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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 13 mai 1840

(Moniteur belge n°135 du 14 mai 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven fait l’appel nominal à une heure et demie.

M. Mast de Vries lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Thomassin, tailleur à Liége, demande le paiement d’une créance à charge du département de la guerre, depuis 1831, pour confection d’habillements militaires. »

« Des marchands et cultivateurs de tabac du canton de Wervicq demandent une augmentation de droits à l’étranger sur les tabacs étrangers. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


« Les administrations communales de Lillo, Stabroeck, Beerendrecht et Santvliet demandent que la chambre s’occupe sans retard de la loi sur les indemnités. »

La chambre ordonne le dépôt de cette pétition pendant la discussion du projet de loi relatif aux indemnités.

Projet de loi qui ouvre un crédit supplémentaire au budget de la justice de 1839

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) présente un projet de loi de crédit supplémentaire d’une somme de 3,640 francs destiné à satisfaire aux conditions du contrat passé avec l’imprimeur du Bulletin officiel.

La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet de loi et de l’exposé de ses motifs et charge de leur examen, comme commission, la section centrale qui a examiné le budget du département de la justice.

Projet de loi qui ouvre un crédit supplémentaire au budget de la guerre de 1839

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Buzen) présente un projet de loi de crédit supplémentaire d’une somme de 142,825 francs, applicable aux dépenses de l’exercice 1838, restant à liquider.

La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet de loi et l’exposé de ses motifs, et les renvoie à l’examen de la commission des finances

Projet de loi sur l'importation des céréales de la partie cédée du Limbourg dans le district de Verviers

Rapport de la section centrale

M. Demonceau, au nom de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi portant des modifications à l’article 8 de la loi du 6 juin 1839, autorisant l’entrée de certaines quantités de grains dans le district de Verviers, dépose le rapport sur le projet de loi.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport et met ce projet de loi à l’ordre du jour.

Proposition de créer une commission d'enquête parlementaire sur la situation économique générale du pays

Rapport de la section centrale

M. le président – La section centrale chargée de l’examen de la proposition de M. de Foere a présenté la proposition suivante :

« Une commission d’enquête est chargée :

« 1° De s’enquérir de la situation actuelle du commerce extérieur, dans ses rapports avec l’industrie et l’agriculture du pays ;

« 2° D’examiner si la législation existante est insuffisante ;

« 3° En cas d’affirmative, de présenter les bases du système commercial et naval qu’il conviendrait d’établir, dans l’intérêt de la nation.

« La commission d’enquête sera nommé par la chambre et parmi ses membres, au scrutin secret et à la majorité absolue.

« Elle sera composée de sept membres.

« Elle nomme, en dehors de son sein, un secrétaire.

« Les frais de l’enquête sont à la chambre du budget de la chambre. »

M. de Foere se rallie-t-il à la proposition ?

M. de Foere – La proposition de la section centrale est au fond identiquement la même que la mienne. Je n’ai donc aucun motif de ne pas m’y rallier.

Discussion générale

M. le président – La discussion est ouverte sur la proposition de la section centrale. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Une proposition d’enquête parlementaire a été soumise à la chambre sous le ministère précédent ; et cette enquête avait pour but de rechercher les causes de la situation fâcheuse où se trouvaient l’industrie et le commerce du pays.

Avant que je m’explique sur cette proposition d’enquête, modifiée par la section centrale, permettez-moi de redresser quelques erreurs qui existent dans l’esprit de beaucoup de membre de la chambre et de faire voir qu’on apprécie généralement assez mal l’état du commerce extérieur de la Belgique. Pour prouver la situation fâcheuse de notre commerce extérieur, l’auteur de la proposition d’enquête a plus d’une fois comparer l’état général de nos importations et de nos exportations. « Voyez, dit-il, comme le commerce extérieur de la Belgique dépérit. Comparez vos tableaux de statistique officielle ; vous y voyez que le chiffre des importations dépasse de 40 millions celui des exportations. Donc il y a un déficit de 40 millions de francs qui doivent être à la longue comblés par le numéraire. Voilà 10 ans que cet état de choses dure ! Peut-on prouver plus clairement le dépérissement de notre commerce extérieur ? »

Pour répondre à ces craintes, je ne dirai pas, comme on l’a déjà fait dans cette enceinte, que si, chaque année, autant de numéraire sortait de nos frontières, non seulement il n’y aurait plus un écu dans le pays, mais encore qu’il en serait déjà sorti plus que n’en possède le monde entier. Je n’examinerai pas non plus si le pays a intérêt à conserver du numéraire plutôt que toute autre espèce de marchandise. Mais je demanderai sur quoi on fonde cette exportation du numéraire, et si l’on suppose que le numéraire diminue, tandis que les tableaux statistiques prouvent le contraire, et attestent que le numéraire augmente en Belgique d’année en année, en ce sens que l’accroissement du numéraire est absorbé par les objets de luxe d’or et d’argent, de manière que le numéraire reste réellement ce qu’il était.

Il est vrai que, pour se rendre compte de tout le numéraire qui s’importe et qui s’exporte, on ne visite pas les poches des voyageurs. Mais tout le monde admettra avec moi qu’il y a au moins cent mille étrangers qui viennent en Belgique, de plus qu’il n’y a des Belges qui aillent à l’étranger. Mettons que chacun de ces étrangers laisse 10 francs dans le pays ; cela fait un million de francs, importés annuellement dans le pays et qui ne figure pas dans les tableaux statistiques.

Qu’on soit donc bien tranquille, le numéraire ne s’exporte pas ; s’il y a une différence dans la masse du numéraire, c’est en plus ; ce n’est pas en moins.

Mais, dit-on, comment expliquez-vous que les importations dépassent les exportations, sans que la Belgique s’appauvrisse ? Oui, on importe plus en Belgique qu’on n’en exporte ; et il est vrai de dire que pour cela la Belgique ne s’appauvrit pas. Pour envisager cette question sous son véritable point de vue, il suffit de se rendre compte des opérations du commerce extérieur.

Les tableaux statistiques d’un pays sont composé de millions d’opérations. Mais pour rendre mon idée plus claire, supposons que toutes les opérations du commerce extérieur se bornent à une seule, qui serait celle-ci :

Un manufacturier d’armes de Liége expédie une caisse d’armes qui a, pour lui, en Belgique, une valeur de mille francs ; il déclare à la douane belge une valeur de mille francs. Cette caisse d’armes, dans son intention, doit se vendre à la Havane, lieu de sa destination, non pas mille francs, mais peut-être quinze cents francs. Ces 1,500 francs, prix qu’il obtient à la Havane, ne rentrent pas en numéraire en Belgique. Cette somme est employée à un achat de café. Ces 1,500 francs de café s’importent en Belgique. Mais ne vous imaginez pas que ce café soit déclaré à l’entrée en Belgique pour une valeur de 1,500 francs ; il est déclaré pour la valeur qu’il obtiendra en Belgique, c’est-à-dire pour une valeur de 2,000 francs peut-être.

Je suppose donc qu’à ces deux opérations, l’une, exportation d’une caisse d’armes, l’autre, importation de café, se soit borné tout notre commerce extérieur, que portera notre tableau statistique ?

Importation : Café : 2,000 francs.

Exportation : Armes : 1,000 francs.

Voilà tout notre commerce extérieur ; et direz-vous que la Belgique aura dû supporter une perte de numéraire, parce que notre tableau statistique présentera, à l’importation, un chiffre double de celui de l’exportation.

Maintenant, supposons le cas inverse ; supposons que le manufacturier d’armes qui expédie cette caisse qu’il a déclarée à la douane, pour une valeur de mille francs, n’en obtienne que 500 francs à la Havane, qu’il n’achète du café que pour 500 francs, et qu’il ne le déclare à l’importation en Belgique, que pour 800 francs, que portera le tableau statistique ?

Importation : Café : 800 francs.

Exportation : Armes : 1,000 francs.

Voilà une balance commerciale, qui, selon l’honorable membre, sera à l’avantage de la Belgique ! tandis qu’en réalité, il y aurait une perte pour le pays. Eh bien, ce qui est vrai d’une opération est vrai d’un million d’opérations. Voilà l’explication la plus claire qu’on puisse donner de la balance commerciale.

J’ai à faire une autre observation sur nos tableaux statistiques, sur lesquels on se fonde constamment pour assurer que notre commerce extérieur dépérit, c’est que ces tableaux statistiques, quoique faits avec toute l’attention, avec tout le soin qu’on peut y mettre, ne contiennent pas toutes les données nécessaires et ne permettent pas d’asseoir un jugement certain sur la valeur de nos exportations.

En effet, c’est pour les importations du commerce extérieur qu’on a intérêt à faire une déclaration sincère à la douane, même pour les marchandises qui ne paient pas de droits, parce que la vérification se fait de suite dans le port. On y a, de plus, intérêt, en ce qu’on évite ainsi l’amende et la confiscation. Mais à la sortie, notre législation ne nous donne pas le moyen de contrôler la valeur exacte de tous les produits exportés. Il n’y a pas, sur toutes les matières, un droit de balance. On constate exactement la sortie de tous les produits sur lesquels il y a un droit de balance. Mais lorsque la sortie est libre, on se contente d’une simple visite oculaire, pour ne pas gêner le commerce extérieur. Si la déclaration semble cadrer à peu près à la valeur des produits exportés, cela suffit ; l’exportation a lieu. Mais je suis convaincu que si on connaissait la valeur exacte des exportations, cette différence qu’on remarque dans les tableaux statistiques, entre les importations et les exportations serait loin d’être de quarante millions. J’en trouve une preuve dans l’expérience que l’on a faite de la loi du mois d’avril 1838. Par cette loi, il a été établi un droit de balance sur les tissus de laine à l’exportation. Qu’en est-il résulté ? Qu’on a constaté une exportation bien plus considérable que par le passé. Les années antérieures, on n’avait constaté une exportation que de 5, 6, 8 millions de draps. En 1838, alors qu’un droit de balance permettait de constater les exportations, elles se sont élevées à 24 millions.

Je ne prétends pas que, tous les ans, cette différence soit aussi grande pour l’avenir, parce que je crois qu’en 1838 l’exportation des draps a pris de l’extension. Mais, dans tous les cas, je suis convaincu que le chiffre de nos exportations est supérieur à celui indiqué dans les tableaux statistiques.

Quant à la fraude, il n’en faut pas tenir compte ; la fraude qui se fait de la Belgique en France compense largement celle qui se fait de France en Belgique.

Un autre vice des tableaux statistiques, c’est qu’ils n’offrent aucune division. Ainsi, à côté d’une denrée exotique, vous trouvez une denrée indigène. Ainsi, à côté d’une matière première dont nous avons besoin pour notre industrie, on trouve un produit fabriqué dont la fabrication fait tout le prix. Que résulte-t-il de là ? Qu’on ne peut constater que la valeur totale générale des importations et des exportations. Est-ce ainsi que l’on peut apprécier le commerce extérieur du pays ? N’est-il pas évident que pour cela il faut distinguer les matières premières qui entrent et qui sortent, les matières fabriquées qui entrent et qui sortent ? C’est ce travail dont le résultat est tout à l’avantage de notre commerce extérieur que je me propose de présenter plus tard pour compléter nos données statistiques. Il en résultera la preuve que nous exportons en matières fabriquées 14 millions et demi de francs de plus que nous n’importons, que nous exportons en produits de notre sol 14 millions de francs de plus que nous n’importons ; ce que nous importons surtout, ce sont des matières premières ; or, cette importation est tellement avantageuse pour le pays que l’honorable auteur de la proposition ne veut pas même établir sur les matières premières, les droits différentiels qu’il réclame.

En catégorisant de cette manière nos importations et nos exportations, vous aurez à peu près le résultat suivant :

Contre 100,000 francs de matières fabriquées et de produits de notre sol que nous exportons, nous obtenons chaque année une importation de 120,000 francs de produits et de fabricats exotiques ou de matières premières. Voilà approximativement, d’après les études auxquelles je me suis livré, le résultat de notre commerce extérieur.

Eh bien, messieurs, je vous le demande, est-ce là un résultat désastreux ? Je dis que si, pour cent millions d’exportations, qui se composent à peu près de 70 millions de matières fabriquées dans notre pays et de 30 millions de produits de notre si nous recevons de l’étranger 120 millions, c’est un avantage pour notre commerce à l’extérieur et non un dépérissement de la fortune publique.

Mais faisons abstraction, pour un moment, des lacunes qui n’ont pu être comblées jusqu’à ce jour et qu’on trouve dans notre statistique officielle du commerce extérieur, et prenons cette statistique telle qu’elle se présente, avec tout le désavantage qui paraît résulter pour le pays du défaut de classification ; il en résulte toujours ce fait incontestable, évident et auquel on ne saurait répondre, à savoir que, depuis 1831 jusqu’à 1838, notre commerce extérieur s’est accru ; que de 96 millions où étaient nos exportations en 1831, elles sont montées à 166 millions en 1838 ; enfin, qu’en 1838, il a dépassé de 37 millions celui de l’année antérieure.

Ainsi, messieurs, notre commerce extérieur, pris dans son ensemble, chaque année, est allé en augmentant, en se développant de tous points ; en 8 années, il y a eu un accroissement de 96 à 166 millions, et que la dernière année comprise dans le tableau statistique a présenté un excédant d’exportation de 37 millions sur l’année 1837.

Il est malheureux, messieurs, que des données sur le commerce extérieur du royaume des Pays-Bas n’existent pas ; car j’ai la conviction que nous sommes arrivés à ce point que nous pourrions sans désavantage comparer nos relations commerciales extérieures avec celles des années les plus florissantes avant 1830.

Quoi qu’il en soit, veut-on rentrer dans la distinction du commerce maritime et du commerce de terre, j’accepte ce point de vue ; or, que voyons-nous dans les tableaux statistiques ? je prends les 6 années les plus prospères du royaume des Pays-Bas.

De 1825 à 1830, le commerce d’exportation de tout le royaume des Pays-Bas avec la France s’élevait, en moyenne, à 81 millions : et nous, petite Belgique, de 1835 à 1838, nous avons fait annuellement avec la France un commerce d’exportation de 78 millions ; ainsi, nous seuls, nous faisons un commerce aussi étendu avec la France que celui que faisait la Hollande réunie à la Belgique avant la révolution. Si, en 1830, quelque eût osé prédire à la Belgique un résultat semblable, on l’aurait traité de fou, de visionnaire. Voilà pour le commerce de terre.

Quant à notre commerce maritime, en 1831, les exportations n’étaient encore que de 22 millions ; elles sont allées successivement en augmentant, au point qu’en 1838, les exportations se sont élevées à 53 millions ; c’est-à-dire, a peu près au triple.

Le chiffre de 53 millions des exportations maritimes de 1838 présente une augmentation de 9 millions sur le chiffre des exportations maritimes de l’année précédente.

Savez-vous ce que valait à la Belgique la fameuse colonie de Java ; savez-vous à quel chiffre se montaient nos exportations pour cette île ? il n’a jamais été que de 5 millions et demi dans l’année la plus prospère du royaume des Pays-Bas ; et maintenant que nous sommes séparés de la Hollande, nous voyons qu’en une seule année, qu’en 1838, notre commerce maritime s’est accru de 9 millions sur l’année précédente, équivalent à une fois et demie nos exportations pour Java pendant la plus grande prospérité de nos relations avec cette colonie.

C’est en présence de pareils résultats ; c’est lorsque nos exportations, en 1838, présentent une augmentation de 37 millions sur celles de 1831, c’est-à-dire une augmentation égale à 6 fois la valeur de nos exportations vers Java, exportations que nous regrettons toutefois ; c’est lorsque notre commerce maritime s’est accru du double ; c’est lorsque notre commerce de terre est aussi important pour la Belgique seule, qu’il était pour la Belgique réunie à la Hollande ou pour l’ancien royaume des Pays-Bas ; c’est en présence de ces résultats qu’on voudrait déclarer à un ministère, entré au pouvoir depuis quelques jours, et à la fin d’une session législative, qu’il faut changer de système commercial, et qu’il n’y a que le système préconisé par l’honorable auteur de la proposition en discussion qui peut remédier à tous les maux dont se plaint l’industrie !

