Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 5 mai 1840

(Moniteur belge n°127 du 6 mai 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven fait l’appel nominal à une heure.

La séance est ouverte.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur C. Smolders, avocat à Louvain, né à Zevenbergen (Hollande), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoyé à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Louis Monta, né à Arras (France), habitant la Belgique depuis 1817, demande la natuiralisation. »

- Renvoyé à M. le ministre de la justice.

Projet de loi relatif à la compétence des tribunaux en matière civile

Discussion des articles

Titre premier. Des justices de paix

Article premier

« Art. 1er. Les juges de paix connaissent de toutes les causes purement personnelles et mobilières sans appel jusqu’à la valeur de 100 francs, et à charge d’appel jusqu’à la valeur de 200 francs. »

M. le président – M. de Garcia a proposé par amendement qu’au lieu des mots : « personnelles et mobilières », on mette : « personnelles ou mobilières » ; ensuite il demande qu’on mette les chiffres 150 et 300 francs au lieu de 100 et 200 francs.

M. de Garcia – En peu de mots je rappellerai les observations que j’ai fait valoir hier pour soutenir mon amendement.

Les principales raisons qui m’ont déterminé à demander le maintien de l’article 1er du projet de loi du gouvernement, sont que cette disposition est mieux harmonisée avec d’autres dispositions de nos lois civiles ; en effet, la preuve testimoniale est admise jusqu’à concurrence de 150 francs ; et il est utile et avantageux pour les justiciables que les contestations de cette espèce soient jugées en dernier ressort par le juge de paix, qui est le juge du fait plutôt que le juge du droit. D’un autre côté, en portant à 300 francs la juridiction en premier ressort du juge de paix, on fait encore harmoniser cette disposition avec celle du code de procédure, en vertu de laquelle le juge de paix peut ordonner l’exécution provisoire et sans caution de ses jugements jusqu’à concurrence de 300 francs. Une autre considération, c’est que le type monétaire n’est plus ce qu’il était en 1790, date de la loi sur les justices de paix ; le rapport du type monétaire actuel à celui de cette époque est de 1 à 3 ; et je crois que ce serait rentrer dans l’esprit de la loi que nous révisons, de porter à 150 francs les jugements en dernier ressort, et à 300 francs les jugements des juges de paix en premier ressort.

J’attendrai les observations qui pourront être faites pour présenter d’autres considérations.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je ne puis me rallier à l’amendement proposé par l’honorable membre. Je ne disconviens pas qu’il ne puisse y avoir quelque avantage dans l’harmonie qu’il tend à établir entre diverses dispositions des lois ; mais en toutes choses il faut peser les avantages et les inconvénients. Les but d’une loi de compétence, c’est une bonne et prompte justice, c’est une justice organisée de manière à ne pas dévier de l’objet de l’institution des juges de paix qui sont, avant tout, des juges de conciliation ; or, étendre leur compétence comme on vous y engage, c’est aller contre le but qu’on doit se proposer ; c’est charger les juges de paix, qui décident seuls, et sans être entourés des lumières des discussions qui ont lieu devant les autres tribunaux, c’est les charger d’intérêts trop élevés pour la position qu’ils occupent, ce qui est contraire au but d’une bonne justice.

L’amendement tend en outre à augmenter outre mesure les affaires dont ils sont chargés et à apporter à leurs décisions des retards contraires au besoin d’une prompte justice.

L’amendement renverse encore toutes les idées que nous nous faisons du caractère d’un magistrat conciliateur ; un proverbe dit que le plaideur peut maudire son juge pendant vingt-quatre heures ; et il use largement de cette permission ; mais en userait bien plus largement s’il savait quel juge l’a condamné. Quand un tribunal est composé de plusieurs personnes, le plaideur ignore à qui il doit imputer sa condamnation, et force est qu’il s’apaise, faute de savoir sur qui faire porter son ressentiment ; il en est autrement dans une justice de paix. Multipliez outre mesure les procès dont un juge de paix doit connaître, et vous multiplierez dans la même proportion le mécontentement que ses décisions lui attirent, et dès lors vous lui enlevez l’influence morale dont il doit jouir dans son canton, pour remplir avec fruit son rôle de conciliateur ; j’ajouterai à tous ces inconvénients, qu’une telle multiplication de procès ferait infailliblement revivre une lèpre dont on a eu grand’peine à purger les campagnes ; je veux parler des hommes d’affaires qui excitent les procès et jettent une division funeste parmi les habitants.

M. Metz – L’extension extraordinaire que veut donner M. de Garcia à la compétence des juges de paix m’engage à vous soumettre quelques observations suggérées par l’examen du projet de loi. Si on s’était borné à demander l’adoption de l’article 1er proposé par la section centrale, j’aurais pu garder le silence, surtout après avoir entendu les arguments qu’a fait valoir M. le ministre de la justice.

Qu’a voulu l’assemblée constituante en instituant les juges de paix ?

Elle a voulu donner aux justiciables une espèce de magistrature de famille, des juges de leur choix, avec des assesseurs, vivant tous au milieu d’eux, appelés à être leurs médiateurs, à terminer leurs différends à l’aide du simple bon sens et de la droiture du cœur, à prononcer seulement sur les plus minimes intérêts, ou sur des faits posés sous leurs yeux ; elle a voulu les rendre tout-puissants, comme médiateurs, pour maintenir l’ordre et la tranquillité dans les familles, tout-puissants pour faire le bien. Et aujourd’hui, ne nous le dissimulons pas, nous nous éloignons du but de l’institution des juges de paix, et nous allons exagérer leur compétence, nous laissant égarer par l’attrait qui s’attache aux innovations.

De conciliateur que le juge de paix était dans l’origine, nous en faisons un véritable juge ; pour agrandi son domaine exceptionnel, on dépouille les tribunaux ordinaires. Etabli, et son nom le dit, bien plus pour étouffer les procès que pour les juger, on ne lui attribuait que la décision des contestations minimes ou l’appréciation de quelques cas qui pouvaient mieux se décider par la vue des lieux, par la connaissance des usages locaux, que par le savoir du juge. Aujourd’hui, ce n’est plus l’homme de bien, auquel le bon sens suffit seul, qui est appelé à siéger ; en étendant la compétence, en multipliant les matières, c’est le légiste qui devient indispensable, ce n’est plus l’homme entouré de la considération de son pays, que vous prenez au milieu de ses concitoyens, dont vous allez jeter l’influence salutaire à travers les procès, c’est le jeune avocat, que, du sein des villes, vous appellerez à la campagne, ou à raison de son âge, de son inexpérience, de son défaut de connaissance des hommes, il aura peu d’action, de pourvoir sur les plaideurs : je sais que, dans plusieurs cas, c’est le légiste qui serait à désirer, mais presque toujours, c’est le conciliateur que la loi et l’intérêt social réclament avec l’autorité que lui donne l’âge, l’expérience et la considération publique. Le rôle du juge de paix est difficile, il est seul, sans contradicteur, si sa première pensée est une erreur, et sans discussion préalable pour l’éclairer. En augmentant trop la compétence, on va voir réapparaître près des justices de paix ce fléau des anciennes justices d’ordre inférieur, ces praticiens, près desquels on ne trouve ni conciliation, ni vérité, ni bonne foi. On établit deux juridictions au lieu d’une ; aujourd’hui, après cent francs, les tribunaux jugeaient seuls, maintenant les juges de paix jugeront d’abord, et il ne faut pas croire que les appels seront aussi rares ; aujourd’hui que la compétence est plus restreinte, que le procès à moins d’importance, les appels ne sont pas fréquents, mais augmentez la compétence, étendez l’importance des affaires, et les appels pulluleront ; tel qui n’appelait pas pour 60 francs, appellera pour 120 : de là deux procès au lieu d’un.

Le juge est d’ailleurs toujours saisi de la contestation comme conciliateur, ce qui a lieu souvent sans frais, et il ne renvoie l’affaire que lorsque tous les moyens de conciliation sont épuisés ; alors les parties ont annoncé vouloir soumettre leur différend au tribunal, et la décision du juge qui a échoué comme conciliateur ne leur en imposera pas, ils appelleront.

La trop grande proximité n’est pas toujours un bien, on a le juge et l’huissier sous la main, on lance une assignation que l’on soutient par amour-propre ; et s’il avait fallu faire quelques lieux, la réflexion et l’embarras auraient peut-être conseillé le silence.

Ce n’est pas assez d’avoir une justice expéditive peu coûteuse, il en faut une qui inspire de la confiance. On se fait du juge de paix un être imaginaire, un homme doué de toutes les qualités, exempt de toutes les passions, à l’abri de toutes les séductions : il faut y voir l’homme tel que la nature humaine la produit, soumis à de faiblesses, à des préventions, à des influences contre lesquelles il est seul ; c’est là son plus grand danger, en vivant au milieu de ses justiciables, et accessible à tous et à tout moment ; dans le magistrat éloigné, au sein de la ville, il y a plus d’expérience, d’impartialité.

Aujourd’hui il y a peu d’appels, peu de jugements réformés, mais avec la nouvelle compétence, il y aura plus d’appels, plus de jugements réformés, la considération du juge en souffrira, il perdra ainsi ce qui lui donne le plus de poids dans la conciliation, et on s’habituera à douter de l’infaillibilité du juge.

Pour les tribunaux, la réformation passe inaperçue, mais il fait n’avoir vécu que peu de temps dans les campagnes, pour savoir combien la réformation d’un jugement du juge de paix occupe les justiciables et le juge : pour lui, c’est un fait personnel, et en le réformant souvent, on lui fera perdre en quelque sorte l’opinion et le respect des justiciables.

Voulez-vous laisser au juge de paix l’influence salutaire que suppose son institution, ne le faites pas trop juger ; conciliateur, toujours ; juge, rarement. Aujourd’hui il y a rapport entre le but de son institution et l’action qui lui était donnée dans l’administration de la justice ; je crains de rompre cet équilibre. En confiant à sa décision des intérêts plus graves, plus variés, vous livrez le juge à l’animadversion d’un plus grand nombre de parties succombantes ; vous l’exposez au soupçon d’imbécillité, de partialité ; car chacun se donne raison, et veut souvent d’autant plus le croire et le dire, qu’il a moins raison en effet.

La confiance dont le public entoure le juge de paix ne se meut que dans une sphère peu étendue, en rapport avec les connaissances qui doit avoir, avec l’impartialité qu’on lui suppose, avec le peu d’importance des affaires qu’il juge seul. Agrandissez le cercle, et la confiance disparaît en grande partie ; les connaissances ne suffiront plus, l’impartialité ne résistera pas à de plus grands intérêts, on sentira qu’il y a danger à juger seul : ôtez la confiance et il n’est plus de juge de paix.

J’adopterai l’article 1er comme essai, mais je voterai contre toute augmentation de compétence au delà de 100 et 200 francs.

M. de Garcia – Pour obtenir une bonne justice, il faut, dit-on, ne pas conférer des attributions trop élevées à la décision des juges de paix. Je pense, messieurs, que ce n’est pas dans l’intérêt d’une bonne justice aussi que de restreindre trop les attributions des juges de paix. En abaissant leurs attributions à 100 francs, il arrivera qu’on appellera des affaires de 100 à 150 francs, et que les deux parties, si elles sont dans un état de fortune peu aisée, seront ruinées toute deux par l’effet de l’appel, ou que si l’une des parties est plus riche que l’autre, et si elle appelle du jugement qui la condamne, son adversaire, en gagnant même son procès en appel, perdra, par les frais, au-delà de la valeur du procès. Le riche pourra toujours ainsi ruiner son adversaire ; ce qui est contraire au but d’une bonne justice.

Je suis peu touché des observations faites par M. Metz. Il a dit que les juges de paix devaient être considérés comme conciliateurs ; mais la loi de 1790 veut que les juges de paix soient aussi des juges ; et il est utile de leur conserver la double qualité de juges conciliateurs et de juges proprement dits.

