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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 21 avril 1842

(Moniteur belge n°112, du 22 avril 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn procède à l'appel nominal à midi un quart.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn fait connaître l'analyse des pièces suivantes.

« Le collège des bourgmestre et échevins de Herbeumont (Luxembourg) demande que le chef-lieu du canton de Paliseul soit fixé à Bertrix, et que cette commune en fasse partie. »

« Des habitants de la commune de Boom demandent que l'inscription des cantons de Contich et de Wilryck soit modifiée, et que Boom devienne chef-lieu de canton. »

- Renvoi à la commission cantonale.


« Le sieur de Jonghe, né en Hollande, demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.

Projet de loi qui décrète la construction d'un canal de Zelzaete à la mer du Nord, pour l'écoulement des eaux des Flandres

Discussion générale

M. Maertens. - Messieurs, il y a six ans la chambre à une grande majorité, par 48 voix contre 17, décréta la construction du canal de Zelzaete exclusivement aux frais du trésor public. La chambre alors posa un grand acte de justice et de dignité nationale : Elle avait encore présent à la mémoire l'abandon que l'on avait fait de cette partie de la Flandre zélandaise qui était d'une si grande importance pour nous, et elle s'empressa de- porter un léger soulagement à cette perte en remplaçant le débouché que nos eaux avaient perdu de ce côté par une nouvelle voie d'écoulement direct vers la mer, qui devait nous rendre entièrement indépendants de la Hollande. Elle était touchée alors du sort de cette masse de victimes qui depuis six ans avaient tant souffert des inondations auxquelles leurs terres avaient été constamment en butte. Alors on n'entendait qu'une voix dans cette enceinte pour soutenir qu'il était de toute équité de rendre à ces malheureux ce que les événements politiques leur avaient fait perdre. Cette pensée était aussi celle qui avait guidé le gouvernement lorsqu'il demanda des fonds à la législature pour opérer cette construction, qu'il regardait, lui, comme formant avec le chemin de fer le complément de notre indépendance, et que les ingénieurs en chef des deux Flandres, dans leur rapport du 3 septembre 1837 qualifient de monument destiné à éterniser le règne du monarque sous lequel il sera exécuté. Le ministère d'alors était si profondément convaincu que la dépense du canal devait être payée en entier par le trésor, que sur un amendement introduit au sénat, et tendant à en mettre une partie à la charge des particuliers, il n'hésita pas un seul instant à retirer la loi. Depuis cette époque six autres années sont écoulées, les inondations renouvelées sans cesse, elles se sont étendues jusqu'au delà de Tournay, les désastres ont toujours été croissants, et les pertes ont été énormes surtout dans les .Flandres, qui, par leur position, forment un bassin dans lequel viennent se jeter toutes les eaux des terres supérieures, voire même d'une partie du nord de la France.

Et aujourd’hui, après ces nouvelles souffrances prolongées pendant 12 aunées, qui est celui qui pourrait raisonnablement combattre une proposition faite par le gouvernement, d'après laquelle le canal ne sera plus construit aux frais du trésor seul mais d'après laquelle 1° les propriétaires des deux Flandres contribueront dans l'exécution pour le quart de la dépense, c'est-à-dire pour un million ; d'après laquelle, 2° l'administration et l'entretien du canal seront à charge des mêmes provinces, charges très fortes puisqu'il s'agit d'un canal à grande section, et d'après laquelle enfin, 3° ces propriétaires supporteront en totalité les frais d'établissement des ouvrages nécessaires pour conduire leurs eaux au canal ? Frais qui seront aussi très considérables surtout dans la section de Damme à la mer, où la pente actuelle des divers canaux d’évacuation devra être reportée dans un sens opposé.

« Les écluses d'ailleurs, qui les mettront en communication avec le canal principal, devront être construites solidement, puisqu'en cas d'une destruction fortuite de l'écluse à la mer, ils devraient être à même de soutenir toute la hauteur de la marée ; ils exigeront, de l'aveu des ingénieurs, de grands sacrifices de la part des riverains. »

Les frais donc qu'auront à supporter les propriétaires, ne seront ainsi guère moindres que ceux pour lesquels l'Etat contribuera, et ces frais cependant ne leur donneront rien de plus que ce qu'ils avaient avant la révolution, on ne fera que leur rendre ce que les événements politiques leur ont enlevé. Et, messieurs, qu'on ne s'y méprenne point, il ne s'agit pas ici de faire des faveurs ; il ne s'agit pas d'assécher des terres marécageuses, qui n'ont jamais rien produit, ni de conquérir sur la mer ou de maintenir des conquêtes récentes que la mer est sur le point de reprendre, ni de rendre de mauvaises terres fertiles ; rien de tout cela, les terres auxquelles le gouvernement veut donner une nouvelle voie d'écoulement en remplacement de celles qu'elles ont perdues, sont depuis des siècles d'excellentes terres, sur lesquelles la mer ne peut rien et qui toujours ont été estimées à des prix très élevés. Ces terres avaient et ont toujours eu leurs débouchés vers la mer, et tant que la Belgique et la Hollande ont été réunies sous un même sceptre, elles n’ont rien en à craindre pour cet écoulement. Leurs eaux s'écoulaient, en 1830, par le canal de Terneuzen, le Brakman et le Zwyn, et le gouvernement hollandais était en outre à la veille de reprendre les travaux d'achèvement du canal de Breskens, dont le creusement avait été commencé sous Napoléon.

Ces diverses voies étaient plus que suffisantes pour assurer à tout jamais l'écoulement des eaux qui viennent se jeter dans les Flandres. La révolution nous a enlevé tous ces débouchés : il ne nous reste plus qu'une seule écluse sur le Zwyn, celle du Hazegras, tout le reste est au pouvoir de la Hollande et les voies d'écoulement par le Brackman et le Zwyn, ont été complètement anéanties depuis la révolution, d'abord par suite des inondations d'eau de mer pratiquées par la Hollande lors des événements politiques, ensuite par des travaux de barrage exécutés par nous pour garantir notre territoire autant que possible contre ces inondations, travaux qui ont détourné nos eaux de leur cours ordinaire et qui, ne chassant plus par les anciennes écluses, y ont produit un ensablement tel qu'il est désormais impossible de les rendre à l'usage auquel elles avaient été destinées et que, depuis 1831, on a été obligé de sacrifier le plus beau canal de navigation que nous possédons, celui de Bruges à Ostende, pour nous servir de voie d'écoulement, voie qui ne répond que d"une manière fort incomplète à nos besoins, tout en causant des préjudices très notables au commerce et à la navigation et surtout au port d'Ostende, qu'il importe certes à la Belgique de conserver dans le meilleur état possible et pour lequel l'Etat fait annuellement d'assez grandes dépenses.

Ce que je viens de dire en peu de mots et qui se trouve longuement développé dans le dernier travail de M. Vifquain, page 9, 10 et 11, démontre la nécessité de recourir à de nouvelles voies d'écoulement et de construire le canal de Zelzaete ; car, comme on l'a dit fort bien dans la séance d'hier, la Hollande, avec la meilleure volonté du monde, ne pourrait plus rien faire pour nous ; nous jouissons maintenant de tout ce qu'elle pourra jamais nous accorder, et ces voies sont tellement défectueuses, qu'elle-même est obligée d'entreprendre de nouvelles constructions pour procurer un écoulement à ses propres eaux. Et, messieurs, quand l'histoire est là pour prouver que les traités, qui nous garantissaient cet écoulement par la Hollande, ont toujours été insuffisants pour nous le procurer, quand en l783, le monarque qui gouvernait alors en Belgique, a cherché à nous soustraire à cette faveur que nous garantissaient les traités, en y renonçant et en construisant à grands frais sur notre territoire un écoulement direct vers la mer, alors que les voies en possession de la Hollande étaient encore fort bonnes, est-ce que nous, qui, pour la première fois, formons une nation indépendante, est-ce que nous nous laisserions arrêter par un sacrifice de trois millions pour nous soustraire à tout jamais à la dépendance d'un pays voisin, qui sera toujours jaloux de notre bonheur et qui, lorsque les circonstances le permettraient, ne laisserait pas de nous susciter les entraves qu'il nous a suscitées de tout temps ? Non, messieurs, vous ne trouverez pas ce sacrifice trop grand pour obtenir un si grand résultat. Le sacrifice que le projet exige des propriétaires riverains est bien plus pénible, eux auxquels on ne rendra que ce qu'ils ont perdu, et cependant quelque douloureux qu'il soit, nous le voterons par un pur esprit de patriotisme, dans l'intérêt général, pour la gloire et la dignité du pays.

M. Donny. - Messieurs, les orateurs qui se disposent à parler en faveur du projet dont il s'agit, sont si nombreux que je n'aurais pas pris la parole si je n'avais pas entendu avancer un fait complètement inexact, fait qui pourrait peut-être exercer quelque influence sur vos esprits, et qu'il m'appartient comme député d'Ostende de combattre et de rectifier.

L'on vous a dit que l'écoulement par le port d'Ostende, de ces eaux d'inondation qu'il s'agit d'évacuer par le canal de Zelzaete, loin de causer quelque préjudice à ce port, était au contraire un immense avantage en ce qu'il servait à le maintenir dans sa profondeur normale. Jamais je n'ai entendu avancer une erreur aussi manifeste.

Je suis d'accord avec l'honorable auteur de l'assertion, que le concours des eaux intérieures du pays aux chasses qui s'opèrent pour l'approfondissement du port d'Ostende, est utile. Mais contrairement à son opinion, je soutiens que les seules eaux qui peuvent être de quelque utilité pour cette opération, sont celles que le canal d'Ostende tire de l'Escaut et de la Lys ; je soutiens que toutes les autres et notamment celles qui se trouvent sur les terres inondées, loin de donner de la force aux chasses, y sont au contraire un obstacle. Je le dis, mais non content de le dire comme l'honorable membre que je combats, je vais le prouver.

Il y a dans le port d'Ostende, dont j’ai devant moi le plan, deux écluses de chasse. L'une n'a aucune communication avec les eaux intérieures du pays. Celle-là est complètement hors de question. L'autre se trouve à l'extrémité du port. Derrière elle est son bassin, long au moins d'un tiers de lieue, Après ce bassin vient le canal de Bruges qui est alimenté par l'Escaut et la Lys, et qui n'est séparé du bassin de l'écluse de chasse que l'écluse de Slykens, de sorte qu'à partir de la mer on a d'abord le port d'Ostende, ensuite le bassin de l'écluse de chasse dont je viens de parler et enfin le canal de Bruges.

Cette disposition permet de déverser les eaux du canal, c'est-à-dire ceux de l'Escaut et de la Lys, dans le bassin de l’écluse de chasse, et de faire ainsi concourir ces eaux à l'approfondissement du port. Mais il est à remarquer que cette opération n'est pas toujours possible. Pour travailler avec utilité dans les chasses, il faut que le courant qui doit déblayer le port, soit extrêmement violent. Pour obtenir un courant de cette violence, il faut qu'on dispose les eaux de manière qu'il y ait une forte chute, il faut qu'il y ait une grande différence entre le niveau du point de la retenue des eaux et le niveau de la mer à marée basse. Cette différence de niveau doit être plus forte encore quand il s'agit d'établir un courant qui ne peut arriver au port qu'après avoir traversé un bassin de plus d’un tiers de lieue. On ne peut donc faire usage du canal de Bruges pour la chasse, que quand le niveau y est très élevé, ou tout au moins quand il est à sa hauteur moyenne. Or, quand les choses se trouvent dans cette position, quand le canal d'Ostende à Bruges est à une hauteur moyenne, il est complètement impossible que les eaux d'inondation puissent se déverser dans le canal et s'écouler par cette voie à la mer ; et cela par la raison fort simple que le niveau moyen du canal est plus élevé que le niveau des eaux qui inondent les terres. Pour faire évacuer ces eaux par le port d'Ostende, on doit baisser le niveau du canal. Cela est si vrai qu'on voit annoncer à chaque instant dans les journaux des baisses extraordinaires de ce canal, pour faire évacuer les eaux d'inondation. Ces baisses ont deux résultats préjudiciables pour le port. D'abord elles s'opposent à ce qu'on emploie le concours des eaux intérieures pour augmenter l'effet des chasses. En second lieu, elles s'opposent souvent à ce qu'il y ait une chasse quelconque par cette écluse,car pour que les eaux intérieures puissent s'écouler jusqu'à la mer, il faut qu'elles traversent le bassin de l'écluse de chasse ; et elles ne peuvent le traverser sans rendre impossible toute retenue des eaux de la mer dans ce bassin, retenue nécessaire pour opérer les chasses. Quand il y a écoulement des eaux d'inondation, il n'y a pas de chasse possible par cette écluse.

Le tarif qui résulte de cet état de chose, par l'état matériel du port n'est pas le seul dont le commerce d'Ostende, ait à se plaindre ; l'interruption de la navigation du canal, pour faciliter l'écoulement des eaux d'inondation, est un autre sujet fondé de plainte. C'est là un des trois griefs articulés par le commerce d'Ostende, et qui sont, d'une part, l'interruption fréquente de la navigation intérieure par la baisse extraordinaire des eaux du canal ; d'une autre part, la perception au port d'Ostende, d'un droit de pilotage excessif, qui n'est en rapport, ni avec les frais du pilotage, ni avec ce qu'on perçoit partout ailleurs ; en troisième lieu, la perception d'un droit de fanal qui ne se fait qu'au seul port d'Ostende, de sorte que le commerce de cette ville paye l'éclairage maritime pour la Belgique tout entière.

En attendant qu'on puisse réviser le tarif du pilotage, et celui du droit de fanal, époque qui, je l'espère, n'est pas très éloignée, j'appuierai de mon vote la construction du canal de Zelzaete qui, tout en faisant droit aux justes réclamations des localités inondées, doit faire cesser un des griefs dont se plaint le port d'Ostende, en rendant l'usage du canal d'Ostende à la navigation et en permettant de continuer les chasses sans lesquelles la profondeur du port d'Ostende ne peut se maintenir dans son état actuel.

M. Eloy de Burdinne. - Je ne comptais pas prendre la parole dans la discussion du canal de Zelzaete, mais ayant voté contre ce projet lors de la première discussion et jusqu'à présent n'ayant entendu aucun raisonnement qui puisse me faire changer d'opinion, je crois devoir donner le motif qui me force à voter contre la loi qui nous est soumise. En effet, messieurs, je ne vois dans le projet de loi qui nous est soumis qu'un cadeau fait par l'Etat aux propriétaires des terres qui sont submergées dans les Flandres. Je ne vois là messieurs qu'une libéralité en faveur d'une faible partie de la nation et supportée par la grande majorité.

On a fait valoir dans la discussion beaucoup de raisonnements à l'appui de la construction aux frais de l'Etat. Le principal argument qu'on a produit est que cette construction est un acte de patriotisme qui nous mettra par la suite à l'abri du mauvais vouloir de la Hollande pour évacuer nos eaux. Mais d'où provient la submersion des terres qu'il est question de débarrasser des eaux qui les couvrent, c'est l'ensablement survenu dans une rivière, qui autrefois servait à évacuer les eaux des Flandres. Mais si une rivière, telle que la Meuse et la Dendre, venait à s'obstruer, de manière que l'écoulement des eaux intérieures ne pût plus avoir lieu, en supposant que cette rivière ne fût pas navigable, et seulement dans l'intérêt des propriétaires de terre, l'Etat viendrait-il faire la dépense du dévasement ?