On pourra nous taxer d’ignorance ; soit. Mais je dis que l’ignorance, et l’ignorance la plus crasse serait de vouloir changer en huit jours le système commercial suivi par les ministres qui m’ont précédé. Il peut exister sans doute d’autres mesures que celles qui ont été mises jusqu’ici en usage pour porter remède aux industries qui sont dans la gêne ; me livrer à la recherche de ces mesures, je le veux bien ; mais prendre l’engagement de bouleverser le système suivi jusqu’ici, alors que les résultats sont si frappant pour ceux qui veulent les étudier de bonne foi, voilà ce que je ne ferai pas.

Et comment justifierons-nous notre conduite, si la pratique ne répondait pas à la théorie ? Si, en mettant du jour au lendemain en pratique le système préconisé, nous arrivions à un résultat inverse à celui qu’on s’en promet, nous aurions bien dire qu’on y a poussé le gouvernement, que tous les peuples ont suivi ce système, car c’est ce que l’on allègue pour en prouver l’excellence, sans nous dire toutefois si les peuples qui en font usage sont dans la même position que nous, sans examiner si ce qui peut être utile à une nation, peut toujours être utile à une autre ; nous aurions beau présenter ces excuses, le pays ne verrait que le résultat, et ce serait sur nous que retomberait le blâme, et non sans motifs.

Messieurs, si le tableau que je viens de tracer de notre commerce extérieur offre des améliorations successives et notables, veuillez croire qu’il n’est pas dans mes intentions de prétendre que toutes nos industries soient sans souffrances ; mais nos industries sont-elles les seuls qui souffrent ? Qu’on passe seulement les frontières, qu’on aille en France, qu’on interroge l’industrie linière, l’industrie houillère, l’industrie métallurgique, et tant d’autres industries, et vous verrez les plaintes qui surgissent de toutes parts sur les maux des industries françaises ; que l’on examine particulièrement la requête si virulente, pour ne pas me servir d’une autre expression, sur l’industrie vinicole, et les verra s’il y a des souffrances dans ce pays ; cependant on y suit le système qu’on nous propose de mettre exclusivement en pratique, on y suit ce système renforcé.

Il est notamment une industrie chez nous dont les souffrances sont profondes et douloureuses, c’est l’industrie linière ; mais l’examen de la grave question qui concerne cette industrie est soumise à une commission ; elle recherche les causes du malaise, et ce n’est pas seulement pour y apporter un palliatif momentané qu’elle a été instituée. Il s’agit de connaître la source du mal et d’y apporter un remède permanent, ou de déclarer que la plaie est inguérissable. Avant de prendre des conclusions, il faut que le gouvernement soit éclairé des conclusions de la commission d’enquête.

Mais, je l’ai dit hier, malgré tout le zèle que les membres de cette commission apportent dans l’accomplissement de la tâche laborieuse qu’ils ont acceptée, ils sont loin d’être au terme de leurs investigations ; en attendant, le gouvernement pourra profiter des investigations déjà faites pour prendre les mesures qu’il croira utiles.

Il y a encore d’autres industries que l’industrie linière qui sont dans la gêne ; elles ont cela de commun avec les industries similaires de France et d’autres pays : mais lorsque le malaise est général, peut-on de bonne foi soutenir qu’en Belgique seulement c’est au commerce maritime qu’on doit attribuer la cause du mal ?

Toute crise commerciale un peu forte que se fait ressentir en Europe a toujours un contrecoup en Belgique : comment pourrait-on concevoir que la Belgique aurait échappé à la crise commerciale qui dernièrement a fait le tour du monde ?

Il ne faut d’ailleurs par oublier que chez nous la chute récente de nombreuses sociétés a affecté la fortune d’une foule de citoyens : une fois que sa fortune est attaquée, le Belge restreint sa consommation, et de là il résulte un écoulement moins grand des produits de nos manufactures. Joignez à ce fait la cherté de la vie animale et vous aurez l’explication à peu près complète de la diminution de notre marché intérieur.

Il est bien reconnu que le Belge, foncièrement ami de l’économie, lorsqu’une année malheureuse arrive, prend sur ses autres besoins ce qui est nécessaire à la nourriture de sa famille : les commis-voyageurs, en parcourant nos campagnes, qu’entendent-ils quand ils offrent leurs marchandises ? Ils reçoivent pour toute réponse que le peu que l’on gagne est employé à la nourriture de la famille, et qu’on ne pourra penser aux habillements et aux autres besoins que dans de meilleures années.

Est-il étonnant que la Belgique, qui est peut-être le pays le plus consommateur de ses propres produits qui existe au monde, est-il étonnant que la Belgique ait restreint sa consommation dans ces derniers temps ? Je suis persuadé que si à qu’à Dieu ne plaise, les denrées de première nécessité renchérissaient encore d’une manière sensible, la consommation, et, par conséquent, la vente et la production de nos fabricats diminueraient dans la même proportion.

Toutefois, messieurs, je dois déclarer qu’il se manifeste un peu de reprise, un peu plus d’activité dans l’industrie ; ainsi, par exemple, pour ne parler que de l’industrie cotonnière, il est connu de tout le monde que pendant les trois premiers mois de cette année on a vendu au marché d’Anvers en coton, en laine, mille balles de plus que pendant toute l’année précédente : Or, vous remarquerez que le marché d’Anvers n’est pas un marché comme celui de Liverpool ou autres : tout coton en laine qui se vend à Anvers est destiné à la fabrication de Gand, et il n’y a peut-être pas deux balles par an qui s’exportent pour d’autres localités.

Je n’ai pas eu non plus l’intention, messieurs, de prétendre qu’il ne reste rien à faire. Dans la séance d’hier, le gouvernement a donné la preuve bien manifesté, que telle n’est pas sa pensée, je suis convaincu que d’ici à peu d’années, nous aurons dans le commerce transatlantique avec les Etats-Unis non pas seulement l’exportation que nous avions vers Java ; mais une exportation de 20 millions de francs par an. L’Angleterre seule, messieurs, exporte vers ces contrées pour à peu près 400 millions de francs ; la France y exporte pour 150 à 170 millions, et ce n’est pas exagérer que d’évaluer à 150 millions les exportations de tout le reste de l’Europe vers le continent américain. Eh bien, messieurs, la Belgique ne participe à cet immense mouvement commercial que pour deux millions. Cependant, une chose digne de remarque, c’est que la plupart des articles qui se consomment dans ce pays sont des produits similaires à ceux de notre industrie. Ainsi, par exemple, la France exporte annuellement aux Etats-Unis pour 8 millions de tissus de lin, dont notre sol produit le plus abondamment la matière première. Les issu de coton et de laine figurent également pour un chiffre très élevé dans le montant des exportations de la France vers le continent américain.

Du reste, messieurs, le projet de loi dont je viens de dire un mot sera discuté sous peu de jours. On ne pourra pas nous objecter le sacrifice de 400 mille francs ; car, si l’on venait vous dire qu’avec 400 mille francs par an vous pouvez acheter une colonie qui vous procurera un débouché trois fois plus considérable que celui de Java, une colonie qui se défend elle-même et qui ne vous coûtera aucun des sacrifices que les colonies font toujours faire à la mère patrie, vous trouveriez qu’une somme de 400 mille francs est réellement insignifiante, lorsqu’il s’agit d’obtenir un tel résultat.

Remarquez d’ailleurs, messieurs, que les 400 mille francs qu’il s’agit de consacrer à cet objet ne seraient pas perdus même pour le trésor public ; en ne considérant que les lettres que l’établissement d’un service de bateaux à vapeur entre Anvers et les Etats-Unis fera nécessairement passer par la Belgique, ce n’est pas exagérer de dire que 100 mille lettres viendront tous les ans payer la taxe au profit du trésor belge ; ajoutez à cela l’augmentation du produit des douanes, l’augmentation du produit des droits de transit, faites attention au grand nombre de voyageurs qui traverseront notre pays, pour prendre ces bateaux à vapeur, et vous serez convaincus que le trésor public recevra en quelque sorte d’une main les 400 mille francs qu’il donnera de l’autre.

Je crois, messieurs, que des développements dans lesquels je suis entré il résulte que le dépérissement de notre commerce extérieur, sur lequel est fondée la demande d’une enquête parlementaire, que ce dépérissement est loin d’être prouvé, et que les données statistiques prouvent le contraire.

J’avais dit, messieurs, lors de la prise en considération de la proposition, que, si la nécessité d’une enquête était démontrée, loin de reculer devant cette enquête, le gouvernement la revendiquerait ; en effet, messieurs, si le dépérissement de notre commerce extérieur était attesté par les données statistiques, s’il était démontré que chaque année ce commerce dépérit au lieu d’augmenter, nous ne reculerions pas devant notre devoir.

Il me reste à vous faire voir, messieurs, que la proposition d’enquête telle qu’elle est formulée par la section centrale, ne présente pas même un côté praticable. D’après la proposition de la section centrale, la commission doit s’occuper de rechercher, en premier lieu, la situation actuelle du commerce extérieur. Mais, messieurs, ce premier point ne doit point faire l’objet d’une enquête, le gouvernement a, sous ce rapport, tous les renseignements désirables, et si les tableaux statistiques que nous possédons ne sont pas suffisants, je me fais fort de faire publier en temps et lieu une statistique tirée du tableau général et classée convenablement. Cette statistique viendra jeter de nouvelles lumières sur cette partie de la question et complétera les renseignements dont on pourrait avoir besoin, et il en résultera, j’espère, que l’état réel de notre commerce extérieur est tel que j’ai eu l’honneur de vous l’exposer.

Mais voici où commence la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité : il faut que la commission examine la situation du commerce intérieur dans ses rapports avec l’industrie et l’agriculture, qu’elle examine si la législation actuelle est insuffisante. Messieurs, si vous voulez bien vous pénétrer de tout ce que l’enquête aurait d’illimité, vous remarquerez que ces questions sont les plus complexes, les plus difficiles qu’il soit possible de poser.

En effet, cela ne va à rien moins qu’à ordonner à la commission d’enquête d’examiner si chaque industrie prise isolément, trouve dans le système commercial suivi jusqu’à ce jour une protection suffisante, ou bien si l’état de gêne dans lequel elle peut se trouver ne doit pas être attribué à une autre cause qu’à ce système commercial. A-t-on bien réfléchi, messieurs, à tout ce qu’il y aurait d’impraticable dans une enquête aussi illimitée, aussi indéterminée que celle-là ?

Supposons, pour mieux faire sentir l’impossibilité de faire une enquête semblable, supposons qu’on veuille voir, par exemple, si l’industrie de la bonneterie de Tournay trouve une protection suffisante dans le système commercial actuel ; en d’autres termes, si c’est à ce système commercial qu’il faut attribuer que la bonneterie belge ne peut pas lutter sur les marchés étrangers avec la bonneterie d’autres pays. Il faudra donc que la commission d’enquête examine la situation de cette industrie, non pas seulement d’après les renseignements fournis par les parties intéressées, mais il faudra qu’elle commence par étudier, par exemple, des questions d’art ; il faudra qu’elle examine la question de savoir si l’impossibilité où se trouve l’industrie de la bonneterie de Tournay, de lutter avec les produits similaires des autres peuples, ne provient pas de ce qu’elle n’emploie pas des mécaniques aussi perfectionnées que celles dont se servent d’autres nations ; il faudra encore qu’elle examine si, par exemple, on possède à Tournay l’art d’apprêter aussi bien les articles fabriqués dont il s’agit, si le blanchiment est aussi parfait, ; s’il n’existe pas, sous ce rapport, des imperfections auxquelles il faille attribuer la difficulté où se trouve l’industrie de la bonneterie de Tournay de lutter avec l’étranger sur les marchés extérieurs ; si les capitaux que les fabricants engagent dans leur industrie sont assez considérables pour amener une production à bon marché, telle qu’il soit possible de lutter avec l’industrie étrangère. Ce sont toutes ces questions et cent autres qui s’y rattachent que la commission aurait à examiner, avant de pouvoir se former une opinion sur la situation d’une seule industrie ; or, il faudrait faire la même chose pour toutes, sans exception, car si l’on en omettait une seule, celle-là ne manquerait pas de dire qu’elle est sacrifiée, et l’on pourrait, en effet, en protégeant telle ou telle industrie, occasionner la ruine de telle ou telle autre qui n’aurait pas été entendue.

Vous avez un exemple, messieurs, des difficultés que rencontrerait la commission d’enquête ; il semblait que rien n’était plus facile que de faire une enquête pour découvrir la cause du malaise de l’industrie linière ; on institue une commission ; il paraissait qu’au bout de 15 jours il y aurait un résultat ; mais à mesure que la commission se livre à son travail, elle en sent toute l’étendue ; tous les jours il se présente de nouvelles questions. Pour savoir, par exemple, si le filage à la main peut lutter avec le filage à la mécanique, il ne suffit pas d’interroger les personnes qui connaissent la filature, mais il faut reprendre en quelque sorte l’objet de l'industrie linière à son origine, et le suivre dans toutes ses transformations ; et comparer ensuite cette industrie avec l’industrie étrangère ; voir pourquoi celle-ci soutient plus facilement la lutte que la nôtre.

Eh bien, messieurs, s’il faut faire de semblables investigations pour toutes les industries, il s’écoulera peut-être dix ans avant que la commission ait obtenu un résultat ; mais supposons qu’il ne faille que 5 ans pour terminer l’enquête ; au bout de 5 ans tous les faits peuvent être changés ; ce qui était bon lorsque la commission a pris ses renseignements peut ne plus être bon lorsqu’elle présentera son rapport, et alors les personnes qu’elle aura entendues viendront peut-être dire que si elles avaient pu prévoir les changements intervenus depuis 5 ans (et 5 ans sont un siècle en industrie) elles auraient parlé d’une toute autre manière ; peut-être ces personnes seraient-elles alors les premières à demander d’autres mesures que celles proposées d’après leurs dépositions.

J’ai appris, messieurs, d’un membre de la commission qui a été chargée de faire une enquête sur l’industrie linière, que dès ce moment elle a plus de 800 pages d’écriture. Or, voilà une enquête restreinte à une seule industrie ; que sera-ce s’il faut faire une enquête sur la situation de toutes les industries du pays ?

Vous avez encore un autre exemple, messieurs ; en France on a fait une enquête parlementaire pour examiner la question de savoir si la régie des tabacs devait être maintenue ; eh bien, ce n’est qu’au bout de trois ans que la commission a pu faire son rapport et encore cela n’a abouti à rien.

Il faut l’avouer, messieurs, si l’on demande une enquête parlementaire, c’est pour arriver à l’établissement d’un système de droits différentiels au profit de notre pavillon. Cette question, pour être posée nettement devrait l’être en ces termes : « Faut-il accorder au pavillon national une protection plus grande que celle que lui accorde notre législation ? » Car une chose que l’on semble toujours perdre de vue, c’est qu’il existe réellement une protection pour notre navigation ; il ne s’agit donc que de savoir si cette protection doit être augmentée. Eh bien, cette question est l’objet de toute l’attention du gouvernement ; mais pour la résoudre, il n’est nullement besoin d’ouvrir une enquête interminable. Le gouvernement fait une enquête permanente, au moyen des chambres de commerce, des commissions d’agriculture, des consulats, tous les jours il reçoit des rapports sur la situation des différentes branches de l’industrie et du commerce ; si l’expérience faisait voir que les moyens qu’a le gouvernement de s’éclairer ne sont pas suffisants, rien n’empêche d’augmenter ces moyens. Ainsi, par exemple, on pourrait réunir tous les présidents des chambres de commerce et établir une discussion orale sur la question de savoir de quelle manière il faudrait s’y prendre pour lui procurer les débouchés dont elle a besoin. Une semblable commission se trouverait composée, non seulement d’hommes de théorie, mais aussi d’hommes pratiques, d’hommes qui joignent à l’instruction obtenue par l’étude, la connaissance des faits ; elle offrirait donc des lumières plus grande, plus étendues que celles mêmes que nous pouvons trouver dans cette enceinte.

