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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 1 février 1842

(Moniteur belge n°33, du 2 février 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à une heure.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur N. Franck, négociant à Anvers, né en Bavière, demande la naturalisation. »

« Le sieur J.-B. Fontaine, propriétaire, à Bourseigne-Neuve (canton de Gedinne), né à Rheims, habitant la Belgique depuis 1817, et y ayant épousé une femme belge, demande la naturalisation. »

« Le sieur Hubert Gerain, propriétaire à Bourseigne-Neuve (canton de Gedinne), né à Vieux-Watterant, canton de Givet (France), habitant la Belgique depuis 1816 et y ayant épousé une femme belge, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le conseil communal de Bierwart (Namur) demande que la commune de Neuville-les-Bois demeure le siége de la justice de paix du canton de Dhuy. »

- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la circonscription cantonale.


« Les habitants de la partie du polder de Lillo qui entoure le fort se plaignent de ce que l'intention du gouvernement est de différer le rendiguement jusqu'en 1843, et demandent qu'il soit porté au budget des travaux publics de l'exercice courant un subside à cet effet. »

- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.


« La chambre de commerce d'Ypres adresse des observations sur la législation actuelle sur les prud'hommes. »

- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif aux conseils de prud'hommes.


« Les habitants des sections de Petithier Blanche-Fontaine et Poteau, communes de Vieil-Salm, demandent que ces sections soient érigées en communes séparées. »

« Des débitants de boissons spiritueuses de Meestal demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, relative à l'abonnement sur les boissons distillées. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des affaires étrangères

Rapport de la section centrale

M. Dumortier. - Messieurs, votre section centrale du budget des affaires étrangères m'a chargé de vous faire un rapport sur le projet de loi présenté par M. le ministre des affaires étrangères et tendant à lui accorder un crédit supplémentaire pour l'exercice 1841.

Nous avons examiné le tableau qui accompagne le projet ; il se compose de 3 parties ; l'une est relative aux mutations qui ont dû se faire dans les bureaux, par suite du changement ministériel ; il est demandé de ce chef un crédit de 13,000 fr. Les autres parties du tableau sont relatives à des demandes de crédits par suite de l'insuffisance des sommes allouées en 1841 pour les commissions d'Utrecht, d'Anvers, de Maestricht, etc.

La demande de M. le ministre a paru à votre section centrale suffisamment justifiée ; elle vous propose, en conséquence, l'adoption pure et simple du projet.

- Ce rapport est mis à l'ordre du jour.

Projet de loi sur la pêche nationale

Discussion des articles

Articles 12 à 14 (nouveaux)

M. Mast de Vries. - Messieurs, d'après la décision que la chambre a prise hier, la commission de la pêche s'est réunie ce matin ; elle a entendu les auteurs des amendements et M. le ministre de l'intérieur. Elle a été d'accord pour vous proposer la rédaction nouvelle dont je vais avoir l'honneur de vous donner connaissance.

L'art 12 serait ainsi rédigé :

« § 1. Tout patron ou armateur qui sera convaincu d'avoir pris à bord du poisson de pêche étrangère, ou qui en aura importé ou tenté d'importer sera puni d'un emprisonnement de 3 à 6 mois. Le navire et sa cargaison seront confisqués, et il encourra une amende égale au décuple droit sur le chargement.

« § 2. Toutefois, si le propriétaire peut prouver qu'il n'y a pas eu connivence entre le patron et lui, la confiscation du navire n'aura pas lieu, mais le patron encourra un emprisonnement de 6 mois à 3 ans.

« § 3. En cas de récidive, le maximum de l'emprisonnement sera toujours appliqué. »

« Art. 13 (nouveau). Il est interdit à tout patron ou armateur de se livrer à une autre espèce de pêche que celle pour laquelle, le navire aura été équipé. Le poisson provenant de toute autre espèce de pêche est réputé poisson de pêche étrangère. »

« Art. 14. Toute contravention à l'une ou l'autre des dispositions de la présente loi, pour laquelle une peine particulière n'a pas été comminée, sera punie des peines établies par l'art. 1er de la loi du 6 mars 1818. »

L’art. 14, adopté hier, deviendrait l'art. 15.

Par suite de cette nouvelle rédaction, le 2e § de l'art. 2 et le 4e § de l'art. 6 devraient être supprimés.


M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à la nouvelle rédaction de la commission ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, M. le président, je me rallie aux nouvelles propositions de la commission. Cependant je crois qu'il faut considérer ces propositions comme amendements. Il est à désirer pour tous qu'il y ait un second vote.

M. le président. - M. Delfosse se rallie-t-il également aux propositions de la commission ?

M. Delfosse. - La commission, à ce qu'il paraît, ne s'est pas occupée de mon amendement (oui ! oui !) ; au moins M. le rapporteur n'en a rien dit, de manière que je ne connais pas les motifs qui ont engagé la commission à n'en tenir aucun compte.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l'honorable M. Delfosse avait pensé qu'il fallait rédiger le commencement de l'art. 12 de la manière suivante :

« Tout patron ou armateur qui, s'étant munis des lettres de mer prescrites par le § 1er de l'art, 9, etc. »

Je pense, messieurs, que cette addition est ou inutile ou dangereuse.

Je pense qu'elle est inutile ; en effet, il n'est question dans la loi que nous faisons que des patrons ou armateurs qui se sont armés en pêche. Les patrons ou armateurs qui ne sont pas armés en pêche, qui entendent faire le commerce de pêche, par exemple, ceux-là sont en dehors de la loi. Le § 2 de l'art. 9 est formel à cet égard. Il y est dit :

« § 2. Toutefois la lettre de mer n'autorise point l'emploi du bâtiment à aucun autre usage que celui de la pêche, à moins que le patron ne déclare au bureau des douanes, avant de sortir du port, vouloir entreprendre un voyage étranger à la pêche. Dans ce cas, le navire sera assujetti au régime qui atteint les navires de mer ordinaires. »

Ainsi tout navire qui n'est pas armé en pêche, qui dès lors est muni d'une lettre de mer pour toute autre chose que la pêche, ce navire se trouve dans le droit commun ; il est en-dehors de la loi qui nous occupe. Cela est évident, d'après les dernières expressions du § 2 de l'art. 9 ; cela est d'ailleurs évident par le système même de la loi.

Le navire qui ne fait pas la pêche a aussi besoin d'une lettre de mer, mais ce navire est dans le droit commun.

Maintenant je dis que cette addition serait dangereuse et voici pourquoi.

La rédaction nouvelle que propose l'honorable M. Delfosse, ferait supposer que tout navire qui se livre à la pêche a nécessairement une lettre de mer. C'est là une erreur. Le navire qui jauge moins de 25 tonneaux n'a pas besoin de se munir de lettre de mer. Ainsi, s'il était nécessaire de faire droit à l'observation de l'honorable M. Delfosse, il faudrait dire : tout patron ou armateur de navire armé en pêche, soit qu'il ait pris une lettre de mer, soit qu'il s'en trouve exempté, d'après tel ou tel article, etc.

Mais je dis que ceci est inutile. Il ne s'agit, dans l'article 12, que du navire équipé pour la pêche et dès lors le but de l'honorable membre est atteint ; un navire qui n'est pas équipé pour faire la pêche, qui a pris une lettre de mer dans tout autre but, se trouve en dehors de la loi et reste dans le droit commun.

Voilà les motifs qui ont engagé votre commission d'accord avec moi, à ne pas faire droit à l'amendement de l'honorable M. Delfosse.

M. Delfosse. – M. le ministre de l'intérieur et moi nous sommes tout à fait d'accord sur le fond, nous pensons l'un comme l'autre que la pénalité établie par l'art. 12 ne doit pas s'appliquer à tous les patrons-armateurs indistinctement, mais seulement à ceux qui se sont placés dans le cas exceptionnel de la loi en demandant à jouir de la franchise des droits ; voilà la pensée commune. Les termes de l'art. 12 sont-ils en rapport avec cette pensée ? Je ne le crois pas, messieurs, ces termes sont généraux. D'après l'article 12, tel qu'il est rédigé, tout patron-armateur convaincu d'avoir pris à bord du poisson de pêche étrangère sera puni ; je persiste donc à croire qu'il y a utilité, et je ne vois pas quel inconvénient il y aurait à modifier les expressions dans le sens de mon amendement ; je reconnais, du reste, qu'il faudrait, pour éviter le danger signalé par M. le ministre, ajouter à cet amendement les mots suivants : Ou se trouvant dans le cas d'exemption prévu par le paragraphe 3 du même article.

M. le président. - Je prie M. Henot de dire s'il se rallie aux propositions de la commission ?

M. Henot. - Oui, M. le président. J'obtiens par ces propositions ce que j'ai demandé.

Article 12

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'art. 12.

M. Mercier. - Messieurs, je pense que le but que s'était proposé l'honorable M. Delfosse par son amendement est complètement rempli par la nouvelle rédaction que propose la commission.

Cet amendement me paraissait très rationnel lorsqu'il a été déposé ; mais il me paraît que, par suite des modifications apportées dans les nouvelles propositions dont on vient de vous donner lecture, il vient à tomber, parce qu'on range dans une catégorie générale tout navire équipé pour la pêche, soit qu'il ait besoin de lettre de mer, soit qu'il puisse se livrer à la pêche, sans aller en mer et ne doive par conséquent pas se munir de ce document.

Mais j'ai une objection à présenter à l'amendement tel qu'il est proposé par la commission. Il s'agit de tentative d'importation. Je demanderai quelle tentative d'importation, dans le sens de la loi que nous discutons, on peut faire de poisson provenant de pêche étrangère. C'est le fait de l'importation de poisson provenant de la pêche étrangère au lieu de poisson de la pêche nationale qui constitue la fraude.

Le navire équipé pour la pêche ne peut, d'après l'économie de la loi, importer du poisson provenant de la pêche étrangère, sans être soumis aux pénalités. Quelle tentative de fraude peut-on donc faire à l'importation, si ce n'est la fraude ordinaire qui rentre dans les cas prévus par la loi générale ?

Lorsqu'il est fait mention de tentative de fraude dans la loi du 26 août 1822, il s'agit de tentative d'importation frauduleuse ; ici la tentative n'est pas possible, puisqu'on suppose que le poisson introduit s'est toujours présenté à la douane et qu'il s'agit seulement de constater s'il provient de la pêche nationale.

Dès lors, il y a lieu de supprimer tout ce qui est relatif à la tentative dans l'amendement proposé.

Je ne vois dans l'espèce qu'un seul cas où il puisse y avoir tentative de fraude. C'est celui où le navire équipé pour la pêche nationale tenterait de prendre à bord du poisson de la pêche étrangère. Ce ne serait pas lors de l'importation que se ferait cette tentative, mais au moment où l'on se disposerait à y placer le poisson étranger à bord du navire.

Quant au poisson qu'on tenterait d'importer au moyen d'un filet disposé au-dessous du navire, ou par quelque déchargement clandestin, ce ne serait pas par la loi en discussion que cette fraude serait punie, mais bien par la loi générale.

Je soutiens que les tentatives d'importation ne peuvent être prévues dans cette loi, parce qu'elle ne rentrent pas dans son cadre, et que d'ailleurs elles le sont par la loi générale ; mais qu'il y a une autre tentative pour laquelle on pourrait ici établir des pénalités ; c'est celle où on tenterait de placer à bord d'un bateau déclaré pour la pêche nationale, du poisson provenant de pêche étrangère.

- Sur la demande de M. de Muelenaere, M. Kervyn, secrétaire, donne lecture des articles 12 et 13 proposés par la commission.

M. Mercier. - La tentative d'importation frauduleuse de poisson de pêche étrangère ne doit pas être prévue par cette loi ; elle ne peut se rapporter qu'à un seul cas de tentative, celui de prendre à bord du poisson de pêche étrangère. On pourrait dire :

« Convaincu d'avoir pris à bord ou tenté de prendre à bord du poisson, etc. »

Je ne présente pas d'amendement ; j'attendrai les objections qui pourront être faites.

M. Henot. - L'honorable M. Mercier demande quand il y aura tentative d'importation frauduleuse. Répondant à cette question, je lui dirai que cette tentative existera quand un navire ayant à son bord du poisson provenant de pêche étrangère fera des efforts pour entrer dans le port et qu'un coup de vent ou toute autre cause indépendante de la volonté de ceux qui le dirigent l'empêchera d'y entrer, il n'aura pu consommer le fait d'importation, et il aura simplement commis alors le délit de tentative d'importation que mon amendement auquel se sont ralliés la commission et M. le ministre de l’intérieur a pour but de punir.

L'honorable M. Mercier voudrait punir la tentative de transbordement de poisson provenant de pêche étrangère sur un navire appartenant à la pêche nationale, mais je lui demanderai à mon tour comment il sera possible de constater cette tentative, attendu qu'elle se fera toujours en pleine mer,.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L'art. 8 de la loi permet de constater cette tentative de fraude.

M. Henot. - Sans doute, mais par un moyen exceptionnel dont l'administration n'usera pas souvent, c'est-à-dire en plaçant à bord des employés de la douane, de sorte qu'il reste vrai que la plupart du temps, si pas toujours, il sera impossible d"administrer la preuve de cette tentative.

M. Mercier. - La tentative d’importation dont vient de parler l'honorable M. Henot est prévue par l'art. 205 de la loi générale des douanes. Ce n'est pas de cette fraude que nous avons à nous occuper ; nous avons seulement à établir les moyens de répression de celle que l'on commet en important du poisson de pêche étrangère, au lieu de poisson de la pêche nationale. Toute autre fraude doit rester étrangère à la loi spéciale que nous discutons en ce moment.

