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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 9 juin 1840

(Moniteur belge n°162 du 10 juin 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune fait l’appel nominal à midi et un quart. La séance est ouverte.

M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune donne communication des pièces adressées à la chambre.

« L’administration de la commune d’Yves-Gomezee demande que le chemin de fer d’entre Sambre et Meuse soit mis à exécution avec les embranchements sur Florenne et Morialmé. »

« Les administrations communes de Westouhe, Caneghem, Grimming, Santbergen, Saint-Jean-in-Erento (Flandres orientale et occidentale) demande une augmentation aux frais de l’Etat du traitement des desservants de succursales. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.

Projet de loi modifiant la loi des douanes, en ce qui concerne certaines verreries

Rapport de la section centrale

M. Zoude, au nom de la commission chargée de l’examen du projet de loi présenté le 16 janvier 1839 et tendant à modifier la loi des douanes en ce qui concerne les verreries et les cristalleries, présente le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport et met le projet de loi à l’ordre du jour.

Projet de loi autorisant un emprunt de 82,000,000 francs

Discussion des articles

Articles 1 et 2

M. le président – L’article 2 est adopté ; le chiffre de l’emprunt est voté ; nous revenons maintenant à l’article 1er. La première discussion qui va s’établir a pour objet la publicité et la concurrence.

M. David – Messieurs, je me disposais hier à demander la parole pour défendre l’amendement que mes honorables collègues et moi, avions eu la confiance de vous présenter relativement aux voies de communication de la province de Luxembourg et certaine autre route, partant de Huy vers Malmedy, frontière prussienne, route de longtemps décrétée ; mais, je puis le dire, nous avons, malgré nos légitimes réclamations, malgré le généreux abandon de notre droit au chemin de fer dans cette partie délaissée du royaume, nous avons été inexorablement déboutés. Notre proposition n’a pas même eu les honneurs de la discussion. On nous a condamnés sans vouloir nous entendre.

Si je place aujourd’hui quelques mots dans la question de la concurrence et de la publicité, ce n’est que pour motiver mon vote qui sera de laisser au gouvernement liberté pleine et entière d’action, dans une négociation où sa responsabilité sera engagée, et qu’il est de son honneur et de sa dignité d’amener à la meilleur fin possible. Il me semble qu’il est imprudent de lui lier les mains dans une affaire de cette importance. D’ailleurs, je le déclare franchement, je crois le gouvernement digne de cette confiance, et voulût-il en abuser, il ne le pourrait pas ; aujourd’hui moins que jamais, qu’on scrute ses actes avec une sévérité qui prend quelques fois le caractère de l’injustice. Le gouvernement ne demande qu’à être placé dans la condition de faire le mieux possible. Il ne repousse pas la concurrence et la publicité ; il veut de tous les moyens qui peuvent amener la plus heureuse réussite.

Messieurs, dans la longue discussion dont le chemin de fer a été l’objet à l’occasion de l'emprunt, je voulais aussi placer quelques mots en réponse aux attaques, assez isolées du reste, dont cette brillante et utile création a été l’objet. Que la chambre veuille bien me permettre une courte digression. Je voulais, entre mille applications dont cette grande institution est susceptible, signaler une idée toute simple, mais qui cependant peut donner les plus grands résultats pour la province de Liége et celle d’Anvers.

Messieurs, j’oublie pour un moment les avantages de la célérité des chemin de fer, j’oublie le côté poétique qui lui donne « des ailes », j’oublie ses « promeneurs », et m’attache à sa partie prosaïque, celle des transports à moyenne vitesse. C’est ici où je désire obtenir un instant l’attention de M. le ministre des travaux publics, à qui je me permettrai d’adresser une question. Ne pourrait-on, par des convois de nuit à moyenne vitesse, utiliser sur la ligne de Liége à Anvers, le chemin de fer et son matériel, qui, à l’état de repos ne produisent rien pour l’Etat ? Notez bien, messieurs, que pour débuter dans cette voie nouvelle, je parle de la ligne de Liège à Anvers seulement, la seule matière que je voudrais voir transporter par ces convois de nuit, serait le charbon de terre. Il faudrait donc, pour que le projet eût de la réussite, que le gouvernement fixât, pour le transport d’un produit aussi pondéreux relativement à sa valeur, un prix très modeste, celui de 5 ou 6 francs par tonneau, par exemple. Admettons qu’à ce prix on transporte 100 tonneaux par nuit, 100 tonneaux ou 100,000 kilo. donneraient une recette brute de 600 francs. Sans doute que le parcours d’Ans à Anvers pour les 100 tonneaux pourrait laisser au gouvernement, en calculant au plus haut tous les frais un joli bénéfice ! Quant à moi, de prime abord, je ne puis en douter.

Mais voyez, monsieur le ministre, les avantages d’une semblable combinaison. Si par vos soins elle devient réalisable, quelle reconnaissance ne vous auraient pas deux grandes villes, j’oserais presque dire deux de nos plus riches provinces ? Quel immense bienfait pour celle de Liége, centre de production, pour celle d’Anvers, centre de consommation, pour ses machines, ses bateaux à vapeur, son foyer domestique ! Eh , messieurs, si une concession à bas prix par le gouvernement en faveur de la ligne de Liége à Anvers, soulevait des jalousies, éveillait les passions de la rivalité charbonnière du Hainaut, qu’il ne soit plus question que de l’exportation, par l’Escaut, de notre charbon vers la Hollande. Voilà le véritable but, voilà l’immense service que le chemin de fer serait appelé à rendre à nos exploitations.

Je ne demanderai pas au ministre des travaux publics qu’il réponde immédiatement à ces questions. Il a des calculs à faire, des rapports à demander à son administration. Je le prierai seulement de prendre cette idée en considération. On ne pourrait trop tôt la mettre en pratique si on la trouve réalisable, car l’industrie houilleresse est en souffrance dans la province de Liége. Combien sa position serait changée si ses frais de transports ne dépassaient pas 6 francs par tonneau jusqu’à l’Escaut ! Alors, messieurs, les houilles de la Ruhr, les houilles anglaises elles-mêmes ne nous feraient plus qu’une faible concurrence sur les marchés de la Hollande ; alors nous serions affranchis de cette navigation si inconstante, si dispendieuse de la Meuse, qui d’ailleurs ne voit plus que de rares bateaux descendre ses eaux vers la Hollande.

Messieurs, je n’ai parlé que de l’exportation de cent tonneaux de charbon par jour ; mais, je vous le demande, avec un marché comme la Hollande, de quelle augmentation ce chiffre n’est-il pas susceptible ? je le répète, messieurs, le bienfait serait inappréciable. Que ne feraient pas aujourd’hui, si nous possédions ce grand moyen, les riches exploitations de la province de Liége, forcées de chômer par la mévente, ou exposées à l’encombrement de produits extraits qui se détériorent par l’action de l’air. Quelle gloire n’y aurait-il pas à recueillir pour vous, M. le ministre, d’avoir résolu un si beau problème, de nous avoir donné les débouchés certains de notre première richesse, d’avoir, pour ainsi dire, contre le vœu de a nature, transporté les houillères de la Meuse aux bassins de l’Escaut.

M. le président – Je rappellerai à la chambre qu’elle a décidé qu’on devrait s’occuper exclusivement de la question de publicité et de concurrence.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je crois en effet qu’on ne pourrait répondre au préopinant sans s’écarter de l’objet en discussion. Ma réponse viendra peut-être en temps opportun dans la discussion relative au tarif, si la chambre le discute. Dans tous les cas, je prendrai bonne note de l'observation de l’honorable préopinant.

M. Devaux – On s’est déjà beaucoup occupé du mode d’emprunt, en ce qui est relatif à la concurrence et à la publicité. Je voudrais faire diverses observations qui, ce me semble, n’ont pas été faites encore. Le principal inconvénient que je trouve à la disposition de la section centrale, c’est qu’il détermine le taux de l’emprunt. La disposition de la section centrale qui décide qu’il y aura concurrence et publicité détermine par cela même le taux de l’emprunt. C’est une chose qui paraît avoir complètement échappé à la section centrale ; elle le décide sans le dire, sans qu’on le sache, sans s’en apercevoir elle-même, et très probablement dans un sens contraire à l’opinion de beaucoup de membres de la chambre et de la section centrale même, si j’en puis juger par quelques paroles de son rapporteur. Je ne puis entendre la stipulation de la section centrale que dans ce sens : que l’emprunt serait fait par soumission cachetée, avec adjudication immédiate au plus offrant. Je suis étonné qu’il y ait du doute à cet égard dans la section centrale ; car après ce qui a été dit pas l’honorable rapporteur, je ne sais plus au juste ce qu’on veut :

Je lis dans un discours de M. le rapporteur de la section centrale :

« Nous n’entendons pas que cette publicité, cette concurrence soient telles qu’il y ait entrave pour le gouvernement ; à lui l’exécution la plus large et la plus avantageuse que possible pour l’Etat. »

Et plus loin, d’après M. le ministre des finances :

« La concurrence et la publicité, c’est forcément la soumission cachetée avec l’adjudication instantanée.

« Tachons de nous expliquer pour voir si nous nous comprendrons bien.

« La proposition que vous fait la section centrale, entendue comme l’entend M. le ministre des finances est, selon moi, celle qui présente le plus de garanties.

« Mais je crois avoir souvent prouvé que je n’étais pas exclusif ; je ne tiens pas d’une manière absolue à mes opinions, je sais les modifier selon les circonstances. Il y a, ainsi que l’a reconnu M. le ministre des travaux publics, plusieurs moyens d’appeler la concurrence par la voie de la publicité sans pour cela avoir besoin de recourir nécessairement à l’adjudication instantanée.

« Qu’elle veuille donc indiquer un moyen qui paraisse praticable, etc. »

Vous voyez, d’après cela, que le rapporteur de la section centrale paraît ne pas croire que l’insertion dans la loi du mode de la publicité et de la concurrence, entraîne nécessairement la soumission cachetée avec adjudication immédiate au plus offrant. Je voudrais, dans ce cas, savoir au juste quelle est l’intention de la section centrale.

M. Demonceau, rapporteur – Quelle est l’opinion de l’honorable membre ?

M. Devaux – Mon opinion est qu’on ne peut insérer dans la loi le mode de la publicité et de la concurrence, sans qu’il est résulte la nécessité des soumissions cachetées avec adjudication instantanée ; c’est ainsi qu’on l’a compris dans la chambre. On a comparé le mode proposé à l’adjudication des travaux publics ; or, ces adjudications se font par soumissions cachetées ; et l’adjudication a lieu immédiatement après.

Je dis que la première objection à faire contre ce mode, c’est qu’il détermine le taux de l’emprunt, c’est qu’il aura pour conséquence que l’emprunt devra se faire en 3 p.c., parce que ce fonds est celui qui offre le plus de chances à la spéculation. Avec le mode de la soumission cachetée et de l’adjudication instantanée, vous adjugerez l’emprunt de 82 millions en un seul lot à un seul banquier ou à une seule compagnie. Il est impossible qu’il en soit autrement. Vous ne pouvez adjuger l’emprunt d’une somme pareille à une seule maison qu’avec une chance de gain, de spéculation considérable. Il n’y a qu’un fonds de spéculation, c’est le 3 p.c.. Ainsi dès que vous décidez qu’il y aura publicité et concurrence, vous décidez que le gouvernement devra créer du 3 p.c. Vous le décidez, sans le dire, sans le savoir ; mais vous le décidez.

M. Demonceau, rapporteur – (erratum au Moniteur belge n°163 du 11 juin 1840) - Je sais bien que non.

M. Devaux – Je devais supposer que l’honorable rapporteur ne le savait pas, puisque dans le même discours il s’est prononcé contre le 3 p.c.

Déjà, il y a quelques années, j’ai exprimé mon opinion sur le 3 p.c. dans un document imprimé, dans un rapport de la section centrale de 1838. Dès cette époque, j’ai établi ma préférence basée sur des calculs à l’égard du mode d’emprunt qui rapporte le taux d’émission du taux auquel pourra se faire le rachat ou l’amortissement ; mais si je préfère le 4 ½ p.c., je ne vais pas jusqu’à l’imposer au gouvernement, parce que je ne suis pas juge des circonstances, ni de la position où il pourra se trouver à l’égard des emprunteurs. Mais je ne veux pas non plus lui imposer le 3 p.c., parce que, dans mon opinion, le 3 p.c. est un pis-aller. Je ne veux pas l’exclure. Mais je ne veux pas l’imposer, lui donner la préférence ; or c’est le résultat d’un emprunt fait par adjudication.

On a cité des exemples d’emprunts précédents d’adjudication. Mais on a oublié deux choses ; on ne nous a pas cité beaucoup de lois qui aient imposé la concurrence. Or, faire un emprunt avec publicité et concurrence, quand on a la faculté, si ce mode ne réussit pas, de traiter de la main à la main, c’est tout autre chose que d’imposer par la loi ce mode exclusif. On a parlé d’emprunts tentés avec publicité et concurrence et qui n’ont pas réussi. Mais que serait-il arrivé si l’on n’avait pas eu la faculté de traité de la main à la main

Une condition indispensable du mode de publicité et de concurrence (vous l’avez vu par les exemples qui ont été cités), c’est de fixer un minimum au-dessous duquel on ne descendrait pas. Le gouvernement pourra-t-il fixer un minimum ? Mais à quoi cela lui servira-t-il ? D’un côté, il lui faut un emprunt. D’un autre côté, le mode de la concurrence et de la publicité lui étant imposé, après qu’il a fait un appel à la concurrence, la seule chose qui lui reste à faire, est de subir le minimum des capitalistes. Si le gouvernement voulait lui imposer des conditions autres que celles qu’ils auraient indiquées, ils ne manqueraient pas de se roidir contre ces conditions.

Mais il y a deux genres de coalition à redouter dans ce monde d’emprunt : une coalition pour obtenir l’emprunt et une coalition contre l’emprunt.

Ainsi, je suppose que de grands capitalistes s’associent pour nuire à l’emprunt, conviennent de ne pas le soumissionner ; si cette coalition ne faisait pas avorter l’emprunt, elle exercerait sur lui une fâcheuse influence. Il est certain que ceux qui se présenteraient pour soumissionner l’emprunt devraient faire entrer dans leurs calculs l’influence de cette hostilité et que par conséquent vous payerez d’autant plus cher.

Avec le mode que l’on propose, le gouvernement subit la loi des capitalistes plutôt qu’il ne leur fait la loi.

Je suppose qu’il se présente des concurrents ; les soumissionnaires offrent différents prix : entend-on que le gouvernement devra adjuger au plus offrant sans égard à aucune autre considération ? J’ai entendu dire ici que la question de solvabilité des soumissionnaires n’importait en rien, attendu qu’ils font des dépôts. Je trouve, moi, pour la Belgique, que la question de solvabilité est de la plus haute importance, indépendamment des pertes de matériel dont elle pourrait se garantir.

Faites un emprunt et que votre prêteur fasse faillite avant de pouvoir le réaliser, il est évident que dans l’état naissant de votre crédit, ce serait un événement funeste qu’on pût dire sur les places étrangères que la Belgique n’a eu d’autre ressource que de contracter avec un banqueroutier. Si ma mémoire est bonne, avant l’émission de la seconde partie de l’emprunt des 100 millions, on avait aussi demandé concurrence et publicité, et une maison anglaise avait fait des offres et s’était plainte ; deux mois après la maison manque ; eh bien, le crédit belge s’en serait terriblement ressenti si les offres de cette maison eussent obtenu la préférence.

Si des concurrents se présentent pour faire l’emprunt de 82 millions il est très probable que ce ne seront pas des concurrents isolés : il est très peu de capitalistes qui puissent se charger d’un pareil emprunt ; des sociétés seront donc en concurrence avec une ou deux maisons isolées. Il est impossible aussi que des société se forment sans que la chose soit plus ou moins connue, sans que les grands capitalistes qui dominent les bourses en aient connaissance ; alors que peut-il se passer ? C’est pour gagner 2 ou 3 p.c. qu’une compagnie fait un emprunt, ne sera-t-il pas bien naturel qu’un grand capitaliste qui voudra avoir l’emprunt dise à cette société : mon nom est plus puissant que le vôtre ; il est très probable que mon nom opérerait sur ce fonds une hausse plus grande que la vôtre.

Il y a moyen de gagner de l’argent ; je vous donne la moitié de l’emprunt, et vous gagnerez peut-être autant que si vous aviez le tout, à cause de l’influence de mon nom sur la hausse des obligations : rien de plus facile et de plus naturel que la coalition des grands capitalistes avec des associations d’autres capitalistes ; c’est le moyen, pour tous, de gagner à coup sûr et de faire la loi.

La clause de l’adjudication ne doit pas être imposée à l’emprunt à mon avis, parce qu’en fait d’emprunt, je suis encore de l’avis de la section centrale en 1838. Il est difficile de rien imposer au gouvernement en fait d’emprunt.