Je crois que si le gouvernement adopte en principe que l'Etat doit à ses frais assainir les propriétés dans certaines localités des Flandres, il faut que par la suite il se charge de faire des rigoles partout où des propriétés en auront besoin pour évacuer leurs eaux. Si vous vous chargez de l'écoulement des eaux dans telle ou telle localité, vous devez le faire partout, il n'y aura pas de petit propriétaire, ayant un morceau de prairie qui n'aura le droit de venir vous demander de le débarrasser des eaux qui le gênent, car il dira : Vous avez débarrassé de leurs eaux des propriétés des Flandres, vous devez en faire de même pour ma propriété. Si vous faites la chose en grand vous devez la faire en petit. Vous devez mesurer tout le monde à la même aune, au mètre, si vous voulez peser les droits de tous à la livre ou au kilogramme.

Faites les dépenses de défrichement de nos bruyères ; faites les dépenses pour les mettre en produit ; alors l'État sera intéressé à l'amélioration, puisqu'il percevra un impôt supérieur à celui que nous payons maintenant.

L'Etat, dit-on, est intéressé à rendre ces terrains productifs, parce qu'ils payeront plus d'impôt. Mais je vous avoue que les estimations des ingénieurs sont presque toujours sujettes à caution. Nous avons eu un échantillon pour le chemin de fer. D'après le devis estimatif le chemin de fer de Waremme à la frontière de Prusse ne devait coûter que 7 millions ; eh bien, au lieu de 7 millions il coûtera de 20 à 22 millions ; voilà comment ou peut compter sur les estimations des ingénieurs.

On a calculé que la dépense nécessaire pour la construction au canal de Zelzaete, dépense qu'on veut mettre à la charge du trésor, sera de 4 millions. Il y aura, indépendamment de cela, des travaux à faire par les propriétaires. Eh bien, si j'en juge d'après l'estimation relative au chemin de fer, l'exécution du canal de Zelzaete, coûtera à l'Etat de 12 à 14 millions. Je ne sais si l'amélioration que produira ce travail pourra équivaloir à l'intérêt de ce capital. Au surplus la dépense est toute en faveur des propriétaires des terrains dont il s'agit.

Si plus tard les Ardennes et la Campine viennent nous demander d'améliorer leur position, pourrez-vous refuser à accueillir leur demande ? Ils vous diront : Pour améliorer les terres, dans les Flandres, vous avez dépensé 12 à 14 millions. Ce sera de tous côtes qu'il surgira des réclamations ; et vous ne pourrez les repousser, sans commettre, selon moi, une injustice, lorsqu'on vous rappellera ce que vous aurez fait pour les Flandres. Avant de voter ce projet de loi, songeons à ses conséquences.

Sans doute, je veux bien qu'on contribue à la construction de ce canal, mais seulement en proportion de l'intérêt que peut avoir l'Etat à l'amélioration dont il s'agit : c'est-à-dire que si ce canal doit coûter 10 millions, comme l'Etat, en contribution foncière, perçoit environ 10 p. c., je veux bien que l'état donne un subside équivalent au dixième de la dépense.

Dans le projet de loi quelque chose m'a un peu tourmenté : c'est de voir qu'encore une fois l'Etat va se charger d'une dépense de cette nature. Vous savez que, pour tout ce qu'il fait, l'Etat dépense au moins un tiers de plus, que ce que dépenseraient les particuliers.

Les raisons que l'on a fait valoir n'ont pas modifié ma conviction. On a dit : Faites le canal de Zelzaete ; vous ferez ensuite ceux de la Campine. Ensuite M. l'inspecteur Vifquain, dans son rapport, dit qu'on a fait des dépenses pour l'amélioration de la Meuse, qu'il en faudrait faire par le même motif pour le canal de Zelzaete. Mais le canal de Zelzaete n'est pas un canal proprement dit, c'est une rigole qui coûte beaucoup d'argent, une rigole destinée à améliorer des terres, tandis que la Meuse, les canaux de la Campine destinés à la navigation, intéressent le commerce, la généralité du public.

Je m'abstiendrai d'entrer dans d'autres développements, pour motiver mon vote. Je me bornerai à dire que telle que la loi est présentée, je suis obligé de voter contre, parce qu'elle mettrait le pays dans le cas de prendre dans la poche de l'un pour mettre dans la poche de l'autre.

Le trésor ne pouvant faire face à la dépense, il faudrait faire de nouveaux emprunts qui devraient être couverts par les contributions. Au point où se trouve notre état financier, je crois que nous devons nous montrer bien scrupuleux pour nos dépenses ; car si nous continuons sur le pied où nous nous trouvons, sans mettre nos dépenses en rapport avec nos ressources, nous marcherons vers une ruine complète. Nous nous trouverons dans un temps plus rapproché qu'on ne croit dans la position de l'Angleterre ; nous devrons recourir à la mesure proposée par Robert Peel de mettre un impôt sur tous les revenus quelconques. Jetons un coup d'œil sur notre position financière ; elle n'est pas désespérée ; mais prenons y garde, pour peu que nous restions dans l'ornière où nous sommes, vous compromettrez le pays tout entier, vous mettrez les contribuables dans le cas de devoir supporter des charges exorbitantes.

J'écouterai les développements que l'on pourra présenter. Jusqu'à présent, je ne puis voter pour la loi telle qu'elle est. Je ne consens qu'à voter un subside proportionné à l'intérêt qu'à l'Etat dans cette dépense.

M. Delehaye. - Comme il s'agit de préserver les Flandres des inondations qui proviennent de l'excès d'eau que nous envoient le Hainaut et la France, je me permettrai d'adresser à M. le ministre quelques questions qui ont pour but de pourvoir à ce qu'il soit fait indépendamment de la construction du canal de Zelzaete, diverses améliorations qui d'ailleurs ne sauraient entraîner des dépenses, je lui demanderai s'il pense que l'arrêté du 5 octobre 1801, qui ordonnait l’ouverture des écluses au Tolhuys à Gand, à partir du 25 février de chaque année, n'a plus force obligatoire. Je ferai observer, que si ce décret était exécuté nous n'aurions pas à craindre les inondations, qui chaque année entraînent de si grandes pertes. Il existait un décret de la même époque qui exigeait que des poutrelles fussent placées à Gand aux ponts du Sasbrug sur Walpoorlbrug, pour séparer les eaux de la Lys de celles de l'Escaut, afin de donner à l'Escaut tout écoulement naturel par le Bas-Escaut et afin de faciliter pour les eaux de la Lys, l'écoulement par Bruges, et par Terneuzen qu'elle doit avoir. Ni l'un ni l'autre de ces décrets ne sont exécutés. Il résulte d'un rapport adressé récemment au conseil communal de Gand que ce décret, qui fixe la charge que peuvent prendre les navires qui nous viennent du Hainaut chargés de houille, est également perdu de vue. La plupart des navires qui viennent à Gand, prennent la charge qui leur convient, sans s'inquiéter des inondations qu'ils peuvent causer.

A cette même époque, on exigeait l'ouverture des écluses aux approches des saisons de pluie ; on faisait en sorte que le bassin de Gand était à cette époque à même de recevoir toutes les eaux qui amène l'hiver. Ce même rapport adressé au gouvernement par le conseil de Gand indique la plupart des mesures à prendre pour prévenir ces inondations ; je ne sais pour quels motifs la plupart des mesures que j'ai indiquées ne sont plus prescrites.

Je crois devoir appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur ces améliorations, d'autant plus qu'elles ne doivent donner lieu à aucune dépense. Il existe depuis quelque temps plusieurs pétitions du commerce du Hainaut, notamment une de la chambre de commerce de Mons, qui a demande que la navigation ne fût pas interrompue certains jours. A cet effet elle a proposé un canal d'écoulement qui se dirigerait vers Melle, partant de Zwynaerde. Ce canal permettrait aux navires de se rendre à Gand, sans être retenus par les eaux. D'un autre côté, pour faciliter l'écoulement en aval de Gand, quelques travaux sont aussi nécessaires.

M. le ministre des travaux publics connaissant les localités, je me permettrai donc lui indiquer les points qui d'après moi nécessitent quelques modifications. A partir du point dit het Pauwke, près de Gand, jusqu'à Calcke, il conviendrait de pratiquer une coupure qui, renfermée dans des écluses, pourrait à certaines époques servir à donner aux eaux un prompt écoulement sans gêner la navigation.

Je me contenterai de signaler ces légers travaux, bien convaincus que M. le ministre ne manquera pas d'y porter son attention. Ils sont de nature à faire droit aux réclamations du Hainaut.

Ces travaux ne sont pas d'ailleurs de nature à entraîner de grandes dépenses ; et surtout, elles apporteront de grandes ressources au trésor.

La plupart des terres situées au long de l'Escaut, aux endroits que je viens d'indiquer, se trouvent dans une classe très basse pour la contribution foncière. Or, par les moyens que j'ai indiqués, ces terres seraient portées à la première classe ; il en résulterait des ressources nouvelles, des ressources considérables pour le trésor.

Un autre point sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre des travaux publics, c'est que depuis quelque temps il nous vient de la France par la Lys des eaux en beaucoup plus grande abondance et surtout en infiniment moins de temps. Nous avons cinq ou six inondations par été, inondations qui ne se présentaient auparavant que dans la saison rigoureuse, en hiver.

Je pense, messieurs, que, pour mettre un terme à ces inondations, il serait nécessaire que toutes les eaux qui sont actuellement dirigées vers Gand, ne traversassent plus cette ville. Et à cet effet il existe des canaux qui ont été construits à des époques assez reculées et qui ne sont pas suffisamment entretenus ; et même sur quelques points, ils n'ont plus la largeur qu'ils avaient primitivement. En remettant ces canaux en bon état, on donnerait, une voix nouvelle aux eaux qui viennent du département du Nord et on les ferait dévier de Gand.

Il existe un canal de Deynze, au hameau Deurme, commune de Meerendré ; ce canal, construit dans l'intérêt de l'écoulement de nos eaux, avait répondu à sa destination. La négligence ou peut-être le défaut de connaissance a rendu cette voie inutile, il importerait de lui rendre la largeur qu'il avait d'abord. Il n'en résulterait pas de frais considérables pour le trésor. Cette dépense, d'ailleurs, ne doit pas vous faire reculer ; parce que, comme je vous l’ai dit, elle sera abondamment compensée par les ressources nouvelles qu'apporteraient ces travaux au trésor.

En donnant à ce canal la largeur suffisante, vous donnerez aux eaux qui viennent du département du Nord la faculté de se diriger dans le canal de Bruges, et comme l'a dit honorable. M. Donny, les eaux arriveraient alors en abondance suffisante aux écluses de chasse du port d'Ostende.

Ce travail aurait un autre avantage ; il faudra plusieurs années avant que le canal, dont nous nous occupons, soit achevé ; en attendant, il donnerait aux eaux qui abondent à Gand une nouvelle direction. Elles iraient se jeter dans le canal de Bruges pour se diriger, soit vers cette ville, soit vers la Liève. Par ce moyen, le canal de Terneusen ne devrait point servir comme voie d'écoulement à toutes les eaux de la Lys. Ainsi, vous débarrasserez les cantons de Deynze et de Nevele de cette masse d'eau qui, si souvent, viennent compromettre la fortune de nos cultivateurs.

Je devrais entrer dans des explications plus étendues sur ces travaux, mais pour bien les comprendre, il faudrait connaître les localités.

Il me suffit d'appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur ce point, comme je l'ai dit, ces travaux ne sont pas de nature à entraîner de grandes dépenses. Ils auraient pour résultat immédiat de faire droit aux réclamations du Hainaut, et à celle que vous avez encore dernièrement reçue de la chambre de commerce de Mons, et de détourner de Gand les grandes quantités d'eau qui viennent inonder les propriétés environnantes. Ils auraient encore pour résultat, résultat que vous ne perdrez pas de vue, de donner au trésor des ressources qu'il ne perçoit pas maintenant, en faisant ranger dans la première classe des terres qui se trouvent maintenant dans la dernière. Vous ne reculerez donc pas devant ces travaux, parce que les résultats en seront immenses et les dépenses qui en résulteront, peu élevées. Quoique cet objet ne soit pas à l'ordre du jour, je n'ai pu me dispenser de soumettre ces observations au ministre qui, connaissant nos canaux, pourra les rendre bientôt propres à répondre au but dans lequel ils ont été creusés ; que le ministre ne perde pas de vue que des trois robinets d'écoulement que nous avons à Gand, il en est deux qui ne répondent plus à leur destination.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) – Messieurs, l’honorable préopinant m'a adressé une question en commençant son discours. Il m'a demandé si d'anciens décrets relativement aux eaux de l'Escaut étaient tombés en désuétude, s'ils n'étaient plus observés. Il est vrai qu'il existe quelques anciens décrets qui déjà depuis longtemps ne sont plus observés. Mais tout ce qui concerne le régime de l'Escaut fait en ce moment l’objet d'une instruction à mon département ; le rapport est presque terminé. Il s agira de voir s’il faut faire revivre ces anciens décrets ou s'il faut y substituer d'autres règlements.

En ce qui concerne les travaux dont a parlé l'honorable membre, ce sont là encore des points qui font l'objet d'instruction dans ce moment au département des travaux publics, et sur lesquels il me serait impossible d'exprimer aujourd'hui une opinion. Seulement, je puis dire, comme l'honorable préopinant, que ces travaux ne me paraissent en effet pas de nature à occasionner au trésor de grandes dépenses, et que d'un autre côté ils procureraient au trésor des revenus plus ou moins élevés par l'amélioration des terres.

Pour ce qui concerne les eaux de la Lys, il est vrai, messieurs que, par suite des travaux qui ont été exécutés en France, les eaux nous arrivent par la Lys beaucoup plus vite et beaucoup plus abondamment qu’auparavant, mais ce n’est pas heureusement (je dis heureusement, car alors les négociations deviennent plus faciles) ce n'est pas seulement la Belgique qui en souffre c'est aussi la France, et cela à tel point que les deux gouvernements ont nommé des commissaires pour examiner la situation des eaux sous ce rapport. Ces commissaires, nommés depuis peu de temps vont s'occuper activement de leur besogne. Je presserai en ce qui me regarde les commissaires belges, et je pense que bientôt nous arriverons à une solution sous ce rapport, car le gouvernement français le désire aussi vivement que nous.

M. Peeters.- Messieurs, j'avais demandé hier la parole pour proposer l'ajournement du projet relatif a la construction du canal de Zelzaete, mais, comme je vous l'avais dit, mon intention n'était pas de m'opposer à cette construction ; je voulais seulement la faire marcher de pair avec celle d'autres canaux, et surtout avec la canalisation de la Campine. Votre décision d'hier me prouve que les promesses qu'on a si souvent faites a la Campine sont des leurres ; aussi je n'y compte plus du tout, et je suis persuadé maintenant que l'on n'a pas l'intention de les exécuter.

En 1835, un projet a été présenté pour la canalisation de la Campine. Ce projet a été envoyé à une commission d'enquête. Plusieurs rapports ont été faits depuis ; un ingénieur, M. Curmer, a été chargé de présenter un premier rapport, et ce rapport fait depuis si longtemps, n'est pas imprimé ; nous n'en connaissons rien jusqu'à présent.

Ensuite on a remis la présentation du rapport de M. l'ingénieur Vifquain jusqu'au moment où on allait discuter le projet sur le canal de Zelzaete, comme si on avait voulu faire voter ce canal avant que nous ne connaissions ce rapport.

Messieurs, déjà depuis deux ans, lorsque nous avons discuté le budget des travaux publics, j’ai insisté pour avoir le rapport sur la canalisation de la Campine. Tous les ministres sont venus nous dire qu'il avait leur approbation et que c'était le premier projet dont où devait s’occuper, qu’il avait la priorité sur tous les autres. M. le ministre des travaux publics d'il y a deux ans, l'honorable M. Rogier, fut demandé dans la section centrale, et interpellé par moi sur ses intentions relatives à la canalisation de la Campine. Je vais avoir l'honneur de vous lire ce que l'honorable membre m’a répondu à cette époque :

« Un membre de la section centrale (et ce membre c'était moi) voulant se conformer au vœu exprimé par la deuxième section a demandé à M. le ministre, lorsqu'il s'est rendu dans son sein de vouloir bien s'expliquer sur ses intentions relatives à la canalisation de la Campine. » M. le ministre a répondu que jusqu'ici aucune résolution définitive n'avait été prise, mais qu'il croyait cependant que cette canalisation devait avoir la priorité.