Qu’on veuille bien ne pas considérer ce que je dis ici comme l’expression d’une espèce de défiance à l’égard des connaissances des membres de cette assemblée : c’est l’honorable M. Dedecker qui l’a dit lui-même : Il nous manque peut-être, pour une enquête de cette nature, des hommes pratiques.

Messieurs, si le gouvernement avait l’intention d’être inactif ; s’il ambitionnait un rôle passif, s’il voulait, comme on dit vulgairement, se croiser les bras pendant plusieurs années, il pousserait la chambre à l’enquête parlementaire qu’on demande ; et pendant cet intervalle, chaque fois qu’on élèverait la voix dans cette enceinte, il nous suffirait de répondre : « Il faut attendre le résultat de l’enquête, le gouvernement a les bras liés, le gouvernement ne peut pas faire un pays, il faut attendre que l’enquête soit terminée. »

La commission de l’industrie linière offre encore un exemple de ce que j’avance. Je conçois que le gouvernement soit libre aujourd’hui d’accorder quelques légers palliatifs à cette industrie, comme, par exemple, l’institution de quelques prix pour la plus belle toile, et autres mesures de ce genre, dont au reste, j’apprécie toute la valeur ; mais si le gouvernement voulait porter un remède radical, immédiat, si, par exemple, il voulait venir vous proposer la prohibition du lin à la sortie, on lui dirait : « attendez le résultat de l’enquête. Qui vous dit que la commission, éclairée par la connaissance des faits, ne viendra pas vous dire que cette prohibition va directement contre le but que vous vous proposez ? »

Si le gouvernement voulait imposer le fil à l’entrée, il recevrait encore la même réponse : « Attendez le résultat de l’enquête. »

Je le répète donc, si le gouvernement ne consultait que sa paresse, s’il voulait rester dans un état absolu d’inaction, il pousserait la chambre à faire l’enquête.

Messieurs, nous croyons avoir fait voir à l’assemblée, d’abord que notre commerce extérieur ne dépérit pas, mais que chaque jour il s’étend davantage et d’une manière très marquée ; et en second lieu que l’enquête illimitée, telle que la section centrale la propose, n’est pas exécutable, au moins si l’on ne veut pas faire un ouvrage incomplet et qui n’aboutirait à rien.

Messieurs, si malgré les développements dans lesquels je suis entrée, la chambre persistait à faire une enquête, comme elle ne ferait qu’user d’un droit que la constitution lui reconnaît, le gouvernement aurait un certain scrupule à venir combattre les personnes qui soutiendraient l’enquête. Mais tout en ne combattant pas l’enquête qui appartient essentiellement aux prérogatives de la chambre, il nous a paru que c’était un devoir pour nous, dans l’intérêt même de la dignité et de la chambre et du gouvernement, de faire voir à l’assemblée que, si elle s’engage dans une enquête aussi indéterminée, elle ne doit en attendre aucun résultat.

Mais, je le répète, je désire que la chambre ne voie pas dans les paroles que je viens de prononcer un moyen de combattre l’enquête : le gouvernement n’a pas plus de droit d’empêcher la chambre de faire une enquête que la chambre n’a le droit d’entraver les enquêtes que veut faire le gouvernement. Dans tous les cas le gouvernement reste libre de faire une enquête sur la même question, et si la chambre voulait absolument adopter la proposition de la section centrale, s’il ne renoncera pas à ce droit, celui de recueillir tous les renseignements propres à jeter du jour sur cette matière.

M. Hye-Hoys – Quand je me rappelle la grande divergence d’opinions qui a éclaté, à différentes reprises, dans cette enceinte à l’occasion des lois de commerce que nous avons été appelés à voter, je ne puis m’empêcher de reconnaître qu’il doit y avoir une cause profonde et cachée de désaccord et sur laquelle il importe que l’on s’entende, si nous voulons faire des lois utiles et durables.

Les uns, craignant toujours que le gouvernement n’eût déjà trop fait pour la France et les autres nations voisines, voulant, avant toute discussion que le gouvernement fît connaître son système commercial, pour qu’ils pussent éprouver en quelque sorte ses actes à ses principes.

D’autres, plus confiants dans la sollicitude du pouvoir pour les intérêts nationaux, votaient de confiance les propositions qui nous étaient présentées, craignant peut-être que nous ne soyons pas encore en droit de traiter avec toutes les nations avec l’autorité que donne une politique commerciale éprouvée depuis longtemps. Personne n’était d’accord non plus sur des points essentiels, qui ne pouvaient être compris diversement sans nous faire entrer inévitablement dans une voie fausse. Il me semble que cet état d’incertitude est la preuve la plus évidente de la nécessité d’une grande mesure qui révèle le pays à tous ses habitants, et qui fasse enfin connaître ce que l’on a droit d’exiger du gouvernement après nous avoir exposé quels sont nos vrais besoins.

Une enquête est un acte indispensable aujourd’hui. Si, après le traité du 19 avril 1839, l’ancien ministère était venu nous annoncé à la tribune que le pays, étant définitivement constitué, le moment était venu d’adopter d’autres principes politiques en matière de commerce, et avait ainsi pris l’initiative d’une enquête commerciale, il aurait conservé cette majorité bien prononcée qu’une question secondaire et intempestive a éloigné de lui.

Une enquête est donc, selon moi, une chose devenue indispensable ; cependant, il s’en faut bien que je la veuille aussi large et complète que l’implique la signification de ce mot ; je conçois tout ce qu’il y aurait d’instruction, et de renseignements utiles à retirer d’une grande enquête qui, bien faite, nous offrirait en quelque sorte un tableau complet des besoins de notre industrie ; mais, pour être générale, il faudrait en outre une réunion de spécialités qu’on pourrait bien ne pas rencontrer sans beaucoup d’efforts ; une enquête partielle, voilà tout ce que je désire, et je pense qu’elle pourra pleinement satisfaire aux besoins du moment. Nous savons que c’est principalement le commerce extérieur qui souffre en Belgique ; nous sommes peut-être menacés, vu le nombre toujours croissant d’étrangers qui viennent se charger de nos exportations, de perdre nos pilotes, nos constructions, et de compromettre gravement toutes les branches d’industrie qu’alimente une navigation nationale.

Vous concevez comme moi, messieurs, qu’il y a plusieurs manières de parvenir aux résultats que nous attendons d’une enquête ; et, pour ma part, j’avoue que je ne m’en rapporterais pas volontiers entièrement au gouvernement, si même l’initiative et l’impulsion donnée par cette chambre et par l’honorable M. de Foere, n’étaient pas pour moi un motif qui m’empêche aujourd’hui, plus que jamais, d’exclure la chambre de toute participation à cette grande mesure d’intérêt national.

Je ne puis partager non plus l’avis émis par plusieurs de nos collègues, et qui tend à investir la représentation exclusivement du droit d’instituer l’enquête ; une décision qui aurait ce caractère d’exclusion, porterait en elle le germe de l’imperfection ; d’ailleurs, messieurs, je vois quelque chose de dangereux dans cette tendance à nous emparer d’une chose dans laquelle le gouvernement n’est pas moins compétent que nous ; et qu’il peut, par des raisons que je n’admets pas, avoir voulu différer sans que rien doive l’en faire préjuger incapable ; il y a plus, messieurs, c’est qu’une enquête, dirigée par la chambre seule, pourrait avoir un caractère qui lui enlèverait une partie de l’autorité qu’elle doit avoir pour nous, et nous priverait ainsi de ce qu’on peut en attendre de bien.

Il me semble que rien ne convient mieux que d’apporter, dans la grande mesure que nous allons voter, l’impartialité, la maturité et la prudence que comporte la gravité de l’objet que nous avons en vue ; ainsi combinons les règles suivies en France et en Angleterre ; aidons-nous du zèle, du patriotisme et des lumières de tous ceux qui sont aptes à répandre du jour sur la question.

Je voterai pour que la commission d’enquête soit composée mi-partie de membres de la chambre, et mi-partie de membres nommés par le gouvernement, à moins que la fin de la discussion ne me fasse changer d’opinion.

M. Pirmez – Messieurs, notre constitution a donné à la chambre des représentants une grande prérogative, celle de présenter des projets de loi.

Lorsqu’un mal social vient frapper nos yeux, et que nous croyons pouvoir y porter remède, chacun d’entre nous peut à l’instant même tenter de l’appliquer.

A tous les moments nous pouvons user de ce droit. Tant que nous ne l’avons pas fait, il ne nous est point raisonnablement permis d’assourdir le pays de nos plaintes, et surtout de faire un reproche à d’autres hommes de ne point présenter un remède que nous croyons tenir entre les mains.

On ne peut concevoir qu’avec un pareil droit, et lorsque l’on assure connaître soi-même le remède au mal, on demande une enquête pour chercher quel est ce remède.

Il n’est rien de plus facile que de signaler les maux qui accablent la société ; il n’est rien de si facile non plus que de se placer derrière une commission ou derrière une enquête, lorsqu’il s’agit d’y appliquer des remèdes. Car s’ils sont inefficaces, la faute en sera à la commission, à l’enquête.

Alors on pourra encore légitimement accuser les chambres et le gouvernement de tous les maux qui pèsent sur la nature humaine, ce qui sans doute est le plus facile et le plus beau de tous les rôles dans un gouvernement représentatif.

Je n’accuse pas la bonne foi de ceux qui attaquent la système libéral de commerce, je dis même que je crois fermement à cette bonne foi. Mais en attaquant ce qui est, et en appelant à son secours tous les maux et toutes les misères comme étant le résultat du système actuel, on se place pour combattre sur un terrain très favorable.

Ceux qui souffrent croient facilement aux remèdes, surtout lorsqu’on a soin de les prôner continuellement et d’en répandre l’annonce avec profusion. Aussi est-il infaillible qu’une multitude d’industriels n’aient maintenant la conviction que s’ils ne se débarrassent pas facilement de leurs produits, c’est parce que nous admettons tous les navires du monde librement dans nos ports.

Et peut-il être douteux que les industriels qui ne peuvent se défaire de leurs produits n’aient la conviction que le commerce général de la Belgique avec l’étranger ne soit en pleine décadence ? on leur répète cette assertion à satiété, et leur propre position doit les porter à y croire. Et cependant, lors de la discussion de l’Escaut, il a été démontré, sans contradiction aucune, que nos exportations par mer croissaient à peu près en proportion des lamentations sur notre commerce maritime ; tellement qu’en peu d’années elles avaient doublé en valeur.

Aussi veuillez remarquer, messieurs, que la section centrale n’ose pas affirmer que notre commerce et notre industrie soient dans une position fâcheuse ; ce serait résoudre, dit-elle, ce qui est en contestation, c’est prononcer sur un des points soumis à l’enquête. Aussi, l’honorable auteur de la proposition reste seul pour affirmer ce point, et c’est uniquement parce qu’il l’a beaucoup affirmé et beaucoup écrit que vous ordonneriez l’enquête. Ce sera une récompense donnée à sa persistance qui, ici, a déjà été vantée. Pour moi, je ne sais si on doit encourager la persistance dans des idées qu’on ne partage pas, et uniquement parce que c’est de la persistance.

Messieurs, nous pouvons faire beaucoup de mal au pays en y répandant de fausses idées. Et remarquez bien que sa situation peut être présentée sous des points de vue entièrement opposés et selon que procéderont ceux qui examineront cette situation. Ainsi, par exemple, pour résoudre cette question, douteuse pour la section centrale et si claire pour l’auteur de la proposition : Notre commerce extérieur et maritime et notre industrie sont-ils dans un état déplorable ? Eh bien, la réponse sera blanc ou noir selon la tournure d’esprit des hommes qui examineront la question ; selon qu’ils pourront généraliser, considérer la nation comme ne formant qu’un seul tout, ou selon qu’ils seront portés à se jeter dans les détails et à examiner les intérêts particuliers.

Pour les premiers, ils diront : Pour répondre à la question qui nous est posée, examinons ce qui était et ce qui est, car la prospérité est relative aux temps antérieurs. Nos exportations par mer sont triplées depuis quelques années, elles s’en vont croissant sans que, pour cela, les exportations par terre aient diminué ; donc notre commerce extérieur et surtout notre commerce maritime n’est pas en décadence. Si nous avons importé quarante millions de plus que nous n’avons exporté, ils conclurons que nous nous sommes enrichis de quarante millions. Quant à l’intérieur, ils jetteront un coup d’œil sur les manufactures qui ouvrent le pays ; et ils diront que ce n’est pas en un siècle qui a été fait ce que nous voyons depuis quinze ans. Quant au bien-être général de la masse de la nation, ils consulteront les tableaux des consommations et les produits des accises, ils compareront les vêtements de la population avec ce qu’ils étaient autrefois. Ils verront qu’il s’élève des habitations nouvelles, ils les compteront, ils verront les habitations anciennes, ils les mettront en regard de celle d’aujourd’hui, et s’il y a une immense amélioration, ils concluront que le bien-être général augmente. Et s’ils portent leur attention sur les choses que l’homme peut s’approprier, qui ne sont point les résultats du travail ni de l’art, les choses que la nature seule a produites ; si elles ont doublé de valeur, c’est-à-dire que si, avec ces choses, on peut se procurer le double d’utilité qu’on en tirait précédemment, ils concluront qu’il y a progrès dans la civilisation, qu’il y a épargne des choses produites, c’est-à-dire augmentation considérable de la richesse et du capital social.

Quant aux seconds qui, par la disposition de leur esprit, ne généraliseront pas, qui ne considéreront pas la nation en masse, comme ne faisant qu’un tout, qui regarderont certains cas particuliers et tireront des conséquences de ces cas pour vous présenter le résultat de la situation générale du pays, vous devez vous attendre à avoir sous les yeux le tableau le plus déplorable et à voir la Belgique présentée dans une période d’abaissement et de misère.

Messieurs, il est de tristes vérités que j’ai déjà dites, mais qu’il faut redire encore lorsque leur connaissance seule peut empêcher de grands maux. L’industrie souffre, c’est-à-dire qu’une multitude d’industriels ne peuvent retirer de leurs produits le prix de la peine qu’ils ont coûté ; ils ne peuvent les échanger avec avantage. Cette situation amène la ruine d’un grand nombre d’entre eux. Sans qu’il soit besoin pour moi d’enquête, j’ai la conviction que ces faits existent, et une enquête me dirait qu’ils n’existent pas, que je ne voudrais pas y croire, car c’est le résultat infaillible de la libre concurrence en industrie dans notre ordre social actuel.

Hormis les choses qui ont le privilège de créer leur consommateur, c’est-à-dire les subsistances alimentaires, toutes les autres peuvent être créées en bien plus grandes quantités qu’on ne peut en consommer avec profit. Or, comme chacun est libre de se livrer à la production de toutes ses choses, il doit nécessairement en résulter qu’une grande partie d’entre elles ne peuvent procurer le prix de la peine qu’elles ont coûté, et, par conséquent, doivent amener la perte de ceux qui les produisent.

La situation de l’industrie est toute nouvelle. Il n’y a pas cinquante ans que la liberté de produire existe et ces cinquante ans en contiennent plus de vingt-cinq de troubles et de guerre. Mais ce temps a suffi pour qu’on puisse hardiment proclamer qu’il n’y a pas de proportion entre la force de produire et celle de consommer, et que, par conséquent, tant que cette vérité ne sera pas généralement sentie, il doit exister souffrance et ruine pour un grand nombre de producteurs.

La libre concurrence est sans doute un grand bienfait, elle est la source des perfectionnements, de la facilité de produire les choses utiles, c’est-à-dire, de la richesse sociale ; mais il ne faut pas cacher qu’elle ne s’obtient qu’au prix d’une lutte permanente, acharnée, dans laquelle une foule de producteurs doivent souffrir et succomber.

