont été renvoyées à la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics.

Je demanderai à cette section si elle a déjà commencé son travail et quand elle pense pouvoir le terminer. Je ferai observer en même temps qu’il y aurait lieu d’inviter cette commission à faire son rapport sur ces pétitions avant de faire son rapport sur le budget des travaux publics lui-même, ou du moins à les faire tous les deux en même temps. Voici pourquoi, messieurs : Différentes de ces pétitions accusent le ministère des travaux publics d’avoir, en accordant la concession du canal de l’Espierre, violé la constitution, d’avoir omis de se conformer à la loi sur la concession des péages, d’avoir sacrifié les intérêts du pays à un pays étranger. Il me semble que la chambre doit prendre une décision sur le contenu de ces pétitions avant de s’occuper de la discussion du budget des travaux publics.

M. Van Hoobrouck de Fiennes – La section centrale qui a été chargée de l’examen du budget des travaux publics m’a nommé son rapporteur ; j’ai pensé me conformer à vos intentions en faisant mon rapport le plus promptement possible ; ce rapport est prêt depuis quelques jours ; mais il a été impossible jusqu’ici à la section centrale de se réunir pour en entendre la lecture ; demain elle pourra avoir une dernière réunion pour statuer définitivement sur le rapport, et j’espère pouvoir le présenter demain à la chambre.

Quant à la question importante du canal de l’Espierre, la section centrale a dû nécessairement en ajourner l’examen jusqu’à ce que le rapport sur le budget des travaux publics fût terminé. Je pense qu’elle pourra être convoquée lundi ou mardi, pour s’occuper de la question du canal de l’Espierre, et que le rapport sur cette question pourra être présenté dans le courant de la semaine prochaine.

Je demande également que la chambre veuille bien, avant la discussion du budget des travaux publics, s’occuper de la question du canal de l’Espierre, non pas seulement sous le point de vue présenté par l’honorable préopinant, mais encore en ce qui concerne les autres questions auxquelles elle paraît se rattacher, comme celle, par exemple, du barrage d’Autrive pour lequel on demande une somme assez considérable. Il s’agit, en effet, de savoir si, en adoptant le canal de l’Espierre, le barrage d’Autrive sera encore nécessaire, ou s’il ne sera pas plutôt une entrave.

Quoi qu’il en soit, messieurs, je pense que le rapport pourra être présenté dans le courant de la semaine prochaine, et que la chambre pourra s’en occuper avant la discussion du budget des travaux publics ou en même temps que de cette discussion.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Si j’ai bien compris l’honorable député de Courtray, il voudrait que le rapport sur le budget des travaux publics ne fût pas présenté avant le rapport sur les réclamations relatives au canal de l’Espierre. Je pense qu’au fond nous sommes d’accord : nous désirons qu’il y ait une discussion sur la question du canal de l’Espierre et que cette discussion ait lieu soit avant, soit en même temps que la discussion du budget des travaux publics ; mais les deux rapports peuvent se faire séparément : dès demain, si la section centrale est prête, elle déposera son rapport sur le budget des travaux publics et la semaine prochaine elle déposera son rapport concernant le canal de l’Espierre, peut-être aussi son rapport sur la prorogation de la loi du 19 juillet 1832. Cela n’empêche pas que la discussion de la question du canal de l’Espierre ait lieu soit en même temps soit avant celle du budget des travaux publics ; du reste, je répéterai ce que j’ai déjà eu l’honneur de dire à la chambre : non seulement j’accepte la discussion, mais je la désire.


M. le président – Il a été adressé à la chambre une pétition des commis-greffiers de Gand ; précédemment des pétitions analogues avaient été renvoyées à la section centrale du budget de la justice, cette section avait conclu au renvoi à M. le ministre de la justice et à la section centrale chargé d’examiner la proposition de M. Verhaegen ; ce double renvoi a été ordonné. Je pense qu’on pourrait suivre la même marche pour la pétition des commis-greffiers de Gand.

- Cette proposition est adoptée.

Motions d'ordre

Mise en oeuvre du traité du 19 avril 1839 dans la province du Luxembourg

M. d’Hoffschmidt – Une difficulté extrêmement grave vous le savez, messieurs, s’est élevée dans le Luxembourg, au moment du traité des 24 articles, à propos de la possession du village de Martelange. D’après l’article 2 du traité, la route d’Arlon à Bastogne doit appartenir à la Belgique, mais dans le même article il est dit que le village de Martelange appartiendra au grand-duché. Or, ce village est presqu’en entier situé à droite de la route en allant vers Arlon, et il y a ainsi contradiction manifeste dans le texte du traité. Le gouvernement crut pouvoir parer aux dangers de ces dispositions contradictoires, en adressant à la conférence de Londres une note diplomatique, en date du 14 avril dernier, dans laquelle il est dit, avec raison, que la disposition qui attribue à la Belgique la route d’Aron à Bastogne est le principe, et que celle qui conserve Martelange au grand-duché n’est qu’une conséquence, ; qu’il s’ensuit donc que c’est le principe qui devra prévaloir dans l’exécution.

Cependant, en dépit de cette note explicative (sur laquelle d’ailleurs la conférence ne prit aucune résolution) le gouvernement grand-ducal n’a pas moins persisté à vouloir occuper Martelange. Il paraît même de toute évidence que son but était de s’en emparer par un coup de main, si on ne s’était empressé de s’y opposer en envoyant dans ce village le peu de troupes qui se trouvaient à cette époque à Arlon, auxquelles s’étaient joints des douaniers et des volontaires.

Bientôt après le gouvernement fit occuper Martelange par des forces plus considérables. Ces forces y séjournèrent pendant environ un mois, si je ne me trompe, et rentrèrent ensuite dans leurs garnisons.

Il paraît donc que cette affaire, de la tournure belliqueuse qu’elle avait prise d’abord, est tout à fait tombée dans le paisible domaine de la diplomatie. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on n’en entend plus parler.

Sont-ce les commissaires démarcateurs qui en sont chargés, ou l’affaire se traité-t-elle directement entre les deux gouvernements ? Sommes-nous encore menacés de quelques protocoles ? C’est ce que j’ignore. Quoi qu’il en soit les habitants du village de Martelange sont toujours dans l’incertitude du sort qui les attend. Je prie donc M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien nous dire à quoi en sont les négociations sur cet objet, et s’il y a espoir qu’elles seront bientôt terminées.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, la question de Martelange est entièrement du ressort des commissaires démarcateurs ; jusqu’à présent la commission ne s’est pas encore occupée de cette question, mais d’après le texte du traité des 24 articles, les habitants de la partie ouest de Martelange ne doivent concevoir aucune inquiétude.

M. de Brouckere – C’est aussi pour adresser une interpellation à M. le ministre que j’ai demandé la parole ; mais si je n’obtiens pas plus de succès que l’honorable M. d’Hoffschmidt, le résultat n’en sera pas grand. Quoi qu’il en soit, je crois devoir la faire.

L’article 20 du traité du 19 avril porte que personne, dans les pays qui changent de dénomination, ne pourra être recherché ni inquiété d’aucune manière pour cause de participation quelconque, directe ou indirecte, aux événements politiques. Cet article a dont été fait, d’un côté, pour les parties du Limbourg et du Luxembourg qui sont retournés aux Pays-Bas ; et, d’un autre côté, pour les forts qui ont été occupés par les troupes hollandaises jusqu’aux ratifications du traité. Assurément, messieurs, cet article du traité n’a pas été violé par la Belgique. Aucune plainte ne s’est élevée à cet égard ; mais je crois que l’autre partie contractante n’a pas tenu aussi fidèlement ses engagements.

D’abord, messieurs, vous savez tous comme moi que dans le Luxembourg non seulement beaucoup de fonctionnaires ont été destitués par suite de la conduite qu’ils ont tenue depuis 1830, mais qu’on a été jusqu’à frapper de destitution un grand nombre de notaires. Quant aux fonctionnaires amovibles, je vous avoue, messieurs, que si l’on en était resté là, je n’aurais pas pris la parole aujourd’hui, car je ne puis pas reconnaître qu’un gouvernement puisse être dans l’obligation absolue de conserver à son service des fonctionnaires amovibles dans lesquels il n’a pas confiance ; mais quant aux notaires, la chose est toute différente ; la loi du 25 ventôse, an XI, porté à l’article 2 :

« Les notaires sont institués à vie. »

Et à l’article 55 :

« Toutes suspensions, destitutions, condamnations à l’amende ou à des dommages-intérêts ; sont prononcées contre les notaires par le tribunal civil de leur résidence, à la poursuite des parties intéressées, ou d’office, à la poursuite et à la diligence des commissaires du gouvernement. »

Destituer des notaires sans motifs, c’est donc une violation de la loi. Les destituer à cause de leur conduite politique, c’est évidemment une violation de l’article 20 du traité du 19 avril. Voilà un premier point sur lequel je dois interpeller le ministère, afin de savoir s’il a fait des représentations au gouvernement des Pays-Bas, sur cette violation d’un acte bilatéral, synallagmatique, qui lie le gouvernement des Pays-Bas comme il lie notre gouvernement.

Un second point non moins important, c’est celui-ci : après la révolution de 1830, la plupart des jeunes gens qui faisaient partie de l’armée des Pays-Bas et qui appartenaient aux parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, ont quitté l’armée hollandaise et sont venus se ranger dans celle de la Belgique.

Cela se conçoit : ces miliciens, en prenant service, avaient voulu servir leur pays, et en se faisant incorporer dans l’armée belge, ils continuaient à servir leur pays.

La paix faite, beaucoup de jeunes gens ont été licenciés et sont rentrés paisiblement chez eux, en se fiant à l’article 20 du traité. Et qu’est-il arrivé ? C’est que plusieurs de ces jeunes gens ont été arrêtes dans leur domicile, qu’ils sont maintenant dans les prisons de Maestricht et qu’ils vont être poursuivis pour désertion.

C’est encore une violation flagrante du traité, et je dois encore demander à M. le ministre des affaires étrangères quelles représentations il a faites au gouvernement des Pays-Bas et quel succès il attend de ces représentations que certes il n’a pas manqué de faire.

Enfin, je demanderai, en troisième lieu, s’il ne serait pas convenable, avant d’aborder la discussion du budget des affaires étrangères, que le ministre, qui est à la tête de ce département, nous fît un rapport sur l’état des négociations. Vous savez, messieurs, que trois commissions mixtes ont été nommés ; l’une est chargée de tout ce qui concerne les questions financières ; une seconde, de ce qui a rapport avec la délimitation territoriale ; une troisième enfin, de tout ce qui regarde la navigation.

S’il faut en croire le bruit public, l’une de ces commissions serait déjà dissoute, les deux autres continueraient leurs travers. Enfin, rien n’empêche que le gouvernement ne nous dise à quels termes en sont parvenues les négociations, et quand il a l’espoir qu’elles seront terminées.

Je prie M. le ministre de vouloir bien répondre à ces trois interpellations.

M. Metz – Messieurs, les faits que l’honorable M. de Brouckere vient de révéler sont exacts. Les destitutions n’ont pas atteint les fonctionnaires amovibles seulement, les destitutions n’ont pas atteint les notaires seulement, les destitutions sont venues frapper encore sur leur siège des magistrats que la loi couvrait de tout inviolabilité.

