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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 29
avril 1842
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative aux droits d’entrée
sur certaines tissus (Desmet)
2) Projet de loi sur les distilleries (Demonceau, Smits), (code pénal militaire (de
Garcia, Delehaye), matière imposable (Delehaye, Desmet, Smits,
Delehaye, Desmet, Smits, Demonceau, d’Huart), taux de la taxe et décharge des droits pour
l’exportation (Rodenbach, Smits,
Mercier, Demonceau, Duvivier, Demonceau, Eloy de Burdinne, Zoude, Smits, (+octrois communaux), de Theux,
Smits, Desmet, Duvivier,
Verhaegen, Duvivier,
(+vinaigriers) Delfosse, Smits, d’Huart)
(Moniteur
belge n°120, du 30 avril 1842)
(Présidence
de M. Dubus (aîné))
M.
de Renesse procède à l'appel nominal à 2 heures.
M.
Scheyven donne lecture du procès-verbal de la
séance d'hier. La rédaction en est adoptée.
M.
de Renesse analyse les pièces de la correspondance
:
PIECES ADRESSEES A
« Des débitants de boissons
distillées de la commune d'Assche demandent
l'abolition du droit de consommation sur les boissons distillées. »
- Renvoi à la section centrale
chargée de l'examen du projet de loi sur la vente des boissons distillées.
________________________
« Le sieur Hachette prie la
chambre d'inviter la commission permanente des finances à faire, séance
tenante, son rapport sur les projets de lois de crédits présentés par M. le
ministre des finances pour faire obtenir à lui et à ses co-héritiers
Warnotte, le paiement de ce qui leur revient du chef
de condamnations prononcées à charge de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
_______________________
« Des habitants de la
commune de Welten réclament contre la répartition
d'une somme qui leur a été accordée par le gouvernement pour les indemniser des
ravages de la grêle. »
- Même renvoi.
_______________________
« Les exploitants de mines
de houille du couchant de Mons prient la chambre de mettre à son ordre du jour
le projet de loi sur la patente des bateliers. »
- Renvoi à la section centrale
chargée de l'examen du projet.
_______________________
« Les sieurs de Hemptinne et Verhulst réclament une augmentation de droits à l'entrée
sur les tissus mousseline-laine pure imprimés et sur les tissus mousseline
laine, chaîne coton, imprimés. »
M.
Desmet. - Messieurs, une pétition de même a été renvoyée à
la commission d'industrie ; je demande que la chambre veuille bien ordonner le
même renvoi.
- Adopté.
_______________________
Par 25 messages en date du 28
avril, le sénat informe la chambre qu'il a pris en considération diverses
demandes en naturalisation ordinaire.
- Renvoi à la commission des
naturalisations.
Discussion générale
M.
Demonceau. - Messieurs, lorsque dans une séance
précédente j'ai demandé la parole, c'était surtout pour rectifier quelques
erreurs avancées par l'honorable M. Verhaegen ; je vois qu'il n'est pas présent
à la séance ; d'un autre côté mon opinion sur le projet de loi relatif aux
distilleries est connue ; je l'ai développée l'année dernière ; je pourrai
d'ailleurs faire les observations que j'ai à présenter dans la discussion des
articles. Si donc l'on voulait clore la discussion générale, je renoncerai
volontiers à la parole, si au contraire la discussion
continue, je demanderai à pouvoir parler lorsque l'honorable M. Verhaegen sera
présent.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Je crois, en effet, que la
chambre pourrait clore la discussion générale, car la plupart des observations
qui pourront encore être faites, doivent nécessairement se reproduire dans la
discussion des articles. Ainsi tout ce que l'on pourrait dire relativement à la
fraude, devra nécessairement se reproduire dans la discussion de l'art. 2 qui
fixe le chiffre du droit ; ce qui a été dit relativement au drawback se
reproduira dans la discussion de l'art. 21 ; ce qui a été dit à l'égard des
distilleries agricoles sera répété à propos d'autres articles.
Je crois donc qu'il conviendrait de clore la discussion générale et de
passer à celle des dispositions de la loi.
M. de Garcia. -
J'aurais aussi désiré que l'honorable M. Verhaegen fût présent ; je voulais
rectifier des faits qu'il a avancés à l'égard de l'armée, dans son discours
d'hier. J'espère que je trouverai une autre occasion pour répondre à l'honorable
membre.
Il a dit que nos prisons sont remplies de militaires coupables de
désertion, je crois que, pour l'honneur de l'armée et du pays, ces faits
doivent être rectifiés.
M.
Delehaye. - Je ne sais pas messieurs si
l'honorable M. Verhaegen a prétendu que la grande population de nos prisons
doit être attribuée à la désertion ; je sais seulement qu'il a dit en général
que cela devait être attribué à l'immoralité qui règne parmi nos militaires,
mais je ne pense pas qu'il ait dit qu'il fallait l'attribuer exclusivement à la
désertion. Quoi qu'il en soit, je sais que le nombre des militaires emprisonnés
est très considérable, est-ce la désertion qui en est la cause ? je n'en sais rien, mais quelle qu'en soit la cause, le fait
en lui-même est exact.
M. de Garcia. -
L'honorable M. Verhaegen s'est appuyé sur ce qu'a dit l'honorable M. d'Huart
pour soutenir l'exactitude de ce qu'il a avancé au mois de janvier dernier dans
la discussion du budget de la guerre, à savoir qu'un quart de nos militaires
seraient emprisonnés et que ce grand nombre de condamnés proviendrait de
l'application de l'art. 21 du code pénal militaire, qui prononce la déchéance
de l'état militaire. Eh bien, M. d'Huart n'a rien dit qui puisse confirmer
cette assertion, et, quant à moi, j'ai pris des renseignements, d'où il
résulte qu'il y a en prison 2,237 militaires dont 8 à 9,000 sont condamnés pour
désertion et ont par suite encouru la déchéance de l'état militaire.
M. Dolez. - Il me paraît, messieurs, que cet incident trouvera beaucoup mieux sa
place lorsque l'honorable M. Verhaegen sera présent. On contredit un fait
avancé par lui, et il n'est pas là pour répondre.
- La discussion générale est
close.
Discussion des articles
Article premier
M.
le président. - L'art 1er est ainsi conçu :
« § 1er. Sont soumis à
l'accise sur la fabrication des eaux-de-vie, tous les vaisseaux employés pour
la trempe, la macération et la fermentation des matières premières propres à la
distillation, y compris les cuves de réunion, les cuves à levain, les cuves de
vitesse, les condensateurs et tous autres vaisseaux, quelle que soit leur
forme, qui contiennent des matières macérées en fermentation ou fermentées.
« § 2. Sont exempts de
l'accise les alambics et les colonnes distillatoires, servant, soit à la
distillation, soit à la rectification ; on entend par distillation la bouillée
des matières premières ; par rectification, la bouillée des flegmes.
« § 3. Toutefois,
l'exemption en faveur des alambics et des colonnes distillatoires ne s'accorde
que sous condition qu'il existe dans les vaisseaux déclarés à l'impôt un vide
au moins égal aux neuf dixièmes de la capacité brute de chacun des alambics ou
des colonnes distillatoires contenant des matières à distiller.
« § 4. On ne considère pas
comme vide l'espace non rempli des vaisseaux qui contiennent des matières
nouvellement débattues et macérées, ni l'espace d'un dixième nécessaire à la
fermentation.
« § 5. La condition
du vide n'est pas exigée, quand les matières contenues dans l'alambic ou dans
la colonne distillatoire sont en ébullition. L'ébullition est censée exister
lorsqu'il y a écoulement du flegme par le serpentin, dont l'orifice inférieur
doit être à découvert.
« § 6. Avant l'écoulement du
flegme, les employés pourront, si le vide n'existe pas dans les vaisseaux
imposés, faire ouvrir le robinet de décharge de l'alambic, afin de s'assurer
que ce vaisseau ne contient pas de matières premières.
« § 7. Les alambics et les colonnes distillatoires ne sont pas soumis
aux restrictions qui précèdent, lorsqu'ils sont déclarés à l'impôt. »
M.
le président. - M. Delehaye a présenté au § 5 de cet
article un amendement consistant à y ajouter ces mots : « ou lorsque la
matière à distiller a acquis une température d'au moins 80 degrés
centigrades. »
M.
Delehaye. - Je proposé d'ajouter à l'art. 1er
§ 5 : Ou lorsque la matière à distiller a acquis une température d'au moins
80 degrés centigrades.
La loi du 27 mai 1837, présentée
par l'honorable M. d'Huart, indiquait deux cas qui faisaient supposer
l'ébullition. Le premier, l'écoulement par le serpentin du flegme, qui par la
bouillée se réduit en genièvre, opération qu'on appelle rectification, et
le second, la température d'au moins 70 degrés
de la matière à distiller.
Par le nouveau projet, le
gouvernement propose la suppression du second cas ; l'ébullition ne sera
dorénavant censée exister que lorsqu'il y aura écoulement du flegme.
Les pétitionnaires de Hasselt et
de Gand vous ont signalé les inconvénients de cette suppression.
Il arrive, disent-ils, que la
matière se porte dans le serpentin par la force du feu, soit par le
renouvellement de l'eau dans la chaudière à bain-marie, soit par quelque
accident survenu à la chaudière à vapeur qui fournit la colonne distillatoire
; tous cas qui font cesser momentanément l'écoulement du flegme et qui sans
aucune intention de fraude, constitueraient le distillateur en état de
contravention, et le rendraient passible de l'amende prescrite par le § 9 de
l'art. 32.
L'exigence de l'écoulement au
flegme par le serpentin pour permettre la non-existence du vide, annule
complètement la faveur accordée par ce même paragraphe, puisque l'écoulement du
flegme pouvant cesser momentanément, à l'insu du distillateur et même en pleine
ébullition, la condition du vide est exigée jusqu'à la fin
de chaque bouillée.
M.
Desmet. - Messieurs, je viens appuyer l'amendement
présenté par l'honorable M. Delehaye, sur le paragraphe 5 de l'article
premier.
Messieurs, afin de prévenir la
fraude, qui pourrait se faire de tenir dans la chaudière des matières qui ne se
distilleraient pas au même moment que les cuves seraient toutes remplies, et
ainsi avoir plus de matière en fermentation qu'il y en aurait été réellement déclaré,
le paragraphe 5 de l'art. 1er contient la disposition que l'exemption en faveur
des alambics et des colonnes distillatoires ne s'accorde que sous condition
qu'il existe dans les vaisseaux déclarés à l'impôt un vide au moins égal aux
9/10e de la capacité brute de chacun des alambics ou des colonnes
distillatoires contenant des matières à distiller.
Et le paragraphe 5 stipule
« que la condition du vide n'est pas exigée quand les matières contenues
dans l'alambic ou dans la colonne distillatoire sont en ébullition.
