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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 17 février 1841

(Moniteur belge n°49 du 18 février 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à midi et quart.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la lecture en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune présente l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Les administrations communales de Dailly et de Perches (Namur) demandent qu’il soit introduit dans la loi des pensions une disposition en faveur des professeurs primaires communaux. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Des brasseurs de la ville de Gand adressent des observations sur le projet de loi relatif aux céréales. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur les céréales.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude, rapporteur – Messieurs, vous avez demandé un prompt rapport sur la pétition n°221 qui vous a été présentée par un certain nombre de notables de la ville de Liège, qui s’opposent à la construction d’un pont suspendu en remplacement de celui de la Boverie, dont la démolition a été ordonnée par arrêt de la cour de Liége.

Les pétitionnaires vous exposent que la construction d’un nouveau pont est particulièrement réclamée dans l’intérêt du gros roulage, mais que ce service ne peut lui être rendu que par un pont en pierres.

Ils s’opposent en conséquence, à l’exécution du projet d’un pont suspendu que l’on veut y établir.

Ils s’y opposent parce que l’expérience prouve que presque partout des désastres épouvantables ont signalé l’existence de semblables ponts, et ils citent des faits qu’on ne peut lire sans effroi.

Ils soutiennent que cette construction, outre qu’elle est dangereuse, n’est ni nécessaire, ni utile, ni économique, que ce sont cependant ces motifs qu’on a cherché à faire valoir.

Ils démontrent que c’est à tort qu’on a prétendu qu’un pont en pierre serait nuisible à la navigation.

Ils disent que les ponts suspendus ne sont tout au plus convenables que dans les localités peu populeuses, et où le roulage n’emploie que des voitures légères, ou bien quand l’absence des matériaux ou leur éloignement trop dispendieux rend la construction d’un pont en pierres impossible ;

Qu’aucune de ces circonstances ne se rencontre à Liége.

Quant à la durée, ils prouvent que pour la plupart elle n’a été qu’éphémère, que le gouvernement ne doit cependant s’intéresser dans les constructions que lorsqu’elles ont quelque chose de monumental et que l’on puisse présenter aux siècles à venir.

Y aurait-il encore aujourd’hui la moindre trace de l’aqueduc de Tarragone, dont les ruines attestent la puissance romaine qi l’a créé ? … Je n’en parle ici que parce qu’il rappelle la hardiesse téméraire d’un Belge qui a franchi le précipice qui en sépare les arches, monté sur un cheval dont il avait bandé les yeux.

Si cet aqueduc avait été soutenu par un pont suspendu, il y a longtemps qu’il serait roulé dans l’abîme et enterré dans l’oubli.

Enfin les pétitionnaires demandent si le gouvernement peut engager sa responsabilité dans pareille entreprise en grevant l’Etat d’une nouvelle dette, lorsque la surcharge n’en est déjà que trop lourde. Par ces diverses considérations, votre commission a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. de Behr – Cette affaire intéresse la ville de Liége et une société d’actionnaires très nombreuse. Je demanderai que la pétition soit renvoyée à M. le ministre des travaux publics avec demande d’explication.

- Cette proposition est adoptée.


M. Peeters – Messieurs, comme rapporteur de la section centrale chargée d’examiner le budget des travaux publics, à laquelle, par votre décision du 13 janvier dernier, vous avez envoyé deux pétitions, l’une du conseil communal de Stokhem, et l’autre du conseil communal de Mechelen, province du Limbourg, concernant les ouvrages à faire aux rives de la Meuse. J’ai l’honneur de vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics et le dépôt sur le budget de la chambre pendant la discussion de son budget.

M. Delfosse – Je demanderai aussi l’insertion des pétitions au Moniteur.

Les conclusions du rapport et la proposition de M. Delfosse sont adoptées

Projet de loi relatif à la nomination d'un troisième juge d'instruction dans l'arrondissement de Bruxelles

Rapport de la section centrale

M. Verhaegen – Messieurs, la commission à laquelle vous avez renvoyé le projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à nommer un troisième juge d’instruction près du tribunal de l’arrondissement de Bruxelles, m’a chargé de vous faire son rapport.

La commission, mue par les considérations qu’a fait valoir M. le ministre, ayant égard au tableau statistique joint à son rapport, et vu l’importance des travaux du tribunal de Bruxelles, pense que la nomination d’un troisième juge d’instruction est indispensable.

En conséquence, elle vous propose l’adoption du projet tel qu’il a été présenté par le gouvernement.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre en fixera ultérieurement la discussion.

Pièces adressées à la chambre

M. de Garcia – Je crois qu’il faudrait aussi ordonner l’impression au Moniteur de la pétition relative au pont suspendu à construire à Liége sur la Meuse. Je crois qu’on a provoqué des explications de la part de M. le ministre ; mais il faut convenir qu’à l’exception des membres de la commission, nous ne savons ce que contient cette pétition. Dès lors nous ne pourrons mesurer la portée des explications qui seront données.

M. Delfosse – Je ne m’oppose pas à l’insertion au Moniteur ; cependant je dois faire remarquer que cette pétition a été imprimée et distribuée à tous les membres de la chambre.

M. de Garcia – Dans ce cas, je la trouverai chez moi. Je renonce à ma proposition.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1841

Discussion générale

M. le président – L’ordre du jour appelle la discussion du budget des travaux publics. La discussion générale est ouverte.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics, annonce qu’elle a cru devoir procéder à l’examen de ce budget avec une certaine sévérité, et que, vu les circonstances où nous nous trouvons, elle n’a admis que des dépenses non seulement utiles, mais urgentes, ou celles qui résultaient d’engagements contractés.

C’est en procédant, messieurs, dans un tel esprit que la section centrale est venue proposer à la chambre sur le budget total une réduction qu’elle évalue à 1,044,000 francs. Mais il est bon que la chambre remarque que dans ce million 44,000 francs il faut déduire une somme de 620,000 francs dont j’ai proposé moi-même la réduction il y a deux mois.

Reste donc, messieurs, une somme d’environ 424,000 francs, dont en définitive la section centrale vous demande le retranchement.

Ainsi, messieurs, sur un budget qui va jusqu’à près de 12 millions de francs, la section centrale, ayant procédé avec sévérité à l’examen des dépenses, n’ayant admis que des dépenses utiles et urgentes, ou résultant d’engagements contractés, la section centrale, en définitive, n’est arrive qu’à la réduction de 424,000 francs que je viens de vous signaler.

Que résulte-t-il, messieurs, des conclusions de la section centrale ? C’est que le budget des travaux publics, quoi qu’on en ait pu dire, avait été réglé par le ministre avec la modération convenable.

Maintenant, messieurs, si nous décomposons les réductions en elles-mêmes, nous arriverons à cet autre résultat que toutes les dépenses sur lesquelles on propose des réductions, sont reconnues par la section centrale elle-même, comme utiles, qu’elles ne sont repoussées que parce que la position du trésor public ne les permettrait pas.

Eh bien, messieurs, quelles sont ces dépenses dont on propose aujourd’hui l’ajournement ? Elles peuvent se diviser en deux grandes sections ; 200,00 francs pour les routes pavées et environ 200,000 francs pour l’instruction publique, les lettres, sciences et arts.

Voilà, messieurs, les deux bases, je pense, sur lesquelles devront porter les débats.

Accordera-t-on pour les routes pavées 200,000 francs de plus ou de moins ? Accordera-t-on pour l’instruction, pour les lettres, sciences et arts 180 ou 200 mille francs de plus ou de moins ? Voilà, suivant moi, quel doit être le terrain de la discussion, si tant est qu’on ne le déplace pas, qu’on l’accepte tel qu’il a été présente par la section centrale.

M. de Puydt – Je demande la parole.

M. de Langhe – Je la demande aussi.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je me réserve de justifier ultérieurement les dépenses sur lesquelles portent les réductions proposées. Mais j’ai cru qu’il était sage, et que par là nous pourrions arriver à une discussion plus nette et plus abrégée, de prendre dès maintenant acte des propositions de la section centrale.

Je n’entends pas, messieurs, défendre toutes les propositions que j’ai faites avec une opiniâtreté déplacée. S’il m’est démontré dans cette enceinte que les sommes réclamées vont au-delà des besoins du pays, s’il m’est démontré que les circonstances actuelles exigent une grande réserve dans les dépenses ; eh bien !, messieurs, je me rendrai aux raisons que l’on me donnera.

Je dois dire pourtant que je regrette en ce qui concerne la partie si intéressante du budget, relative à l’instruction publique, lettres, sciences et arts, que les réductions aient été introduites, aient été proposées, sans qu’on ait provoqué de ma part aucune espèce d’explications.

Je n’en adresse pas de reproche à la section centrale. Il paraît que toutes les sections à peu près avaient été unanimes pour demander le retranchement de toutes les allocations nouvelles. Du moins c’est ce que dit la section centrale.

Je me suis rendu dans son sein, je lui ai proposé des explications. Ces explications, elle n’a pas cru devoir les accepter. De manière qu’il faudra bien qu’elles soient données en séance, et si alors, les motifs qui ont déterminé les votes de la section centrale pour cette réduction me paraissent acceptables, je le déclare, je me rallierai à toutes les opinions qui me paraîtront raisonnables et modérées.

Mais, à mon tour, j’attends aussi que la chambre voudra bien suivre la même marche et se rallier à toutes les propositions du gouvernement qui lui paraîtront porter le même caractère.

Voilà, messieurs, pour la question de chiffres. Mais il y a dans le budget des travaux publics d’autres questions qui peuvent se présenter et pour lesquelles je me suis également préparé.

Je veux parler de l’esprit même qui dirige cette administration, de ses principes et de ses actes.

A cet égard, j’attendrai la discussion. Je dois seulement déclarer que je suis prêt à la réponse.

M. de Nef – Plusieurs fois je vous ai entretenu du bien inappréciable que peuvent produire les voies de communication par routes ou canaux dans la campine anversoise et limbourgeoise, ainsi que dans le Luxembourg.

Puisque je regarde cet objet comme étant en même temps un des intérêts les plus essentiels au pays tout entier, je ne saurais laisser échapper aucune occasion d’y rappeler votre attention, tout en rendant justice à M. le ministre des travaux publics de ce qu’il a déjà su apprécier l’utilité incalculable des travaux à exécuter dans ces contrées.

L’année dernière, je vous ai démontré que la route de Diest à Turnhout devait nécessairement être prolongée de trois lieues vers Tilbourg, parce que sans cette prolongation son but principal serait manqué ; n’arrivant pas jusqu’aux frontières de la Hollande, cette route ne faciliterait que très médiocrement les communications entre les deux pays ; le produit des barrières resterait réduit à peu de chose, tandis qu’en la prolongeant, le conseil provincial sera mieux disposé à y rattacher d’autres localités telles que Moll et Meerhout, parce que par ce prolongement dont je parle, cette route recevrait un grand débouché, et par suite un mouvement assuré.

Un autre projet existe encore depuis 1835, je veux parler du projet de canalisation de MM. Techman et Masui, modifié par l’ingénieur Hummer et tendant à rattacher la Meuse à l’Escaut. Je sais bien que depuis longtemps on a conçu des projets semblables, mais celui dont je vous entretiens est tellement supérieur qu’il n’y a aucune parallèle à établir.

Par un canal d’alimentation, d’irrigation et de navigation on parviendra à fertiliser non seulement les bruyères environnantes des deux Nèthes et celles du Limbourg, qui toutes seront alimentées par le canal principal, mais on obtiendra encore le même but pour les bruyères du nord de la Campine ; celles-ci, étant à la fois les plus étendues et les plus propres à devenir fertiles, offriront à l’Etat un ample dédommagement et une source de richesses pour l’avenir.

On m’objectera peut-être que la chambre a émis le vœu que l’emprunt de 82 millions, voté au printemps passé, serait le dernier et qu’ainsi l’exécution de la canalisation dont il s’agit devient en quelque sorte impossible ; mais c’est là une erreur ; l’exécution sera même très facile sans faire un nouvel emprunt si vous adoptez pour les canalisations le même système que celui qui a été adopté pour la construction de nouvelles routes, c’est-à-dire, en employant pour creuser de nouveaux canaux, le superflu des péages établis sur les canaux et rivières canalisées qui est évalué au-delà d’un million par an. Ce superflu monte à une somme assez élevée pour qu’il soit permis d’espérer que, par ce seul moyen et sans devoir recourir à un emprunt quelconque, les travaux pourront continuer dans les deux Campines et dans le Luxembourg sans interruption, de manière à être achevés dans un nombre d’années assez limité et à donner un nouveau développement à l’agriculture et à l’industrie.

M. Van Cutsem – Messieurs, mon intention en prenant part à la discussion générale du budget des travaux publics, n’est pas de blâmer ou d’incriminer les actes du fonctionnaire qui se trouve à la tête de ce département ; je veux seulement lui signaler les abus qui ont existé dans son administration sous ses prédécesseurs, et qu’il n’a pas encore fait disparaître jusqu’à ce jour ; le premier de ces abus est sans doute le plus grave de tous, parce qu’il porte atteinte à l’article 115 de la constitution, et qu’il en rend l’application impossible, attendu qu’il empêche de porter les recettes de l’Etat au budget et dans les comptes où on doit les voir figurer, et qu’il soustrait de cette manière à tout contrôle des recettes faites pour compte du gouvernement, alors que dans un pays régi par le système constitutionnel, toutes les recettes comme toutes les dépenses doivent être vérifiées et approuvées par les pouvoirs que la loi désigne à cet effet.

Je vais m’expliquer : depuis 1835 jusqu’en 1838 les recettes du chemin de fer ont été effectuées par les employés de cette administration, sans que le chemin de fer de ce département ait pris une mesure quelconque dont on pût inférer qu’il voulût se l’arroger définitivement ; le règlement général sur le chemin de fer du premier septembre 1838 est la première pièce officielle qui démontre que le chemin de fer du département des travaux public avait pris cette recette à lui ; ce règlement, au titre Ier, dit que l’administration du chemin de fer en exploitation comprend trois services principaux :

1° Le service des moyens d’exploitation ;

2° Le service de l’entretien et de la police de la route ;

3° Le service des convois et des recettes.

A la vue de ce règlement, je ne puis m’empêcher de demander ce qui peut avoir porté le prédécesseur du ministre actuel à faire rentrer dans ses attributions la recette du produit que donnent les chemins de fer ; car la perception de cet impôt est entièrement distinct de la construction, de l’entretien et de l’exploitation du chemin de fer ; quant à la construction, à l’entretien et à l’exploitation, ils doivent rester dans les attributions du ministre des travaux publics, mais pour ce qui concerne les produits et la comptabilité, c’est le ministre des finances qui doit en avoir la surveillance et la direction, pour que cette comptabilité soit soumise au contrôle qui garantit que les recettes rentreront dans leur entier dans les caisses de l’Etat.

M. le ministre, s’il veut continuer l’abus qui a pris naissance sous son devancier, invoquera en vain l’arrêté du roi du 5 mai 1835 pour justifier cette perception, parce qu’un arrêté-loi, moins encore qu’une loi, ne peut porter des modifications à la constitution, qui veut que le département des finances crée et administre les ressources nécessaires pour faire marcher le gouvernement ; toutefois, nous allons examiner cet arrêté, et nous allons voir si cet arrêté fait rentrer dans les attributions de M. le ministre des travaux publics la perception des produits du chemin de fer. L’arrêté royal du 5 mai porte que la perception des péages sur le chemin de fer doit s’opérer jusqu’au 1er juillet 1836 par le gouvernement ; ne résulte-t-il pas de là, que ce n’est pas au ministre des travaux publics seul que cette exploitation est attribuée, mais bien au gouvernement, c’est-à-dire aux différents ministères chacun dans ses attributions ? Ce qui achève de l’établir, c’est que l’article 3 attribue spécialement au ministre des travaux publics comme faisant partie du gouvernement le règlement du nombre et des heures de voyage.

Cette partie du service, que l’arrêté royal confie en termes formels au ministre des travaux publics, lui appartient, parce que la construction, l’entretien et la police conservatrice de la route étant du ressort de son département, le règlement de la circulation doit en dépendre nécessairement pour prévenir les inconvénients et les dangers qui résulteraient d’un parcours dans des moments où la route ne serait pas libre ou praticable. Mais cette attribution ne lui donne pas plus droit d’effectuer cette recette que le ministre de la guerre, qui dispose des terrains et des eaux de fortifications, n’en a d’opérer le recouvrement des revenus qui en proviennent, et qui jusqu’ici ont toujours été perçus par le ministre des finances comme des dépendances du domaine public ; il ne peut pas plus effectuer ces recettes que le ministre de l’intérieur, qui a la police des routes, ne peut toucher celle des barrières, que le ministre de la justice ne peut faire renter dans les caisses de l’Etat le montant des amendes et des frais judiciaires.

Je pourrais multiplier les citations, parler des canaux et des rivières navigables et flottables qui, comme les grandes routes et les chemins de fer, sont des domaines de l’Etat, dont la construction, l’entretien et la police appartiennent au ministère des travaux publics, tandis que la perception de leurs produits est de l’essence de celui des finances.

L’arrêté du 5 mai, en admettant gratuitement et pour un moment seulement, que la constitution ne devrait pas en empêcher l’exécution, n’a pas la portée que M. le ministre des travaux publics lui donne, comme je viens de vous le démonter ; mais alors même qu’il l’aurait eue au moment où il a été pris, il est encore évident que, puisqu’il n’avait de force obligatoire que jusqu’au premier juillet 1836, on ne peut venir l’invoquer pour justifier une perception faite après cette date, et qui se fait encore aujourd’hui environ 5 ans après qu’il a paru et qu’il a cessé de prescrire des mesures provisoires.

En examinant la question sous le point de vue général, et abstraction faite de la constitution, nous pouvons encore vous faire connaître que le règlement adopté récemment en France, sur les finances de l’Etat, a posé en principe que tout fonctionnaire ou employé qui effectue des recettes pour compte de l’Etat, est par ce seul fait réputé dépendre du ministère des finances ; nous pouvons ajouter encore que les commissions nommées, en Belgique, pour arrêter les bases d’un règlement général sur les finances, ont déjà agité la question, et qu’elles sont unanimes pour reconnaître qu’il est peu convenable de maintenir dans notre pays des agents effectuant des recettes en dehors du département des finances.

Pour appuyer la demande que nous faisons à M. le ministre des travaux publics et qui tend à faire rentrer dans les attributions de chacune des différentes administrations qui composent le ministère, tout ce qui lui est propre, nous invoquons la constitution et des autorités respectables en premier lieu, et nous allons à présent vous démontrer que nous avons encore un autre motif bien puissant pour faire des instances près du gouvernement pour qu’il adopte la mesure que nous réclamons ouvertement de lui, c’est celle déduite de l’économie que le fisc fera en faisant cesser cette perception anormale : la recette du chemin de fer coûte, aujourd’hui qu’elle est faite par le personnel du ministère des travaux publics environ 11 p.c. En effet, la recette est évaluée à 7,500,000 francs, le crédit demandé à 760,000 francs, tandis que la moyenne de toutes les autres branches de recettes opérées directement par le département des finances ne s’élève pas à 6 p.c. ; il en est même, telles que celles des droits de péages sur les canaux, qui ne coûtent pas à l’Etat plus de 3 p.c. de leurs produits. Cette différence se concevra facilement si on la considère sous le point de vue du salaire à accorder aux agents des diverses administrations ; et, pour ne parler que d’un catégorie d’employés, je dirai que les facteurs du chemin de fer touchent 18, 15 et 12 cents francs, tandis que les mêmes agents ne touchent à la poste que des appointements de 600, de 400, de 300 et de 200 francs.