Je conçois maintenant les regrets qu’exprime à ce sujet M. de Brouckere ; mais il fallait, messieurs, prévoir que la conduite tenue par le roi Guillaume serait la suite du traité que vous avez voté. Si encore, en sacrifiant le Luxembourg, on avait fait le bonheur de la Belgique, le Luxembourg, messieurs, vous pardonnerait volontiers.

Mais quelle a été, permettez-moi de le dire, messieurs, quelle a été la conséquence de l’odieux traité du 19 avril ? Honte et mépris au-dehors ; humiliations, découragement, misère à l’intérieur ! est-ce là ce que nous attendions ? On vous avait prédit les fatales conséquences, pour la Belgique elle-même, du traité du 19 avril.

On a voulu sauver notre nationalité ! Comme si on n’avait pas su qu’une nationalité qui s’abaisse à tous les sacrifices est une nationalité perdue. On a voulu sauver notre industrie ! comme si on n’avait pas su que notre industrie était frappée au cœur ; comme si on n’avait pas su que ce qui en resterait, ne pourrait se relever que sur des ruines.

Quant à des réclamations à faire en faveur du Luxembourg, je ne partage point la manière de voir de M. de Brouckere. Vous avez abandonné le Luxembourg, vous avez trafiqué de ses habitants, comme s’ils avaient été des esclaves ! Vous avez perdu toute espèce de droit à vous immiscer dans leur administration intérieure. Soignez leurs intérêts matériels, réparez le tort que vous leur avez fait. Mais ne venez pas augmenter les difficultés de leurs rapports avec leur souverain. Laissez-leur expier par la soumission la faute qu’ils ont commise envers lui, grâce à vos fallacieuses promesses. Vous leur avez fait faire la révolution ; vous les avez abandonnés ; n’encouragez pas de résistance, ne faites pas naître un nouvel espoir chez eux, espoir que vous tromperiez encore.

Je demande qu’on ne donne pas suite à la motion de l’honorable M. de Brouckere, en ce qui concerne les fonctionnaires.

M. de Brouckere – Messieurs, je ne reviendrai pas sur les faits qui on amené l’acceptation du traité des 24 articles ; tous ceux qui ont adopté ce traité l’on fait avec douleur et l’honorable M. Metz le sait bien ; mais, est-ce une raison pour que nous abandonnions les habitants du Luxembourg, à tel point que nous ne réclamions pas l’exécution des dispositions du traité faites en leur faveur ? Non, sans doute ; et bien que je conçoive les sentiments d’amertume qui ont dicté le discours de mon honorable voisin, je n’en persiste pas moins dans ma manière de voir ; et je déclare que pour tous les intérêts qui sont chers aux habitants du Limbourg et du Luxembourg, je serai toujours prêt à élever la voix, et je suis persuadé que je trouverai de l’écho dans la chambre.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, en ce qui concerne les destitutions du Luxembourg, je crois qu’il n’est pas opportun de discuter cette question dans le moment actuel, d’autant plus que les notaires ne se sont pas adressés au gouvernement belge, mais qu’ils se sont adressés directement au roi grand-duc., et qu’un commencement de réparation vient d’avoir lieu. Du reste, messieurs, le gouvernement belge n’a pas perdu de vue leurs intérêts ; il s’en est occupé spontanément, mais je ne pense pas qu’il y ait lieu de s’appesantir sur ce point de la discussion.

En ce qui concerne les miliciens du Limbourg, ce n’est que hier que j’ai appris par la voie d’un journal de Liége, que des poursuites seraient sur le point d’être exercées contre quelques miliciens qui auraient quitté les rangs de l’armée hollandaise en 1830. Je n’ai reçu aucun avis officiel de la part des autorités belges ; je n’ai pas reçu non plus aucune réclamation. Cependant je n’ai pas plutôt appris la nouvelle par la voie du journal, que je viens d’indiquer que j’ai incité les autorités à recueillir des renseignements positifs sur cet objet ; et certainement, si les faits étaient tels qu’ils ont été exposés par le journal, il y aurait violation de l’article 20 du traité.

Messieurs, il serait très difficile de faire un rapport quelque peu satisfaisant, dans le moment actuel, sur les travaux des commissions, attendu que plusieurs questions sont en litige, et qu’il y aurait des inconvénients à faire un rapport public sur la situation de chacune de ses affaires. Au surplus, messieurs, je crois que ces difficultés sont en voie de s’aplanir ; mais dans le moment actuel je considérerais comme véritablement imprudent de faire un rapport quelque peu étendu sur ce sujet.

M. de Brouckere – Les négociations d’Utrecht sont-elles interrompues ?

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Elles ne sont que suspendues.

M. d’Hoffschmidt – Messieurs, dans les courtes explications que M. le ministre des affaires étrangères a donnés par suite de mon interpellation, il a dit que c’étaient les commissaires démarcateurs qui devaient décider les contestations relativement à Martelange, et qu’ils n’avaient pas encore commencé leurs opérations.

Je vois bien que cette affaire va tourner en longueur ; les lenteurs en diplomatie m’effraient et je crains toujours un résultat fâcheux, quand les négociations durent longtemps.

Cependant Martelange est de la plus haute importance pour le pays ; la possession de ce village est du plus grand intérêt pour la Belgique. En effet, si Martelange était occupé par la Hollande, la route de Bastogne vers Arlon serait entièrement interceptée.

Indépendamment de cela, le territoire de ce village est extrêmement étendu, il contient de vastes forêts, et il s’étend à plus d’une lieue de la route vers Neufchâteau. Par conséquent, si jamais, ce qui, j’espère, n’arrivera pas, la Hollande était en possession de ce village, ce serait une véritable colonie qui serait établie dans le Luxembourg.

J’espère donc que le gouvernement, dans cette affaire majeure, ne commettra aucune faiblesse et qu’il maintiendra les droits du pays qui sont évidents.

M. Dumortier – Messieurs, je m’attendais bien à voir le gouvernement décliner les observations qui ont été présentées par les honorables MM. de Brouckere et Metz ; mais je vous avoue que je ne m’attendais pas à ce qu’il osât pousser l’oubli des convenances au point de venir dire que, s’il n’avait pas pris la défense des habitants du Limbourg et du Luxembourg, il y avait à cela un motif bien simple, c’est que les habitants ne s’étaient pas adressés au gouvernement belge.

Ils ne s’étaient pas adressés au gouvernement belge !...Eh ! qu’ont-ils donc à réclamer de vous ? de vous qui les avez vendus, de vous qui les avez livrés, de vous qui êtes venus trafiquer d’eux, comme d’une vile marchandise ? pensez-vous donc que ces habitants aient assez peu le sentiment de la dignité humaine pour venir réclamer à leurs marchands, à ceux qui ont trafiqué de leur sang !

En vérité, cela passe toute imagination d’entendre un gouvernement qui a vendu nos frères, venir dire ensuite qu’il ne pouvait prendre leur défense, sous prétexte qu’ils ne se sont pas adressés à lui !

Je n’ai pu, messieurs, laisser passer ces expressions sous silence, car il y a une pudeur publique qu’il faut savoir respecter. Et lorsqu’un gouvernement a osé mutiler la Belgique, mutiler la représentation nationale, trafiquer d’une partie de nos frères, il devrait au moins, je pense, ne pas sortir entièrement des bornes des convenances et ne pas venir prétendre que, s’il ne prend pas la défense de nos anciens et malheureux compatriotes, c’est qu’ils ne lui ont pas adressé de réclamations. Ah ! à pareil taux, vous ne prendrez jamais leur défense, car jamais il ne vous adresseront de réclamations.

Puisque j’ai la parole, j’adresserai une demande au gouvernement.

Lorsque nous discutâmes le traité des 24 articles, mon honorable ami, M. Gendebien et moi, nous réclamâmes le dépôt sur le bureau de toutes les pièces relatives aux négociations.

Et, vous le savez, cette interpellation n’était qu’une demande conforme à la constitution en matière de traité. Mais le ministre des affaires étrangères a prétendu qu’alors il n’y avait pas possibilité de donner communication à la chambre des documents relatifs aux négociations. Eh bien, messieurs, que le traité est un fait accompli, qu’il est exécuté en texte et en fait, je viens renouveler l’interpellation et demander le dépôt de toutes les pièces relatives au traité du 15 avril. C’est l’exécution de la constitution que je demande ; j’espère que cette fois le ministre des affaires étrangères ne se refusera pas à faire cette communication.

M. Pirson – Messieurs, en prenant la parole, je ferai remarquer relativement à ce qui se passe dans la partie cédée du Luxembourg (ceci est une opinion un peu égoïste, mais du moins c’est un égoïsme qui se rapporte à ce qui se passe), je ferai remarquer, dis-je, que plus le roi Guillaume fera de mal aux habitants des parties cédées, moins nous aurons à craindre une restauration et plus nous nous mettrons en garde contre elle. Mais un autre prince de la famille paraît intriguer. Ce prince croit avoir des chances, non seulement il est de la famille que nous avons exclue, mais il est allié avec le bourreau, avec le massacreur des Polonais !

Ceci n’est pas mauvais à dire, je crois, dans la circonstance, puisque notre ministère doit avoir des notions sur le projet du prince d’Orange, puisqu’il a pris des mesures acerbes contre plusieurs personnes. C’est ce dont je vais vous entretenir.

Je regrette que le ministre de la guerre ne soit pas présent, parce que dans mon examen de la politique des auteurs du traité des 24 articles, j’ai un petit boulet de ricochet à lui adresser.

Messieurs, nous allons donc avoir un sixième ministre sous la spécialité nominale de ministre des affaires étrangères ainsi l’a décidé provisoirement notre pentarchie ministérielle et cela parce que l’un de ses membres bien fatigué (il nous l’a dit lui-même) a besoin de repos. Il faut qu’il dépose l’un des deux portefeuilles que toutefois il avait usurpé, mais enfin qui lui pèsent maintenant. Il est fatigué. Il est vrai que, s’étant cruellement fourvoyé dans les chemins tortueux de la diplomatie, il s’est jeté en aveugle dans l’abîme et qu’il s’est tout à fait épuisé par ses efforts pour nous entraîner avec lui. Un autre ministre pourrait bien dire aussi qu’il est très fatigué, car tous nos soldats ont fait par les temps les plus affreux de l’hiver les marches et contremarches les plus pénibles, leur ardeur guerrière seule a pu soutenir leurs forces physiques. Le ministre de la guerre a perdu les siennes en comprimant l’élan patriotique de l’armée. Qu’est-il résulté de toutes ces manœuvres diplomatiques et militaires ? Tirons le rideau sur tout ce que nous avons vu et entendons dans notre intérieur ; le rappeler ce serait renouveler en pure perte des émotions qui ont coûté la vie aux uns, et mis d’autres en danger.

(M. le ministre de la guerre entre dans la chambre.)

Cependant, je ne peux me dispenser de parler de certaines manœuvres politico-religieuses qui ont contribué à notre honte et, par suite, à la ruine de la cause catholique dans plusieurs contrées de l’Europe. On a fait agir par ses conseils l’envoyé de Rome pour rassurer les consciences timorées de ceux qui voulaient rester attachés aux Limbourgeois et aux Limbourgeois, non seulement comme frères politiques, mais encore comme frères catholiques ; le traité a été voté. Eh bien, qu’a gagné l’envoyé de Rome ? Depuis lors, le gouvernement prussien n’a plus gardé de ménagement envers les prélats catholiques de ses états.