Je disais, tout à l’heure, que l’emprunt que je préférerais, c’est le 4 ½ p.c. ; j’en ai exposé, dans le temps, les motifs dans le rapport de la section centrale en 1838. Je sais bien que cette opinion n’est pas partagée par les capitalistes, qui préfèrent le 3 p.c., lequel présente plus de moyens à la spéculation ; mais dans cette valeur, je vois des désavantages pour l’Etat : suivant toutes les chances probables, il faut racheter le 3 p.c. plus cher qu’on ne le vend ; ensuite, il est difficile de le convertir ultérieurement.

Quand des Etats sont anciens, quand leur crédit est bien affermi, je conçois alors que la concurrence et la publicité puissent ne pas présenter les mêmes inconvénients que chez nous ; je conçois que, pour ces Etats, un événement ne peut leur nuire ni beaucoup, ni longtemps ; mais nous ne sommes pas dans des situations pareilles. Notre crédit est très incertain ; il dépend en quelque sorte de tous les caprices de la bourse. Notre 3 p.c. est à 75 ; celui de France est à 85 ; pourquoi cette différence de deux p.c., plutôt que de 6 ou 5 p.c. ? Personne ne pourrait le dire, c’est là un caprice de bourse ; ce sont de ces choses auxquelles un Etat naissant est assujetti.

C’est qu’on ne nous connaît pas, c’est que nous sommes depuis peu de temps sur le marché ; d’anciens Etats peuvent faire beaucoup de choses que nous devons nous interdire en fait de crédit.

Dans la situation où nous sommes, je ne connais qu’une manière de faire avec concurrence et publicité ; il faudrait que le gouvernement se fût assuré des dispositions de quelques-uns des capitalistes qui concourront à la soumission.

Quand on a cité des exemples en France et en Angleterre on ne vous a pas dit que ces gouvernements ne savaient peut-être à quoi s’en tenir sur les dispositions de ces marchés. On ne vous a pas dit qu’en Angleterre, avant d’emprunter, on s’était peut-être assuré du concours de plusieurs capitalistes ou de celui de la banque, dans le cas où l’on échouerait.

Avec ces précautions, la concurrence et la publicité n’est qu’un moyen de tâter le terrain, et de savoir si on ne trouvera pas mieux que les offres faites, et auxquelles on se réserve de revenir de la main à la main si l’adjudication ne réussit pas ; mais rien de cela n’est possible avec les dispositions exclusives et impératives de la section centrale. Je crois même que si le ministère voulait procéder, se lier exclusivement à la publicité et à la concurrence, sans avoir pris ses précautions d’avance, nous devrions l’en empêcher au lieu de l’encourager.

On veut se dégager de l’influence d’une maison puissante ; mais par le mode qu’on veut dicter au gouvernement on se met sous la loi de ce roi de la spéculation ; il y a deux manières de subir des influences, c’est d’avoir les maisons puissantes pour amies ou ennemies ; de quelque manière que vous vous y preniez, vous subirez cette influence si vous faites un fonds de spéculation.

Je ne connais qu’un moyen de se soustraire à ces influences, c’est de créer un fonds qui ne soit pas un fonds de spéculation, mais un fonds de placement ; c’est de créer du 4 ½ p.c. C’était l’opinion de la section centrale en 1838, et c’était l’opinion de la plupart des sections qui n’étaient pas portées pour un fonds de spéculation, qui augmente le capital de la dette. La section centrale d’alors s’est prononcée de la manière la plus formelle dans son rapport contre toute obligation imposée au gouvernement, et ses conclusions ont été prises à l’unanimité.

Je crois qu’il y a d’ailleurs pour la chambre un grand inconvénient à se charger d’une responsabilité financière : il est évident qu’en imposant un mode unique, exclusif, au gouvernement, vous le dégagez de toute responsabilité, et vous mettez votre responsabilité sur la législature. Nous avons déjà vu, par la discussion qui a précédé celle des dépenses du chemin de fer, dans quelle fausse position la chambre se met quand elle prend sur elle la responsabilité financière. Le ministre n’est plus responsable de rien si on adopte la disposition présentée par la section centrale ; il n’est pas même responsable du minimum, messieurs, car il lui serait impossible de poser un minimum, ou au moins de s’y maintenir ; il serait obligé, en définitive, de subir la loi des soumissionnaires, coalisés ou non. Et s’il y a coalition, soit avant, soit après la première soumission, (si l’on en fait deux), quelle que soit la loi que lui fera la coalition, il faut que le gouvernement la subisse, car il ne peut pas attendre, il lui faut de l’argent pour les travaux publics, l’emprunt doit se faire.

Ainsi, messieurs, la meilleure réaction, suivant moi, c’est de ne stipuler aucun mode dans la loi, c’est de laisser au gouvernement la faculté de choisir entre tous. Après cette rédaction, la meilleure, c’est celle qui laisse le plus de latitude au gouvernement.

M. Cogels – Messieurs, lorsque, dans la séance du 3 de ce mois, j’ai entamé la discussion de la concurrence et de la publicité, je n’ai cité, parmi les faits nombreux que j’avais recueillis, que ceux qui étaient les moins favorables à mon opinion. La presse a jugé que j’avais agi en cela avec maladresse ; elle aurait pu se servir d’un autre terme : elle aurait pu dire que j’ai agi avec franchise, parce qu’effectivement mon but n’était pas de faire triompher mon opinion à tout prix ; mon but était de jeter, autant que possible, quelques lumières sur la discussion, mais surtout de m’éclairer moi-même, d’obtenir un résultat uniforme, non pas aux exigences de mon amour-propre, mais aux intérêts du pays.

J’aurais pu citer plusieurs autres emprunts qui se sont traités en France avec concurrence et publicité et qui ont eu un plein succès. Ainsi l’emprunt conclu en 1821 a trouvé 4 compagnies concurrentes ; la soumission la plus basse était de 84 francs 2 centimes ½ ; la plus élevée était de 85 francs 55 centimes, et ce fut celle-là qui fut admise. Vous voyez donc qu’il y avait là une grande concurrence, qu’il y avait une grande divergence d’opinions sur le prix que pourrait valoir cette rente. Le montant de cet emprunt était de 250 millions.

Le 23 juillet 1823, il y eut une autre adjudication de 23 millions de rente ; il y eut encore 4 compagnies ; la plus basse soumission était de 87-75, la plus élevée de 89-35, taux qui dépassait le prix auquel les fonds étaient cotés à la bourse.

Le 12 janvier 1830, il y eut un résultat bien plus étonnant : il se présenta encore 4 compagnies, et je citerai tous les prix qui ont été offerts ; toutes les compagnies se composaient de capitalistes les plus puissants de France qui eurent tous à même de prendre l’emprunt par leurs seuls moyens. La maison Aguado offrir 97 francs 55 centimes ; la compagnie Mallet, Hagerman, Blanc-Collin, etc., offrit 98 francs, le syndicat des receveurs généraux, 100 francs, la maison Rothschild 102 francs 7 ½. Voilà donc une différence de près de 5 francs entre le prix le plus bas et le prix le plus élevé.

On a dit, messieurs, qu’en 1831 il y a eu une coalition, mais j’ai expliqué quel avait été le motif de cette coalition. J’ai fait voir qu’elle a eu lieu non pas pour déjouer les combinaisons du gouvernement, mais qu’elle a trouvé son origine dans le patriotisme des banquiers eux-mêmes, ne se sentant pas assez forts pour prendre isolément la totalité de l'emprunt dans les circonstances où l’on se trouvait alors, ils ont dit ; « Le gouvernement a besoin d’argent, eh bien nous allons prendre chacun notre part de l’emprunt. »

Voilà, messieurs, les explications que j’ai cru devoir donner en premier lieu sur les faits que j’avais cités dans la séance du 3 juin. Je pourrais citer encore les emprunts qui ont été faits en Angleterre et qui ont tous été conclus avec concurrence et publicité, mais ils sont trop nombreux, car il y en a eu sept ou huit depuis 1816.

Maintenant, messieurs, je répondrai à ce qui a été dit par l’honorable M. Devaux, et je demanderai à la chambre la permission de traiter aussi brièvement que possible la question de l’intérêt, qui a été soulevée par cet honorable membre.

Selon moi, le taux de l’intérêt devrait être fixé, et en cela, je partage entièrement l’opinion de l’honorable M. Meeus ; il devrait être fixé surtout, si l’on se propose de faire l’emprunt en une seule fois, car je pense qu’il ne serait guère possible de négocier maintenant un emprunt de 82 millions à un taux de rente élevé, à moins qu’on ne voulût souscrire à des conditions extrêmement onéreuses qui rendraient l’emprunt beaucoup plus défavorable qu’un emprunt dont l’intérêt serait moins élevé, ou à capital fictif.

Supposons qu’on fixe l’intérêt à 4 ½ p.c., taux auquel l’honorable M. Devaux paraît donner la préférence ; nécessairement pour négocier l’emprunt à ce taux, vous devriez offrir des chances de bénéfices, car sans avoir des chances de bénéfices, aucune compagnie de banquiers ne vous fera des offres ; il faudrait donc négocier cet emprunt au-dessous du pair, ou bien, si vous vouliez le négocier aux environs du pair, il faudrait le garantir pendant un certain temps contre le remboursement, il faudrait ne pas le soumettre à tous les inconvénients que représente le 5 p.c. ; le rentier ne veut pas d’un tirage au sort par semestre, parce que le rentier est essentiellement paisible de sa nature, je dirai même paresseux ; le rentier ne veut pas être assujetti à la nécessité de vérifier tous les six mois de longues listes pour voir si l’une ou l’autre de ses obligations n’est pas sortie ; le rentier ne veut pas être exposé à devoir, à tous moments, envoyer une partie de ses obligations à Bruxelles, à Londres, ou à Paris pour en recevoir le remboursement ; il ne veut pas être sujet à devoir, à chaque instant, réemployer ses capitaux, et à subir chaque fois les pertes d’intérêts ou de capital.

Si vous n’aviez besoin que de 20 ou 25 millions, vous pourriez émettre cette partie de l’emprunt d’une manière avantageuse, mais alors il ne faudrait pas recourir aux banquiers, aux spéculateurs, il faudrait ouvrir une souscription publique, et à cet égard je ne partage pas l’opinion de l’honorable M. Meeus, qui pense que la Belgique n’est pas assez riche pour se prêter à elle-même ; la Belgique s’est toujours prêtée à elle-même ; elle a fait plus, elle a prêté aux autres, et si aujourd’hui elle ne pouvait plus se prêter à elle-même, je le dissimulerais, car il est un fait connu de tout le monde : en 1829, la Belgique n’avait pas une seule dette à l’étranger, mais elle était créancière de beaucoup d’autres nations.

Ainsi, nous avions une grande partie de l’emprunt de Naples, de l’emprunt de l’Autriche, des emprunts de Prusse, du Brésil, du Danemark, de deux emprunts de la Russie ; en un mot nous étions créanciers de toutes les puissances. Comment se ferait-il maintenant que nous ne pourrions plus nous prêter à nous-mêmes ? Remarquez, messieurs, que l’honorable M. Meeus a en quelque sorte appuyé ce que je viens d’avancer, car, dans la séance d’hier, il a dit que l’honorable M. d’Huart avait contracté un emprunt en Belgique, principalement pour prouver à la Hollande que nous n’avions pas besoin de l’étranger, que nous pouvions nous suffire à nous-mêmes, et le résultat a bien prouvé qu’il en était ainsi ; car le gouvernement avait demandé 30 millions, et il a été offert 691 millions, pour la plus grande partie par des maisons belges.

Je pense donc qu’il serait très convenable de fixer le taux d’intérêt de l’emprunt ou de demander à M. le ministre quelles sont ses intentions ; si son intention est de négocier l’emprunt par parties ou en une fois.

Je dirai maintenant un mot du mode d’adjudication, de la concurrence et de la publicité, et des lois d’après lesquelles ce mode a été suivi en France. En France, la première adjudication avec concurrence et publicité a été faite le 9 août 1821, en vertu d’une ordonnance royale du 8 juillet de la même année, dont l’article 1er est ainsi conçu :

« Art. 1er. Notre ministre des finances est autorisé à procéder à la vente avec publicité et concurrence et sur soumissions cachetées, à la compagnie qui offrira le prix le plus élevé des 12,514,220 francs de rente, etc. »

Vous voyez, messieurs, que dans cette ordonnance on se bornait à établir simplement le principe de la publicité et de la concurrence en laissant après cela au ministère le soin de régler le monde d’application. Ce mode a été réglé par le cahier des charges dont les stipulations sont passées ensuite en force de loi, car la loi du 17 mars 1833 dit :

« Art. 3. Il sera rendu compte à la session de 1824 de la réalisation et de l’emploi de tout ou partie de ce crédit en rentes, dont il ne pourra être disposé que par des négociations publiques, avec concurrence, dans les formes suivies pour l’aliénation des rentes effectuées par le traité du 9 août 1821. »

Vous voyez, messieurs, que cette loi devient plus expresse, puisqu’elle établit qu’on suivra la même forme qui a été suivie le 9 août 1821, par suite de laquelle on avait obtenu un résultat si favorable.

Maintenant, messieurs, en conservant la rédaction de la section centrale, je ne vois pas que nous obligions M. le ministre à suivre servilement ce qui a été fait en France et en Angleterre ; tout ce que nous voulons, c’est qu’il y ait publicité, c’est qu’il y ait concurrence. Quand nous disons : « publicité », c’est que nous voulons que l’on soit instruit sur toutes les places de l’Europe, qu’un emprunt va être adjugé, c’est que nous voulons que la quotité en soit fixée, et qu’en même temps M. le ministre détermine le taux de l’intérêt, ce qui cependant n’est pas absolument indispensable, mais ce qui serait préférable ; alors les compagnies pourraient faire leurs offres sans qu’il y eut pour cela adjudication publique avec un minimum, mais si après cela le ministère acceptait une offre qui ne fût pas la plus favorable, c’est alors que sa responsabilité serait engagée. Quant à la solidité des maisons, il dépendra du ministère d’avoir des maisons solides, car il suffit pour cela d’exiger des conditions qui ne puissent être remplies que par de semblables maisons.

De cette manière, messieurs, il y aurait concurrence et publicité alors même qu’il n’y aurait pas adjudication publique au moyen de soumissions cachetées et d’un minimum, car je le répète, si M. le ministre adjugeait l’emprunt à une maison qui n’eût pas fait une offre aussi avantageuse qu’une autre maison, cette autre maison ne manquerait pas de publier les conditions qu’elle aurait offertes, et alors la responsabilité du ministre serait engagée.

Je viens maintenant à la solvabilité de la maison. Je sais qu’on a trouvé fort étrange que j’aie dit dans mon premier discours que la solvabilité de la maison était assez indifférente ; ce que j’ai dit, je crois l’avoir prouvé, et je le maintiens par les conditions mêmes du cahier des charges de l’emprunt des 23 millions qui a été adjugé le 10 juillet 1823.

Voici les conditions de ce cahier des charges :

« Art. 7. Le dépôt de garantie de chaque soumission ne pourra être moindre que le montant d’un semestre de rentes à vendre, soit fr. 11,557,258. »

Ainsi, vous voyez un dépôt préalable de 2 ½ p.c. Ce dépôt n’a été fixé que 2 ½ p.c. à cause de la grande importance de la somme (il s’agissait de 23 millions de rentes) ; dans d’autres circonstances, on avait toujours fixé le dépôt à 5 p.c.

« Art. 11. dans les dix jours de l’adjudication, la compagnie adjudicataire devra porter le dépôt de garantie à 25 millions. Si le dépôt n’est pas compléter au plus tard dans la journée du 21 juillet, la compagnie adjudicataire encourra la déchéance de plein droit avec perte du premier dépôt, etc.

« Art. 14. La solidarité stipulée dans la soumission modèle A, cessera après le paiement des deux premiers vingtièmes de l’emprunt, le montant de ces deux termes devant être réservé pour la garantie intérieure du trésor royal. »

Vous voyez, messieurs, combien la solidarité des maisons était peu mise en question, puisqu’au troisième versement la maison avec laquelle on contractait se trouvait entièrement dégagée, et que toutes les obligations qu’on avait contractées retombaient sur les porteurs des certificats d’emprunt dont 2/20 restaient toujours entre les mains du gouvernement à titre de garantie. De cette manière, cette garantie avait une force toujours croissante, à tel point qu’au quatrième versement, le gouvernement avait une garantie de 50 p.c.

Si l’on avait fait des conditions semblables lors de l’adjudication du premier emprunt, on ne se serait pas exposé à traiter pour un emprunt avec une maison qui n’était pas solvable, et qui peu de temps après a dû suspendre ses paiements. On n’aurait pas couru ce risque, si on avait commencé par demander à la maison un dépôt de cinq millions ; les caisses des banquiers qui sont sur le point de suspendre leurs paiements ne sont pas bien garnies. Ainsi, quand on est sévère sur les conditions, on est sûr de ne traiter qu’avec des maisons solvables.

On dit que nous courrons les chances de n’avoir pas de concurrence ou d’avoir affaire à une coalition.