Que peut-on répondre pour perpétuer de pareilles anomalies, de pareilles injustices ? On pourra vous dire que, s’il est vrai que les frais de la recette opérée par des employés du chemin de fer sont plus élevés que ceux des produits recueillis par les agents des finances, il existe une raison fort simple qui justifie cette augmentation, c’est que les comptables du chemin de fer sont chargés d’une double mission, celle du recouvrement du produit du chemin de fer et celle de son exploitation. Pour celui qui connaît les rouages de l’administration du chemin de fer, il n’est pas difficile de démontrer que cela n’est pas exact ; en effet, dans la plupart des stations qui ont quelque importance, les receveurs n’ont aucune autre attribution que celle de percevoir les revenus du chemin de fer, et c’est l’arrêté du 25 juillet 1839 qui l’a décidé ainsi, et partout on a donné aux receveurs d’autres attributions, telles que celles de chef de station. Il n’a rien à faire en cette dernière qualité, parce que le matériel n’y séjourne pas et n’y est ni surveillé ni réparé.

La partie financière de l’administration des travaux publics doit encore rentrer dans les attributions du ministère des finances, parce qu’il est impossible qu’un seul homme puisse bien administrer tout ce qui concerne l’immense exploitation du chemin de fer déjà construit, les travaux de ceux encore à faire, et être en même temps comptable de son produit ; si ces années ces deux administrations avaient été séparées, il est probable que M. le ministre des travaux publics n’aurait pas fait figurer d’abord à son budget une demande de crédit de plusieurs centaines de mille francs, qu’il a reconnu plus tard ne plus avoir besoin ; cette demande était le résultat d’une erreur, mais on a dit ensuite qu’on avait trouvé le moyen de faire une économie ; toutefois peu de personnes ont cru à cette économie, et cependant, si M. le ministre n’avait pas découvert avant la discussion de son budget, qu’il avait pétitionné de la chambre un crédit dont il n’avait pas besoin, nous aurions pu le voter, et en le votant nous devions trouver le moyen d’y faire face, ce que nous ne pouvions faire qu’en créant d’autres voies et moyens pour plusieurs centaines de mille francs, que la nation déjà assez chargée aurait payés sans que cela fût nécessaire.

Pour éviter de pareilles erreurs, il faut que chacun reste désormais dans sa sphère ; que les agents du chemin de fer s’occupent des travaux grandioses qui ont fait connaître la Belgique sous un rapport si favorable à l’étranger, que les agents des finances s’occupent de la partie positive de l’administration du chemin de fer, que comme agents responsables ils relèvent du département des finances ; en effet, les comptables du chemin de fer étant de véritables agents financiers responsables doivent, pour ce motif, dépendre du département des finances et être soumis à toutes les obligations qui incombent à ces agents, parce que tout ce qui est d’intérêt financier devrait renter dans les attributions du département des finances et être soumis aux règles communes qui régissent cette haute administration. En émettant cette opinion, je partage l’avis de notre chambre des comptes, qui, dans son dernier mémoire adressé à la législature, dit de la manière la plus formelle qu’elle estime que tout ce qui constitue des revenus pour l’Etat doit faire partie des attributions du ministère des finances.

On voit presque toujours, messieurs, qu’un premier abus en amène un autre ; le fonctionnaire qui se trouvait, en 1835, à la tête de l’administration des travaux publics se chargea provisoirement, comme je viens de vous le montrer, d’une recette qui ne lui appartenait pas ; celui qui dirigeait ce département en 1837 détacha l’administration des postes, établissement essentiellement financier, du département des finances pour le joindre aux travaux publics, et de cette manière, encore une fois, en chargea le ministère des travaux publics de trois millions de produits.

Je vous ai déjà prouvé que le trésor public y gagnerait quelques centaines de mille francs, si le département des finances opérait la recette du produit du chemin de fer ; je vais vous démontrer à présent que la réunion de l’administration des postes aux travaux publics n’a pas eu d’heureux résultats pour ce service.

J’ai cherché longtemps les raisons qui pouvaient avoir porté le gouvernement à mettre les postes sous la dépendance du ministère des travaux publics, et après y avoir pensé, je n’en ai pas trouvé d’autres que celles qui pourraient résulter de la nécessité de régler la marche de quelques convois d’après les besoins connus de la poste aux lettres ; toutefois, je dois l’avouer, il ne m’a pas paru que, pour arriver à ce résultat, il fallût la réunion des deux administrations sous un même chef. Il ne faut pas, en effet, un bien grand effort d’esprit, pour comprendre qu’un examen consciencieux des besoins de l’administration des postes aura des conséquences bien plus favorables. Lorsque les choses seront une fois arrêtées par les deux chefs de département, et si l’on pouvait conserver à cet égard quelques doutes, l’expérience de ce qui vient de se passer depuis trois années se chargerait de nous faire voir le contraire. D’après moi, il est possible de régler les rapports de l’administration des postes avec les convois, sans être inféodés aux travaux publics, et il est d’autant plus facile de le faire, que le chemin de fer n’est autre chose ici, que le moyen destiné au transport des correspondances, et qu’il ne faut pas pour s’immiscer plus dans une organisation ou administration intérieure, qu’il ne faudrait s’ingérer dans l’exploitation d’une entreprise de messageries, qui serait chargée du transport de la poste.

Il résulte de ce que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, que le but que le gouvernement se propose peut être atteint sans que les deux administrations soient réunies sous un même ministère ; il n’y a donc pas connexité absolue entre les deux services ; et si l’administration des postes n’a aucun rapport nécessaire avec celle du chemin de fer, elle en a plusieurs avec le département des finances. Elle est d’abord en relation avec le département des finances pour la liquidation des offices étrangers ; elle est régie par toutes les dispositions communes aux autres administrations financières, et cela est tellement vrai que, depuis sa séparation du ministère des finances, elle s’est trouvée plusieurs fois dans le cas de devoir communiquer à ses agents des instructions que le ministère de ce département transmettait aux fonctionnaires qui ressortissent à son administration.

Les lois et règlements sur les pensions régissent encore les employés des postes comme tous les autres employés des finances, et cela est tellement vrai qu’aujourd’hui encore la caisse de retraite des employés du département des finances et de l’administration des postes est la même ; enfin les règles et le contrôle de la trésorerie continuent à régir les postes, et ce serait un abus de les en distraire.

J’ajouterai encore qu’aucune des considérations que l’on pourrait faire valoir pour maintenir les recettes du chemin de fer en dehors du département des finances ne peut être applicable au service des postes.

Si nous jetons les yeux sur ce qui a lieu dans les pays voisins, nous voyons que partout où les postes ne forment pas une administration en quelque sorte indépendante, elles ressortissent au département des finances ; cette organisation existe en France et en Hollande ; en Angleterre, bien qu’elle soit indépendante, l’administration des postes reste soumise aux règles et à la juridiction des lords de la trésorerie.

Je vous donnerai encore un argument en faveur de la réunion des postes aux finances ; il se fait, depuis quelques temps, une fraude considérable de lettres, dont les taxes sont perdues pour le trésor, par suite de l’apathie et de l’indifférence des agents chargés de la réprimer.

Cet état de choses provient de ce que les agents les plus nombreux et les plus disséminés dans le royaume, qui sont les agents des douanes et des accises, ne font qu’imparfaitement leur devoir ; par leur position, ils peuvent cependant saisir le plus efficacement la fraude, mais à défaut d’encouragement ils restent dans une espèce d’inertie.

Depuis que l’administration des postes est séparée du ministère de finances, le public a élevé différentes réclamations sur la non-arrivée des lettres renfermant des valeurs ; ce grief paraît être le résultat de la désorganisation de certains services de la poste, qui se faisaient, il y a quelques années, avec le plus grand soin et qui sont aujourd’hui entièrement négligés, parce que M. le ministre des travaux publics a jugé convenable de séparer de cette administration les inspecteurs qui, depuis leur disjonction, ne s’occupent pour ainsi dire plus de la poste aux lettres.

M. le ministre des travaux publics aurait aussi pu faire davantage pour une branche des postes, je veux parler de la poste rurale, qui est appelée à rendre de grands services au commerce du plat pays ; mais le défaut de surveillance qui a été apporté à l’organisation des postes rurales, n’a permis d’établir ce service que d’une manière très imparfaite, et on peut dire que tel qu’il existe aujourd’hui, il est encore bien loin de répondre partout à l’attente du public ; l’insuffisance des fonds cotés au budget a certainement été un grand obstacle à l’accomplissement des projets d’amélioration, mais pourquoi M. le ministre ne nous a-t-il pas demandé plus tôt les fonds dont il a besoin pour améliorer cette partie de son administration ? Pourquoi a-t-il si longtemps continué à exiger des services pénibles et continuels de certains distributeurs de la postes aux lettres qui doivent avoir de l’instruction, qui doivent être probes et bien famés pour une misérable somme de deux ou trois cents francs, tandis que le dernier garçon de bureau du chemin de fer a huit ou neuf cents francs de traitement. Une bonne organisation de la poste rurale ferait plus de bien au pays que la poste ambulante par le chemin de fer, dont l’organisation seule pour tout le pays, devra coûter 80,000 francs, tandis que si l’on dépensait seulement la moitié de cette somme, on pourrait déjà améliorer le service de la poste rurale. Il existe une foule de communes où les correspondances ne parviennent qu’après un retard de 24 heures, et quelquefois même de 48 heures, parce que la sortie des facteurs se fait arbitrairement ; il est donc de la dernière urgence d’améliorer ce service. Aussi, je vois avec plaisir que M. le ministre y a songé, puisqu’il a demandé une augmentation de crédit pour cet objet de 70,000 francs, que je suis disposé à lui accorder.

Je vous dirai encore que jusqu’en 1837, époque à laquelle le service des postes a été réuni au département des travaux publics, les recettes se sont successivement élevées, et que depuis lors elles diminuent chaque année.

Si la poste aux lettres réclame l’attention du gouvernement, la poste aux chevaux se trouve dans un état bien plus déplorable encore ; je sais que cet état est la conséquence de la construction de nos chemins de fer, mais je demanderai à M. le ministre s’il ne pense pas comme moi, que lorsque le gouvernement est poussé par la force des choses à nuire à une industrie établie, il doit employer tous les moyens possibles pour utiliser cette même industrie ? Eh bien, messieurs, il se présente à M. le ministre des travaux publics une occasion qui peut lui permettre d’indemniser les maîtres de poste des pertes qu’ils éprouvent, et jusqu’à présent, il ne paraît pas la voir, car s’il l’a aperçue, il ne veut pas en profiter ; cette occasion, c’est de faire conduire les marchandises transportées sur le chemin de fer au domicile des personnes auxquelles elles sont expédiées par les maîtres de la poste aux chevaux ; en prenant cette mesure, il ne sera plus dans le cas de devoir leur donner l’indemnité à laquelle ils ont droit aux termes de l’article 13 de la loi du 19 frimaire an VII pour toutes les pertes majeures imprévues qu’ils supporteront relativement à leur état.

La poste aux chevaux est confiée à la même administration que la poste aux lettres, et l’analogie qui existe entre le transport des lettres et celui des marchandises est incontestable ; de tous temps les postes et les messageries ont été réunies et n’ont formé qu’une seule et même administration, lorsqu’elles étaient exploitées par un même pouvoir, et il en est encore ainsi maintenant dans une grande partie de l’Europe. L’adoption d’un pareil système, quant au transport des marchandises sur le chemin de fer, réalisera des avantages qui ne peuvent être obtenus par aucun autre moyen et elle serait en même temps utile au service, favorable au public et productive pour le trésor ; si le gouvernement adoptait cette mesure, je puis lui assurer dès à présent par suite des renseignements que j’ai pris à cet égard et dans les développements desquels je n’entrerai que pour autant qu’on me conteste l’utilité de cette mesure, que son exécution serait des plus faciles.

L’emploi de la poste aux chevaux pour le transport des marchandises des stations du chemin de fer au domicile des destinataires aurait encore un autre avantage, c’est qu’il mettrait le gouvernement à même de faire des économies ; en effet, il n’aurait plus à dépenser d’immenses capitaux pour effectuer le transport des marchandises avec un matériel qu’il a encore à acquérir.

Je crois encore devoir observer au gouvernement que je voudrais que les employés du chemin de fer chargés de l’expédition des marchandises fussent payés à l’instar des anciens directeurs des messageries, c’est-à-dire, à raison d’autant de centimes par colis ; en les intéressant à l’expédition des marchandises, il est probable qu’ils y donneront plus de soins, qu’ils seront plus polis vis-à-vis des expéditeurs, car je dois le dire, dans certaines localités, on se plaint de la négligence et du peu d’urbanité de quelques-uns de ces fonctionnaires.

Puisque j’ai entamé la question des maîtres de postes, je prierai M. le ministre des travaux publics, d’abord d’activer les travaux de la commission nommée pour statuer sur leur sort, et ensuite de ne pas faire comme cela a déjà eu lieu, d’écarter des emplois du chemin de fer ceux d’entre eux qui demandent à entrer dans cette administration, et qui ont toutes les capacités voulues pour bien remplies tous les devoirs imposés à ces places ; je le prierai encore d’envoyer dans les différentes parties du pays des fonctionnaires qui comprennent la langue de la localité où ils sont en fonction ; car, je dois le dire, nous avons dans l’arrondissement que je représente des agents du chemin de fer qui ne parlent pas la langue des Flandres.

Je crois devoir signaler encore un autre abus à M. le ministre des travaux publics ; on m’a assuré que les ouvriers employés dans les ateliers du chemin de fer gagnaient des journées de six, sept et huit francs par jour, pour y travailler à peu près autant qu’ils le voulaient ; il vaudrait mieux les faire travailler à l’entreprise, de cette manière l’Etat ne les payerait que pour l’ouvrage qu’ils auraient fait. Il m’est aussi revenu que le gouvernement aurait trop payé des arbres achetés pour la plantation des routes ; s’il en est ainsi, je prie M. le ministre de veiller à ce que pareille chose ne se fasse plus au préjudice du trésor.

Nous avons autorisé le gouvernement à vendre les parcelles de terre qui longent le chemin de fer ; je demanderai à M. le ministre s’il a déjà opéré cette vente et quel en a été le résultat ; en tous cas, je l’engagerai à vendre ces terrains dans l’état où ils se trouvent, sans dépenser inutilement de l’argent pour les faire niveler, car ces travaux qui coûtent de l’argent à l’Etat n’en augmentent pas la valeur.

Je demanderai encore à M. le ministre, s’il ne craint pas d’avoir des contestations avec l’enregistrement, lorsque dans les cahiers de charges de ces ventes, il stipule que l’acquéreur aura quinze jours pour déclarer son command, tandis que les lois sur la matière ne donnent que vingt-quatre heures.

Je dirai encore à M. le ministre, qu’ayant parcouru toutes les stations du chemin de fer de la Belgique, j’ai remarqué trop de luxe dans certaines localités, tandis que dans d’autres, j’ai trouvé qu’on n’avait pas seulement les objets les plus indispensables ; par exemple, à la station de Deynze, il n’y avait ni chaises ni bancs dans la salle d’attente ; encore une fois j’ai la conviction qu’il suffira d’avoir attiré l’attention de M. le ministre sur cet objet pour que l’inconvénient que je lui signale disparaisse dans le plus bref délai.

Enfin, je finirai mes observations en priant M. le ministre de fixer les moments du départ des convois du chemin de fer à des heures telles que le commerce puise profiter de ces voies de communication, à cet effet son administrateur devra s’informer des jours de marchés des différentes localités, et prendre ensuite des mesures telles que les négociants des autres villes qui s’y rendent, puissent y arriver assez à temps en partant le jour même de leur domicile : c’est de cette manière que nous demandons à Courtray, qu’il y ait chaque vendredi, à 7 heures du matin en hiver, et à six heures du matin en été, un départ pour Gand, et le samedi un départ à si heures du matin en hiver, et à cinq heures du marin en été pour Bruges, et nous garantissons à l’administration du chemin de fer une bonne recette, parce qu’outre les négociants de Courtray, une masse de campagnards attendront dans chaque station l’arrivée des convois, pour se rendre avec eux à leur destination et ne pas se trouver à l’avenir dans la nécessité de quitter leur domicile à une et deux heures du matin.

Telles sont, messieurs, les observations que j’avais à soumettre à M. le ministre des travaux publics et à la chambre, et je m’attends à les voir prendre en sérieuse considération pour y être fait ensuite droit dans le plus bref délai.

M. Milcamps – Messieurs, l’administration du département des travaux publics en Belgique, surtout depuis la création de chemins de fer et depuis qu’on a réuni à cette administration l’instruction publique et les beaux-arts, est devenue l’une des fonctions les plus importantes dont un homme puisse être chargé. Ce sont, sauf la trop grande multiplicité des chemins de fer, autant de moyens de prospérité, de civilisation et de progrès mis dans les mains du chef de ce département ; tâche immense que je désire voir s’accomplir selon les promesses qui nous ont été faites.

Dans aucun pays relativement à son étendue et à sa population on n’a conçu et exécuté, en si peu de temps, de si grandes choses qu’en Belgique ; nous voyons le pays couvert d’établissements industriels de tout genre, de routes, de canaux, de chemins de fer ; indépendamment d’établissements d’instruction de toute nature nous le voyons doté de quatre universités.

J’ai été du petit nombre qui ne voulaient que les grandes lignes de chemins de fer et une seule université de l’Etat. Je me suis parfois livré à une critique amère de tout ce qui excédait cette limite ; mais l’intérêt des localités l’a emporté sur l’intérêt général. Cette critique aujourd’hui n’aurait plus d’à-propos. Je suis disposé, au contraire, puisque tous ces faits sont presqu’accomplis, à contribuer de tous mes efforts, à rendre nos chemins de fer et nos universités utiles et profitables au pays.

Bien que la section centrale ait proposé le rejet des majorations demandées pour travaux d’améliorations de routes et constructions nouvelles, je voterai les fonds nécessaires pour achever les routes, les chemins de fer commencés ou décrétés et pour lesquels le gouvernement a pris des engagements ; mais je dois déclarer que je m’arrête aux engagements du gouvernement ; car pour tout ce qui n’est qu’en projet, soit routes, soit canaux, soit chemins de fer, dont l’indispensable nécessité ne sera pas prouvée, je suis décidé à y faire opposition de toutes les forces, et je conjure le gouvernement, au nom des intérêts généraux, de s’arrêter lui-même à ses engagements et d’avoir la force de résister aux exigences et à l’égoïsme des localités.

Je voterai également les majorations demandées pour l’instruction primaire, les sciences et les arts, bien que la section centrale en propose le rejet.

Messieurs, j’apprécie l’utilité des routes, des canaux, des chemins de fer en rapport avec les besoins du pays. Dans cette limite, ils sont, comme je le disais il n’y a qu’un instant des moyens de prospérité et de civilisation, puisqu’ils tendent à rapprocher les hommes, à étendre leurs relations amicales, à confondre leurs rapports ; mais pour arriver à ce résultat, il ne suffit pas que ces grandes communications rapprochent les distances pour les voyageurs, il faut qu’elles soient des moyens d’échange de nos produits avec les produits étrangers. C’est cet échange de produits que l’industrie et le commerce réclament de toutes parts.

Quelques industriels souffrent ; cependant l’industrie a constamment occupé la pensée du gouvernement ; mais l’action de l’autorité ne saurait être directe ; donner des encouragements, étudier des modifications de douanes, soit nationales, soit étrangères, voilà ce qu’il peut. Depuis que j’ai l’honneur de siéger dans cette assemblée, je n’ai jamais vu que la sollicitude du gouvernement ait manqué à l’industrie ; témoins les traités et les tarifs de douanes intervenus sous le ministère précédent, et dans les circonstances difficiles où il s’est trouvé, les expositions si propres à établir l’esprit public en faveur des manufactures, et ces institutions d’enquête par le ministère actuel et par la chambre, afin de constater les causes du dépérissement de l’industrie et de proposer les moyens de la relever.