L’Autriche elle-même repousse les prétentions de Rome au sujet des mariages mixtes, et tout dernièrement l’empereur Nicolas vient de lui enlever 4 millions de catholiques ; là, M. Nothomb, ce n’est point le pouvoir qui s’en va ; c’est Rome qui s’en va ; oui, Rome s’en a, et si un jour elle perd la Belgique, ce sera par la faute de quelques-uns de ses prélats, qui falsifient à leur profit et pour satisfaire leur vanité et leur ambition, les principes d’humilité, de charité et d’égalité, bases fondamentales de notre religion. Vous, M. le ministre des affaires étrangères ou de l’intérieur, vous êtes le fauteur d’un grand désordre qui s’introduit dans le pays. Le congrès avait abdiqué tout pouvoir sur les sociétés religieuses, mais c’était à condition que réciproquement celles-ci ne voulussent point dominer la société civile. Qu’avez-vous fait pour repousser les intrigues journalières, œuvres de deux ou trois hommes ?

Savez-vous à quoi vous exposez le pays ? à une grande réaction à la fois politique et religieuse. Ceux qui ont contribué à secouer certain joug ne voulaient point tous en subir un plus humiliant. Le ministère a fait des mécontents partout et dans toutes les classes. S’il avait ma confiance, je lui dirais ; Prenez-y garde, soyez prudent. Mais non, c’est lui qui, tous les jours, accumule de nouveaux dangers.

Le ministre de la guerre ne vient-il pas de rétablir en disponibilité un officier général qui avait conspiré contre sa patrie, qui, à l’étranger, se vantait de son crime et nommait des complices ? C’est là, en vérité, un bel exemple de discipline pour l’armée. Si cet homme pouvait être considéré comme amnistié par le traité, c’était au moins un déserteur à l’étranger, en temps de guerre, et, comme tel, il devait perdre son grade.

Ce n’est point assez pour vous, ministre de la guerre, d’avoir tué le patriotisme ardent de notre armée, il faut encore que vous le déshonoriez en lançant des conspirateurs avoués dans ses rangs.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Il y a un article de notre règlement qui dit que les orateurs parlent à la chambre ou au président, et non à des membres, ni aux ministres. Je demande que l’orateur soit invité à observer le règlement.

M. Dumortier – Un membre de la chambre a toujours le droit d’adresser des interpellations aux ministres.

M. Pirson – Eh bien, je dis à la chambre que le ministre de la guerre a lancé des conspirateurs avoués dans les rang de notre armée, comme pour lui dire : Conspirer n’est rien ; le jour de la récompense arrive tôt ou tard.

Je frémis en réfléchissant à tout ce qui peut nous arriver. Dans l’état de nullité où nos ministres nous ont placés, j’accuse de ce chef avec eux la politique du cabinet français ; il nous a compris au nombre de ses sacrifices envers la sainte-alliance ; il s’en repentira peut-être, mais il sera trop tard. Voyez le gré qu’on lui en sait : tous les jours on lui suscite de nouvelles difficultés. On lance à la fois contre lui deux prétendants de dynasties différentes, ayant notoirement des appuis à l’étranger : on soulève par des ressorts secrets le républicanisme, pour faire diversion et lui enlever ses moyens de défense personnelle ; on suscite des ennemis lointains, au Mexique, à Buenos-Ayres ; on l’attaque presque au cœur avec tous les éléments de la barbarie africaine. Que sait-on, un prétendant se présentera peut-être aussi chez nous. Vous en savez probablement quelque chose, messieurs les ministres ; car je ne peux croire que, sans motifs graves, vous vous soyez portés naguère à des actes aussi acerbes envers quantité de personnes.

Vous me comprenez, messieurs, ce n’est point la restauration que nous devons craindre ; il y a d’autres projets plus faciles à exécuter lorsque tous les anciens adhérents et amis seront à leur poste. Je n’ai d’espérance pour le soutien de notre jeune dynastie que dans les liens de famille d’un seul côté, de l’autre il n’y a que faiblesse.

En définitive, on ne peut se fier à aucune diplomatie. Les diplomates tripoteront aussi longtemps qu’il ne s’élèvera point au-dessus d’eux quelque grand génie qui les fera rentrer dans la poussière ; mais ce grand génie, comme je le voudrais, est-il dans la nature humaine ? je ne le crois pas. En résumé, je persiste dans mon athéisme politique et j’attends la mort bien tranquillement.

J’ai déjà dit à cette tribune que j’étais un athée politique, sans autre explication. Les journaux du pays et même ceux de France ont voulu expliquer cette idée à leur manière ; on a été jusqu’à dire que de l’athéisme politique à l’athéisme religieux, il n’y avait qu’un pas. Il y a au contraire une distance infinie. Le mot athée est dérivé du grec « a » négation, « Theos » qui veut dire Dieu ; l’athée est donc celui qui nie Dieu. Or Dieu, dans une faible conception, étant la sagesse même et l’intelligence universel, je nie, comme athée politique, qu’il y ait sagesse et intelligence parfaite en politique.

Quant aux prêtres, messieurs, j’aime beaucoup ceux qui ne sortent point de leurs attributions. Je les aide et leur fait tout le bien que je peux dans mon arrondissement ; j’en demande souvent pour les localités qui en manquent ; je protège les frères de l’école chrétienne ; cette concurrence est utile à côté de nos écoles communales. M. le ministre de l'ntérieur sait tout cela.

A Dinant, quelques philosophes intolérants m’accusent de jésuitisme ; à Bruxelles, trois prélats ambitieux de Belgique m’appelleront un athée ; et voilà.

Je reviens à la proposition d’augmentation du nombre de nos ministres. Je ne suis pas du tout de cet avis.

Ces messieurs peuvent très bien, au nombre de cinq, se partager la besogne, qui est devenue beaucoup moins depuis la paix.

Un ministre des affaires étrangères peut avoir dans ses attributions la diplomatie, le commerce, l’industrie, l’agriculture, la marine et la tarification à l’entrée et à la sortie du royaume ; toutes ces parties ont de la connexité chez nous.

Un second, l’intérieur et les travaux publics.

Un troisième, la guerre, la milice et la garde civique.

Un quatrième, les finances, moins la tarification des douanes.

Un cinquième, la justice.

Je sais bien que ce n’est pas à nous à décider en matière d’attribution, je ne veux qu’indiquer des moyens de mettre en rapport mon opinion avec le travail du ministère. Il y aurait un grand inconvénient à ce que le ministère fût composé en nombre pair ; comment obtenir la majorité lorsque les voix seraient partagées sur une question importante.

Il ne viendra à l’idée de personne, sans doute, d’introduire le vote royal. Les ministres d’état ne sont pas responsables.

S’il se présente quelques cas comme celui que je viens de faire remarquer, on proposera un septième ministre, on pourra le nommer garde électeur, il sera chargé de surveiller et arrêter les listes des électeurs, il sera responsable du bon ordre et de la liberté des élections, et l’on parviendra ainsi à obtenir le gouvernement fort, objet des vœux de M. Nothomb.

Projet de loi sur le notariat

Rapport de la commission

M. Delehaye – J’ai l’honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi concernant les notaires de Neufchâteau, proposé par la commission des pétitions.

M. le président – Ce rapport sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sera ultérieurement fixé.

Projet de loi portant le budget des affaires étrangères de l'exercice 1840

Discussion générale

M. Fleussu – Messieurs, quoi qu’en ait dit M. le ministre des affaires étrangères, il paraîtra toujours fort étrange et on se rendra difficilement compte de cette bizarrerie, que l’on ait réuni le département des affaires étrangères et le département de l’intérieur, pendant le cours des négociations, et que, quand ces négociations sont arrivées à fin, qu’il y a un traité de paix, on réorganise ce département pour placer à sa tête un chef spécial.

M. le ministre des affaires étrangères a bien voulu nous initier aux secrets du cabinet sur ce point. C’est, nous a-t-il dit, à la demande de ses collègues, que, lors de la retraite de l’honorable M. de Muelenaere, il s’est chargé du portefeuille des affaires étrangères, parce que, a-t-il ajouté, les moments étaient critiques et que nous ne voulions associer personne à notre responsabilité.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Vous confondez deux époques très distinctes.

M. Fleussu – Il y a un léger anachronisme dans l’explication donné par M. le ministre. En effet, si j’ai bonne mémoire, l’honorable M. de Muelenaere s’est retiré dans le courant de l’année 1836. A cette époque nous étions sous l’empire de la convention du 21 mai, dans le statu quo. Rien n’était changé aux négociations qui avaient été suspendues par ce traité. On pouvait donc choisir, pour mettre à la tête du département des affaires étrangères, un homme spécial. Quoi qu’il en soit, en admettant l’explication donnée par le ministère, je trouve qu’il y avait d’une part une certaine imprudence, et de l’autre, une grande présomption à charger un seul homme de deux ministères aussi importants ; car, quel que soit le dévouement dont l’honorable ministre des affaires étrangères a fait preuve, quelles que soient sa capacité et son activité même, il est évident qu’un seul homme ne peut pas suffire à tout. Etait-ce trop, d’ailleurs, que les efforts constants d’une haute capacité, était-ce trop que la persévérance de l’homme le plus haut placé, le plus au fait des négociations, pour surveiller le cours de ces négociations et tâcher de les amener à une fin qui répondît aux intérêts de la Belgique ? ce n’est pas cependant que je veuille faire retomber sur le ministre des affaires étrangères toutes les injustices de la diplomatie. Dès qu’on rentrait dans la voie des négociations, je le dirai, tout autre à sa place, n’aurait pas été plus heureux pour assurer le triomphe de la Belgique. C’est qu’en effet il y avait des antécédents posés par et pour la Belgique.

Souvenez-vous que le congrès national lui-même, malgré l’énergie dont il a fait preuve au commencement de son existence, a fini par accepter ce qu’on appelait les préliminaires de paix, le traité des 18 articles, qui renfermait les germes funestes si tristement développés dans les traités subséquents. Le congrès a été trompé, sinon trahi par le ministère du régent, car il avait voté les fonds nécessaires pour organiser une armée de 68 mille hommes, et au moment du danger, il ne s’est pas trouvé 9 mille hommes à opposer à l’agression de l’ennemi.

Nous avons payé la faute de notre imprudence, nous avons été vaincus, nous avons porté la peine des vaincus ; la représentation nationale s’est trouvée dans la triste nécessité d’accepter les conditions du traité du mois de novembre 1831. ce traité, qui a été vivement combattu, et auquel je me suis opposé par mon vote, a été réclamé par nous-mêmes et bientôt regardé comme une espèce de bienfait, comme garantissant notre nationalité ; nous avons pressé le gouvernement de solliciter les ratifications près des puissances ; elles sont venues et elles étaient tant désirées qu’on les a acceptées quoiqu’imparfaites, malgré les réserves des puissances du Nord. Ce n’était pas assez d’avoir provoqué les ratifications, nous avons exigé l’exécution du traité. C’est peut-être nous qui avons provoqué la prise de la citadelle d’Anvers. Nous avons applaudi au blocus maritime. La convention du 31mai a été saluée dans cette chambre comme une garantie de notre nationalité. Voilà les faits qui existaient. Dès qu’on reprenait le cours des négociations, ces faits étaient un obstacle à la courageuse entreprise du ministre, de vouloir maintenir nos limites du statu quo.