Quant au premier point, je vous l’ai déjà dit, je n’ai pas la certitude qu’il y aura concurrence, parce qu’il est impossible d’avoir cette certitude ; on ne l’a pas eue en Angleterre ; on ne l’a pas eue en France, on n’a jamais la certitude de l’avenir ; mais qu’il y aura de très fortes probabilités, c’est ce qui saute aux yeux de tout le monde.

En effet, reportons-nous à tout ce qui se passe autour de nous, parcourons toutes les places de l’Europe, voyons-y les taux des fonds publics, et enquérons-nous des affaires que les banquiers peuvent espérer de faire.

Ni l’Angleterre, ni la France, ni l’Autriche, ni la Prusse, ni enfin aucun des Etats que nous nommons des Etats solides, et qui paient régulièrement leurs dettes, n’aura probablement d’emprunt à faire d’ici quelque temps ; la Belgique seule a un emprunt à faire. Les banquiers qui, il y a deux ou trois ans, s’étaient engagés beaucoup aussi dans les affaires industrielles, dans les chemins de fer, dans les canaux, les exploitations de mines, ont perdu le goût de ces opérations, parce que toutes ces valeurs ne trouvent plus de placement, elles sont repoussées de toutes les places étrangères à celle où elle ont été créées, et elles trouvent à peine des acheteurs sur la place même où elles ont pris naissance.

Eh bien, les banquiers sont toujours avides d’une bonne affaire, quand elle se présente. Or, je pense que notre emprunt, à quelque taux qu’il soit contracté, sera une excellente affaire, parce qu’à mes yeux le crédit de la Belgique est aussi solide que celui d’aucun autre Etat. Je crois donc qu’il y aura pour l’emprunt une concurrence très forte ; elle ne se présentera pas maintenant, parce que les concurrents ne s’affichent pas d’abord, et ce sera seulement le jour même de l’adjudication que vous pourrez connaître le nombre des concurrents.

Messieurs, on a recherché les causes de l’infériorité de nos fonds publics ; on l’a attribuée à un caprice de bourse. Non, messieurs, cette infériorité ne tient pas à un caprice de bourse, cela tient à notre organisation financière, et c’est ce que l’honorable M. Meeus a parfaitement bien développé.

Pourquoi notre 3 p.c. est-il d’autant plus bas que le 3 p.c. français ? Pourquoi notre 4 p.c. n’est-il pas comme le 4 p.c. autrichien, le 4 p.c. français, le 4 p.c. prussien au-dessus du pair ? Pourquoi, parce que nous avons un 5 p.c. qui sert de point de comparaison, un 5 p.c. que vous avez paralysé par votre mode d’amortissement, et qui se trouve incessamment sous la menace d’une conversion. Tant que votre 5 p.c. existera, il est impossible que vos autres fonds publics prennent l’essor que les valeurs similaires ont pris dans les pays voisins.

On a paru craindre une coalition d’intérêts qui s’uniraient pour nuire à l’emprunt. Cela ne me paraît pas à redouter ; il y a très peu d’union entre les grandes maisons de banque ; il existe, au contraire, une très grande rivalité entre elles. Ces maisons, loin de s’entendre, cherchent autant que possible à se cacher l’une à l’autre les opérations qu’elles méditent. Il est bien vrai que quelques maisons se réunissent, mais ces maisons sont habituées à se réunir dans un but commun, lorsqu’il s’agit d’affaires qui sont au-dessus des forces d’une seule maison. C’est ce que nous avons vu à Paris, ce que nous avons vu parmi les plus fortes maisons de France. C’est ainsi qu’on a vu les Hottinguer, les Delessert et d’autres banquiers s’unir pour prendre l’emprunt de 250 millions, parce que, pour une seule de ces maisons, la somme était trop considérable. Ne croyez pas que la maison Rothschild se soit chargée seule de tous ses emprunts. Non, messieurs ; voici comment les choses se sont passées : la maison a ouvert des listes de souscription, et toute sa clientèle venait souscrire, sans connaître encore le prix qu’elle offrirait, parce qu’on avait une si grande confiance dans la sagesse, l’habilité de cette maison, que cette clientèle souscrivait aveuglément à un grand emprunt dont le prix n’était pas encore connu ; et presque jamais une maison seule ne s’est chargée d’une affaire aussi importante.

Eh bien, nous pouvons faire la même chose, et nous verrons des maisons anglaises, des maisons de Paris, et peut-être d’Allemagne s’associer, et nous pourrons avoir une concurrence beaucoup plus forte que celle que nous espérions.

On a paru craindre une autre coalition ; ce serait une coalition d’intérêts qui s’uniraient pour se partager le gâteau, et avoir ainsi l’emprunt à un taux plus bas. Ceci n’est pas à craindre, parce que la somme n’est pas assez forte pour être partagée entre plusieurs compagnies, et celle qui aurait l’emprunt ne serait probablement pas disposée à en céder la moindre part.

On nous a cité ensuite comme une chose très précieuse pour la Belgique un patronage qui effectivement nous a été très utile dans des moments difficiles, mais que nous avons payé assez cher. On a mis tant de prix à ce patronage qu’on a dit que si même une compagnie de banquiers se présentait, et qu’elle offrît 2 p.c. de plus que la maison dont on a parlé, on n’en devrait pas moins donner la préférence à celle-ci. Eh bien, moi, je n’agirais pas ainsi ; au contraire, si j’avais la libre disposition de l’emprunt, et qu’une compagnie de banquiers belges offrît 2 p.c. de moins, je lui donnerai certainement la préférence.

Non, messieurs, le crédit de la Belgique ne dépend pas de tel ou tel patronage ; le crédit d’aucun pays ne dépend d’aucun patronage ; le crédit d’un pays dépend de ses ressources, de l’amour de l’ordre, de l'industrie de ses habitants, de sa bonne administration. Voilà les bases véritables du crédit ; voilà ce qui exerce de l’influence sur le crédit, le patronage n’a de l’influence que sur l’agiotage. Lorsqu’une maison puissante prend un emprunt, à quelque taux que ce soit, elle trouve le moyen d’opérer la hausse, et de la porter jusqu’à 8, 10 même pour cent au-dessus du prix auquel l’emprunt a été adjugé ; elle soutient cette hausse, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé le placement, et dès qu’elle l’a trouvé, elle abandonne la hausse, et provoque quelquefois une réaction de 20 à 30 p.c., ainsi qu’on l’a vu en 1825 pour l’emprunt de Naples, contracté à Londres par la maison dont je parle, emprunt qui avait été négocié au prix de 80 p.c. environ, à ce que je crois, et émis aux bourses d’Anvers et d’Amsterdam au prix de 92 p.c., emprunt qu’on vit retomber ensuite à 60, quand les bénéfices furent réalisés.

Eh bien, le patronage d’une pareille maison ne sera jamais accordé que pour autant qu’il y aura intérêt pour elle à l’accorder, et quand il lui sera plus avantageux de vous le retirer que de vous le conserver, elle ne se fera pas faute de vous le retirer, et peut-être alors vous aurez une chute plus forte que si vous aviez traité avec des banquiers nationaux qui auraient un intérêt plus véritable à soutenir votre crédit.

On nous a dit encore que dans les emprunts qui se sont faits en France, il y a eu une espèce d’échec, et que les ministres n’ont réussi à contracter l’emprunt que parce qu’ils avaient été autorisés à traiter de la main à la main. Ils n’avaient pas été autorisés à traiter de la main à la main, ils étaient obligés de recourir à la publicité et à la concurrence. C’est par suite de cette adjudication même qui avait donné lieu à des offres au-dessous du minimum fixé que, l’adjudication a eu lieu non pas de la main à la main, mais qu’après le refus des offres des concurrents, l’emprunt a été adjugé aux conditions fixées par le ministre lui-même.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Le ministre a dû baisser son minimum.

M. Cogels – C’est une erreur ! voici ce qui est arrivé : En 1831, une coalition de banquiers s’était formé par patriotisme, parce qu’ils voulaient fournir à l’Etat les fonds dont il avait besoin et qu’ils n’étaient pas assez forts pour se charger de l’emprunt isolément. L’offre fut faite à 82. le minimum du ministre était de 84, il refusa l’offre. Aussitôt que la nouvelle se répandit à la bourse, savez-vous quel en fut l’effet désastreux ? C’est que la rente monta de 3 francs. Et le soir même, après la bourse, l’emprunt fut adjugé à toutes les conditions que le ministre avait posées et au prix de 84 francs. On lui en fit un reproche, mais ce reproche n’eut pas de suite, parce qu’on a reconnu qu’il avait agi comme il devait le faire et dans l’intérêt de l’Etat. Voilà les faits tels qu’ils se sont passés, on peut les vérifier par le Moniteur d’alors, et d’autres ouvrages écrits sur la matière. Eh bien, ici, lorsque le ministère recourrait aux même moyens, il aurait les mêmes facilités.

Supposons un emprunt en 3 ou 4 p.c. dont on fixe le minimum à 75 ou 94 et que les offres ne dépassent pas 75 et 92. le ministre dirait : on n’a pas atteint mon minimum, il s’entendrait avec une des compagnies et lui adjugerait au taux auquel il a cru être un prix raisonnable. Ce serait en vertu de la loi, on aurait toujours fait appel à la publicité et à la concurrence. Je crois avoir démontré que ce mode d’adjudication avec publicité et concurrence, comme je veux le restreindre, n’entraîne pas les inconvénients que l’on craint. Mais quels sont les avantages du traité de la main à la main ? Est-ce que ce mode ne présente pas tous les inconvénients de l’autre, sauf un petit échec momentané ? Est-ce que le banquier qui sait qu’il exerce une grande influence sur votre crédit, ne nous fera pas la loi ; est-ce qu’il n’écartera pas les autres maisons ? Certain d’obtenir votre emprunt il fera tous ses efforts pour comprimer votre crédit. Si les renseignements qu’on m’a fournis sont exacts, dans la prévision de l'emprunt que vous aviez à faire, depuis le mois de janvier, la maison Rothschild a fait tout ce qui dépendait d’elle pour comprimer l’élan du 3 p.c. Elle a payé, dit-on, des reports très élevés, toujours elle en a fait offrir aux fins de mois par ses agents de change. Dans quel but agirait-elle ainsi ? pour avoir votre emprunt, elle ne s’est pas trouvé assez puissante pour continuer à exercer cet empire ; les 3 p.c. ont brisé leurs liens, et du taux de 70 auquel ils étaient, ils se sont élevés à 77.

On ne peut pas dominer un fonds malgré la confiance des capitalistes, des spéculateurs. Mais le 3 p.c. n’est pas encore au point où il devrait être et où il pourrait s’élever une fois débarrassé des liens qui le retiennent. Il faut le débarrasser des liens dans lesquels une main puissante avait voulu le retenir.

Est-ce que cette maison, si vous lui accordez l’emprunt, ne vous demandera pas des conditions avantageuses pour elle ? Ne vous obligera-t-elle pas à lui donner un semestre d’intérêt à l’avance, avec commission perte de place, et toutes choses qui rendent l’emprunt fort onéreux ?

Quelle est la conséquence de la concurrence ? C’est que le ministre ne subit pas les conditions, il les impose. Il dit : voilà ma marchandise telle qu’elle est, vous convient-elle ? celui qui offrira le meilleur prix et les meilleures conditions aura l’emprunt. Vous voyez que le ministre impose les conditions au lieu de les subir.

Notez à quoi on s’était exposé, je veux dire : notez quels étaient les avantages de l’emprunt contracté en dernier lieu. Voyez toute l’habilité de la maison avec laquelle on a traité.

Tous ceux qui ont pris connaissance du dernier contrat ont pu voir que, par l’article 9, il est stipulé qu’en cas de guerre prévue la maison contractante avait la faculté de suspendre les paiements des termes non échus, sauf à restituer dans la même proportion les valeurs équivalentes qu’elle avait déjà reçues. La maison avait reçu des titres de l'emprunt à l’avance. Les chances de guerre lui étaient favorables, car elle aurait racheté ces valeurs à vil prix pour en rendre au gouvernement belge.

M. d’Huart – Le gouvernement n’aurait rien perdu.

M. Cogels – Non ; mais la maison aurait gagné. Voilà pourquoi elle a fait ces conditions ; voilà pourquoi, en France, on stipulait qu’on réservait deux termes en dépôt de garantie, qu’ensuite on délivrait au fur et à mesure des versements subséquents, pour ne donner les deux parts réservées en garantie qu’à l’époque du dernier versement où l’opération serait liquidée, et tout le monde libéré de ses engagements.

Messieurs, une autre chose à laquelle il faut faire attention, c’est que si on veut obtenir quelque chose de la concurrence, il faut qu’elle soit réelle, que tout le monde soit convaincu qu’elle ne sera pas illusoire, et que les offres ne seront pas inutiles, par suite d’engagements pris antérieurement. Sous ce rapport, le ministre a donné toutes les garantis désirables. Il a certifié qu’aucun engagement n’était pris. Je suis convaincu qu’il n’en a pas été pris, je le crois sur parole ; mais la même conviction ne règne pas partout, à Londres et à Paris : on répand sur ces places le bruit que l’emprunt est conclu, que ce n’est plus qu’une affaire de forme, qu’on a traité sous main, qu’il ne s’agit que de régulariser la chose. Dans quel intérêt ce bruit est-il répandu ? Chacun de vous peut le concevoir. Le fait existe, je pourrais vous en donner les preuves par ma propre correspondance.

Messieurs, je crois avoir suffisamment établi que le mode d’adjudication avec concurrence et publicité ne présente pas les dangers qu’on suppose. J’ai dit qu’on ne devrait pas suivre servilement ce qui s’est fait en France et en Angleterre ; pourvu qu’on consacre le principe admis par tous les gouvernements constitutionnels, je ne tiendrai pas à ce qu’on passe rigoureusement par toutes les conditions admises en France, si la chambre veut admettre l’interprétation que j’ai donnée aux mots concurrence et publicité.

J’aurai encore à m’occuper du taux de l’intérêt et de l’amortissement, mais je pense qu’il vaut mieux renvoyer mes observations à la discussion des articles auxquels se rapportent ces questions.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – On peut interpréter de différentes manières les mots : publicité et concurrence, insérés dans l’article premier de la section centrale. Je n’ai pas demandé la parole pour parler en ce moment sur le fond de la question, mais pour régulariser et simplifier la discussion, si cela est possible. L’honorable M. Cogels vient de donner aux mots « publicité et concurrence » une interprétation telle que je ne l’avais pas conçue d’abord.

Je demanderai à l’honorable rapporteur de la section centrale de nous dire si la section centrale, dans la manière d’exécuter son article premier, a entendu comprendre l’interprétation que vient de donner M. Cogels, c’est-à-dire si le gouvernement pourrait, en respectant l’esprit de la loi, se borner à faire en sorte qu’on fût instruit sur les principales places de l’Europe que la Belgique veut contracter un emprunt, en désignant le montant de cet emprunt et en faisant connaître, qu’en aucun cas il ne sera contracté avant une époque déterminée, à l’effet de provoquer la concurrence.

Il serait entendu, en interprétant ainsi les mots « publicité et concurrence », qu’il ne s’agit pas du mode des soumissions cachetées ou d’adjudication. Cette manière de procéder, a dit M. Cogels, serait une véritable concurrence, et présenterait toutes les garanties désirables, puisque le gouvernement ne pourrait pas accorder l’emprunt à un concurrent à un taux inférieur à celui qu’un autre concurrent aurait offert, à moins de motifs particuliers qui se rapporteraient au degré de solvabilité ou de puissance que pourrait offrir telle ou telle maison, ou société financière.

Je désire savoir si en effet cette interprétation peut entrer dans la pensée de la section centrale ; car je crois que cela pourrait simplifier singulièrement la discussion.

M. Demonceau, rapporteur – Ce que vient de dire M. le ministre des finances, selon moi, c’est la publicité. La concurrence, selon moi toujours, ne s’établit que lorsqu’il y a concours près du ministère ou près d’une institution de personnes qui viendraient faire leurs offres. Je ne dis pas que l’emprunt doit absolument être adjugé au plus offrant. Mais je veux qu’il y ait réellement concurrence.

M. Dumortier – Il faut que le concours résulte de l’opération.

M. Demonceau – Oui, le concours doit résulter de l’opération qui sera faite par le gouvernement. Mais je ne dis pas qu’il faille adjuger absolument. Le gouvernement peut se réserver d’adjuger, mais alors il y aurait plus de responsabilité pour le gouvernement. Vous avez dit qu’avec la proposition de la section centrale, le gouvernement n’aurait aucune responsabilité. C’est au contraire avec la proposition du gouvernement qu’il n’y aura aucune responsabilité pour lui, du moins d’une responsabilité telle qu’elle est entendue dans un gouvernement représentatif. Je vais donner un exemple que je choisis dans ce qu’a dit l’honorable M. Devaux. Cet honorable membre vous a dit qu’il préférait le 4 ½ p.c. et qu’il ne voulait pas de 3 p.c. Cependant l’honorable M. d’Huart, à qui la section centrale de 1838 avait donné le conseil, qui est l’idée dominante de l’honorable M. Devaux, mais avec la faculté de choisir ce qu’il trouverait bon, a donné la préférence au 3 p.c. L’honorable M. Devaux le blâme donc, mais quelle espèce de blâme ? Qu’on s’explique.

