Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 22 février 1840

(Moniteur belge n°54 du 23 février 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune fait l’appel nominal à une heure.

M. Mast de Vries lit le procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est adoptée.

M. Lejeune présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur F. Gaulin, horloger à Ath, né à Dijon (France), demanden la naturalisation. »

« Le sieur Joseph Cordier, négociant à Mons, né Français, demande la naturalisation. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à M. le ministre de la justice.


« Six miliciens de la commune de Hemixen (Anvers) adressent des observations contre le projet relatif à la durée du service dans la milice. »

- Renvoyé à la section centrale du budget de la guerre chargée d’examiner le projet dont il s’agit dans la pétition.


« Les administrateurs-gérants des hauts fourneaux et usines de l’arrondissement de Charleroy appellent l’attention de la chambre sur la pénible situation de l’industrie du fer et demandent l’exécution de la double voie continue du chemin de fer. »

« Des habitants des communes de Deerlyk, Westerloo, Nieuw-cappelle, Moorseele, Welden, Wervicq, Waereghem, Deurne et Austruweel demandent le rétablissement de la langue flamande dans certaines provinces pour les affaires de la commune et de la province.

- Ces deux requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.

Composition des bureaux de section

Première section : Président : Angillis, Vice-président : de Behr ; Secrétaire : Lys ; Rapporteur de pétitions : Raymaeckers.

Deuxième section : Président : Dubus (aîné) ; Vice-président : Liedts ; Secrétaire : Mast de Vries ; Rapporteur de pétitions : Peeters.

Troisième section : Président : Vanderbelen ; Vice-président : Dumortier ; Secrétaire : d’Hoffschmidt ; Rapporteur de pétitions : Maertens.

Quatrième section : Président : Coppieters ; Vice-président : Wallaert ; Secrétaire : Van Cutsem ; Rapporteur de pétitions : Zoude.

Cinquième section : Président : d’Huart ; Vice-président : Delehaye ; Secrétaire : Cools ; Rapporteur de pétitions : de Florisone.

Sixième section : Président : Fleussu ; Vice-président : de Terbecq ; Secrétaire : de Villegas ; Rapporteur de pétitions : Van Hoobrouck.

Projet de loi allouant un crédit comme subside pour le petit sémaire de Saint-Trond

Motion d'ordre

M Delfosse – Je crois, messieurs, devoir faire remarquer à la chambre que plusieurs de mes honorables collègues et moi, nous sommes partis hier croyant que la séance était levée. Chacun sait d’ailleurs que j’aurais voté contre le projet de loi dont il s’agissait.

M. Jadot – Je suis dans le même cas que l’honorable membre et je voudrais que le procès-verbal mentionnât, que nous avons quitté la séance d’hier parce que nous la croyions levée.

M. Delehaye – Je dois faire la même déclaration que les honorables préopinants.

M. Raymackers – Je suis dans la même position que ces messieurs, nous sommes une douzaine.

M. de Garcia – Je suis également sorti, croyant que la séance était levée, mais si j’étais resté, j’aurais voté l’adoption du projet.

M. de Sécus – Je réclame dans le même sens que l’honorable M. de Garcia.

M. Fleussu – Je demande qu’il ne soit donné aucune suite à cette réclamation ; la chambre ne peut pas entrer dans les motifs qui ont empêché tel ou tel de ses membres d’assister à la séance.

M. le président – On ne peut pas admettre de semblables réclamations, car chacun pourrait venir rendre compte à la chambre des motifs pour lesquels il ne s’est pas trouvé à la séance. Ceux qui ont à faire des observations de cette nature devraient, ce me semble, les adresser aux journaux, mais le procès-verbal de la chambre ne peut pas s’en occuper.

M. Jadot – Je n’insiste pas.

Projet de loi qui opère un transfert au budget du département des travaux publics, exercice 1839

Discussion et vote de l'article unique

L’article unique du projet est ainsi conçu :

« Un transfert est opéré, à concurrence de deux cent vingt mille francs (220,000 francs), de l’article 1er sur l’article 2 du chapitre V du budget du département des travaux publics, exercice 1839. »

Personne ne demandant la parole, il est procédé à l’appel nominal sur le projet, qui est adopté à l’unanimité par les 51 membres présents.

Ce sont : MM. Angillis, Brabant, Cools, Coppieters, de Behr, de Florisone, de Garcia de la Vega, Delehaye, F. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Renesse, de Sécus, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubois, B. Dubus, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Hye-Hoys, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Delfosse, Liedts, Lys, Maertens, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, Sigart, Simons, Trentesaux, Ullens, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandenhove, Vandensteen, Vanderbelen, Wallaert, Zoude, Cogels et Fallon.

Proposition de loi relative au notariat

Discussion générale

La disposition proposée est ainsi conçue :

« Article unique. Les notaires qui étaient établis à la résidence de Neufchâteau le 6 juin 1839, continueront d’instrumenter dans les cantons d’Etalle, Florenville, Virton, Fauvillers, Vielsalm et Houffalize. »

M. Zoude – Messieurs, la commission chargée de l’examen de la pétition de Neufchâteau dit, dans son rapport, que si on accordait aux pétitionnaires la faculté qu’ils sollicitent, on créerait un privilège en leur faveur.

Les notaires de Neufchâteau, messieurs, ne demandent ni privilège, ni faveur ; ce qu’ils réclament, c’est la jouissance d’un droit qui leur a été conféré par la loi du 25 ventôse an XI, loi qui,, en consacrant leur inamovibilité, les a admis par son article 5 à instrumenter dans toute l’étendue du ressort du tribunal établi alors au lieu de leur résidence, et il y aurait violation de cette loi si on venait, sans une disposition législative, restreindre la mission qu’ils ont reçue pour la collation de leur emploi et le serment qu’ils ont prêté pour l’exercer, si on venait enfin porter atteinte à une faculté inhérente au titre qui leur a été conféré.

Tout ce qui peut résulter de la loi du 6 juin dernier sur l’organisation judiciaire du Luxembourg, c’est que les notaires du chef-lieu judiciaire, que vous avez établi définitivement à Arlon, et qui jusqu’alors n’étaient que notaires de canton, ont acquis le droit d’instrumenter concurremment avec ceux de Neufchâteau dans les cantons que vous avez distraits de ce dernier tribunal.

Mais si la loi de juin a ajouté aux droits des uns, elle n’a pu vouloir enlever aux autres celui qui leur avait été acquis antérieurement.

D’ailleurs, si elle avait entendu y déroger, elle l’aurait fait par un article abrogatif ; ne l’ayant pas fait, elle maintient, par son silence, ce qui existait auparavant. Quand elle y a dérogé, comme elle l’a fait en faveur des notaires de Saint-Hubert, c’est par un article exprès qui leur a conféré un droit dont ils ne jouissaient pas auparavant, celui d’instrumenter dans les cantons du ressort actuel du tribunal de Neufchâteau.

Si la loi avantage les uns, si elle est restée muette sur les autres, c’est qu’elle leur a reconnu le droit qui leur avait été conféré par la loi de ventôse, celui de pouvoir continuer d’instrumenter dans les cantons détachés, droit auquel ne participent pas les notaires de Saint-Hubert.

S’il en était autrement, la loi qui a accordé une faveur à ceux de Saint-Hubert aurait doublement maltraité ceux de Neufchâteau, d’abord en ce qu’elle aurait restreint le cercle de leurs opérations, et qu’elle aurait appelé ensuite des étrangers au partage de ce qui leur resterait.

Telle n’a pas été et telle n’a pu être l’intention de la législature.

Mais, continue le rapport de la commission, si on adoptait la prétention de ces notaires, il s’ensuivrait que ceux qui sont sur la dernière ligne subiraient une concurrence que la loi n’a pas établie.

Rendons-nous un peu compte de cette concurrence que semble amener le droit d’instrumenter ; ce droit, un notaire ne peut le posséder longtemps sans lui faire acquérir la moindre importance dans un canton, sans exercer la plus petite influence qui puisse contrarier un notaire accrédité.

Les notaires doivent d’ordinaire faire d’assez longs noviciats avant de se former une clientèle, que la confiance seule appelle ; et je ne crois pas que ceux d’Arlon, tels respectables qu’ils soient, en effet, aient porté jusqu’ici le moindre préjudice à ceux des cantons détachés, surtout que la différence de langage a établi une espèce de barrière entre eux. Je pense, au contraire, que la situation de ces notaires cantonaux est beaucoup améliorée depuis l’interruption de ceux de Neufchâteau, qui date d’assez loin, parce qu’il y a une foule d’actes dont on ne peut ajourner la confection, et tout ce que ceux de Neufchâteau ont perdu a été acquis par ceux des cantons, et certes des notaires dépossédés depuis près de huit mois ne peuvent plus espérer de récupérer tous les clients qu’ils ont dû abandonner.