La tentative de fraude dont j'ai parlé tout à l'heure sera très rare ; mais elle est possible et elle me paraît devoir être prévue par la loi. Toutes les autres sont réprimées par la loi générale du 26 août 1822. Il faut donc nécessairement supprimer les mots « ou tenté d'importer » à l'amendement proposé.

L'honorable préopinant a demandé comment on pourrait constater la tentative de prendre à bord du poisson de pêche étrangère ; je lui répondrai que l’administration peut, d'après l'art. 8, placer des employés à bord des bateaux de pêche. Ainsi la possibilité de constater cette tentative de fraude existe réellement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si j'ai bien compris l’honorable M. Mercier, le motif pour lequel il demande la suppression des mots « ou tenté d'importer » c'est que cette tentative rentre dans les dispositions générales de la loi du 26 août 1822. Eh bien, je crois qu'il vaut mieux comprendre la tentative d'importation dans le système de pénalité que nous introduisons en ce moment pour la pêche ; voyez à quelle bizarrerie vous serez amenés. Le délit consommé sera puni, par la loi nouvelle, d'un emprisonnement de 3 à 6 mois ; la simple tentative serait passible des peines indiquées à l'art. 205 de la loi générale du 26 août 1822, c’est-à-dire d'un emprisonnement d’un mois à un an. Vous voyez que la peine pour la tentative serait plus forte que la peine pour le fait consommé.

Ce n'est pas tout : nous avons voulu que la récidive fût punie de peines moins fortes que les peines, vraiment effrayantes, qui se trouvent aux art. 205 et 206 de la loi générale. Vous serez donc amenés à une seconde bizarrerie. En cas de tentative, la récidive sera punie, d'après le § 2 de l'art. 206, c'est-à-dire du carcan ; et le fait consommé, en cas de récidive, sera puni du double de l'emprisonnement d'après la loi nouvelle. Je crois donc qu'il vaut mieux comprendre la tentative d'importation dans le système nouveau de pénalité que nous voulons introduire. C'est par le même motif que nous avons compris la récidive dans cette nouvelle loi ; nous ne voulons pas que la récidive soit punie comme elle l’est par les dispositions de la loi générale.

Je ne verrais aucun inconvénient à faire droit à l’autre observation qui tend à faire ajouter les mots « ou tenté de prendre à bord. » Il convient que tout ce qui tient à cette fraude soit prévu par la nouvelle loi ; mais je ne sais si ce cas de tentative est possible.

M. de Muelenaere. – Je pense qu’il est assez inutile de prévoir la tentative de prendre à bord du poisson de pêche étrangère ; car lorsque ce délit se commettra, le navire sera en pleine mer. Ce n'est pas que cette tentative ne puisse être commise. Pour la constater, il n'est pas indispensable de recourir à la faculté attribuée au gouvernement par l'art. 8 de placer à bord des employés de l'administration ; on pourra aussi la constater, à l'arrivée au port, par les dispositions des hommes de l'équipage. Mais cette tentative ne pourra guère se présenter ; car vous savez qu'à bord du navire le patron exerce une autorité absolue, illimitée. Si donc il a l'intention de prendre à bord du poisson de pêche étrangère, il le prendra ; personne ne pourra l'empêcher ; les hommes de l'équipage ne pourront y mettre obstacle. C'est pour cela qu'on ne doit pas prévoir cette tentative ; le délit peut, je le répète, être constaté non seulement par les employés de l'administration, mais encore par les dépositions des hommes de l'équipage ; et le propriétaire a intérêt à interroger les hommes de l'équipage sur ce qui s'est fait en mer.

Il en est autrement de la tentative d'importation. Cette tentative peut se faire de plusieurs manières : elle peut se faire lorsque, par exemple, le patron ne veut pas échouer sur la côte, à l'endroit ordinaire, mais qu'il fait échouer son navire à une demi lieue ou une lieue de là, pour introduire le poisson en fraude dans le pays. Voilà une tentative de fraude d'importation.

On répond que cela est prévu par la loi générale. Je conviens que cela est vrai. Mais vous faites une loi spéciale ; vous y prévoyez des cas de fraude ; vous comminez des pénalités contre ces fraudes. Dès lors il me semble que la loi doit être complète. Sans cela, il est évident qu'on serait obligé de recourir à la loi générale.

Indépendamment de cette observation, M. le ministre de l'intérieur a fait remarquer que, dans certains cas, il y aurait anomalie, en ce que la tentative serait passible de peines plus graves que le délit lui-même.

M. Mercier. - Je n'insiste pas, messieurs, sur ce que j'ai dit relativement à la tentative de prendre à bord du poisson provenant de la pêche étrangère, si le gouvernement lui-même ne juge pas que cette disposition soit utile ; cependant quoi qu'en dise l'honorable préopinant, l'administration dans certains cas, est à même de constater cette tentative. J'avais seulement cité ce cas de tentative comme le seul auquel la loi en discussion puisse s'appliquer d'après sa nature. Remarquez bien, messieurs, qu'il ne s'agit ici que des bâtiments déclarés pour la pêche nationale, et nullement de tous autres navires ; on ne prévoit donc pas le cas où un de ces derniers essaierait d'introduire du poisson étranger en fraude. Un autre cas, qui n'est pas régi par la loi en discussion, c’est celui où un navire quelconque, destiné ou non à la pêche nationale, débarquerait sur la côte, à quelque distance de la frontière belge, du poisson qui serait ensuite introduit frauduleusement ; dans ces divers cas il faudra bien appliquer la loi générale. La loi en discussion, quoi qu'on dise, sera donc nécessairement incomplète et ne s'appliquera pas à toute fraude d'importation de poisson.

M. Demonceau. - Messieurs, les observations que vient de présenter l’honorable M. Mercier m'engagent à prendre part de nouveau à la discussion. Les cas de fraude cités par l'honorable collègue ne sont pas prévus par la loi qui nous occupe ; ils tombent sous l'application de la loi générale de 1822. Ainsi, par exemple, si un bateau qui n'est pas destiné à la pêche nationale voulait introduire du poisson étranger, ce fait tomberait sous l'application de la loi générale. Si l’on voulait introduire du poisson par la frontière de terre, ce cas tomberait encore sous l'application de la loi générale.

La loi dont il s'agit en ce moment a pour objet d'accorder des faveurs à la pêche nationale ; cette loi doit punir ceux qui abuseraient des avantages qu'elle leur donne. C'est ainsi que l'art 12 punit ceux qui, au moyen d'un navire déclaré pour la pêche nationale, tenteraient d'introduire ou introduiraient en fraude du poisson étranger ; si la tentative de fraude a lieu par un navire qui n'est pas déclaré pour la pêche nationale, elle sera punie par la loi générale de 1822. En cas de récidive, cette loi punit la fraude du carcan ; or, comme ces questions doivent être soumises au jury, il arrive souvent que les faits les plus constants sont déclarés non constants, parce que la peine est trop forte. Si à propos de la loi en discussion vous voulez appliquer la loi générale à la tentative de fraude, il en résultera que la tentative sera punie plus sévèrement que la fraude consommée ; ce qui serait une contradiction : si au contraire vous ne vous expliquez pas clairement, l'on pourra conclure de votre silence que votre attention n'a pas été de punir la tentative.

Messieurs, la disposition qui vous occupe, et que l'on trouve si sévère, est cependant moins sévère que les dispositions de la loi générale. S'il s'agissait de modifier cette loi générale, je demanderais aussi que les peines comminées par cette loi fussent rendues moins fortes, car ces peines ne s"appliquent pas, en général, aux véritables fraudeurs, elles ne s'appliquent qu'à leurs instruments, à des hommes qui souvent croient exercer une profession comme une autre en fraudant, qui viennent dire aux tribunaux : « On m'a donné 5 francs pour porter un paquet, je ne croyais pas mal faire en me chargeant de cette commission. » Les véritables fraudeurs, ce sont ceux qui assurent l'arrivée de la marchandise fraudée, à raison de tant de cent, ceux qui font un véritable commerce de la fraude ; ceux-là échappent généralement aux pénalités comminées par la loi. Je me résume.

Messieurs, si vous soumettez la tentative de fraude à la loi générale, cette tentative sera punie d'une peine plus forte que la fraude consommée, telle qu'elle se trouvera prévue par la loi actuelle. Ce serait là une anomalie. Je crois donc qu'il faut adopter les propositions de la commission.

Quant à la tentative de prendre du poisson étranger à bord, je crois qu'il est inutile de la prévoir, et sur ce point, je me range de l'opinion émise par l'honorable M. de Muelenaere.

M. Desmet. - Messieurs, je pense toujours que le transbordement qui se fait en mer ou dans les rivières n'est qu'une tentative de fraude ; pour que ce soit autre chose qu’une tentative, il faudrait, ce me semble, dire formellement qu'il est défendu de transborder sans avoir fait auparavant une déclaration ; sans cela celui qui aura transbordé du poisson étranger et qui sera découvert pourra toujours dire qu'il était d'intention de déclarer ce poisson.

Je pense qu'il n'est pas nécessaire de parler de la tentative de mettre à bord du poisson étranger, et qu'il faut se borner à prévoir la tentative d'importation.

M. de Muelenaere. - L'honorable député de Verviers me paraît, messieurs, avoir parfaitement saisi le mécanisme et le but de la loi actuelle. En effet, nous n'abrogeons pas la loi générale ; tous les cas dont nous ne parlons pas restent sous l'empire de la loi générale. Nous faisons une loi qui a pour objet de favoriser la pêche nationale ; dans cette loi nous prenons des dispositions auxquelles ceux qui arment pour la pêche sont obligés de se soumettre pour jouir des faveurs établies tant par cette loi-ci que par les lois antérieures ; nous prévoyons les cas de fraude, les contraventions et nous comminons des peines contre la fraude, contre les contraventions. Il me semble que toutes les peines appliquées pour les contraventions et les fraudes déterminées par la présente loi doivent être comminées par cette loi elle-même, et qu'il ne faut pas renvoyer pour ces peines à la législation générale. Les observations faites par M. le ministre de l’intérieur sont d'ailleurs décisives à cet égard.

Il serait en quelque sorte ridicule, absurde de ne punir que d'un emprisonnement de 3 à 6 mois la fraude consommée et de maintenir un emprisonnement qui peut aller jusqu'à un an pour la simple tentative. Il résulterait d'un semblable état de choses que l'on soutiendrait peut-être avec raison devant les tribunaux que la tentative ne doit pas être punie, que l'intention du législateur ne peut pas avoir été de la punir, puisqu'il n'est pas possible d'admettre qu'il ait voulu punir la tentative de délit d'une peine plus forte que le délit lui-même.

Il me semble donc qu'il faut prévoir la tentative et adopter la proposition de la commission, alors la loi ne laissera subsister aucun doute dans l'esprit du juge qui sera appelé à l'appliquer.

M. Donny. - Je pense, comme les honorables préopinants qu'il faut absolument maintenir le mot tentative dans le projet. Je ne reviendrai pas sur les motifs qui militent en faveur du maintien de ce mot, ils ont été suffisamment développés par les honorables préopinants. Je n'ai pris la parole que pour répondre à l'honorable M. Desmet d'après lequel la prise à bord du poisson de provenance étrangère ne constituerait pas un délit. Suivant l'honorable membre ce fait ne serait punissable que lorsqu'on y aurait joint l'importation ou une tentative d'importation. Je crois que l'opinion de l'honorable M. Desmet se fonde sur ce qu'il n'a trouvé dans la loi aucune disposition qui défende de prendre à bord du poisson étranger. Eh bien, messieurs, c'est là une erreur, car voici ce que porte le § 2. de l'art. 9 :

« Toutefois la lettre de mer n'autorise point l'emploi du bâtiment à aucun autre usage que celui de la pêche, à moins que le patron ne déclare au bureau des douanes, etc. »

Vous voyez donc, messieurs, que celui qui prend une lettre de mer pour aller pêcher, ne peut faire absolument autre chose pendant qu'il est en mer que la pêche pour laquelle il a été autorisé ; il ne peut pas acheter du poisson, il ne peut pas en vendre, il ne peut pas en prendre à bord, il ne peut faire rien autre chose que pêcher et il ne peut pêcher que de la manière qui lui est prescrite par sa lettre de mer, S'il fait autre chose il est puni.

Ainsi, messieurs, vous voyez que la prise à bord de poisson étrangère se trouve punie par l'art. 12.

M. Mercier. - Messieurs, dans la loi que nous discutons, il ne s'agit pas d'importation frauduleuse dans un sens général ; elle ne doit s'appliquer qu'au poisson présenté à la douane, mais déclaré sous une fausse dénomination ; c'est-à-dire du poisson provenant de la pêche étrangère qui serait introduit comme provenant de la pêche nationale. Tout à l’heure on repoussait le système que je soutiens, en prétendant qu'en appuyant la loi générale à la tentative de fraude, on la punirait plus sévèrement que la fraude consommée ; cela peut être contesté. Mais dans le système contraire, on tombe dans la plus grande anomalie. En effet, on punit moins sévèrement le navire privilégié qui se sera livré à la fraude, que tout autre navire qui aura été employé à la fraude ; le navire qui sera équipé pour la pêche nationale et qui aura importé frauduleusement du poisson étranger, sera frappé d'une pénalité moins forte que tout autre navire qui aura servi à la même fraude.

Je sais, messieurs, que, quoi qu'on fasse on laissera subsister quelques anomalies dans les pénalités ; mais ces anomalies disparaîtront si l'on adopte la loi présentée en 1839 sur la répression de la fraude ; loi dont les pénalités se rapprochent beaucoup de celles qui se trouvent dans le projet actuel ; je regrette même que la loi qui nous occupe n'ait pas été mise complètement en harmonie avec le projet dont je viens de parler.