L'ébullition est censée exister lorsqu'il y a écoulement du flegme par le
serpentin. »
Cependant il peut arriver que la
matière soit en pleine ébullition et que le flegme ne coule pas ; si, pendant
ce temps, les employés entraient dans l'usine, ils seraient obligés de prendre
le distillateur en contravention et de verbaliser contre lui, quoiqu'il ne fût
nullement en défaut. Et il arrive très souvent que des obstacles se présentent
à l'écoulement du flegme et que l'ébullition existe.
C'est pour éviter cet
inconvénient et ne pas devoir verbaliser injustement, qu'il faut consacrer dans
la loi une disposition qui donne la faculté de constater l'ébullition au moment
même que l'écoulement du flegme serait arrêté. Ce moyen, messieurs, vous
l'aurez dans l'amendement présenté ; et je ne doute pas que M. le ministre va
s’y rallier ; car il verra, comme nous, qu'il faut modifier la disposition actuelle
du paragraphe 5, qui, s'il devait être maintenu, serait ouvrir une nouvelle
voie de fiscalité et de vexations contre les distillateurs. Il est réellement
de toute nécessité que l'amendement soit adopté, car
personne de nous ne veut certainement les vexations et fiscalités du régime
néerlandais.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - On propose au § 3 qu'il y ait
un vide de neuf dixièmes dans les vaisseaux de distillation. Pourquoi ? C'est
pour que les colonnes distillatoires ou les alambics ordinaires ne peuvent
servir de vaisseaux de macération. Pour éviter cet abus, la loi en vigueur a
prescrit que le vide ne serait plus exigé que lorsque la matière aurait acquis
une température d’au moins 70 degrés. Mais la difficulté qui se rencontre,
c'est de constater ce degré de chaleur, car du moment où les chapiteaux sont
placés, il est bien difficile de s'enquérir de la température de la cuve.
De là sont résultés une foule
d'embarras entre les employés et les distillateurs et c'est pour les prévenir
que le gouvernement vous a proposé, messieurs, de laisser de côté cette
dernière partie et de prescrire uniquement l'écoulement du flegme pour
constater l'ébullition.
L'écoulement du flegme, dit-on,
peut être retardé par une cause quelconque, par un dérangement aux appareils
; mais dans mon opinion cet écoulement
ne peut guère être retardé autrement que par un défaut de chauffe. Si l’on
chauffe convenablement, il est impossible que l'écoulement du flegme soit
retardé de plus de 10 à 12 minutes.
Ainsi, je crois que la loi serait
plus parfaite, par l'adoption de la proposition du gouvernement que par
l'amendement de M. Delehaye, quoique je reconnaisse que
le nouvel amendement de l'honorable membre est préférable à celui qu'il avait
présenté d’abord.
M.
Delehaye. - Messieurs, M. le ministre des
finances a raisonné dans le sens de mon premier amendement ; et en effet, les
observations qu'il a faites sont fondées à cet égard ; mais aujourd'hui je me
borne à demander un degré de chaleur de 80 degrés, en demandant en premier lieu
l’écoulement du flegme ; je pense que M. le ministre ne
verra plus d'inconvénient à se rallier à mon amendement.
M.
Desmet. - M. le ministre des finances craint qu'on ne
puisse pas facilement lever le couvercle de la chaudière pour vérifier s'il y a
ébullition. Le fait est que, quand il y a 80 degrés, l'extérieur est tellement
chaud qu'on peut faire la vérification par le contact seul.
Que résultera-t-il de l'adoption
de la disposition ministérielle ? C'est que dès qu'il n'y aura pas d'écoulement
du flegme, les employés seront obligés de verbaliser. Or, il peut arriver par
une cause quelconque que le flegme ne coule pas ; ainsi on verbalisera pour une
fraude qui n'existe pas.
M. le président. - Si
personne ne demande plus la parole, je mettrai aux voix l'amendement de M.
Delehaye.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Dans tous les cas, il
conviendrait d'apporter une légère modification à cet amendement ; l'amendement
ne parle que de l'alambic ou de la colonne distillatoire ; il ne fait pas
mention de la chaudière à vapeur. Il serait préférable de se servir du mot générique
alambics, ce mot comprend tout.
M.
Delehaye. - Je le veux bien.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Au reste, je le répète, il
sera toujours très difficile de constater le degré de température ; et, c'est
pour prévenir cette difficulté que la loi avait écarté
la disposition de la loi ancienne ; mais je n'insisterai cependant pas pour le
rejet de l'amendement.
M.
Demonceau. - J'avais demandé la parole pour proposer
à M. le ministre, et à la chambre une rédaction qui comprendrait tout ce qui
est appareil distillatoire ; mais il faudrait également faire des changements
dans d'autres paragraphes, par exemple dans le § 2, où il est parlé des
alambics et des colonnes distillatoires.
M.
d’Huart. - La loi a toujours été exécutée ainsi
sans inconvénients.
M.
Demonceau. - Il vaudrait mieux bisser les mots appareils
distillatoires.
M.
d’Huart. - Je voulais faire la même objection ;
c'est que la même expression se trouve dans d'autres articles. Comme la loi a
été exécutée jusqu'ici avec ces dénominations, sans inconvénient, on peut
conserver l'expression.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Je n'insiste pas.
- Personne ne demandant plus la
parole, l'amendement de M. Delehaye est mis aux voix et adopté.
L'art. 1er ainsi amendé est mis
aux voix et également adopté.
Article 2
« Art. 2, § 1er. La quotité
de l'accise est fixée pour chaque jour de travail et sans égard à la nature des
matières, sauf l'exception ci-après, à un franc en principal, par hectolitre de
la capacité brute des divers vaisseaux compris dans l'article précédent, et non
spécialement exemptés.
« § 2. On entend par jour de
travail servant de base à l'impôt les jours effectifs de minuit à minuit
pendant lesquels on effectue, soit des trempes, des mises en macération ou des
fermentations ; de matières, soit des distillations ou des rectifications. Les
jours où les travaux ne sont pas continuels, sont comptés comme jours entiers.
»
La section centrale propose l'amendement suivant au 1er §.
« § 1er. La
quotité de l'accise est fixée pour chaque jour de travail et sans égard à la
nature des matières, sauf l'exception ci-après, à 80 centimes en principal, par
hectolitre de la capacité brute des divers vaisseaux compris dans l'article
précédent, et non spécialement exemptés."
M.
Rodenbach. - Messieurs, j'ai dit dans la discussion
générale que je partageais l'opinion de l'honorable M. d'Huart et des trois
anciens ministres des finances qui siégent dans cette enceinte, à savoir que le
chiffre de 80 centimes proposé par la section centrale rapporterait plus que le
taux d un franc pétitionné par le gouvernement.
On vous a déjà dit, messieurs,
que sous la loi odieuse du gouvernement hollandais, sous la loi de 1822, on ne
payait alors que 4 millions ; aujourd'hui, d'après les prévisions de la loi en
vigueur, les distilleries rapportent 3,800,000 francs
(chiffre rond), non compris les centimes additionnels. L'abonnement sur les
boissons distillées rapporte plus d’un million ; le ministre, par le chiffre
d’un franc, veut augmenter l'impôt des distilleries de 2 millions environ ; par
la loi sur les abonnements, il s'attend à obtenir une majoration d'environ un
million. Cela forme bien en tout huit millions. Or, je le répète, sous la loi
hollandaise d'exécrable mémoire, on ne payait que 4 millions.
Je pense pour ma part que
lorsqu'on veut trop bien faire, l'on s'expose à des mécomptes ; je pense que la
loi sera loin de rapporter au trésor ce qu'en attend M. le ministre.
Il y a à l'appui de mon opinion
un précédent convaincant ; c'est que sous l'empire de l'augmentation de droit
proposée et votée sous le ministère précédent, on a distillé 400,000
hectolitres au moins de matière ; et bien, si l'on adopte le droit d'un franc,
et en suivant cette proportion, on distillera un million et demi d'hectolitres
au moins. Le produit de l'impôt restera donc bien au-dessous des prévisions du
ministre.
Je pense que, bien que la
fabrication doive diminuer, la consommation ne diminuera pas ; mais ce sont les
eaux-de-vie étrangères qui remplaceront ce qu'on fabriquera en moins en
Belgique, Cela fera tort à nos usines, tort à notre agriculture, et surtout
tort au commerce de bétail.
Naguère, on exportait pour sept
millions de francs de bétail, tandis que déjà on n'en exporte plus que pour
quatre millions. Vous savez que la viande est excessivement chère ; les ouvriers
n'en peuvent plus manger. Avec l'exagération de droit qu'on propose, on
travaillera moins et cela nuira considérablement à nos usines. Déjà avec les
nouvelles lois on a détruit quelques fabriques et je crains qu'on n'en détruise
davantage.
Je bornerai là, pour le moment,
mes observations sur l'art. 2.
M. le président. - M. le ministre vient de présenter un amendement à l'art. 2. Il
maintient son § 1er , mais il y ajoute la disposition
suivante :
« Les centimes additionnels
perçus au profit de l'Etal sont supprimés. »
M.
Mercier. - Messieurs, l'art. 2 renferme la
disposition essentielle du projet de loi. C'est dans cet article que le
gouvernement propose de porter à 1 fr. le droit qui est actuellement de 60
centimes, qui, il y a à peine un an, était de 40. Ainsi en une année le droit
se trouverait augmenté d'une fois et demie son ancienne quotité. Remarquez que
le droit porte sur le temps et la capacité des vaisseaux. Ainsi, moins on
mettra de temps dans le travail de macération et plus on économisera le droit.
M. le ministre des finances, dans
son exposé des motifs, dit que l'appât de l'augmentation énorme qu'il propose
n'engagera pas le distillateur à accélérer le temps de la macération, et que
les quantités soumises à l'impôt ne seront pas sensiblement diminuées. M. le
ministre ajoute même que les distillateurs comprennent qu'ils ont plus
d'intérêt à prolonger la durée du travail qu'à en accélérer encore la
rapidité.
Si je pouvais partager cette
opinion, et si, d'un côté, je ne craignais la fraude des eaux-de-vie
étrangères, je n'hésiterais pas à donner mon approbation à la proposition qui
nous est soumise, pénétré que je suis des besoins du trésor public et de la
nécessité de créer de nouvelles ressources pour faire face aux dépenses et
éviter de nouveaux déficits.
Mais sur quelle expérience, sur
quels faits le gouvernement se fonde-t-il pour concevoir de pareilles
espérances ? J'ai interrogé les faits et tout me semble faire prévoir des
résultats tout à fait opposés à ce que le gouvernement semble attendre du
projet de loi.
Depuis l'établissement de la loi
du 18 juillet 1833 des augmentations successives ont été votées. Je vais examiner
quel a été l'influence de ces augmentations et aussi quel a été l'effet de
l'application de la loi du 18 juillet 1833 qui portait l'accise à 22 centimes.
Sous l'application de ce droit, la quantité de matière soumise à l'impôt a
dépassé annuellement neuf millions d'hectolitres. Si j'en juge d'après le droit
perçu, car le gouvernement ne nous a pas communiqué de données à cet égard.
C'est donc d'après le droit perçu que je trouve que la quantité de matière
imposée a été de neuf millions la dernière année de l'application du droit de
22 centimes.
