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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 27 mai 1842

(Moniteur belge n°148, du 28 mai 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l'appel nominal à 1 heure et quart.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Wadeleux, notaire, demande que moyennant l'augmentation du traitement des greffiers des justices de paix, ces fonctionnaires ne puissent plus procéder à des ventes publiques de meubles, ni s’occuper d'autres affaires qui n'ont aucun rapport direct avec les attributions de la justice de paix. »

- Sur la proposition de M. Huveners, cette pétition est renvoyée à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur l'augmentation des traitements de l'ordre judiciaire.


« Le conseil communal et des habitants de Noiseaux demandent que cette commune continue à faire partie du canton de Rochefort. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur la circonscription cantonale.


« Quelques fabricants de papier renouvellent la demande qu'ils ont adressée à la chambre, afin d'obtenir réciprocité de droits sur l'entrée des papiers étrangers et exemption de droits à l'importation des toiles métalliques et des draps feutres. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les magistrats composant le tribunal civil de Huy demandent que ce tribunal obtienne une place plus avantageuse dans le classement des tribunaux. »

M. Vandensteen. - Messieurs, par cette pétition les membres du tribunal de la ville d'Huy demandent que ce tribunal soit placé dans une classe supérieure à celle qu'il occupe actuellement.

Les pétitionnaires établissent, d'une part, en produisant des documents statistiques, combien ce tribunal est important, de l'autre, combien est coûteuse pour les habitants de cette localité l'existence journalière.

Je demande donc que la pétition soit renvoyée à la section centrale qui sera chargée de l'examen du projet de loi relatif aux traitements des membres de l'ordre judiciaire. Je suis persuadé que cette section appréciera combien la demande des pétitionnaires est fondée, et qu'elle proposera à la chambre d'y faire droit.

- La proposition de M. Vandensteen est adoptée.


M. Demonceau écrit à la chambre qu'il se trouve pour le moment dans l'impossibilité d'assister à ses séances, à cause de la maladie grave de l'un de ses enfants.

- Pris pour information.

Projet de loi apportant des modifications à la loi communale, en ce qui concerne les bourgmestres

Discussion générale

M. Verhaegen. - Messieurs, comme en 1836, deux honorables membres de cette chambre, MM. Dumortier et Doignon ont a fait un appel à toutes les opinions pour défendre les libertés communales si fortement compromises. C'est là la meilleure réponse au discours de l'honorable M. Vandensteen, qui n'a voulu voir dans cette discussion qu'une affaire de parti.

Dans cette grave question, messieurs, tout esprit de parti s'efface. Nous tous, libéraux et catholiques, nous devons nous prêter un mutuel appui pour arrêter à temps la réaction contre-révolutionnaire qui déjà se montre menaçante. Soyons unis pour combattre les tentatives liberticides du gouvernement, et ne formons qu'une seule opinion, celle du pays, celle de la nationalité et de a l'indépendance.

Je sais bien que le ministère aurait voulu encore aujourd’hui nous diviser en deux camps, nous attirer sur un terrain sur lequel il nous a attirés quelquefois pour mieux régner. Cette position, nous nous sommes bien gardés de l'accepter. S'il faut en croire certains bruits, le ministère, dans des démarches extra-parlementaires, aurait présenté la loi à quelques-uns comme une arme formidable dont ils pourraient se servir au mois d'octobre prochain, à quelques autres comme un moyen gouvernemental pour consolider le pouvoir qui devait leur échoir un jour, et certains de nos amis s'étaient laissé éblouir par cette tactique, mais bientôt ils se sont détrompés.

L’appât offert par M. le ministre de l'intérieur à ceux auxquels il s'était adressé en première ligne, n'avait pas eu le résultat qu'il en attendait, et pour détruire l'objection d'un changement de cabinet qui n'est pas impossible dans un temps plus ou moins éloigné, il fit la proposition de nommer les bourgmestres à vie ou, ce qui revient au même, sans terme.

Les honorables membres de cette chambre qui, en d'autres circonstances, ne partagent pas nos opinions, ne se laisseront pas prendre à ce nouveau piège ; que la nomination soit à vie, qu'elle soit à terme, la mesure proposée par le ministère ne leur présente pas plus de garantie qu'à nous ; ce que le pouvoir ferait aujourd'hui, un autre pouvoir pourrait le faire de même, et la mesure qu'on veut faire sanctionner par la chambre pourrait devenir très dangereuse à ceux-là même à qui on la présente comme un avantage.

Croyez-le, messieurs, je vous en conjure, tous les intérêts doivent se confondre pour ne faire qu'un seul et même intérêt, celui du pays ; encore une fois, tout esprit de parti s'effacer, nous avons un but commun à atteindre. De quoi donc s'agit-il ? S'agit il d'une question purement administrative ? Non, messieurs, c'est encore là un subterfuge ; il s'agit d'une question politique, au plus haut degré : on veut saper par leur base toutes nos libertés ; on veut non seulement enlever aux communes toute intervention dans le choix de leurs bourgmestres, mais encore donner au gouvernement le droit de révoquer et suspendre ces magistrats, même sans l'intervention des députations permanentes ; déjà on suspecte les députations, car avant la loi qui nous est proposée un bourgmestre ne pouvait être suspendu ni révoqué que sur l'avis de la députation permanente. Aujourd'hui on n'a plus de confiance dans ces avis ; on les rejette.