On a dit encore que des receveurs de canton pourraient se plaindre si les notaires de Neufchâteau faisaient enregistrer leurs actes au bureau de leur résidence ; mais si quelqu’un a à se plaindre, c’est bien à coup sûr le receveur de Neufchâteau, qui, par la loi du 6 juin, a fait des pertes considérables ; et si parfois les notaires y feraient enregistrer les ventes immobilières qu’ils opéreraient dans les cantons détachés, ce ne serait qu’une juste mais bien faible indemnité.

La recette de Neufchâteau était, avant la loi de juin, une des plus considérables de la province, et le gouvernement ne l’accordait qu’à de longs services rendus dans l’administration ; aujourd’hui cette recette est devenue une des modiques, tandis que celles des cantons s’améliorent à son détriment.

Enfin, on a trouvé qu’il y aurait anomalie, si des notaires de plusieurs arrondissements étaient soumis à la surveillance de différents procureurs du Roi ; cette observation nous a paru juste et nous croyons avoir obvié à l’inconvénient qu’elle signale par un deuxième article ajouté à la loi.

Après avoir rencontré les objections qui ont été faites, nous produirons un nouvel argument pour démontrer que c’est avec raison que les pétitionnaires ont invoqué la loi de ventôse pour justifier leur réclamation.

Par la loi du 6 juin, vous n’avez fait que prononcer l’exécution de celle de 1828, tant de fois invoquée par les adversaires de Saint-Hubert pour justifier la suppression de son tribunal, que cette loi avait décrétée, en même temps qu’elle maintenait les deux autres tribunaux de la partie wallonne du Luxembourg.

Mais cette loi de 1828, qui devait occasionner quelque perturbation, autorisait le Roi à prendre des mesures pour faciliter la transition d’un régime à l’autre, et c’est ce qu’il a fait pour son arrêté du 8 juin 1829, dont je vais avoir l’honneur de vous donne lecture :

« Ayant pris en considération que lors de l'introduction de la loi sur l’organisation judiciaire, il convient d’établir les dispositions préalables à l’égard de la circonscription dans laquelle les notaires pourront instrumenter jusqu’à l’époque où la loi du 25 ventôse sur le notariat, actuellement en vigueur, aura été remplacée par d’autres dispositions législatives ;

« Arrête :

« Art. 2. Les notaires d’arrondissement et des cantons conserveront la faculté d’instrumenter dans les villes et communes qui font partie des arrondissements et cantons où ils exercent leurs fonctions, sans égard à la circonscription judiciaire résultant de la loi d’organisation judiciaire. »

Vous le voyez, messieurs, le roi Guillaume reconnaissait à la loi de ventôse toute sa force obligatoire ; il reconnaissait que les notaires devaient conserver le droit que la loi leur avait confié à leur avènement au notariat, celui de continuer à exercer dans les communes pour lesquelles ils avaient mission d’après la collation de leur emploi, sans égard aux modifications qu’un nouvel ordre de choses pouvait introduire par les circonscriptions judiciaires.

Si vous éprouviez encore quelqu’hésitation, je me permettrais, messieurs, d’en appeler à vos souvenirs et je vous prierais de les reporter au moment pénible où vous avez fait le sacrifice d’un tribunal de première instance, parce que la politique vous forçait à favoriser une localité au préjudice des autres de la province.

Alors, messieurs, vous étiez décidés à faire tout ce qui était possible pour que la plaie fût moins saignante, et vous n’eussiez pas hésité à adopter l’amendement en faveur de Neufchâteau, si vous n’aviez été dominé par la crainte que le plus léger retard pouvait compromettre le sort de la loi.

Ce que vous aviez tous alors dans la pensée de faire un peu plus tard, j’ose espérer que vous l’effectuerez aujourd’hui en adoptant le projet de loi que la commission des pétitions a eu l’honneur de vous soumettre. D’ailleurs, c’est ici un cas tout à fait exceptionnel, qui ne peut en aucune manière compromettre les principes rigoureux, puisque déjà vous avez fait exception pour les notaires de Saint-Hubert.

Je propose donc d’y ajouter un deuxième article pour combler une lacune que l’on a remarquée.

« Projet de loi.

« Léopold, Roi des Belges,

A tous présents et à venir, salut ;

« Article premier. Les notaires qui étaient établis à la résidence de Neufchâteau le 6 juin 1839, continueront d’instrumenter dans les cantons d’Etalle, Florenville, Virton, Fauvillers, Vielsalm et Houffalize.

« Art. 2. Lesdits notaires resteront néanmoins soumis pour tous leurs actes à la juridiction du tribunal de première instance de leur résidence ; ils devront en outre dans les six mois à compter du jour où la présente loi sera obligatoire, déposer aux greffes des tribunaux de première instance d’Arlon et Marche leur signature et leur paraphe, ainsi que la copie de leur répertoire en ce qui concerne les actes reçus par eux dans le ressort de ces tribunaux.

« Mandons, etc. »

M. le président – M. Zoude propose un article additionnel, qui est ainsi conçu, et qui formerait l’article 2 du projet :

« « Art. 2. Lesdits notaires resteront néanmoins soumis pour tous leurs actes à la juridiction du tribunal de première instance de leur résidence ; ils devront en outre dans les six mois à compter du jour où la présente loi sera obligatoire, déposer aux greffes des tribunaux de première instance d’Arlon et Marche leur signature et leur paraphe, ainsi que la copie de leur répertoire en ce qui concerne les actes reçus par eux dans le ressort de ces tribunaux. »

M. d’Huart – Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la commission qui a examiné le projet de M. Zoude, c’est-à-dire que je viens demander avec elle l’ajournement de la discussion de l’objet soumis à vos délibérations, jusqu’au moment où la chambre s’occupera de la loi sur le notariat. Nous aurons alors à introduire différentes modifications et améliorations, non seulement en ce qui concerne les notaires, mais aussi en ce qui concerne le public, et nous pourrons alors tenir compte du préjudice que peuvent avoir subi les notaires de la résidence de Neufchâteau.

Si je viens m’opposer à la discussion immédiate du projet, c’est encore parce que je ne veux pas risquer de voir réparer ainsi spécialement et isolément un préjudice envers deux ou trois notaires, en commettant une grave injustice envers 12 ou 15 autres notaires.

Que résulterait-il en effet de la proposition de l'honorable M. Zoude ? C’est que les notaires de Neufchâteau iraient instrumenter dans les cantons de Virton, Florenville, Etalle, et dans trois autres cantons encore qui ont été détachés de l’ancien arrondissement de Neufchâteau ; il en résulterait ensuite que les notaires d’Arlon iraient également instrumenter dans les cantons de Virton, d’Etalle et de Florenville, qui dépendent actuellement de l’arrondissement d’Arlon.

Vous voyez donc que le préjudice qu’éprouvent déjà les notaires des cantons ruraux, par suite du privilège qu’ont les notaires du chef-lieu de venir instrumenter chez eux, serait doublé par l’adoption de la proposition de l’honorable M. Zoude. Ces notaires qui sont suffisamment nombreux dans les cantons dont j’ai parlé auraient donc à subir à la fois la concurrence de deux chefs-lieux d’arrondissement, et par suite la prudence nous commande d’attendre une discussion plus générale que celle à laquelle nous nous livrons en ce moment. Si l’ajournement devait être indéfini, si la discussion devait être remise à une autre session, j’aurais hésité davantage à m’opposer à une discussion immédiate ; mais il n’en sera pas ainsi ; il a été décidé dans une séance précédente que le projet de loi sur le notariat serait mis en discussion après la loi sur la circonscription judicaire, qui déjà figure sur les bulletins de nos séances ; ainsi ce n’est pas un ajournement bien long que je demande.

M. Zoude – Messieurs, je repousserai l’ajournement ; il y a urgence et équité à adopter le projet de loi. Les notaires de l’arrondissement de Neufchâteau sont dans une souffrance réelle. Vous avez admis les notaires d’un autre arrondissement à entrer en concurrence avec eux. On parle du préjudice qui serait causé aux notaires de Virton, Florenville et Etalle, par suite de la concurrence des notaires de l’arrondissement d’Arlon. Mais j’ai déjà dit qu’on ne nuira pas aux notaires de ces cantons, parce que le droit qui est attribué aux notaires d’Arlon n’est qu’un droit fictif. Je pose en fait que les notaires d’Arlon ne délivrent pas un acte dans ces cantons, et cela se conçoit fort bien, parce que dans la partie wallonne du Luxembourg, on n’accorde une confiance illimitée qu’aux notaires qui parlent le même langage que les clients.

D’ailleurs, les notaires de Neufchâteau ont à invoquer en leur faveur la loi du 25 ventôse an XI, qui leur accorde le droit d’inamovibilité, droit qu’une nouvelle loi seule peut faire cesser.

