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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 11 mai 1842

(Moniteur belge n°132, du 12 mai 1842)

(Présidence de M. Dubus (aîné)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l'appel nominal à 1 heure.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.

« Les habitants de Cortemarcq demandent que, dans la nouvelle circonscription cantonale, on supprime une des justices de paix établies à Thourout pour la transférer dans une autre localité plus au centre du canton. »

« Même demande de quelques habitants de la commune de Handzaeme. »

- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la circonscription cantonale.


« Les secrétaires communaux du canton d'Herenthals demandent que des dispositions de nature à améliorer la position des secrétaires communaux soient introduites dans les projets de loi tendant à apporter des modifications à la loi communale. »

« Même demande des secrétaires communaux du canton de Westerloo. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets dont il s'agit.

M. Peeters. - Je demanderai en outre que ces pétitions soient toutes renvoyées à M. le ministre de l'intérieur.

Messieurs, la position des secrétaires communaux, surtout dans les communes rurales, mérite votre attention. On n'apprécie pas généralement l'importance de ces fonctionnaires dans les communes rurales ; des traitements fort minimes leur sont accordés ; j'en connais même qui n'ont pas 200 francs. Ces fonctionnaires se trouvent donc dans une position fort pénible ; ou ils sont dans l'impossibilité de pourvoir à leur existence, ou ils sont obligés de demander des émoluments pour des objets qu'ils devraient donner gratuitement.

J'engage beaucoup M. le ministre de l'intérieur à se faire produire l'état des traitements des secrétaires communaux, et il sera convaincu qu'il y a quelque chose à faire pour ces fonctionnaires.

M. le président. - Je ferai observer à M. Peeters qu'un grand nombre de pétitions semblables ont déjà été adressées à la chambre, et que celle-ci en a ordonné le dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi qui s'y rapportent.

M. Peeters. - Eh bien, je demanderai qu'après la discussion toutes ces pétitions soient renvoyées à M. le ministre de l'intérieur.

- Cette proposition est adoptée.

Proposition de loi visant à augmenter les traitements des membres de l'ordre judiciaire

Motion d'ordre

M. Orts. - Messieurs, le discours du trône promettait un projet de loi destiné à améliorer la position des membres de l'ordre judiciaire, comme il annonçait des projets de loi modificatifs de la loi communale.

Avant les vacances de Pâques, l'un de mes honorables amis, auteur lui-même d'une proposition qui se rattachait à cet objet et qui dort dans les cartons de la chambre depuis le 24 octobre 1837, avait demandé à M. le ministre de la justice s'il comptait présenter bientôt un projet de loi relativement à la position de la magistrature.

M. le ministre de la justice promit formellement qu'à la rentrée de la chambre un projet de loi serait déposé sûr le bureau. Plusieurs jours après la rentrée, l'honorable M. Verhaegen interpella de nouveau M. le ministre de la justice, et ce haut fonctionnaire trouva bon d'attribuer le retard qu'éprouvait la présentation du projet à un motif qui a cessé d'exister depuis le commencement de ce mois.

Messieurs, nous allons entrer dans de longues discussions relativement aux projets de loi modificatifs de notre organisation communale. D'autres projets de loi très importants, et qui donneront aussi lieu à une longue délibération, se trouvent, les uns, déjà rapportés à la section centrale, les autres soumis à l'examen des sections. Dans cet état de choses, et vu que la session s'avance vers son terme, je crois qu'il est permis de concevoir des craintes sérieuses, relativement à la discussion possible, pendant cette session, de la loi concernant l'amélioration du sort de la magistrature, si ce projet n'était pas présenté immédiatement. .

Je demanderai donc que M. le ministre de la justice veuille bien donner des explications touchant la présentation de ce projet de loi.

M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) - Messieurs, le projet de loi sera présenté dans le cours de cette semaine, en même temps qu'un autre projet de loi pour les voies et moyens, destinés à faire face à cette nouvelle dépense.

Projet de loi relatif à la patente des bateliers

Motion d’ordre

M. Sigart.- Messieurs, j'ai demandé, il y a quelque temps des explications relativement au retard qu'éprouve l’impression de certains documents ; je dois renouveler aujourd'hui cette demande d'explications ; Il y a environ deux mois que le projet de loi a été déposé par M. le -ministre de l'intérieur ; depuis ce temps là, on aurait pu imprimer une encyclopédie ; je ne puis comprendre ce qui peut s'opposer à ce que ces pièces soient distribuées aux membres de la chambre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, en revoyant les épreuves de ce travail qui est très étendu, j’ai remarqué d'importantes lacunes ; j'ai voulu combler ces lacunes. A l'heure qu'il est, j'ai entre les mains tous les documents qui me manquaient, et je pense que le travail pourra être distribué dans la huitaine. Du reste, l'honorable préopinant lui-même ne regrettera pas ce retard, auquel il aura été possible de fournir un travail fort complet. Je conviens avec l'honorable membre qu'il eût mieux valu avoir les documents de prime abord, mais on ne fait pas toujours les choses comme on le désire.

Projet de loi apportant des modifications à la loi communale, en ce qui concerne les bourgmestres

Discussion générale

M. le président. - D'après une décision antérieure de la chambre, j'ouvrirai d'abord la discussion sur l'ensemble du projet de loi concernant les bourgmestres.

Je demanderai en premier lieu à M. le ministre de l'intérieur s'il se rallie au projet de la section centrale ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - M. le président, je me rallie à la rédaction de la section centrale ; je proposerai cependant une addition, en ce qui concerne la révocation du bourgmestre.

Le bourgmestre pourra être révoqué par le Roi, si le principe de la nomination par le Roi est admis. Cette addition est donc subordonnée à l'admission du principe ; mais je l'annonce dès à présent.

M. le président. - Ainsi la discussion est ouverte sur le projet de la section centrale. .

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, le gouvernement s'étant rallié au projet de la section centrale, les propositions qui vous sont soumises se trouvent être les mêmes que celles qui ont été faites par le ministère en 1833, qui ont été adoptées deux fois par la chambre des représentants, et qui ont été, lors du vote définitif, non pas rejetées, mais abandonnées.

C'est ce que je vais chercher à établir ; ce retour sur le passé est nécessaire ; car on ne manquera pas de faire un appel à la dignité de la législature, on dira que vous vous dégradez en revenant sur une résolution récente et solennelle. Il importe donc de bien constater les antécédents, non pas que j'admette qu'une autorité quelconque doive obstinément persister dans toutes ses décisions ; c'est le reproche qu'on fait aux gouvernements absolus de ne jamais avouer une erreur. D'ailleurs cet appel à la prétendue infaillibilité législative sera fait probablement par ceux-là même qui trouvent qu'il ne serait nullement contraire à votre dignité de réformer d'autres lois.

Rappelez-vous aussi que des lois importantes, des lois qu'on peut dire fondamentales, ont été modifiées ; l'une de nos grandes institutions nationales, le jury n'a-t-il pas été, après quelques années d’essai, l'objet d'une réforme presque radicale et dont le pays s'applaudit ?

Le projet d'organisation communale a été présenté le 2 avril 1833, l’art. 7 de ce projet était ainsi conçu :

« Le Roi nomme et révoque les bourgmestres ; il les choisit dans le sein du conseil ou au dehors ; dans ce dernier cas, ils n'ont que voix consultative au conseil. »

Ces dernières propositions soulevaient deux questions :

Le bourgmestre pourra-t-il, par exception, être nommé hors du conseil ?

Nommé hors dit conseil, quelle sera sa position dans le conseil ; aura-t-il voix délibérative ou seulement voix consultative ?

C'est à dessein que j'indique dès à présent ces deux questions ; nous verrons que sur la deuxième, il y a eu dissentiment entre les deux chambres, et quel a été l’effet de ce dissentiment.

Mon intention n'est pas de vous énumérer tous les votes sur les questions du bourgmestre et des échevins ; le sénat nous a une fois renvoyé la loi ; dans le cours de la discussion, il y a eu un changement ministériel, non pas, il est vrai, à cause de cette loi, mais ce fait doit néanmoins être rappelé pour expliquer quelques vicissitudes de la discussion ; les questions relatives au bourgmestre et aux échevins ont été à la chambre des représentants l'objet de plus de vingt votes solennels, par appels nominaux, dont le premier est du 26 juillet 1834, le dernier du 5 mars 1836.

La question de savoir si le bourgmestre pourrait, par exception, être nommé hors du conseil, a été une fois résolue négativement ; c'est le vote le plus ancien ; celui du 26 juillet 1834 (34 voix contre 31). Elle a été résolue deux fois affirmativement, le 13 mars 1835 (53 voix contre 28,), et le 7 mai 1835 (54 voix contre 29) ; elle n'a plus été posée depuis, nous verrons pourquoi.

Le 13 mars 1835, la question a été résolue affirmativement par l'adoption de la proposition suivante :

« Le Roi nomme le bourgmestre dans le sein du conseil.

« Néanmoins, il peut, lorsque des circonstances extraordinaires l'exigent, et après avoir reçu l'avis motivé de la députation, le nommer hors du conseil parmi les éligibles de la commune. »

On a ajouté à ces dispositions un paragraphe ainsi conçu :

« Dans ce dernier cas, il n'aura que voix consultative dans le conseil. »

C'était la solution de la deuxième question que j'ai posée tout à l'heure ; nommé hors du conseil, quelle sera la position du bourgmestre ; aura-t-il voix délibérative dans, le conseil, ou seulement voix consultative ?

La chambre des représentants ne lui accorda que voix consultative.

Le sénat lui accorda voix délibérative,

Ce fut un des motifs du renvoi de la loi.

La chambre des représentants maintint sa double décision du 13 mars 1835 ; tel fut le vote du 7 mai 1835.

La discussion ne fut close qu'en 1836.

Pour en finir, on posa une question de principe restée presque inaperçue au début de ce grand et désespérant débat ; on se demanda si le bourgmestre et les échevins participeraient concurremment à l'exercice du pouvoir exécutif ; la question ayant été résolue affirmativement, on décida par 80 voix contre 12, que le Roi nommerait le bourgmestre dans le conseil ; la question de l'exception ne fut plus posée d'une manière formelle et directe ; on voulait à la fois amener une grande majorité à la chambre des représentants et éviter un nouveau conflit avec le sénat en ne donnant pas voix consultative au bourgmestre nommé hors du conseil.

Il est donc vrai de dire que la proposition qui vous est soumise a été deux fois adoptée ; que lors de la discussion finale, pour écarter certains obstacles, elle a été abandonnée.

Je me permettrai de me citer moi-même ; j'ai, en 1835, voté l'exception, et en février 1836, j'ai fait abandon de mon opinion pour arriver à un résultat et avec toutes les réserves pour l'avenir.

Dans ce dernier vote, il y a eu 12 voix contre ; prétendra-t-on que ces 12 membres voulaient l'exception ? C'est cependant ce qu'il faudra soutenir, si c'est sur l'exception que l'on fait porter ce vote. Je crois avoir rétabli les faits.

Je vais dire comment le ministère actuel a été conduit à reproduire la proposition abandonnée bien à regret par le gouvernement en février 1836, faite par le gouvernement en avril en 1833, et adoptée deux fois par la chambre des représentants et une fois par le sénat avec un renforcement.

Dans son remarquable rapport au Roi sur la situation administrative des provinces et des communes, mon prédécesseur avait fait entrevoir quelques-unes des défectuosités de la loi communale ; nous lisons entre autres, p, 45 :

« Dans les communes rurales il est parfois arrivé que la clause qui borne aux membres du conseil le choix des administrateurs communaux et le défaut de sujets convenables, ont rendu fort difficile l'exercice du droit de nomination.

« Les inconvénients qui doivent quelquefois résulter de cet état de choses sont palliés en partie, par l'intelligence et l'instruction des secrétaires communaux sur lesquels l'administration repose presqu'exclusivement dans beaucoup de communes.»

Dans un document de ce genre, il était nécessaire de s'exprimer avec une certaine réserve. Le gouvernement ne s'arrêta point là ; sous la date du 19 mars 1841, mon prédécesseur adressa une circulaire aux gouverneurs pour rechercher s'il n'y avait pas lieu de provoquer un changement au mode de nomination des administrateurs communaux ; voici le commencement de cette pièce :

« L’exécution de la loi communale du 30 mars 1836, date déjà d'une époque assez ancienne pour qu'il soit permis de sonder les conséquences de quelques-unes des dispositions les plus importantes de cet acte législatif, notamment du mode de nomination des bourgmestres et échevins. »

Cette circulaire, en date du 19 mars, est adressée aux neuf gouverneurs.

L'un d'eux étant devenu ministre et étant resté membre du cabinet, fut dispensé par là de répondre.

Les huit autres répondirent.

Un seul, le gouverneur par interim du Luxembourg, déclara que, dans cette province, la nécessité d'un changement au mode de nomination ne s'était point fait sentir. (Lettre du 12 mai 1841.)

Les sept autres déclarèrent avec plus ou moins d'insistance qu'il était devenu nécessaire de donner, dans certains cas, au Roi, la faculté de choisir les bourgmestres hors du conseil.

Ces sept réponses portent les dates suivantes :

Gouvernement d'Anvers, 15 juin 1841 ;

Gouvernement du Brabant, 30 mai 1841 ;

Gouvernement du Hainaut, 25 mai 1841 ;

Gouvernement de la Flandre orientale, 31 mars 1841 ;

Gouvernement de Liége, 22 décembre 1841 ;

Gouvernement du Limbourg, 2 août 1841 ;

Gouvernement de Namur, 24 septembre 1841.

Avant de répondre, les gouverneurs avaient consulté les commissaires d'arrondissement ; il a déjà été procédé à une véritable enquête administrative.

J'ai communiqué toutes ces pièces à la section centrale ; il convient que, pendant la discussion, elles soient déposées sur le bureau.

Il est résulté de cette instruction que dans beaucoup de communes les bourgmestres, dans l'exercice de leurs fonctions, se montrent trop préoccupés de leur réélection ;

Que ceux qui ont rempli leurs devoirs, en résistant à cette préoccupation, sont exposés à ne pas être réélus ;

Que d'autres ont transigé avec leurs devoirs pour assurer leur réélection.

D'autres faits étranges ont été signalés, et entre autres celui-ci, c'est qu'il y a des communes où il y a impossibilité de nommer un bourgmestre, aucun membre du conseil ne voulant accepter.

Voilà, messieurs, en substance quel a été le résultat de l'enquête. Aux considérations qu'elle fait naître, on peut en ajouter d'autres qui dérivent de la position même du gouvernement, et de la nature du pouvoir exécutif.

L’art, 29 de la constitution porte : Au Roi appartient le pouvoir exécutif tel qu’il est réglé par la constitution. .

La constitution dit-elle que dans la commune il sera mis des restrictions à ce principe ?

Non ; loin de là.

Elle ne place dans les attributions des conseils communaux que les intérêts exclusivement communaux.

Elle soustrait à l'élection directe les chefs des administrations communales.

Ce sont les réserves faites en faveur du pouvoir exécutif par l'art. 108 de la constitution.

Qu'est-il arrivé ?

C'est que le pouvoir exécutif, par la loi de 1836, est complètement tombé dans le domaine communal et électoral.

C'est le conseil communal et le corps électoral qui font exercer le pouvoir exécutif au nom du Roi.

Tel est l'état réel des choses ; on ne peut se faire illusion sur ce point.

Si lors du vote de la loi en 1836 on s'est fait illusion, c'est qu'il y a des inconvénients que le temps seul constate d'une manière évidente, c'est qu'on ne s'est pas assez rendu compte de l'influence électorale sur la position du bourgmestre ; on a supposé le bourgmestre toujours ferme et courageux, les électeurs toujours raisonnables et impartiaux.

Remarquez-le bien, messieurs, il s'agit d'une position toute spéciale qui n'existe ni pour les membres des chambres, ni même au même point pour les conseillers provinciaux : l'élu communal est en rapport quotidien avec l'électeur communal ; l'élection à l'une des chambres étant faite, le corps électoral se dissout et se disperse ; l'élu emporté dans une région supérieure, loin du théâtre de l'élection, ne prend conseil que de lui-même, de sa conscience et de son intelligence. L'élu communal, au contraire, reste au milieu de ceux qui l'ont nommé, et qui sont pour ainsi dire en permanence ; ceci est surtout frappant dans les campagnes ; renfermés dans les limites d'un village, le corps électoral semble toujours subsister. Les électeurs sont ici les administrés de tous les jours.

Dans cette position, que devient le chef du pouvoir exécutif dans la commune, forcé de faire exécuter les lois, les résolutions provinciales et municipales contre l'administré-électeur qui l'a élu conseiller la veille, et qui doit réélire le lendemain ; que devient le bourgmestre ainsi placé entre le souvenir d'une élection consommée et l'éventualité d’une élection a faire ?

C'est là, je le répète, une position tout exceptionnelle qui n'existe ni pour les membres des chambres, ni même pour les conseillers provinciaux.

