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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 mars 1840

(Moniteur belge n° 74 du 14 mars 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven fait l’appel nominal à midi et demi.

La séance est ouverte.

M. Mast de Vries donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des propriétaires de hauts fourneaux, des maîtres de forges et des usines pour la fabrication du fer dans l’arrondissement de Charleroy exposent la situation pénible où se trouve l’industrie du fer, et demandent l’exécution de la deuxième voie continue du chemin de fer. »

« Des habitants des communes de Syngem, Heurne, Worteghem, Anvers, Veurne et Oostroobeke, demandent le rétablissement de l’usage de la langue flamande, dans certaines provinces, pour les affaires de la commune et de la province.

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission.


« Le sieur I. Lecointe, maréchal des logis au troisième régiment d’artillerie, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des habitants et cultivateurs des communes de Syngem, Waerschodt, Meulebeke, Heurne, Evergem, Worteghem, Nevele et Wareghem demandent des mesures protectrices de l’industrie linière. »

- Renvoi à MM. les ministres des finances et de l’intérieur et des affaires étrangères.


M. Delehaye – J’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau les sept pétitions dont on vient de communiquer l’analyse. Parmi les communes, d’où émanent ces pétitions, se trouvent les communes les plus importantes de la Flandre orientale et de la Flandre occidentale. Ces pétitions portent plus de mille signatures. Les pétitionnaires ne se contentent pas de faire connaître au gouvernement la position malheureuse de la classe ouvrière qui trouve son seul moyen d’existence dans la manipulation du lin. Ils auraient cru manquer à leur devoir, s’ils n’avaient fait connaître au gouvernement quelles mesures peuvent, suivant eux, relever cette industrie.

Ils déclarent que, quoiqu’ils aient peu de confiance dans les bonnes intentions du gouvernement en faveur de l’industrie, ils croient devoir faire connaître les mesures à prendre. C’est afin que MM. les ministres puissent appeler l’attention de la commission d’enquête sur les faits signalés par les pétitionnaires, que j’ai pris la parole. Je ne m’oppose pas au renvoi prononcé d’après les précédents de la chambre. Mais je voudrais que MM. les ministres de l’intérieur et des finances renvoyassent les pétitions à la commission d’enquête afin qu’elle examine les faits signalés par les pétitionnaires.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1840

Discussion générale

M. le président – La discussion continue sur l’ensemble du budget et sur les propositions qui ont été déposées sur le bureau et qui sont ainsi conçues :

M. Dumortier propose que la chambre se prononce de la manière suivante :

« La chambre a vu avec regret la conduite du gouvernement dans l’affaire du général Vandersmissen. »

M. Pirson demande qu’elle se prononce de la manière suivante :

« Le ministère a blessé l’honneur national (ou bien a blessé toutes les convenances) en rétablissant le général Vandersmissen sur les contrôles de l’armée, quoique le plaçant en non-activité. »

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, lorsque des attaques aussi graves sont adressées au ministère, il a sans doute le droit de réclamer, dans l’exposé de sa défense, une attention calme, et de vous demander tout le sang-froid qu’apporte toujours dans ses délibérations un juge impartial.

Lorsqu’on juge un acte, il est naturel de s’attacher aux motifs qui ont pu le dicter.

A entendre l’honorable M. Dumortier, qui cependant a lui-même émis des doutes sur son allégation, le motif de l’arrêté actuellement en discussion, serait la crainte de la publication d’un mémoire. Le général Vandersmissen aurait menacé de publier un mémoire dans lequel il relaterait des faits qui se rattachent à la révolution, et ce serait pour empêcher la publication de ce mémoire, qu’on aurait porté cet arrêter.

Il n’en est rien.

Pour admettre un tel motif, il faudrait au moins y supposer quelque intérêt.

Or, quel intérêt avions-nous à empêcher cette publication, en supposant qu’on en aurait menacé.

Etrangers à la conspiration du mois de mars 1831, nous n’avions rien à redouter de la publication de ce mémoire.

Je dirai plus : rapporteur du décret d’exclusion, comment pourrait-on s’imaginer que j’aurais eu motif de m’intéresser à celui qui avait voulu amener le retour des Nassau ?

Si ce retour avait eu lieu, la prudence ne m’aurait-elle pas conseillé de me condamner à un exil volontaire ?

Il ne nous importait, en aucune manière, que le général Vandersmissen publiât ou non un mémoire.

Il est cependant un motif qu’on pourrait assigner.

Celui-là, je ne le répudierai pas.

On pouvait espérer, par une large application de l’amnistie, de prévenir, par une juste réciprocité, les réactions de la part de celui sous la domination duquel nous avons vécu.

Cette pensée généreuse, je m’y associe.

Et qu’on ne crie pas à l’évidence d’une interprétation contraire à la nôtre.

Nous avons l’avantage de voir notre opinion partagée par un membre de la section centrale.

Les motifs qu’il a énoncé à l’appui, dénotent un profond jurisconsulte versé dans la science des lois, et habitué à en faire l’application.

Quelle que puisse être l’opinion des autres membres, celle de ce jurisconsulte sera toujours précieuse à mes yeux.

Elle est, pour moi, une garantie que nous n’avons point failli.

Dans tous les cas, elle réclame une attention sérieuse dans cette discussion.

Les observations de la section centrale nous appellent à discuter les questions suivantes :

1° Vandersmissen pouvait-il profiter de l’amnistie accordée par l’article 20 du traité du 18 avril 1839 ?

Si l’amnistie lui est applicable, la conséquence est qu’il doit rentrer dans son grade.

Mais, sans contester le principe, on prétend qu’il n’y avait pas lieu à cette mesure, et de là deux autres questions :

2° Vandersmissen avait-il perdu son grade à défaut d’avoir prêté serment, dans les délais prescrits par les décrets du congrès des 5 mars et 20 juillet 1831 ;

3° Devait-on procéder contre lui, en vertu de la loi du 16 juin 1836, à l’effet de le faire déclarer privé de son grade ?

Examinons successivement ces trois questions.

§ 1er.

Rappelons d’abord la disposition de l’article 20 du traité du 19 avril 1839. Il est ainsi conçu :

« Personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché ni inquiété, en aucune manière, pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »

Ce traité ayant été adopté par les chambres belges, et sanctionné par le Roi, se trouve par cela même converti en loi.

Et sans doute le législateur a le droit de proclamer une amnistie.

Par cela même, il était fort inutile de parler de l’article 73 de la constitution, comme l’ont fait deux membres de la section centrale.

Car l’arrêté du 15 juillet est pris, non en vertu de cet article de la constitution, mais en vertu de l’article 20 du traité du 19 avril 1839.

Cet article proclame bien formellement une amnistie.

Cette amnistie s’applique à « toute cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »

Or, c’est bien pour une participation aux événements politiques que Vandersmissen a été poursuivi.

Le crime, objet de la poursuite, était un crime purement politique.

C’était un complot ; c’était des propositions de complot.

Aucun fait portant atteinte à des individus, et qui aurait pu changer la nature du crime poursuivi, ne s’est révélé.

On se trouve donc bien dans les termes de la dernière disposition de l’article.

Mais se trouve-t-on également dans les termes de la première disposition du même article. Tel est le véritable point de la difficulté.

« Personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra, etc. » porte cet article.

Vandersmissen s’est-il trouvé dans le cas d’une personne, dans un pays qui change de domination ?

Le royaume des Pays-Bas avait été formé de la Belgique et de la Hollande et placé sous la domination de la famille d’Orange-Nassau.

En 1815, ce royaume avait été reconnu par toutes les puissances.

Des traités étaient intervenus pour fixer les limites de ce même royaume.

Bien certainement, depuis lors, la Belgique a changé de domination.

Mais, dit la majorité de la section centrale, « la Belgique avait changé de domination, d’abord par l’expulsion des troupes du roi Guillaume, ensuite par les décrets qui proclament l’indépendance nationale et l’exclusion des Nassau, et enfin par l’avènement du Roi. »

Prendre cette dernière époque pour point de départ, ce ne serait porter aucune atteinte à l’arrêté du 15 juillet 1839.

En effet, les faits qui ont donné lieu à l’arrêt de contumace sont bien antérieurs à cette époque.

On sait que, dans les premiers jours du mois de février 1831, le congrès avait décerné la couronne de Belgique au duc de Nemours.

Un refus intervint ; et, le 24 février, un régent fut nommé.

C’est un mois après qu’ont eu lieu les faits qui ont occasionné la poursuite contre le général Vandersmissen.

Il ne s’est agi au congrès de l’élection du Roi que dans le mois de mai 1831.

Et l’élection a eu lieu le 4 juin de la même année.

Son acceptation fut subordonnée à celle du traité des 18 articles.

Ainsi, l’époque de l’avènement du Roi ne peut faire obstacle à l’application du traité.

Mais un traité ne peut être envisagé comme l’œuvre spontanée d’un des contractants.

Un traité est destiné à régler les rapports entre deux ou plusieurs peuples.

Les traités antérieurs avaient placé la Belgique réunie à la Hollande, sous la domination du roi des Pays-Bas.

Le traité du 19 avril 1839 a dérogé aux traités antérieurs.

Sous ce rapport, il a donc été opéré un changement de domination.

Il emploie l’expression : « Dans les pays qui changent de domination. »

Voyons quelle est la portée et du mot « pays », et des expressions ; « qui changent de domination. »

Si nous consultons le traité, on y voit le mot « pays » employé dans plusieurs articles, et ce mot y désigne, non un territoire faisant partie d’une souveraineté, mais toute l’étendue du territoire soumis à une domination.

C’est ainsi que l’article 10 porte : « L’usage des canaux qui traversent à la fois les deux pays continuera d’être libre et commun à leurs habitants. »

L’un de ces pays est la Belgique, l’autre est la Hollande.

Ici, la Belgique entière est comprise sous l’expression « pays ».

C’est dans le même sens que le mot « pays » est employé dans l’article 15. Il porte :

« les ouvrages d’utilité publique ou particulière… appartiendront … au pays où ils sont situés. »

Et certes, cette expression « pays » comprend toute l’étendue des territoires respectifs.

Nous trouvons encore le mot « pays » employé dans le même sens à l’article 17 : « dans les deux pays dont la séparation a lieu en conséquence des présents articles, les habitants et propriétaires, s’ils veulent transférer leur domicile d’un pays à l’autre, auront la liberté de disposer, etc. »

Voilà encore bien l’expression « pays » avec la signification qu’elle comporte, c’est-à-dire de comprendre respectivement la Belgique et la Hollande entière.

Et le traité regarde la « séparation », comme ayant lieu en vertu des articles y stipulés.

Sous le rapport du droit international, il regarde donc l’existence des deux pays, comme résultant du traité lui-même.

Passer d’un pays à l’autre, c’est passer de Belgique en Hollande, et vice versa.

L’article 19, en abolissant les droits d’aubaine entre la Hollande, le grand-duché de Luxembourg et la Belgique, stipule cette abolition dans les trois pays.

Et l’on conçoit aisément que le grand-duché se trouve dans une position différente, à cause de ses relations avec la Confédération germanique.

Voilà donc l’expression « pays » répétée à plusieurs reprises dans le traité, et toujours avec sa vraie signification, celle de désigner un pays entier.

Or, peut-on isoler le pays « pays » employé dans l’article 20, pour lui donner une signification plus restreinte ?

Peut-on lui donner une signification différente de celle qu’a le même mot, employé dans d’autres articles du traité ?

Non, sans doute, la même expression employée dans un acte, y conserve la même signification.

Il faut donc donner au mot « pays » toute l’étendue que cette expression comporte.

Reste maintenant à se fixer sur les mots : « qui changent de domination. »

Il est certain que la Belgique entière a changé de domination.

C’est ce qui est reconnu par toute la section centrale.

Il n’y a de question que sur l’époque de ce changement de domination.

Tout l’argument est de dire que la Belgique aurait eu changé de domination avant l’époque à laquelle se rapportent les faits qui ont fait l’objet de la poursuite contre le général Vandersmissen.

A cette époque, dit-on, il était sujet belge et fonctionnaire du gouvernement de la Belgique.

Mais alors la Belgique n’avait pas encore été reconnue par les puissances qui sont intervenues au traité.

Or, on l’a déjà observé, le traité s’applique également et au changement de domination de fait, et au changement de domination de droit.

Qu’avons-nous donc à vérifier ? le point de savoir s’il s’agit d’une personne « dans un pays qui change de domination. »

Or, la Belgique a changé de domination.

Et dès qu’il s’agit d’un fait qui se rapporte aux événements politiques, l’amnistie est applicable.

Mais, dit-on, par là vous excluez de l’amnistie les personnes des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, car celles-ci n’auraient pas changé de domination.

C’est ce qui est loin de résulter de notre système.

Ces territoires ont aussi changé de domination.

Ils ont été sous l’autorité du gouvernement belge jusqu’à l’époque du traité.

Dès lors, à l’époque de son exécution, elles ont changé de domination en passant sous l’autorité du roi des Pays-Bas.

Et c’est ce qu’exprime l’article 24 du traité, en disant :

« Aussitôt après l’échange des ratifications du traité à intervenir entre les deux parties, les ordres nécessaires seront envoyés aux commandants des troupes respectives pour l’évacuation des territoires, villes et lieux qui changent de domination. »

Mais est-ce à dire qu’il n’y ait que ces territoires, villes et lieux qui aient changé de domination ?

L’article 20, quoiqu’en embrassant les lieux désignés dans l’article 24, a cependant une signification plus étendue.

Il se sert de l’expression « pays », qui est loin d’avoir une signification restreinte.

C’est non seulement dans les territoires, villes, places et lieux désignés dans l’article 24, que l’amnistie est applicable, mais c’est généralement « dans les pays qui changent de domination. »

Et le traité lui-même nous indique que le mot « pays » désigne un pays entier, et ne doit pas être restreint à une partie du pays.

En interprétant l’article 20 dans son sens le plus large, nous ne faisons que suivre un principe qui a constamment été admis, savoir, qu’une loi de grâce et d’indulgence doit toujours être favorablement interprétée.

Ne restreignons donc l’article 20 sous aucun rapport.

N’excluons aucun des territoires qui ont changé de domination pas plus les territoires qui sont restés à la Belgique, que ceux qui sont retournés à la Hollande.

Donnons au mot « pays » toute l’étendue que cette expression comporte.

Et nous trouvons dans le traité un voile jeté sur la participation aux événements politiques que nous avons traversés.