Le 29 mai 1837, le droit a été
porté à 40 centimes. L'influence de ce droit a été de faire descendre
successivement les quantités soumises à l'impôt jusqu'à 6 millions
d'hectolitres, et par conséquent de les diminuer dans la proportion d'un tiers.
C'est en 1839 seulement que l'effet complet de la loi fut atteint ; car ce ne
fut pas immédiatement après l'élévation du droit que les quantités imposées
diminuèrent dans une aussi forte proportion ; la première année la réduction
fut loin d'être aussi considérable ; la seconde année elle augmenta, et la
troisième elle atteignit son terme. C'était à la fin de 1839.
Messieurs, les neuf premiers mois
de 1840 ayant donné des résultats à peu près analogues à ceux de 1839, le
gouvernement a cru que l'accélération de la macération s'était arrêtée et qu'à
moins d'un appât puissant, le distillateur ne chercherait pas à réduire le
temps du travail ; et il a pensé qu'en proposant une augmentation de 20
centimes, il ne dépasserait pas cette limite où le distillateur trouverait dans
l'accélération du travail une économie de droit supérieur à la perte résultant
de la diminution du produit ; car il est à remarquer qu'en accélérant la
fermentation on atténue les produits dans une certaine proportion. Le
gouvernement croyait, en portant le droit à 60 centimes, ne pas dépasser cette
limite. Cependant il ne fit cette proposition qu'avec la plus réserve et par
forme d'essai. Tout faisait prévoir des résultats favorables, mais comme on ne
pouvait avoir de certitude à cet égard, la loi ne fut présentée qu'à titre
d'essai.
C'est par la loi du 25 février
1841, que le droit a été porté de 40 à 60 centimes. Eh bien, si nous
examinons les quantités imposées pendant les neuf mois de 1841, durant lesquels
ce droit a été appliqué, et que nous comparions ce résultat avec un des neuf
mois de l'année précédente, nous trouvons 485 mille hectolitres en moins sur un
espace de neuf mois, ce qui suppose une réduction de 646 mille hectolitres pour
les premiers mois de l'application du droit. J'ai fait observer tout à l'heure
que tout l'effet d'un nouveau droit ne se faisait pas sentir dès la première
année, par la raison qu'il faut que les distillateurs prennent différents
arrangements pour changer leur mode de travail, et que tous ne se décident pas
dès le premier instant à modifier leurs habitudes.
On a dit que dans l'attente d'une
augmentation de droit les distillateurs ont donné plus d'activité à la
fabrication. Cela est vrai. En 1840 ils ont pu activer leurs travaux pendant le
mois de décembre.
La loi a été proposée le 17
novembre ; deux ou trois jours se sont écoulés avant que les distillateurs en
eussent connaissance ; il leur a fallu le temps de prendre les dispositions
nécessaires pour mettre l’usine en position de produire davantage ; ils ont dû
attendre le 1er décembre avant de pouvoir donner plus d'action à
leurs travaux, de sorte qu’ils n'ont eu que 30 jours, pendant lesquels, dans
l'attente d'une augmentation de droit, ils ont pu forcer leur production.
Dans l'année 1841 on a travaillé
deux mois dans cette prévision. Je renouvelle ici une observation essentielle.
Si en 1840, pendant le dernier mois le travail a été forcé dans la prévision
d'une augmentation, pendant l'année 1841 on a travaillé deux mois dans cette
prévision ; ainsi, toutes choses égales d'ailleurs, 1841 devait produire une
quantité de capacité soumise à l'impôt plus forte que 1840. Je prends les deux
années au lieu de faire la comparaison sur neuf mois seulement, et je trouve
pour 1841 une diminution de 418 mille hectolitres de macération soumis à
l'impôt.
Un honorable membre qui siège à
ma droite a fait observer, dans notre séance d'hier, que l'année 1840 ayant
présenté un surcroît de 120 mille hectolitres sur 1839, il fallait imputer les
120 mille hectolitres sur 1841, parce que, dit-il, la production de 1840 aura,
en raison de ces 120 mille hectolitres, alimenté la consommation de 1841. Si ce
raisonnement était admissible, je ferais remarquer qu'en 1838, les quantités
imposées ont dépassé de plus d'un million les quantités soumises à l'accise en
1839, que par conséquent on pourrait dire qu'un million d'hectolitres de
matière macérée en
Il reste évident qu'il y a entre
l'exercice 1840 et l'exercice 1841 une diminution de 418,000 hectolitres de
matière soumise à l'impôt. Dans la même proportion, prenant pour base les
années antérieures, nous aurons, vers la troisième année, une diminution de
plus d'un million. Toutefois, je me hâte de le dire, l'expérience du nouveau
droit est incomplète ; je ne la prends que comme indice. Je la crois
insuffisante pour modifier la loi dans un sens ou dans un autre.
Messieurs, on propose maintenant,
malgré ce résultat qui est un indice qu'on a dépassé cette limite, que le
gouvernement cherchait en 1840 lorsqu'il a proposé une augmentation de 20
centimes, cette limite où les distillateurs ne trouveraient pas dans l'économie
de droit résultant de l'accélération du travail un avantage supérieur à la
perte provenant de la diminution de produit, on propose une augmentation de
droit non plus de 20 centimes, mais de 40 centimes.
C’est là un immense appât à
l'accélération du travail de macération. Plusieurs distillateurs m'ont affirmé
qu'on était parvenu à établir le travail de macération en 14 heures sans perte
notable dans la production ; voulant avoir tout apaisement sur cet objet, j'ai
moi-même engagé un distillateur, homme de haute moralité et méritant toute
confiance, à faire des essais dans son usine. C'est une usine très bien
dirigée, mais d'une importance tout à fait secondaire. Je vais indiquer le
résultat de ses expériences.
Ce distillateur a employé, en
terme moyen, jusqu'ici, 24 heures pour la macération ; il employait 6 cuves de
4 hectolitres,
Le droit à l franc est sur 6
cuves de 4 hectolitres,
En supprimant les additionnels,
selon la proposition actuelle du gouvernement, le bénéfice est de 5 fr. 36 c., au lieu de 6 fr. 16 c,
D'après la proposition de la
section centrale, le droit serait de 88 c. et le bénéfice de l'accélération du
travail s'élèverait environ à 4 fr. 29 c.
D'après les mêmes calculs, le
distillateur, en activant le travail de macération de manière à l'achever en 16
heures, réalise, par hectolitre de genièvre, un bénéfice de 4 fr. 33 c., le droit étant de 1 fr. 10 c. ; de 5 fr. 77 c., le droit
étant de 1 fr. ; et de 5 fr., le droit étant de 88 c.
Il n'est pas douteux qu'en vue de
tels avantages le distillateur cherchera à établir le travail de la macération
en 16 heures. La plupart obtiendront ce résultat, les distilleries qui n'y
parviendront pas, seront forcées de cesser leur fabrication. En général, ce
sera les petites distilleries ; car celle dont j'ai parlé et qui est
parfaitement ordonnée est une exception. Ainsi, cette accélération du travail
fera diminuer d'un tiers les prévisions du ministre qui sont de 6,166,000 fr., sauf la diminution provenant de la
consommation. Sans égard à cette diminution, le droit ne sera plus que de 4,106,000 fr. ; c'est-à-dire que l'accise produira 322,000
fr. seulement au-delà des prévisions de 1842 établis d'après le droit actuel.
Voilà donc les effets probables
d'une seule cause de diminution : l'accélération de la macération. Mais,
messieurs, il en est d'autres qui contribueront à réduire les recettes, et qui
proviennent de l'augmentation du droit.
La seconde cause est la
diminution de la consommation, qui sera le résultat de l'élévation du droit.
Comme je l'ai déjà établi, le droit ne sera, en définitive, pas beaucoup plus
élevé qu'actuellement, par suite de l'accélération du travail de macération ;
je ne veux donc pas prendre les chiffres fournis par M. le ministre des
finances, qui sont trop élevés.
M. le ministre nous dit, page 4
de son rapport :
« L'accise porte
annuellement, en terme moyen, sur une contenance imposable de 5,600,000 hectolitres. »
Je ferai une première observation
sur ce terme moyen, c'est que ce n'est point là un véritable terme moyen ; en
effet, jusqu'ici le nombre d'hectolitres de matière soumise à l'impôt n'a dans
aucune année été aussi peu élevé. Il est probable que ce chiffre est celui de
1841 diminué d'une quotité équivalente aux 15 p. c, de déduction accordée aux
distillateurs agricoles.
« D'après cette base,
continue M. le ministre, elle fournirait au trésor une ressource de 6,160,000
fr., au lieu de celle de 5,784,000 fr., portée au budget des voies et moyens de
cette année ; mais comme il est à prévoir que la fabrication se ressentira,
dans une proportion quelconque, de la diminution que l'augmentation de l'impôt
opérera dans la consommation, ce n'est point précisément sur une ressource de
6,160,000 fr. que nous pouvons compter mais sur celle de 5 millions à 5
millions et demi (5,250,000). »
Je suppose, messieurs, qu'elle
soit de 5,250,000 fr. ; ainsi M. le ministre attribue
à l'augmentation de l'accise une diminution de produits de 910,000 fr., par les
considérations dans lesquelles je viens d'entrer, je tiens compte seulement
d'une réduction de 300,000 fr., et dès lors l'augmentation de l'accise n'a plus
qu'un résultat négatif, elle n'ajoute rien aux recettes du trésor.
La troisième cause de diminution
consiste dans la fraude de spiritueux étrangers. Si l'accélération du travail a
lieu, comme je le suppose, l'augmentation du droit ne se fera plus autant
sentir et la fraude de produits étrangers sera d'autant moins à craindre que
l’on améliorera davantage le travail ; mais tout ce qui élèvera le prix actuel
des spiritueux indigènes sera un nouvel appât à la fraude des eaux-de-vie
étrangères.
On se rappelle que cette fraude
était immense sous l'empire de la loi de 1822 ; on sait aussi qu'elle n'avait
guère diminué après l’arrêté du gouvernement provisoire du 17 octobre 1830, qui
avait cependant réduit le droit dans une très forte proposition, de telle sorte
qu'il n'y a plus une très grande différence entre le chiffre du projet actuel
et celui qui était fixé par cet arrêté. Si donc, comme le pense M. le ministre,
on ne parvient pas, en accélérant la macération, à diminuer le droit, il
faudra s'attendre à une fraude très active sur nos frontières ; cette fraude,
je la crains moins sur la frontière de Hollande et sur la frontière d'Allemagne
que sur celle de France ; on doit supposer qu'elle augmentera sur les deux frontières
que j'ai citées en premier lieu, mais elle aura bien plus d'intensité sur la
frontière de France.
Je crois, messieurs, que dans le
discours prononcé par M. le ministre des finances, il a porté à
Pour l'eau de vie réduite à 50
degrés le prix ne serait plus que de 29 fr. 77 c… Ce sont là des chiffres qui
ont été fournis à la chambre l'année dernière.