M. Devaux – S’il a bien fait ; non.

M. Demonceau – Vous trouvez sans doute qu’il a mal fait, puisque vous ne voulez pas de 3 p.c.

Je vous proposerai une véritable concurrence qui peut être considérée comme une transaction. Je ne veux pas entraver le gouvernement. Mais je veux ce qui est selon moi de l'essence du gouvernement représentatif ; je veux que le gouvernement fasse l’emprunt avec publicité et concurrence. Je citerai une circonstance où le gouvernement français a eu recours à la publicité et à la concurrence telles que je voudrais la voir au moins tenter. La loi ne contenait que ces mots : « Le gouvernement est autorisé à ouvrir un emprunt. » Le gouvernement veut-il exécuter la loi dont nous nous occupons, ainsi que la loi dont je viens de parler a été exécutée en France ? Pour ce cas, je vous dirai ce qui a été fait en France. Voici ce que le comte Corvetto, ministre des finances de France, a fait après la publication de cette loi.

« Le ministre secrétaire d’état ayant le département des finances prévient le public qu’aussitôt que la loi du budget aura obtenu la sanction du Roi, il traitera de 14,600,000 de rentes pour les besoins de l'armée ; en conséquence le trésor est prêt à recevoir dès à présent la soumission des personnes qui se trouveraient disposées à traiter de ces rentes, et ce aux conditions suivantes :

« Chaque soumissionnaire devra être résidant à Paris ou y avoir un représentant ;

« Les soumissionnaires devront offrir par eux-mêmes ou par leur représentant une garantie suffisante ;

« Il ne sera admis aucune soumission pour moins de cinq mille francs de rente ;

« Aucune soumission ne sera reçue plus tard que le mercredi vingt-sept mai. »

Suivent le modèle des soumissions avec annonce du ministre qu’il fera connaître, le prix de la vente et la détermination qui aura été prise sur chacune des soumissions ; comment doivent s’effectuer les versements, etc.

Voilà toutes les conditions. Eh bien, il y eut souscription ; un avis ultérieur annonça que le ministre avait choisi le chiffre de 66 francs 50 centimes. La souscription fut telle que le gouvernement dut prendre la résolution d’écarter les souscripteurs étrangers. Car antérieurement à cette souscription, la France avait dû subir la loi des prêteurs étrangers.

On me fait observer que la concurrence peut exclure la souscription. Pour moi, je dis qu’on peut ouvrir une souscription et établir la concurrence. Je le prouve par l’exemple suivant : Je déclare au public que je donnerai 100 francs à l’intérêt de 4 p.c. ou de 3 p.c. à ceux qui m’offriront le cours le plus avantageux de 70 à 80. N’y a-t-il pas là concurrence et souscription ? Tout le monde peut souscrire, les uns offriront 71, les autres 74, d’autres 80 ; ces derniers auront la préférence. Au reste, je le déclare hautement, alors que je vois qu’on ne veut pas d’une mesure essentiellement constitutionnelle et utile au pays, et qu’on signale beaucoup d’inconvénients à cette mesure sans rien proposer à la place, ce n’est pas de notre part qu’il y a opposition, mais de la part de ceux qui ne veulent pas de ce que nous proposons.

M. de Brouckere – Pour que nous puissions continuer la discussion, il faut d’abord que nous nous entendions. On vient de faire une interpellation à M. le rapporteur de la section centrale, il a répondu de telle manière que je ne comprends plus ce qui est en discussion ; c’est pour le savoir que j’ai demandé la parole, et je m’adresse à M. le ministre des finances et à M. le rapporteur de la section centrale afin que le point de la discussion soit bien fixé. On dit qu’il s’agit de savoir s’il y aura concurrence et publicité, mais nous voulons tous la concurrence et la publicité, la question n’est donc pas là : la question est de savoir si l’on veut imposer au gouvernement l’obligation d’adjuger l’emprunt à ceux qui auront offert les conditions les plus avantageuses.

Pour me tenir dans les chiffres indiqués par M. le rapporteur, je suppose que les uns soumissionnent l’emprunt à 71, les autres à 74, d’autres enfin à 80, le gouvernement sera-t-il tenu d’adjuger l’emprunt à ces derniers, ou bien le gouvernement, après avoir examiné toutes les offres, trouvant qu’elles ne sont pas satisfaisantes, sera-t-il maître de ne pas adjuger l’emprunt à ceux qui ont fait les offres les plus avantageuses et pourra-t-il adjuger l’emprunt à une maison quelconque à un taux plus avantageux ? En un mot, je demande si on permettra au gouvernement de faire ce qu’a fait le gouvernement français dans le cas cité par l’honorable M. Cogels.

Si l’opinion de la section centrale était ainsi entendue, je crois qu’elle trouverait beaucoup plus de partisan que si on l’entendait en ce sens que le gouvernement serait tenu à une adjudication, et tenu de donner au plus offrant.

(Moniteur n°163 du 11 juin 1840) M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) –Messieurs, j’avoue avec l’honorable préopinant que les explications du rapporteur de la section centrale ne m’ont pas frappé par leur clarté. D’après les explications de l’honorable rapporteur, il ne voudrait gêner en rien la marche du gouvernement, il ne voudrait lui imposer aucun lien ; et d’un autre côté, si j’ai bien compris ces mêmes explications, la publicité et la concurrence ne seraient rien autre chose qu’une adjudication, par laquelle le gouvernement serait tenu de donner l’emprunt à celui qui ferait l’offre la plus basse. Dans ces circonstances, je demanderai à M. le rapporteur, ou plutôt aux membres de la section centrale, si le but de sa proposition est d’imposer au gouvernement un seul mode d’arriver à la réalisation de l’emprunt, c’est-à-dire, s’il y a pour le gouvernement obligation de faire un appel à tous les concurrents et d’adjuger à celui qui fera les meilleurs conditions.

Est-ce ainsi que la section centrale entend les mots publicité et concurrence ? ou bien , entend-elle le concours de plusieurs soumissionnaires auxquels le gouvernement fera un appel sans être tenu de donner l’emprunt à celui qui fera la soumission la plus acceptable ?

Il importe que l’on soit fixé sur cette question ; il ne faut pas que la section centrale donne des problèmes à résoudre au gouvernement ; il faut que tout soit net et précis dans ces questions.

Veut-on s’écarter, en ce qui concerne l’emprunt, du mode que l’on suit pour les travaux publics ?

Plusieurs membres – Non ! non !

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Alors vos explications ont fort mal expliqué les dispositions de l’article premier.

Dans les travaux publics, voici ce qui se passe. Lorsqu’il y a un travail de quelque importance à adjuger, on annonce par la voie des journaux, que tel jour, en tel lieu, on recevra les soumissions d’après tel cahier des charges ; et le gouvernement donne la préférence, non pas toujours à celui qui fait l’offre la plus basse, mais à celui qui présente le plus de garanties.

Le gouvernement est-il tenu d’adjuger, dans ces sortes d’opération, à un soumissionnaire quelconque ? Non, messieurs, et le gouvernement se réserve encore de donner le travail de la main à la main.

Ainsi, lors des premiers travaux du chemin de fer, j’ai fait un appel à tous les fournisseurs de rails ; il se présenta plusieurs soumissionnaires, mais ils s’entendaient ; et pour mieux déguiser leur intelligence, ils soumirent à des prix différents : La coalition était un peu masquée ; mais bien qu’il y eût des prix différents, ces prix étaient tous convenus à l’avance et tous désavantageux ; la fourniture des rails ne fut adjugée à personne ; et quelques jours après, le gouvernement s’adressa à l’un d’eux, et il traita de la main à la main. Je demande si ce mode qui a été avantageux dans le cas que je cite, pourrait être suivi pour l’emprunt ?

Le gouvernement, après avoir ouvert une soumission, a-t-il encore la faculté de traiter de la main à la main ; lorsqu’il voit qu’il n’y a pas d’avantage à adjuger aux soumissions cachetées, peut-il se dispenser de conclure ? Tels sont les points sur lesquels nous avons besoin d’être éclairés, sur lesquels nous avons droit de l’être.

Messieurs, remarquez bien que je ne repousse pas le mode proposé ; il a un bon côté ; mais son mauvais côté, c’est d’être unique, exclusif.

J’ai supposé le cas où il se présenterait des soumissionnaires, mais s’il ne s’en présentait pas au jour et à l’heure indiqués, que ferait-on ?

Un honorable préopinant a conseillé d’agir ainsi : Vous direz, voilà notre marchandise ; en voulez-vous, oui ou non ; soit ; mais si l’on répond : non ; que fera-t-on ?

Il faut bien que le gouvernement emprunte ; mais que fera-t-il si vous ne lui donnez qu’une mode d’opérer ? il sera obligé de se représenter devant vous pour vous demander l’autorisation de procéder selon un autre mode.

Messieurs, je demande que la loi soit nette et précise ; que si M. le rapporteur de la section centrale entend la chambre comme je viens de l’indiquer, je demanderai qu’il formule plus clairement sa pensée.

(Moniteur n°162 du 10 juin 1840) M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’interpellation que j’ai faite était extrêmement simple. Il faut s’entendre sur le sens des mots « publicité et concurrence » ; impliquent-ils qu’il y aura nécessairement soumission cachetée, ou adjudication ? C’est là ce que j’ai demandé à l’honorable rapporteur de la section centrale, et je renouvelle la même demande en exprimant le désir que la discussions e renferme dans cette seule question, quant à présent.

M. Nothomb – Comme j’ai seul, à la section centrale, combattu, non le principe de la publicité et de la concurrence, mais l’insertion d’une clause absolue, impérative dans le texte législatif, je tiens à donner quelques explications à la chambre. Je ne veux chercher qu’à poser la question.

Y a-t-il deux opinions extrêmes en présence : l’une d’après laquelle l’emprunt devrait nécessairement se faire par adjudication publique avec concurrence et publicité ; l’autre, d’après laquelle l’emprunt ne se ferait dans aucun cas, en aucune manière par concurrence et publicité ?

M. le rapporteur, vous venez de l’entendre, dit que le projet de la section centrale ne peut être compris d’une manière rigoureuse dans le sens de la première opinion ; d’un autre côté, le gouvernement ne dit pas que son intention, est de ne pas essayer du mode de la publicité et de la concurrence ; il entend essayer de ce mode, mais sans que la ressource des autres modes lui soit fermé. Il y a donc une opinion juste au milieu, une opinion intermédiaire ; il est possible même que nous nous arrêtions tous à cette opinion. Dès lors le débat serait sans objet. Peut-on formuler cette opinion dans la loi ? Je ne le pense pas. Il faut prendre acte de la déclaration du ministère ; c’est d’après cette déclaration que la loi doit être exécutée.

La publicité et la concurrence c’est la règle ; le marché de la main à la main est l’exception. (Assentiment.)

Je souhaite que le gouvernement puisse rester dans le droit commun ; s’il en sort, pour traiter, dans le mode exceptionnel, il faut qu’il prouve que les circonstances lui en ont fait une nécessité.

M. Dumortier – C’est comme membre de la section centrale que je parlerai, et comme membre de la majorité de la section centrale. On fait des interpellations ; il faut y répondre, et la question n’est pas aussi embrouillée qu’on paraît le croire. Le ministre demande ce qu’on doit entendre par publicité et concurrence ; nous pourrions répondre qu’il savait ce que signifiaient ces expressions en 1833, puisqu’alors il les avait introduites dans un projet de loi d’emprunt. Par la publicité, il faut publier à l’avance les conditions de l’emprunt ; par la concurrence, on ne peut donner l’emprunt de la main à la main.

Maintenant, on dira que vous excluez par là la possibilité d’adjuger l’emprunt de la main à la main, si le gouvernement ne trouvait pas les conditions assez favorables. Je dis, moi, que si le gouvernement s’aperçoit qu’il y a une coalition dont l’intérêt public puisse souffrir, il prendra les mesures nécessaires pour déjouer une semblable intrigue, et lorsqu’il se présentera ensuite devant les chambres et qu’il rendra compte de sa conduit, il ne recevra que des remerciements pour ce qu’il aura fait.

Des voix – Vous voulez donc qu’il puisse sortir de la loi !

M. Dumortier – Nous avons vu dans maintes circonstances le gouvernement sortir de la loi et lorsqu’il l’a fait dans l’intérêt du pays, personne n’a jamais songé à le critiquer.

M. de Brouckere – Mais vous invitez le gouvernement à violer la loi !

M. Dumortier – Je n’ai rien dit de semblable. J’ai dit que lorsque le gouvernement aura établi la publicité et la concurrence comme base de son système, s’il venait à être démontré (ce qui, certes, ne le sera jamais) qu’il est impossible d’obtenir des conditions favorables au moyen de la publicité et de la concurrence, j’ai dit que dans ce cas le gouvernement pourrait adjuger l’emprunt de la main à la main, et que lorsqu’il se présenterait ensuite à la législature pour expliquer les motifs qui l’auraient fait agir de la sorte, il ne recevrait que des remerciements pour les mesures qu’il aurait prises dans l’intérêt du pays.

Je sais bien que de semblables circonstances ne se présenteront pas, mais c’est vous qui les supposez, c’est vous qui vous placez dans l’absurde ; eh bien, je vous suis sur le terrain où vous m’entraînez et je dis que si les circonstances étaient telles que le gouvernement dût sortir de la loi pour sauver le pays, il obtiendrait l’assentiment de la législature pour l’avoir fait. Il n’y a pas de meilleure preuve de ce que j’avance que ce qui s’est passé relativement à la conversion du 3 p.c. en 4 p.c. ; j’ai entendu alors beaucoup de membres de l’assemblée dire que l’opération pêchait un peu sous le rapport de la légalité (et l’on pouvait soutenir cette thèse), mais il n’était dans la pensée de personne de blâmer le gouvernement de ce chef, parce qu’il était évident que le trésor public avait gagné considérablement à l’opération. Cela prouve, messieurs, que même en admettant l’opinion extrême que l’on met en avant pour combattre la proposition de la section centrale, les intérêts publics peuvent toujours rester saufs avec cette proposition.

N’avez-vous pas, d’ailleurs, le moyen des souscriptions ? Y a-t-il rien de plus facile que d’ouvrir une souscription avec publicité et concurrence ? Je suppose que vous veilliez émettre du 4 ½ p.c., à 98 par exemple ; qu’est-ce qui s’oppose à ce que vous disiez : celui qui offrira 98 1/8, 98 ¼ ou plus, obtiendra la préférence ?

Vous voyez donc, messieurs, que les modes d’émettre un emprunt varient à l’infini. Ils varient suivant le temps, les lieux et les circonstances, mais ce que la section centrale n’a point voulu, c’est qu’on pût conclure l’emprunt de la main à la main et je le déclare formellement pour mon compte, je m’opposerai de tous mes moyens à ce qu’une semblable faculté soit donnée au gouvernement.

Je sais bien qu’on a pu, dans des circonstances critiques, ne point admettre le système que la section centrale propose aujourd’hui, mais la Belgique est entrée dans l’ordre normal et il faut nécessairement que la législation des emprunts rentre également dans l’ordre normal dans lequel elle se trouve dans tous les pays constitutionnels.

M. le ministre des finances a demandé si nous admettons l’interprétation de l'honorable M. Cogels ; je dirai que cette interprétation ne concerne que la publicité, mais qu’elle ne se rattache en rien à la concurrence.

M. Cogels – Je crois m’apercevoir, messieurs, que l’on n’a pas bien compris mes intentions, que l’on a confondu plus ou moins la souscription publique avec l’adjudication avec publicité et concurrence. Il y a dans la publicité et la concurrence un principe, mais ce principe peut être appliqué de différentes manières, et, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire, ce principe a été d’abord consacré par la loi française et le mode de l'appliquer a été réglé par un arrêté ministériel. J’ai dit que nous ne devons pas suivre servilement ce qui s’est passé en France, qu’il faut seulement qu’il y ait publicité et concurrence. J’ai entendu par la publicité, que M. le ministre fixât les conditions de son emprunt, qu’il annonçât qu’un emprunt est en adjudication et qu’il est prêt à recevoir des offres à cet égard. Maintenant, il peut fixer un terme pour la réception de ces offres, et après cela s’adresser aux banquiers ou aux compagnies qui ont fait les offres les plus favorables, sans que pour cela il y ait adjudication publique avec minimum cacheté, sans que l’on doive suivre un mode d’après lequel il faille se décider immédiatement. De cette manière toutes les considérations de la publicité et de la concurrence sont remplies, et de cette manière le banquier que l’on suppose favorable ne se retirera pas, mais il y en aura peut-être d’autres qui proposeront des conditions encore beaucoup plus favorables.

Ainsi que je l’ai dit, je ne veux pas exclure la souscription publique, si le ministre juge favorable de ne pas faire l’emprunt en une seule fois, s’il veut commencer par émettre 20 ou 25 millions, je crois que le mode de souscription publique offrirait beaucoup d’avantages.

D’après ces considérations, j’aurai l’honneur, messieurs, de vous proposer un amendement.