Messieurs, je n’accuse donc pas le ministre d’avoir sacrifié l’honneur et les intérêts de la Belgique aux exigences de la diplomatie ; je suis convaincu qu’avec les faits tels qu’il existaient, il ne pouvait pas conserver nos limites, il n’a pas été coupable mais malheureux dans les négociations. Mais si je n’accuse pas le ministère sous ce rapport, ne croyez pas que je pense qu’il n’y a pas de critique à lui adresser pour la conduite qu’il a tenue après l’adhésion du roi Guillaume. Je lui reproche de n’avoir pas compris les nécessités de la position. Je lui reproche d’avoir agité le pays par d’inutiles démonstrations guerrières.

Dès que le roi Guillaume avait notifié son adhésion au traité, forcé qu’il a été par la représentation nationale de son pays, il n’y avait qu’un seul parti à prendre : il fallait ou reprendre les errements des négociations laissées en suspens par la convention du 21 mai, ou rompre le traité à coups de canon.

Mais quelle a été la conduite du ministère ? A-t-il su dessiner sa position ? Non, messieurs ; et pourquoi ? Parce que c’était, sous ce rapport, un ministère de coalition. Vous savez qu’une partie du cabinet penchait vers la résistance et même vers une résistance poussée jusqu’à ses dernières conséquences. Une autre partie, au contraire, voulait prendre le cours des négociations. Et qu’est-il arrivé de ces deux opinions ? Qu’elles se tenaient pour ainsi dire en échec dans le conseil ; c’est ce qui arrivera toujours. C’est qu’on a voulu donner satisfaction aux deux partis. De là reprise des négociations en même temps qu’armements et armements considérables.

Savez-vous quels ont été les effets de cette malencontreuse politique ? Le moindre inconvénient a été de faire dépenser à la Belgique des millions en quantité. Par cette conduite incertaine, équivoque, par les oscillations de sa politique, le ministère a jeté le pays entre les espérances de la paix et les craintes de la guerre, ébranlé la confiance publique, suspendu les opérations commerciales, arrêté l’élan de l’industrie et tari ainsi toutes les sources de la prospérité publique. Voilà quels ont été les effets de cette politique imprudente.

Je sais bien que, dans un discours fort adroit où on a louvoyé au milieu des difficultés sans en rencontrer aucune, on a cru être parvenu à vous démontrer que vos armements ont servi à quelque chose, qu’il ont appuyé les négociations. » C’est (vous a-t-on dit) à l’attitude ferme qu’a prise la Belgique, qu’on doit la réduction de la dette. » Se paiera qui voudra de cette raison ; quant à moi je n’en crois rien. Je crois que la réduction de la dette est due à l’appui de la France et de l’Angleterre, je le crois parce qu’un ministre français l’a dit hautement à la tribune de France. Le comte Molé, interpellé par l’opposition, n’a pas hésité à déclarer que jamais la France ne soutiendrait la Belgique, quant à la délimitation du territoire, mais qu’elle soutiendrait la Belgique de tout son pouvoir, quant à la dette, parce que la répartition qui en était faite dans le traité était injuste. Voilà, si mes souvenirs sont fidèles, ce que M. le comte Molé a dit à la tribune de France.

L’Angleterre, convaincue à son tour de l’injustice dont se plaignait la Belgique, et dont le redressement était sollicité par le diplomate français, n’a point tardé à se joindre à lui pour fixer plus équitablement notre part dans la dette. C’est donc à l’appui de ces deux puissances, qui ont reconnu la justice de nos prétentions, que nous devons la réduction de la dette. D’ailleurs, si votre intention était de faire des armements dans le but d’obtenir une réduction de la dette, il ne fallait pas vous hâter ; il fallait attendre qu’il y eût un refus bien constaté, car vous n’aviez lieu de craindre une nouvelle attaque de la Hollande : vous avez en face de l’armée hollandaise une armée d’égal nombre ; ce sont les armements de la Belgique qui ont déterminé les armements de la Hollande.

Voilà quel a été le résultat du défaut d’unité de vues dans le conseil. Qu’on nous préconise après cela les avantages d’un cabinet de coalition. Les opinions s’y tiennent en échec, se ménagent ; on marche à l’aventure jusqu’au bord du précipice ; c’est alors que l’opinion la plus forte se relève et laisse tomber la plus faible.

Je vous demande pardon de cette digression. Je reviens au budget du ministre des affaires étrangères, et j’arrive ainsi à mon point de départ.

On veut donc reconstituer le ministère des affaires étrangères, quant à moi, je n’y ferai aucune opposition ; je crois même qu’il est avantageux pour la Belgique que ce ministère soit rétabli avec un chef spécial. Mais nous nous trouvons véritablement dans une singulière position. Nous sommes provoqués à accorder un subside et nous ne savons pas en faveur de qui ce subside est demandé. La pensée du cabinet est tout à fait secrète, nous votons en aveugles. On ne peut pas dire ici que nous voterons ou que nous refuserons l’allocation selon le degré de confiance que le ministre nous inspirera, puisque nous allons voter sans savoir qui recueillera le portefeuille des affaires étrangères.

Encore une considération. Le ministre des affaires étrangères, pour jouer un rôle vraiment utile, doit être un homme d’une haute influence à l’intérieur, parce que c’est l’influence qu’il exerce au-dedans qui lui vaut de la considération au dehors. Aussi voyez-vous que, dans les autres gouvernements, le ministre des affaires étrangères est presque toujours le chef du cabinet. En effet, pour qu’il ait au dehors quelque prépondérance, il faut qu’on ait confiance en lui, il faut qu’on sache que sa politique ne sera pas désavouée par les autres membres du cabinet.

Qu’arrivera-t-il quand vous aurez voté le subside du département des affaires étrangères ? Savons-nous si le nouveau ministre ne sera pas simplement un homme adjoint ! Si M. le ministre de l’intérieur voulait échanger son portefeuille contre celui des affaires étrangères, mon observation tomberait, parce que l’honorable M. de Theux est depuis assez longtemps aux affaires pour que sa valeur politique soit connue. Mais serons-nous dans cette position ? Quel homme d’état voudra faire partie du cabinet, alors qu’il pourra craindre que son influence soit absorbée par celle de ses collègues ? Un tel ministre répondrait mal à l’établissement de ce département.

J’ai dit que je ne m’opposerais pas à la réorganisation de ce ministère, parce qu’il y a bien là de quoi occuper tous les moments d’un homme : Le nouveau ministre aura à suivre les négociations que nos différents avec la Hollande laissent ouvertes ; il aura de plus dans ses attributions les affaires du commerce et de l’industrie. En effet, dans la position que la conférence a faite à la Belgique, un ministre des affaires étrangères ne peut guère être qu’un ministre du commerce. Royaume de troisième ordre, condamné à être perpétuellement neutre, la Belgique ne peut prétendre à aucun rôle politique ; elle ne peut demande qu’une chose, c’est que sa neutralité ne soit pas violée, c’est que son territoire soit respecté. Nos relations à l’étranger seront donc surtout commerciales ; et fasse le ciel que, dans cette position, nous n’ayons pas à payer la peine de notre infériorité numérique.

De ce qu’un ministre des affaires étrangères ne peut être qu’un ministre du commerce, il s’ensuit que des chargés d’affaires peuvent remplir nos missions diplomatiques et surveiller au dehors les intérêts de la Belgique. A quoi bon alors des ministres plénipotentiaires, ce luxe des grandes puissances ? Quels plus grands services peuvent-ils rendre à la Belgique que des chargés d’affaires ? décorés de titres pompeux, ils exigent des traitements proportionnés à leurs titres. Mais la Belgique ne doit se montrer à l’étranger que ce qu’elle est, sans prétention aucune à influencer la politique de l’Europe, fière de son indépendance et capable d’une certaine prospérité si elle est bien administrée, c’est-à-dire avec économie et par des hommes qui, dégagés des passions qui agitent la Belgique, sachent se mettre au-dessus et à l’abri de l’influence des partis.

Il y a quelques années, un honorable député, qui siégeait au-dessus de moi et qui depuis lors s’est retiré de la carrière parlementaire, nous citait dans la discussion du budget des affaires étrangères l’exemple de Franklin qui représentait son pays à Paris, sans pompe et sans faste, et qui cependant excitait l’admiration et le respect des habits dorés. Je sais bien qu’on pourra me répondre que la Belgique n’a pas de Franklin à députer vers les cours étrangères ; mais au moins nous avons dans l’industrie et le commerce des capacités, et comme ce sont les rapports commerciaux que nous devons surtout envisager, c’est dans ces capacités que j’engage le gouvernement à faire son choix. Il enverra ainsi des chargés d’affaires qui arriveront dans les cours étrangères, sans être devancés par un grand nom connu dans la noblesse, mais qui arriveront accompagnés des connaissances nécessaires pour apprécier les besoins du pays.

Je viens maintenant à une espèce de détail du budget.

J’ai toujours compris la nécessité de ministres plénipotentiaires à Londres et à Paris pendant le cours des négociations. Je crois que c’est là une nécessité de notre position. J’ajouterai que, tant que nos différends avec la Hollande ne seront pas entièrement terminés, je pense que ces ministres plénipotentiaires peuvent rendre de grands services à notre cause, en restant au poste qu’il occupent depuis longtemps je dirai même qu’il est prudent que nous ayons à La Haye un ministre plénipotentiaire pendant les négociations.

Mais qu’on me dise de quelle utilité un ministre plénipotentiaire peut être, par exemple, en Italie. Comme puissance temporelle les états du pape n’ont pas grande importance ; comme pouvoir spirituel, nous n’avons rien à démêler avec sa sainteté. Notre clergé est émancipé, il n’a de contact avec le gouvernement que par le budget. Nous ne pourrions pas même faire un concordat avec le pape. Aussi il me semble inutile d’avoir à Rome un ministre plénipotentiaire, un simple chargé d’affaires suffirait pleinement pour chercher en Italie des débouchés à nos produits.

« Autriche ». On demande pour cette légation une somme de 40,000 francs. Nous avons commencé par n’avoir à Vienne qu’un chargé d’affaires ; c’est la même personne qu’on a décorée d’un titre plus pompeux, qui représente encore la Belgique. Mais que nous revient-il de ce changement ? cet personne administre-t-il mieux que quand il était simple chargé d’affaires ? Toute la différence que j’y vois c’est qu’il est allé avec un peu plus de pompe de Vienne à Constantinople et de Constantinople à Vienne.

« Prusse. » C’est un pays tout positif ; soyez bien convaincu que si vous y envoyez un home capable, on ne lui demandera pas à quel titre il est accrédité à la cour de Berlin. Longtemps nous n’avons eu à Berlin qu’un secrétaire de légation qui, si je ne me trompe, rendait des services signalés au pays, il en a rendu du moins avant que la cour de Berlin crût (mal à propos, j’aime à le croire) que le clergé de Belgique avait instigué contre elle le clergé des provinces rhénanes.

« Hambourg ». Je demanderai l’utilité d’un chargé d’affaires dans cette ville libre. N’est-il pas vrai qu’un consul y suffirait aux besoins de notre commerce ?