Le juge de paix, qui est un juge du fait, plutôt qu’un juge du droit, est sur les lieux ; les témoins et les parties arrivent et sont entendus devant ce prétoire presque sans frais ; et je suis convaincu que c’est servir les justiciables, que de lui laisser les attributions que je propose. Il y a une observation qui a été présentée par l’honorable ministre de la justice ; c’est qu’on fera pulluler les hommes de loi dans les campagnes. Bon Dieu, messieurs, ce ne sera pas la différence de 100 francs à 150 francs qui fera pulluler davantage ces individus.

M. Raikem – L’amendement contient deux dispositions : par l’une on propose un léger changement pour déterminer légalement que les actions mobilières, jusqu’à la concurrence de la somme désignée, lors même qu’elles ne seraient pas personnelles, seront de la compétence des juges de paix ; je crois que cette partie de l'amendement ne peut rencontrer de contradicteurs. L’autre partie de l’amendement consiste à reproduire la disposition présentée en 1835 par l’honorable M. Ernst, ministre de la justice ; cette disposition a été combattue par deux honorables préopinants. On a fait observer qu’il fallait peser les avantages et les inconvénients de la chose, et voir où la balance penchait ; nous serons d’accord, en principe, sur ce point ; mais nous aurons à examiner si les inconvénients signalés par M. le ministre de la justice existent réellement, et si les avantages signalés par M. de Garcia ne doivent pas prévaloir.

Autant, messieurs, que j’ai pu saisir les paroles de M. le ministre de la justice, les inconvénients qu’il a signalés sont :

1° Qu’en admettant une majoration de 80 francs pour le dernier ressort et de 100 francs pour le premier ressort, on laisserait prononcer les juges de paix sur les intérêts trop élevés pour leur position.

2° Qu’on irait contre le but de l’institution des juges de paix qui est principalement la conciliation, puisqu’en élevant de 100 à 150 francs et de 200 à 300 francs le chiffre des affaires qui leur sont soumises, on augmenterait considérablement le nombre de ces affaires, et qu’on les mettrait ainsi dans l’impossibilité d’exercer le rôle de conciliateur.

3° Que l’on ferait revivre les praticiens et les avocats de campagne, que l’on désire (et j’applaudis à cette idée), que l’on désire écarter des justices de paix autant que possible.

Quant à la première objection que l’on soumettrait aux juges de paix des affaires trop importantes pour la position qu’ils occupent, je pense qu’elle n’est pas fondée ; il me semble que les juges de paix, tels qu’ils existent actuellement, peuvent fort bien prononcer sur des affaires où il s’agit d’une somme de 300 francs.

Je viens au second inconvénient qui, s’il existait réellement, serait de nature à frapper les esprits, c’est que l’on empêcherait les juges de paix de remplir le rôle de conciliateur, en leur déférant une juridiction contentieuse plus étendue que celle qui leur est attribuée aujourd’hui. J’en appellerai à l’expérience, messieurs, et je demanderai si les juges de paix, alors même qu’ils sont appelés à prononcer dans une cause qu’ils peuvent décider en dernier ressort, ne font pas tous leurs efforts pour parvenir à concilier les parties ? la statistique qui a été présentée récemment répond suffisamment à cette question ; on y lit en effet :

« Des données obtenus pour la première fois permettent de comprendre dans ce compte une nouvelle catégorie d’affaires, qui a subi, comme les autres, l’heureuse influence de la magistrature de canton. Les tableaux soumis à Votre Majesté font connaître que 22,007 causes, appartenant à la juridiction contentieuse des juges de paix, ont été terminées à l’amiable. En réunissant ce chiffre à celui des affaires conciliées dans les bureaux de paix proprement dits, l’on voit que, dans l’espace de deux années, plus de 32,000 différends, déjà commencés ou à la veille de naître, ont été arrêtés et prévenus. C’est assurément pour cette institution une nouvelle preuve de son utilité, un nouveau titre à la reconnaissance publique. »

C’est là, messieurs, une preuve évidente qu’en déférant aux juges de paix une juridiction contentieuse, on ne les empêche nullement d’être conciliateurs. Il me semble donc que cette seconde objection n’est pas plus de nature à faire l’impression qu’au premier abord elle semble devoir produire.

On a dit, en troisième lieu, que l’adoption de la proposition ferait revivre les praticiens et les avocats de campagne. Je ne pense pas, messieurs, que la différence entre les chiffres de 100 et de 150 francs et entre ceux de 200 et de 300 francs soient de nature à produire ce résultat.

Quant à ce qui a été dit que les plaideurs ont 24 heures pour maudire leurs juges, et qu’il ne faut pas déférer à un seul juge la décision d’affaires importantes, je vous ferai remarquer, messieurs, que pour les affaires sur lesquelles les juges de paix prononceront en dernier ressort, le chiffre de l’amendement ne diffère que de 50 francs de celui qui est proposé par la commission. Je vous ferai remarquer surtout que les juges de paix sont actuellement appelés à prononcer sur les objets qui sont de nature à produire le plus d’irritation : ce sont les actions possessoires.

On est bien plus attaché dans les campagnes à la possession d’un immeuble qu’à une valeur qui s’élèverait à 300 francs au lieu de n’aller que jusqu’à 200 ; cette objection s’appliquerait donc à bien plus forte raison à d’autres contestations dont personne cependant ne propose de soustraire la connaissance aux juges de paix, qu’à l’objet qui est maintenant soumis à la discussion.

Je crois, messieurs, avoir réfuté les objections faites contre la disposition qui avait été proposée par l’honorable M. Ernst ; je parlerai maintenant des avantages que cette disposition me semble offrir et qui ont déjà été signalés par l’honorable M. de Garcia.

En attribuant aux juges de paix le droit de prononcer en dernier ressort dans les causes où il s’agit d’un objet dont la valeur ne dépasse pas 150 francs, on établit, par cela même, la compétence définitive dans tous les cas où la preuve testimoniale est admissible, sans qu’il soit nécessaire qu’il y ait d’autres circonstances, ou que l’on présente un commencement de preuve par écrit ; et c’est un moyen d’éviter des frais ; sans cela, les tribunaux de première instance qui jugent en appel ne prononceraient que sur le procès-verbal d’enquête tenu par le premier juge ; mais le juge de paix entend lui-même les témoins, et dès lors il est bien plus à même de décider que les juges d’appel qui doivent s’en rapporter à un procès-verbal d’enquête ; car souvent le geste, la manière de s’exprimer des témoins éclaircit mieux les faits que ne peut le faire une déposition consignée sur le papier. Si vous n’admettez pas que le juge de paix prononce en dernier ressort sur des contestations dont l’objet représente une valeur de 150 francs ; si vous voulez maintenir le maximum de 100 francs, alors il faudra, pour toutes les causes où il s’agira d’une somme intermédiaire, dresser un procès-verbal d’enquête, qui devra être ensuite soumis au juge en appel, vous aurez cela s’il s’agit, par exemple, d’une somme de 110 francs, tandis que pour 100 francs, tous ces frais ne seront pas nécessaires. Je le demande, ne vaut-il pas mieux étendre la compétence des juges de paix jusqu’aux objets ayant une valeur de 150 francs, comme on l’a proposé dès le principe, que d’entraîner les parties, dans des frais considérables, alors qu’il ne s’agit, en définitive, que d’une contestation peu importante ?

Comme on l’a déjà fait observer, l’adoption de l’amendement aurait pour effet de mettre la loi sur la compétence en harmonie avec la loi du code civil ; or, une loi de compétence ou de procédure n’a pour but que de mettre à exécution la loi civile, il est donc très utile de coordonner les deux lois.

Je bornerai là mes observations pour le moment. Je crois que les motifs donnés par l’honorable M. de Garcia sont de nature à faire impression sur la chambre et qu’il y a lieu d’adopter la proposition primitive que renouvelle l’honorable membre.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – J’ai dit, messieurs, que l’amendement est contraire au principe d’une bonne justice ; qu’une affaire, lorsqu’elle a une certaine importance, ne doit être jugée qu’après une discussion dans laquelle le juge peut puiser des éclaircissements. J’ai dit qu’après une expérience de 50 ans, doubler tout d’un coup la compétence de juges qui décident seuls, qui décident sans aucune espèce de débats, c’est déjà faire beaucoup, et que tripler en une fois cette compétence, c’est passer d’un extrême à l’autre, et s’exposer à de graves mécomptes.

Quand on veut changer, il faut changer peu à peu et non apporter tout d’un coup aux lois un changement aussi considérable.

On a dit que si l’on n’étendait pas aussi loin que le propose l’amendement, la compétence des juges de paix, l’on ruinerait les parties ; que permettre à celles-ci d’aller en appel pour une somme de 100 francs, ce serait les exposer à de grands frais. Messieurs, je crois que si les parties devaient se ruiner par l’appel d’une cause dont l’objet n’est que de 100 francs, elles ne seraient pas fort loin de leur ruine non plus, lorsqu’elles iraient en appel pour une somme de 150 francs ; pour être conséquent, il faudrait donc supprimer toute espèce d’appel des décisions des juges de paix.

Du reste, messieurs, lorsqu’on appelle de la décision d’un juge de paix, l’affaire est traitée comme matière sommaire, et alors les frais sont assez faibles pour ne pas exposer les parties à se ruiner.

On a dit que l’enquête doit être renouvelée en appel, ce qui serait encore une cause de ruine pour les parties. C’est là une erreur, messieurs ; d’après le code de procédure civile, lorsque l’enquête a lieu pour une affaire sujette à appel, il est tenu procès-verbal de la déposition des témoins, ce procès-verbal est envoyé à la cour d’appel, qui prononce sur cette pièce.

J’ai dit encore, messieurs, qu’il y aurait un très grave inconvénient dans l’adoption de la proposition, ce serait d’augmenter outre mesure le nombre des affaires soumises aux juges de paix. Aujourd’hui ces juges ne sont pas oisifs, et si vous adoptiez la proposition d’élever de 50 et de 100 francs le chiffre des affaires sur lesquelles ils peuvent prononcer, vous iriez jusqu’à tripler le nombre de ces affaires, et ils ne pourraient plus y suffire. D’un autre côté, vous réduiriez tellement le nombre des affaires soumises aux tribunaux de première instance, que, dans certaines localités, ces tribunaux chômeraient à peu près.

J’ai dit aussi qu’un troisième inconvénient qui résulterait de l'adoption de l’amendement serait d’attirer sur les juges de paix une foule de mécontentements ; je n’ai point prétendu que la charge de conciliateur fût incompatible avec celle de juge, j’ai soutenu et je pense avec raison que, pour remplir la première de ces charges, il fallait avoir une influence morale sur les justiciables et qui si les juges de paix ont affaire à une foule de plaideurs, si on les met par là dans le cas de mécontenter beaucoup d’habitants de leur canton, ils n’auront point cette influence, et ils seront dès lors privés du plus grand de tous les moyens qu’un homme puisse avoir pour éteindre ou prévenir les procès. Je crois, messieurs, que cet inconvénient est assez grave pour qu’on y réfléchisse sérieusement avant de tripler le nombre des procès soumis aux juges de paix, et d’augmenter ainsi les mécontentements qu’un magistrat s’attire toujours lorsqu’il décide seul.

Cette augmentation considérable des affaires aurait encore pour effet, on vous l’a dit, de faire revivre dans les campagnes le fléau des praticiens de village qui y avaient attirés autrefois les petites juridictions dont le pays était couvert. Par l’adoption de la proposition, les petites juridictions seraient en quelque sorte rétablies et avec elles renaîtrait cette lèpre dont on était parvenu à délivrer les habitants.

M. Raikem – M. le ministre de la justice m’a mal compris, messieurs, lorsqu’il m’a fait dire que l’on devrait renouveler l’enquête en appel.

