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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 19 janvier 1841

(Moniteur belge n°20 du 20 janvier 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à deux heures.

M. de Villegas donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse communique les pièces de la correspondance.

« Des propriétaires et cultivateurs de la Flandre occidentale demandent que la chambre alloue les 100,000 francs demandés au budget de l’intérieur pour réparation aux chemins vicinaux. »

- Considérant qu’il a été satisfait à cette demande, la chambre ordonne le dépôt au bureau des renseignements.


« Des négociants de Beauraing signalent le tort immense fait au commerce par le colportage. »

- Renvoi au ministre de l’intérieur et dépôt suer le bureau pendant la discussion du projet interprétatif de la loi du 24 mars 1838.


« La chambre de commerce et des fabriques de Gand adresse des observations contre les propositions de la section centrale du budget des voies et moyens, en ce qui concerne l’impôt sur le sucre. »

- Renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens et insertion au Moniteur.


M. le président – Le rapport sur la division de Koekelberg ayant été distribué, je propose de le mettre à l’ordre du jour avec les objets qui s’y trouvent déjà.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1841

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XIV. Industrie et commerce

Article premier

Littera A

La discussion est restée ouverte sur le littera A de l’article 1er du chapitre XIV.

Le gouvernement demande 220,000 francs.

La section centrale propose une réduction de 20,000 francs.

M. Peeters – Un honorable député de Liége, qui a pris la parole dans la discussion d’hier, a qualifié d’inique et d’inconcevable une décision que, d’après lui, la section centrale des travaux publics aurait prise concernant les travaux à faire à la Meuse.

Cet honorable membre me permettra de lui faire remarquer que, comme membre de la section centrale, je trouve bien plus inique et plus inconcevable de censurer les travaux d’une section avant qu’ils ne soient terminés.

La section centrale n’a rien définitivement arrêté ; elle a demandé des explications à M. le ministre des travaux publics ; aussitôt que ces renseignements lui seront parvenus, elle s’empressera de terminer son travail, et alors seulement on pourra connaître ses décisions qui ne seront, en tout cas, ni iniques ni inconcevables.

M. Delfosse – Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, le fait que j’ai été cité hier, non comme positif, mais comme probable, je l’ai appris par une réclamation de plusieurs industriels de Liége, adressée à la chambre ; je l’avais appris par les journaux ; je l’avais appris encore par un honorable membre de la section centrale qui m’a dit en outre que la résolution a été prise à la majorité de quatre voix contre trois. Les industriels de la provinces de Liége, les journaux et cet honorable membre de la section centrale se sont-ils trompés ? Tant mieux ; ou bien la section centrale changerait-elle d’avis ? Tant mieux encore, je l’en félicite.

Quant à la manière dont j’ai qualifié le fait, je la maintiens. Oui je maintiens qu’il serait inique de refuser l’allocation que le gouvernement demande pour la Meuse.

M. Cogels – Je ne combattrai point l’allocation demandée par le gouvernement, j’aurais accordé volontiers une somme plus forte, si la situation du trésor avait été meilleure, et si je me rallie au chiffre consenti par la section centrale, c’est que la différence ne me paraît pas assez importante pour devoir être prise en considération.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt et d’attention le discours prononcé hier par un honorable député de Charleroy. Je reconnais l’existence des faits qu’il nous a signalés, la lutte pénible imposée à l’industrie par la libre concurrence, et bien plus encore par le travail incessant de l’esprit humain, par les progrès rapides des inventions nouvelles. J’admets la plupart des principes posés par mon honorable ami, mais il me permettra de ne pas en déduire les mêmes conséquences.

L’industrie n’a pas de plus redoutable ennemi que l’industrie elle-même, c’est un fait reconnu, et si la lutte qu’elle est forcée de soutenir sans relâche pouvait se circonscrire dans les limites de notre territoire, je dirais : N’accordons aucun encouragement ; mais il n’en est point ainsi, et c’est principalement contre les pays étrangers, contre nos voisins surtout que nous avons à soutenir la guerre que se livrent maintenant toutes les populations. Il s’agit d’une arène où le prix appartient sans doute à celui qui atteint le premier le but, mais où il y a encore des palmes à cueillir pour tous ceux qui arrivent avant que la lice soit fermée. C’est ici qu’il faut soutenir les faibles, aider aux généreux efforts de ceux qui se lancent dans la carrière avec des forces inégales. Il y a donc des encouragements utiles à distribuer, et si nous parcourons l’histoire industrielle d’un pays voisin, nous trouverons plus d’un exemple à citer à l’appui de notre opinion. Comment l’Angleterre est-elle parvenue à s’élever au point culminant où nous la voyons placée ? Je ne parlerai point ici des avantages que lui font sa position géographique, de domination sur toutes les mers ; je ne m’occuperai que des sacrifices devant lesquels elle n’a jamais reculé pour favoriser l’introduction, le perfectionnement de toute industrie nouvelle.

Ne l’avons-nous pas vue, dès le seizième siècle, lors de notre lutte désastreuse contre l’Espagne, attirer vers elle nos meilleurs ouvriers, par des encouragements de toute espèce, et s’emparer ainsi de plus d’une industrie qui avait jusque-là formé pour ainsi dire notre patrimoine exclusif ? N’est-ce pas par des primes d’encouragement, par des libéralités considérables envers les ouvriers étrangers les plus habiles qu’on l’a vue naguère s’approprier l’industrie des soieries pour laquelle déjà elle rivalise avec la France ? N’est-ce pas encore par les mêmes motifs que tout récemment elle a conquis une industrie qui semble devenir chez elle chaque jour plus florissante, tandis que nous traînant péniblement dans la vieille ornière, nous nous sommes vus à la veille de perdre une branche de prospérité qui a fait notre gloire pendant des siècles ?

Non, messieurs, il ne faut point condamner ainsi tout subside au commerce, à l’industrie. En faire la distribution avec intelligence, à propos, voilà le point essentiel. Je sais que dans une question de cette nature, il est difficile de ne pas se tromper quelquefois, et c’est pourquoi avec de si faibles ressources que celle que nous accordons, il ne faut pas être trop prodigue. Aussi suis-je loin d’approuver l’emploi fait l’année dernière de la majeure partie de l’allocation ; emploi qui peut nous entraîner à une dépense éventuelle de 260,000 francs, dépense au moins inutile sinon nuisible.

Ici j’ai besoin de m’expliquer. Vous avez pu remarquer, messieurs, à l’annexe n°8 du rapport, que d’après un arrangement conclu avec une société anonyme, celle-ci s’est chargée de s’entendre avec les fabricants du pays, à l’effet d’exporter hors d’Europe, pour deux millions au moins de leurs produits, moyennant une garantie maximale de 10 p.c. contre toute perte éventuelle qui résulterait des opérations. Si ma mémoire est fidèle, aucune publicité n’a été donnée à cette convention ; la société en question a donc pu traiter sous main avec tel ou tel fabricant, auquel elle a cru devoir accorder sa préférence ; et en supposant qu’elle ait mis dans la distribution de ses faveurs toute l’impartialité possible, on concevra facilement qu’elle n’a pas pu en faire la répartition d’une manière tout à fait équitable. Nous ne connaissons pas encore tous les résultats de cette mesure, on ne les connaîtra, nous dit-on, que lorsqu’on aura tous les comptes de retour ; mais un résultat qu’il nous est permis d’apprécier dès à présent, c’est le préjudice que peut avoir porté la faveur à tous ceux qui n’y ont point participé.

Le négociant qui n’a pas eu sa part dans le subside et qui a dirigé ses expéditions vers les mêmes lieux de débouchés où s’est adressée la banque d’industrie, rencontre un concurrent qui a 10 p.c. d’avance sur lui. Ce concurrent n’a qu’un intérêt, il ne songe qu’a assurer la rentrée de ses capitaux sans dépasser la limite de 10 p.c. de perte qui lui sont garantis, et le commissionnaire n’a d’autre intérêt que de réaliser promptement l’opération pour assurer sa commission ; il résulte donc une dépréciation qui n’aurait peut-être pas eu lieu avec la libre concurrence.

Il en résulte encore un autre inconvénient, c’est de ne pas nous éclairer sur les débouchés véritablement utiles, car nous n’avons pas besoin de connaître les débouchés vers lesquels nous pouvons exporter avec perte, mais ceux où nous pouvons exporter avec bénéfice.

Je pense que dans la distribution qui se fera désormais du fonds de l’industrie, on s’attachera à agir de la même manière que nos voisins, et dont je viens de citer plusieurs exemples.

Messieurs, mon intention était de borner là mes observations, mais je crois devoir rectifier quelque erreurs professées dans une précédente séance par un honorable député de Waremme, grand défenseur de l’agriculture. Je suis aussi grand défenseur de l’agriculture que lui, parce que je crois qu’on peut la défendre sans nuire au commerce, et qu’en défendant le commerce, on est toujours favorable à l’agriculture.

J’ai cru remarquer dans l’opinion du député de Waremme un préjugé qu’il est difficile de détruire : savoir que le commerce serait essentiellement hostile à l’agriculture. Cependant il n’y a pas deux branches de la prospérité publique qui se lient plus étroitement. Ici je demanderai seulement à mon honorable collègue de reporter ses souvenirs sur ce qu’était la province de Liége avant que l’industrie et le commerce y eussent pris le développement dont nous sommes témoins depuis quelques années. Qu’il se rappelle comment le peuple y était alors logé, nourri, vêtu et qu’il nous dise si depuis que l’industrie s’est développée dans la province de Liége comme dans le reste du pays, il n’ pas vu s’accroître le bien-être général, si les habitants des campagnes aussi bien que ceux des villes ne se sont pas familiarisés avec une prospérité qui leur était jusqu’alors inconnue.

Je bornerai là mes observations. Je crois inutile de prolonger davantage cette discussion. Je pense que la chambre accordera la somme proposée par la section centrale et reconnaîtra comme elle qu’on peut en faire un emploi très utile.

M. Rodenbach – Je pense aussi que la somme de 220,000 francs n’est pas une somme trop forte pour favoriser le commerce et l’industrie. Dans la séance d’hier, un honorable député nous a fait entendre que la concurrence dans notre pays était très grande. Il nous a également dit que nous fabriquions plus que nous ne pouvions vendre et consommer. Nous savions cela. Ces faits sont connus de toute le monde ; mais l’honorable préopinant ne nous a donné aucun remède. J’aurais préféré qu’au lieu de critiquer notre trop grande fabrication et l’excessive concurrence que se livrent les industriels belges, car c’est le besoin qui les pousse à se faire cette concurrence, j’aurais préféré, dis-je, qu’il nous indiquât un remède à ce mal. Il n’a pas pu le faire.