Remarquez, messieurs, qu’il ne s’agit pas ici de savoir si le fait se trouve compris dans l’amnistie, mais bien de décider si elle est applicable à la personne.

Le fait énoncé dans l’accusation, consiste dans « un complot tendant à renverser le gouvernement alors établi (mars 1831) et faire monter le prince d’Orange sur le trône. »

C’est là un fait purement politique.

Et ce fait est compris dans l’article 20.

Or, si l’on veut restreindre l’amnistie, comme le fait la majorité de la section centrale, comment sera-t-elle appliquée ?

L’appliquera-t-on uniquement aux personnes originaires des territoires cédés, ou bien faudra-t-il que les faits se soient passés sur ces territoires ?

Car, sauf la question quant aux pays compris dans l’amnistie, remarquez que la disposition de l’article 20 est absolue.

La défense d’inquiéter et de rechercher, pour cause de participation quelconque aux événements politiques, s’applique à toutes les parties stipulant au traité.

La Belgique ne peut pas plus exercer de poursuites, dans le cas de cette disposition, que ne le pourrait la Hollande.

Si l’on applique uniquement le traité aux personnes originaires des territoires cédés, celles-ci ne pourraient être poursuivies pour avoir conspiré contre la Belgique.

Si on l’applique uniquement aux faits posés dans les territoires cédés, un Belge qui aurait conspiré dans ces territoires, ne pourrait non plus être poursuivi en Belgique.

La restriction laisse donc un certain embarras dans l’interprétation et dans l’exécution de l’article 20.

Voudrait-on restreindre la stipulation du traité à ceux qui, dans les territoires cédés, ont pris part aux événements politiques contre la Hollande, et, d’un autre côté, à ceux qui, dans les lieux abandonnés par les Hollandais, y auraient pris part contre la Belgique ?

Mais, par de telles restrictions, ce ne serait pas interpréter le traité, ce serait le dénaturer ; ce serait faire d’une disposition réciproque, une disposition qui, dans des cas donnés, ne pourrait s’appliquer qu’à l’une des parties.

Il vaut donc mieux en revenir aux principes qui ont guidé le gouvernement, dans l’application de l'article 20 du traité, au général Vandersmissen. Il a fait une large part à l’oubli du passé ; il a rempli le but que doit se proposer toute loi d’amnistie, de ne plus tenir compte des faits qui ont amené des dissensions entre les citoyens.

Mais les motifs de la section centrale nous paraissent revêtus d’une singularité toute particulière.

Le changement de domination, suivant elle, aurait eu lieu, d’abord, par l’expulsion des troupes du roi Guillaume, ensuite par les décrets qui proclament l’indépendance nationale et l’exclusion des Nassau.

C’est sans doute le changement de domination, dans le sens du traité, qui doit avoir existé pour qu’il soit applicable.

Un traité s’interprète d’après l’intention de ceux qui y ont concouru.

Or, on sait comment le traité des 24 articles est devenu la base de notre droit public extérieur.

Il a été imposé par les cinq puissances représentées à la conférence de Londres.

Pour admettre, dans le sens du traité, le changement de domination aux époques désignées par la section centrale, il faudrait suppose que les cinq grandes puissances aurait reconnu le droit d’insurrection et l’exclusion des Nassau.

Toutefois, on ne peut se dissimuler que la majorité des puissances représentées à la conférence de Londres étaient bien éloignées d’admettre de tels principes.

On ne peut donc assigner le changement de domination aux époques désignées par la majorité de la section centrale.

Car l’intention des puissances qui ont imposé le traité, ne peut pas avoir été telle.

Maintenant, si dans l’intention présumée des auteurs du traité, vous fixez le changement de domination à l’avènement du Roi, le fait dont il s’agit se trouve compris dans l’amnistie ; car il est antérieur de plusieurs mois.

Ainsi, sous tous les rapports, il y avait lieu d’appliquer cette amnistie au général Vandersmissen.

Et remarquez les interprétations que MM. Dumortier et Trentesaux ont donné au traité.

Pour M. Dumortier, l’article 20 ne s’applique qu’aux territoires qui ont changé, de fait, de domination.

M. Trentesaux dit qu’il ne s’applique qu’aux territoires échangés, c’est-à-dire, pour la Hollande aux Limbourg hollandais, et, pour la Belgique, au Luxembourg belge.

Et dans les deux systèmes, outre l’absence de réciprocité, le traité aurait des résultats injustes.

Ainsi, dans le premier système, la Hollande ne pourrait pas poursuivre les habitants du Luxembourg et du Limbourg cédés.

Mais elle pourrait, si elle parvenait à les arrêter, faire condamner à Luxembourg et à Maestricht, les Belges qui ont pris part à la révolution.

Elle pourrait poursuivre par contumace, pour arriver au séquestre de leurs biens, ceux des Belges qui auraient tout ou partie de leurs biens dans les territoires cédés.

Le gouvernement belge, de son côté, ne pourrait point, pour tout réciprocité, poursuivre les habitants de Lillo.

Ainsi, deux individus, l’un habitant de Lillo, l’autre de Bruxelles, auraient tramé dans le même complot ; le premier se trouverait amnistié ; le second devrait être condamné !

Dans le système de M. Trentesaux, les habitants du Luxembourg allemand pourraient être recherchés pour crime politique, parce que, d’après lui, la souveraineté de ce pays appartenait au grand-duc, avant le traité.

Par la raison contraire, les Limbourgeois hollandais seraient couverts par l’amnistie.

En Belgique, les Luxembourgeois se trouveraient couverts par l’amnistie, parce que leur pays a été acquis, en vertu du traité ; tandis que tous les autres Belges devraient être recherchés pour crime politique.

Si un Brabançon ou un Luxembourgeois belge étaient complices, celui-ci resterait tranquille dans le pays, l’autre devrait être condamné.

L’interprétation du gouvernement est bien plus rationnelle ; elle remplit mieux l’objet du traité.

Le but, comme il l’est toujours en pareille circonstance, est d’empêcher toute réaction politique.

Et une pareille stipulation est réciproque dans son essence.

Elle doit donc s’appliquer et à ceux qui, en 1830, ont pris une part active au renversement du gouvernement hollandais, dans nos contrées, et à ceux qui postérieurement ont tenté une contre-révolution en faveur de la dynastie déchue.

Nous avons donc dû appliquer l’amnistie au général Vandersmissen.

Il nous reste à examiner si le rétablissement dans son grade en était la conséquence nécessaire.

Observons d’abord qu’une action réputée crime à l’instant qu’elle a été commise, perd son caractère de criminalité par l’amnistie. Alors, il ne reste plus de crime aux yeux de la loi.

L’amnistie porte avec elle l’abolition des délits qui en sont l’objet, des poursuites faites ou à faire, des condamnations qui ont été ou pourraient être prononcées, tellement que ces délits, couverts du voile de la loi, sont comme s’ils n’avaient jamais été commis.

Ce sont ces principes que devait suivre le gouvernement, dès qu’il appliquait au général Vandersmissen l’amnistie prononcée par l’article 20 du traité du 19 avril 1839.

Le gouvernement doit exécuter l’amnistie, dès qu’il la croit applicable, car il est chargé du pouvoir exécutif.

Il en serait autrement s’il croyait que l’amnistie ne dût pas être appliquée ; alors, les tribunaux devraient en connaître.

C’est une distinction qui a toujours été admise.

La conséquence nécessaire de l’application de l’amnistie au général Vandersmissen était de le faire réintégrer dans son grade.

C’est ce qui résulte de l’article 124 de la constitution ainsi conçu :

« Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi. »

Le crime, objet de la poursuite, devait, en cas de condamnation, entraîner la perte du grade de l’accusé.

Mais, par l’amnistie, le crime est couvert du voile de la loi et elle place l’accusé dans la même position que s’il n’avait pas été commis.

Dès lors, il ne peut le faire priver de son grade, et l’amnistie se trouve replacé sous l’égide de la dispositions constitutionnelle qui lui garantir son grade.

Mais y avait-il d’autres manières déterminées par la loi qui dussent entraîner la privation du grade.

C’est l’objet des deux questions qui nous restent à discuter.

§ 2.

On prétend que Vandersmissen avait perdu son grade, à défaut d’avoir prêté le serment prescrit par les décrets du congrès, des 5 mars et 20 juillet 1831.

Aux termes de l’article 1er du décret du 5 mars et de l’article 2 de celui du 20 juillet, « les officiers de la garde civique et de l’armée sont tenus, avant d’entrer en fonctions », de prêter le serment prescrit par les décrets.

L’article 3 du premier de ces décrets et l’article 4 du second portent l’un et l’autre textuellement :

« Les citoyens qui seront en fonctions lors de la promulgation du présent décret, et qui n’auront pas prêté le serment dans le mois qui la suivra, seront considérés comme démissionnaires. »

Les décrets du congrès étaient obligatoires le onzième jour après celui de leur date. (Article 3 du décret du 27 novembre 1830.)

Le décret du 5 mars 1831 a donc été obligatoire le 16 du même mois.

Par conséquent, le mois utile pour prêter le serment, est expiré le 16 avril de la même année.

Mais ces dispositions sont-elles applicables au général Vandersmissen ?

Cet officier était encore dans les délais pour prêter le serment, lorsqu’il a été poursuivi du chefs des faits qui ont donné lieu à l’arrêt de contumace du 29 novembre 1831.

Or, je ne pense pas qu’on pût ni qu’on dût recevoir le serment d’un officier qui se trouvait l’objet d’une poursuite criminelle.

On ne peut pas distinguer s’il se présentait ou s’il était fugitif.

Ans l’un et l’autre cas, il était sous le poids d’une accusation criminelle ; et son serment ne pouvait être reçu.

Dès lors, aucune déchéance ne pouvait lui être appliquée.

Les termes des décrets y résistent :

« Les citoyens qui seront EN FONCTION, y est-il dit. »

Celui qui est l’objet d’une accusation criminelle, ne peut exercer des fonctions jusqu’a ce qu’elle soit jugée.

Il conserve bien son grade dont il ne peut être prié que par le résultat du jugement ; mais il n’est pas en fonctions.

Et dès lors la déchéance prononcée par ces décrets, ne lui est pas applicable.

« Il seront considérés comme DEMISSIONNAIRES », portent les décrets.

Mais la démission, dans le sens des lois, exprime un acte volontaire de la part de celui qui se démet d’un emploi.

Pour les cas où l’emploi est retiré contre le gré de celui qui en est revêtu, l’on emploie les mots de « révocation » et de « destitution. »

Considérer des fonctionnaires comme démissionnaires, à défaut de prestation de serment dans le délai, c’est envisager le serment comme un acte volontaire de leur part.

Or, lorsque, par suite de la position du fonctionnaire, le serment n’a pas pu être prêté, l’on ne peut le considérer comme démissionnaire.

Donc, sous tous les rapports, la déchéance à défaut de prestation de serment, ne pouvait être appliquée au général Vandersmissen.

Aussi l’arrêt du 29 novembre 1831 le déclare-t-il déchu du rang militaire dont il est revêtu.

Il ne l’a donc pas regardé comme en ayant été privé antérieurement.

Le sort du général Vandersmissen dépendait de l’arrêt définitif à intervenir.

S’il avait été condamné définitivement, il était, par l’effet d’une telle condamnation, privé de son grade.

Mais s’il était, en définitive, intervenu un arrêt d’absolution, aucune peine ne pouvant en être la suite, Vandersmissen aurait dû être rétabli dans son grade.

Et l’on n’aurait pu lui opposer aucune déchéance à défaut de prestation de serment ; car, en ce cas, il n’aurait pas pu le prêter à cause d’une poursuite criminelle qui aurait été déclarée lui avoir été intentée à tort.

Or, l’amnistie a des effets aussi étendus qu’on aurait eu un arrêt d’absolution.

Il n’est plus alors permis d’examiner si c’est à tort ou avec raison que la poursuite a été intentée.

On doit placer l’amnistié dans la position la plus favorable.

On doit donc le placer dans celle d’un arrêt d’absolution.

On doit, par une conséquence ultérieure, le replacer dans son grade, comme s’il avait été absous.

Et l’on ne peut pas lui opposer des déchéances qui n’auraient pu être invoquées contre lui dans le cas d’un arrêt d’absolution.

Ainsi, dans le cas dont il s’agit, le défaut de prestation de serment dans le mois, ne faisait pas obstacle à ce que Vandersmissen fût réintégré dans son grade.

§ 3.

La majorité de la section centrale a encore prétendu qu’aux termes de la loi du 16 juin 1836, Vandersmissen ayant résidé hors du royaume, sans autorisation du Roi, pendant plus de trois ans, à partir de la promulgation de ladite loi, il y avait lieu de procéder contre lui en la forme qu’elle détermine, pour lui être ensuite fait application de l’article 1er.

Mais, bien évidemment, cette loi n’était pas ici applicable.

D’abord on ne pouvait l’appliquer à un fait antérieur, sans lui donner un effet rétroactif.

Or, Vandersmissen était sorti du royaume bien antérieurement à cette loi.

Il n’a fait ensuite que continuer son absence.

Et la loi ne peut s’appliquer qu’à une absence qui aurait eu lieu après la promulgation de cette loi.

En second lieu, Vandersmissen était banni du territoire de l’état par l’arrêt de la haute cour militaire, du 29 novembre 1831.

Pour rendre sa rentrée dans le royaume obligatoire, un délai péremptoire aurait dû lui être fixé pour purger sa contumace.

Or, la loi du 16 juin 1836 n’a pas eu pour objet de fixer des délais à cet effet.

Aux termes de l’article premier de cette loi, les officiers peuvent être privés de leur grade … « 4° Pour résider hors du royaume, sans autorisation du Roi, après cinq jours d’absence. »

Cette disposition suppose bien le cas d’une absence volontaire.

Mais l’absence du général Vandersmissen se rapportait à des faits d’un autre genre ; elle était le résultat de la poursuite criminelle intentée contre lui.

En outre, au moment de la promulgation de la loi du 16 juin 1836, Vandersmissen était déclaré déchu de son grade, par l’arrêt du 29 novembre 1831.

Quel avis aurait donc eu à émettre le conseil d’enquête qui aurait été saisi d’une telle inculpation ?

Quelle décision aurait pu prendre le gouvernement sur l’avis qui aurait été émis ?

Celui qui peut prononcer la perte du grade, peut, par cela même, ne pas la prononcer. « Ejus est non nolle qui poteste velle. »

Ici l’on se trouvait dans une position toute différente.