Ainsi, l’enquête faite par ceux qui ne généraliseront pas, constatera infailliblement une multitude de souffrances industrielles. Et de cet état qui est l’état naturel de l’industrie sous la libre concurrence, elle conclura que la Belgique marche à sa ruine. Elle s’en prendra au système libéral du commerce, aux gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution, à notre système maritime, et elle conclura à un changement de système pour nous procurer des débouchés qui sont les remèdes des souffrance qu’elle aura rencontrées dans l’industrie.

Je vois fort bien, dès aujourd’hui, que toutes les mesures restrictives, toutes les mesures que l’honorable auteur de la proposition a prônées diminueront les débouchés au lieu de les augmenter. Mais il ne s’agit pas de cette question, il s’agit maintenant uniquement de l’enquête pour remédier aux souffrances de l’industrie et je parle de débouchés, nullement pour débattre les moyens de les procurer, mais parce qu’ils sont universellement indiqués comme un remède aux souffrances de l’industriel.

De peur qu’on ne s’y méprenne, je dois dire que j’appelle de tous mes vœux de grands débouchés, et j’entends par là des échanges nombreux et profitables avec toutes les nations. Je les désire parce que de pareilles opérations enrichiraient inévitablement la Belgique considérée en masse ; la somme des richesses sociales augmenteraient inévitablement.

Mais, je ne pense pas que par là la somme des souffrances individuelles dans l’industrie serait en aucune façon diminuée. Quelle influence les débouchés peuvent-ils avoir sur le sort des fileuses, par exemple, quand il existe des machines qui ont décuplé la force humaine, et dont le nombre n’est pas limité ?. Quelle influence pourraient avoir les débouchés sur ceux qui fileraient avec ces machines elles-mêmes, si une nouvelle invention venait encore, pour cette opération, augmenter la force de l’homme ? Evidemment, ils n’en auraient aucune. La souffrance des uns sera toujours relative à l’habilité des autres. Chaque perfectionnement, qui est un bien pour l’humanité, amène donc naturellement des souffrances individuelles dans l’industrie.

C’est le résultat infaillible de la libre concurrence, des perfectionnements que chaque jour elle amène, de la puissance illimitée de produire les choses en présence d’une consommation bornée. Avec des exportations doubles ou triples, une enquête retrouverait les mêmes souffrances individuelles dans l’industrie, et pourrait conclure de ces cas, tout comme on le fait aujourd’hui, à notre décadence.

Les débouchés peuvent donc augmenter la richesse sociale, mais ils ne sont pas un remède aux souffrances individuelles dans l’industrie : elles découlent uniquement de la libre concurrence jointe à la puissance infinie de produire. Les maux qui résultent de la nature des choses ne peuvent être atténués que par leur juste appréciation. Ce n’est qu’en donnant des idées justes que vous y parviendrez, et non en laissant passer toutes les fausses idées avec un laisser aller incroyable, en les propageant et en traitant avec faveur ceux qui les répandent.

Quand on a discuté la loi de refonte des vieilles monnaies, ceux-là mêmes dont les discours ne sont qu’une plainte éternelle sur notre marché commercial soutenaient que le numéraire était extrêmement rare, qu’il était sorti du pays, qu’il y avait nécessité d’acheter de l’argent fin pour fabriquer de la monnaie parce qu’elle manquait, qu’elle était passée à l’étranger en échange de marchandises que nous apportaient les vaisseaux étrangers qui tous sortaient sur lest. Qui ne se souvient de tous ces singulières idées !

Eh bien, on n’a pas acheté de métal pour fabriquer de la monnaie ; on a résisté à tous ces préjugés, et la monnaie est-elle maintenant plus rare que lorsque nous avons discuté la loi ? Il est impossible de le dire.

Nous avons déjà pourtant, depuis cette époque, importé pour bien des millions de marchandises ; les plaintes ont toujours été croissant ; Ecoutez-les : Nous importons les produits étrangers, nous exportons notre numéraire ! Il faut convenir que si, dans un pareil état de choses, le numéraire était extrêmement rare lors de la loi de refonte, il devrait être introuvable aujourd’hui.

Et si, à cette époque, vous aviez nommé une enquête pour examiner si le numéraire était rare, et s’il y avait des moyens de l’empêcher de sortir de la Belgique, qu’est-ce que cette mesure aurait fait penser au pays. C’est que vous regardiez comme un mal l’absence du numéraire. Cependant il a été démontré alors qu’il ne pouvait exister simultanément avec le crédit, qui est l’âme d’un grand commerce.

Vous auriez donc, par cette enquête, donné de fausses idées au pays qui a confiance dans vos lumières, et vous lui en donnerez de fausses encore en votant celle-ci. Vous lui ferez croire que vous ne connaissez pas la cause des souffrances individuelles dans l’industrie et dans le commerce, et qui serait bien possible que ces souffrances provinssent de ce que nous recevons librement les vaisseaux de toutes les nations dans nos ports. Vous lui ferez croire que vous pensez que son commerce extérieur maritime décroît et qu’il se trouve dans une période de décadence que vous reconnaissez, mais que vous ne pouvez pas arrêter.

Vous ferez croire au pays (et ceci est un très grand mal), qu’il est libre au gouvernement d’empêcher les souffrances individuelles dans l’industrie par des mesures matérielles, comme, par exemple, des débouchés (que j’appelle de tous mes vœux dans l’intérêt général) ; ou, chose étrange ! en nous entourant d’une douane impénétrable.

Il est des maux que rien ne peut adoucir. Mais le gouvernement peut empêcher beaucoup de souffrances individuelles dans l’industrie. C’est en montrant la situation véritable des choses, en enseignant cette vérité que, sous le régime de la libre concurrence, la puissance de la production est infinie et que la consommation est bornée ; que rien au monde ne peut équilibrer ces deux forces laissées aveuglément à elles-mêmes ; qu’elles ne sont réduites à niveau que par la perte des valeurs produites, ou par l’absence de production.

Le gouvernement peut et doit dire que dans la lutte acharnée de l’industrie, les plus habiles abattront ceux qui le sont moins et qu’il n’est donné à aucune puissance d’opérer une transaction entre les combattants. Il doit conseiller la prudence et la circonspection ; il n’a pas d’autre moyen d’alléger les souffrances individuelles dans l’industrie. Je voterai contre l’enquête.

M. Dedecker – Messieurs, je ne puis partager l’optimisme de M. le ministre de l'intérieur. Sans entrer dans des détails d’une statistique toujours suspecte, je ne connais que l’industrie et le commerce eux-mêmes, qui se plaignent amèrement ; et dans cette disparité d’opinions, dans l’incrédulité du gouvernement je puise un nouveau motif en faveur de la demande d’une enquête.

Il conste des dispositions de toutes les sections et des opinions émises par la section centrale que la chambre, elle du moins, reconnait l’utilité et l’opportunité d’une enquête commerciale. A la vue du malaise qui accable surtout la classe ouvrière, en présence de cette crise qui compromet tant de fortunes et alarme tant d’intérêts, c’est bien le moins que doive faire une représentation vraiment nationale, que de montrer qu’elle est sensible à de si grandes infortunes et qu’elle veille au milieu des dangers.

Comme M. le ministre, je me suis senti effrayé de la portée, de l’étendue de cette enquête ! Néanmoins d’après les intentions de l’honorable auteur de la proposition et, à en juger par l’attitude prise par la section centrale, l’enquête doit être avant tout et principalement commerciale. Mais le commerce étant plus encore un moyen qu’un but, c’est-à-dire, devant être envisagé moins en lui-même que dans ses rapports avec toutes les industries, il faudra nécessairement, cela est vrai, pour rendre l’enquête complète et pour en retirer tous les fruits qu’on s’en promet, consulter l’industrie.

Il est bien entendu cependant (et ceci servira de réponse à une objection de M. le ministre de l'intérieur) que cette revue, cet examen des intérêts industriels pourra être rapide ; car une enquête spéciale et solennelle a lieu dans ce moment pour rechercher toutes les causes de la décadence de l’industrie linière si vitale pour les Flandres ; il y a quelques années à peine, l’industrie cotonnière a été l’objet d’une enquête détaillé et complète ; lors de la discussion de la loi douanière, quelques autres industries importantes, notamment celle des draps, ont eu l’occasion de faire connaître leurs vœux et leurs besoins. De nouvelles recherches officielles et spéciales, relativement à ces branches de la richesse nationale n’offriraient donc plus, à l’heure qu’il est, un caractère suffisant d’utilité. D’ailleurs nous voulons tous que l’enquête qu’on nous propose soit promptement terminée, afin que les causes de la crise soient bientôt constatées et les remèdes appliqués dans les plus brefs délais. Il suffira donc, du moins, je le pense, d’interroger l’industrie sur les causes probables et universellement signalées de la crise qu’elle éprouve, sur le manque de débouchés dont elle se plaint à bon droit, sur les moyens de créer un système d’exportation qui permette découler l’excédant de la production nationale et de nous procurer à bas prix les matières premières, les denrées ou les marchandises venant de l’étranger.

Je passe rapidement, messieurs, sur ces considérations, qui n’auront échappé à personne, et je me hâte d’arriver à la seule question qui divise cette assemblée, celle de savoir à qui, du gouvernement ou de la législature, on laissera la nomination des membres de la commission. Je ne le cache pas ; cette question, qui, de prime abord, ne paraît qu’accessoire et purement réglementaire, renferme, pour moi, toute la question, en constitue le fond. Je déclare, une fois pour toutes, que, dans le cours de cette discussion, je parle toujours du ministère actuel, dans la supposition qu’il est le continuateur du système commercial suivi par l’ancien ministère, supposition autorisée par de nombreux antécédents et par la déclaration que M. le ministre de l'intérieur vient de faire encore dans la séance de ce jour.

Messieurs, vous le savez tous, dans une enquête tout dépend de la tendance d’esprit de ceux qui la font, ou de l’influence qu’exercent sur eux leurs antécédents, de la manière dont on pose les questions et dont on interprète les réponses, du jour sous lequel on présente les faits, ou du plus ou moins de sagacité avec laquelle on les coordonne, en un mot de la direction générale qu’on y imprime ; or, cette direction générale à y imprimer dépend elle-même du choix qu’on fait des membres de la commission. C’est ce que le gouvernement parait comprendre parfaitement bien ; mais c’est aussi ce qui doit éveiller l’attention de la chambre, ce qui lui commande une extrême circonspection.

Loin de moi, messieurs, de vouloir montrer en ceci une méfiance injuste envers des hommes qui ne nous sont encore officiellement connus que par un de ces programmes qu’on pourrait, à peu de phrases près, stéréotyper à l’usage de tous les ministères ; j’espère bien ne me laisser jamais influencer par des noms. Si les anciens ministres étaient restés au pouvoir, j’aurais, dans cette même question, raisonné à leur égard comme je raisonne aujourd’hui ; je ne crains même pas d’avouer loyalement que j’agirais de même, si je voyais le banc ministériel occupé par mes amis politiques. Alors comme aujourd’hui, je demanderais que l’enquête fût parlementaire et non gouvernementale, parce que, sans m’arrêter à de mesquines considérations de personnes, je ne me préoccupe que de l’intérêt général de mon pays.

Messieurs, je ne sais si je me fais illusion, mais il me semble que les bonnes raisons ne manquent pas pour justifier l’opinion que je viens défendre et qui a triomphé à la section centrale.

La chambre est la représentation constitutionnelle et réelle de la nation. A elle donc, plus qu’à tout autre pouvoir, appartient le droit et incombe le devoir de se préoccuper du sort de ceux qui l’ont choisie pour leur mandataire spécial. Cela est si vrai que, par l’article 40 de la constitution, la chambre s’est réservée le droit d’enquête, que c’est à la chambre que les industries souffrantes adressent leurs plaintes, que c’est vers elle qu’elles se tournent, que c’est d’elle qu’elles attendent des secours. D’ailleurs, et n’oublions pas, messieurs, cette circonstance, c’est de la législature qu’est sortie la première idée d’une enquête à faire, c’est par elle et non par le gouvernement que l’initiative a été prise. Ici, comme on le voit, je fais allusion au sénat que je voudrais sincèrement voir prendre part à l’enquête, et je suis prêt à appuyer tout amendement tendant à nous procurer l’utile coopération de ce corps législatif, dont plusieurs membres se distinguent par leur expérience et leurs lumières.

Il me paraît donc incontestable que la législature doit naturellement se charger du soin de rechercher les causes des souffrances du pays et les moyens d’y apporter des soulagements. Sans doute elle peut, à cet effet, déléguer le gouvernement et c’est là ce que le gouvernement demande. Mais y a-t-il des motifs suffisants pour que la chambre accède à ce vœu du gouvernement et lui fasse cette délégation ; n’y en a-t-il pas qui s’opposent à ce qu’elle le fasse ? Voilà la question réduite à sa plus simple expression.

Lorsque certaines personnes insistent pour que l’enquête soit gouvernementale, j’aime à croire qu’elles sont de bonne foi, je rends justice à la pureté de leurs intention, elles pensent sans doute que c’est là le meilleur moyen d’arriver à la connaissance exacte de la vérité ; mais avouons qu’on pourrait traduire leur système à peu près par ces mots : La chambre ne renferme pas dans son sein des hommes assez éclairés pour procurer à une enquête commerciale assez zélés pour vouloir s’en occuper, assez justes pour le faire avec impartialité ! La chambre entend-elle souscrire à cette déclaration qui, au fond, se trouve virtuellement dans la prétention du ministère ? Non, je connais déjà trop bien la chambre pour ne pas savoir qu’elle comprend mieux sa haute mission, je la sais trop animée du zèle de l’intérêt public pour supposer qu’elle puisse si volontiers se décharger sur le gouvernement du soin d’y pourvoir ; elle voudra par elle-même répondre à la confiance que la nation a placée en elle ; elle ne laissera point passer une des plus belles occasions qui puissent s’offrir à elle de montrer toute sa sollicitude pour les graves intérêts qui lui sont confiées. La chambre compte dans son sein des membres qui certes sont bien capables de présider aux travaux d’une enquête et qui, pour avoir été nommés par elle, n’excluront nullement, comme on feint de le croire, les lumières du dehors, puisqu’ils s’empresseront sans doute de consulter ceux qui, dans le pays, pourront contribuer à éclaircir les questions vitales que l’enquête est appelée à résoudre.

Ensuite est-ce sérieusement que l’on craint que la chambre ne fasse ses choix avec partialité ? Mais, de bonne foi, cela n’est-il pas plus à craindre de la part du gouvernement ? Quel intérêt la chambre a-t-elle à procéder avec partialité ? Le gouvernement pourrait-il en dire autant ? La chambre n’offrira pas le désolant spectacle des petites passions exploitant le malaise social pour compte de quelques ambitions ; elle ne fera pas de cette importante question une affaire de parti ou de coterie ; aucun système d’exclusion qui serait aussi injuste que maladroit, ne présidera à son choix ; et, pour ma part, je compte bien y faire représenter également les diverses opinions qui se disputent l’avenir commercial de la Belgique. Et puis, si la chambre, ce que je suis loin de supposer, croyait devoir se montrer exclusivement dans la nomination des membres de la commission d’enquête, je ne vois pas pourquoi l’on ne respecterait pas l’opinion de la majorité. Je ne sais pas dans quel sens cette majorité se prononcera, il se peut même qu’elle ne se montre guère favorable au système qui a mes sympathies ; mais partialité pour partialité, exclusion pour exclusion, il me semble que celle qui a pour complices cinquante mandataires de la nation, est bien moins suspecte, moins dangereuse que celle qui a pour auteurs six ministres. Et c’est ici le lieu de faire remarquer une étrange contradiction dans laquelle tombent ceux qui défendent et continuent le système commercial suivi par l’ancien gouvernement ; chaque fois qu’on expliquait leurs vues et leurs actes en matière de commerce, ils se retranchaient derrière la majorité de la chambre, qui les soutenait, qu’il fallait seule accuser, disaient-ils ; et aujourd’hui, que nous faisons un appel à la même majorité, eux ils s’y refusent ; c’est-à-dire, qu’ils ne regardent pas la chambre comme susceptible de faire le bien, mais comme bonne tout au plus à les couvrir de sa responsabilité.