M. Delehaye – Messieurs, la loi que vient de citer l’honorable M. Zoude, n’a pas seulement déterminé le nombre de notaires dans l’intérêt du pays, mais elle l’a encore déterminé dans l’intérêt des notaires eux-mêmes. Cette loi a voulu atteindre ce but ; que les notaires pussent trouver des moyens d’existence dans l’exercice de leurs fonctions. Que demande l’honorable M. Zoude ? Il voudrait que les notaires qui, jusqu’ici n’ont le droit d’instrumenter que dans un arrondissement, eussent le droit d’instrumenter dans des cantons qui n’appartiennent pas à cet arrondissement. Qu’en résultera-t-il ? C’est que les notaires des cantons de Florenville, d’Etalle et de Virton, qui ont déjà à subir la concurrence des notaires du chef-lieu de leur arrondissement, auront encore à concourir avec les notaires du chef-lieu d’un autre arrondissement. Si les notaires de l'arrondissement de Neufchâteau ont perdu une partie de leur ancien ressort, ils ont obtenu le droit d’instrumenter dans trois nouveaux cantons, ceux de Wellin, de Bouillon et de Saint-Hubert.

En admettant la proposition de M.. Zoude, non seulement l’on porterait préjudice aux intérêts des notaires des cantons de Florenville, d’Etalle et de Virton, mais on nuirait encore aux receveurs d’enregistrement. En effet, les actes doivent être enregistrés dans les localités où résident les notaires ; eh bien, si les notaires vont instrumenter dans un arrondissement où ils ne résident pas, ils feront tort au receveur de l’enregistrement de cet arrondissement.

Messieurs, je crois qu’il convient d’ajourner le projet de loi ; il ne s’agit pas ici d’un ajournement indéfini ; il ne s’agit que de l’ajourner jusqu’à la discussion du projet de loi sur la circonscription cantonale ; là alors on rendra la position des notaires égale.

M. Zoude – Messieurs, l’honorable préopinant vient de parler des receveurs de l’enregistrement. Eh bien, messieurs, le receveur de l’enregistrement de Neufchâteau possédait une des recettes principales de la province du Luxembourg ; or vous avez réduit l’arrondissement de Neufchâteau pour augmenter celui d’Arlon ; cette réduction a donc causé un véritable préjudice au receveur de l’enregistrement à Neufchâteau ; si l’adoption du projet de loi devrait augmenter le produit de sa recette, cet avantage ne serait pas pour lui, ce ne serait que le dédommagement du préjudice que la réduction de l’arrondissement de Neufchâteau a causé.

L’honorable préopinant a dit que les notaires des cantons ruraux auraient à subir une double concurrence. J’ai déjà dit, et je le répète, que les notaires d’Arlon n’instrumentent en fait que dans les cantons allemands, parce que, dans les cantons wallons, on ne s’adresse qu’aux notaires qui parlent le langage usité dans ces cantons.

Au reste, j’en reviens à mon argument principal, qu’on ne pourrait sérieusement combattre ; c’est que les notaires de Neufchâteau ont un droit acquis, en vertu de la loi du 25 ventôse an XI ; ce droit leur doit être conservé jusqu’à ce qu’un nouvelle disposition législative soit venue l’abroger. Je demande la reconnaissance d’un droit qui est inhérent au titre que ces notaires ont obtenu.

M. Delehaye – M. Zoude perd toujours de vue que les notaires de Neufchâteau ont gagné trois cantons, en compensation de ceux qu’ils ont perdus.

M. Zoude – C’est vrai, mais ces cantons ne font pas la population, et je pose en fait que la population qui formait l’ancienne clientèle des notaires a été diminuée de 40,000 habitants.

M. Lys – Messieurs, la loi qui vous est présentée, loin d’être utile, me paraît nuisible : tout en voulant protéger la position des notaires de Neufchâteau, elle viendrait froisser les intérêts des notaires des cantons d’Etalle, Florenville, Virton, Fauvillers, Vielsalm et Houffalize ; les notaires de Neufchâteau pourraient continuer à instrumenter dans ces cantons, tandis que les notaires d’Arlon viendraient aussi exercer dans ces mêmes cantons. Vous reconnaîtrez qu’une pareille autorisation serait absolument contraire aux intérêts des notaires cantonaux dont la clientèle deviendrait doublement froissé et par les notaires de Neufchâteau et par les notaires d’Arlon.

Inutilement, messieurs, vient-on vous dire que la demande des notaires de Neufchâteau est fondée en justice ; la loi du 25 ventôse an XI leur donne bien le droit d’instrumenter dans tout le ressort de l’arrondissement judiciaire ; aussi ne leur conteste-t-on pas pareil droit ; ils le conservent, au contraire, dans toute sa plénitude, soit que l’arrondissement obtienne une augmentation, soit qu’il subisse une réduction, ce droit se borne à l’arrondissement judiciaire. Ce n’est pas la première fois, messieurs, que de pareils changements surgissent : il y a plus, communément des distractions ou agglomérations de cantons, quelquefois élection ou suppression d’un tribunal ; et jusqu’à présent je ne connais pas qu’ils aient donné lieu à aucune réclamation, car les notaires conservent le droit qu’ils tiennent de la loi, celui d’instrumenter dans le ressort du tribunal civil, si le chef-lieu est établi dans leur résidence.

Les notaires de Neufchâteau ont néanmoins le droit de se plaindre du droit exorbitant que la loi a accordé aux notaires de Saint-Hubert. C’est encore une perte résultant du traité, mais vous ne pouvez jeter l’onéreux sur les notaires cantonaux, qui, placés dans la dernière classe, ont besoin de plus de ménagements que des notaires de première et deuxième classe.

Cette perte, messieurs, n’est cependant que minime dans ses résultats car si je consulte le rapport de l’honorable M. Zoude, les notaires de Neufchâteau n’ont passé, depuis 1830, dans les cantons dont il s’agit, que 1840 actes, ce qui ne donne, année commune, pour tous les notaires, que 164 actes ; et remarquez qu’il n’y a pas ici perte entière, ils pourront encore faire à Neufchâteau une partie de ces actes ; beaucoup de clients, dont ils ont la confiance, se rendront dans leur étude à cette fin.

Le rapport de l’honorable M. Delehaye énumère les inconvénients que la mesure proposée amènerait à sa suite. J’y ajouterai que les notaires doivent déposer chaque année leur répertoire au greffe du tribunal civil, ainsi pour des actes passés dans le ressort du tribunal de Neufchâteau. Je viens cependant de voir que l’honorable M. Zoude a proposé le double dépôt de leur répertoire au greffe de Neufchâteau et d’Arlon.

Je partagerai, messieurs, l’avis de votre commission, tout en reconnaissant qu’il est dû indemnité aux notaires de Neufchâteau, mais du seul chef du droit exorbitant accordé aux notaires de Saint-Hubert, indemnité qui pourra être prise en considération, lors de la discussion de la loi sur la circonscription des cantons de justice de paix.

M. d’Hoffschmidt – Je crois, messieurs, devoir m’opposer à l’ajournement qui a été proposé par la commission ; je pense qu’une décision, quelle qu’elle soit, sera plus favorable aux intérêts des notaires de Neufchâteau qu’un ajournement, qui serait en quelque sorte un renvoi aux calendes grecques. La loi sur la circonscription cantonale ne sera probablement pas votée cette année ; et d’ailleurs cette loi n’apportera aucun changement à la position des notaires de Neufchâteau, car elle ne dérogera certainement pas à la loi qui a été votée l’année dernière je crois donc que ces notaires aimeraient mieux une décision, même contraire à leur réclamation, qu’un ajournement qui les laisserait pour bien longtemps dans l’incertitude. Si la chambre trouve la réclamation fondée qu’elle y fasse droit de suite, si au contraire elle pense que ce qui est demandé par les notaires de Neufchâteau peut froisser les intérêts de tiers, les intérêts d’autres notaires, qu’alors elle rejette plutôt la proposition.

M. Liedts – Messieurs, le principal motif, ce me semble, qu’ait fait valoir l’honorable M. Zoude, motif sur lequel il est revenu jusqu’à trois fois, c’est que la loi du 25 ventôse an XI assure à tous les notaires l’inamovibilité, et que, par conséquent, vous ne pourriez pas aujourd’hui vous dispenser d’adopter la proposition. Je crois, messieurs, que l’honorable membre comprend mal l’inamovibilité. L’inamovibilité, assurée à certains fonctionnaires, consiste en ce que ces fonctionnaires sont mis en dehors de l'action du pouvoir exécutif, c’est-à-dire que, par simple arrêté, vous ne pouvez ni les déplacer, ni les révoquer, ni leur enlever directement tout ou partie de leur juridiction, mais ils ne sont pas en dehors de la force de la loi, c’est-à-dire que l’inamovibilité ne va pas jusqu’à empêcher que la loi, si l’intérêt public l’exige, diminue la circonscription de leur ressort. Par conséquent, lorsque, l’année dernière, vous avez réglé la circonscription des arrondissements du Luxembourg, vous avez pu, sans porter atteinte à leur inamovibilité, circonscrire le ressort des notaires, comme vous avez jugé convenable de le faire. Les notaires ne peuvent pas plus prétendre que vous avez violé leur inamovibilité que ne pourraient le faire des juges d’un arrondissement composé de quatre cantons que vous auriez jugé à propos de réduire à trois.