Quoi qu'il en soit, messieurs, je ne puis que répéter qu'il ne peut s'agir ici que d'une seule espèce de fraude, celle qui consisterait à déclarer du poisson étranger comme provenant de la pêche nationale, tout autre objet doit rester étranger à la loi qui nous occupe,

M. Demonceau. - L'honorable M. Mercier a raison de dire que, dans cette circonstance, les fraudeurs qui se serviront de bateaux privilégiés seront punis moins sévèrement que ceux qui se serviraient de tout autre bateau ; mais l'honorable membre reconnaît lui-même que les peines comminées par la loi générale ne sont presque jamais appliquées. Dernièrement encore, il m'a été assure que des faits de fraude avoués par un fraudeur en état de récidive ont été déclarés non constatés suffisamment, probablement par ce seul motif que le jury ne voulait pas appliquer la peine du carcan, comminée par la loi générale. Etablissons dans la loi qui nous occupe des peines rationnelles ; lorsque nous en serons à réviser la loi de 1822, nous tâcherons de modifier cette loi d'après les mêmes principes ; consacrons dès aujourd’hui le principe, ce sera un précédent favorable pour faire passer plus tard les dispositions dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Mercier.

Je persiste donc à croire, messieurs, que le projet de la commission obtiendra la préférence.

M. Angillis. - Quelques honorables députés ont tâché de définir la tentative, et chacun de ces honorables membres a donné une définition différente. C'est, messieurs, que ce mot est en effet indéfinissable. En général, je n'aime pas le mot tentative, parce qu'il est excessivement vague et d'une élasticité effrayante, qu’il donne un pouvoir arbitraire à ceux qui sont appelés à appliquer les peines comminées par la loi.

Je sais bien qu'en matière de douane il faut punir la tentative, mais au moins ne faut-il pas chercher à donner une définition à ce qui est indéfinissable. Laissons donc la chose à l'appréciation du juge qui doit prononcer sur contraventions. Je pense que la loi dit à cet égard tout ce qu'elle doit dire, et qu'il ne faut pas y introduire des explications qui la rendraient diffuse et inexécutable.

Pour expliquer le mot « tentative», il faudrait écrire un volume, et encore je crois qu'on n'y parviendrait pas.

Je propose donc à la chambre d'adopter le projet tel qu'il se trouve maintenant présenté par la commission.

M. Desmet. - Messieurs, j'ai très bien compris l'honorable M. Donny, quand il a bien voulu me donner une explication sur le doute que j'avais sur une partie de la disposition de l'art 12, celle qui concerne le transbordement du poisson dans un bateau pêcheur et équipé tel que la loi que nous discutons le veut ; et je dois dire avec lui que l'art. 9 comprend le cas supposé et que réellement, par une disposition de cet article, il est défendu, sous peine de contravention, aux bateaux pêcheurs, de prendre à bord du poisson qu’ils n'ont pas pêché eux-mêmes.

Mais, messieurs, veuillez remarquer que les bateaux pêcheurs que vous voulez privilégier seront placés dans une position plus mauvaise que ceux qui vont prendre du poisson étranger sans être équipés pour la pêche et qui sont uniquement destinés à faire entrer frauduleusement du poisson dans le pays. Quand les bateaux seront trouvés avoir à bord du poisson, pour ce fait seul, il n'y aura pas de contravention à leur égard ; mais si le fait a lieu pour des bateaux qui seraient équipés d'après les dispositions de cette loi spéciale, alors aura lieu la contravention, et les patrons seront frappés de la pénalité que vous allez prescrire.

Vous devez reconnaître ici, messieurs, que, dans cette hypothèse, il y aurait une espèce d'injustice et même de contradiction, car vous prescrivez des mesures pour prendre plus facilement en contravention, les bateaux privilégiés pour la pêche, que ceux qui ne seront employés que pour importer du poisson en fraude dans le pays et qui ne seraient aucunement destinés à la pêche.

Mais je pense pouvoir comprendre pourquoi la mesure a été conçue ainsi. C'est parce que jusqu'à ce jour la fraude s'est faite le plus par ces bateaux, qui étaient équipés pour la pêche, qui, au lieu de se rendre en mer pour pêcher, ne vont que jusqu'au Doel ou à Flessingue, et que là ils recevaient du poisson hollandais, qui de là était importé en Belgique comme poisson national.

Quoi qu'il en soit, je doute toujours s'il est nécessaire de déterminer l'exception seule du transbordement, et je pense qu'il serait plus prudent de se borner à dire dans le premier paragraphe de l’article 12 : « Tout patron ou armateur convaincu d’avoir importé ou tenté d’importer du poisson en contravention aux dispositions de la présente loi sera puni, etc. »

- Personne ne demandant plus la parole, on passe au vote.

La suppression des mots : « ou tenté d’importer » proposée par M. Mercier, est mise aux voix et n’est pas adoptée

L’article 12, tel qu’il a été proposé par la commission, est mis aux voix et adopté.

Articles 13 et 14 (nouveaux)

L’article 13, proposé par la commission, est également adopté, ainsi que le nouvel article 14, destiné à remplacer l’article 13 du projet primitif.

Article 15

L’article 14, voté dans la séance d’hier, devient l’article 15 du projet.

Par suite des nouvelles rédactions adoptées, la commission propose de supprimer d’abord le 2e § de l’article 2.

Cette suppression est adoptée.

Elle propose également de supprimer le § 4 de l’article 6

Cette suppression est également adoptée.

Comme il y a eu des amendements introduits dans le projet de loi, le second vote aura lieu dans la séance de jeudi.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a un amendement, et une réduction à laquelle je ne puis consentir.

M. le président. - En conséquence, la discussion générale est ouverte sur le projet du gouvernement.

M. le président. - La parole est à M. de Garcia.

M. de Garcia. - Messieurs, à l’occasion des crédits supplémentaires qui vous sont demandés, je ne puis m’empêcher de présenter quelques observations. Ces observations seront courtes, mais elles seront peut-être un peu sévères. Sous tous les rapports cette matière n’en comporte pas d’autres.

L’année dernière, vous avez voté 60 mille francs pour les beaux-arts. Eh bien, le croiriez-vous, on en a dépensé plus du double. Il est vrai qu’il est dit dans le rapport de la section centrale sur le budget de l’intérieur que le gouvernement, l’an dernier, avait fait des réserves à cet égard.

Je ne sais ce qui doit étonner le plus ou de la réserve qu’avait faite le gouvernement ou de la conduite qu’il a tenue à cet égard : la réserve est une véritable mystification pour la représentation nationale, et la conduite qu’a tenue le gouvernement est une véritable violation de la loi ; si le vote que vous donnez pour les budgets ne forme pas loi pour le gouvernement, autant vaut ne pas voter de budgets.

La section centrale, à propos de cet abus, observe que cette circonstance fait sentir tout le besoin d’une loi qui organise les comptes de l’Etat. Quant à moi, je désire vivement cette loi ; mais son besoin ne se fait pas sentir pour la circonstance actuelle. Le budget est une loi, et nous devons la respecter. Le gouvernement ni personne ne peut se mettre au-dessus de la loi.

Je crois donc que l’observation de la section centrale n’a pas trait à l’objet dont il s’agit aujourd’hui. L’abus que nous attaquons est des plus désastreux, d’abord pour le trésor et ensuite en ce qu’il ouvre une voie à la corruption. Je ne fais pas d’accusation, mais je dis que si vous laissez au gouvernement la faculté de dépasser les crédits votés au budget, le gouvernement peut corrompre le pays, et pour moi, le mal qui peut résulter pour le trésor est moindre que celui qui peut-être fait à la moralité de la nation.

D’après ces considérations, je déclare que je voterai contre les crédit supplémentaires demandés. On me dira peut-être : Que faire, et qui payera cette dépense ? Si votre objection vous touche, je vous répète que nous n’avons plus besoin de voter de budgets. Il suffit de dépenser pour vous obliger.

Mais enfin, que faire dans la circonstance ? Je répons que celui qui a fait la dépense sans droit doit la payer.

M. Rogier. - Messieurs, l’honorable préopinant vient d’attaquer en termes sévères les actes de l’administration précédente. Je suis étonné d’avoir le premier à prendre la parole dans cette circonstance. Je m’attendais à voir à la fois et mon honorable prédécesseur et mon honorable successeur prendre sur eux d’adresser quelques observations en réponse à celles de l’honorable M. de Garcia.

Pour ce qui me concerne, il me sera très facile de répondre à ces observations. La section centrale a remarqué que l’administration des beaux-arts anticipait, chaque année, sur les crédits du budget, de telle sorte qu’après avoir épuisé le crédit disponible d’une année, on disposait sur les crédits des exercices suivants. Elle a blâmé cette marche, qu’elle a considérée comme illégale. M. Garcia va plus loin ; il y trouve une voie ouverte à la corruption. J’avoue que, sous ce dernier rapport, il me serait difficile de partager son opinion. J’ignore comment cette marche, qui a été suivie par toutes les administrations, pour les beaux-arts, ouvrirait une voie à la corruption.

Quoi qu’il en soit, voici l’état des choses. Pour 1840, le crédit cumulé pour les lettres, sciences et arts, s’élevait à la somme de 122 mille francs.

Au 19 avril 1840, époque où mon honorable prédécesseur quitta le pouvoir, 79,191 fr. étaient dépensés, une somme de 43,614 fr. seulement restait disponible pour l’exercice 1840.

En 1841, la dépense fut de 62,910 fr. (Je prends mes chiffres dans les renseignements fournis à l’appui de la demande de crédits supplémentaires.) Dans cette somme figure une dépense de 23,000 fr., résultant d’engagements pris par mon prédécesseur pour 1841. Dans le crédit supplémentaire qui vous est demandé, mon prédécesseur figure pour 21,000 fr. résultant encore d’engagements pris par lui. Dans l’état D, qui comprend les dépenses que M. le ministre de l’intérieur consent, dit-il, à imputer sur le budget de 1842, M. de Theux figure encore pour 19,500 fr. ; car, bien que diverses sommes semblent résulter d’arrêtés royaux pris sous mon administration, les tableaux qu’elles sont destinées à payer, ont été commandés par M. de Theux. Le tableau de M. Verboekhoven, celui de M. Leys et celui de M. Robbe ont été commandés par M. de Theux. Un seul a été commandé par moi, à M. Dyckmans, et encore par suite d'engagements formels pris par l'administrations précédente. Ainsi dans cet état des dépenses imputables sur 1842, M. de Theux figure encore, je le répète, pour une somme de 19,500 fr. Enfin, d'après ce qu'annonce M. le ministre de l'intérieur, il y aurait encore du chef d'engagements de mon prédécesseur, 25,000 fr. pour le complément du monument du chanoine Triest, Si j'additionne ces différentes sommes, je trouve un total de 133,000 francs, résultant d'engagements pris antérieurement à mon administration.

Je ne fais pas de reproche à mon honorable prédécesseur, mais je rétablis les faits dans leur vérité, Ainsi, si j'ai été forcé d'anticiper sur l'exercice suivant, c'est parce que je me trouvais renfermé dans des limites trop étroites pour l'exercice courant. En 1840, sur un crédit de 122,000 fr., il ne me restait au mois d'avril que 43 mille fr. à dépenser. S'il y avait eu répartition proportionnelle entre mon prédécesseur et moi pour cet exercice, j'avais le droit de dépenser 87,000 fr. En 1841, il eût été juste que toute l'allocation restât intacte ; cependant elle était entamée encore pour une somme de 23,927 fr. résultant d'engagements de mon prédécesseur. Si j'ai été forcé de reporter certaines dépenses d'un exercice sur un autre, c'est parce que le crédit de l'exercice courant était fortement engagé, et il l'était parce qu'il en a toujours été ainsi dans l'administration des beaux-arts, que toujours les exercices suivants ont été engagés par les exercices antérieurs.

Je doute fort que le ministre de l'intérieur puisse faire autrement, c'est une loi presque inévitable de cette partie de son administration ; sous ce rapport il est impossible d'admettre la théorie de la section centrale qui voudrait renfermer fatalement, comme elle le dit, le gouvernement dans le cercle du budget. Ce système me paraît inapplicable à tous égards. Il est impossible que le gouvernement demande un crédit spécial pour chaque objet d'art un peu considérable qu’il a à commander. Il n'est pas possible que chaque tableau, chaque statue à commander soient soumis à la discussion de la chambre chaque année. Du reste j'attendrai les observations du ministre de l'intérieur sur le système de la section centrale.

Dans l'état C des dépenses pour lesquelles on demande un crédit supplémentaire de. 60,600 fr. figure, ainsi que je l'ai dit, une somme de 18,000 fr. résultant d'engagements antérieurs. Dans cet état figurent aussi deux sommes de 20 mille fr. pour les statues de Rubens à Anvers et de Grétry à Liége. Il me paraît que cette somme de 20 mille fr. devait être imputée en tout ou en partie sur le crédit nouveau de 50 mille fr., voté au budget de cette année. Je crois que la section centrale a eu parfaitement raison, en proposant que ces imputations eussent lieu sur ce crédit.

Il restera encore 30 mille fr. disponibles. Je crois que cette somme sera suffisante. Si elle ne l'est pas, qu'on impute 10 mille fr. seulement sur 1842 et 10 mille sur 1843. Mais je crois que ce serait aggraver inutilement le crédit supplémentaire que d'y laisser ces 20 mille fr., qu'on peut couvrir avec le crédit de 50 mille fr. ouvert au budget de 1842. Pour cet objet on avait demandé une somme de 50 mille fr. au budget de 1841 ; ce crédit n'a pas été discuté ; la proposition a été ajournée au budget de 1842. En 1842, la proposition a été faite de nouveau et la chambre l'a adoptée. Je crois qu'il va de soi que les 20 mille fr. pour les statues de Rubens et de Grétry doivent être imputés sur ce crédit. Indépendamment du crédit de dix mille fr. pour la statue de Vésale, il reste encore 20 mille fr. pour deux statues, si on se décide à en élever d'autres en 1842.