On touche aussi aux conseils communaux ; on n'a plus confiance dans ces conseils ; on veut l'approbation de leur budget par le gouvernement ; on touche à toutes leurs attributions ; on touche aux attributions des échevins ; enfin, on touche à la position des secrétaires pour les mettre dans la dépendance du gouvernement ; on touche à tout l'édifice qu'on a construit avec tant de peine en 1836 ; et M. le ministre, qui paraît s'effrayer, mais un peu tard, du système où il s'est engagé, aura beau ne pas faire siennes les diverses propositions qui ont surgi dans cette enceinte et se borner à les appuyer de son vote, pour moi, ce principe qui sape la base de nos franchises communales, se trouve dans la proposition même de M. le ministre de l'intérieur, qui attribue au Roi la nomination des bourgmestres hors du conseil.

La question qui s'agite en ce moment a tant de gravité, peut entraîner des conséquences si déplorables pour les libertés du pays et pour la nationalité, si intimement liée à ces libertés, que je croirais faire acte de mauvais citoyen si je me permettais de détourner votre attention de ce débat lui-même, pour suivre M. le comte de Mérode sur le terrain des personnalités.

Je me borne à dire que je n'ai rien à désavouer, ni à rétracter dans ma conduite, dans mes actes, dans mes opinions, et n'ai à prendre de personne des leçons de sincérité, de loyauté, de patriotisme.

Si je ne suis pas l'un des promoteurs de la révolution de 1830, je ne crains pas le reproche ou d'être un transfuge tournant contre elle les armes qu'elle m'aurait confiées pour sa défense, ou d'être un homme du lendemain venant lui demander des places, des titres ou des cordons.

Si je n'ai pas pris de part active à cette révolution, c'est que déjà j'entrevoyais pour ma patrie le sort qui la menace et si éloquemment indiqué hier par les honorables MM. Delehaye et Dumortier, celui de sacrifier ses intérêts matériels sans assurer le triomphe des intérêts moraux.

C'est que déjà je craignais que cette révolution, qui devait bouleverser un trône, attirer sur notre patrie des pertes et des périls de toute espèce, ne fût pour les uns qu'un piédestal pour monter aux premières positions de l'Etat, et que sais-je, rêver peut-être le diadème ; pour d'autres, un instrument de domination, sauf à renier, après la victoire, cette même révolution et les doctrines qui l'avaient provoquées et les principes qu'elle aurait proclamés, et les promesses fallacieuses qu'elle aurait faites au jour du danger.

Messieurs, je n'ai ni contribué à la révolution ni cherché à l'empêcher, à la faire échouer, soit par des intrigues, soit par des circulaires ; je ne devais rien au roi Guillaume, je figurais même sous son règne dans les rangs de l'opposition, pour combattre des abus réels, mais je ne croyais pas à la sincérité de tous les bommes qui s'empressaient de démolir, sans même savoir ce qu'ils auraient mis à la place ; ennemi d'ailleurs de toute commotion, je me suis abstenu, et je m'en félicite.

La révolution faite, je l'ai considérée comme un fait accompli. J'ai accepté franchement et loyalement la constitution qu'elle a produite et la dynastie qu'un dernier scrutin électoral a mise sur le trône de Belgique, pour montrer par ce symbole non équivoque qu' elle doit être la base du nouvel édifice de la nationalité belge ; et permettez-moi, messieurs, de le dire, si les projets qui vous sont soumis étaient malheureusement adoptés, si les communes venaient à être privées de leurs franchises, et si le principe électif pour la représentation nationale était faussé ; si les conditions de l'union de 1830 étaient violées, si le régime hollandais devait renaître avec ses inconvénients sans ses compensation, ah !que de citoyens honorables, qui ont exposé leur vie pour la révolution, auraient à regretter d'avoir été dupes d'une aussi cruelle mystification, d'avoir attiré sur leur patrie les maux du présent et les dangers de l’avenir.

Oui, messieurs, c'est une question toute nationale, une question qui se rattache au caractère du peuple belge que celle qui est soumise en ce moment à votre appréciation.

La liberté communale est la première de toutes les libertés d’un peuple, c'est elle qui fait sa force, son énergie, sa sagesse ; c'est à elle que la Belgique a dû sa prospérité au moyen âge, c'est à elle qu’elle devra sa durée et sa puissance. C'est donc vainement que le ministère cherche à détruire une institution que le pays veut conserver. M. de Theux, lui-même, disait, il y a peu d'années que cette liberté est inhérente à nos mœurs, passée dans nos usages.

C'est dans la commune que réside la force des peuples libres. Nous sommes libres, mais nous avons besoin d'être forts ; c'est pour cela que le législateur doit repousser un système qui ne veut rien moins que notre asservissement.

Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science. Ce sont les institutions communales qui mettent la liberté à la portée du peuple, qui lui en font goûter l'usage paisible et l'habitude de s'en servir. Il serait injuste de concentrer la liberté dans les régions supérieures et de l'arracher à ceux qui, au prix de leur sang, en ont jeté les premiers fondements.

C'est, entre autres, pour les franchises communales que le peuple a combattu dans les journées de septembre.

Et lorsque, pour prix de la victoire, ces franchises lui ont été rendues, lorsqu'il en a joui pendant 12 ans, on veut inopinément et sans raison les lui retirer. On veut le déposséder, car il est en possession depuis le premier acte du gouvernement provisoire, et, ne l'oubliez pas, messieurs, il est mille fois plus difficile de ravir à un peuple des libertés dont il jouit que de lui refuser des libertés nouvelles. Les tentatives que mettent à découvert les projets de loi compromettent, à plus d'un titre, la nationalité. L’esprit de démolition, qui se révèle tout à coup avec tant de hardiesse, c'est la guerre ouverte contre toutes nos libertés, contre nos institutions constitutionnelles, c'est le début d'une réaction contre-révolutionnaire, qui ne s'arrêtera pas à la commune.