D’après cette proposition, vous voyez, messieurs, que les mots « publicité et concurrence » n’auraient pas le moindre danger ; ils ne renferment pas le gouvernement dans des limites aussi étroites qu’il le pense, car ma proposition lui laisse la liberté la plus large ; elle ne lui enlève qu’une seule faculté, c’est celle d’adjuger l’emprunt à un banquier ou à une compagnie qui aurait fait des offres moins avantageuses que d’autres banquiers ou d’autres compagnies, offrant toutes les garanties exigées.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je demande la parole pour mettre fin à cet incident. J’ai demandé si par les mots « publicité et concurrence » on entendait qu’il dût y avoir adjudication par soumissions cachetées. Eh bien, d’après les explications qui ont été données, c’est cela que l’on veut.

M. Cogels – Il faut qu’il y ait des propositions, cachetées ou non.

M. Demonceau, rapporteur – Voici, messieurs, quelle était la position de la section centrale, elle a vu que le gouvernement voulait avoir le droit de conclure l’emprunt de la main à la main. C’est là sa pensée et cette pensée a dominé toute la discussion (Réclamation au banc des ministres). C’était sa pensée, c’était la pensée de la loi. J’ai dit à M. le ministre : « Il y a différentes modes de concurrence, je ne puis vous en indiquer aucun ; je m’aperçois que vous voulez avoir le droit de contracter de la main à la main, et c’est ce que je ne puis admettre ; indiquez-nous un mode quelconque dans lequel il y ait publicité et concurrence réelles, et je ferai tous mes efforts pour que la section centrale adopte ce mode. »

Je suis allé plus loin, messieurs, la section centrale avait arrêté définitivement son travail, ses membres avaient quitté Bruxelles, j’avais le procès-verbal qui m’imposait l’obligation de suivre la volonté de la majorité ; eh bien, j’ai écrit à notre honorable président que je suspendrais toute espèce de travail définitif jusqu’à ce qu’il m’eût répondu sur la question que j’avais faite au ministère ; M. le président crut que j’avais agi avec prudence, et M. le ministre des finances fut de nouveau entendu avant que mon travail ne fût arrêté définitivement. Je me rappelle parfaitement que, dans cette séance, l’honorable M. Dumortier cita à M. le ministre des finances 5 ou 6 modes différents de contracter l’emprunt avec concurrence et publicité. M. le ministre s’exprima de manière à ne me laisser aucun doute sur ses intentions d’alors, cependant tout ce que nous voulions, c’est qu’il y eût concurrence et publicité quelconque, que le gouvernement, après avoir appelé la concurrence fasse les choses comme il l’entendra, mais alors il sera responsable, alors il faudra, s’il est écarté du système de la concurrence et de la publicité après y avoir sérieusement recours, qu’il rende compte des motifs qui l’ont fait agir de cette manière. Dans tous les cas, donner au gouvernement un pouvoir illimité de faire faire tout ce qu’il veut, c’est ce à quoi je ne consentirais jamais.

M. Pirson – Il me semble, messieurs, que vous êtes tous d’accord, et qu’un seul mot rendra notre idée à tous. Voici la rédaction que j’aurai l’honneur de vous proposer :

« Le gouvernement est autoriser à contracter avec publicité et concurrence préalables un emprunt, en une ou plusieurs fois, jusqu’à concurrence d’un capital effectif de … »

M. le rapporteur veut qu’il y ait publicité et concurrence, mais il laisse au ministère le choix du mode d’appliquer cette concurrence et cette publicité. M. le rapporteur a bien fait entendre que si les résultats obtenus par la concurrence et la publicité ne sont pas avantageux, il pourra être suivi un autre mode. Je pense que mon amendement rend parfaitement cette idée.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, pour répondre à l’interpellation de l’honorable rapporteur de la section centrale, je dirai en premier lieu que j’ai déjà plusieurs fois déclaré dans cette chambre, ainsi que dans le sein de la section centrale, que le mode que je jugeai préférable à tout autre, c’était celui de la publicité et de la concurrence. J’ai dit encore que c’était celui qu’il était désirable d’employer ; mais j’ai ajouté que je trouvais du danger à imposer ce mode au gouvernement par la loi ; voilà toute ma pensée, elle n’est pas autre, et personne autre que moi ne peut l’interpréter.

Il est vrai qu’on prétend donner toute latitude au gouvernement pour la publicité et la concurrence ; on donne toute latitude au gouvernement, mais tous les modes reviennent toujours au même, c’est-à-dire à une soumission ou bien à une souscription publique avec surenchère. Or, qui voudra souscrire le premier ? Une pareille souscription n’aurait pas le moindre succès.

On a dit encore que le gouvernement pouvait établir des soumissions pour des fractions d’emprunt ; amis il faudra toujours employer le même mode, il y aura toujours une sorte d’adjudication. Eh bien, imposer ce mode au gouvernement, ce serait le mettre dans le cas d’agir contre les véritables intérêts du pays dans certaines éventualités.

M. Trentesaux – Messieurs, je suis vraiment étonné de ce long débat sur la valeur de ces deux mots « publicité » et « concurrence. » Il n’y a rien au mode de plus logique que les langues ? Eh bien, voulez-vous connaître la valeur de ces deux mots ? Un excellent procédé pour cela, c’est de considérer par les yeux de l’esprit l’idée opposée à ces deux mots.

Or, quelle est l’idée opposée à la publicité ? c’est la clandestinité. Quelle est l’idée opposée à la concurrence ? c’est l’unité. Ainsi, lorsqu’on dit que le gouvernement traitera avec concurrence, on exclut l’idée opposée d’unité ; lorsqu’on dit que le gouvernement traitera avec publicité, cette limite est exclusive de la clandestinité ; c’est-à-dire que le gouvernement ne pourra traité ni clam ou sous le manteau de la cheminée, ni avec un seul.

Ainsi les deux mots « concurrence » et « publicité » ne font autre chose qu’exclure ces deux idées-ci : que vous traiterez ni en secret, ni avec une seule personne ; vous avez toute latitude sur le reste, on ne vous impose pas d’autres limites. Vous avez le champ libre, sans que vous excluiez ces deux idées de clandestinité et d’unité.

Je ne conçois pas comment on peut procéder autrement ; la chambre se débat contre une chimère.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, si la question était aussi claire pour tout le monde qu’elle l’est pour l’honorable M. Trentesaux, je crois que cette discussion serait terminée depuis longtemps ; mais malheureusement il n’y a presque personne dans cette chambre qui entende la concurrence et la publicité comme l’honorable M. Trentesaux. L’honorable M. Dumortier ne l’entend pas ainsi, non plus que l’honorable M. Cogels. Je vais le prouver en quelques mots.

L’honorable M. Dumortier entend si peu la publicité et la concurrence dans ce sens que, répondant à l’hypothèse dans laquelle M. le ministre des finances s’est un instant placé, à l’hypothèse d’une souscription qui serait le résultat d’une coalition, à l’hypothèse d’un chiffre qui serait évidemment désavantageux au trésor public, il a dit que dans ce cas le gouvernement serait autorisé à se mettre au-dessus de la loi et à adjuger de la main à la main, sauf à rendre plus tard compte de sa conduite à la chambre qui ne manquerait pas de lui accorder un bill d’indemnité. Ainsi, ce qui est très clair pour l’honorable M. Trentesaux, n’est pas clair du tout pour l’honorable M. Dumortier.

Et rappelez-vous, messieurs, que, lorsque le ministre des travaux publics vous a cité l’exemple des adjudications de la main à la main faites après le refus de consacrer une adjudication qui était l’œuvre d’une coalition ; lorsqu’il a demandé si dans ce cas, l’emprunt pourrait être adjugé de la même manière que les grands travaux publics, tout le monde a répondu ; Oui, sans doute ; vous voyez donc que personne n’entend la publicité et la concurrence d’une manière aussi absolue que l’honorable M. Trentesaux.

L’honorable M. Cogels ne l’entend pas ainsi non plus. Il a dit d’abord qu’il croyait que l’exécution du mode de concurrence et de publicité était possible, mais qu’il n’oserait pas la garantir ; qu’il avait la probabilité pour lui, mais pas de certitude. Or, ce n’est pas sur des chances probables quelconques qu’on peut jouer le crédit national, l’honneur du pays sous le rapport financier.

La preuve que l’honorable M. Cogels n’entend pas la concurrence et la publicité comme l’honorable M. Trentesaux, c’est qu’il consentirait à assimiler la position du ministre des finances belges à celle du ministre des finances français en 1831, lorsqu’il s’est agi de l’emprunt des 120 millions. Qu’est-il alors arrivé ? le gouvernement avait résolu de n’adjuger l’emprunt qu’à 84 ; il a été fait des offres dont la plus élevé a atteint le chiffre de 82 francs 10 centimes ; si le gouvernement français avait été restreint dans les limites de la loi telle qu’elle est formulée par la section centrale, il devait adjuger à 82 francs 10 centimes, ou ne pas adjuger du tout. Je vous défie de sortir de cette alternative. S’il a adjugé depuis à 84 francs, c’est qu’il a répudié l’adjudication pour traiter de la main à la main.

Vous voyez donc, messieurs, que chacun prône ici, en théorie, la concurrence et la publicité ; mais quand il s’agit de passer à l’application il y a en quelque sorte autant de systèmes que d’orateurs. L’on ne s’entend pas. Nous, nous avons présenté un système souple, conforme à ceux qui ont été présentés antérieurement, par les honorables MM. Coghen et d’Huart ; nous attendons qu’on formule quelque chose de raisonnable, de pratique, avant de nous livrer à une discussion sérieuse, avant, surtout, de nous y rallier dans cet esprit de conciliation qui n’a cessé de nous animer.

M. Cogels – M. le ministre des affaires étrangères m’a mal compris, car loin de vouloir refuser au gouvernement la faculté qu’avait le ministre des finances français, j’ai voulu lui laisser une plus grande latitude encore. La preuve, c’est que le ministre des finances en France a agi en vertu d’une disposition plus sévère que celle que nous proposons, car dans la disposition française il ne s’agissait pas simplement de concurrence et de publicité, mais le mode de cette concurrence y était même déterminé, nous demandons seulement qu’il y ait concurrence et publicité.

(Moniteur n°163 du 11 juin 1840) M. Meeus – Messieurs, je déclare que, pour ma part, je n’ai rien compris à l’incident qui a été soulevé. Comme l’a fort bien dit M. le ministre des affaires étrangères, chacun peut entendre par les mots de concurrence et de publicité ce qu’il veut d’après son système. Or, si quelqu’un veut définir ces mots dans un sens déterminé, s’il entend par là l’adjudication, qu’il présente un amendement, et qu’il dise : « Il y aura adjudication. » Mais, si l’on ne dit rien, et que les mots publicité et concurrence soient dans la loi contre l’opinion du gouvernement, eh bien, il en résultera que le gouvernement usera de ces mots pour établir la concurrence de la manière qu’il croira la plus convenable aux intérêts du trésor ; mais de quelle manière ? … Nous ne le savons pas ; quel mode il emploiera pour établir la publicité ? Nous l’ignorons également ; car il y a des moyens de concurrence autre que l’adjudication publique, comme il y a différents mode de publicité. M. Cogels, par exemple, consent à ne pas exiger la concurrence par adjudication publique, puisqu’il vous a dit que M. le ministre des finances pourra publier un cahier des charges, et informera le public qu’il recevra jusqu’à une époque quelconque les soumissions des capitalistes. Eh bien, ce mode n’est certainement pas celui qui a été employé en France par les différents ministres que l’honorable membre a cités.

Vous voyez donc que ces mots « publicité » et surtout « concurrence », peuvent s’entendre de différentes manières. Chacun peut bâtir un système sur ces mots, suivant sa manière de les entendre. Le gouvernement, si ces mots sont admis, en fera l’application qu’il jugera nécessaire. Si on veut entendre par ces mots : qu’il y aura une adjudication, il faut le dire, et le dire dans la loi.

M. Rodenbach – Personne ne les entend comme cela.

M. Meeus – Alors nous n’avons plus qu’à discuter le fond de la question, comme a commencé à le faire l’honorable M. Cogels. C’est pour entrer dans le fond de la question que j’avais demandé la parole, et dans la discussion du fond, après les différentes manières d’envisager la concurrence venaient naturellement se placer les objections à ce que le gouvernement employât tel mode ou tel mode, parce que, dans l’opinion de certains membres, tel mode compromettrait le crédit public, qui, suivant d’autres lui serait très avantageux.

Puisqu’on est d’accord maintenant, messieurs, vous me permettrez donc d’entrer dans le fond de la question.

M. le président – Puisqu’on va rentrer dans l’état normal de la question, je vais donner connaissance à la chambre des propositions faites :

M. Cogels propose de rédiger ainsi l’article : « Le gouvernement est autorisé à emprunter, en une ou plusieurs fois, avec publicité et concurrence, ou par souscription ouverte au public, etc. »

M. Dumortier propose de rédiger ainsi le premier paragraphe de l’article : « Le gouvernement est autorisé à emprunter en une ou plusieurs fois, jusqu’à concurrence du capital effectif de … La négociation aura lieu avec publicité et concurrence par souscription. »

M. Pirson propose de rédiger le premier paragraphe de la manière suivante : « Le gouvernement est autorisé à emprunter en une ou plusieurs fois, avec publicité et concurrence préalables, etc. »

La parole est continuée à M. Meeus.

M. Meeus – Messieurs, la discussion de ces amendements rentre naturellement dans le fond de la question, puisqu’ils ne sont pas autre chose que la production de ce que je viens de vous dire, des différentes manières d’apprécier les mots « publicité et concurrence. » Pour ma part, messieurs, je m’oppose à ce que les mots « publicité et concurrence » soient insérés dans la loi. Il me suffit que le ministre dise qu’il emploiera ce mode de la manière dont il l’entend, s’il le juge convenable aux intérêts du pays. Mais je ne veux pas lui forcer la main et le priver d’un moyen qui pourrait être beaucoup plus utile aux intérêts du trésor.

Dans les lois antérieures, vous n’avez pas mis ces mots : « publicité et concurrence. » Cela n’empêche pas que le ministre des finances, en 1836, l’honorable M. d’Huart, ; ait fait de la concurrence, et, par conséquent, de la publicité, et cette concurrence s’est produite en souscription. Vous voyez donc bien que quand le gouvernement peut avoir recours au moyen que vous indiquez, il a soin de le faire. Mais c’est précisément parce que le gouvernement l’a fait, parce que j’en ai reconnu, pour ma part, les inconvénients, que je suis obligé d’insister de tout mon pouvoir pour que le gouvernement ne soit pas lié à cet égard, convaincu que je le suis que le gouvernement usera de ce moyen s’il trouve qu’il y a opportunité d’en user.

Messieurs, ainsi que je l’ai dit dans une autre séance, on établit constamment des comparaisons qui n’ont pas de portée : on cite constamment ce que fait la France, ce que fait l’Angleterre. Mais, comme je l’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, la France et l’Angleterre n’empruntent pas à l’étranger. La France et l’Angleterre, comme d’autres pays encore, empruntent chez elles.

Faites bien attention, messieurs, à cette différence immense. Je vais répondre à une observation de M. Devaux, car c’est sur une observation de cet honorable membre, que j’ai demandé la parole. L’honorable M. Devaux disait : pour moi je préfère les 4 ½ p.c., car enfin c’était mon opinion en 1838 et c’était celle de la section centrale.

Il a ajouté : « car je ne m’explique pas cette différence qui existe entre le 3 pour cent belge et le 3 p.c. français ; c’est un caprice de bourse ! »

Pourquoi les 3 p.c. belges diffèrent-ils ainsi de 10 p.c. des 3 p.c. français ? M. Cogels s’est chargé de répondre à une partie de l’observation de l'honorable membre, mais il n’y a pas répondu de la manière que je crois essentiel de le faire. Il y a autre chose que le 5 p.c. qui fait obstacle à ce que les fonds 3 p.c. belges s’élèvent au taux des 3 p.c. français. Ce n’est pas un caprice de bourse ; croyez bien que le crédit national des différents pays s’établit autrement que par un caprice de bourse ; c’est par la manière dont on conduit les finances, dont on fait les différents placements, à raison des mesures sages et prudentes que l’on prend pour placer le fonds national.

Je demanderai à mon tour comment il se fait que les 3 p.c. anglais ont présenté si longtemps une différence de 10 à 15 p.c.. avec les fonds français. Pourquoi ? je vais vous le dire. C’est parce que la dette anglaise se trouve aujourd’hui tellement répartie entre les différents petits rentiers anglais qu’on peut assimiler à peu près la rente anglaise à une caisse d’épargne. Tout Anglais, pour ainsi dire, est intéressé dans la rente anglaise ; si quelqu’un en sort, immédiatement, deux y rentrent.

Voilà ce qui fait la force du cours de la dette anglaise, c’est ainsi qu’il est raisonnable de l’assimiler à une caisse d’épargne ; voilà pourquoi, naguère, quand la banque d’Angleterre s’est trouvée dans une crise imminente, le taux des fonds anglais n’a pas fléchi pour cela ; pas plus que s’il y avait crise en Belgique, vous ne verriez celui qui a de l’argent à la caisse d’épargne, le retirer. Si l’on retire ses fonds, deux en rapportent. C’est que le placement de la rente anglaise est parfaitement fait.