Je n'en dirai pas davantage ; je suis même fâché d'avoir eu à occuper encore la chambre de mon administration ; j'y ai été provoqué par un honorable membre ; j'espère que mes observations lui auront donné satisfaction.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer sur le principe qui consistait à soutenir qu'un ministre doit rigoureusement se renfermer dans le crédit de l'exercice, sans pouvoir anticiper sur le crédit probable de l'exercice suivant. Je pense (j'ai eu l'honneur de le déclarer à l'occasion du budget de l'intérieur), qu'on ne peut poser ce principe d'une manière absolue pour certaines dépenses ; On ne le pourrait pas, par exemple, pour les routes, pour l'emploi du fonds des barrières ; On ne le peut pas pour l’emploi du fonds des beaux-arts. Il est indispensable qu'un ministre puisse anticiper pour ces dépenses ; il doit le faire dans certaine limite ; cette limite, j'admets qu'elle soit du tiers du crédit probable ; c'est-à-dire, pour ne nous occuper que de l'allocation de 60,000 fr. dont il s'agit, il doit être entendu que le ministre peut engager l'exercice suivant jusqu'à concurrence de 20,000 fr., ou à peu près ;. un ministre, qui trouve l’exercice courant grevé de 20,000 fr. par son prédécesseur, peut, par compensation, imputer sur l’exercice suivant des dépenses jusqu'à concurrence de 20,000 fr. ; il se trouve ainsi avoir en totalité un crédit de 60,000 fr. C'est dans ce sens que j'entends pour ma part me conduire dans l'administration du fonds des beaux-arts. Cela est autant plus juste que le budget de l'exercice courant est grevé d’une somme bien plus considérable que le tiers du crédit. En effet on voit à l'état D (page 12 de l'exposé des motifs du projet de loi) que le crédit que vous m'avez alloué est grevé de 28,980 fr. non compris 12,500 fr. pour le 5e sixième du monument du chanoine Triest. Les 60,000 francs sont donc grevés de 41,480 francs. Si nous ajoutons à cette somme les engagements pris pour subsides à de jeunes artistes, s'élevant à 12,000 fr. nous arrivons au chiffre de 53,000 fr. Ainsi l’allocation de 60,000 fr. que vous m'avez accordée se trouve engagée jusqu'à concurrence de 53,000 francs. Il me reste donc disponible 7,000 fr. ; j'ai la libre disposition de 7,000 fr. dans une année où doit avoir lieu l'exposition nationale des beaux arts. Voyez quelle sera ma position si, comme l'a proposé la section centrale, et comme le propose l’honorable M. Rogier, il faut en outre imputer encore 20,000 fr. sur le crédit nouveau qui m'est alloué pour les statues des grands hommes. Une somme de 10,000 fr. est déjà engagée par arrêté royal du 13 janvier dernier pour la statue de Vésale. Une autre somme de 10,000 fr. est promise à la ville de Bruges ; enfin des négociations sont ouvertes avec un grand nombre de villes, avec Mons pour l'érection de la statue de Roland Lassus ; Malines se propose aussi d'ériger une statue à Dodonoeus ; beaucoup d'autres villes ont des propositions à faire au gouvernement ; les conseils provinciaux s'associeront aux propositions des villes. Ainsi d'un côté l'allocation ordinaire. de 60,000 fr. se trouve réduite pour cette année à 7,000 fr. ; et d’un autre côté on réduirait à 30,000 fr. les 50,000 fr. votés pour les statues des grands hommes (interruption). Comme je regarde 20,000 fr. comme imputés pour les statues de Simon Stevin et de Vésale, il me resterait 10,000 francs pour faire face à toutes les autres statues à ériger.

M. Rogier. - Vous aurez quatre statues en un an.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Cela serait vrai, si les statues de Grétry et de Rubens n’étaient pas faites ; mais ces statues sont faites ; la dépense en est faite ; on entendait imputer le prix de ces deux statues sur le crédit de 1841, aujourd’hui on veut l’imputer sur le crédit de 1842. Maintenant entend-on que le ministre de l’intérieur considère les 50,000 fr. comme étant déjà une allocation probable du budget de 1843, que, dès à présent on puisse imputer 20,000 francs pour deux statues sur le budget de 1843 Je ne sais si cela entre dans les intentions de la chambre ; j'ignore si la chambre regarde ces 50,000 fr. comme devant se trouver encore au budget de 1843 ; je le souhaite ; mais je ne puis savoir si c'est dans les intentions de la chambre.

Maintenant je dois m'étonner de la condition extrêmement difficile qu'on veut faire au ministre de l'intérieur, qui a actuellement l'administration des beaux-arts. D'une part, je consens (je me sers à dessein de cette expression contre laquelle on a cru devoir réclamer) à ce que le crédit de 60.000 fr. soit grevé de 53,000 fr. Voilà une position peu enviable, D'un autre côté, je demande qu'on me laisse la libre disposition des 50,000 fr. alloués pour les statues ; je demande cette compensation de la position rigoureuse où l’on m’a placé en grevant le fond commun de 60,000 fr., jusqu'à concurrence de 53,000 fr.

M. Cogels. - On comprendrait fort mal les intentions de la section centrale, si l'on croyait qu'elle a été animée d'une hostilité quelconque contre l'une ou l’autre des administrations qui ont précédé l'administration actuelle. La section centrale a cru devoir signaler à la chambre un abus, elle a cru devoir aviser aux moyens d'en empêcher le retour ; c'est une question de principe qu'elle nous soumet.

J'ai fait partie de la majorité de la section centrale qui voudrait que l'on décidât que le ministère fût toujours obligé de se renfermer strictement dans les limites qui lui sont tracées par le budget.

Nous avions cru d'abord devoir nous rallier à l'opinion exprimée dans une séance précédente, et accorder au gouvernement la faculté de sortir des limites du budget dans de certaines proportions. Mais après une discussion assez longue et un examen approfondi, il a été reconnu que ce ne serait pas un obstacle aux inconvénients qui ont été signalés, En effet, supposons qu'on accorderait ce que le ministre de l'intérieur vient de dire : la faculté de dépasser d'un tiers le crédit accordé ; quelle en serait la conséquence inévitable ? Ce serait que le successeur se trouverait placé dans la position que nous voulons faire au gouvernement aujourd'hui ; car ce tiers étant absorbé, il faudrait qu'il anticipât sur le budget de l'exercice suivant. S'il ne pouvait anticiper que pour un tiers, il serait renfermé dans les limites que, nous voulons lui tracer.

Supposons, en effet, qu'on alloue à l'honorable ministre de l'intérieur 60,000 fr. avec faculté d'engager l'avenir pour 20,000fr. : quelle sera la position pour son successeur ou l'exercice suivant ? Comme il lui restera 40,000. fr. et que lui pourra aussi prendre 20,000fr. sur le budget de l'exercice suivant, li se trouvera renfermé dans les limites de 60.,000. fr.

Il y a d'autres cas qui peuvent se présenter : supposons une année de grande prospérité où il y ait un excédant de recette et où, voulant être plus généreux pour les beaux-arts, on accorde un crédit de 160,000 fr. Dès lors, en accordant au gouvernement la faculté de dépasser le crédit d'un tiers, vous lui accorderiez 120,000 fr., et vous l'autoriseriez à engager l'avenir pour 40,000 fr. A cette année de prospérité succéderait une année de disette. Vous diriez, nous allons restreindre la dépense pour les beaux-arts ; nous n'accorderons que 40,000 fr., et comme cette somme serait engagée, il ne resterait rien. Ne vaudrait-il pas mieux liquider l'arriéré en tracer au ministre la limite dans laquelle il devrait se renfermer ? Il n'en résulterait pas pour lui l'obligation de dépenser les 60,000 fr. dans l'année courante. Il pourrait dépenser 30,000 francs et engager 30,000 fr. pour l'avenir, car tous les encouragements accordés aux arts ne peuvent se payer argent comptant. Il y a des jeunes gens qui vont en Italie pour faire leurs études ; il y a des tableaux qui sont commandés et qui ne peuvent être terminés que l'année suivante, On ne peut, par conséquent, en payer immédiatement le prix à l'artiste.

Le ministre se renfermant ainsi dans le crédit alloué, le retour de toute espèce d'abus serait impossible.

Quant aux 20,000 fr. qui figurait à l'état C pour statues érigées à Rubens et à Grétry, je crois qu’en imputant cette somme sur les 50,0000 fr. votés pour statues à ériger aux grands hommes, nous rentrons dans la véritable voie dont ou n'aurait pas dû sortir. Qu'a-t-on fait en 1841 ? Le ministre des travaux publics a demande 50,000 fr. pour érection de statues aux grands hommes. Il y avait alors 20,000 fr. d'engagés sur cette somme. Il aurait évidemment imputé cette dépense de 20,000 fr. sur ce crédit de 50,000 francs, si par des motifs étrangers au budget lui-même, il n'avait renoncé au crédit qui a été non pas refusé, mais ajourné par la section centrale. Car il y a eu non pas refus, mais ajournement. On a donc voulu nous placer en 1842 dans la position où l’on était en 1841.

En imputant ces deux chiffres sur le crédit de 50,000 fr., nous sommes effectivement dans cette position, et en 1843, nous nous trouverons dans la position où nous eussions été en 1842, si l'année dernière le crédit demandé n'avait pas été refusé.

Je ne vois pas du tout de nécessité à laisser figurer ce chiffre à un article où effectivement il n'est pas à sa place, et d’accorder par le fait 70,000 fr. au lieu de 50,000, alors surtout que les 50,000 fr. n'ont été accordés qu'à une faible majorité. Car vous vous rappelez que la section centrale avait cru devoir proposer un nouvel ajournement, et que ce n’est qu’à une faible majorité que la chambre a alloué le subside.

Je crois donc que nous pouvons défendre de tour point l'opinion de la section centrale, et que c'est là le seul moyen de nous replacer dans les véritables règles de la comptabilité.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je pense qu'il n'entre pas dans les intentions de la chambre de revenir sur un vote. C’est la seule observation que je ferai au sujet des dernières paroles de l'honorable préopinant.

J'ai demande une somme de 60,600 francs comme crédits supplémentaires pour les beaux-arts. L'honorable préopinant dit que c'est là liquider l'arriéré. Messieurs, cela n’est pas exact.

M. Cogels. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous avez raison dans ce sens et vous vous êtes plus fois servi de l’expression : il s'agit de liquider l'arriéré et de rentrer dans l'une situation normale. Or quelle serait la situation normale ? Ce serait que le ministre eût à sa disposition sans engagement antérieur la somme de 60,000 francs. Eh bien ! ce n'est pas ce qui arrivera par l'adoption du projet en discussion.

Je vais vous dire comment vous devriez vous y prendre pour liquider l'arriéré et faire au ministre une situation normale, situation que je voudrais pouvoir accepter. Ce n’est pas 60,600 francs qu’il faudrait allouer. Il faudrait ajouter à ces 60,600 fr. d’abord 28,980 fr. dont l’année courante reste grevée et dont les détails sont indiqués à l’état D, page 12. Il faudrait y ajouter encore une somme de 23,000 fr., pour les deux derniers sixièmes du monument du chanoine Triest ; ce qui nous conduit à la somme de 114,580 fr. C’est la somme que vous devez voter, si vous voulez effectivement liquider l’arriéré.

J’aurais donc pu, en me plaçant dans le système de l’honorable préopinant, et pour liquider véritablement l’arriéré, vous demander une somme de 114,580 fr. Je me suis borné à vous demander celle de 60,600 fr. le budget de l’année courante reste donc grevé en y complément 12,500 fr. dus à l'artiste chargé de l'exécution du chanoine Triest, d'une somme de 41,180 fr.

Voilà, messieurs, quelle est la situation du ministre, actuellement chargé de l'administration des beaux-arts.

Je demande, messieurs, que la chambre soit juste envers le titulaire actuel du département de l’intérieur et qu'elle ne rende pas sa position trop difficile.

(Moniteur belge n°34, du 3 février 1842) M. de Theux. - Messieurs, ainsi que je l'ai fait remarquer précédemment, le reproche d'avoir dépensé les crédits alloués au budget del'intérieur ne concernent aucunement mon administration. Il suffit de jeter les yeux sur le tableau soumis par M. le ministre de l'intérieur, pour voir qu'à l'époque du 19 avril 1840, date de ma sortie du ministère, il restait encore, en ce qui concerne les arts et les lettres, une somme disponible de 43,000 fr.

Or, messieurs, il n'est nullement dit dans la loi de budget à quelle époque de l'année les dépenses peuvent être faites sur tel ou tel article du budget. Les dépenses se font à l'époque où les convenances indiquent la nécessité de les faire.

A cet égard je présenterai encore une observation. C'est qu'il suffit de jeter les yeux sur le tableau pour s'assurer qu'aucune dépense n'a été faite en vue de gêner en quoi que ce soit l'administration de mon successeur éventuel ; on n'a qu'à voir la date des arrêtés royaux. Jamais une telle pensée ne m'est venue à l'esprit.

En ce qui concerne le principe actuellement en discussion, je dirai, messieurs, que j'ai trouvé ce principe appliqué lorsque je suis entré aux affaires. J'ai trouvé des dépenses décidées, dont l'imputation devait se faire sur plusieurs budgets successifs ; j'en ai laissé de mon côté. En cette matière, messieurs, je ne vois pas d'inconvénient à agir ainsi, quand on veut se renfermer dans certaines limites. Il me paraît ensuite, lorsqu'il est évident que des fonds seront alloués aux budgets suivants pour des dépenses de certaines catégories, comme pour les beaux-arts, que l'on n'a pas à craindre, en prenant des engagements modérés, que jamais il y ait insuffisance à ces budgets pour remplir ces engagements. On doit d'ailleurs laisser en outre une certaine latitude à son successeur, pour qu'il puisse pourvoir à des éventualités ; il faut se poser certaines limites ; et ces limites je les ai observées.