La déchéance du grade était prononcée par un arrêt de contumace.

Le sort du condamné dépendait de l’arrêt à intervenir ultérieurement.

C’était à la justice et non au gouvernement à prononcer sur la perte du grade.

Les choses seraient demeurées dans cet état, sans la loi d’amnistie. Mais, comme nous l’avons vu, celle a tous les effets d’une arrêt d’absolution.

Ainsi, sous tous les rapports, la loi du 16 juin 1836 n’était pas applicable au général Vandersmissen.

Nous venons de discuter les questions soulevées dans la section centrale. Ces questions comme le dit le rapport, ont été agitées « en supposant l’amnistie régulière. »

Mais, si l’amnistie est régulière, elle a tous les effets d’un jugement d’absolution ; elle remet donc l’accusé dans son pristin état, et lui conserve tous les droits qu’il avait, lorsqu’il a été poursuivi.

Avec des maximes semblables à celles de la section centrale, une vois serait ouverte pour persécuter l’innocent.

Et, par un exemple encore applicable, aujourd’hui, une accusation injuste sera ourdie contre un officier ; il craindra que des apparences trompeuses ne le fassent regarder comme coupables ; il prendra la fuite.

On pourrait donc, avec les doctrines de la majorité de la section centrale, priver cet officier de son grade, sans attendre l’arrêt que la justice militaire est appelée à prononcer.

Et vainement, lorsque les préventions qui s’élevaient contre lui seraient dissipées, viendrait-il faire preuve de son innocence : la perte du grade n’en serait pas moins prononcée.

Non, messieurs, ce n’est pas vous qui admettrez de pareilles maximes.

Mais on s’écriera : Vous faites ici abus d’un exemple que vous proposez, il ne s’agit pas d’un innocent, reconnu tel par la justice ; il s’agit d’un homme déclaré coupable, par contumace, il est vrai ; mais qui n’a pas, en purgeant cette contumace, fait reconnaître son innocence.

Ce n’est pas changer la question, c’est vouloir, suivant les circonstances, modifier l’application des principes ; ce qui serait contraire aux règles d’une exacte justice.

Nous l’avons déjà dit et répété, l’amnistie a les mêmes effets qu’un arrêt d’absolution.

Et les principes que vous appliqueriez dans ce dernier cas, doivent également être appliquées à celui d’une amnistie.

Toute la question est donc de savoir s’il y a eu une amnistie régulière.

Nous croyons avoir établi l’affirmative d’après les dispositions du traité du 19 avril 1839.

Mais il nous reste encore à examiner la question sous un autre rapport, sous celui des considérations politiques.

Et ici la majorité de la section centrale a été elle-même divisée.

Deux membres voyaient, dans l’amnistie, une violation flagrante de l’article 73 de la constitution, qu’il était urgent de réprimer.

Deux autres membres excusaient un acte de clémence, irrégulier, il est vrai, mais que des considérations politique et un sentiment de générosité pouvaient avoir dicté.

Ce n’est pas, messieurs, que je pense que le gouvernement ait besoin d’être excusé ; car son acte n’est pas irrégulier.

Mais, j’ai dû relevé l’opinion de ces deux derniers membres de la section centrale ; parce qu’ils ont eux-mêmes été frappés des considérations politiques qui militaient en faveur de l’application de l’amnistie au général Vandersmissen.

Et, en effet, cette salle n’a-t-elle pas, il y a un an, retenti d’appréhensions sur le sort des populations qui rentraient sous la domination du roi Guillaume ?

Il fallait donc lui donner l’exemple d’une large interprétation de l’amnistie stipulée dans le traité.

Nous appliquons l’amnistie à celui qui a conspiré en faveur du prince d’Orange, à celui qui s’est démontré le partisan de Nassau. Nous lui appliquons cette amnistie pleine et entière, avec toutes les conséquences de l’abolition du délit.

C’était convier la vieille Néerlande à jeter également un voile sur le passé ; c’était convier son roi à en agir de même vis-à-vis de ceux qui s’étaient associés à la révolution belge contre lui et sa dynastie.

Et croyez-vous, messieurs, que la Hollande et son roi n’avaient pas, à l’égard de ceux qu’ils ont longtemps qualifiés de rebelles, les mêmes sentiments que nous avons contre ceux qui ont voulu nous remettre sous le sceptre des Nassau.

Un oubli réciproque était à désirer.

Et nous avons cru que le gouvernement belge devait en donner l’exemple.

Je sais qu’il n’a pas d’abord été suivi ; et que, peut de temps après, nous avons eu à gémir des destitutions qui ont frappé les fonctionnaires du Luxembourg cédé.

Mais quels reproches n’aurait-on pas adressé au ministère s’il n’avait pas eu commencé par appliquer lui-même l’amnistie.

Sa réserve à cet égard aurait été signalée comme une des causes qui auraient amené les destitutions.

Par vos poursuites imprudentes, lui aurait-on dit, vous avez aigri le roi Guillaume, auquel vous avez abandonné des populations qui réclamaient toute votre sollicitude.

Vous usez de rigueur vis-à-vis des partisans des Nassau ; eh bien ! ceux-ci usent de la même rigueur à l’égard de ceux que vous avez remis sous leur joug.

Voilà comment vous couronnez votre œuvre, en excitant à des représailles contre des frères que vous avez livrés à leur oppresseur.

Non seulement, vos représentations seront vaines, parce que vous n’avez plus d’autorité sur les territoires cédés, mais encore parce que vous avez vous-mêmes, par des actes imprudents, appelé l’oppression dont ils sont les victimes.

Aujourd’hui, des reproches en sens contraire nous sont adressés.

Toutefois, quoique d’un avis contraire sur la question de droit, je vois qu’une partie de la majorité de la section centrale s’associe aux considérations politiques, qui nous ont guidés dans l’acte qui fait maintenant le sujet de la discussion.

Il ne reste dons plus qu’une question d’interprétation de l’article 20 du traité, relative à l’étendue de l’amnistie qu’il proclame.

Je maintiens la légalité de l’amnistie appliquée au général Vandersmissen, et la conséquence nécessaire qui en résultait pour le rétablissement dans son grade.

Ici, nous pouvons même dire que le doute suffirait pour décider la question.

Dans le doute, il faut suivre le parti de la clémence.

Et les lois d’amnistie doivent, dans le doute, être interprétées favorablement.

Il faut donc ne voir aucun doute dans la question, pour la décider en sens contraire du gouvernement.

Et c’est ce qu’on verra difficilement.

Il faut convenir, messieurs, que la Belgique se trouve dans une position toute particulière.

Dans d’autres pays où des amnisties ont été proclamées, quels étaient les reproches, pour la plupart, sur les exécutions ?

Qu’on ne les exécutait pas loyalement ;

Qu’on livrait à la rigueur des lois des hommes qui se trouvaient à l’abri de l’amnistie ;

Qu’on faisait des promesses de grâce et de clémence ; et qu’on ne les tenait pas ;

Que l’on conduisait même à l’échafaud des hommes qui auraient pu y échapper, s’ils ne s’étaient pas confiés aux promesses de ceux qui les avaient vaincus.

Ici, c’est tout le contraire. Le ministère est accusé, non pour avoir exercé des persécutions aux mépris de l’amnistie accordée, mais pour avoir donné prétendument une extension à cette amnistie, non pour avoir favorisé les réactions politiques, mais avoir cherché à es étouffer ; non pour avoir été exhumer des accusations, mais pour avoir cherché à en tarir la source.

Voilà cependant à quoi se réduisent les reproches.

M. Lys – Un traité a naguère mutilé nos provinces ; nous avons payé cher et beaucoup trop cher l’honneur d’être reconnus comme Etat indépendant par les autres puissances européennes. Quoi qu’il en soit, ce traité est aujourd’hui un fait accompli auquel nous devons bien nous résigner ; le but constant de tous nos efforts doit être de doter la Belgique d’une bonne organisation, protectrice de son industrie et de son commerce, réglant les dépenses avec sage économie et de manière à ne pas nuire à sa position, sans cependant voir augmenter les contributions qui grèvent si fortement la nation ; union et oubli quant aux personnes, telle doit être la devise de notre politique intérieure ; mais si le gouvernement doit proclamer et suivre ces principes, il ne doit pas, d’un autre côté, fouler aux pieds les exigences de la légalité, car, hors de la légalité, il n’y a plus de gouvernement, il n’y a plus qu’arbitraire.

La question qui se présente aujourd’hui, n’est pas une question d’humanité, c’est une question de principe, de légalité, et c’est comme telle que le gouvernement lui-même l’a posée et l’a résolue par l’arrêté du 13 juillet dernier. Voyons donc si le ministère a compris la portée réelle de l’article 20 du traité ; voyons s’il n’a pas violé la loi.

« Personne dans les pays qui changent de domination ne pourra être recherché, ni inquiété en aucune manière, pour cause de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »

Le ministère a entendu cette disposition en ce sens, que toute la Belgique a seulement changé de domination lors du traité des 24 articles ; en d’autres termes, que la Belgique a été légalement province hollandaise jusqu’en 1839.

Une pareille interprétation de l’article 20 du traité peut-être être consciencieusement admise ?

Je ne le crois pas. Sans doute, les actes d’amnistie doivent être entendus largement ; mais, pour cela, il faut que les termes et l’esprit de la loi d’amnistie ne s’opposent pas à l’extension que l’on veut lui donner ; faire plus, c’est ajouter à la loi, et ce pouvoir n’appartient qu’à la législature.

Il est encore vrai que le langage des traité est réglé par certaines principes de haute convenance, mais ces principes ne constituent pas le droit qui est préexistant, ils ne constituent que la manière de formuler le droit.

Ces convenances de langage, de formes, ne peuvent donc pas être invoquées pour l’interprétation de l’article 20 du traité.

Peu importe donc que, dans les articles 1 et 2, on se serve du futur, en parlant des provinces qui composent le territoire belge.

Le territoire belge se composera, etc.

Cette locution n’est relative qu’à la reconnaissance de la Belgique par la Hollande, en d’autres termes, à la renonciation que le roi Guillaume fait de sa prétendue souveraineté sur les provinces belges.

Il est si vrai que l’emploi de cette locution ne peut avoir la portée que l’on voudrait lui donner, que l’article 3 du traité emploie le même mode vis-à-vis du roi Guillaume.

Il sera assigné à S.M. le roi des Pays-Bas une indemnité territoriale dans la province de Limbourg, etc.

Or, pour s’exprimer de la sorte, en parlant de la Hollande, il faut nécessairement que l’on ait considéré le Limbourg comme ayant passé sous une autre domination à l’époque du traité, puisque l’on accorde au roi Guillaume une indemnité territoriale dans le Limbourg ; si cette province n’avait pas été belge avant le traité des 24 articles, l’article 3 présenterait un non-sens, car on aurait abandonné à la Hollande ce qu’elle avait déjà en son pouvoir.

Le divorce de la Hollande et de la Belgique a eu lieu en 1830 ; c’est le congrès, et non la diplomatie qui a constitué l’indépendance du pays.

La Belgique n’avait eu d’existence légale qu’à partir du traité des 24 articles, pourquoi aurait-on dit dans l’article 6, chacune des deux parties renonce réciproquement ?

Dans le sens du ministère, la Belgique n’avait pas de droits avant le traité ! Elle n’avait donc pas de renonciation à faire, c’était à la Hollande seule à faire abandon de ses prétentions, et pour être conséquent avec un pareil système, l’article 6 aurait dû porter : « Moyennant les arrangements territoriaux ci-dessus, S.M. le roi des Pays-Bas renonce à toutes prétentions sur les villes, places et territoires de la Belgique. »

Le traité s’est exprimé différemment, parce que le royaume belge n’existe pas, par la grâce de la conférence, qui a cherché à l’étouffer à sa naissance ; mais parce que le royaume de Belgique avait existence légitime, indépendante depuis 1830.

Quels sont donc maintenant les pays qui ont changé de domination par le traité ? Ce sont, d’une part, les parties du Limbourg eu du Luxembourg qui ont été abandonnées à la Hollande, et d’autre part, les forts de Lillo et de Liefkenshoek avec leurs rayons. A ces seuls districts peuvent s’appliquer les termes : « qui changent de domination » ; et rien n’est plus facile que de le démontrer.

L’article 20 ne dispose formellement que pour les pays qui « changent de domination », c’est-à-dire qui passent de la domination belge sous la domination hollandaise et réciproquement. Impossible, messieurs, de donner à cette disposition une autre interprétation. Or, pour qu’un territoire puisse passer de la domination belge sous la domination hollandaise, il faut que le fait de la domination ait été préexistant au traité ; en partant de ce principe, il en résulte que les autres provinces qui faisaient partie du royaume de Belgique avant le traité, et qui ont continué à en faire partie depuis ce traité, se trouvaient et sont restées sous la domination belge. Les autres provinces, excepté les districts cédés, n’ont donc pas changé de domination.

L’article 20 ne concerne donc pas la Belgique entière.

Savez-vous, messieurs, quelle serait la conséquence d’une autre interprétation ? C’est la négation de l’indépendance nationale avant le traité des 24 articles ; c’est que l’article 20 ne concernait que la Belgique ; c’est que le roi Guillaume serait dans son droit en frappant ses sujets du Limbourg et du Luxembourg, malgré l’article 20 du traité.

En effet, le ministère entend l’article 20 en ce sens : que toute la Belgique a changé de domination par le traité, c’est-à-dire, qu’elle a seulement alors été émancipée de la puissance du roi de Hollande ; il suit de cette interprétation que les parties du Limbourg et du Luxembourg qui ont été cédées à la Hollande n’ont pas changé de domination, qu’elles sont restées ce qu’elles étaient, et par suite, messieurs, l’article 20 du traité ne pourrait pas les concerner ; l’article 20, au lieu de protéger nos anciens compatriotes, ne concernerait que les partisans de l’ancien ordre des choses, qui se seraient livrés à des menées coupables.

L’absurdité de ce résultat, diamétralement contraire à tout ce qui a été dit et écrit dans les transactions qui ont amené le traité des 24 articles, prouve assez que l’interprétation que le ministère a donnée à cet article ne peut être accueillie.

L’article 24 du traité, qui concerne l’évacuation des territoires, villes, places et lieux qui changent de domination, prouve encore de plus fort que l’article 20 ne concerne que les parties cédées, car il en résulte que les pays qui changent de domination sont ceux dont le traité prescrit l’évacuation.