Ce n’est pas à l’occasion d’une simple pétition que vous pouvez bouleverser tout le système consacré par la loi du 25 ventôse an XI, qui n’a été adoptée qu’après mûres réflexions. Ce système a institué trois espèces de notaires ; et aujourd’hui, on veut, à propos d’une simple pétition, instituer une quatrième catégorie de notaires qui auraient le droit d’instrumenter dans tout leur arrondissement et de plus dans quelques cantons d’un arrondissement limitrophe.

Il me semble que ce serait sortir, je dirai presque de la dignité du législateur. Si réellement il faut faire exception à un système général de législation, qu’on donne à la loi un caractère de généralité, qu’on dise que tous les notaires des arrondissements quelconques dont la circonscription a été changée par la loi votée l’année dernière, continueront à exercer dans les cantons distraits à leur arrondissement.

En supposant la loi juste en elle-même, ce que je suis bien loi d’admettre, si vous l’adoptiez, vous n’aurez pas tout fait, parce que d’autres notaires peuvent faire la même demande et alléguer les mêmes titres que les notaires de Neufchâteau, entre autres ceux de Hasselt, auxquels on a enlevé un canton tout entier. Je n’ai pas la carte sous les yeux, je ne puis pas voir si d’autres notaires encore ne sont pas dans le même cas. Il est possible qu’il y en ait. Je le répète, ce n’est pas à l’occasion d’un simple cas spécial, qu’on peut déroger à tout un système de législation.

J’appuie donc, non pas le rejet de la proposition, mais la remise jusqu’à ce qu’on puisse s’occuper de la loi sur la circonscription des cantons, pour décider quelle sera la circonscription du ressort des notaires de l’arrondissement de Neufchâteau.

M. Zoude – Quand vous avez porté la loi sur la circonscription des arrondissements du Luxembourg, nous n’avons pas entendu punir une classe de notaires. Cependant, vous avez, par le fait, réellement puni les notaires de l’arrondissement de Neufchâteau ; car vous avez admis des étrangers au partage de leur clientèle. Il est vrai que vous n’avez pas eu l’intention de les punir, mais la loi que vous avez votée n’a pas moins en ce résultat. Cela est si vrai que si on présentait un amendement dans le sens de la proposition qui vous est soumise, il n’est personne qui ne fût disposer à l’adopter.

Je crois que les principes d’équité et de justice doivent toujours guider la chambre. L’honorable préopinant a dit que d’autres notaires sont dans la même situation ; eh bien, qu’on les comprenne dans la loi.

M. d’Huart – Je n’ajouterai que quelques mots à ce que j’ai dit tantôt, me référant du reste aux considérations fort justes qui ont été exposées par l’honorable M. Liedts.

Messieurs, si vous adoptiez le projet qui vous est soumis par M. Zoude, vous poseriez un précédent très dangereux, parce que vous ne seriez plus entièrement libre dans l’examen de la loi des circonscriptions judiciaires dont vous êtes saisies. Vous auriez en effet reconnu, par l’adoption de la proposition de M. Zoude, un droit, irrévocablement acquis à tous les notaires du pays, d’instrumenter respectivement, non seulement dans les communes composant les nouveaux cantons et les nouveaux arrondissements à modifier ou à composer, mais encore dans les communes qui seraient détachées de ces cantons et arrondissements. Ainsi lorsque, par exemple, vous vous occuperez de la circonscription judiciaire de la Flandre orientale, je suppose que vous adoptiez des changements de limites entre les cantons et les arrondissements, que vous créerez même un arrondissement nouveau, comme on ne manquera pas d’en renouveler la proposition, ne seriez-vous pas forcés, par l’antécédent que je combats, à autoriser tous les notaires actuels à instrumenter respectivement dans les communes détachées de leur canton ou de leur arrondissement, dans lesquelles ils exercent aujourd’hui, et je vous demande s’il est prudent de rien statuer dès à présent qui rende nécessaire une semblable disposition, facile il est vrai, à inscrire dans la loi, mais qui jetterait dans un dédale inextricable, en confondant entre elles, sus le rapport du notariat, des communes ressortissant judiciairement à plusieurs cantons et à plusieurs arrondissements différents.

La prudence commande donc de réserver l’examen de cette question pour le moment où vous discuterez la loi générale des circonscriptions judiciaires et celle du notariat.

M. Zoude – Dans les considérants de l’arrêté du roi Guillaume, il est dit : « Jusqu’à l’époque où la loi du 25 ventôse an XI, aura été remplacée par d’autres dispositions législatives » ; ainsi la législature peut changer cette loi.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, j’ai demandé la parole pour rappeler les antécédents qui ont donné lieu à la question qui se discute en ce moment, et que le gouvernement avait annoncé devoir être l’objet d’un examen attentif.

Vous vous rappellerez, messieurs, que l’année dernière, un projet de loi a été présenté pour l’organisation des arrondissements judicaires du Luxembourg. D’après le projet, trois arrondissements devaient être établis dans cette province. La section centrale qui fut saisie de ce projet adopta seulement deux arrondissements pour le Luxembourg, en laissant le choix des chefs-lieux au gouvernement.

Dans le projet formulé par la section centrale, il fut stipulé que les notaires d’un arrondissement dont les tribunaux seraient supprimés auraient le droit d’instrumenter dans les nouveaux arrondissements. Ce projet fut adopté par la chambre et transmis au sénat.

Au sénat il surgit une proposition, je ne dirai pas nouvelle, car elle était la reproduction du projet du gouvernement ; cette proposition fut adoptée. Ce projet revint à la chambre. Quant aux notaires, le sénat avait adopté la proposition formulée par la section centrale, mais en la réduisant à l’arrondissement de Saint-Hubert. On déclara que les notaires de Saint-Hubert, qui se trouvaient par là faire partie de l’arrondissement de Neufchâteau, continueraient à instrumenter dans cet arrondissement.

Quand ce projet revint à la chambre des représentants, il n’échappa pas à M. Zoude de faire observer que les notaires de Neufchâteau devraient avoir le droit de continuer à instrumenter dans les cantons détachés. M. le ministre des travaux publics, qui avait alors l’intérim du ministère de la justice, fit observer, de son côté, que la loi était urgente, et que si M. Zoude voulait formuler un projet de loi, le gouvernement en ferait l’objet de mûre délibération. Depuis lors j’ai examiné ce projet, et les observations qui déjà vous ont été présentées par plusieurs membres, relativement à ce projet, m’avaient frappé. Je l’envisagerai donc sous le rapport de la concurrence qui peut exister entre les notaires de Neufchâteau et d’autres notaires. Quatre cantons ont été distraits de Neufchâteau et réunis à Arlon, deux autres ont été distraits d’Arlon et réunis à Marche ; l’arrondissement de Neufchâteau a bien acquis trois nouveaux cantons qui cependant, il faut en convenir, sont loin de compenser les cantons dont on l’a privé. Si vous examinez la question sous le rapport de la concurrence des notaires d’Arlon et de Marche, ces notaires n’auraient pas le droit de s’opposer à la demande formulée par Neufchâteau.

En effet, le tribunal d’Arlon remplaçant celui de Luxembourg n’avait été établi que provisoirement par arrêté du gouvernement provisoire du 7 octobre 1830 ; les notaires d’Arlon ont acquis par suite de l'état définitif attribué au tribunal d’Arlon, un avantage incontestable ; ceux-là ne pourraient se plaindre en aucune manière de la demande des notaires de Neufchâteau, il en est de même des notaires de Marche, puisque leur arrondissement s’est trouvé augmenté des cantons détachés de l’arrondissement de Neufchâteau. On pourrait dire que, sous ce rapport, aucune difficulté ne pourrait être soulevée. La demande des notaires de Neufchâteau n’est pas une demande de principe, c’est une demande semblable à celle adoptée en 1839 par la chambre, relativement aux notaires de Saint-Hubert.

C’est une loi que l’on veut proposer pour fixer le sort des notaires actuellement existants, c’est véritablement une loi de personnes. Voilà quelle est la nature de la loi présentée ; car après le décès des notaires de Neufchâteau, dans le cas où la loi serait adoptée, ce droit ne passerait pas à leurs successeurs. C’est une dérogation à la loi actuelle qu’on propose en faveur des personnes qui exerçaient la profession du notariat à Neufchâteau, à l’époque de la loi qui a suivi le traité de paix.