« L’atteinte portée contre la loi communale, disait M. Malou dans une séance précédente, est une menace indirecte contre la constitution ; chez une nation jeune encore, où la constitution et les lois organiques qui s'y rattachent si étroitement n'ont pas encore reçu la consécration du temps, que faisons-nous ? Une loi à peine exécutée, nous voulons la remanier, la perfectionner, nous ne tenons compte que de ses inconvénients, nous ne laissons rien de stable parmi nous : ainsi, hier il s'agissait de la réforme électorale, aujourd’hui nous discutons la loi organique des communes, demain peut-être il s'agira de la réforme de la constitution. »

En entendant ces dernières paroles, je me rappelai avoir lu quelque part cette phrase sans doute assez significative : Un jour la constitution sera révisée dans un esprit diamétralement opposé à celui qui en dicta les principales dispositions.

Je la retrouvai depuis dans ce même écrit périodique qui, la semaine dernière encore, attaquait nos institutions provinciales, et qui proclamait la nécessité de les réviser. Si une tentative aussi insensée que celle qui se révèle de toute part n'est réprimée par tout ce qu'il y a d'hommes sages dans la chambre, toutes nos institutions sont remises en question ; la Belgique, qu'on croyait rassise après tant de fatigues, est livrée aux démolisseurs de toute espèce ; la constitution déjà tremble sur sa base.

Et voyez, messieurs, je vous en conjure, à quels dangers nouveaux on expose la Belgique, à peine constituée.

Trois partis étaient naguère en présence :

Le parti républicain ; le parti orangiste ; le parti unioniste français. Il ne s'agit plus ici de catholiques et libéraux, il s'agit de toute autre chose ; le premier ne comptait guère de partisans, et il n'est plus même représenté dans cette enceinte.

Notre constitution, la plus libérale du monde, répondait à toutes les exigences, elle avait sanctionné les principes de la république avec les formes monarchiques. Comme je vous l'observais dans une précédente séance, c'est M. Nothomb, en parlant de la sagesse du peuple, lui-même peuple, qui l'a écrit dans son ouvrage, qui nous l'a répété dans ses discours.

L'opinion républicaine devait donc être satisfaite.

En 1836, on a porté une première atteinte aux principes proclamés en 1831, en ce qui concerne les libertés communales.

Car, ne nous le dissimulons point, l'élection directe, par le peuple, des bourgmestres et échevins, c'est le principe de la république.

La nomination de ces magistrats municipaux hors du sein du conseil, c'est l'absolutisme au plus haut degré, c'est le principe tout à fait opposé.

La nomination par le Roi dans le sein du conseil, c'est la monarchie tempérée, c'est le principe que vous avez admis en 1836.

Ces distinctions nous les trouvons établies dans les discours des orateurs français lors de la discussion de la loi de 1831.

Les paroles de M. Montalembert, à la chambre des pairs, sont surtout remarquables ; M. le comte de Mérode ne récusera sans doute pas cette autorité.

M. le comte Montalembert établissait la distinction, que je viens de faire ; il trouvait bon le projet basé sur le principe de la monarchie tempérée ; mais il aurait voulu plus, il aurait voulu le principe de l’élection directe par le peuple.

« Je le répète, disait-il, et je le répéterai toujours, il n’y a de salut pour la France, surtout depuis la révolution de juillet, que dans l’appui des masses ; mais, pour avoir cet appui, il faut leur donner une large intervention dans l’administration de leurs intérêts locaux.

« Le projet est très bon, mais il est bien loin de satisfaire aux exigences du moment. »

M. de Mérode qui, à cette époque, partageait les opinions de M. Montalembert, trouve aujourd’hui que les libertés dont on a gratifié le peuple sont dangereuses à la France.

Qu’aurait dit M. de Montalembert s’il avait parlé de la Belgique, peuple infiniment plus sage, de l’aveu de tous, de sa constitution dix fois plus libérale que la charte française, puisque l’article 25 proclame que tous les pouvoirs émanent de la nation.

Le congrès national a voulu satisfaire toutes les opinions, étouffer tous les partis ; il a satisfait d’abord les partisans de la république, en consacrant des principes républicains sous les formes monarchiques.

En dépassant la limite de 1836, en retournant à l’absolutisme dans le principe de la nomination des officiers municipaux hors du conseil, vous faites naître de nouveaux prétextes, vous encouragez de nouvelles exigences.

Le parti orangiste avait fait son terme ; les plus chauds partisans du gouvernement déchu s’étaient ralliés ; le Belge a assez de patriotisme pour sacrifier ses intérêts matériels aux intérêts moraux ; il voyait s’ouvrir devant lui une ère de libertés, il avait foi dans la réparation des griefs, que l’on avait reprochés, à juste titre, au roi Guillaume.

Pour étouffer cette opinion jusque dans son germe,, que devait faire le gouvernement ?

Inspirer au peuple une pleine et entière confiance, s'appuyer sur son affection, ne prendre aucune mesure, ne présenter aucun projet de loi qui fût de nature à faire regretter le régime hollandais.

Au lieu de cela, il fait tout le contraire.

Il laisse en souffrance le commerce et l'industrie.

Il ne fait rien pour les classes inférieures qui sont accablées d'impôts et qui payent à la décharge des riches.

Et par-dessus tout il cherche à enlever une à une les libertés dont la révolution a doté le peuple.

Et pour ne parler que des franchises communales, qu'aurait-il donc gagné par le changement, si les projets de loi venaient à passer dans cette enceinte ?