Croyez-vous que ces commissions d’enquêtes viennent vous présenter autre chose que des lois de douanes ? Je suis impatient de connaître leurs conclusions ; Dieu veuille qu’elles nous délivrent de ces généralités que chaque jour, depuis un grand nombre d’années, nous avons entendues sur les différents systèmes de commerce et sans pouvoir y puiser aucun enseignement ; Dieu veuille que faisant sortir la vérité du sein des faits, elles nous fournissent des sujets positifs de discussion ; ce n’est qu’à cette condition que les enquêtes peuvent avoir un but d’utilité. J’ai ouï dire qu’une des bases des conclusions des enquêtes sera que, lorsqu’un pays a un beau sol, une grande population, c’est dans son sein nécessairement qu’existent les éléments de son plus important commerce. Cela se concilierait peu avec nos grandes lignes de chemins de fer et de bateaux à vapeur. Oublierait-on qu’il ne peut exister de commerce sans échange ; que si nous ne voulons rien tirer d’un pays, ce pays ne recevra rien de nous ; qu’il faut que chacun donne à l’autre ce qu’il fait mieux et donne à meilleur marché ?

Quant à moi, le conseil que je donnerai aux industriels, c’est celui du progrès dans leur fabrication, et au gouvernement celui de faciliter l’arrivée des matières premières au meilleur marché ; car je ne connais pour les industriels qu’un moyen d’obtenir des débouchés, c’est de vendre à meilleur marché que leurs concurrents. Du reste, je ne veux pas anticiper sur les questions que les enquêtes feront naître ; je passe à un autre objet.

Vous avez lu le désolant rapport de cette année sur l’instruction publique ; vous y avez vu que, parmi les causes qui nuisent aux études universitaires, une des plus graves est la faiblesse des études moyennes. Cette faiblesse se dévoile partout ; à l’école militaire, aux écoles spéciales, devant les examens du jury. Pour se mettre au niveau des élèves, les facultés des lettres et des sciences sont obligées d’abaisser leur enseignement, de refaire l’ouvrage des collèges et de le faire sans succès, parce que telle n’est pas leur mission. Messieurs, quand un gouvernement est obligé à faire à la face du pays un semblable aveu, c’est que le mal est à son comble. Il faut y remédier, mais le remède, où le trouver ?

On avance avec raison que l’instruction supérieure doit être mise en harmonie avec l’enseignement moyen, ce qui signifie que les enseignements moyen et supérieur doivent être coordonnés de façon à ce que le second fasse suite au premier. Si l’enseignement universitaire est élevé et large, les études préparatoires doivent nécessairement être plus fortes et plus étendues : le contraire aurait lieu si l’instruction supérieure était faible et restreinte. Il a convenu au pouvoir législatif de prendre l’enseignement supérieur pour régulateur ; on n’a trouvé aucun inconvénient à faire venir la règle d’en haut ; on pensait même qu’elle offrirait un grand avantage, en ce qu’elle rendrait possible une organisation des établissements d’instruction moyenne mieux appropriée aux études universitaires. Quels motifs avons-nous de retarder l’organisation de l’enseignement moyen ? La chambre est saisie d’un projet de loi ; si elle ne s’en occupe pas, elle assume sur elle une grande responsabilité ; je rappelle cette responsabilité à la commission chargée de l’examen du projet, sans entendre couvrir celle du gouvernement. Ce n’est pas cependant que je croie que nous parvenions à relever promptement les études : il existe une cause qui en arrêtera longtemps les progrès ; je veux parler de cette division déplorable qui règne dans le pays.

Nous ne pouvons dissimuler la tendance des habitants de la Belgique à se diviser en deux classes, sous la dénomination de parti libéral et de parti catholique, et cela est déplorable dans un pays où il n’y a pour ainsi dire que des catholiques. Cette distinction n’est dans le vœu ni des chambres, ni du gouvernement ; c’est une lutte qui s’établit. Il n’existe point de chefs connus ou avoués, ni d’un côté ni de l’autre, et, dès lors, aucun moyen d’apprécier les vues et le but de cette distinction.

J’ai entendu avec plaisir des membres de cette assemblée, préoccupés de l’idée que leur opinion libérale pourrait faire douter de leur catholicisme, protester publiquement dans cette enceinte de leurs sentiments ; d’autres qui ne voyaient dans cette division qu’un non-sens. Mais prenons-y garde, il s’y trouve autre chose ; cette distinction, c’est l’aigreur, c’est la haine des uns contre les autres ; et savez-vous ce qui arrivera ? et ici je m’adresse à tous, c’est que la lutte aura pour résultat d’obscurcir, de distraire, d’égarer le sentiment religieux dans le pays. Le passé nous avertit que le renversement ou l’affaiblissement d’une religion provient toujours de la lutte des partis, et ici le danger est d’autant plus grand que, d’après nos institutions, le gouvernement est sans influence directe sur les mœurs politiques et sur l’esprit général, et que la lutte continuera quels que soient les hommes qui occupent le pouvoir. Le moyen d’empêcher l’accroissement du mal, c’est de faire de bonnes lois sur l’instruction moyenne et primaire. Tâchons de les organiser de manière à répandre dans toutes les classes de la société, les idées d’ordre, de devoir, de justice et d’humanité ; que la religion, fondement de la morale, y soit enseignée ; car c’est par la religion que la conscience intervient dans les affaires. J’appelle donc de tous mes vœux la discussion du projet de loi sur l’enseignement moyen et primaire.

Puisque j’ai la parole, je dirai un mot sur une autre branche du département des travaux publics, sur les postes.

Les maîtres des postes aux chevaux sont, depuis plusieurs années, en réclamation pour les pertes qu’ils éprouvent dans leurs entreprises par la création des chemins de fer, pertes qui iront en augmentant au fur et à mesure de nouvelles constructions. Ils se sont adressés tant au gouvernement qu’aux chambres, et si mes souvenirs sont fidèles, la chambre des représentants a renvoyé à M. le ministre leur réclamation, avec demande d’explications.

Les maîtres de postes sont des agents révocables du gouvernement, ; ils sont subordonnées à des supérieurs dont ils sont tenus d’exécuter les ordres ; à ce titre ils semblent avoir droit à des considérations ;la loi leur accorde des indemnités pour les localités difficiles et les pertes majeures et imprévues qu’ils supporteraient relativement à leur état ; mais y a-t-il pour eux une force plus majeure que celle de la construction des chemins de fer ! Déjà à plusieurs reprises l’honorable M. Cools a appelé l’attention de M. le ministre sur cet objet ; je joins mes instances aux siennes pour que M. le ministre prenne en considération la position des maîtres des postes.

Je ne terminerai pas sans émettre un vœu, celui de voir réunir le plus tôt possible au département des finances les recettes des chemins de fer. Toutes les recettes doivent être dans les attributions du ministre des finances, c’est la règle suivie dans tous les Etats. J’appelle sur ce point l’attention tant du ministre des travaux publics que du ministre des finances.

M. de Renesse – Messieurs, la discussion du budget des travaux publics me fournit l’occasion d’émettre quelques observations sur des ouvrages d’utilité générale ayant une grande importance pour plusieurs de nos provinces.

Quoi qu’il soit nécessaire d’introduire dans les budgets des dépenses la plupart des économies qui sont réclamées par la situation de nos finances, pour équilibrer, autant que faire se peut, les recettes et les dépenses de l’Etat, surtout dans un moment où il faut imposer de nouvelles charges, je crois cependant que l’on ne peut repousser toutes les demandes de crédits pour des travaux qui sont réellement reconnus urgents, dont l’ajournement indéfini pourrait porter une atteinte fâcheuse au bien-être matériel de diverses parties de provinces, moins favorablement situées que d’autres contrées du royaume, n’ont pu obtenir une juste part dans la distribution des chemins de fer, quoiqu’elles contribuent, d’après leurs moyens, dans les charges de l’Etat, pour la construction de ces voies ferrées, de tous les autres travaux d’utilité publique, ainsi que pour le rachat des canaux.

Si jusqu’ici des parties de la Belgique ont été moins dotées de travaux, exécutés à la charge de l’Etat, si l’on n’a fait que peu pour améliorer leur situation matérielle, elle ont droit d’obtenir à leur tour, l’attention et la bienveillance des chambres et du gouvernement, pour l’exécution de plusieurs travaux, vivement réclamés par les conseils provinciaux de ces provinces.

En première ligne, se place par son importance pour les provinces de Namur, Liége, le Limbourg et la province d’Anvers, la canalisation de la Campine ; elle doit lier la Meuse à l’Escaut, vivifier tout un pays, ayant beaucoup d’avenir, qui attend depuis longtemps l’exécution de ce grand travail ; il lui procurera une voie navigable, qui contribuera puissamment à changer la face de ses territoires incultes, en les fertilisant par l’irrigation, et en facilitant le transport des engrais, si nécessaires, pour rende à la culture, en peu d’années, plus de 120,000 hectares de bruyères de la Campine anversoise et limbourgeoise.

Certes après la perte d’un territoire considérable, suite de l’exécution d’un fatal traité, il n’est pas sans importance pour la Belgique, de tâcher de rendre productifs des terrains qui doivent augmenter sensiblement sa richesse nationale et les revenus du trésor ; aussi, l’accroissement très marquant de la population nécessité une forte augmentation de produits agricoles, afin de ne point devenir entièrement les tributaires de l’étranger.

Le gouvernement, dans le discours du trône, a reconnu, ainsi que les chambres dans leurs adresses, que sous le rapport des voies navigables, il restait encore beaucoup à faire ; j’ose donc espérer que la canalisation de la Campine, si importante pour la communication qu’elle doit établir entre l’Escaut et la Meuse, ne sera pas ajournée indéfiniment, et que le gouvernement s’occupera sérieusement de cette voie navigable, si vivement réclamée, pour le bien-être matériel d’une partie du territoire du royaume, trop longtemps négligée par tous les gouvernements qui se sont succédé en Belgique.

Sous le rapport de grande utilité pour plusieurs de nos provinces, l’on peut aussi citer les travaux à faire à la Meuse, et notamment pour améliorer sa navigation, déjà, depuis trop longtemps, le commerce se plaint avec fondement, non seulement des entraves créées par le traité de paix entre la Hollande et la Belgique, mais encore des obstacles naturels qui se trouvent dans le lit de ce fleuve, et qui proviennent du défaut d’entretien des chemins de halage ; la chambre de commerce de Liége a déjà, à plusieurs reprises, fortement insisté auprès du gouvernement, ainsi que vient de le faire actuellement la commission des charbonnages de cette ville, pour qu’il fût pris de promptes mesures qui rendent la navigation de la Meuse plus praticable et moins dangereuse. L’état déplorable où se trouve la navigation sur ce fleuve cause le plus grand préjudice au commerce des provinces de Namur, de Liége et du Limbourg ; le batelage de ces provinces a perdu toute son ancienne importance, et tombera entièrement si l’Etat n’intervient point immédiatement, par des secours efficaces, pour détruire les entraves naturelles qui s’opposent à toute bonne et continue navigation. Il y a donc réellement urgence et utilité publique constatées, pour que les chambres accordent au gouvernement les fonds postulés afin de prévenir au plus tôt un rétablissement d’une navigation praticable pendant la plus grande partie de l’année. Ce rétablissement est d’autant plus important actuellement où le gouvernement français a déjà dépensé plus de sept millions pour rendre ce fleuve entièrement navigable sur son territoire, et que le gouvernement hollandais, depuis l’exécution du traité, a pareillement fait de fortes dépenses pour le même objet.

Je crois aussi devoir appeler l’attention toute particulière du gouvernement sur les ouvrages de défense à exécuter aux rives de la Meuse dans le Limbourg. Depuis que la rive droite de ce fleuve a été cédée à la Hollande, il est à ma connaissance, et probablement M. le ministre des travaux publics aurait été informé par les rapports de M. l’ingénieur en chef de ladite province, que le gouvernement hollandais a déjà dépensé plus de 90,000 florins des Pays-Bas pour l’entretien et la réparation des rives de la Meuse ; qu’il paraît que pendant l’année courante une assez forte somme serait derechef destinée à cet effet ; il est donc indispensable que, de notre côté, nous prenions des mesures pour préserver nos rives contre les ouvrages faits sur la partie néerlandaise, qui font refluer les courants de ce fleuve vers le territoire belge et y causent de grands dégâts.

Le conseil provincial du Limbourg a appelé l’attention du gouvernement, sur l’importance et la nécessité de faire exécuter des ouvrages de défense à la Meuse, et plusieurs conseils communaux des communes riveraines de ce fleuve se sont adressées à la chambre, pour réclamer les fonds nécessaires à l’exécution de ces travaux indispensables, pour préserver leurs territoires du ravage des inondations ; ce fleuve dans plusieurs endroits menace de se former un nouveau lit, de ravager leurs plus belles campagnes, et même une grande partie de leurs habitations ; il est à regretter que notre situation financière ne permette point au gouvernement de proposer une plus forte allocation pour ces réparations ; comme cependant j’ai lieu de croire qu’il sera donné une meilleure direction à ces ouvrages maintenant qu’un ingénieur est spécialement chargé du service de la Meuse, qu’une surveillance plus active sera exercée pour l’emploi de bons matériaux nécessaires à la réparation des rives et des chemins de halage, et que surtout ces travaux seront exécutés dans une meilleure saison, j’espère que les rives de la Meuse dans la province de Limbourg seront bientôt mises en bon état de défense contre les ravages de ce fleuve ; il serait toutefois à désirer, dans l’intérêt de la Belgique et de la Hollande, que les deux gouvernements pussent s’entendre sur les ouvrages à exécuter à la Meuse, par cet accord, il serait alors plus facile et moins coûteux de rendre le fleuve à la bonne navigation, et de le restreindre dans son véritable lit ; j’engage fortement le gouvernement d’employer tous ses efforts pour parvenir à cette fin et pour obtenir au plutôt un traité de commerce et de navigation, vivement réclamé par le commerce de plusieurs de nos provinces.

Quoique la Belgique, depuis la révolution ait fait de grands sacrifices pour les ouvrages d’utilité générale, et qu’actuellement la chambre paraisse vouloir ajourner la plupart des nouvelles demandes de fonds destinés aux travaux publics, il doit cependant être permis aux représentants des provinces morcelées de rappeler aux souvenirs des chambres et du gouvernement la situation pénible de ces provinces, déjà pas trop favorablement dotées sur les fonds alloués pour créer de nouvelles communications, tandis qu’elles ne cessent de contribuer dans toutes les charges de l’Etat, et que d’autres provinces ont été singulièrement favorisées, non seulement sous le rapport de plusieurs embranchements du chemin de fer, mais encore sous celui de constructions de routes, rachats et constructions de canaux, par l’exécution d’un traité qui froisse plus particulièrement les provinces de Luxembourg et de Limbourg ; ces provinces sont les véritables victimes de la révolution, et peuvent bien, avec droit, élever leur voix pour réclamer une indemnité pour le douloureux sacrifice qu’elles ont été forcées de faire, dans l’intérêt de la généralité ; c’est aussi à cette généralité à leur tenir compte de leur position actuelle, et de venir à leur secours dans le moment où elles sont frappées dans tous leurs intérêts ; leurs anciennes relations sont toutes interrompues, et presque toutes leurs transactions commerciales avec les parties cédées ont dû cesser ; elles doivent donc rechercher d’autres relations, et, à cet égard, leurs conseils provinciaux ont réclamé l’intervention du gouvernement pour la construction de certaines routes qui doivent améliorer leurs communication, par conséquence leur bien-être matériel. Il est impossible que ces deux provinces puissent s’imposer des charges nouvelles pour parvenir à la construction de ces route, déjà leurs budgets sont surchargés de centimes additionnels, et ayant perdu une forte partie de leurs ressources sans toutefois pouvoir diminuer les frais de leurs administrations, elles se verraient privées de toute amélioration dans leurs communications si le gouvernement et les chambres ne faisaient droit à leurs justes réclamation.

J’espère, conformément aux promesses qui leur ont été faites lors de la discussion du traité, que l’on aura égard à la fâcheuse position de ces provinces, et que, dans la distribution des fonds qui seront alloués dans le futur pour les travaux publics, elles obtiendront une part équitable pour les indemniser du sacrifice désastreux qu’elles ont été forcées de faire, et que l’on suppléera ainsi à l’insuffisance actuelle de leurs ressources financières.

En terminant, je déclare que je voterai pour toutes les demandes de fonds qui sont réellement nécessaires pour l’exécution de travaux d’utilité publique, dont l’ajournement indéfini pourrait porter une fâcheuse atteinte au bien-être de l’une ou l’autre de nos provinces ; cependant je crois devoir observer qu’il est du devoir du gouvernement de ne faire exécuter dorénavant tous les travaux publics qu’avec la plus grande économie, de ne faire réellement que les ouvrages qui peuvent améliorer et augmenter la richesse nationale, et d’ajourner, pour le moment, toutes les constructions de luxe qui ne doivent être exécutées que quand nous aurons liquidé nos arriérés des années antérieures, et que nos dépenses auront été mises au niveau de nos recettes sans avoir besoin de recourir à de nouvelles charges extraordinaires.

M. d’Hoffschmidt – Messieurs, l’année dernière, lors de la discussion de la loi de l’emprunt de 82 millions, plusieurs députés du Luxembourg auxquels s’étaient joints quelques députés d’autres provinces, ont présenté un amendement qui tendait à rapporter la disposition de la loi du 26 mai 1837, qui promet une ligne de chemin de fer à cette province, moyennant une indemnité de deux millions qui serait consacrée à la construction de routes ordinaires.

Cette proposition, messieurs, vous le savez, fut renvoyée à l’examen des sections ; mais la chambre s’étant séparée bientôt après l’adoption de la loi d’emprunt, c’est seulement dans le cours de cette session que les sections on pu s’occuper de la proposition des députés du Luxembourg, et que la section centrale du budget des travaux publics a été invitée à l’examiner et à en faire l’objet d’un rapport.

Messieurs, si je viens vous parler encore de cette proposition, ce n’est pas que je me dissimule la défaveur que l’on est exposé à trouver dans cette chambre aimée d’un grand esprit d’économie, lorsqu’on vient lui parler d’occasion de dépenses. Je ne me dissimule pas non plus que l’on est promptement accusé dans cette enceinte d’un esprit de localité lorsqu’on parle de sa province.

Mais, messieurs, si je viens rappeler la proposition que nous avons faite, c’est que je crois qu’il n’en est pas de plus juste, qu’il n’en est pas de plus fondée, et que ce serait manquer à un engagement solennel, si on n’y faisait pas droit.

Un honorable député qui a parlé tout à l’heure, l’honorable M. Milcamps ; que l’on ne peut pas accuser de vouloir faire des dépenses exagérées, a dit qu’il accorderait cependant les sommes destinées à satisfaire aux engagements déjà contractés.

Or, messieurs, je crois qu’il n’y a pas d’engagement plus formel, d’engagement plus clairement exprimé que celui qui concerne le chemin de fer du Luxembourg ou la compensation qu’on lui a promise.

Qu’il me soit permis, messieurs, de vous rappeler les termes de la loi du 26 mai 1837, qu’on parait un peu avoir oublié.

Voici ce que l’article 2 de cette loi :

« Art. 2. La ville de Namur et les provinces de Limbourg et de Luxembourg seront également rattachées par un chemin de fer, construit aux frais de l’Etat, au système décrété par la loi du 1er mai 1834. »

Rien de plus clair, de plus formel que la disposition de cet article. Cependant pour que le sens n’en puisse laisser aucun doute, je vous demanderai la permission de citer quelques-unes des opinions exprimées dans la discussion. D’abord la loi a été conçue dans un esprit de justice distributive. Cela est évident. Voilà ce que disait le rapport de la section centrale :

« Il est juste qu’aucune partie du royaume ne soit déshéritée dans le partage des chemins de fer. »

Voici comment était conçu le rapport de la section centrale fait par mon honorable collègue et ami M. Dumortier.