A la fin de son discours, cet honorable membre a certainement dit de très bonnes choses. Il a donné la preuve que son discours est frappé au coin du talent. Mais j’y ai remarqué beaucoup de théorie, et la théorie n’est que chaos dans l’application ; c’est flotter dans une mer inconnue.

Messieurs, les Anglais et les Français ont eu aussi des économistes qui ont publié des traités savants en faveur de la liberté du commerce. Quoique ces gouvernements aient protégé ces crédits, ces doctes savants en matière commerciale, ont-ils suivi les doctrines des Adam Smith et des Jean-Baptiste Say ? Les Anglais ont donné des secours pécuniaires pour propager sur le continent ses idées de libertés, ils ont envoyé des commis voyageurs pour les y faire adopter. Mais en quoi les Anglais les pratiquent-ils ces principes ? où sont les faits ? Savez-vous quand ils ouvrent leurs barrières douanières ? Quand ils sont parvenus au dernier degré de perfection et qu’ils n’ont plus de concurrence à redouter. Je défie qu’on me prouve le contraire. Le peuple anglais est le premier en fait de commerce et d’industrie.

Toutes ces théories ont été développées d’une manière très savante. Le discours de l’honorable député de Charleroy est aussi très savant. Mais ce n’est là que de la science. Les hommes pratiques ne peuvent partager de telles opinions ; ils doivent les combattre dans l’intérêt du pays.

L’honorable député de Charleroy nous a dit que les 60,000 francs accordés à l’industrie linière n’avaient fait qu’aggraver le mal, que les lins avaient augmenté depuis qu’on avait accordé les 60,000 francs. Je réponds à cela que les 60,000 francs n’ont pas été reçus par les malheureux. Avant que ce léger secours fût donné, on a exigé que le capital fût quadruplé. Noter que huit mille personnes qui se livrent à l’industrie linière sont appelées à prendre part à ce secours de 60,000 francs.

Si l’on veut examiner la protection que l’on accorde à d’autres industries, on peut porter ses investigations sur l’arrondissement que représente l’honorable M. Pirmez. On vient de me communiquer à l’instant une pétition d’Anvers ; elle dit que le fer en fonte est frappé d’un droit de 20 p.c. et le fer en barre d’un droit de 60 p.c. ; et cependant nos agriculteurs, en Flandre, ont besoin de fer pour les instruments d’agriculture ; nos filatures de coton en ont besoin ; malgré cela, il y a un droit exorbitant de 20 et de 60 p.c. Ce n’est pas là une théorie, ce sont des faits.

Les fils ne sont protégés que par un droit de 1 p.c. Le fil étranger qui nous arrive d’Angleterre, d’Allemagne, de tous côtés, ne paye qu’un droit de 1 p.c. ; et le fer paye des droits de 20 à 60 p.c.

Messieurs, si les ouvriers de l’arrondissement de Charleroy n’étaient protégés que par un droit de 1 p.c., sur l’industrie métallurgique, ainsi que sur les charbons, je suis persuadé que l’industrie du Hainaut se plaindrait plus haut que celle des Flandres ; car, vous avez entendu les cris de cette province lorsqu’il a été question d’une diminution de droits sur les combustibles anglais, lorsque le combustible était à un prix très élevé, et lorsqu’il n’y avait sur ce sujet que des discours. On nous a menacé alors, pour ainsi dire, d’une révolte de la part des ouvriers.

Ainsi, il est impossible de soutenir que notre industrie n’a pas besoin de la protection du gouvernement. Nous savons bien que c’est peu de chose que 60,000 francs ; ce n’est qu’une aumône. Mais l’aumône même fait pâlir, lorsqu’on a faim.

Nous voyons que la balance commerciale est chaque année à notre préjudice de 420 millions, d’après le chiffre officiel. Eh bien, je dis que lorsqu’on achète toujours à l’étranger, sans vendre dans la même proportion, il est impossible, quoi que puissent dire les théoriciens, d’être dans une situation prospère. Je sais qu’on a contesté la balance commerciale, qu’on a contesté les chiffres. On peut tout contester en théorie.

Des théoriciens même ont été jusqu’à dire que plus un pays achetait de marchandises à l’étranger, plus il était riche. On a soutenu cette thèse dans des ouvrages très savants. L’honorable M. Pirmez l’a soutenue, non pas hier, mais dans d’autres circonstances. Pour moi, je ne le crois pas, quoique je sois partisan de la liberté commerciale.

Quand je vois les marchandises étrangères qui encombrent nos magasins, je ne crois pas que ce soit de l’argent. Je ne suis pas convaincu de la vérité de ces théories.

Il y a même des hommes qui ont prétendu que plus un pays avait de dettes, plus un pays était riche. J’ai lu un ouvrage d’Ouvrard, à propos d’un emprunt ouvert en France, où l’on développerait ce sophisme, en soutenant que, dans ce cas, les créanciers ont intérêt à soutenir le crédit du pays.

Je sais que cette matière est difficile. Moi-même j’ai été opposé au droit à la sortie des lins. J’ai dû changer d’opinion, parce que j’ai été en contact avec la misère. Je crois que bien d’autres membres seront obligés de changer d’opinion et qu’il nous faudra établir des droits à la sortie des lins, si non considérables, au moins à titre d’essai, et qu’il faudra encourager l’exportation de nos toiles ; car l’industrie linière se meurt, et l’industrie cotonnière est mourante. Ce sont de tristes vérités. Mais il faut les dire.

J’attendrai la suite de la discussion ; et je me joins à l’honorable M. Van Cutsem, pour demander au gouvernement de nous présenter l’enquête sur l’industrie linière. Je crois que l’enquête parlementaire sera bientôt présentée. Peut-être puiserons-nous dans ces enquêtes les moyens de venir au secours du commerce et de l'industrie. Peut-être pourrons-nous nous dispenser de demander des subsides pour l’industrie. Mais il nous faut bien demander ces subsides en attendant que de bonnes lois assurent le bien-être du commerce du pays.

M. Eloy de Burdinne – J’ai quelques mots à répondre à l’honorable député d’Anvers, d’après lequel j’aurais dit que le commerce était contraire aux intérêts de l’agriculture. Je n’ai jamais eu une telle idée. Cependant je dirai à cet honorable membre que si le commerce n’est pas contraire à l’agriculture, il dépend entièrement de la prospérité de l’agriculture en Belgique ; en effet, quand l’agriculture est prospère, elle soutient le commerce, et lui est très utile, ne fût-ce que pour rembourser le péage sur l’Escaut, qui est tout en faveur du commerce, et principalement du commerce d’Anvers.

Quelque chose qui doit nous étonner, c’est que de toutes parts les industries réclament du pays des subsides ; elles ont toujours la main ouverte pour puiser dans le trésor. Mais lorsqu’il n’est pas possible d’augmenter les impôts, où l’industrie et le commerce veulent-ils que l’on puise les fonds nécessaire pour leur donner des subsides ? On veut prendre ; on ne veut jamais rendre. De cette manière la caisse s’épuise ; il est impossible qu’elle suffise à de telles exigences ; car de toutes parts j’entend réclamer au nom de l’industrie des subsides sur le fonds en discussion. Non seulement on trouve que la section centrale a mal fait de réduire le chiffre proposé, mais on trouve que le gouvernement aurait dû proposer un chiffre plus élevé. Voilà ce que j’ai entendu dire à plusieurs orateurs, qui sollicitent tous des encouragements.

Sous ce rapport, rapportons-nous-en à des hommes spéciaux. Que disent-ils ? Que ces encouragement sont plutôt nuisibles que favorables à cette industrie, que plus les subsides sont élevés, plus il y a de souffrance chez les concurrents qui n’en reçoivent pas. En un mot, ce sont des privilèges qui vous accordez aux uns et qui nuisent aux autres. Voilà ce que vous ont dit MM. Pirmez, Cogels et Manilius, hommes spéciaux, le premier pour l’économie politique, les deux autres pour l’industrie et le commerce.

Quant à la prospérité de la province de Liége, dont à parlé l’honorable député d’Anvers, je conviens qu’elle est plus grande que sous l’empire. Mais qu’était Anvers sous l’empire. Une ville forte insignifiante ; les moutons y paissaient l’herbe dans les rues. (Hilarité ; réclamations.) Qu’est devenu Anvers ? Une ville commerciale, pour laquelle on a fait beaucoup de sacrifices.

Je ne m’en plains pas. Je désire que tout prospère en Belgique ; mais il ne faut pas faire de comparaisons, parce que, comme dit un vieux proverbe : « toute comparaison cloche. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Le subside qui nous occupe en ce moment a été successivement attaqué et défendu par les différents orateurs qui ont pris la parole. Je crois devoir ajouter quelques paroles à celles des orateurs qui en ont pris la défense.

L’honorable député de Charleroy, dans la séance d’hier, s’est attaché à prouver que les encouragements que le gouvernement accorde à l’industrie, lui avaient presque toujours été nuisibles. Sans doute, un gouvernement qui croirait être utile à l’industrie, en donnant sans discernement quelques encouragements à des industries particulières, loin d’être favorable à l’industrie, lui nuirait en réalité, et cela pour un double motif.

D’abord parce que ceux qui exercent une industrie similaire et qui ne prendraient pas part aux faveurs du gouvernement, crieraient à la partialité à défaut de pouvoir soutenir la concurrence contre des rivaux qui, plus heureux qu’eux, ne devraient pas se soutenir de leurs propres efforts. En second lieu, parce que ceux qui sont l’objet des faveurs du gouvernement, croiraient , fort de cet appui, ne plus devoir faire d’efforts pour l’amélioration de leurs produits.

Un second point, messieurs, sur lequel je suis parfaitement d’accord avec l’honorable député de Charleroy, c’est que malgré tous les encouragements que peut accorder le gouvernement, il y aura toujours beaucoup de souffrances individuelles dans l’industrie. Ces souffrances individuelles sont le résultat de cette lutte incessante, de cette lutte à mort, qui s’exerce partout où il y a libre concurrence dans l’industrie. Aucun gouvernement n’empêchera que partout où cette lutte existe, ces souffrances n’existent aussi dans l’industrie. En Angleterre même, messieurs, où cette liberté semble avoir pris naissance, ces souffrances individuelles existent et nulle part plus que là, et si vous voyiez les adresses des villes industrielles au parlement et au ministère, vous croiriez réellement que la mort est imminente pour l’industrie anglaise.

Messieurs, cette lutte ne cessera que si on parvient un jour à régulariser la production, à organiser le travail. Aussi les économistes de toutes les écoles, les hommes les plus graves qui s’occupent aujourd’hui de cette matière, font des vœux pour qu’on trouve des moyens de régulariser la production. Jusqu’ici personne n’a osé formulé un système ; peut-être qu’un jour ces moyens de régulariser le travail, d’organiser la production, seront trouvés, et alors seulement on parviendra peut-être à faire cesser le cri des industries en souffrance

Messieurs, si nous sommes d’accord avec l’honorable député de Charleroy sur ces principes, nous ne le sommes plus lorsque l’honorable veut les formuler en système, et imposer en quelque sorte au gouvernement une inaction complète en cette matière ; lorsqu’il veut, en d’autres termes, préconiser comme système commercial, le laisser-faire.