Supposer que dans la commune les rapports de dépendance entre l'électeur et l'élu n'existeront que le jour de l'élection, que l'élection effectuée, l'électeur oubliera son rôle, ne songera pendant six ans qu'à sa condition d'administré, c'est ignorer le cœur humain ; au bourgmestre forcément choisi par le Roi dans le conseil, l'administré aura soin de rappeler en tout temps qu'il est électeur, que le titre de conseiller communal est une condition d'existence pour le bourgmestre ; que le mandat royal devient caduc à défaut du mandat électoral.

En définitive l'électeur reste le maître ; et il a le droit de dire au bourgmestre : vous n'êtes rien sans moi ; il vous a fallu mon suffrage pour pouvoir être nommé par le Roi ; il vous faut mon suffrage pour rester ce que vous êtes.

Y a-t-il de l'indépendance, de la dignité dans cette situation ? Pénétrons encore plus avant dans cette situation ; voyons ce qu'elle sera prochainement.

J'ai relu avec beaucoup d'attention les longues discussions dont la loi communale a été l'objet ; personne, je dois le dire, n'a fait ressortir ces inconvénients ; personne ne s'en est montré préoccupé, et en effet il aurait fallu une sorte de prescience.

C'est au mois d'octobre prochain qu'ont lieu les réélections communales.

Quant au bourgmestre, les électeurs ne feront pas abstraction de la qualité de bourgmestre pour ne voir que le conseiller ; pour eux il s'agira de savoir si le chef du pouvoir exécutif doit être ou non maintenu. Les bourgmestres maintenus, seront de véritables bourgmestres élus ; la nomination royale ne sera plus qu'une pure fiction ; les bourgmestres non réélus comme conseillers seront réellement destitués par le corps électoral. Vous voyez donc que de fait tous les principes sont bouleversés. Il vaudrait mieux dire franchement que les bourgmestres sont nommés par les électeurs ; le gouvernement n'y perdrait rien en pouvoir ; il y gagnerait en dignité.

Telle est l'épreuve dont l'autorité est menacée au mois d'octobre prochain ; comme simple conseiller communal, le citoyen qui se trouve être bourgmestre serait réélu ; il ne sera pas réélu parce que les électeurs administrés, qu’il a blessés en remplissant ses fonctions de représentant du pouvoir exécutif, ne voudront plus de lui comme bourgmestre. Partout les bourgmestres font partie de la série sortante ; l'idée dominante sera celle-ci ; Sommes-nous satisfaits de notre bourgmestre comme bourgmestre ? Question que les électeurs n'ont pas le droit de se poser au moins directement et qu'ils résoudront d'après leurs intérêts, d'après les complaisances ou les rigueurs dont ils ont été l'objet.

Ces considérations, messieurs, rendent la proposition qui vous est faite, non seulement opportune,mais urgente, le gouvernement ne pouvait accepter une épreuve de ce genre, et cette épreuve, nous n'hésitons pas à le répéter, on n'en avait pas en 1836 prévu les inconvénients ; ils sont frappants aujourd'hui, parce que l'évènement ne se présente plus dans le lointain, parce qu'il est prochain, imminent. Ce n'était pas assez d'avoir, comme l'exige la constitution, remis aux électeurs le règlement des intérêts exclusivement communaux ; en réalité ils règlent aussi l'exercice du pouvoir exécutif, ils en nomment le chef dans la commune.

On suppose que le gouvernement se fera un jeu de nommer le bourgmestre hors du conseil, que l'exception deviendra la règle. C'est méconnaître la véritable portée de la disposition, portée toute morale. Il faut que les administrés électeurs sachent que le conseiller bourgmestre reste bourgmestre nonobstant la non-réélection. C'est là l'idée qu'il faut rendre dominante. Dans cette idée est tout le projet de loi. Y voir un instrument politique, c'est se mettre à côté de la véritable question ; il s'agit de remettre le pouvoir exécutif dans ses véritables conditions d'indépendance.

Pourquoi d'ailleurs le gouvernement érigerait-il en règle l'exception ? A-t-il intérêt à avoir des bourgmestres nommés hors du conseil plutôt que dans le conseil ? Non, son intérêt est d'avoir des bourgmestres pris dans le conseil ; ceux-là ont incontestablement la position la plus facile. S'il fait un choix hors du conseil, c'est qu'une impérieuse nécessité l'exigera ; ce qui importe au gouvernement, c'est qu'on sache qu'il lui est possible de choisir hors du conseil ; dans cette possibilité est sa force et sa dignité. Trop souvent on confond le droit avec l'exercice du droit ; un droit peut être nécessaire en principe ; l'exercice rare, très rare en pratique.

Les bourgmestres ont intérêt à être membres du conseil communal comme les ministres à être membres de l'une ou de l'autre chambre législative ; mais il ne faut pas que le mandat électoral soit la condition sine qua non du choix de la Couronne. Que dirait-on si un ministre ne pouvait rester ministre qu'à la condition absolue d'être réélu représentant ou sénateur ? Il est évident que les électeurs appelés à procéder à la réélection auraient au fond à statuer non sur le mandat proprement dit de représentant ou de sénateur, mais bien sur la qualité de ministre même. Non réélu, le ministre se trouverait de fait destitué. Ainsi la Couronne, par rapport aux bourgmestres, est dans une position moins favorable que par rapport aux ministres. Cette comparaison fait encore mieux ressortir ce qu'il y a d'exorbitant dans la loi communale.

Je dois prévenir une objection qui ne manquera pas d'être faite.

Le ministère se rallie à la proposition de la section centrale, qui n'accorde au bourgmestre, nommé hors du conseil, que voix consultative dans le conseil.

Cette réserve a amené en 1835 un conflit entre les deux chambres ; n'est-il pas à craindre qu'il se renouvelle ?

D'abord le dissentiment portait sur d'autres points encore et notamment sur la nomination des échevins ; il est probable que, s'il n'y avait eu désaccord que sur un seul point, il n'y aurait pas eu de renvoi du sénat.

En second lieu, on est plus à même aujourd'hui d'apprécier la position d'un bourgmestre n'ayant que voix consultative dans le conseil.

On disait que son influence serait absolument nulle ; que le conseil se ferait un plaisir de prendre des résolutions contraires à son opinion.

Remarquez, messieurs, que si ces dispositions sont à craindre, elles le seront dans toutes les situations, que le bourgmestre ait voix délibérative ou seulement voix consultative ; on pourra toujours le contrarier, puisque même lorsqu'il a voix délibérative, son suffrage n'a d'effet décisif qu'en cas de partage, ce qui est très rare.

On a donc attaché trop d'importance à la disposition qui accorde ou non voix délibérative. .

Recherchons où est la véritable force du bourgmestre.

Le Roi peut annuler toute résolution municipale contraire à la loi ou à l'intérêt général.

La plupart des résolutions sont sujettes à l'approbation, soit du Roi, soit de la députation.

Dans tous ces cas, le bourgmestre peut être entendu par l'autorité supérieure.

Il peut même exercer l'initiative près du gouvernement ou de la députation.

C'est là ce qui fait sa position ; et cette position sera d'autant plus forte et d'autant plus franche, que l'on saura que son existence comme bourgmestre ne dépend pas de sa réélection.

Vous n'aurez plus, messieurs, de ces capitulations honteuses ; car, il est arrivé plus d'une fois qu'un bourgmestre a voté avec le conseil des résolutions qu'il désapprouvait, et dont il a ensuite secrètement demandé ou appuyé la non-exécution ; lorsqu'un bourgmestre trouvera une proposition contraire à la loi, à l'intérêt général, aux intérêts communaux, bien entendus, il le dira, et comme il ne risque rien à compromettre sa réélection, on en conclura qu'il n'hésitera pas à se plaindre, soit à la députation, soit au gouvernement.

Mes réflexions et mon expérience m'ont donc conduit à croire que la circonstance, si le bourgmestre a ou non voix délibérative, est peu importante ; que ce qui est important, c'est que le conseil soit bien convaincu qu'il y aura pourvoi contre ceux de ces actes contraires à la loi, à l'intérêt général ou aux intérêts communaux, conviction qui n'existera que si le bourgmestre peut se placer en dehors de toutes les chances électorales.

J'avais proposé de faire une distinction : d'accorder au bourgmestre dans le conseil voix consultative pour les affaires d'intérêt exclusivement communal, et voix délibérative pour les affaires qui ne sont pas d'intérêt exclusivement communal. J'avais fait cette distinction, non que je crusse la chose nécessaire ; c'est plutôt parce que je croyais la chose logique ; et en effet, la distinction me semble vraie en principe ; mais l’application ferait naître bien des difficultés. Pour moi, si j'étais bourgmestre nommé dans le conseil ou au dehors, je me bornerais, dans les cas d'opposition avec le conseil, à lui dire : Je chercherai à empêcher l'exécution de vos actes en m'adressant soit à la députation, soit au gouvernement. .

Toutefois, messieurs, ce n'est pas consacrer l'omnipotence du bourgmestre ; en cas de pourvoi, le gouvernement ou la députation ne statue pas sur la plainte du bourgmestre seul ; le conseil est entendu ; ce qui ne diminue en rien l'importance de l'opinion du bourgmestre. .

Voilà les raisons qui me font espérer qu'en cas d'adoption du projet de la section centrale, nous ne verrons pas se renouveler un dissentiment entre les deux chambres.

Depuis la présentation de ce projet de loi si simple, qui n'avait ému personne en 1833, on a eu recours à tous les moyens pour agiter le pays, pour exciter l'amour-propre national ou pour éveiller des inquiétudes, A entendre certains adversaires du projet, jamais tentative plus audacieuse n'a été faite : il ne s'agit de rien moins que de déshériter le pays de ses antiques franchises ; on a été jusqu'à rappeler les grandes luttes du moyen-âge, et nous avons été émerveillés d'apprendre qu'à Othée et à Rosebecque on combattait précisément pour que le prince n'eût pas le libre choix du premier magistrat de la cité.

Malheureusement pour nos adversaires, toutes ces citations sont inexactes ; et puisque dans ce pays les souvenirs historiques ont un grand empire, on nous permettra de rectifier ces faits. A aucune époque, avant 1790, le peuple n'a eu le choix direct et exclusif de ses magistrats municipaux. (Nous empruntons la plupart de ces détails au Précis sur le régime municipal de la Belgique, par M. Gachard, tome 3 de la collection des documents inédits sur l'histoire du pays).

Il est constant que depuis des temps fort reculés les magistrats municipaux avaient été nommés en Belgique par le souverain ou en son nom.

La preuve s'en trouve dans les documents suivants :

La charte du duc Henri de Brabant octroyée aux habitants de Bruxelles en 1254.

Celle du comte Guillaume Ier de Hainaut, donnée aux habitants de Mons en 1315.

Celle octroyée à Louvain, en 1282, par le duc Jean Ier.

Celle octroyée à Furnes, par Thomas et Jeanne, comte de Flandre en 1241.

Celle octroyée à Courtray, par le comte Louis de Nevers, en 1324.

L’ordonnance donnée à Ostende, par le même, en 1330.

L'ordonnance du comte Guy de Dampierre, donnée à Nieuport en 1287.

L’ordonnance du comte Louis, donnée à Damme en 1330.

Ces documents n'établissent pas le droit, mais rappellent le fait comme existant déjà depuis fort longtemps.

Dans la ville de Hal, la nomination des magistrats municipaux se faisaient par le duc d'Aremberg.

A Thourout, par la maison palatine de Bavière.

A Dixmude, par la maison de Hohenzollern.

A Diest, par le prince d'Orange.

Malines choisissait ses magistrats ; mais en 1439, Philippe le bon lui fit remontrer que dans tous les pays de sa domination, il créait la loi et entendait les comptes par ses commissaires.

On sait que les états de ce prince comprenaient outre bien d'autres provinces, presque toutes celles qui composent la Belgique actuelle.

Tournay se trouvait dans la même situation jusqu'en 1521, lors de sa réunion aux Pays. Bas.

Les souverains en Belgique nommaient donc les magistrats municipaux.

Mais d'où provenait ce droit ?...

Etait-ce le résultat d'usurpations de pouvoirs ? Les documents manquent pour la solution de cette question ; mais ce qui est certain, c'est que ce droit n'a jamais paru inquiétant.

La preuve en est dans son maintien, après les plus violentes commotions politiques mentionnées dans l'histoire de notre pays, alors qu'il y avait une véritable réaction populaire, et par suite, la meilleure occasion pour le peuple de reprendre ses droits.

Notre histoire nous présente trois commotions politiques remarquables sous ce rapport.

1ère commotion. La réaction qui suit la mort de Charles le Téméraire, tué devant Nancy, le 3 janvier 1477.

Sa fille, Marie de Bourgogne, dut rétablir ou créer bien des privilèges.

Néanmoins une seule ville est citée comme réclamant l'élection de ses magistrats municipaux, c'est Bruxelles.

Anvers demande le renouvellement annuel de la loi par des commissaires munis de lettres patentes du prince.

Le Hainaut n'élève aucune prétention à cet égard, Namur demande que ses commissaires soient nés et baptisés dans le pays.

Pour les Flandres, les lettres patentes du 11 février 1476 (1477) confirment l'ancien usage, en stipulant que les commissaires seraient des personnes notables nées en Flandre et parlant le flamand.

Voilà à quoi se borne à cet égard les prétentions d'un peuple, dont on connaît le caractère à cette époque !...

2ème commotion. La révolution du XVIe siècle.

Aucun des actes qui en furent la suite ne dérogea en cette matière aux usages précédents.

Ce sont :

1 ° La pacification de Gand ;

2° L'accord conclu à Marche-en-Famène, entre les états généraux et don Juan d'Autriche ;

3° Le traité de réconciliation des provinces wallonnes ;

4° L'acte signé à Plessis-les-Tours, en 1580 ;

3ème commotion. La révolution brabançonne de 1790.

Nulle part, dans le volumineux recueil des représentations que les états et tous les ordres des citoyens adressèrent à l'empereur Joseph II, on ne trouve de mention de ce droit, comme d'un grief.

Après la déclaration de déchéance de Joseph II, les états se substituent au prince sans réclamation.

Dans le Brabant, dans le Hainaut, dans le Namurois, ce sont les états des provinces, qui nomment les magistrats municipaux.

A Tournai, c'est la ville parce qu’à proprement parler il n'y existait pas de représentation provinciale.

Dans la Flandre-Orientale, bien que le peuple fût souvent consulté, ce furent les états qui nommèrent.

Dans la Flandre-Occidentale le comité patriotique général des Pays-Bas, envoya des commissaires, pour la nomination ; parce qu'il n'y avait pas d'états dans cette province.

Il résulte donc de ce qui précède :

1° Que le droit de nommer les magistrats municipaux appartenait aux princes, ou était exercé par eux.

2° Que ce droit, quelle que soit son origine, n'avait pas excité de réclamations.

Ce n'est pas tout.

Il y avait, auprès de la plupart des magistrats municipaux, un officier royal, dont la dénomination et les attributions variaient d'une localité à l'autre.

Il s'appelait :

Amman, à Bruxelles.

Mayeur, à Louvain.

Ecoutête**, à Anvers, Malines et Ruremonde.

Grand bailli, Bailli, Ecoutête, dans les villes des Flandres.

Maire, à Mons.

Mayeur, à Namur.

Bailli mayeur, à Charleroy.

Grand bailli, à Tournay.

Il avait ordinairement un lieutenant pour le suppléer au besoin. A Bruxelles, il gardait les hauteurs du souverain ;

Veillait à l'observation des édits royaux ;

Poursuivait les crimes et délits par-devant les échevins ;

Avait la préséance dans les assemblées du magistrat ;

Surveillait la marche de l'administration.

En un mot, il tenait lieu du ministère public actuel, près de l'administration communale, en cumulant en quelque sorte le pouvoir judiciaire et administratif du moins en ce qui concerne la police.

Les attributions de cet officier royal paraissent plus restreintes dans les Flandres, où ses fonctions en général se bornaient à la surveillance de la police.

Les grands baillis des villes et châtellenies de Termonde et celui du pays de Waes, avaient la convocation,la sémonce et la présidence avec voix délibérative dans toutes les assemblées.

Ainsi, en résumé, les magistrats municipaux, chargés des intérêts de la commune, étaient nommés on institués par le prince.

A côté d'eux se trouvait un agent du pouvoir, chargé de surveiller la marche de l'administration municipale, sous le point de vue des intérêts du prince et du gouvernement.

Voilà ce qui existait autrefois.

Aujourd'hui le gouvernement n'a pas le choix libre d'un agent bien moins important que le bailli, l’amman ou l'écoutête, le commissaire de police, et on lui conteste la faculté de prendre par exception le bourgmestre hors du conseil.