Maintenant voulez-vous savoir comment s’exprimait à cet égard l’organe du gouvernement, M. le ministre des travaux publics ? Voici ce qu’il disait dans la séance du 20 mai 1837 :

« Pour le Luxembourg, il y a d’abord une question de possibilité à examiner. S’il est reconnu que la chose n’est pas praticable ou qu’elle ne l’est qu’à des frais énormes, cette promesse de la législature sera censée non avenue et la province réclamera une compensation, par suite de l’abandon de cette partie de l’article 2 de la loi. C’est ainsi que l’article doit être raisonnablement entendu. »

D’un autre côté, un député du Hainaut, l’honorable M. Dolez, s’exprimait ainsi :

« La compensation que le Luxembourg doit obtenir, s’il n’a pas le chemin de fer, est dans la loi même des chemins de fer, puisque le ministre a dit que s’il était impossible de faire un tel chemin dans cette province, on lui donnerait un équivalent. Ainsi, attendez donc que cette impossibilité soit constatée ; quant à moi, si un chemin de fer ne peut vous être donné, je serai des premiers à voter la compensation. »

M. Devaux, à la vérité, proposa, relativement à la ligne de chemin de fer du Luxembourg, un amendement qui fit adopté. Mais on ne doit pas en tirer la conséquence qu’il était opposé à l’établissement de ces voies de communication dans le Luxembourg ; car voici comment il s’exprimait :

« Ce n’est pas que je sois contraire à la construction des chemins de fer dans le Luxembourg ; j’ai toujours désiré que quand les hommes de l’art se seront assurés de la possibilité et de l’avantage de pareils travaux, nous puissions consacrer à compenser le déficit qu’y laisseront probablement les péages, l’excédant des produits d’autres chemins de fer ; je crois même qu’on pourrait y faire encore d’autres sacrifices. »

L’honorable M. Lebeau, aujourd’hui ministre des affaires étrangères, partageait entièrement cette opinion.

Maintenant, si nous passons au sénat, nous voyons qu’on y a partagé cette manière de voir.

Voici comment s’est exprimé l’honorable comte J. de Baillet :

« Il est positivement dit dans l’article 2 que le Luxembourg sera rattaché au chemin de fer.

« L’article 3 dit ensuite ; Néanmoins, il ne sera donné suite de la disposition précédente, en ce qui concerne le Luxembourg, que lorsque le tracé aura été fixé par une loi ultérieure.

« Que résulte-t-il de cette disposition ? C’est qu’il n’y a pas d’époque fixée ; mais il y a obligation pour la législature de fixer le tracé par une loi ultérieure ; et quand le tracé sera fixé, il n’y aura plus besoin d’une nouvelle loi. Pourrions-nous nous refuser à fixer le tracé ? Il y aurait mauvaise foi à le faire, après que la loi a dit qu’il sera donné suite au projet quand le tracé sera fixé. Après avoir décidé que le Luxembourg sera rattaché au système général des chemins de fer, il y aurait, dis-je, mauvaise foi à se refuser à fixer le tracé. »

Deux ou trois orateurs avaient combattu la disposition.

M. le ministre des travaux publics, pour leur donner tout apaisement expliqua de nouveau le sens de l’article, en disant :

« Que si le chemin de fer était impossible dans le Luxembourg, la législature accorderait à la province une compensation dans le système général des communications à établir. »

Remarquez, messieurs, que cette opinion n’a été combattue par personne. Ainsi pas le moindre doute : Le Luxembourg doit avoir une ligne de chemin de fer, ou une compensation. Or, je crois que la proposition que nous avons faite, en vue de donner une compensation à cette province est favorable à l’Etat, et qu’elle est trop juste pour qu’on la remette toujours d’ajournement en ajournement.

C’est cependant, selon moi, ce à quoi tend l’opinion que la section centrale a exprimée dans son rapport. Voici en effet ce que dit cette section sur notre proposition :

« Quant à la proposition faite par plusieurs députés du Luxembourg, tendant à employer la somme nécessaire pour l’embranchement du chemin de fer qui leur était accordé, à la construction de plusieurs routes pavées, la section centrale pense que si le gouvernement, d’accord avec la province, renonce à la construction de cet embranchement, il pourra, lorsque le moment lui paraîtra favorable, présenter d’autres projets plus utiles pour cette province et que la chambre aura soin d’examiner, mais qu’on ne peut aucunement s’occuper de cette proposition à l’occasion du budget. »

D’abord, messieurs, je signalerai quelques erreurs qui ont échappé à la section centrale. Elle dit en premier lieu que la proposition des députés du Luxembourg tend à faire employer les sommes nécessaires à l’embranchement du chemin de fer promis à cette province, à la construction de plusieurs routes pavées. Eh bien, messieurs, notre proposition n’a pas une semblable portée, puisque nous n’avons demandé que deux millions, tandis que l’embranchement promis à la province de Limbourg coûterait certainement de vingt à trente millions.

La section centrale ajoute que lorsque le gouvernement sera d’accord avec la province, il pourra proposer des projets « plus utiles » pour la province. Or, messieurs, la province approuve complètement votre proposition ; le conseil provincial du Luxembourg, dans la session de 1840, a adhéré à l’unanimité à la proposition que nous avons faite ; cette adhésion du conseil provincial a été envoyée au gouvernement, et sans aucune doute le gouvernement n’est pas disposé à y faire opposition. L’on peut donc dire que le gouvernement est d’accord avec la province. La section centrale dit ensuite que quand le moment sera favorable, des propositions pourront être faites.

Mais, messieurs, quand sera-t-il venu, ce moment favorable, s’il n’est pas arrivé maintenant ? Pourquoi la section centrale, si elle trouve la proposition juste, n’a-t-elle pas formulé un projet de loi pour y donner suite, comme cela se fait pour l’établissement ou l’amélioration d’autres communications ? Certes, messieurs, nous n’aurions pas demandé que l’Etat donnât immédiatement les 2 millions nécessaires pour faire droit à notre proposition, mais nous aurions pu demander avec justice que cette somme fût répartie sur plusieurs années et qu’un quart ou un cinquième, par exemple, fût alloué dans 4 ou 5 budgets successifs en commençant par celui de l’exercice actuel.

Cependant, je conçois facilement le motifs qui ont empêché la section centrale de suivre cette marche ; je sais qu’elle a été guidée par des raisons d’économie, et en effet, dans la situation actuelle de nos finances, on doit être disposé à ne pas faire légèrement de nouvelles dépenses ; mais pourquoi cette disposition des esprits doit-elle principalement être appliquée à la province de Limbourg ? Pourquoi n’a-t-elle pas existé aussi lorsqu’il s’est agi de doter d’autres parties du pays de lignes de chemins de fer, lorsqu’on a créé tant de grandes communications qui ont coûté des sommes si considérables, pourquoi, par exemple, n’a-t-elle pas existé lorsqu’il s’est agi de faire des stations dans la ville de Bruxelles, qui coûteront jusqu’à 3 millions de francs ? Interpellé sur cette dernière dépense, M. le ministre a répondu, l’année dernière, que ces dépenses résultaient d’engagements contractés par la législature. Eh bien, il y a aussi, vis-à-vis de la province de Luxembourg, des engagements contractés, et contractés par la loi ; or il ne peut certes pas y en avoir de plus légitimes, et je ne vois pas pourquoi ceux-là seuls seraient laissés de côté.

J’espère, messieurs, que puisque la section centrale ne nous a pas présenté un projet de loi qui fît droit aux réclamations du Luxembourg, le gouvernement ne tardera pas à nous soumettre un pareil projet. S’il tardait trop longtemps à le faire, je dois le dire, cela ferait le plus mauvais effet dans la province du Luxembourg. Je dois le déclarer, parce que cela est vrai et non parce que je voudrais faire de l’exagération ; on y attache la plus grande importance à l’adoption de la proposition dont il s’agit, et si elle était rejetée, on crierait à l’injustice. Je puis, messieurs, à cet égard, vous lire quelques passages d’une lettre que j’ai reçue d’un des hommes les plus considérés et les plus capables de notre province :

« Nous touchons au moment où va être discutée à la chambre des représentants la proposition que vous, monsieur, et vos collègues du Luxembourg avez déposée à la session dernière, tendante à obtenir, pour cette province, un crédit de 200,000 francs.

(Erratum inséré dans le Moniteur du 19 février 1841 : ) « Permettez que je vous exprime le désir de voir vos efforts couronnés de succès. Cette question est tellement importante pour le pays, que, si contre toute attente, elle venait à être résolue contre lui, nous désespérerions de le voir jamais se relever de l’état vraiment fâcheux dans lequel il se trouve, surtout depuis l’exécution du traité des vingt-quatre articles ; les droits du Luxembourg à cet égard nous paraissent à tous tellement bien établis, qu’il est impossible que la législature les méconnaisse, autrement il faudrait désespérer de la justice des hommes et du gouvernement. »

Eh bien, messieurs, ce que m’écrit ce membre du conseil provincial du Luxembourg est l’opinion de toute la province.

J’espère donc que l’on ne tardera pas à nous présenter un projet de loi qui fasse droit à nos réclamations. Quant à moi, je le déclare : on aura beau m’accuser d’être guidé par un esprit de localité, je ne cesserai de réclamer l’exécution de l’engagement qui a été pris, en 1837, par la législature, je ne cesserai de réclamer cette exécution jusqu’à ce qu’elle ait eu lieu.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, il m’est impossible de ne pas reconnaître la justesse des observations présentées par l’honorable préopinant. Je crois que tout le monde dans cette enceinte est d’accord sur la justice qu’il y aurait à accorder à la province de Luxembourg la compensation qui lui est due si tant est que la loi par laquelle on a promis à cette province intéressante, un embranchement du chemin de fer, ait été une loi sérieuse. Quant à moi, messieurs, je n’ai pas hésité à faire, à la fin de la dernière session, la déclaration que je réitère aujourd’hui.

Comment arrivera-t-on à l’exécution de la loi dont il s’agit, c’est là, messieurs, une question d’exécution, d’administration, mais qui en définitive viendra aussi se résoudre en une question d’argent, en une question de crédit.

En attendant, messieurs, que l’on puisse donner à la province du Luxembourg une large compensation, je crois que, dès maintenant, il sera permis de faire, pour elle, plus peut-être que pour d’autres provinces qui ont trouvé dans le chemin de fer des avantages refusés jusqu’ici au Luxembourg. Lorsque nous en serons à la discussion de l’article du budget qui concerne les routes pavées ce sera le moment de voir si, en réduisant, comme on le propose de 200,000 francs le million que je demande, on ne réduirait pas aussi d’autant la possibilité d’accorder à la province de Luxembourg une partie des routes auxquelles je pense qu’elle a droit en compensation de l’embranchement du chemin de fer, qui paraît définitivement abandonné.

Messieurs, ce que je dis pour la province du Luxembourg, peut s’appliquer à beaucoup d’égards à une autre province, qui par la force des traités et en vue de l’intérêt général, a été si malheureusement mutilée ; je crois, messieurs, qu’à son tour, la province du Limbourg sera en droit de réclamer du gouvernement et du pays des compensations pour les pertes qu’elle a éprouvées. Mais ici se présente la même observation que pour le Luxembourg : les questions de travaux publics ne peuvent en définitive se résoudre qu’en question d’argent ; et dans ce moment, je reconnais avec un grand nombre de membres de cette chambre, qu’avant de proposer à la législature de nouvelles dépenses, il est prudent d’attendre que l’équilibre se soit un peu rétabli entre nos dépenses et nos recettes.

Du reste, je déclare qu’en attenant que le Limbourg et le Luxembourg puissent être dotés de travaux importants, ces deux provinces obtiendront nécessairement une bonne part dans la distribution des fonds qui me seront alloués.

Messieurs, après cette déclaration, je ne dirai que peu de mots sur les propositions ou plutôt sur les indications qui ont été faites par deux honorables membres, relativement à l’utilité de la canalisation de la Campine. Les honorables MM. de Nef et de Renesse ont fait ressortit la haute importance que de tels travaux auraient pour cette partie si intéressante et si abandonnée du royaume.

Déjà à plusieurs reprises, il a été question de ces travaux de canalisation ; mes honorables prédécesseurs et moi, avons plus d’une fois témoigné de notre intérêt pour cette contrée. J’ai dit, à la fin de la dernière session, qu’un ingénieur spécial avait été d’abord chargé des études de tous les travaux à exécuter dans la Campine. Cet ingénieur a terminé son travail, un inspecteur divisionnaire a été ensuite chargé par moi, de reprendre tous les travaux partiels des ingénieurs en chef, y compris celui relatif à la Campine, de les coordonner et d’en faire un ensemble. Ce travail est fort avancé, et j’espère pouvoir le soumettre à la chambre d’ici à un mois.

Ce que je dis de la canalisation de la Campine s’applique à tous les autres projet de canalisation, au sujet desquels des réclamations ont été souvent faites dans cette chambre et ailleurs.

Messieurs, le second orateur qui a pris la parole, est entré dans beaucoup de détails administratifs pratiques sur différentes branches du ministère que j’ai l’honneur de diriger. Il ne me sera pas possible de le suivre dans tous ces détails, je me bornerai à répondre à quelques-unes de ses observations principales.

L’honorable M. Van Cutsem a parlé de la convenance qu’il y aurait à réunir au département des finances, les recettes opérées sur le chemin de fer ; il a cru voir dans cette mesure la possibilité d’une grande amélioration et d’une notable économie.

A plusieurs reprises, messieurs, on a soulevé et examiné la question de savoir s’il convenait de remettre à une administration autre que celle des travaux publics les recettes opérées sur le chemin de fer ; eh bien, l’on a été conduit à penser que jusqu’à ce qu’au moins une plus longue expérience eût apporté de nouvelles lumières, cette réunion, eu égard à l’état actuel des choses, était complètement impossible ; qu’elle ne pourrait s’opérer sans compromettre le service, sans y introduite des éléments de désordre et de désorganisation en faisant passer dans l’administration déjà si compliquée du chemin de fer, une nouvelle administration qui y arriverait avec d’autres vues, avec d’autres habitudes, je dirai presque avec d’autres intérêts.

Jusqu’ici l’exploitation du chemin de fer, quoique vieille de plusieurs années, est toujours, on peut le dire, à l’état d’essai. Chaque jour, l’administration s’occupe de rechercher les moyens d’économie, les mesures propres à abréger le travail, à réduire le nombre d’employés. L’administration du chemin de fer ne veut pas immobiliser dans les recettes tout un personnel dont il serait ensuite fort difficile de se débarrasser.

Chaque jour, messieurs, les exemples donnés dans d’autres pays, en Amérique, en Angleterre et en Allemagne peuvent nous profiter ; là les chemins de fer sont en grande partie exploités par l’intérêt particulier qui est, je le reconnais, fertile en découvertes économiques ; eh bien, les découvertes faites par l’intérêt particulier, nous pouvons successivement les appliquer aux chemins de fer de l’Etat ; mais pour cela il faut que l’administration qui dirige la totalité des opérations, reste aussi nantie de ce qui concerne les recettes.

De reste, je le déclare, dans l’état actuel des choses, il n’est pas possible de songer à une réunion qui, suivant moi, ne pourrait que compliquer encore les rouages déjà si compliqués du chemin de fer, et ne donnerait certainement pas lieu à des économies.

L’on a paru regretter aussi l’adjonction qui a eu lieu en 1837 de l’administration des postes à l’administration des travaux publics et du chemin de fer. L’on a même été jusqu’à dire que depuis cette adjonction le produit des postes avait été en diminuant.

Eh bien, messieurs, il y a là une erreur de fait que je m’empresse de relever.

D’après les détails qui ont été fournies dans les développements du budget, les recettes des postes depuis 1837, n’ont pas été en diminuant, mais en augmentant.

En effet, la recette en 1836 a été de 2,464,000 francs ;

En 1837, de 2,692,000 francs ;

En 1838, de 2,819,000 francs ;

En 1839, de 2,877,000 francs.

Il n’y a donc pas eu diminution, il y a eu au contraire augmentation. D’ailleurs, je ne sais pas comment le seul fait de l’adjonction des postes à l’administration des chemins de fer aurait pu entraîner une réduction de recettes, puisque toute l’administration des postes a passé dans l’administration des travaux publics. Dira-t-on que le chef du département des travaux publics n’est pas en position de surveiller aussi bien cette partie de l’administration que le chef du département des finances ? Mais qu’on ne perde pas de vue que si les attributions du département des travaux publics sont nombreuses, celles du ministère des finances sot plus multipliées encore ; s’il était impossible au ministère des travaux publics de surveiller les recettes du chemin de fer, cette impossibilité serait plus grande encore pour le chef du département des finances.

Du reste, il suffit d’avoir été, même un seul jour, à la direction des travaux publics, pour reconnaître que ces deux services qui ont entre eux la plus grande connexité, sont devenus inséparables par la force des choses ; le chemin de fer, c’est peut-être une force de mille chevaux, mise chaque jour en mouvement pour le transport des lettres, aussi a-t-il déjà rendu à cette branche de l’administration les plus grandes services.

Messieurs, l’honorable député auquel je réponds a ajouté beaucoup d’observations de détail sur la négligence et l’impolitesse de certains facteurs, sur les bancs qui manqueraient dans certains bureaux et sur d’autres parties subalternes du service.

Messieurs, ces détails peuvent paraître quelque peu minutieux à la chambre ; cependant je dois dire que j’accepte ces observations avec gratitude ; il nous est toujours agréable de voir les abus, si petits qu’ils soient, signalés par des membres de cette chambre ; c’est un service qu’ils nous rendent ; l’administration n’a rien tant à cœur que d’améliorer le service du chemin de fer comme tous les autres services. C’est même, pour le dire en passant, un des résultat avantageux d’une exploitation passée aux mains de l’Etat ; c’est que tout le monde porte, pour ainsi dire, le contrôleur de tout ce qui s’y passe ; c’est que le gouvernement est averti de toutes parts, à chaque heure du jour, par mille voix, de tous les abus qui peuvent se rencontrer dans l’exploitation de cette administration. Messieurs, si l’administration du chemin de fer avait été livrée à l’intérêt particulier ; oh ! alors vous auriez eu beau réclamer dans cette chambre contre tel ou tel acte de négligence, contre telle ou telle impolitesse, contre l’état d’abandon de tel ou tel bureau, l’intérêt particulier ne vous aurait pas écoutés, ne vous aurait pas répondu. Aujourd’hui que cette administration est entre les mains d’un pouvoir responsable, d’un pouvoir comptable, les améliorations de toutes espèces sont beaucoup plus praticables que si vous aviez imprudemment abandonné une pareille entreprise à l’intérêt particulier.

Du reste, je le répète, nous recevrons toujours avec reconnaissance, soit en public, soit en particulier, toutes les observations qui auraient pour but d’amener des améliorations dans ce service important, et sous ce rapport, je ne puis que remercier l’honorable député de Courtray.

Je ne vois pas qu’il y ait pour le moment d’autres explications à donner dans la discussion générale ; j’attendrai donc la discussion des articles, pour répondre aux autres observations, si toutefois la discussion générale ne devait pas se prolonger.

M. Pirson – Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, l’honorable M. d’Hoffschmidt vient de soulever une sorte d’incident, pour rappeler à la chambre les promesses légales faites en faveur du Luxembourg. Après les observations présentées par M. d’Hoffschmidt, M. le ministre des travaux publics vient de faire les plus belles promesses et d’annoncer beaucoup de bon vouloir en faveur de cette province.

Un membre – Et la motion d’ordre.

M. Pirson – Je n’ai qu’un mot à dire, mais il faut vider cet incident puisqu’il est soulevé.

Je vais vous donner un petit échantillon des promesses ministérielles. Il y a deux ans, en 1838, quand il s’est agi de la loi sur les douanes, j’ai demandé au gouvernement que, dans l’intérêt des ardoisières de Fumay, les modifications aux droits d’entrée fussent ajournées jusqu’au 1er janvier 1840, attendu que le projet de loi de douane devait réduire le droit d’entrée sur les ardoises.