Messieurs, au chapitre III, traitements des consuls, j’ai trouvé que l’on demandait une somme de 100,000 francs. Autrefois, quand j’avais l’honneur de faire partie de la représentation nationale, je n’avais pas vu ce chiffre au budget, et grand a été mon étonnement lorsque j’ai aperçu cette somme. En 1832, l’honorable membre de la chambre, qui était à la tête de ce département, avait bien la pensée que les consuls de la Belgique ne pouvaient donner leurs moments sans rétribution : il avait présenté à la législature un tarif pour le prix de certains actes, la section centrale a pris ce projet de tarif pour une loi, tandis qu’il n’est réellement qu’un projet de loi. Il se peut qu’on se soit contenté d’un tel projet pour percevoir les frais qui y sont tarifiés ; mais alors il y aurait double emploi dans notre budget, parce que, indépendamment de ce tarif, les consuls touchent des traitements. Je pense donc, pour des consuls établis sur des côtés éloignées, il serait bon qu’ils eussent un traitement, parce que le tarif ne les indemniserait pas de la perte de leur temps ; mais ailleurs, je ne vois pas de raison d’ajouter un traitement au tarif. Savez-vous pourquoi le chiffre, repris au chapitre III, s’est si rapidement gonflé à la somme de 100 mille francs ? c’est qu’il parait qu’on a nommé consuls des habitants de notre pays. Messieurs, il est des gouvernements qui aiment à multiplier les emplois rétribués pour se faire des créatures, des adhérents ; je crois que c’est une mauvaise politique, qu’il vaut mieux restreindre le nombre des employés et bien les rétribuer ; car de cette manière les fonctionnaires et les contribuables y gagnent.

Au chapitre VII on vous demande, pour missions extraordinaires et dépenses imprévues, 84,000 francs. La section centrale a réduit ce chiffre à la somme de 60,000 francs

Vous croiriez peut-être qu’avec ce chiffre on allait faire face à toutes les dépenses qu’occasionnent les missions extraordinaires du traité de paix ? point du tout ; et grand sans doute aura été votre étonnement, lorsque vous aurez vu dans le rapport de la section centrale la somme de 150,000 francs pétitionnée pour les commissions mixtes. Lorsque vous avez des agents diplomatiques placés à toutes les cours, je ne vois pas pourquoi on vous ferait dépenser de nouvelles sommes du chef de missions extraordinaires. Vous demandez 150,000 francs pour faire face aux dépenses des commissions ; c’est beaucoup ; pourquoi ce chiffre est-il aussi élevé ? C'est que le gouvernement a trouvé convenable de rétribuer largement les commissaires. Les commissions mixtes sont formées de fonctionnaires publics ; ce n’est pas ce que je blâme, mais je crois qu’on aurait dû avoir égard à cette circonstance pour modérer leur traitement ; c’est ce que l’on n’a pas fait ; qu’en est-il arrivé ? C’est qu’ils jouissent des traitements de leurs fonctions et qu’ils y ajoutent de fortes indemnités ; et il est telle personne qui touche cent et cent vingt-cinq francs par jour. Ce n’est pas en présence de nos déficits successifs qu’on peut faire de semblables largesses. Quant à moi, je voterai pour toutes les réductions qui ne seront pas incompatibles avec les besoins du service.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, ainsi que l’a dit la section centrale, l’importance du ministère des affaires étrangères n’est pas diminuée par suite de la conclusion de la paix avec la Hollande. Si le ministre des affaires étrangères avait joui d’un temps de repos assez long, les choses ont beaucoup changé depuis l’époque de sa réunion au département de l’intérieur, mais surtout depuis l’adhésion du roi Guillaume au traité des 24 articles. Et pour vous le prouver, il me suffit de citer qu’à l’époque de 1836, il n’avait été expédié du ministère des affaires étrangères que 2,764 lettres ou dépêches ; qu’à partir de l’année 1837, date de la réunion, ce nombre a augmenté de 1,586, qu’en 1838, il a encore augmenté de 717 ; et que dans l’exercice courant l’augmentation a été en outre de 798 ; ce qui fait un total d’augmentation de 3,600 ; c’est-à-dire que la proportion du travail 1836 au travail actuel, est dans le rapport de deux à cinq. Ceci se comprendra plus facilement lorsqu’on fera attention à l’augmentation des consulats et des légations.

En effet en 1836 les consulats à l’étranger n’étaient que de 62 ; actuellement ils sont au nombre de 126. les consulats étrangers établis en Belgique étaient au nombre de 14, ils sont maintenant au nombre de 41 ; les missions diplomatiques accréditées à Bruxelles en 1836 n’étaient que de 8, et aujourd’hui elles sont au nombre de 13. Les missions belges à l’étranger n’étaient qu’au nombre de 8, elles sont aujourd’hui de 14. Ces missions vont probablement encore augmenter de trois, puisque la section centrale propose d’allouer le crédit demandé dans ce but. Le nombre des consulats continuera également d’augmenter.

Il reste à établir des consulats en Hollande, en Russie. D’autres consulats sont encore à organiser. Vous voyez donc que l’extension du travail va toujours croissant. Ceci est la principale cause qui nous a déterminés à proposer la création d’un sixième ministère. Lorsqu’au commencement de 1837 le ministère des travaux publics a été créé et que le ministère des affaires étrangères a été réuni au ministère de l’intérieur, le même besoin était loin de se faire sentir ; jusque-là on n’avait pas réclamé dans le pays la formation d’un sixième ministère.

Dans l’état actuel des choses, le ministère des affaires étrangères peut encore prendre de l’extension. D’autre part, il reste encore une partie d’organisation à effectuer dans le département de l’intérieur. Le département des travaux publics a également beaucoup de besogne ; enfin les travaux parlementaires exigent encore une grande assiduité ; il résulte de ces diverses circonstances qu’il ne serait pas convenable de limiter plus longtemps le nombre des ministres à cinq.

L’honorable député de Liége a dit avec vérité que l’issue des négociations avec les cinq grandes puissances ne peut être imputée à l’organisation du ministère de cette époque. Sur ce point nous sommes entièrement d’accord, mais nous différons d’opinion avec lui lorsqu’il soutient que c’est parce que le ministère était un ministère de coalition, que le pays a été entraîné dans la résistance , dans des dépenses considérables, et qu’il en est résulté en outre une crise financière et industrielle.

La dissidence d’opinion qui s’est manifestée au commencement de cette année n’existait pas dans les premiers temps qui ont suivi l’adhésion du roi Guillaume ; tout le monde était d’accord qu’il ne fallait pas s’empresser de reconnaître les conditions imposées en 1831. Ce n’est pas le ministère qui a poussé dans la voie de la résistance ; c’est le pays qui a pris l’initiative. L’esprit de résistance a pris naissance dans le Luxembourg ; il a gagné dès le mois de mai les deux chambres et s’est propagé dans tout le pays.

Mais, messieurs, si les efforts du pays n’ont pu parvenir à faire modifier les clauses territoriales du traité de novembre 1831, nous pouvons dire avec vérité que cette démonstration a exercé la plus grande influence sur les stipulations financières. C’est particulièrement la France qui nous a d’abord appuyés pour cette réduction la Grande-Bretagne considérait la réduction comme impossible. Les autres puissances ne voulaient pas même entendre parler de la remise des arrérages.

Ce n’est que successivement que les puissances sont tombées d’accord entre elles pour amener l’assentiment du roi des Pays-Bas à une réduction si considérable de la dette et à la remise des arrérages, et cela n’a été obtenu qu’en vue de faciliter la conclusion de la paix. Sous ce rapport donc le pays n’a point à regretter les efforts, d’ailleurs généreux, qu’il a faits pour essayer de conserver l’intégrité du territoire, et s’il était vrai que ce fussent des dissidences ou des nuances différentes d’opinion dans le ministère qui eussent amené ce résultat, nous n’aurions certainement, messieurs, pas lieu de les regretter. Je n’hésite pas à le dire, s’il y avait à cette époque un ministère décidé à suivre les errements qui ont été indiqués par l’honorable député de Liége dans cette discussion et par d’autres orateurs dans la discussion générale du traité c’est-à-dire de reprendre simplement les négociations sur la question de la dette, il est évident qu’on n’eût jamais obtenu ni la remise des arrérages ni surtout la remise d’une partie considérable de la dette. Les errements de la négociation de 1833 en font suffisamment foi.

Quant aux dépenses qui ont été faites pour soutenir l’attitude prise, ces dépenses, messieurs, ne sont pas aussi considérables qu’on se l’imagine ; M. le ministre de la guerre pourra faire connaître, lors de la discussion de son budget, qu’elles sont loin d’être ce qu’elles ont généralement paru.

En ce qui concerne l’ébranlement du crédit, la crise financière et industrielle, cet événement, messieurs, était déjà prévu avant l’adhésion du roi Guillaume au traité des 24 articles. Chacun voyait avec inquiétude l’extension énorme donnée à certaines entreprises ; chacun prévoyait dès lors que toutes ne pourraient pas être menées à bonne fin, qu’une crise serait nécessaire pour ramener les choses à leur niveau naturel. D’ailleurs, veuillez remarquer, messieurs, que d’autres pays où il n’y a pas ces embarras politiques ont également ressenti la crise. Y a-t-il un pays qui en ait été de plus fortement affecté que l’Amérique ? Cependant elle était parfaitement tranquille sous le rapport politique.

En Angleterre, la crise s’est également fait sentir d’une manière très fâcheuse ; elle s’est aussi fait sentir en France ; cependant dans ce pays-là on ne peut pas non plus l’attribuer aux événements politiques.

La crise, messieurs, vient de l’organisation actuelle de l’industrie, de la trop grande facilité des moyens de production. Non seulement on se fait concurrence d’état à état, mais dans chaque pays la concurrence est telle qu’il est impossible qu’au bout de quelques années, il n’y ait point encombrement, lorsqu’il y a eu un moment où un article semblait offrit des avantages notables à la spéculation.

On a regretté, que le ministère des affaires étrangères ne fût pas encore nommé, parce que l’on désirait savoir à qui l’on accorde des fonds. Remarquez, messieurs, que l’on se trouve ici dans un cas exceptionnel ; il ne s’agit pas d’un ministère vacant, auquel il manque un titulaire, il s’agit d’un ministère à créer, et il faut qu’il soit créé avant qu’il puisse être question de nommer le titulaire. Il eût été en quelque sorte inconvenant de procéder à la nomination du ministre avant qu’il n’y eût des fonds au budget pour le département à la tête duquel il doit se trouver.

Nous pourrions, messieurs, nous dispenser de répondre à ce qui a été dit de la position que doit tenir le ministre des affaires étrangères dans le cabinet ; cependant nous ferons remarquer qu’en Angleterre où le gouvernement constitutionnel est parfaitement organisé, le ministre des affaires étrangères n’est jamais président du conseil.

On s’est demandé, messieurs, pourquoi le gouvernement accrédite auprès de certaines cours des ministres plénipotentiaires plutôt que des chargés d’affaires. Je répondrai en premier lieu qu’il est tel homme pouvant rendre d’importants services au pays, qui veut bien accepter la position de ministre plénipotentiaire et qui n’accepterait point celle de chargé d’affaires ; en second lieu, il est connu qu’en diplomatie plus le rang de l’envoyé est élevé, plus celui-ci a d’influence à la cour auprès de laquelle il est accrédité. Après cela, il peut se rencontrer tel cas spécial où un chargé d’affaires soit tellement bien vu, où il ait tant de talent qu’il puisse rendre autant de services qu’un ministre plénipotentiaire pourrait en rendre, nous ne contestons nullement la possibilité d’un cas semblable ; mais ce serait là une exception, et nous parlons ici d’après les règles générales.