Nous sommes doués d'une prodigieuse facilité d'oublier, car j'ai même entendu regretter le régime municipal qui a précédé la révolution de 1830 ; le roi Guillaume s'était bien gardé d'instituer dans chaque commune un conseil délibérant, ayant son origine dans l'élection directe ; l'art. 11 du règlement pour le plat pays du 23 juillet 1823, porte : § 3. Les membres du conseil communal sont nommés par les Etats (c'est-à-dire par la députation des états provinciaux) après avoir entendu l'administration locale ; le règlement des villes du 22 janvier 1824 porte, art. 1er, §§ 3 et 4 : Les membres du conseil sont nommés par le collège électoral… Les électeurs sont nommés par les habitants de la ville avant droit de voter.

Ainsi nulle part élection directe.

Dans les communes rurales, pas d'élection ; nomination du conseil communal par la commission permanente du conseil provincial. .

Dans les villes, élection, mais à deux degrés.

Et ne croyez pas que le Roi fût astreint à choisir les bourgmestres dans les conseils communaux formés avec ces précautions.

Pour le plat-pays, il est dit, art. 11 du règlement de 1823 : Les bourgmestres sont nommés par le Roi et sont, en conséquence de cette nomination, aussi membres du conseil communal.

Pour les villes, il est dit, art. 52 du règlement de 1824 : Le Roi nomme le bourgmestre et les échevins parmi les membres du conseil ; dans le cas cependant oit des circonstances extraordinaires le rendraient nécessaire, le Roi se réserve la faculté de pouvoir nommer le bourgmestre hors dit sein du conseil, sauf toutefois que la personne nommée ait toutes les conditions d'éligibilité.

A aucune époque, avant 1830, on n'a réclamé contre la nomination du bourgmestre hors du conseil ; on a seulement réclamé contre le mode de formation des conseils communaux, c'est-à-dire contre l'élection à deux degrés dans les villes et la nomination par la députation dans les campagnes.

J'ignore, messieurs, quelles sont les proportions que l'on donnera à ce débat ; nous n'avons cru, nous n'avons voulu vous soumettre qu'une question d'administration, d'ordre public ; c'était pour nous un devoir, un impérieux devoir de ne pas accepter la position que la loi de 1836 fait aux bourgmestres dans les réélections du mois d'octobre prochain. Si l'épreuve a lieu, il y aura désormais confusion entre tous les pouvoirs, assujettissement complet du pouvoir exécutif au principe électif ; à nos yeux, cette confusion, cet assujettissement, c'est le désordre ; et l'épreuve une fois faite, le retour aux véritables principes sera bien difficile ; c'est pour cela que nous avons voulu la prévenir, que nous vous engageons à vous joindre à nous pour la prévenir.

Ce n'est pas qu'ainsi amendée, qu'ainsi rectifiée, la loi de 1836 me paraisse en tous points satisfaisante ; je suis de ceux qui, dans cette chambre, ont pensé qu'il aurait mieux valu ne pas instituer un pouvoir exécutif multiple ; qu'il eût été préférable de confier le pouvoir exécutif à un seul agent librement nommé et révocable par le Roi et même non éligible au conseil, et lui adjoindre seulement pour les affaires quotidiennes de la commune, des échevins étrangers au pouvoir exécutif proprement dit, et par cela même en dehors de la nomination royale ; cette opinion était presque isolée en 1835 et 1836 ; serait-elle plus heureuse aujourd'hui. J'en doute. Ce qu'il faut vouloir, c'est le possible ; le mode de nomination du bourgmestre me paraît vicieux, et le seul changement possible, ayant des chances d’adoption, m'a paru être le projet qui vous est soumis, avec quelques additions dont il paraît susceptible, sans que le système entier de la loi de 1836 disparaisse.

M. Dechamps (pour une motion d’ordre). - M. le ministre de l'intérieur vient de vous parler d’une espèce d’enquête qui aurait été faite par les gouverneurs et les commissaires d’arrondissement. Messieurs, comme la loi importante dont la discussion vient de s’ouvrir aura pour base des faits plutôt que des théories, il me semble évident que la chambre doit ordonner l’impression des pièces de cette enquête administrative ; car, messieurs, la question principale sera de savoir si l’expérience a prouvé pour ou contre la loi de 1836. Or, cette expérience nous sera révélée, en partie du moins, par l’enquête dont M. le ministre vient de parler. Comme la section centrale a pu puiser ses éléments de conviction dans le rapport auquel je fais allusion, il me paraît essentiel que la chambre en soit également saisie.

Je propose en conséquence que la chambre veuille ordonner l’impression de l’enquête administrative qui a été faite. (Appuyé ! appuyé !)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, on pourrait imprimer les pièces au Moniteur ; l’impression se ferait rapidement du jour au lendemain ; cependant, je dois revoir les pièces, car il y a quelques noms propres à effacer.

M. le président. - On propose l’insertion des pièces au Moniteur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Voici comment on pourrait tout concilier : Je déposerai les originaux sur le bureau ; j’avais fait faire des copies pour mon usage : ce sont ces copies que j’enverrai au Moniteur ; en attendant que l’impression ait lieu, les membres de la chambre qui voudront recourir aux pièces, pourront les consulter au bureau, où elles seront déposées. Du reste, toutes les pièces pourront être imprimées d’ici à demain au soir. (Appuyé !).

M. le président. - Ainsi, les pièces seront imprimées au Moniteur ; en attendant les orignaux resteront déposés sur le bureau à l’inspection des membres de la chambre.

M. Orts. (pour une autre motion d’ordre) - Messieurs, je désire que M. le ministre de l'intérieur mette sous les yeux de la chambre l'état exact des bourgmestres et échevins qui, depuis l'introduction de la loi communale du 30 mars 1836, out été suspendus ou destitués, aux termes de l'article 36 de ladite loi, en y joignant les motifs qui ont provoqué les suspensions ou les révocations. (Appuyé !)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ferai en sorte de donner ces renseignements demain, et de plus j'examinerai alors quelle est l'importance du fait ; je me réserve de m'en expliquer.

M. le président. - Nous revenons à la discussion générale du projet de loi ; mais je dois d'abord une explication à la chambre. J'ai annoncé tout à l'heure que la discussion était ouverte sur l'ensemble du projet, bien que ce projet se compose d'un seul article. Je me suis décidé à suivre ce mode de délibération, parce que, par ce seul article on propose d'introduire trois modifications différentes à la loi communale ; il m'a semblé dès lors qu'il y avait en réalité trois articles à mettre en délibération, et que par suite il devait y avoir une discussion générale sur l'ensemble, et puis une discussion spéciale sur chacune des trois dispositions. J'ai cru devoir donner cette explication, pour que la chambre fût avertie. Ainsi, s'il n'y a pas d'opposition, la discussion générale est ouverte sur l'ensemble du projet de loi, et puis il y aura une discussion sur chacune des trois dispositions.

De toutes parts. - Appuyé !

M. le président. - La parole est à M. Doignon.

M. Doignon, - Messieurs, je dois premièrement vous faire remarquer ce qui se passe d'insolite au commencement de cette discussion.

Le discours que vient de prononcer M. le ministre de l'intérieur est réellement un nouvel exposé des motifs de son projet de loi. Vous vous rappellerez que l'exposé qui nous a été distribué à l'appui de ce projet, comprenait au plus 30 à 40 lignes ; et c'est aujourd'hui seulement au début de ces débats publics, que le gouvernement vient nous présenter toutes les considérations qu'il croit devoir faire valoir pour justifier les changements extraordinaires qu'il vous propose d'apporter à notre loi communale. Je ne puis que protester contre cette manière irrégulière de procéder. Par là, on a mis les sections dans l'impossibilité d'examiner, d'instruire cette proposition comme elles devaient le faire.

M. le ministre vient aussi de nous révéler à l'instant, qu'une enquête administrative a eu lieu. Mais c'est pour la première fois, messieurs, que nous en entendons parler, et bien sûrement ce document nous arrive trop tard. Ce n'est pas ici en séance que la première communication aurait dû nous être faite, mais bien dans nos sections.

M. le ministre déclare qu'il dépose cette pièce sur le bureau : mais dans l'état des choses, cette enquête ne saurait en aucune manière nous éclairer, puisqu'il y a aujourd'hui impossibilité pour chacun de nous de vérifier les faits articulés, ou plutôt les accusations dirigées contre nos communes ; nous n'avons plus maintenant le temps nécessaire pour faire une semblable vérification, et recueillir nos renseignements.

Au fond, M. le ministre, dans son long plaidoyer, a, selon moi, méconnu et dénaturé tous les principes en cette matière, et c'est ce que j'espère vous démontrer.

J'ai été singulièrement affligé, messieurs, en voyant le gouvernement proposer un changement aussi important à l'art. 2. de notre loi communale, changement qui dorénavant le laisserait libre de nommer le bourgmestre en dehors ou dans le sein du conseil.

Je ne puis m'empêcher de le dire en commençant : si la Couronne eût su que déjà, sous le gouvernement précédent, une triste expérience a condamné ce système, si elle eût su que du jour où il fut introduit, il n'a fait qu'exciter des défiances contre le pouvoir royal et affaiblir ce pouvoir lui-même en jetant en même temps la désunion et le trouble dans nos communes, si la Couronne eût su qu'après s'être soumises en silence pendant cinq à six ans, les communes s'éveillèrent enfin et adressèrent de nombreuses pétitions dans lesquelles cette prétention fut signalée comme un empiètement sur nos institutions communales, comme une atteinte formelle à leurs franchises, la Couronne mieux éclairée, et toujours sage et patiente, aurait sans doute jugé qu'il était au moins aussi inopportun qu'impolitique de provoquer un pareil changement.

Je le déclare donc, je croirais rendre un mauvais service à l'autorité royale, si je donnais à ce projet mon assentiment ; et j'aime trop mon Roi et sa dynastie pour leur faire un don aussi dangereux. Dans ces questions de haute économie politique, un gouvernement prudent ne doit s'avancer que d'un pas sûr.

Il importe d'abord, messieurs, de ne point confondre ici deux questions toutes différentes. Notre constitution a consacré le système de l'élection directe ; et notamment dans les petites communes rurales, ce système, il faut en convenir, cause parfois certaines agitations nuisibles à la paix et au repos de,ces localités.

Bien que ces inconvénients fussent inhérents à la nature même des choses, soit qu'il s'agisse des élections pour les chambres, la province ou la commune, j'aurais cependant consenti à une mesure qui eût eu pour objet de les diminuer, par exemple, en rendant dans ces communes les élections moins fréquentes, en fixant les renouvellements partiels à des époques moins rapprochées ; et encore, ne sommes-nous aucunement maîtres de rien changer au système d'élection directe, admis par la constitution elle-même.

Mais telle n'est point, messieurs, la question qui doit aujourd'hui nous occuper ; et ici, ce n'est point à des mots, mais à la chose même qu'il faut s'arrêter. Au total, que veut le ministère en donnant au gouvernement le droit ou la faculté de nommer le bourgmestre en dehors ou dans le sein du conseil ? Vous verrez, messieurs, que dans la réalité, il ne veut rien moins que d'établir des commissaires du gouvernement dans les administrations communales.

Cette innovation est-elle en harmonie avec l'esprit de nos institutions ? Aurait-elle pour effet de donner plus de force à l'autorité royale, c'est-à-dire d'inspirer pour elle plus d'amour et de respect ? car c'est là où doit être, selon moi, sa véritable force. Est-elle de nature à procurer une meilleure exécution des lois et de bons bourgmestres, et enfin à rendre ainsi en général nos communes plus heureuses ? Je ne le pense pas.

Je dis qu'on veut faire de nos bourgmestres autant de commissaires du gouvernement ; et déjà j’entends M. le ministre protester, comme il l'a fait dans l'expose des motifs, que son intention est de n'appliquer la disposition qu'à des cas rares, et même très rares, a-t-il dit ; mais j'espère bien que la chambre ne se laissera point surprendre à ce langage. Ce n'est point par les déclarations d'un ministre dont l'existence est toujours si précaire, qu'il faut juger une loi : il faut juger la loi par la loi même et par son texte. Or celui-ci est assez clair, et il est conçu de manière à recevoir une application générale, alors même qu'on y ajouterait les mots : pour motifs graves ; car l'on pourra toujours dire qu'il y a des raisons graves, et d'autant plus facilement qu'on ne sera point tenu de les spécifier, et que même il n'est guère possible de le faire.

Ainsi, soit qu'on adopte le projet avec la rédaction du gouvernement ou avec celle de la section centrale, vous devez, au vrai, toujours le considérer comme applicable dès à présent à toutes nos communes sans exception.

Mais c'est ici, messieurs, que je vous prie de m'accorder particulièrement votre attention.

Telle est la portée de cette disposition, qu'elle tombe même d'aplomb directement sur tous les bourgmestres indistinctement, soit qu'on les prenne en dedans comme en dehors du conseil.

Quelle est, en effet, la position que le projet ferait au gouvernement vis-à-vis même des bourgmestres nommés par lui dans le sein du conseil ? Armé de son droit absolu de choisir en dehors de ce corps, le gouvernement leur dirait : « Vous aurez à exécuter mes volontés, justes ou non, vous aurez à vous plier à ma politique, à mes principes, à mes doctrines bonnes ou mauvaises, libérales ou autres ; sinon, je vous destitue ; et pensez-y bien, vous ne pourriez m'échapper ; en vain vous jouiriez de l'estime et de la confiance de vos concitoyens ; en vain leurs suffrages vous appelleraient à un nouveau mandat, je vous destitue et je trouve votre remplaçant en dehors du conseil. Dans les élections, vous aurez à remplir mes vues, mes instructions, vous aurez à vous montrer l'agent actif et zélé de mes candidats, sinon, je vous destitue et vous remplace de la même manière. »

Ce droit absolu serait donc évidemment dans les mains du gouvernement l'épée de Damoclès, constamment suspendue sur la tète de nos bourgmestres nommés même dans le sein du conseil. Il faut avec une telle disposition que tous indistinctement deviennent peu à peu et bon gré ou malgré les agents du pouvoir exécutif, et par conséquent, comme je l'ai dit, de véritables commissaires du gouvernement : au lieu d'être premièrement les administrateurs de la commune, il faut qu'ils deviennent les agents dévoués du ministre, les instruments complaisants de ses volontés.

Oh ! Messieurs, les mauvais ministères savaient bien et ne savaient que trop bien que dans les campagnes notamment, le bourgmestre est de fait l'âme de l'administration, la cheville ouvrière de toutes les affaires : ils n'ignorent pas qu'en frappant ce magistrat, on frappe en même temps la commune ; ils n'ignorent pas qu'en s'emparant du chef de l'administration, ils s'emparent en même temps de l'administration elle-même ; car naturellement, dès qu'on est une fois parvenu à posséder la tête, l'on est bientôt en possession du corps lui-même.

L'art. 31 de la constitution, au chapitre intitulé : Des pouvoirs, reconnaît le pouvoir communal. Mais avec un pareil système, ce pouvoir lui-même ne peut manquer d'être peu à peu confondu et absorbé, pour ainsi dire, dans le pouvoir exécutif.

Ces idées de centralisation se rapprochent beaucoup des idées du régime impérial ou de la monarchie pure. Je veux bien, si vous le voulez, revenir à ces idées purement monarchiques, mais je dois de suite vous en avertir, vous marchez trop vite ; d'abord, pour faire une telle monarchie, donnez-moi, vous dirai-je, une société toute formée, toute façonnée pour cette forme de gouvernement.

Mais, si vous voulez bien me le permettre, je vous indiquerai même le moyen d'y ramener les esprits à l'époque actuelle. Qu'est-ce qui a donné naissance au régime représentatif et constitutionnel ? Ce sont les défiances des populations, défiances trop souvent justes contre les monarques absolus. Eh bien ! faites cesser ces défiances, ces préventions. Travaillez à les faire tomber peu à peu ; appliquez-vous à faire aimer le pouvoir central, à le faire aimer par votre respect pour la constitution et les lois, par une administration juste et paternelle, par une sage économie des deniers publics : et, du jour où le peuple aura rendu à l'autorité suprême son entière confiance, n'en doutez pas, lui-même, s'empressera de proclamer que les chambres et tout ce cortège de représentation nationale, la province, la commune sont désormais inutiles.

Mais non, depuis dix ans, il semble même qu'on ait pris à tâche d'agir dans un sens tout opposé ; par exemple, vous prétendez être aimé, et il ne se passe point, pour ainsi dire, une session sans qu'on ait à reprocher quelque violation de la constitution ou des lois. Il y a peu de temps encore, n'a-t-on pas demandé et obtenu un bill d'indemnité ? Vous prétendez être aimé ! et notre dette publique s'accroît considérablement d'année en année ; déjà elle s'élève aujourd'hui à plus de trente millions, ce qui représente un capital d'un milliard à 3 p. c. Vous prétendez être aimé ! et de toutes parts on se plaint de l'élévation des impôts ; au lieu de les modérer, l'on en surcharge le peuple de plus en plus ; et combien de citoyens doivent gagner à la sueur de leur front le tribut qu'ils sont tenus de payer à l'Etat ! ce que vous ignorez peut-être.