J’ai fait observer que, pour mettre les ardoisières du Luxembourg à même de soutenir la concurrence, il ne fallait établir le nouveau droit qu’à partir du 1er janvier 1840. Je me rappelle que l’honorable M. d’Huart, alors ministre des finances, m’a répondu : Il veut nous renvoyer à l’an 40. messieurs, l’an 40 est passé. Deux ministres, le ministre des finances et le ministre des travaux publics, qui étaient présents, ont promis de faire une embranchement de Neupont à Borain pour favoriser le transport des ardoisiers de Fumay. Cet embranchement devait être fait pour le 1er janvier 1840, et il n’est pas encore exécuté. Mais le ministère, pour prouver son bon vouloir, quand j’ai réclamé l’exécution de cette promesse, a répondu qu’il fallait que le Luxembourg et la province de Namur intervinssent dans les frais. Savez-vous de quoi il s’agissait ? D’une communication de deux lieues : une demi-lieue dans la province de Namur et une lieue et demie environ dans la province de Luxembourg. Pendant deux années le ministre des travaux publics a marchandé avec la province de Namur et la province de Luxembourg, pour obtenir un subside provincial. La province de Namur a donné 11 mille francs et le Luxembourg a offert 17 mille francs. Nonobstant cela, rien n’est encore à exécution. Cependant il est à observer que cet embranchement est entre deux routes de l’Etat. Et pour faire cet embranchement entre deux routes nationales, le ministre a marchandé pendant deux ans pour 17,000 francs.

M. le président – Il n’y a pas là de motion d’ordre.

M. Desmaisières – Messieurs, comme d’habitude, je ne viens pas attaquer, je ne viens pas faire de l’opposition, c’est un rôle purement défensif que je vais prendre dans cette discussion ; et ce rôle défensif, je ne le prends que pour satisfaire à un engagement que j’ai pris envers la chambre dans une autre séance, celui de démontrer que les accusations portées sous le rapport financier, par le ministère actuel, contre tous ses prédécesseurs successifs, ne sont nullement fondées.

Messieurs, quand je dis que je ne viens pas attaquer, que je ne viens pas faire d’opposition, j’ai, je pense, le droit d’être cru, car j’ai fait mes preuves à cet égard, notamment lors de la discussion de la loi d’emprunt, à l’occasion de la question de publicité et de concurrence.

J’ai là prouvé, messieurs, que pour moi, l’intérêt général du pays devait toujours passer avant toute question de cabinet, avant toute question ministérielle, comme toute autre. Je me hâte de dire, toutefois, que je n’entends pas imputer le moindre tort aux nombreux et honorables membres qui auraient voulu alors que la loi imposât au ministère des garanties pour la bonne réalisation de l’emprunt. J’aurais même tort, je dois le dire, de leur faire, le moindre reproche à cet égard, puisque, dans la section centrale, à raison des explications données par le ministre, j’avais cru moi-même devoir me ranger à leur opinion consciencieuse.

Messieurs, dès les débuts financiers du ministère, il a été facile à tout le monde, dans cette enceinte, de s’apercevoir qu’on voulait à l’aide d’un bilan rembruni du passé, se faire un pont d’or pour l’avenir. Mais il s’est trouvé, comme cela devait arriver, qu’au lieu du pont d’or qu’on avait voulu se ménager, on a recueilli non pas les fruits doux qu’on avait voulu semer, mais les fruits amers qu’on a réellement semés. Cette situation rembrunie du passé a fait surgir de toutes parts des demandes d’économie, des oppositions à toutes les augmentations de dépenses et toutes ces demandes d’économies, ces opposition à toutes majorations de dépenses, sont devenues tellement fortes qu’à la fin elles ont arraché à deux ministres, au ministre des travaux publics et au ministre des finances, l’aveu que notre situation financière n’était pas mauvaise, qu’elle était même meilleure que celle de presque tous les Etats de l’Europe. La conséquence de cet aveu était naturellement que le pays avait été mieux administré que les autres Etats de l’Europe. Mais cette conséquence, on n’a pas voulu la tirer. On a prétendu au contraire que les ministères précédents et même les chambres avaient mal administré le pays depuis notre régénération.

Messieurs, un premier point d’accusation contre lequel j’ai à défendre le ministère précédent ou plutôt le cabinet précédent, c’est que nous aurions laissé, en quittant les affaires, à nos successeurs tout l’odieux qui peut résulter, selon eux, de la demande de majoration très forte sur les impôts.

Messieurs, quant à moi, je le dis franchement et sincèrement, il n’a jamais rien d’odieux à demander à la législature des majorations d’impôts, quand ces majorations d’impôts sont commandées par des dépenses réellement nécessaires et que l’on ne peut ajourner.

Aussi, messieurs, si le ministère me prouve que le budget des dépenses qu’il a présenté et qui dépasse de 6,108,783-27 le budget tel qu’il a été arrêté pour 1840, s’il me prouve que cet excédant, cette majoration de dépense de plus de 6 millions est réellement nécessaire, qu’elle est urgence, qu’on ne peut aucunement l’ajourner, je ne verrai rien d’odieux à ce qu’il soit venu demander en même temps 5,200,000 francs de majoration d’impôt pour 1841 et 7,200,000 francs pour 1842.

Il y a plus, je dois l’avouer aussi franchement. Je croyais lorsque j’étais au ministère, que nous n’aurions pas besoin d’arriver à un chiffre aussi élevé des dépenses. J’avais pour cela plusieurs motifs. D’abord, sans faire aucunement de reproche au ministère actuel, sous ce rapport, il est certain que, si l’ancien ministère fut resté aux affaires, la lettre de mon honorable collègue M. Nothomb en fait foi, l’emprunt vous eut été demandé au plus tard dans le courant du mois de mars, que par conséquent, il eut été réalisé bien avant que le traité du 15 juillet ne soit venu forcer le ministère actuel je le reconnais, à passer par des conditions beaucoup plus onéreuses que celles que nous aurions obtenues. De là donc, un motif pour nous de croire que nous pouvions espérer de vous présenter un budget des dépenses moindres que celui que sous ce rapport le ministère actuel a été forcé de vous présenter.

Messieurs, d’un autre côté, ce n’était pas sans raison que, dans le discours que j’ai prononcé le 12 novembre, à l’appui de la présentation des budgets de 1840, je vous avais parlé du règlement de la dette publique. Je faisais là allusion à une pensée, dont j’avais hérité de notre honorable collègue, M. d’Huart, la pensée de la conservation de notre rente 5 p.c. et que je croyais un devoir pour moi de chercher à réaliser, parce qu’il devait en résulter une charge d’un million et au-delà de moins pour le budget de la dette publique.

M. le ministre des finances actuel sait bien d’ailleurs que si, dans ma pensée, le budget des dépenses pour 1841 ne devait pas d’élever à un chiffre aussi considérable que celui qui vous est demandé, du moins je croyais qu’il eût été imprudent de ma part, en qualité de ministre des finances, de me reposer en toute sécurité dans cette opinion.

M. le ministre des finances sait bien que je m’occupais activement de la révision de plusieurs de nos lois financières, révision qui d’ailleurs avait été demandée et dans la chambre et dans le sénat, et que je cherchais à opérer cette révision de manière à augmenter les ressources du trésor, tout en lésant le moins possible les contribuables par le mode de perception. Il sait aussi que, dans une lettre que j’ai écrite, au commencement de 1840, à mon honorable collègue des affaires étrangères, j’ai émis cette opinion que, vu que les dépenses allaient toujours en augmentant, il fallait nécessairement chercher, par la révision de nos loi financières, à augmenter les ressources du trésor ; et même que j’avais proposé à M. le ministre des affaires étrangères et de l’intérieur la formation d’une commission mixte composée de fonctionnaires des deux départements pour s’occuper de la révision du tarif général des douanes, dans le sens de lui faire rapporter plus au trésor, sans nuire aux intérêts de l’industrie, mais au contraire en tâchant de faire accorder à l’industrie une protection plus forte, si cela était nécessaire.

Le ministère actuel nous a donc accusé de l’avoir mis dans l’obligation absolue de nous présenter des demandes de majoration d’impôts. Ce que je viens de vous dire vous prouve le contraire, puisque si nous étions restés aux affaires, nous n’aurions pas dû vous demander une aussi forte majoration que celle demandée.

Ensuite, quand bien même il serait vrai que ce fût par notre faute que le ministère actuel se serait trouvé dans cette obligation, je demanderai si l’on pourrait nous faire un reproche quelconque d’avoir quitté les affaires à la suite du vote du 14 mars ; car je ne pense pas que l’on prétende que ce sont les anciens ministres qui ont fait partie de la majorité du 14 mars qui a renversé le ministère.

J’ai puisé dans les diverses situations du trésor qui vous ont été présentées depuis 1832 un tableau composé de chiffres dont je ne vous donnerai pas lecture, parce qu’il vous serait difficile de saisir ces chiffres à la lecture ; mais je le ferai imprimer dans le Moniteur. Eh bien, que résulte-t-il de ce tableau ? D’abord je dois vous prévenir que le tableau ne part que de 1832, parce que la chambre sait fort bien que ce n’est qu’à partir de 1832 que nous avons eu un budget régulier. Il était impossible qu’il en fût ainsi plus tôt. On ne pouvait faire un budget régulier, lorsqu’on était encore en pleine révolution en quelque sorte.

Avant 1832, les circonstances avaient forcé le gouvernement et la législature de grever notre situation financière de deux emprunts forcés, montant ensemble à 22 millions de florins. Je répète que je ne crois pas qu’on puisse faire aucun reproche aux différents ministères qui ont précédé celui de 1832 à 1834, de l’obligation où ils ont été de grever nos finances.

Pour 1832, le ministère d’alors proposa à la législature un budget des dépense, s’élevant en totalité à 71 millions de florins. Ce budget des dépenses comprenait les 22 millions de florins d’emprunt forcé à rembourser, mais ne comprenait pas les dépenses de la liste civile, non plus que plusieurs dépenses extraordinaires de guerre. Le budget des recettes ordinaires ne s’élevait qu’à 31,421,972 florins 84 cents. Il restait donc à couvrir une somme assez forte, et le ministère d’alors ne pouvait faire autrement que de vous proposer de le combler par un emprunt de 48 millions de florins qui fut réalisé, et par une vente de domaines pour une somme de 6,329,985 florins qui, je crois, n’a pas eu lieu.

Vient ensuite l’exercice 1833. le ministère qui a été aux affaires de 1832 à 1834 a proposé pour l’exercice 1833 un budget des dépenses s’élevant à 131,014,085 francs 84 centimes, et, bien que l’honorable ministre des finances de l’époque crût devoir majorer de 7,505,514 francs les impôts portés au budget des voies et moyens, ce budget des voies et moyens, proposé, ne s’élevait encore qu’à 83,103,896 francs. Il y avait donc dans le budget général proposé alors un déficit de 47,910,189 francs 84 centimes.

Maintenait, voulez-vous savoir comment le ministère de 1832 à 1834 proposa de faire face à ce déficit ?

Le budget des dépenses comprenait une somme de 17,165,883 francs destinée, avec celui qui devait faire face au payement du grand livre auxiliaire de Bruxelles, à payer les 8,400,000 florins mis à la charge de la Belgique par le traité du 15 novembre 1831.

Eh bien ! le ministère, qui était d’opinion que c’était là une dette irrévocable, vous proposait de retrancher cette somme de 17 millions du budget de la dette publique, afin de n’y faire face, par des voies et moyens, que lors de la conclusion définitive de la paix.

C’était donc une dette flottante de 17 millions qu’il créait.

Ensuite, messieurs, comme il manquait encore des voies et moyens pour couvrir une somme de 30,744,306 francs 24 centimes, le ministère proposa à la législature l’émission de 30 millions de bons du trésor, ce qui laissait encore un déficit de 744,306 francs 24 centimes.

Maintenant, messieurs, à ce déficit laissé malgré l’autorisation d’émission demandé de 30 millions de bons du trésor, à ce déficit de 744,306 francs 24 centimes, il faut encore ajouter deux millions que le ministère d’alors consentit encore à déduire du budget des voies et moyens du chef de la loi des distilleries de 1833.

Ici, messieurs, il ne sera peut-être pas inutile de faire voir comment il se trouve que l’on n’a pas été obligé de recourir d’abord à une émission de bons du trésor aussi élevé que celle demandée par le ministère et qui était de 30 millions, et comment aussi on n’a pas été obligé, en définitive, de réaliser les emprunts que le ministère avait ajournés jusqu’à la paix.

Messieurs, beaucoup de membres de la chambre actuelle se rappelleront que la section centrale du budget de la guerre pour 1833, dont l’honorable M. Brabant était rapporteur et dont j’ai eu l’honneur de faire partie, avait proposé à la chambre de réduire le budget de la guerre tout d’abord de plus de six millions, et avait annoncé en même temps à la chambre que si l’on adoptait ses propositions, de n’accorder les crédits du département de la guerre que pour six mois, il y aurait bien certainement encore une autre réduction au budget de la guerre d’au moins dix à douze millions.

Eh bien ! messieurs, qu’a fait le ministère d’alors ? Il a fait de ces propositions de la section centrale une question de cabinet. Il a dit que si elles étaient adoptées par la chambre, il se retirerait ; la chambre n’en a pas moins cru devoir adopté les propositions de la section centrale.

Le ministère ne s’est pas retiré ; mais il a dissout la chambre.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – C’est la même chose.

M. Desmaisières – Et après la dissolution de la chambre, il est venu lui-même, au mois de juin, proposer un budget définitif pour le département de la guerre, réduit des 11 millions que la section centrale avant annoncé pouvoir être retranchés en sus de la réduction de 6 millions précédemment adoptée.

De là résulte, messieurs, qu’au lieu de 30 millions de bons du trésor, on a pu réduire le chiffre d’émission à quinze millions.

Maintenant, messieurs, ce même ministère avait ensuite proposé, le 19 juillet 1834, un budget des dépenses, pour 1835, s’élevant à 87,622,112 francs 87 centimes ; et le ministère qui lui succéda, c’est-à-dire le ministère qui a quitté les affaires l’année dernière, avait, de son propre mouvement, réduit bien après ce budget à 84 millions, ce qui évita de nouvelles charges au pays.

Pour les exercices 1834, 1835, 1836, 1837, 1838, 1839 et 1840, les budgets qui vous ont été présentées l’on été avec des excédants de ressources respectifs de 8,000, 42,000, 178,000, 332,000, 23,000, 24,000 et 323,000 francs.

En ce qui concerne les budgets votés, le ministère a eu raison de vous dire qu’il est arrivé plus d’une fois que le budget voté ne présentait pas tout l’équilibre qu’il devait présenter. Mais, messieurs, ce ne sont pas les budgets primitivement votés qui présentaient ces déficits, ce sont les budgets primitivement votés augmentés des transferts et revirements contre lesquels, quant à moi, je me suis toujours opposé. Les rapports que j’ai présentés à la chambre en font foi.

Et, messieurs, parmi les exercices où cette balance n’a pas toujours existé, je trouve que l’exercice 1833 est encore, quant au budget voté et quant aux transferts qui ont eu lieu ensuite, celui qui, parmi les budgets de 1833 à 1840, présente le plus de différence.

En effet, messieurs, nous voyons par la situation du trésor qui vous a été présentée le 31 octobre 1834, que le budget de 1833, avec les transferts, se trouvait en définitive porté pour les dépenses à 94 millions et pour les recettes seulement à 86 millions ; que, par conséquent, il y avait un déficit de 8 millions.

Messieurs, le tableau que je ferai imprimer au Moniteur donne aussi un relevé de toutes les diverses situations du trésor présentées par les ministères qui se sont succédé depuis 1832. La chambre remarquera qu’il y a dans les chiffres comparés de ces diverses situations du trésor quelques différences et on conçoit qu’il ne peut en être autrement, parce que lorsqu’on présente ces situations du trésor, il y a beaucoup de faits de comptabilité qui ne sont pas encore accomplis, et que par conséquent, il n’est pas étonnant que de l’un à l’autre il y ait quelque différence dans les résultats.

Mais, messieurs, il résulte de la situation présentée par le ministère actuel, qu’il a intitulée : « Situation au 1er octobre 1840 », que le ministère de 1832 à 1834 a laissé à ses successeurs un déficit de 13,695,480 francs 79 centimes ; et il résulte de la situation, au 1er décembre 1840, établie d’après les chiffre portés au tableau que M. le ministre des finances a remis à la section centrale du budget des voies et moyens, que le ministère précédent n’a laissé en définitive à ses successeurs qu’un déficit de 9,292,000 francs, par conséquent de plus de 4 millions en moins que celui que l’ancien ministère a reçu de ses prédécesseurs.

Je dois prévenir toutefois que je fais ici abstraction tant d’un coté que de l’autre du chiffre de la dette publique, résultant du nouveau système de comptabilité qui avait été suivi depuis 1831, et auquel la chambre en a maintenant substitué un autre. Je fais aussi abstraction des 4 millions prêtés à la banque de Belgique, qui constituent une dette flottante, momentanée et spéciale.

Maintenant, messieurs, ce n’est pas tout que cette dette flottante de 13,695,480 francs 79 centimes qu’aurait laissée le ministère de 1832 à 1834.

J’ai parlé tout à l’heure de la dette du traité du 15 novembre. C’était là une dette comme je l’ai rappelé que le ministère de 1832 à 1834 considérait comme irrévocablement portée à la charge de la Belgique.

Eh bien ! messieurs, les exercices 1834 et antérieurs laissaient de ce chef un arriéré de près de soixante-dix millions.

Et, messieurs, quel est le ministère qui a réussi à nous décharger de cet arriéré de 70 millions ? C’est le ministère précédent. Il a non réussi non seulement à nous décharger de cet arriéré de 70 millions pour les exercices 1834 et antérieurs, mais il a réussi encore à nous décharger de 70 autres millions environ du chef des exercices de 1835 à 1838.

Ensuite, messieurs, quand l’ancien ministère est entré aux affaires, en 1834, il a trouvé un traité qui mettait à la charge de la Belgique une dette annuelle de 8,400,000 florins du chef du partage des dettes publiques du ci devant royaume des Pays-Bas. Et quand il a quitté les affaires, il avait réussi à réduire cette dette annuelle de 8,400,000 florins à 5,000,000 florins.

Ainsi, messieurs, en résumé, le ministère de 1832 à 1834, malgré que la chambre ait réduit de beaucoup les dépenses qu’il avait pétitionnées, a laissé au ministère qui lui a succédé une dette flottante de 13 millions et quelques cent mille francs. Il a laissé un arriéré, du chef de la dette résultant du traité, de 70 millions environ ; et il nous a laissé, en outre, une charge annuelle de 8,400,000 florins, à porter au budget du chef du partage des dettes publiques di ci-devant royaume des Pays-Bas.

Voilà, messieurs, la situation que le ministère de 1832 à 1834 a laissée au ministère qui a précédé le ministère actuel. Et remarquez bien que cette situation, il la lui a laissée lorsque le ministère qui a précédé le ministère actuel avait devant lui un avenir de plusieurs années d’état de guerre.

Le ministère qui a précédé le ministère actuel, au contraire, n’a laissé pour un avenir de paix qu’une dette flottante de 9,200,000 francs environ, au lieu d’une dette flottante de 13 millions et quelques cents mille francs. En suite, il n’a plus rien laissé du chef des arrérages de la dette imposée à la Belgique par le traité du 15 novembre, et il a réussi à réduire cette dette de 8,400,000 florins à 5,000,000 florins.

Jugez maintenant, messieurs, si les accusations portées par le ministère actuel contre les ministères précédents sont fondées, oui ou non.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne suivrai pas, messieurs, l’honorable orateur que vous venez d’entendre, dans tous les détails de son discours, qui ne se rapporte pas au budget des travaux publics. Cependant, il m’est impossible de laisser passer sans réfutation une imputation qu’il nous adresse, celle d’avoir accusé les ministères précédents sous le point de vue financier. Il n’en est pas ainsi, messieurs ; lorsque le gouvernement est venu présenter le projet de loi relatif à l’emprunt, il a cru qu’il était de son devoir d’exposer en même temps notre situation financière ; l’exposé de cette situation il l’a fait consciencieusement et dans toute sa vérité ; il a cru qu’il ne pouvait pas déguiser les faits, qu’il n’y avait point de considération politique qui pût le soustraire au devoir de faire connaître à la chambre et au pays quel était le véritable état de nos finances. Il a accompli ce devoir.