Pressé davantage par moi dans la discussion, voici la réponse qu'il m'a faite et qui se trouve au Moniteur du 24 février 1841, numéro 35 : « Je suis étonné que l’honorable M. Peeters, au zèle et au patriotisme duquel je suis le premier à rendre hommage, revienne encore avec tant de chaleur sur une question à laquelle je lui ai déjà répondu à plusieurs reprises depuis l'ouverture de cette session. Je lui ai déjà exprimé ma pensée, que parmi les travaux de canalisation à exécuter, la Campine doit tenir le premier rang ; » voila des promesses bien positives, et cependant l'on n'a rien fait jusqu'ici. Le rapport n'est pas même connu jusqu'à ce jour ; aussi j'ai été fort étonné que cet honorable membre, qui a ordonné lui-même le grand projet pour tous les canaux de la Belgique, a voté hier contre ma proposition d'ajournement.

Un membre. - Il ne s'agit pas ici d'un canal !

M. Peeters. - Si ce n'est pas un canal, l'Etat ne doit pas s'en occuper.

M. Manilius**.** - C'est une grande rigole d'écoulement.

M. Peeters**.** - Alors que les Flandres la fassent elles-mêmes. Messieurs, je vois bien que c'est toujours le grand nombre qui l'emporte ici. Je ne me fais plus illusion ; nous n'obtiendrons rien pour la Campine, le faible est sacrifié au fort. Il ne faudrait plus qu'un petit changement à la loi électorale, comme on l'a déjà demandé, et alors vous ne verriez plus eu Belgique qu'oppresseurs et qu'opprimés. Car nous avons beau faire entendre nos doléances, on n'y fait pas attention, les habitants des campagnes sont la matière payante, et les habitants des grandes villes doivent jouir à leurs dépens.

Puisque j'ai la parole, je demanderai à M. le ministre des travaux publics, qui doit connaître le rapport de M. Vifquain, que nous nous ne connaissons pas, mais qui aurait dû nous être distribué depuis longtemps, quelles sont ses intentions à l'égard de la canalisation de la Campine. Je lui demanderai en même temps s'il a déjà pris une résolution relativement à la construction de la route de Turnhout à Tilbourg, construction à laquelle le génie militaire semblait s'opposer, mais faiblement. Car enfin, si on ne veut pas nous donner un canal, qu'on nous accorde au moins quelques routes. Je suis persuadé que si M. le ministre veut insister pour la construction de cette route, que l'opposition du génie militaire sera bientôt levée.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, je suis vraiment étonné que l'honorable membre puisse encore douter des bonnes intentions du gouvernement à l'égard de la Campine, alors que j'ai été jusqu'à répéter plusieurs fois dans cette chambre que dans l'opinion du gouvernement la canalisation de la Campine était une chose éminemment utile au pays ; que par là la Belgique conquerrait en quelque sorte une nouvelle province. Ainsi, je crois que l'honorable membre devrait s'en reposer sur le gouvernement à cet égard.

Mais, messieurs, le gouvernement ne peut vous présenter que des projets, et ces projets, pour vous les présenter, il faut bien qu'il ait le temps de les étudier, de les coordonner, les organiser de manière à ce que vous puissiez les voter avec connaissance de cause.

En ce qui touche la route de Turnhout à Tilbourg, à laquelle le département de la guerre s'est opposé par des motifs puisés dans la défense du pays, j'aurai l'honneur de répondre à l'honorable membre, que depuis la discussion de mon budget pendant laquelle il a fait les mêmes observations, le département de la guerre a nommé un commissaire ; j'en ai nommé un de mon côté, et ils s'occupent dans ce moment de chercher à aplanir les difficultés non seulement pour cette route de Turnhout, mais aussi pour toutes les autres routes qui ont été signalées dans la discussion de mon budget, et à l'égard desquelles le département de la guerre avait élevé des difficultés.

M. Peeters. - Je demanderai à M. le ministre des travaux publics, s'il a l'intention de présenter un projet pour la canalisation de la Campine avant la session prochaine. Car ce que qu'il vient de nous dire, tous les ministres précédents nous l'ont répété avant lui. Ils ont même été plus loin ; car il y a deux ans l'honorable M. Rogier nous disait que c'était le projet qui devait avoir la priorité sur tous les autres. Cependant hier on a décidé que le canal de Zelzaete aurait la priorité,et jusqu'ici aucun ministre n'a accompli ses promesses ; M. Nothomb seul, s'il était resté au pouvoir, aurait fait avancer cette affaire.

Si M. le ministre ne veut pas présenter un projet, qu'il le dise, je prendrai alors sur moi d'en présenter un. Mais si l'on nous remet toujours à l’année prochaine, nous resterons éternellement dans la situation où nous nous trouvons aujourd'hui.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Encore une fois, je ne puis pas m'engager à présenter à la chambre un projet de loi, dans tel ou tel délai déterminé, surtout en pareille matière cela ne serait pas d'ailleurs, de la dignité du gouvernement ; tout ce que je puis dire c'est que le gouvernement s'occupe avec la plus vive sollicitude de cette question.

M. Dubus (aîné). - Je ne pourrai faire, messieurs, que quelques observations incomplètes ; vous vous rappellerez, messieurs, qu'on nous avait promis, la distribution du dernier travail, trois jours au moins avant la discussion ; cette distribution a été retardée de plusieurs jours. Elle vient à peine de nous être faite. Il semble qu'il s'agisse d'un projet de la plus grande urgence, qu'on doit voter sans même avoir eu le temps de l'examiner. Lorsqu'une discussion de cette nature a eu lieu en 1836, on nous disait que le projet était de la plus extrême urgence ; le moindre délai pouvait amener des dommages incalculables ; il fallait absolument porter un remède immédiat aux désastres qui allaient croissant tous les jours. Il s'est cependant écoulé 6 ans depuis lors, et je ne vois pas que les poldres des Flandres aient péri dans cet intervalle. Si l'on nous avait accordé les délais que nous demandions, délais qui ne devaient être que de quelques semaines, et qui avaient pour but de nous mettre à même de nous procurer les documents à consulter, d’étudier tous les rapports, de discuter et peser tous les faits ; si, dis-je, on nous avait accordé ces délais, il n’en serait résulté aucun dommage pour les Flandres, et nous aurions pu discuter le projet avec plus de maturité.

Que résultera-t-il de cette précipitation ? C'est que les membres qui veulent s'opposer à un projet appuyé sur ces documents si nombreux que l'on a eu à peine le temps d’assembler et de parcourir, seront réduits à émettre un vote négatif, et qu'ils n'auront pu se préparer à développer convenablement, et complètement leurs motifs. Je suis donc forcé, messieurs, de me borner à de courtes observations.

Messieurs, le projet dont il s'agit tend, dit-on, à procurer l'écoulement des eaux qui causent les inondations dont on souffre dans les deux Flandres et, en première ligne, plusieurs orateurs parlent des eaux de l'Escaut et de la Lys. Je croyais qu'en ce qui concerne les eaux de l'Escaut et de la Lys, la situation actuelle de la Flandre était meilleure que la situation d'autrefois, parce que les moyens d'écoulement se sont considérablement améliorés, par le creusement du canal de Terneusen. Dans l'état de paix où nous nous trouvons, le canal de Terneusen remplit la destination qui lui a été donnée. On ne contestera pas ce fait.

On veut réparer, dit-on, un dommage causé par la révolution. Il semble qu'autrefois tout allait bien et que maintenant tout va mal. Cependant lorsqu'on parcourt les développements dans lesquels sont entrés ceux-là même qui veulent faire exécuter le canal de Zelzaete aux frais de l’Etat, on voit qu’elles signalaient comme cause du mal, le traité de Munster de 1648, de manière que l'on remonte à un acte posé il y a deux siècles, pour trouver l'origine du dommage dont on demande la réparation.

Il est dit aussi dans les documents qui sont sous nos yeux, que les moyens d'écoulement ont toujours été en s'affaiblissant chaque année par suite d'une cause naturelle et incessante ; on veut que nous réparions, aux frais de l'Etat, le dommage causé à quelques propriétés privées par suite de cette cause naturelle et incessante de ce mouvement d'alluvion qui amène l'ensablement de tous les moyens d'écoulement qui existaient autrefois. Jusqu'ici, messieurs, c'étaient les propriétaires des terrains qui souffraient des inondations qui devaient pourvoir à leurs frais à l'assèchement de ces terrains. Lorsqu'un des moyens d'écoulement existants venait à manquer, ils devaient à leurs frais en procurer un nouveau.

Il n'y a pas longtemps que cette obligation était encore reconnue par les propriétaires des terrains a assécher. Un des moyens d'écoulement existait autrefois mais qui avait perdu presque entièrement son efficacité ; le canal du Sas de Gand se trouvait tellement envasé au-dessous du Sas qu'il ne pouvait plus servir à la destination qui lui était restée, de procurer un écoulement aux eaux. Eh bien, messieurs, dans le rapport qui vous a été adressé à la fin de 1837, par M. le ministre des travaux publics, on signale cette circonstance qu'en 1823 tous les polders se virent menacés d’une nouvelle submersion par l'impossibilité où ils étaient de se maintenir en communication avec la marée basse dans l'Escaut et que le canal du Sas était aussi devenu impropre à l'écoulement des eaux des Flandres par les bancs de sable qui s'étaient formés devant les écluses de décharge à une hauteur de plus de deux mètres sur les radiers. Après avoir constaté ces faits, le rapport ajoute :

« Les propriétaires des poldres compromis, (erratum, Moniteur belge n°116, du 26 avril 1842) demandèrent l'autorisation de construire à leurs frais, un canal de décharge pour leurs eaux. »

Vous voyez, messieurs, que les propriétaires reconnaissaient alors l'obligation ou ils se trouvaient, de construire de nouveaux moyens d'écoulements pour leurs eaux, alors que les anciens moyens venaient à leur manquer, puisqu'ils demandaient au gouvernement l'autorisation de le faire.

Et pourquoi, messieurs, le canal qu'ils demandaient à creuser, n'a-t-il pas été fait exclusivement à leurs frais ? Parce que le gouvernement combina l'idée de leur procurer un nouveau canal de décharge avec celle de rendre à la ville de Gand le port qu'elle avait eu autrefois. Il conçut alors l'idée du canal de Terneuzen, qui est à la fois un canal d'écoulement des eaux et un canal de navigation, et ce canal même n'a pas été fait aux frais de l'Etat, il a été fait par concession.

Prenons acte, messieurs, de cet aveu des propriétaires, que je viens de citer. Cet aveu est en opposition avec tout ce que nous entendons répéter sans cesse, que le gouvernement est tenu à procurer l'assèchement des propriétés qui ont souffert des inondations. Vous voyez, messieurs, qu'il n'en est rien, vous voyez au contraire que les propriétaires reconnaissaient en 1823 qu'il leur incombe de se procurer à leurs frais des moyens d'assèchement.

Mais, enfin, messieurs, ce canal de Terneuzen est fait, ce canal a été construit, non pas seulement pour la navigation, mais aussi, et très spécialement, pour l'écoulement des eaux. Toutes les constructions faites démontrent que c'est là sa destination principale ; les déversoirs qui doivent servir à l'assèchement des polders, sont construits sous la digue même de ce canal ; une écluse a été construite aussi pour y faire arriver les eaux superflues de l'Escaut et de la Lys ; il est d'ailleurs avoué par le gouvernement que la destination de ce canal était de recevoir ce trop plein. Il y a plus, le gouvernement lui-même dit que le canal suffit à cette destination.

Dans le même rapport fait en 1837 par le ministre des travaux publics, on lit, en effet, encore ce qui suit :

« Le canal de Terneuzen était un débouché complet et permanent pour toutes les terres à même par leur position d'y verser les eaux ; il offrait, en outre, une ressource précieuse, et un grand soulagement, en débarrassant les Flandres du trop plein de l'Escaut et de la Lys. »

Je lis, en outre, dans le mémoire des ingénieurs, qui était annexé à ce rapport de 1837 :

« Le recreusement du canal du Sas de Gand, qui fut poussé jusqu’à Terneuzen vint apporter une grande amélioration dans la situation de l'écoulement des terres du nord de la Flandre orientale, et, en recevant les eaux de la Lys, fit disparaître une des grandes servitudes du canal de Gand à Bruges et Ostende. »

Ainsi, messieurs, voilà le moyen d'écoulement pour le trop plein de l'Escaut et de la Lys ; c'est le canal de Terneuzen.

« Mais, dit-on, ce canal traverse le territoire hollandais pour arriver au point où il se décharge dans la mer. »

Eh, messieurs, les traités obligent le gouvernement hollandais à laisser à ce canal sa double destination et nous avons les moyens de faire exécuter le traité ; il y a plus, on ne nous dit pas que le gouvernement fasse la moindre difficulté à reconnaître cette obligation et à l'accomplir, on ne nous le dit point et on ne nous le dira point ; mais si le gouvernement hollandais refusait de remplir ses obligations, nous aurions un moyen fort simple de l'y contraindre ; il nous suffirait de refuser le paiement des 5 millions de florins que nous payons annuellement à la Hollande. Lorsque l'on a à sa disposition une semblable garantie, il me semble que l'on doit avoir la certitude que (erratum, Moniteur belge n°116, du 26 avril 1842) le traité sera exécuté.

Je vous ai fait remarquer, messieurs, il n'y a qu'un instant, que ce canal avait fait disparaître selon le mémoire des ingénieurs, une des grandes servitudes du canal de Gand à Bruges et à Ostende, et comme il importe également de le remarquer, on nous présente comme quelque chose de tout à fait nouveau, cette servitude du canal d'Ostende, qui consiste à devoir servir à l'écoulement des eaux. Eh bien, messieurs, avant le creusement du canal de Terneuzen cette servitude était un état permanent, et le rapport des ingénieurs dit, lui-même que sous le gouvernement autrichien il en était déjà ainsi. Ainsi, messieurs, non seulement avant le dernier traité politique, mais avant 1789 déjà, le canal de Gand à Bruges et à Ostende était un moyen d'écoulement pour le trop plein des eaux de la Lys. Je reviendrai tout à l'heure sur ce point.

Indépendamment du canal de Terneuzen, l'assèchement des polders des Flandres se faisait par le Brackman et par le Zwyn.

On nous dit que, par le Brackman, les moyens d'écoulement actuel sont précaires, insuffisants ; que le Brackman s'envase.

Mais, d'abord, d'après la règle qui était suivie précédemment qui était même reconnue par les intéressés, ce serait aux propriétaires à faire les frais de nouveaux débouchés ou à améliorer les moyens qui existent.

Du reste, dans l'état actuel des choses, les terres qui doivent s'assécher par le Brackman, s'assèchent complètement par le Brackman. Il n'y a eu d'inondation que dans le moment des hostilités, lorsque les Hollandais avaient étendu l'inondation autour des forteresses qui couvrent la Flandre des Etats, ou lorsqu'il y a eu des pluies extraordinaires. Eh bien, de semblables inondations ont aussi eu lieu autrefois.

(erratum**, Moniteur belge n°116, du 26 avril 1842) Sous ce rapport, la situation n'est véritablement pas changée. Même après l'achèvement du canal de Terneuzen, et malgré ce nouveau moyen d'écoulement, en 1829, si j'ai bon souvenir, il y a eu une inondation considérable, parce qu'il y a eu une saison tout à fait exceptionnelle ; mais dans le cas d'intempérie des saisons, ce ne sera pas seulement dans les Flandres, mais encore dans beaucoup d'autres parties du pays qu'il y aura des inondations.