Messieurs, toutes ces considérations militent en faveur de l’opinion de ceux qui, comme moi, trouvent que c’est à la chambre est non au gouvernement à diriger l’enquête. Ces considérations acquièrent une importance nouvelle et décisive par cette circonstance que, en dépit de toutes les subtilités, le gouvernement lui-même est ici en cause.

C’est cette circonstance qui donne à l’enquête proposée un caractère spécial et exceptionnel que nous ne devons pas perdre de vue et qui doit puissamment influer sur le vote que nous serons appelés à émettre. Je conçois que le gouvernement dirige une enquête, lorsqu’il s’agit d’apporter des perfectionnements à telle industrie, d’enlever les obstacles naturels ou fiscaux qui s’opposent au libre développement de telle autre industrie ; en un mot lorsque ce n’est pas du gouvernement même que l’on se plaint ; alors, peu importe qui ordonne ou dirige ces investigations officielles. Mais, quand toute l’enquête doit rouler sur cette question fondamentale : « Le système commercial suivi par le gouvernement, depuis la révolution, est-il avantageux ou ruineux ? » Alors sans y mettre la moindre passion et avec toute la modération que donne une profonde conviction, je suis forcé de déclarer qu’il ne faut pas laisser à ce même gouvernement la direction de l’espèce d’instruction commerciale sur son compte. A défaut de bon sens et de raison, j’oserais invoquer ici les sentiments de convenance et de délicatesse ; devant aucun tribunal l’accusé ne choisit ses juges et ne dirige les débats.

Il me semble qu’il n’y a rien de plus simple, de plus naturel que la proposition de l’honorable M. de Foere, à laquelle s’est ralliée la majorité de la section centrale. Malheureusement les préjugés ont élevé la voix, les arrière-pensées se sont mises de la partie, la méfiance s’est glissée dans les esprits, et de là l’opposition de vues qu’on remarque maintenant dans ceux qui d’abord n’étaient tous guidés que par une même pensée et qui en définitive n’ont tous qu’un but commun. Je déplore sincèrement ces rivalités qui dénaturent les propositions les plus droites, qui cherchent partout des armes pour se défendre, là où il ne faudrait songer qu’à trouver des moyens de mettre un terme à l’effrayante crise qui désole notre patrie. Et si je vote en faveur d’une enquête parlementaire, si je fais même de cette circonstance la condition de mon vote en faveur de l’enquête elle-même, ce n’est point, je le répète, par méfiance pour les personnes, ni dans l’attente de voir triompher un système d’exclusion, mais parce que ce caractère parlementaire donné à l’enquête me paraît le seul naturel, le seul capable d’amener les résultats désirés.

Cependant, messieurs, tout en voulant que l’enquête soit parlementaire, je comprends ce que ces travaux auront de rude pour ceux qui seront appelés à les exécuter. Il fallait donc chercher un moyen de rendre la corvée moins grande et d’abréger la besogne. Ne l’aurait-on pas trouvé, en augmentant le nombre des membres de la commission, de manière à le porter jusqu’à neuf ? De cette façon, l’un ou l’autre membre pourra quelquefois s’absenter sans que son absence empêche la commission de poursuivre le cours de ses investigations, ou la prive des lumières nécessaires pour donner au pays la garantie que l’enquête se fait bien.

J’ajouterai même que le nombre neuf est celui qui était primitivement indiqué par l’honorable auteur de la proposition que nous discutons en ce moment.

En conséquence, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau un amendement dans ce sens.

M. Lys – Messieurs, toutes les sections, ainsi que la section centrale, ont reconnu l’utilité de l’enquête.

Le même accord a régné dans la section centrale, lorsqu’il s’est agi de son objet.

Il n’y a divergence que sur le mode de former la commission d’enquête.

Ayant opiné dans la section centrale avec la minorité, je persiste dans l’opinion que l’enquête doit être dirigée par le gouvernement.

Si l’enquête était exclusivement parlementaire, la commission devrait être nommée par la chambre et parmi ses membres, sur scrutin secret.

Alors, messieurs, vous appellerez nécessairement ceux qui vous paraîtront réunir des connaissances dans les affaires commerciales, et au nombre de ceux-ci figurent les partisans des droits différentiels et des provenances directes, ainsi que les partisans de la liberté de commerce, fondée sur le commerce de transit et de commission.

Votre commission sera alors composée de représentants qui auront déjà un système tout arrêté, qu’ils tâcheront de faire prévaloir ; on ne pourra les considérer comme libres de tout engagement, de toute préoccupation, et dès lors les décisions de cette commission et tout ce qui les aura précédées, n’inspireront aucune confiance, parce qu’elles auront été dictées par une pensée dominante, qui aura dirigé les opérations de la majorité.

La composition de cette commission n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire ; des notabilités parlementaires ne vous manqueront pas, mais il faut ici principalement des capacités du commerce et de l’industrie, qui donnent à cette commission une autorité telle, que ces décisions soient acceptées avec confiance par le pays ; car, remarquez-le bien, messieurs, cette commission ne doit pas seulement examiner si la législation existante est insuffisante ; mais, en cas d’affirmative, elle doit encore présenter les bases du système commercial et naval, qu’il conviendrait d’établir dans l’intérêt de la Belgique.

Vous voyez, messieurs, qu’il s’agit d’un changement important dans notre législation, d’un travail bien difficile, où la théorie ne peut rien sans l’aide de la pratique.

Un exemple suffit pour démontrer que le gouvernement seul peut donner à une commission nommée par lui toute l’autorité qui lui est indispensable.

Personne, je le pense, ne contestera que la province de Liége figure au nombre des provinces les plus industrielles de la Belgique. Je n’aurais, pour le prouver qu’à citer une seule industrie, l’industrie drapière, et elle en possède bien d’autres ; on reconnaîtra dès lors la convenance que cette province soit représentée dans la commission d’enquête.

Cependant, messieurs, sans craindre de rabaisser le mérite de mes honorables collègues, je n’hésite pas de déclarer que l’on ne trouve dans la députation de la province de Liége aucun représentant qui se reconnaisse assez versé dans les affaires commerciales pour désirer faire partie de cette commission.

De cette seule circonstance, selon moi, la preuve qu’une enquête faite par le gouvernement, serait la seule qui puisse être forte, consciencieuse, approfondie, et, par suite, plus impartiale et plus utile.

Il y a d’ailleurs, pour en agir ainsi, un motif de convenance vis-à-vis du sénat. La première pensée de l'enquête en est sortie et il ne pourrait y être représenté. Et, en effet, messieurs, l’honneur d’en avoir conçu l’idée appartient à l’honorable M. Biolley, sénateur de Verviers, qui, étant l’un de nos plus grandes industriels, pourrait concourir avantageusement à procurer les résultats qu’on doit chercher dans une enquête, tendant à constater la situation actuelle du commerce extérieur ; eh bien ! ce sénateur, malgré ses relations extrêmement étendues avec l’étranger, malgré toute son aptitude, sera forcément exclu de la commission si elle reste exclusivement parlementaire. Il en sera de même de plusieurs autres négociants versés dans les affaires commerciales et dont le concours serait extrêmement désirable.

Pour me résumer, messieurs, je dis :

Que la commission d’enquête doit être nommée par le gouvernement, afin que, dans l’intérêt général, elle puisse être composée de membres de cette chambre et du sénat, d’industriels et de négociants pris en dehors des chambres. Elle deviendra ainsi plus complète, et, par suite, plus utile. On pourra lui imprimer plus d’activité, et vous aurez l’espoir d’obtenir son rapport pour l’époque de l’ouverture de la prochaine session. S’il en est autrement, la commission se traînera péniblement dans des relations officieuses ; elle inspirera des défiances d’après le système partagé par ses membres, ses propositions auront le même sort ; vous attendrez longtemps son rapport ; le retard en diminuera encore le mérite, et, en attendant, le gouvernement sera forcé de rester dans l’inactivité, aussi longtemps que durera l’enquête, négligeant ainsi le bien qu’il voudrait faire et abritant sa responsabilité derrière cette enquête pour répondre aux plaintes qui s’élèveront de toutes parts. Le commerce et l’industrie resteront ainsi fort longtemps dans l’état précaire actuel, et ceux qui auront voulu y remédier auront aidé à maintenir plus longtemps le système qui nous régit. Je voterai donc, messieurs, pour qu’il y ait enquête, mais pour qu’elle soit instituée par le gouvernement.

M. de Langhe – Messieurs, je n’ajouterai rien aux raisons qui ont été données pour et contre l’enquête. Je citerai seulement un fait que pourront se rappeler nos honorables collègues qui ont siégé avec moi aux états-généraux. Ce fait pourra faire voir comment finissent parfois les commissions.

Le gouvernement des Pays-Bas avait, comme on le sait, la manie des commissions ; il en nommait de toute espèce, et bien rarement ces commissions ont fourni quelque chose. Il en avait nommé une, entre autres, qui était chargée de proposer les économies qu’il y aurait lieu d’introduire dans les divers départements ministériels. Cette commission a commencé à s’assembler avec zèle, chaque membre arrivait avec son économie, mais cette économie n’était jamais du goût des autres membres. A la fin, le découragement se mit parmi les membres de la commission, les réunions devinrent plus rares et finirent par cesser tout à fait.

Cependant les frais de cette commission figuraient annuellement au budget, et s’apercevant enfin qu’elle ne produisait rien, on n’a pas trouvé de meilleur économie à faire que de supprimer la commission des économies. (On rit.)

Il en sera de même de la commission d’enquête. La commission sera composée de personnes appartenant aux différentes opinions, et ainsi la commission n’aura pas les conditions nécessaires d’impartialité. Eh bien, on aura beaucoup de peine à s’entendre, le découragement se mettra parmi les membres de la commission, et l’on finira par ne plus s’assembler. Je désire qu’il n’en soit pas ainsi : mais la conviction que tel sera le résultat de l’enquête, est tellement établie chez moi, que je terminerai en me permettant de donner un conseil à la chambre : Si vous voulez enterrer une affaire, nommez une commission. (On rit.)

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, l’enquête qu’on propose peut donner un peu d’espoir à l’industrie et au commerce, mais je ne pense pas qu’elle puisse porter des fruits au moins prochains. Ce résultat ne pourra être obtenu que dans le laps de temps d’un grand nombre d’années, alors que l’industrie elle-même aura trouvé le moyen à employer pour favoriser l’écoulement de ses produits. En effet, je suis assez d’avis que celui qui entreprend une branche d’industrie, doit l’exercer en cherchant les moyens de se débarrasser de ses produits ; c’est à celui qui entreprend une industrie de s’assurer qu’il pourra convenablement placer ses fabricats.

A l’appui de mes prévisions, je vous dirai qu’une enquête a été ordonnée, en Angleterre, en 1833, pour s’enquérir de l’état de l’agriculture, eh bien, cette enquête a duré 3 ans.

Je ferai remarquer encore que l’enquête a coûte des sommes énormes. Il ne s’agissait cependant alors que d’une enquête sur l’industrie agricole. L’enquête qu’on propose en ce moment doit s’étendre à toutes les industries. Or, qu’en résultera-t-il ? C’est qu’au lieu de durer trois ans, comme en Angleterre, l’enquête durera au moins six ans ; car chaque industrie a droit à la sollicitude du gouvernement.

En effet, remarquez que presque toutes les industries se plaignent, je ne sais si c'est à tort ou à raison. Au surplus, je sais fort bien que de tout temps le commerce et l’industrie se sont plaints ; mais ces plaintes ordinairement sont exagérées, peu fondées ; car le commerce a besoin de crédit, et c’est surtout lorsqu’il est dans la gêne, qu’il ne se plaint pas ; mais quand le commerce est en prospérité, il se plaint ordinairement, et cela pour empêcher que d’autres n’entreprennent le même genre de commerce. (On rit.)

Je ne prétends pas que toutes les industries ne sont pas dans la gêne ; sans doute certaines industries sont dans le malaise, par exemple l’industrie linière, l’industrie cotonnière, et l’industrie métallurgique. L’industrie drapière souffre peut-être aussi. Mais si je pense qu’il y a dans cette industrie une certaine gêne, je ne crois pas qu’elle soit en perte de 50 p.c. ; tout au plus cette perte peut être de 25 p.c.

Cette gêne provient de la grande extension qu’on a donnée à l’industrie. Chacun a voulu faire en grand. Il en est résulté qu’on a trop produit. L’on ne s’est pas soucié de la question de savoir si l’on trouverait de nouveaux consommateurs ; mais on a produit de manière à fournir deux ou trois fois aux besoins des mêmes consommateurs.

La vraie cause, selon moi, de cette gêne de l’industrie, c’est la découverte des mécaniques, c’est la facilité qu’on a de produire, en peu de temps, une masse de fabricats. Certaines personnes croient que c’est un bien ; je ne partage pas cette avis ; avec des mécaniques vous faites en 6 mois, ce qu’on faisait autrefois en un an ; vous enlevez donc aux ouvriers un travail de six mois. Mes observations s’appliquent surtout aux mécaniques qu’on emploie pour filer le lin.

Je ne partage pas l’opinion de certain orateur qui a parlé avant moi, que le progrès dans les moyens de fabriquer est un avantage. Quant à l’opinion qu’il n’y a pas de gêne en Belgique, je ne l’admets pas ; je n’admets pas non plus que l’abondance de l’argent dans le pays soit une preuve d’aisance. Cette abondance provient des emprunts que vous avez faits. Si l’argent est commun, c’est que depuis la révolution vous avez emprunté 200 millions que vous avez dépensés. Sous peu l’argent sera encore plus commun, car vous allez emprunter 90 millions. Mais à l’avenir vous devrez payer les intérêts et le capital et nous saurons alors si l’argent sera encore aussi commun qu’aujourd’hui. Personne n’est plus généreux dans ses dépenses qu’un jeune homme de famille quand il n’a pas atteint sa fortune ; quand son père est en vie, il s’adresse à un juif qui lui donne de l’argent à 10 ou 15 p.c. Ce jeune homme nage dans l’abondance. Mais, quand son père meurt, il est tout étonné d’être ruiné. Eh bien ! voilà où arrivent les Etats quand ils ne calculent pas.

J’attendrai la discussion pour me prononcer sur l’enquête, car je crois que c’est une enquête pour la forme qu’on veut faire. Quand à faire une enquête convenable, je partage l’opinion de M. de Langhe, que vous dépenseriez de l’argent en pure perte.

M. F. de Mérode – Messieurs, les observations de l’honorable M. Pirmez me paraissent pleines de justesse dans leur ensemble. Toutefois ses conclusions contre une enquête me paraissent aussi trop absolues. Lorsque toutes les nations ou associations douanières réservent à leurs coassociés le marché intérieur, nous ne devons pas négliger ce moyen de défense industrielle qu’adoptent les divers peuples de l’Europe. L’Angleterre qui possède de si puissants moyens d’exportation, réserve son sol au débit exclusif de certains objets que ses manufactures produisent. Aussi interdit-elle en quelque sorte nos toiles par des droits d’entrée exorbitants. Je regrette donc que la loi proposée à l’égard de la répression plus active de la contrebande soit ajournée par un changement de ministère, qui ne peut modifier, malgré toutes les espérances illusoires fondées sur je ne sais quelle raison, le système suivi jusqu’à présent. Je suis partisan de toutes les mesures qui tendraient à donner autant que possible à nos produits le marché du pays jusqu’à l’époque où les grandes nations jugeront convenable de lever les barrières qui enferment leur territoire. Une discussion sur le projet de loi que j’ai rappelé valait donc mieux, selon moi, que toutes les enquêtes. Pour obtenir cette discussion, il fallait éviter une crise ministérielle ; l’honorable M. Pirmez n’est pas cause de celle qui a eu lieu. A cet égard, nous étions d’accord comme sur beaucoup de points qu’il a traités ; mais nous différons sur le besoin de nous associer pour nous vendre autant que possible les uns aux autres ce que nous pouvons créer nous-mêmes. J’admettrai l’enquête de l’honorable préopinant (M. Eloy de Burdinne), car je crois qu’il importe peu qu’elle soit faite sur une échelle plus ou moins large.