Si cette situation s’écarte des résultats mieux connus depuis qu’elle a été formée, c’est en faveur du trésor public, puisque la situation financière qui a été soumise à la chambre quelques mois plus tard présente des résultats moins favorables encore. C’est donc à tort, que l’honorable préopinant allègue que nous avons formé un bilan rembruni du passé. Non, messieurs, les chiffres sont là et je ne crains point qu’ils fassent l’objet d’une discussion approfondie. En présence des chiffres les allégations vagues ne sont rien. J’ai la conviction intime, messieurs, que la situation financière que l’on conteste sans discussion était exacte, ou que, si elle pêche, c’est qu’elle était, non pas rembrunie, mais plus favorable que la réalité aujourd’hui mieux connue.

On nous a dit, messieurs, que nous aurions reconnu nous-mêmes plus tard que nous avions exagéré le mal, parce que nous avions fait remarquer à la chambre que notre situation financière est beaucoup plus favorable que celle d’un grand nombre d’Etats de l’Europe. Mais, messieurs, lorsque nous avons formé notre premier rapport, nous avons eu soin de démontrer, par des chiffres comparatifs, que notre dette est bien moins considérable que celle de la plupart des autres nations ; ainsi notre opinion à cet égard a toujours été la même, et en constatant une situation qui était moins favorable que ne le supposait l’honorable préopinant, j’ai eu soin de faire remarquer que cette situation était meilleure que celle des principaux pays de l’Europe.

Je dirai quelques mots, messieurs, de l’augmentation totale que présente le budget de 1841, comparativement à celui de 1840. Si cette augmentation est nominativement de 6 millions, comme l’a fait remarquer l’honorable préopinant, l’on sait de quoi se composent ces 6 millions ; on sait qu’un emprunt a été contracté et que l’intérêt de cet emprunt prend déjà une large part dans l’augmentation dont il s’agit ; on sait aussi que plusieurs lignes du chemin de fer on été nouvellement mises en exploitation et que cela a nécessité une augmentation de dépenses ; l’on sait également qu’au budget des finances il figure une certaine somme pour l’achat de matières premières pour fabrication de monnaies, ce qui ne constitue pas, en réalité, une dépense, puisqu’il en résulte une augmentation de recette plus considérable qu’une dépense.

Enfin, j’ajouterai, messieurs, que la différence provient aussi, puisqu’il faut le dire, de ce que le budget de 1840 présenté par l’honorable préopinant ne supposait qu’une dépense de 12 millions pour les travaux publics, tandis que plus tard M. le ministre des travaux publics d’alors a fait connaître lui-même qu’à cette dépense il fallait ajouter encore 18 millions ; par suite de cette erreur on n’a porté au budget de la dette publique en raison d’une dette flottante de 30 millions de francs, qu’une somme de 1,200,000 francs pour les intérêts. L’on disait même qu’il n’y aurait pas constamment 30 millions en circulation ; eh bien, ces 30 millions doivent être majorés de sommes plus considérables par suite d’appréciations inexactes ; en second lieu de 7 à 8 millions du chef du report d’un semestre à l’autre des intérêts tant de la dette mise à notre charge par le traité du 19 avril que des autres parties de notre dette ; et en troisième lieu des sommes nécessaires pour la continuation des travaux du chemin de fer, lesquelles, ainsi que je l’ai fait remarquer, devaient, d’après l’honorable M. Nothomb, excéder de 18 millions les 12 millions compris dans le chiffre de 30 millions.

Du reste, messieurs, je donnerai très incessamment de nouvelles explications à cet égard lorsque je me trouverai dans la nécessité de demander des crédits supplémentaires pour l’exercice 1840.

Je crois, messieurs, devoir borner là mes observations quant à présent ; seulement je répète qu’il est contraire à la vérité de dire que nous avons accusé les précédents ministères. Je me rappelle bien qu’un de mes collègues, répondant au reproche que l’on nous faisait de demander de nouveaux impôts, a répondu que ce n’est pas nous qui avons créé la position qui nécessite ces impôts ; est-ce là une accusation ? Nous avons en effet trouvé une situation telle qu’il n’était pas en notre pouvoir de ne pas réclamer de nouvelles ressources pour le trésor. Nous n’avons pas prétendu que cette situation fût la conséquence de fautes commises par le précédent ministère, nous nous sommes bornés à constater qu’elle existait avant notre arrivée aux affaires, et certes lorsqu’on nous reprochait des nouvelles charges qui devaient peser sur les contribuables, nous avions bien le droit de faire remarquer que nous n’avions pas créé la situation qui exigeait des augmentations d’impôts.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, l’honorable M. Desmaisières, revenant sur une discussion qui a déjà été reproduite 3 ou 4 fois dans la chambre, la discussion générale du budget des voies et moyens, a bien voulu me citer avec mon collègue le ministre des finances et dire qu’après avoir rembruni la situation financière du pays, force nous a été d’avouer plus tard que cette situation n’est pas aussi mauvaise que nous l’avions prétendu. Mais, messieurs, nous n’avons jamais prétendu que la situation financière du pays fût mauvaise ; dans son rapport primitif mon collègue a dit, au contraire, que malgré le déficit qu’elle présentait, notre situation était bonne ; j’ai répété après lui que notre état financier est meilleur que celui de la plupart des Etats de l’Europe, et ce n’est pas après avoir fait un tableau rembruni de cette situation, c’est à toutes les époques que nous avons parlé de cette manière.

L’honorable orateur auquel je réponds a dit que nous avons recueilli des fruits qu’il a qualifiés d’amers, de l’exposé que nous avions fait de notre situation financière. Messieurs jusqu’ici je cherche en vain en quoi consistent ces fruits amers que nous aurions recueillis. Je sais qu’il s’est manifesté dans cette enceinte et plus encore en dehors de cette enceinte de grandes velléités d’introduire dans les divers budgets, et particulièrement dans le mien, de grandes, d’énormes réductions ; mais enfin quand on en est venu à la réalité, quand on en est venu au côté utile et pratique des budgets, vous avez vu, messieurs, votre bon sens a reconnu que toutes ces velléités de réduire les budgets ne devaient aboutir à rien, qu’avant tout, qu’avant de céder à telle ou telle préoccupation personnelle, il faut assurer les services publics dans de sages limites ; c‘est ce que vous avez fait jusqu’ici, et j’ai la confiance que c’est ce que vous ferez encore ; ce que vous avez fait pour le département des finances, qui a été voté dans une seule séance ; ce que vous avez fait pour le département de la justice, pour le département de l’intérieur, pour le département des affaires étrangères, vous le ferez également pour le département des travaux publics. Je ne parle pas du budget de la guerre ; là, messieurs, vous avez donné à mon honorable collègue une marque de confiance dont nous nous sommes tous reconnaissants, mais que nous ne vous demandons pas pour nous.

Ainsi, messieurs, jusqu’ici nous sommes fondés à croire que la chambre nous a su bon gré du tableau sincère et véritable que nous avons présenté de notre situation financière.

Un aveu est échappé à l’honorable préopinant, c’est que lui-même avait reconnu (car il nous a fait part de beaucoup de pensées qui lui sont venues pendant son ministère), que lui-même avait reconnu la nécessité de réduire les dépenses et d’augmenter les recettes, qu’il avait lui-même écrit à cet égard à son collègue des affaires étrangères. Eh bien, messieurs, cette nécessité que l’honorable préopinant a reconnue en théorie, nous l’avons reconnue d’une manière plus efficace, nous l’avons mise en pratique. Voilà, messieurs, la différence qu’il y a entre l’ancien ministère des finances et le ministère des finances actuel.

Quant aux dépenses, messieurs, jusqu’à ce que la chambre ait voté le budget du département des travaux publics, jusqu’à ce que la discussion ait été épuisée et le vote émis, je dis qu’on n’a pas le droit d’avancer que nous avons exagéré aucune dépense.

Il me serait impossible de suivre l’honorable préopinant dans la revue rétrospective qu’il a faite de tous les ministres qui se sont succédé au département des finances depuis 1831. Il nous a reproché d’avoir accusé tous nos prédécesseurs et même notre honorable collègue et ami M. Duvivier du déficit que nous avons trouvé en entrant au ministère.

M. Desmaisières –Je me suis servi, dans mon discours, de l’expression : « le ministère » ; M. Duvivier était ministre des finances par intérim et ne pouvait proposer de couvrir les budgets des dépenses de ses collègues autrement qu’il ne l’a fait.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Eh bien, messieurs, je crois qu’il n’y a pas un seul mot dans le discours de mon honorable collègue, le ministre des finances, qui puisse être considéré comme un reproche envers le ministère précédent. Nous avons été amenés à dire que le déficit et la nécessité d’augmenter les impôts pour le combler n’étaient pas notre fait ; nous avons été amenés à dire cela parce que nous avons eu à répondre par des attaques dont d’autres que nous ont pris l’initiative.

Au reste, messieurs, je dois reconnaître que cette discussion n’a pas grand trait avec au budget des travaux publics ; et à l’avenir, si quelques orateur s’écartaient encore de l’ordre à l’ordre du jour, je me croirais en droit de ne pas les suivre dans cette marche irrégulière.

M. de Puydt – Messieurs, la section centrale qui a été chargée d’examiner le budget du département des travaux publics a proposé sur ce budget des réductions, dont la somme totale s’élève à un million quarante-quatre mille francs ; sur cette somme, 858,000 francs portent uniquement sur des travaux d’utilité publique ; le reste de la réduction est relatif aux dépenses des autres services du même département.

Ces réductions, messieurs, tiennent à un principe général d’économie que je ne puis pas adopter dans un sens aussi absolu que celui dans lequel il a été adopté par la section centrale et par beaucoup d’honorables membres de cette chambre disposés à réduire les dépenses de toute nature.

Le département des travaux publics, ainsi que l’a dit un honorable préopinant, est le plus important de tous, parce qu’il touche directement aux intérêts matériels du pays, parce qu’il agit sur l’agriculture, l’industrie et le commerce. Pour que l’on soit porté à vouloir opérer des réductions sur les dépenses des travaux publics, il faut nécessairement être mû par un principe dont l’application est, selon moi, un écart de la part des honorables membres auxquels j’ai fait allusion. Ce principe de réduction, quand même, résulte pour eux de la nécessité de diminuer les recettes, et cette nécessité, dans leur manière de voir, est fondée à son tour sur l’idée qui a déjà été émise dans cette enceinte, que la Belgique est en état de décadence matérielle, que la Belgique n’a pas, relativement à d’autres pays, mis en comparaison avec elle, les ressources qui permettent à ces pays de supporter des charges plus fortes que les nôtres. Il faut donc à tout prix diminuer les dépenses, afin de pouvoir diminuer les recettes.

Je suis très loin, messieurs, de considérer la Belgique comme un pays en décadence ; je crois, au contraire, qu’il est peu de pays en Europe qui offrent tant de moyens de prospérité matérielle que la Belgique dans les limites où elle se trouve. Le développement de ces moyens est un devoir de la législature, et elle s’acquittera de ce devoir en fournissant au département des travaux publics, non seulement les sommes qu’il demande actuellement, mais encore des fonds plus considérables pour l’avenir, parce qu’il y a nécessité de compléter, autant que possible, le système des communications du pays.

Je n’admets pas, messieurs, que la Belgique soi en décadence et marche à sa ruine ; je vais prouver le contraire par quelques renseignements statistiques très généraux.

Je pense, messieurs, que l’on ne contestera pas que la force et la richesse d’un Etat policé sont en raison du développement de son industrie, de l’accroissement de sa population et de la culture des terres.

Je m’attache d’abord à ce qui concerne la population et la culture des terres. Les provinces belges détachées de la France en 1815, et qui forment aujourd’hui le royaume de Belgique, avaient une population de 3,377,000 habitants ; elle en avait une surface de territoire de 3,400,000 hectares, et sur cette surface, il y avait environ 700,000 hectares de terres incultes, susceptibles néanmoins d’être cultivées par le travail et avec des engrais que le défaut de communications ne permettait pas de faire arriver sur les lieux à des prix convenables.

De 1815 à 1830, époque où la Belgique s’est affranchie du joug hollandais, pour vivre en Etat indépendant, elle n’en a pas moins travaillé à sa prospérité intérieure, avec plus de liberté que sous l’empire français.

Elle a augmenté le nombre de ses communications ; il existait alors environ 550 lieues de routes ordinaires pavées et empierrées, on en a porté la quantité à plus de 700 lieues de longueur ; on a étendu les communications navigables en achevant le canal de Mons à Condé, en exécutant celui de Charleroy ; les canaux de Pommeroeul à Antoing, de Terneuzen et de Maestricht à Bois-le-Duc ; enfin on a canalisé la Sambre.

Tous ces travaux ont eu pour résultat de développer l’industrie du pays, de donner naissance à une foule d’établissements, d’agrandir l’exploitation des mines, et de créer ce qui existait à peine à cette époque, l’industrie du fer.

Aussi, au moment de la révolution, le chiffre de la population de la Belgique était monté à 4,082,400 habitants ; il s’était donc accru d’un quart en 15 ans, et la surface des terres incultes, qui jusque là formait le 1/5 de la surface totale, s’est réduit à 1/9.

Pendant les années qui se sont écoulées depuis 1830, et malgré la position difficile où s’est trouvé le pays, malgré l’état de quasi-guerre et les dépenses énormes que nous avons été obligées de supporter, nous avons créé le grand système des chemins de fer, nous avons ouvert d’autres communications qui ont donné lieu à une dépense considérable, qui ne sont pas restées improductives.

Ainsi, la longueur des routes ordinaires qui, à l’époque de 1830, était d’environ 700 lieues, a été portée au-delà de 1,000 lieues. On a achevé le canal de Charleroy, et la prospérité de l’industrie a suivi cette progression du système des transports intérieurs.

En 1839, avant le morcellement du territoire, la population du royaume était arrivée à 4,330,000 habitants environ, c’est-à-dire que comparée à la population du pays en 1815, elle était augmentée de plus de 4/15 et la surface des terres incultes qui était primitivement d’un 1/5 s’est trouvée réduite à un 1/12.

Pour vous prouver que les communications ont exercé une grande influence sur le développement du travail agricole, je vais restreindre l’examen de ces détails statistiques à une seule province, celle qui était la plus arriérée sous le rapport agricole et qui avait le moins de communications.

Le Luxembourg, en 1815, avait une population de 213,00 habitants, et le tiers de la surface de son territoire était tout à fait inculte, quoique susceptible de culture, n’avait que 20 lieues de routes. Eh bien au moment de la séparation en 1839, le Luxembourg était arrivé à 339,000 habitants, c’est-à-dire que sa populations s’était accrue de plus de moitié en 25 ans, et la surface de son territoire inculte s’est trouvée réduite du 1/3 au 1/6 ; Pourquoi ? parce que la longueur de ses routes a été portée dans cet intervalle à 95 lieues.

D’après ces détails, je ne puis pas admettre que la Belgique sot en décadence, qu’elle marche vers un gouffre où elle ira s’engloutir, pour me servir d’une expression familière aux adversaires que je combats ; je crois au contraire que la Belgique est en progrès matériel, et que ce progrès n’est pas encore arrivé à son terme. Elle doit cette marche progressive du travail agricole et du travail industriel au développement des communications intérieures, et elle atteindra le plus haut degré de prospérité qu’elle est susceptible d’atteindre, quand elle aura complété le système de ces communications. Pour arriver à ce résultat, il est du devoir de la législature de mettre à la disposition du gouvernement les moyens nécessaires à l’ exécution des communications qui restent à faire ; ce devoir est d’autant plus impérieux que si nous n’achevions pas dans le plus bref délai les divers systèmes de communication, nous perdrions le fruit de ce que nous avons fait, puisque ce qui a été fait jusqu’ici ne peut produire tout son effet utile, faute de ce complément nécessaire.

Ainsi, par exemple, l’industrie est en souffrance depuis quelque temps ; cet état de malaise ne provient pas uniquement de la situation particulière de la Belgique, il dérive de causes qui sont communes à toute l’Europe. Mais l’enquête commerciale qui a été ordonnée par la chambre et dont les résultats ont été mis sous nos yeux, nous apprend qu’une grande partie des souffrances de l’industrie, au moins des principales industries, tient précisément au défaut de complément dans les communications intérieures.

J’ai examiné aussi attentivement que possible les documents de l’enquête, et cet examen m’a donné la conviction que les industries qui souffrent particulièrement du retard mis au perfectionnement de nos communications sont les exploitations souterraines et l’industrie du fer en général. Or, ces industries n’intéressent pas seulement aujourd’hui les localités où existent les exploitations et les établissements métallurgiques, elles intéressent le pays en général. Autrefois, avant que les machines remplaçassent le travail des bras de l’homme dans toutes les manufactures, il existait une sorte d’isolement entre les intérêts matériels des différentes provinces du pays. Aujourd’hui, l’emploi plus général des machines a relié entre eux tous ces intérêts. Les provinces flamandes, par exemple, sont aussi intéressées au développement des exploitations des provinces wallonnes que ces dernières provinces elles-mêmes.

Il importe à toutes les industries qui font usage de machines, d’avoir le fer et le charbon à bon marché.

Ceux qui ont quelque peu examiné comment le fer se produit, savent qu’en Belgique la question du bon marché est une véritable question de transport.

En effet, pour avoir un tonneau de fonte, il faut réunir sur un même lieu, c’est-à-dire au haut-fourneau dix tonneaux de matières premières, provenant de distances plus ou moins éloignées, à travers un pays presqu’inaccessible, attendu que les établissements de forgerie se trouvent toujours dans des terrains accidentés où les transports sont très difficiles. Or, il est établi par les calculs que le transport de ces matières équivaut au mouvement total d’un tonneau sur une longueur de 50 lieues. La fonte est donc surchargée au moment de sa fabrication d’une somme de plus de 80 francs ; reste ensuite les autres frais résultant des mêmes causes pour le transport de la fonte avant qu’elle soit réduite en barres de fer, en tôle, etc.

Comparaison faite avec les pays où les défauts de communication n’existent pas, il en résulte que nos produits sot en défaveur sur les marchés étrangers, parce que nous ne pouvons pas produite à aussi bon marché que ceux qui, comme les Anglais, par exemple, ont perfectionné leurs communications intérieures. Mais on doit reconnaître aussi que si nous perfectionnions autant que possible nos communications, nous arriverions à ce résultat, de pouvoir produire le fer à aussi bon marché que les Anglais, et lutter avec eux, non seulement sur le marché intérieur, mais encore à l’étranger.

Dans mon opinion donc, le remède aux souffrances des principales industries du pays, est dans la continuation des travaux de communication.

Dans cette opinion, j’ai examiné quels pouvaient être en somme les divers travaux qu’il conviendrait d’exécuter, pour arriver au résultat dont j’ai parlé. Ces travaux consistent à augmenter les routes ordinaires sur toute la surface du royaume, dans l’intérêt du travail agricole ; à faire des chemins de fer particuliers dans les pays houillers et dans les pays de forgerie ; à achever le système des communications navigables, pour lier entre eux les grands troncs de navigation que nous possédons déjà, mais qui ne produisent pas tous les effets qu’on doit en attendre, précisément parce qu’ils sont isolés et qu’ils manquent des embranchements nécessaires ; à faire des canaux d’irrigation dans la Campine ; à creuser des canaux dans les Flandres, afin de joindre l’Escaut à la Lys et la Lys à l’Yperlée ; à canaliser la Dendre ; à améliorer la navigation de la Meuse.

Tous ces travaux exigent une dépense que l’on peut évaluer à environ 100 millions. Si l’on veut que ces cent millions aient un résultat utile, il faut qu’on les consacre à ces travaux dans le délai le plus court, dans le délai strictement nécessaire à leur exécution.

Le gouvernement obtiendrait-il, par exemple, ces cent millions des chambres ? Je ne le crois pas ; je pense que dans la disposition d’esprit où elle se trouve, la chambre ne voudra pas entrer dans une voie en quelque sorte illimitée de dépenses nouvelles ; je crois même que si aujourd’hui on avait à discuter de nouveau la loi du chemin de fer, la chambre n’adopterait pas le système qu’elle a sanctionné en 1834 (Si ! si !), au moins en ce qui concerne le mode d’exécution.