Absolument rien. Les projets de loi soumis en ce moment aux états-généraux sont beaucoup plus libéraux que ceux que nous discutons, je dirai même que dans les règlements de 1824 et 1825, actuellement en vigueur en Hollande, il y a plus de principes libéraux que dans nos projets.

La comparaison entre les deux projets le prouve, à la dernière évidence :

En Hollande : Bourgmestre nommé dans le sein ou en dehors du conseil pour 5 ans. En Belgique : Bourgmestre nommé en dehors ou en dedans du conseil pour un temps illimité.

En Hollande : Echevins dans le conseil, 5 ans. En Belgique : Echevins dans le conseil, 8 ans.

En Hollande : Renouvellement des conseils de régence, par 1/5 tous les ans. En Belgique : Renouvellement par 1/2 tous les 4 ans.

En Hollande : Révocation ou suspension du bourgmestre par le roi, après avoir entendu les parties et consulté les états députés. En Belgique ; Révocation ou suspension par le roi, sans avoir entendu les parties, sans avoir consulté les états députés.

D'après les règlements de 1824 et 1825, le roi ne pouvait, ni suspendre, ni révoquer les bourgmestres.

Et encore ces règlements étalent un grief contre le roi Guillaume qui, en les portant, avait violé sa promesse ; Car le règlement de 1817, dont nous parlerons tantôt, ne permettait au roi que de nommer les bourgmestres et échevins dans le sein et sur la présentation du conseil.

J'ai même des raisons de croire que l'opposition hollandaise, qui a de la consistance, présentera comme amendement la disposition du règlement de 1817 ; et si ces amendements passaient, si même, ce qui est possible, le roi Guillaume II, par politique, allait au-devant de l'opposition, quelle imprudence n'aurions-nous pas commise en adoptant le principe contraire ; quelles armes, quels prétextes au moins n'aurions-nous pas donné à une opinion à peu près éteinte ?

Nos projets de loi rétablissent l'asservissement des communes. Il n'y aura dorénavant plus de citoyens, il n'y aura que des administrés, il n'y aura plus de magistrats municipaux, il n'y aura que des fonctionnaires.

Et quels fonctionnaires !

Des fonctionnaires qui, s'ils sont indépendants des électeurs suivant quelques-uns, sont et doivent être des agents passifs du gouvernement.

D'après les opinions manifestées dans cette enceinte, que je n'ai admises sous aucun ministère, les gouverneurs et commissaires de district doivent suivre aveuglement l'impulsion du gouvernement ; il en est de même des procureurs du Roi et autres agents du pouvoir, il en sera de même si la loi passe des bourgmestres, qui dans le système sont à la commune ce que le gouverneur est à la province, ce que le ministre est au pays entier, avec cette différence, cependant, qui ne gît que dans les mots et qui amène une contradiction flagrante, que le bourgmestre, quoique n'étant pas membre du conseil communal, le préside, alors que les gouverneurs ne président point les conseils provinciaux, que les ministres ne président point la chambre ; et le projet de loi fait ces nouveaux bourgmestres tellement fonctionnaires, agents du gouvernement, que comme membres de la représentation nationale ils seraient à coup sûr soumis à réélection, à moins qu'en adoptant les promesses de M. de Man, tant soit peu contradictoires avec les conséquences qu'il en a déduites, il ne faille admettre avec lui la nécessité d'exclure de cette enceinte tous les commissaires de district, auquel cas il faudrait en exclure aussi les bourgmestres tels qu'on veut les faire, car en grossissant ainsi le nombre des agents du gouvernement on n'aurait bientôt plus dans cette chambre que des fonctionnaires publics et les appels nominaux sont là pour constater les inconvénients d'un pareil état de choses.

Avec les principes qu'on veut faire prévaloir aujourd'hui, nous reviendrons insensiblement au trop fameux message du 11 décembre, cette provocation au servilisme s'il en fût jamais, et auquel plusieurs fonctionnaires ne s'étaient pas même contentés de donner une adhésion pure et simple. Est-ce à ceux-là que M. le comte de Mérode a voulu lancer une mercuriale, en parlant du zèle brûlant qui dévore maintenant certaines personnes, qui sous le gouvernement déchu trouvaient le pays suffisamment libre tandis qu'il était complètement asservi à la suprématie hollandaise. .

Après cela, le gouvernement pourra-t-il encore parler des griefs contre le gouvernement hollandais, et ne voit-il pas qu'il attaque la base de 1830 ?

Reste un dernier parti, et ce n'est pas le plus faible d'après l'appui qu'il trouve à l'étranger. J'entends parler du parti unioniste français. Peu de personnes en France cachent leurs sympathies pour une incorporation qu'ils envisagent comme un retour à ces beaux jours de gloire ; beaucoup voient le Rhin comme la frontière naturelle qui sépare le Nord du Midi. Et dans notre pays même, certaines localités trouveraient dans cette incorporation des avantages matériels, mais elles tiennent avant tout à la nationalité et aux principes qui lui servent de base.

Prenez garde, messieurs, de fournir des prétextes :

Si en France, où la charte est beaucoup moins libérale que notre constitution, on jouissait de fait de libertés plus grandes qu'en Belgique ; si les Français conservaient leurs franchises municipales alors que nous perdrions les nôtres, vous ramèneriez vivaces ces anciennes sympathies que la conformité de mœurs et de besoins avait naguère éveillées ; et M. Thiers aurait-il pu hasard voulu nous lancer une épigramme en disant, il y a peu de jours, à la tribune française que la Belgique était le peuple le plus municipal du monde.

Ce que disait, en octobre 1839, un de nos honorables collègues, M. Dechamps, relativement aux dangers d'une incorporation à la France, mérite de fixer l'attention de nos gouvernants.