Non, messieurs, il n’est pas vrai qu’il soit impossible au gouvernement d’activer le travail utile d’un pays. Il n’est pas vrai qu’il soit impossible d’augmenter la main-d’œuvre productive d’une nation ; et vous le savez, le travail est sinon la base unique, du mois la base principale de la richesse publique.

Si l’honorable député de Charleroy avait jeté les yeux sur l’emploi du subside, il eût vu que, s’en tenant même aux principes qu’il professe sur cette matière, il eût pu adopter tout l’emploi qui en a été fait. Examinons, en effet, quelques détails.

Et d’abord, messieurs, pour commencer par l’industrie linière, des secours de plus d’un genre ont été accordés cette année à cette industrie. Vous savez qu’une révolution s’est faite dans cette industrie. Quelque opinion que l’on professe sur l’avenir du filage du lin à la mécanique, toujours est-il qu’on doit admettre que cette industrie nouvelle, si elle ne parvient pas à détrôner la vieille industrie linière, est au moins destinée à partager le sceptre qu’elle a tenu jusqu’à présent.

Eh bien ! messieurs, il été reconnu qu’il existait en Angleterre des moyens perfectionnés pour tisser le lin et que, si d’un côté nous étions destinés à perdre sous le rapport du filage à la main, d’un autre côté nous pouvons nous mettre à même de gagner davantage en tissant avec des métiers perfectionnés.

Le gouvernement a donc fait tous ses efforts pour faire arriver ces métiers dans le pays, et certainement tout le monde doit applaudir à cette mesure.

En second lieu, messieurs, il a été mis à la disposition de chaque gouverneur des provinces où l’industrie linière et le plus en souffrance, une somme de 30,000 francs, et d’après l’état qui accompagnait ce subside, il leur a été spécialement recommandé d’en employer un tiers à l’acquisition de métiers perfectionnés de dévidoirs, de temples, que l’on distribuerait aux ouvriers intelligents, sot à titre gratuit, soit à des prix au-dessous de leur valeur, et pour les deux autres tiers de les mettre à la disposition de comités chargés d’organiser le travail dans les communes les plus nécessiteuses.

Ici, une objection a été fait. L’honorable M. Delehaye, si je ne me trompe, a dit que ce subside doit avoir quelque chose de nuisible, en ce que ceux qui, dans les campagnes, n’en profiteront pas, auront à lutter contre les tisserands qui auront participé à cette faveur. Mais il se fait une fausse idée de l’élévation de ce subside et de la disposition qu’il a reçue. Répartition faite, le subside très faible, beaucoup trop faible même qu’il n’aurait dû l’être, s’est borné à 50, 60 et 100 francs par commune.

Et quel emploi a-t-il été fait de ce subside ? On n’a pas donné du lin aux pauvres au-dessous du prix ; on leur a prêté du lin à condition de fabriquer une certaine quantité de fil. Ainsi ceux qui ont pu acheter du lin de leurs propres deniers n’ont pas eu à lutter contre une main-d’œuvre à meilleur marché, mais contre des personnels auxquelles on a procuré le lin au même prix qu’elles auraient pu l’acheter si elles avaient eu de l’argent.

On voit encore figurer dans le tableau joint au rapport de la section centrale, des encouragement à plusieurs industries. Comme il est impossible d’entrer dans tous les détails de ce subside de 4,800 francs, je me bornerai à citer un exemple qui se présente à ma mémoire.

Un mécanicien des plus adroits avait été à l’école d’un mécanicien très renommé de Paris. Il revint dans le pays ayant acquis dans cette partie autant d’habilité que son maître lui-même. Les instruments de précision qu’il faisait, de l’avis de tous ceux qui pouvaient en juger depuis les professeurs de mécanique jusqu’au directeur de l’Observatoire, avaient atteint un degré de perfection tel que n’atteignent que rarement les instruments fabriqués à Londres et à Paris.

Il se présente devant le ministre, et lui dit : Le seul obstacle qui m’arrête, c’est que je ne puis acheter des outils pour travailler ; qu’on me fasse une légère avance, et je prends l’engagement de livrer ces instruments de précision au même prix que la France et l’Angleterre. Il lui a été accordé un léger subside, 1,200 francs, je crois, et depuis il a donné des preuves qu’il saurait tenir ce qu’il avait promis.

N’est-ce pas là un emploi très avantageux d’un subside ? Ce mécanicien fera des élèves, et introduira ainsi dans le pays la construction des instruments de précision qui n’existait pas jusqu’à présent.

Eh bien ! que l’on mette quelque discernement dans toutes les faveurs que l’on accorde aux industriels, et je dis que ce sera augmenter le travail utile dans le pays.

Messieurs, je pourrais ainsi successivement passer en revue toutes les allocations, et si on en critique une seule, je prends sur moi de la défendre à l’instant même.

Ainsi, je vais citer encore un cas, mais que j’ai dû réserver pour l’année qui est déjà commencée.

Tout le monde sait, du moins ceux qui se sont occupés de l’industrie de la bonneterie, assez étendue dans le Hainaut, que cette industrie travaille encore avec les métiers que lui ont légués nos pères depuis dix siècles. Or, il est reconnu qu’en Saxe et en Angleterre, un seul ouvrier fait le double et peut-être plus que ce que fait un ouvrier dans notre pays ; de telle manière qu’il lui est facile de livrer sa marchandise à un prix inférieur à celui que devrait demander un ouvrier de Tournay. Eh bien ! j’ai pris l’engagement envers la chambre de commerce de Tournay de doter cet arrondissement des métiers les plus perfectionnés que possède l’Angleterre, pour fabriquer la bonneterie. Les démarches sont faites en ce moment, et je suis persuadé que l’année ne s’écoulera pas avant de voir montés un ou deux de ces métiers perfectionnés ; de manière que les ouvriers de Tournay pourront fabriquer au même prix que nos rivaux.

N’est-ce pas là favoriser la main-d’œuvre dans notre pays ?

Messieurs, je sais qu’on peut se rejeter avec quelque apparence de fondement sur l’emploi qui a été fait par mon honorable prédécesseur d’une partie des fonds de l’année dernière. Mais outre les motifs qu’il pourrait alléguer et qu’il doit connaître mieux que moi, je dois dire que je suis loin de faire la critique de cette disposition.

Et en effet dans quelles circonstances cette mesure a-t-elle été prise ? Vous vous rappellerez que la ville de Gand se trouvait dans un moment où la population se soulevait, et se soulevait uniquement à défaut de travail. Les magasins, les ateliers étaient remplis de marchandises. Le gouvernement a pris une mesure générale pour déblayer les magasins de leur trop plein, et quand cette mesure, comme vous l’a dit l’honorable M. Delehaye, n’aurait eu pour résultat que de maintenir la tranquillité, elle aurait déjà eu un but très utile.

Mais je dis que ce n’est pas le seul côté utile de la mesure, et en effet, elle a eu en quelque sorte deux résultats. D’abord, comme je l’ai dit, elle a fait déblayer les magasins de leur trop plein ; mais en second lieu elle a eu pour effet de faciliter l’exportation de tissus fabriqués d’après des échantillons donnés aux industriels, échantillons pris sur les lieux de consommation. En effet, ce n’est qu’autant que les industriels fabriqueraient d’après ces échantillons qu’on s’engagerait à exporter leurs produits.

Rien, de prime abord, ne semble plus facile pour un industriel que de travailler d’après des échantillons. Eh bien ! la chambre ne saurait croire quelles difficultés on a eu à surmonter pour obtenir ce résultat.

Grâce à cette mesure, les industriels de Gand ont modifié leur fabrication, ; ils se sont mis à fabriquer d’après des échantillons étrangers à l’Europe, et plusieurs ont trouvé un placement favorable de leurs produits.

Malheureusement des circonstances plus fortes que le gouvernement ont eu pour conséquence qu’une grosse partie de ces exportations ont un placement défavorable. Mais c’est la baisse dans les cotons qui a été seule la cause de ce résultat.

Messieurs, si on peut faire la critique du chiffre qui nous occupe en ce moment, ce n’est pas parce qu’il est trop élevé, c’est parce qu’il est trop faible, et si ce n’était l’état momentané de nos finances je ne me serais pas borné à demande 220,000 francs. En effet, messieurs, je vais faire l’énumération des imputations essentielles, selon moi, qui devront être faites sur le chiffre demandé, pendant l’année 1841 ; cette énumération prouvera à la chambre que le chiffre de 220,000 est loin d’être exagéré, elle prouvera en même temps aux députés des Flandres que malgré toute ma bonne volonté, je serai dans l’impossibilité, même avec le crédit tel qu’il est proposé, de continuer en 1841 à l’industrie linière les avantages, quelque parcimonieux qu’ils puissent paraître, qui lui ont été accordés en 1840.

Une première imputation à faire sur le chiffre en discussion serra celle des frais de rédaction et d’impression de notre statistique commerciale. Vous venez de recevoir tous, de même que les chambres de commerce et beaucoup d’autres établissements du pays, la statistique commerciale de 1838. J’ai toujours regretté que ces statistiques fussent distribuées si tard ; il convient, ce me semble, que des travaux de cette nature ne soient pas publiés à une époque où ils sont en quelque sorte surannés, mais qu’ils le soient en temps utile pour pouvoir produire toute l’utilité qu’on doit en attendre ; il convient que ces statistique paraissent, s’il se peut, quelques mois après l’année à laquelle elles se rapportent ; c’est ce qui se fait en France ; là ordinairement la statistique commerciale d’une année paraît six mois après la clôture de cette année. Ici, au contraire, ce n’est qu’à la fin de 1840 que l’on a pu publier la statistique commerciale de 1838, de sorte que les années 1839 et 1840 sont arriérées. Je ferai l’impossible pour que, dans le courant de 1841, je puise faire distribuer la statistique commerciale de 1839 et 1840. Eh bien, l’impression de ces documents, dont l’utilité est reconnue par le pays entier, coûte à peu près par an 25,000 francs : le personnel et tous les frais de confection encore entre 17 et 18,000 francs. Ainsi pour les deux année réunies il faudra 67 à 68 mille francs.

La dépense des écoles de navigation destinées à former des officiers de marine expérimentés, dont le besoin se fait sentir dans la marine marchande, les écoles de navigation, établies à Ostende et à Anvers, coûtent annuellement 10,700 francs, tant pour les professeurs, que pour quelques légères bourses attachées à ces écoles.