Il est des circonstances où il est impossible de faire autrement que de laisser des charges aux budgets subséquents. Je suppose, par exemple, les souscriptions à des ouvrages, comme cela se fait pour la bibliothèque nationale, pour les universités. Il est impossible d'imputer des dépenses annuelles pour souscriptions sur un seul budget ; il faut bien que cette imputation se fasse au fur et à mesure : que ces ouvrages paraissent.

Il en est encore de même lorsqu'un objet d'art ne peut être achevé qu'au bout d'un temps assez considérable, comme cela est arrivé pour le monument du chanoine Triest. L'imputation a été partagée en six années. On ne pouvait imputer la dépense sur le seul budget de l'année où le monument a été commandé, parce qu'on ne peut, pendant six ans, user d'un crédit, imputé sur un budget. Force est donc de suivre la marche qui a été suivie, lorsque des circonstances pareilles se présentent.

Mais le véritable point à observer, c'est de ne souscrire à rien dont la dépense doit être affectée sur plusieurs budgets, à moins qu'on n'ait la certitude morale que les fonds seront annuellement portés au budget, et même des fonds supérieurs aux engagements pris, de manière qu'il reste une certaine latitude pour l'administration suivante. Je crois qu'en se tenant dans ce cercle, aucun abus n'est possible.

Il est certain que, s'il était possible que le principe de la section centrale fût admis dans toute sa rigueur, cela serait préférable ; et je crois que chaque ministre s'engagerait avec plaisir à de semblables conditions, si elles étaient praticables. Mais, je le répète, il est des circonstances où il n'est pas possible de suivre la marche indiquée par la section centrale.

(Moniteur belge n°33, du 2 février 1842) M. Demonceau. - Messieurs, je veux rester étranger à toutes ces discussions entre les différents ministres qui ont occupé le département de l'intérieur ; mais je vous avoue que je ne puis pas comprendre que l'on considère comme chose légalement possible d'engager l'avenir, quand même l'on supposerait qu’on n'aura pas de successeur.

En règle générale toutes les dépenses de l'État doivent figurer au budget. C'est là une nécessité absolue, si vous voulez y voir clair. Si vous voulez une comptabilité embrouillée, suivez le système qu'on préconise ici, à savoir qu'on peut anticiper sur l'avenir.

Je ne dis pas que dans les circonstances où se sont trouvés les différents ministres, ils ne se soient pas trouvés dans la nécessité de suivre cette marche. Mais aujourd'hui qu'il est bien constaté pour moi qu'il y a eu abus, je vous avoue que je me range de l'opinion de la section centrale ; je pense donc comme elle qu'il faut que tout ministre se tienne dans les limites du crédit qui lui est alloué. Sans cela, je dis avec l'honorable M. de Garcia, que vous n'avez plus besoin de voter les budgets. Si vous permettez d'engager une partie quelconque du crédit alloué au prochain budget, nous ne savons pas où l'on s'arrêtera ; un ministre trouvera que ce n'est pas trop d'engager un tiers du prochain crédit, un autre trouvera que ce n’est pas trop d'engager une moitié et ainsi de suite.

Lorsque j'ai entendu l'honorable M. Rogier avouer lui-même qu'il y avait nécessité de prendre 20,000 fr. sur le crédit alloué pour l’exercice courant et destiné à élever des statues aux grands hommes, je vous avoue que j’ai été à l'instant même de son avis. Il me semble que les 20,000 fr. pour les statues de Rubens et de Grétry doivent d’autant plus figurer sur l'exercice courant que nous savons seulement d'aujourd'hui qu'on a engagé une somme de 20,000 francs. Nous ne pouvions pas prévoir qu'on engagerait cette somme sans avoir obtenu le crédit ; elle se trouve engagée, illégalement sans doute ; qu’il soit bien entendu qu'on la prendra sur les 50,000 fr. votés cette année.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C'est sur le fonds général que cette somme doit être prise.

M. Demonceau. – Il a été voté un subside pour encouragement aux beaux-arts, et un autre subside pour élever des statues aux grands hommes ; prendre sur le premier de ces subsides une somme pour faire élever des statues, me paraît un double emploi. L’honorable M. Rogier, lorsqu’il a demandé un crédit pour élever des statues aux grands hommes, n’a pu vouloir engager les 20,000 fr. pour les statues de Grétry et de Rubens sur le crédit affecté aux beaux-arts, je ne puis le croire ; il aurait fait le contraire de ce qu’il avait lui-même proposé en présentant son budget pour 1841 ; aussi s’en est-il expliqué clairement.

Je conviens, messieurs, que pour 5 statues, 50,000 fr., c’est-à-dire 10,000 fr. par chaque statue, qu’on donnera pendant une année, je conviens, dis-je, que ce n’est pas beaucoup ; mai si le gouvernement veut accueillir les demandes de tous ceux qui désireront obtenir des statues, on trouvera des grands hommes partout. (On rit.) Toutes les villes, toutes les communes vous demanderont des statues.

Lorsque nous discutions le budget des voies et moyens, on criait que nos recettes étaient au-dessous de nos dépenses et cependant on veut nous lancer dans une foule de dépenses folles, car c’est ainsi que je considère des dépenses qui ne sont pas indispensables et que nous n’avons pas le moyen de couvrir. Lorsque nous avons discuté le budget des voies et moyens, il suffisait pour couvrir les dépenses proposées ; mais aujourd’hui il ne suffit plus, parce qu’au lieu de réduire ou de vous borner à voter, vous augmentez sans cesse les dépenses proposées. Vous avez voté différentes augmentations ; vous voilà donc encore une fois en déficit en ouvrant l’exercice.

J’ai voulu faire ces observations, parce que je tiens à voir établir une bonne fois l’ordre dans la comptabilité de l’Etat. Si on nous demandait un crédit de cent mille francs pour ramener cet ordre, je le voterais ; mais je ne puis pas autoriser un ministre quelconque à dépasser les crédits qui lui sont accordés par la loi du budget, c’est là, selon moi, une violation du texte comme de l’esprit de la constitution.

M. Cogels. – M. le ministre de l'intérieur m’a mal compris, lorsqu’il a pensé que je disais qu’en votant 40,600 fr., nous placerions le gouvernement dans cette situation normale où je voudrais le voir placé et où il aurait à sa disposition les 60,000 fr. alloués au budget. Pour mettre le gouvernement dans cette situation, il faudrait en effet lui allouer 114,580 fr., pour autant, cependant, que les 20,000 fr. appliqués à l’érection des statues de Rubens et de Grétry ne fussent pas reportés sur le chapitre qui est spécialement destiné à l’érection de statues aux grands hommes ; sinon il ne faudrait que 94,580 francs.

Je vous avoue, messieurs, que plutôt que de voir se perpétuer le système actuel, je serais disposé à accorder 94,580 fr. Si la section centrale n’a pas cru pouvoir faire une semblable proposition, c’est qu’il lui a semblé que dans l’état où se trouve le trésor, il n’est pas absolument nécessaire de dépenser 60,000 fr. dans le cours de l’exercice 1842. Si nous lisons l’exposé des motifs de M. le ministre, nous voyons, qu’en effet, son intention n’était pas de dépenser 60,000 fr. en 1842, et il, n’a pas demandé un crédit suffisant pour pouvoir le faire. M. le ministre compte donc dépenser, en 1842, moins de 60,000 fr., alors même que la chambre n’admettrait pas le principe que nous voulons faire prévaloir, ou bien qu’elle se rallierait à celui qui permettrait au ministre de dépasser d’un tiers le crédit alloué.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je répondrai, messieurs, qu’il faut prendre ma proposition d’une manière indivisible : si d’une part on grève l’allocation de l’année courante de plus de 41,000 francs, il faut d’autre part donner au ministre une certaine latitude pour l’allocation nouvelle de 50,000 francs. Du reste, je vois avec plaisir que l’honorable préopinant reconnaît que pour liquider réellement l’arrière, ce n’est pas 40,600 francs qu’il faudrait allouer, mais 114,580 francs. On bien, si l’on imputait 20,000 francs pour les deux statues dont il s’agit, l’allocation de 50,000 francs, ce serait alors 94,580 francs. Je dis que, pour être juste, il faut prendre la proposition d’une manière indivisible ; alors, d’une part, l’allocation ordinaire est grevée d’une manière bien notable, puisqu’elle est grevée des deux tiers ; mais, d’un autre côté, il faut par une espèce de compensation, laisser à la libre disposition du ministre l’allocation nouvelle de 50,000 fr.

M. Rogier. – Messieurs, comme l’on parle encore d’abus et de nécessité de ramener l’ordre dans la comptabilité, je prends de nouveau la parole pour démontrer que, s'il y a eu des abus, s'il y a eu désordre dans la comptabilité de l'administration des beaux-arts, ces abus, ce désordre remontent à l'administration de l'honorable M. de Theux.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. Rogier**.** - L'honorable M. de Theux, vient de déclarer avec beaucoup de sang-froid que les observations de la section centrale ne le touchaient en rien ; eh bien, les observations de la section centrale tombent de tout leur poids sur l'administration de mon honorable prédécesseur. Quant à moi, je n'aurais pas pris la parole dans cette circonstance, si je n'y avais été provoqué par l'attaque de l'honorable M. de Garcia. Je puis dire, que s'il y a eu des abus, j’en suis parfaitement innocent ; et je m'en vais le démontrer.

Pour l’année 1840, année pendant laquelle je suis arrivé au département des travaux publics, il y avait 120,000 francs à dépenser au budget ; or, sur ces 120,000 francs, 87,000 francs avaient été engagés dans les trois premiers mois de l’administration de l’honorable M. de Theux ; il ne m’est donc resté que 43,000 francs à dépenser pour toute l’année 1842.

Voici maintenant le calcul des dépenses que j'ai faites en 1840 et 1841. Ces dépenses s’élèvent à 110,000 francs pour les deux exercices. Il est vrai que dans cette somme je ne comprends pas les 20,000 francs pour les deux statues. Si j’ajoute ces 20,000 francs, il est de fait que j’aurai dépassé les crédits des deux exercices d’une somme de 10,000 francs ; mais il y aurait loin de là aux engagements énormes que l’honorable M. de Theux a légués à ses successeurs. Ainsi, l’honorable M. de Theux a légué à ses successeurs un engagement de 75,000 francs pour la seule statue du chanoine Triest.

Quant aux dépenses que M. le ministre de l'intérieur consent à imputer sur le budget de 1842, il ne faut pas croire que ces dépenses concernent mon administration ; elles ont été faites par mon honorable prédécesseur jusqu'à concurrence de 31,500 fr.

Ainsi, je déclare que je ne puis pas accepter comme me revenant les reproches consignés dans le rapport de la section centrale. Ces reproches ne peuvent pas m'atteindre, Libre à l'honorable M. de Theux de déclarer que ces reproches ne l'atteignent pas non plus. Mais j'ai démontré par des chiffres que ce serait à lui d'y répondre.

Quant à moi, je ne m'associe pas à ces reproches. Je crois que l'honorable M. de Theux a agi avec une parfaite bonne foi, lorsqu’il a commandé les tableaux. Il s'est adressé à des peintres capables, comme il s'est adressé à un sculpteur capable, lorsqu'il a commandé une statue. Je ne critique pas l'emploi qu'il a fait des fonds. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il m'a placé dans l'impossibilité de faire de mon chef aucune commande sérieuse. Et, cependant, l'on est venu insinuer, ici, comme on l'avait déjà dit dans beaucoup de journaux, que j'avais gaspillé les fonds des beaux-arts, que pour populariser mon administration parmi les artistes et les littérateurs j'avais jeté l'argent à droite et à gauche, tandis que j'ai été, je le répète, placé dans l'impossibilité de faire aucune commande sérieuse.

Maintenant, M. le ministre de l'intérieur rejetant tous ces antécédents, et voulant avoir les coudées parfaitement franches, demande qu'on liquide tout ce passé, qu'on le délivre de tout ce bagage incommode, et qu'il puisse, à partir de 1842, marcher dans toute sa liberté, avec des crédits non entamés. Je pense que si l'on accorde cette faveur au ministre de l'intérieur, il fera fort bien d'en profiter, mais il ne faudrait pas qu'on fît à son prédécesseur, qui se trouvait embarrassé par des antécédents très onéreux, un reproche d'avoir suivi la marche qui lui était en quelque sorte imposée. Quoi qu'il en soit, je ne me suis pas écarté du montant global de mes crédits, à l'exception d'une somme de 10,000 fr., pour laquelle je me suis engagé. Mais comment ? Par une simple lettre ministérielle. Il y a eu un arrêté royal pour la statue de Rubens, mais pour la statue de Grétry il n'y a eu qu'une lettre du ministre à l'administration de la ville de Liège, par laquelle il s'engageait à accorder à la ville une somme de 10,000 francs pour la statue de Grétry à la condition que le crédit qu'il avait proposé lui serait alloué par les chambres. Il n'y a donc eu ici qu'un engagement conditionnel.

Quant aux 20,000 fr., quelque partisan que je sois de l'allocation des 50,000 fr. votée pour l'érection de statues aux grands hommes, je pense que ces 20,000 fr. peuvent sans inconvénient être imputés sur l'allocation que je viens de citer. M. le ministre de l'intérieur nous dit qu'il a déjà imputé une somme de 10,000 fr, sur ce crédit pour la statue de Vésale ; mais cette statue n'est encore qu'un projet ; j'ignore quand ce projet se réalisera, mais il est bien certain qu’il ne sera pas nécessaire d'imputer cette dépense sur le budget de 1842. Dans tous les cas, rien n'empêcherait d'imputer 5,000 fr. sur le budget de 1842 et 5,000 fr. sur celui de 1843. Il en est de même de la dépense relative aux statues de Rubens et de Grétry, dépenses dont on peut réserver une partie pour l'exercice 1843.