Quant au Zwyn, on nous dit que l'écluse du Hazegras subsiste ; mais que quant à l'évacuation qui avait lieu par la ville de l'Ecluse, je crois, il n'a pas été possible de la rétablir. Pour moi, je pense plutôt que les propriétaires n'ont pas jugé à propos de faire les frais necessaires à ce rétablissement, parce qu'ils s'attendent à ce que vous votiez le canal de Zelzaete qui les en dispensera ; mais il n'est pas prouvé, on ne nous à rien produit pour prouver qu'on ne pourrait pas rétablir le débouché qui existait autrefois à l'Ecluse ; du moins, je n'ai trouvé aucune justification de cela dans ce qui nous a été communiqué.

On a dit qu'il y a des atterrissements qui se sont formés pendant l'inondation, Mais ce n'est pas la première inondation qui eût été tendue autour de l'Ecluse ; dans les temps antérieurs, il est déjà arrivé plusieurs fois qu'une inondation a été tendue, même pendant plusieurs années autour de l'Ecluse, qu'il se formait des atterrissements. Qu'arrivait-il ? c'est que lorsque les eaux étaient retirées, l'administration des wateringues faisait la dépense nécessaire pour faire enlever les atterrissements, pour faire rétablir le débouché Mais aujourd'hui ces travaux ne se font plus, parce qu'on attend apparemment la construction du canal de Zelzaete et qu'on trouve commode de voir créer un nouveau moyen d'écoulement aux dépens du trésor.

Mais, dit-on, le Zwyn dans la partie qui aboutit à la ville de l'Ecluse, est envasé. Je répondrai d'abord que cette partie du Zwyn sert encore, si je ne me trompe, à l'écoulement des poldres hollandais : on pourrait donc y rétablir le débouché des eaux des poldres belges.

Mais enfin, dans ce moment, les poldres situés, à l'est du canal de Bruges à l'Ecluse, puisqu'ils n'ont plus leur débouché par l'Ecluse, par où vont-ils écouler leurs eaux ? On me répondra, au moyen des travaux qui ont été exécutés à cet effet en 1831, ou en 1832, c'est-à-dire, en partie par l'écluse de Hazegras, en partie par le canal d'Ostende. (Annexe no 3 du rapport de 1837.)

C'est ici que je demanderai si c'est là réellement un état de chose intolérable, et qui oblige la législature à intervenir pour une somme de plusieurs millions.

Dans le fait, les poldres de cette partie de la Flandre obtiennent depuis 1832 l'écoulement de leurs eaux ; ils l'obtiennent d'un côté par l'écluse de Hazegras, de l'autre par le canal d'Ostende.

Mais, dit-on, il résulte de grands dommages, par suite de l'emploi du canal d'Ostende, pour cet écoulement, qui entrave la navigation, et augmente dans une forte proportion la dépense annuelle à laquelle donne lieu l'entretien du canal.

Quant à l'augmentation de la dépense annuelle, je crois qu'elle a été exagérée, et je fonde cette opinion sur les pièces mêmes qui nous ont été produites :

On l'a évalué à 50,000 francs, et l'on vous renvoie aux annexes 6 et 7 du rapport de 1837.

Il est vrai que l'annexe no 6, qui est datée (erratum, Moniteur belge n°116, du 26 avril 1842) de septembre 1837, porte en total une dépense de 356,500 francs ; mais dans ce chiffre, on a compris une somme de 200,000 fr. pour les dépenses qu'il y avait lieu de faire à l'avenir, si l'évacuation continue.

Mais ces 200,000 francs auxquels on évalue d'avance les dommages qui seront causés plus tard si l'évacuation continue, et les dépenses qui seront faites pour réparer ces dommages, ne sont qu'une simple prévision pour l'avenir ; et c'est par erreur qu'on les ajoute à la dépense qui a été faite pendant les sept années écoulées jusque là pour arriver à une dépense totale de 356,000 francs en sept années, et ainsi au chiffre annuelle 50,000 fr. Ce calcul est donc tout à fait erroné : le dommage futur, qu'on évalue d'ailleurs arbitrairement, ne doit pas être réparti sur les années écoulées.

Ainsi, vous voyez, messieurs, qu'on a exagéré de plus du double cette prétendue augmentation de dépense par année.

Quant à l'augmentation du nombre de jours de chômage dont on s'est aussi prévalu, elle a été également exagérée. Lorsque vous recourez au tableau qui contient l'indication du nombre des jours de chômage, vous ne voyez de chômage extraordinaire que pendant deux années, pendant les années 1831 et 1852 où des inondations étaient tendues.

En effet, vous trouvez 121 jours pour 1831, et 123 jours pour 1832 ; mais pour les années qui suivent, ce nombre décroît considérablement, et la moyenne pendant les 5 années suivantes n'est plus que de 55 jours de chômage pour toute l'année : Ce qui n'est pas exorbitant ; encore pour telle ou telle année, cela a-t-il dû tenir à une saison plus ou moins défavorable, ou peut-être à quelques manœuvres de le part des Hollandais avec lesquels nous n'étions pas encore en état de paix. Nous voyons que pour l'année 1835, il n'y a eu que 23 jours de chômage. Et c'est pour faire cesser un état de choses qui oblige à faire chômer la navigation pendant une cinquantaine de jours au plus par année,que vous iriez dépenser une somme de 4 à 5 millions ! Y a-t-il là, je le demande encore une fois, quelque chose d'intolérable, comme on l'a dit ?

Messieurs, autrefois, lorsqu’on n'avait que le canal de Bruges et le canal d'Ostende pour voie unique dans cette direction, nous voyons par les rapports des ingénieurs que l'emploi de ce canal comme moyen d'évacuation des eaux, notamment des eaux de la Lys était l'état ordinaire. Et aujourd'hui que nous avons des moyens de communication en concurrence avec le canal d'Ostende, on aurait peur d'un chômage de 50 jours par année ! Je parle de voies qui font concurrence à ce canal, car je pense qu'on ne comptera sans doute pas pour rien le chemin de fer qu'on a fait construire à si grands frais de Gand à Ostende. Je ne sais même pas si, lorsqu'on a plaidé avec tant de chaleur pour la construction de cette partie du chemin de fer, on n'a pas fait valoir le chômage du canal d’Ostende.

Ce chemin de fer doit compter pour quelque chose pour le transport des marchandises. On n'entend sans doute par le restreindre au transport de quelques rares voyageurs. Il me paraît donc pouvoir combler largement la lacune qui résulte (erratum, Moniteur belge n°116, du 26 avril 1842) d'une cinquantaine de jour de chômage sur le canal d'Ostende.

Mais indépendamment de ce moyen de communication, un autre s'exécute en ce moment ici ; on l'a rappelé dans la séance d'hier ; c'est le canal de Roubaix. On demande maintenant au nom d'Ypres et de ses environs, de mettre le canal d’Ypres en communication avec le canal de Roubaix, et par ce moyen, il y aura une nouvelle voie navigable jusqu'à la mer, indépendante du canal de Bruges et du canal d'Ostende. Sans doute, cette voie navigable devra emprunter sur une certaine étendue le territoire français, et c'est là un grand inconvénient, alors que nous pouvions rétablir sur notre propre territoire ; mais enfin ces moyens ont été présentés, lorsqu'on a discuté la question du canal de Roubaix, la chambre ne s'y est pas arrêté ; elle a jugé cette nouvelle voie utile. Nous devons croire qu'elle concourra pour quelque chose à faciliter nos communications avec la mer.

La situation, loin d'être plus mauvaise qu'autrefois, sera donc meilleure pour le transport des marchandises, même en supposant, qu'il faille à l'avenir faire chômer le canal d'Ostende, cinquante jours par an, pour les besoins de l'évacuation des eaux.

Ainsi, messieurs, les principales raisons qu'on a fait valoir, ne me touchent pas au point de me déterminer à engager le trésor dans une dépense aussi considérable, que celle qui nous est proposée, car on propose de décréter le canal depuis Zelzaete jusqu'à la mer. Or, la dépense est évaluée à 4,720,000 fr. On peut dire 5 millions, et je crois que nous serons au-dessous de la dépense réelle, qui a toujours, en pareille circonstance, dépassé les prévisions.

Mais j'appelle ici l'attention de la chambre sur une autre question qui me paraît très importante au point de vue de l'intérêt du trésor ? Il semble que vous n’avez à vous prononcer maintenant que sur le canal de Damme à la mer. Cette partie seule est présentée comme urgente ; mais ce qui est indispensable cependant, c’est de décider maintennat si on se bornera au canal de Damme à la mer, ou si l’on arrête définitivement dès à présent que ce canal sera continué plus tard, jusqu’à Assenede ou jusqu’à Zelzaete ; cela fait en effet une grande différence pour la dépense même de la section à exécuter de suite ; car pour creuser le canal de Damme avec prévision de le continuer jusqu'à Zelzaete, il faut le faire d’une dimension telle que cette seule section coûtera deux millions, et du canal entier 4,720,000 francs ; tandis que si vous décidez que vous ne ferez que le canal de Damme à la mer, la dépense ne s'élèvera qu'à 800 mille francs. Cela fait, avec la proposition dont nous sommes saisis, une différence de quatre millions.

C'est donc à tort que l'on précipiterait le vote, par le motif qu'on ne serait lié irrévocablement que pour le canal de Damme à la mer ; car il faut se donner le temps d'examiner mûrement s'il devra être porté jusqu'à Zelzaete ; puisque de ce point dépend la question de savoir si on construira la section de Damme à la mer, de dimension telle qu'elle coûte deux millions, ou seulement huit cent mille fr. : différence sur cette seule section, douze cent mille francs.

Je crois qu'il faut qu'il soit évidemment établi que non seulement le canal de Damme à la mer est nécessaire, mais que celui de Damme à Zelzaete est également nécessaire pour que la chambre se laisse entraîner à voter un canal à grande dimension qui entraînera une dépense de cinq millions.

Messieurs, les pièces que j'ai sous les yeux m'ont fait désirer bien des renseignements que je n'ai pas trouvés dans les développements, dont elles sont accompagnées. J'ai examiné la carte qui est jointe au rapport de M. le ministre de 1837 et j'y ai vu qu'autrefois il existait deux canaux, de Bruges à la mer, celui de Blankenberg et celui de Lisseweghe.

Maintenant on nous dit que les écluses qui ouvraient sur la mer sont détruites. Pourquoi ces écluses ont-elles cessé d'être entre tenues ? On ne trouve rien à cet égard dans les développements. Par qui ces deux canaux avaient-ils été construits ? ce n'est pas certainement par l'Etat. Pourquoi les a-t-on laissé s'ensabler ? parce qu'on avait d'autres moyens d'écoulement. Si ces moyens manquent aujourd'hui, que ceux qui avaient fait construire les canaux d'écoulement dont je viens de parler les rétablissent, au lieu de demander cinq millions à l'Etat pour construire un nouveau canal. On ne trouve rien dans le rapport sur les canaux de Blankenberg et de Lisseweghe, qui, autrefois, procuraient aux Flandres l'écoulement des eaux vers la mer.

J'aurais désiré présenter mes observations avec plus d'ordre, mais le temps m'a absolument manqué. J'en ai assez vu cependant pour que ma conviction soit formée.

Je voterai contre le projet de loi.

M. Desmet**.** - Le premier argument qu'a fait valoir l'honorable député de Tournay, a été celui-ci : vous avez le canal de Terneuzen et le Sas, pourquoi ne vous en servez-vous pas ? Quand on considère la situation de l'écoulement des eaux en aval de Gand, on peut voir que ce canal ne peut pas servir à l'usage auquel on voudrait qu'on l'employât. Le Sas est un canal de navigation, chaque fois qu'un bateau y passe avec quelque tirant d'eau il faut tellement hausser le canal, qu'au lieu d'écoulement des eaux intérieures, il y a refoulement. On dit : baissez le canal suffisamment, et vous pourrez évacuer vos eaux. Mais ce n'est pas le canal de Terneuzen, c'est le Moervaert qui est constamment employé pour faire évacuer les eaux intérieures vers l'Escaut. On nous dit : Pourquoi n'ouvrez-vous pas les écluses, pourquoi ne voulez-vous pas sacrifier votre navigation à l'écoulement des eaux ? Mais je ferai observer que cela ne dépend pas seulement de vous, et que si les Belges voulaient faire ce sacrifice, les Hollandais ne le voudraient pas ; car ils tiennent à conserver leur navigation. Comme je viens de le dire, nous pouvons si peu faire usage du canal de Terneusen, que les ingénieurs doivent continuellement tenir ouverte l'écluse à la maison Rouge, au commencement du canal du Moervaert, pour les envoyer par la Durme. Je suis vraiment étonné de l'opiniâtreté qu'on met à l'exécution de l'ouvrage qu'on demande, mais si cet ouvrage n'était pas utile et nécessaire, comment se ferait-il que tous les ingénieurs et tous ceux qui s'occupent de l'écoulement des eaux le demandent ?

Et, messieurs, je suppose que le canal de Terneuzen puisse servir constamment de canal d'écoulement. Une partie très petite des Flandres, celle du bassin maritime en aval de Gand, jusqu'à la mer, pourra en profiter,car il y a un point où les eaux se divisent : une partie se dirige vers le Sas et l'autre vers le Zuynde.

Les eaux qui viennent de la Lys vont inonder les terrains vers Eecloo.

L'honorable membre voudrait encore que l'on fît servir le canal de Bruges à Ostende, en le faisant chômer quelques jours, à écouler les eaux. Je lui ferai observer que chaque fois qu'il y a un passage d'eau limoneuse, le canal s'envase. C'est ainsi que le canal de Bruges à Ostende, qui était le plus beau du monde, se trouve maintenant réduit à 18 pieds de profondeur, de 24 qu'il avait. Si donc, à chaque descente des eaux, vous baissez le niveau du canal pour opérer l'écoulement, vous envasez votre canal, et il en résultera pour le dévaser une dépense plus grande que celle qu'on vous propose pour la construction d'un canal d'écoulement. Lors de la guerre entre Ostende et Anvers, c'est ce moyen qu'on employait pour ruiner le port d'Ostende.

Il me paraît qu'il est fort clair que le canal de Sas ne peut pas servir à ce à quoi on voudrait l'employer. On a prétendu que chaque fois qu'on avait pourvu à l'écoulement des eaux, on l'avait fait aux frais des propriétaires. C'est une erreur. Quand on a ouvert une voie pour les eaux vers la mer, ce n'est pas seulement une province, mais toutes les provinces qui ont contribué. Avant notre réunion à la France, chaque province formait un État et toutes les provinces se réunissaient pour faire les dépenses de cette nature ; et vous le savez, messieurs, sous ce régime, comme je viens de le dire, les provinces formaient des Etats, elles recevaient leurs impôts et chacune faisait ses dépenses ; elles avaient leur gouvernement à part. On ne pourra donc pas en tirer que c'est la province qui a fait les frais pour l'écoulement des eaux.

En 1753 en voyant la nécessité d'ouvrir un débouché de plus en amont de Gand pour l'écoulement des eaux supérieures, la Junte, composée des députés du Tournaisis, du pays d'Alost, de la Châtellenie d'Audenaerde, du vieux bourg de Gand et du pays de Termonde, ordonna de creuser une dérivation de l'Escaut supérieur vers le bas Escaut et fit construire une écluse à la porte de l'Empereur à Gand ; les dépenses de cet ouvrage avaient été supportées par les diverses administrations que je viens de citer.