Sous ce rapport, il me semble que le projet de loi ne peut rencontrer de difficultés, eu égard aux droits des notaires d’Arlon et de Neufchâteau.

Mais il y a un autre point de vue sous lequel j’ai envisagé la question depuis longtemps. C’est relativement aux notaires de canton qui souffriraient d’une double concurrence si la proposition relative aux notaires de Neufchâteau était adoptée. En effet, ces notaires auraient à souffrir d’un côté de la concurrence des notaires de Neufchâteau, et de l'autre de la concurrence des notaires de Marche et d’Arlon. Les observations qui ont été faites à cet égard avaient frappé chacun de nous ; elles vous ont été présentées par plusieurs honorables préopinants. C’est ce qui a fait naître beaucoup de doute sur l’admission de la proposition qui vous est soumise. Pour réparer un préjudice qui peut avoir été causé aux notaires de Neufchâteau, on ne peut susciter une double concurrence aux notaires qui existent maintenant dans les cantons et qui ont des droits acquis, aussi bien que les notaires de Neufchâteau.

Si l’on veut faire prévaloir le système en faveur des notaires de Neufchâteau, il faudra restreindre les droits des notaires d’Arlon et de Marche, et n’admettre qu’une seule concurrence. Car, il faut songer que les notaires de canton ont aussi des droits acquis et qu’ils sont de plus en possession.

Or, il est de principe que l’on doit plutôt respecter les droits de ceux qui sont en possession que satisfaire à la demande de ceux qui veulent acquérir ou recouvrer des droits au préjudice des possesseurs. Les notaires de Neufchâteau n’ont le droit d’exercer que dans leur arrondissement, tel qu’il se trouve formé. Si l’on veut étendre leur droit hors de l’arrondissement il faut restreindre les droits respectifs des notaires d’Arlon et de Marche.

Après avoir examiné la question, je ne puis, d’après ces motifs, donner mon adhésion au projet de loi tel qu’il est formulé.

M. Zoude – M. le ministre craint que les notaires d’Arlon ne fassent concurrence aux notaires de Neufchâteau. Je répète, à cet égard qu’il y a entre les cantons allemands et les cantons wallons une barrière qui ne s’abaissera pas. Il n’y a à Arlon que quatre notaires. Deux ont à peu près abandonné la clientèle ; tout le travail est dévolu aux deux autres. Eh bien, je suis persuadé que déjà ils ont perdu un grand nombre de leurs rapports. Des capitaux leur sont dus dans les campagnes ; mais comme ils ne peuvent exercer d’action sur les lieux, ils les recouvrent avec une peine infinie, et ils en perdront une partie.

Ajournement

- L’ajournement du projet de loi jusqu’à la discussion des projets de loi relatif à la circonscription des cantons de justices de paix et à la résidence des notaires est mis aux voix et prononcé.

Proposition de loi relative à la police du roulage

Discussion générale

M. le président – La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet de loi de la section centrale, auquel se rallient MM. F. de Mérode et d’Hoffschmidt.

M. d’Hoffschmidt – Messieurs, les avantages qui doivent résulter de l’adoption du projet de loi que M. le comte de Mérode et moi avons soumis à la chambre, n’ayant pas sérieusement été contesté par personne, je ne pense pas devoir entrer dans de longues considérations pour en démontrer de nouveau l’utilité. Cependant il est bon de rappeler à la chambre que la modification qu’il s’agit d’apporter à la loi du 7 ventôse an XII était depuis longtemps réclamée. Dans les sessions précédentes, plusieurs de nos honorables collègues en avaient déjà fait mention, et engagé le gouvernement à accorder l’autorisation nécessaire pour qu’il soit permis de circuler avec des voitures à jantes étroites attelées de deux chevaux.

Mais le gouvernement, tout en reconnaissant la valeur des motifs allégués, ne pouvait, étant lié par la loi, faire droit à ces réclamations, aussi longtemps qu’une mesure législative ne leur en donnait par le pouvoir. D’un autre côté, de nombreuses pétitions avaient été adressées, à plusieurs reprises, à M. le ministre des travaux publics, dans le même but, ainsi qu’à la chambre ; naguère encore j’ai déposé sur le bureau des pétitions formées par les conseils de 29 communes rurales qui réclament instamment la mesure dont nous nous occupons.

La modification que le projet apporte à la police de roulage est donc vivement désirée, messieurs, et cela seul suffit pour en démontrer l’utilité. Ses bienfaits se répandent sur un grand nombre de petites industries, mais surtout sur la classe des petits agriculteurs.

A la vérité, la loi du 7 ventôse an XII, contient déjà une exception en faveur de l’agriculture, puisque l’article 8 de cette loi permet la circulation des voitures à jantes étroites quand elles sont employées à la culture des terres, au transport des récoltes et à l’exploitation des fermes ; mais, messieurs, il est à remarquer que l’exception cesse lorsque le transport a pour but de livrer les produit de la culture ou les engrais à la consommation ou au commerce.

Il s’ensuit donc que, lorsque le cultivateur veut conduite au marché ses grains, par exemple, ou tout autre produit, il est contraint, s’il veut circuler sur une route, comme cela arrive ordinairement, de se servir du chariot dit à la Marleboroug. Il en est de même s’il s’agit de transporter du bois, de la houille, de la chaux, des meubles, ou tout autre objet nécessaire à ses besoins. Dans le Luxembourg, le cultivateur ne peut défricher ses bruyères qu’au moyen de la chaux qu’il doit aller chercher à une grande distance.

Or, il en est bien peu dans ces contrées qui aient des voitures à larges jantes ; ne pouvant donc aller chercher le précieux amendement qu’avec un seul cheval, la modicité du transport, la longueur du trajet, le font renoncer à l’entreprise et l’oblige à abandonner le projet d’améliorer ses terres. On voit donc que la mesure sera pour cette province de la plus grande importance. Plusieurs de mes honorables collègues du Limbourg et des provinces de Namur et de Liége m’ont dit qu’elle serait également d’une grande utilité pour ces contrées, et il est à croire qu’il est sera de même ailleurs.

Mais, messieurs, si généralement on a reconnu les avantages qui résulteront de l’adoption du projet de loi, on a en même temps manifesté des craintes sur le préjudice qu’il pourrait occasionner aux routes. On a prétendu que dans plusieurs localités et particulièrement dans les Flandres, le mode de transport qu’il s’agit d’autoriser, serait de nature à hâter la détérioration de ces voies de communication. Ce sont ces craintes, messieurs, qui ont engagé la section centrale à modifier la proposition de manière à laisser au gouvernement la faculté d’autoriser la mesure là où il croirait pouvoir le faire.

M. le comte de Mérode et moi, nous nous sommes ralliés à ce changement de rédaction, et je pense que, moyennant toutes ces garanties qu’il contient, le projet ne peut plus soulever d’opposition même de la part de ceux qui ont manifesté le plus d’appréhensions pour la conservation des routes.

Qu’il me soit cependant permis de dire que l’on s’est, en général, exagéré les dangers de la mesure.

En effet, messieurs, les ingénieurs et les savants qui se sont occupés du tirage des voitures et de la conservation des routes ne sont pas tous d’accord sur l’influence qu’exerce la largeur des jantes en dégradation sur les voies pavées et empierrées. Plusieurs d’entre eux pensent même qu’au delà d’une limite assez peu élevée, il n’y a rien à gagner, dans l’intérêt de la route, à l’augmentation de la largeur des jantes, et des expériences faites récemment en France tendent à justifier cette opinion. Je pense, messieurs, que dans la discussion qui nous occupe, il ne sera pas inutile de faire connaître les opinions émises sur ce point par quelques-uns de ces ingénieurs les plus célèbres.

Or, voici comment s’exprime à cet égard M. Mac-Adam, l’auteur du système de construction des routes qui portent son nom :

« En ayant seulement égard à l’intérêt de la route, dit-il, je préférerais une roue de 11 centimètres, à bandes plates, à aucune autre espèce de roues, étant d’opinion qu’une bande de plus grande largeur ne peut jamais toucher la surface d’une grande route bien faite, et je ne pense pas qu’au-delà de la limite posée ci-dessus, aucune augmentation de largeur soit utile. »

Un autre ingénieur fort habile, nommé Dupuis, qui a publié, en 1837, un mémoire sur cette manière, a démontré aussi, par des exemples, que les bandes des roues s’arrondissent promptement : ils s’ensuit qu’au bout de quelque temps, des bandes de 0,17, 0,14 ou 0,11 centimètres sont tellement déformées, que la partie rectiligne de leur profil est réduite à 0,006 ou à 0,007 centimètres ; et que la portion de terrain se trouvant ainsi extrêmement réduite, il en résulte, dit cet ingénieur, que l’intérêt de la conservation de la route est presque étranger à la fixation de la largeur de la jante.