En ce qui concerne les consuls, je dirai d’abord que l’honorable député a eu raison de dire qu’il y a eu erreur de la part de M. le rapporteur de la section centrale, lorsqu’il a présenté comme en vigueur un projet de loi soumis à la chambre et qui a pour objet de fixer le tarif ; mais il y a un autre tarif en vigueur et que l’on suit, c’est celui du royaume des Pays-Bas. Du reste, cela ne change absolument rien à l’utilité de rétribuer certains consuls ; cette utilité résulte de ce que, dans les parages où nous envoyons des consuls rétribués, nous n’avons pas assez de commerce pour que des étrangers auxquels nous voudrions attribuer les fonctions de consuls puissent percevoir des rétributions telles qu’ils voulussent accepter ces fonctions.

D’ailleurs, messieurs, il est utile d’envoyer des Belges dans des contrées lointaines pour recueillir avec plus de certitude des renseignements, pour y faire connaître les produits de l’industrie belge. Ce crédit au surplus n’est pas nouveau ; le chiffre est fixé au budget de 1837 ; il n’a pas varié depuis.

Ce n’est donc qu’une pensée d’utilité commerciale qui a guidé le gouvernement et les chambres, et nullement une considération de l’influence qui pourrait résulter de certaines nominations. Cette considération serait d’ailleurs très mal fondée ; car il est évident que s’il peut résulter une certaine influence d’une nomination, d’autre part il en résulte peut-être beaucoup plus de désagrément pour le ministre qui est chargé de proposer le titulaire au choix du Roi, car, pour un content, il est certain de faire dix ou peut-être cent mécontents.

Je ne répondrai pas, messieurs, au discours du député de Dinant, qui a bien moins roulé sur le budget des affaires étrangères que sur des affaires qui nous sont en grande partie étrangères.

Nous en revenons, messieurs, aux interpellations faites par M. de Brouckere et appuyées par M. Dumortier. Je crois, messieurs, avoir répondu avec toute la convenance possible et n’avoir montré en aucune manière de l’indifférence, mais une certaine réserve, une certaine prudence qui est dans l’intérêt même des personnes en faveur desquelles on réclame. Il n’entre d’ailleurs jamais dans mes habitudes ni dans ma manière de voir, de m’écarter des convenances, surtout à l’égard de personnes malheureuses.

En ce qui concerne le dépôt sur le bureau de pièces relatives à la négociation, je crois que cette demande est, dans tous les cas, prématurée, alors que plusieurs questions délicates sont encore pendantes au sein des commission. D’ailleurs, messieurs, voici ce que porte l’article 68 de la constitution :

« Le Roi fait les traités de paix, d’alliance et de commerce, il en donne connaissance aux chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’état le permettent, en y joignant les communications convenables. »

Ainsi, messieurs, aux termes mêmes de la constitution, le gouvernement est laissé juge de l’opportunité de faire ces sortes de communications et de la convenance qu’il y a d’y donner plus ou moins d’extension.

M. Delehaye – Messieurs, les nombreux griefs dont les Flandres en général, et la ville de Gand en particulier, ont à se plaindre, me forcent d’adresser à M. le ministre des relations extérieures une interpellation ; mais avant qu’il me soit permis de répondre quelques mots à une erreur, qui s’est glissée dans le discours de M. le ministre des affaires étrangères.

« La crise financière, a-t-il dit, ne s’est pas seulement fait sentir en Belgique, elle s’est aussi fait sentir dans tous les pays voisins. La crise, a-t-il ajouté, doit être attribuée à l’extension du commerce, à l’extension de l’industrie. » Je suis réellement étonné, messieurs, qu’une pareille parole se trouve dans la bouche d’un ministre, surtout lorsque ce ministre a dans ses attributions, comme ministre de l’intérieur, le commerce et l’industrie.

M. le ministre doit savoir que le commerce, bien loin de s’être étendu, s’est au contraire considérablement restreint ; M. le ministre doit savoir que le nombre des fabriques et surtout des fabriques de Gand, loin d’avoir augmenté, a diminué. M. le ministre doit encore savoir que deux des principales fabriques de gans sont dans une stagnation complète. Ce sont là de ces assertions qu’on avance bien régulièrement devant la représentation nationale, et il faut convenir que c’est nous croire bien incapable de répondre ou croire la nation bien niaise, que de supposer qu’elle se contentera de pareilles allégations pour s’endormir sur la crise dans laquelle elle se trouve.

Messieurs, j’en viens actuellement à l’interpellation que je me proposais de faire ; l’expérience nous a prouvé que, toutes les fois qu’une nouvelle était annoncée, et que cette nouvelle concernait la ville de Gand, il y avait cent à parier contre un que, si elle était mauvaise, elle se réaliserait.

Depuis trois mois, tous les journaux de Gand ont annoncé que la commission chargée de régler la navigation sur l’Escaut et sur le canal de Terneuzen, avait émis l’avis que la navigation sur le canal de Terneuzen était frappée d’un droit plus élevé que celui qui a été déterminé par l’article 9 du traité de paix avec la Hollande. Vous concevez, messieurs, que si ce fait était vrai, il en résulterait pour le commerce de Gand une perte immense. Vous concevez encore que si ce fait était vrai, ce serait indubitablement une interprétation erronée donné à l’article 9 du traité, interpellation qui, d’ailleurs, ne pourrait être favorable qu’à la ville d’Anvers.

Messieurs, il est étrange, lorsque tous les journaux de la même ville ont avancé un fait aussi important, que jamais aucune feuille du gouvernement n’ait cherché à démentir ou à expliquer ce fait. Et l’on conçoit pourtant que dans une ville où l’on a tant de motifs d’être hostile au gouvernement, il est du devoir du gouvernement de réfuter une pareille assertion. Cependant rien n’a été fait jusqu’ici.

J’adressera au ministre une seconde interpellation.

Les journaux ont encore annoncé un naufrage qui a eu lieu récemment. A bord du navire naufragé étaient une douzaine de belges ; ces Belges, d’après les journaux, se sont présentés, exténués de fatigue et de misère, chez le consul belge, à Marseille, qui les auraient accueillis avec le plus froid dédain ; on les aurait en quelque sorte mis à la porte. Je ne vous dirai pas quel sentiment m’a inspiré une pareille révélation ; je me suis figuré que les rapports de ces journaux étaient faux, et je serai heureux d’appendre que ces assertions sont réellement inexactes.

Je pris M. le ministre des affaires étrangères de me répondre sur les deux faits que je viens de signaler.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, en ce qui concerne le naufrage d’un navire aux environs de Marseille, et le mauvais accueil qui aurait été fait par notre consul aux naufragés, il m’est tout à fait impossible de répondre ; je ne sais ce qui en est, mais j’ai peine à croire que le fait soit vrai.

Quoi qu’il en soit, il m’a suffi que le fait ait été signalé, pour que j’en écrit sur-le-champ à notre consul à Marseille, et pour lui demander des explications positives sur ce qui s’est réellement passé.

En ce qui concerne les droits qui seraient encore réclamés par les commissaires néerlandais sur le canal de Terneuzen, je dois me borner à répondre que nos commissaires s’opposent à ces réclamations et soutiennent que, conformément aux explications données dans cette chambre par M. le ministre des travaux publics, elles ne sont pas fondées.

L’on a, messieurs, donné une trop grande portée à mes paroles, lorsqu’on a dit que j’avais affirmé que la crise de Gand était due exclusivement à l’extension de la fabrique de cette ville. J’ai parlé de l’industrie en général, et non pas spécialement de l’industrie cotonnière ; mais, messieurs, il n’en est pas moins vrai que si, d’une part, l’usage des cotons a diminué à l’époque actuelle, d’autre part, il y a eu un surcroît de produits dans la plupart des pays, en même temps que la matière première a augmenté considérablement de prix, et de là vient qu’il y a une crise particulière à l’industrie cotonnière en Angleterre, en France et même en Suisse.

Du reste, messieurs, l’honorable préopinant a grand tort de supposer au gouvernement du Roi un sentiment d’hostilité contre la ville ou la population de Gand. Il n’en est rien. Cette supposition est purement gratuite. Le gouvernement n’a négligé et ne négligera aucune occasion pour faire ce qui sera en son pouvoir, pour la prospérité de cette ville, pour le bien-être de ses habitants, tout comme il le fera à l’égard des habitants des autres parties du pays.

J’adjure l’honorable préopinant d’imiter le sentiment de paix et de concorde que le gouvernement manifeste, et de ne pas entretenir des passions locales qui sont contraires aux vrais intérêts du pays.

M. Delehaye – Messieurs, si je comprends bien le ministre, il me suppose le désir de fomenter des passions dans la ville de Gand. Si le ministère était animé de sentiments de paix et de concorde, comme je le suis, il y a longtemps que Gand serait une des villes les plus attachées au gouvernement actuel ; mais, je dois le dire et je ne cesserai de le dire dans cette enceinte, aussi longtemps que le ministère traitera Gand comme il l’a fait jusqu’ici, aussi longtemps qu’il sera lui-même la pierre d’achoppement, il n’y aura ni concorde, ni union.

Lisez, messieurs, les journaux ministériels. Il n’y a pas un seul de leurs numéros qui ne contiennent quelque attaque contre la ville de Gand. Lisez tout ce qui sort des bureaux de ces journaux, et vous verrez que tous les jours on renouvelle les attaques contre l’un ou l’autre des fonctionnaires de cette ville, pourvu que ce ne soit pas des fonctionnaires du gouvernement. Pas plus tard que ce matin, un de ces journaux s’est permis une nouvelle attaque contre Gand. Je dois le dire, tout est fait pour que la paix ne revienne jamais à Gand.

M. Van Hoobrouck de Fiennes, rapporteur – Mon intention n’est pas de prendre part à la discussion générale. J’ai cru cependant devoir m’expliquer sur une erreur qui s’est glissée dans mon rapport, relativement au projet de loi sur les consuls.

Plusieurs de vos sections avaient demandé sur quel pied étaient rétribués nos consuls dans les différentes localités. La section centrale a demandé ce renseignement au ministre, et le ministre lui a envoyé le projet de loi que la section centrale a joint à son rapport. S’il y a eu erreur, elle a été involontaire de la part de la section centrale ; j’ai cru que c’était réellement une loi, puisqu’elle en avait toutes les formes. L’erreur, du reste, est de très peu d’importance, j’ai cru cependant devoir la relever pour qu’on ne la mît pas sur le compte de la section centrale.

J’ai maintenant un mot à dire sur un des incidents qui ont été soulevés par l’honorable M. Delehaye. J’avais aussi l’intention d’adresser une interpellation à M. le ministre des affaires étrangères, relativement au vaisseau Le Janus, qui s’est perdu dans les eaux de Marseille. Cette question me paraissait d’une haute importance, et comme le fait n’était parvenu à ma connaissance que par la voie des journaux, j’aurais désiré avoir une explication mais aujourd’hui il m’est tombé par hasard sous la main un journal d’Anvers, qui donne de cette affaire une explication différente de celle donnée par d’autres journaux. Il est vrai que c’est un article de journal, et je vous avoue que je ne veux pas attacher à la réfutation du fait plus d’importance que je ne veux en mettre à la première version donnée par d’autres journaux.