On a parlé des traités de Munster et de Fontainebleau. On a dit que c'était par suite de ces traités que nous manquions de moyens d'écoulement, cela est très vrai. C'est depuis que les provinces unies sont désunies, après la guerre dite de 80 années ; c'est depuis le traité de Munster que la Hollande a empêché l'écoulement de nos eaux, pour être propriétaire de nos écluses, pour nous tenir sous leur domination et même pour nous faire payer un impôt. Aujourd'hui, chaque fois qu'on obtient l'écoulement des eaux, c'est parce que les propriétaires payent une contribution aux éclusiers et aux fonctionnaires zélandais ; on compte que les propriétaires des poldres payent bien annuellement pour l'ouverture des écluses 150 mille florins ; ils ont plus fait pour nous gêner et nous faire du tort, ils ont, depuis le traité de Munster, établi des ouvrages qui ont arrêté l'écoulement des eaux ; ils ont fait la digue du Bakkersdan dans ce but. Il y avait une jonction entre le Zwyn et le Brackman ; le chenal qui unissait ces deux baies, faisait constamment y passer les eaux de la mer et le tenait ouvert.

C'était vers ce canal que toutes les eaux qui se versaient dans le bassin maritime se rendaient à la mer ;c'est donc ce canal qu'on veut faire remplacer par le canal projeté ; c'est absolument le même canal dans la même direction ; on remplace donc ce qui nous a été enlevé par une nation étrangère et pour des causes politiques. Ah ! messieurs, la question est tellement claire, que c'est vraiment étonnant qu'on veuille toujours y voir un intérêt particulier, un intérêt de localité et qu'on veuille constamment détourner la question de son véritable intérêt.

M. Osy. - Je désire simplement motiver mon vote. D'après la discussion qui a eu lieu hier et aujourd'hui, je vois la nécessité de faire un canal seulement de Damme à la mer du Nord. Quant au canal de Zelzaete à Damme, il peut être différé, maintenant qu'il y a un traité de paix entre la Belgique et la Hollande. Je crois que nous ne pouvons adopter l'article premier. Pour moi je n’accorderai qu'un subside à la province qui exécutera le canal de Damme à la mer. La province d'Anvers a fait des ouvrages assez importants qui ont été à sa charge.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. - La discussion aura lieu sur les articles de la proposition de M. Lejeune à laquelle se rapportent les amendements de M. le ministre des travaux publics.

Les propositions de la section centrale seront considérées comme amendements.

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'amendement proposé à l'article premier par M. le ministre des travaux publics et auquel M. Lejeune se rallie ; Il est ainsi conçu :

« Art. 1er. il sera exécuté aux frais du trésor public, et avec le concours des propriétés intéressées un canal de Zelzaete à la mer du Nord pour l'écoulement des eaux des Flandres. »

M. Fleussu reprend par amendement la première disposition de l'article 1er du projet de loi adopté par le sénat, le 26 avril 1836. Cette disposition est ainsi conçue :

« Il sera exécuté un canal de Damme à la mer du Nord, pour l'écoulement des eaux des Flandres. »

La parole est à M. Fleussu pour développer cet amendement.

M. Fleussu. - L'amendement tel qu'il est rédigé laisserait aux frais du trésor toute la dépense, je voudrais savoir si les provinces des deux Flandres ne considèrent pas cela comme d'un intérêt provincial, les communes comme d'un intérêt communal et enfin si les propriétaires des terrains desséchés n'ont pas un véritable intérêt à la construction de ce canal. S'il en est ainsi ne pourrait-on pas les contraindre à concourir à la dépense ; je prierai M. le ministre de me répondre sur ce point.

M. de Muelenaere. - Vous voyez par le tableau qui vous a été distribué que cinq propositions différentes ont été faites. D'après l'art. 1er du projet de loi adopté par la chambre, le 20 avril 1836, il avait été décidé qu'il serait exécuté, aux frais du trésor public un canal de Damme à la mer du Nord pour l'écoulement des eaux des Flandres. L'honorable M. Lejeune, par suite de l'opposition faite à cette disposition au sénat a modifié sa proposition, en ce sens qu’il serait fait un canal de Zelzaete a la mer du Nord pour l'écoulement des eaux des Flandres avec le concours des propriétaires intéressés jusqu'à concurrence de la moitié de la plus value conformément à la loi de 1807.

On a fait remarquer que de cette manière les propriétaires intéressés ne devraient qu’éventuellement un subside pour la construction du canal. M. le ministre des travaux publics a modifié la proposition de M. Lejeune, en ce sens que les propriétaires intéressés devront concourir dans tous les cas jusqu’à concurrence du quart d'après l'estimation. Maintenant l'honorable M. Fleussu propose par amendement la première partie de la disposition adoptée au sénat, mais il ne dit pas aux frais de qui sera construit le canal de Damme à la mer du Nord. Il me semble qu'il est essentiel de le dire dans l'article premier ; autrement vous pourriez décider l'exécution de canaux sur tous les points au royaume et cette décision ne vous obligerait à rien.

M. le président**.** - M. Osy vient de déposer l'amendement suivant :

« Il sera accordé à la province de la Flandre occidentale un subside de 550,000 fr. pour l'exécution d'un canal de Damme à la mer du nord, pour l'écoulement des eaux des Flandres. »

M. Fleussu**.** - Ma proposition tend à restreindre le canal à exécuter de Damme à la mer du Nord. Je désire expliquer en peu de mots les motifs qui m'ont déterminé à présenter cet amendement. Il m'a été démontré à suffisance par la discussion d'hier et par celle d'aujourd'hui, que de Zelzaete à Damme il n'y a pas urgence, il n'y a pas même nécessité absolue. C'est ce qui résulte du passage du rapport de M. l'inspecteur Vifquain.

« Les ingénieurs ont fait voir que la seconde section du canal d'écoulement, qui comprend la partie de Damme à Zelzaete, n'est point immédiatement indispensable à l'écoulement des eaux du pays qu'elle doit traverser, puisque cet écoulement, bien que perdant tous les jours de sa valeur, s'opère encore avec succès par les écluses de débouché au Brackman. »

Messieurs, nous sommes en présence de beaucoup de projets de canalisation, je demande où est la nécessité de décréter dès maintenant la construction du canal de Zelzaete à Damme. Il n'y en a évidemment aucune. En contribuant à la construction d'un canal de Damme à la mer du Nord, nous faisons tout ce que peuvent exiger les Flandres, c'est-à-dire que nous faisons tous les travaux nécessaires pour l'évacuation de leurs eaux.

Maintenant, messieurs, il reste à savoir par qui de semblables constructions doivent être effectuées.

Si ces constructions sont d'un intérêt général, quelle que soit la dépense, c'est au trésor à les supporter. Si, au contraire, ce ne sont que des constructions d'un intérêt provincial, d'un intérêt communal ou d'un intérêt particulier, alors, messieurs, nécessairement c'est aux parties qui en profite à supporter la dépense.

Eh bien ! examinons donc qui doit profiter de ces constructions. Voyons, si ces constructions sont véritablement d'un intérêt général. Quant à moi, je ne le pense pas. Je considère comme constructions d'intérêt général, celles qui doivent profiter à tout le pays ou desquelles tout le pays doit profiter. Ainsi, quand vous faites des voies de communication, quand vous créez des routes, des canaux de navigation, je conçois qu'il y ait là un intérêt général ; parce qu'il est libre à tous les habitants du pays de se servir de ces voies de communication, mais alors que vous n'établissez qu'un canal d'écoulement des eaux des Flandres, il est évident que cela ne profite qu'aux Flandres. Il est évident dès lors, qu'il s'agit d'un intérêt purement provincial. Cet intérêt est aussi communal, parce que je conçois que les communes situées dans ces bas-fonds ont le plus grand intérêt à ce que leur territoire soit desséché. C'est encore un intérêt particulier, parce que les propriétés desséchées profiteront des constructions qu'on doit faire. Mais évidemment le pays proprement dit n'a pas un égal intérêt à ce que les Flandres soient débarrassées de leurs eaux. Il importe certes moins aux autres provinces qu'à celles des Flandres que les eaux de celles-ci s'éjournent ou s'écoulent.

On dira : mais l'intérêt de l'agriculture ! Messieurs, une loi a pourvu à cela ; c'est la loi de 1807, pour le desséchement des marais. Je conçois que lorsque vous desséchez des terrains, l'agriculture en profite, qu'elle donne d'avantage pour l'alimentation du pays. Mais voyez où vous vous engagez. Dans la province de Brabant même, il y a un lac qui couvre plus de cent hectares de terrain. Il y a longtemps que le propriétaire de ce lac a demandé l'autorisation de le dessécher ; je crois même qu'il l'a obtenue. Mais que penseriez vous si ce propriétaire venait dire au gouvernement : desséchez ce lac, j'en profiterai, mais la généralité du peuple en profitera aussi, car il y aura cent hectares de terre de plus livrés à l'agriculture. Eh bien ! le raisonnement que l'on tient ici est absolument le même.

Cependant, comme il y là une espèce d’intérêt général, parce qu'on ne doit pas dédaigner l'intérêt des deux Flandres, je conçois que le gouvernement fasse quelque chosé pour venir en aide dans la construction du canal et c'est pour cela que je crois qu'il y a lieu d'accorder un subside. Mais avant tout il faut intéresser la province, il faut intéresser les communes, les particuliers qui ont des propriétés voisines.

Messieurs, dans les Flandres même ne croyez pas qu'on considère la construction du canal de Zelzaete comme étant d'un intérêt général ; on ne le considère même pas comme étant d'un intérêt provincial. Car si mes renseignements sont exacts, il a été fait aux conseils provinciaux des Flandres, une proposition d'accorder des subsides pour le dessèchement des propriétés et les conseils provinciaux ont répondu que ce n'était pas là une affaire d'un intérêt provincial.

M. Delehaye. - Quel est ce conseil provincial ?

M. Fleussu. - Le fait m'a été affirmé, et je demanderai à M. le ministre ce qu'il en sait.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Je ne connais aucunement ce fait.

M. Delehaye. - J'ai fait partie du conseil provincial de la Flandre orientale, et je sais que pareille décision n'y a pas été prise.

M. Fleussu. - Messieurs, un honorable membre de cette chambre m'a assuré le fait. Je crois inutile de le nommer ; mais si vous le connaissiez, vous reconnaîtriez qu'il n'est pas capable d'inventer, et vous me connaissez assez moi-même, pour savoir que je ne suis pas capable de vouloir en imposer.

Il me semble donc, messieurs, que nous faisons assez lorsque nous mettons un subside à la disposition de la province de la Flandre occidentale, parce que le canal tel qu'il est restreint d'après ma proposition, ne traverse plus qu'une partie de cette province.

- L'amendement de MM. Fleussu et Osy est appuyé.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, pour soutenir que le canal de Zelzaete n'est pas d'un intérêt général, il faut absolument ne pas avoir entendu tous les motifs qui ont été développés hier et aujourd'hui pour le prouver. Il faut absolument n'avoir tenu aucun compte de tous les motifs et des rapports qui ont été distribués, il faut même ne pas les avoir lus.

Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous expliquer hier ce qui a nécessité la construction du canal de Zelzaete. Avant 1788 il existait un chenal entre le Zwyn et le Brackman. Ce chenal était constamment tenu à profondeur par l'action du flux et du reflux. de la mer. Mais en 1788, la Hollande a établi le barrage appelé Bakkersdam**, qui est venu entièrement empêcher l'action du flux et du reflux de la mer. De là, messieurs, envasement dans le bassin du Zwyn, et envasement dans le bassin au Brackman.

Quant au Brackman, il est vrai que pendant quelques années encore les eaux pourront se déverser par cette voie dans la mer. Mais il n'en est pas moins vrai que l'envasement est déjà fort avancé et que d'ici à très peu d'années il n'y aura plus possibilité d'écouler les eaux par cette voie. Mais quant à ce qui concerne le Zwyn, cette impossibilité d'écoulement n'existe plus ; et elle n'existe plus par un autre fait politique dont tous le pays profite. Car le fait politique de 1788, la création du Bakkersdam a été au profit de la Hollande et à notre détriment ; mais le fait politique qui a accéléré l'envasement du Zwyn, c'est un fait politique dont tous nous profitons. Ce fait politique, c'est la révolution de 1830, c'est par suite de la révolution de 1830, en effet, que les Hollandais,ont tenu fermée l'écluse établie au canal de l'Ecluse, afin de tendre des inondations défensives contre la Belgique. C'est par suite de ce fait que le Zwyn s'est tellement envasé qu'il n'y a plus possibilité d'écouler les eaux par la voie de ce bassin.

Vous voyez donc que non seulement il y a intérêt général, mais aussi qu'il y a exigence politique.

Maintenant, messieurs, on se réfère au projet de loi, voté en 1836, pour soutenir qu'il ne faut voter aujourd'hui, comme à cette époque, que la partie du canal de Damme à la mer. Mais, messieurs, pour tous ceux qui ont pu relire la discussion qui a eu lieu en 1836 dans les deux chambres, il doit être évident que, l'esprit de la loi était la construction du canal entier de Zelzaete à la mer. Cela est tellement vrai qu'on n'a jamais appelé le canal autrement que le canal de Zelzaete. S'il ne se fût agi que du canal de Damme à la mer, on l'aurait simplement appelé le canal de Damme mais toujours on l'a appelé canal de Zelzaete et dans la discussion on s'est toujours basé sur la construction entière, et ce n'est, comme à présent encore du l'este, que relativement à l'exécution immédiate qu'on s'est restreint à la partie de Damme à la mer. Ce qui le prouve, c'est le chiffre élevé du devis de cette partie du canal. Ce chiffre a été en 1836 comme aujourd'hui de 1,728,000 fr. Et pourquoi a-t-il été et se trouve-t-il encore aussi élevé ? C'est parce que la construction du canal entier à partir de Zelzaete demande que la partie de Damme à la mer soit faite sur de plus grandes dimensions ; les écluses et tous les ouvrages d'art exigent de plus larges dimensions. Ainsi, messieurs, il est certain que lorsqu'on a voté le projet en 1836, on s'est basé sur le chiffre d'estimation nécessaire pour construire le canal de Damme à la mer dans des dimensions telles qu'il pût faire partie du canal entier de Zelzaete à la mer, et par conséquent on a réellement entendu voter le principe du canal entier.

L'honorable M. Lejeune, la section centrale après lui et le gouvernement maintenant ont pensé qu'il valait mieux que la loi s'exprimât complètement sur ce point, que son texte renfermât tout ce qu'on voulait qu'il contînt. Voilà ce qui a amené et l'honorable M. Lejeune et la section centrale et le gouvernement à vous proposer de rédiger l'art. 1er de manière à ce que le principe du canal entier voté implicitement à la vérité, mais positivement en 1836, fût voté actuellement d'une manière explicite et franche. Voilà toute la différence, et c'est, je le répète, parce que les dimensions du canal de Damme à la mer doivent nécessairement être plus fortes, si dans un temps indéterminé et plus ou moins long on doit se résoudre à construire la partie de Zelzaete à Damme. Et à cet égard, il n'y a pas de doute, il faudra le faire, il n'y a d'incertain que l'époque.

M. Lejeune. - Messieurs, pour présenter des amendements, pour bouleverser tout le projet de loi, on n'a rien eu de mieux à faire que de déplacer la question, comme vient de le dire M. le ministre des travaux publics. On ne tient plus aucun compte de toutes les considérations d'intérêt général qu'on a fait valoir en faveur de la construction du canal de Zelzaete à la mer du Nord.

On ne tient plus aucun compte ni de la question politique qui, dans cette circonstance, devrait dominer, ni de l'acte d'indépendance que la Belgique poserait à l'égard d'un voisin qui, dans d'autres temps, a toujours pris à tâche d'empêcher cet acte par son adroite politique ; on ne tient plus compte ni de l'intérêt douanier, ni de l'intérêt militaire. L'on déduit l'importance du canal de Zelzaete aux propositions d'une rigole d'écoulement.

Eh, messieurs, a-t-on oublié tout ce qui nous a été dit des effets que produirait le canal pour l'écoulement des eaux supérieures ? Est-il ou n'est-il pas d'intérêt général d'assécher le territoire, de jeter dans la mer les eaux que nous sommes obligés de recevoir par suite de notre position géographique ? Cela serait vrai, dit-on, s'il s'agissait d'un canal de navigation. Mais, messieurs, il s'agit de rétablir la plus belle ligne de canaux de navigation qui existe ; il s'agit de rendre à la navigation le canal de Bruges à Ostende.