Enfin, messieurs, un professeur de l’école de génie de Metz, M. Morin, qui depuis quelques années est occupé à faire, avec l’appui de gouvernement, des expériences sur le tirage des voitures, a déduit de celles fort nombreuses qu’il a faites sur l’influence de la largeur des jantes relativement à la conservation des routes, les conséquences suivantes :

« Les routes, dit-il, sont entretenues avec des matériaux concassés, des cailloux roulés, dont la grosseur et la dureté varient, d’où il résulte que dans les routes en bon état ordinaire, il y a toujours une quantité de matériaux plus durs et plus gros, qui effleurent le sol, et qui supportait presque seuls le poids des charges ; qu’en un mot la charge est loin de se répartir uniformément sur toute la largeur de sa bande, et que dès lors la fatigue de la route ne décroît pas autant qu’on pourrait l’espérer par l’augmentation de la largeur des bandes.

« Que quant aux routes pavées, comme une seule pierre ou deux au plus se partagent la charge de chaque route et la transmettent, par leur base au sol inférieur, quelle que soit la largeur de la bande, il en résulte que la conservation des routes dépend, dans ce cas, beaucoup plus de la dimension des pavés et de la solidité du sol sur lequel ils reposent que de la largeur des bandes. »

M. Morin en conclut que, pour les routes ordinaires en bon empierrement, il est inutile de porter la largeur de la jante au-delà de 0,10 à 0,12 centimètres, et que, pour les chaussées pavées, il est tout à fait inutile d’exiger ces dernières dimensions.

Telles sont, messieurs, les conséquences que M. Morin a tirées de ses nombreuses expériences, et ses observations ont d’autant plus d’importance qu’elles ont été soumises, vers la fin de 1838, à l’académie des sciences de Paris qui les a approuvées sur le rapport d’une commission dont l’illustre Arago faisait partie.

Depuis lors, il paraît que M. Morin a présenté à l’académie un nouveau mémoire et que les expériences récentes dont il rend compte, n’ont fait que confirmer les conséquences qu’il avait cru pouvoir déduire en premier lieu.

Messieurs, je livre à votre appréciation et à celle du gouvernement les observations dont je vous ai entretenus. Mon intention n’est point de citer comme irréfragables les opinions que je viens de signaler, opinions qui ne tendent à rien moins qu’à infirmer les principes qui régissent maintenant la police de roulage. Cependant je pense qu’il m’est permis d’en conclure que les jantes étroites ne sont pas aussi fatales aux routes qu’on le croit assez généralement et que l’ont cru surtout les auteurs de la loi du 7 ventôse an XII.

Quoi qu’il en soit, la modification proposé à l’article premier de cette loi ne peut plus inspirer la moindre crainte dans les limites où elle est restreinte par le projet de la section centrale.

D’abord, les voitures à jantes étroites ne pourront circuler qu’attelées de deux chevaux seulement, et il est de toute évidence que dans les pays montagneux surtout la charge serait toujours trop faible pour que les routes puissent en souffrir d’une manière notable. En second lieu, le projet laisse au gouvernement la faculté de déterminer telles conditions et restrictions que les localités, les saisons et les circonstances pourront exiger. Voilà, j’espère, des garanties suffisantes !

Toutefois, si le projet est adopté comme il y a lieu de le croire, j’engage M. le ministre des travaux publics a ne pas être trop minutieux dans les restrictions qu’il mettra aux permissions qui seront accordées, et à ne pas croire trop facilement aux craintes que l’on pourra lui manifester, sur les conséquences de la mesure. Dans les localités où la circulation des voitures à jantes étroites sera très considérable, il est certain que les routes ne pourront manquer d’en souffrir, mais il en est de même sur toutes les routes où il passe un grand nombre de voitures, de quelque nature qu’elles soient.

Croit-on, par exemple, que les gros chariots, qui ont des bandes de 22 millimètres et qui sont chargés de 25,000 livres, ne nuisent pas aux routes quand leur passage est fréquent ? Croit-on que les diligences ne causent pas non plus la moindre dégradation par ce qu’on a fixé la largeur de leurs jantes ? Certes, messieurs, personne n’ignore que partout où le passage de ces sortes de voitures est fréquent, il existe de fortes dégradations, et cependant personne ne dira que pour ce motif on doit prohiber la circulation des diligences et des gros chariots de roulage. C’est ainsi, messieurs, qu’il conviendra d’en agir avec les voitures à jantes étroites attelés de deux chevaux ; il ne faudra pas les traiter avec prévention, et refuser ou suspendre une permission utile parce que l’on craindra une légère détérioration pour un bout de route, ou parce qu’une de ces voitures aura tracé une faible ornière.

Si, au contraire, le gouvernement use largement de la faculté que le projet lui accorde, je ne doute pas, quant à moi, qu’il en résulte un véritable bienfait pour le pays.

- La discussion générale est close. La chambre passe à la discussion des articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Par modification à l’article premier de la loi du 7 ventôse an XII, le Roi pourra permettre la circulation des voitures à bandes étroites, attelées de deux chevaux ou plus, sous telles conditions et restrictions que les localités, les saisons et les circonstances pourront exiger. »

M. d’Huart – J’aurais préféré la proposition telle qu’elle avait été formulée par les honorables MM. Félix de Mérode et d’Hoffschmidt au projet de loi actuellement soumis à la chambre.

Ce dernier projet abandonne à l’administration le soin de déterminer le nombre de chevaux et le nombre des roues des voitures à jantes étroites qui pourront circuler sur les grandes routes, et, par conséquent, laisse à l’arbitraire une disposition conservatrice de nos grandes routes, à laquelle il importe de ne déroger qu’avec une extrême prudence.

La proposition de MM. F. de Mérode et d’Hoffschmidt avait l’avantage de stipuler qu’il n’y aurait que les voitures à quatre roues, à jantes étroites, attelées de deux chevaux, qui pourraient circuler sur les grandes routes. Si nous abandonnons cette réserve, on ira donc jusqu’à autoriser la circulation sur les grandes routes des voitures à deux roues, à jantes étroites, attelées de deux chevaux. C’est là une dérogation par trop forte à la loi qui nous régit.

Il est évident que la circulation des voitures à quatre routes, quelles qu’elles soient, abîme moins les routes que la circulation des voitures à deux roues. Dans le premier cas, la charge est répartie également sur quatre roues, dans le second elle porte sur un seul essieu.

Si l’on veut abandonner, je ne dirai pas au ministre (car il est évident que le ministre n’agira que d’après les rapports qui lui parviendront des provinces), mais à l’arbitraire des ingénieurs, l’application de la disposition que proposaient les honorables membres, soit ; mais du moins en laissant à l’administration cette faculté, il faudrait la restreindre, dans le sens de la proposition primitive, aux voitures à quatre roues attelées de deux chevaux, et c’est ce que je demande.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Si la proposition était restée formulée comme elle l’avait été par ses honorables auteurs, j’aurais été forcé de m’y opposer : elle me paraissait beaucoup trop impérative, beaucoup trop absolue.

Je crois que la faculté qu’autorise l’article 1er ne recevra l’application que dans quelques localités que j’appellerai d’exception. Il est bien impossible d’en faire le droit commun du pays, on est bien forcé de s’en remettre au gouvernement.

Ne pensez pas, messieurs, comme pourraient le faire croire les paroles du préopinant, que cette affaire sera abandonnée à l’administration subalterne en quelque sorte. Il faudra un arrêté royal ; car j’ai insiste pour qu’elle se servît dans l’article premier de l’expression « le Roi », qui indique clairement que l’autorisation ne sera donnée ni par les gouverneurs, ni par les ingénieurs, ni même par arrêté ministériel. Il faudra un arrêté royal inséré au Bulletin officiel, c’est-à-dire qui aura reçu toute la publicité possible. Je me propose même, dans la première application de cette disposition, de ne proposer au Roi que des arrêtés temporaires ; c’est-à-dire que le non renouvellement de l’arrêté, à l’époque de l’expiration suffirait pour faire tomber la mesure. Tout le monde sera prévenu que cessera un essai que l’on fera.

Quant à l’observation spéciale de M. d’Huart, si cette observation devait être d’un grand poids aux yeux de la chambre, il y aurait moyen d’y faire droit ; ce serait d’ajouter à l’article premier la mention des quatre roues. Remarquez, messieurs, que, dans le rapport de la section centrale, à ma demande, on a inséré que le gouvernement aurait la faculté d’examiner s’il n’y avait pas lieu d’admettre cette réserve ; cet examen exige du temps, je n’ai pas actuellement tous les renseignements nécessaires pour rien proposer. Toutefois, si l’assemblée partage l’opinion de l'honorable membre, on se bornera à ajouter à l’article premier la mention des quatre roues, comme je l’ai déjà dit.