Je ne crois pas, messieurs, qu’on puisse me supposer une pareille ignorance du code de procédure. J’ai dit qu’on n’était pas obligé de dresser un procès-verbal d’enquête lorsqu’il n’y avait pas lieu à appel ; mais qu’on devait le dresser lorsqu’il y avait lieu à appel. J’ai dit qu’un juge, quelque profonde que fût sa science, déciderait toujours, sur une enquête, lorsqu’il n’a pas entendu les témoins, moins bien que celui qui les aurait entendus.

Du reste, j’ai relevé ce point pour établir que la compétence en dernier ressort jusqu’à la somme de 150 francs, serait favorable, en ce qu’elle épargnerait des frais aux plaideurs. Je n’ai pas dit qu’on ruinerait les plaideurs. Il est possible, au reste, qu’une partie se trouve ruinée pour un procès porté, même devant une justice de paix ou devant un tribunal de première instance, cela dépend de la fortune des plaideurs. L’un peut être ruiné par un procès dont la perte est presque insensible pour un autre.

Ce à quoi il faut principalement faire attention, lorsqu’on fixe la juridictions des juges de paix, c’est qu’il y a des plaideurs qui souvent n’ont pas le moyen de pourvoir aux frais du procès, et qui cependant s’entêtent parfois à plaider.

Or, en déférant aux juges de paix les contestations jusqu’à la somme de 150 francs, vous remédiez à l’inconvénient que je viens de signaler.

On ne vous a pas fait voir qu’il y aurait de grands avantages à fixer la compétence à 100 francs. Car sur quoi repose cette base de 100 francs ? On dira peut-être que la loi française du 25 mai 1838 fixait également à cette somme la compétence en dernier ressert. Les motifs qu’on vous a présentés aujourd’hui, on les a également fait valoir lors de la discussion de la loi que je viens de citer. On disait également, à cette époque, qu’il ne fallait pas donner trop d’attributions aux juges de paix, et que, surtout dans certaines localités, la somme de 300 francs pouvait être trop considérable pour conférer le jugement d’une telle somme aux juges de paix.

Je crois que si la loi française a statué de cette manière, ce n’est pas un motif pour que nous suivions toujours les dispositions qu’on adopte en France.

Les dispositions du projet présenté à la chambre de France, fixaient le ressort à 150 francs, comme le projet qui a été soumis par l’honorable M. Ernst. Le projet présenté à la chambre française était rationnel, était basé sur les dispositions du droit civil, et nous ne voyons pas sur quelles dispositions est basée cette somme de 100 francs, quant aux jugements prononcés en dernier ressort par les juges de paix.

Mais, dit-on, vous allez tripler les affaires des juges de paix. Cela suppose qu’en doublant la somme, on double le nombre des affaires, qu’en la triplant, on triple ce nombre.

Messieurs, ces calculs ne sont pas toujours exacts ; et s’il y a de si grands inconvénients à saisir les juges de paix d’affaires qui présenteront un peu d’importance, il résulterait de tous les motifs qu’on a fait valoir qu’il vaudrait mieux s’en tenir aux dispositions des lois actuelles ; alors vous restreignez davantage la compétence des juges de paix, et vous n’aurez pas à craindre les inconvénients qu’on a signalés.

Il s’ensuivrait donc que les changements que nous apportons à la législation qui nous régit, ne l’amélioreraient pas, puisqu’on craint d’augmenter d’une centaine de francs la juridiction des juges de paix.

Mais remarquez qu’en introduisant cette extension de juridiction, on ne doublerait ni ne triplerait le nombre des affaires. L’expérience nous fait connaître, en effet, quelles sont les principales affaires qui se traitent devant les juges de paix. Quelles sont ces actions ? ce sont les actions possessoires, ce sont ces actions qui sont véritablement irritantes, lorsque les parties sont en présence du juge de paix. Eh bien, ces actions sont attribuées en plein aux juges de paix.

L’on a parlé des praticiens et des avocats de village que cette augmentation de juridiction ferait surgir dans les campagnes. Messieurs, je ne pense pas que cette crainte se réalise. Car dans quelles circonstances les parties prennent-elles principalement un défenseur devant les juges de paix ? C’est principalement dans les actions possessoires où le juge de paix connaît en dernier ressort, quelle que soit la somme à laquelle la valeur s’élève.

Ainsi les inconvénients qu’on a signalés n’existent pas ; et, d’un autre côté, les avantages qu’on a développés et qui tendent surtout à établir la concordance de la juridiction avec la loi concernant la preuve testimoniale, ces avantages, dis-je, n’ont nullement été détruits par les observations qu’on a présentées.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Messieurs, lorsque le projet de loi qui vous occupe fut renvoyé à la commission spéciale qui m’avait fait l’honneur de me nommer son rapporteur, la première question qu’elle dut se poser, c’était celle de savoir si le projet de loi avait pour but de remanier intégralement l’institution des juges de paix, ou seulement de mettre la loi de 1790 en harmonie avec la valeur actuelle de la monnaie.

On n’a pas eu beaucoup de peine à se convaincre que M. le ministre de la justice n’avait pas eu pour but de faire une révision intégrale de cette loi.

Et en effet, si tel avait été le but de l’honorable ministre, évidemment la loi n’aurait pas été complète : il aurait fallu envisager le juge de paix, non seulement comme juge proprement dit, mais aussi comme conciliateur, comme juge de police, comme exerçant une juridiction volontaire ; sous tous ces rapports, il aurait fallu modifier la législation actuelle.

Le but de M. le ministre de la justice d’alors a donc été uniquement, comme je viens de le dire, de mettre la loi en harmonie avec la dépréciation du système monétaire.

Ce point de départ une fois arrêté, nous avons dû nous demander qu’elle était la dépréciation que le signe monétaire avait éprouvée depuis 1790.

L’assemblée constituante dont la plupart des acte sont marquées au coin d’une profonde sagesse, avait cru que 100 francs, en matière personne et mobilière, était la dernière limite de la valeur qu’on pouvait soumettre à l’appréciation d’un homme dont la principale mission était une mission de paix, une mission de conciliation.

Eh bien, je crois que nous avons fait une large part à la dépréciation du signe monétaire, en doublant cette valeur.

Lorsqu’en France l’on a voulu aller plus loin, la cour de cassation de ce pays, composée comme on le sait de jurisconsultes du premier mérite, a, à l’unanimité, émis la même opinion. Elle n’a pas hésité à dire que ce serait faire un essai dangereux que de faire plus que de doubler le chiffre de la loi de 1790.

Une chose qu’on perd constamment de vue, c’est qu’en l’absence des juges de paix qui peuvent être empêchés ou malades, et dont la maladie ou l’absence peut durer quelquefois très longtemps, la justice, dans les campagnes, est rendue par des suppléants. Or, messieurs, comme chacun de vous le sait, ces suppléants sont souvent des fermiers, des médecins, des personnes, en général, qui n’ont aucune notion de la pratique judicaire. Eh bien soumettre à ces personnes des affaires d’une importance trop grande, c’est s’exposer à de graves dangers.

M. le ministre de la justice ayant fait valoir la plupart des considérations que j’avais à présenter à la chambre, je bornerai là, pour le moment, mes observations ; mais je prie la chambre de peser surtout cette dernière considération : on n’envisage toujours que les titulaires. Certainement, l’amélioration qui a été introduite dans le personnel des justices de paix dans quelques localités, pourrait peut-être vous porter à leur confer la connaissance des affaires d’une valeur triple de celle qui existe d’après la loi de 1790 ; mais si vous voulez avoir égard à la nécessité où sont les titulaires, dans un grand nombre de localités, de se faire remplacer par leurs suppléants, vous croire, messieurs, que la commission a fait tout ce qu’il était possible de faire, en doublant la valeur, jusqu’à concurrence de laquelle le juge de paix peut connaître sans appel.

Quant à la crainte que les appels ne se multiplient, si cette crainte était fondée, l’inconvénient devrait également exister aujourd’hui, sous l’empire de la loi de 1790. Mais ce qui doit vous faire voir que cette multiplicité d’appels n’est pas à craindre, c’est la disposition du code de procédure qui permet aux juges de paix de rendre les jugements exécutoires jusqu’à concurrence de 300 francs. Vous le savez, messieurs, la plupart ne sont inspirés que par le désir de tenir en suspens l’exécution des jugements qui emportent condamnation ; mais lorsque l’ exécution provisoire accompagne le jugement qui condamne, il faut qu’on ait un intérêt grave pour qu’on rejette l’appel. Les appels ne seront pas plus fréquents sous l’empire de la loi que nous discutons, qu’ils ne l’ont été sous celui de la loi de 1790.

M. Metz – Messieurs, je suis étonné que l’honorable M. Raikem ait pu résister à la justesse des observations qui ont été présentées par l’honorable M. Leclercq. L’honorable ministre de l’intérieur vient d’y en ajouter quelques-unes encore, qui doivent porter la conviction dans les esprits les plus rebelles.

En effet, si on examine les objections présentées en commun par MM. Raikem et de Garcia, on trouve qu’elles se réduisent à trois, qui sont très faibles, à mon avis.

On s’occupe d’abord beaucoup trop de l’intérêt des plaideurs. Vous allez, dit-on les ruiner par leur fréquent recours aux tribunaux de première instance.

Messieurs, c’est là une exagération grave dont l’honorable M. Leclercq a déjà fait justice.

On a dit avec beaucoup de raison que les frais d’un appel de justice de paix devant un tribunal d’arrondissement étaient minimes. En effet, ils se bornent à 11,25 pour droit d’obtention de jugement ; ces appels sont des affaires sommaires. Il n’y a pas là de quoi ruiner une partie.

Il est un autre motif encore, c’est que si la partie est pauvre et ne peut pas supporter les frais d’appel, quelque minimes qu’ils soient, il y a un mode à suivre indiqué par la loi, pour obtenir de plaider pro Deo. Alors les avoués et les huissiers prêtent leur ministère dans rétribution. Mais il faut examiner la question d’un point de vue plus élevé, il ne fait pas voir seulement l’intérêt d’un individu qui peut compromettre quelque argent, par les chances d’un appel, il faut considérer l’intérêt d’une bonne justice, l’intérêt d’un citoyen à pouvoir appeler d’un jugement dont il croit avoir à se plaindre, à pourvoir se défendre contre ce qu’il regarde comme une oppression contre les influences que le juge de paix a pu subir, et auxquelles la faiblesse humaine le soumet comme tout autre homme. Il faut donc laisser aux citoyens la faculté de recourir à un second juge quand ils se croient lésés par la décision du premier : c’est un droit qu’ils ne veulent pas abdiquer.

« Mais, dit l’honorable M. Raikem, vous entourez le juge de paix d’une confiance bien autrement large quand vous lui attribuez la solution des questions les plus irritantes, des affaires possessoires, que vous ne le feriez en portant sa compétence à 150 francs, comme je vous y convie. Dans ces actions possessoires, où on se dispute la possession d’un champ, d’un cours d’eau, d’un ruisseau, la hache à la main parfois, le juge de paix est appelé à statuer seul. Ces actions sont d’une importance autrement majeure que 150 francs. »

Il est facile de répondre.

C’est dans l’intérêt d’une bonne et prompte justice qu’on a compris les actions possessoires dans la compétence des juges de paix, parce que ces contestations doivent être vidées sans retard, parce que le juge de paix étant sur les lieux, peut apprécier les usages locaux, entendre les témoins, combiner tous ces éléments et rendre une prompte décision. Dans ces affaires une prompte justice est nécessaire, parce qu’il importe de faire cesser ces causes d’irritation. Mais il ne faut pas d’un cas aller par analogie à un autre avec lequel il n’a pas la moindre assimilation.

Mais, ajoute-t-on, en portant à 150 francs la limite de la compétence en dernier ressort, vous n’augmentez que de 50 francs le chiffre que vous avez vous-même porté à 100 francs. Mais avec cette argumentation, il n’y a pas de raison pour ne pas aller à 200, 250, etc. ; de 50 en 50 francs, vous arrivez à un chiffre infini, n’augmentant jamais le dernier chiffre que de 50 francs. Il faut, comme l’a dit M. le ministre de la justice, poser une limite, une barrière. Cette barrière, on la fixe à 100 francs ; peut-être on va déjà au-delà de la limite naturelle, de la limite rationnelle qu’il conviendrait de fixer.