Mais de ce que la chambre ne soit pas disposée à accorder ces fonds, il ne s’ensuit pas que ces travaux ne puissent pas se faire. Il y a d’autres moyens d’exécution à la portée du pays. C’est sur ces moyens d’exécution que je voudrais attirer votre attention.

C’est aux compagnies, messieurs, qu’il faut avoir recours pour ces travaux que l’intérêt de l’industrie réclame ; mais ces compagnies ont besoin d’encouragement. Dans d’autres pays, comme en Angleterre, par exemple, les compagnies vivent d’un extrême liberté ! Mais nous, nous ne savons pas user de cette liberté. En Angleterre, on n’a confiance dans une entreprise d’intérêt particulier qu’autant que le gouvernement ne s’en mêle pas ; ici au contraire, on n’a confiance dans une entreprise qu’autant que le gouvernement y intervienne en ce sens qu’il prouve qu’il y a lui-même confiance.

Je voudrais donc que la chambre adoptât un principe pour la conservation duquel il lui a été fait une proposition dans le cours de la dernière session, je parle de la proposition de l’honorable M. Seron, qui a été développée à la tribune dans la séance du 21 janvier 1840.

Voici la proposition :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à garantir un intérêt de 3 p.c., jusqu’à concurrence de 700,000 francs par an, à des compagnies qui, en vertu de concessions, exécuteraient, à leurs risques et périls, des routes, canaux et des chemins de fer d’utilité publique, et reconnus devoir exercer une influence favorable sur l’exploitation des communications appartenant à l’Etat.

« Le capital effectivement employé aux travaux et au matériel de l’entreprise sera la base de la garantie. »

Je crois que si la chambre adoptait cette proposition, il en résulterait de très grands effets, vous verriez à l’instant même la confiance entourer les entreprises de travaux publics, vous verriez les capitaux du pays et même de l’étranger affluer sur nos place et la réalisation des travaux que j’ai indiqués tout à l’heure serait possible, elle serait même inévitable.

Quant à la garantie en elle-même, je la regarde comme illusoire, car il est impossible d’imaginer une entreprise de canal ou de chemin de fer conçue par une société en vue d’un bénéfice qui ne produise pas 3 p.c. Mais quelqu’illusoire que soit cette garantie, elle est cependant nécessaire, parce que sans cette garantie du gouvernement qui dit : je considère l’entreprise comme bonne, et la preuve, c’est que je donne la garantie d’un minimum d’intérêt, il est impossible que les capitalistes trop accoutumés à se laisser guider par le gouvernement livrent leur argent pour l’exécution de ces travaux sans son avis.

Je demande donc, cette proposition n’ayant pas été prise en considération, ou plutôt les auteurs l’ayant ajournée à la session actuelle, je demande par forme de motion d’ordre que la chambre veuille bien décider qu’elle sera envoyée en sections ou à l’examen d’une commission.

M. de Langhe – Je renonce à la parole.

M. Lys – L’industrie et le commerce sont les seules voies qui soient ouvertes à la Belgique pour gagner une position prépondérante entre les nations civilisées ; car sous le rapport de la politique extérieure, le peu d’étendue de notre pays nous range parmi les puissances secondaires ; il faut donc tâcher de gagner en importance industrielle et commerciale, ce qui nous manque sous le rapport de la puissance matérielle. Les grands travaux d’intérêt général sont éminemment propres à atteindre ce but : La Belgique, en marchant au premier rang des peuples progressifs, deviendra forte par l’influence morale qu’elle acquerra, et elle consolidera ainsi son indépendance, en rattachant sa nationalité aux intérêts les plus chers de la civilisation, et sous ce rapport nous devons payer un juste tribut de reconnaissance à M. le ministre des travaux publics. Il a le premier compris parfaitement quelle était la position de la Belgique vis-à-vis des autres peuples, la révolution avait répandu l’alarme chez nos voisins. La Belgique était considérée comme un volcan, qui ne pouvait faire que des ruines, qui ne pouvait édifier rien de stable ; mais, grâce à l’honorable M. Rogier, les nations de l’Europe ont dû bientôt changer d’opinion ; n’est-ce pas en effet, messieurs, un grand et noble spectacle, que celui d’un pays qui se constituant d’hier comme nation, se montra digne du baptême de l’indépendance, en mettant immédiatement la main à l’œuvre, pour exécuter des travaux gigantesques, dont il n’y avait pas d’exemple dans l’Europe continentale ! Aussi, messieurs, ces peuples étrangers ont-ils dû concevoir la plus haute estime pour la Belgique ; leurs hommes d’Etat on été forcés de nous envoyer des hommes spéciaux, pour étudier notre système de chemins de fer. Le chemin de fer a changé l’opinion défavorable que les peuples avaient de la Belgique, opinion que les gouvernements avaient peut-être accréditée. Honneur donc, messieurs, au ministre qui a eu la première idée de ce grand travail, hâtons-nous de le dire, il a bien mérité du pays.

Le chemin de fer est donc une création éminemment nationale qui a concilié à la Belgique l’estime des peuples voisins ; mais à part ce résultat déjà si fertile en conséquences heureuses, le chemin de fer est encore une bonne opération sous le rapport financier. En effet, le chemin de fer rend déjà aujourd’hui près de 4 p.c. des sommes qui ont été dépensés pour son établissement, et cependant le chemin de fer n’est encore lié, ni avec l’Allemagne, ni avec la France ; en présence de ce résultat, il est permis d’espérer que le chemin de fer sera la source d’un revenu qui ira chaque jour en augmentant. Aujourd’hui déjà le chemin de fer couvre la dépense ; faisant abnégation de la plus-value des fonds que le chemin de fer occasionne, cette dépense est encore tout entière en faveur du pays ; les employés sont Belges, les matières premières sont des produits de la Belgique. Le chemin de fer est ainsi un immense réseau qui lie la plupart des localités, favorise dès lors la Belgique, son industrie, sans qu’il en coûte rien à la nation, car il reste démontré que le produit couvre les intérêts des capitaux employés, et d’une manière tellement avantageuse, que toute la dépense ne consiste pour ainsi dire que dans un simple déplacement de fond, qui, sortant des caisses de l’Etat, se disperse au profit d’habitants de la Belgique.

Il reste à M. le ministre des travaux publics de perfectionner son œuvre, et pour y parvenir, il doit maintenant travailler à rendre l’exploitation du chemin de fer aussi productive qu’elle peut le devenir. C’est là un complément nécessaire à ses travaux.

L’organisation du service qui exploite le chemin de fer est beaucoup trop coûteuse, et c’est dans le moment où les dépenses publiques ont atteint un chiffre aussi élevé, qu’il est du devoir de la représentation nationale, de saisir toutes les occasions qui peuvent se présenter pour alléger ainsi qu’il est en son pouvoir le fardeau qui pèse sur le pays. Je reste convaincu que l’honorable M. Rogier ne verra dans mes observations qu’un désir constant de travailler au bien-être de la Belgique ; c’est aussi de l’œuvre nationale, dont il est le créateur.

Une source de dépenses excessives et en même temps inutiles réside dans le mode d’organisation financière du chemin de fer.

Le chemin de fer a une administration de recette tout à fait indépendante du ministère des finances.

Le chemin de fer du département des travaux publics se trouve ainsi diriger une partie des finances de l’Etat, et tout le monde conviendra que c’est là sortir de l’unité du système de gestion des fonds de l’Etat.

Que ce département ait dans ses attributions tout ce qui concerne la construction, l’entretien et l’exploitation, et il se trouvera alors dans les limites que l’ordre assigne à une bonne administration, il découlera de là que tout ce qui est d’intérêt financier devrait rentrer dans les attributions du département des finances et serait soumis aux règles communes qui régissent cette haute administration.

Telle est la règle, messieurs, que pose la cour des comptes, dans ses observations sur le compte général et définitif de l’exercice 1835, page 93.

« S’il en était ainsi, ajoute-t-elle, comme cela a eu lieu pendant longtemps, comme l’unité du principe le réclame, toutes les branches d’administration qui passent à l’Etat de produits, devraient passer de même dans les attributions de ce département, du moins pour ce qu’elles ont de financier. »

Tout ce qui touche les produits et la comptabilité doit être surveillé et dirigé par le département des finances.

Le chemin de fer doit être envisagé comme propriété et revenu domanial ; c’est là d’ailleurs ce qui existe, à l’égard des routes de l’Etat et des canaux. Le département des travaux publics en a la création et l’entretien, l’administration proprement dite ; mais la perception des produits de ces routes et canaux, c’est-à-dire, les droits de barrière et ceux de navigation tombent dans les attributions du département des finances comme revenus du domaine public.

Il s’agirait donc d’examiner, dit toujours la cour des comptes, si pour le maintien du principe et pour rester dans l’unité des divisions d’attributions, il ne serait point à désirer que la perception des produits des chemins de fer et leur comptabilité fussent placées dans les attributions du département des finances. La cour n’hésite pas à se prononcer pour l’affirmative, parce que le département des finances ayant essentiellement la haute direction et l’administration des recettes publiques, desquelles il doit rendre compte, il est naturel qu’il soit placé à l’égard des produits du chemin de fer dans la même plénitude d’action que celle qu’il exerce sur les autres branches des revenus publics.

Les mêmes raisons qui militent pour le renvoi au département des finances, de la recette du chemin de fer, existent pour le service des postes qui jamais n’aurait dû être distrait de ce département. La simplification des rouages financiers amène l’économie du temps, l’économie d’employés, et nécessairement l’économie d’argent, et dès lors il reste prouvé que le ministre des finances doit être à la tête de toute manutention de deniers.

Il ne sera pas bien difficile, mais au contraire extrêmement facile, de démontrer que dans l’état actuel il au une perte considérable pour l’Etat, outre le vice d’administration que j’ai indiqué.

C’est un arrêté royal du 5 mai 1835, pris en exécution de la loi du 12 avril précédent, qui a déterminé que provisoirement la route en fer serait exploitée directement par le gouvernement.

Le ministre de l’intérieur, se trouvant chargé de l’exécution de cet arrêté, crut devoir s’attribuer, non seulement la construction, l’entretien et la police du chemin de fer, mais la perception de son produit ; c’était là une erreur, car la charge de l’exécution devait se borner, en ce qui concerne la recette, à en informer le ministère des finances, pour qu’il pourvût au service de la partie qui rentrait dans ses attributions. Et en effet, messieurs, c’est bien le ministre de l’intérieur qui avait la police des routes, et, cependant, il ne faisait pas les recettes qui en provenaient, telles que celles des barrières ; c’est le ministre de la guerre qui dispose des terrains des fortifications, et il n’en recouvre pas les revenus ; c’est le ministre des travaux publics qui fait opérer les constructions, pourvoir à l’entretien des canaux, fait opérer les travaux en ce qui concerne les rivières navigables ou flottables, mais c’est au ministère des finances que la recette des produits appartient.

Ce premier abus toléré au ministère de l’intérieur dans la recette du chemin de fer, passa nécessairement au ministère des travaux publics lorsqu’il fut constitué ; mais le ministère des affaires étrangères et de l’intérieur restant avec un seul chef on se borna à détacher les travaux publics du ministère de l’intérieur et on en créa un département, en détachant les postes du ministère des finances, et en doublant ainsi l’abus existant.

Le gouvernement s’est donc engagé dans une voie tout à fait contraire à ce qui se pratique dans les Etats constitutionnels ; de là résulte une confusion dans les attributions qui, outre les inconvénients, est très préjudiciable au trésor. Il a nécessité, et il exigera de plus en plus un personnel beaucoup plus considérable, car le ministère des finances en aurait trouvé chez lui une partie toute organisée, et aurait pu faire opérer une bonne partie des recettes sans augmenter le nombre des comptables.

Vous reconnaîtrez avec moi, messieurs, que notre position financière nécessité la recherche de toutes les économies possibles. Pour y parvenir, il ne faut jamais dévier des règles ordinaires de la comptabilité, il faut pour cela que chaque ministère soit borné à sa spécialité, et dès lors tout ce qui concerne les recettes du chemin de fer et les postes devraient rentrer dans les attributions du département des finances, laissant au département des travaux publics la construction, l’entretien et l’exploitation du chemin de fer.

S’il en était ainsi, messieurs, si ces recettes étaient administrées par le département des finances, la perception ne s’élèverait pas à 6 p.c., en y comprenant les frais de l’administration centrale, de tous les employés supérieurs et autres, les frais de bureau, le matériel même, les frais de poursuite et les dépenses du domaine.

Pour vous en assurer, voyez la récapitulation au folio 284, chapitre IV du budget des finances.

Vous savez, messieurs, qu’en multipliant les rouages de l’administration, vous augmentez les frais, et c’est ce qui est résulté en attribuant les postes et la perception des recettes du chemin de fer au département des travaux publics.

En revenant à la régularité, réunissant aux finances ces deux catégories, remettant toute manutention de deniers au centre commun, ainsi que le veut une comptabilité régulière, on suivrait le conseil donné par la cour des comptes ; on circonscrirait chaque département ministériel dans les limites que l’ordre des choses lui assigne ; il en résulterait qu’à côté des branches de service général se trouverait le département des finances, dont la mission consiste tout spécialement à créer et administrer les ressources nécessaires pour maintenir la machine gouvernementale en action.

Il découle de là, dit toujours la cour des comptes, que tout ce qui est d’intérêt financier devrait rentrer dans les attributions du département des finances et être soumis aux règles communes qui régissent cette haute administration.

S’il n était ainsi, comme cela a eu lieu pendant longtemps, comme l’unité du principe le réclame, toutes les branches d’administration qui passent à l’état de produit, devraient passer de même dans les attributions de ce département, du moins pour tout ce qu’elles ont de financier.

Il en résulterait enfin une économie de 200,000 francs pour l’année 1841.

J’en trouve la certitude dans les frais de perception du chemin de fer, qui se sont portés en 1838 à plus de 10 p.c. En 1839, à 9 ½ ; en 1840, plus de 10 p.c. et en 1841 à près de 10 p.c. ; tandis, ainsi que le prouve le budget des finances, que les frais de perception, en y comprenant les frais quelconques d’administration, ne vont pas à 5 ¾ p.c. ;

L’économie qui résulterait de la centralisation des recettes ne peut pas être contestée.

Remarquez, messieurs, qu’elle serait bien plus forte, si la recette pouvait s’opérer au taux que le département des finances la réalise pour les droits de péage sur les canaux, qui ne coûtent pas à l’Etat plus de 3 p.c. de leur produit.

Et pourquoi n’en serait-il pas un jour ainsi ?

Une seule administration centrale existerait pour toutes les recettes. Les employés supérieurs de l’enregistrement serait aussi, en ce qui concerne les recettes, attachés au chemin de fer, comme ils le sont à la recette des canaux.

Les postes pourraient, et je n’hésite pas à le dire, devraient être chargées du transport des marchandises. L’analogie qui existe entre le transport des lettres et celui des marchandises est incontestable ; de tout temps les postes et les messageries ont été réunies et n’ont formé qu’une seule et même administration, lorsqu’elles étaient exploitées par un même pouvoir, et il en est encore ainsi maintenant dans une grand partie de l’Europe, notamment en Prusse.

L’adoption d’un pareil système, quant au transport des marchandises sur le chemin de fer, réaliserait des avantages qui ne peuvent être obtenus par aucun autre moyen et elle serait en même temps utile au service, favorable au public, et productive pour le trésor. Souvent dans une grande ville un commis de plus suffirait pour parer à l’augmentation de service, tandis que l’état actuel des choses entraîne de grands frais.

Dans beaucoup de localités, il suffirait d’une légère augmentation dans la rétribution des percepteurs des postes, dont la besogne actuelle est loin de remplir la journée.

Les distributeurs de lettres feraient en même temps la distribution des marchandises, leur traitement serait augmenté, et par là, tout en faisant des économies, vous rétribueriez mieux des emplois qui nécessitent des gens de confiance, ce que vous n’avez pas aujourd’hui (erratum inséré dans le Moniteur du 24 février 1841 : ) pour plusieurs localités..

L’administration de l’enregistrement pourrait faire la recette des voyageurs et y établirait, comme elle fait pour les canaux, des délégués avec des traitements modérés, des surnuméraires, qui auraient par là une indemnité en attendant leur placement comme receveur.

Je reste donc convaincu, messieurs, que l’économie ne se bornerait pas à la somme de 200,000 francs.

Je sais, messieurs, que je n’émets ici qu’une opinion, sur laquelle la chambre n’a pas le droit de prononcer, c’est une question d’administration et il appartient au gouvernement seul de la décider.

Sachant aussi que M. le ministre des travaux publics cherche à rendre le chemin de fer aussi productif qu’il peut le devenir, reconnaissant que c’est là un complément nécessaire à ses travaux, je reste convaincu qu’il n’a en vue que l’intérêt du pays, que l’intérêt de l’œuvre national dont il est le créateur, et c’est dans cette seule pensée que j’ai présenté mes vues d’économie sur l’administration du chemin de fer.

Elle est nécessaire dans toute espèce d’administration. Cette vérité trivial doit servir de règle partout, dans tout ce qui concerne les finances de l’Etat. Les chiffre des dépenses nous impose d’ailleurs le devoir impérieux de nous montrer avares des deniers publics ; par suite tout rouage administratif inutile ou onéreux, doit être supprimé ; tout mode d’administration qui entraîne plus de dépenses qu’un autre doit être changé ; personne certainement ne contestera ces principes ; ce sont sans doute ceux du gouvernement et dès lors je ne dois nullement douter que le ministère ne s’empresse d’introduire dans l’administration du chemin de fer, toutes les améliorations dont elle est susceptible ; or l’une de ces améliorations, c’est de transporter au ministère des finances tout ce qui concerne la recette du railway et des postes.

Puisque j’ai la parole, messieurs j’en profiterai pour dire quelques mots en réponse aux observations de M. le ministre, à celles de l’honorable M. Van Cutsem, parce que cette réponse pourrait s’appliquer à ce que je viens d’avancer.

La réunion des recettes du chemin de fer à l’administration des finances ne me paraît pas aussi dangereuse que le croit M. le ministre des travaux publics. Je ne vois dans ce que M. le ministre a dit, aucune preuve de l’impossibilité, qu’il croit exister, je ne vois pas que le ministre des finances pourrait avoir d’autre vue, d’autres habitudes, d’autre intérêt.

J’ai démontré les économies qui résulteraient de cette fusion des recettes, et elles trouvent leur source dans la hauteur des traitements au chemin de fer.

D’après les renseignements que j’ai recueillis, il y aurait 476 employés à traitement au ministère des travaux publics, et ces traitements imputent 774,436 francs.

La moyenne serait dès lors de 1,628 35.

Les employés des postes sont au nombre de 405 et leurs traitements ne s’élèvent qu’à 321,740 francs.

Ainsi la moyenne serait de 794.

Aux travaux publics, moyenne de 1,600 francs.

Aux postes, moyenne de 800 francs.

Je ne trouve pas aussi, messieurs, l’erreur dans laquelle serait tombé M. Van Cutsem, sur la réduction du produit des postes.

Je prends, messieurs, le tableau fourni par le ministère, au folio 48 de l’annexe du n°1, des documents parlementaires, et je trouve qu’à partir de 1831 jusqu’en 1837, les postes ont produit 996,756 francs 24 c., ce qui donne une moyenne d’augmentation sur les années 1831 à 1837 inclusivement de 142,393 francs 74 c. par année.

Prenez d’après le même tableau les recettes de 1838, 1839 et 1840 et vous ne trouverez plus qu’une moyenne de 19,344 francs 86 c.

Ainsi la réduction sur la moyenne des années antérieures et bien saillante.