M. le président – M. d’Huart a déposé sur le bureau un amendement tendant à ajouter les mots : « quatre roues ».

- L’amendement est appuyé.

M. Demonceau – Les lois sur cette partie de la voirie ont subi différentes modifications. Par la loi organique de l’an X, toute espèce de voitures pouvait circuler sur les routes pavées, par la loi de l’an XII, on a voulu proscrire la circulation des voitures à jantes étroites ; il n’y avait moyen de parcourir les grandes routes qu’avec des jantes de 11 centimètres au moins.

La proposition faite par MM. de Mérode et d’Hoffschmidt était trop générale ; car par suite de cette proposition, on aurait pu circuler avec des voitures à jantes étroites chargées d’un poids plus considérable souvent que celui des voitures à jantes larges.

La section centrale a pensé qu’il était préférable de donner au gouvernement le droit d’autoriser la circulation de toutes voitures attelés de deux chevaux, quelle que fût la largeur des bandes, mais sous telles restrictions que le gouvernement croirait devoir apporter ; elle a pensé, que, puisqu’on s’en rapportait au gouvernement pour la fixation du poids, on pourrait également s’en rapporter à lui sur la question de savoir s’il devait autoriser la circulation de voitures à jantes étroites et à deux roues ; car il est des localités où l’on ne peut guère circuler avec des voitures à quatre roues, j’entends parler surtout des voitures qui empruntent, si je puis m’exprimer ainsi, les grandes routes.

Il y a telle carrière à ardoises, dans le Limbourg et le Luxembourg, qu’on ne peut guère aborder qu’avec des voitures à deux roues, je veux parler des ardoises de Salm. Récemment en France, il a été proposé aux chambres une loi où l’on réduit la largeur des jantes des voitures circulant sur les grandes routes à 8 centimètres, en fixant un poids au chargement des voitures attelées de plus d’un cheval, et même à celui des voitures attelées d’un seul cheval. Je crois qu’ici l’on devrait aussi fixer un poids au chargement des voitures à deux roues attelées d’un seul cheval ou imiter la disposition française.

Si vous ne donnez pas au gouvernement la faculté d’étendre le droit de circulation aux voitures à deux roues, les tribunaux seront obligés d’appliquer la loi de l’an XII aux voitures attelées de plus d’un cheval ; dans plusieurs circonstances cette loi est trop rigoureuse : un charretier, par exemple, sera en contravention s’il est rencontré circulant avec deux chevaux, quoique sa charrette soit peu chargée ; il faut modifier une loi semblable. Fixer les poids et vous lèverez tous les inconvénients. Ce sont les diligences qui détruisent le plus les routes, et le gouvernement a le droit de déterminer leur poids ; étendez ce droit à toutes les voitures, vous mettez ainsi le gouvernement dans la position de pouvoir faire droit à des réclamations qui, dans des cas donnés, peuvent paraître fondées ; du reste, le gouvernement agira comme il le voudra, et certes il est plus que personne intéressé à ne se décider qu’après réflexion.

M. Desmet – J’aurais voté contre le projet primitif qui était trop général ; mais comme on laisse au gouvernement la faculté de faire un essai, je voterai maintenant pour le projet de la section centrale. Ce qu’il y a de plus avantageux pour les cultivateurs, c’est d’avoir des voitures à jantes d’une certaine largeur, parce qu’elles enfoncent moins. Le poids doit être pris en considération, mais la largeur des jantes, sans la pousser à l’extrême, est ce qu’il y a de plus important, surtout dans les pays marécageux. Les larges jantes détruisent moins les chemins vicinaux et fatiguent moins les chevaux.

Une voiture à deux chevaux et à jantes étroites, quelque chargée qu’elle soit ; ne fera pas de tort aux pavés, mais elle pourra faire un tort considérable aux chemins vicinaux, car une voiture qui parcourt les routes pavées avec deux chevaux, ne peut traverser les chemins de terre qu’avec cinq ou six chevaux.

On a parlé des diligences, messieurs, eh bien, ce sont les diligences qui dégradent surtout les routes ; les diligences sont fortement chargées et leur vitesse est considérable ; cela fait beaucoup de tort aux routes.

Il y a un point principal sur lequel je dois appeler l’attention du gouvernement, c’est que les diligences n’ont point égard au moment du dégel ; il y a sous ce rapport une police pour les chariots, mais il n’y en a point pour les voitures publiques ; il s’ensuit des dégâts considérables pour les routes.

J’adopterai, messieurs, le projet tel qu’il est modifié par la section centrale.

M. Jadot – D’après ce que vient de dire l’honorable M. Demonceau, en faveur du projet de la section centrale, je crois, messieurs, que je puis me dispenser de défendre ce projet. Je ne conçois pas les craintes que l’on a exprimées à l’égard d’une simple faculté qu’il s’agit d’accorder au gouvernement, puisque le gouvernement est intéressé a moins autant que qui que ce soit à la conservation des routes.

J’insiste pour que la chambre adopte le projet tel qu’il a été proposé par la section centrale.

M. F. de Mérode – Je n’ai pas été satisfait, messieurs, d’entendre M. le ministre des travaux publics dire qu’il ne pourrait que très exceptionnellement accorder la faculté de circuler avec des voitures à quatre roues et à jantes étroites attelées de deux chevaux. Je pense que les craintes manifestées sur le dommage que de semblables voitures pourraient causer aux routes ne sont pas fondées ; l’article 8 du décret du 23 juin 1806 fixe à 4,000 kilogrammes le poids de ces voitures, mais il paraît que lorsqu’on a inséré cette disposition dans le décret, on n’a eu en vue que les environs de Paris, où les fermiers ont d’énormes voitures, sur lesquelles ils chargent des masses extrêmement considérables de gerbes ou de foin, car jamais nos cultivateurs ne transportent des charges de 4,000 kilogrammes sur des voitures à jantes étroites.

Il y aurait un grand danger, messieurs, à confondre les voitures à quatre roues avec celles à deux roues, car ces dernières peuvent véritablement dégrader les routes, et si l’on ne distingue pas entre les unes et les autres, on attribuera aux voitures à quatre roues les dégâts occasionnés par celles à deux roues.

On vous a dit, messieurs, qu’une voiture attelée à deux roues qui ne porte que la charge d’un seul cheval en a souvent deux pour arriver jusqu’à la grande route, mais que là le charretier dételle un cheval et l’attelle derrière la voiture ; il en est de même des voitures à quatre roues, qui portent la charge de deux chevaux ; celui qui est obligé d’employer quatre chevaux pour traverser les chemins de terre en ôte deux lorsqu’il est arrivé sur la grande route.

Je désire beaucoup, messieurs, que l’on fasse une distinction entre les voitures à quatre roues et les voitures à deux roues, car sans cela les premières seront compromises par les autres.

M. Eloy de Burdinne – Je crois, messieurs, que les auteurs de la loi sur la police du roulage ont pensé qu’une voiture à deux roues, attelée d’un cheval, ne peut pas porter une charge telle qu’elle puisse nuire considérablement aux routes ordinaires. Eh bien je vous ferai observer, messieurs, qu’une voiture à quatre roues attelée de deux chevaux portera une charge bien peu supérieure à celle que pourra porter une voiture à deux roues attelée d’un seul cheval. La raison en est simple, c’est qu’il y a déjà la charge d’un cheval pour transporter à vide une voiture à quatre roues. Il me semble donc qu’il n’y a pas de motif pour interdire plutôt la circulation aux voitures à quatre roues attelées de deux chevaux, qu’aux voitures à deux roues attelées d’un cheval.

On vous a dit, messieurs, que les cultivateurs pourront se procurer des voitures à jantes larges ; je conçois que ceux qui exploitent 30 ou 40 hectares puissent se procurer de semblables voitures ; mais vous savez qu’aujourd’hui la culture est considérablement divisée ; il y a une foule de petits cultivateurs qui n’exploitent que 4 ou 5 bonniers, et ceux-là ne peuvent pas se procurer su facilement des voitures à jantes larges.

Dans beaucoup de localités les voitures à deux roues ne conviennent pas ; on préfère généralement, pour transporter les grains, des voitures à quatre roues ; mais ce sont des voitures très légères qui ne pourraient pas supporter un poids considérable et qui, dès lors, ne peuvent pas dégrader les routes.

Il y aura, messieurs, un avantage pour l’Etat si l’on autorise la circulation des voitures à quatre roues à jantes étroites attelées de deux chevaux, puisque ces voitures paieront aux barrières pour quatre roues et deux chevaux, tandis que comme je l’ai démontré, elles ne porteront guère une charge plus forte que les voitures à deux roues attelées d’un seul cheval.

Je crois, messieurs, devoir appuyer fortement la proposition de l’honorable M. d’Huart, car je suis aussi d’avis qu’il serait dangereux d’autoriser l’attelage de deux chevaux à des voitures à deux roues à jantes étroites ; celles-là peuvent occasionner la dégradation des routes, mais les voitures à quatre roues et à deux chevaux ne peuvent jamais faire le moindre tort.