M. Delehaye – Messieurs, le M. le ministre de l'intérieur, en commençant le discours qu’il a prononcé dans cette discussion vous a dit que les relèves statistiques qu’il invoquait à l’appui de son opinion, n’étaient pas tellement exacts qu’il pût les présenter comme des chiffres arithmétiques, comme des preuves évidentes. Pour moi je ne pense pas qu’on puisse ajouter foi aux documents statistiques.

En effet le ministre vous a dit qu’il était facile d’évaluer les importations au moyen des documents conservés à la douane, mais qu’il n’était pas possible d’avoir le chiffre exact des exportations, parce que les exportations ne sont pas toujours déclarées. M. le ministre a commis par là une erreur évidente.

Or, un fait qui n’est contesté par personne, et que souvent on a répété, c’est que la fraude se commet en Belgique d’une manière réellement scandaleuse. Alors, est-il bien vrai de dire qu’on peut connaître exactement le chiffre des importations, mais qu’on ne peut pas être sûr de celui des exportations. Je pense que nous ne connaissons qu’inexactement le chiffre des importations, et que nous l’ignorons, au détriment du pays. Ce ne sera que quand on aura mis un terme à la fraude, qu’on pourra invoquer les relever statistiques des importations.

Je le répète, je n’ai pas la moindre confiance dans les relevés statistiques, je citerai des faits plus palpables, plus évidents.

On dit que l’industrie n’est pas aussi souffrante en Belgique que nous le prétendons. Mais alors comment se fait-il qu’il n’y ait pas une industrie qui non seulement ne se plaigne, mais ne montre à l’évidence la gêne pénible où elle se trouve. Voyez la ville d’Anvers, la seule ville en Belgique qui jusqu’ici n’a pas joint ses plaintes à celles des autres villes, vient vous exposer sa fâcheuse situation : la plupart des navires qui appartenaient à son port sont devenus des navires hollandais. C’est là, messieurs, à mon avis, une preuve, et une preuve bien évidente, que le commerce maritime, pas plus que l’industrie du pays, n’est dans un état prospère.

On a dit que ce qui prouve la richesse du pays, c’est l’abondance du numéraire. Je regrette de ne pouvoir partager cette opinion, parce que, d’après moi, cette abondance du numéraire prouve le contraire. En effet, d’où provient la grande masse de numéraire qui circule dans le pays ? M. Eloy de Burdinne vient de vous en indiquer une source. Quoiqu’on en dise, l’emprunt a dû augmenter la somme du numéraire dans le pays. Mais il y a une plus forte cause de cette abondance ; elle a été signalée dans les journaux, mais elle ne l’a pas été, que je sache, dans la chambre. Cette cause est que le commerce n’ayant plus la même étendue, n’inspirant plus la même confiance, se trouvant dans une situation plus gênée, tous les capitalistes retirent leurs fonds du commerce. Les riches maisons qui, depuis la révolution, ont cessé les opérations commerciales, ont dû laisser aussi une masse de numéraire sur la place.

Je crois m’apercevoir que mes paroles n’obtiennent pas l’assentiment de tout le monde, je serais heureux qu’on voulût bien y répondre.

C’est à ces causes, messieurs, qu’il faut attribuer la grande valeur qu’ont atteinte les propriétés foncières. Si le commerce était florissant, présentait des garanties, on ne verrait pas les capitalistes porter leurs fonds sur la propriété foncière, qui ne leur offre que 1 ½ p.c., tandis que le commerce leur donnerait 4 ½ p.c. et 5 p.c. Voilà des preuves évidentes que le commerce et l’industrie réclament avec raison une protection plus efficace.

Messieurs, la proposition de M. de Foere avait surtout pour but de rechercher les moyens d’accorder à l’industrie nationale et au commerce maritime les éléments de prospérité qu’ils ne possèdent pas aujourd’hui. Je partage l’opinion de cet honorable membre. Le principal argument qu’il a présenté à l’appui de sa proposition est resté entier, on n’y a pas répondu et il est de nature à devoir être répété.

Vous dites que le commerce maritime est dans une situation favorable. Comment se fait-il que des navires américains arrivés à Anvers aient attendu 6 à 7 semaines pour avoir un chargement et aient été obligés de partir sur lest ? Voilà des faits qui sont attestés par le commerce d’Anvers, qu’on ne peut nier, car ils ont été reconnus par tout le monde.

Je pense que s’il est bon d’obtenir pour le commerce maritime des débouchés lointains, il est des débouchés plus utiles dont il faut s’assurer avant tout, c’est le débouché que présente le marché intérieur. Il faut que vous soyez convaincus que si vous ne commencez pas par assurer au commerce le marché intérieur, vous ne lui rendrez jamais accessibles les marchés extérieurs. Le marché extérieur ne vous offrira un débouché que quand on viendra vous enlever ce que vous n’aurez pas pu placer sur le marché intérieur.

On a parlé des capitaux immenses qu’il fallait pour soutenir la concurrence. Quand un industriel a travaillé pendant quelque temps, quand il a mis une partie de ses capitaux dans les acquisitions de matières premières et employé l’autre partie en salaires d’ouvriers, comment voulez-vous qu’il aille chercher des marchés lointains ? Si, au contraire, vous lui assurez le marché intérieur, vous lui permettez de renouveler une partie de ses capitaux, et d’aller chercher le marché extérieur. Mais les avantages des marchés extérieurs ne seront rien pour lui aussi longtemps que vous ne l’aurez pas mis en possession du marché intérieur.

Pour améliorer le marché intérieur, le ministère n’est pas au pouvoir depuis assez longtemps pour avoir pu préparer des mesures.

La commission d’enquête a précisément pour but de les indiquer. J’ai moi-même indiqué quelques moyens qui ont obtenu l’assentiment du pays. Pourquoi ne nous empresserions-nous pas d’accueillir ceux que pourrait nous fournir la commission d’enquête que nous proposons d’instituer ? Nous ne pouvons pas nous refuser de faire droit à la demande de M. de Foere. Je pense qu’il faut d’autant plus l’admettre que le rejet n’aurait pas seulement pour résultat de ne pas chercher un remède aux souffrances de l’industrie mais de faire croire que nous ne prenons nullement à cœur les intérêts du pays.

M. Cogels – Je crois que la chambre me saura gré de ne pas ramener la discussion sur le terrain où on l’a placée, lors de la prise en considération, et où l’ont ramenée quelques-uns des honorables préopinants.

Nous n’avons pas à examiner aujourd’hui si le système commercial actuel est bon ou mauvais ; s’il convient ou non d’en adopter un nouveau ; de bouleverser le système actuel, ou de continuer à marcher dans la voie dans laquelle nous avons marché jusqu’ici, sauf à adopter les modifications que l’expérience et les besoins du commerce indiqueront.

On nous a cité le système suivi par la France et par l’Angleterre. Mais ce système a-t-il été établi tout à coup, ou bien est-il le résultat de longues expériences. Combien de modifications ces puissances n’ont-elles pas introduites depuis la paix dans leur système commercial ?

Et chose remarquable ! toutes ces modifications ont tendu à se rapprocher de ce système libéral dont on voudrait vous engager à vous écarter aujourd’hui.

Ce dont nous avons à nous occuper, c’est de l’enquête proposée par l’honorable député de Thielt. Cette enquête est-elle utile, est-elle opportune ? Quels sont les moyens les plus convenables de l’opérer ? vers quel but doit-on la diriger ? dans quelles limites doit-elle se renfermer ?

L’utilité de l’enquête a été reconnue par une très grande majorité des membres de la chambre ; on ne pourrait plus dès lors contester son opportunité. Cependant je ne partage pas pour mon compte cette opinion ; il résulte d’ailleurs des explications données par M. le ministre de l'intérieur, que l’enquête dirigée avec tous les soins convenables n’amènerait pas les résultats qu’on en attend.

En supposant que l’enquête soit parlementaire, la nomination devrait avoir lieu au scrutin secret, on ne saurait espérer d’avoir toutes les opinions représentées, il faudrait pour cela la délibérer et non la faire au scrutin secret, sinon une seule opinion pourrait dominer.

M. Dedecker vous a dit que la plupart des membres de cette chambre qui s’occupent de questions commerciales se trouvaient plus ou moins engagés dans une voie exclusive ; tout dépendrait dès lors, pour l’esprit dans lequel serait dirigée l’enquête, de l’opinion qui aurait la majorité. Quelque impartialité que je reconnaisse à tous les membres de cette chambre, je sais aussi qu’il est chose dont il est impossible de se défendre, c’est que nous sommes toujours disposés à accueillir plus favorablement tout ce qui flatte notre opinion que ce qui peut la combattre ; ainsi une enquête qui serait faite par une grande majorité, soit dans mon opinion, soit dans l’opinion contraire, pourrait représenter non l’opinion du pays, mais celle de la commission.

Il faudrait encore que l’enquête fût dirigée avec une grande activité, qu’elle se terminât promptement, car il est certain que tant que l’enquête se prolongera, l’incertitude ne cessera pas, et le seul avantage que je reconnaitrais à l’enquête serait de faire cesser l’incertitude. On pourrait persuader alors aux négociants que ce n’est pas sur le gouvernement seul qu’ils ont à compter. Je crois que le gouvernement peut faire quelque chose. Je ne dis pas qu’il n’ a pas de modifications à apporter au système que l’on suit aujourd’hui, mais je dis que le temps seul doit les indiquer et que c’est dans leur intelligence et dans leur énergie que les négociants et les industriels doivent placer leurs plus grandes espérances.

S’il y avait une requête, je voudrais qu’elle eût lieu par les soins du gouvernement, car il pourrait, mieux que la chambre, faire entrer dans la commission des hommes pratiques dont il a eu l’occasion d’apprécier les lumières. Il est en relation constante avec les chambres de commerce et quoiqu’en ait dit l’honorable député de Thielt, les chambres de commerce ont été consultées, car il cite leur avis et notamment celui de la chambre de commerce d’Anvers.

Je saisis cette occasion pour justifier la chambre de commerce d’Anvers d’un reproche qui lui a été fait et qu’elle ne mérite pas. On lui a fait dans cette chambre le reproche, qui malheureusement a pris quelque crédit au dehors, de défendre non pas les intérêts du pays, les intérêts anversois ; mais des intérêts étrangers. J’ai eu l’honneur de faire partie de cette chambre pendant trois ans ; j’ai assisté à toutes ses délibérations et je déclare que ce n’est ni l’intérêt anversois, ni l’intérêt particulier, ni l’intérêt étranger qui y dominent, mais bien l’intérêt du pays. D’ailleurs cette chambre est composée de Belges pour la grande majorité, et les étrangers qui s’y trouvent ont les mêmes intérêts que nous ; car, en fait de négociants, je ne connais ni étrangers, ni nationaux. Lorsqu’un homme transporte chez nous son industrie et ses capitaux, c’est un avantage pour le pays, d’autant plus que cet homme a des relations, des connaissances dont le pays profite ; car pour s’expatrier, il faut qu’il ait la conscience de sa force et des espérances fondées de succès ; sans cela, il ne se déplacerait pas. Aussi parmi les membres de la chambre de commerce d’Anvers, ce ne sont pas les étrangers qui y apportent le moins de lumières, qui y sont les moins utiles.

Je relèverai quelques-unes des observations de l’honorable M. Delehaye. Il a parlé de l’émigration de notre marine marchande. Je crois inutile de m’expliquer sur l’émigration de la plus belle partie de notre marine qui a été obligée d’aller retrouver sous son ancien pavillon un aliment qu’elle ne trouvait pas sous nos nouvelles couleurs. C’est une perte que nous déplorons, que nous devons chercher à réparer ; les causes de cette perte sont connues.

Quant à la rareté ou à l’abondance du numéraire, je crois que c’est une chose fort difficile à constater. C’est une des choses les plus variables, les plus mobiles, cela dépend du cours du change et des avantages qu’offrent, à raison de ce cours, l’importation et l’exportation.

Je crois que les négociants qui ont été obligés de liquider n’ont pas converti leur avoir en numéraire, car ils n’en tireraient pas un grand revenu. S’ils se sont retirés et s’ils ont appliqué leurs capitaux, ils les ont appliqué probablement à des achats de propriétés, de fonds publics, de rente, ou d’autres opérations qui donnent un revenu quelconque. Ainsi ce ne peut être là une cause de l’abondance du numéraire.

On a parlé de navires américains arrivés récemment et qui sont partis sur lest. Cela tient à ce que nous n’avons pas voulu diriger nos produits sur l’Amérique, où le marché est surchargé, où la crise n’est pas terminée, parce que l’importation, en 1837 et en 1838, y a été triple de ce quelle aurait dû être. Il faudra longtemps encore peut-être pour que les exportations dans ce pays offrent un bénéfice. Sans doute nos négociants n’auraient pas été, de gaité de cœur, expédier à une destination où ils étaient assurés d’une perte considérable.

Il n’en est pas ainsi seulement sur le marché des Etats-Unis, mais sur presque tous les marchés coloniaux. Il y a eu ce que les Anglais appellent Overtrade, il y a eu trop d’affaires. Cela doit se reproduire périodiquement dans la situation actuelle, parce qu’il y a trop de personnes qui s’occupent du commerce, et que toutes n’y apportent pas la prudence et la circonspection nécessaires. Sous ce rapport, je crois que la Belgique a été plus sage que les pays voisins et les pays transatlantiques. L’Amérique la première a donné l’exemple de ces opérations hasardeuses. Qu’a fait alors la Belgique ? Elle s’est bornée, autant que la prudence l’exigeait, à ce commerce de commission qu’on lui reproche si injustement ; car, tandis que tous les pays perdaient, elle avait un bénéfice assuré. D’ailleurs ce commerce de commission existe sur tous les grands marchés. Lorsqu’on a des marchandises à consigner, il faut un commissionnaire pour les recevoir ; lorsqu’on a des achats à faire, il faut des commissionnaires pour les faire ; aussi à Londres et sur tous les grands marchés ce commerce de commission est-il très étendu.

Croyez-vous que les négociants d’Anvers se refusent à faire de bonnes affaires si elles se présentent ? les croyez-vous moins avides de bénéfices ou moins instruits que les négociants des autres pays ? Indiquez leur de bonnes affaires et ils ne manqueront pas de les faire. Que les honorables membres qui leur reprochent de se borner au commerce de commission, veuillent bien leur donner cette indication et on mettra de suite à leur disposition tous les capitaux d’Anvers en leur promettant une bonne part dans les bénéfices.

On a parlé de la détresse de plusieurs industries sur lesquelles notre commerce extérieur ne peut avoir aucune influence, ce sont les industries des usines et des houillères. Il y a eu dans ces industries excès de production. Lorsqu’en 1835 on a appelé les capitaux à l’exploitation de ces industries, les premières affaires ont été conduites avec discernement après mûr examen, et ont donné de bons résultats, mais bientôt l’agiotage qui gâte tout s’en est emparé ; on n’a plus cherché des actionnaires pour exploiter des houillères mais on a rechercher les usines et les houillères pour exploiter les actionnaires. De là est résulté une crise qui n’a pas affecté directement le commerce, mais qui a réagi sur le crédit du pays et qui a produit une grande catastrophe, la suspension de la banque de Belgique.

J’avais compté d’abord voter pour l’enquête dirigée par le gouvernement. Convaincu, d’après ce que j’ai entendu, qu’elle n’aurait aucun résultat, je voterai contre la proposition.

M. Demonceau – Je ne voulais pas prendre part à cette discussion ; mais ce que je viens d’entendre exige de ma part quelques réflexions. Je partage en théorie les opinions de l’honorable M. Pirmez ; mais je pense que, dans la pratique, il n’est pas possible de les appliquer, dans l’état où nous nous trouvons vis-à-vis de nos voisins.