L'administration centrale reculerait donc plutôt que de faire des progrès dans ces idées toutes monarchiques, et par sa conduite même elle ne fait que confirmer le régime représentatif et l'institution des chambres. Ce n'est pas que je reconnaisse que celles-ci remplissent, comme elles le devraient, leur haute mission ; mais leur présence est toujours un frein, et le mal serait sans doute plus grand si elles n'existaient pas.

Ces idées de centralisation, messieurs, ne sont plus en harmonie avec nos institutions actuelles. Sous l'empire, le maire à lui seul était tout ; il réunissait dans ses mains et l'administration intérieure et l'administration exécutive ; aussi, (erratum, Moniteur belge du 13 mai 1842) sans l'institution des maires, jamais Napoléon, avec sa main de fer, ne serait parvenu en France à dépouiller les communes de leurs biens, comme il l'a fait, en en décrétant l'aliénation vers la fin de 1812.

Mais en 1815, les populations fatiguées du gouvernement impérial en secouèrent le joug ; la décentralisation s'est alors opérée, et tout a changé de face ; l'administration de la commune fut retirée des mains du maire et rendue à un corps communal dont les bourgmestre ou mayeur et échevins n'avaient, comme aujourd'hui, que le pouvoir exécutif.

Le roi Guillaume institua à cette époque une commission chargée de revoir la loi fondamentale des Provinces-Unies, et de proposer les modifications qu'exigeaient l'accroissement du territoire, l'érection des Pays-Bas en royaume, et les stipulations des traités de Londres et de Vienne.

C'est dans cette loi fondamentale et dans le rapport même de cette commission que furent posées les bases de nos nouvelles institutions communales.

« Elle n'a pas reconstruit, dit la commission dans son rapport, ce qui était entièrement usé par le temps, mais elle a relevé tout ce qui pouvait être utilement conservé. C'est dans cet esprit qu'elle a rétabli les états provinciaux, en modifiant leur organisation. Dans ses rapports avec le gouvernement général, cette organisation n'avait pas toujours été à l'abri de justes censures ; ces rapports ont cessé. Mais les états provinciaux, considérés comme administrateurs, avaient beaucoup fait pour la prospérité du pays ; cette administration leur a été rendue ; la loi fondamentale a rendu de même aux villes et aux arrondissements ruraux toute l'indépendance compatible avec le bien général. »

Ainsi, la chose est exprimée en toutes lettres ; les états ou conseils provinciaux, sont dès ce moment appelés à l'administration même de la province, et la loi fondamentale a rendu de même, aux villes et aux arrondissements ruraux, toute l'indépendance compatible avec le bien général.

Remarquez ces expressions : toute l'indépendance, la commission répète encore dans le même rapport :

« Les villes, les communes rurales, et les arrondissements qui forment ces communes, jouiront pour leur régime intérieur de toute l'indépendance que n'interdit point le bien général. (Art. 155.) Les autorités locales administreront leur ressort comme de bons pères de familles. »

L'article 132 de la nouvelle loi fondamentale portait que :

« Les régences des villes sont organisées de la manière qui sera adoptée par les règlements que proposent les régences existantes, ou des commissions spéciales nommées par le Roi. »

L'art. 146 dit :

« Les états sont chargés de tout ce qui tient à l'administration et à l'économie intérieure de leur province. Les ordonnances et règlements que, dans l'intérêt général de la province, ils jugent nécessaires ou utiles doivent, avant d'être mis en exécution, avoir reçu l'approbation du Roi. »

Et enfin l'art. 155 déclare que :

« Les administrations locales ont la direction pleine et entière, telle qu'elle est déterminée par les règlements, de leurs intérêts particuliers et domestiques : les ordonnances qu'elles font à ce sujet sont adressées par copie aux états de la province, et ne peuvent être contraires aux lois ou à l'intérêt général. »

Or, messieurs, comment a-t-on concilié cette liberté, cette indépendance de la commune avec le bien général ?

Ce n'est point, comme on le propose maintenant, en nommant près de chacune d'elles ces commissaires du gouvernement qui nécessairement, par leur influence presque irrésistible, finissent, comme on l'a vu en 1825, par tout dominer et détruire quelquefois même jusqu'à la dernière trace de cette indépendance ; mais ce fut en donnant à chaque pouvoir communal et gouvernemental une part égale dans le choix des bourgmestre et échevins : ce fut même alors, sur la présentation du conseil, qui le roi nommait ces magistrats dans les villes.

Vous le voyez, messieurs, d'après nos premières institutions, aujourd'hui devenues bien plus libérales encore, par suite du système de l'élection directe, le bourgmestre, le chef de l'administration devait évidemment posséder certaine liberté, certaine indépendance, enfin au moins une indépendance quelconque vis-à-vis du gouvernement. Eh bien, il n'en possède plus du tout, et elle lui est enlevée complètement dès qu'il est ou peut être nommé par le gouvernement, seul et en dehors du conseil, puisque naturellement les fonctionnaires sont toujours entièrement dans la dépendance et au service de ceux qui ont le droit exclusif de les nommer et de les révoquer.

Comment, selon nos institutions, la commune obtient-elle sa garantie que le bourgmestre soignera et défendra librement les intérêts communaux avec autant de zèle et de fermeté que les intérêts gonvernementaux ? Cette garantie, elle ne la trouve que dans l'obligation où est le gouvernement de choisir ce magistrat dans le corps communal, qu'elle a élu elle-même, et surtout dans la faculté qu'elle a même de l'en exclure. Mais si cette faculté est ainsi rendue illusoire, si on lui ravit par là sa seule garantie, il est manifeste que, soit qu'on le nomme en dehors, ou qu'étant nommé dans le conseil, il reste toujours nécessairement exposé à la destitution ministérielle, le bourgmestre devient, dès ce moment, par le fait même, pour ainsi dire, étranger à la commune ; dès cet instant, il cesse d'être réellement le magistrat de la cité ; et il n'est plus, dès lors qu'une véritable créature du ministre, prête à faire tout ce que celui-ci voudra, sans pouvoir même lui opposer la plus faible résistance, quand il s'agira des intérêts communaux.

C'est ainsi, messieurs, qu'à l'époque mémorable du pétitionnement général en 1828, et 1829, lorsque le roi Guillaume se fut arrogé le droit de nommer en dehors du conseil, nous avons vu tous nos bourgmestres traduits successivement à la barre des commissaires de district pour recevoir les instructions ministérielles, se taire et n'oser lever l’œil devant leurs maîtres, tandis que tous partageaient intimement avec leurs communes la conviction de la justice des griefs de la nation, tandis qu'intérieurement tous étaient indignés de la conduite du gouvernement : mais la moindre observation de leur part, le moindre signe de résistance eût été infailliblement suivi de leur destitution.

C'est ainsi encore qu'en 1826, sous prétexte qu'ils étaient étrangers, les régences, influencées par ces mêmes bourgmestres, ou plutôt par ces commissaires du gouvernement, eurent la faiblesse de consentir l’expulsion des frères des écoles chrétiennes, dont cependant l'institution était généralement reconnue si utile, si précieuse pour l'éducation populaire. Certes, jamais le roi Guillaume n'eût obtenu leur expulsion si ces bourgmestres eussent tenu au moins indirectement leur nomination des électeurs.

On nous dira, sans doute, que ces cas ne se représenteront plus , mais d'autres analogues peuvent certainement se produire et se reproduiront ; car on ne prétendra pas, je crois, que les ministères, et leurs gouverneurs, et leurs commissaires, soient des êtres infaillibles. Mais où a-t-on vu, d'ailleurs, qu'un parti intolérant ne pourrait un jour arriver au pouvoir ?

On n'en peut donc douter un instant, messieurs, avec ce droit de nommer en dehors du conseil, le bourgmestre serait, dans tous les cas, comme on l'a déjà vu, à la merci de l'arbitraire, des erreurs et des faiblesses du gouvernement,. à la merci de l'esprit de parti et des passions des hommes du pouvoir. Avec ce système, toute ombre de liberté et d'indépendance doit s'évanouir chez ce magistrat, qui ne peut plus, des ce moment, se constituer l’appui et le défenseur libre et ferme de la commune. Puisque sa qualité de chef de l'administration lui impose par elle-même l'obligation de soutenir librement et avec fermeté les intérêts de la cité et du corps à la tête duquel il se trouve, le placer, comme on le voudrait, dans l'impossibilité de remplir cette obligation et ses devoirs de chef, c'est par le fait anéantir ce même titre de chef, on plutôt, c'est, comme nous l'avons dit, supprimer réellement le bourgmestre de la commune pour le remplacer par un véritable commissaire du gouvernement.

Les partisans de ce malheureux système raisonnent, ainsi que vient de le faire également M. le ministre comme si le bourgmestre ne devait représenter que le gouvernement pour l'exécution des lois ; mais c'est là une grave erreur. Ce magistrat doit être tout à la fois le représentant de ces deux intérêts local et général, le représentant des deux pouvoirs communal et gouvernemental ; il doit être souvent leur médiateur, leur modérateur né, et par conséquent relever de l'un et de l’autre. Il est donc tout aussi naturel que logique de donner à tous les deux une part au moins indirecte dans le choix de ce magistrat.

Mais c'est la constitution elle-même, messieurs, qui nous dit, en termes exprès, qu'il doit être le chef de l'administration et non le commissaire du gouvernement. L'art. l08 de la constitution est ainsi conçu :

Art. 108. Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois.

Ces lois consacrent l'application des principes suivants :

1.° L'élection directe, sauf les exceptions que la loi peut établir, à l'égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux ;

2° L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal, sans préjudice de l'approbation de leurs actes, dans les cas et suivant le mode que la loi détermine.

Ainsi, il doit y avoir, d'une part, pour les communes un chef de leur administration, et pour les provinces, un commissaire du gouvernement près des conseils provinciaux. Ce n'est donc qu'à la province que le pouvoir central peut envoyer son commissaire ; et quant à la commune, c'est un chef de l'administration qui doit être institué. Or, tout chef chargé de représenter deux intérêts, doit être mis en état de défendre, l'un aussi bien et avec la même liberté que l'autre. Mais c'est ce qui n'est évidemment plus possible, lorsque, par votre droit absolu de nommer et révoquer, vous le mettez entièrement dans la dépendance et sous l'influence de celui-là, au préjudice des intérêts de celui-ci. Vous lui enlevez alors, malgré lui, son caractère d'impartialité vis-à-vis de ce dernier, vous le placez dans une situation à devoir même le sacrifier, s'il ne veut point compromettre sa position ; et comment alors pourrait-il jamais conserver pour les deux un dévouement égal ou à peu près égal ? Vous détruisez donc en définitive son véritable titre de chef de l'administration.

Veuillez lire attentivement, messieurs, la disposition de l'art.108 ; d'après l'exception de cet article, quant au choix du chef, ce n'est évidemment qu'une part directe que la loi peut refuser à la commune. Car si l'on veut, comme la raison et la nature des choses l'indiquent, qu'elle soit aussi représentée par son chef, il faut bien nécessairement qu'on lui donne une part au moins indirecte. On ne peut en effet s'empêcher d'admettre qu'un chef doive représenter plus ou moins le corps confié à ses soins ; sans cela, il ne serait réellement plus son chef. Or, cette part indirecte, la commune l'obtient lorsque l'Etat est tenu de choisir dans le conseil, et toujours elle reste alors dans l'exception. Si l'esprit de cet arrêté veut qu'il en soit ainsi, son texte, en même temps, tout en s'exprimant d'ailleurs en termes facultatifs, ne s'oppose aucunement à ce que ce magistrat soit de cette manière désignée au moins indirectement, par la cité.

Mais l'exception que cet article pose au principe général de l'élection directe, comprenant à la fois et dans la même phrase et les commissaires du gouvernement près des provinces et les chefs des administrations communales, il est clair que ce n'est qu'aux premiers, à ces commissaires, qu'elle peut s'appliquer dans un sens absolu, que ce n'est que relativement à eux que peut être refusée même une part indirecte, puisqu'effectivement ces fonctionnaires cesseraient d'être de vrais commissaires du gouvernement si la commune ou la province pouvaient intervenir d'une manière quelconque dans leur nomination. Mais en même temps, il est également évident que ce serait tourner la lettre de la loi contre son esprit, que de prétendre la rendre applicable dans le même sens aux chefs de ces administrations, par la raison que la nature même des choses commande que ceux-ci ne restent point absolument étrangers au vœu de la commune, et qu'ils soient au moins tacitement reconnus ou agréés par elle.

Du moment qu'on voulait, d'une manière générale, envelopper dans le même paragraphe, et les commissaires du gouvernement pour la province, et les chefs des administrations locales, ce paragraphe ne pouvait être autrement rédigé. Mais en vertu de la maxime : La lettre tue et l'esprit vivifie, c'est alors au législateur a bien se pénétrer de son esprit pour en faire à chacun une saine application suivant la nature de leurs missions respectives. Or, s'il est vrai que le gouverneur d'une province ne doit être que l'homme du gouvernement exclusivement, il n'en est pas moins constant, d'un autre côté, que le bourgmestre doit être en même temps l'homme de la commune, puisqu'il est même principalement institué pour représenter les intérêts de celle-ci.

Mais, au contraire, nous croyons vous l'avoir démontré, en résumé, avec ce nouveau système, non seulement la commune et son administration ne trouvent plus dans leur premier magistrat la moindre garantie de liberté, d'indépendance et d'impartialité, mais la commune n'a même plus un représentant dans son chef, ce qui est aussi absurde qu'inconstitutionnel ; et l'institution du bourgmestre, c'est-à-dire du maître du bourg, n'existe plus que de nom et disparaît pour faire place à celle d'un simple commissaire du gouvernement.

Mais en outre, messieurs, ce qui n'est pas moins grave, c'est que l'adoption d'un pareil système doit nécessairement devenir, dans nos localités, une cause d'irritation et de mécontentement, rompre et détruire l'unité et la bonne harmonie si indispensable à toute administration, compromettre même le respect dû à l'autorité royale, et insensiblement affaiblir la force morale de celle-ci dans nos communes, au grand préjudice encore de l'exécution des lois et de tous nos intérêts communaux et généraux.

D'abord, quand déjà depuis douze ans les communes sont en possession d'obtenir leurs bourgmestres parmi les membres des conseils élus par elles-mêmes, et que même en général elles sont satisfaites de leurs choix, dans une telle circonstance surtout, leur déclarer qu'à l'avenir le gouvernement aura toujours la faculté de les nommer en dehors de ce même conseil, n'est-ce pas évidemment, par le fait, proclamer cette supposition offensante que leurs élus ne sont ni capables ni dignes ? N'est-ce pas les blesser dans leur honneur ? N'est-ce pas évidemment provoquer des réactions contre le gouvernement lui-même ? Mais plutôt, n'est-ce pas renverser même le principe constitutionnel de l'élection directe qui établit en faveur des élus la présomption de capacité et de confiance de la part des habitants ?

Vainement, M. le ministre nous assurerait encore qu'il ne fera qu'un usage modéré de ce droit nouveau, la seule menace faite constamment par la loi, de remplacer ainsi ceux même qui seraient nommés dans le conseil, celle seule menace de se voir ainsi imposer un étranger, une créature du gouvernement, ne serait-elle pas toujours nécessairement considérée comme une injure, comme un certificat de défiance politique ou d'incapacité contre tous les conseils en général ? ct par conséquent, ne serait-elle pas toujours une source d'irritation et d'animosité ?

Peut-être, messieurs, pourrions-nous douter des effets d'une telle loi si déjà nous n'en avions fait nous-mêmes l'expérience.

En 1826, le roi Guillaume aussi, après avoir pendant 11 ans laissé jouir les communes de cette franchise, voulut alors la retirer ; et l'histoire dira quelles furent les suites de cet empiétement.

Les communes, fidèles au caractère belge, obéirent, comme elles le feront encore sans murmure, sans éclat ; longtemps elles gardèrent un triste silence et leur pétitionnement n'est arrivé que cinq ans après.

Or, je vous le demande, messieurs, avec de pareilles dispositions, de quel œil le corps communal verra-t-il arriver à la tête de son administration non seulement cet intrus, mais celui même qui, étant nommé dans son sein, se trouverait ainsi, par cette loi, constamment placé sous le coup d'une menace de destitution s'il ne marche au gré du ministère ? Toujours préoccupés de l'idée que l'un et l'autre sont tout à fait dans la dépendance du gouvernement, leurs collègues les regarderont et avec raison bien moins comme les hommes de la commune que comme de vrais agents du pouvoir exécutif, dirigés par des vues et des inspirations toutes particulières : leurs collègues étant toujours frappés de cette juste prévention, que tous les deux sont à chaque instant sous l'influence ministérielle, des difficultés de tout genre, des défiances, des divisions, des discordes seront bien souvent semées sur leurs pas.