M. d’Hoffschmidt – M. le ministre des travaux publics m’a fait l’honneur de répondre immédiatement au discours que j’ai prononcé tout à l’heure. Il a reconnu que le Luxembourg avait droit à une compensation pour la ligne de chemin de fer qui lui a été promise et qui ne sera pas exécutée. M. le ministre pense qu’il pourra trouver sur les allocations portées au budget les moyens de faire droit en partie aux réclamations qui ont été faites. Je sais gré à M. le ministre des bonnes dispositions qu’il veut bien montrer à cet égard. Mais il lui est échappé une expression que je crois devoir relever. En parlant des dispositions de la loi concernant le Luxembourg, il a émis des doutes sur la valeur de ces dispositions. Il a dit : « si toutefois la promesse faite au Luxembourg peut être considérée comme sérieuse ». Or, je ne puis pas comprendre qu’un article de loi puisse ne pas être sérieux. Une loi, résultant du vote de la chambre et du sénat et promulguée par le gouvernement n’est pas une chose contre laquelle on puisse faire d’objection. Je ne puis pas, en effet, croire que la disposition dont il s’agit ne soit pas aussi sérieuse que toutes les dispositions législatives quelconques. Telle est l’observation que j’avais à faire sur l’expression échappée sans doute à M. le ministre.

M. Pirson a dit qu’on ne pouvait pas toujours se fier aux promesses ministérielles. Quant à moi, je distingue entre les intentions et l’exécution des promesses d’un ministre. Je ne doute pas des bonnes intentions de M. le ministre ; mais quant aux promesses, il ne dépend pas toujours de sa volonté de les exécuter. Celui qui est au pouvoir est tiraillé de tous côtés, et malgré sa bonne volonté, il ne peut pas exécuter tout ce qu’il voudrait faire. C’est pourquoi j’aurais préféré à la manifestation de ses bonnes intentions, la présentation d’une disposition législative. Cependant, je n’insisterai pas sur ce point et je laisse à M. le ministre le soin d’examiner s’il y a lieu de reprendre notre proposition ou de s’en tenir à ce qu’il nous a annoncé vouloir faire en faveur du Luxembourg.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, je partage l’opinion de la section centrale que nous devons examiner avec sévérité les majorations demandées par le gouvernement ; je dirai plus, nous devons même réduire les dépenses que nous jugerons de moindre importance et pouvant être ajournées. L’état financier du pays nous en impose le devoir.

Dans une séance précédente, j’avais demandé la parole pour répondre à M. le ministre des travaux publics, qui avait avancé que la Belgique était le pays où l’on paye le moins d’impôts ; j’ai alors renoncé à la parole en me réservant de répliquer à M. le ministre lors de la discussion générale du budget de son département.

Le moment étant venu, je vais chercher à convaincre le ministre des travaux publics qu’il est en erreur, lorsqu’il croit que la Belgique est riche et qu’elle peut recevoir une augmentation d’impôts.

S’il persistait dans cette opinion, loin de modérer les dépenses à charge du trésor, il pourrait persister à suivre la route dépensière dans laquelle il est entré.

Messieurs, le budget des dépenses pour l’exercice de 1841 présenté par M. le ministre des travaux publics, est supérieur à celui de 1840 de 2,567,344 francs, c’est-à-dire qu’il se propose de faire une dépense de 2,567,344 francs en plus en 1841 qu’en 1840.

La section centrale a réduit le chiffre de cette augmentation de 1,044,423 francs et elle consent à accorder en plus, pour l’exercice de 1841 comparé à 1840, une somme de 1,522,921 francs.

Je ne suis nullement étonné de la proposition de M. le ministre ; étant persuadé que la Belgique est riche, il se croit autorisé de lui faire des propositions de dépenses considérables, et de porte ses recettes à 105 millions en 1841, probablement à 110 millions en 1842.

Un de nos honorables collègues ayant dit, dans une séance précédente, que la Belgique était riche, qu’elle pouvait supporter un budget de 110 millions, je suppose que ce sera le chiffre qui nous sera proposé pour l’exercice prochain ; et sans doute on augmentera les impôts de manière les porter au taux de la dépense qui sera sûrement de même somme, soit 110 millions.

Je crois pouvoir préjuger cette augmentation d’impôt pour l’exercice prochain à la phrase suivante prononcée dans une séance précédente par l’honorable M. Rogier, m’y autorise :

« Est-il un pays où l’on paie moins d’impôts qu’en Belgique ? » disait cet honorable ministre.

J’augure de ces paroles qu’il croit qu’on peut augmenter les recettes par de nouvelles contributions en Belgique ou bien augmenter les impôts existants.

Moi, je crois qu’on peut améliorer la position du trésor, en faisant des réformes aux lois de finances qui sont devenues caduques, telles que la loi sur la consommation du sucre et autres, en outre qu’il existe quelques matières imposables qu’on pourrait atteindre. Mais je nie qu’en Belgique on paie moins d’impôts qu’en France et dans bien d’autres pays, comme on a voulu le faire envisager. En France, vous a-t-on dit, on paie 32 francs par tête d’habitant, quand on ne paie en Belgique que 25 francs aussi par tête, personne ne pourrait nier l’exactitude de cet allégué, quand le budget des voies et moyens français, était d’un milliard, chiffre rond, et quand le même budget en Belgique était de 100,000,000 ?

Et en effet, messieurs, parce que la France aurait un revenu d’un milliard, ce qui représente 32 francs par tête, est-il rationnel de dire que les Français payent taux moyen, 32 francs par tête d’habitant ; non, messieurs, c’est là une erreur que chacun de vous reconnaît déjà, et que je vais expliquer.

En France, il y a d’autres revenus que les impôts.

On dira qu’en Belgique, il y a aussi des revenus autres que les contributions, cela est exact ; mais en Belgique, ces revenus sont minimes comparativement à la France, eu égard aux populations des deux pays, c’est ce dont on peut s’assurer en comparant le budget français avec le budget de Belgique.

Et on en conviendra, les revenus territoriaux et autres de l’espèce, tels que les forêts, pêches, produits d’Alger, rentes de l’Inde, intérêts de la créance d’Espagne, etc., etc., ne sont pas des impôts. En France, la douane rapportait à l’Etat près de 112 millions en 1836, et remarquez-le bien, cette recette est presque toujours à charge de celui qui importe et non à charge du consommateur, celui qui a des produits à vendre les place où il obtient le plus d’avantage ; il doit les vendre le plus souvent au prix qu’on le lui demande, il est rarement appelé à le fixer lui-même ; de manière que les revenus des douanes, en France, sont payés en grande partie par l’étranger et non par les indigènes.

Quand les cultivateurs belges vendent du bétail en France, ils doivent payer un droit de douane, par tête de cheval, de 50 francs, tandis que le cultivateur étranger, qui introduit des chevaux en Belgique, ne paie que 12 francs par tête de droit d’entrée au gouvernement belge.

Par tête de bœuf, il est payé en France, comme droit d’entrée, 50 francs ; en Belgique, 20 francs seulement.

Par tête de mouton, en France, 5 francs ; en Belgique, 1 franc 20 centimes.

Par tête de cochon, en France, 12 francs ; en Belgique, seulement 3 francs.

Les 100 kil. de beurre salé paient de droit d’entrée en France, 5 francs 50 centimes ; en Belgique, il entre sans droits.

Les céréales en France paient un droit d’entrée et de sortie ; sur le froment il est de plus de 7 francs 20 centimes par hectolitre, taux moyen et année commune ; en Belgique il paie 2 francs 46 centimes, taux moyen et année commune ; et si la loi qui nous est soumise était adoptée, alors il paierait le modique droit de 71 ½ centimes par hectolitre ; tandis que, d’après la loi française qui régit les céréales, on peut établir que, taux moyen, le droit d’importation est de 7 francs 20 centimes environ par hectolitre de froment.

Et le trésor français perçoit sur le producteur étranger 7 francs par hectolitre de froment, qu’il veut livrer sur les marchés français, quand le trésor belge ne reçoit du même producteur étranger que 2 francs 46 centimes, d’après la loi de 1834, et d’après la loi de 18940 ce droit serait réduit à 71 ½ centimes.

En France, les droits d’entrée dont sont frappés les produits exotiques sont payés intégralement au trésor ou à peu près ; la fraude ne peut être calculée qu’à raison d’un huitième ; tandis qu’en Belgique on peut estimer que le tiers des produits étrangers est fraudé ; et si le consommateur belge ne paie pas le droit à l’Etat il le paie aux sociétés d’assurances et aux fraudeurs.

En France l’impôt sur le sel est perçu par l’Etat intégralement ou à peu de chose près ; en Belgique, le contribuable paie le sel environ 8 millions, dont près de 4 millions au trésor et plus de quatre millions aux fraudeurs.

En France, l’impôt sur le sucre est payé aussi intégralement à l’Etat ; en Belgique, au contraire, l’Etat ne perçoit que 600,000 francs au trésor, quand il paie environ 4 millions sur la consommation du sucre aux raffineurs, aux fraudeurs ou à d’autres.

En Belgique, d’après ce que je viens de démontrer, on paie des impôts à d’autres qu’au gouvernement.

Les impôts fonciers et personnels dont le principal est versé au trésor, mais les centimes additionnels ajoutés au principal en faveur des provinces, des communes et les rôles pour insuffisance des ressources communales et accessoires. Et on ne contestera pas que ces charges peuvent être évaluées à environ 33 p.c. du principal dans certaines localités que je pourrais signaler au besoin, l’additionnel au principal de l’impôt foncier dépasse 50 p.c., et cela a charge du contribuable.

Pour connaître quel est le chiffre de l’impôt par tête en France, on devrait distraire de la somme portée en recette, d’abord le montant des ressources de ce royaume autres que les impôts, ensuite distraire les impôts de douanes et autres payés par les étrangers, pour l’introduction de leurs produits, et vous aurez net le chiffre de ce que chaque habitant paie en contribution à l’Etat, taux moyen. D’après mes calculs et le travail que j’ai faits sur cette matière, je crois pouvoir établir que l’impôt proprement dit à charge des habitants, ne dépasse pas, ou peu, 30 francs par tête en France.

Pour connaître quelle est la somme que paie, taux moyen, en Belgique chaque habitant, la même opération doit avoir lieu en ajoutant les impôts qu’il paie au fraudeur de sel, à l’industrie des sucres, à la fraude, aux sociétés d’assurance, en matière de douanes, à la province, à la commune et à d’autres en plus qu’en France.

Cette opération terminée, je suis assuré que le résultat vous donnera que les impôts perçus en Belgique à charge du contribuable, tant par l’Etat que par l’industrie, sera aussi élevé par tête d’habitant qu’il l’est en France, si pas plus.

En résumé, je ne peux pas partager l’opinion de ceux qui prétendent que la Belgique paye moins d’impôt que la France et que l’Allemagne nos voisins, et que notre pays peut supporter des charges nouvelles ; loin de là, ma pensée, au contraire, est que, si nous voulons continuer à exister comme nation, nous devons faire le nécessaire et éviter les dépenses de luxe auxquels nous sommes entraînés par les discours éloquents de notre collègues, dont les vues, je le reconnais, sont de rendre la Belgique le sujet d’admiration de la part de nos voisins, ce qui est un acte patriotique, j’en conviens, mais que je qualifierai de patriotisme outré et nullement en rapport avec nos moyens financiers.

Rentrons dans les voies d’économie bien entendue, si nous voulons conserver la sympathie de nos commettants et de la nation tout entière, évitons par trop de largesse de compromettre les finances du pays, il en est encore temps ; mais je le crains fort, nous ne nous arrêterons pas et je vois un avenir financier, pour la Belgique, désastreux et qui nous constituera dans la triste position de ne pouvoir suffire au nécessaire et de devoir alors négliger de faire les dépenses les plus urgentes.

J’ai cru de mon devoir, messieurs, de vous faire part de mes prévisions, afin que si ce que je crains se réalise un jour, on ne me reproche pas d’y avoir contribué, en ne signalant pas le désastreux avenir que je prévois et que je signale depuis plusieurs années.

Je le répète, messieurs, rentrons dans les voies d’économie, révisions notre état financier, évitons que des impôts soient perçus sur le contribuable par d’autres que par l’Etat, cherchons des impôts qui ne grèvent pas la classe pauvre et qui ne nuisent pas à l’industrie, percevons de l’étranger des subsides, traitons mieux nos industriels que nous ne le faisons en favorisant le producteur ; vos concitoyens, vous les mettez à même de supporter les charges publiques ; évitez surtout d’apporter de la perturbation dans l’industrie la plus importante et à laquelle la Belgique tout entière est intéressée à voir dans un état d’aisance, pour le motif que de sa prospérité dépend la rentrée des impôts, la consommation des fabricats et des objets de commerce, l’emploi de la main-d’œuvre. J’entends ici faire allusion à l’industrie agricole, dont les deux tiers de la nation est intéressée à sa prospérité directement et le sixième indirectement.

Nous sommes encore une jeune nation, profitions de l’expérience des nations voisines, imitons la France sur bien des rapports, en matière de finances elle peut nous donner des leçons fort salutaires tant à l’Etat qu’au contribuable.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je ne suivrai pas l’honorable préopinant dans le tableau comparatif qu’il a fait des richesses et des impôts des pays qui nous environnent. Il s’est livré à cet égard à des études que je n’ai pas approfondies comme lui. Je ne répondrai qu’à la dernière partie de son discours, à celle où il fait un appel aux sentiments de prévoyance de la chambre et l’engage à ne pas entrer dans une voie ruineuse pour le pays, à ne pas admettre les dépenses qu’il qualifie de dépenses de luxe. Eh bien, messieurs, il sera facile de démontrer à l’honorable préopinant que les dépenses qu’il s’agit de voter en ce moment n’auront pour but ni pour effet la ruine du pays, et ne portent d’ailleurs aucun caractère de luxe.

Je dois d’abord relever une erreur qui lui est échappée dans la fixation de l’augmentation du budget des travaux publics pour 1841. Il a dit qu’une somme de 2,500,000 francs était demandée en plus ; l’honorable membre a perdu de vue que depuis deux mois j’ai proposé une réduction de 620,000 francs qui a été adoptée et qui figure parmi les réductions de la section centrale. L’augmentation n’est donc pas de 2,500,000 fracs, mais de 1,900,000 francs. Si l’on voulait décomposer cette somme de 1,900,000 francs, on verrait que toutes les dépenses qu’elle comprend sont des dépenses utiles et même indispensables.

Les 1,900 mille francs renferment d’abord une dépense de 660 mille francs pour l’accroissement que va prendre l’exploitation du chemin de fer pendant l’exercice de 1841. Du même chef, vous voyons figurer au budget des voies et moyens que vous avez voté, une augmentation de 1,200 francs. Si vous ne voulez pas accorder au budget des dépenses les 650 mille francs demandés pour accroître l’exploitation du chemin de fer, retranchez aussi du budget des voies et moyens les 1,200 mille francs qui doivent être le produit de l’accroissement d’exploitation. Ceci n’est pas une dépense proprement dite, c’est une avance faite pour obtenir une recette double.

Reste donc une somme de 1,200 mille que je puis décomposer de la même manière en établissant que les dépenses qui vont en résulter sont aussi des dépenses utiles. Ainsi, pour ne parler que d’un intérêt auquel le préopinant s’attache de préférence et presque exclusivement, je dirai que dans cette somme de 1,200 mille francs, figure 800 mille francs destinés à favoriser les intérêts agricoles ; car à quoi sont-ils employés ? A l’amélioration des rivières de première et de seconde classe et à la création de nouvelles routes. Que peut-on réclamer de plus utile et de plus opportun pour l’amélioration de l’agriculture, que des routes et des canaux ? C’est la base et presque l’unique base de toutes les améliorations.

Ainsi donc les intérêts que l’honorable préopinant a pris sur lui de défendre presque exclusivement ne sont nullement perdus de vue par le budget. C’est pour leur donner satisfaction que le budget des travaux publics présente cette année une augmentation. D’ailleurs pour en finir avec les dépenses du budget des travaux publics, je dirai que ce budget se distingue des autres en ce que les dépenses qu’il consacre, sont des dépenses reproductives, de telle manière que si on laissait le département des travaux publics maître des recettes qu’il produit, il n’aurait pas besoin de recourir à la législature pour demander des allocations de crédit ; au contraire, il pourrait encore, après avoir assuré tous ses services, verser dans le trésor public un excédant considérable.

Ainsi des divers travaux régis par le département des travaux publics, le trésor percevra en 1841 une somme de 15 millions, tandis que les sommes demandées, y compris pour les lettres, sciences et arts, ne s’élèvent qu’à 12,644,000 francs. Je comprends dans la dépense les sommes affectées au rachat de la Sambre et du canal de Charleroy. Quant aux autres travaux, aux anciens canaux, et aux routes empierrées, je ne compte pas l’intérêt du capital qu’ont pu coûter ces travaux. Je compare les revenus aux dépenses et de ce chef un excédant de recette de près de deux millions et demi.

Seulement j’ai dû prendre la parole (je regrette de l’avoir fait encore une fois) pour que la chambre ne restât pas sous l’impression du discours de l’honorable préopinant et ne crût pas que le budget des travaux publics renferme des dépenses inutiles, des dépenses de luxe, des dépenses exagérées.

Plusieurs membres – La clôture.

M. le président – La parole est à M. Nothomb.

M. Nothomb – Si l’on veut clore la discussion, je renoncerai à la parole.

M. Eloy de Burdinne (pour un fait personnel) – Il y a un fait personnel, en ce sens que M. le ministre des travaux publics m’a adressé directement la parole, en prétendant que je m’occupais exclusivement des intérêts de l’agriculture.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Il n’y a pas de mal à cela.

M. Eloy de Burdinne – Non, il n’y a pas de mal ; car c’est dans l’intérêt du gouvernement et de la nation entière. Mais M. le ministre des travaux publics a fait une observation à laquelle je dois répondre. Il a dit que je lui avais reproché des dépenses de luxe. Quand j’ai parlé ainsi, j’ai parlé en général ; j’ai voulu parler de dépenses considérables qui, si l’on voulait, pourraient être moins considérables, notamment pour le chemin de fer. Voilà ce que j’appelle des dépenses de luxe.

M. le ministre dit que son budget ne comprend que des dépenses utiles. Mais vient un temps où l’on en doit pas faire tout ce qui est utile, où l’on ne doit faire que le nécessaire et ajourner ce qui est simplement utile.

J’ai réclamé des économies, je les réclame depuis plusieurs années. Mais, ce n’est pas seulement au gouvernement que je m’adresse, c’est aussi à la chambre. Il n’y a donc là rien de direct comme M. le ministre des travaux publics. Il a dit que je m’occupais exclusivement d’agriculture ; mais j’ai parlé de toutes les industries ; il s’est donc trompé sur ce point. Au surplus, il a dû voir par les chiffres que j’ai cités, que je m’occupais aussi d’économie politique. M. le ministre vous a dit qu’il proposait pour l’agriculture des dépenses s’élevant à 800,000 francs. Seraient-ce les dépenses pour routes et canaux ? Je crois que si ces dépenses sont jusqu’à un certain point utiles à l’agriculture, elles sont faites aussi dans l’intérêt de l’industrie, dans l’intérêt général, enfin dans l’intérêt des villes qui ont besoin qu’on leur apporte des produits de toute nature.

A chaque dépense que fait M. le ministre des travaux publics, il vient dire : « c’est pour l’agriculture », c’est-à-dire : « Monseigneur, laissez-vous pendre, c’est pour votre bien. » (On rit.)

Au surplus, pour les routes, les fonds sont faits avec le produit des routes.

Plusieurs membres – La clôture.

M. de Mérode – Il me semble que si personne ne demande la parole demain la clôture sera prononcée naturellement, et on commencera la discussion des articles. Je ne vois pas la nécessité de clore maintenant la discussion.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je demande que la clôture ne soit pas prononcée. Un grand nombre des membres sont sortis ; peut-être se proposaient-ils de parler dans la discussion générale. Comme c’est le moment de discuter les questions de principe, les actes et l’esprit de l’administration, clore aujourd’hui la discussion générale, ce serait peut-être les empêcher de prendre la parole.

M. Nothomb – Alors, je prie M. le président de m’inscrire pour demain.

M. le président – Fort bien. M. Vandenbossche a déposé sur le bureau une proposition. Les sections seront convoquées pour demain pour décider si la lecture en sera autorisée.

- La séance est levée à 4 heures et demie.