Mais dira-t-on que, dans l’article 17, le traité parle des deux pays en général, et que, par suite, il faut dans l’article 20 donner une portée aussi étendue à la même expression ?

Ce serait une erreur que de soutenir un pareil système ; dans l’article 17, on parle à coup sûr de la Belgique et de la Hollande entières, parce que l’on y stipule au nom des deux pays, en d’autres termes, au nom des deux Etats ; mais dans l’article 20, l’expression « les pays » ne signifie point, ne peut signifier « les Etats. » Le mot « pays » accolé au restrictif « qui changent de domination », indique que l’on a entendu stipuler dans l’intérêt des fractions de territoire que les deux Etats s’abandonnaient réciproquement.

L’article 24, que nous avons cité, contient une énumération qui explique parfaitement ce que l’on a compris par pays qui changent de domination, et cette énumération est tellement complète que rien ne lui échappe, territoires, villes, places et lieux.

Ainsi, l’article 6, relatif aux renonciations réciproques, se sert des mêmes termes que l’article 24, ce qui démontre de plus en plus qu’interpréter l’article 20 par l’article 24, c’est se conformer non seulement à la lettre, mais encore à l’esprit du traité.

Dans l’article 23, on a employé taxativement, il est vrai, les noms des parties cédées, en parlant des jugements et des actes ; mais ce n’est pas à dire pour cela que l’article 20 concerne autre chose que ces mêmes provinces ; l’argument qu’on déduirait de cette disposition serait donc mauvais. Il ne peut rester aucun doute que la Belgique entière ne peut se trouver sous le coup de l’article 20 du traité ; il n’y a que les parties de territoires cédées réciproquement qui soient obligées par cette disposition. Ce n’est pas sur ces territoires que le général Vandersmissen a été poursuivi pour complot, le ministère ne peut donc pas l’abriter, sous l’article 20, contre les poursuites de la justice.

L’arrêté du 15 juillet est donc illégal et inconstitutionnel. Le ministre a renié l’origine de l’indépendance belge ; il a osé arrêter le cours de la justice ; je ne rechercherai pas le but qui l’a fait agir ainsi, les circonstances qui ont amené cet arrêté du 15 juillet le démontrent assez. Remarquez, messieurs, que ce n’est point spontanément que le ministère en a agi ainsi, c’est sur la provocation du général Vandersmissen, c’est lorsque ce dernier venait déclarer qu’il entendait purger sa contumace, c’est alors seulement qu’on a torturé les dispositions du traité, en faisant une fausse application de son article 20 ; je dis dès lors que par l’arrêté du 15 juillet, il y a violation flagrante de l’article 73 de la constitution, qu’il y a lieu de réprimer un pareil acte et que dès lors tout membre de la représentation nationale doit voir avec regret la conduite du gouvernement dans cette circonstance.

Je crois avoir rencontré toute l’argumentation des MM. les ministres faite dans la dernière séance ; j’en excepte cependant la partie à laquelle a si dignement répondu notre honorable collègue M. de Brouckere.

A entendre MM. les ministres, vous n’auriez été, depuis 1830 jusqu’en 1839, qu’un peuple révolté, n’ayant de la Belgique qu’une possession précaire, qu’une possession à titre de violence ; ainsi, messieurs, il y aurait eu ce qui s’appelle usurpation. Voilà donc ce que MM. les ministres appellent la souveraineté du peuple ; voilà le lot que l’on fait au Roi de votre choix, à partir de 1831 jusqu’en 1839.

Ce n’est que par le traité qu’un droit vous a été conféré, mais vous l’avez acheté bien cher, s’il faut en croire MM. les ministres. Ce ne sera plus de la faiblesse seulement que reprocheront les adversaires du fatal traité à ceux qui ont cru devoir l’accepter, ce sera de la lâcheté ; car ils auront reconnu que jusqu’au traité de paix ils n’étaient que des révoltés, sans autres droits que ceux que donne la violence un fait de possession, ils auront reconnu que ce n’est qu’à partir du traité que la violence a cessé et que le droit à commencé ; ils n’ont donc jamais eu le droit de conserver des frères du Limbourg et du Luxembourg, qu’ils abandonnaient ; car ceux-ci, d’après MM. les ministres, n’avaient jamais cessés d’être les sujets du roi des Pays-Bas ; ils n’ont jamais été Belges de droit ; mais ils auront fait plus encore, car ils auront forcé le gouvernement du Roi à rétablir un homme accusé de trahison sur les cadres de l’armée belge, et en effet, messieurs, à entendre MM. les ministres, c’est avec le plus vif regret, c’est à titre d’esclaves de la loi qu’ils ont amnistié le général Vandersmissen, lui ont rendu son grade et ses émoluments ; ils ont fait tout cela en exécution du traité que vous avez sanctionné ; loin donc d’attaquer les ministres, loin de déverser le blâme sur eux, acceptez ce blâme, messieurs, car vous avez accepté le fatal traité, vous avez jugé la révolution en forçant le gouvernement à réintégrer dans votre armée ceux qui l’avaient flétrie.

Voilà, messieurs, le résultat de l’interprétation que donne le ministère à l’article 20 du traité.

Vous voyez qu’il n’y a aucun point de juste milieu à saisir dans la proposition qui vous est faite par l’honorable M. Dumortier. Cette proposition est simple, elle ne présente aucune ambiguïté, mais elle a une haute portée.

Ou le blâme, messieurs, appartient aux ministres, ou il est le lot de la chambre.

Ainsi, messieurs, ceux d’entre vous qui voteront négativement sur cette proposition, ceux qui diront non, seront censés dire :

« Oui, le traité de paix de 1839 contient le lâche abandon de nos frères du Limbourg et du Limbourg, en reconnaissant qu’ils n’avaient jamais, de droit, fait partie de la Belgique. Oui, ce traité de paix contient la reconnaissance que, jusqu’en 1839, nous n’avons été que des révoltés, dans toutes les parties quelconques de la Belgique, sans en excepter aucune. Oui, notre droit de peuple belge n’a commencé qu’à partir de ce fatal traité ; oui, c’est la chambre, en sanctionnant ce traité, et non les ministres du Roi, qui a amnistié le général Vandersmissen, et les a forcés à compter un homme accusé de trahison au nombre de nos braves : oui, les ministres n’ont fait qu’exécuter la volonté de la chambre, et ils l’ont fait à regret ; à vous donc, messieurs, le blâme ! pour vous l’ignominie ! honneur à MM. les ministres, et honte à la chambre qui a sanctionné le traité. »

Voilà, représentants de la nation, la position dans laquelle vous placent MM. les ministres.

Pour moi, je n’assume pas cette responsabilité, et je dis franchement : Oui la chambre a vu avec regret la conduite du gouvernement dans l’affaire du général Vandersmissen.

M. d’Huart – Messieurs, il a été clairement établi que l’article 20 du traité du 19 avril n’était nullement applicable au sieur Vandersmissen, et je ne me propose pas de prolonger la discussion sur ce point. Il est évident, d’après l’article 3 du traité, qui stipule l’échange d’un territoire appartenant à la Belgique contre une partie de territoire appartenant au roi des Pays-Bas, grand-duc, que la diplomatie étrangère, elle-même, n’a pas voulu faire si bon marché de ce qu’il faut entendre par la domination de la Belgique, qui, suivant certains arguments de MM. les ministres, ne doit avoir existé qu’après la ratification du traité Du reste, les termes de l’article 24 de ce traité expliquent de manière à ne s’y point méprendre de quelle domination parle l’article 20, et il est incontestable que, conformément à la saine raison, il ne peut s’agir que de l’occupation réelle des territoires.

Mais admettons que l’article 20 puisse être entendu comme MM. les ministres s’efforcent inutilement de l’expliquer ; supposons donc que la loyale exécution du traité exigeait que le sieur Vandersmissen fût amnistié ; eh bien, je dis que dans cette hypothèse la conduite du gouvernement a été contraire à la loi sainement entendue, que de plus elle a été inutilement impolitique.

En effet, messieurs, tous les efforts du ministère ne changeront rien à la déchéance que le sieur Vandersmissen avait encourue de son rang militaire par le fait unique de sa trahison ; il y a dans ce fait, flétri par une sentence de la justice, qui conservera moralement tout son empire, quelque chose de plus fort que toutes les subtilités d’arguments ; la conscience publique domine ici les sophismes les plus laborieusement apprêtés pour y opposer des textes de loi.

Examinons toutefois la loi qui a servi de base à la défense du ministère, c’est-à-dire le décret du 5 mars 1831. Ce décret, qui prescrivait le serment, portait comme on l’a dit, la perte du grade militaire pour tout officier qui n’aurait pas prêté le serment dans le mois. C’est le 25 du même mois de mars, que le sieur Vandersmissen conspirait pour le renversement du gouvernement de la Belgique ; ses tentatives ayant échoué, il prit aussitôt la fuite avant d’avoir prêté le serment, et MM. les ministres viennent prétendre que le délai de rigueur ne peut lui être applicable ; il y avait contre lui un arrêt, disent-ils, et il est clair qu’il ne pouvait revenir prêter en Belgique un serment auquel il n’eût point été admis ; et d’abord il n’y avait point d’arrêt de la haute cour portée dans le délai du 5 mars au 5 avril, puisque l’arrêt est du 29 novembre. Mais voyez à quel résultat moral on arrive avec de tels arguments. Je suppose que le sieur Vandersmissen, au lieu d’avoir été criminel, fût tout à fait innocent, qu’il se fût simplement absenté de son poste et que très innocemment il eût négligé de prêter le serment avant le 5 avril, il eût été incontestablement déchu de son grade, tandis que, d’après ce qu’on a cherché à vous prouver, son crime tourne en sa faveur ; sa trahison ne lui ayant point permis de se représenter en Belgique, le délai fatal endéans lequel le serment devait être prêté ne peut lui être applicable.

N’y a-t-il pas là quelque chose qui blesse toutes les notions de la justice ?

La réintégration du sieur Vandersmissen dans les cadres de l’armée est donc une illégalité flagrante ; mais admettons qu’il soit seulement permis d’élever des doutes sur ce point de droit, le ministère devait-il trancher la question comme il l’a fait ? C’est en répondant à cette question que je trouve la mesure inutilement impolitique.

Au moment de la paix, a dit un ministre, il fallait des gages de réconciliation et d’union ; eh bien, je vous le demande, messieurs, la mesure contre laquelle nous nous élevons, la réintégration du sieur Vandersmissen dans les cadres de l’armée n’était-elle pas un nouveau brandon de discorde ? Et, après une paix si douloureuse, fallait-il en augmenter l’amertume par un acte si opposé aux sentiments intimes des vrais patriotes ? Et vous qui parlez d’union, quelle confiance voulez-vous qu’aient dans l’avenir ceux qui, dès les premiers jours, ont exposé leur vie pour le triomphe de la révolution de 1830, si déjà, peu d’années après, on croit pouvoir heurter ainsi la juste susceptibilité de leurs souvenirs civiques.

Mais il fallait, ont dit les ministres, ménager les exigences internationales résultant du traité. On a déjà démontré que les puissances étrangères n’auraient point eu le droit de réclamer l’application de l’article 20 du traité au sieur Vandersmissen. Admettons encore une fois que le gouvernement belge, pour faire acte de bonne composition diplomatique, ait convenablement amnistié le sieur Vandersmissen, les puissances auraient-elles pu songer à demander quelque chose de plus ? Evidemment non. Si l’article 20 du traité pouvait être applicable ici, ce ne serait que par cette fiction forcée que la domination de la Belgique n’a commencé qu’après la ratification du traité du 19 avril ; or, comment pourrait-on, répudiant ainsi la domination de fait, prétendre que la nomination du ci-devant major Vandersmissen au grade de général, portée dans les premiers jours de cette domination de fait, soit un acte irrévocable aux yeux des puissances. Il y aurait eu là une contradiction par trop choquante.

Veuillez du reste remarquer, messieurs, que l’article 20 du traité ne garantit aux personnes auxquelles il peut s’appliquer, que de n’être point inquiété n recherché, à raison des événements politiques, mais nullement d’être l’objet de faveurs ; rien ne stipule dans cet article que les emplois, par exemple, seront rendus ou conservés à ceux qui les avaient perdus, conservés ou obtenus de 1830 à 1839. Le roi Guillaume a-t-il lui, conservé nos fonctionnaires publics dans les parties abandonnées du Limbourg et du Luxembourg ? N’a-t-il pas même destitué des fonctionnaires inamovibles, des notaires, au nombre desquels il s’en trouve qui avaient été nommés par lui-même avant 1830 et ces destitutions n’ont-elles pas eu lieu sous prétexte de participation de ces fonctionnaires aux événements de 1830 ?

Que pouvait-il donc arriver si le gouvernement, tout en amnistiant le sieur Vandersmissen, lui avait refusé de le réintégrer dans les cadres de l’armée ? Il pouvait arriver que celui-ci (et je doute qu’il l’eût osé) serait venu s’en plaindre aux chambres législatives, qui auraient fait prompte justice par un ordre du jour d’une démarche aussi hardie.

Quelle a donc été réellement cette nécessité devant laquelle, MM. les ministres disent avoir cédé. Elle pourrait exister ailleurs, encore que dans le point de droit qu’ils ont allégué ; et il nous est permis d’en penser ce que nous voudrons, à l’égard des ministres réunis ou individuellement.

M. le ministre de la guerre, pour prétendre qu’il n’avait point été accordé de faveur au sieur Vandersmissen, a dit que la position de non-activité impliquait une réprobation ; je ne sais si les officiers, assez nombreux, placés dans cette position, seront fort flattés de la déclaration de M. le ministre ; mais, quoi qu’il puisse prétexter à cet égard, il n’en restera pas moins vrai que le sieur Vandersmissen est pour le moment réintégré dans les cadres de l’armée ; qu’il peut porter l’uniforme de général belge, et exiger le salut de tous les honneurs attachés à cet uniforme ; qu’il pourrait très aisément arriver, un jour ou l’autre, que le sieur Vandersmissen, dont le crime de trahison couvert par le voile de la loi, selon M. le ministre de la justice, n’est déjà plus, selon l’expression de M. le ministre de la guerre, qu’une faute, obtienne un commandement ; et en vue de tout cela, on vante la discipline, on veut réprimer, le cas échéant, toute manifestation de la part des membres de l'armée. Mais, messieurs, n’est-ce pas au nom des sentiments d’honneur qu’on conduit les armées ? et ici à quel titre parlerait-on à la nôtre ?