On objecte que tout ce qui sera consigné dans le procès-verbal d’enquête, paraîtra mal devant le juge d’appel. C’est une erreur ; pour les jugements à charge d’appel, le juge de paix entendra les témoins, fera l’enquête et soumettra au juge d’appel une œuvre aussi parfaite que le permettra la capacité du juge et du greffier. Quand nos intérêts les plus chers sont soumis aux même formalités, on aurait tort de craindre d’y voir soumis un intérêt minime de 150 francs. Un tribunal de première instance qui peut nous condamner jusqu’à 5 ans de prison et même 10 ans, quand il y a récidive, procède de la même manière, et l’appel devant le juge supérieur, alors qu’il s’agit de notre liberté, de notre bien le plus précieux, est soumis aux mêmes formalités auxquelles M. Raikem ne veut pas soumettre une misérable somme de 150 francs.

Mais nous nous éloignons étrangement du but de l’institution des juges de paix. L’honorable M. Liedts a dit que c’était la dépréciation du signe monétaire qui avait fait porter à 100 francs, au lien de 50, la limite de la compétence des juges de paix. Je ferai observer que, dans la loi du 16-24 mars 1790, on avait voulu fixer la compétence des juges de paix non pas à 50 francs et à 100 ; mais à 25 et 50. Pourquoi l’a-t-on portée à 50 francs sans appel et à 100 francs à charge d’appel ? Parce que les juges de paix ne siégeaient pas comme aujourd’hui, seuls, mais avec deux assesseurs. Le juge de paix présidait alors un tribunal, et ce tribunal, composé de trois personnes, on l’a cru capable de juger les affaires de 50 à 100 francs ; on voulait que ces affaires fussent jugés par des hommes de bon sens et de probité, et qui exerçassent, à ces titres, de l’influence sur les justiciables. Avec cette organisation des justices de paix on a empêché dix fois plus de procès qu’on ne pourra le faire avec l’organisation qu’on veut leur donner aujourd’hui.

On a dit que, par l’amendement proposé, on allait surcharger les justices de paix d’une masse inouïe d’affaires. En effet, en France on avait demandé aussi que la compétence des juges de paix fût portée à 150 et 300 francs. On a fait alors un calcul pour savoir quel serait le résultat de cette mesure, et on a trouvé qu’on arrivait ainsi à faire juger les trois quarts de la population de la France, les trois quarts de la fortune de la France par un seul juge. On s’est arrêt devant un résultat aussi imprévu. On a dit qu’il ne fallait pas faire descendre les tribunaux dans la salle des justices de paix, qu’on ne pouvait pas remettre les trois quarts de la fortune de la France, les trois quarts de la population au jugement d’un seul homme. On est revenu à la combinaison de 100 et 200 francs.

Je crois avoir démontré la faiblesse des arguments par lesquels on veut ajouter à l’article premier de la loi, en augmentant encore la compétence. S’il y a des considérations qui militent en faveur de l’adoption de cet article, il en est qui auraient pu appuyer le maintien de ce qui existe aujourd’hui.

Il n’importe pas autant d’être jugé à peu de frais que d’être bien jugé, ce qu’il faut désirer, c’est qu’une bonne justice vienne régler les intérêts de la société. Vous l’obtiendrez difficilement, si vous vous en rapportez pour cela à un seul juge. En effet, est-il un d’entre vous qui ne voie qu’il y a danger à porter seul un jugement sur une affaire, quelque minime qu’elle soit ; à la justice de paix composée du juge de paix et de deux assesseurs, j’abandonnerais bien le jugement sans appel des affaires dont l’importance ne dépasserait pas 150 francs. Mais dans l’organisation actuelle, on abandonne le juge de paix seul à son léger savoir en matière de droit, et l’on veut lui faire décider des questions difficiles et quelquefois graves. Les hommes livrés à eux-mêmes sont plus portés à pencher vers l’erreur que vers la vérité. C’est Montesquieu qui l’a dit. Eh bien, qui viendra montrer son erreur au juge quand il se trompera, le soutenir contre les influences qui agiraient sur lui ? Les parties le rendront responsables des jugements qu’il rendra parce qu’il est seul, parce qu’il ne peut pas se cacher comme dans un tribunal derrière le nombre de trois qui ne permet pas de savoir à la voix de qui on doit attribuer la décision. Seul il peut plus facilement se tromper ou se laisser subjuguer par des influences. Vous faites ainsi dévier la justice de la route qu’elle devrait toujours suivre.

Un tribunal est composé de trois personnes. Si l’un tombe dans une erreur, un autre le relève ; les avocats viennent encore éclairer la discussion, et la décision est prise en parfaite connaissance de cause.

Le juge de paix, si vous le chargez d’un grand nombre d’affaires, verra diminuer son influence de conciliation. On vous a dit que, sur dix mille affaires, cinq mille sont conciliées par les juges de paix. En laissant aux tribunaux la connaissance des affaire au-delà de 100 francs, vous forcez le juge de paix à connaître de ces affaires en conciliation avant que les tribunaux en soient saisis comme conciliateurs : leur position est plus désintéressée, ils ont plus d’action sur les parties ; il leur est plus facile de démontrer, ou que les prétentions ne sont pas fondées, ou qu’il est déraisonnable de plaider, et ils arrivent ainsi à ce résultat de concilier cinq affaires sur dix. Nous devons chercher à conserver cet heureux résultat, et nous le réduirions en chargeant les juges de paix d’un très grand nombre d’affaires. Pourquoi ? parce qu’il aura à prononcer seul sur leurs affaires, et qu’on lui reprochera les jugements qu’il prononcera, et contre lesquels il n’y aura plus recours.

Le même inconvénient n’a pas lieu quand il y a faculté d’appel, parce qu’on sait qu’on peut soumettre son jugement à un juge supérieur, si on n’en est pas satisfait. En refusant la faculté d’appel on compromet encore l’influence du juge de paix, en ce qu’on ne manquera pas de mettre à côté de son infaillibilité présumée ses jugements que l’on réformera, et on sait que les jugements de justice de paix sont toujours réformés dans la proportion de deux sur quatre, et faut-il s’en étonner ? les jugements de première instance sont réformés à un sur trois, d’après la statistique de M. Raikem.

Vous voyez combien est faillible l’esprit humain et combien on a tort d’étendre la compétence d’un seul homme pour quelques minimes considérations d’argent, en présence d’un principe aussi élevé que celui que tout citoyen a le droit d’obtenir une bonne justice.

Sous ce rapport et d’après les considérations qu’ont fait valoir les honorables ministres de la justice et de l’intérieur, je crois qu’il y a lieu de maintenir l’article premier de la loi.

M. Vandenbossche – J’ai demandé la parole pour appuyer la proposition de l’honorable M. de Garcia. Il est évident qu’une somme de 150 francs est trop minime pour supporter une poursuite devant un tribunal ordinaire. On m’a rapporté un jour un fait qui le prouve. Un créancier de 150 francs, agissant contre un débiteur récalcitrant, l’avait attrait devant le tribunal de première instance, après tentative de conciliation. Il gagna son procès ; mais lorsqu’il alla liquider avec son avocat, il vit que les frais du procès dépassaient de 6 francs le montant de la créance. L’avocat, par modération, n’exigea pas le payement de ces 6 francs. Mais ceci prouve qu’une somme de 150 francs est trop minime pour supporter une poursuite devant le tribunal de première instance. Je pense donc qu’il y a lieu d’étendre la compétence du juge de paix jusqu’à cette somme.

M. de Garcia – M. le ministre de la justice m’a sans doute mal compris lorsqu’il a supposé que j’aurais dit que, lorsqu’il y aurait une enquête faite par le juge de paix, il n’y aurait pas de procès-verbal. J’ai dit que si on étendait la compétence du juge de paix jusqu’à 150 francs en dernier ressort, il n’y aurait pas d’enquête, et que dès lors la procédure pour une valeur si minime serait simplifiée, et les frais considérablement diminués, et se réduiraient même à très peu de chose.

Je dirai un mot sur ce qu’a dit l’honorable M. Metz relativement à l’intérêt de 150 francs. Ce qu’il a dit à cet égard répond à ce qu’a dit M. le ministre de la justice contre mon système. Il a dit qu’en France, à propos de la loi de 1838, il avait été avancé que les trois quarts des intérêts des Français seraient livrés aux justices de paix si on adoptait la proposition d’élever la compétence des juges de paix jusqu’à 150 francs en dernier ressort. Sans doute, messieurs, on peut dire que la fortune des trois quarts des Belges serait compromise s’ils étaient exposés à perdre un procès de 150 francs. Il suffit, pour en être convaincu, de connaître les campagnes. Je ne sais si vous les connaissez d’aussi près que moi : mais je puis assurer qu’une somme de 150 francs constitue, pour la plupart des habitants des campagnes, la totalité de leur fortune. Laissez subsistez les deux degrés de juridiction, et je soutiens que même en gagnant leur procès, ils seront ruinés. Je n’hésite pas de poser en fait qu’une contestation ayant pour objet une valeur de 100 à 150 francs, passant par les deux degrés de juridictions, occasionnera aux deux parties des frais considérables beaucoup plus supérieures à l’objet du procès. Je le demande, où peut-on trouver les avantages d’un pareil ordre de choses ?

M. Metz – Combien y en a-t-il qui se sont ruinés ainsi depuis 40 ans ?

M. de Garcia – Je n’ai pas fait de statistique pour répondre à l’honorable membre ; cependant je pourrais lui citer plusieurs noms propres à l’appui de ce que j’avance. Je puis affirmer que bien des habitants des campagnes, pour avoir plaidé des affaires de 150 francs, se sont mis dans un état de gêne dont il n’ont jamais pu sortir, et j’en connais d’autres qui, pour ne pas aller au loin et à grands frais faire valoir leurs droits devant la meilleure des justices, renoncent à leurs prétentions, persuadés qu’ils sont qu’en gagnant leur procès, ils se ruineront ou perdront au moins plus qu’ils ne gagneront.

M. de Behr – L’honorable M. de Garcia proposé d’élever la compétence des juges de paix jusqu’à 150 francs en dernier ressort ; il faut remarquer que cela serait en harmonie avec le code civil ; mais il est probable que lorsque les chambres pourront s’occuper de la révision du code civil, elles admettront, à raison de la dépréciation de la monnaie, la preuve testimoniale jusqu’à 300 francs. Il faudrait donc étendre la compétence des juges de paix jusqu’à 300 francs en dernier ressort. Il résulterait de là qu’un grand nombre de tribunaux se trouveraient sans occupation et que les juges de paix auraient une besogne telle qu’ils ne pourraient y suffire. Vous tomberiez dans l’inconvénient des procès arriérés que nous voulons éviter. Je pense qu’il y a lieu de limiter la compétence des juges de paix à la valeur de 100 francs, sans appel, et de 200 francs, à charge d’appel.

- L’amendement de M. de Garcia, destiné à remplacer l’article premier, est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

L’amendement de M. de Garcia, consistant à substituer dans l’article premier les mots : « personnelles ou mobilières » aux mots : « personnelles et mobilières », amendement auquel le gouvernement se rallie, est mis aux voix et adopté.

Un amendement proposé par M. Metz, et consistant à substituer dans l’article premier, le mot « actions » au mot « causes » est mis aux voix et adopté.

L’article premier du projet de la section centrale est mis aux voix et adopté avec ces deux changements de rédaction.

Proposition de créer une commission d'enquête parlementaire sur la situation économique générale du pays

Rapport de la section centrale

M. Dechamps, au nom de la section centrale chargée de l’examen de la proposition de M. de Foere relative à l’enquête commerciale, dépose le rapport sur cette proposition.

La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport et fixe à lundi prochain la discussion de la proposition de M. de Foere.