Ainsi, messieurs, si le projet de
loi est adopté, il y aura une différence très considérable entre le prix des
genièvres indigènes et celui des eaux-de-vie étrangères et cela ne manquera pas
de donner un grand aliment à la fraude, si déjà, aujourd'hui que le droit est
modéré, la fraude n'a pas entièrement cessé, nous devons nous attendre, si le
projet est adopté, je ne dirai pas, à une fraude immense, parce que je ne veux
pas tomber dans l'exagération, mais à une fraude qui se fera sur une assez
grande échelle et qui nuira beaucoup à nos distilleries. C'est principalement
sur la frontière française que la fraude sera à craindre, si les prévisions de
M. le ministre se réalisaient, c'est-à-dire s'il n'y avait pas amélioration
dans le travail.
La quatrième cause de diminution,
dont il a déjà été question, dans cette discussion, c'est la fraude à
l'intérieur.
Je ne crois pas qu'il s'élèvera
beaucoup de distilleries clandestines : mais il est évident que, par
l'augmentation du droit, ce genre de fraude sera excité, et qu'on verra plus de
distilleries clandestines qu'aujourd'hui ; que, même il y aura augmentation de
fraude dans l'emploi des matières cachées, quelles que soient les pénalités qui
sont proposées pour la réprimer.
Mais enfin je ne parle de cette
cause de diminution qu'accessoirement ; il est même possible qu'elle ait été
exagérée par d'honorables préopinants.
La cinquième cause de diminution
provient du drawback. Le gouvernement suppose qu'au moyen de ce drawback, nos
exportations d'eau-de-vie indigène vont considérablement augmenter. C'est le
but de la proposition.
Le drawback est fixé à 35 fr.
Dans la proportion du drawback actuel, il ne serait que de 30 fr. 83 c. ; mais il offrirait un avantage plus considérable à cause
de l'élévation du droit.
D'après l'exposé des motifs, il
n'aurait été augmenté que dans la proportion du droit, et cependant nous voyons
qu'il est de 4 fr. plus élevé ; il y a donc erreur, ou dans le drawback, ou
dans le rapport de M. le ministre. Déjà l'année dernière d'honorables membres
de cette chambre se sont opposés à ce que le drawback fût porté à 18 fr. 50 c.
Cependant il est vrai qu'il n'en est pas résulté d'inconvénients, puisque
l'exportation a été nulle. Mais enfin le but de la mesure est d'amener de
fortes exportations. Voyons quels en seraient les résultats.
En 30 heures de travail, et en
obtenant un produit de
Supposons un travail de 30 heures
avec un produit de
Je sais qu'on a prétendu qu'il
fallait employer plus de temps pour la macération, lorsque le genièvre était
destiné à l'exportation. Mais je crois qu’au point de perfectionnement où en
est venue l'industrie, on peut employer avec autant de succès les matières
après 30 heures de macération qu’après 36 ou 48 heures.
Voilà donc, dans ces différentes
hypothèses, les primes qui seraient réservées à l'exportation. Ces primes
viendraient naturellement en déduction du produit du droit. Si le chiffre de
l'exportation devenait égal à celui de la consommation, le produit de l'impôt
serait par cette seule cause réduit de plus de moitié. Et si l'exportation
venait à dépasser le chiffre de la consommation, ce qui serait le comble du
succès de la prime d’encouragement proposée, le produit pourrait être
complètement annihilé. Il en arriverait pour les eaux-de-vie à peu près ce qui
est arrivé pour les sucres.
Voilà donc cinq causes de
diminution du produit, qui toutes proviennent de l’augmentation de l’impôt.
On pourrait en ajouter une
sixième qui ne tient pas à cette augmentation, mais aux circonstances dans
lesquels nous nous trouvons et qui rend plus inopportun encore l'augmentation
du droit. C'est le prix extrêmement élevé des céréales, qui semble s'accroître
tous les jours. Cette cause est toute favorable à la fraude des eaux-de-vie de
France, qui ne subissent pas l'influence du prix des céréales.
D'après ces considérations, je ne
puis adopter le droit d'un franc, ni même me rallier au chiffre de la section
centrale. Car ce chiffre donne encore trop d'avantage, au distillateur qui
voudra accroître l'accélération du travail de macération. Ceux qui ne
réussiraient pas à activer la fermentation des matières soumises à la
distillation, ne pourraient soutenir la concurrence, et leurs établissements
tomberaient infailliblement.
Je pense donc que le projet, en
définitive, n'augmentera pas les ressources du trésor et n'aura pour effet que
de troubler et de bouleverser l'industrie sans aucune compensation pour l'Etat
; je pense surtout que cette augmentation de droits aura pour effet de faire
cesser les travaux d'une quantité de petits établissements dont la plupart ne
pourront pas atteindre le haut degré d'accélération dans la macération des matières,
auquel parviennent les grandes distilleries. Et ce sont cependant ces petits
établissements en vue des desquels on a souvent répété dans cette chambre qu'il
fallait favoriser l'industrie de la distillation.
Puisque j'ai la parole, j’en
profiterai pour faire à M. le ministre des finances une observation qui se
rattache à un fait dont se plaignent beaucoup les distillateurs des campagnes.
Il paraît que dans certaines
villes on restitue à la sortie du genièvre un droit beaucoup plus élevé que
celui qui est perçu comme impôt communal. C'est un mal auquel il faudrait
porter remède. Car la concurrence doit être soumise partout aux mêmes règles ;
il ne faut pas que les distillateurs des villes viennent, au moyen des primes,
faire une concurrence redoutable aux distillateurs des campagnes dont les
produits sont d'ailleurs soumis à des droits d'octroi exorbitant, à leur entrée
dans les villes.
Je crois qu'il y aurait un moyen
de remédier à cet inconvénient ; je le signalerai à l'attention de M. le
ministre des finances. Ce serait de porter un minimum de production et un
maximum de temps, qui serviraient de base à la restitution du droit communal ;
par exemple, d'établir que le droit ne pourra pas être restitué en raison d'un
temps dépassant 24 heures et en raison (erratum, Moniteur belge n°121 du 1er mai 1842) d'une
production inférierue à
J'indique cette base, mais je ne
me charge pas de présenter un amendement dans ce sens. Je crois que M. le
ministre des finances trouvera du moins qu'il est juste d'établir une limite,
parce que, dans l'état actuel des choses, les distilleries de certaines villes
donnent le genièvre à un prix tel que les distilleries
des campagnes ne peuvent soutenir la concurrence.
M.
Demonceau, - Messieurs, tout ce que vient de dire
l'honorable préopinant prouve que ce que nous lui disions l'année dernière en
section centrale était vrai. Car enfin, si on peut parvenir au moyen de
l'accélération de travail, à produire en 14 heures, ainsi qu'il vient de le
dire, ce qui, d'après le législateur de 1833, ne pouvait être produit qu'en 48
heures et plus, vous devez convenir que le législateur de 1833 s'est
singulièrement trompé ; et le législateur qui s'est ainsi trompé doit en venir
à l'instant même à un autre système, à un système qui soit plus rationnel, et
qui ne soit pas une fraude légale, une fraude autorisée par la loi.
Nous disions l'année dernière au
gouvernement : Mais votre loi est donc bien élastique, puisque vous pouvez
appliquer un droit de 60 centimes, alors que ceux qui proposaient la loi, n'en
voulaient que 18 ? Car vous vous souvenez qu'en
Plus tard, l'honorable M. d'Huart
porta le chiffre à 40 centimes. Alors, comme aujourd'hui, on vous dit que les
distilleries étaient détruites, que le trésor allait être ruiné, que les
résultats de la loi ne seraient pas tels qu'on les attendait ; l'expérience a
prouvé le contraire, M. d'Huart a eu raison.
L'année dernière, l'honorable M.
Mercier eut le courage de porter le chiffre à 60 centimes, et il se souvient
que nous lui fîmes alors l'observation, qu'il fait aujourd'hui. Nous lui
disions : mais n'allez-vous pas donner lieu à la fraude ? Les ministres qui
vous ont précédé ont prétendu que l'on ne pouvait aller au-delà de 40 centimes
; ne vous trompez-vous pas en soutenant qu'on peut porter le droit à 60
centimes sans donner matière à la fraude ? L'honorable M. Mercier nous a
rassurés, et, pour ma part, j'ai contribué de toutes mes forces à défendre son
système.
Cependant, je le déclare encore
une fois, si vous maintenez le système de 1833, tel qu'il est, et si les
améliorations qu'on est déjà parvenu et que l'on pourra encore introduire dans
le temps de la production sont possibles, il n'y a plus moyen d'obtenir
d'augmentation de droit.
Pourquoi, messieurs, la loi
actuelle autorise-t-elle avec tant de facilité une accélération dans les
travaux ? C'est qu'elle établit le droit non pas sur la matière produite, mais
sur la matière qui sert à produire le genièvre. Or, vous parlez toujours de
cinq litres de genièvre produits par un hectolitre de matière en macération.
Mais l'année dernière l'honorable M. Mercier disait qu'on était allé jusqu'à
sept litres. Et si on arrive jusqu'à sept litres, vous devez comprendre quelle
économie il en résulte encore pour le fabricant. Eh bien, messieurs, c'est la
matière produite qu'il faudrait atteindre, c'est la matière livrée â la
consommation.
Vous venez parler constamment des
matières mises en macération, et vous dites que la production diminue. Mais si
on parvient par des procédés nouveaux à obtenir davantage des matières mises en
macération, vous comprendrez qu'il se livre à la consommation plus de liqueurs
qu'on ne le suppose.
A entendre l'année dernière, nos
honorables collègues qui combattaient la proposition de l’honorable M. Mercier,
il semblait que le trésor allait être ruiné, que les distilleries allaient se
fermer, Eh bien ! il n'en a rien été. Ce qu'avait
prévu l'honorable M, Mercier s'est réalisé complètement. Il vous avait dit en
novembre 1840 que la proposition qu'il vous faisait, amènerait pour 1841 une
augmentation de revenu de 600,000 francs, environ, et je ne pense pas que la
consommation diminuera considérablement, ajoutait l'honorable M. Mercier dans
son discours à l'appui du budget des voies et moyens,
Remarquez, messieurs, que
l'honorable M. Mercier supposait que son projet serait admis avant la fin de
1840.
La section centrale fut d'abord
en désaccord avec l'honorable M. Mercier ; mais elle finit par se rendre aux
observations de l'administration des finances, et elle proposa simplement
l'adoption du chiffre que désirait obtenir cette administration.
Mais du 20 novembre à la fin de
décembre 1840, avec une loi qui autorise une déclaration préalable de quinzaine
en quinzaine, vous devez penser que les distillateurs n'ont pas manqué de faire
le plus de déclarations possibles avant la clôture de l'exercice. De là vient
l'augmentation considérable des matières mises en macération pendant le dernier
trimestre de 1840.