Ce que nous disons ici, messieurs, déjà nous l'avons vu de nos propres yeux lorsque ce même système fut brusquement introduit par le roi Guillaume. Ces malheureux bourgmestres devinrent alors, même malgré eux, les délateurs de leurs collègues et de leurs propres concitoyens près des ministères ombrageux : ils étaient tenus, comme les agents de haute police, de faire périodiquement à ceux-ci des rapports confidentiels.

Du jour où la loi sera promulguée, il ne sera donc plus possible aux conseils communaux de leur accorder leur confiance ; or, toute la défaveur, tout le discrédit dont ils seraient l'objet, ne retombent-ils pas nécessairement sur l'autorité royale dont ils seraient toujours censés les représentants ?

Mais, messieurs, la situation de ces bourgmestres devient bien plus critique encore et plus embarrassante lorsqu'on songe au pouvoir communal, tel que l'ont fait nos institutions actuelles, institutions qu'il ne nous est pas permis d'ailleurs de changer, puisqu'elles sont l'œuvre de la constitution.

Sous l'empire, au maire seul appartenait l'autorité administrative et exécutive, et une seule volonté présidait ainsi à toute l'administration ; si ce système était favorable au despotisme ; par son ensemble, il avait au moins le mérite d'être logique et conséquent.

Mais aujourd'hui, messieurs, la véritable administration n'appartient plus au premier magistrat de la commune ; elle est dévolue au conseil lui-même, et ce magistrat ne fait plus que partager l'administration exécutive avec les échevins. La constitution et la loi communale proclament, en effet, en termes formels, que le conseil règle tout ce qui est d'intérêt communal. (Art. 108, n° 2 de la constitution et 75 de la loi communale.)

Le conseil règle tout ce qui concerne, tout ce qui intéresse la commune : il a donc une attribution universelle qui embrasse l'administration tout entière ; aussi la loi communale (art. 75 et suivants) comprend-elle dans ses attributions tous actes d'administration, les conditions de location, de fermage, des adjudications et fournitures, l'aménagement des bois et forêts, les péages et droits de passage, les réparations, constructions des édifices, la réparation et le mode de jouissance des pâturages, affouages et de tous biens communaux, la reconnaissance et l'ouverture des chemins vicinaux, sentiers, rues, les locations des places dans les foires, marchés, abattoirs, droits de pesage, mesurage, nominations des employés et titulaires ressortissant à la commune, tous règlements de police et autres, impositions communales, baux emphytéotiques, transactions, aliénations, emprunts, partages, etc, ; enfin, il ne serait pas possible d'énumérer tous les actes administratifs qui tombent aujourd'hui dans la compétence universelle du conseil.

Sous notre régime constitutionnel, le véritable administrateur de la commune, c'est donc le conseil lui-même, sauf toutefois l'approbation de ses actes dans les cas déterminés. Le bourgmestre comme tel n'a plus, de son côté, que le pouvoir exécutif.

Or, messieurs, lorsque l'autorité administrative d'une part, et l'autorité exécutive de l'autre sont et doivent être partagées entre des personnes différentes, il n'est qu'un moyen certain et tout naturel d'assurer la bonne harmonie entre elles et l'unité dans leurs actes, c'est que celles chargées de l'exécution tiennent au moins indirectement leur mandat de la même source que les autres, car le sait-on pas que les lois ne sont au total que ce que la tête qui les exécute veut qu'elles soient et que toujours elles dépendent essentiellement de leur exécution ?

Par conséquent, pour la bonne exécution des délibérations et des ordonnances du conseil, qui est au vrai l'administrateur de la commune, il faut nécessairement qu'il y ait union entre ce corps et le bourgmestre qui exécute : il faut que le même esprit et les mêmes vues qui ont présidé à la délibération président également à l'exécution. Or toute garantie de cette union, (erratum, Moniteur belge du 13 mai 1842) de cette identité de vues disparaît nécessairement dès l'instant que (erratum, Moniteur belge du 13 mai 1842) l'autorité exécutive tient son existence d'un élément qui est tout à fait étranger à l'autre, d'un élément qui en est essentiellement distinct et séparé. Sous un tel système, il est donc impossible que le pouvoir communal puisse marcher avec unité et ensemble. Or c'est cette unité et cet ensemble qui seuls en font la force et le rendent digne de respect aux yeux de la commune. Sans ces conditions, ce pouvoir ne peut que rencontrer à chaque pas des obstacles, des entraves, des embarras de toute espèce, ou plutôt, sans ces conditions, sans cet accord, le pouvoir communal est entièrement dénaturé, défiguré et n'existe réellement plus.

Les mêmes difficultés, messieurs, les mêmes inconvénients se présentent, s'il s'agit d'exécuter les lois dans la commune. Le conseil étant chargé par la constitution et la loi communale de régler tout ce qui est d'intérêt communal, et ayant ainsi l'administration suprême de la commune, le bourgmestre, même en cette matière, ne saurait, pour ainsi dire, faire un pas, s'il n'existe entre ce corps et lui un accord sincère, une confiance mutuelle.

Qu'est-ce, en effet, ordinairement que l'exécution de la loi dans la commune ? Mais c'est la loi elle-même dans ses rapports avec la commune ; c'est une sage et saine application de ses dispositions aux intérêts communaux. Par conséquent, cette question d'application renferme elle-même bien souvent une question d'intérêt communal. Or, comme cette dernière tombe aussi dans les attributions universelles du conseil, ce corps peut alors, s'il le juge convenir, poser, de son côté des actes peu conciliables ou en désaccord avec ceux de ce bourgmestre : de semblables conflits peuvent naître et renaître tous les jours et devenir ainsi une cause continuelle de mésintelligence et d'hostilité entre le conseil et ce bourgmestre, représentant ainsi le gouvernement.

Aujourd'hui, messieurs, rien de tout cela n'est à craindre, parce que ce magistral choisi par le Roi dans le sein du conseil, a, vis-à-vis de la commune, tout le caractère du père de famille, du conciliateur né des deux intérêts : mais si, au lieu d'un père de famille, le gouvernement lui envoie ou menace sans cesse de lui envoyer un maître, un serviteur purement ministériel, naturellement le conseil et les échevins eux-mêmes aussi bien que le conseil, se retrancheront dans la plénitude de leurs droits : provoqués par les défiances même du gouvernement, ils deviendront jaloux de les exercer à leur tour et même souvent dans un sens peut-être trop rigoureux. Le bourgmestre nommé ou non dans le conseil, devenu dès lors sans influence, ferait inutilement entendre sa voix, et enfin vous auriez ainsi ouvert la porte à toute espèce de désordre et à l'anarchie dans l'administration intérieure des communes.

Or tout cela est la suite nécessaire du système ; et la circonstance que ce bourgmestre n'aurait pas voix délibérative au conseil n'y changerait rien. Elle aurait, au contraire, pour effet de le faire d'autant plus considérer comme étranger, et de diminuer davantage encore aux yeux de ses collègues cette haute considération qui est le premier besoin de tout magistrat et surtout d'un magistrat appelé à présider un corps aussi respectable.

Encore une fois, messieurs, ce que j'avance ici est déjà arrivé avec le même système sous le gouvernement précédent, et si vous n'en croyez point nos paroles, je vous en supplie, croyez au moins aux leçons de l'expérience. Aujourd'hui que la constitution a même admis le nouveau système de l'élection directe, qu'elle a même agrandi le cercle des attributions du conseil, les mêmes conséquences sont encore bien plus à redouter. .

Puisque dans l'économie de notre système représentatif tous nos corps délibérants ont et doivent avoir leur influence sur le pouvoir qui exécute leurs actes, les chambres à l'égard des ministères par les refus des subsides, les conseils provinciaux par leur intervention dans le choix de la députation permanente, n'y a-t-il pas de la témérité à vouloir enlever au conseil sa part d'influence, au moins indirecte, à laquelle vous ne pouvez évidemment pas échapper sous une constitution telle que la nôtre, constitution qui est un mal si vous le voulez, mais un mal que vous ne sauriez éviter ?

Or, messieurs, je vous le demande encore, d'après tout cela n'est-ce pas se faire complètement illusion et se méprendre singulièrement sur le pouvoir fort, que de s'imaginer qu'un pareil système puisse donner plus de force à l'autorité gouvernementale dans nos communes ? Tout ce que vous venez d'entendre le prouve à évidence ; au lieu de fortifier, vous énervez au contraire les liens de la commune, ou plutôt de la grande famille, avec le pouvoir central.

Or, sachez-le bien, dans un Etat la commune seule est l’être réel, l'être qui existe par lui-même, et la nation tout entière est dans la commune.

L'art. 125 de la constitution a adopté pour devise nationale : L'union fait la force. Mais avec votre système, vous allez tout à fait en sens inverse de cette devise vraiment belge. Au lieu d'unir le père à la famille, vous prétendez au contraire l’en séparer pour en faire un être tout à fait étranger, pour en faire le serviteur souple et docile d'un autre pouvoir : au lien de donner à la famille un citoyen de son choix et souvent de son affection, vous allez lui chercher ou, à l'aide de votre loi, vous la menacez sans cesse de lui chercher un homme qu'elle a même repoussé de son sein, et qui, par cette raison, ne pourrait jamais y entrer que précédé d'antipathie et d'aversion : Vous ajoutez ainsi l'humiliation à la défiance, à l'injustice.

Mais, y avez-vous bien réfléchi, lorsque vous voulez donner à l'autorité royale un tel représentant dans la commune ? S'il est vrai qu'une autorité n'a réellement de force qu'à raison du respect et de la confiance qu'elle inspire, pouvait-on imaginer un plus sûr moyen de lui aliéner les esprits et de la rendre moins respectable ? Rejeté du sein du conseil par la commune, ce prétendu bourgmestre est déjà frappé d'impopularité avant même son entrée en fonctions, et cette impopularité ne rejaillit-elle pas nécessairement sur l'autorité qu'il représente ?

Or, une administration impopulaire est toujours mauvaise dans l'opinion du peuple, alors même qu'elle pourrait être bonne dans la réalité. Qu'arrive-t-il dans ce cas ? la prévention devient tellement puissante et générale, qu'il n'est pas possible à ce magistrat imposé de faire le bien, et le pouvoir royal au nom duquel il est censé agir, étant ainsi mis à découvert, devient directement responsable, aux yeux de tous, du mal qui se fait dans la commune.

Ne vous y trompez pas, messieurs, la véritable force de l’autorité réside bien moins dans le droit de commander que dans la confiance, l'amour et le respect qu'elle sait inspirer : sans ces conditions on peut bien étendre matériellement la force du pouvoir ; mais elle n'est que factice jusque-là, et elle diminue et s'affaiblit d'autant plus que celui-ci lui-même se déconsidère et se désaffectionne chaque jour davantage.

On vous a parlé d'inconvénients avec le système actuel, mais en est-il qui puissent être comparés et mis en parallèle avec toutes les conséquences qui résulteraient du changement proposé, et que nous venons de développer ? Au moyen de ce système qui tend même à saper peu à peu par sa base l'institution communale, telle que nous la tenons de la constitution, les communes, le pouvoir central, les fonctionnaires, tous se trouveraient évidemment dans une pire condition ; l'ordre, la paix, le respect envers l'autorité, le bien-être des administrations, tout est menacé et compromis.

Il s'agirait alors de bien autre chose que de vos chemins vicinaux négligés, de vos visites de cabaret et des contrariétés de la chasse ; mais puisqu'au vrai, l'Etat est tout entier dans les communes, vous touchez à l'édifice social lui-même, et qui pourrait en prévoir les suites ?

Encore une fois, je vous en prie, écoutez donc, messieurs, la voix de l'expérience. Mieux vaudrait certainement consentir comme en France la dissolution des conseils communaux ou proposer régulièrement un changement à la constitution.

Plusieurs se sont flattés que cette innovation ferait obtenir çà et là quelques meilleurs bourgmestres. Mais d'abord, je suppose même que cela fût vrai, je dirai que c'est peu encore qu'un fonctionnaire soit bon, il faut premièrement songer à le mettre en état de pouvoir marcher et de marcher bien. Mais d'ailleurs on se fait encore illusion ici, et, j'ose le dire sans détours, parce que je sais que mon opinion est partagée par beaucoup de monde, est-ce bien, messieurs, d'après le grand nombre de mauvaises nominations que tous les ministères n'ont cessé de faire depuis 11 ans, dans les diverses branches d'administration, que vous pouvez jamais espérer d'en avoir de meilleures, même en dehors du conseil ? Les rouages administratifs ne sont-ils pas toujours les mêmes ? et d'ici à bien longtemps vous ne sauriez les changer.

C'est le roi seul, dit-on, qui nommera ou menacera de nommer, suivant le système, en dehors du conseil. Mais détrompez-vous, ce n'est pas le roi, ce sont bien plutôt les commissaires d'arrondissement, les gouverneurs, les ministres, leurs directeurs avec toutes les intrigues qui les assiègent constamment ; ce sont bien plutôt tous ces fonctionnaires qui feront comme aujourd'hui ces nominations. A côté d'une ou deux nominations qui seront peut-être à votre gré, vous en compromettez donc sérieusement vingt autres en autorisant ainsi à choisir à volonté en dehors de ce corps.

Lorsqu'en 1836, pendant la discussion de la loi communale, l'on proposait de faire nommer le bourgmestre par le roi sur une liste triple, présentée par le conseil ; pour chercher à écarter cette proposition, on nous répondit : Tranquillisez-vous, ayez confiance, vous aurez de bonnes nominations. Eh bien, entraîné par ces fâcheuses influences, le gouvernement s’est trompé lui-même, et lui-même en fait l’aveu puisqu’il se plaint autant que nous de certaines nominations qui ne sont cependant que son propre ouvrage.

Et qu’on ne nous dise pas, messieurs, qu’il n’aurait pu faire d’autres choix convenables. Le nombre de conseillers varie dans chaque commune suivant les populations de 7 à 31 ; et personne ne croira qu'avec la faculté de choisir parmi un aussi grand nombre de notables, on n'eût pu, en général, éviter ces mauvaises nominations, si l'on eût voulu puiser des renseignements à de meilleures sources. S'il existe des exceptions, elles ne peuvent être que rares, et conséquemment elles n'autorisent point un changement à la loi actuelle.

Admettons même que quelquefois la composition d'un conseil puisse être entièrement le fruit de la cabale, n'offrant pas un seul choix à faire. Mais dans des cas semblables, qu'on veuille bien se rappeler que c'est la constitution elle-même qui, avec son système d'élection directe, aurait alors imposé à la commune ce fruit de l'intrigue, et nous sommes impuissants pour l'empêcher. Mais, comme on l'a vu, le bourgmestre étant obligé, dans tous les cas, de dépendre de ce mauvais corps communal tout autant que d'un bon, force est, si l'on ne veut pas aggraver davantage encore sa position, de choisir une personne qui puisse s'accorder avec ce même corps ; et par suite, dans une telle occurrence, il faut bien se résigner à nommer alors le moins mauvais parmi les mauvais.

D'ailleurs, dans les gouvernements représentatifs, ce n'est là qu'un inconvénient qui se présente à l'égard de tous les corps constitués. Les chambres législatives aussi élues directement par le peuple, les ministères nommés par le Roi ne remplissent pas toujours le but de leur institution. Mais parce que des ministères commettent de graves abus, parce qu'ils se laissent aussi diriger par la cabale, serait-ce une raison, par exemple, pour décréter qu'on leur enverra dorénavant de la part des chambres un commissaire spécial chargé de les surveiller et de les tenir dans le devoir pendant toute l'année ? Mais pourquoi, messieurs, cette sévérité envers les communes, alors que nous avons nous-mêmes besoin de tant d'indulgence ?

Mais les fonctionnaires qui se permettent ainsi de dénoncer nos communes et de faire ici leur procès, sont-ils bien eux-mêmes tellement innocents qu'ils soient à l'abri de tout reproche ? Je ne crains point de le dire, n'est-ce pas quelquefois plutôt à leurs actes injustes, arbitraires, ou passionnés, à leur esprit de parti, à leur impéritie, à leur défaut de modération, de patience ou de tact, qu'il faut attribuer cet esprit de résistance qui se manifeste parfois dans certaines communes et les écarts même de quelques administrations ? Sans entendre ici offenser personne, je crois connaître assez mon pays pour déclarer que si, à l'heure qu'il est, j'avais à me prononcer en général sur le mérite et les vertus civiques des corps communaux et des fonctionnaires nommés depuis l830 par le gouvernement, je n'hésiterais pas à donner la préférence à ces corps respectables. Je le déclare donc, je n'ai généralement aucune confiance dans les accusations dirigées ici contre nos communes par des fonctionnaires qui, dans cette question, sont d'ailleurs eux-mêmes juges et parties.

S'il était permis à nos administrations communales de faire entendre leurs voix dans cette enceinte, vous les verriez, je crois, faire souvent retomber sur leurs accusateurs les torts qu'on leur impute. Mais non, on les livre ici sans défense à leurs adversaires ; je dirai plus, on les accuse dans l'ombre, et l'on veut ainsi nous mettre avec elle dans l'impuissance de les défendre.