J’en ai assez dit, messieurs, pour témoigner mon opinion en cette circonstance. Vous ne doutez point, d’après mes paroles, que je partage tout à fait l’avis de la section centrale, et que je ne vote pour l’expression de cet avis ; cependant la proposition de M. Dumortier, présentée à l’occasion d’une loi de finance, ne me paraît pas entièrement régulière dans sa forme, et je n’hésiterai pas à donner la préférence à tel amendement qui y serait présenté, et d’après lequel la chambre déciderait purement et simplement, dès à présent, que le montant du traitement destiné par le projet de budget au sieur Vandersmissen, sera retranché de l’imputation dans laquelle il se trouve compris. Une telle décision me paraîtrait plus convenable que celle proposée par M. Dumortier, qui au fond est la même ; de cette façon la chambre empêcherait, autant qu’il est en elle, l’effet, résumé dans le budget, de la mesure prise par le gouvernement à l’égard d’un homme qui, ayant cherché à anéantir la nationalité du peuple belge, est sans titre valable pour obtenir une part quelconque du produit des impôts que ce même peuple supporte pour le maintien et la consolidation de cette nationalité.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – L’avant-dernier orateur a dit que le ministère, en cherchant à justifier l’arrêté par lequel le général Vandersmissen a obtenu le traitement d’inactivité, a porté atteinte à l’indépendance de la Belgique, à la légitimité du Roi. Il n’en est rien.

J’ai eu l’honneur de vous dire hier que le Roi n’a accepté la couronne qui lui était offerte par le congrès qu’à la demande même des grandes puissances ; lord Ponsomby fut chargé de faire la déclaration, au nom des grandes puissances, que « la souveraineté de la Belgique et son Roi seraient reconnus après l’acceptation des 18 articles. » Il n’y a donc pas de doute que le Roi n’est venu en Belgique qu’en qualité de souverain légitime, non seulement aux yeux de la Belgique, mais aux yeux des grandes puissances elles-mêmes. S’ensuivait-il qu’il n’y eût plus de traité à conclure avec la Hollande ? Evidemment non. La souveraineté reconnue en principe par les grandes puissances, à la condition de l’acceptation des dix-huit articles, a été définitivement régularisée par le traité du quinze novembre 1831, traité rappelé dans celui du 19 avril dernier. Nous n’avons donc pas porté atteinte à la légitimité du Roi. Mais nous avons signalé que, dans le traité du 15 novembre 1831 reproduit pour la plus grande partie dans celui du 19 avril dernier, la conférence avait exigé du roi Guillaume le désistement de ses prétentions à la Belgique, et que ce désistement a été, de la part de la Hollande, définitivement consacré par ce traité.

On a dit que la diplomatie n’a pas fait aussi bon marché que nous du droit de la Belgique. Veuillez vous rappeler le texte de la réponse de la conférence que j’ai eu l’honneur de vous citer hier, et aussi les différents textes du traité des 24 articles, et vous verrez quelle a été la pensée de la conférence, quand elle a proposé et imposé l’acceptation du traité aux deux parties.

Je dis donc que l’argumentation que j’ai présentée sur le sens du traité est demeurée intacte, et qu’il a été impossible à nos adversaires de faire valoir des arguments de quelque poids tendant à réfuter l’opinion que j’ai émise dans la séance d’hier.

M. Dolez – Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Un honorable préopinant, député de Mons, qui à l’instant même demande la parole, a exprimé le regret que le gouvernement n’ait pas saisi la haute cour de la décision de cette question. Pour nous, nous sommes convaincus que nous aurions commis une faute grave en agissant ainsi.

C’est surtout au gouvernement qu’il appartient d’interpréter les actes diplomatiques. Le gouvernement était donc dans la nécessité de déterminer le sens qu’il attache à l’article 20 du traité, soit en prenant l’arrêté qu’il a pris relativement au général Vandersmissen, soit en s’abstenant et en saisissant ainsi la haute cour de l’interprétation du traité. Dans l’un et dans l’autre cas, soit qu’il prît un arrêté, soit qu’il s’abstînt, il donnait un sens à l’article 20. S’il s’abstenait, il laissait voir que dans son opinion l’article 20 n’était pas applicable au général Vandersmissen.

Qu’il me soit permis de vous citer quelques exemples qui vous prouveront tout le danger de recourir aux tribunaux en pareille matière, et en même temps de faire des interprétations restrictives.

Vous vous rappelez qu’il y a quelques semaines des miliciens de la partie cédée du Limbourg furent considérés comme déserteurs avec arme et bagage, et furent tout à coup l’objet de poursuites judiciaires. Ils quittèrent aussitôt leurs familles, et vinrent chercher un asile en Belgique. Il n’y eut dans le pays, et particulièrement dans la province du Limbourg, qu’une voix de réprobation contre ces poursuites. Dès que le gouvernement a eu connaissance de ce fait, j’ai eu personnellement un entretien avec le ministre des Pays-Bas, et j’écrivis au prince de Chimay, j’écrivis en même temps au président de la commission belge à Maestricht de s’aboucher avec le gouverneur de la province pour avoir des explications sur ce qui s’était passé et, au besoin, faire les représentations nécessaires.

Dans l’entretien que j’eus avec le ministre des Pays-Bas, je fis ressortir que les poursuite intentées contre les miliciens étaient évidemment contraires au traité. Je dis que leur désertion ne pouvait être considérée comme un délit militaire ordinaire, mais qu’elle constituait un délit politique, à raison des circonstances dans lesquelles cette désertion avait eu lieu. J’ajoutai que la circonstance de la désertion avait eu lieu avec armes et bagages ne pouvait changer en rien la nature du fait, qu’on ne pouvait qualifier l’enlèvement des armes et bagages comme un vol, mais uniquement comme un délit politique. Finalement, j’insistais pour que l’ordre de cesser ces poursuites fût donné. Je fis remarquer qu’on ne pouvait laisser aux tribunaux militaires du Limbourg néerlandais la décision de la question de savoir si le traité était oui ou non applicable à ces miliciens, et dans cette occasion, je me prévalus de ce que le gouvernement belge avait fait relativement au général Vandersmissen, et de ce qu’il avait pris sur lui, ainsi que c’était son devoir, d’appliquer l’article 20 dans le sens qu’il l’entendait.

Vous savez que les poursuites dans le Limbourg ont complètement cessé. Des ordres positifs ont été donnés tant aux autorités civiles qu’aux autorités militaires de faire cesser toute poursuite à l’égard des miliciens quels qu’ils fussent. Mais en aurait-on agi de même si le gouvernement belge avait laissé saisir la haute cour de l’affaire Vandersmissen ? De quel droit alors aurions-nous demandé au gouvernement néerlandais de ne pas appelez les tribunaux à prononcer sur le sort des miliciens ? Ne nous aurait-il pas répondu que le gouvernement belge avait lui-même cru que ces questions devaient être résolues par les tribunaux ?

Vous voyez donc à quel danger on s’expose lorsqu’on veut saisir l’autorité judiciaire de questions diplomatiques, de questions internationales ; à quels dangers on s’expose lorsqu’on veut donner au traité une interprétation restrictive.

Ce cas n’est pas le seul. On vous a dit que l’article 20 ne pouvait s’entendre que du Limbourg et du Luxembourg cédés à la Hollande par la Belgique, et des forts de Lillo et de Liefkenshoek cédés par la Hollande ; eh bien, je vais poser un cas à mes honorables contradicteurs, et je suis curieux de voir de quelle manière ils le résoudront.

On n’ignore pas que des jugements ont été rendus à Luxembourg (ville qui n’a jamais été sous la domination de la Belgique). Est-ce à la charge d’habitants des parties cédées du Luxembourg ? Nullement, mais à la charge d’habitants d’autres parties de la Belgique. Or, je le demande, si l’interprétation restrictive qu’on veut donner au traité était admise par la chambre, de quel droit les personnes contre lesquelles ces jugements ont été portés et qui sont nées dans le territoire qui forme actuellement la Belgique, comme le général Vandersmissen lui-même, viendraient-elles se prévaloir vis-à-vis du gouvernement néerlandais de l’article 20 du traité ?

Veuillez remarquer que, d’après les principes admis par la cour de cassation dans l’affaire d’Herbigny, un habitant étranger peut être condamné par les tribunaux du pays pour un fait commis par lui. Ainsi, d’après ces principes nos honorables concitoyens condamnés à Luxembourg resteraient sous le poids de ces jugements et pourraient subir l’application des peines prononcées contre eux. Voilà, messieurs, la conséquence directe de l’interprétation de nos adversaires ; et j’ose leur porter le défi de répondre à l’argumentation.

Je pourrai présenter à la chambre d’autres cas d’application sur lesquels son attention ne s’est pas portée, mais je m’en abstiens.

Les conséquences de la poursuite judiciaire devant la haute cour militaire devaient être également funestes, soit que le général Vandersmissen fût condamné, soit qu’il fût acquitté. Si le général Vandersmissen était condamné, les jugements rendus à Luxembourg conservaient toute leur force ; les autorités néerlandaises pouvaient se prévaloir de l’exemple de la décision de l’autorité judicaire en Belgique ; le conseil de guerre du Limbourg pouvait se prévaloir, pour établir la compétence à l’égard des miliciens, de l’exemple donné en Belgique par la haute cour militaire.

En cas d’acquittement du général Vandersmissen, je ferai d’abord remarquer que si l’acquittement eût mis le gouvernement belge à l’aise et eût évité les discussions fâcheuses auxquelles le ministère se trouve exposé aujourd’hui, il y aurait eu d’autres discussions également fâcheuses ; on aurait dit au ministère : C’était à vous à interpréter l’article 20 ; vous deviez savoir aussi bien que la haute cour que le général Vandersmissen était amnistié, et vous avez ouvert la porte aux poursuites judicaires dans le Limbourg et dans le Luxembourg, et ce seront les tribunaux qui y feront l’application du traité et non le roi grand-duc ; vous avez permis à l’autorité judiciaire de soutenir que tels individus étaient exclus de l’amnistie, que telles circonstances rendaient l’amnistie inapplicable.

Vous avez ouvert la porte à toute espèce de persécution, et vous avez ouvert la porte à des discussions plus ou moins irritantes, plus ou moins scandaleuses ; vous avez perdu de vue que la chambre des représentants en 1831, lorsqu’on l’engageait à donner le scandale d’une enquête militaire sur les événements du mois d’août 1831, craignant les conséquences d’une telle enquêtes, avait reculé et rejeté la motion. Si je rappelle la décision de la chambre sur la proposition faite à la suite des événements d’août 1831, ce n’est pas à dire que le gouvernement se soit déterminé à appliquer l’article 20 du traité pour prévenir le scandale.

Le général Vandersmissen, quoi qu’on en ait dit, ne s’est point prévalu de mémoires qu’il voulait publier ; le gouvernement ne sait pas si ce général possède réellement des secrets et s’il avait envie d’en faire usage.

Mon honorable collège, le ministre de la justice, vous a déjà dit que, si l’application de l’amnistie au général Vandersmissen est de nature à blesser de justes susceptibilités, le gouvernement néerlandais a eu aussi des occasions d’éprouver des susceptibilités ; et veuillez le remarquer, l’article 20 ne date pas d’avril dernier, mais il date du commencement de la révolution, il date d’octobre 1831 ; et peut-on croire qu’alors il n’y avait pas exaspération en Hollande ?

Cependant l’article 20 a été accepté par son gouvernement sans objection, car dans le mémoire de décembre 1831, où le ministre des Pays-Bas attaque plusieurs articles du traité, il a consigné n’avoir pas d’objection à faire contre l’article 20.

Ce n’est donc pas le moment de rentrer dans une voie de réaction : le gouvernement des Pays-Bas a conservé dans le Limbourg tous les fonctionnaires, même des fonctionnaires amovibles, même des fonctionnaires qui lui avaient prêté serment, et qui, depuis, avaient prêté serment au gouvernement belge ; le gouvernement grand-ducal a conservé également la plupart des fonctionnaires ; quelques-uns, à la vérité, ont été destitués, mais on a fait à l’instant même des représentations officielles. Eh bien, le roi grand-duc, revenu d’une espèce de surprise que nous devons supposer lui avoir été faite, a eu soin de replacer soit dans leurs fonctions, soit dans d’autres, les personnes destituées.

Si le gouvernement belge avait donné au général Vandersmissen un emploi d’activité, s’il l’avait mis à la tête d’une brigade, s’il avait justifié en principe l’acte odieux de la trahison, alors nous concevrions toute la vivacité de l’opposition ; mais il n’a jamais été question d’une semblable mesure dans le sein du gouvernement ; et s’il avait pu en être question, certainement, messieurs, je ne m’y serais pas associé ; je connais d’ailleurs assez les sentiments de mes collègues pour garantir que la pensée de mettre en activité le général Vandersmissen ne leur est pas venue.

De quoi s’agit-il donc ? Il s’agit de l’application légale du traité, de l’application légale de la constitution ; car, veuillez le remarquer, le général Vandersmissen possédait son grade de général, et non celui de major, au moment où la constitution a été proclamée ; la trahison n’a eu lieu que sous l’empire de la constitution. Ce grade ne pouvait donc lui être enlevé que par un jugement, dans les cas prévus par les lois ; mais il n’y avait plus lieu à porter un semblable jugement ; le traité avait, à l’égard du général Vandersmissen, la même force, la même valeur qu’une loi générale qui aurait aboli toute espèce de poursuites pour événements politiques : si vous avez aboli toutes poursuites pour faits politiques, les tribunaux ne pouvaient plus se saisir de la question ; or, cette loi, à l’égard de la Belgique, c’est celle que vous avez votée, et par laquelle vous avez autorisé le gouvernement à accepter le traité.

Dans un autre pays l’on a été, à l’égard de militaires qui avaient trahi leur gouvernement, qui avaient faussé leur serment, beaucoup plus loin qu’on a été ici : nous avons vu de maréchaux, des généraux convaincus d’avoir abandonné la cause de leur souverain, nous les avons vus conserver leurs grades, obtenir des emplois d’activité, et même de l’avancement ; or, il n’y a rien de cela ici, le gouvernement n’a pas donné d’emploi d’activité…

M. Pirson et plusieurs membres – Les officiers généraux dont vous parlez ont été obligés de s’exiler ; d’autres ont été massacrés sans jugement. (Bruit.)