On dit qu'il ne s'agit pas d'un intérêt général, et savez-vous pourquoi ? Parce que cet intérêt se trouve dans les Flandres.

Messieurs, on a parlé hier et aujourd'hui des Flandres comme d'un pays conquis, on a parlé des Flandres comme d’un pays ennemi, et qu'on devrait traiter comme un pays conquis. Mais lorsqu'un intérêt général se place dans les Flandres, cet intérêt cesse-t-il par cela même d'être général ? Est-il étonnant que ce soit quelquefois dans les Flandres qu'il s'agit de faire des travaux d'intérêt général ?

Mais, messieurs, les Flandres forment le tiers du pays, sous le rapport de l'étendue territoriale, sous le rapport de la population, et peut-être bien plus encore sous le rapport des contributions payées à l'Etat.

On a beaucoup exagéré, messieurs, lorsqu'on a dit que les Flandres absorbent tout ; je crois que les Flandres donnent infiniment plus qu'elles n'absorbent.

Je le répète, lorsqu'une chose est d'intérêt général, cesse-t-elle d'intéresser le pays par cela seul qu'elle intéresse en même temps les Flandres ?

Il s'est présenté dans cette chambre beaucoup d'autres questions d'intérêt général, et il s'en présentera encore beaucoup, qui ne trouveront pas leur application dans les Flandres ; eh bien, messieurs, pour juger de l'avenir, il faut consulter le passé : lorsqu'on a décidé ici ces questions d'intérêt général, quels sont les députés qui ont concouru à former la majorité, alors même que cet intérêt général se trouvait placé partout ailleurs que dans les Flandres ? Ce sont les députés des Flandres,

Que n'a-t-on pas dit hier pour obtenir l'ajournement ? On vous a dit : « Nous Luxembourgeois, nous députés de la Campine, nous qui appartenons à telle ou telle partie du pays, nous ne vous refusons pas le canal de Zelzaete, nous sommes d'accord avec vous que ce canal est d'intérêt général. » On est presque allé jusqu'à dire : « Si vous aviez eu la patience d'attendre, vous n'auriez pas payé le million que vous devrez payer d'après le projet de loi, vous auriez eu le canal aux frais de l'Etat. »

Nous ne sommes pas contraires au canal de Zelzaete, mais donnez nous en même temps la canalisation de la Campine. D'un autre côté, on nous dit : « Vous demandez le canal de Zelzaete et après vous ne ferez pas les travaux nécessaires à la Meuse. » Eh bien, messieurs, nous ne nous sommes jamais conduits de cette manière, nous n'avons jamais posé un acte de partialité ; nous avons toujours appuyé les projets d'utilité générale quelles que fussent les provinces qui devaient profiter le plus directement de l'exécution de ces projets. .

Messieurs, il est un fait remarquable qui s'est reproduit quelquefois dans cette enceinte, et que je prends occasion de constater ici de nouveau. Quand on veut nous reprocher un acte de partialité où puise-t-on les arguments ? C'est toujours dans l'avenir, jamais dans le passé. On ne cite jamais dans le passé aucun exemple, aucun fait qui justifie le reproche, eh bien, c'est d'après le passé qu'on devrait juger de l'avenir.

Il serait difficile, messieurs, il serait accablant même, de rencontrer tous les petits arguments que l'on a fait valoir contre le projet. Si l'on voulait le faire, il faudrait le répéter constamment. On vous a dit par exemple : « On n'a rien fait pour telle ou telle partie du pays. »

Je n'ai pas, messieurs, fait valoir un argument de cette nature en faveur du canal de Zelzaete, parce que je ne puis pas considérer ce canal comme un objet d'intérêt local ; mais je pourrais rétorquer l'argument et je pourrais dire aussi que rien n'a été fait pour les localités où il s'agit de construire le canal de Zelzaete et qui ont tout perdu par la révolution et pour la révolution. Qu'a-t-on fait pour ce pays ? On n'y a pas dépensé un centime.

Voilà, messieurs, ce que je pourrais répondre aux objections que je viens de relever, mais je le répète, je ne veux pas faire valoir des arguments de cette nature, parce que je considère le canal de Zelzaete, non pas comme un objet d'intérêt local, mais comme un objet d'un haut intérêt national.

L'amendement qui vous est présenté, messieurs, tend à ce qu'il ne soit construit qu'une section du canal de Zelzaete, la section de Damme à la mer.

Eh bien, messieurs, présenter un amendement semblable, c'est reconnaître un fait, qui est d'ailleurs incontestable, c'est reconnaître que le débouché du Zwyn est entièrement perdu, qu'il y a nécessité de procurer un écoulement nouveau aux terrains dont les eaux s'écoulaient autrefois dans le Zwyn.

Mais cette nécessité n'existe-t-elle pas pour les terrains qui devaient s'écouler dans l'autre section du canal de Zelzaete ? Messieurs, ce ne sont pas seulement les terres qui avoisinent le Zwyn qui y déchargeaient leurs eaux, et plus les terres sont éloignées de ce débouché, plus il est indispensable de leur en donner un autre.

Vous avez à l'ouest de la ville de l'Ecluse une écluse sur le Zwyn, qu'on appelle l'écluse du Pas ; cette écluse sera remplacée par le canal de Damme à la mer ; mais il y a une autre écluse qui débouche dans le Zwyn : c'est l'écluse de l'est qui doit déverser dans le Zwyn les eaux d'une grande étendue de terre, situées à une grande distance de ce débouché. Que ferez-vous de ces eaux ? Vous dites aux propriétaires : Faites-les évacuer vous-mêmes, mais où iront-elles ? Avec la meilleure volonté du monde les propriétaires sont dans l'impossibilité, même avec les plus grands frais qu'ils voudraient s'imposer, ils sont dans l'impossibilité absolue, je ne dis pas d'assécher un marais comme on a voulu le faire croire, mais de conserver de bonnes terres qui paient de fortes contributions à l'Etat.

Il y a donc urgence, messieurs, de décréter le canal tout entier, et d'en commencer immédiatement la construction. Certes, vous ne le ferez pas d'ici à demain ; jusqu'à ce qu'il soit fait on souffrira, mais enfin on pourra au moins entrevoir alors le terme de ces souffrances.

L'honorable M. Fleussu a dit qu'il existe un débouché sur le Brackman, et que de ce côté il n'y pas nécessité de construire le canal. Oui, messieurs, il y a sur le Brackman une bonne écluse d'évacuation, une bonne wateringue, c'est la wateringue du Capitalendam, mais cette wateringue est insuffisante et elle le deviendra de plus en plus parce que tous les terrains hollandais qui écoulaient leurs eaux dans le Zwyn, doivent écouler maintenant par cette écluse. Voilà, messieurs, pour ce qui concerne les terres les plus rapprochées du Zwyn, mais ce sont les terres qui se trouvent en arrière, qui souffrent, ce sont, par exemple, les terrains d'Assenede, de Bouchaute, de Basseveld, de Watervliet, de St-Jean, de St-Laurent, de Maldeghem etc., où les inondations sont maintenant périodiques, ces terrains ne pouvant pas écouler leurs eaux sans le canal de Zelzaete.

Et lorsque vous aurez construit ce canal, tout ne sera pas fait, messieurs, c'est alors que nous aurons nous à faire tous ces travaux que l'on croit que nous n'avons qu'à faire maintenant, c'est alors que commenceront nos dépenses.

Il y a donc nécessité absolue de décréter le canal tout entier, et de le faire tout entier.

Qu'aurez-vous fait lorsque vous n'aurez construit qu'une section du canal ? Vous aurez reculé une troisième fois devant un ouvrage qui, comme je l'ai déjà dit, la Hollande à toujours tâché d'empêcher, devant un acte, qui est réellement une déclaration d'indépendance, sous un rapport fort intéressant pour le pays. C'est l'adroite politique de la Hollande qui a toujours su empêcher cet acte, c'est la Hollande qui nous applaudira, c'est elle qui se frottera les mains lorsque vous reculerez devant le vote du canal tout entier ; sous le rapport politique le projet perdrait alors toute son importance.

Ainsi, messieurs, sans rechercher avec tant de soin les petits intérêts particuliers qui se rattachent à un grand intérêt général, on n'a rien de mieux à faire dans l'intérêt du pays que de décréter le canal de Zelzaete et d'adopter le projet de loi tel qu'il a été amende par monsieur le ministre et auquel, par esprit de conciliation, nous nous sommes ralliés.

M. Eloy de Burdinne**.** - Messieurs, j'ai demandé la parole, pour appuyer l'amendement de l'honorable M. Fleussu. Cet amendement, messieurs, est conforme à l'opinion que j'ai émise dans le discours que j'ai prononcé tout à l'heure. Je veux prouver aux Flandres que nous ne les considérons pas comme un pays conquis, que nous ne les considérons pas comme des ennemis ; et ici je déclare que si je vote l'allocation d'un subside à la charge de l'Etat pour faire des travaux, cela prouve uniquement que je suis disposé à voter des sacrifices, lorsqu'il s'agit de maintenir la bonne amitié entre les provinces. Voilà le motif qui me porte à consentir à un subside, et jamais je ne donnerai mon assentiment à ce que le gouvernement exécute des travaux, en vue de favoriser telles ou telles communes, tels ou tels particuliers.

On vous a fait un reproche, à nous qui ne partageons pas l'opinion de ceux qui soutiennent le projet, de n'avoir pas lu les documents qu'on nous avait distribués, de n'avoir pas écouté les discours qui avaient été prononcés dans cette enceinte pour démontrer que l'exécution du canal de Zelzaete est d'un intérêt général. Mais, messieurs, ce canal n'est pas même d'un intérêt général pour les Flandres. Quand je suis intéressé à obtenir quelque chose, je cherche à prouver alors que mon intérêt est l'intérêt général. Voilà comment on s’y est pris pour le canal de Zelzaete : on a taché de faire de l'amélioration de quelques terres une question d'intérêt général.

Messieurs, on nous a dit aussi, pour appuyer l'opinion : que la construction du canal était d'un intérêt général ; on nous a dit aussi que la nécessité de cette construction était en quelque sorte le résultat de la révolution. Les Hollandais, a-t-on ajouté, ont fermé leurs écluses, et le Zwyn s'est ensablé. Mais, messieurs, cet ensablement n'est pas le fait de la révolution ; ne vous a-t-on pas déjà dit ici que sous le règne de Marie-Thérèse, on avait reconnu que l'évacuation des eaux des Flandres ne pouvait plus avoir lieu sans que l'on fît des travaux ? On a même dit que des ingénieurs avaient été alors chargés de faire un travail, pour aviser aux moyens d'évacuer les caux.

Ce n'est donc pas le fait de la révolution qui a amené cet ensablement, la cause en doit être cherchée à une époque bien antérieure.

Messieurs, l'honorable M. Desmet vous a dit que dans le moment actuel, les habitants des localités qui se trouvent surchargées d'eaux, payaient tous les ans 150,000 florins aux Hollandais pour avoir le moyen de s'assécher. C'est donc de cet impôt que l'on veut s'affranchir, en mettant à la charge de l'Etat, toute la dépense de travaux qui ne doivent profiter qu'à quelques localités.

Par ces considérations, j'appuie de toutes mes forces l'amendement qui a été présenté par l'honorable M. Fleussu.

M. Osy. - Je pense, messieurs, que nous devons attendre que le rapport général sur la canalisation du pays soit achevé, pour nous prononcer sur l'exécution du canal de Zelzaete jusqu'à Damme. Quant à présent, je suis convaincu qu'il est nécessaire de faire un canal de Damme jusqu'à la mer ; mais la discussion d'hier m'a donné aussi la conviction que l'exécution de ce canal présente un intérêt provincial. Le gouvernement ne doit donc pas se charger seul de la dépense de ce canal, pas plus qu'il ne se charge de faire construire des routes et des canaux dans d'autres provinces, qui doivent même la plupart du temps faire face à ces dépenses par leurs propres ressources. Le principe de l'intervention des localités intéressées étant de règle en pareille circonstance, nous en avons fait la base de notre amendement qui, je l'espère, sera adopté par la chambre.

M. Fleussu. - Messieurs, la proposition que l'honorable M. Osy et moi avons eu l'honneur de soumettre à la chambre a eu le tort d'exciter chez M. le ministre des travaux publics une animation extraordinaire, et de soulever contre moi des reproches que je crois n'avoir jamais mérités. M. le ministre sait en effet que chaque fois qu'il parle je me fais non seulement un devoir, mais encore un plaisir de l'écouter, que je recueille avec une scrupuleuse attention toutes les paroles qui sortent de sa bouche, parce qu'elles ont le double mérite d'être bien dites, et d'être dites dans l'intérêt du pays.

En second lieu, je crois avoir prouvé plus d'une fois à M. le ministre que j'ai l'habitude de lire les pièces communiquées à la chambre, et il n'y a pas bien longtemps que je pense lui en avoir encore donné une preuve assez frappante. Qu'il me permette maintenant de lui dire que, quoiqu'il nous ait été laissé peu de temps pour nous préparer, et que nous soyons même de ceux qui n'ont pas assisté à la première discussion en 1836 ; qu'il me permette de lui dire que j'ai lu les pièces, et ce qui le prouve, c'est que j'ai donné lecture d'un extrait du rapport des ingénieurs, extrait qui établit parfaitement, que si le canal de Damme à la mer du Nord est une nécessité actuelle, la même nécessité n'existe pas pour le canal de Zelzaete à Damme. Je n'ai pas été peu surpris de voir l'honorable M. Lejeune et M. le ministre des travaux publics, s'insurger, en quelque sorte contre le résumé du travail des ingénieurs.

J'avais dit, messieurs, que je ne considérais pas comme un objet d'intérêt général la construction du canal qui fait le sujet de vos présentes délibérations, je croyais l'avoir démontré par plusieurs considérations. Comment m'a répondu le ministre des travaux publics ? Il m'a répondu en disant que c'était un objet d'intérêt général. Mais cet intérêt général est restreint aux deux Flandres. Or, je dis que quand l'intérêt général est restreint à une seule localité, il ne s'agit plus là que d'un intérêt local, et non pas d'un intérêt vraiment général, puisque dans l'occurrence, les autres parties du pays ne sont pas appelées à profiter de la construction que vous faites dans une localité.

Messieurs, on nous a dit que dans la pensée de la législature en 1836, on avait voulu décréter la construction d'un canal depuis Zelzaete jusqu'à la mer, et ce qui le prouve, a-t-on ajouté, c'est que le projet a porté et porte encore le nom de canal de Zelzaete ; mais, messieurs, ce qui prouve qu'on n'a pas voulu des deux sections du canal de Zelzaete, c'est qu'on ne l'a pas fait. Si l'on a continué à donner du canal le nom de canal de Zelzaete, cela provient de la qualification dont on l’a baptisé en premier lieu ; on avait d'abord pris cette idée pour point de départ, et bien qu'on ne s'y soit pas arrêté, on a continué par habitude à désigner le canal comme on l'avait fait précédemment. Voilà tout.

On dit que c'est par le fait de la révolution qu'une partie des Flandres souffre des inondations. Je veux bien admettre la vérité de cette assertion ; mais j'avoue que depuis le traité, je croyais que la Hollande devait recevoir toutes les eaux des Flandres. Il y a, si je ne me trompe, une disposition expresse dans le traité. Voilà maintenant qu'il s'agit, de l'exécution de cette clause qu'on a fait sonner bien haut dans une autre circonstance, il n'y a plus moyen d’obtenir cette exécution : l'ensablement est là, et la Hollande ne veut on ne peut recevoir nos eaux.