J'ai dit qu'un ministre était souvent obligé, dans le courant d'un exercice, d'engager les exercices suivants, et c'est ce qui a eu lieu. C'est un système que je n'ai pas préconisé, ainsi qu'on l'a dit, mais que j'ai présenté comme une nécessité administrative. Je crois que si l’on examinait les allocations portées dans les budgets des divers départements, l'on trouverait très souvent l'avenir engagé de la même façon. Je citerai, par exemple, au budget de la guerre, les forteresses. Le ministre de la guerre ne vous demande pas en bloc la somme nécessaire pour la construction des forteresses. Les dépenses ne sont pas votées en une seule fois, et cependant les forteresses sont adjugées en une fois ; je ne sache pas qu'il y ait eu jusqu'ici de critique à cet égard.

Voilà un exemple qui me vient à l'esprit en ce moment. Je suis persuadé qu'on en trouverait un grand nombre d'autres, si l'on scrutait les articles des différents budgets.

C'est au ministre à user avec mesure et avec prudence de pareils crédits, et je pense que c'est en général ce qui a été fait.

M. Dedecker, rapporteur. - Messieurs, la section centrale aurait pu, de son côté, se livrer à tous les calculs qu’on vient de présenter ; elle ne l’a pas fait dans des intentions que vous apprécierez. Portant ses vues plus haut que sur de simples récriminations de personnes, elle s’est trouvée en présence d’un abus qu’elle s’est cru dans l’obligation de signaler à la chambre et au pays.

Il est vrai, messieurs, que, d’après les explications et les reproches que viennent de se renvoyer devant vous des représentants des administrations passées, il semblerait que, tout en avouant l’existence de l’abus, les coupables soient introuvables. Pour mon compte, je crois que, de part et d’autre, ces protestations de parfaite innocence ne sont pas fondées. Mais, je le répète, la section centrale ne s’est pas préoccupée de ces questions de personnes.

Il y a au fond de ces débats une question de principe qu’il est temps de voir résoudre par la chambre, en attendant une loi complète sur la comptabilité.

Ce principe, c’est le principe restrictif de tout budget, principe déposé dans l’article 115 de la constitution qui défend à toute administration de sortir du cercle des sommes qui lui sont annuellement allouées.

Je ne pense pas qu'aucun des membres qui ont pris la parole avant moi puisse songer à contester l'illégalité de ces engagements par anticipation que la section centrale vous a signalée.

Ce système n'a trouvé aucun défenseur sur les bancs de cette chambre. Mais l'on est revenu à l'objection qui a déjà été faite à diverses reprises, objection tirée de la pratique.

On a cru justifier cette manière de procéder en disant que toutes les administrations qui se sont succédé ont toujours agi de la sorte. C'est là une logique qui, je pense, n'exercera aucune influence sur la chambre. Il importe que la chambre détruise cette théorie qui n'a pour elle que l'habitude, pour en revenir à l’application rigoureuse des principes de la constitution.

Et sous ce rapport, il me semble qu'on ne fait pas assez de cas de ces principes, en ce sens que tout en prouvant que le système qu'on a suivi est le résultat d'une nécessité administrative, on passe trop légèrement condamnation sur ces principes.

Tel n'est pas l'avis de la section centrale, Il me paraît même qu'en tenant compte, à certains égards, de cette nécessité administrative, il faudrait commencer par rendre hommage aux principes, et rechercher ensuite s'il n'y aurait pas moyen d'obvier à l'inconvénient que présente l'application de ces principes.

La section centrale avait cru trouver ce moyen. D'abord, comme l'a dit l'honorable M. Cogels, elle avait discuté la question de savoir s'il y avait possibilité d'indiquer une limite. Si cette possibilité avait existé, la section centrale avoue volontiers qu'elle aurait voulu laisser une certaine latitude au gouvernement, relativement aux dépenses des beaux-arts. Mais la section centrale s'est arrêtée dans l'examen de cette question, par la difficulté que présente la fixation d'une limite.

M. le ministre de l'intérieur vous propose de la fixer au tiers de l'allocation annuelle.

Messieurs, en admettant cette théorie, qu'arriverait-il dans la pratique ? C'est qu'à moins de vouloir faire au ministre qui appliquerait le premier ce système une position exceptionnelle, il faudrait que le ministre qui viendrait après celui-ci, eût, de son côté, la même latitude, c'est à dire, qu'il pût engager un nouveau tiers de l'allocation de l'exercice suivant. De cette manière, au bout de quelques années, l'on se trouverait de nouveau dans l'obligation de demander un crédit supplémentaire.

Messieurs, ce que la section centrale a voulu surtout prévenir, c’est que ces engagements anticipatifs se fassent en quelque sorte à l'insu de la législature.

Je conçois que la nécessité de diviser certaines dépenses sur plusieurs exercices se présentant, un ministre juge convenable d'en agir ainsi pour la régularité de la marche administrative, Mais pourquoi alors ne pas laisser la chambre elle-même juge de cette nécessite de diviser l'allocation ? On dira peut-être que, dans ce cas, la chambre s'immiscerait dans l’administration. Je ne le pense pas. Il me semble, au contraire, que le gouvernement, en agissant comme il l'a fait, jusqu'à présent, empiète sur la juridiction de la chambre, puisqu'il se forge à lui-même un budget supplémentaire en-dehors du budget officiel voté par la législature.

J'arrive maintenant à la proposition faite par la section centrale de détacher les 20,000 fr. demandés pour les statues de Grétry et de Rubens, du crédit de 60,600 fr. demandé par M. le ministre de l'intérieur.

Je conviens que l'adoption de cette proposition rendrait la position du ministre difficile ; mais la section centrale, tout en regrettant de lier ainsi les mains au ministre, doit avant tout se préoccuper des intérêts du trésor et du pays. Il y a ici une dépense extraordinaire à couvrir ; il se présente un moyen tout naturel de diminuer cette dépense de 20,000 francs ; la section centrale a cru que cela pouvait et devait se faire.

Mais, dit le ministre, il ne me restera plus disponibles que 30,00 francs des 50,000 fr. alloués.

Messieurs, la section centrale ne voit pas que l'érection des statues aux grands hommes doive se faire dans une même année ; il n'est pas à croire que la législature n'alloue plus à l’avenir de crédit pour cette dépense.

La section centrale pense donc que M. le ministre pourrait, avec un peu de bonne volonté, se borner à disposer de 30,000 fr. sur l'exercice courant, et ajourner à des exercices subséquents des subsides pour l'érection d'autres statues.

Je dirai en terminant que je pense être l'organe de la section centrale, en restant fidèle aux principes qu'elle a émis dans son rapport, et sur lesquels elle a appelé de nouveau toute l'attention de la législature.

(Moniteur belge n°, du février 1842) M. de Theux. - Messieurs, les difficultés qui se sont présentées dans cette séance, sont nées de la demande d'un crédit supplémentaire. J'ai dit que je ne m'étais jamais placé dans la nécessité de pétitionner un crédit supplémentaire. J'ai suivi la marche que j'ai trouvée établie quand je suis revenu aux affaires en 1834 ; cette marche, je l'ai continuée pendant près de six ans, sans m'être jamais mis dans la nécessité de demander aux chambres un crédit supplémentaire. C'est en continuant le système que j'ai trouvé établi, c'est-à-dire en faisant des souscriptions pour des sommes modérées, et en ayans soin, en même temps, pour les dépenses variables, de ne pas excéder le crédit total, que j'ai pu me dispenser de recourir de nouveau à le législature.

Quant au principe posé par la section centrale, principe qui a été articulé pour la première fois à l'occasion du budget de 1842, et de la demande actuelle de crédit supplémentaire, je conviens qu'il concerne mon administration aussi bien que celle de mes prédécesseurs et de mes successeurs ; mais si ce principe s'applique à toutes les administrations, c'est parce que c'est la première fois qu'il est posé de cette manière dans cette enceinte ; mais ce qui a amené la proclamation de ce principe, c'est précisément la demande de crédit supplémentaire que nous discutons ; car, ainsi qu'on vous l'a dit, la marche suivie pour les beaux-arts a été suivie pour beaucoup d'autres dépenses de l'Etat ; il est une infinité de dépenses pour lesquelles le gouvernement s'engage pendant un exercice, et qui ne peuvent être complétées que sur les exercices suivants.

C'est une chose qui est notoire et facile à vérifier, en parcourant les différents budgets.

Je désire aussi bien que le rapporteur de la section centrale, qu'on puisse imputer toutes les dépenses sur le budget de l'exercice courant ; mais il est certaines circonstances où celle règle si absolue sera difficile à appliquer.

(Moniteur belge n°33, du 2 février 1842) M. Coghen. - Messieurs, j'ai demandé la parole uniquement pour justifier la conduite des ministres qui sont successivement passés au pouvoir, parce que pour l'administration des beaux-arts, il est impossible d'en agir autrement qu'ils ne l’ont fait ; peut-être que quant à la légalité des engagements pris sur les budgets à voter, on pourrait la contester ; mais je ne crois pas que ce rigorisme soit applicable ici, surtout pour des sommes aussi limitées et qu'on peut abandonner à la prudence de messieurs les ministres l’usage des anticipations, qui sont inévitables, et d’abord il me paraît impossible qu’en Belgique, berceau des beaux-arts, qui ont jeté sur elle tant d’illustration, il me paraît impossible, dis-je, qu’il ne figure pas tous les ans, au budget de l’instruction, une somme pour encouragements. Or, si les ministres ont successivement disposés sur les budgets futurs, je crois qu’ils ont été forcés de le faire. Je citerai un exemple pour le prouver, celui d’un monument qu’on élève à un bienfaiteur de l’humanité, l’honorable chanoine Triest. Si on avait dû rester dans les limites de la somme de 60,000 francs qu’on alloue tous les ans pour encouragement aux beaux-arts, on n’aurait certes pas pu élever ce monument, qui coûte 75 mille francs. Mais en répartissant ces dépenses sur six exercices, il a été possible de doter le pays d’un beau monument de plus, et d’ériger un témoignage durable de reconnaissance pour un homme qui a fait tant de bien à la classe malheureuse.

La position qu’a offerte à M. le ministre l’honorable député d’Anvers, serait plus régulière, en ce sens qu’en liquidant tout le passé, il aurait à sa disposition pour l’année courante tout le crédit de 60,000 francs, tandis qu’il vient de vous dire qu’il n’aura que 19,000 francs disponibles pour l’exercice de 1842.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Moins 12,000 francs de subsides.

M. Coghen. – Il n’aura donc que 7,000 francs à sa disposition pour suffire à tous les encouragements de l’exercice de 1842, année où il y aura une exposition nationale de tableaux, sculpture et autres produits des beaux-arts à Bruxelles. Je demande si cette position est tenable. Je ne sais comment M. le ministre pourra se tirer de là, sinon en anticipant comme ont dû le faire ses prédécesseurs, sur l’exercice de 1843.

Puisque j’ai la parole, je ferai une remarque concernant un des articles de l’annexe C. Je trouve dans ce libellé une somme de sept mille francs, destinée à M. Debiefve pour compléter le prix de douze mille qu'on lui accorde pour son beau tableau, le Compromis des Nobles. Peut-être est-ce nous occuper d'administration et ne nous est-il pas permis de nous immiscer dans ces détails ?

Toutefois, je dirai que je considère le prix de 12 mille francs pour cet admirable tableau, qui fait le plus grand honneur à l'artiste, comme insuffisant, et je regarderais comme une brillante acquisition , si je pouvais obtenir un objet d'art de ce mérite pour cette somme. Je dirai plus, je dirai que ce tableau où se trouvent 60 ou 70 figures pour lesquelles on est obligé de payer à Paris pour les modèles seulement, 5, 6 et 7 francs par séance, indépendamment de toutes les autres dépenses qu'on est obligé de faire ; je dirai que ce tableau doit avoir coûté plus qu'on se propose de le payer, et si l’artiste ne reçoit que 12,000 fr. c’est certainement quelques mille francs qu’il perdra, indépendamment de son temps et du prix dû à son talent qui restera par conséquent sans récompense, Ce tableau mérite d'être récompensé. Il fait honneur à l'artiste et l’artiste honore son pays par son talent. Je propose de majorer la somme de 60 mille francs et de la porter à 63 mille, afin qu’il puisse recevoir au moins les frais qu’il a faits pour produire une aussi belle page.

M. Desmet. – Messieurs, la section centrale, dont j’étais membre, n’a pas voulu incriminer l’un ou l’autre ministre ; elle savait bien que tous les ministres ont concouru à consacrer cet abus d’anticiper sur les crédits futurs ; mais ce qui a surtout ouvert les yeux aux membres de votre section centrale, c’est que, sur l’exercice de 1841, on avait outrepassé un crédit, celui pour les beaux-arts, du double. Des 60 mille fr. alloués, on avait dépensé plus de 120 mille. Je pense que la section centrale a bien fait de vous signaler à quel degré l’abus des anticipations sur les crédits a eu lieu, et que vous partagerez son désir d’arrêter cet abus.

Quand les ministres disent qu’il y a beaucoup de difficulté et même impossibilité de rester scrupuleusement dans les limites du budget annuel, que l’administration même en serait extrêmement gênée, je ne puis certainement partager leur opinion.

D’abord pour la marche ordinaire des dépenses, qui consiste à appliquer les fonds que ces différents crédits offrent annuellement, certainement il n’y a aucune difficulté qui se présente ; on fait comme un bon père de famille, on dépense ce qu’on a et on ne va pas au-delà.