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Vous aurez beau m’interrompre, la vérité dure toujours, les faits que je rappelle sont vrais.

M. Dumortier – Mais le général Vandersmissen a été condamné.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Qu’importe qu’il y ait eu condamnation si la condamnation a été abolie ; et c’est ce que nous croyons avoir démontré à l’évidence.

Mais, messieurs, c’est moins la condamnation qu’il faut regarder dans ces circonstance que le fait de trahison, que le fait de la violation des serments, car la condamnation n’est rien autre chose que la reconnaissance juridique de ces faits ; ce qui constitue l’odieux des actes, ce sont les actes eux-mêmes et les circonstances dans lesquelles ils ont été accomplis.

Toutefois supposons un instant que le ministère se fût trompé sur le véritable sens de l’article 20 du traité, erreur que nous n’admettons en aucune manière, erreur que nous ne pourrions admettre sans nuire au maintien de l’application du traité dont nous avons besoin en faveur de nos concitoyens de la part du grand-duc et de la Néerlande ; eh bien, cette erreur serait-elle d’un caractère si odieux ? Ne voyons-nous pas tous les jours les tribunaux se diviser d’opinions ? N’avons-nous pas vu souvent la cour suprême d’un pays voisin interpréter diversement les articles d’un code ; cette cour s’est trompée dans l’un ou l’autre cas ; cependant l’a-t-on accusée d’un fait odieux ? assurément non.

Aussi nous déclarons que, quelle que soit la décision qui sera prise par la chambre, nous n’en aurons pas moins la conscience d’avoir loyalement rempli notre devoir.

Je ne puis attribuer aucun sens quelconque à la proposition de M. Dumortier qu’autant qu’elle ait pour objet d’imposer à nos successeurs l’obligation de poursuivre le général Vandersmissen, car si, par suite du vote que la chambre est appelée à émettre, un ministère venait à nous succéder sans poursuivre ce général, évidemment ce ministère, dont les membres auraient voté la proposition, se serait jugé lui-même aux yeux du pays, aux yeux de l’Europe.

Eh bien, messieurs, que nos successeurs saisissent la haute cour, qu’ils assument la responsabilité d’un acte semblable, et nous serons peut-être trop tôt justifiés. Si la haute cour admet l’opinion que nous avons soutenue, la chambre aura à regretter d’avoir compromis sa dignité ; si au contraire, la haute cour admet l’opinion de nos adversaires, et si son jugement est suivi de réactions, alors, messieurs, alors vous regretterez avec fondement l’imprudence d’une telle mesure.

M. Dumortier – Et la loi de 1836 ?

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Il a été répondu à cela d’une manière complète et par le ministre de la guerre, et par le ministre de la justice, et par moi.

Le dernier orateur vous a dit, messieurs : « Mais voyez quelles sont les conséquences monstrueuses de notre conduite à l’égard du général Vandersmissen. Quoi ! si ce général eût simplement refusé de prêter serment, il aurait perdu son grade, mais parce qu’il a trahi, il le conserve. Une conséquence aussi monstrueuse prouve la fausseté de votre opinion. » Mais non, messieurs, cet honorable membre ne révoquera pas en doute que, si le général Vandersmissen fût né à Lillo ou à Liefkenshoek et qu’il eût trahi comme il l’a fait, le traité serait littéralement applicable. Cela est reconnu par tous nos contradicteurs. Eh bien, dans ce cas, le général Vandersmissen eût évidemment conservé son grade, tandis qu’un autre général qui n’aurait fait autre chose que de réclamer le serment l’aurait perdu. (Réclamations.)

Il se trouverait amnistié, et dès lors il aurait conservé son grade, vous ne pouvez pas séparer ces deux choses ; s’il est amnistié, c’est comme s’il n’avait commis aucune délit, et s’il n’a commis aucun délit, il ne peut point, aux termes de la constitution, être privé de son grade. Je défie qui que ce soit de détruire cette double assertion.

« Le général Vandersmissen, a-t-on dit, ne devrait être qu’amnistié, il ne devait pas être réintégré dans son grade. » Mais si l’article 20 du traité ne lui était pas applicable, de quelle manière le gouvernement aurait-il pu l’amnistier ? Si au contraire l’article 20 du traité lui était applicable, comment le gouvernement lui aurait-il refusé son traitement alors qu’il venait en Belgique réclamer l’application de cet article ?

Lorsque le général Vandersmissen aurait saisi la haute cour de cette question, et il l’eût certainement fait si le gouvernement ne l’avait pas tranchée en sa faveur, et que la haute cour lui aurait appliqué l’article 20 du traité, de quel droit la chambre aurait-elle pu refuser, en passant à l’ordre du jour, le traitement affecté à son grade ? Evidemment on aurait vu dans un tel ordre du jour une violation du respect dû à l’autorité judiciaire, à la chose jugée.

Ce n’est point, messieurs, d’après des sentiments purement politiques, quelqu’honorables qu’ils puissent être, que l’on doit trancher de semblables questions, c’est uniquement d’après la froide raison, d’après le texte des traités et des lois. Toute décision d’une pareille question, qui s’écarterait de cette règle, ne serait jamais considérée que comme une décision contraire aux lois, contraire à la justice.

M. Rodenbach – Messieurs, dans la séance d’hier, j’ai demandé à pouvoir motiver le vote que j’ai émis dans la section centrale et que je me propose d’émettre dans cette enceinte. J’ai vu avec un regret infini qu’on ait rétabli dans les cadres de l’armée un général de la révolution qui a forfait à l’honneur, un général qui a déserté, qui a trahi. Je vous le demande, messieurs, la main sur la conscience, peut-on dire que Vandersmissen, ce malhonnête homme qui a voulu porter les armes contre sa patrie, peut-on dire que cet homme a le droit de porter les épaulettes de général ? Est-ce là de la morale ?

Je ne traiterai point la question sous le rapport du droit, ni sous celui des considérations de haute politique que l’on a fait valoir ; d’autres membres se sont chargés de ce soin ; j’entends envisager la réintégration de Vandersmissen sous un autre point de vue. Tous les jours nous voyons gracier de grands coupables, et si l’on voulait agir ainsi à l’égard du traître, du faux patriote Vandersmissen, il fallait au moins exiger qu’il donnât sa démission de général ; d’autres conspirateurs ont donné leur démission pour de l’argent, car ce n’est que de l’argent que veulent ces gens-là, il en est un même qui, si je suis bien informé, est allé en Hollande recevoir le prix de sa félonie. Eh bien, messieurs, si l’on veut être conséquent, il faut ouvrir les portes des prisons à tous les déserteurs qui ont passé à l’ennemi. Quant à moi, je n’ai pas la conscience assez élastique, pour pouvoir transiger avec les malhonnêtes gens ; toutes les subtilités, tous les raisonnements ne justifieront pas à mes yeux un homme qui a trahi son pays, jamais je ne souscrirai à une transaction avec la trahison.

J’adopte la proposition de M. d’Huart. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. le président – Je dois faire observer aux tribunes que si ce désordre se renouvelle, je prendrai les mesures nécessaires pour le faire cesser.

M. Perceval – Messieurs, j’éprouve le besoin de motiver mon vote dans la question qui nous occupe, je voterai contre la proposition de l’honorable M. Dumortier, non pas que je veuille ici me présenter comme défenseur des mesures qui ont été prises pour réintégrer dans l’armée un officier supérieur traître à la patrie, mais parce que cette proposition renferme de sa nature une portée morale dont je ne puis assumer sur moi la responsabilité et les conséquences. L’acte du gouvernement émane d’une imprudence dont, j’ose le croire, il n’a pas lui-même senti toute la portée. Je le lui dis avec conviction et sans arrière-pensée, car la nation entière a vu avec peine qu’on a rendu au général Vandersmissen cette épée qu’il a tenté de tirer contre elle.

Si, laissant de côté la moralité de cet acte, j’en consulte la prétendue justice, je suis encore à me demander de quel droit on a réintégré le général Vandersmissen dans son grade, tandis que d’après les lois elles-mêmes il était déchu de son rang militaire.

Je dirai donc au gouvernement, malgré ses assertions, qu’il n’aurait pas dû replacer au milieu de notre armée dévouée et courageuse un homme qui, par de flétrissants procédés s’en était rendu indigne.

Mais quoique convaincu de l’illégalité et de l’inopportunité de cette mesure, je voterai contre la proposition de l'honorable député de Tournay, parce qu’elle me paraît renfermer non pas l’expression d’un regret pur et simple, mais bien implicitement d’un blâme tel que le pouvoir doit s’en trouver ébranlé. Il existe une différence essentielle entre une mesure que je n’hésite pas à reconnaître susceptible de regret, mais que des orateurs veulent faire passer pour blâmable. Adopter la proposition émise par M. Dumortier, c’est, tout en flétrissant le pouvoir, porter atteinte à cette force morale qui est sa vie, sa condition d’existence et que pour ma part je ne veux affaiblir en aucune manière. J’ai dit.

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, un honorable député de Tournay ayant interprété le vote de regret émis à la section centrale dans l’affaire du sieur Vandersmissen, je me vois obligé d’expliquer la portée de mon vote à la section centrale, cela devient encore plus indispensable après la motion qu’il vient de faire d’engager la chambre à se prononcer sur la même question. Appelé à émettre une opinion, je n’ai pas cru pouvoir soumettre aux subtilités du droit une question toute brûlante d’honneur national, je n’ai voulu consulter que mon patriotisme.

Voici mon opinion en peu de mots :

L’amnistie pure et simple accordée au sieur Vandersmissen depuis la paix, m’a semblé admissible, que ce soit par suite de l’article 20 du traité ou autrement ; partout et toujours les amnisties sont la suite de la paix après une révolution.

Quant à sa réintégration dans l’armée avec son grade, il me sera permis de l’avoir vue avec un regret profond ; le gouvernement ayant avoué lui-même avoir pris cette mesure à regret, je puis, sans vouloir lui être hostile, exprimer ce sentiment. Mais que ce sentiment de regret tout personnel soit un sentiment de blâme, voilà ce que je ne puis admettre. Je n’ai pas blâmé le gouvernement, parce que les hommes qui le composent me commandent la confiance, mes regrets ne sont pas un blâme parce que ces hommes ont pu être guidés par des considérations politiques, plus faciles, plus convenables à apprécier qu’à énoncer.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Messieurs, avec les explications que vient de donner l’honorable préopinant, le ministère pourrait admettre l’expression du regret…

M. de Brouckere – M. de Man explique son vote, il n’a pas voté.

M. Dumortier – Il s’est abstenu. Je demande la parole.

M. de Brouckere – Je la demande aussi.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je dis, messieurs, que l’expression de regret, telle que vient de l’expliquer l’honorable M. de Man, est celle à laquelle j’ai déclaré m’associer ; mais je ne pourrais m’y associer avec les explications de l'honorable député de Malines, parce que cet honorable membre n’a pas vu dans la mesure prise par le gouvernement une nécessité à laquelle le gouvernement s’est soumis avec le plus profond regret.

Un autre honorable représentant a prétendu que l’on aurait dû se borner à faire grâce au coupable, après l’avoir laissé condamner.

Ce n’est pas là, messieurs, résoudre la question ; la grâce ne peut en effet arriver qu’après la condamnation, mais ce qui était ici impossible, c’est la condamnation. Le gouvernement devait nécessairement reculer devant un nouveau jugement, par la raison que c’eût été à ses yeux une violation d’une clause du traité.

Un honorable préopinant m’a reproché de m’être servi de l’expression de faute en parlant du fait dont le général Vandersmissen s’est rendu coupable. Si cet honorable membre eût eu plus de mémoire, il se serait souvenu que, lorsque j’ai parlé la première fois de ce fait, en examinant la question de la déchéance en raison de la non-prestation de serment, je me suis servi d’une autre expression ; du reste, quand les faits sont graves, je vous avoue, messieurs, que je ne cherche pas à les rendre plus saillants par des expressions. Je ne fais pas des discours, je parle à la chambre sans viser à l’effet ; je laisse les paroles sonores à ceux qui veulent obtenir ce résultat, à ceux qui s’adressent aux passions.

L’honorable M. d’Huart a voulu faire croire que les membres du ministère auraient eu des motifs particuliers, individuels ou collectifs, pour n’avoir pas voulu mettre le général Vandersmissen en jugement ; je m’étonne d’une semblable insinuation de la part de cet honorable membre ; la loyauté, bien connue, de son caractère, aurait dû l’engager à dire positivement quels sont les motifs qu’il suppose avec existé.

L’honorable orateur a annoncé une autre proposition que celle de M. Dumortier, ce serait un amendement qui aurait pour objet de faire retrancher du budget le chiffre nécessaire pour la solde du général Vandersmissen. Messieurs, cette proposition aurait absolument le même effet que celui de M. Dumortier lui-même.

On est revenu sur ce que l’on avait prétendu que les sentiments d’honneur avaient dû être profondément blessés dans l’armée parce que le général Vandersmissen a reçu une position qu’il était impossible de lui refuser, et l’on a demandé ce que c’est que le sentiment de l’honneur militaire, cette observation n’est pas juste. Le sentiment de l’honneur militaire, messieurs, est un sentiment exalté de tous les devoirs ; un militaire qui remplit ses devoirs, dans sa conduite publique, obéit à toutes les prescriptions de l’honneur, et il manque à ces prescriptions quand il s’écarte de ses devoirs. Voilà la définition rigoureuse du sentiment de l’honneur militaire. C’est cette abnégation, ce renoncement à son opinion personnelle, quand il s’agit de conduite publique, qui constitue le véritable sentiment de l’honneur militaire, le véritable sentiment du devoir militaire.

Les manifestations opposées aux actes du gouvernement sont contraires au sentiment de l'honneur militaire, au sentiment du devoir militaire.

Messieurs, c’est toujours avec un sentiment pénible que j’entends invoque ici l’expression de l’opinion de l'armée. L’armée, en tant qu’armée, n’a pas le droit d’avoir et surtout de manifester une opinion sur une mesure générale du gouvernement.

Supposez qu’elle l’eut fait, la louer de l’avoir fait, applaudir à de telles manifestations, c’est évidemment encourager l’armée à sortir de sa position, à oublier ses devoirs, c’est commettre ce qu’on reproche aux autres, un acte d’une haute imprudence.