J'admets cependant que, pendant
l'exercice 1841, il a été déclaré pour 400,000 hectolitres de matières mises en
macération de moins qu'en 1840, mais je viens d'expliquer la cause de cette différence
; c'est que pendant le dernier trimestre de 1840, on a nécessairement dû
mettre beaucoup plus de matières en macération qu'on ne le faisait précédemment,
parce que l'on s'attendait à une augmentation de l’impôt dès l'ouverture de
l'exercice de 1841 ; car la proposition de l'honorable M. Mercier devait être
mise à exécution en même temps que le budget des voies et moyens. Mais si vous
remarquez que la plupart des déclarations faites pendant le mois de décembre
1841, obtenaient leur effet pour l'exercice 1841 (et vous savez que la loi
permet de faire les déclarations longtemps d'avance) si vous faites attention à
cela, vous reconnaîtrez qu'il n'y a plus qu'une légère différence entre les
mises en macération de 1841 et celles de 1840, Quoi qu'il en soit, j'admets la
différence que l'on a signalée et je baserai mes calculs sur les tableaux qui
sont annexés au rapport de la section centrale. Vous voyez, d'après ce tableau,
qu'en 1839, il y a eu 6,052,000 hectolitres mis en macération, qu'il y en a eu
6,171,000 en 1840 ; l'exercice 1840 ne présente donc sur 1839 qu'une différence
de 120,000 hectolitres. Eh bien, croyez-vous, messieurs, qu'il y ait de l'exagération
à supposer que ces 120,000 hectolitres de plus ont pu être déclarés pendant le
mois de décembre 1840 ? Je ne le pense pas.
En 1841 il a été mis en
macération 5,772,707 hectolitres. Mais réunissez les
trois exercices et vous trouverez un total de 18 millions d'hectolitres
environ, ce qui donne une moyenne de 6 millions par exercice. L'exercice 1841
ne présente donc pas un déficit aussi considérable qu'on le suppose.
Maintenant si avec cette
réduction dans les déclarations il y avait eu réduction dans les revenus du
trésor, je comprendrais les observations qui ont été faites dans une séance
précédente, mais c'est qu'avec cette réduction des mises en macération, le
trésor a obtenu en 1841 une augmentation de revenus de 550,000 fr.
En présentant le budget de
M.
Mercier. - Il y
a une limite qu'on ne peut pas dépasser.
M.
Demonceau, -
L'honorable M. Mercier dit qu'il y a une limite qu'on ne peut pas dépasser.
J'ai cru l'honorable M. Mercier lorsqu'il nous a dit que la limite de la loi de
1837 pouvait être dépassée ; il ne s'est pas trompé, je crois aussi l'honorable
ministre des finances actuel, lorsqu'il nous dit que la limite de la loi de
1841 peut être dépassée. Sa responsabilité est d’ailleurs engagée, et je dois
espérer qu'il réussira aussi bien que son prédécesseur.
Quant à moi, messieurs, j'ai la
conviction intime que vous ne resterez pas longtemps sans changer notre
législation sur les distilleries, nos distillateurs vous amèneront malgré vous
à le faire. Ce que nous avons prédit à l’honorable M. Mercier est déjà arrivé ;
déjà l'on est parvenu a produire en 14 heures ce que l'on faisait auparavant en
48 heures et plus ; la nécessité de changer une législation ainsi faussée, ne
peut plus guère être révoquée en doute, chaque jour j'entends ceux de mes
honorables collègues qui sont les défenseurs les plus zélés de l'agriculture,
venir réclamer des avantages pour les distilleries dites agricoles ; mais,
messieurs, toutes les distilleries agricoles doivent nécessairement tomber ;
d'ici à quelques années vous n'aurez plus dans le pays que quelques grandes
distilleries qui se trouveront dans les grands centres de population. C'est là la
conséquence inéluctable du système que vous défendez. Revenez-en donc au système
que nous demandons ; frappez les produits fabriqués au lieu de frapper la
matière mise en macération. Ce n'est que de cette manière que vous favoriserez
les distilleries agricoles, parce qu'alors ceux qui produiront peu paieront
peu, et que ceux qui produiront beaucoup paieront beaucoup.
M.
Rodenbach. - C'était là un des griefs contre la
loi de 1822.
M.
Demonceau. - Ce n'était pas le système de la loi
de 1822 qui était un grief ; le grief était dans les vexations attachées à ce
système ; mais si l'on parvenait à faire une loi qui frappât la matière
produite, sans donner lieu aux vexations dont on s'est plaint sous l'empire de
la loi de 1822, je suis bien persuadé que l'honorable M. Rodenbach
reconnaîtrait qu'une semblable loi serait préférable à la législation actuelle,
qui ne protège pas 1'agriculture, qui ne protége pas les localités où il faut
nécessairement implanter les distilleries pour que l'on y ait les engrais sur
les lieux, mais qui attire au contraire les distilleries dans les grandes
villes. La loi devrait favoriser les distilleries dans les localités où le sol
est mauvais ; eh bien, la loi actuelle les attire dans les localités où le sol
est le plus fécond.
Pour vous convaincre, messieurs,
de la vérité de ce que je viens de dire, que les grandes distilleries sont la
ruine des petites, il vous suffira de jeter les yeux sur un document qui nous a
encore été fourni par l'honorable M. Mercier, lors de la discussion de la loi
de 1841. Voici ce qui nous fut dit alors par l'administration des finances :
« 763 distilleries sont en
activité ; 333 travaillent en 24 heures au plus ; les 430 autres usines mettent
plus de 24 heures à la fermentation. »
Savez-vous, messieurs, combien
celles qui travaillent en 24 heures et moins ont produit de plus que les autres
? On le trouve encore dans le document dont je viens de parler.
« Les 333 distilleries
fabriquant en 24 heures au plus ont travaillé 3,055,316
hectolitres, tandis que les 430 autres n'ont travaillé que 2,996,853
hectolitres. Il suit de là, ajoute le document, que l'impôt de 60 centimes ne
coûtera que 12 francs aux 333 distillateurs qui travaillent en 24 heures et
moins, qu'il coûtera 15 aux 151 distillateurs qui travaillent en 30 heures, que
pour 144 distilleries l'impôt variera de 12 à 15 fr., et qu'enfin il reste 135
distilleries pour lesquelles l'impôt variera de 15 à 30, celles-ci sont
nécessairement des usines où le progrès de l'art n'ont pas été suivies. »
(Annexes au rapport de la section centrale, p. 43.) Messieurs, la différence
qu'il y a entre le chiffre proposé par le gouvernement et celui de la section
centrale est, je crois, de 12 centimes.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Oui.
M.
Demonceau. - En effet, 80 centimes avec 10
additionnels font 90 centimes ; le gouvernement propose, de son côté, un franc,
sans additionnels, d'après la dernière proposition de M. le ministre des
finances, il n'y a donc plus qu'une différence de 12 c. Eh bien, messieurs,
avec cette augmentation des droits n'êtes-vous pas encore effrayés comme moi du
bas prix auquel se vendra le genièvre ? Il ne coûtera pas encore 60 centimes le
litre en consommation.
Les honorables préopinants qui ne
veulent aucune augmentation du droit s'appuient de la nécessité de ne pas
favoriser la fraude. Ils pensent qu'en élevant le droit on favoriserait la
fraude et que l'on rendrait la concurrence des spiritueux étrangers plus
nuisible à nos distillateurs. Eh bien, messieurs, je prends encore ici un document
qui nous a été fourni l'année dernière par le ministère des finances ; voici ce
que j'y trouve :
« Nous comparons le prix du
genièvre, accise payé, avec celui de l'eau-de-vie de France.
« Nous prendrons la
fermentation la plus longue donc en cas d'adoption du projet, 19 fr. 80 par
hectolitre.
« L'eau-de-vie de
Montpellier, à 84 degrés de Gay Lussac, se vend 50 fr. par hectolitre, soit à
50 fr., fr. 29 77
« Commission et transport,
fr. 6
« Droit de douane, 2 46
« Droit d'accise, 50
« Total, fr. 88 23
« Le genièvre indigène se
vend par hectolitre à 50 c. fr. 40
« Droit proposé avec la plus
longue fermentation : fr. 19 80
« Total : fr. 59 80
« Protection en faveur des
genièvres indigènes : fr. 28 43 »
Et si l’on craignait
l’importation des genièvres hollandais, on détruirait cette crainte par les
chiffres ci-dessus puisque, s'il est vrai que le genièvre hollandais ne coûte
que 56 fr. par hectolitre, ainsi qu'on l'a prétendu, ce prix augmente des
impôts, s'élèvera à 88 fr. 46 c., tandis que le
genièvre indigène ne coûtera que 59 francs 80 c. »
Eh bien, messieurs, j'admets maintenant
avec l'honorable M. Mercier que le droit résultant des augmentations proposées
soit de 22 fr. ; le coût du genièvre
étant de 40 fr., il s'élèvera avec le droit à 62 fr. Les eaux-de-vie indigènes
ont donc encore une faveur sur les eaux-de-vie étrangères de plus de 25 fr.
M.
Rodenbach. - Ce ne sont pas les eaux-de-vie que
l'on fraude, c'est le 3/6.
M.
Demonceau. - Mais, messieurs, on fraude tout, si
vous allez jusque-là ; mais celui qui fraude s'expose à être pris. L'année
dernière on parlait aussi de la fraude, cependant je vous ai prouvé que
l'élévation du droit a produit une augmentation de recettes de 550,000 fr. sur
le chiffre qui avait été prévu.
Je raisonne ici d'après les
documents émanés du département des finances, documents qu'on doit considérer
comme exacts. Or, d'après les renseignements fournis à la section centrale de
l'année dernière, on disait qu'avec un droit de 60 centimes, les eaux-de-vie
indigènes avaient 28 francs de protection et quelques centimes.
Maintenant, puisque l'honorable
M. Mercier a cru que la restitution serait encore une cause de diminution du
droit, j'examinerai la question de ce que quelques-uns appellent prime
d'exportation, et de ce que moi je voudrais être une simple restitution, et
rien de plus.
Lorsque nous avons voté en 1841
un droit d'accises de 60 centimes, nous avons, de commun accord avec
l’honorable M. Mercier, porté le chiffre de la restitution à 18 fr. 50 cent. ; je me souviens parfaitement qu'alors ceux de nos honorables
collègues qui se plaignaient de ce qu'on ne restituait pas le montant du droit
payé, ont été enfin convaincus qu'on restituait même quelques francs au-delà du
droit. C'est donc par erreur que dans une séance précédente, un honorable
membre a dit que les distillateurs n'avaient jamais obtenu du gouvernement
justice sous ce rapport. La restitution accordée par la loi de 1841 s'élève à
18 fr. 50 c., et je pense que l'honorable M. Mercier
sera d'accord avec moi pour dire que cette restitution est supérieure au droit
payé.
Maintenant qu'on va porter le
droit de 66 centimes â 100, la question est de savoir si le chiffre proposé par
M, le ministre des finances n'est pas trop élevé. J'engage beaucoup M. le
ministre à revoir attentivement cette discussion, parce que je dois déclarer
qu'il y a une grande justesse dans la plupart des observations qui ont été
faites dans la séance précédente, en ce que l'exportation n'était permise que
par les ports de mer, ce serait favoriser exclusivement les ports de mer au
détriment des autres localités où il y a production.