Projet de loi relatif à la compétence des tribunaux en matière civile

Discussion des articles

Articles 2 à 6

« Art. 2. Ils connaissent des demandes en payement d’intérêt, d’arrérages de rentes, de loyers et fermages, lorsque le capital réuni aux intérêts formant l’objet de la demande, ou le montant des loyers ou fermages pour toute la durée du bail, n’excède pas les limites fixées par l’article précédent. »

- Cet article de la commission est adopté sans débat.


« Art. 3. Ils connaissent des mêmes demandes à quelque valeur que le capital ou le montant des loyers ou fermages, pour toute la durée du bail, puisse s’élever, lorsque le montant des intérêts, des arrérages, des loyers ou des fermages, formant l’objet de la demande, n’excède pas leur compétence, et que le titre n’est pas contesté. »


« Art. 4. Sont compris dans ces dispositions les loyers, fermages, intérêts et rentes consistant en denrées et prestations appréciables d’après les mercuriales. »


« Art. 5. Les juges de paix connaissent de même des demandes en résolution de bail et de celles en expulsion à son expiration, lorsque la valeur des loyers ou fermages, pour toute la durée du bail, n’excède pas les limites de leur compétence. »


« Art. 6. Les juges de paix connaissent des demandes en validité ou en main-levée des saisies-gageries et des saisies sur débiteurs forains, lorsque les causes de ces saisies rentrent dans leur compétence.

« Ils peuvent permettre de saisir à l’instant et sans commandement préalable.

« S’il y a opposition de la part de tiers pour des causes et des sommes qui, réunies, excèdent leur compétence, ils en renverront la connaissance au tribunal de première instance. »

- Ces articles sont adoptés sans débat.

Article 7

« Art. 7. Les juges de paix connaissent sans appel, jusqu’à la valeur de 100 francs, et à charge d’appel, à quelque valeur que la demande puisse monter :

« 1° Des actions pour dommage faits, soit par les hommes, soit par les animaux, aux champs, fruits et récoltes ;

« 2° Des déplacements de bornes, des usurpations de terre, arbres, haies, fossés et autres clôtures, commis dans l’année ; des entreprises sur les cours d’eau servant à l’arrosement des près, commises pareillement dans l’année, et de toutes autres actions possessoires ;

« 3° Des actions en bornage, de celles relatives à la distance prescrite par la loi, le règlements particuliers, et ‘usage des lieux, pour les plantations d’arbres et de haies, lorsque la propriété n’est pas contestée ;

« 4° Des actions relatives aux constructions et travaux énoncés dans l’article 674 du code civil, lorsque la propriété ou la mitoyenneté du mur ne sont pas contestées ;

« 5° Des réparations locatives des maisons et fermes ;

« 6° Des indemnités prétendues par le fermier ou locataire, pour non jouissance, lorsque le droit de l’indemnité ne sera pas contesté, et des dégradations alléguées par le propriétaire.

« 7° Du payement des salaires des gens de travail, des gages des domestiques et de l’exécution des engagements respectifs des maîtres et de leurs domestiques ou gens de travail.

« 8° Des actions pour injures verbales rixes et voies de fait, pour lesquelles les parties ne se seront pas pourvues par la voie criminelle. »

M. le président – M. de Garcia propose de diviser l’article 7 et d’en faire deux articles qui seraient conçus de la manière suivante sous les numéros 7 et 9

« Art. 7. Les juges de paix connaîtront sans appel, jusqu’à la valeur de … et, à charge d’appel, à quelque valeur que la demande puisse monter :

« 1° Des actions pour dommage faits, soit par les hommes, soit par les animaux, aux champs, fruits et récoltes ;

« 2° Des réparations locatives des maisons et fermes ;

« 3° Des indemnités prétendues par le fermier ou locataire, pour non jouissance, lorsque le droit de l’indemnité ne sera pas contesté, et des dégradations alléguées par le propriétaire.

« 4° Du payement des salaires des gens de travail, des gages des domestiques et de l’exécution des engagements respectifs des maîtres et de leurs domestiques ou gens de travail.

« 5° Des actions pour injures verbales rixes et voies de fait, pour lesquelles les parties ne se seront pas pourvues par la voie criminelle. »

« Art. 9. Les juges de paix connaissent, en outre, à charge d’appel :

« 1° Des déplacements de bornes, des usurpations de terre, arbres, haies, fossés et autres clôtures, commis dans l’année ; des entreprises sur les cours d’eau servant à l’arrosement des près, commises pareillement dans l’année ; des dénonciations de nouvelle œuvre, complaintes, actions en réintégrande et de toutes autres actions possessoires ;

« 2° Des actions en bornage, de celles relatives à la distance prescrite par la loi, le règlements particuliers, et l’usage des lieux, pour les plantations d’arbres et de haies, lorsque la propriété n’est pas contestée ;

« 4° Des actions relatives aux constructions et travaux énoncés dans l’article 674 du code civil, lorsque la propriété ou la mitoyenneté du mur ne sont pas contestées. »

M. de Garcia – L’objet des amendements que j’ai proposés était de fixer dans la loi même deux principes qui n’existent que d’après la jurisprudence. D’après l’un de ces principes, les actions possessoires ne sont jamais sujettes à appel. Ce point a été jugé différemment par la cour de cassation de France. Il ne suffit pas que la jurisprudence ait décidé un point ; elle n’est jamais réglementaire ; elle doit seulement attirer l’attention du législateur pour qu’il adopte la disposition la plus convenable.

La jurisprudence avait d’abord décidé que les actions possessoires, à raison de dommages et intérêts, pouvaient être jugées en dernier ressort quand les réclamations ne s’élevaient pas au-delà de 50 francs ; aujourd’hui on reconnaît que toutes les actions possessoires sont sujettes à appel.

Il faut aussi, par notre loi, régler ce qui est relatif aux actions en réintégrande, c’est-à-dire aux actions qui reposent sur le droit de rentrer dans une propriété dont on a été spolié.

Mon amendement tend aussi à fixer ce point, qui a donné lieu à divergence d’opinions. En rappelant dans mon amendement les actions en réintégrande, l’on verra qu’elles sont conservées dans notre législation, et on leur appliquera les principes reconnus.

Nous parlons à une magistrature qui n’est pas toujours à la hauteur des fonctions qu’elle est appelée à remplir ; c’est du moins ce qui a été dit pour combattre mon premier amendement. Quant à moi, j’ai plus de confiance en elle ; mais je désire tracer des règles claires ; je désire que le magistrat puisse connaître toutes ses attributions.

La division de l’article 7 du projet de la commission, la rédaction et les additions que je propose ne tendent qu’à ce but.

M. Metz – Sans connaître l’opinion du gouvernement, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup à dire contre l’amendement de l’honorable M. de Garcia. Je crois qu’il établit une division plus rationnelle de tous les articles compris dans l’article 7. Quant à l’addition relative aux actions relatives aux dénonciations de nouvelle œuvre, complaintes, actions en réintégrande, tout le monde sait que ce sont des actions possessoires ; mais il n’y a pas d’inconvénient à laisser ces expressions qui rendent la loi plus claire.

Je me permettrai de demander à M. le ministre de la justice, ainsi qu’à M. le ministre de l'intérieur, s’il ne conviendrait pas d’ajouter à l’article 7 ce que je trouve dans la loi française, c’est-à-dire que les juges de paix connaîtront de l’élagage des arbres, haies, du curage des fossés et canaux servant aux usines.

Vous savez que l’élagage des arbres appartient aux tribunaux d’arrondissement.

Le propriétaire qui voir son fonds surmonté par les branchages des arbres d’une propriété voisine, a un réaction contre le voisin pour faire couper les branches ; voilà une disposition qui me semble plus du ressort de la justice de paix que de la justice d’arrondissement.

Sous ce rapport il n’y aurait pas d’inconvénient à introduire ma proposition dans la loi, comme amendement.

Vous savez, messieurs, combien il est important, indispensable que les ruisseaux, les canaux, les cours d’eau qui font mouvoir les usines soient entretenus constamment de manière à fournir la quantité d’eau nécessaire, et combien il est dès lors nécessaire que l’on puisse obtenir dans les contestations qui s’élèvent à cet égard une justice expéditive. C’est pour atteindre ce but que je voudrais proposer d’introduire dans la loi que nous faisons la disposition qui existe dans la loi française.

Je soumets ces observations à M. le ministre de la justice et à M. le ministre de l'intérieur ; s’ils ne voient pas d’inconvénient, je déposerai l’amendement que j’ai indiqué.

(Moniteur n°128 du 7 mai 1840) M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, nous nous sommes ralliés au projet de la commission parce que nous avons considéré la loi non pas comme une révision partielle de la législation sur la compétence des juges de paix, mais comme une mesure destinée à ramener cette législation à son esprit primitif, dont elle s’est écartée par suite des circonstances et du changement survenu dans la valeur monétaire. Je crois qu’il y aurait de grands inconvénients à faire une révision partielle de la loi sur la compétence des juges de paix ; je crois qu’il serait dangereux d’entrer dans cette voie, d’ajouter de nouveaux objets à ceux dont ces juges ont à s’occuper. Il est vrai qu’en France des dispositions de cette nature ont été introduites dans la loi, mais il ne faut pas perdre de vue que là on a complètement révisé la législation sur les justices de paix et les tribunaux de première instance, chose que nous ne sommes pas, en ce moment, appelés à faire.

Je dois maintenant dire un mot de l’amendement de l’honorable M. de Garcia qui a fait valoir un double motif à l’appui de cet amendement. Il a dit d’abord qu’il vouloir fixer un point de jurisprudence, celui de savoir si les actions possessoires ne devaient être jugées, en premier ressort, que dans certains cas, ou si elles devaient toujours être jugées en premier ressort. Cette explication, messieurs, je l’adopte ; si l’on croit que la jurisprudence ne suffit pas pour décider cette question, l’insertion des mots : « complaintes, actions en réintégrande » ne peut que rendre la loi plus claire. Mais l’honorable M. de Garcia a donné une seconde explication à s l’admettre. Il a dit que cet amendement avait aussi pour objet de fixer un point de jurisprudence très controversé, celui de savoir si les actions en réintégrande sont des actions possessoires de la compétence des juges de paix ; or, messieurs, cette question n’est point controversée, la jurisprudence a toujours admis que les actions en réintégrande sont des actions possessoires ; mais ce qui est controversé, c’est le point de savoir, si, pour intenter de semblables actions, il faut avoir possession d’an et jour, ou s’il suffit d’avoir une possession n’importe laquelle. Je dirai, messieurs, que cette question, l’amendement ne la décide en aucune manière ; il se borne à décider que les actions dont il s’agit sont des actions possessoires, ce dont on ne doute pas, et qu’elles sont de la compétence des juges de paix, ce dont on ne doute pas davantage.

L’amendement ne décide donc pas la question qui est seule controversée, et il ne peut pas la décider parce que ce n’est pas une question de compétence, c’est une question de droit privé, appartenant aux matières qui forment l’objet du code civil.

(Moniteur n°127 du 6 mai 1840) M. Metz – Messieurs, la raison que donne M. le ministre de la justice pour ne pas admettre les observations que j’ai eu l’honneur de lui soumettre, cette raison ne me satisfait pas du tout. Nous nous occupons de réviser la loi sur la compétence des juges de paix ; en France, où, comme le dit M. le ministre de la justice, on a fait aussi une loi sur la compétence des juges de paix et des tribunaux civils, on n’a pas fait plus que ce que nous faisons en ce moment ; on y a déterminé la compétence des juges de paix par une loi qui comprend moins d’articles que celle dont nous nous occupons, et qui, au fond, est absolument la même, sauf que la loi française décide quelques points que je voudrais également voir décider ici.

Si nous réglons par une loi spéciale la compétence des juges de paix, n’est-il pas raisonnable de déterminer dans cette loi tous les objets qui doivent être soumis à ces juges ? Cela n’est-il pas beaucoup plus simple que de faire dans six mois une loi nouvelle pour attribuer aux juges de paix la connaissance de contestations que nous pouvons leur attribuer aujourd’hui.