Mais quand on doit faire des marchés ou contracter des engagements qui lient le trésor pour plusieurs années, alors il me semble qu’on ne pourrait le faire que par une loi spéciale ou au moins pour autant qu’on en ait informé la chambre, qui alors voterait en connaissance de cause, tandis que jusqu’à présent elle n’a pas toujours su comment les fonds seraient appliqués par les crédits alloués.

En pour ce qui concerne les dépenses à faire dans des cas fortuits et quand il y a urgence de les faire, alors comme il y a nécessité, on les fera hors du budget, et le ministre qui se trouvera dans ce cas demandera un bill d’indemnité.

Messieurs, je crois qu’il sera même dans l’intérêt du ministre que la chambre consacre en principe cette mesure d’administration ; ce sera un moyen pour eux d’arrêter les instances insupportables dont très souvent ils sont obérés par les artistes, et on ne verra plus revenir ces abus de dépenses qui ont été faites contre l’attente de la législature ; comme nous en avons eu un exemple frappant dans l’érection du monument de la place des Martyrs.

Quand il a été primitivement question d’élever ce monument, on disait alors que la première somme demandée aurait suffi pour terminer entièrement ce monument, et jusqu’à ce jour on demande encore tous les ans des crédits pour couvrir les dépenses qu’il a entraînées que n’a déjà coûté ce monument ! La somme des trente-trois mille francs dont l’honorable comte de Mérode a fait don pour l’érection de ce monument était la première mise, celle des souscriptions particulières, et ensuite les 3 à 400,000 francs que vous avez alloués pendant plusieurs années, et encore cette année la somme de 42,000 francs qu’on vous a demandée pour couvrir les dépenses de quatre petites figures.

M. Angillis. – Messieurs, je crois qu’il est temps d’en finir avec cette discussion. Je viens faire un acte de conciliation. Je dois dire avant tout que je partage les observations pleines de justesse de M. Dedecker, rapporteur de la section centrale. M. Dedecker appelle de tous ses vœux une loi sur la comptabilité nationale qui doit mettre un terme à tous les abus. Que M. le ministre promette que ces vœux seront remplis dans le cours de cette session. Si M. le ministre des finances n’exécute pas sa promesse, je suis prêt à soumettre à la sanction de la chambre un projet de loi sur cette matière. Il y a des abus et des abus qui datent depuis longtemps. Il faut y mettre un terme.

Je n’accuse ni les ministres ni les ministres passés, mais je viendrai, avec tous ceux qui prennent à cœur les intérêts de la nation, faire en sorte que ces abus ne se renouvellent pas. Je propose donc d’accorder, pour en finir, la somme qui est nécessaire pour liquider toute cette affaire. Je pense que le ministre demande à présent une somme de 114 mille francs, y compris les 20,000 francs pour les statues de Rubens et de Grétry, pour lesquelles on pourrait faire un simple transfert à l’exercice courant. Je propose d’allouer, si mes calculs sont exacts, la somme de 94,000 francs à M. le ministre, avec déclaration expresse des limites de son budget. Avec la loi de comptabilité nationale qui sera présentée dans cette session, soit par le gouvernement, soit par moi, les abus de cette espèce seront impossibles. Voilà la proposition que j’ai l’honneur de faire. Je prie la chambre de l’adopter et de mettre ainsi un terme à la discussion qui nous occupe.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant voudrait liquider complètement l’arriéré à la condition que le ministre laissât intacts les crédits probables des années suivantes. L’arriéré actuel, je dois le répéter, en comprenant les 20,000 fr. des statues de Rubens et de Grétry, s’élève à 114,580 fr., et en retranchant ces 20,000 fr. 94,580 fr. Mais là-dessus il y a 12,500 fr. qui ne seront dus que l’année prochaine ; c’est le dernier sixième du monument de chanoine Triest. C’est donc 82,080 fr. que j’aurai dû demander pour que la somme que vous avez allouée pour l’exercice de 1842 fût libre entre mes mains. Et même, dans ce cas, on doit imputer les 20,000 fr. des deux statues sur l’allocation de 50,000 fr. La somme de 60,000 fr. se trouverait alors en effet disponible entre mes mains pour 1842.

Je dis qu’il n’y a pas de milieu, et qu’il faut ou dégrever l’année courante, ou adopter la proposition que j’ai faite et l’adopter d’une manière indivisible. Vous ne pouvez admettre que l’allocation ordinaire de 60,000 francs soit grevée de plus de 40,000 francs et reporter du passé 20,000 francs, sur l’allocation nouvelle de 50,000. Maintenant voyez comme tout ceci est arbitraire ; on trouve que les 20,000 francs pour 2 statues doivent être imputés sur une autre chiffre que l’allocation ordinaire de 60,000 fr. Je demanderai pourquoi le monument du chanoine Triest ne serait pas également imputé sur un autre chiffre que celui de 60,000 fr. ; c’est en effet une statue élevée à un homme très honorable, à un bienfaiteur de l’humanité, si ce n’est un grand honneur. Je dis que les 20,000 fr., alloués par arrêté royal, ou par lettre ministérielle (c’est la même chose à mes yeux) doivent être considérés comme imputés sur le fonds ordinaire ; légalement, il n’y en avait pas d'autre. On devait faire sur ce fonds l'imputation de 20,000 fr, tout aussi bien qu'on a fait celle de 12,500 fr. Cette somme de 12,500 fr. pourrait être, pour l'année courante, imputée sur le fonds de 50,000 fr. pour statues ; alors le ministre trouverait un peu de latitude sur le fonds ordinaire de 60,000 fr.

L'année dernière, j'ai eu à ma libre disposition 6,782 fr. (page 10 de l'exposé des motifs).Cette année, j'ai à ma disposition 7,000 fr., car il faut ajouter aux 41,000 fr, 12,000 fr. de subsides pour secours aux artistes. Pour rendre la position du ministre un peu meilleure, on lui alloue 50,000 fr. Faut-il maintenant imputer sur cette somme les 12,000 fr. du monument du chanoine Triest ? Mais ce sera impossible, si vous réduisez d'autre part l'allocation à 50.000 fr.

J'insiste donc sur la proposition que j'ai faite ; je prie la chambre de rendre justice à la manière dont, depuis 10 mois que je suis au ministère, j'ai administré le fonds des beaux-arts. Je prie la chambre de voir dans quelle position je me suis trouvé et je me trouve encore.

M. Dedecker, rapporteur. - M. le ministre de l'intérieur vient de vous signaler une espèce de contradiction résultant de ce que la section centrale aurait proposé de distraire du crédit supplémentaire 20,000 fr. pour les statues de Rubens et de Grétry, et de ce qu'elle n'en aurait pas également détaché la dépense restant à faire pour l'érection du monument du chanoine Triest. D'abord, les deux sixièmes restant à payer pour l'achèvement de ce monument ne sont pas compris dans le tableau C ; dès lors la section centrale n'a pas eu à s'en occuper, puisque c'est pour les seules dépenses comprises dans ce tableau qu'il est demandé un crédit. Ensuite les sommes encore nécessaires pour ce même monument ne constituent pas une dépense nouvelle. Les quatre premiers sixièmes, déjà payés, ayant été imputés sur le chiffre général des encouragements aux beaux-arts, la section centrale a cru que, pour la régularité de la comptabilité, il valait mieux imputer encore les deux sixièmes restant sur le même chiffre général.

Quant à l'idée émise par l'honorable M. Angillis, je pense qu'elle mérite d'être examinée par la chambre. Je conviens, en effet, que si l'on veut qu'il ne soit plus dérogé aux principes constitutionnels en matière de budgets, il vaut mieux liquider tout l'arriéré, afin de faire une position nette et franche au ministre de l'intérieur. Je n'ai aucune mission de parler ici au nom de la section centrale ; mais personnellement, je serais assez disposé à me rallier à la proposition de l'honorable M. Angillis, moyennant de continuer à défalquer les 20,000 fr. pour les 2 statues de Rubens et de Grétry. Le chiffre du crédit supplémentaire serait donc de 82,080 fr. J'y mets comme condition essentielle la déclaration expresse que désormais aucun ministre ne pourra sortir du crédit alloué.

M. le président. - Il n'a pas été fait de proposition.

M. Angillis. - Je fais la proposition d'allouer au ministre la somme exactement nécessaire pour vider son sac.

M. Eloy de Burdinne. - Si j'ai demandé la parole, c'est dans l'intention de motiver mon vote. Je n'ai nullement l'intention d'attaquer ni les ministres passés, ni les ministres présents ; loin de là je plains beaucoup l'honorable ministre de l'intérieur actuel de se trouver dans la position de n'avoir à dépenser que 7,000 fr. pour subside aux beaux-arts. Si l'honorable ministre de l’intérieur se trouve dans cette triste position, ce n'est pas à la chambre qu'il doit s'en prendre. Il doit en faire le reproche à son prédécesseur, qui a pris des engagements tels qu'il ne lui reste rien. Je conviens qu'il est désagréable, lorsqu'un artiste vient vous demander un subside, d'avoir à lui répondre qu'on n'a pas d'argent. C'est cependant la position où se trouve l'honorable ministre de l'intérieur.

Je conçois qu'on ne puisse pas toujours faire un marché en se renfermant dans la limite des crédits alloués ; mais quand un ministre se trouve là, il est en présence de l'art. 115 de la constitution qu'il a juré comme nous d'observer, il doit demander la somme dont il a besoin avant de faire la dépense. Mais quand on commence par faire la dépense et qu'on se présente ensuite devant les chambres ce n'est pas un crédit supplémentaire, c'est un bill d'indemnité que l'on vient demander. Voilà comment j'entends la constitution et les devoirs des ministres et de la chambre.

Mais, je vous le demande, lorsque vous aurez pris des engagements pour des sommes de 40 à 50,000 fr. hypothéquées sur les votes à venir de la chambre, si la chambre déclare qu'il n'y a plus moyen de faire les dépenses, que ferez-vous, vous ministres, qui vous serez engagés à payer les subsides ? Vous devrez les payer avec votre bourse.

M. Dumortier. - Avec leur traitement.

M. Eloy de Burdinne. - Nous ne payons pas assez les ministres pour qu'ils puissent faire face à ces dépenses avec leur traitement. A l'impossible nul n'est tenu ; mais ils devront y faire face avec leur fortune personnelle.

Je bornerai là mes observations, tout en déclarant que je voterai contre le crédit demandé.

Plusieurs membres. - Aux voix. .

M. Demonceau. - On demande qu'on aille aux voix ; mais sur quoi voterait-on ? Je ne sais plus m'y reconnaître ; les uns disent qu'il faut allouer le crédit ; les autres demandent davantage.

M. Eloy de Burdinne. - Moi, je dis qu’il ne faut rien.

M. Demonceau. - L'honorable membre qui m’interrompt dit qu'il ne faut rien.

Il y aurait un moyen de sortir de ce dédale. Si l’on voulait proposer des amendements, lorsque nous serons aux articles, et faire des calculs exacts.

Quant à présent, dans la discussion générale, admet-on en principe qu'il ne faut plus excéder les limites du budget ; quant à moi, si l'on admet ce principe, je voterai toutes les ressources nécessaires ; permettez-moi cependant une observation : si pendant 4 ans on a pu donner 12,500 francs à valoir sur les 75,000 francs, prix du monument du chanoine Triest, pourquoi distraire cette somme, maintenant qu'il y a un crédit spécial ? Si cette somme disparaissait du chiffre de 60,000 francs l'allocation pour l'exercice courant serait supérieure à celle votée pour l'exercice 1841 , et sur ce point j'appelle l'attention de la chambre.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, comme je ne compte pas rejeter la proposition d'une allocation supplémentaire faite par le département de l'intérieur pour couvrir des dépenses non votées par la législature au chapitre du budget des beaux-arts, je prends la parole, afin que mon vote affirmatif ne soit pas interprété comme une approbation des dépenses que cette allocation tend à couvrir.

On nous a dit dans une séance précédente que c'était une nécessité pour le gouvernement de répartir en plusieurs exercices des dépenses qui, faites en une fois, absorberaient le chiffre alloue tout entier, je répondrai, avec la section centrale, que dans ce cas il vaudrait bien la peine qu'on fît de dépenses aussi importantes l'objet d'une loi ou d'articles spéciaux au budget. Des commandes aussi considérables mériteraient bien qu'on en agit ainsi à leur égard ; cette façon d'agir mettrait le ministre plus à l'aise, et préviendrait des engagements, que j'envisage tout à fait comme illégaux.

Mais il est à observer qu'une grande partie de l'emploi de ces fonds, employés sans autorisation, concerne des articles qui certes ne sont pas assez importants pour comprendre plusieurs exercices ; et quant à ceux-ci, je ne conçois aucune excuse possible. Plusieurs articles concernent la publication d'ouvrages littéraires ; et à ce propos, je me permettrai de demander à M. le ministre si les ouvrages, pour lesquels on a accordé des encouragements, sont publiés ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il en est qui ne sont pas encore publiés ; je suppose qu'ils le seront, que les auteurs tiendront leurs engagements.

M. de Man d’Attenrode. - M. le ministre répond que ces ouvrages ne sont pas publiés ou au moins pas tous publiés. Je me permettrai d'observer que l'empressement qu'on a mis à encourager, il y a près d'un an, des ouvrages non encore publiés, me semble inexplicable ; cela me semble d'autant plus inexplicable qu'on n'a pas fait difficulté d'employer des fonds non alloués par la législature, Quant à moi, je pense qu'il n'y a lieu d'accorder des subsides que pour des publications et non pour des ouvrages qui ne verront peut-être jamais le jour ou tout au plus pour aider la publication d'ouvrages assez avancés pour être livrés immédiatement à la publicité.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Très souvent on alloue des subsides à un auteur dont l'ouvrage n'est pas encore complètement achevé. On lui paie une partie de ce subside, parce qu'il a des livres à acheter, des voyages à faire ; il a en un mot des dépenses à supporter, que la situation sociale ne lui permet pas de supporter ; et dans ce cas un ministre doit allouer en avance une partie du subside. Il n'est d'ailleurs nullement dit dans le budget qu'on ne doit allouer de subside que pour des ouvrages déjà publiés.