Quoi qu’il en soit, d’après les explications du Journal d’Anvers, le vaisseau Le Janus n’appartiendrait pas à la Belgique, mais à l’Oldenbourg, et naviguait sous pavillon oldenbourgeois. Le patron du navire français qui a recueilli les Belges, les aurait transportés à Marseille, où ils se seraient adressés au consul belge. Ce fonctionnaire aurait cherché et serait parvenu, en effet, à les placer.

Je ne regarde pas cette explication comme authentique. Les faits n’étant venus à notre connaissance que par la voie des journaux, nous ne pouvons qu’attendre les explications que le ministère nous donnera, quand il aura pris des renseignements ; mais il est très bon que cette question ait été soulevée, j’en rend grâces à M. Delehaye ; le commerce pouvait être inquiet ; il fait pour sa sécurité prévenir le retour de pareils faits, s’ils pouvaient avoir lieu.

M. F. de Mérode – Messieurs, un des honorables préopinants a dit que le gouvernement opprimait la ville de Gand. Mais je voudrais bien savoir ce que le gouvernement a fait contre cette ville. Car, pour mon compte, si je connaissais quelque chose de semblable, je me mettrais en opposition formelle avec le gouvernement. Pendant tout le temps que j’ai appartenu au ministère, il ne s’est rien fait contre la ville de Gand. Il est très vrai que dans cette ville il y a un certain nombre de brouillons qui cherchent à la séparer complètement de la Belgique. Que l’honorable préopinant auquel je fais allusion, veuille bien s’expliquer sur l’oppression exercée contre la ville de Gand.

M. Delehaye – Messieurs, chaque fois que j’ai pris la parole dans cette enceinte, j’ai eu soin de faire connaître les griefs que la ville de Gand avait à reprocher au gouvernement. Je vous ai dit que le gouvernement régnait à Gand par la corruption. Je vous ai dit que le gouvernement, après être venu au secours d’autres industries, avait laissé celle de Gand dans l’abandon. Je vous ai dit que le gouvernement avait froissé l’opinion publique à Gand. Je vous ai dit que contre tout idée de justice le gouvernement avait fait des visites domiciliaires, je vous ai dit que le gouvernement avait ordonné des poursuites contre des individu pour délit de presse. Je me proposais de revenir sur ces deux derniers points, lors du budget du ministère de la justice, mais puisqu’on m’a mis en demeure d’indiquer les griefs que la ville de Gand a à reprocher au gouvernement j’ai cru devoir en faire mention en ce moment, et je crois que l’honorable préopinant ne sera plus embarrassé à trouver les griefs que la ville de Gand a à articuler contre le gouvernement.

Au reste, je suis heureux de saisir cette occasion de témoigner toute ma reconnaissance à l’honorable M. de Mérode pour les beaux sentiments qu’il vient de professer ; car j’ai l’intime conviction que, lorsqu’il sera pénétré de la vérité de ce que j’avance, il se joindra à moi pour repousser la politique qui dirige le gouvernement à l’égard de la ville de Gand.

M. F. de Mérode – Messieurs, je viens d’entendre énumérer une longue liste de griefs que la ville de Gand aurait contre le gouvernement. Ce ne sont là que des allégations qui ne sont étayées sur aucune preuve. On a parlé de visites domiciliaires ; mais, messieurs, il y a tels individus qui conspirent à Gand depuis la révolution, et qui, à cet égard, jouissent d’une liberté qui est vraiment incompréhensible dans un pays où l’on veut un ordre quelconque.

On parle de poursuites pour délit de presse. Mais qu’on lise certains journaux qui s’impriment à Gand, et vous verrez quel langage ces journaux tiennent. Les visites domiciliaires dont on fait tant de bruit, ont été exercées avec tant de ménagement que je ne comprends pas qu’on puisse les reprocher au gouvernement.

Mais je l’attaquerai plutôt à raison de la négligence qu’il pourrait mettre dans ces poursuites, si elles devaient amener un résultat. Dans l’ordre de choses établi par la constitution, sans que le congrès l’ait entendu ainsi, il est impossible d’obtenir justice pour la sécurité sociale.

Quant à moi, quand il s’est agi des intérêts des industriels de la ville de Gand, j’ai voté pour l’estampille et pour toutes le protections imaginables. Je ne sais pas ce qu’on pourrait faire de plus. Je crois que, quand on voterait toutes les mesures qu’on nous demande, les brouillons qui sont à Gand continueraient à faire ce qu’ils ont fait jusqu’ici.

M. de Brouckere – Je viens d’entendre le ministre faire appel à des sentiments de concorde et d’union ; et voilà un honorable membre qui qualifie de « brouillons » des citoyens de Gand. Est-ce ainsi que vous arriverez à établir la concorde ? N’est-ce pas vous qui venez prêcher la désunion ?

Maintenant je viens d’entendre le comte F. de Mérode dire que, dans l’état actuel de nos lois, et surtout avec les dispositions de la constitution, il n’y a pas moyen d’obtenir justice. Je n’ai pas compris. Je voudrais savoir de quoi il se plaint, et comment il se fait qu’on ne peut pas obtenir justice. Je crois que c’est à l’institution du jury qu’il a voulu faire allusion ; je ferai remarquer que, dans les affaires dont on a parlé, le jury n’a pas été appelé à prendre de décision. C’est le tribunal de première instance, et en second lieu la cour d’appel, qui ont eu à connaître de ces affaires ; le jury n’a pas eu à se prononcer ; les observations de l’honorable membre portent donc à faux.

Ce n’est pas seulement à Gand qu’il y a eu des visites domiciliaires. Il y en a eu à Anvers, il y en a eu à Tournay ; et ce qu’il y a de plus remarquable, il y en a eu à Bruxelles, non seulement chez un ancien fonctionnaire de l’ordre le plus élevé, mais encore chez une femme septuagénaire qui ne s’était jamais occupée de politique.

M. de Meer de Moorsel – Le grand malheur !

M. de Brouckere – Ce n’était pas ici le moment de soulever ce débat ; mais lors de la discussion du budget de la justice, j’interpellerai le gouvernement sur les motifs qui l’ont déterminé à ordonner ces visites domiciliaires. J’en avait déjà parlé dans la discussion générale de tous les budgets ; le ministre de l’intérieur m’a répondu alors que le moment n’était pas venu de donner des explications ; je n’en avais pas même demandé ; il fallait laisser la justice suivre son cours ; mais une fois qu’elle a prononcé, nous avons le droit de demander au gouvernement compte des mesures qu’il a ordonnées, je le demanderai.

M. F. de Mérode – Je demande la parole pour un fait personnel. A entendre l’honorable préopinant j’aurais parlé de la ville de Gand comme d’un pays de « brouillons ». je n’ai pas dit cela ; j’ai dit qu’il y avait des « brouillons » à Gand, et je ne suis pas le seul : des journaux raisonnables qui s’impriment en Hollande ont stigmatisé la conduite de ceux dont j’ai parlé, et leur ont donné la même qualification que moi. Ce que les journaux hollandais ont dit, je puis l’exprimer à plus forte raison dans l’intérêt du pays par lequel je siège dans cette enceinte.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – C’est sans doute une singulière prétention que de soutenir que la ville de Gand est opprimée.

M. Delehaye, se levant – Oui, oui, elle l’est.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – C’est contre cette assertion que le ministère s’élèvera toujours ; en s’élevant contre cette assertion, il obtiendra la sympathie de la chambre.

Un grand nombre de voix – Oui ! oui !

M. Delehaye – Il n’obtiendra pas la sympathie des Gantois !

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je répète que la ville de Gand n’est pas opprimée. Non, la ville de Gand n’est pas opprimée ; cette opinion nous ne la laisserons pas s’accréditer. La ville de Gand est libre comme toutes les autres villes du royaume ; elle jouit des constitutions que la Belgique s’est données. Mais des hommes à Gand ont abusé de ces institutions, ont voulu les fausser ; ces mêmes hommes qui protestaient contre l’ordre nouveau que nous avons fondé, ces hommes ont constamment joui de tous les avantages de cet ordre nouveau. Je ne veux ni pour l’honneur du gouvernement, ni pour l’honneur de la législature dont je fais partie depuis neuf ans, ni pour l’honneur de la Belgique indépendante, que l’opinion s’accrédite que la ville de Gand, que la population de Gand est opprimée. (Réclamations de la part de MM. Delehaye et Verhaegen).

Non, elle ne l’est point. Nous protestons contre cette assertion.

Si on peut accuser le gouvernement d’une chose, c’est de sa trop grande longanimité ; mais cette longanimité elle-même était peut-être un effet de la force de nos institutions nouvelles ; c’était un effet du sentiment même de notre nationalité. Cette longanimité devait cesser surtout après l’abdication du roi Guillaume. Des hommes ont prétendu protester contre l’abdication de notre ancien maître. Le gouvernement ne pouvait plus rester impassible ; il ne pouvait pas souffrir que l’opinion s’accréditât à l’étranger, que la Belgique, reconnue par tout le monde, reconnue par son ancien maître, renfermait dans son sein une faction qui à la prétention de se perpétuer, qui soutient qu’il n’y a rien de fait, que tout est non avenu, que la Belgique n’a pas le droit d’être nation. C’est ce que le gouvernement n’a pas voulu accepter ; c’est ce que vous ne voudrez pas accepter non plus. (Adhésion générale.)

M. Verhaegen – Nous venons d’entendre les reproches adressés au gouvernement et les réponses qu’il y a faites ; il nous est permis à nous, qui sommes étrangers à la ville de Gand, de demander au gouvernement ce qu’il appelle « sa longanimité. »

Il ne faut pas que le gouvernement, dans des circonstances graves telles que celles qui ont été signalées, ait de la longanimité, il faut dans l’intérêt du pays que le gouvernement remplisse son devoir et qu’il le remplisse sans réserve et sans crainte ; quand il y a des conspirateurs, il doit les poursuivre, il doit tâcher de les atteindre, mais aussi il doit être juste, et juste avant tout.

Loin de blâmer le gouvernement d’exercer des poursuites contre les fauteurs de troubles, nous sommes les premiers à dire qu’il doit le faire. Mais de ce que les poursuites doivent avoir lieu quand les circonstances le commandent, ce n’est pas à dire pour cela qu’à tort et à travers on pourra, en supposant des complots qui ne sont qu’imaginaires, exercer des poursuites, faire des visites domiciliaires, lancer des mandats d’amener et de dépôt, ce n’est pas à dire surtout qu’on pourra, après l’instruction entièrement achevée, signaler un individu comme un brouillon, comme un coupable alors que la justice a prononcé à son égard et l’a déclaré à l’unanimité non coupable. J’entends parler de celui auquel on a maladroitement fait allusion, de M. Metdepenningen, car c’est lui qu’on a voulu signaler comme un brouillon, comme un conspirateur et que la justice a cependant déclaré solennellement non coupable.