« Nul peuple n'a eu, comme chacun sait, ses mœurs plus imprégnées de franchises communales que le peuple belge, et c'est au maintien de ces institutions qu'il doit d'avoir conservé cette vie nationale, cette vigueur de caractère dont parle Mirabeau.

« Si ces mœurs trop locales doivent se modifier et se modifient effectivement tous les jours pour s'harmoniser avec nos besoins nouveaux d'unité nationale, ce n'est pas à dire pour cela qu'il faille tenter de les déraciner brusquement, en leur substituant la centralisation française, tentative vaine et irréfléchie puisque les lois dépendent des mœurs, suivant M. Villemain, et que nos mœurs ne sont pas les mœurs françaises.

« Sous le rapport politique, cette manie de singer la législation française nous menacerait d'un danger peut-être plus grand. M. Louis de Carné, l'un de ces rares écrivains qui ont étudié notre pays, sans préoccupation, a remarqué judicieusement que si la Belgique voulait réduire les chances d'être incorporée à la France à la première tempête, elle devait prendre un soin particulier de différencier ses institutions d'avec celles de ce voisin menaçant, et il ajoute que nos lois communales et provinciales, trop décentralisées peut-être au point de vue administratif, étaient d'une heureuse conception au point de vue politique et national.

« Cette observation est profonde, et il serait à désirer que le gouvernement et les chambres ne la perdissent jamais de vue ; en effet, s'il ne s'agissait que de créer un peuple, quel qu'il soit, et de l'habiller d'institutions savamment combinées en théorie, il suffirait de demander ces institutions et ces lois au travail des légistes qui ne manqueraient pas de compulser à cet égard, sur les rayons de leur bibliothèque, les in-folio, depuis la loi des 12 tables jusqu'aux droits de l'homme. »

A tous les dangers que je viens de vous signaler, il faut en ajouter un autre, et qui est assez grave pour faire l'objet de vos sérieuses méditations : la Belgique, par ses institutions, était destinée à survivre à toutes les révolutions qui pourraient surgir, soit dans le voisinage, soit dans les pays lointains.

La neutralité de droit, qui fut naguère écrite dans les traités, aurait été infailliblement confirmée par une neutralité de fait, si les libertés que nous assure la constitution étaient restées intactes.

La position de l’Europe n'est pas encore bien rassurante. L'Angleterre est loin d'être tranquille, la France ne l'est pas davantage, les autres peuples attendent, et c'est dans un pareil moment, où d'un jour à l'autre l'orage peut venir gronder à nos portes, qu'on ose toucher à nos garanties de stabilité, qu'on ose remettre tout en question.

Un gouvernement prudent et sage écarterait tout sujet de mécontentement, éloignerait tout élément révolutionnaire, et le gouvernement belge suit une route tout à fait opposée ; au lieu de satisfaire les mécontents, il en augmente le nombre, au lieu de faire disparaître les éléments révolutionnaires, il les encourage, il les place au sein même des communes.

C'est une observation, messieurs, qui est digne de fixer toute votre attention. Reculons de quelques années. Voyons comment s'est faite la révolution de 1830, ct par où elle a commencé. Tout le monde le sait, la révolution a commencé par la commune, et précisément parce que les officiers municipaux, à cette époque, étaient des fonctionnaires publics, des agents du gouvernement. .

Si, dans la commune, le peuple avait eu ses représentants, la révolution eût été bien plus difficile, peut-être même ne se serait-elle pas faite.

Mais ceux qui voulaient le renversement du gouvernement ont pris, en 1830, le fauteuil des fonctionnaires municipaux qui, alors que l'orage commençait à gronder, se sont empressés de se retirer. C'est à Bruxelles, au sein du conseil communal, que la révolution a jeté ses fondements ; c'est dans la salle du bourgmestre que le gouvernement provisoire a été créé.

Croyez-vous, messieurs, que les choses se fussent passées ainsi, si au sein du conseil, au lieu de ces fonctionnaires, agents du pouvoir, vous eussiez eu des représentants du peuple ? Certes non, le peuple eût respecté la commune qui était lui-même.

Ce qui a produit un grand bien alors, puisque vous avez réussi, pouvait devenir un grand mal par la suite.

Si, messieurs, ce qu'à Dieu ne plaise, un parti, n'importe lequel, profitant de quelque commotion voisine, voulait détruire ce qui a été fait en 1830, voulait amener une contre-révolution ; eh bien, messieurs, les représentants communaux, tels que le peuple les a placés au sein du conseil communal, seraient là pour arrêter les tentatives de ces contre-révolutionnaires ; tandis que les bourgmestres, tels que les fait le projet de loi, fonctionnaires, agents du gouvernement, ne se croyant plus en sûreté, à la veille d'une crise, au sein du conseil, où ils auraient été considérés comme des intrus, comme des espions, abandonneraient leur fauteuil et n'attendraient même pas un premier mouvement ; la contre-révolution s'accomplirait encore au sein du conseil communal, comme naguère s'y est faite la révolution de 1830.

Et voyez la prudence qui guide le gouvernement dans cette circonstance ! C'est à ces fonctionnaires, tels que je viens de les dépeindre, qu'il propose de donner exclusivement la police en cas d'émeute ; c'est comme si on voulait provoquer le résultat que je redoute pour ma patrie ; si l'on avait soif de catastrophes, on ne pourrait pas proposer une mesure plus efficace que celle que le gouvernement nous propose.

Mais abandonnons ces tristes réflexions et contentons-nous de rendre le ministère responsable de toutes les conséquences que peut entraîner sa démarche.