Les consuls à l’étranger ont surtout pour mission, dans l’intérêt de l’industrie, de tenir le pays au courant de tout ce qui peut l’intéresser, de nous transmettre tous les échantillons qu’ils peuvent se procurer, avec les prix courants sur les places où ils résident. C’est sur les fonds de mon ministère et sur l’allocation qui nous occupe en ce moment que les consuls doivent être défrayés de l’achat de ces échantillons. Très souvent, dans le courant de l'année, les consuls envoient au gouvernement des documents précieux pour le commerce, où ils rendent compte des affaires qui se font sur place, de l’espèce de produits dont nos industries pourraient trouver la vente sur les marchés où ces consuls sont établis, et de beaucoup d’autres détails ; ces documents sont annuellement imprimés lorsque le gouvernement trouve qu’ils sont assez importants pour cela ; ils sont envoyés aux chambres de commerce et à tous les industriels qui les réclament ; ils reçoivent, en un mot, la plus grande publicité ; c’est encore là une dépense qui doit être imputée sur le crédit en discussion.

Avant qu’un consul ne se rende à son poste, le gouvernement lui impose en quelque sorte le devoir d’étudier dans le pays même les industries qui pourraient exporter leurs produits sur le marché où il va se fixer ; ces exploitations, dans l’intérieur du pays, qui entraînent une très légère dépense, de 3 ou 400 francs, sont cependant d’une utilité incontestable. C’est encore sur l’article en discussion qu’il faut imputer cette dépense.

Il y a deux consuls, l’un dans l’île de Schetland, l’autre à Flessingue, qui sont chargés de surveiller les bâtiments qui font la grande pêche, afin d’assurer la répression de la fraude ; ces consuls reçoivent de ce chef une indemnité de 600 francs par an. C’est aussi sur le crédit dont nous nous occupons qu’il faut prendre cette indemnité.

Les différents objets que je viens de citer, en dernier lieu, entraînent une dépense de 20,000 francs.

La ministère a eu depuis plusieurs années et a encore en ce moment quelques hommes chargés de missions d’exploration commerciales ; la dépense qui en résulte s’impute également sur le chiffre en discussion, soit 20,000 francs.

La dépense pouvant résulter de la garantie de 10 p.c., assurée par nos prédécesseurs pour l’exportation des produits de l'industrie cotonnière et de l'industrie linière, cette garantie peut entraîner une dépense maxima de 250,000 francs. Nous avons, à la vérité, l’espoir que quelques-unes de ces exportations n’offriront pas de perte, mais enfin lorsqu’il s’agit d’assurer le service, ce n’est pas sur des possibilités que l’on doit établir ses calculs. Il est permis de prévoir que, dans le courant de 1841, nous aurons à imputer 60,000 francs de ce chef sur l’article dont nous nous occupons. En additionnant toutes ces sommes, je trouve pour la direction du commerce de mon département une dépense, dès aujourd’hui certaine, d’à peu près 180,000 francs. Reste par conséquent sur le chiffre de 220,000 francs une somme de 40,000 tout au plus pour les industries du pays, car toutes les dépenses que je viens d’énumérer sont bien plutôt des dépenses commerciales que des dépenses industrielles.

Eh bien, messieurs, sur ces 40,000 francs, il faut d’abord imputer les subsides que nous allouons annuellement à des écoles d’arts et métiers, telle que celle de Tournay : subsides qui s’élèvent à 10,500 francs. Nous aurons ensuite à payer le restant des frais de l’enquête linière, frais que je porte approximativement à 3,000 francs. Nous aurons aussi environ 15,000 francs à dépenser pour doter l’arrondissement de Tournay des métiers à fabriquer la bonneterie, les plus parfaits qui existent et en Saxe et en Angleterre.

Nous arrivons donc à une somme totale de 202,000 francs à imputer sur l’article en discussion, de sorte qu’il reste 12,000 francs pour les dépenses imprévues.

Mais, messieurs, si je devais énumérer toutes les dépenses qu’il est possible de prévoir, comme devant se présenter dans l’année 1841, vous acquerriez la conviction intime que j’aurai à résister, d’un bout de l’année à l’autre, à une foule de demandes, sans pouvoir accorder même ce qui sera indispensable.

Vous voyez donc, messieurs, que, loin de pouvoir réduire le chiffre di gouvernement, j’aurais dû vous demander une somme plus forte pour pouvoir venir au secours de l’industrie linière, chose qu’il me sera impossible de faire avec le chiffre de 220,000 francs.

M. de Theux – J’ai peu de chose à ajouter à ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur sur la garantie de 10 p.c. que nous avons promise à la fin de 1839 pour l’exportation des produits de l’industrie cotonnière. Vous vous rappelez tous, messieurs, combien était critique la situation de cette industrie ; les fabricants se trouvaient dans l’impossibilité de faire travailler sans s’exposer à des pertes considérables ; la population ouvrière étant extrêmement agglomérée, la tranquillité publique d’une de nos principales villes était même compromise ; tous ces motifs se réunissaient pour faire allouer le subside dont il s’agit.

Je ferai remarquer d’abord qu’il ne pouvait résulter de ce subside aucune dépense réelle pour l’Etat. En effet, les fabricants se trouvant dans l’impossibilité de continuer leur travail, il est évident que, pour maintenir la tranquillité publique, il eût fallu un déploiement de forces, dont la dépense eût surpassé de beaucoup la somme de 250,000 francs, que le gouvernement exposait au maximum et dans le cas seulement où toutes les exportations auraient été onéreuses. Ainsi, sous le rapport de l’économie, la mesure était éminemment utile.

Mais il y avait plus, messieurs, il y avait un motif d’humanité et de justice qui prescrivait l’adoption de la mesure qui a été prise ; c’étaient des circonstances tout à fait exceptionnelles qui avaient placé l’industrie cotonnière dans une position aussi fâcheuse ; et sans doute, si ces circonstances n’eussent pas existé, la seule considération de la sûreté publique était compromise, n’eût pas suffit pour faire prendre une semblable mesure, car on pourrait aisément faire naître des motifs de sûreté publique, et le gouvernement doit toujours prendre garde d’ouvrir la porte à de semblables menées ; mais dans le cas dont il s’agit, il y avait réellement impossibilité de continuer le travail d’une manière fructueuse, et nous avions la conviction que cette situation désastreuse viendrait à se modifier, parce qu’elle tenait en grande partie à des circonstances extraordinaires.

Persuadés de la nécessité d’allouer le subside, nous avons cherché à l’utiliser le plus possible ; et pour cela il fallait d’abord amener les fabricants à apporter à leur fabrication toutes les modifications nécessaires pour rendre leurs produits vendables sur les marchés lointains ; nous leur avons, en effet, fait fournir tous les renseignements et tous les échantillons qui pouvaient les mettre à même d’atteindre ce but. Il fallait, en outre, chercher des débouchés nouveaux dans les contrées éloignées, de manière à donner au subside un caractère d’utilité permanente, tout en satisfaisante à une nécessité aussi impérieuse que celle qui se faisait sentir dans ce moment.

Aussi, messieurs, l’utilité du subside a été reconnue par les députés de Gand eux-mêmes. Cependant, un honorable membre a critiqué, dans la séance de ce jour, qu’on n’eût pas pris toutes les précautions possibles pour rendre l’emploi du subside plus utile.

Cet honorable préopinant aurait désiré, par exemple, qu’on eût donné une grande publicité à la mesure, mais il y avait impossibilité de donner de la publicité à cette mesure sans s’exposer à la faire manquer totalement. En 1834, par exemple, l’honorable M. Rogier avait accordé un subside considérable à une société formée à Gand ; mais comme la chose fut divulguée, on prit à l’étranger des mesures onéreuses à notre commerce ; il en résulta que le subside, au lieu d’être utile, devint tout à fait ruineux pour le commerce. Il y avait donc impossibilité de donner une publicité officielle à la mesure. Cependant l’on a fait tout ce qui était possible pour que la mesure fût connue de tous les fabricants et qu’ils fussent tous mis à même de jouir de la faveur qui était accordée.

Le principal inconvénient réel qui se soit présenté, c’est que tous les exportateurs ne pouvaient pas être admis par le gouvernement à cette opération. Il y avait donc inégalité entre les exportateurs, je le reconnais volontiers ; mais il a été impossible d’en agir autrement, parce que nous étions trop limités dans nos moyens ; force nous a été de traiter avec une seule société. Je dirai, d’ailleurs, que la société dont il s’agit nous offrait les conditions les plus avantageuses.

On a supposé que les opérations de cette société ne seraient pas suffisamment connues dans l’intérêt du commerce. C’est là une erreur. En effet, le gouvernement s’est réservé le droit de faire inspecter les livres et d’obtenir les renseignements les plus détaillés sur les opérations qui auraient lieu, de manière que tout ce qu’on a pu acquérir de connaissance par l’expérience, sera mis à la disposition du gouvernement. D’autre par, le gouvernement, connaissant parfaitement les livres, sera assuré qu’il n’a été commis aucun abus, quant à la garantie qu’il promise.

Un honorable député de Gand, tout en approuvant l’allocation qui a eu lieu, a surtout réclamé une protection légale, une protection résultant de la législation douanière. Nous sommes entièrement de l’avis de cet honorable membre, que c’est principalement par les lois que l’industrie et le commerce doivent être protégés. Aussi, n’avons-nous pas perdu de vue ce principe. Il est vrai qu’en 1835 l’honorable M. d’Huart, alors ministre des finances, avait promis lors du rejet par la chambre de l’estampille et de la recherche à l’intérieur, de proposer un projet de loi, à l’effet de réprimer la fraude et de protéger davantage les fabricants de coton ; mais mon honorable collègue, après avoir réuni à plusieurs reprises les divers intéressés dans cette question, n’a jamais pu parvenir à mettre les différents intérêts d’accord, parce que les mesures que les uns réclamaient étaient regardées par les autres comme préjudiciables à la spécialité de leur industrie.

D’autre part, comme on ne voulait accorder ni la prohibition, ni l’estampille, M. d’Huart a été dans l’impossibilité de présenter ce projet de loi. Depuis lors cependant, l’honorable M. Desmaisières a fait une nouvelle tentative, il a institué une commission à l’effet d’examiner quels seraient les meilleurs moyens d’améliorer la répression de la fraude. C’est par suite du travail de cette commission que M. Desmaisières a présenté le projet de loi dont la commission est encore saisie.

Comme ministre des affaires étrangères, j’avais, de mon côté, pris aussi des informations dans tous les pays où nous avons des légations, pour connaître les moyens usités dans ces pays pour la répression de la fraude, ainsi que les résultats que l’emploi de ces moyens y avait produits.