A peine doit-il paraître nécessaire, après des choses aussi graves, que je m’occupe de cette chose bien minime, le salut militaire ; cependant il y a quelque chose même à dire là-dessus.

D’abord je ferai observer qu’un office hors des cadres n’a aucune raison de se mettre en tenue, et d’ailleurs le général Vandersmissen n’a aucun droit de se montrer à Bruxelles ni en tenue ni hors de tenue.

Mais partout où se montrent les insignes d’un grade supérieur, d’après les règlements militaires, le salut est dû de la part des grades inférieurs ; le salut est dû aux insignes du grade supérieur.

Messieurs, hors du ministère, je ne connais pas parmi les officiers d’un grade supérieur au mien, aucun que je ne voulusse pas saluer. Cependant, messieurs, quand je n’estime pas une personne, je ne la salue pas. Mais si j’avais le malheur qu’un de mes supérieurs en garde ne me parût pas digne de mon salut, et que je le rencontrasse en tenue, je ferais tous mes efforts pour l’éviter ; mais si je n’y parvenais pas, je le saluerais pour les insignes du grade dont il serait revêtu, et je ne croirais en aucune façon commettre par là un acte contraire à ma dignité.

On a dit, revenant sur cette expression de « faveur » contre laquelle j’ai déjà tant protesté ; on a dit qu’un commandement pourrait être donné au général Vandersmissen ; on a insisté surtout sur cette circonstance que ce général n’était pas hors des cadres.

Messieurs, cette prétention est contraire aux termes de la loi. La loi de 1836 dit qu’un officier en non-activité est hors des cadres ; pour l’y faire rentrer, il faudrait une disposition toute spéciale, et personne ne peut croire qu’il fût possible de prendre une pareille disposition à l’égard de l’homme dont il s’agit.

Messieurs, on m’a reproché d’avoir jeté de la défaveur sur cette position de non-activité et sur ceux qui pouvaient l’occuper.

Depuis la loi de 1836, cette position est fort nettement dessinée. La non-activité, quant aux grades inférieurs, est généralement une position de disponibilité ; cette position, dans ce cas, n’a rien que d’honorable et n’a aucun caractère de disgrâce.

Mais lorsqu’il est question d’autres grades, et lors même qu’il n’est question d’aucun des motifs prévus par la loi, alors cette position peut être une position de disgrâce. C’est la position qu’on assigne à l’officier qui ne peut plus rester dans les rangs de l’armée, quelles que soient les circonstances prévues par la loi, car le droit absolu de donner cette position existe. C’est pourquoi je me suis gardé de dire d’une manière générale que cette position était une position de défaveur mais j’ai dit et je maintiens qu’elle l’était dans des circonstances particulières, et précisément dans les circonstances auxquelles j’ai fait allusion.

L’on a demandé si le gouvernement hollandais aurait pris la même mesure à l’égard d’un officier qui se serait trouvé dans la même position.

Messieurs, le gouvernement hollandais ne se serait pas trouvé en présence de l’article 124 de la constitution. Le gouvernement hollandais n’aurait pas été dans l’obligation de donner une position à tous les officiers qui n’auraient pas été déclarés par un jugement déchus du grade militaire.

Il ne faut pas perdre de vue cette condition de l’article 124 de la constitution, elle impose un devoir absolu au gouvernement, et certes, vous serez tous d’accord avec l’honorable ministre des affaires étrangères, lorsqu’il vous a dit qu’un vote d’ordre du jour porté sur la réclamation d’un officier qui aurait invoqué l’exécution de cet article de la loi fondamentale serait un véritable acte impolitique, j’ajouterai un véritable acte arbitraire. C’est cet acte arbitraire que le gouvernement n’a pas voulu commettre.

On a dit qu’un tel acte avait irrité toutes les susceptibilités.

Je ne conteste pas cela, ma susceptibilité a été irritée comme celle des autres. Mais après des commotions politiques, quels sont donc les pays où il n’y ait pas de susceptibilités froissées ? Et c’est précisément parce qu’il y a des choses extraordinaires que les lois ont besoin de voiles, que le principe de l’amnistie est généralement admis.

On a déjà répondu à l’observation qui a été faite, qu’un innocent qui aurait négligé de prêter serment aurait été déchu du rang militaire, tandis que le général Vandersmissen, criminel, sinon d’après un jugement du moins d’après des faits bien avérés, n’a pas encouru la déchéance.

Messieurs, la différence est saisissable pour tout le monde : d’une part, le fait aurait été volontaire, de l’autre, il ne l’était pas, et certes c’est encore un principe sacré de juste que la moralité d’un fait dépend de la liberté d’action.

On a dit que la déchéance avait été encourue par suite d’une trahison avérée, par suite d’une trahison établie par une condamnation.

Ceci est inexact encore : le jugement prononcé contre le général Vandersmissen est un jugement d’absence ; le fait lui-même n’a pas été judiciairement constaté ; l’absence seule a donné lieu à la condamnation qui a été prononcée.

Quant à la question de l’amnistie, elle a été établie, suivant moi, avec une entière évidence. Et quoi qu’ait dit l’honorable orateur auquel je réponds, nous devons persister à soutenir qu’il ne nous était pas permis de nier cette amnistie, en maintenant en jugement le général Vandersmissen, qui nous paraissait être couvert par elle.

Messieurs, quant à l’opinion qui a été émise sur la nécessité de l’amnistie, et qui a été étayée de cette idée, que l’amnistie faisait partie du traité qui avait sanctionné de droit la nationalité belge, le représentant de Tournay, qui a parlé après moi, a déjà prétendu qu’en regardant le traité comme ayant sanctionné l’indépendance de la Belgique, on ne pouvait nier que le fait de l’indépendance du pays ne fût antérieur à cette sanction.

Messieurs, j’avais moi-même prévenu cette objection. J’ai si peu nié le fait, que j’avais reconnu qu’on avait sanctionné uniquement un fait qui existait : le fait existait pour la Belgique, c’est incontestable, il existait pour une partie des puissances européennes elles-mêmes ; il existait même un droit pour celles qui avaient ratifié le traité du 15 novembre 1831.

Mais cette ratification même n’avait-elle pas conservé un caractère provisoire ? L’acte ratifié n’avait pas été consommé. Cette ratification constatait au contraire que la garantie était donnée pour le moment où le fait serait entièrement consommé.

Après les discussions qui ont eu lieu avant le traité du 19 avril 1839, est-il besoin d’établir par de longs raisonnements que si ce traité n’avait pas été conclu, si la reconnaissance du roi Guillaume à des conditions avouées par la conférence, n’avait pas été obtenu, et cela par le fait de la Belgique, si enfin il n’y avait pas eu de traité ; est-il besoin d’établir, dis-je, qu’il n’y aurait plus eu de ratification ?

Il est donc juste de prétendre que, devant l’Europe, pour faire admettre la Belgique dans la famille des nations européennes, le traité était nécessaire, c’est-à-dire que le changement de domination a eu lieu en droit par le traité du 19 avril 1839.

Ce qui, du reste, n’empêche pas le fait de subsister avec la sanction de la volonté nationale, d’exister avec la sanction des ministres du droits des gens nouveau introduit depuis un demi-siècle, et avec celle des intérêts reconnus d’autres grandes puissances.

Ceci est tout à fait incontestable et doit, me semble-t-il, satisfaire bien des susceptibilités.

Messieurs, le droit, placé à côté du fait, donne certainement à celui-ci une valeur beaucoup plus grande ; cette valeur beaucoup plus grande est la conséquence du traité.

Voilà aussi une considération qui devait porter à exécuter le traité, je ne dirai pas seulement avec exactitude, mais encore avec scrupule. Il y avait, on l’a déjà dit, à cette observation rigoureuse du traité un motif plus noble, plus généreux que les considérations du simple droit.

On avait cherché à assurer les garanties les plus complètes ; bien loin de le croire en dehors du bénéfice de l’amnistie, pour l’assurer aux habitants des parties perdues du Limbourg et du Luxembourg, on a cru qu’aux efforts qu’on avait faits, on devait ajouter l’exemple. On pouvait alors espérer que le gouvernement des Pays-Bas craindrait de se montrer moins loyal, moins généreux que le gouvernement belge. On pouvait compter qu’alors que le gouvernement belge appliquerait l’amnistie aux faits de conspiration, le gouvernement des Pays-Bas ne croirait pas pouvoir se dispenser d’oublier des manifestations d’opinions et de sympathies trop naturelles. Tels sont les véritables mobiles de la conduite du gouvernement.

Un représentant de Bruxelles n’a voulu voir dans l’article 20 du traité que ce qui se trouve en même temps dans l’article 24. Il a laissé de côté les articles 1er et 17. Mais, ainsi qu’on l’a déjà dit, en se bornant à l’article 24, on ne trouve, à l’égard de la Belgique, que Lillo et Liefkenshoek à couvrir par le traité, en compensation de la population du Limbourg et du Luxembourg qu’il couvre vis-à-vis de la Hollande. Un fort sans habitants et un fort avec quelques maisons d’une part, du côté de la Belgique, et 400 mille habitants de l’autre, du côté de la Hollande.

Donc la Hollande n’aurait aucun intérêt à l’observation de l’amnistie par la Belgique, tandis que la Belgique aurait un intérêt très grand, un intérêt immense à cette observation de la part des Pays-Bas.

Messieurs, cette disproportion énorme, cette inégalité complète d’avantages et de charges peut-elle ne pas choquer ? ceux qui se sont montrés si jaloux d’une parfaite égalité ne se montreraient-ils si jaloux de cette égalité, que pour pouvoir reprocher aux ministres de ne pas l’être assez. Tout s’explique par la politique, par l’opinion ; il y a des choses qui ne s’expliquent pas autrement.

Pour créer à la Hollande un intérêt à l’observation de l’amnistie, il fallait en élargir le champ, il fallait adopter une interprétation large, généreuse ; c’est ce que le ministère a fait, et c’est tout ce qu’il a fait.

Je viens d’exposer les vrais mobiles de sa conduite ; je vous ai également exposé les conséquences de ces mobiles, quelque regret que le gouvernement en ait éprouvé, c’était la réintégration du général Vandersmissen, non dans les cadres de l’armée, mais dans une des positions que la loi, la constitution même lui assurait.

On a dit que le grade avait été perdu par suite de la condamnation. Cela était vrai aussi longtemps que le général Vandersmissen était absent, qu’il n’avait pas demandé à purger sa contumace, qu’il n’avait pas souscrit au jugement porté contre lui. Mais ce jugement est un simple jugement d’absence. Ce n’était pas un jugement de condamnation pour le crime dont il était accusé. Ce n’était pas un jugement contradictoire ; donc il est faux qu’au-delà de ce moment le grade ait été perdu par suite de la condamnation. Dès que le jugement contradictoire, au moment où il était demandé, ne pouvait pas avoir lieu, la condamnation tombait, et celui qui en était l’objet se retrouvait dans le cas de l’article 124, de la constitution, aux termes duquel un officier ne peut pas être privé de son grade sans un jugement. Or, ce jugement, nous l’avons déjà dit, et cependant je ne puis que le répéter, ce jugement était impossible en présence des termes de l’article 20 du traité.

On est obligé de répéter ce que je viens de dire, messieurs ; mais c’est là que se trouve toute la question.

On a parlé de désertion ; c’est le représentant de Tournay qui a émis cette assertion, en avant. On a prétendu qu’il y avait eu perte du grade par suite de désertion. C’est là une erreur complète ; il n’y a pas de désertion dans le cas dont il s’agit. J’adresse également cette réponse à M. A Rodenbach, qui s’est servi plusieurs fois de l’expression de désertion.

Il n’y a pas eu désertion, parce qu’il n’y a pas eu volonté de déserter, parce que le départ de l’armée a eu une autre cause que la volonté de quitter l’armée. Ce principe est appliqué chez nous, il est compris dans notre jurisprudence militaire, et il appartient à la nation la plus militaire, non pas des temps modernes, mais du monde entier, à la nation la plus sévère du monde en fait de discipline militaire, ce principe se trouve écrit dans les lois romaines, c’est ce même principe que j’ai invoqué à l’égard de la déchéance pour non-prestation de serment. En effet, c’est un principe de stricte équité, que la liberté d’action constitue la moralité d’un fait.

Messieurs, au fait unique dont il s’agit, qu’on a érigé en système de protection pour les hommes qui auraient trahi les intérêts de la révolution, faits qu’on a, à plusieurs reprises et contre l’évidence, qualifié de faveur, on oppose des faits de position analogie et même de position meilleure, qu’on a qualifiés de disgrâce et on a conclu que le gouvernement avait adopté un système hostile, un système de persécution à l’égard des personnes qu’on appelle des hommes de la révolution. Pour étayer cette accusation, il a confondu les positions les plus hétérogènes, la position librement choisie à 20 lieues de toute autorité militaire d’un général et la position obligée d’un officier dans une place forte sous l’œil vigilant d’un commandant. Tous ces rapprochements seraient faciles à réfuter. Je ne compliquerai pas la discussion actuelle, mais je tiens à rappeler à la chambre la déclaration que j’ai faite lors de la discussion de 1837.

Cette même accusation de partialité contre une catégorie de personnes qu’on a appelée les hommes de la révolution fut reproduite ; elle l’est chaque année depuis six ans, elle avait été faite contre tous les ministères. Je l’ai niée, je la nie encore. J’ai prouvé qu’elle était fausse. Ce que j’ai dit alors, j’ai besoin de le rappeler, je le maintiens encore aujourd’hui : les grades donnés lors de la première organisation de l’armée, avaient payé les premiers services rendus, et qu’on ne pouvait demander que la conservation de ces grades et la position qui y était attachée, mais que l’avancement dans la carrière dépendait de faits ultérieurs ; j’ai dit qu’une indulgence réelle était pratiquée envers ceux qui se trouvaient en possession de ces grades ; qu’on tenait compte de l’inexpérience. Mais j’ai dit aussi, et je serai d’accord avec moi-même, que des services rendus dans trois jours ne devaient pas primer une vie militaire entière honorablement remplie, et surtout être une prime d’impunité pour ceux qui se poseraient en fauteurs de désordres, des ennemis de toute subordination, qu’on entendait toujours nommer au milieu des craintes et des inquiétudes de tous les bons citoyens.

Quant aux actes qui me regardent personnellement, je suis prêt à les justifier, et décidé surtout à les maintenir.