Je dois protester de toutes mes forces contre ce genre d'attaque et d'accusation, parce qu'il déshonore le caractère belge, parce qu'il tend à donner chez nos voisins une fausse opinion sur les mœurs et les principes d'ordre de nos populations, parce qu'aujourd'hui comme en 1830, le peuple belge ne cesse de se distinguer par sa moralité et son amour inné pour l'ordre et la paix.

Vous croyez encore justifier un changement d'une si haute portée à la loi communale, en alléguant que les règlements sur les chemins vicinaux sont mal exécutés.

Mais vous oubliez donc ce fait notoire que depuis vingt ans nos chemins vicinaux ont reçu partout d'étonnantes améliorations et que chaque année ils s'améliorent encore de plus en plus ; mais puisque cette branche d'administration est évidemment en progrès, sachez donc attendre. Messieurs les fonctionnaires, prenez donc un peu de patience, vous voulez réellement marcher ici trop vite, ou plutôt vous avez mal choisi vos prétextes contre nos bonnes communes.

Sous l'empire, relativement à ces chemins vicinaux, lorsqu'il s'agissait aussi de l'exécution des décrets impériaux, dont nos règlements d'ailleurs n'ont fait que consacrer les principes, les maires eux-mêmes avec tout leur pouvoir absolu, ne rencontraient-ils pas également des résistances dans les communes ? et certes, ce n'était point alors, pas plus qu'aujourd'hui, à cause que leur autorité était insuffisante.

Mais d'abord de sages administrateurs comprennent parfaitement que c'est souvent bien plus par la persuasion, la prudence et avec le temps surtout, qu'ils arrivent à leurs fins, qu'en frappant inconsidérément des coups d'autorité.

Les fonctionnaires qui ont ainsi recours à la force brutale, usent bientôt leur autorité et deviennent dès lors incapables de faire du fruit dans leurs localités. Ces réflexions pratiques s'appliquent à tous les cas d'exécution des lois en général.

Quant aux chemins vicinaux, on peut même, s'il était nécessaire, suppléer spécialement à l'action de l'autorité locale par celle des commissaires-voyers ou par d'autres moyens ; la loi que vous avez faite offre encore, selon moi, quelques lacunes.

Mais à l'égard des lois et règlements, en général, nous dirons encore, messieurs, qu'en tout temps, et sous l'empire et sous le gouvernement précédent, il a toujours été plus difficile d'en obtenir une parfaite exécution dans les communes rurales, et notamment dans les petites communes, parce que, quelle que soit l'étendue de son autorité, le chef de l'administration y rencontre toujours nécessairement dans ses relations obligées de famille, d'amis et de connaissances, une gêne et des embarras qui arrêtent ou ralentissent plus ou moins son action, parce que dans toutes ces localités, l'administrateur est trop rapproché de ses administrés ; donnez à ce chef tel pouvoir que vous voulez, nommez-le en dehors ou dans le conseil, dès qu'il est habitant de la commune, vous ne sauriez changer cette position qui tient à la nature même des choses, et l'exécution de votre système la rendrait encore plus difficile. En tout temps l'on a tenu compte aux communes de ces circonstances, quand il s'est agi de l'exécution des lois. Et pourquoi donc aujourd'hui tant de rigueur à leur égard ? L'accusation sur ce point est donc encore aussi injuste qu'absurde.

Mais la loi communale, messieurs, a même tout prévu, et c'est dans ses dispositions que je trouve la preuve, que si parfois, quant à l'exécution des lois, il y a faute ou négligence, dans nos communes, c'est bien plutôt aux fonctionnaires eux-mêmes qu'il faut s'en prendre, c'est parce qu'eux-mêmes ne rempliraient point leurs devoirs.

Lisez les articles 88 de la loi communale, 84 et 110 de la loi provinciale, ils introduisent contre la commune des mesures toutes nouvelles et des plus rigoureuses pour assurer l'exécution des lois.

Aux termes de ces articles, à l'effet de mettre à exécution les mesures prescrites par les lois et règlements généraux, par les ordonnances du conseil provincial ou de la députation ; le gouverneur seul, ou la députation, ou le conseil, peut charger un ou plusieurs commissaires de se transporter à cette fin sur les lieux, aux frais même des autorités communales lorsqu’elles sont en retard de satisfaire aux instructions ou aux ordres de l'administration supérieure.

Ainsi, messieurs, quand la commune est en retard ou qu'il y a peu de bonne volonté de sa part, le pouvoir exécutif, représenté par son commissaire, peut venir s'y installer et prendre la place même du pouvoir communal, qui est tenu, dans ce cas, de se soumettre et de laisser agir ce commissaire. Le commissaire avec son droit d'exécuter alors la loi comme il l'entend, en fait telle application qu’il juge convenir aux intérêts communaux et il règle lui-même ce qui les concerne comme s'il était à lui seul tout le pouvoir communal. En vertu de ces articles dont on n'apprécie pas sans doute toute la portée, ce commissaire fait ainsi lui-même les fonctions et du conseil et du collège échevinal, et de fait, toute l'autorité communale se trouve de cette manière annihilée par l'autorité supérieure.

Certes, messieurs, le roi Guillaume dans ses règlements n'aurait jamais osé aller jusque-là. Il aurait cru sans doute que c'était porter atteinte aux droits et à la liberté de la commune, que de pouvoir lui dire : quand il me plaira, vous ne serez plus absolument rien : par l'intermédiaire de mes gouverneurs, je vous enverrai et à vos frais mes commissaires pour exécuter mes volontés, pour vous arranger et vous remettre dans le devoir ; et vis-à-vis de ces agents vous aurez à baisser la tête et à vous effacer complètement.

Incontestablement, on ne pouvait imaginer un moyen plus rigoureux, plus coercitif contre la commune ; et ce moyen, marqué au coin de la plus extrême sévérité, ne vous suffirait pas encore. Ce n'est pas assez qu'il paralyse, qu'il suspende à volonté toute l'action de celle-ci pour en investir un agent du gouvernement qui exécute à lui seul et à son gré les instructions de ce dernier, sans même qu'on puisse y faire la moindre opposition ! Mais évidemment, messieurs, une telle mesure n'est-elle pas déjà exorbitante, pour ne pas dire inconstitutionnelle ?

Par votre projet, vous voulez que les bourgmestres deviennent près des communes des commissaires du gouvernement. Eh bien ! nous venons de vous le faire voir ; ces commissaires, vous les possédez déjà en vertu de la loi actuelle ; ils ont même dans la commune la suprématie sur le conseil et le collège échevinal ; et une arme aussi puissante ne vous suffit pas encore ! Mais non, vos intentions soit claires maintenant, vous voulez faire de nos bourgmestres des commissaires à demeure fixe, des commissaires qui, par leur action incessante et leur influence de tous les jours et de tous les instants, parviennent enfin, s'il est possible, à se rendre maître et des conseils et des collèges eux-mêmes ; ou plutôt, ne dissimulez pas : voudriez-vous peut-être que ces corps devinssent pour ainsi dire nuls ? Mais dans ce cas ayez donc le courage de dire votre pensée et demandez un changement non à la loi communale, mais à la constitution elle-même.

Mais, je vous le répète encore, pour une telle entreprise, le temps n'est point venu, vous n'avez pas même sous la main les hommes propres à vos desseins. Généralement vos choix tourneraient contre vous-mêmes.

Les lois et règlements sur la police, dites-vous, ne sont pas observés. Mais les délits de police et autres sont du ressort du pouvoir judiciaire ; et ce n'est que par délégation qu'on charge de cette police l'autorité communale. Que l'on modifie, si l'on veut, cette délégation de manière à la rendre plus efficace, et il en a même été question dans le projet de loi sur les justices de paix : mais c'est là un objet secondaire et étranger à nos institutions communales. Cette objection est donc plutôt encore un mauvais prétexte : Au reste depuis 40 ans, cette action judiciaire dans les communes, a toujours laissé à désirer ainsi que bien d'autres objets qu'on ne parviendra jamais à rendre parfaits, quel que soit le mode de nomination des bourgmestres.

Mais voici, messieurs, l'argument vraiment invincible de nos adversaires, ils s'écrient que les visites de cabarets ne se font pas.

Admirable logique ! on ne visite pas les cabarets ; donc tout est en péril ; donc il faut compromettre l'existence même de nos institutions communales, comme si l'on ne pouvait recourir à d'autres moyens, comme si en tout temps l'on n'avait pas eu à se plaindre de pareils abus !

Enfin, pour essayer de justifier sa proposition, le ministère est descendu jusqu'à des considérations réellement si faibles et si mesquines, que, le plaisir même de la chasse, on le fait intervenir dans la question. Les lois et règlements sur la chasse, s'écrie-t-on aussi, sont mal exécutés, et l'on fait ainsi un appel en quelque sorte perfide à cette passion. Donnez-nous le droit que nous sollicitons, dit-on, en d'autres termes, et vous aurez de bons bourgmestres qui sauront vous réserver le gibier. Et l'on ne craint pas, messieurs, de s'appuyer sur de telles raisons et de nous tenir un pareil langage !

Mais, quand même encore l'exécution des lois en général pourrait laisser quelquefois à désirer, ce que du reste l'on a toujours vu à toute époque et même en France, sous l'empire et ailleurs ; dans cette supposition même, la nécessité de conserver l'union et la paix dans les administrations, ne serait-elle pas une première considération à laquelle, dans tous les cas, l'on devrait céder ? N'est-ce pas le bien-être et le bonheur des communes que nous devons premièrement avoir en vue ?

La chambre rejettera donc, j'aime à le croire, le changement proposé à notre loi communale. Ce parti est dicté par la prudence et l'intérêt bien entendu des communes et du gouvernement lui-même.

Mais, je dois le dire, messieurs, de ce que je ne puis accueillir ce changement, il ne s'ensuit pas que je considère que tout est bien, que tout est parfait.

Non, messieurs, une plaie dont je ne puis me dissimuler toute la gravité, afflige de nos jours, les sociétés modernes ; et, cette plaie déjà profonde dans d’autres Etats, a également gagné notre Belgique. Mais c'est une grande erreur de croire que le remède se trouverait dans le projet de loi qui vous est présenté.

Les bons citoyens qui veulent l'ordre et la stabilité sont en effet obligés de reconnaître que depuis nombre d'années, l'esprit de soumission envers l'autorité et le respect qui lui est dû se sont, jusqu'à un certain point, affaiblis dans nos populations : Tous les pouvoirs, depuis l'autorité communale jusqu'au pouvoir royal en ont plus ou moins reçu quelque atteinte ; tous plus ou moins ont généralement perdu de cette vénération, que nos pères regardaient comme un devoir sacré, je dirai plus, comme une espèce de culte.

Non, messieurs, en méditant la question qui nous occupe, nous n’avons point fermé les yeux sur ce mal, ; mais qu'on ne s'y trompe pas, c’est dans les causes qui ont produit, et non dans ce projet de loi, qu’il faudrait chercher les moyens de le combattre.

Avant de terminer, je prierai donc la chambre de me permettre ici une courte digression, afin d'indiquer ces causes qui devraient faire avant tout l'objet des méditations des hommes d'Etat.

Nous avons souvent entendu dire qu'il fallait attribuer l'affaiblissement de l'autorité aux idées exagérées de liberté et d'indépendance.

Mais pourquoi la vraie liberté est-elle aussi mal comprise et quelle est la cause première de cet esprit d'exagération et d'indépendance ? Voilà, messieurs, ce qu'il importe de rechercher.

Nous dirons donc, quant à nous, que la première source du mal réside dans un principe vicieux, qui, de nos jours, règne plus que jamais dans la société, dans ce vice dominant, l'individualisme, ou, en d'autres termes, l'égoïsme, fruit des mauvaises doctrines de l'époque, et surtout de l'oubli de ces principes de haute moralité, qui nous commandent à tous l'amour du bien public et de nos concitoyens.

L'ordre et la paix publics exigent de nous l'obéissance envers l'autorité. Or, messieurs, qu'est-ce qu'obéir, si ce n'est renoncer à sa volonté propre pour se soumettre à celle d'autrui ? Mais comment obtenir ce renoncement à soi-même et cet esprit de résignation si je n'aime que moi, si je ne veux, si je ne recherche en tout que mon intérêt propre, si je suis dominé par cet amour excessif de moi-même ? Avec cet individualisme, isolé au milieu de ses semblables, l'homme, au fond, ne voit que lui, n'agit que pour lui ; et c'est ainsi, messieurs, que la résistance doit nécessairement se rencontrer à chaque pas ; c'est ainsi qu'elle est même si habile à se voiler, à se cacher sous toutes les formes, à se couvrir de tous les prétextes. L'individualisme finit donc par être, vis-à-vis de l'autorité, la tyrannie des intérêts privés et des passions : non seulement il atteint au cœur le principe de l'obéissance, mais il est lui-même la mort de la vraie liberté.

Chez toutes les nations, messieurs, il existe, comme il a toujours existé, un principe naturel ou divin qui ordonne l'obéissance envers l'autorité politique. Ce droit naturel est le même que celui du père de famille sur ses enfants, du maître sur ses subordonnés. Sans doute, notre constitution fait émaner tous les pouvoirs de la nation ; mais, ces pouvoirs une fois établis, à leur égard le même principe commande également l'obéissance. Tous ces pouvoirs, administratif, judiciaire, militaire, comme en première ligne le pouvoir royal, ont ainsi un caractère sacré et le même droit au plus haut respect.

Avant ses égarements, le trop célèbre Lamennais, ne le disait-il pas lui-même ? en parlant des bases de l'autorité gouvernementale, l'homme, disait-il, ne serait pas tenu d'obéir à l'homme, si n'existait entre l'un et l'autre une puissance supérieure qui commande à chacun la soumission, la fidélité, la probité.

Si quelques-uns n'ont pas foi dans nos paroles, qu'ils en croient au moins les Daguesseau, les Montesquieu et tant d'autres publicistes distingués.

Tous l'ont dit avant nous avec une profonde conviction ; sans cette sanction divine, aujourd'hui devenue toute morale, la seule autorité de l'homme serait impuissante. C'est elle qui prescrit au magistrat d'avoir faim et soif de justice et rend le citoyen véritablement soumis, docile, vertueux. C'est elle qui oppose le frein le plus puissant aux passions égoïstes, qui les contient et les modère ; sans elle, plus de soumission sincère, plus de bonne volonté dans l'obéissance qui ne s'obtient alors que par la force matérielle, l'adresse, la ruse ou le seul motif d'intérêt, tous moyens aussi fragiles, aussi versatiles les uns que les autres, et aussi mobiles que le sable mouvant.

On inscrit sur sa bannière ces grands mots : Ordre public, liberté. Mais cet ordre public et cette liberté sont abandonnés à la merci des passions et des intérêts individuels.

Ce qui a été vrai dans tous les temps, messieurs, le serait encore aujourd'hui. Une société ne saurait longtemps subsister si le pacte social n'avait d'autre soutien que la raison naturelle, l'intérêt, les tribunaux et les pénalités. La raison naturelle de l'homme ! mais ne connaît-on pas sa faiblesse ? N'est-elle pas obscurcie à chaque moment par les vices, les désordres du cœur et de l'esprit ? L'intérêt de l'homme ! mais cet intérêt est insatiable, il varie à l'infini, il est sans cesse en opposition avec l'intérêt général.

Voilà, messieurs, des principes d'ordre qui certes sont bien autrement que le projet de loi, la plus sûre garantie du respect et de l'obéissance envers tous nos pouvoirs constitutionnels.

Royer-Collard les appelait la partie divine gouvernementale : mais sous le régime de notre constitution, ils sont et demeurent en dehors du domaine du gouvernement : le congrès national a jugé que dans notre situation ces principes moraux seraient d'autant plus forts qu'ils resteraient libres et indépendants.

Mais, nous le disons avec douleur, cet esprit d'individualisme et les mauvaises doctrines ont pénétré plus ou moins dans toutes les classes et même jusque dans nos administrations. Quel amour, quel respect les autorités peuvent-elles inspirer si l'on ne croit point à leur justice, à leur impartialité, si on les croit dirigées par l'esprit de parti, la passion ou l'intérêt particulier ?

Mais, messieurs, dans une telle position, soyons prudent ; défions-nous bien d'appliquer aujourd'hui un remède qui ne ferait qu'empirer encore notre condition actuelle : ce qui arriverait assurément si l'on adoptait le projet dont il s'agit.

On se plaint amèrement que l'autorité est peu considérée, peu respectée, et l’on ne s’aperçoit pas que c’est là justement la conséquence toute logique des systèmes, des doctrines que l'on a soi-même professés ! On se plaint de l'esprit de résistance et du peu de patience des administrés pour supporter les failles ou les injustices des pouvoirs ; et d'une autre part, l'on est plus qu'indifférent sur ces mêmes principes, qui seuls pouvaient inculquer et donner au peuple cette patience et cet esprit de sacrifice qui doivent caractériser le bon citoyen et sans lesquels l’administration et la société sont moralement impossibles !