Messieurs, le peuple belge est un peuple sage, un peuple moral, un peuple auquel on peut sans inconvénient donner les libertés les plus larges, et c'est cependant ce peuple qui serait le seul, entre tous les peuples de l'Europe, qui n'aurait pas de franchises communales ; je me trompe, messieurs, en Russie et en Turquie il n'y a pas de franchises communales non plus ; mais partout ailleurs elles existent, et je vais l'établir.

Dans le royaume de Lombardie, les intérêts de la commune sont confiés, d'après la patente d'avril 1816, à un conseil composé d'un certain nombre de membres d'après le nombre des habitants. Ce conseil est élu par les contribuables payant un certain cens. Le chef est nommé par le gouvernement sur une liste triple présentée par le conseil communal. Il en est ainsi dans toute l'Italie.

D'après les lois prussiennes des 19 novembre 1807 et 17 mars 1831 la nomination des magistrats des villes appartient au conseil communal, moyennant l'approbation du roi.

Au sujet de ces lois, M. Dubus (aîné) faisait en 1834 quelques réflexions importantes que nous ne pouvons pas passer sous silence.

« Il s'agit, disait M. Dubus, d'une liberté qui intéresse le plus le peuple, qui le touche de plus près. Cette liberté, le peuple la possède pleine et entière, en vertu de l'arrêté du gouvernement provisoire. Mais tout ce que vous lui enlèverez sera irrévocablement enlevé. Ne croyez pas que vous puissiez jamais le reprendre, cela demeurera confisqué au profit du pouvoir.

« Personne ne se plaint sans doute qu'en Prusse il y ait anarchie dans les institutions communales, et comment y sont-elles organisées ? Elles le sont sur le pied de l'élection directe. Les conseillers municipaux sont nommés par le peuple, et ils nomment à leur tour le magistrat. Il n'y a exception que pour les grandes villes, où le roi nomme, sur la présentation des députés municipaux, ce que l'on nomme, je crois, operburgmeister**.

« En France, il est écrit dans la loi municipale que le maire doit être pris dans le sein du conseil, de sorte que la proposition de la section centrale a pour but de nous mettre sur le même pied que la France ; pour la France, une pareille disposition était un bienfait ; pour nous, c'est le sacrifice d une partie des libertés dont le peuple jouit.

« Maintenant, je vous demanderai si nous ne sommes pas capables d'autant de libertés communales que les Prussiens ? s'il y a en Belgique de tels éléments d'anarchie, de désordre, qu'il faille prendre contre ce peuple des précautions aussi sévères, alors qu’elles seraient même inutiles en France ?

« Le gouvernement aura intérêt à faire de bons choix ? Si vous le considérez comme abstraction, assurément oui ; mais prenez des ministres et demandez quel est l'intérêt, non pas du gouvernement, mais des ministres. Ce sont quelquefois des intérêts de faction. Un parti peut faire arriver ses hommes au ministère et remplir les administrations locales de ses créatures. »

D'après la loi communale de Wurtemberg de 1822, elle appartient à la bourgeoisie. Là l'élection est directe.

D'après la loi communale de Baden de 1831, les magistrats de la commune, comme les membres des conseils communaux, sont élus par une assemblée de la commune. Le gouvernement approuve le choix des magistrats.

S'il les rejette deux fois, la commune les nomme d'une manière absolue.

D'après la loi saxonne du 2 février 1833, le bourgmestre doit être nommé dans le sein du conseil communal.

D'après le règlement général de Hesse du 25 décembre 1834, le bourgmestre est élu directement par les notables.

Nous ne vous parlerons pas de l'Angleterre, cette terre classique de la liberté ; le principe électif fait la base de la constitution britannique, et jusqu'à présent les bustings mêmes n'ont présenté aucun danger.

Nous ne vous parlerons pas non plus de l'Espagne et du Portugal, où les alcades et corregidors (bourgmestres et échevins) sont nommés directement par le peuple.

M. le ministre de l'intérieur a signalé les abus des juntes espagnoles, mais il a fait un anachronisme.

Quant à la loi française qui oblige le roi de nommer les maires et adjoints dans le conseil communal, nous nous en occuperons tantôt.

Ainsi, partout la nomination des magistrats municipaux est laissée au peuple, ou au moins le peuple y participe, et on voudrait faire pour la Belgique une honteuse exception !

Quoi qu'en dise M. Nothomb, jamais tentative plus audacieuse n'a été faite que celle que le projet de loi met à découvert.

Il ne s'agit de rien moins que de déshériter le pays de ses antiques franchises. C'est M. le ministre de l'intérieur lui-même qui en 1833, dans un très beau livre, a rappelé les grandes luttes du moyen âge et nous a appris qu'à Othée et à Rosebecque on combattait précisément pour ces franchises communales qu'on veut nous ravir aujourd'hui.

S'il n'a pas été émerveillé de ces citations historiques, il le sera peut-être quand il saura que je les ai puisées dans son Essai sur la révolution belge.

« A l'époque des croisades, dit M. Nothomb, succède la lutte des communes et des dynasties locales, lutte qui dans aucun pays ne rencontre de plus grands obstacles, ne produit de plus imposants résultats ; la commune belge ose se mesurer avec la monarchie française dans la journée des Eperons, et remporte une victoire dont elle ne sait profiler. »

Beau tableau de de Keyser.