En France, cela n’était pas ainsi surtout il y a 12 ou 15 ans. Mais la France marche. C’est pour cela que vous voyez ses fonds s’élever constamment. La Belgique atteindra un jour, par son crédit, non seulement le taux des fonds français, mais j’oserais presque prédire le taux des fonds anglais par suite des sages mesures que vous prendrez, et avec le temps ; avec le temps, parce que la Belgique a peu de capitaux flottants. Mais la Belgique est une nation laborieuse, industrieuse, ayant les véritables richesses qu’on dit désirer chez une nation, les richesses agricoles, les richesses métallurgiques ; richesses qui, par leur nature, se répandent dans une infinité de maisons ; et c’est ce qui fait que vous ne rencontrez pas de pauvres dans les campagnes pas plus que dans les districts métallurgiques.

Tous les ans la Belgique peut, à l’aide de ses produits, faire des économies, et à la longue, elle fera rentrer en Belgique des obligations qu’elle doit placer actuellement à l’étranger.

Aujourd’hui, en présence du 5 p.c., qui est là comme un épouvantail, vouloir que le 3 p.c. belge atteigne immédiatement le taux du 3 p.c. français, alors que vous ne prenez pas les mesures que j’ai indiquées, c’est vouloir l’impossible. Quand la Belgique aura, par ses économies, fait rentrer sa dette dans le pays, quand elle se paiera sa dette à elle-même, vous verrez les fonds nationaux monter à un taux très élevé ; mais, encore une fois, il faut pour cela du temps ; car on se trompe singulièrement sur la partie de nos fonds qui existe en Belgique.

L’honorable M. Cogels, répondant à ce que j’ai dit, s’est exprimé ainsi : « M. Meeus a dit que si une compagnie belge se présentait, offrant 1 p.c. de plus qu’un grand capitaliste étranger, et qu’il fût ministre des finances, il donnerait la préférence au capitaliste étranger. »

Oui, j’ai dit cela, et je maintiens mon assertion, parce que je suis convaincu que si des capitalistes belges prenaient l’emprunt, notre crédit, au lieu de prendre un essor convenable, s’arrêterait ; et je ne crois pas devoir vous citer d’autre exemple que celui du 4 p.c. Le 4 p.c. a été longtemps un obstacle à l’élévation de nos fonds et ce n’est que parce que le gouvernement a pris la mesure de convertir l’encaisse, qui était en 5 p.c. en 4 et d’en amortir ainsi les deux tiers, ce n’est que par cette mesure qu’enfin le 4 p.c. a pris un grand essor.

On a parlé de l’enthousiasme avec lequel avait été accueilli le 4 p.c. Cet enthousiasme, je l’ai déjà dit, a existé parce que, à cette époque, il y avait enthousiasme pour tout. Le 4 p.c. seul n’a pas joui de cette faveur ; il en a été de même pour beaucoup d’autres fonds qui, quelques temps après, sont tombés très bas.

Mais, en outre de cette remarque, je vous prie de vous souvenir de ce que je disais hier : l’honorable M. d’Huart, en contactant un emprunt à 4 p.c. et en plaçant ce fonds dans le pays, au moyen d’une souscription, avait une vue politique. Nos différends, en effet, n’étaient pas terminés avec la Hollande. Il fallait prendre une mesure qui frappât les esprits à l’étranger, et M. d’Huart fit bien en agissant ainsi ; car certainement le ministre des finances ne doit pas voir seulement un mince intérêt du moment ; la question politique est aussi de son ressort dans les mesures financières. Mais, je le répète, l’emprunt à 4 p.c. n’était bon que sous le point de vue politique ; car on doit comprendre combien il a dû être difficile, dans les moments de crise, de se défaire d’un emprunt qui n’était coté sur aucune des bourses d’Europe, sauf celles d’Anvers et de Bruxelles.

L’honorable M. Cogels a dit qu’il y avait à Anvers des fonds étrangers de toute nature ; il a ajouté : « Puisque nous prêtons à toutes les nations, pourquoi ne prêterions-nous pas à la Belgique ? » Sur ce point, je ferai observer qu’il ne faut pas s’exagérer le montant des fonds étrangers qui existent en Belgique. D’après mes calculs, il n’y a pas en Belgique plus de 2 à 3 millions de florins de rentes en fonds étrangers, autres que les fonds hollandais et les fonds espagnols ; ces derniers fonds ne portant pas, en ce moment, d’intérêt, il n’en faut pas parler. Quant aux fonds belges, ils sont en très petite quantité dans le pays ; la dernière hausse en a fait sortir une très grande partie. Si les capitalistes belges ont leur coffre-fort aussi bien fourni que le suppose l’honorable M. Cogels, comment se fait-il que nos fonds soient en grande partie à l’étranger ; car il n’y a en Belgique, d’après mes données, qu’environ 20 millions de 5 p.c. et 15 millions de 3 p.c., ensemble 35 millions. Ce qui reste du 4 p.c., le gouvernement le sait mieux que moi ; ce sont surtout les capitalistes anversois qui possèdent des fonds étrangers : ils ont des fonds autrichiens, brésiliens, danois, napolitains, romains et autres ; ils ont aussi des fonds belges ; mais ne croyez pas, messieurs, que quand on possède des fonds étrangers, on soit pressé de les vendre pour acheter d’autres fonds. Ce n’est qu’à la longue que la Belgique pourra faire rentrer toute sa dette, comme elle a fait rentrer dans ses mains depuis 20 ans, pour 150 millions de propriétés foncières qui appartenaient à des étrangers. Elle s’est fait d’année en année et avec le temps. C’est ainsi que la Belgique qui, comme je le disais, est riche de son industrie et de son agriculture, verra rentrer, par suite de ses économies annuelles, les obligations de la dette nationale.

Mais pour la voir rentrer cette dette, il faut, comme je le disais dans une précédente séance, appeler le rentier sérieux, il faut appeler tous les hommes qui font des épargnes ; il faut que la dette nationale soit la grande caisse d’épargne de la nation. Pour cela, il faut suivre les lois immuables du crédit ; bien loin d’offrir un aliment à l’agiotage, en ayant du 5, du 4, du 3 et peut-être du 2 ½, comme vous en aurez quand vous aurez terminé vos arrangements avec la Hollande, il faut n’avoir qu’une dette d’une seule nature. Quand vous aurez pris ces mesures, alors vous attirerez tous les capitalistes sérieux qui convertiront en dette nationale une grande partie de leurs fonds étrangers. Vous n’arriverez à ce résultat qu’en offrant aux capitalistes non seulement des garanties effectives, mas encore des garanties morales ; sous ce dernier point de vue, un haut patronage peut encore ne pas être indifférent aux vrais intérêts de la Belgique. Oui, messieurs, j’ai voulu parler du patronage de la maison Rothschild. Cette maison, je le sais, n’est pas seule en Europe, mais je déclare que, haut placée comme elle est, elle a, par son habitude des affaires et par son crédit en Europe, une position qui peut favoriser notre crédit ; toutefois, à Londres, il y a aussi des maisons puissantes avec lesquelles la Belgique pourrait traiter. Le marché de Londres est si sérieux qu’en définitive je conçois qu’on puisse y compter ; mais, je le déclare, je ne crois pas qu’à Paris on puisse, en conservant les mêmes garanties, traiter avec une autre maison.

Vous voyez, messieurs, que je m’exprime bien franchement dans cette question, c’est qu’en effet, ces questions l’exigent ; et puisque nous sommes dans un moment de calme plat nous pouvons faire nos comptes en toute liberté. Ce n’est qu’en agissant ainsi, et en prenant les mesures que j’ai indiquées, que nous pouvons assurer notre crédit d’une manière ferme et stable.

Il est indifférent, nous disait l’honorable M. Cogels, à qui nous emprunterons, pourvu qu’il y ait des garanties. Cela serait vrai, si vous pouviez placer votre emprunt en Belgique ; mais vous ne le pouvez ; il faut que vous le placiez à l’étranger, et dès lors, il faut qu’il y ait une influence qui agisse dans notre intérêt sur les marchés étrangers. J’ai donc bien fait de dire que, dans le cas où une société de capitalistes belges, à la tête de laquelle se trouverait même la société générale, viendrait soumissionner l’emprunt, si j’étais ministre des finances, je n’accorderais pas l’emprunt à cette compagnie, même avec un avantage de 1 p.c. parce que je suis convaincu que, si je le faisais, une crise serait imminente en Belgique, et les crises d’argent seront toujours à craindre dans notre pays, tant que vous n’aurez pas changé notre système monétaire.

On a fait, en 1836, un emprunt 4 p.c. Je puis le dire aujourd’hui, la société générale, pour sa part, par souscription et par achat, pour soutenir le cours, en a possédé jusqu’à 19 millions. La banque de Belgique (c’était son intérêt, je ne l’en blâme pas) ayant vendu un peu promptement du 4 p.c., il y a eu immédiatement dépréciation. Cependant, si je suis bien informé, sa souscription s’était bornée à l’obtention de 2 millions seulement. Cette dépréciation du cours provenait de ce que le 4 p.c. n’est coté que sur les bourses de Bruxelles et d’Anvers, et qu’il y a impossibilité de le vendre sur les bourses étrangères où il n’est pas coté à défaut de patronage.

Voilà, messieurs, quelle a été la position, en 1836, par rapport au 4 p.c., et cette position, c’est parce que je l’ai connue, que j’ai été à même de l’apprécier, que j’ai cru de mon devoir de la signaler pour empêcher que, par un enthousiasme exagéré, vous n’introduisiez dans la loi une disposition qui ne permettrait pas aux ministres de pouvoir adjuger l’emprunt aux conditions les plus favorables au pays. Il faut que le gouvernement soit libre de ses mouvements ; il faut qu’il lui soit loisible d’agir de la manière qu’il croira la plus convenable aux intérêts du trésor. Les emprunts ne se donnent pas, comme on l’a dit, sous le manteau de la cheminée ; ils ne se donnent que lorsque tous les ministres et le chef de l’Etat ont examiné les conditions ; ce n’est pas une affaire que l’on traite à la légère, et je crois que nous pouvons nous en rapporter à la sagesse de l’administration. Pour ma part, messieurs, d’après ce que je viens de dire, vous comprenez que je voterai contre la proposition de la section centrale. Quant aux opinions que l’on a opposées aux miennes, je ne veux pas abuser des moments de la chambre en les réfutant.

(Moniteur n°162 du 10 juin 1840) M. Duvivier – Je ne disconviens pas de ce que viens de dire M. Dumortier. La commission, malgré l’opinion du gouvernement, persistait à croire qu’il fallait un emprunt ; et j’ai exposé à la chambre, pourquoi le gouvernement écartait toute idée d’emprunt, nous ne doutions pas du crédit du pays ; les bons du trésor ont, en effet, été émis avantageusement ; ils ont contribué à tous les services publics. Mais la commission insistant pour vouloir un emprunt, nous l’avons laissé faire.

M. Dumortier – Je demande la parole pour un fait personnel. Je veux démontrer que le ministre des finances avait réclamé la publicité et la concurrence pour effectuer l’emprunt ; car voici ce qu’on lit dans les documents relatifs au projet de loi portant création de la dette flottante : « Cette question (celle de l’emprunt avec publicité et concurrence) étant restée indécise dans la section centrale, on est convenu d’insérer dans la loi la proposition du gouvernement. »

M. Coghen – Après l’éloquent discours de M. Meeus, il y a peu de chose à ajouter pour soutenir le projet du gouvernement.

Pour la plus grande convenance du ministère, et dans son intérêt, il faudrait non seulement que le projet contînt les conditions de publicité et de concurrence, mais encore le taux de l’intérêt, l’amortissement, et d’autres conditions essentielles aux emprunts ; car les ministres laisseraient, de cette manière, toute la responsabilité aux chambres. Quant à moi, je désire laisser au gouvernement toute latitude pour lui laisser toute la responsabilité de ses actes. C’est à lui à juger des circonstances, des événements, à en profiter ou à les éviter ; nous votons aujourd’hui, il peut arriver demain un événement qui compromette le vote de la chambre ; il ne faut pas que nous soyons obligés de revenir sur notre vote ; il faut que le gouvernement puisse agir ou s’abstenir selon les occurrences.

Quant à la publicité, je n’en suis pas ennemi, je la demande ; cependant, je la veux dans certaines mesures et je la trouve déjà assez grande.

Dans ma correspondance avec diverses maisons du midi et du nord, on me demande si l’emprunt est déjà engagé avec la maison Rothschild ; vous voyez donc qu’on s’occupe de notre emprunt et qu’il y a publicité suffisante. Imposer au gouvernement les conditions que vous voulez stipuler, c’est s’exposer à un mécompte ; je désire qu’il n’arrive pas.

On a parlé de la solvabilité des maisons, on a même dit que c’était une condition qui n’était pas absolument indispensable ; c’est une question de la plus grande importance. Si vous traitez avec des personnes qui ne puissent soutenir la suite de votre emprunt, il peut en arriver une dépréciation des fonds publics, et une crise pour le pays. Lorsqu’en 1832 je conclus l’emprunt avec la maison Rothschild, survint l’incident de la citadelle d’Anvers ; et le cours de 79 tomba à 70 ; il fallait une puissance de renommée pour soutenir un pareil choc.

J’ai conclu aussi le premier emprunt qu’ait contracté la Belgique. D’après toutes les influences d’alors, c’était avec une maison de Londres que j’aurais dû contracter, mais il est fort heureux que j’ai résisté à ces influences, car à peine l’emprunt fut-il contracté d’un mois, que la maison dont il s’agit avait suspendu ses paiements. Je vous le demande, messieurs, si j’avais adjugé l’emprunt à ce banquier, que serait devenu notre crédit, que serait peut-être même devenue notre nationalité qui avait déjà subi à cette époque d’aussi rudes secousses ?

On désire, messieurs, que ce soit une compagnie belge qui ait l’emprunt ; je désire aussi que les bénéfices de l’emprunt puissent rester en Belgique, mais une compagnie belge ne saurait prendre l’emprunt sans le concours de capitaux étrangers. Il y a beaucoup de capitaux en Belgique, mais ils ont leur application, et ils ne sont pas tous destinés aux fonds publics.

Si les mots « concurrence et publicité » se trouvaient dans la loi, il semblerait toujours, malgré toutes les explications, que ces mots consacrent une injonction impérative, et vous ne trouveriez aucun banquier qui voulût souscrire à un contrat qui ne fût entièrement d’accord avec le texte même de la loi. Tous les contrats d’emprunt invoquent toujours la loi qui autorisent l’emprunt. Ils renferment même textuellement les dispositions de cette loi. Il faut, messieurs, que l’on supprime ces mots : « Concurrence et publicité, » il faut qu’on laisse au gouvernement toute la responsabilité de l’exécution de la loi ; MM. les ministres ont de grands intérêts à défendre, je suis persuadé qu’ils comprennent leur mandat, et qu’ils le rempliront à l’avantage du pays.

M. Desmaisières – Je dois commencer, messieurs, par vous déclarer que si j’avais eu à présenter la loi d’emprunt, je n’y aurais point inséré la clause relative à la publicité et à la concurrence, parce que, dans la situation actuelle du pays, je ne pouvais pas prendre sur moi la responsabilité de présenter cette clause à la législature ; mais j’avais commencé par prendre des informations et des meures, et j’aurais continué à en prendre, pour que, le cas échéant, je puisse accepter cette clause, si elle m’était imposée par la chambre.

Lorsque cette question a été soulevée dans ma section, j’ai de suite fait observer que c’était là une question extrêmement grave, que nous n’étions pas à même de décider sans avoir consulté le ministre pour savoir de lui s’il y avait possibilité d’insérer cette clause dans la loi, c’est-à-dire, si la somme des dangers que présentait une semblable clause insérée dans la loi, n’était pas plus grande que la somme des avantages qui seraient résulté des garanties qu’elle devait offrir. C’est en suite de mes observations que ma section a posé à M. le ministre des finances les questions suivantes :

« Quelles sont les vues du gouvernement sur le mode de contracter l’emprunt ? Se fera-t-il dans le pays ? Aura-t-il lieu par adjudication, négociation ou souscription ? »

M. le ministre des finances répondit en ces termes :

« Jusqu’à ce moment, le ministre des finances n’a pas pris de détermination quant au taux d’intérêt de l’emprunt à contracter ; il choisira, selon les offres qui lui seront faites, le taux qui lui paraîtra présenter le plus d’avantages sous les différents rapports combinés du capital nominal, de l’intérêt et de l’amortissement ; il ne peut non plus se prononcer encore sur la question de savoir si l’emprunt sera fait avec publicité et par soumission : Il pense d’ailleurs qu’il est sage de garder le silence à cet égard, afin qu’aucun intéressé ne s’abstienne de faire lui-même des offres qui peuvent le guider dans sa conduite ultérieure ; il y a véritable concurrence aussi longtemps que le gouvernement n’a pas fait connaître ses intentions. On peut toutefois affirmer que jusqu’à ce jour, aucun engagement, même éventuel, n’existe vis-à-vis d’une maison de banque quelconque. »

Cette réponse, messieurs, parut à ma section assez vague et on passa outre sans prendre aucune résolution.