Ainsi, ce que vous dit M. Pirmez de la libre concurrence peut être vrai en théorie. Mais pour qu’il y ait libre concurrence, il faut qu’elle puisse exister à conditions égales pour tous. Or, pour la Belgique, il n’y a pas de libre concurrence, selon moi, car en général nous recevons en Belgique les produits manufacturés étrangers, tandis que les pays voisins refusent les nôtres. Ainsi, je crois avoir entendu que l’honorable ministre de l’intérieur parlait des exportations du district que j’habite. Il les a portées à un chiffre considérable. Mais s’il pouvait se procurer le chiffre fidèle des importations, et quand je dis le chiffre fidèle, j’entends ce qui entre réellement en Belgique, soit par la voie connue, soit par la fraude, il verra qu’elles sont bien supérieures à nos exportations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Comparez les exportations de la Belgique en France avec celles de la France en Belgique.

M. Demonceau – La France ne reçoit aucun de nos produits. M. le ministre a parlé des draps en tissu de laine, à mon tour je parle de ces tissus ; la France les prohibe. Je ne parle pas généralement, mais de la spécialité dont a parlé M. le ministre.

Lorsque nous discutions la loi des douanes, je vous disais que je pensais que si les industriels du district de Verviers avaient la certitude de pouvoir conserver le marché intérieur, ils pourraient peut-être se consoler du défaut des débouchés qu’ils vous demandent avec tant d’instance et à si bon droit selon moi, car il suffit de se rendre sur les lieux pour s’assurer bientôt que les établissements du district de Verviers ont beaucoup diminué de valeur. Cela prouve assez, me semble-t-il, que cette industrie ne fait pas, comme l’a prétendu un honorable membre, des bénéfices de 25 ou 50 p.c.

M. Eloy de Burdinne – Je demande la parole.

M. Demonceau – Chaque jour nous voyons des établissements se fermer ou ralentir leurs travaux ; s’ils sont exposés en vente, leurs valeurs diminuent des deux tiers à peu près.

Dernièrement, j’ai vu vendre pour moins de 40,000 francs un établissement qui fut souvent cité comme valant non mois de deux cent mille francs.

Je pourrais, au besoin, en indiquer vingt peut-être qui se sont vendus au-dessous de leur valeur. L’industrie chez nous se plaint je pense que c’est avec raison ; toutefois, je ne prétends pas imputer la cause du malaise au gouvernement. Nos industriels, heureusement, savent borner autant que possible leurs productions. Ils n’adoptent pas cette théorie, qui conduirait à produire autant qu’on pourrait le faire ; il ne suffit pas, en effet, de produire autant qu’on le peut, il y aura toujours malaise dans le pays. Aussi, je pense qu’une enquête qui aurait pour résultat de prouver à tous les industriels du pays qu’ils doivent borner la production à raison de la consommation serait certes très avantageuse ; car il est certains industriels qui croient que plus ils produiront, plus ils peuvent gagner.

C’est ce qui a amené la plupart des crises que nous avons à déplorer. Rappelez-vous, messieurs, quelles dépenses on a faites pour produire la houille et le fer ; on ne trouvait pas assez de mines de fer ni assez de mines de houille pour produire le fer ; qu’en est-il arrivé ? C’est que le fer se vend maintenant au même prix, à peu de chose près, qu’a coûté dans le temps le minerai.

Certains industriels qui avaient des établissements métallurgiques et qui avaient en même temps des houilles, ont préféré laisser éteindre leurs fourneaux que de continuer à travailler, trouvant plus d’avantage à vendre la houille à ceux qui produisaient le fer que de le produire eux-mêmes.

Toutes ces circonstances m’engageront à voter pour une enquête faite soit par la chambre, soit par le gouvernement ; mais je ne m’explique pas sur ce point maintenant.

Quoi qu’il en soit, je crois qu’eu égard aux réclamations venues de toutes parts, qu’eu égard à la pensée où l’on est, que le gouvernement ou les chambres peuvent porter remède au mal, vous ferez bien de voter une enquête, quelle que soit la direction qu’on lui donne.

Je pense que cette direction doit être impartiale, c’est-à-dire qu’elle ne représentera pas uniquement les opinions des personnes qui en feront partie. Pour procéder convenablement dans cette matière, il faudra que ceux qui dirigeront l’enquête, fassent venir les négociants devers eux, et leur demandent des renseignements propres à faire un rapport, tel qu’on puisse en conclure quelque chose. L’enquête devra constater des faits et non des opinions ; ou du moins si elle constate des opinions, que ce ne soient pas celles des membres qui présideront la commission.

Je ne sais, messieurs, si tout le monde entend de la même manière que moi l’enquête à laquelle je voudrais qu’il fût procédé, mais enfin j’adopte l’enquête en principe et j’attends, pour m’expliquer sur sa composition et la nomination, les explications que l’on pourra nous donner.

M. Eloy de Burdinne – L’honorable collègue qui a parlé avant moi m’a mal compris. Je n’ai pas dit que les commerçants gagnent toujours 50 p.c. ; j’ai dit que lorsqu’un commerçant gagne 50 p.c., s’il ne gagne plus que 25 p.c. prétend qu’il perd 25 p.c.

Mais, comme j’ai la parole, je demanderai la permission de répondre quelques mots à l’honorable député d’Anvers, lequel prétend qu’on ne peut connaître les motifs de l’abondance du numéraire en Belgique ; cependant la chose est palpable, selon moi. Il s’est établi en Belgique diverses sociétés : la banque de Belgique a placé pour 20 millions de ses actions en France ; il s’est formé des sociétés françaises pour l’exploitation de houilles ; ces sociétés ont acheté des houillères pour dix fois leur valeur ; leurs capitaux sont en Belgique, et c’est de là que résulte en grande partie le haut prix des terrains. L’honorable M. Frison me disait, à cet égard, que de petits particuliers, qui à peine pouvaient vivre autrefois, ont vendu les terrains qu’ils possédaient pour 1500 mille francs.

M. Devaux - Je demande la parole pour avoir quelques explications.

Je ne connais rien de plus difficile que de voter sur une chose qu’on ne comprend pas et qu’il est malaisé de comprendre. Moi, je ne comprends pas l’enquête, et j’ose croire qu’il y a peu de membres dans cette assemblée qui comprennent ce que l’on veut.

M. de Foere a demandé une enquête sur l’état de l’industrie et à ce titre l’enquête a trouvé faveur dans les sections ; mais M. de Foere a parlé accessoirement et par post-scriptum du système de navigation, et la section centrale a changé la proposition de M. de Foere, de telle sorte qu’il ne s’agit plus de la situation de l’industrie, et que le post-scriptum est devenu l’objet principal, d’accessoire qu’il était d’abord.

La section centrale a reconnu qu’il était impossible de faire une enquête sur la situation générale de l’industrie ; et elle a proposé une enquête sur le commerce extérieur et la navigation, ce qui, en apparence, est une espèce de restriction.

Si vous admettez l’enquête, que fera la commission ? Au bout de deux ou trois séances le post-scriptum qui était l’accessoire deviendra son objet principal et il s’agira simplement de donner son avis sur les droits différentiels. Ce n’est cependant pas de cela dont il est question dans la proposition de la section centrale.

Il est très difficile de comprendre la direction que devront prendre les investigations de la commission ; tout à l’heure, M. Dedecker disait que l’enquête sur les faits serait sommaire, attendu que les faits étaient connus depuis longtemps.

M. Demonceau entend, au contraire, qu’il faut constater les faits ; il n’est donc pas aisé de se rendre compte de l’enquête. D’après la proposition de la section centrale, la commission d’enquête serait chargée :

1° De s’enquérir de la situation actuelle du commerce extérieur dans ses rapports avec l’industrie et l’agriculture du pays ;

2° D’examiner si la législation existante est insuffisante ;

3° En cas d’affirmative, de présenter les bases du système commercial et moral qu’il conviendrait d’établir, dans l’intérêt de la nation.

D’après le troisième paragraphe, ce ne sont pas des faits, c’est tout un système que la section centrale demande à la commission. Je crois que personne n’est fixé sur ce que l’on fera, à moins qu’on ne veuille seulement avoir l’avis d’une commission sur les droits différentiels.

Si c’est cela que l’on veut, je dis que la marche que l’on prend est irrégulière. Il fallait franchement formuler une proposition sur les droits différentiels et la faire discuter, et non se mettre derrière une commission d’enquête. Dès qu’on a une conviction personnelle pour procéder régulièrement, il faut présenter un projet de loi, alors on sait sur quoi on discute et on se prononce. Le seul but que j’aperçois dans l’enquête, c’est d’arriver aux droits différentiels par une voie indirecte ; c’est de voir confirmer par la commission ce qu’a répété tant de fois l’honorable M. de Foere, que nos débouchés sont restreints par faute de commerce maritime ou de navigation.

Mais on arrivera promptement à ce but, en faisant une proposition positive, ce qui, sous tous les rapports, sera plus convenable que de nous lancer dans les investigations interminables.

Je demanderai ce que la section centrale a voulu dire par ces mots : « D’examiner si la législation existante est insuffisante » cela veut-il dire qu’il faut réviser la loi de douanes ?

Je demande quelle sera la mission de la commission. Doit-elle interroger toutes les industries sur leurs moyens de production, sur leurs moyens de vente ; sur leurs débouchés actuels ; sur les débouchés possibles ? Mais ce sera ne rien faire que cela ; car ce ne sera pas seulement sur les marchés intérieurs qu’il faudra procéder ; il faudra procéder encore sur les marchés extérieurs ; est-ce là ce que vous voulez faire ?

Je crois que si l’on ne veut pas s’en rapporter à ce qui se trouve dans les livres, et pour cela il ne faut pas d’enquête, les principales investigations de la commission devront porter sur le commerce extérieur, sur les moyens à employer pour amener le placement de nos produits sur les marchés étrangers ; or c’est là un travail que la commission d’enquête ne peut pas faire ; c’est le gouvernement qui est seul à même de recueillir des renseignements à cet égard par l’entremise des missions commerciales à l’étranger ; si la commission veut se livrer à une semblable investigation, elle s’embarquera dans des travaux qui ne sont pas de sa compétence et qu’elle n’aura pas le moyen de mener à bonne fin.

Remarquez, messieurs, que la session va se clore. Est-ce que l’enquête continuera après la clôture de la session ? est-ce que constitutionnellement vous n’avez aucun scrupule de continuer vos travaux en-dehors de la session, par une commission permanente ? J’avoue que c’est là le point à l’égard duquel j’ai des doutes.

Le droit d’enquête, messieurs, ne peut pas être contesté à la chambre, mais pour exercer utilement ce droit, il faudrait, comme je l’ai déjà dit, qu’il y eût un projet de loi, et que dans le temps de la session, on fît une enquête qui se renfermât dans l’examen de ce projet ; que l’on consultât à cet égard les chambres de commerce, les négociants, que l’on s’entourât, en un mot, de tous les renseignements possibles ; mais une enquête dans le vague, dont l’objet ne sera pas défini, je vous l’avoue, messieurs, cela ne me paraît pouvoir amener aucun résultat utile, à moins qu’il ne s’agisse que de faire examiner par la commission le projet que l’honorable M. de Foere annonce depuis si longtemps et qu’il ne formule pas.

L’honorable membre m’a répondu à cet égard, dans une autre séance, qu’il avait formulé depuis longtemps un projet de loi par lequel son système commercial serait consacré ; j’ai fait des recherches et j’ai vu qu’en effet l’honorable M. de Foere a fait en 1834 une proposition, mais je suis bien persuadé, d’après les idées qu’il défend aujourd’hui, qu’il ne voudrait plus de cette proposition. D’après ce que proposait l’honorable membre, toutes les marchandises arrivant par navires étrangers auraient payé la première année 10 p.c. de leur valeur, la seconde année 15 p.c., la troisième année 20 p.c., la quatrième année, 25 p.c. C’est là, je crois, ce qu’établissait le seul article de la proposition de M. de Foere ; il établissait une distinction entre le pavillon national et le pavillon étranger, mais je ne sais pas si la proposition était toujours défavorable aux navires étrangers, si le droit de 10 p.c. à la valeur était toujours supérieur au droit que paient les navires belges.

En résumé, je demanderai, messieurs, ce que doit faire la commission d’enquête ; je demanderai d’abord si elle doit siéger dans l’intervalle des sessions ; je demanderai ensuite si elle doit faire ses investigations dans l’intérieur du pays seulement ou si elle doit les porter également à l’extérieur ; ou bien si elle ne doit faire autre chose que de donner son opinion sur le projet de loi annoncé par M. de Foere et non formulé ?

M. Dechamps, rapporteur – Messieurs, le principe de l’enquête ne paraissait d’abord rencontrer aucune opposition sérieuse dans la chambre ; toutes les sections, à l’unanimité, je pense, et la section centrale, l’avait admis sans contestation. Maintenant une opposition vient de se manifester contre le principe même de l’enquête ; les uns n’en veulent pas, d’autres ne l’acceptent qu’à regret ; il ne reconnaissent pas l’utilité de l'enquête ; ils veulent tous au plus s’y résigner, mais au fond ils n’y adhérent pas.

Je n’avais pas cru, messieurs, devoir m’appesantir sur l’importance et la nécessité de l’enquête, mais les observations qui viennent d’être émises me forcent à entrer dans quelques développements à cet égard.

Pour les partisans du statu quo, pour ceux qui pensent que sans colonies, sans marine, sans relations directes suivies avec les pays de provenances, nous parviendrons, à l’aide de la législation actuelle, qui a amené si peu de choses depuis six ans, et par je ne sais quelle force inconnue, nous parviendrons, dis-je, à créer en peu de temps un large commerce d’exportation, à transformer nos ports en marchés d’échange, à établir un véritable transit qui puisse nous reconquérir une partie des marchés de l’Allemagne et de la Suisse que nous avons perdus ; pour ceux-là, messieurs, je conçois que l’enquête est parfaitement inutile ; mais pour ceux qui ont été frappés du peu de résultats que cette législation a amenés depuis la révolution, de cette décadence de notre marine qu’elle n’a pas su arrêter, du défaut de débouchés auquel elle n’a pas su remédier, et surtout de cette insuffisance de nos ports et spécialement du port d’Anvers que cette législation a laissé végéter comme un marché de consignation de deuxième et de troisième ordre, tandis que sa position lui permet d’espérer d’établir une véritable et sérieuse rivalité avec les entrepôts de l’Europe, avec Liverpool, le Havre, Rotterdam ; pour nous, qui avons cette conviction, l’enquête est nécessaire.

Pour vous convaincre, messieurs, de la nécessité de l’enquête, il me suffira de vous faire le tableau de la situation commerciale et industrielle de la Belgique, tableau que je ne veux nullement charger et que je crois vous présenter avec impartialité et exactitude.

M. le ministre de l'intérieur vous a fait, au commencement de cette séance, l’analyse de notre position commerciale et industrielle, mais il l’a faite à sa manière. Il a discuté assez longuement la théorie de la balance commerciale, ; qui n’avait que faire dans cette question, et il s’est appuyé, pour prouver l’état satisfaisant du commerce, de données statistiques, après nous avons démontré combien peu de fond nous devons faire sur ces calculs incertains et le plus souvent inexacts ; de manière que presque tout le discours de M. le ministre de l'intérieur repose sur une base que lui-même a eu soin de déclarer d’avance complètement fausse.

Pour moi, messieurs, sans me jeter dans de pareilles théories, je veux, pour faire le tableau de la situation commerciale et industrielle de la Belgique, m’appuyer uniquement sur des faits connus de nous tous, connus de tous les industriels et du pays entier.

La Belgique, messieurs, placée au milieu des trois grands centres industriels de l’Europe, l’Angleterre, la France et l’Allemagne, la Belgique se trouve être en concurrence de produits similaires avec ces pays. Nos houilles, nos draps, notre industrie linière, nos forgeries, trouvent des industries rivales en France, en Angleterre et en Allemagne ; or, messieurs, il résulte déjà à la dernière évidence, de ce seul fait, qu’à mesure que ces industries rivales se développeront dans ces pays, les débouchés qu’ils nous offrent se restreindront dans la même proportion.