Plus loin : « La domination des communes fait place à l'unité monarchique qui a son premier représentant dans la maison de Bourgogne, audacieux vassal qui enseigne la royauté, qui donne à la Belgique le despotisme, à la France l'anarchie. La société communale renfermait en elle le principe d'une vitalité trop robuste pour qu'une seule défaite pût l’abattre ; il ne suffisait pas de la vaincre, il fallut l’exterminer dans les champs de Rosebecque et d'Othée, sous les murs de Liège et de Dinant, et pour ne pas mourir d'une mort vulgaire, elle égale Lacédemone par le dévouement des six cents Franchimontois. »

Et pour relier ces temps anciens aux temps modernes, M. Nothomb, après avoir inscrit comme épigraphe sur la première page de son livre ces paroles remarquables de notre Roi : « Les destinées humaines n'offrent pas de tâche plus noble et plus utile que celle d'être appelé à fonder l'indépendance d'une nation et à consolider ses libertés (27 juin 1831). »

M. Nothomb disait quelque part :

« La Belgique a son sort entre ses mains, si elle périt ce sera par un suicide. » Le temps des illusions est passé, c'est à la raison d'achever ce que l'enthousiasme a commence, à l'union de conserver ce que l'impulsion populaire a fondé.

M. Nothomb, ministre, a oublié ou feint d'oublier en 1842 ce que M. Nothomb, historien, a écrit neuf ans auparavant.

L’histoire doit être vraie et impartiale. Comme historien, M. Nothomb a rempli sa tâche ; comme ministre, son rôle est différent, l'intérêt de sa conservation exige des revirements, et ces revirements amènent des erreurs et des sophismes.

M. Nothomb feint d'ignorer les institutions municipales du pays antérieur à Philippe le Bon.

Il appuie son système sur les paroles de ce prince, qui disait, en 1439, que dans tous les pays de sa domination il créait la loi et entendait les comptes par ses commissaires, C'est Philippe le Bon qui a fait brûler et raser la ville de Dinant.

Ce ne sont pas les souvenirs des administrations bourguignonnes, espagnoles, ou autrichiennes qu'il faut exhumer dans cette grave question, mais celui de nos grandes communes et de leurs privilèges, c'est la loi de Gand de 1178, la charte de Tournay de 1187.

Ces chartres précieuses consacrent l'indépendance de nos cités, indépendance aussi ancienne que notre histoire elle-même, car elle a précédé dès longtemps la période du moyen âge.

Le droit d'élection des magistrats municipaux par la cité est constatée par des autorités irrécusables, et se perd dans la nuit des temps.

La curie romaine s'était implantée dans les Gaules. Quelque temps après, les décurions des cités gauloises furent remplacés par les scabius, à qui succédèrent à leur tour les mayeurs, les capitouls, les consuls, les bourgmestres. Les chartes des communes ne donnèrent donc pas de nouvelles garanties à nos populations indigènes, elles ne firent guère que sanctionner un ancien droit, une liberté pour ainsi dire innée.

On voit que c'est à tort que M. le ministre de l'intérieur n'a pas voulu s'occuper du droit ancien, en prenant pour prétexte le défaut de documents qu'il lui était si facile de compulser.

C'est encore à tort qu'il s'est rejeté sur le fait, en invoquant les actes du souverain et l'obéissance du peuple même après les plus violentes crises politiques de notre pays.

Tout le monde sait que depuis le XIIe jusqu'au XVIIe siècle la Belgique fut en butte à de grandes commotions, à la suite desquelles l'autorité passa alternativement des mains du prince dans celles de la nation, et des mains de celle-ci, dans les mains du prince.

A chaque avènement le prince promettait au peuple une somme de libertés plus grande que celle dont il jouissait sous son prédécesseur. Les franchises communales venaient toujours en première ligne ; mais à peine le gouvernement était-il assis, que la foi jurée était violée et les libertés concédées retirées ou restreintes.

C’était un véritable antagonisme entre deux principes, dont l'un spécifiait les libertés locales et l'autre l'absorption de ces libertés au profit du pouvoir central. Eh bien, le souvenir de ces luttes s'est conservé vivant et impérissable au cœur de la nation, il s'est perpétué de siècle en siècle.

Si M. Nothomb, au lieu d'extraire ses citations historiques de l'ouvrage de M. Gachard, intitulé : Précis du régime municipal de la Belgique avant 1794, imprimé en décembre 1834, et qui semble avoir été fait pour venir en aide aux auteurs du premier projet de loi présenté en 1834, si M. Nothomb avait compulsé les œuvres complètes de M. Rapsaet qui, à tout égard, méritent notre confiance, il aurait vu en premier lieu que le souverain ne nommait les magistrats municipaux que sur une liste de candidat, lui présentée par la bourgeoisie, il aurait vu ensuite qu'à côté des faits posés par les princes, et qu'on peut appeler des coups d'Etat, venaient se placer des protestations énergiques, je dirai même des actes de résistance de la part du peuple.

C'est aux 13e et 14e siècles, que M. le ministre s'est d'abord arrêté, en citant les diverses ordonnances de l'époque ; or c'est précisément dans ces mêmes temps que les provinces et les villes se liguèrent pour mieux résister à l'oppression.

Nous citerons entre autres la confédération entre Anvers et Turnhout de 1261 ;

Celle de 1275 entre Gand, Malines, Louvain, Bruxelles, Lier et Tirlemont ;

Celle de 1315 entre le Brabant et la province de Malines ;

Celle de 1328 entre Louvain, Bruxelles et Anvers ;

Celle de 1347 entre les villes du Brabant et du pays de Liége ;

Celle de 1354 entre les villes du Brabant et celles d'Outre-Meuse.

Toutes ces ligues ayant pour objet le maintien ou le rétablissement des franchises communales.

M. Nothomb parle ensuite de trois commotions politiques remarquables et des réactions qui l'accompagnent, la première au XVe siècle, la deuxième au XVIe et la troisième au XVIIIe siècle.