Lorsqu’on a fait en France la loi sur la compétence des justices de paix, on a suivi celle de 1790 comme nous le faisons, seulement on a ajouté aux objets sur lesquels s’étendait la compétence des juges de paix ceux que l’on a cru devoir faire entrer naturellement dans cette compétence ; c’est ainsi, par exemple, que l’on y a fait entrer, comme nous le faisons également, les actions relatives au placement des bornes, actions qui étaient auparavant dans les attributions des tribunaux de districts. La loi française a encore attribué aux juges de paix la connaissance de certaines actions sur lesquelles le projet actuel est muet.

En France, les juges de paix connaissent des actions intentées aux aubergistes par des voyageurs pour des objets qui leur auraient été volés ; ces actions-là, je l’avoue, se trouvent en grande partie chez nous aussi dans la compétence des juges de paix, puisqu’ils peuvent connaître en dernier ressort des contestations dont l’objet n’a pas une valeur de plus de 100 francs, et en premier ressort des actions dont l’objet ne va pas au-delà de 200 francs ; il en est à peu près de même pour les contestations entre les voyageurs et les carrossiers, que la loi française défère également aux juges de paix, et pour les actions que peuvent intenter les nourrices relativement au payement de la pension des enfants placés chez elles.

Il ne reste donc plus que la question que j’ai l’honneur de soumettre à la chambre, celle qui est relative à l’élagage des arbres et au curage des fossés ou canaux ; si nous ne comprenons pas ces objets dans la loi, les contestations qui s’élèveront à cet égard devront y continuer à être soumises aux tribunaux de district. Cependant tout le monde conviendra qu’il est utile de déférer ces sortes de contestations aux juges de paix. Il me semble donc que nous devons introduire, à cet égard, une disposition dans la loi que nous faisons, et qui, de cette manière, sera plus complète.

Il est encore un objet cependant que l’on pourrait désirer faire entrer dans la compétence des juges de paix ; ce sont les pensions alimentaires. D’après la loi française, les contestations qui s’élèvent à cet égard sont déférées aux juges de paix, lorsqu’il ne s’agit pas d’une somme supérieure à 150 francs. Vous savez, messieurs, que les pensions alimentaires sont toujours demandées par des nécessiteux qui ont d’autant plus besoin d’une semblable pension que leur position est plus fâcheuse et qu’ils sont par conséquent moins à même de faire les frais nécessaires à une procédure devant les tribunaux. Ce sont souvent des vieillards, obligés de fuir leur maison à cause des mauvais traitements qu’ils y éprouvent. Je crois donc qu’il conviendrait d’attribuer aux juges de paix la connaissance des actions relatives aux pensions alimentaires lorsque la somme demandée n’excède pas 100 ou 150 francs, comme le fait la loi française. C’est encore là une observation que je soumets aux honorables ministres qui soutiennent le projet de loi. On sait que le chiffre d’une pension alimentaire se règle d’après le besoin de celui qui la réclame, et d’après les ressources de celui qui la doit ; c’est encore un motif pour déférer la connaissance des contestations élevées cet égard aux juges de paix, qui se trouvent sur les lieux et qui par conséquent connaissent le mieux la position des parties.

M. de Garcia – M. le ministre de la justice a bien voulu donner son approbation au premier des motifs qui m’ont déterminé à proposer mon amendement ; je n’ai pas été aussi heureux pour le second de ces motifs, mais je pense, messieurs, que c’est parce que j’ai été mal compris. M. le ministre a supposé que lorsque j’ai proposé l’addition des mots : « des dénonciations de nouvelle œuvre, complaintes, actions en réintégrande, » j’ai voulu, par là, faire décider que ce sont là des actions possessoires ; tout le monde sait que les actions en réintégrande sont des actions possessoires, mais des actions possessoires sui generis ; c’est pour montrer que ces actions existent encore que je propose de les insérer dans la loi, chose d’autant plus nécessaire que ce point est contesté et qu’il est utile de conserver ce droit et ce genre d’action complètement indépendante de la possession annale. J’aurais l’honneur de faire observer à la chambre que la question de savoir si ces actions possessoires d’une nature particulière existent encore dans notre législation, que cette question est un objet de discussions et de divergence d’opinions entre les jurisconsultes ; si nous insérons dans la loi les mots que je propose d’y introduire, cette question sera tranchée, on saura que ces actions existent encore et l’on y appliquera les principes qui existaient dans l’ancienne loi et qui réellement n’ont pas été détruits.

L’objet de cette addition est donc de prouver que nous voulons conserver les actions en réintégrande.

Je pense, en conséquence, qu’il y a une utilité réelle à conserver cette addition dans l’article 9 ; je parle de l’article 9 ; en effet, si mon amendement est adopté, il y aura lieu de faire une transposition d’articles, et l’article 8 du projet de la commission resterait article 8, et la moitié de l’article 7 du projet de la commission, dont je fais un article séparé, viendrait après l’article 8, et formerait l’article 9. L’ordre des idées me paraît amener cette classification.

M. Raikem – Messieurs, si j’ai bien compris M. le ministre de la justice, il se rallie à la partie de l’amendement de M. de Garcia relative à l’appel des jugements rendus en matière d’actons possessoires. Ceci est un point controversé en jurisprudence et sur lequel la cour de cassation a jugé le pour et le contre. On propose d’ériger en disposition législative cette dernière jurisprudence.

Je crois que, pour bien discuter les diverses questions que présente la disposition, il faut d’abord se fixer sur la première partie de l’amendement de M. de Garcia ; on discuterait ensuite la seconde partie qui deviendrait l’article 8 ou 9, et qui, à mon avis, devrait être l’article 9, puisqu’il y aurait lieu à insérer entre ces deux articles l’article 8 du projet de loi présenté par le gouvernement.

Si cet ordre de discussion est admis, je me réserve de m’expliquer sur le second article qui est présenté par M. de García sous forme d’amendement.

M. le président – Je ferai observer que l’amendement de M. de Garcia n’a pour objet que de distraire de l’article en discussion les paragraphes 2, 3 et 4 pour en faire un article séparé ; M. de Garcia ne propose aucune modification à l’article 7.

Je vais donc d’abord appeler l’attention de la chambre sur la question de savoir si l’on opérera la distraction desdits paragraphes.

- La distraction des paragraphes 2, 3 et 4, à l’effet d’en faire un article séparé, est mise aux voix et adoptée.

M. le président – Voici maintenant ce qui reste de l’article 7 :

« « Art. 7. Les juges de paix connaissent sans appel, jusqu’à la valeur de 100 francs, et à charge d’appel, à quelque valeur que la demande puisse monter :

« 1° Des actions pour dommage faits, soit par les hommes, soit par les animaux, aux champs, fruits et récoltes ;

« 2° Des actions relatives aux constructions et travaux énoncés dans l’article 674 du code civil, lorsque la propriété ou la mitoyenneté du mur ne sont pas contestées

« 3° Des réparations locatives des maisons et fermes ;

« 4° Des indemnités prétendues par le fermier ou locataire, pour non jouissance, lorsque le droit de l’indemnité ne sera pas contesté, et des dégradations alléguées par le propriétaire.

« 5° Du payement des salaires des gens de travail, des gages des domestiques et de l’exécution des engagements respectifs des maîtres et de leurs domestiques ou gens de travail.

« 6° Des actions pour injures verbales rixes et voies de fait, pour lesquelles les parties ne se seront pas pourvues par la voie criminelle. »

M. le président – Voici un amendement de M. Metz, qui viendrait à la suite du n°1 de l’article 7 :

« Et des actions relative s à l’élagage des arbres et haies, et au curage des fossés ou canaux servant à l’irrigation des propriétés, ou au mouvement des usines, lorsque les droits de propriété ou se servitude ne sont pas contestés. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Messieurs, si j’avais à exprimer mon opinion personnelle sur le mérite de cet amendement, je dirais que je le trouve très bon ; et que, par conséquent, on pourrait l’adopter. Mais la question est de savoir si c’est à l’occasion de la loi que nous faisons qu’il faut l’adopter.

A cet égard, je dois vous faire connaître ce qui passé dans le sein de la commission qui a été chargée de l’examen du projet de loi.

Rappelez-vous d’abord, messieurs, à quelle occasion le projet de loi vous a été présentée ; c’est lorsque, de toutes parts, il arrivait des plaintes sur l’encombrement des affaires dans les cours d’appel et quelques tribunaux de première instance.

M. le ministre de la justice a cru que le meilleur moyen de faire cesser ces encombrements était d’augmenter, d’une part, quelque peu la compétence des juges de paix, et d’une autre part, celle des tribunaux de première instance.

Son but n’a donc pas été de réviser totalement la loi de 1790 sur la compétence des tribunaux de première instance et des justices de paix.

Dans le sein de la commission chaque fois qu’un de ses membres présentait un amendement, c’était par cette espèce de fin de non recevoir que l’amendement était écarté. L’on disait : Il sera peut-être convenable d’adopter la disposition, lorsqu’il s’agira de réviser intégralement la législation sur la compétence, mais dans la loi actuelle, l’amendement ne doit pas trouver sa place.

On s’est aperçu, en effet, que, sous beaucoup de rapports, les lois sur la compétence sont en harmonie et se lient avec les lois civiles du pays. En France, où les cinq codes ne doivent pas être l’objet d’une révision comme chez nous ; en France, dis-je, les lois sur la compétence ont un point de départ fixe, immuable. La constitution belge ordonne, au contraire, la révision de tous les codes. Par conséquent, il a paru à votre commission que, lorsque les codes seront achevés, on pourrait faire une loi sur la compétence de toute le pouvoir judiciaire, compétence qui deviendra dès lors en quelque sorte immuable ; et que, d’ici là, on devait se borner à prendre des mesures propres à aider la marche régulière de la justice.

Voici le danger que prévoyait votre commission si l’on adoptait son amendement. Ou bien, il faut réviser toutes les dispositions de la loi de 1790, tous les paragraphes de l’article que nous discutons, ou bien il ne faut en réviser aucun ; car si vous introduisez des amendements dans un numéro de l’article primitif, vous allez faire naître, pour les tribunaux, des doutes qui aujourd’hui sont levés par la jurisprudence.

Voici un cas qui se présent à mon esprit. On lit dans le numéro 2 de l’article :

« Les juges de paix connaissent :

« 2° des déplacements de bornes, des usurpations de terres, arbres, baies, fossés et autres clôtures, commis dans l’année ; des entreprises sur les cours d’eau servant à l’arrosement des près, etc. »

Eh bien, la jurisprudence interprète le texte de la loi de 1790 en ce sens que cette expression s’applique aux cours d’eau servant à l’arrosement de toutes les propriétés. Vous voyez donc que, si vous voulez faire une révision complète de la loi de 1790, il fait expliquer cette expression de « prés » que vous ne pouvez laisser subsister ; il faudrait alors étendre la loi, dans le sens de la jurisprudence et des arrêts, car il est évident qu’il n’y aurait aucun motif pour limiter la disposition aux cours d’eau servant à l’arrosement des prairies.

Eh bien, voilà un seul exemple que je vous cite ; il y en a vingt autres. Si vous laissez subsister le mot « prairies », connaissant les difficultés auxquelles a donné lieu la loi de 1790, les tribunaux diront : on est revenu sur la jurisprudence, le législateur, en se servant de ce mot, n’a voulu entendre parler que des prairies proprement dites, c’est à elles seules que la disposition doit s’appliquer. Voilà le danger auquel on s’exposerait.

S’il pouvait entrer dans l’intention de la chambre de faire réviser l’article 7, je demanderais le renvoi à la section centrale, car il ne faudrait pas seulement y introduire l’amendement de M. Metz, mais il faudrait encore y faire d’autres changements, il faudrait réviser l’article, paragraphe par paragraphe. Si vous voulez au contraire vous en tenir aux motifs de la loi, il faut laisser subsister le texte primitif, car si vous y touchez, comme je viens de le démontrer, vous donnez lieu aux inconvénients les plus graves, parce que vous êtes censés connaître les difficultés qui ont été soulevées.