Ainsi s'il n'y a qu'une légère
différence, comme celle qui existe maintenant, je donnerai mon assentiment à
cette restitution. Mais vous vous rappellerez, messieurs, que dans toutes les
occasions où j'ai eu à m'expliquer sur ce point, j'ai dit qu'il était sans
doute très avantageux à certaines industries d'avoir des primes, mais qu'il
était ruineux pour le trésor public d'en accorder. Nous avons devant nous un
précédent trop fâcheux pour être tentés d'en poser un nouveau non moins
fâcheux. J'entends parler de la restitution accordée à l'industrie du sucre
exotique. Ce système est tellement invétéré, qu'aujourd'hui les industriels
qui en profitent prétendent avoir un droit acquis.
Et voyez dans quelle position
vous vous trouvez. Le gouvernement vous propose une nouvelle loi sur les
sucres. Vous entendez d'une part l'industrie du sucre indigène qui dit qu'on
veut la sacrifier à l'industrie du sucre exotique ; de l'autre, l'industrie du
sucre exotique qui prétend qu'on veut la sacrifier au sucre indigène. Tout cela
résulte de mesures mal combinées dans le principe, en ce qu'on est expose à
restituer plus qu’on ne reçoit, ce qui a motivé la retenue de 10 centimes. Le
trésor a besoin de ressources. Je voterai donc le chiffre le plus élevé ; le
genièvre est une matière essentiellement imposable.
M.
Duvivier. (pour un fait personnel). - Messieurs, j'ai demandé la
parole pour rectifier des faits que l'honorable préopinant m'a attribués et qui
concernent l'époque de 1833. Je crois qu'alors l'honorable membre ne faisait
pas partie de la chambre. (Non !) Ce
n'est pas moi qui ai proposé la loi en 1833 ni qui l'ai soutenue. Je ne suis
nullement intervenu dans cette affaire. C'est une commission particulière qui
a présenté la loi à la chambre, et c'est M. d'Elhoungne,
alors membre de cette assemblée, qui en était rapporteur, et qui a développé
l'ensemble du système qui a été adopté à cette époque.
M.
Demonceau. - Je n'ai pas entendu attribuer à
l'honorable M. Duvivier l'initiative de la loi qui a été adoptée en 1833 ; je
dois croire qu'il l'a au moins appuyée, puisqu'il l’a, je pense, contresignée
comme ministre ; j’ai dit que depuis il l'avait défendue, comme rapporteur ;
c'est, si je ne me trompe, en 1836.
M.
Duvivier. - Ce n'est pas encore là mon œuvre ;
les propositions faites au nom d'une commissionne sont pas les miennes, mais
bien celles de la commission. Le rapporteur d'une commission ou d'une section
centrale n'émet pas ses propres opinions, mais bien celles de
la commission ou de la section centrale.
M. Eloy de Burdinne. -
Messieurs, pour me prononcer sur le chiffre demandé par M. le ministre,
j’aurais désiré qu'on discutât les divers amendements proposés. Ainsi, si l'on
donnait suite aux propositions de l'honorable M. Mast de Vries et collègues,
ainsi qu'à celle que j'ai faite moi-même. Il en résulterait que le chiffre de
l'impôt serait réduit d'un franc à 80 centimes environ, comme l'a proposé
l'honorable M. d'Huart.
Et en effet, messieurs,
voulez-vous permettre aux petites distilleries de marcher ? Voulez-vous que les
distillateurs agricoles puissent continuer d’exercer cet état ? Il faut, non
pas leur accorder des faveurs, mais les placer dans une condition telle qu'ils
puissent concourir avec des distilleries montées sur une grande échelle.
Messieurs, on a beaucoup parlé de
la fraude. C’est certainement déplorable de voir les progrès que fait cette
industrie en Belgique. J'ai
déjà appelé sur ce point l'attention de M. le ministre de la justice. Je crois qu'une bonne loi
répressive de la fraude est chose indispensable. C'est une question grave, je
le sais ; c'est une question difficile ; je ne l'ignore pas ; mais, je n'en
pense pas moins que si l'on y réfléchissait mûrement, l’on trouverait un moyen
de punir la fraude, bien différent de celui qu’on emploie aujourd'hui et qu'on
pourrait, par suite, la diminuer beaucoup, sinon la faire disparaître
entièrement.
J'avoue, messieurs, que j'ai un
bien faible espoir de voir adopter mon amendement. La raison en est bien simple
: mon amendement intéresse l'agriculture, et c'est précisément pour cela que
la chambre très probablement ne lui donnera pas son assentiment.
Chaque fois qu'il s'agit de
traiter ici une question d'intérêt industriel, on ne manque pas de mettre en
avant l'intérêt de l'agriculture, et cela pour obtenir souvent des
dispositions qui sont en opposition directe avec les intérêts de l'agriculture
!
Quand on a fait les lois de 1836
et 1841, on a prétendu qu'on les faisait dans l'intérêt de l'agriculture. Eh
bien, savez-vous quel a été le résultat de ces grandes faveurs ? C'est que les
distilleries agricoles pour la plupart ont été anéanties, et
si on n'adopte pas mon amendement, celles qui ont vécu jusqu'ici, subiront le
même sort.
M.
Zoude, rapporteur. - Messieurs, c'est pour venir
efficacement au secours du trésor, que la section centrale s'est arrêtée au
chiffre de 80 centimes, parce qu'au-delà de cette limite, la fraude inspirait
des craintes sérieuses ; les motifs de cette crainte nous les ayons puisés dans
les pétitions qui nous ont été présentées, et plus encore dans les rapports
particuliers que plusieurs d'entre nous ont établi avec des distillateurs, et
quoiqu’on ait dit que ceux de 1ère classe étaient favorables au droit proposé
par le gouvernement, je crois déclarer que je n'ai eu d'entretien qu'avec ceux
de cette catégorie, et tous ont demandé le maintien du tarif actuel parce qu'il
présente des garanties contre les distilleries clandestines, en même temps
qu'il maintient dans de certaines bornes l'introduction frauduleuse des esprits
étrangers, la plupart nous ont témoigné des craintes sur le résultat du chiffre
de la section centrale, et tous, sauf ceux de Malines, ont protesté contre le
droit d'un franc, qui, disent-ils, compromettrait l'existence des distillateurs
probes, parce que les distilleries clandestines, malgré la sévérité des peines,
se reproduiront comme sous le régime de 1822, que les esprits étrangers
afflueront plus abondamment, et enfin que nous perdrons la ressource de faire
écouler nos produits dans les contrées voisines.
M. le ministre croit avoir des
garanties suffisantes contre l'un et l'autre de ces genres de fraude, et à cet
égard, il a parfaitement exposé des motifs qui justifient sa confiance, les
arguments qu'il a développés l'ont été d'une manière lucide ; mais que peuvent
les argumentations les plus brillantes contre l'existence des faits ?
C'est avec les armes de
l'expérience que quatre de nos collègues, tous anciens ministres des finances,
sont venus combattre le projet du gouvernement.
L’honorable M. Duvivier qui a
blanchi sous les harnais des accises, (on
rit) l'a repoussé de toutes ses forces.
M. d'Huart qui a dirigé le
département des finances plus longtemps lui seul que tous ses prédécesseurs
ensemble, vous a exprimé d'une manière consciencieuse son opinion sur le
résultat probable du chiffre du gouvernement et il s'est rallié à celui de la
section centrale.
Le comte Coghen, qui aux
connaissances commerciales qui lui sont si familières, réunit une longue
expérience des affaires, s'est fortement prononcé pour le rejet.
Et enfin l'honorable M. Mercier
qui a fait une étude spéciale de la distillerie dont il a suivi toutes les
opérations, ce qu'il est facile d'apprécier par les nombreux détails dans
lesquels il vient d'entrer, vous a démontré que le taux actuel est déjà
exagéré.
Messieurs, lorsque des juges
aussi compétents se sont unanimement prononcés contre le projet du
gouvernement, je ne suis étonné que d'une chose, c'est de voir que M. le
ministre ne s'empresse pas à se rallier à la proposition de la section
centrale.
Il est vrai que, pour vous
engager à accepter son chiffre, il déclare renoncer à tous centimes
additionnels, je crois à la bonne foi de M. le ministre, je suis persuadé que
son intention est telle qu'il vous l'expose ; mais, je vous le demande,
messieurs, quelle peut être l'influence de la promesse d'un ministre sur la
portée d'une loi, dans un temps où les ministères sont aussi mobiles que les
vagues de la mer (hilarité).
Veuillez, messieurs, vous prémunir contre l'attrait de ces insinuations.
L'augmentation d'un impôt en
principal est toujours chose fort sérieuse et l'expérience nous prouve que la
chambre en a toujours été sobre, mais cette expérience nous a également appris
que la chambre se laisse plus facilement entraîner dans la concession de
centimes additionnels. On les présente d'abord d'une manière anodine, ils sont
très faibles en commençant, ils grandissent insensiblement et finissent
presque toujours par devenir exagérés.
J'engage
la chambre à accorder son vote au projet de la section centrale.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, je dois avouer que
si les prévisions de l'honorable M. Mercier devaient se réaliser, il faudrait
inévitablement retirer la loi et en proposer une autre.
Cet honorable membre suppose que
dorénavant on accélérera le travail dans les distilleries, de manière à
produire en 12 ou 14 heures ; si cela est vrai, on doit avoir fait un progrès
immense, car en 1836, époque des premières lois qui ont été portées sur les
distilleries on supposait qu'on ne pouvait faire que six tournés en un mois,
c'est-à-dire qu'on admettait que la distillation ne pouvait opérer la
fermentation qu'en 5 jours. Depuis lors, on est arrivé à 36 heures. La loi
actuelle suppose 24 heures de travail ; on peut arriver à 18 heures et moins
peut-être. Mais je ne croyais pas qu'on pût faire des distillations régulières
en 12 ou 14 heures.
L'honorable membre a craint aussi
que l'augmentation du droit n'apportât une grande diminution dans les
déclarations.
M.
Mercier. - Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Vous avez dit que les quantités déclarées seraient moindres, parce que
vous avez supposé qu'il y aurait moins d'hectolitres soumis au droit que sous
le régime ancien. Vous voyez que je vous ai bien compris. Eh bien ! je n'ai pas les mêmes craintes ; car si je fais attention
aux antécédents, je remarque que les déclarations, qui se sont élevées en 1834
à 9,228 mille, se sont réduites, quand l'impôt a été porté à 40 centimes,
jusqu'à 8 millions. Ainsi diminution d'au-delà d'un million.
Quand le droit de 40 centimes a
été porté à 60, alors la réduction des quantités déclarées a été seulement de
400,000 hectolitres. Je crois que ce taux est à peu près la limite extrême.
Mais en admettant, contre toute attente, que ce chiffre puisse être doublé, et
que la quantité à déclarer puisse, sous le régime que nous produisons, être
moindre de 700,000 hectolitres, dans ce cas encore l'impôt produirait cinq
millions, au lieu de 3,400,000 fr. qu'il produit aujourd’hui. Eh bien, je dis
que ce résultat serait encore très satisfaisant ; car le grand résultat à
obtenir, c'est de créer pour le trésor des revenus sans nuire à une industrie
aussi intéressante que celle des distilleries.