Ces documents ont été livrés à la publicité ; et maintenant la chambre est saisie d’un nouveau projet de loi en faveur de l’industrie cotonnière. La discussion de ce projet amènera nécessairement l’examen de la fraude. C’est alors qu’on reconnaîtra s’il existe des moyens pratiques plus efficaces que ceux qui sont employés aujourd’hui. Dans tous les cas, je serais heureux que la discussion, en ce qui concerne la répression de la fraude, s’engage soit sur le projet présenté par l’honorable M. Desmaisières, soit sur le projet présenté par les députés des Flandres, car il importe que la situation de cette industrie en particulier et des industries en général, relativement aux moyens de répression de la fraude, soit définitivement connue, et que chacun sache à quoi il opeut s’en tenir.

L’honorable ministre de l’intérieur a annoncé l’intention de faire publier le tableau statistique commercial d’une année dans le cours de l’année suivante. Cette intention était aussi la nôtre, mais nous avons eu de grandes difficultés à vaincre, parce qu’il s’était écoulé plusieurs années avant que l’on entreprît une semblable publication. Il fallut donc d’abord satisfaire à l’arriéré, avant de songer à faire le travail de l’exercice courant. En outre, le concours du ministère des finances n’a jamais pu être assez efficace pour fournir en temps utile au département de l’intérieur les renseignements dont il avait besoin.

Je saisirai cette occasion pour dire quelques mots sur les sociétés anonymes dont un député a entretenu dernièrement la chambre, en ce qui concerne les abus qui ont pu résulter de certaines de ces sociétés.

Il me sera extrêmement facile de répondre à ce grief, car si nous avons subi des attaques, c’a n’a pas été pour avoir été trop favorable à ces sociétés, mais pour ne pas leur avoir pas été assez favorable, suivant l’opinion de quelques personnes. Toutefois, je crois qui ni l’une ni l’autre de ces deux opinions n’est fondée.

C’est en 1835 surtout que s’est révélé un grand esprit d’association. Cet esprit d’association a duré pendant plusieurs années. Il a été amené par les besoins de l’industrie et du commerce. En effet, les dépenses de certains établissements, de certaines entreprises ont été tellement considérables, les chances ont été tellement périlleuses, qu’on ne pouvait espérer de se mettre au niveau de l’industrie en Angleterre, si on ne déployait en Belgique, comme dans ce dernier pays, la force des grands capitaux. Or, ce n’est que par les sociétés anonymes que les grands capitaux peuvent être réalisés.

C’est ainsi que l’application de la société anonyme a été reconnue nécessaire pour l’exploitation des hauts fourneaux, la fabrication des verres, les sucreries de betteraves, les verreries, etc. L’utilité de l’application de la société anonyme à ces genres d’industrie ne peut être contestée par personne.

Mais on peut regretter que dans chacune de ces branches il se soit développée une trop grande concurrence. Or, je vous le demande, le gouvernement pouvait-il empêcher cette grande concurrence ? N’y aurait-il pas eu injustice à autoriser une société anonyme pour l’exploitation d’un charbonnage, et à refuser cette autorisation pour l’exploitation d’un autre charbonnage ? Il est évident que dès que le principe de la société anonyme est appliqué à un genre d’industrie, il faut que l’approbation du gouvernement soit accordée à toutes les exploitations similaires, lorsque les administrations offrent aux tiers des garanties suffisantes.

Messieurs, les sociétés anonymes peuvent éprouver des pertes plus ou moins considérables. Mais heureusement toutes le sociétés ont offert à leurs créanciers des garanties suffisantes pour les mettre entièrement à couvert. Je ne pense pas qu’il y ait une seule société qui soit en défaut de payer ses créanciers.

Mais indépendamment des sociétés auxquelles le gouvernement a donné son approbation, il en est d’autres qui se sont constituées sans cette autorisation. Certainement le gouvernement n’avait aucun moyen, je dirai même aucun motif pour les empêcher. Ces sociétés sont constituées sous leurs responsabilités, les tribunaux étant là pour décider, le cas échéant, quelles seraient les conséquences du défaut d’approbation de la part du gouvernement.

Il y avait encore une mesure à prendre en ce qui concerne les sociétés non approuvées, et cette mesure, nous l’avons prise : c’était d’exiger de la part des agents de change, d’établir dans la cote officielle des fonds une distinction entre les sociétés approuvées et celles qui ne l’étaient pas. Par là, le public a été suffisamment averti.

Au surplus, je pense que toute autre mesure relative à la cote des actions ne pouvait pas être efficace, parce qu’en défendant, même aux agents de change, de coter les actions des sociétés non approuvées, on ne pouvait pas empêcher la cote non officielle. Or, il est reconnu qu’on autant de confiance dans la cote extra-officielle que dans la cote officielle.

Je bornerai là mes observations.

M. le président – M. le ministre de l'intérieur vient d’informer le bureau qu’une erreur d’impressions ‘st glissée dans le libellé de l’article en discussion. Il demande qu’après les mots : « Encouragements divers pour le soutien et le déplacement du commerce et de l’industrie », on rétablisse ceux-ci : « Frais de rédaction et de publication de la statistique commerciale et industrielle. »

M. Cogels – Messieurs, je me bornerai à répondre quelques mots à l’honorable préopinant. Je n’ai voulu jeter aucun blâme sur son administration ; j’ai indiqué seulement les inconvénients de la mesure, son peu d’utilité, et le préjudice qui avait dû en résulter pour les industriels qui n’avaient pas participé aux faveurs qu’on a accordées.

On a eu en vue un motif d’ordre public plutôt qu’un motif de prospérité nationale. Eh bien, je reconnais volontiers que le gouvernement a bien fait d’agir en cette circonstance, comme il l’a fait, parce que moyennant un léger mal, on en a évité un plus grand. C’est là tout ce que j’ai voulu dire. J’ai cru devoir donner cette explication, pour qu’on ne donnât pas à mes paroles une interprétation contraire à mes intentions.

M. Delfosse – Messieurs, l’honorable M. de Theux a mis huit jours pour répondre au discours que j’ai prononcé lors de la discussion générale des budgets ; voilà qu’aujourd’hui, après six semaines, il vient répliquer au discours que j’ai prononcé dans la discussion du budget du ministère de la justice.

C’est là un moyen de prolonger indéfiniment les discussions. Pour y mettre un terme je ne répondrai qu’un mot à ce que l’honorable membre vient de dire touchant les sociétés anonymes : je reconnais, car je veux être juste, que l’honorable membre a eu dans le principe le courage de s’opposer à la trop grande extension des sociétés anonymes ; mais plus tard il a faibli ; il a, je ne sais dans quel but, peut-être pour conserver la majorité qui lui échappait, cédé à des exigences qu’il aurait dû repousser. Je m’en rapporte volontiers sur ce point au jugement de la chambre et du pays.

M. de Theux – Messieurs, je suis vraiment étonné que l’honorable préopinant se plaigne de ce que je n’aie pas répondu immédiatement à des discours. Lorsqu’un discours est prononcé d’une manière intempestive, sur des questions qui ne sont pas à l’ordre du jour, et que le nom d’un député se trouve plus ou moins impliqué dans ces questions, je ne pense pas qu’il doive nécessairement prendre la parole chaque fois pour répondre. J’ai pris pour règle de m’abstenir de prendre part à la discussion de questions oiseuses et surtout à des discussions confuses, et d’attendre qu’il y ait un intérêt d’actualité. Voilà pourquoi j’ai différé jusqu’à la discussion du chapitre relatif à l’industrie de répondre aux observations qui m’ont été faites en ce qui concerne les sociétés anonymes.

Quant au changement que j’aurais fait subir à mes principes sur cette matière, c’est là une complète erreur : mes principes ont été invariablement les mêmes dans l’application, pendant tout le temps que j’ai été aux affaires.

M. Delfosse – L’honorable M. de Theux vient de dire qu’il n’a pas répondu plus tôt à mes observations, parce qu’elles étaient intempestives. Je lui ferai remarquer que c’est lui qui, dans la discussion du budget de la justice, est venu, tout en m’attaquant, présenter l’apologie de son ministère ; je n’ai fait moi-même que répondre à cette apologie ; si la réponse était intempestive, qu’était donc l’apologie qui a motivé la réponse ?

M. Delehaye – Je rendrai cette justice à tous les cabinets qui se sont succédé, que tous ont fait pour le commerce et l’industrie des vœux très sincères. Mais je conviens aussi que les actes qu’ils ont tous posés ne les ont pas réalisés.

Les ministres savent que le travail est la source de la prospérité publique. Ils savent que sur le travail repose le maintien du bon ordre, ils savent que du travail émane la moralité du peuple. C’est probablement pour assurer du travail au peuple, qu’on a porté au budget des sommes assez fortes. Envisagées sous ce rapport, ces sommes obtiendront mon assentiment ; mais envisagées comme moyen de favoriser l’industrie et le commerce, elles seront repoussées par moi.

Dans une précédente séance, j’ai indiqué sommairement ce qui avait été fait à l’égard de l’industrie linière. Je parlais de l’ancienne industrie linière et non de la nouvelle, de celle à la mécanique. J’ai dit que les mesures prises par le gouvernement à l’égard de l’ancienne industrie linière étaient de nature à compromettre singulièrement la prospérité de cette industrie.

J’ai dit plus : j’ai dit qu’il suffirait de doubler la somme allouée pour que cette industrie fût complètement anéantie.

Voici ce qui a été fait. On a voulu mettre de la matière première, du lin, à la disposition des tisserands qui n’avaient plus le moyen de s’en procurer, on leur en a livré à un prix inférieur à celui auquel il se vendait sur le marché. Par ce moyen, on espérait qu’ils pourraient continuer à travailler et à pourvoir à la subsistance de leur famille. Mais vous ne voyez pas que la classe qui obtient votre secours s’arrête quelque part ; que la ligne qui sépare l’indigent de celui qui ne l’est pas est très peu sensible, et que dans une commune dont la population ouvrière comprend vingt tisserands indigènes, il y en a 40 qui sont voisins de l’indigence, qui, pour avoir quelques ressources, n’en sont pas moins dans une position très gênée, et ceux-là cependant ne peuvent pas obtenir la matière première au même prix que les autres que vous favorisez. Qu’arrivera-t-il, c’est que l’année suivante ou la seconde année, ils auront épuisé leurs ressources et se trouveront dans la même position que les premières, c’est-à-dire qu’ils ne pourront pas subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

Un honorable membre dont je respecte l’opinion, a confondu l’industrie linière avec la clouterie. Je crois que les cloutiers sont dans une position plus favorable que les tisserands. Vous allez en voir la raison. Pour la clouterie, la matière première est dans le pays ; elle n’est pas exportée par l’étranger ; et surtout elle n’est pas portée à un prix élevé par les quantités exportées. On peut se la procurer à très bas prix. En est-il de même pour le lin ? Vous savez que les tisserands ne sont pas ouvriers ayant un maître ; ils sont maîtres et ouvriers.