A la section centrale, M. le ministre fut beaucoup plus explicite dans ses explications. Je le sais bien d’après ce qu’il a dit postérieurement et dans les séances suivantes de la section centrale, ainsi qu’en séance publique, que nous avons mal compris M. le ministre ; mais il est résulté pour nous de ces explications que la concurrence était possible, et c’est pourquoi j’ai pu me résoudre à appuyer l’insertion dans la loi de la clause relative à cette concurrence. Aujourd’hui, messieurs, le gouvernement paraît admettre la publicité et la concurrence, dans le sens des explications de l’honorable M. Cogels, c’est-à-dire dans un sens beaucoup moins restrictif que celui qu’il avait d’abord attaché à ces expressions au début de la discussion.

La difficulté qui se présente encore, c’est de s’entendre sur les termes dont il faudrait se servir pour que les mots « concurrence et publicité » fussent entendus dans le sens indiqué par l’honorable M. Cogels. Eh bien, messieurs, je crois que, pour arriver là, il n’y a pas d’autre rédaction possible que celle qui a été suivie dans la loi française de 1818 et qui consiste à dire que le gouvernement est autorisé à « ouvrir » un emprunt jusqu’à concurrence de la somme fixée.

Permettez-moi, messieurs, de vous lire un passage du rapport fait à la chambre française en 1818, au nom de la commission qui avait été chargée d’examiner le projet de loi d’emprunt, et qui proposait cette rédaction :

« La commission propose de substituer à l’expression de « faire inscrire » jusqu’à concurrence de 18 millions de rente, celle d’ « ouvrir » des emprunts jusqu’à concurrence de 16 millions. J’ai dit qu’au fond, la commission était d’accord avec le ministre, et en effet, les emprunts du gouvernement n’ont jamais été que des ventes de rentes viagères ou perpétuelles, faites à des prix ou à des conditions diverses ; mais en se servant de l’expression « ouvrir un emprunt », la commission a voulu rappelé l’idée de la concurrence, si utile en cette sorte de matière ; elle a espéré que le ministre, de son côté, saisirait tous les moyens d’exciter cette concurrence, et elle veut en laisser le choix à sa sagesse.

Dans la discussion, il fut dit par un membre de la commission (M. de Villèle) : « On demande le renvoi de l’article de la commission, pour qu’elle trouve un moyen de garantir la concurrence ; je réponds que la rédaction de l'article, tel qu’il est proposé par la commission, établir elle-même le principe de la concurrence, car elle se sert de l’expression, il sera « ouvert » un emprunt ; elle a choisi cette expression précisément parce qu’elle a pensé que l’idée de la concurrence en était le résultat inséparable. »

Vous le voyez, messieurs, d’après ce que disait le rapporteur et par ce qui fut dit ensuite dans la discussion, il fut bien entendu que le mot « ouvrir » consacrait le principe de la concurrence, mais de la concurrence, telle que l’a expliquée l’honorable M. Cogels.

Il y a, messieurs, une foule de combinaisons que l’on peut employer pour faire un emprunt, mais elle se résument toutes en trois principales, qui sont l’adjudication, la négociation et la souscription ; eh bien, messieurs, en se servant des expressions ; « ouvrir un emprunt », vous mettez dans la loi, comme le disait très bien le rapporteur à la chambre française, vous mettez dans la loi le principe de la concurrence, vous imposez au gouvernement comme l’a demandé l’honorable M. Pirson, l’obligation de recourir préalablement à la concurrence, mais vous évitez les dangers que pourrait présenter la concurrence entendue dans un sens trop restrictif, qui n’a pas été le mien, lorsque j’ai voté à la section centrale. Ensuite, comme l’a très bien fait observer l’honorable M. Cogels, qu’il ne fallait pas l’exclure, vous n’excluez pas la souscription pure et simple. Je sais bien qu’avec les mots concurrence et publicité vous n’excluez pas non plus absolument la souscription, mais c’est seulement lorsqu’elle est combinée avec la concurrence ; avec l’expression « ouvrir » au contraire, vous n’excluez pas la souscription pure et simple, telle qu’elle a été suivie pour l’emprunt 4 p.c. , car ici on a ouvert l’emprunt par souscription.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – J’adopterai bien volontiers la rédaction que vient de présenter l’honorable M. Desmaisières avec le sens qu’il y a attaché en lisant un passage du rapport de la commission de la chambre française.

M. le président – Voici un amendement proposé par M. Demonceau et qui rentre dans celui de M. Desmaisières, pour tâcher de rendre la question plus simple, je propose de rédiger l’article comme suit :

« Le gouvernement est autorisé à ouvrir un emprunt en une ou plusieurs fois jusqu’à concurrence de …

« Le mode d’émission de l’emprunt sera déterminé par un arrêté royal inséré au Moniteur.

« L’emprunt ne pourra être contracté qu’après un délai de … Il sera rendu compte aux chambres des opérations de l’emprunt. »

M. Demonceau, rapporteur – Messieurs, j’ai déposé l’amendement dont M. le président vient de donner lecture, parce que je me suis aperçu que les mots « concurrence et publicité » effrayaient quelques-uns de mes honorables collègues. Je désire autant que possible amener dans cette discussion une conciliation dont il puisse résulter l’adoption d’une disposition qui soit utile au trésor et qui n’entrave en aucune manière la marche du gouvernement, mais qui laisse cependant à ce dernier une certaine responsabilité.

Ainsi que vient de le dire l’honorable ministre des finances, il accepte les mots « ouvrir » avec le sens qu’y attache l’honorable M. Desmaisières. C’est ainsi qu’en 1818 ces mots ont été entendus par les premiers financiers de la France ; c’est ainsi qu’en France ce mode, qui a été suivi alors, a eu les plus heureux résultats pour le trésor.

Il s’agirait maintenant de savoir si la concurrence sera la concurrence par soumissions cachetées, comme l’a pensé M. le ministre des finances.

La publicité, ce sera le ministère qui l’établira dans un arrête royal ; le ministère établira également la concurrence. Il aura enfin l’obligation de se conformer à cette idée qu’il faut qu’il y ait publicité et concurrence d’une manière quelconque.

Je ne sais si je me fais bien comprendre ; mais soyez persuadés, messieurs, que si j’entre dans tous ces détails, c’est dans le but d’amener une solution qui soit autant que possible en accord avec l’opinion du ministère et avec celle de la section centrale.

Que porte le deuxième paragraphe de mon amendement ? il porte :

« Ce mode de l’emprunt sera déterminé par un arrêté royal à insérer au Moniteur. »

Eh bien M. le ministre des finances, d’accord avec le ministère, nous a dit qu’il voulait le principe de la publicité et de la concurrence. Or, on ne peut pas vouloir d’un principe et déclarer que ce principe ne peut pas être exécuté. Je n’admets pas qu’il ne puisse pas être exécuté.

Le ministère est d’accord avec moi, le ministère reconnaît le principe, eh bien, je lui donne le moyen de l’exécuter ; je lui dis : Vous aurez soin de prendre toutes les précautions propres à assurer la publicité et la concurrence, de telle sorte que vous serviez parfaitement les intérêts du trésor, et que vous ayez la responsabilité de ce que vous allez faire. Cet arrêté sera publié dans le Moniteur, il sera contresigné, il y aura de votre part responsabilité.

Cet emprunt ne pourra être contracté qu’après un certain délai ; vous fixerez tel délai que vous trouverez bon ; vous établirez ce délai de manière que la publicité ne soit un vain mot, c’est-à-dire que cette publicité soit telle que ceux qui voudront concourir puissent au moins venir sur les lieux pour prendre part à cette concurrence. Votre arrêté dira quelles sont vos conditions.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Cela n’est pas possible !

M. Demonceau – Si vous ne le voulez pas, vous pouvez encore vous en dispenser.

Messieurs, il est très difficile de soutenir cette discussion, alors qu’on ne veut pas comprendre la pensée de la section centrale, que l’honorable M. Trentesaux a si clairement expliquée.

La section centrale était en présence de deux principes. Il est évident pour tout le monde que l’opinion primitive du gouvernement était qu’il voulait avoir le droit de traiter de la main à la main, et, tout en reconnaissant le principe de la publicité pour règle, et le traité à la main pour exception, le gouvernement veut faire de la règle l’exception, et de l’exception la règle. Voilà l’idée dominante. Il faut dire les choses comme elles sont.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je demande la parole.

M. Demonceau – Qu’entendons-nous par « publicité » ? L’honorable M. Trentesaux vous la dit : C’est l’idée opposée à la clandestinité ? Qu’entendons-nous par « concurrence ? » C’est le concours de plusieurs. Rien n’est plus facile à comprendre.

Je crois maintenant, messieurs, m’être expliqué assez clairement sur ma proposition, et je soutiens de nouveau que la section centrale l’avait entendu ainsi précédemment par le fait seul qu’il se réservait de traiter à son choix après avoir entendu ceux qui se présenteraient.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, j’ai demandé la parole, non pour entrer dans la discussion de cette question de publicité et de concurrence qui me semble avoir été assez longuement débattue, mais pour protester contre une assertion que l’honorable rapporteur de la section centrale a déjà plusieurs fois répétée.

Il vous a dit que l’intention du ministère était, sous prétexte de reconnaître le principe de la publicité et de la concurrence, de se faire une règle du principe contraire, c’est-à-dire du marché de la main à la main.

Eh bien, messieurs, cela n’est pas exact. La question a été débattue plusieurs fois, je l’affirme sur l’honneur, au sein du conseil des ministres. Nous avons tous reconnus que la publicité et la concurrence étaient un excellent moyen, s’il était praticable ; que nous devrions faire tous nos efforts pour arriver à son application ; mais que dans la position où était le ministère, à peine entré aux affaires, et n’ayant pas pu encore s’assurer des dispositions des principales places où se trouvent les grands capitaux, il lui était impossible d’assumer sur lui la responsabilité de contracter l’emprunt de cette manière.

En toute discussion, bien poser la question, c’est déjà presque la résoudre : il ne s’agit pas de savoir si la publicité et la concurrence sont une bonne chose, si même il est utile que le gouvernement propose ce mode après avoir pris toutes les précautions pour s’assurer qu’il peut en faire la proposition en toute sécurité ; mais la question est de savoir si, alors que le gouvernement n’a pas le temps de s’assurer des moyens de faire réussir l’emprunt par la publicité et la concurrence, une chambre législative qui, elle-même, n’a pu rechercher ces moyens, peut lui imposer l’obligation d’émettre l’emprunt avec publicité et concurrence, c’est-à-dire l’obligation d’appeler les enchérisseurs, car c’est une véritable enchère, de quelque manière qu’on y vienne, il faut appeler les soumissions ou les enchères ; il faut adjuger à celui qui offre le plus haut prix, ou si le gouvernement ne trouve pas l’offre favorable, il ne peut pas contracter. Voilà la signification des mots publicité et concurrence.

Eh bien, c’est préoccupé de cette idée, que le ministère n’a pas voulu proposer une pareille clause, parce qu’il était depuis trop peu de temps aux affaires pour prendre sur lui la responsabilité de la proposer ; mais il a toujours eu l’intention, lorsque la loi serait portée, de prendre toutes les mesures nécessaires pour savoir si la publicité et la concurrence réussiraient, et dans le cas de l’affirmative, de recourir à ce mode. C’est là son plus grand intérêt, car c’est là le seul moyen pour lui de mettre sa responsabilité parfaitement à l’abri ; mais quant au marché de la main à la main ; il le regarde comme exception, et il n’y aura recours que lorsque, par la voie de la publicité et de la concurrence, il ne pourra espérer de réussir.

M. Demonceau, rapporteur – Messieurs, M. le ministre de la justice a protesté contre mes expressions ; je déclare qu’en cette circonstance je n’ai eu des rapports qu’avec M. le ministre des finances. J’ai dû considérer ce dernier comme exprimant la véritable pensée du ministère, il résulte en effet des divers entretiens que j’ai eus avec lui, de tous les obstacles qu’il a opposés à notre proposition qu’il ne m’a pas été possible d’en tirer d’autre conséquence ; mais que la convention de la main à la main était le principal ; la publicité et la concurrence, l’exception ; qu’il croyait que la véritable concurrence existait ainsi que je l’ai dit. Je vais, du reste, donner lecture de la lettre que M. le ministre des finances m’a écrite sur cette question ; la chambre verra qu’elle était alors la pensée de M. le ministre.

« C’est encore une question qui a été débattue dans le sein de la section centrale ; j’ai répondu à toutes les observations qui ont été faites à cet égard ; un seul membre de la section semblait désirer la publicité et la concurrence, il a paru fortement ébranlé des objections qui lui ont été présentées ; la concurrence, c’est l’emprunt par soumission ; si aucune offre sérieuse n’était faite, il est résulterait un affront pour le pays et un discrédit qui exercerait sur l’emprunt à contracter une influence dont il est impossible de calculer les fâcheuses conséquences. Cette crainte est fondée sur ce que jusqu’à présent personne ne m’a donné l’espoir de faire une soumission et qu’au contraire l’agent d’une très forte maison de banque m’a de nouveau déclaré aujourd’hui même qu’il n’y aurait point de soumission de sa part. Quant à la publicité, je répète que je la désire, et mon intention est de suivre cette voie, si après mes propres informations et toutes les communications qui me seront faites d’ici au moment où l’emprunt sera contacté, je la trouve sûre et avantageuse. L’imposer au gouvernement, c’est lui enlever une de ses chances de succès et le mettre peut-être dans la nécessité d’emprunter avec publicité à un taux plus onéreux que celui qu’il obtiendrait dans certaines éventualités en contractant directement avec une maison ou une société quelconque.

« Cette question est capitale, elle se rattache à la fois à l’honneur et à l’intérêt de la Belgique ; la section centrale a accueilli le désir que j’ai exprimé d’être entendu une seconde fois avant qu’elle se prononçât, non précisément sur cette question, qui me paraissait résolue dans un autre sens, mais sur toutes celles qui avaient été agitées. J’entrevois un trop grand danger pour ne pas insister sur la promesse qu’elle m’a faite à cet égard par l’organe de son président. »

Malgré les protestations que l’on peut faire maintenant, ma conviction s’est formée et je persisterai à penser de même aussi longtemps que les événements ne seront pas venus me détromper.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, l’honorable rapporteur a dit, et j’en atteste toute la chambre, il a dit à plusieurs reprises que l’intention du ministère (notez bien ce mot « intention », car il suppose des arrière-pensées, quelque chose de honteux,…)

M. Demonceau, rapporteur – Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Vous avez dit que l’intention du ministère était de faire une règle du marché de la main à la main et du marché par publicité et concurrence l’exception, tandis que le gouvernement a déclaré qu’il voulait la publicité et la concurrence pour règle. Voilà ce que vous avez dit et répété plusieurs fois, et c’est contre ces paroles que j’ai protesté et que je proteste encore, parce que ces paroles ne sont pas exactes. (Bien ! bien !)

M. Cogels – Messieurs, c’est sur la nouvelle proposition de M. Desmaisières que je compte dire quelques mots.

Eh bien, c’est sur ce mot « ouvrir » un emprunt que je veux donner des explications. Ce mot ne suppose pas la concurrence telle qu’on l’entend, elle suppose la participation ; c’est-à-dire que lorsque le gouvernement « ouvre » un emprunt, il dit : Messieurs, un emprunt de 82 millions est ouvert ; chacun est admis à venir y prendre part ; je verrai après cela le montant des souscriptions et je ferai la répartition entre elles. Ceci est tellement vrai que, d’après la loi qu’on a rappelée, celle qui a autorisé l’emprunt Corvetto, de 14,925,500 francs de rentes accordées le 9 mai 1818, emprunt qui a été contracté au prix de 66-50, le ministre avait ouvert la liste où toutes les maisons de banque de Paris et de l’étranger, les compagnies et les particuliers, étaient admis à souscrire pour des sommes qui ne seraient pas moindres de 5 mille francs de rentes. Comme le jeu sur les fonds publics s’animait, que la rente se relevait de la dépréciation où elle était tombée, la souscription fut tellement forte que le ministre a cru pouvoir prendre sur lui d’écarter toutes les maisons étrangères et de donner l’emprunt aux maisons nationales.

Ces emprunts sont à peu près comme ceux qu’on ouvre en Hollande et comme notre emprunt 4 p.c. Cependant, je dois dire aussi que cet emprunt eut des conséquences très fâcheuses. Ces masses de rentes se trouvaient dispersées, il n’y avait pas d’ensemble, il en est résulté une crise.

Le mot proposé ne peut pas être admis parce que je ne pense pas qu’on pourrait encore mettre l’emprunt en adjudication publique et adjuger le tout à un seul prêteur.