En présence de discours tels que celui auquel je réponds, et d’autres encore qui sont comme des provocations à l’indiscipline et à l’insubordination, qu’on ose proférer dans cette enceinte, l’action de l’autorité doit se fait sentir davantage pour en combattre les pernicieux effets. Les auteurs de ces discours se montrent les ennemis de la considération morale de l’armée. Nous verrons dans la suite de la discussion, s’ils se montreront davantage les amis de ces intérêts matériels.

Cette accusation de partialité contre une catégorie de personnes qu’on a appelée les hommes de la révolution est donc entièrement fausse et controuvée.

On est revenu, tant on avait besoin de trouver des reproches au ministère, on est revenu sur la fatale campagne de 1831, on a dit que la cause du désastre était dans la défiance qu’inspiraient les chefs, que le signal de la déroute a été le cri : « Les chefs nous trahissent ! » Cela n’est pas, j’ai le droit de le dire, parce que je parle de ce que j’ai vu. Si les choses se fussent passées ainsi, il n’y eût pas eu une défaite partielle, mais une défaite générale. On calomnie l’armée en faisant croire à une telle cause.

La cause du désordre a été l’impossibilité d’une action générale, et la non-exécution des ordres de concentration qui avaient été donnés pour une action générale. Si quelques-uns ont crié : Les chefs nous trahissent ! c’est le très petit nombre, ce sont les indignes qui ont lâché pied. Les causes du désastre de 1831 sont toutes dans la politique, dans l’administration intérieure, dans l’insuffisance, dans l’incomplète organisation des cadres ; elles sont dans les mêmes circonstances que quelques-uns paraissent vouloir faire renaître, dans l’insuffisance de l’armée.

Je reviens à l’objet de la discussion, comme l’a fait le ministre de l’intérieur dans sa réponse ; je dirai que le respect pour les lois et l’exécution généreuse des traités ont été les seuls mobiles du gouvernement. Je pense qu’il y a là un hommage rendu à la morale publique, et non une révélation de ses préceptes, et que l’armée sera meilleur juge de son honneur et du sentiment de sa dignité que ceux qui s’arrogent le droit de parler en son nom, et viennent la défendre dans un point imaginaire pour l’attaquer dans son intérêt réel. Non, l’armée ne s’est pas sentie blessée pour avoir vu un acte contraire uniquement à ses sympathies.

Enfin on a été, pour agir sur toutes les passions, jusqu’à rappeler les injures imprimées contre la personne royale ; on a rappelé, non pour les flétrir par les éclats de cette faconde fougueuse, dont on faisait usage contre le ministère, on les a rappelés pour les assigner une cause, j’allais dire une excuse, pour calomnier le ministère en voulant l’en rendre responsable. Une cause à des injures contre le Roi, véritable auteur et soutien de notre indépendance ! une cause à des injures contre la Reine, cette femme modèle de toutes les vertus, modèle surtout de bonté et de bienfaisance. On a rappelé ces turpitudes pour leur assigner une cause. Oui elles ont une cause et elles n’en ont qu’une, c’est la corruption, l’immoralité, la perversité la plus profonde ; aussi ont-elles la réprobation de tous les hommes qui ont le cœur honnête ; y chercher une autre cause, c’est porter atteinte à la morale publique.

M. Dumortier – Il est vraiment étonnant d’entendre le ministère, qui s’est rendu coupable d’avoir fait rentrer dans les rangs de l’armée un traître à la patrie, prétendre qu’il n’existe qu’une seule cause aux attaques dirigées contre les personnes du Roi et de la Reine, et prétendre que cette cause n’est autre que l’orateur qui parle en ce moment. J’en appelle, messieurs, à votre témoignage.

Depuis la révolution, qu’ai-je fait dans cette enceinte ? J’ai constamment défendu le Roi et la royauté toutes les fois qu’ils ont été attaqués. En toute circonstance, j’ai flétri, par mes discours, les attaques dirigées contre les personnes sacrées du Roi et de la Reine. Mais ne confondons pas le Roi avec des ministres en opposition avec le vœu de la nation et dont les actes excitent la juste indignation du pays.

Et vous, qui venez ici attaquer mes paroles, calomniez ma pensée, vous n’avez pas le droit de prétendre que l’un de vos collègues souffle la discorde et est la cause d’excès qu’il a toujours flétris. Qui est la cause de ces excès ? C’est vous ministre de la guerre ; le jour où vous avez, contre le vœu de la nation et du pays tout entier, fait rentrer dans les rangs de l’armée, en lui rendant les épaulettes de général, un homme qui avait manqué à l’honneur, qui avait trahi la patrie.

Qui dépopularise la personne du roi, c’est le gouvernement lorsqu’il a proposé la cession de nos frères, lorsqu’il blesse les intérêts du pays, lorsqu’il méconnaît les conseils qui lui sont donnés, lorsqu’il sacrifie les intérêts du pays à ceux de l’étranger ; car quoique cela ne soit pas juste, il est malheureusement vrai que le peuple confond souvent le Roi avec ses ministres. C’est donc vous qui êtes la cause des abus dont vous vous plaignez. Ces abus, je n’ai pas prétendu les justifier ; je les ai flétris, je les flétrirai toujours, mais je ne puis m’empêcher d’en indiquer la source, alors que vous prétendez faire retomber sur moi l’odieux de votre conduite. La cause de l’abus est donc dans la composition du ministère, car l’histoire de tous les temps,, de tous les peuples, nous apprend que la popularité ou l’impopularité du ministère rejaillit toujours sur la couronne et que lorsqu’un ministère est odieux à la nation, une partie de la défaveur retombe plus ou moins sur la royauté.

Je ne m’assiérai pas sans dire quelques mots en réponse à un honorable membre qui a parlé tout à l’heure. Faisant allusion au discours que j’ai prononcé dans la séance d’hier, l’honorable député de Louvain a prétendu que je me serais mal expliqué, lorsque j’ai indiqué à la chambre la manière dont les choses se sont passées à la section centrale. Suivant lui, l’expression de regret qui se trouve dans le rapport n’indiquerait que du regret. Pour moi, j’ai un regret, c’est que l’honorable membre, puisqu’il l’entend ainsi, n’ait pas voté avec la majorité de la section centrale ; puisqu’il s’est abstenu, il ne lui appartient pas de juger le vote de la majorité.

Or, j’adjure tous mes collègues qui ont voté dans la section centrale de dire s’il est vrai ou non que nous ayons voulu blâmer le ministère, et qu’en le blâmant nous ayons voulu employer l’expression la plus modérée. Nous avons voulu faire voir que nous étions forts lorsqu’il s’agissait de défendre la révolution et ses principes ; mais en vous soumettant une proposition, nous avons voulu montrer dans sa rédaction la modération que vous étiez en droit d’attendre de nous.

Au reste pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, et puisque deux ministres ont déjà exprimé leurs regrets de l’arrêté que nous combattons, je consens à modifier ma proposition. Elle sera plus simple, mais le résultat sera le même, car il ne faut pas qu’il y ait de doute sur l’exécution de l’arrêté relatif à un général qui a trahi le pays.

Je demande que la chambre se prononce de la manière suivante :

« La chambre décide que le montant du traitement de disponibilité alloué par le projet de budget au sieur Vandersmissen sera retranché de l’imputation dans laquelle ce traitement est compris. »

Ainsi il n’y aura aucun doute sur la portée du vote ; chacun de nous sait s’il veut oui ou non maintenir dans les rangs de l’armée un général qui a déshonoré l’épaulette, qui a trahi la patrie.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je n’ai pas dit que l’orateur qui vient de parler n’ait quelquefois flétri avec énergie les outrages que la presse de notre pays a quelquefois déversés sur le Roi. Ce que j’ai prétendu, c’est qu’il ne suffit pas de flétrir ces odieuses injures, frappées de réprobation par tout ce qui porte un cœur honnête, j’ai dit que leur assigner une cause quelconque, c’est presque les justifier. J’ai dit que leur assigner une cause quelconque, c’est porter atteinte à la morale publique. J’ai dit que c’était une chose fâcheuse qu’on tînt un tel langage dans cette enceinte, car c’est par ce langage qu’on peut accréditer l’erreur qu’on a signalée, erreur qui est ici hors de cause ; car ce n’est pas le peuple qui fait les journaux.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – L’honorable M. Dumortier a cru devoir retirer sa motion pour y en substituer une autre, craignant que sa première proposition ne renfermât quelque chose d’équivoque ; je crois devoir déclarer, dans l’intérêt de la dignité du ministère, de la mienne et de celle de mes collègues, que si la première proposition de M. Dumortier avait été maintenue, et si elle avait été adoptée par la chambre, nous nous serions crus dans la même position que si la chambre avait adopté la proposition de M. Pirson. C’est assez dire qu’aucune des trois propositions ne peut être acceptée par le ministère ; il ne veut pas d’une position équivoque et, à coup sûr, il n’acceptera jamais une proposition qui le mettrait dans le cas de voir saisir la haute cour de l’affaire dont il s’agit.

M. de Man d’Attenrode – Je n’ai pas voulu interpréter le sens du vote de mes collègues de la section centrale, je n’ai entendu interpréter que le mien.

L’honorable M. Dumortier vient de déclarer que je m’étais abstenu à la section centrale lors du vote sur l’expression de regrets, cela est inexact. J’ai émis un vote à la section centrale sur la motion de « regrets », lorsque cette question fut discutée pour la première fois à la section centrale, et par ce vote j’ai adhéré à l’expression de regrets. Si je n’ai pas assisté à la dernière séance de la section centrale, où l’on a approuvé définitivement le rapport, où l’on y a mis la dernière main, cela a été par des motifs de devoirs indépendants de ma volonté, mais il n’en reste pas moins vrai que, lors du premier vote à la section centrale, j’ai voté pour le sentiment de regrets.

Ce que je viens de dire est l’expression de souvenirs que je crois exacts, et de sentiments qui n’ont pas varié.

M. de Brouckere – La mémoire de l’honorable M. de Man le trompe complètement ; j’en appelle au souvenir de tous les membres de la section centrale. Puisque cet honorable membre révèle ce qui s’est passé dans la section centrale, et il en a le droit puisque cela le concerne, je dirai qu’il est vrai qu’il a d’abord voté avec la majorité et qu’il a désiré que des regrets fussent exprimés, non sur la réintégration du général Vandersmissen dans son grade, mais sur la conduite du ministère. Il est vrai aussi qu’à un second vote M. de Man s’est rétracté et s’est abstenu ; voilà la vérité toute entière.

M. Brabant, rapporteur – Je suis persuadé que l’honorable M. de Man croit avoir agi comme il vient de vous le dire ; mais comme il y a eu deux abstentions et que la réclamation qui est faite ferait supposer qu’il n’y en a eu qu’une, l’exactitude du rapporteur serait attaquée. Je vous dirai que le rapport, tel qu’il est imprimé, a reçu l’approbation de la section centrale, composée de cinq membres, les honorables MM. de Brouckere et de Man étaient absents. Pour tout ce qui était voté, j’ai suivi avec la plus scrupuleuse exactitude le procès-verbal tenu par M. le président ; mais la question du général Vandersmissen s’est présentée plusieurs fois ; il y a eu beaucoup d’hésitation de la part de certains membres, je n’ai pas cru devoir rendre compte de toutes ces hésitations, il m’a suffi de mentionner dans le rapport ce qui a été définitivement arrêté.

M. le président – La parole est à M. Milcamps.

Plusieurs membres – La clôture !

M. Pirson – Je demande la parole.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je demanderai aussi la parole, et même immédiatement, si la chambre veut clore la discussion.

M. F. de Mérode – Je demande aussi la parole.

Plusieurs membres se lèvent et demandent la clôture.

M. Delehaye – M. le président, la clôture est demandée par plus de dix membres.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demande la parole contre la clôture. La demande de clôture a été faite lorsque la parole avait été accordée à l’honorable M. Milcamps. On ne peut, par une demande de clôture, enlever la parole à un membre à qui elle a été accordée.

M. Pirson – Je demande la parole sur la clôture. Ce n’est que pour vous dire que je retire ma proposition et que je me rallie à la proposition de l’honorable M. Dumortier, qui lui a été inspirée par le discours de l’honorable M. d’Huart, discours auquel je me rallie entièrement.

M. de Brouckere – M. le ministre de l'intérieur s’oppose à ce qu’on prononce la clôture, parce que, avant qu’elle fût demandée, l’honorable M. Milcamps avait demandé la parole.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Et parce que la parole lui avait été accordée.

M. de Brouckere – Alors nous n’en finirons jamais sur quoi que ce soit ; car toujours un grand nombre de membres ont demandé la parole avant qu’on ne demande la clôture.

Mais, y dit-on, la parole avait été accordée à M. Milcamps ; elle lui avait été accordée,, parce qu’un autre orateur venait de finir. C’était précisément le moment de demander la clôture. Si personne ne demandait la parole, la discussion finirait d’elle-même. C’est toujours au moment où un ou plusieurs orateurs demandent la parole, qu’on demande la clôture.

M. F. de Mérode – Ce n’est pas parce que M. Milcamps a obtenu la parole que je demande que la clôture ne soit pas prononcée ; comme la discussion a pris un caractère plus grave que celui de savoir si telle personne devait recevoir un traitement, on devrait occuper tel grade, je demande que le débat soit continué ; il faut que l’on s’explique.

M. Metz – Je voulais présenter les mêmes observations que vient de faire M. de Mérode ; j’appuie son opinion.

M. Dubus (aîné) – Il y a un motif de plus pour continuer la discussion, c’est que la proposition primitive est retirée et vient d’être remplacée par une autre sur laquelle aucun orateur n’a été entendu.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je préviens l’assemblée que j’ai à lui communiquer des faits que je crois de mon devoir de lui faire connaître ; on en a déjà parlé d’une manière générale, ce sont les condamnations portées dans le Luxembourg contre plusieurs citoyens, il importe que la chambre les connaisse ; je donnerai lecture des pièces. Si l’on ferme la discussion, j’userai de mon droit de ministre et je prendrai la parole pour faire la communication ; si la discussion continue, je laisserai parler l’honorable M. Milcamps et d’autres orateurs.

- La clôture est mise aux voix et n’est pas adoptée.

M. Milcamps se dispose à parler.

L’attention de l'assemblée paraît fatiguée et messieurs les représentants, en grand nombre, quittent leurs banquettes.

M. le président – L’assemblée ne paraît pas disposée à continuer aujourd’hui la discussion, la suite du débat est renvoyée à demain.

- La séance est levée à quatre heures.