Voici ce qui se fait : Les tisserands qui ont quelque aisance et quelque crédit, achètent leur lin et le paient l’année suivante.

Ceux au contraire qui n’ont rien sont obligés d’achetés le lin sur les marchés. Quand une grande partie de ce lin se trouve achetée pour le compte de l’étranger, vous comprenez que le prix doit hausser.

Je sais parfaitement qu’en économie politique c’est un avantage pour le pays de voir exporter les produits de son sol par un pays voisin. C’est pour l’agriculture une chose très favorable. Pour le moment, je ne veux m’occuper ni de la liberté illimitée de sortie, ni de la prohibition absolue, mais je pense qu’il est du devoir du gouvernement de prendre telles mesures qui assurent aux ouvriers les moyens de se procurer au plus bas prix possible, la matière première dont ils ont besoin.

Messieurs, à l’égard de l’industrie linière, M. le ministre de l'intérieur est tombé dans une erreur bien grave. Il a cru que la nouvelle industrie linière, l’industrie à la mécanique, était en opposition avec l’ancienne. C’est là une erreur qu’il m’importe de détruire.

Je pense que ces deux industries peuvent vivre ensemble, qu’au lieu de lutter avec l’ancienne, la nouvelle pourra agir puissamment en sa faveur. Car si elle doit avoir pour résultat de diminuer la main-d’œuvre de la fileuse, elle augmentera celle du tisserand. Ainsi l’industrie mécanique, au lieu d’être nuisible, sera, selon moi, tout à fait avantageuse à l’ancienne industrie linière.

Messieurs, quand je déclare que je donnerai mon assentiment à la demande du gouvernement, on pourrait croire que je tombe en contradiction avec moi-même, ayant voté dans une autre séance contre une demande faite dans le même but que celle-ci, dans l’intérêt du commerce et de l’industrie, au chapitre des consulats. Dans mon opinion, les consulats sont fondés dans l’intérêt du commerce et de l’industrie. C’est parce que l’impulsion donnée à nos consuls ne me paraît pas celle que réclament le commerce et l’industrie que je n’ai pas voulu donner mon assentiment à la demande faite pour en augmenter le nombre. Si vous voulez avoir des agents à l’étranger pour favoriser votre commerce, il faut d’abord choisir des hommes ayant des connaissances en commerce et en industrie. Si nous consultons le personnel de nos consulats, nous verrons que bien peu de nos agents ont des connaissances.

C’est ainsi que de tous les agents envoyés dans notre pays par l’étranger, en qualité de consuls, ne se donnent même pas la peine de visiter nos établissements industriels. Moi-même, je me suis enquis s’ils avaient visité quelques-uns de nos grands établissements. Il m’a été répondu que jamais un des consuls actuels, ni de leurs devanciers, n’y avaient mis les pieds. Comment voulez-vous que des consuls puissent favoriser le commerce et l’industrie, quand pas un, ou du moins en peu, ont les connaissances nécessaires pour s’en occuper.

Messieurs, j’ai commencé par dire que les actes des ministres ne répondaient pas aux vœux qu’ils faisaient pour le commerce et l’industrie.

Il me suffira de jeter un coup d’œil sur la plupart des lois qui régissent l’industrie pour prouver combien est étrange la législation qui régit la matière. Par exemple, une nouvelle industrie, celle des bronzes, vient de s’élever dans le pays. Eh bien, cette industrie au jour qu’il est n’a pas encore reçu la moindre faveur législative. (Un membre : C'est un tort.) C’est parce que c’est un tort que je m’en plains. Par contre, les verreries qui font également partie des objets de luxe, obtiennent une faveur marquée. Il est d’autres industries du même genre, par exemple, la fabrication de la cotonnade. La cotonnade ne jouit encore, quoiqu’elle occupe un nombre considérable d’ouvriers, d’aucune faveur législative. Il n’y a pas une loi qui protège la fabrication du coton dans le pays. Je sais que vous avez établi des doits sur l’importation des cotons étrangers. Mais ils sont tels que, eu égard aux avantages que reçoivent à la sortie les produits étrangers, ces produits peuvent venir faire une concurrence nuisible sur nos propres marchés.

Qu’arrive-t-il en France quand un rouleau est fait pour imprimer des cotons ? L’industriel, grâce à l’étendue du royaume peut imprimer 50,000 pièces. L’industriel belge, au contraire, quand il a fait un rouleau qui lui coûte aussi cher qu’à l’industriel français, ne peut, eu égard au peu d’étendue de notre territoire, imprimer que 1,000 à 1,500 pièces, et quand il a produit cet article, il se trouve en concurrence avec les industriels français qui, avec le même rouleau ayant fait un nombre beaucoup plus considérable de pièces, peuvent les livrer à meilleur marché.

Où voyez-vous là la concurrence possible ? Où y a-t-il parité de position ? Chez l’un et chez l’autre, mêmes frais, marché infiniment plus restreint chez l’un que chez l’autre. Une disproportion aussi marquée ne se trouve compensée par aucune disposition législative.

Vous ayant parlé de l’industrie cotonnière, je suis naturellement amené à répondre à ce qu’a annoncé M. de Theux, et avant lui, M. le ministre de l'intérieur. Ces honorables membres vous ont parlé d’une opération faite à Gand en 1839. De la manière dont MM. de Theux et le ministre de l’intérieur ont expliqué la chose, je suis de leur avis, si la mesure n’a été prise que dans l’intérêt des classes ouvrières, et non pour donner aux industriels les moyens d’exporter avec avantage leurs produits ; mais s’ils ont cru favoriser le commerce et l’industrie, ils ont encore commis une erreur très grave. Je puis en fournir la preuve.

Le gouvernement assurait les industriels de Gand contre la perte éventuelle de 10 p.c. Mais ils étaient obligés d’expédier leurs cotons à l’étranger par l’intermédiaire d’une maison de commerce d’Anvers. Ils n’étaient pas libres du choix de leurs agents ; ils ne pouvaient pas s’adresser à tel commissionnaire en qui ils avaient confiance, mais ils étaient tenus de confier leurs expéditions à des personnes qui leur étaient désignées.

Les opérations faites, on remboursait les pertes jusqu’à concurrence de 10 p.c. ; mais les pertes éprouvées par les négociants sont allées bien au-delà d ce chiffre.

Quelques-uns ont perdu jusqu’à 15 p.c. Bien loin donc d’avoir favorisé l’industrie cotonnière, vous l’avez entraînée dans une perte réelle de 3 p.c. Vous voyez qu’en accordant les protections de cette nature, vous portez un préjudice notable à l’industrie.

Je vous ai dit tout à l’heure que je n’étais partisan ni de la liberté illimitée ni de la prohibition illimitée. Je n’ai pas à examiner cette question pour le moment, mais il est de mon devoir, alors qu’il s’agit d’industrie et de commerce, de citer pour exemple ce qui se passe en Belgique. Qu’a fait la Russie ? Le gouvernement a prix des mesures toutes dans l’intérêt de son pays ; il a défendu la sortie des peaux de lièvre.

Depuis longtemps, en Angleterre, tous les cultivateurs, tous les agriculteurs demandent la libre sortie des laines ; ils ont soutenu leurs demandes par des arguments puisés dans l’intérêt de l’agriculture même ; ils ont en outre fait valoir la situation malheureuse à laquelle ils auraient pu fournir la nourriture de la classe ouvrière à meilleur compte.

Le parlement anglais leur a, malgré cela, refusé cette faveur. Le gouvernement a pensé que, si l’on permettait la sortie de la laine, la supériorité que l’Angleterre s’est acquise dans cette fabrication serait perdue.

En Belgique même, au XVIIIe siècle, on demandait comme aujourd’hui la libre sortie des lins. Les partisans de l’agriculture s’y sont également opposés, prétendant que la sortie des lins devait être nuisible à l’agriculture. Le gouvernement d’alors a été assez sage pour s’y opposer. Qu’en est-il résulté ? d’après des pièces officielles que je pourrais communiquer à la chambre, la prohibition a eu pour effet, non seulement d’augmenter la culture du lin, mais encore elle a permis aux tisserands de vendre pendant l’espace de 15 ans, jusqu’à 80,000 pièces de toiles de plus qu’ils ne vendaient sous le régime de la liberté.

Voilà des exemples frappants !

Il ne faut donc pas se laisser effrayer par la prohibition et par ce qu’elle peut avoir de désagréable. Il faut surtout envisager les résultats.

Une autre partie du commerce et de l’industrie réclame en faveur de la liberté, et ses réclamations ne sont pas accueillies par le gouvernement. Tant il est vrai que le système gouvernemental, tantôt libéral tantôt prohibitif, entraîne presque toujours un désavantage pour les industriels.

Ainsi les tourteaux de lin ne peuvent pas sortir du pays ; on a prétendu servir par là les intérêts de l’agriculture ; mais on n’a pas fait attention que les tourteaux de lin, ne sont pas un engrais, qu’ils ne sont pas nécessaires à l’agriculture. Vous voyez que c’est un système bâtard, un système absurde ; tantôt protecteur, tantôt prohibitif, et toujours contraire aux intérêts du commerce.

On nous a souvent dit qu’il fallait chercher pour nos fabricants des débouchés sur les marchés étrangers. Mais on n’a jamais remarqué qu’il est impossible d’exploiter le marché extérieur, alors qu’on n’a pas le marché intérieur. Le marché extérieur n’est jamais exploité qu’à grands frais par l’industrie. Il lui faut faite des avances de fonds dont la rentrée est tardive. Le marché intérieur, au contraire, produit des rentrées rapides et immédiates. Au moyen de ces fonds, le fabricant peut payer les dépenses journalières de ses ateliers et se livrer au commerce extérieur. D’un autre côté, ce n’est qu’après avoir réalisé un bénéfice certain sur le marché intérieur que l’industrie peut courir les risques d’opérations incertaines sur le marché étranger.

Après avoir fait un bénéfice de 5 p.c. par exemple sur le marché intérieur, on peut se contenter de chercher à obtenir un bénéfice d’un pour cent, sur le marché extérieur. Je dirai plus : après s’être assuré d’un bénéfice de 5 p.c. chez lui, le fabricant peut trouver un avantage à se débarrasser de son trop plein, même avec une légère perte. Remarquez qu’il n’y a jamais de bénéfice réel pour le négociant, que déduction faite des pertes.

Je pourrai pousser mes citations plus loin ; le moment viendra où nous aurons à nous occuper d’un système général de commerce. Je soumettrai alors à la chambre des considérations propres à accorder au pays tous les avantages que les gouvernements sages ne refusent jamais à leurs ouvriers.