M. d’Huart – Lorsque j’ai demandé la parole, je me proposais de vous soumettre quelques observation sur les deux points qui viennent d’être touchés par M. le ministre de la justice et par l’honorable M. Cogels ; je voulais d’abord faire remarquer à la chambre que, tout en prétendant étendre la liberté d’action du gouvernement, M. Demonceau la restreignait beaucoup plus que la section centrale par l’amendement qu’il propose. En effet, M. Cogels vient de vous démontrer, quant au paragraphe premier de la rédaction de M. Demonceau, que l’expression « ouvrir un emprunt » peut être considérée comme en restreignant la conclusion à un mode particulier qui en exclut plusieurs autres permis par la rédaction de la section centrale. J’ajouterai que le deuxième paragraphe de l’amendement qui porte qu’un arrêté royal publiera les différentes conditions de l’emprunt lie le gouvernement plus que toutes les autres propositions ; puisqu’il va jusqu’à précisé de quelle manière le gouvernement devra marcher pour arriver à la conclusion de l’emprunt, tandis qu’aux termes de la proposition de la section centrale, le gouvernement serait chargé de l’exécution de la loi suivant les principes, constamment admis, c’est-à-dire en toute liberté d’action.

Enfin, le troisième paragraphe, qui a pour objet de demander qu’il soit rendu un compte spécial de l’opération, est encore une disposition qui va plus loin que la section centrale qui, selon nous, restreint déjà trop l’action du gouvernement.

Je me dispenserai d’examiner, comme je me le proposai, cette imputation adressée plusieurs fois au gouvernement d’avoir exclusivement en vue de contracter de la main à la main, je voulais rappeler à la chambre différentes explications qui ont été données par les ministres, et desquelles est résulté l’assurance qu’ils ne recourraient à ce dernier moyen qu’autant qu’il leur aurait été démontré impossible de contracter l’emprunt par voir de concurrence publique ; je me dispenserai, dis-je, d’entrer dans aucun développement à cet égard. M. le ministre de la justice vient d’en dire assez sur ce point.

M. Dumortier – Je dois prendre la parole, au nom de la section centrale, car d’après ce qui vient de se passer, la section centrale n’a plus de rapporteur. Puisque le rapporteur abandonne son travail adopté à l’unanimité par la section centrale, et que personne n’en prend la défense, je me lève pour le faire. J’espère que vous voudrez bien m’accorder un moment d’attention pour remplir un mandat qui ne m’a pas été donné, mais que je crois de mon devoir de prendre, afin qu’il soit rempli.

Si vous insérez dans la loi les mots « ouvrir un emprunt », comme l’a dit l’honorable M. d’Huart, vous excluez les autres modes.

Dans quelles circonstances en France a-t-on autorisé le gouvernement à ouvrir un emprunt ? Dans les circonstances les plus défavorables, quand l’armée alliée occupait encore le territoire français, dans une circonstance où on ne voulait pas d’autre taux d’intérêt que ceux qui existait. Alors on a ouvert le grand livre aux capitalistes, on a invité chacun à s’inscrire sur le grand livre et à apporter ses capitaux. Voilà ce que c’est d’ouvrir un emprunt ; c’est le mode de souscription employé par M. d’Huart pour la Belgique. Mais introduire les mots proposés par M. Desmaisières, ce serait limiter le mode d’emprunt à la seule souscription, et écarter le mode d’adjudication avec publicité et concurrence. Au lieu d’augmenter la latitude du gouvernement, on la restreint. Si ce n’est pas là la valeur du mot « ouvrir », c’est un pouvoir dictatorial qu’on donnerait au gouvernement, ce que ne veut pas l’honorable membre.

M. Demonceau veut qu’un arrêté royal détermine comment la loi sera exécutée. Je ferai remarquer combien une pareille disposition est opposée à sa propre manière de voir. La publicité et la concurrence sont dans son opinion, mais il croit trouver dans un arrêté royal une sauvegarde contre tous les abus. Mais admettons, comme le suppose, l’honorable membre, que le gouvernement veuille émettre de la main à la main. Il prendra un arrêté royal qui stipulera que l’emprunt sera adjugé de la main à la main.

Vous n’avez rien fait par votre amendement qu’embrouiller la question, car elle était claire pour chacun de nous, elle se bornait à une seule chose, à savoir s’il y aurait publicité et concurrence, si le gouvernement devra rendre ses conditions publiques et admettre celui qui fait les offres les plus avantageuses pour l’Etat, ou bien traiter en secret et donner l’emprunt de la main à la main à qui et comme bon lui semble.

Remarquez, messieurs, que les objections faite à la publicité et à la concurrence ont cessé d’exister depuis les amendements que M. Cogels et moi avons déposés. Il ne s’agit plus seulement, dans ces motions, de la publicité et de la concurrence, nous avons introduit, outre la concurrence, la possibilité pour le gouvernement d’admettre la souscription. Le gouvernement aura l’alternative entre la souscription et la concurrence. Quelle objection a-t-on à faire contre cette proposition ? Tous ceux qui ont combattu la proposition de la section centrale se sont bornés à combattre la concurrence présentée comme moyen unique et rendant la souscription impossible ; mais personne n’a combattu nos amendements. Comme personne ne les a combattu, je pense que les adversaires de la section centrale sont forcés de se rallier à notre proposition, qui comporte la soumission et la souscription.

Remarquez que le gouvernement lui-même ne peut pas s’y opposer. D’après ce qu’a dit M. le ministre de la justice, le gouvernement a délibéré longtemps sur la question de savoir si les mots « publicité et concurrence » seraient introduits dans la loi.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je n’ai pas dit cela.

M. Dumortier – Vous avez dit que vous aviez délibéré sur l’insertion de ces mots dans la loi et que le gouvernement ne les avait pas insérés par le motif qu’il n’a pas eu le temps de s’assurer de la disposition des capitalistes sur les places étrangères.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – J’ai dit que le conseil des ministres avait délibéré sur ce mode d’emprunt, mais non sur la question de savoir si on l’insérerait dans la loi.

M. Dumortier – Si vous n’avez pas délibéré sur la question de savoir si on insérerait ce mode dans la loi, cela porterait à croire que M. Demonceau a eu raison de dire qu’il y aurait une arrière-pensée, que le gouvernement veut le marché de la main à la main.

J’ai dit que le gouvernement avait l’alternative entre l’adjudication avec publicité et concurrence et la souscription. Il peut s’assurer des dispositions sur les places étrangères, pour voir ce qu’il doit faire et recourir à la souscription, si l’adjudication ne lui présente pas d’avantage.

Voici en effet la marche des choses et l’évidence des faits. L’honorable M. Coghen vous l’a dit ; Depuis le rapport de la section centrale, on a écrit de l’étranger pour connaître les conditions de l’emprunt, et pourquoi ? parce qu’on a vu par ce rapport la possibilité d’une concurrence, parce qu’on a été convaincu que la maison qui faisait annoncer qu’elle avait l’emprunt ne l’avait pas. C’est dans la concurrence seule que se trouve la garantie de l’intérêt du trésor public, et le jour où vous enlèverez la concurrence, vous fonds baisseront et les maisons qui ont demandé si elles pouvaient concourir pour l’emprunt croiront et seront fondées à croire qu’il n’y a pas de chances pour elles d’avoir l’emprunt et se retireront.

D’ailleurs, si le gouvernement ne trouve pas la concurrence avantageuse, il admettra la souscription. Quand l’honorable M. d’Huart a ouvert la souscription pour l’emprunt de 30 millions, les souscriptions se sont élevées à 691 millions, c’est-à-dire 22 fois le capital qu’il désirait. N’avez-vous pas toutes garanties ? N’est-ce pas chose inconcevable d’émettre des craintes sur la possibilité de contracter un emprunt par un moyen qui a procuré 22 fois le capital dont on avait besoin ?

Quant à l’emprunt de la main à la main, je n’y donnerai jamais mon assentiment. Nous avons pu y consentir dans des circonstances difficiles, mais depuis que la Belgique a pris la position qui lui appartient, un pareil mode ne doit plus figurer dans nos lois.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – J’ai déclaré que je me ralliais à l’amendement de l’honorable M. Desmaisières, qui tend à substituer les mots « ouvrir un emprunt » à celui « emprunter » qui se trouve dans le projet du gouvernement. Je vois dans cette expression un désir exprimé par la chambre que le principe de la concurrence et de la publicité, ou de la publicité seulement, soit, autant que possible, suivi par le gouvernement. S’il n’a pas recours à l’un ou l’autre de ces deux modes, c’est parce qu’il n’aura pas eu son apaisement sur les chances de succès.

J’en appelle, messieurs, au souvenir des membres de la section centrale ; ce n’est pas la question au fond qui a été agitée en ma présence dans son sein. Il n’y a eu que la question de l’obligation à insérer dans la loi ; dès mon arrivée près de la section centrale, et 5 ou 6 fois dans cette enceinte, j’ai déclaré ouvertement que le vœu du gouvernement était de faire l’emprunt avec publicité et concurrence ; je vous demande, après cela, comment on peut encore révoquer en doute nos intentions ? Avec l’explication que je viens de rappeler que l’honorable M. Desmaisières a donnée à la rédaction qu’il a proposée, il n’y a qu’un instant, le gouvernement, fidèle au principe qu’il a énoncé dès le commencement des débats, n’hésite pas à se rallier à cet amendement.

M. Demonceau, rapporteur – Je déclare retirer la proposition que j’avais faite, puisqu’elle n’a pas été comprise dans le sens dans lequel je l’avais comprise moi-même.

C’est bien injustement, me semble-t-il, que l’on me fait un crime de vouloir chercher à éclairer une question que l’on dit tellement obscure que plusieurs la croient incompréhensible, quoiqu’elle soit bien simple, selon moi.

D’autre part, je regrette que l’honorable M. Dumortier me fasse le reproche d’avoir abandonné le système de la section centrale. Je n’ai proposé qu’un moyen d’exécuter le système de la section centrale ; je n’ai pas proposé de l’abandonner.

En cela, j’ai été précédé par deux honorables membres ; car l’honorable M. Dumortier, membre de la section centrale, a changé quelque chose à notre proposition, ; et l’honorable M. Desmaisières, également membre de la section centrale, y a aussi fait des changements. Qu’avais-je à faire comme rapporteur au milieu de ce conflit qui semble exister entre nous, quoi qu’au fond nous paraissions avoir la même pensée ? Ne devais-je pas chercher à concilier toutes les opinions ? C’est ce que j’ai cru faire. Mais comme je m’aperçois que je n’ai pas eu le bonheur d’être bien compris par ceux-là mêmes qui ont voté avec moi pour le système de la section centrale, je persiste à déclarer que je le maintiens tel qu’il est formulé.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Vote sur l’article 1er et sur les amendements

L’amendement de M. Cogels, auquel M. Dumortier se rallie, est mis aux voix par appel nominal ; voici le résultat du vote :

81 membres sont présents.

1 (M. Desmaisières) s’abstient.

35 votent pour l’adoption.

45 votent contre.

La chambre n’adopte pas.

Ont voté pour l’adoption : MM. Brabant, de Foere, de Garcia de la Vega, de Man d’Attenrode, Cogels, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Perceval, de Sécus, Desmet, de Theux, Delfosse, Doignon, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumont, Dumortier, Hye-Hoys, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Peeters, Polfvliet, Raikem, Rodenbach, Scheyven, Simons, Ullens, Vandenbossche, Vanderbelen, Ch. Vilain XIIII.

Ont voté contre : MM. Coghen, Cools, Coppieters, David, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Langhe, Dedecker, de Muelenaere, de Renesse, de Terbecq, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Dubois, Duvivier, Fleussu, Lange, Lebeau, Liedts, Lys, Maertens, Manilius, Meeus, Mercier, Metz, Nothomb, Raymaeckers, Rogier, Sigart, Smits, Troye, Van Cutsem, Vandenhove, Vandensteen, Van Volxem, Verhaegen, Willmar, Fallon.

M. Desmaisières motive son abstention en ces termes : D’après les explications qui ont été données par l’auteur de l’amendement et par d’autres membres, il m’a paru qu’il y avait du doute sur la question de savoir si en définitive cet amendement n’avait pas la même portée que le mien. Dans le doute je me suis abstenu.

- La proposition de la section centrale est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

M. Pirson déclare se rallier à l’amendement de M. Desmaisières.

M. le président – L’article premier de la section centrale est ainsi conçu :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à emprunter, en une ou plusieurs fois, avec publicité et concurrence, jusqu’à concurrence d’un capital effectif de 65 millions de francs.

« Il sera consacré à l’amortissement de cet emprunt, une dotation d’au moins 1 pour cent par an du capital nominal, indépendamment des intérêts des obligations amorties.

« L’amortissement se fera par le gouvernement.

« Les obligations à créer seront, préalablement à leur émission, soumission au visa de la cour des comptes. »

Vous connaissez l’amendement ou la rédaction du paragraphe premier, présenté par M. Desmaisières.

- Cet amendement, mis aux voix, est adopté.

Les trois autres paragraphes sont adoptés sans modification.

Article 3

M. le président – L’article 3 est ainsi conçu :

« Article 3. Les biens et revenus du royaume seront affectés en garantie de l'emprunt autorisé par la présente loi. »

- Cet article est adopté.

M. Cogels – Mais la question d’intérêt n’a pas été agitée. La chambre avait cependant décidé que l’on s’occuperait des trois principes fondamentaux de la loi, dans l’ordre suivant : le chiffre de l’emprunt, la publicité et la concurrence, enfin l’intérêt et l’amortissement.

M. le président – La résolution de la chambre a été suivie ; et c’est ainsi qu’elle a procédé.

M. de Brouckere – S’il a des membres qui veulent agiter la question d’intérêt, qu’ils soumettent des propositions à cet égard, et nous les discuterons.

M. le président – Plusieurs propositions sont déposées sur le bureau ; il en est de relatives à l’encaisse : M. Dumortier demande qu’une loi règle l’amortissement.

Plusieurs membres – Mais il faut des lois spéciales pour de semblables objets.

M. Dumortier – La question de l’amortissement est très grave ; il n’y a pas de loi qui le règle ; une proposition tend à déclarer que l’amortissement des emprunts sera réglé par une loi. Il faut aussi régler ce qui concerne les 12 millions de valeur qui sont dans la tour de la société générale.

M. de Brouckere – Il faut qu’une loi règle le mode d’amortissement de tous les emprunts, mais il est inutile qu’une loi dite qu’une autre loi régler à l’amortissement ; que M. Dumortier présente un projet de loi.

M. Dumortier – Mais l’initiative d’une telle loi ne peut venir de nous ; le gouvernement est en possession de toutes les pièces relatives aux emprunts et à leur amortissement, est seul à même de préparer convenablement un projet sur cette matière. Nous faisons des fonds pour les amortissements de nos emprunts, sans en régler l’emploi ; en France, les amortissements sont assujettis à des règles.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Bien que l’emprunt en Belgique ne soit pas très considérable, je désire qu’une loi en règle l’amortissement ; mais je ne crois pas que le principe d’une telle loi puisse être posé dans la loi actuelle.

Quant à l’ancien encaisse, il serait imprudent de se prononcer dès à présent sur la destination des valeurs qui le composent ; le gouvernement ne pouvant y toucher sans l’assentiment des chambres, est-ce que la chambre ne restera pas entière dans ses droits ? Pourquoi précipiter une pareille décision ? Nous ne perdons rien en attendant.

M. Dumortier – L’encaisse doit être réglé conformément aux lois. Que voulez-vous faire de ces pièces ? Voulez-vous les laisser dans la tour de la société générale, ou voulez-vous les détruire ? je demande l’amortissement de 12 millions de l’encaisse.

M. Dubus (aîné) –Les propositions qui sont faites sont graves et je ne vois pas pourquoi on ne les discuterait pas. On est pressé, soit ; mais ce n’est pas un motif suffisant pour écarter des propositions importantes.

M. le président – On propose de renvoyer à demain la discussion de l'article additionnel proposé par M. Dumortier.

M. d’Huart – La discussion actuelle dure déjà depuis sept ou huit jours, et je comprends que l’on désire en finir. Je ne verrais pas de difficulté à remettre la discussion à demain, pourvu qu’il fût entendu dès aujourd’hui, qu’après avoir pris une résolution sur les propositions dont il s’agit, on procéderait immédiatement au second vote.

Des membres – Il n’y a pas de second vote.

M. d’Huart – Ce n’est pas moi qui réclamerai un second vote, puisque j’ai adopté les amendements qui ont été introduits dans le projet, mais nous devons nous attendre à ce que plusieurs membres demandent qu’il y ait un second vote.

Je ne verrai donc pas d’inconvénient à remettre à demain la discussion des propositions de MM de Mérode et Dumortier, pourvu qu’on pût, après avoir voté sur ces propositions, passer à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.

M. Eloy de Burdinne – La proposition de M. de Mérode a pour objet d’imposer de nouvelles charges aux contribuables, et je dois déclarer que si on la discute demain, j’aurai longuement à parler sur cette proposition.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – On ne peut pas procéder au second vote demain, car la chambre a décidé que la discussion du projet de loi sur les bateaux à vapeur aurait lieu entre les deux votes de la loi relative aux emprunts.

- Les membres quittent leurs bancs.

La séance est levée à 5 heures et ¼.