J'admets tout ce qu'on a dit, mais je demande si même dans ce cas il y a lieu à ce que l'Etat se charge de la construction du canal d'écoulement qui est proposé. Je réponds que non. La raison en est toute simple : il y a des localités qui, par suite des événements politiques, ont souffert autant et plus que les Flandres. Les poldres, par exemple, ont été inondés pendant 10 ans. Eh bien, vous avez déclaré récemment que vous n'accorderiez rien du tout aux propriétaires des poldres ; vous les avez formellement exclus de la loi des indemnités. On me dit qu'on a fait quelques dépenses pour l'endiguement, je le veux bien, mais il n'en est pas moins vrai que les propriétaires eux-mêmes, qui ont souffert pendant 10 ans, se sont vus dépouillés de leurs droits à une indemnité. Une foule d'autres personnes souffrent par suite de la révolution. Croyez-vous que les sommes que vous avez votées, les indemniseront entièrement des pertes qu'elles ont faites.

Et pourquoi donc les Flandres seraient-elles parfaitement indemnisées ? Pourquoi ferait-on pour elles, aux frais du trésor seul, ce qui se fait toujours et doit se faire aux frais des provinces, des communes et des parties intéressées ? On m'a dit que ce n'était pas un objet d'intérêt général, et que dès lors le trésor devait pourvoir à la dépense. Mais, messieurs, il n'en est rien. Les inondations dans les Flandres ne sont pas le fait d'un accident spécial : les Flandres ont été à diverses époques sujettes à ces inondations. C'est ainsi qu'en 1807 il a fallu créer l'écluse d'Isabelle.

Eh bien, aux frais de qui croyez-vous que cette écluse ait été faite ? Croyez-vous que ce soit aux frais du trésor du grand empire ? Non, messieurs, ce sont les localités elles-mêmes qui ont supporté cette dépense ; c'est la commune de Bouchaute qui a fourni un subside de 200,000 fr., ce sont les wateringues qui ont contribué dans la dépense pour une somme d'égale valeur.

Ce n'est donc pas un intérêt général qui est en cause ici, ce n'est qu'un intérêt particulier. Mais pourquoi a-t-on cherché à présenter la question sous le manteau de l'intérêt général ? C'est parce qu'on sait que la chambre montre beaucoup de facilité à mettre à la charge du trésor public toutes les grandes dépenses qui devraient incomber aux provinces.

On a dit qu'il n'avait jamais été question du canal au conseil provincial de la Flandre orientale. Je réponds que le contraire m'a été affirmé par une personne dont la mémoire se trouve rarement en défaut. Au surplus, je trouve la preuve de ce fait dans le rapport même. Je lis à la page 4 :

« Toutefois, quoique resserrées par les endiguements, ces voies d'écoulement restèrent sujettes à un envasement progressif et elles finirent par s'encombrer tellement que, dès 1816, les ingénieurs en chef des provinces de Flandre orientale et de Zélande, présentèrent au gouvernement un projet de recreusement du canal de Gand au Sas de Gand, et d'ouverture d'un nouveau canal servant en quelque sorte de prolongement au premier jusqu'à Terneuzen.

« Ce projet n'ayant pas reçu d'exécution, à cause du peu de faveur avec lequel il fut accueilli par les états provinciaux de la Flandre, le mal alla croissant et, en 1823, tous les polders se virent menacés d'une nouvelle submersion par l'impossibilité où ils étaient de se maintenir en communication avec la marée basse dans l'Escaut. Le canal du Sas était aussi devenu impropre à l'écoulement des eaux des Flandres, par les bancs de sable qui s'étaient formés devant ses écluses de décharge, à une hauteur de plus de deux mètres sur les radiers. »

Vous voyez donc que j'ai lu les pièces et que j'avais raison de dire que c'était une chose d'intérêt provincial, puisque sous l'ancien gouvernement on soumettait la chose aux états provinciaux.

M. Raikem**.** - L'honorable M. Fleussu a dit que les conseils provinciaux des deux Flandres avaient été consultés et n'avaient pas voulu concourir aux travaux relatifs au canal de Zelzaete à la mer. Vous sentez bien, comme il s'agit d'une chose antérieure au vote du 2 avril 1836, cette locution de conseil provincial qu'on emploie souvent pour désigner l'autorité provinciale est inexacte, car nous n'avions pas encore la loi provinciale mise en vigueur depuis. Mais ce n'est pas une raison, parce qu'une expression n'est pas exacte, pour que la chose ne le soit pas, souvent on se sert d'expressions actuelles pour désigner une chose qui autrefois se désignait autrement.

Voyons si les représentants des deux Flandres à cette époque ont été consultés, et si, oui ou non, ils ont consenti à concourir à la construction du canal de Zelzaete. Or, j'espère qu'on ne récusera pas un discours prononcé par M. le ministre de l'intérieur dans la séance du 13 avril 1836, c'était une époque antérieure à la loi provinciale.

Voici ce que disait M. le ministre dans cette séance du 13 avril :

« Il restait une question à traiter, savoir si la province devait intervenir dans la dépense. Cet objet a attiré spécialement notre attention. J'en ai écrit aux états de la Flandre orientale et occidentale, mais ils n'ont pas voulu coopérer à la dépense. »

C'était pour faire voir que le fait est exact. Si on pouvait critiquer quelque chose ce n'était que l'expression employée, comme si on se servait aujourd'hui des mots cour d'appel pour désigner la cour impériale.

« L'on a fait remarquer qu'il ne s'agissait pas ici d'une affaire locale, mais bien d'une affaire d'intérêt général : qu'à l'égard de la navigation, la province du Hainaut avait un intérêt plus direct que les deux Flandres, au libre usage du canal de Bruges, usage qui est en partie subordonné à l'ouverture du canal projeté.

« Relativement aux propriétaires dont les terres sont actuellement en souffrance, on a fait remarquer que ces propriétaires, pour profiter du canal, seraient obligés de construire des rigoles, que leurs moyens d'écoulement sont compromis, et qu'il importe à l'Etat que des terrains aussi considérables soient rendus à un état de fertilité.

« Il est inutile de relever ce qu'on a dit que ceci n'est qu'un commencement d'exécution d'un grand canal de navigation qui nous dispenserait de nous servir de l'Escaut. Je crois que cette assertion n'a pas besoin d'être réfutée. On a déjà dit qu'un canal d'écoulement ne peut servir de canal de navigation, au moins dans les terres basses.

« Je dirai en outre que si jamais il était question d'établir un canal de navigation, ce n'est pas dans cette direction qu'il devrait être établi. »

Le reste concerne d'autres objets. Vous voyez que la chose est exacte.

Maintenant un amendement est proposé. Je n'avais l'intention de prendre la parole que pour établir le fait dont je viens de parler, mais j'ajouterai un mot. C'est que j'ai peine à concevoir comment une dépense serait d'intérêt général sans être en même temps d'intérêt provincial, d'intérêt communal et d'intérêt particulier, car l'intérêt général comprend tout, vous avez à cet égard des règles tracées dans la loi de 1807. Les départements plus spécialement favorisés que d'autres par des travaux d'utilité publique doivent y contribuer en proportion. Les propriétaires peuvent être obligés d'y concourir pour la moitié de la plus-value de leur propriété.

Ainsi vous voyez que d'après cette loi que je viens de citer les travaux d'intérêt général sont en même temps d'intérêt provincial communal et particulier. C'est parce que tout propriétaire, toute commune, tout arrondissement, tout département, particulièrement dans les travaux dont il s'agit, recueillent de plus grands avantages que les autres localités. Voilà dans quel sens on entend que ces travaux sont en même temps d'intérêt général et provincial. Je pense que les Flandres recueilleront plus d’avantage que les autres localités du canal dont il s'agit. S'il en est ainsi, ce canal est aussi d'intérêt provincial et particulier et chacun doit concourir dans les dépenses en proportion des avantages qu'il doit en retirer.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - J'ai peut-être mis quelque animation dans les paroles prononcées tout à l'heure ; c'est parce que je parlais de conviction dans l'intérêt général du pays. Si dans ces paroles quelques mots ont pu blesser, contre mon intention, l'honorable M. Fleussu que j'estime et respecte beaucoup, je suis près à les retirer.

Cet honorable membre vient de vous citer un passage du rapport de mon honorable collègue de l'intérieur, où il est dit : « Ce projet n'ayant pas reçu d'exécution à cause du peu de faveur avec lequel il fut accueilli par les états provinciaux de la Flandre. » Il vous a lu cette phrase pour établir que les états provinciaux n'avaient pas accueilli le canal de Zelzaete. Je ferai observer qu'il ne s'agit pas là du canal de Zelzaete, car il y a en tête de cette partie du rapport : Du canal de Terneuzen.

M. Fleussu. - Je voulais prouver que cette question d'écoulement était un intérêt provincial.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Ensuite M. Fleussu a prétendu que la question du canal de Zelzaete n'était pas d'intérêt général, qu'elle était de pur intérêt local, qu'un conseil provincial des Flandres avait lui-même décidé que, loin d'être d'intérêt général, elle n'était pas même d’intérêt provincial. Et M. Raikem, après lui, a cité un passage de la discussion de 1836, pour prouver que le conseil provincial des Flandres s'était occupé de la question, et avait décidé que ce n’était pas un intérêt provincial. Mais remarquez que c'est dans un autre sens que celui qu'y attachait M. Fleussu ; car, encore une fois, il disait que non seulement le canal projeté n'était pas d'intérêt général, mais qu'il n'était pas même d'intérêt provincial, et que par conséquent il ne pouvait être et n'était que d'intérêt local.

Eh bien ! ce qu'a dit l'honorable M. Raikem est tout autre chose. Le conseil provincial qu'il a cité a dit que l'objet dont il s'agit n'était ni d'intérêt provincial, ni d'intérêt local, mais d'intérêt général. Vous voyez que le passage cité par M. Raikem était la meilleure réponse qu'on pouvait faire à M. Fleussu.

M. Dumortier. - C'est un fait !

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Oui ; mais un fait en faveur de l'intérêt général qui s'attache au canal de Zelzaete.

On a dit qu'on avait récemment refusé des indemnités aux polders. Mais quel a été le principal motif de ce refus ? C'est qu'on avait dépensé sept millions pour les rendiguer et qu'on a pensé que cela suffisait. Voilà les véritables motifs de la décision de la chambre sur ce point.

Vous voyez bien que la chambre n'a jamais été dominée dans aucune de ces questions par l'esprit en quelque sorte étroit qu'on voudrait bien lui prêter.

M. Peeters. - J'ai demandé la parole pour appuyer l'amendement présenté par les honorables MM. Osy et Fleussu. Messieurs, les députés des Flandres ont voulu séparer le projet concernant Zelzaete des autres canaux du pays, en venant soutenir que ce n'était pas un canal de navigation, mais un canal d'écoulement. Maintenant ils doivent en subir les conséquences. Si le canal, dont nous nous occupons, n'est pas un canal de navigation, mais d'écoulement, ce n'est plus un objet d'intérêt général, et alors c'est à ceux qui doivent en jouir à en faire les frais. La proposition la plus favorable que l'on puisse faire actuellement aux Flandres, c'est d'accorder un subside ; lorsqu'il s'agit de la construction d'une route provinciale ou communale, d'un intérêt secondaire, l'Etat accorde un subside à la province ou à la commune.

Mais c'est la province, ou le commerce, qui doit faire construire la route. C'est ainsi que pour un petit bout de route, la commune que j'habite s'est imposée de 18 centimes additionnels sur le foncier et la contribution foncière pendant dix années. Une route pavée est sans doute un objet d'un intérêt plus général qu'un canal d'écoulement, pour dessécher quelques propriétés, tout le monde peut en profiter. Tous ce qui précède est le résultat, messieurs les députés des Flandres de votre démarche, vous n'avez pas voulu qu'on s'occupât de votre canal en même temps que des autres canaux du pays ; vous avez voulu en faire une chose à part, vous devez en subir les conséquences. Comme l'a expliqué M. Desmet, les constructions de ce genre ont toujours été faites par deux ou trois provinces. Qu'on continue à procéder ainsi, et nous consentirons à vous accorder un subside.

L'honorable M. Lejeune nous a dit que les Flandres seules payaient autant de contributions que le reste du pays. J'ai fait un relevé général de toutes les contributions payées par les diverses provinces et des subsides qui leur ont été accordés depuis la révolution ; car depuis longtemps je m'occupe de cette question. Je donnerai lecture de ce relevé à la chambre.

J'avoue que les deux Flandres n'ont pas été aussi bien partagées que d'autres provinces dans l'exécution des travaux qui ont été faits. Mais si elles ont obtenu moins que d'autres, c'est que déjà elles avaient beaucoup avant la révolution.

M. Rodenbach. - Avec leur argent.

M. Peeters. - Avec leur argent, ou avec celui de l'Etat, je n'en sais rien. Mais je sais qu'elles avaient, et cela suffit, il est temps maintenant de s'occuper de ceux qui ne possèdent rien.

On parle de l'ensablement du canal de Bruges à Ostende. Mais ce canal n'est plus nécessaire. N'avez-vous pas des routes pavées ? N'avez-vous pas le chemin de fer ? Il me semble qu'on pourrait s'en servir. Autrement le chemin de fer n'est plus qu'une voie de luxe, destinée à vous faire voyager vite et à bon marché. D'après le projet primitif, le chemin de fer devait se borner à une seule ligne, d'Anvers à l'Allemagne, et il devait passer par la Campine. Mais il a fallu qu'il allât partout, ou peu s'en faut. Chaque député a réclamé pour sa province, et maintenant, quand il est question d'augmenter le tarif de manière que le chemin de fer couvre ses dépenses, ce sont de tous côtés des réclamations. Jamais on ne trouve le chemin de fer assez bon marché ; mais il paraît qu'on n'en veut que pour les voyageurs, puisqu'on veut encore des canaux parallèles au chemin de fer. De sorte que ce n'est, je le répète, qu'un chemin de luxe.

Voici le relevé dont je viens de parler :

(Provinces. Contributions. Subsides.)

Anvers : 3,101,925 fr. ; 9,183,333 fr.

Brabant : 5,514,542 fr. ; 25,329,665 fr.

Flandre occidentale : 4,161,248 fr. ; 15,112,647 fr.

Flandre orientale : 5,110,628 fr. ; 13,288,496 fr.

Hainaut : 4,787,443 fr. ; 32,152,064 fr.

Liége : 2,759,976 fr. ; 27,819,935 fr.

Limbourg : 804,501 fr. ; 5,822,116 fr.

Luxembourg : 666,317 fr. ; 3,112,113 fr.

Namur : 1,521,092 fr. ; 11,476,035 fr.

Vous voyez, messieurs, que la province d'Anvers est la plus mal partagée ; il est vrai que les Flandres ont eu moins en proportion d'autres provinces, mais aussi elles avaient beaucoup avant la révolution. Les députés de ces provinces ont voulu séparer leur canal du travail général ; ils en ont fait un ruisseau d'écoulement, maintenant ils doivent en subir les conséquences, fort heureux s'ils obtiennent un subside de 500,000 fr.

Je bornerai là mes observations pour le moment.

M. Dumortier. - Je commencerai par répondre quelques mots à ce que vient de dire l'honorable préopinant relativement à la répartition des subsides depuis 1830. Sans doute le chiffre pour le Hainaut est assez considérable, mais dans ce chiffre je vois figurer une somme de 8 millions et demi pour canaux ; or, il n'est pas à ma connaissance qu'il ait été construit un canal dans le Hainaut depuis la révolution, aux frais du gouvernement.

M. Peeters. - C'est le rachat d'un canal.

M. Dumortier. - Eh bien, ce n'est pas là un subside, c'est de l'argent placé à 8 p. c., c'est-à-dire à un gros intérêt. Y a-t-il beaucoup de canaux, même ceux à construire dans la Campine, qui puissent jamais rapporter un tel intérêt ?