M. Demonceau – J’ai demandé la parole, messieurs, lorsque j’ai entendu l’honorable M. de Mérode dire que les cultivateurs pourraient charger 4,000 kilogrammes. La loi permet en effet un semblable chargement, mais c’est lorsque les cultivateurs vont de la ferme à la campagne ou de la campagne à la ferme, c’est-à-dire lorsqu’ils ne font qu’ « emprunter » la route ; mais aussitôt qu’ils veulent circuler sur les routes, faire le roulage, alors l’exception dont M. de Mérode a parlé ne peut plus leur être appliquée.

L’honorable M. de Mérode a cru qu’il serait possible à des cultivateurs d’atteler un cheval derrière leur charrette ; il arrive parfois que les cultivateurs emploient ce moyen, mais lorsqu’ils doivent gravir une montagne, alors ils attellent le deuxième cheval ; cela se fait souvent dans l’arrondissement que j’habite, mais aussi chaque fois qu’ils sont rencontrés ayant deux chevaux à une charrette à jantes étroites, même dans une montagne, on les met en contravention, quoique la charrette ne porte qu’une charge qui peut être traînée par un seul cheval sur les routes ordinaires.

S’il s’agissait, messieurs, d’autoriser par la loi le rétablissement des roues à jantes étroites, je n’insisterais pas pour l’adoption de la proposition de la section centrale ; mais il n’est question ici que d’une faculté à donner au gouvernement ; on ne veut en quelque sorte que permettre au gouvernement de faire un essai. Dès lors, je ne vois pas quel inconvénient on trouve dans la proposition, car enfin si le gouvernement reconnaît qu’il y a du danger à accorder l’autorisation de circuler avec des voitures à deux roues à bandes étroites et attelés de deux chevaux au plus, il ne le fera pas. La disposition ne peut donc, dans aucun cas, être préjudiciable, surtout que nous entendons qu’en tous cas, le gouvernement fixera un poids qu’il ne serait pas possible de dépasser pour les charrettes de cette catégorie comme pour celles à quatre roues.

M. Eloy de Burdinne – Je ne pourrai jamais donner mon consentement à une mesure qui tendrait à autoriser la circulation des voitures à deux roues à jantes étroitures attelées de deux chevaux, car personne ne peut révoquer en doute que cela nuirait considérablement aux routes. Il est incontestable que ce sont les voitures à deux roues qui détruisent le plus les routes.

M. Jadot – Je veux bien croire, messieurs, que, dans certaines circonstances, les voitures à deux roues font beaucoup de tort aux routes, mais il faut convenir qu’il y a d’autres circonstances où cela n’est pas, et puisque le gouvernement sera toujours libre d’accorder ou de refuser l’autorisation, je ne vois pas quel inconvénient peut résulter de la disposition.

M. d’Huart – Il semblerait, messieurs, que l’amendement que je viens de déposer sur le bureau doit ôter au gouvernement une faculté à laquelle il tiendrait beaucoup ; or, je crois, au contraire, moi, que si nous adoptons cet amendement, nous rendrons un véritable service au gouvernement, et spécialement à M. le ministre des travaux publics ; nous lui épargnerions ainsi une quantité de réclamations et la peine de devoir dans la plupart des cas, rejeter ces réclamations, ce qui est pas très agréable pour le gouvernement ; il est évident que les voitures à deux roues à jantes étroites, attelées de deux chevaux, peuvent pour ainsi dire, en tout temps apporter des dégradations notables aux routes.

Il me paraît qu’il convient de ne pas donner une si grande portée à l’article actuellement en discussion, et qu’il y a lieu de le restreindre aux termes dans lesquels il était primitivement conçu.

- L’amendement de M. d’Huart est mis aux voix et adopté.

L’article ainsi amendé est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 2

« Article 2. Par dérogation à l’article 3 de la loi du 29 floréal an X, il pourra, en général, être déterminé par le gouvernement un autre mode de vérification que celui des ponts à bascule. »

M. d’Huart – Messieurs, je désire avoir une explication sur le but de cet article, et sur l’exécution qui y sera donnée, car l’adoption de cette disposition pourrait nous entraîner à une grande dépense. Le gouvernement obtiendrait le pouvoir d’établir un autre mode de vérification du poids des voitures que celui existant, et nous nous engagerions implicitement ainsi à lui donner ultérieurement les moyens de pourvoir à la dépense plus ou moins forte que pourrait entraîner ce nouveau mode de vérification.

Je voterai pour l’article 2, s’il a pour objet de diminuer la dépense du mode actuel de vérification du poids des voitures, en même temps qu’il assurerait un plus grand nombre de points de vérification : mais s’il restait des doutes à cet égard, je regarderais comme préférable de laisser les choses dans l’état actuel et d’attendre que le gouvernement eût reconnu la supériorité d’un nouveau mode de vérification qu’il viendrait nous soumettre, pour voter, s’il y avait lieu, les fonds nécessaires à sa mise à exécution.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, c’est une raison d’économie qui m’a engagé à demander que cette disposition fût introduire dans la loi. Le gouvernement pourrait aujourd’hui, au moyen du crédit annuel qui lui est alloué pour les routes, établir des ponts à bascule ; il n’y a que 21 ponts à bascule dans le royaume. Le gouvernement a reculé devant l’établissement d’un plus grand nombre de bascules, bien que des moyens de vérification soient réclamés dans beaucoup de localités ; le gouvernement s’est trouvé dans l’impossibilité d’introduire légalement un autre moyen de vérification que celui des ponts à bascule. Cependant il en existe d’autres. On a, entre autres, par des arrêtés provinciaux dont on peut toutefois contester la légalité, introduit la vérification au moyen du cubage ; c’est ce qui se fait sur quelques routes provinciales du Hainaut.

Je me propose donc de faire examiner quels sont les moyens de vérification, aussi sûrs et plus économiques que celui des ponts à bascule. Je pense qu’il y aura lieu d’ouvrir une espèce de concours sur cette question, de faire un appel aux savants.

Je considère donc la disposition dont il s’agit comme une véritable amélioration ; elle devenait nécessaire par suite des facilités que les auteurs du projet de loi demandaient dans l’intérêt de la circulation.

M. d’Huart – Messieurs, d’après ces explications, je voterai l’article 2 puisqu’il doit en résulter des moyens plus nombreux de vérification et une économie dans la dépense. Mais je demanderai s’il ne conviendrait pas de remplacer le mot « gouvernement » par le moi « Roi », puisque c’est ce dernier terme qui se trouve dans l’article premier.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Au lieu de « par le gouvernement », on pourrait mettre « par arrêt royal » (Adhésion.)

L’article 2, avec ce changement est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Les infractions aux dispositions prises en exécution de la présente loi seront punies des peines portées par la loi du 6 mars 1818. »

M. le président – M. le ministre propose de rédiger l’article comme suit :

« Les infractions aux dispositions prises en exécution de la présente loi que de l’article 7 de la loi du 7 ventôse an XII, seront punies des peines prévues par l’article premier de la loi du 6 mars 1818. »

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, voici pourquoi je propose cette addition à l’article 3.

En vertu de la présente loi, le gouvernement sera autorisé à régler les conditions de circulation des voitures à bandes étroites. Aux termes de l’article 7 de la loi du 7 ventôse an XII, le gouvernement est déjà autorisé à régler les conditions de circulation des voitures à larges bandes. Ainsi, pour les unes, le gouvernement trouve ses pouvoirs dans la loi qui vous occupe en ce moment, pour les autres, le gouvernement puise ses pouvoirs dans l’article 7 de la loi du 7 ventôse an XII.

Des doutes se sont élevés sur la question de savoir si la loi du 6 mars 1818, qui établir des pénalités, peut être invoqué lorsqu’il s’agit de dispositions prises en vertu de l’article 7 de la loi du 7 ventôse an XII, on pense généralement qu’il y a lieu d’appliquer à ces cas l’article premier de la loi du 6 mars 1818 ; néanmoins pour faire cesser toute doute à cet égard, j’ai proposé la nouvelle rédaction dont M. le président vient de donner lecture.

M. Jadot, rapporteur – Messieurs, je n’ai rien à objecter contre cette nouvelle rédaction ; je veux seulement faire remarquer que l’article tel qu’il est conçu dans le projet de la section centrale a été introduit par M. le ministre lui-même, de manière que si cet article présente une lacune dans sa teneur primitive, on ne doit pas s’en prendre à la section centrale.

- L’amendement de M. le ministre est mis aux voix et adopté.

Vote sur l'ensemble du projet

Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble du projet. Il est adopté par 49 voix contre une (celle de M. Angillis).

La séance est levée à 4 heures.