Cette vérité, messieurs, devient frappante, lorsque nous examinons l’état de nos relations commerciales avec les marchés européens.

En effet, messieurs, la France qui était, il y a plusieurs années, et qui est encore à l’heure qu’il est, le principal marché pour nos productions, la France, vers laquelle les espérances de nos principales industries étaient dirigées, le marché français n’intéresse plus maintenant que deux de nos grandes industries, l’industrie houilleresse et l’industrie linière. Or, voyez ce qui se passe en France relativement à notre industrie houilleresse : le système des zones, qui déjà avait amoindri pour nos charbons le marché français. Ce système des zones est considéré comme insuffisant par l’Angleterre, et par les ports de France, qui en réclament l’abolition ; et il est à craindre que le gouvernement français, pour fortifier l’alliance anglaise, fasse encore à l’Angleterre cette concession à notre détriment.

Quant à l’industrie linière, vous savez, messieurs, que la législation française actuelle est loin de nous être favorable, et cependant un projet de loi est déposé sur le bureau de la chambre des députés de France, ayant pour objet d’interdire à nos toiles le passage aux frontières françaises. A l’égard de la France, voici donc notre position : Les deux seules industries qui trouvent encore un débouché en France, ces deux seules industries voient tous les jours leur avenir compromis de ce côté. Je suis loin de vouloir soutenir que nous devions négliger la France ; je sais que des négociations sont possibles, autant dans l’intérêt de la France que dans le nôtre, mais je veux seulement faire remarquer quelle est la position actuelle de notre industrie à l’égard de ce pays.

Pour l’Angleterre, vous savez, messieurs, que nous offrons à ses produits un grand marché de consommation ; mais nos exportations vers cette contrée consistent uniquement en écorces, en os et en lins ; or une question fort controversée est celle de savoir si l’exportation de nos lins est ou non favorable aux intérêts belges.

En Allemagne, messieurs, je crois qu’il y a bien des choses à faire, et, de ce côté, je pense que des négociations fructueuses peuvent être établies, surtout aujourd’hui que nous sommes à la veille d’offrir à l’Allemagne ce qu’elle désire depuis si longtemps, de toucher l’Océan par nos ports et notre route de transit, afin de se soustraire au monopole hollandais.

Je pense que nous pourrions, en retour, demander qu’elle abaisse un peu les douanes. Mais cependant il bne faut pas se faire illusion : le tarif de l'union douanière ne va pas se modifier à notre première insistance ; il faudra des négociations assez longues, et là aussi, d’ailleurs, comme en Angleterre et en France, l’industrie marche et se développe, à mesure qu’elle se développera, et ces marchés européens vont se circonscrire de plus en plus pour nos produits.

Ainsi messieurs, nous ne pouvons pas compter de voir s’étendre nos exportations vers les marchés européens qui nous environnent ; au contraire, ces exportations, par la force même des choses, par le seul fait que nous sommes en concurrence avec les produits de ces pays-là, nos exportations sont destinées à se restreindre successivement, et si nous n’avions pas d’autre ressource pour notre industrie, je crois que nous devrions désespérer de son avenir.

Reste, messieurs, notre marché intérieur ; mais vous savez que le marché intérieur est partagé par la concurrence étrangère, et je ne veux pas examiner ici si ce fait résulte de l’imperfection de notre travail industriel, de notre position géographique ou de l'insuffisance de notre tarif de douanes.

C’est une question sur laquelle je ne veux pas me prononcer maintenant, mais il n’en résulte pas moins que notre marché intérieur, partagé qu’il est par la concurrence étrangère, ne peut suffire à la production de l'industrie belge qui, depuis quelques années, a pris une immense, et peut-être imprudente extension.

Ainsi, messieurs, sans espérance fondée d’exportation vers les marchés européens, avec un marché intérieur insuffisant, que reste-t-il à la Belgique ?

Ce qui lui reste, c’est un large commerce d’exportation vers les pays lointains, vers les marchés hors d’Europe, qui fournissent à nos industries les matières premières dont elles ont besoin, et qui consomment nos propres produits, sans les produire eux-mêmes.

Eh bien, quel est l’état de notre commerce d’exportation vers ces marchés hors d’Europe ?

M. le ministre de l'intérieur a voulu vous démontrer par des chiffres statistiques sur lesquels on ne peut rien baser, que notre commerce d’exportation vers les pays hors d’Europe était prospère.

Mais, messieurs, il me paraît que le discours de M. le ministre se trouve presque en complète contradiction avec l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la ligne des paquebots à vapeur à établir avec les Etats-Unis. Dans cet exposé des motifs, j’ai trouvé à peu près toutes les mêmes idées que nous avons défendues dans cette enceinte depuis très longtemps.

M. le ministre de l'intérieur a rappelé dans son discours combien notre commerce d’exportation avec les Etats-Unis, c’est-à-dire avec le plus grand marché hors d’Europe, était nul ; il nous a rappelé que l’Angleterre exportait aux Etats-Unis pour 400,000,000 de ses produits, la France pour 150,000,000, l’Allemagne pour une somme à peu près aussi importante ; et que la Belgique n’entrait au partage de ce vaste marché que pour une somme d’environ 2,000,000.

Eh bien, messieurs, ce fait me paraît renverser, à lui seul, toutes les assertions que M. le ministre de l'intérieur a présentées.

Mais nos relations avec le Brésil, avec la Havane, avec Syngapore, avec le Levant, sont-elles plus florissantes ? Non, messieurs, notre commerce extérieur, en comparaison de ce qu’il devrait être, est d’une insignifiance remarquable. M. le ministre de l'intérieur a paru en convenir dans l’exposé des motifs dont je viens de parler. Il vous a dit que ce qu’il fallait à la Belgique c’étaient des relations suivies, directes, faciles et régulières. « Plus d’une fois, dit-il, les chambres de commerce, et notamment celle de Liége, ont fait entendre leurs plaintes à ce sujet, et elles ont signalé le défaut dans nos ports, d’expéditions promptes et régulières comme un grand obstacle au développement de nos débouchés. » Vous l’entendez, messieurs, l’on convient du défaut de débouchés et de la nécessité des relations directes pour en trouver.

Ainsi, messieurs, en résumé, la Belgique a un marché intérieur insuffisant ; elle ne peut compter, ou du moins on ne peut compte que d’une manière accessoire sur les marchés européens qui l’avoisinent ; et l’état de son système d’exportation vers les marchés hors d’Europe est, sinon nul, du moins insignifiant.

Et veuillez remarquez, messieurs, que la Belgique manque précisément des trois éléments nécessaires pour un système d’exportation.

Presque toutes les nations ont ou des colonies ou une marine, ou des relations directes avec les pays de provenance. Eh bien, nous n’avons ni l’un ni l’autre de ces éléments : nous n’avons ni colonies, ni marines, et les relations directes, établies avec les pays de provenance, n’ont qu’une importance secondaire jusqu’ici pour la Belgique. Les partisans du statu quo s’imaginent que par le seul appel qu’il font aux navires étrangers, en leur ouvrant nos ports, ces navires vont y affluer, se trompent étrangement.

Les navires étrangers connaissent trop peu la route de nos ports. Les habitudes commerciales, le commerce direct sont depuis longtemps établis entre les pays lointains et les entrepôts d’Europe, entre les Etats-Unis et Rotterdam, Liverpool, les villes anséatiques et le Havre. On ne change pas ces habitudes commerciale en se croisant les bras, en ne recourant à aucun moyen, et ce n’est qu’en prenant les mesures législatives qui ont été prises sous ce rapport par les autres nations que nous parviendrons à faire changer ces habitudes, à les établir avec nos ports.

Il me paraît que la Belgique devrait choisir entre ces deux systèmes ; ou bien suivre le conseil que nous donne depuis longtemps le haut commerce hollandais : « Vous, Belgique, nous dit-il, vous êtes une nation manufacturière, vous produisez beaucoup, mais vous n’avez aucun élément de système commercial. Vous n’avez ni colonie, ni marine ; eh bien, produisez, et chargez-nous, Hollande, qui possédons ces éléments-là, qui sommes une vieille nation commerciale ; chargez-nous de vos exportations. »

C’est là une idée que je ne partage pas, mais c’est une idée qu’on peut défendre. Ceux qui rejettent ce système, devraient au moins admettre le nôtre qui consiste à dire : « Vous ne devez pas seulement être une nation manufacturière, mais vous devez devenir une nation commerçante. » Or, pour être une nation commerçante, il faut employer les moyens propres à le devenir.

Ainsi, messieurs, vous comprenez que dans la conviction où je suis, que l’état de malaise du commerce et de l’industrie en Belgique, provient, en partie du moins, de notre législation incomplète, je pense qu’une enquête est nécessaire, surtout que je vois régner à cet égard du doute et de l’hésitation dans la chambre, doute et hésitation qui me paraissent partagés par le gouvernement.

J’aborde maintenant la question de savoir de quelle manière la commission d’enquête devrait être composée. Les uns voudraient que cette commission fût nommée par le gouvernement, et les autres opinent pour une enquête parlementaire.

Messieurs, je vous avoue que j’ai longtemps hésité sur le parti à prendre. Je dirai qu’en général l’initiative du gouvernement dans ces mesures d’intérêt public est préférable ; et si le gouvernement avait voulu s’emparer de cette initiative, j’aurais aimé beaucoup mieux que le ministère nous eût présenté un rapport, que de voir instituer la commission d’enquête qui a été proposée par l’honorable M. de Foere. Cet honorable membre partage, je crois, l’opinion que j’émets, car il était disposé à retirer sa proposition, si le gouvernement avait voulu se dessiner plus qu’il ne l’a fait à cet égard. Ainsi, j’eusse préféré voir le gouvernement prendre l’initiative, mais puisqu’il n’a pas cru pouvoir la prendre, et que dans notre opinion, l’enquête est nécessaire, il a bien fallu se prononcer pour l’enquête parlementaire.

D’ailleurs, messieurs, je ne vois pas à l’enquête tous les inconvénients que plusieurs voudraient y voir. Avant d’entrer dans ces détails, je vais vous dire les deux principaux motifs qui me font voter pour une enquête parlementaire.

Si nous n’adoptions pas la proposition qui a été approuvée par la section centrale, je crois que nous porterions une grave atteinte à l’une des prérogatives constitutionnelles de la chambre ; et plus encore à la dignité du gouvernement.

Nous porterions atteinte à une des prérogatives constitutionnelles de la chambre : en effet, remarquez, messieurs, que toutes les objections que l’on a faites contre l’enquête tendant directement à faire déclarer l’inhabilité de la chambre, non seulement dans l’espèce, mais pour diriger toute enquête quelconque. Et cependant les enquêtes commerciales sont celles qui entrent spécialement dans les attributions de la chambre. Cela est tellement vrai que lors de la discussion qui a eu lieu à propos de l’enquête qu’on avait proposée au sujet des désastres du mois d’août 1831, tous les membres de la chambre qui s’opposaient à cette enquête, avouaient que la chambre pouvait très bien, comme en Angleterre et en France, instituer des enquêtes relatives à ses attributions, des enquêtes commerciales, par exemple ; mais qu’il y avait des graves dangers à ce qu’elle fît des enquêtes politiques. Or, si vous rejetez l’enquête commerciale qui vous est proposée, et dans un moment où l’industrie belge souffre, de l’aveu de tout le monde, autant vaut rayer l’article 40 de la constitution, car je ne comprends pas dans quelle circonstance plus utile, plus nécessaire, la chambre pourrait user du droit d’enquête.

Messieurs, plusieurs membres voudraient charger le gouvernement du soin d’instituer lui-même cette enquête. Mais, messieurs, le rôle que vous ferez jouer au gouvernement serait un rôle véritablement peu digne, et je félicite le gouvernement de n’avoir pas consenti à se charger d’une pareille mission. (Quelques dénégations.) C’est ainsi du moins que j’ai compris le langage de M. le ministre de l'intérieur.

Le gouvernement, je le conçois, peut lui-même, en prenant l’initiative, instituer une enquête. Nous aurions pu demander au gouvernement un rapport sur l’état de l’industrie et du commerce en Belgique. Mais la chambre, usant de son initiative, à défaut du gouvernement, et proposant ensuite au gouvernement de diriger cette enquête ordonnée malgré lui, ce serait, je le répète, faire au gouvernement une position qu’il ne peut accepter.

Le gouvernement, en l’acceptant, déclarerait qu’il est peu éclairé sur la question ; il ferait une espèce de profession d’incapacité. Quand des hommes politiques acceptent d’être placés au timon des affaires, ils doivent se croire plus capables que les gouvernés. Le gouvernement doit rester supérieur à l’enquête, il doit pouvoir la contrôler. Or, pour cela, il n’y a qu’un moyen, c’est que l’enquête soit parlementaire. Le gouvernement en ne consentant pas à la faire, peut contrôler l’enquête et lui rester supérieur. La chambre n’aura fait, en usant de son droit, qu’entourer cette importante question de renseignements où le gouvernement pourra puiser lui-même, et qui serviront à donner à la législature une direction qui jusqu’à présent lui a manqué.

L’honorable M. Devaux a demandé qu’on précisât avec plus d’exactitude qu’on ne l’avait fait l’objet même de l’enquête. Il me paraît qu’il a singulièrement exagéré les difficultés, et que l’interprétation de la proposition de la section centrale est plus facile qu’il a semblé le croire. D’abord cet honorable membre a voulu établir une différence très grande entre la proposition primitive de M. de Foere et celle adoptée par la section centrale. Cette différence n’existe pas, elle n’est qu’apparente et ne consiste que dans la rédaction ; l’honorable auteur de la proposition l’a déclaré lui-même au commencement de cette séance.

Vous savez quelle est l’idée prédominante qu’a toujours eue M. de Foere, c’est qu’au point de vue du commerce extérieur, la loi de 1816 et de 1822, qui nous régit encore par un singulier anachronisme, lui paraît insuffisante ; maintes et maintes fois il vous a soumis ses idées à cet égard. Dès lors, bien loin que le dernier paragraphe de sa proposition ne soit qu’un post-scriptum, c’est le résumé et la base de sa proposition entière. Il voulait d’abord qu’on cherchât les causes qui ont produit la situation fâcheuse du commerce à l’intérieur et à l’extérieur, qu’on indiquât les moyens de remédier au mal signalé, et qu’on présentât pour conclure les bases d’un système commercial et naval.

La section centrale a cru pouvoir suivre l’interprétation qu’elle sait que lui donnait M. de Foere, et personne ne pouvait se tromper sur son intention.

La commission d’enquête étant instituée, comment devra-t-elle procéder ? Le point de vue auquel elle doit rattacher toutes les questions, c’est le commerce extérieur ; c’est la question de savoir si la législation qui nous régit est, sous ce rapport, suffisante ou ne l’est pas. Sans doute la commission d’enquête devra interroger les principales industries du pays, celles principalement qui sont dans la souffrance mais elle ne devra pas les interroger sur toutes les causes particulières de ce malaise, mai seulement sur cet unique objet, savoir, si la législation sur le commerce extérieur ne contribue pas à ce malaise. Je ne vois pas quelle complication, la question ainsi posée, peut entraîner. Pour les détails, ce sera à la commission à les régler, il est impossible à la chambre de les prévoir et de s’en occuper.

Les industriels, les chambres de commerce n’auront aucune peine à répondre aux questions que la commission leur posera sur l’insuffisance de la législation de notre commerce extérieur par rapport à chaque industrie. Ces questions leur sont plus familières qu’on veut le supposer.

La section centrale a adopté le troisième paragraphe de la proposition de M. de Foere telle qu’il était rédigé.

Si ces mots : « Système commercial et naval » sont peu précis dans l’opinion de quelques membres, on pourrait modifier ce paragraphe, mais le sens n’est douteux pour personne. Il ne s’agit pas d’examiner notre tarif de douanes par rapport à notre marché intérieur, mais d’examiner notre système de commerce extérieur, et si la commission croit que ce système est insuffisant, elle indiquera les modifications à y introduire ou les bases d’un système nouveau à y substituer.

Je bornerai là mes observations.

- La discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 5 heures.