Je ne sais ce qu'on a dépensé dans le Hainaut. Ce que je sais, c'est que dans l'arrondissement de Tournay qui est aussi grand qu'une province et qui est plus populeux que trois autres provinces, on n'a dépensé depuis la révolution que 250,000 fr. Il ne s'agit pas là de millions. Quant aux chemins de fer, nous sommes encore à attendre qu'on nous en donne un. L'activité est telle sur le petit embranchement qu'on a bien voulu nous concéder qu'il n'y a pas un ouvrier qui travaille : quant aux canaux de notre province, ils n'ont rien coûté à l'Etat. Ceux qui ont été rachetés rapportent jusqu'à 8 p. c. d'intérêt, c'est une très bonne opération financière ; on ne peut présenter cela comme une faveur. Certes un pareil placement n'est nullement ruineux pour un Etat. S'il était question de construire dans la Flandre occidentale un canal qui dût rapporter 8 p. c. je n'hésiterais pas à le voter. Nous ferions un emprunt à 5 p. c. et nous aurions 3 p. c. de bénéfice. Mais je doute fort que telle soit la perspective que nous ayons. Non seulement le canal de Zelzaete ne rapportera ni 8 ni 5 p. c. ; mais encore nous devrons payer l'intérêt que nous y aurons employé, Ce n'est pas un canal de navigation. Quand il s'agit d'un tel canal, on peut soutenir qu'il est d'intérêt général, parce que chacun avec son bateau peut y venir naviguer ; mais quand il s'agit d'un canal d'écoulement quel intérêt y ont les autres provinces. Quel intérêt ont les provinces du Hainaut, d'Anvers du Hainaut, comme je l'ai dit hier, comme je le dis encore aujourd'hui, à ce qu'une faible partie des Flandres écoule les eaux dont elle se dit inondée ? l'intérêt en pareil cas est exclusivement local et provincial.

Pour moi, rien ne m'est moins démontré que ces inondations. Les choses sont au point où elles étaient avant la révolution, L'écoulement de l'écluse de Hazegras est resté tel qu'il était. La nécessité où se trouve la Hollande de recevoir les eaux du canal de Damme à l'Ecluse, et d'en favoriser l'écoulement, n'est un mystère pour personne. Non seulement, elle doit recevoir ces eaux, mais elle doit recevoir l'écoulement des deux rivières la Lede et la Liève, qui se je jettent également à l’Ecluse. Vous n'avez aucun motif de supposer que la Hollande ne soit pas disposée à exécuter loyalement les clauses du traité, car on ne peut plus faire valoir le grand argument que l'on tirait en 1836 de l'état de guerre avec la Hollande et de son refus de recevoir nos eaux.

On disait alors que le canal était d'intérêt général sous le rapport de la défense militaire. Le canal de Zelzaete, disait-on, formera une ligne de défense militaire très utile dans notre état d'hostilité avec la Hollande. Cet argument est maintenant de nulle valeur. Nous ne sommes plus en guerre, nous sommes en paix avec la Hollande. Vous voyez donc que les seuls arguments que l'on ait présentés pour faire admettre un intérêt général n'existent plus.

Quelques parties de la Flandre ne peuvent, dit-on, faire écouler leurs eaux. Je n'ai jamais compris comment on pouvait demander, en invoquant, un intérêt général, que l'Etat concourût à de telles dépenses. Quand les houillères, qui offrent un intérêt général, sont inondées ; quand nos prairies sont inondées, ce qui arrive souvent, vient-on invoquer l'intérêt général pour que l'Etat y porte remède ? Pourquoi ce qui intéresse d'autres localités serait-il considéré comme d'intérêt général ? Est-ce parce que les députés des Flandres forment les deux cinquièmes de cette assemblée ? Une question est d'intérêt général par sa nature et non parce qu'on vient le dire.

Vainement, dit-on, que le Hainaut est intéressé à la question. Nous n'y sommes intéressés ni directement, ni indirectement. Il serait commode de venir palper les deniers de l'Etat, en faisant croire que c'est au profit d'un autre. C'est là un système hypocrite que nous devons repousser de toutes nos forces. Ne venez donc pas parler des intérêts du Hainaut qui est ici désintéressé. S'il y avait un intérêt pour le Hainaut, nous serions les premiers à proclamer cet intérêt.

Si l'intérêt du Hainaut était en question, nous ne contesterions pas cet intérêt ; et par le fait seul que nous qui sommes du Hainaut, et qui devons désirer vivement d'être débarrassés des eaux, nous déclarons que nous n'avons pas intérêt à la construction que l'on vous demande. Nous pouvons être aussi bien crus que ceux qui encore une fois voulant palper les deniers, cherchent à faire retomber sur nous l'intérêt de la chose.

Vous le voyez donc, il n'y a ici aucune question d'intérêt général. Vous n'avez dès lors qu'une seule chose à faire, c'est d'adopter la proposition qui vous est faite d'accorder un subside aux localités qui veulent avoir ce canal.

Remarquez-le, messieurs, à aucune époque dans les fastes de notre histoire, vous n'avez vu de provinces autres que les provinces intéressées, prendre part à la dépense pour l'écoulement des eaux des poldres. Et pourquoi ? Par un motif bien simple ; c'est que les poldres sont des localités plus ou moins calamiteuses, dont la valeur varie précisément en raison de cette circonstance.

Les poldres, vous le savez fort bien, sont des terrains en dessous de la mer, dans les hautes marées. .Ces terrains n'étaient donc pas par eux-mêmes susceptibles de culture. Comment les choses se sont-elles passées ? Ouvrez les pages de l'histoire et elles vous le diront clairement. Les souverains ont donné les poldres à des grands seigneurs ou à des sociétés à charge de les endiguer ; mais aussi à charge d'en avoir les avantages et les désavantages. Voilà quel a été le titre de la donation. Ces propriétés n'ont pas été vendues ; mais elles ont été données à charge onéreuse. C'est ainsi encore que sous l'empire, l'empereur a donné au général Vandamme bon nombre de poldres, que celui-ci a pu endiguer à ses charges et péril. Et pourquoi donc voulez-vous, si vous avez eu ces terrains à vos charges et péril, que l'Etat prenne sur lui leur entretien ? Pourquoi, après avoir eu ces terrains pour rien, voulez-vous mettre à la charge de l'Etat les frais d'amélioration. Car ne vous y trompez pas, ce qu'on vous demande, c'est une dépense pour amélioration de propriétés. Or, vouloir faire payer par l'Etat l'amélioration de propriétés, c'est ce que l'intérêt privé demande souvent ; mais il n'y pas là du tout une question d'intérêt général.

Maintenant, on vous l'a dit avec beaucoup de raison, lorsque, en l832, M. le ministre de l'Intérieur vint proposer au budget une somme de 550,000 fr. à l'occasion du canal de Zelzaete, la chambre a commencé par ajourner le chiffre. Mais un des motifs principaux qu'on donnait pour cet ajournement, c'est que c'était là une question dans laquelle la provinces devaient intervenir pour une notable part ; et c'est encore ce que nous soutenons aujourd'hui.

Eh bien ! qu'a fait l'honorable M. de Theux ? Il a reconnu la force de cet argument et il a demandé aux conseils provinciaux des Flandres d'entrer pour une somme quelconque dans la dépense de construction de ce canal qui devait être un canal d'écoulement et non de navigation. Mais il y a une réponse positive, dit M. le ministre des travaux publics ; c'est que les états provinciaux ont refusé de souscrire à aucune partie de la dépense. Mais, messieurs, je dis que les états provinciaux auraient été fort mal avisés de voter un subside, alors qu'ils espéraient que la dépense entière serait faite par l'Etat.

Voilà cependant comment les choses se sont passées. Les administrations provinciales ont refusé d'accorder un subside, uniquement dans l'espoir que l'Etat se chargerait de toute la dépense.

Maintenant vous savez que lorsque le projet est venu au sénat, celui-ci a aussi admis le principe que nous soutenons. Et aujourd'hui on voudrait encore que ce fût l'Etat qui fît toute la dépense. Mais évidemment c'est là une monstruosité, que de vouloir mettre à la charge de l'Etat une dépense purement d'intérêt privé, compliquée, il est vrai, avec un peu d'intérêt provincial. Qu'on accorde un subside ; je suis le premier à y souscrire ; mais vouloir prélever l'intégralité d'une pareille dépense sur la Belgique, c'est vraiment une manière trop commode de venir prendre les deniers de tous pour les employer en faveur d'un intérêt privé,

J'appuie donc la proposition de l'honorable M. Fleussu. J'espère que la chambre comprendra la seule chose qu'elle puisse faire, c'est d'adopter cette proposition. Si elle n'était pas adoptée, je vous demanderais : Que voulez-vous faire ? Où voulez-vous marcher ? Vous allez donc grever le pays d'une suite de dépenses successives. Mais réfléchissez-y, je vous prie ; il est temps de mettre un terme aux emprunts où on veut vous faire marcher successivement. Car la somme que demande M. le ministre est encore une somme qui se résoudra en un emprunt. La création de bons du trésor est le premier pas vers un emprunt. Je vous demande s'il est sage, s'il est prudent de vouloir ruiner l'Etat pour faire les affaires de quelques localités ?

Je m'appuie sur cette considération pour adopter la proposition de l'honorable M. Fleussu. Aussi longtemps qu'il ne sera pas démontré qu'il y a dans la construction demandée un intérêt général, on ne peut prétendre que l'Etat doive supporter intégralement la dépense.

M. Dubus (aîné). - Je dirai peu de mots pour appuyer aussi l'amendement qui vous a été présenté. On a soutenu qu'il devait être écarté par le motif qu'il s'agit ici d'une affaire d'intérêt général. Et pourquoi est-elle d'un intérêt général ? Le motif principal qu'on a mis en avant, c’est qu’il s’agit d’assécher un territoire. Or, dit-on, du moment où il s'agit de faire écouler les eaux qui inondent une partie du territoire, c'est un objet d'intérêt général.

Messieurs, je répondrai par cette simple question : procurer l'écoulement des eaux qui inondent des terrains, assécher ces terrains, est-ce les améliorer ? Est-ce améliorer le territoire que de l'assécher ?

On sera étonné de la question, mais, c'est que l’expression : amélioration du territoire, est précisément l’expression de la loi de 1807, alors qu'elle dit que la province doit intervenir. Effectivement, il y a lieu à l'intervention de la province dans la dépense même des travaux d'intérêt général, lorsque par suite de ces travaux, un ou plusieurs arrondissements sont jugés devoir recueillir une amélioration à la valeur de leur territoire. C’est ce qui résulte de l'art. 28 de la loi de 1807.

Je demande donc si, assécher des terrains qui ont perdu les moyens d'écoulement de leurs eaux, ou qui sont à la veille de les perdre, c'est en améliorer la valeur ? Messieurs, cela est manifeste, et je dois dire que, s'il y a un cas où réellement la province a un intérêt direct, c'est celui-ci.

Remarquez que la loi va si loin que même lorsqu'il s'agit d'un objet qui est évidemment d'intérêt général, lorsqu'il s'agit d'ouvrir un canal de navigation, une grand'route, si un ou plusieurs départements doivent en retirer un avantage dans l'amélioration du territoire, ils doivent intervenir pour une partie de la dépense.

Ici vous n'ouvrez pas une nouvelle voie à la navigation ; vous n'ouvrez pas une nouvelle voie au commerce ; vous faites un simple canal d'assèchement. L'effet direct de ce canal est uniquement, d'après ce qu'on nous dit, de rendre propres à la culture des terrains qui, si on n'y porte remède, seront absolument perdus. De sorte que l'effet direct de la construction demandée est précisément de donner une valeur à des terrains qui vont perdre celle qu'ils avaient.

Je ne sais comment on prouvera que ce n'est pas là un intérêt territorial pour la province, que ce n'est pas là le cas de l'application de la loi de 1807. Car, je le répète, s'il est un cas où cette loi soit évidemment applicable, et bien plus applicable que dans les autres cas où on l'applique, c'est celui-ci.

Mais cependant les conseils provinciaux n'ont pas voulu intervenir dans la dépense ; et sur ce point je remarque une chose assez frappante. C'est que lorsqu'il s'est agi de procurer un écoulement meilleur aux polders qui se trouvent en aval de Gand, en recreusant le canal du Sas, la province ne voulait pas non plus intervenir. Etait-ce parce que ce travail était considéré comme d'intérêt général ? En aucune manière, mais c'est parce que jusque là ces dépenses pesaient sur les propriétaires intéressés. Car nous voyons dans le rapport de M. le ministre Nothomb, page 4, où l'on dit que le projet a été reçu avec peu de faveur par les états provinciaux de la Flandre, que « les propriétaires des poldres compromis demandèrent l'autorisation de construire, à leurs frais, un chenal de décharge pour leurs eaux. » Cette résolution des propriétaires nous indique assez le motif du refus des états.

Ainsi, messieurs, l'intérêt provincial est ici manifeste aux termes de la loi. Cela justifie donc l'amendement, qui accorde un subside très suffisant pour la construction dont il s'agit, du moment où les propriétaires et les provinces veulent concourir à la dépense dans une proportion convenable.

Messieurs, on a dit encore qu'il ne suffirait pas de faire un canal de Damme à la mer, que les écoulements sur le Brackman sont devenus insuffisants, et on a accusé ceux qui contestent cette opinion, de ne pas avoir lu les pièces, et d'obliger certains orateurs à répéter tout ce qu'ils ont dit.

Si c'est à moi que le reproche s'adresse, je regrette d'avoir été cause que certains orateurs ont répété leurs assertions ; mais lorsque des assertions sont dénuées de preuves, je crois avoir le droit de les mettre en doute. Et c'est parce que j'ai lu les pièces que je me suis cru autorisé à contester ces assertions. .

Ainsi, messieurs, on est venu vous dire, quant aux écoulements sur le Brackman, que celui qu'on appelle le Capitalendam, est encore bon, mais que celui qui procure l'assèchement des poldres d'Assenede et de Bouchaute, est mauvais. Cependant je lis le contraire dans le rapport des ingénieurs, page 34 du rapport du ministre des travaux publics de 1837. Je trouve dans ce rapport, que l'on a creusé un petit canal depuis Assenede jusqu'à Bouchaute pour mettre les eaux des poldres, en communication avec l'écluse Isabelle ; et a cela le rapport ajoute :

« Le petit canal d'Assenede à Bouchaute a parfaitement rempli son but et l'assèchement de ce côté a pu s'opérer. »

Il me paraît donc que, d'après une phrase aussi significative, on est bien autorisé à croire que l'écoulement se fait convenablement sur le Brackman, aussi bien par Assenede et Bouchaute, que par le Capitalendam.

Au point de vue de l'intérêt général, où dit encore qu'il s'agit ici de recevoir les eaux des terrains supérieurs. Mais c'est précisément là ce qui prouve qu'il ne s'agit pas d'un objet d'intérêt général, car c'est une servitude naturelle qui assujettit les terrains inférieurs à recevoir les eaux des terrains supérieurs et à faire tous les frais nécessaires pour s'en débarrasser. C'est là un principe qui/ n'a jamais été contesté, et c'est précisément là, je le répète, ce qui prouve qu'il ne s'agit pas d'un intérêt général. Mais s'il en était autrement, nous aurions le droit de demander aussi le concours de la France pour la dépense que l'on veut nous faire faire, car il s'agit des eaux que nous recevons de la France. Eh bien, ces eaux nous les recevons, parce que nous sommes tenus à les recevoir parce que c'est là le terrain supérieur et que c'est ici le terrain inférieur. Or, de la même manière que la Belgique n'a rien à réclamer de la France, parce qu'elle reçoit ses eaux, de la même manière les Flandres n'ont rien à réclamer des autres provinces, parce que le eaux de celles-ci traversent leur territoire.

Je persiste à appuyer l'amendement.

- La séance est levée à 4 heures et quart.