Voilà où nous devons viser, ce me
semble.
Comme j'ai eu l'honneur de le
dire, messieurs, vous avez déjà voté cette année 1200 mille francs de crédits
extraordinaires en dehors des budgets, à cette somme il faudra encore ajouter
240,000 francs d'intérêts annuels pour la rente des indemnités ; 400 mille
francs pour la transaction entre le gouvernement et la ville de Bruxelles.
Plusieurs voix. - Ce
n’est pas voté.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - C’est une proposition du
gouvernement. Il y a en outre les intérêts des capitaux qui seront employés
aux travaux du canal de Zelzaete. Ainsi dans la supposition que la chambre
accueille les propositions du gouvernement pour la ville de Bruxelles, les
dépenses de l'Etat se seront accrues d'un million d'intérêts permanents. Or,
pour des intérêts permanents, il faut des ressources permanentes.
On a craint, messieurs, et on est
revenu aujourd'hui sur les observations que j'avais présentées hier, on a
craint que les nouveaux droits qui seraient établis ne donnent lieu à la
fraude, et ici on a, à très bon droit, invoqué l'expérience de mes
prédécesseurs. Pour moi, c'est un des plus forts arguments qu'on ait fait
valoir. Cependant, je demanderai la permission d'invoquer aussi ma propre expérience,
expérience de bien près de 40 années passées dans la carrière administrative et
consacrée exclusivement aux études des questions générales. Je dois dire, du
reste, que l'opinion que j'émets aujourd'hui est partagée par la généralité des
fonctionnaires du département des finances qui, eux aussi, ont une longue
expérience et connaissent parfaitement la matière dont il s'agit.
Je dois d'ailleurs faire
remarquer qu'on n'a pas même essayé de répondre à l'argument que j'ai fait
valoir dans la séance d'avant-hier, et que je vais reproduire. Si les
importations étrangères sont à craindre, c'est du coté de
On a dit, les pays étrangers
connaissent mieux leurs intérêts et qu'ils feront convoyer la marchandise
jusqu'auprès de nos frontières, en s'assurant que la marchandise est
réellement importée en Belgique. Si
L'honorable M. Verhaegen a paru
un moment admettre la difficulté des importations frauduleuses par la frontière
de terre. Il a dit qu'en effet, là les bureaux étant placés vis-à-vis les uns
des autres, les infiltrations seraient difficiles. Mais, a-t-il ajouté, si on
n’infiltre pas par la frontière de terre, on le fera par la frontière maritime.
Le bureau de Batz ouvert aux
exportations hollandaises par les eaux intérieures est à deux lieues et demie
de Lillo, et rien ne pourra empêcher les fraudeurs de jeter des barils sur les
côtes, sur les digues et d'importer ainsi des genièvres dans le pays. Tous ceux
qui connaissent l’Escaut savent que cette fraude serait très difficile, car les
digues se prolongent en ligne droite â de très longues distances et une vedette
placée sur la rive voit de très loin ce qui se passe.
L'administration des douanes a
sur la rive droite une brigade à Santvliet, point
extrême de notre frontière, une autre brigade est placée à Berendrecht.
Une troisième à Staebrouck et une quatrième à Lillo.
Toutes ces brigades se donnent la
main et au moyen de la surveillance qui s'exerce sur la rivière même par les
embarcations des pataches, il est très difficile de faire des mouvements de
fraude sur l'Escaut.
La même chose existe sur la rive
gauche. D'ailleurs, ceux qui connaissent les poldres savent que le transport
des marchandises par cette voie serait extrêmement dangereuse pour les
fraudeurs.
L'honorable M. Verhaegen a parlé
de primes d'exportation qui seraient accordées par l'octroi d'Anvers à
l'exportation des genièvres, qu'ainsi les distillateurs de cette ville
seraient privilégies par le drawback, établi dans le projet de loi.
Je n'entrerai pas dans des
détails à l'égard de ce dernier point, parce que nous devons y revenir à
l'occasion de l'art. 21 ; mais je me hâte de dire que pour ce qui se pratique â
l'octroi d'Anvers Je l'ignore complètement. J'ai demande des renseignements à
ce sujet et si ces renseignements indiquent qu'on cherche par des moyens
indirects à détruire l'économie générale des lois de l'Etat, on prendra des
mesures pour prévenir un pareil abus. Nous ne pourrons pas permettre qu'une
régence établisse des privilèges en faveur d'une localité et qu'elle
contrevienne ainsi aux principes de nos institutions qui excluent le privilège.
Toutefois, je dois dire dès à présent qu'il sera assez difficile de réglementer
cette matière, car les droits d'octroi diffèrent de ville à ville et les
restitutions doivent être en rapport avec ces droits. Quoi qu'il en soit, c'est
une question à examiner, j'en apporterai au besoin les résultats devant la
chambre.
Dans la dernière séance
l'honorable M. Delehaye m'a fait une interpellation à laquelle je dois
répondre. Il m'a demandé quelle était l'intention du gouvernement relativement
aux eaux-de-vie étrangères, et s'il se proposait de demander une majoration de
droit sur cet article. Je répondrai que, c'est sur les réclamations réitérées
de la chambre elle-même, que le gouvernement a été porté à demander en 1837 un
abaissement de 8 fr., et à cette occasion, je vous rappellerai, messieurs, un
fait assez important qui vient à l'appui de l'opinion que je soutiens.
Les personnes qui, à cette
époque, se sont élevées contre la réduction demandée par le gouvernement, ce
sont les rectificateurs belges ; et sur quoi se fondaient-ils, messieurs ? Sur
ce qu'il n'y avait pas d'importation. Il est impossible, disaient-ils, que
Il y a un autre fait, c'est
qu'aujourd'hui le 3/6 de France se vendent sur le marché de Roulers dont a
parlé l'honorable M. Rodenbach, 1 fr. 25 le litre ou 125 fr. 75 c.
l'hectolitre. Or, chez nous on produit le genièvre rectifié à 105 fr. 75 c., taux infiniment moindre, comme vous le voyez. Je dis
qu'en présence de ces prix, la concurrence des eaux-de-vie étrangères n'est pas
à craindre.
M.
Rodenbach. - Mais
vous ne savez pas faire d'eau-de-vie de France.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Nous faisons du genièvre.
M.
Rodenbach. - C'est bien différent.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - La fraude en grand n'étant
donc pas à craindre, je dois insister en raison des besoins du trésor pour obtenir le droit de 1 franc qui vous a été demandé,
M. de Theux. - Je
n'ai qu'un mot à dire pour motiver mon vote. Je me propose de voter pour la
proposition de la section centrale ; en voici les motifs.
L'an dernier, le droit a été
augmenté de 50 p. c. Maintenant qu'il n'y a qu'une année d'expérience, le
gouvernement propose de nouveau une augmentation de 50 p. c. Cela me paraît
trop fort. Je propose le terme intermédiaire proposé par la section
centrale. Je crois que si l'on adoptait un droit plus élevé, il en résulterait
qu'il y aurait fraude et, par suite, préjudice causé au trésor et à l'industrie.
Si plus tard l'expérience
démontrait qu'il est possible d'admettre une nouvelle augmentation de droits,
j'y donnerais volontiers mon assentiment ; car cette matière était éminemment
imposable par sa nature.
Je sais que les besoins du trésor
sont considérables, Mais l'augmentation proposée par la section centrale doit
produire au-delà d'un million de francs. Il est possible aussi que le chemin de
fer ; quand il sera achevé, produise plus qu'il n'a produit jusqu'à présent.
La loi sur les sucres doit aussi amener une augmentation de recettes. Il y a
lieu d'espérer qu'au moyen de ces trois ressources combinées on parviendra à
combler le déficit du trésor.
Du
reste ce n'est qu'un essai. Si le temps nous apprend qu'on peut établir une
majoration plus forte, je suis, je le répète, disposé à la voter.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Je dois une seule remarque,
mais essentielle, en réponse à l'opinion de l'honorable préopinant. Si
l'expérience lui démontre, dit-il, qu'on peut admettre une augmentation de
droit, il y consentira volontiers. Mais, messieurs, il ne faut pas perdre de
vue les intérêts de l'industrie. L'industrie vit de la fixité, de la
stabilité dans les droits, et c'est précisément pour ne plus toucher à la question
des distilleries, que le gouvernement vous propose de porter le droit à 1 fr.
Adopter un chiffre qui doive être augmenté dans un an ou deux ans, ce serait
gratuitement alarmer des intérêts industriels en les tenant
en suspens.
M.
Desmet. - Messieurs, je n'aurais pas pris la parole pour
parler contre la surélévation du taux du projet présenté, car on a déjà fait
valoir suffisamment des arguments contre, et je ne dois pas non plus vous dire
que, pour ma part, je suis de même contre ce taux élevé, car vous savez que
j'ai toujours soutenu qu'on détruisait entièrement l'économie de la loi du 18
juillet 1833.
Mais j'avais désiré de dire deux
mots pour répondre à un honorable membre qui siége à ma droite, qui a parlé au
commencement de la séance et qui a assez fortement attaqué le système de la loi
de 1833, qui a même critiqué les législateurs qui ont concouru à faire cette
loi ; il les a, si j'ai bien compris, taxé de légèreté ou d'imprudence ; et
comme je n'ai pas seulement concouru à ce vote, mais que je faisais même partie
de la commission qui a eu pour tâche d'élaborer cette loi, on me permettra de
répondre. On ne peut pas être taxé de légèreté ou d'imprudence quand on a
atteint ce qu'on avait cherché et prévu ; la loi de 1833 avait eu pour but
d'obtenir de l'accise sur les distilleries une certaine somme pour le trésor,
et au lieu de rester sous le taux désiré, on l'a toujours surpassé. Elle avait
dû aussi pour but que
Je pense bien qu'on a réussi.
Aviez-vous avant la loi de 1833 la rectification des esprits ? Vous
savez bien que tous les esprits nous arrivaient de France, que nous devions
tous les prendre là ; eh bien, par la loi qu'on critique vous êtes arrivé
que nous faisons tous les esprits dont nous avons besoin, tant pour le
fabricant que pour la consommation et que nous n'en tirons presque plus de
France. Je pense qu'on sent cet avantage, et quand l'honorable ministre des
finances a dit tout à l'heure qu'il était constaté que passé quelques années on
ne faisait passer en fraude aucune quantité d'esprit français, il a eu bien
raison de l'avancer, et c'est très exact. Mais cherchons la cause pourquoi
alors on ne fraudait pas, c'était parce qu'avec la loi de 1833 et le petit
tarif de l'accise le prix de revient de nos esprits était plus bas que celui
des esprits français ; il était très naturel qu'on ne fît pas entrer des
esprits étrangers quand ils ne savaient pas concourir contre les nôtres par le
prix, mais si vous allez tellement majorer le droit de l'accise que son
élévation va influencer sur le prix de revient de nos esprits, et qu'il sera
plus élevé que des esprits français, vous venez indubitablement recommencer la
fraude.