Moyennant ces observations, l’assemblée ne me taxera pas d’inconséquence, si après avoir voté contre les consultas, je donne un vote approbatif à la demande du gouvernement.

M. David – Je regrette de n’avoir pu relire au Moniteur le discours plein d’idées de l’honorable M. Pirmez, discours qui a clôturé la séance d’hier. Mais, pour autant que j’aie pu le saisir en l’écoutant prononcer, il me semble qu’il a laissé sur l’auditoire des impressions décourageantes. Messieurs, je ne pourrais partager l’avis de l’honorable M. Pirmez. J’ajouterai même que j’ai le ferme espoir qu’il sera aussi faux prophète dans cette circonstance qu’il me paraît profond penseur.

Je trouve que, théoriquement, l’honorable M. Pirmez a raison quand il prétend que l’industrie doit avoir ses coudées complètement franches, et malgré cela, je ne m’opposerai pas à l’allocation du crédit demandé, attendu que, réparti avec sagesse, il peut être utile à quelques-uns et doit très peu influer, en général, sur l’industrie, en ce qui concerne la concurrence. A la vérité, le cas que vient de présenter l’honorable M. Cogels peut se présenter, mais il ne peut être commun.

Cette concurrence qui est un mal, sous certaines rapports, a néanmoins son bon côté, en ce qu’elle stimule fortement les travailleurs et les fait arriver à des perfectionnements qui non seulement n’auraient jamais eu lieu sans elle, mais qui en outre, facilitent la lutte avec les concurrences étrangères.

C’est tellement vrai que plusieurs gouvernements pour paralyser les puissants effets de cette même concurrence étrangère, ont imaginé et institué des primes d’exportations qui ont pour effet immédiat de faire lutter avantageusement leurs produits avec les produits similaires étrangères.

Je ne partage pas non plus l’avis de l’honorable M. Pirmez sur l’impossibilité de parer aux inconvénients de la concurrence en général ; sans compter que la supériorité est déjà un moyen certain de triomphe, sans compter qu’une conduite sage et irréprochable de la part du manufacturier peut lui faire trouver des capitaux à meilleur compte que son concurrent qui n’inspirera pas la même confiance.

Il est certain que si momentanément d’autres remèdes nous échappent, ils n’en doivent pas moins exister. Le temps apporte toujours un remède à un mal moral, car rien ne meurt dans la société faute de remède. C’est une question d’attente, une vraie question providentielle, c’est le progrès.

M. Pirmez – Il paraît que les paroles que j’ai prononcées hier ont été mal comprises, puisqu’on a répondu à des chose que je n’ai pas dites. M. Rodenbach a répondu à ce que j’aurais dit de la liberté commerciale, dont je n’ai pas dit un mot. M. le ministre de l'intérieur a dit que je voudrais imposer au gouvernement la liberté commerciale. Je n’ai pas dit un mot de cela ; je n’ai touché à cette corde, ni de près ni de loin, ni dans aucun discours. Je n’ai jamais réclamé la liberté commerciale. J’ai toujours dit que si l’on voulait toucher à l’état de choses existant, je serais un des premiers à m’y opposer. C’est donc à tort qu’on me reproche de demander la liberté du commerce.

Je n’ai pas dit que de la concurrence devait naître la misère ; j’ai dit que la connaissance des faits sociaux pouvait seule amener à y remédier ; qu’il n’y avait aucun remède matériel à employer. Ce que j’ai dit hier, à cet égard, je le dis aujourd’hui.

Je crois n’avoir pas fait de sombres calculs.

Quant à l’organisation dont on a parlé, ce serait peut-être un remède efficace. Tout le monde le désire. On le cherche ; on le trouvera peut-être. Quant à moi, je le désire beaucoup.

(Moniteur belge n°21 du 21 janvier 1841) M. de Foere – Pour abréger la discussion, je commencerai pas dire que je donnerai mon assentiment aux considérations dans lesquelles est entré l’honorable député d’Anvers, ainsi que l’honorable député de Gand qui tous deux viennent de parler.

J’ajouterai seulement une observation à celles que vient de développer l’honorable M. Delehaye, dans le but de prouver qu’il faut assurer à l’industrie du pays le marché intérieur, si vous voulez qu’elle réussisse à produire pour l’exportation. C’est un fait qui a été très bien prouvé par l’honorable M. Thiers, alors président du conseil, dans la mémorable discussion des sucres. Plus vous produisez pour la consommation intérieure, plus vous avez besoin de matières premières exotiques dans toutes les industries dans lesquelles ces matières entrent. Plus vous fabriquez le coton pour la consommation intérieure, plus vous consommez cette matière première, (Erratum inséré le 22 janvier 1841) et plus vous avez de moyens d’échanger vos produits sur le marché extérieur contre ces matières premières dont vous avez besoin pour votre propre consommation.

Le commerce n’est pas possible sans échanges, il faut des éléments d’échange. C’est par cette voie (comme je l’ai dit, dans la discussion générale du budget de l'intérieur) que la France et l’Angleterre sont arrivées à cette immense exportation extérieure. Ces Etats ont protégé leur industrie contre l’industrie similaire de l’étranger. Ils lui ont assuré la consommation intérieure. Cette protection a puissamment aidé leur industrie pour produire pour l’exportation, tant au moye des échanges qu’au moyen de la facilité et de l’économie de la production.

J’ai peu de choses à dire sur les théories que l’honorable député de Charleroy a développées hier. Je ferai seulement observer que ces théories sont tantôt vraies, tantôt fausses, selon l’application qui en est faite aux faits. En matière de commerce et d’industrie comme en matière de législation qui s’y rapporte, rien n’est stable, rien n’est immuable. En ces matières, une théorie, un principe ne peut jamais être autre chose que l’expression des faits accumulés ou développés dans un même ordre de choses ; la juste application de ces théories dépend d’une observation rigoureuse des faits. Mais ces faits se modifient souvent, surtout dans la lutte continuelle que le commerce et l’industrie ont à soutenir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il ne peut y avoir à leur égard des principes absolus. Il n’y a donc pas de théories, pas de doctrines que l’on puisse appliquer d’une manière générale, comme à un lit de Procuste, sans tomber dans de graves erreurs. Dans tels cas, ces théories sont vraies ; dans tel autre, elles sont fausses.

Le discours qu’a prononcé hier l’honorable membres n’est pas, selon moi, un discours parlementaire. Le genre parlementaire consiste uniquement dans les débats des principes appliqués aux faits, dans la juste appréciation des causes liées à leurs effets.

Le discours de l’honorable membre est un discours d’école d’économie politique à école d’économie politique, et qu’on pourrait fort bien prononcer dans une académie où l’on discute les principes.

Quand il s’agit de l’application des principes, cette application est très souvent en défaut, parce que ces principes ne s’appliquent pas aux faits, soit que ceux-ci soient modifiés considérablement, soit qu’ils soient même essentiellement changés, ou que même, de prime abord, les principes n’étaient pas applicables aux faits qu’ils sont destinés à représenter.

L’honorable M. Pirmez en a fourni le premier la preuve. Il a voulu établir la similarité entre les cloutiers du pays et les tisserands. Selon lui, si les tisserands se sont plaints, c’est qu’on a répandu parmi eux des erreurs en économie politique ; si les cloutiers ne se plaignent pas, c’est qu’on n’a pas répandu parmi eux ces erreurs.

Eh bien ! les faits détruisent cette assertion. La vraie et seule cause des plaintes de nos tisserands est ailleurs. S’ils trouvaient à travailler, s’ils travaillaient avantageusement, s’ils pouvaient fabriquer de manière à pouvoir nourrir leurs femmes et leurs enfants, toutes les erreurs en économie politique n’exerceraient sur leur esprit aucune espèce d’influence. Mais les cloutiers n’ont pas les mêmes raisons de se plaindre, parce qu’ils ne travaillent pas à perte et qu’ils continuent à subsister de leur travail.

Une autre différence de position détruit encore cette prétendue similarité ; c’est celle qui vous a été signalée par mon honorable ami M. Delehaye. Les cloutiers trouvent comme les tisserands la matière première devant eux ; mais la matière première de la fabrication de clous n’est pas exportée, tandis que la matière première de la fabrication des toiles est exportée en grande partie et que cette exportation la renchérit au point que le niveau entre le prix de la matière première et le prix des toiles est détruit. La similarité entre les deux industries n’existe donc pas.

Ensuite, messieurs, la fabrication des clous trouve son marché à l’intérieur, elle est même dans une position tellement favorable qu’elle lutte avec avantage sur tous les marchés extérieurs, là où la prohibition n’existe pas, c’est-à-dire sur les marchés lointains. Je vous demande si la même faveur existe pour la fabrication des toiles. La fabrication des clous est donc dans une condition meilleure.

L’honorable M. Pirmez a proclamé encore des principes vrais sous un rapport et faux sous un autre, à l’égard de la concurrence à l’intérieur. Il est certain que, quelles que soient nos lois, quels que soient les avantages que vous puissiez accorder à l’industrie, la concurrence intérieure en neutralisera les effets. Il n’y a aucun moyen de soustraire le travail, de soustraire les industries du pays à la concurrence qui s’établit à l’intérieur du pays. Mais en est-il de même pour la concurrence extérieure qui vient nuire à l’industrie intérieure ? S’il en était ainsi, pourquoi alors toutes les autres nations européennes qui fabriquent des produits similaires aux nôtres adoptent-elles un système de protection qui va même jusqu’à la prohibition ? Ces faits donnent un nouveau démenti au principe proclamé, d’une manière si générale, sur la concurrence.

Cette vérité résulte des aveux généraux qui ont été faits dans toute l’enquête commerciale et industrielle. Partout il a été avoué que les produits de nos industries, ne peuvent être exportés dans aucun Etat européen, parce que ces Etats les excluent soit par des droits exorbitants, soit par la prohibition.

Nous avons les mêmes moyens de soustraire notre industrie à la concurrence extérieure ; ils consistent dans l’adoption franche du même système de protection efficace. Alors nous trouverons toute la prospérité possible du pays dans cette même source que vous a signalée l’honorable M. Pirmez lui-même et qui a été avouée (je l’ai entendu avec plaisir) par M. le ministre de l'intérieur. Cette source, c’est le travail du pays, seule source de prospérité, d’ordre, de régularité, le seul moyen de payer les divers impôts du pays.

J’ai dit que l’exportation de nos produits dans les Etats européens n’est pas possible à cause de leur législation prohibitive. Il est cependant une exception ; elle s’établit à l’égard de ces sortes d’articles que ces Etats ne produisent pas ou ne fabriquent pas en quantités suffisantes pour les besoins de leur consommation ou de leur propre commerce d’exportation.