M. Angillis. - J'ai l'honneur de proposer que la chambre accorde à M. le ministre de l'intérieur une somme de 82,080 fr., à la condition, cependant qu'à l'avenir la chambre n'allouera plus aucune dépense en dehors des limites du budget.

M. Devaux. - Messieurs, je regrette beaucoup qu'une discussion de principe se soit élevée à l'occasion de ce projet, sur lequel le rapport n'a été fait qu'hier. Je dois même dire que je n'ai pas eu le tempe de lire ce rapport, qui contient à ce qu'il paraît, l'exposé du principe. Je crois qu'il ne faut pas improviser de cette manière des principes de comptabilité tout nouveaux. Certes, quand on veut établir des principes de comptabilité, la chose est assez importante pour qu'on ait le temps d'y réfléchir. Quant à moi, je voudrais, et c'est tout ce que la chambre a à faire dans ce moment, qu'elle se prononçât sur le projet qui lui est soumis sans adopter le principe posé par la section centrale, sur lequel nous n’avons pas eu le temps de réfléchir, et sans adopter non plus un autre principe qui consisterait à permettre au ministre d'engager telle ou telle partie du crédit qui lui sera accordé pour l'exercice suivant.

Et en effet par le peu que je puis en savoir par la discussion qu vient d'avoir lieu, je ne vois pas encore qu'il y ait un principe engagé. Car on a parlé de la constitution. Mais il ne s'agit pas d'enfreindre le principe établi par la constitution ; tout le monde sait que les dépenses ne sont votées que pour un an, qu'un ministre ne peut engager le vote de la chambre.

La chambre n'est pas rigoureusement liée. Mais à côté de cela il y a les besoins de l'administration. Il y a dans certains cas, comme pour les routes, pour les forteresses, des espèces d'engagements moraux qui ne sont pas rigoureux pour la chambre, mais qu'elle respecte, lorsqu'elle trouve qu'il n'y a pas eu abus de la part du ministre.

Ainsi, je crois que nous ne devons poser ni l'un ni l'autre principe. Il y a simplement ici des faits administratifs qui doivent être jugés. Si vous veniez aujourd'hui vider l'arriéré, comme on le dit, ne se pourrait-il pas que les nécessités administratives qui se sont manifestées ne se représentassent, malgré tout ce que vous ferez ? Ainsi un ministre veut commander un monument ; il trouve ce monument nécessaire, utile dans l'intérêt de l'art, dans d'autres intérêts, et il le commande. Mais vous avez décidé qu'il ne pouvait engager les budgets futurs. Eh bien, il mettra à son engagement : sauf l'allocation de la chambre. Mais cela est toujours sous-entendu ; l'engagement que prend un ministre dans des cas semblables, n'est qu'un engagement moral.

Ainsi vous aurez vidé l'arriéré, vous aurez donné plus d'argent qu'on ne vous en demandait, et vous rencontrerez toujours les mêmes inconvénients. Je demande donc qu'on n'approfondisse pas davantage aujourd'hui la question ; je trouve qu'elle mérite bien qu'on y réfléchisse. Ce que la chambre a à apprécier, c'est la manière dont on a engagé les fonds que l'on demande, J'avoue que comme membre de la chambre, il m'est fort indifférent que les statues de Grétry et de Rubens aient été commandées par M. de Theux, par M. Rogier ou par M. Nothomb ; ce que la chambre doit examiner, c'est s'il y avait lieu d'intervenir pour 10,000 francs dans l'érection de chacune de ces statues.

Maintenant que M. le ministre dise : Je ne veux pas payer pour ces grands hommes, je ne veux payer que pour les grands hommes à moi (hilarité), ce sont la des disputes entre ministres et dont la chambre n'a pas à s'occuper. La chambre n'a qu'à porter un jugement moral et non à poser un principe absolu.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ferai remarquer que la proposition de M. Angillis se rattache à l'art. 2. Cette proposition ne domine pas tout le projet ; il faudrait d'abord voter l'art. 1er où il s'agit d'une allocation qui n'est pas contestée, celle pour les jurys d'examen.

M. Rogier. - Je demanderai d'abord à M. le ministre de l'intérieur s'il adopte l'amendement de l'honorable M. Angillis.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je répondrai lorsque nous viendrons à l'art. 2.

M. Rogier. - Eh bien, il me semble que la discussion est tout aussi opportune à l'art. 1er qu’à l'art. 2 ou à l'art. 3, car les faits qu'on a signalés ne sont pas spéciaux aux beaux-arts ; la nécessité d'anticiper sur les exercices peut se présenter pour d'autres objets que les objets d'art. Cela est tellement vrai, qu'on vient vous demander des crédits supplémentaires pour les frais de jury d'examen, pour l'agriculture, pour une maison achetée à Anvers, pour encouragement au commerce et à l'industrie. Voilà toutes dépenses faites en dehors du budget et pour lesquelles, si tant est que le principe qu'on met en avant soit si merveilleux, il faudrait l'appliquer.

Ainsi la restriction proposée par l'honorable M. Angillis, SI elle est utile, si elle est praticable, doit être appliquée à tous les articles du budget, et pas seulement à l'arriéré des beaux-arts. Il me semble donc que la discussion de principe vient tout aussi à propos à l'art. 1er qu'à tout autre article.

Maintenant si je puis dire en peu de mots mon avis sur ce principe qui dénote, je ne le nie pas, de bonnes intentions, il me semble qu'il est tout à fait inexécutable pour le ministre. Qu'on accorde 60 ou 100 mille francs, qu'on liquide tout l'arriéré, quant à moi je suis prêt à me rallier au chiffre le plus élevé, à donner à M. le ministre au-delà de ce qu'il a demandé lui-même. Mais quant au principe, quant à ce lien qu'on voudrait imposer non seulement à l'administration d'aujourd'hui, mais à toutes les administrations à venir, ce système n'est pas exécutable.

Messieurs, quand une chambre pose des conditions à un ministre, elle doit vouloir que ces conditions soient exécutées ; elle ne peut faire que des actes sérieux. Or, une telle condition ne serait pas une chose sérieuse ; une telle condition n'est pas susceptible d'être rigoureusement exécutée. L'exemple du passé vous dit ce qu'on fera dans l'avenir. Je crois que M. le ministre de l'intérieur lui-même reconnaîtra qu'il s'engagerait beaucoup trop loin s'il se renfermait dans un cercle aussi étroit. Je crois qu'il ne se passerait pas trois mois avant qu'il s'aperçut qu'il a fait un mauvais marché en acceptant une somme plus forte pour liquider l'arriéré, mais en liant son avenir à celui de ses successeurs.

Quoi qu'il en soit, je persiste à croire que cette restriction n'est pas seulement applicable à l'article de l'administration des beaux-arts, mais qu'elle devrait être posée en principe général à la tête de tous nos budgets, sinon vous verrez des principes tout différents appliqués dans les diverses administrations. Vous accorderez à un ministre des facultés que vous refuserez à d’autres. Il y aura une espèce d'anarchie administrative substituée à un état de choses qui n’est pas parfait, je le reconnais, mais qui n’a pas donné lieu à des abus tels qu’il faille établir une règle aussi sévère.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il me paraît que l'honorable membre est tenté de croire que je me laisserai séduire par l’offre brillante de l’honorable M. Angillis ; il peut être sans inquiétude à cet égard. Mon intention n’était pas d’éluder la question que cette offre présente.

J’ai dit qu’on pouvait commencer par voter l’art. 1er. En effet, dans cet article il s’agit d’une allocation rendue nécessaire par les faits entièrement indépendants dans la volonté du ministre, les frais des jurys d’examen. (Interruption.)

J’entends dire qu’il fallait ajourner les jurys ; mais je ne regarde pas cette observation comme sérieuse.

Dans l’article 3 il s’agit encore de faits indépendants de la volonté du ministre, les ravages de l’épizootie. (Hilarité.)

Ainsi on n’avait aucune reproche à me faire. On ne pouvait croire que je voulais éluder la réponse aux observations de l’honorable M. Devaux. Mais ces observations ne se rapportent pas aux articles 1, 3 et 4 ; c’est aux articles 2 et 5 qui se rattache la discussion qu’on a soulevée.

Je crois donc que, pour avancer la discussion, on ferait bien de voter l’art. 1er, et je prendrai immédiatement après la parole.

M. Dubus (aîné). - Je voulais faire l’observation que c’est à tort que l’honorable député d’Anvers a comparé le supplément de crédit réclamé à l’art. 1er, aux autres demandes comprises dans le même projet de loi.

En effet, il s’agit ici d’une dépense de toute autre nature que celles qui ont donné lieu aux discussions qui ont occupé la chambre pendant assez longtemps.

Quant à cette discussion, on a dit qu’on avait voulu introduire dans la chambre un principe de comptabilité tout nouveau. Pour moi, ce que je trouve de nouveau, c’est cette assertion, que le principe que soutient la section centrale serait un principe de comptabilité nouveau. Il me paraît que, depuis notre révolution, nous n’avons pas eu, constitutionnellement et légalement, d’autre principe de comptabilité que celui-là. C’est parce qu’on a violé la loi qu’on s’est trouvé en dehors de ce principe de comptabilité ; c’est parce qu’on a violé à la fois la loi et la constitution. C’est là une chose que vous ne devez pas perdre de vue.

Vous ne devez pas perdre de vue non plus que toute la portée des observations qu’on a faite en sens contraire a été d’annuler l’intervention de la chambre dans le vote des dépenses, de la réduire à une simple formalité qui serait postérieure à la dépense. Voilà où on veut en venir avec ce beau système de comptabilité qu’on présente comme ancien, mais qui est tout à fait nouveau et extralégal.

En effet, vous aurez voté une somme croyant qu’on dépenserait uniquement cette somme pour encouragement aux beaux-arts. Eh bien ! on profiterait de ce crédit pour engager une même somme pendant dix ans. Vous n’auriez plus qu’à voter en aveugle un subside déjà dépensé.

Il est évident que l’intervention de la chambre se trouve réduite à rien, se trouve absolument annulée par un pareil système.

Mais, dira-t-on, il est souvent nécessaire qu’une dépense soit ainsi répartie sur plusieurs chemins : il faut donc que le ministre puisse entrer dans une semblable voie lorsqu’il y a nécessité de le faire. Eh, messieurs, lorsque le ministre reconnaîtra cette nécessité qu’il en donne connaissance à la chambre, afin qu’elle donne son assentiment à la dépense qu’il s’agirait de répartir ainsi sur plusieurs années et dont la nécessité serait démontrée. C’est là, messieurs, ce qui a été fait l’an dernier lorsqu’il a été question d’établir une navigation transatlantique ; alors on ne nous a demandé que 400,000 francs, mais on nous a dit que la dépense devrait être répétée pendant un nombre d’années déterminé. La chambre vota alors ces 400,000 francs en connaissance de cause et elle donna ainsi son assentiment à la mesure même. Mais si un ministre venait nous demander purement et simplement une somme de 400,000 francs pour une navigation transatlantique et s’il engageait ensuite plusieurs millions pour cet objet, évidemment ce ministre violerait la constitution et manquerait à ses devoirs envers la chambre.

Je ne comprends pas, messieurs, une comptabilité constitutionnelle autre que celle qui repose sur les principes que je viens d’indiquer ; vous ne pourriez pas même faire une loi qui fût basée sur de principes différents, car une semblable loi serait inconstitutionnelle.

M. Angillis. - L'honorable membre m'oblige à donner de nouvelles explications. En faisant ma proposition j'ai eu pour but de faire cesser toute discussion ; c'est pour cela que j'avais demandé à M. le ministre lui-même quelle était la somme nécessaire pour liquider l'arriéré. M. le ministre a donné des explications dont il résultait qu'une somme de 82 mille et quelques cents francs était suffisante. Quand j'ai proposé de n'allouer le crédit que sous la condition que j'ai indiquée, j'ai non seulement suivi un principe de comptabilité constitutionnelle, mais j'ose dire que j'ai suivi un principe admis par la grande majorité de la chambre. Je sais bien que ce principe admet quelquefois des exceptions, mais lorsque des besoins extraordinaires se présentent dans l'intervalle des sessions, il est du devoir du ministre de se présenter aux chambres aussitôt qu'elles sont réunies pour leur faire connaître ces besoins. Je crois que les chambres ne refuseront jamais d'accorder des crédits qui seront nécessaires.

L'honorable M. Rogier a dit que ma proposition est inadmissible, que ce système serait inexécutable. Mais, messieurs, je ne veux pas lier les ministre d’une manière absolue ; je veux une chose et la chambre la voudra sans doute avec moi ; c’est qu’on ne puise pas parvenir, au moyen de crédits supplémentaires, à doubler les dépenses portées au budget. Il faut que la chambre connaisse au moins d’avance les dépenses que les ministres comptent faire en dehors du budget.

Après cela, messieurs, la chambre adoptera ou rejettera ma proposition, comme elle le jugera convenable. Quant à moi, j'ai fait cette proposition dans un esprit de conciliation, je l'ai faite dans l'intérêt de la chambre et du pays, je l'ai faite en acquit de mon devoir.

Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

M. le président. - La proposition de M. Angillis sera imprimée.

La séance est levée à 4 heures et demie.