Qu’est-il résulté de ces poursuites ? Que le ministère, par son imprudente conduite, a préparé une ovation aux ennemis de la révolution, et qu’avec raison on a protesté contre sa conduite ; voilà comment on donne matière à des attaques avec cette prétendue longanimité d’abord, avec cette téméraire accusation ensuite, dont j’ai voulu vous faire apprécier la portée ; et qu’on le sache bien, il n’appartient pas plus aux ministres, dans cette enceinte, qu’à tout autre d’articuler contre un individu des faits qui doivent le rendre odieux à ses concitoyens, alors que la justice a prononcé et proclamé sa non participation au fait qu’on imputait à crime.

Je dois le dire, quelles que soient les insinuations qui ont été faites, les accusés se sont entièrement disculpés, et quand, dans une poursuite ordonnée par le ministre, un accusé sort blanc comme neige, c’est un mal pour la chose publique.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il ne reste plus à l’honorable membre, pour compléter cet éloge, qu’à ajouter qu’il a été constaté, par les derniers actes, que la personne qu’il a nommée, que je n’avais pas nommée et que je ne veux pas nommer, est le plus zélé partisan de l’indépendance et de la nationalité belge.

L’honorable préopinant a demandé ce que c’est que la longanimité. Lorsque, depuis 7 ans, le chef de l’état est impunément insulté tous les jours…

M. Verhaegen – Je demande la parole.

Un grand nombre des membres – C’est vrai ! c’est vrai !

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Lorsque tous les jours, la nationalité belge est bafouée dans un journal, lorsque ce journal qui a pour mission d’insulter tout ce que la révolution a produit, nationalité et dynastie, quand ce journal, chargé de nous rendre méprisables et au dehors, est distribué gratuitement et à profusion à l’étranger, adressé à la plupart des légations, souffrir tout cela, le souffrir patiemment pendant sept ans, c’est de la longanimité. Je ne dis pas qu’on ait mal fait de le tolérer, mais il m’appartient de dire que c’est de la longanimité. D’ailleurs ceux qui trouvent qu’on a mal fait, useront sans doute de leur droit de députés, et proposeront des mesures propres à mettre fin à ce scandale.

Il fallait essayer des moyens que nous avons, car rester dans l’inaction plus longtemps après que la Belgique a été reconnue par l’Europe, après l’abdication de notre ancien maître, je dis que c’eût été pousser la longanimité trop loin.

Si la personne qu’on a nommée, et que je ne sais comment désigner ; car je ne puis l’appeler citoyen belge, d’après ses opinions connues, si cette personne, dis-je, a échappé aux poursuites, en résulte-t-il qu’elle n’ait pas été, qu’elle ait cessé d’être en hostilité avec tout ce qui constitue la nationalité belge ? A-t-elle cessé pour cela d’être le représentant de ce que j’appelle non pas une opinion, mais une faction ? Il faut avoir le courage de le dire ; je le dirai : Cet homme a pu échapper à l’application de toute disposition pénale ; mais il n’a pas cessé d’être l’agent d’une faction étrangère au sein du pays, l’intermédiaire, non avoué sans doute, du gouvernement que nous avons détruit.

Dans ce que j’ai dit, il n’y a rien qui porte atteinte à l’honneur privé de cette personne ; il ne s’agit que d’une conduite politique, d’une attitude qu’elle a prise, attitude qu’elle n’a pas désavouée et qu’elle ne désavouera pas.

M. Verhaegen – Nous en sommes maintenant à faire la guerre aux opinions… (Dénégations dans une grande partie de l’assemblée.)

Plusieurs membres – Non pas aux opinions, mais à l’anarchie.

M. Manilius – Mais laissez donc parler l’orateur à son tour.

M. le président – La parole est maintenant à M. Verhaegen.

M. Verhaegen – Oui, on fait la guerre aux opinions…

M. F. de Mérode (à M. Verhaegen) – C’est vous qui avez cité des noms propres.

M. Verhaegen – Oui, parce que j’aime mieux des noms propres que des insinuations.

J’ai dit et je répète que l’on fait la guerre aux opinions. On ne comprend plus le système constitutionnel, puisqu’on prend des mesures préventives à l’égard des citoyens à raison de leurs opinions. Chacun est libre de penser comme il le veut ; tant que la pensée n’est pas traduite en faits répréhensibles, vous n’avez rien à dire.

Vous vous êtes occupés d’individus que vous avez signalés, du reste, sans les nommer. Il m’importait de provoquer de votre part des explications ; c’est pour cela que j’ai cité un nom propre : si je ne l’avais pas fait, je le ferais encore. Et vous venez dire que vous n’attaquez l’honneur de personne ! Comment, vous présentez un homme comme ennemi de son pays, comme cherchant à bouleverser ses institutions, alors qu’il a prêté serment de fidélité au Roi, et vous prétendez que vous ne portez pas atteinte à son honneur ! je demande des explications, et vous dites que, depuis sept années, vous avez eu à supporter des injures adressées au chef de l’état et des attaques dirigées contre la nationalité belge. Pourquoi donc ne les avez-vous pas empêchées ? Vous pouviez demander la réparation devant les tribunaux, poursuivre les coupables. Si vous avez laissé insulter le chef de l’état, et si vous avez souffert qu’on attaquât la nationalité belge, c’est à vous que vous devez vous en prendre, nous n’avons pas à mettre à votre disposition d’autres mesures que celles autorisées par la loi.

Mais lorsqu’il y a eu une ordonnance d’acquittement, lorsque la chambre des mises en accusation a confirmé cet acquittement, c’est une inconvenance des plus fortes que de venir dire en face de la nation et dans le sein de la représentation nationale, que l’individu acquitté n’en est pas moins coupable.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Ce n’est pas là ce qu’on a dit.

M. Verhaegen – La Belgique jugera.

Plusieurs membres – Oui ! oui !

Un grand nombre de membres – L’ordre du jour !

M. Dumortier – Je partage pleinement l’avis de M. le ministre des travaux publics lorsqu’il vient élever la voix pour flétrir (et il a bien fait) les attaques dirigées contre le chef de l’état, les injures prodiguées chaque jour au roi que la Belgique s’est donné, ainsi qu’à notre auguste reine. Les personnes du Roi et de la Reine doivent être sacrées pour tous et en dehors de tous les débats. Chaque jour nous-mêmes donnons l’exemple de notre respect pour le Roi en ne faisant jamais intervenir son nom dans nos discussions. Il doit en être de même pour la presse ; et lorsque nous voyons les journaux de certaine ville diriger des injures infâmes contre le Roi, contre tout ce que la Belgique renferme de plus sacré, nous manquerions à notre devoir si nous ne nous levions pas pour flétrir une telle conduite.

Je partage encore l’opinion de M. le ministre des travaux publics lorsqu’il flétrit le langage anarchique de certains journaux qui prêchent le désordre et le renversement de l’ordre constitutionnel. Moi qui veut que la Belgique soit libre et indépendante, je n’admets pas que le gouvernement puisse laisser mettre en question la nationalité belge, au sein même du pays.

Je sais que la constitution garantit à chacun la liberté des ses opinions aussi longtemps que ces opinions ne se traduisent pas en actes répréhensibles. Mais il ne s’agit plus d’opinions, il s’agit bien d’actes répréhensibles alors que des hommes soudoyés appellent de leurs cris une restauration désormais impossible, protestent contre une reconnaissance émanée du roi Guillaume lui-même, provoquent à la sédition et à l’émeute, menacent l’ordre public et travaillent au renversement de la dynastie et de la constitution. Je suis donc tout à fait ici de l’opinion du gouvernement ; et je ne puis désapprouver sa conduite. Mais je pense, avec l’honorable M. Delehaye, que la conduite maladroite du gouvernement est pour beaucoup dans les dispositions de la ville de Gand et dans les manœuvres du parti antinational. Le gouvernement prétend flétrir et arrêter les conspirateur, et d’un autre côté il les encourage. Oui, il les encourage, car n’était-ce pas relever les espérances des partisans d’une restauration lorsqu’il replaçait dans les rangs de l’armée des gens qui avaient conspiré contre la révolution et qui avaient été proclamés par la justice traîtres à la patrie. Un gouvernement qui se serait respecté n’aurait pas pris de telles mesures et ces mesures devaient amener nécessairement le désordre et l’anarchie.

Voulez-vous amener la paix et l’ordre dans le pays ? montrer-vous digne dans vos relations à l’étranger ; ne vous traînez pas terre à terre devant les diplomaties étrangères, et songez que la Belgique indépendante peut être de quelque poids dans la balance des intérêts européens. Voulez-vous ramener l’ordre et l’harmonie dans le pays ? monter-vous juste à l’intérieur ; ne vous laissez pas aller à des actes de basse vengeance et surtout ne sacrifiez pas les intérêts belges à ceux de l’étranger, comme cela est arrivé dans toutes les circonstances, et surtout dans la concession de certain canal qui a blessé au vif l’intérêt des Flandres. Voulez-vous ramener l’harmonie dans le pays ? ayez une politique nationale qui puisse être avouée de tous les citoyens ? Alors les partis disparaîtront bientôt, alors l’ordre et la tranquillité règneront parmi nous, mais pour cela il faut une politique opposée à celle du ministère actuel, qui jamais n’a été conforme ni à la dignité ni aux intérêts du pays.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Nous avons vu avec plaisir l’honorable préopinant s’associer à nos protestations contre les attaques dont la personne du Roi et la nationalité belge ont été l’objet ; mais nous devons nous séparer de lui lorsqu’il nous accuse d’avoir sacrifié les intérêts du pays dans des circonstances où nous les avons véritablement servis.

Déjà mon honorable collègue le ministre des travaux publics a appelé la discussion sur le canal de l’Espierre. Quant à moi dans la discussion du budget des voies et moyens, j’ai émis l’opinion que j’avais adoptée, dès 1832, sur l’utilité de ce canal.

En ce qui concerne le général Vandersmissen, nous acceptons également la discussion sur l’arrêté pris à la suite d’une délibération du conseil des ministres, car ici M. le ministre de la guerre n’est pas seul en cause, c’est le ministère entier qui soutiendra la légalité, la constitutionnalité et la nécessité de l’arrêté qui a placé le général en non activité ; c’est la position la moins favorable qui lui a été assignée ; s’il avait été au pouvoir du gouvernement de lui ôter cette position, il l’aurait fait.

Nous entrerons dans des détails lors de la discussion du budget de la guerre, parce que nous avons que cette question doit être alors soulevée.

M. Pirson – Ce n’est pas pour raviver le feu de la discussion que je demande la parole.

Plusieurs membres – La clôture !

M. Pirson – Oui, je crois que nous ferons bien de terminer cette discussion ; je veux seulement faire à M. le ministre des travaux publics une petite observation. Il a parlé de longanimité, il a eu tort d’employer cette expression ; s’il en avait employé une autre, il aurait eu l’assentiment de la chambre et de la Belgique. Ce n’est pas seulement à Gand qu’il y a des mauvais journaux, il y en a à peu près partout (on rit) ; bornons-nous à les mépriser, ce sera une belle protestation contre les mesures prises ailleurs contre la liberté de la presse. La liberté de la presse est une chose précieuse, mais elle a ses abus : ce sont ces abus qu’il est, pour ainsi dire, impossible de réprimer sans attaquer cette précieuse liberté. Au reste, ce n’est pas le moment de dire là-dessus le fond de mon opinion, je veux seulement dire que si M. le ministre des travaux publics, au lieu de longanimité avait dit mépris, il aurait bien fait. (Adhésion.)

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.

La séance est levée à 4 heures ½.