L’honorable M. Pirmez croit avec nous que le travail du pays est une source de prospérité, pourvu que la production n’excède pas la demande ou les besoins de la consommation. J’admets avec lui cette dernière modification. Mais puisqu’il admet le principe, il semble qu’il devrait tirer de ses doctrines des conséquences toutes contraires et admettre que le travail du pays doit être protégé contre la concurrence étrangère, afin de ne pas tarir en partie cette source de prospérité. Il veut bien ne pas adopter la liberté du commerce, comme il vient de nous l’assurer, mais il veut le maintien de ce qui existe, le maintien de la législation actuelle. Or, les faits prouvent de la manière la plus évidente que l’industrie étrangère fait, sous plusieurs rapports, concurrence à la nôtre, que le marché intérieur n’est pas garanti, sous ces rapports, à notre industrie et que la vraie source de notre prospérité est en partie tarie. Il semble, dis-je, que l’honorable membre est opposé dans ces cas à ses propres doctrines. S’il veut être conséquent avec lui-même, il doit ne pas vouloir, sous les mêmes rapports, le maintien de la législation actuelle et nous proposer de suivre la législation de tous les Etats européens.

J’admets avec lui que le travail peut être exagéré, et il l’est toutes les fois que la production excède la demande, toutes les fois qu’elle n’observe pas la proportion de la consommation. Il résulte toujours de cette infraction faite à la loi du niveau un trop plein et par conséquent des embarras et des crises. Mais ce ne sont pas les lois qui sont capables d’établir ce niveau ; les lois sont impuissantes à ce égard. Le niveau est établi par la force même des choses ; en premier lieu par les expériences que fait le commerce, lorsqu’il amène dans nos ports des produits en plus grande abondance que la nation ne peut en consommer ou en réexporter ; ensuite par les expériences que fait l’industrie du pays lorsqu’elle produit au-delà des besoins de la consommation ou des demandes de l’extérieur. Je suis d’accord que si un tel état de choses pouvait continuer, le travail aurait pour résultat d’appauvrir ; mais, je le répète, pour empêcher ce résultat, les lois sont impuissantes ; il faut se reposer sur l’intérêt du négociant et du fabricant qui, instruits par leur propre expérience, ne produiront à la longue dans le pays que les marchandises nécessaires à la consommation et à l’exportation. Aucun système de commerce, aucune loi ne peut remédier à ce mal, si ce n’est l’intérêt du négociant et de l'industriel. Ce remède est suffisamment efficace pour ne pas en chercher d’autres dans des théories.

J’en viens, messieurs, à l’appréciation du chiffre qui nous est demandé. Voici comment chaque année cet article a été libellé dans le budget : « Encouragements divers pour le soutien et le développement du commerce et de l’industrie. »

Je vous demanderai, messieurs, si le commerce, si l’industrie ont été soutenus ou développés au moyen de ce subside ? Vous connaissez la situation permanente dans laquelle notre commerce et notre industrie se sont trouvés, malgré ce subside qui a été alloué pendant tant d’années. Vous connaissez les applications qui en ont été faites. Je vous le demande ; veuillez répondre positivement et ingénument.

Si je fais le procès à cet article, ce n’est pas que le chiffre qui est demande ne puisse recevoir une application fort utile. Je l’adopterai même. Seulement ce que j’ai dit chaque année, ce que j’ai dit dans la discussion générale du budget, et ce que je répéterai jusqu’à ce que les vraies bases de la prospérité générale aient été posées, c’est que ce chiffre n’est qu’un véritable palliatif dans le sens général dans lequel l’article est formulé.

Mais si, comme M. le ministre en a le projet, l’allocation est appliquée à venir au secours d’industries momentanément souffrantes, ou à une autre industrie nouvelle qui peut avoir de l’avenir ; si elle est appliquée à l’introduction dans le pays de machines perfectionnées, de nouvelles inventions, elle peut être très utile. Mais aussi longtemps que les moyens de développer le commerce et l’industrie se bornent à ces mesures, vous n’arriverez à aucun résultat.

Lorsque j’ai fait la même observation dans la discussion générale, M. le ministre de l'intérieur a fait observer que je préjugeais la question de l’enquête, et qu’il fallait attendre jusqu’à ce que la discussion ait eu lieu, avant de pouvoir discerner entre les systèmes qu’il conviendrait d’appliquer dans l’intérêt du commerce et de l’industrie du pays.

Messieurs, il y aurait beaucoup d’observations à faire à ce reproche que m’a adressé M. le ministre de l'intérieur ; je me bornerai à une seule. C’est le ministère lui-même qui a préjugé la question, et qui l’ a préjugée tout entière et de la manière la plus positive.

Le ministère nous a présenté dernièrement le traité de navigation avec les Etats-Unis. Eh bien ! dans l’article 4 de ce traité, la seule question que l’enquête commerciale présentera, est déposée dans cet article. Sur toutes les questions qui ont été discutées, l’enquête présente des résultats unanimes ou presque unanimes.

La seule question, je le répète, que le résultat de l’enquête présente est la question préjugée par le gouvernement ; et c’est à moi, remarquez-le, qu’on adresse le reproche de préjuger le résultat de l’enquête.

Permettra-t-on au commerce maritime de l’étranger de s’assimiler au commerce maritime du pays lorsqu’il importe par ses navires, dans nos ports, des marchandises pour la consommation intérieure, qui ne sont pas le produit de son sol ou de son industrie ? Telle est, messieurs, la seule question que l’enquête commerciale présente à la discussion de la chambre.

Or, l’article 4 du projet de traité avec les Etats-Unis, qui nous est présenté permet à ce pays d’assimiler à cet égard son commerce au nôtre.

C’était le même principe déposé dans l’article 4 du traité conclu avec la France, qui a soulevé dans le pays tant de réclamations contre ce traité.

Malgré ce fait, M. le ministre de l'intérieur nous reproche de préjuger les questions soumises à l’enquête commerciale. C’est donc le ministère lui-même qui préjuge de la manière la plus positive, le résultat de l’enquête en nous présentant des traités de commerce que certainement il approuve, puisque, s’il ne les approuvait pas, il ne nous les présenterait pas à l’adoption.

Je voterai, messieurs, le chiffre proposé par la section centrale, non pas comme un moyen de développer notre commerce et notre industrie, ainsi que le porte le libellé de l’article, mais comme un moyen de venir au secours d’industries momentanément en souffrance, d’aider une industrie nouvelle qui s’implante dans le pays lorsqu’elle a de l’avenir, de faire l’achat de nouvelles inventions de métiers perfectionnés. J’accorderai le subside pour qu’il en soit fait un semblable usage.

Je partage entièrement l’opinion qui a été émise à cet égard par l’honorable M. Delfosse, par l’honorable ministre de l’intérieur et par d’autres membres qui ont parlé dans le même sens ; mais je repousse de toutes mes forces l’opinion de ceux qui considèrent ces subsides comme un remède général aux souffrances du pays.

Pour vous prouver que ces souffrances ne sont pas fondées, M. le ministre de l'intérieur vous a dit qu’elles sont manifestées en Angleterre même où l’industrie et le commerce sont si prospères. Mais dans ce pays, le commerce et l’industrie trouvent dans les lois toute la protection qu’il soit possible de leur accorder. Le marché intérieur est garanti à l’intérieur et le système de commerce protège efficacement l’exportation de ses produits.

Je lui ai déjà fait remarquer, messieurs, dans une session précédente, que les réclamations faites en Angleterre ne portent pas sur le système général des lois commerciales, sur les institutions mères de ce pays ; ce ne sont que des réclamations presque toutes relatives aux lois des céréales. Or, ces lois sont tout à fait en dehors de la question qui nous occupe. L’Angleterre n’exporte pas de céréales ; elle éprouve presque toujours le besoin d’en importer pour sa propre consommation, c’est contre cette législation des céréales qu’il s’élève en Angleterre des réclamations de la part de toute la classe ouvrière et de la part de la grande majorité des consommateurs, qui paient les céréales à des prix fort élevés pour assurer un revenu exorbitant au parti tory qui possède les grandes propriétés territoriales du pays. Ces plaintes sont donc tout à fait en dehors de la question et ne peuvent être assimilées aux plaintes qu’élèvent le commerce et l’industrie du pays contre le système général qui régit le pays.

(Moniteur n°20 du 20 janvier 1841) M. Van Cutsem – Messieurs, dans la séance d’hier, appuyant le subside demandé par le gouvernement pour l’industrie et le commerce, et faisant connaître à l’assemblée les motifs qui me faisaient agir ainsi, je priais M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir me dire si les membres nommés par le gouvernement pour faire une enquête sur l’industrie linière lui ont déjà soumis leur rapport ; je le priais de bien vouloir nous dire aussi s’il compte faire imprimer ce rapport et le faire distribuer à la chambre, pour que chacun de nous puisse se former une opinion raisonnée sur la position de cette industrie et sur le remède que l’on pourrait apporter à ses souffrances. Comme M. le ministre ne m’a pas répondu, quoique l’honorable M. Rodenbach ait réitéré encore aujourd’hui mon interpellation, je le prie de nouveau de bien vouloir me donner des explications à ce égard.

Je demanderai aussi à M. le ministre de l'intérieur s’il a l’intention de faire imprimer et distribuer aux membres de la chambre l’enquête qu’il doit avoir faite pour s’éclairer sur la situation du commerce de notre pays, enquête qu’il a faite également pour faire connaître le pour et le contre sur la question que la chambre a soumise à une commission d’enquête parlementaire ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – J’avais en effet oublié de répondre à l’interpellation de l'honorable député de Courtray. Aujourd’hui, messieurs, les membres de la commission d’enquête sur l’industrie linière ont été réunis dans une des sections du palais pour délibérer notamment sur la publication de l'enquête ; malheureusement l’indisposition d’un des membres de cette commission a empêché qu’il fût pris une résolution. J’espère que d’ici à huit jours les questions qui se rattachent à la publication de cette enquête pourront être résolues. Quant à la publication elle-même, je ne puis pas encore dire positivement si l’enquête sera publiée littéralement telle qu’elle a été faite, ou si elle ne sera publiée qu’en résumé ; toujours est-il qu’elle le sera soit de l’une soit de l’autre manière, et s’il est fait un résumé, il sera arrêté par tous les membres de la commission.

Messieurs, lors de la discussion sur la question de l’enquête parlementaire, j’ai promis à la chambre de lui faire dans la session suivante un rapport sur l’état de notre industrie et de notre commerce ; je m’occupe de ce travail et j’espère que d’ici à quelques semaines ou d’ici à un mois ou deux, dans tous les cas avant la fin de la session, je déposerai sur le bureau le rapport dont il s’agit, et qui, aussi bien que le rapport de la commission d’enquête linière, parviendra à jeter des lumières sur les graves questions qui en font l’objet.

- Le chiffre de 220,000 francs est mis aux voix et adopté.