Les motifs de l’article sont énoncés dans l’exposé du ministre.

« Ces modifications auront pour résultat, dit cet exposé, de diminuer le nombre des affaires portées devant les tribunaux de première instance et les cours d’appel ; elles diminueront l’arriéré qui s’est accumulé dans divers tribunaux ; elles feront ainsi cesser les plaintes qui se sont élevées contre la lenteur avec laquelle se rend la justice. »

« Les six premiers paragraphes de l’article 3 ne sont que la reproduction de la loi de 1790. »

C’est précisément à l’occasion de cet article que le ministre dit que son but est de faire cesser l’encombrement des affaires portées devant les tribunaux, et non de réviser la loi de 1790. Si vous voulez faire la révision de cette loi, je ne m’y oppose pas, mais alors faites quelque chose de complet, révisez l’article 7 en entier, ce n’est pas une seule modification, une seule disposition nouvelle qu’il faut y introduire, mais dix numéros nouveaux, plus utiles que celui proposé par M. Metz qu’on devra présenter.

Je le répète donc, si on veut faire une révision complète de la loi de 1790, mieux vaut renvoyer à la commission que d’adopter un amendement isolé. Dans le cas contraire, je demande l’ajournement des amendements jusqu’à l’époque où, après la révision de nos codes, on pourra faire une loi en quelque sorte immuable et en harmonie avec les codes qui nous régiront. Il est impossible de faire cette loi maintenait. Devant plus tard réviser le code civil et le code de procédure, il faudra mettre les lois de compétence judiciaire en rapport avec nos lois civiles révisées. En France, le même motif ne se présente pas, et on a pu y remanier, sans inconvénient, toute la loi de 1790.

M. Raikem – Si on voulait s’en tenir à la loi de 1790, et seulement étendre, quant à la somme, la compétence des juges de paix, on pouvait se borner à faire un projet en quelques mots, et dire : La compétence des juges de paix maintenant fixée à telle somme est portée au double. La loi n’aurait pas emporté une discussion aussi longue que celui qui vous est soumise. Il m’a paru que la commission n’avait pas totalement suivi ce système dans l’article 7, qui correspond à l’article 2 du projet ministériel. Le ministère avait suivi la loi de 1790, mais la commission a puisé dans la loi française les numéros 3 et 4.

Voilà donc deux dispositions ajoutées à la loi de 1790, ce qui prouve qu’on ne s’est pas attaché invariablement aux principes qu’on vient de signaler tout à l’heure. Je prouverai que l’amendement de M. Metz se rapporte au numéro 3 de l’article. Si vous attribuez aux juges de paix ce qui est relatif à la plantation des arbres, pourquoi ne pas lui attribuer aussi ce qui se rapporte à l’élagage ? La proposition de M. Metz me semble le corollaire de celle de la commission, à laquelle le ministre s’est rallié. Je ne vois pas que cette disposition soit en aucune manière déplacée. D’après le principe posé au numéro 3, il y a lieu d’adopter la proposition de M. Metz.

M. Metz – M. Raikem ayant présenté les observations que je me proposais de vous soumettre, je n’aurai que bien peu de choses à ajouter. Il est vrai de dire que ce n’est pas seulement à la loi de 1790 qu’on s’est arrêté, puisque différents changements y ont été introduits. Maintenant, à ce que dit M. le ministre qu’il ne faut pas admettre dans la loi une proposition juste parce que d’autres devraient aussi y trouver place, je répondrai qu’il faut prendre le bien là où on le trouve, l’appliquer quand on le peut, et que, quand il est impossible d’introduire dans une loi toutes les dispositions qui la rendraient parfaite, il faut y admettre celles dont on reconnaît la justice.

Or, le ministre de l’intérieur pense que mon amendement devrait trouver place dans une loi complète ; empressons-nous donc de l’introduire dans la loi de 1790 qu’on a reconnue fautive et qui n’a pas moins continué à régir le pays jusqu’aujourd’hui. La loi dont nous nous occupons ne sera peut-être pas révisée d’ici 10 ou 15 ans ; si nous ne pouvons pas obtenir en ce moment toutes les améliorations dont la loi de 90 est susceptible et qui seraient le résultat d’un examen plus approfondi. Hâtons-nous d’admettre celles qui s’offrent à nous et dont personne ne conteste l’utilité. Les innovations que nous rencontrons dans la loi française ne nous paraissent pas toutes admissibles.

Je me suis attaché à une seule que j’ai cru utile d’insérer dans notre loi : je parle de l’élagage des arbres et du curage des fossés. Quand des propriétés sont inondées, à défaut de curage des fossés, voulez-vous que le propriétaire laisse chômer son usine pour aller près du tribunal solliciter une assignation à bref délai entamer une procédure pour obtenir que son voisin soit forcé de curer un canal ; ne vaut-il pas mieux qu’il s’adresse au juge de paix qui peut voir et décider, c’est ce que je demande qu’on introduise dans la loi.

- L’amendement de M. Metz est mis aux voix et adopté, ainsi que l’article amendé.

Article 8

« Art. 8 de la commission. La compétence, s’il s’agit d’une somme d’argent ou d’un objet appréciable d’après les mercuriales, sera déterminée par les conclusions du demandeur, et dans tous les autres cas, par l’évaluation qu’il sera tenu de donner, à peine de se voir refuser toute audience.

« Le défenseur pourra se libérer en acquittant le prix de cette évaluation, sans préjudice aux intérêts et aux dépens s’il y a lieu. »

M. le président – Le paragraphe 3 devient inutile.

M. Raikem – Comme on ne veut pas appliquer l’article 8 à tous les cas et que le paragraphe 3 est devenu inutile, d’après l’observation de M. le président, il faudrait en changer la rédaction.

M. de Garcia – Je crois qu’au second paragraphe de cet article, on devrait ajouter après les mots : « Le défenseur pourra », ceux-ci : « dans les cas de l’article précédent. »

M. Raikem – On pourrait insérer dans le deuxième paragraphe, ces mots : « dans les cas autres que ceux prévus par l’article suivant. » Je propose cette addition sauf rédaction. Il faudra aussi retrancher le dernier paragraphe.

M. de Garcia – Je me rallie à la proposition de M. Raikem.

- La chambre vote la suppression du dernier paragraphe de l’article 8, et adopte, sauf rédaction, l’addition proposée par M. Raikem. L’article 8, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Article 9

La chambre passe à l’article 9, qui se compose des numéros 2, 3 et 4 de l’article 7. Cet article, d’après l’amendement de M. de Garcia, est ainsi conçu :

« Art. 9. Les juges de paix connaissent, en outre, à la charge d’appel :

« 1° Des déplacements de bornes, des usurpations de terre, arbres, haies, fossés et autres clôtures, commis dans l’année ; des entreprises sur les cours d’eau servant à l’arrosement des près, commises pareillement dans l’année ; des dénonciations de nouvelle œuvre, complaintes, actions en réintégrande et de toutes autres actions possessoires ;

« 2° Des actions en bornage, de celles relatives à la distance prescrite par la loi, le règlements particuliers, et l’usage des lieux, pour les plantations d’arbres et de haies, lorsque la propriété n’est pas contestée ;

« 4° Des actions relatives aux constructions et travaux énoncés dans l’article 674 du code civil, lorsque la propriété ou la mitoyenneté du mur ne sont pas contestées. »

M. Raikem – En réalité, l’amendement proposé à cet article par l’honorable M. de Garcia ne change nullement la disposition du projet. Il ne tend qu’à ériger en disposition législative ce qui est établi par la jurisprudence.

Quant aux complaintes, il n’y a pas de doutes. Pour les dénonciations de nouvelles œuvres en réintégrande, il y a eu contestation ; mais la jurisprudence de la cour de cassation de France a décidé dans le sens de la proposition de M. de Garcia. Il s’agissait de savoir, quant aux actions en réintégrande intentées lorsqu’il y avait eu violence et voies de fait, s’il n’était pas nécessaire, pour être réintégré dans la possession, d’avoir eu la possession annale et une possession non précaire. Ce point avait été contesté par les auteurs ; mais, en définitive, la cour de cassation a juge que cela n’était pas nécessaire. Il y a même un arrêt de cassation en ce sens. Or, il est toujours avantageux d’ériger en disposition législative ce qui est consacré par la jurisprudence. C’est ce qu’a fait la loi française. En effet, il faut éviter la diversité en jurisprudence ; il faut aussi éviter aux citoyens des recours en cassation qui peuvent les entraîner dans des frais. Je crois donc qu’il sera très utile d’insérer ici la disposition de la loi française reproduite par M. de Garcia.

De ce que nous insérons dans l’article les mots « les actions en réintégrande », il en résulte qu’on pourra intenter ces actions lors même qu’on n’aura pas la possession annale. C’est l’observation qui a été faite pour la loi française. Permettez-moi de lire ce passage.

« On a longtemps agité la question de savoir si la réintégrande ne se confond pas avec la complainte, en ce sens que pour l’introduire il fût nécessaire d’avoir une possession annale. D’habiles jurisconsultes, notamment MM Toullier et Troplong, ont soutenu fortement l’affirmative. Mais un arrêt de la cour de cassation du 17 novembre 1835, avait décidé le contraire, en s’appuyant sur la maxime Spoliatus ante omnia restituendus. Le doute n’est plus permis en présence de la loi actuelle qui distingue la réintégrande de la complainte et ne leur impose comme condition commune à toutes les actions possessoires, que d’être introduites dans l’année du trouble. »

Vous voyez que la loi française a décidé la question. Nous la déciderons également en adoptant la disposition proposée, et, en cela, nous ne dérogerons pas à la loi ; nous ne ferons, je le répète, qu’ériger en disposition législative ce qui est consacré par la jurisprudence.

- L’amendement de M. de Garcia est mis aux voix et adopté, il forme l’article 9.

Article 10

La chambre passe à l’article 10 ainsi conçu :

« Art. 10. Ne sera pas recevable l’appel des jugements mal à propos qualifiés en premier ressort ou qui, étant en dernier ressort, n’auraient pas été qualifiés. Seron sujets à l’appel les jugements qualifiés en dernier ressort, s’ils ont statué, soit sur des questions de compétence, soit sur des matières dont le juge de paix s’est déclaré compétent, l’appel ne pourra être interjeté qu’après un jugement interlocutoire ou définitif sur le fond. »

M. de Garcia propose, par amendement, de supprimer cet article et de le remplacer par la disposition suivante :

« Art. 10. Le juge de paix, en rejetant le déclinatoire, statuera au fond par le même jugement, lorsque la matière sera disposée à recevoir une décision définitive, mais par deux dispositions distinctes, l’une sur la compétence, l’autre sur le fond.

« Si l’une des parties refuse de prendre d’autres conclusions que sur la compétence, le juge de paix le constatera par le procès-verbal de l’audience, et il prononcera par défaut sur le fond.

« Les dispositions sur la compétence pourront toujours être attaquées par la voie d’appel. »

M. de Garcia – J’ai proposé de remplacer l’article soumis à votre discussion, d’abord parce que toute la première partie de cet article se trouve dans l’article 453 du code de procédure civile, et qu’il est inutile de répéter ce qui existe en principe général.

L’article 453 du code de procédure civile est ainsi conçu :

« Art. 453. Seront sujets à l’appel les jugements qualifiés en dernier ressort, lorsqu’ils auront été rendus par des juges qui ne pouvaient prononcer qu’en première instance.

« Ne seront pas recevables les appels des jugements rendus sur des matières dont la connaissance en dernier ressort appartient aux premiers juges, mais qu’ils auraient omis de qualifier ou qu’ils auraient qualifiés en premier ressort. »

On voit d’après cela que la première partie de cet article est complètement inutile.

Dans cet article on s’est proposé un autre but (je désire qu’on l’atteigne), c’est de simplifier la procédure dans les questions de la compétence le projet de la commission atteint-il ce but ? Je ne le trouve pas.