Or, c'est malheureusement, messieurs, en perdant trop souvent de vue ces principes sociaux, que la génération actuelle a été élevée en grande partie. Sans trop s'inquiéter des vertus du citoyen, l'on n'a souvent envisagé, avant tout, la science que comme un moyen de se procurer le plus de bien-être matériel possible.

Ainsi, messieurs, la constitution, les lois, les fonctionnaires ont beau s'écrier à cette génération : obéissez, honorez, respectez l'autorité ! Cette génération, dans son for intérieur, leur répond : « Mon intérêt matériel avant tout, cet intérêt, c'est ma vie, je ne connais que lui, je ne vous connais pas ou je ne vous connais qu'après lui. »

Et c'est, messieurs, à une époque semblable, lorsque la société pour ainsi dire toute entière est malade ; lorsque le mal s'est étendu jusqu'aux fonctionnaires eux-mêmes, qu'on ne craint point de nous présenter une proposition aussi irritante, qui, par ses résultats, serait sans doute subversive de l'une de nos premières institutions !

Mais ne voyez-vous pas que la nature du mal est telle qu'il existerait dans tous les cas et qu'en définitive vous n'auriez fait que vous créer de nouvelles difficultés et des embarras plus sérieux encore ?

Vous prétendez faire du pouvoir fort : mais considérez, je vous prie, avant tout l'état de cette société avec laquelle vous auriez peut-être une autre lutte à soutenir. Ce n'est point de nos jours avec des coups d'autorité, avec la force brutale, qu'on obtient une vraie soumission. Se concilier et diriger premièrement les esprits par l'ascendant moral et la persuasion, ménager l'autorité pour ne pas la compromettre ; la rendre respectable pour la faire aimer, telle devrait être le premier soin de l'administration dont la position, d'ailleurs, je dois l'avouer, est devenue aujourd'hui plus difficile.

Comme l'a proclamé naguère, dans une solennité, M. le ministre de l'intérieur lui-même, la supériorité intellectuelle ne suffit pas pour la société, il faut y joindre la supériorité morale. Le talent seul est insuffisant pour former le bon citoyen.

Je l'ai déjà dit, messieurs, dans de semblables occasions, souvenons-nous que, surtout au temps où nous vivons, à côté du désir d'améliorer est souvent le danger d'innover. Ce n'est donc qu'en gouvernant prudemment avec nos institutions existantes et telles qu'elles existent, ce n'est qu'en professant pour celles-ci un respect sincère, que l'administration du pays pourra aujourd'hui se montrer sage et véritablement forte.

En terminant, nous devons toutefois rendre ici hommage à la vérité. Nous sommes heureux de pouvoir le dire, la Belgique, malgré ses vicissitude, a toujours conservé et conserve encore des conditions de moralité supérieures à celles de la plupart des autres nations.

Je voterai contre le projet du gouvernement et celui de la section centrale.

M. de Nef. - Convaincu comme je le suis de la nécessité de faire un changement à la loi communale en ce qui concerne la nomination des bourgmestres, et de plus faisant partie de la section centrale, je crois devoir exprimer les motifs qui me portent à adopter le projet de loi tel que ladite section l'a ensuite amendé, parce que le temps a démontré l'inefficacité de la loi : Le défaut de l'expérience ne nous a pas fait prévoir en 1836 que le système actuel doit inévitablement amener les plus désastreux résultats ; il est impossible qu'un bourgmestre fasse exécuter les règlements de police, qu'il surveille l'entretien des chemins et cours d'eau, qu'il approuve ou désapprouve certains plans de bâtisse et qu'en un mot il s'acquitte consciencieusement des devoirs rigoureux qui lui sont imposés, sans qu'il se crée en même temps par là une foule d'inimitiés.

Que doit-il arriver de là ? c'est qu'un bourgmestre, aussitôt qu'il se sera aperçu de ce résultat, devra se demander s'il ne s'expose pas ainsi à être exclu du conseil, et dès lors si ce bourgmestre n'est pas doué d'une grande fermeté de caractère, il ne tardera pas à se relâcher dans l'exercice de ses fonctions et à devenir mauvais bourgmestre, de bon qu'il était auparavant.

Que si au contraire ce même bourgmestre a assez de force d'âme pour se mettre au-dessus de semblables appréhensions, il arrivera souvent et surtout dans les campagnes, que ce bourgmestre se verra exclu du conseil, précisément pour avoir scrupuleusement rempli la mission qui lui avait été confiée.

Les mots : en cas de motifs graves, qui se trouvent dans le projet ministériel, me paraissent devoir être supprimés, d'abord la nécessité d'exprimer ces motifs amènera inévitablement des récriminations de manière à troubler pour toujours la bonne harmonie qui devrait exister entre le bourgmestre et le conseil communal, et d'un autre côté je trouve même l'addition plus ou moins inconvenante, puisqu'on ne doit pas supposer que le gouvernement ira choisir le bourgmestre en dehors du conseil parmi les électeurs de la commune pour des motifs légers. Finalement je trouve encore également juste l'idée de n'accorder au bourgmestre qu'une voix consultative dans le conseil, lorsqu’il aura été nommé en dehors de son sein, tout en lui accordant néanmoins une voix délibérative dans le collège échevinal, quoique celui-ci ne soit en quelque sorte chargé que de l'exécution des lois et de délibérations du conseil.

M. Delfosse. - Messieurs, le gouvernement nous propose d'enlever aux électeurs un droit auquel ils attachent le plus grand prix, celui d'intervenir dans la nomination du premier magistrat de la commune.

Pour justifier une mesure aussi grave, y a-t-il des motifs suffisants ? La tranquillité publique est-elle compromise ? Le désordre est-il dans l'administration ? Non, messieurs, jamais pays ne fut plus tranquille que le nôtre, jamais les lois ne furent mieux exécutées.

« Une expérience de cinq années (nous dit M. le ministre de l'intérieur dans l'exposé des motifs) a révélé les inconvénients graves lui résultent, dans certaines circonstances, de l'application impérieuse du principe en vertu duquel le Roi est tenu de choisir le bourgmestre dans le sein du conseil. Il est constaté que, dans beaucoup de cas, les bourgmestres, dans l'exercice de leurs fonctions se montrent trop préoccupés de leur réélection et ne savent pas se soustraire à la crainte de mécontenter des électeurs influents ! »

Tels sont en substance les motifs que M. le ministre de l'intérieur donne à l'appui de son projet. Je commencerai par faire remarquer que ces motifs ne se concilient pas avec le résumé des rapports des administrations provinciales publié en 1841 par M. Liedts, alors ministre de l'intérieur. On lit à la page 43 de ce rapport le passage suivant, dont M. le ministre de l'intérieur ne nous a tantôt communiqué que la dernière partie :

« La plupart des députations permanentes se louent du zèle et de l'activité que les administrations communales déploient dans l'exercice de leurs difficiles fonctions ; on peut se féliciter avec d'autant plus de raison de ces heureux résultats, qu'en général la loi du 30 mars 1836 a amené au timon des affaires des hommes nouveaux, et que, dans les première temps, le dévouement a dû suppléer au marque de connaissances administratives.

« Dans les communes rurales, (ceci est la partie dont M. le ministre a donné lecture), il est parfois arrivé que la clause qui borne aux membres du conseil le choix des administrateurs communaux et le défaut de sujets convenables, ont rendu fort difficile l'exercice du droit de nomination. Les inconvénients qui doivent quelquefois résulter de cet état de choses sont palliés en partie par l'intelligence et l'instruction des secrétaires communaux. »

La lecture de ce passage fait voir que les inconvénients que M. Nothomb présente comme fort graves, le paraissaient beaucoup moins à M. Liedts, qui s'appuyait, lui, sur des documents officiels, publiés par les administrations provinciales, tandis que M. Nothomb ne s'appuie que sur des communications en quelque sorte confidentielles, puisqu'il ne se proposait pas d'abord d'en livrer les résultats à la publicité.

De quel coté est la vérité ? Est-ce du côté des administrations provinciales, écrivant confidentiellement au ministère qu'il y a des abus sérieux et fréquents, ou bien du côté des administrations provinciales déclarant dans un document imprimé qu'il n'y a que des abus rares et peu graves.

Nous pouvons, messieurs, recourir aux faits, pour lever le doute qui résulte de cette singulière divergence d'opinion. S'il y a eu des abus graves, si les collèges des bourgmestre et échevins, dominés, comme le dit M. Nothomb, par la crainte de mécontenter des électeurs influents, ont souvent failli à leur devoir, soit en mettant de la négligence dans l'exécution des lois et des règlements, soit même en refusant de les exécuter, s'ils ont pris des mesures contraires à l'intérêt général, le gouvernement aura sans doute fait un usage fréquent du droit, qui lui est donné par la loi, de révoquer ou de suspendre les bourgmestres et échevins négligents ou coupables et d'annuler leurs actes.

Savez-vous, messieurs, combien d'actes des collèges de bourgmestre et échevins ont été annulés depuis la mise en vigueur de la loi communale jusqu'au jour où le rapport de M. Liedts a été publié, c'est-à-dire depuis 1836 jusqu'en 1841 ? Un seul ! et encore c'était un acte louable au fond ; c'était un acte que l'on ne pouvait taxer ni de négligence ni de mauvaise volonté dans l'exécution des lois et des règlements. C'était la résolution que le collège des bourgmestre et échevins de la ville de Verviers avait prise de délibérer en public. Combien y a-t-il de bourgmestres et d'échevins révoqués ou suspendus dans la période du 1er juin 1839 au 1er juin 1840 ? Un seul bourgmestre a été révoqué, quatre seulement ont été suspendus ; pas un échevin n'a été révoqué, deux seulement ont été suspendus ; ces faits se sont passés dans les provinces de Limbourg et de Luxembourg.

Dans les autres provinces, il n'y a eu ni révocation, ni suspension. M. le ministre de l'intérieur n'objectera pas, sans doute, que le gouvernement ne peut révoquer ou suspendre un bourgmestre ou un échevin que de l'avis conforme et motivé de la députation permanente ; car le rapport de M. Liedts ne dit nullement que le concours des députations permanentes ait manqué sur ce point au gouvernement, et il est plus que probable que les administrations provinciales qui, selon M. le ministre, sont presqu'unanimes à signaler le mal et à réclamer des mesures propres à y mettre un terme, n'auraient pas refusé leur concours au gouvernement si celui-ci l'eût sollicité.

Vous voyez, messieurs, que les abus n'ont dû être ni bien graves ni bien multipliés, puisque le gouvernement a fait un si sobre usage des moyens que la loi lui donne pour les réprimer, c'est là un point qu'il faut admettre, à moins qu'on ne veuille dire que le gouvernement a failli à son devoir. Et alors c'est contre le gouvernement et non contre les administrations communales que nous devrions prendre des mesures.

Il est vrai que le gouvernement, ou plutôt des administrations provinciales ont fait un usage plus fréquent du droit moins extrême, qui est également donné par la loi, d'envoyer des commissaires spéciaux pour suppléer à l'inaction des administrations communales ; mais l'emploi de ce moyen, qui ne suppose d'ailleurs qu'une simple négligence de la part des administrations communales, prouve que le gouvernement n'est pas aussi désarmé qu'il veut bien le dire.

Je ne nie pas qu'il y ait quelques abus ; il y a quelquefois de la négligence de la part des administrations communales ; plus rarement il y a de la mauvaise volonté. Mais je nie que les abus soient aussi graves et aussi fréquents que M. le ministre voudrait le faire croire ; je nie surtout qu'ils soient tous imputables à la cause que M. le ministre indique.

J'ai fait partie d'une députation permanente pendant trois ans, et j'ai aussi quelque peu d'expérience en administration ; j'ai souvent vu que les embarras provenaient des choix peu judicieux que le gouvernement avait faits. Il est arrivé plus d'une fois, et cela arrivera encore, j'en suis sûr, que lorsqu'un conseil se composait en grande majorité d'hommes indépendants, opposés aux vues du ministère, peu disposés à le seconder dans les élections, on choisissait le bourgmestre et, autant que possible, les échevins dans la minorité. Ce n'était ni le plus capable, ni le plus actif qu'on choisissait ; c'était le plus dévoué. Il y a eu, messieurs, et il y a probablement encore des bourgmestres sachant à peine écrire, que dis-je, sachant à peine signer leur nom, placés en présence d'un conseil composé d'hommes éclairés et ayant une lutte continuelle à soutenir contre eux ; vous sentez, messieurs, combien d'embarras administratifs, combien de tiraillements, cet état de choses doit produire ; la position d'un tel bourgmestre ne paraît pas tenable ; car, comme l'a fort bien dit M. Nothomb, en 1836, quel est l'agent qu'il faut au Roi devant la représentation communale, provinciale, nationale ? C'est l'homme qui lui promet la majorité ; à cette condition l'on est ministre, gouverneur, bourgmestre. Le jour où l'on viendra dire au Roi : tel bourgmestre a contre lui la majorité du conseil communal, tel gouverneur a contre lui la majorité du conseil provincial, tel ministre a contre lui la majorité parlementaire, ce jour-là chacun de ces agents se sera rendu impossible par ce fait même, par le cours naturel mais irrésistible des choses, qui partout porte le pouvoir là où est la majorité.

Malgré ces belles paroles de M. Nothomb, j'ai vu, messieurs, des bourgmestres qui étaient peu capables et peu actifs et qui avaient contre eux la majorité du conseil, se maintenir dans leurs fonctions avec l'appui du gouvernement, au grand préjudice de la commune, et je puis dire que deux ou trois communes qui se trouvaient dans ce cas ont donné plus d'embarras à la députation dont je faisais partie que toutes les autres communes de l'arrondissement réunies. Il y avait tous les jours quelque différend sur lequel nous étions appelés à prononcer, et nous devions souvent y envoyer des commissaires spéciaux.

Convenez, messieurs, qu'il serait étrange que le gouvernement fît naître des abus, et qu'il vînt ensuite argumenter de ces mêmes abus pour étendre ses prérogatives aux dépens des libertés communales.

Les électeurs font en général un usage intelligent du droit de choisir leurs magistrats municipaux ; quelques hommes parviennent sans doute à obtenir leurs suffrages, sans les avoir mérités ; mais il est rare que la composition d'un conseil communal soit telle que le gouvernement ne puisse y trouver un bourgmestre et des échevins dignes de sa confiance.

M. le ministre de l'intérieur en convient lui-même, puisqu'il dit, dans l'exposé des motifs, que les cas où le gouvernement sera amené à choisir le bourgmestre en dehors du conseil seront nécessairement très rares.

C'est donc pour remédier à un petit nombre d'abus peu graves, pour la répression desquels la loi lui a donné trois moyens efficaces : le droit de révoquer et de suspendre, le droit d'annuler et le droit d'envoyer des commissaires spéciaux, que le gouvernement nous demande d'ôter aux électeurs la faible part d'intervention que la loi de 1836 leur avait laissée dans la nomination des bourgmestres ?

On concevrait cette prétention jusqu'à un certain point, si le gouvernement pouvait démontrer qu'il ne fait jamais que de bons choix, que les personnes investies de sa confiance conviennent toutes à l'emploi qui leur est donné et s'en acquittent à la satisfaction générale. Mais l'expérience n'a que trop prouvé le contraire ; plus d'une fois, en apprenant la nomination d'un fonctionnaire et même celle d'un ministre, chacun de nous s'est rappelé involontairement le mot de Figaro : Il fallait pour cette place un calculateur ; ce fut un danseur qui l'obtint ; il est d'ailleurs facile d'établir que le remède proposé serait pire que le mal.

Selon M. le ministre, le gouvernement sera rarement amené à faire usage de la prérogative qu'il réclame ; c'est aussi l'avis de M. le rapporteur de la section centrale, qui pense que « la meilleure garantie du choix restreint dans les justes limites de cas exceptionnels consiste dans l'influence dont le bourgmestre a besoin pour remplir convenablement son mandat. »

Ce sont là des promesses fort rassurantes, mais on ne sait que trop que les actes de MM. les ministres ne sont guère conformes à leurs promesses. Je vous ai cité des faits qui prouvent que le gouvernement préfère quelquefois l'homme dévoué à l'homme capable, l'homme de la minorité à l'homme de la majorité, et vous pouvez être sûrs que ces faits se représenteront souvent.

M. le ministre de l'intérieur n'a-t-il pas avoué tantôt avec une naïveté que j'ai admirée, que le but principal du projet était de maintenir dans leurs fonctions les bourgmestres que les électeurs pourraient repousser aux prochaines élections ; singulière aberration d'un ministre qui pense qu'un homme convient au pouvoir justement parce qu'il déplaît aux électeurs ?