Et pour ce qui concerne le
genièvre de Hollande, autant que nous en recevions de ce pays, les premières
années de la loi de 1833 nous en faisions entrer. Voici, messieurs, le tableau
des exportations : en 1834 nous avons exporté pour 524,878 francs ; en
1838, nous n'exportâmes que pour 144,911 francs, et en 1839 ce chiffre était
déjà descendu à 60,735 fr. ; qu'on veuille bien remarquer cette baisse dans les
exportations, ce qui a eu lieu chaque fois qu'on a majoré le taux de l'accise,
on y verra que, pour favoriser les exportations, il faut surtout prendre des
mesures pour ménager le prix de revient, c'est le meilleur moyen, il surpasse
celui du haut drawback el il est surtout à préférer parce qu'il ne présente
point des inconvénients ni des moyens de fraude ; on a dit que chaque fois
qu'on avait majoré le taux de l’accise le résultat de la recette avait répondu
à l’attente, cela n'est pas très exact.
En
C'est encore un effet que la
majoration du droit a produit, qu'on détériore la bonne fabrication, qu'on brichotte du grain, qu'on fait de mauvaises liqueurs, ainsi
que du mauvais résidu, du résidu qui est plutôt dans l’état d'aigreur et de
corruption. Et cette remarque est digne de votre attention, car cet
inconvénient a une grande portée pour l'engraissement du bétail. Il est de fait
que, depuis quelques années, il règne continuellement une épizootie très intense
; elle ne quitte pas le pays et fait de grands ravages. Dans ce moment elle est
dans plusieurs endroits des Flandres. C'est cette maladie qu'on nomme
vulgairement la maladie de la bouche ; elle est très épidémique et détruit
beaucoup de bétail. Je voudrais bien que M. le ministre de l'intérieur voulût y
attacher son attention et fît prendre des mesures pour tâcher d'arrêter sa
propagation. Anciennement on était plus surveillant contre la maladie du
bétail ; nos pères y consacraient tout leur temps ; ils sentaient trop
l'importance du commerce de bétail pour ne pas prévenir et arrêter les
maladies. Mais, comme je viens de le dire, on peut peut-être attribuer au
mauvais résidu des distilleries la continuation de l'épizootie.
J'aurais encore bien des choses à
dire, mais comme nous sommes pressés je finirai.
Plusieurs membres. - La clôture !
M.
Duvivier. (pour une
motion d’ordre) - Je demande que les séances commencent de meilleure heure. On
ne fait rien dans les sections. Il y avait à l'ordre du jour le projet de loi
sur les sucres ; on s'est ajourné dans l'attente de notes promises par M. le
ministre des finances pour combattre une partie des assertions émises par les
chambres de commerce et les commissions d'agriculture. Il faudrait qu'on se
réunît de bonne heure ; car de 2 à 4 heures on ne fait pas grand'chose.
M.
le président. - Si la convocation a été faite pour
deux heures, c'est en exécution d'une résolution de la chambre.
M.
Duvivier. - Je ne le conteste pas.
M.
le président. - Cette résolution n'a pas eu
seulement pour motif de donner le temps d'examiner dans les sections le projet
de loi relatif aux sucres, mais principalement de donner à des sections
centrales le temps d’examiner des projets de loi très importants sur lesquels
des rapports sont attendus. Chaque jour, ces sections centrales sont à l'œuvre.
Elles sont convoquées pour demain à 11 heures. Ce n'est pas la peine qu'elles
se réunissent, si la séance publique est fixée à midi.
M.
Duvivier. - Ces sections centrales pourraient se
réunir plus tôt.
M.
Delehaye. - Nous sommes ici depuis 10 heures du
matin. On ne peut nous demander davantage.
Plusieurs membres. - La clôture !
M.
Verhaegen. - Je demande que la discussion
continue.
Il y a des orateurs qui ont parlé
deux ou trois fois. Quant à moi, je n'ai parlé qu'une fois. Je me suis donné
tout le temps nécessaire pour étudier cette matière. J'ai présenté beaucoup
d'arguments auxquels quelques honorables collègues ont répondu. Il me serait fort
agréable de dire quelques mots en réponse. Il me semble que ce serait très
juste. Je le demande avec d'autant plus d'instance qu'au commencement de la
séance, d'après ce qu'on m'a dit, j'ai été attaqué personnellement par
l'honorable M. de Garcia.
Remarquez, messieurs, je vous
prie, que toute la loi est dans l'art. 2. Cet article une fois voté, toute la
loi est votée. Il y a divergence d'opinion sur cet article ; il me semble que
la chambre peut bien employer quelque temps encore à s'éclairer. Après tout,
la vérité naît de la discussion. Si ceux qui ont une opinion contraire à la
mienne peuvent me convaincre que je ne suis dans l'erreur, je le veux bien ;
j'adopterai alors volontiers la leur, car je ne veux que ce qui est dans
l'intérêt général. Mais vous comprendrez que quand ceux qui défendent un
système contraire au mien ont parlé deux ou trois fois, il doit
m'être permis de répliquer.
M.
Duvivier. - Je me trouve en partie dans la
position où est l'honorable M. Verhaegen. Je n'ai pu lire le discours de
l'honorable M. Doignon que ce matin ; hier je n'étais pas présent lorsqu'il l'a
prononcé, parce que j'avais dû m'absenter un instant.
Je ne tiens pas absolument à
parler ; je renoncerai à la parole si la chambre veut clôturer, mais je dois
dire que j'ai beaucoup de raisonnements à faire valoir contre le discours de M.
Doignon. Cet honorable membre a indiqué à plusieurs reprises le travail que
j'ai soumis à la chambre en 1836 ; il m'a attaqué, pour ainsi dire, personnellement,
bien que je n'eusse paru devant la chambre qu'au nom d'une commission. Je
voudrais rencontrer la plupart des objections de cet honorable membre
relativement au travail que j'ai soumis à la chambre à cette époque.
J'aurais eu aussi à vous dire
comment se fait la fraude et à vous donner des preuves qu'elle se pratique. Car
jusqu'ici on a beaucoup parlé de fraude, mais on n'a pas donné sur son étendue
les preuves que je puis administrer. Je sais comment elle se fait, et je vous
donnerais à cet égard des preuves tellement pertinentes qu'il serait impossible
de me répondre avec succès.
Voilà la position où je me trouve. Maintenant si la chambre veut clore la
discussion, j'obéirai à sa décision, mais ce sera avec beaucoup de regret.
M.
Delfosse. - Messieurs, il est un point de vue
sous lequel la question n'a pas encore été examinée.
Le droit de 80 centimes ne sera
pas très sensible pour le consommateur de genièvre ; mais il est une branche
d'industrie pour laquelle ce droit sera très sensible, c'est la fabrication du
vinaigre artificiel.
Cette branche d'industrie est
déjà très imposée ; elle l'est, comme les distilleries et les brasseries, en
raison de la contenance des vaisseaux qu'elle emploie à la fabrication. Elle
paye en outre les droits sur le genièvre qu'elle emploie à la production du
vinaigre ; de manière qu'elle est imposée doublement. Il y a là injustice évidente.
Les fabricants de vinaigre
artificiel ont adressé à la chambre une pétition. Ils se plaignent d'abord de
ce qu'on impose comme vaisseaux ce qui, aux termes de la loi, ne devrait pas
être considéré comme tel, par exemple, on impose les filtres et jusqu'aux entonnoirs.
Ils se plaignent aussi, alors
qu'ils sont imposés comme les distillateurs et les brasseurs, de devoir payer
en outre l'impôt qui pèse sur les distillateurs eux-mêmes.
Un rapport vous a été fait sur
cette pétition, et elle a été renvoyée à M. le ministre des finances avec
demande d'explications. M. le ministre ne nous a pas encore donné ces
explications ; cependant il est nécessaire qu'elles nous soient données pour
que nous puissions voter sur l'article en discussion. Car bien certainement
nous n’admettrons le droit de 8 p. c., ou celui d'un franc, qu'autant qu'il
nous sera démontré que ce vote ne détruira pas une branche d'industrie qui a
acquis d'assez grands développements et qui a des titres à la sollicitude de la
chambre.
Je m'oppose donc à ce que la
clôture soit prononcée avant que M. le ministre des finances nous ait donné des
explications sur ce point. Ces explications peuvent être de nature à influer
sur notre vote.
J'espère que la considération que
je viens de présenter, jointe à celles que d'honorables collègues ont fait
valoir, contre la clôture, engagera la chambre à laisser continuer la
discussion ; j'ajouterai que lorsqu'un homme qui a autant d'expérience que
l'honorable M. Duvivier, et qui n'abuse jamais de la parole,
demande à donner des éclaircissements, il est du devoir de la chambre de
l'entendre.
M. le
ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, je ferai remarquer,
en réponse à ce que vient dire l'honorable M. Delfosse, que la pétition des
fabricants de vinaigre artificiel ne m'a été envoyée qu'il y a quelques jours.
Je m'occupe de l'examen de cette réclamation, et je transmettrai le plus tôt
possible mes observations à la chambre. Mais il faut avant tout que je
recueille les renseignements nécessaires. Dans cette réclamation on articule
des griefs ; on prétend qu'on impose des vaisseaux qui ne devraient pas l'être.
C'est là une question à examiner, mais qui est tout à fait indépendante de la
loi qui nous occupe.
Evidemment les fabricants de
vinaigre artificiel ont droit à la sollicitude de la chambre et du
gouvernement. Personne ne veut nuire à cette industrie.
Mais, je le répète, c'est une question entièrement étrangère à celle qui est à
l'ordre du jour.
M.
d’Huart. - Lorsque j'ai demandé la parole, il
n'était pas encore question de cet incident relatif à la réclamation des fabricants
de vinaigre artificiel. Mais M. le ministre des finances vient de répondre sur
ce point d'une manière péremptoire. C'est là un objet tout spécial, et lors
même que vous auriez le rapport de M. le ministre, il ne pourrait avoir aucune
influence sur l'art. 2. Car si on veut admettre l'augmentation de droit et si
en même temps on veut faire quelque chose pour les vinaigreries artificielles,
on sera toujours libre de le faire, et même en proposant un article additionnel
à la loi que nous discutons.
Lorsque j'ai demandé la parole,
c'était pour dire à l'honorable M. Verhaegen, qui demandait à parler encore une
fois, que personne n'avait parlé deux fois dans cette discussion. Moi aussi
j'aurais beaucoup à répondre aux orateurs que vous avez entendus ; mais de
cette manière nous ne terminerions jamais. Je pense que maintenant chacun sait
ce qu'il a à faire quant aux différents droits de 1 fr., de 80 et de 60 c. qui
vous sont proposés, et que, lors même que vous discuteriez encore sur ce point
pendant toute la séance de demain, vous n'en seriez pas plus avancés. C'est
parce que je suis convaincu qu'il en est ainsi que je voterai pour la clôture.
M.
le président. - J'observerai à la chambre que,
pendant cette discussion incidente, elle a cessé d'être en nombre.
- La séance est levée à 5 heures.