Il porte : « … Si le juge de paix s’est déclaré compétent, l’appel ne pourra être interjeté qu’après un jugement interlocutoire ou définitif sur le fond. » Ces mots « après un jugement interlocutoire » peuvent laisser bien des doutes et donner naissance à des contestations forts longues. On sait combien il est difficile, dans la pratique de distinguer un jugement interlocutoire d’un jugement préparatoire. Il résulte de là un grand nombre de circuits de procédure que mon amendement tend à éviter.

M. Metz – Je vous avoue que je ne trouve rien de nouveau dans l’amendement de M. de Garcia, et je ne vois pas pourquoi on le substituerait à celui de la commission. Je me trompe, j’y vois quelque chose de nouveau, mais c’est quelque chose de mauvais. Je vais chercher à le prouver. L’article 10 reproduit dans sa première partie un article du code de procédure civile. Je trouve cela très naturel dans une loi qui doit être en quelque sorte le code des juges de paix.

Cet article, qui est la reproduction d’un article de la loi française, me paraît devoir être admis.

Vous vous présentez devant le juge de paix ; on élève une question de compétence, le juge de paix se déclare incompétent. Dès lors, il faut à l’instant appeler de ce jugement ; car vous ne pouvez exiger que le juge de paix prononce malgré lui dans une affaire qu’il prétend n’être pas de sa compétence.

Mais si le juge de paix se déclare compétent, alors il faut, dit M. de Garcia, qu’il décide sur le fond : je pense que c'est là amener les plaideurs à faire tous les frais qu’on veut leur éviter. Dans le principe posé par la commission, le juge de paix, quand il s’est déclaré compétent, il y a présomption de compétence, et il doit prononcer un autre jugement, soit préparatoire, interlocutoire ou définitif. L’article 9 porte qu’aussitôt qu’il y aura un jugement interlocutoire, il y aura lieu à un appel ; mais d’après M. de Garcia, il faut que tout soit terminé avant d’appeler, ce qui conduirait à un but opposé à celui qu’on se propose. Je crois qu’il faut admettre l’article de la commission, qui n’est que la reproduction de la loi française.

M. de Behr – L’article de la commission est extrait de la loi française, comme on vient de le dire. L’amendement proposé par M. de Garcia laisse beaucoup à désirer.

« « Art. 10. Le juge de paix, en rejetant le déclinatoire, statuera au fond par le même jugement, lorsque la matière sera disposée à recevoir une décision définitive, mais par deux dispositions distinctes, l’une sur la compétence, l’autre sur le fond.

Mais si la matière n’est pas disposée, qu’en adviendra-t-il ? peut-on interjeter appel ? Le juge de paix devra-t-il auparavant porter un jugement préparatoire interlocutoire ? L’amendement en prévoit que le cas où le juge se prononce sur le fond ; mais pour prononcer sur le fond, il faut préparer l’affaire. L’amendement de la commission prévoit ce cas et est bien plus satisfaisant ; toutefois, pour le rendre plus précis, je proposerai la rédaction suivante :

« Néanmoins, si le juge de paix s’est déclaré compétent, l’appel ne pourra être interjeté qu’après la décision définitive ou qu’après un jugement interlocutoire et conjointement avec l’appel de ce jugement. »

M. Metz – Je ne crois pas que l’amendement soit utile ; ce que veut M. de Behr est dans la loi ; il n’y a qu’une interversion de mots. Si vous n’appelez pas du jugement interlocutoire, vous n’appelez pas du jugement de compétence, d’après le projet de la commission. Supposons qu’un individu ait porté une affaire devant un juge de paix, ce juge se déclare compétent ; la partie adverse prend des conclusions contre la compétence ; mais cette partie adverse gagne sur la question interlocutoire ou préparatoire, elle n’appellera certainement pas ; elle n’appellerait que dans le cas où le jugement définitif aurait lésé ses prétentions je le répète, ce que demande M. de Behr est dans le projet de loi.

M. de Behr – La loi laisse la faculté d’appeler, soit après le jugement interlocutoire, soit après le jugement définitif ; mais il ne faut pas laisser appeler du jugement de compétence sans appeler du jugement interlocutoire ou définitif ; voilà le but de mon amendement qui est conçu pour lever tous les doutes à cet égard, tandis qu’il en resterait par la rédaction de la commission.

M. Raikem – Un honorable préopinant a dit que l’article de la commission était la reproduction de la loi française.

M. Metz – Moins le jugement interlocutoire.

M. Raikem – C’est ce que je voulais faire observer.

Il est bon de rappeler ici que les jugements rendus sur la compétence sont toujours sujets à l’appel, lors même que le juge de paix décide en dernier ressort ; c’est ce que consacre la loi actuelle ; c’est ce que consacre également la loi française de 1838 ; c’est ce que consacre le projet de la commission.

Il me semble préférable d’adopter la disposition de la loi française, en autorisant l’appel après le jugement définitif, ou d’adopter le principe de l’amendement de M. de Garcia ; il me paraît qu’admettre l’appel après un jugement interlocutoire pourrait avoir, dans certains cas, des inconvénients. Je suppose une cause portée devant un juge de paix qui doit décider en dernier ressort ; il intervient un jugement interlocutoire ; d’après M. de Behr on ne pourrait interjeter appel du jugement de compétence que conjointement avec le jugement interlocutoire. Mais, dans le cas dont je parle, on ne peut appeler de l’interlocutoire. Ainsi, la faculté d’appeler des deux jugements d’une manière simultanée, ne s’appliquerait qu’aux affaires dont le juge de paix connaît en premier ressort. Pour celles dont il connaît en dernier ressort, il faudrait attendre le jugement définitif. Mais il vaut mieux attendre dans tous les cas, et, admettant la loi française, attendre le jugement définitif pour interjeter l’appel.

Ce n’est pas dire pour cela que l’on devra interjeter appel du jugement définitif en même temps que du jugement rendu sur la compétence, car si la contestation est de la nature de celles qui doivent être décidées en dernier ressort par le juge de paix, on ne peut pas appeler du jugement sur le fond, mais seulement du jugement sur la compétence, et alors le point de savoir si le jugement définitif subsistera ou ne subsistera pas dépend de la question de savoir si le juge en première instance, qui est le juge en appel pour les décisions du juge de paix, réformera le jugement relatif à la compétence. Si le juge de paix est déclaré incompétent, le jugement qu’il a porté sur le fond tombe par cela même.

Vous voyez donc, messieurs, qu’il n’est pas nécessaire d’appeler du jugement, soit interlocutoire, soit tout autre sur le fond, pour pouvoir appeler du jugement sur la compétence, et dès lors il me semble qu’il vaut mieux adopter la disposition de la loi française que celle qui nous est proposée.

Je crois cependant que, par l’adoption du principe de l’amendement de l’honorable M. de Garcia, on arriverait au même but, je crois même que, par là, on diminuerait les frais de procédure, les choses se passeraient alors comme elles se passent dans les affaires commerciales, où le juge en appel peut statuer sur le fond en même temps qu’il statue sur le déclinatoire et qu’il statue sur la compétence.

Lorsque l’affaire est simple, il est très facile de statuer sur le fond en même temps que sur la compétence ; mais lorsque l’affaire est compliquée, ne vaut-il pas mieux que le juge en appel statue définitivement sur la compétence avant qu’on fasse des enquêtes, des descentes sur les lieux avant qu’on ne fasse, en un mot, tous les frais qui peuvent être nécessaires pour qu’un jugement sur le fond puisse intervenir ? Il me semble que cela engendrerait moins d’inconvénients. C’est d’ailleurs ce qui existe aujourd’hui, que l’on peut appeler d’un jugement sur la compétence sans atteindre le jugement sur le fond. Je n’ai pas vu qu’il soit résulté des inconvénients de l’état actuel des choses, et l’on m’a toujours enseigné qu’il ne faut changer une loi que lorsque l’utilité d’un changement est reconnu.

Il me semble, messieurs, qu’on éviterait l’inconvénient signalé par l’honorable M. de Garcia, et que l’on atteindrait en même temps le but utile de son amendement en adoptant une proposition qui laisse aux parties la faculté d’interjeter appel du jugement sur la compétence en même temps que de celui sur le fond.

(Moniteur n°128 du 7 mai 1840) M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Il me semble, messieurs, que la disposition que nous examinons a pour objet d’empêcher que, dans une affaire où la célérité est une condition de bonne justice, on n’élude toutes les mesures que vous avez prises pour obtenir cette célérité, en élevant des exceptions d’incompétence mal fondées et en appelant ensuite des jugements qui rejettent ces exceptions. La disposition du projet avec l’amendement de M. de Behr me semble seule pouvoir conduire à ce but ; le retranchement des mots « jugement interlocutoire » n’est pas possible ; l’appel des jugements interlocutoires étant autorisé par une disposition formelle du code de procédure, du moment que vous permettez d’appeler sur ces jugements, vous ne pouvez pas interdire d’appeler d’un jugement sur la compétence ; il est évident, d’ailleurs, que quand on appelle d’un jugement interlocutoire, l’appel du jugement sur la compétence ne peut pas faire traîner l’affaire en longueur.

Messieurs, est-il vrai que l’amendement de M. de Garcia peut conduire au but que nous nous proposons ? Je ne le pense pas, messieurs : si cet amendement était adopté, on pourrait encore arriver au résultat que nous voulons éviter par l’article 9 du projet, c’est-à-dire faire traîner l’affaire à l’aide d’une exception d’incompétence et de l’appel.

En effet, d’après l’amendement de M. de Garcia, les juges de paix peuvent prononcer par un même jugement sur la compétence et sur le fond, mais seulement lorsque la matière est disposée à recevoir une décision définitive ; mais quand il en est autrement, ils ne peuvent statuer sur le fond, alors il faut continuer l’instruction ; mais alors le jugement sur la compétence pourra toujours être attaqué par l’appel, et celui qui aura opposé l’incompétence aura ainsi un moyen sûr de suspendre l’instruction et de traîner l’affaire en longueur en appelant du jugement sur la compétence ; et même lorsque l’affaire sera susceptible de recevoir une décision définitive, s’il ne convient pas au défenseur de conclure au fond, il n’a d’autre but que de gagner du temps, il ne conclura pas au fond ; dans ce cas, le juge de paix statuera par défaut, et alors le défenseur appellera aussi du jugement sur la compétence, ce qui lui permettra encore d’atteindre le but que nous voulons éviter par l’article 9.

D’après ces considérations, je pense, messieurs, que l’article 9, tel qu’il se trouve dans le projet et tel que M. de Behr propose de l’amender, peut seul nous conduire au résultat que nous voulons atteindre.

(Moniteur n°127 du 6 mai 1840) M. de Behr – L’honorable M. Raikem a raisonné dans l’hypothèse où les juges de paix décident sans appel, et alors il y a peut-être nécessité d’attendre le jugement sur le fond avec de se pourvoir en appel contre le jugement sur la compétence, mais il y a aussi beaucoup d’affaires où les juges de paix ne prononcent que sauf appel, et, dans ce cas, je ne vois pas pourquoi l’on n’appellerait pas du jugement sur la compétence sans appeler en même temps du jugement sur le fond.

Je pense, messieurs, que l’article tel qu’il est rédigé donnerait lieu à des procédures très longues, et c’est pour éviter cet inconvénient que j’ai proposé mon amendement.

M. de Garcia – Messieurs, je ne tiens pas autrement à mon amendement, qui me paraît avoir peu de chances de succès. Je me rallierai volontiers à celui de l’honorable M. de Behr, mais il me semble que cet amendement laisse toujours subsister l’inconvénient que j’ai signalé.

Une voix – On ne peut pas l’éviter.

M. de Garcia – J’aurais voulu l’éviter, parce que je le considère comme très grave, et je reste convaincu que l’amendement que je proposais eût atteint ce but. Néanmoins je n’y insisterai pas davantage.

- La chambre n’étant plus en nombre, la séance est levée à 4 ½ heures.