Vous pouvez en être sûrs, messieurs, chaque fois que, dans une commune, quelque créature du commissaire d'arrondissement, ou quelque grand seigneur ayant du crédit en cour aura été écarté du conseil, ou n'aura pu s'y introduire, on trouvera que les électeurs sont des factieux, que le conseil est mal composé, et la créature du commissaire d'arrondissement ou le grand seigneur ayant du crédit en cour sera élu bourgmestre. Vous sentez combien ce bourgmestre, repoussé par les électeurs, imposé au conseil, sera odieux à la commune. Vous sentez par combien de petites vexations il cherchera à se venger de l'échec qu'il aura subi. M. le ministre a raison ; celui-là ne craindra pas de mécontenter les électeurs influents ; mais ne trouvez-vous pas, messieurs, qu'un bourgmestre qui a intérêt à ménager les électeurs, qui a des rapports de bienveillance avec ses administrés, vaut beaucoup mieux qu'un bourgmestre qui les tracasse continuellement ? cela vaut mieux pour le gouvernement lui-même, qui peut difficilement rester populaire dans une commune où son principal agent est détesté. « Les gouvernements (disait l'honorable abbé de Foere) s'affaiblissent lorsqu'ils s'arrogent un excédant de force.

« Dans tous les cas dans lesquels le gouvernement ne règle pas son choix sur les préférences de la commune, il s'attire gratuitement la désaffection de la commune, et ainsi de commune à commune, il parvient à s'affaiblir dans l'opinion générale. »

M. le ministre de l'intérieur n’aime pas, et je le conçois, que les bourgmestres aient intérêt à ménager les administrés, mais il trouve fort bon, et je le conçois encore, qu'ils aient intérêt à ménager les ministres ; il veut bien que les bourgmestres se préoccupent de leur réélection, lorsqu'ils doivent l'attendre du gouvernement, mais non lorsqu'ils doivent l'attendre des électeurs.

Cette pensée, qui, je l'espère, messieurs, ne sera pas la vôtre ; car vous n'oublierez pas que c'est aux électeurs que vous devez d'être ici ; vous ne voudrez pas tourner contre eux l'arme qu'ils vous ont confiée pour leur défense ; cette pensée, dis-je, révèle toute la portée du projet ; le projet a un côté administratif et un côté politique ; le côté administratif n'est rien, le côté politique, dont M.. le ministre a eu soin de ne pas vous parler, est tout.

Je crois que le gouvernement n'usera que trop souvent de la faculté de choisir le bourgmestre en dehors du conseil ; mais il en userait bien plus souvent encore si la loi ne produisait pas l'effet moral sur lequel M. le ministre de l'intérieur avoue naïvement qu'il compte.

Savez-vous, messieurs, quel est cet effet moral ? C'est la crainte que les bourgmestres choisis dans le conseil auront d'être écartés. Le gouvernement, qui n'eût pas trouvé dans le conseil un homme assez vil pour prendre la place d'un fonctionnaire intègre et respecté, en trouverait peut-être un en dehors du conseil : cette crainte, du moins M. le ministre l’espère, rendra beaucoup de bourgmestres plus dociles ; on pourra en faire d'excellents agents électoraux .

Le gouvernement, messieurs, n'a déjà que trop de moyens d'influence dans les élections, et il ne se fait pas faute d'en user, il a des emplois, des honneurs, des subsides, des canaux, des routes et bien d'autres choses encore à sa disposition. Si vous ajoutez à tout cela la nomination des bourgmestres, vous viciez le gouvernement représentatif à sa source.

Cet avertissement que je vous donne, vous a déjà été donné en 1836 par un homme dont la parole a de l'autorité dans cette enceinte.

« Les places de bourgmestres et d'échevins (disait l'honorable M. Fallon) sont des places de faveur ; elles seront recherchées, et trois favoris de plus dans chaque commune, et surtout dans les petites communes qui sont les plus nombreuses, pourront aider beaucoup à débarrasser au besoin le terrain de la représentation nationale, de tout ce qui pourrait par trop gêner ses mouvements (les mouvements du gouvernement).

« C'est là, n'en doutez pas, le plus beau côté de ce système pour le gouvernement, et je crains bien, si l'on insiste, qu'il ne finisse par délaisser le fruit de ses nombreuses méditations et rompre avec ses dernières convictions, pour accepter ce mode de transaction. »

Cette prophétie de l'honorable M. Fallon s'est réalisée.

Vous voyez, messieurs, que l'intervention du gouvernement dans la nomination des bourgmestres et des échevins, bien qu'ils dussent être pris dans le conseil, inspirait des craintes sérieuses à l'honorable M. Fallon ; que sera-ce aujourd'hui que l'on demande pour le gouvernement le droit de nommer le bourgmestre même en dehors du conseil, tout en laissant intacte son intervention dans la nomination des échevins ?

Messieurs, cet avantage que M. le ministre de l'intérieur trouve dans son projet, et je puis dire que c'est le seul qu'il y trouve, est justement ce qui doit vous le faire repousser. Le gouvernement représentatif n'est bon qu'autant qu'il est une vérité, et qu'il permet de remédier aux abus par les voies légales ; il y a beaucoup d'abus qui paraîtraient intolérables et que l'on supporte patiemment parce que l'on se dit qu'ils auront un terme, un terme prochain ; si vous détruisiez cet espoir, si vous fermiez les voies légales en rendant l'action du gouvernement trop puissante, en lui donnant les moyens de corrompre les collèges électoraux, vous feriez du gouvernement représentatif le plus détestable des gouvernements, vous exposeriez le pays aux plus grands dangers.

J'ai dit, messieurs, que le côté politique du projet était tout, que le côté administratif n'était rien. En effet, que voulez-vous que fasse un bourgmestre choisi en dehors du conseil ? Mal accueilli par les membres du conseil, qui regarderont sa nomination comme un acte d'hostilité contre eux, mal accueilli par les échevins qu'il aura fallu prendre dans le conseil et qui auront les mêmes attributions que lui, il se trouvera sans aucune espèce d'influence ; seul contre deux ou quatre échevins, il ne pourra rien « pour l'exécution des lois et règlements sur les chemins vicinaux, sur la police, sur la fermeture des cabarets, sur la chasse, sur la milice, la garde civique, en un mot, pour l'exécution de toutes les dispositions législatives ou réglementaires qui imposent des charges aux administrés électeurs. »

La préoccupation électorale, qui, selon M. le ministre, est un obstacle à l'exécution des lois et des règlements, continuera à faire sentir ses pernicieux effets, et l'on aura encore aggravé cet état de choses en introduisant la discorde au sein de l'administration communale.

Ecoutez ce que l'honorable comte Vilain XIIII disait en 1836 : « Personnage sans vote et aussi sans influence réelle dans la commune (l'honorable membre parlait du bourgmestre nommé en dehors du conseil), espèce de comparse administratif, devant tantôt exécuter de par le conseil des délibérations qu'il désapprouve, tantôt de par le Roi ou les états de la province, des mesures odieuses à son conseil ou à ses concitoyens.

« Croit-on corriger l'abus en plaçant à la tête de ce même conseil un administrateur, nommé, il est vrai, par le Roi, mais qu'on laisse sans vote et entièrement isolé, puisque ses échevins mêmes tiennent leur mandat d'une autre origine ; on veut faire le pouvoir fort et on le montre désarmé, on veut détruire les ligues communales, et on ne fera que les organiser plus compactes contre la personne unique du chef de l'administration. »

Si M. le ministre de l'intérieur voyait dans son projet autre chose que le côté politique, s'il y voyait le côté administratif, il serait le premier à en reconnaître l'insuffisance. Il ne se bornerait pas à vouloir la nomination du bourgmestre en dehors du conseil ; il voudrait en outre pour ce bourgmestre des attributions spéciales, une action indépendante de celle des échevins, ou bien, si l'on ne touchait pas aux attributions, il voudrait aussi la nomination des échevins en dehors du conseil. Alors M. le ministre serait conséquent ; alors le projet serait rationnel et efficace.

On peut même dire qu'il y aurait là une double amélioration, dans le sens du pouvoir ; amélioration sous le point de vue administratif, et amélioration sous le point de vue politique. Pourquoi donc M. le ministre ne la propose-t-il pas ? Probablement parce qu'il trouve qu'il y aurait trop de danger à passer brusquement d'un régime à l'autre, d'un régime de liberté à un régime de pouvoir fort ; M. le ministre, en homme habile, ou du moins en homme qui se croit habile, veut ménager la transition...

En 1830, on donnait les libertés à pleines mains ; le pouvoir central n'intervenait en aucune manière dans le choix des magistrats municipaux ; le peuple avait seul le droit de les nommer.

En 1834, 1835 et 1836, époques où la loi communale fut discutée, les idées avaient déjà pris une autre direction. La plupart de ceux que le peuple avait élevés (et ce n'est pas ce qu'il avait fait de mieux) trouvaient que le pays avait une trop forte charge de libertés. La démocratie, pour me servir de l'expression de M. Royer-Collard, coulait à pleins bords ; il fallait tarir quelques-unes des sources qui l'alimentaient.

Les uns proposèrent de laisser aux électeurs la nomination des échevins, mais de conférer au Roi le choix du bourgmestre, en donnant à ce dernier des attributions spéciales ; d'autres proposèrent de ne rien changer aux attribuions, mais de confier au Roi la nomination du bourgmestre et des échevins dans le sein du conseil.

Une opposition très vive éclata contre la première proposition qui était formulée dans le projet de loi présenté, en 1836, par M. de Theux, alors ministre de l'intérieur ; la seconde, à laquelle le gouvernement s'était rallié dans le cours de la discussion, fut adoptée à une assez forte majorité.

Beaucoup d'honorables membres qui siègent encore dans cette enceinte prêtèrent l'appui de leur parole à ce dernier système, qui leur paraissait de nature à concilier tous les intérêts par la double intervention du Roi et des électeurs dans la nomination du bourgmestre et des échevins. Permettez-moi, messieurs, de vous lire quelques courts extraits de discours prononcés à cette époque.

Voici ce que disait l'honorable M. Dechamps :

« Il y aura toujours dans la commune des intérêts généraux et des intérêts locaux ; ces intérêts sont distincts, il est vrai, mais souvent ils se confondent, s'agencent de manière à ce qu'il soit difficile d'indiquer la ligne qui les sépare ; si ce fait existe, il me paraît clair que le système qui y correspond le mieux est celui qui établit, dans le mode de nominations et d'attributions, ce principe de fusion et d'homogénéité que la nature des intérêts communaux consacre.

« Je veux bien l'intervention du Roi dans la nomination des échevins, mais je veux positivement que le Roi nomme le bourgmestre dans le sein du conseil. »

Voici ce que disait l'honorable M. de Behr :

« Je me rallierai donc à la proposition de l'honorable M. Desmet, parce qu'elle me semble concilier tous les intérêts par le double mandat que doit avoir chacun des membres composant le collège, y compris le bourgmestre. »

Voici ce que disait l'honorable M. Raikem :

« Dans le projet du gouvernement il y aura de fréquents conflits d'attributions entre le bourgmestre et les échevins.

« Le système auquel j'accorde la préférence est celui d'un collège dont les membres seront nommes par le Roi dans le sein du conseil, c'est pour ce système que j'ai voté la première, la deuxième et la troisième fois.

« Par là le pouvoir exécutif dans la commune n'est confié qu'à des fonctionnaires qui ont reçu une marque de la confiance de leurs concitoyens ; le choix du gouvernement est éclairé par le suffrage des électeurs.

« Parmi les différents systèmes, celui qui offre le moins d'inconvénient et présente le plus d'avantages est, dans mon opinion, celui qui tend à faire nommer les bourgmestre et échevins par le Roi dans le sein du conseil. »

Voici ce que disait l'honorable M. de Theux, alors ministre de, l'intérieur :

« Il faut une action collective dans laquelle les administrés trouvent plus de garanties et qui fasse peser sur plusieurs la responsabilité ; à cette condition seule le bourgmestre peut être soumis à l'élection.

« L'un et l'autre système peuvent présenter des garanties pourvu qu'ils ne soient pas mutilés ; pourvu que, conformément à notre projet, le choix du bourgmestre soit complètement libre, pourvu qu'il ne soit pas soumis à la censure des électeurs (et remarquez bien, messieurs, que d'après ce projet, le choix des échevins était laissé aux électeurs), ou pourvu que, si on le prend dans le sein du conseil, on lui adjoigne alors pour collègues des échevins qui, nommés avec lui par le Roi, partageront la responsabilité de l'administration et formeront ainsi une autorité collective. »

Un peu plus tard, le même ministre disait au sénat :

« Le système qui a prévalu est celui qui était réclamé comme le plus adapté à nos usages, à nos habitudes et aux mœurs du pays ; aussi a-t-il été accueilli avec faveur. Sous ce rapport, nous ne pouvons que nous féliciter que la chambre des représentants soit revenue au système adopté par le sénat.

« Un honorable préopinant, M. de Robiano, craint que la loi communale ne donne trop de force au gouvernement ; Je crois au contraire que cette loi équilibre autant que possible l'intérêt communal et l'intérêt général. »

Vous voyez, messieurs, que le système que l'on trouve aujourd’hui si défectueux, et auquel on veut renoncer après une courte expérience (car, qu'est-ce qu'une expérience de cinq années dans la vie des peuples), après un seul essai ; que ce système, dis-je, ne manquait pas il y a six ans d'éloquents défenseurs, même dans le côté droit de cette chambre. D'autres, en trop petit nombre, demandaient, avec une énergie dont le pays gardera le souvenir, le maintien des libertés communales conquises en 1830. D'autres, en petit nombre aussi, en voulaient la ruine presque complète, partisans qu'ils étaient d'une centralisation forte ; la chambre rejeta ces deux opinions qu'elle considérait comme extrêmes. Mais un point qu'il ne faut pas perdre de vue, et sur lequel j'appelle toute votre attention, c'est que la fraction de la majorité qui avait d'abord demandé pour le Roi la nomination du bourgmestre même en dehors du conseil, reconnaissait que dans ce cas la nomination des échevins devait rester aux électeurs ; ce fut par forme de transaction qu'elle accepta la double intervention du Roi et des électeurs dans la nomination du bourgmestre et des échevins.

Aujourd'hui que la réaction contre les idées de 1830 a fait un peu plus de progrès, on veut bien encore de la transaction en ce qu'elle a de favorable au pouvoir, mais on n'en veut plus en ce qu'elle a de favorable aux électeurs. On ne veut plus qu'ils interviennent dans la nomination du bourgmestre pendant que le Roi continuerait à intervenir dans celle des échevins.

On n'ose pas encore demander que les bourgmestres nommés par le Roi en dehors du conseil aient des attributions spéciales ; qu'ils soient seuls chargés de l'exécution des lois et des règlements, mais nous ne perdrons rien pour attendre.

Lorsque le gouvernement sera parvenu, à l'aide de la prérogative qu'il réclame, à déblayer la représentation nationale de tout ce qui pourrait par trop gêner ses mouvements, il viendra dire à la chambre que l'on a pris une mesure incomplète, inefficace, en donnant au Roi la faculté de choisir le bourgmestre en dehors du conseil ; que le bourgmestre ainsi nommé n'a aucune espèce d'influence, qu'il n'est d'aucun secours au gouvernement ; qu'il faut de toute nécessité ou bien investir ce bourgmestre d'attributions fortes qui lui donnent un pouvoir réel, ou bien conférer aussi au Roi la faculté de choisir les échevins en dehors du conseil. Et la représentation nationale déblayée, comme je viens de le dire tout à l'heure d'après l'honorable M. Fallon, n'aura rien à refuser à un ministre qui lui fera entendre un langage si conforme à ce qu'elle regardera comme ses bons principes.

Croyez-vous, messieurs, que si on en venait là, la démocratie cesserait de couler à pleins bords ? Ne vous y trompez pas ; on aurait tari quelques-unes de ses sources ; mais la source principale, celle qui vit dans le cœur des populations, est intarissable ; elle ne coulerait plus à pleins bons ; elle déborderait, justement parce qu'on l'aurait comprimée ; elle pourrait faire une ruine de notre beau pays. ,

Que les enseignements de l'histoire ne soient pas perdus pour nous ; n'oublions pas que nos ancêtres ont soutenu des luttes longues et sanglantes pour le maintien de ces mêmes libertés qu'on voudrait nous enlever. M. le ministre, en niant ce point, a montré une grande ignorance de l'histoire ; je laisserai à d'honorables collègues le soin de rectifier les erreurs dans lesquelles il est tombé en parlant de leur province ; mais je puis dire que nous, Liégeois, nous avons lutté pendant cinq siècles pour obtenir ou conserver le droit de nommer nos bourgmestres ; nous n'avons été dépouillés de ce droit que sous un prince ramené dans ses Etats par une armée étrangère, et nous aurions le même malheur à craindre, après la révolution de 1830, sous un Roi librement élu ! Non, non, cela est impossible.

Amis de l'ordre, amis de notre pays, quelle que soit la couleur de notre drapeau, unissons-nous pour repousser les tentatives révolutionnaires de M. le ministre de l'intérieur.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.