Mais encore une fois ses citations sont ou erronées ou incomplètes.

Charles le Téméraire, le dernier duc de Bourgogne, tué devant Nancy le 5 janvier 1477, avait lassé le peuple par son despotisme.

Sa mort fut suivie d'une réaction, les peuples se soulevèrent et s'emparèrent du pouvoir.

La duchesse Marie sa fille, réclama ses droits : on voulut bien les reconnaître, à condition qu'elle rétablît immédiatement les privilèges violés par son père, et notamment les franchises communales. Ce fut Bruxelles qui, la première, vint réclamer, avec toute l'énergie dont elle était capable, le privilège de choisir ses magistrats municipaux.

Par lettres patentes données à Gand le 11 février 1477, Marie réintégra le peuple dans ses anciens privilèges, c'était la condition de son avènement.

A peine assise sur le trône, elle rétracta les concessions qu'elle avait faites, et elle osa prendre pour prétexte qu'elles lui avaient été extorquées par violence. Marie et Maximilien, par lettres patentes du 22 juin 1480, abrogèrent les privilèges restitués par la patente du 11 février 1477.

Voilà en peu de mots ce qui se rattache à la première commotion, celle du XVe siècle.

Dans la révolution du XVIe siècle, on voit se reproduire les mêmes causes suivies des mêmes effets. Cette fois encore le despotisme avait excité dans tous les cœurs une haine violente.

Le besoin de garanties contre le retour d'une domination tyrannique, était généralement senti ; toutes les réclamations faites à cette époque, par les représentants du pays, déposent de ce sentiment.

Voulez-vous une nouvelle preuve du droit, qui compétait au peuple d'élire ses magistrats, vous la trouverez dans les lettres patentes de Charles Quint du 14 février 1522 ; ces lettres patentes portent que l'Empereur retire aux communes le privilège d'élire leurs magistrats (ce qui démontre à l'évidence qu'elles en jouissaient auparavant), et il donne pour motif que « ce privilège était de grande charge et dommage aux bourgeois, c'est aussi le système de M. de Mérode ; qu'il l'était surtout aux gens de métiers, lesquels, lorsqu'ils étaient créés prévôts, jurés, mayeurs ou échevins, négligeaient les travaux de leurs métiers et laissaient par là leurs femmes et leurs enfants sans moyen d'existence ; que les électeurs, en usant dudit privilège, selon lequel, à le sainement entendre, ils devoient élire les plus notables vertueux, sages, puissants, riches et expérimentés bourgeois de la cité, pour être de la loi, y avoient souvent et pour la plupart advancé et pourvu simples gens de métier, et à la fois aux principaux offices de judicature d'icelle cité, gens non sachant lire ni escrire. »

« Toutes ces allégations, dit M. Gachard, dans son Précis du régime municipal, étaient peut-être mal fondées, peut-être n'étaient-elles que des prétextes, comme on en trouve aisément, lorsqu'on est le plus fort pour justifier ses actes ». M. Nothomb s'est bien garde de citer ce passage, lui qui, comme M. le comte de Mérode, prend Charles V pour modèle.

La troisième commotion, savoir la révolution brabançonne de 1790, n'offre pas de meilleurs arguments à M. le ministre de l’intérieur.

Tout ce qui est établi par l'histoire, c'est que les ordres des citoyens s'adressèrent à Joseph II, avant de recourir au moyen extrême d'insurrection, que le prince resta sourd à leurs justes réclamations ;

Que les Autrichiens furent expulsés et que les Etats prononcèrent la déchéance de Joseph II.

Les gouvernements qui se sont succédé pouvaient puiser d'utiles leçons dans les commotions politiques auxquelles la Belgique a été en butte ; ils les ont oubliées, ou ils n'ont pas voulu se les rappeler.

Ils auraient pu consulter avec non moins d'avantage l'histoire de France sur les franchises des communes.

Toujours, en France, on a reconnu la nécessité que le délégué du gouvernement dans une commune fût honoré, avant tout, des suffrages de ses concitoyens.

Il en a été ainsi dès le temps de saint Louis, comme le prouve la fameuse ordonnance de 1236 sur les communes de Normandie, lesquelles, à la St.-Simon St.-Jude, présentaient trois candidats à sa nomination.

Si nous ne craignions pas de fatiguer l'attention de la chambre, nous comparerions la nation française aux diverses époques de son histoire, où la puissance politique fut concentrée dans un certain nombre de familles avec celles où le pouvoir fut remis entre les mains des élus du peuple, c'est-à-dire des plus forts et des plus capables.

En France aussi, il y eut des luttes et des crises.

Pour nous rapprocher des temps modernes, nous ne vous parlerons que de Louis XIV, qui, sur la fin de son règne, trafiqua honteusement des charges municipales pour les ériger en offices ;

De Louis XV, qui détruisit l'ouvrage de sou prédécesseur et le rétablit jusqu'à quatre fois dans le cours de son règne ;

De Napoléon, qui commit la même faute que Louis XIV, qui traita la France en peuple conquis, comme César, et qui pensa, comme on le pense aujourd'hui, pouvoir user et abuser des forces que la révolution lui avait léguées.

Cette digression nous conduit à dire quelques mots des périodes françaises, dans lesquelles nous avons eu une certaine part, pour ne nous occuper ensuite que de notre pays.

La première période est celle de la constituante, qui régularisa l'ancienne liberté. La loi du 14 décembre 1789 conserva les communes telles qu'elles existaient et établit l'élection directe même du maire.

La seconde période est celle de la convention, qui, dominée par la théorie d'une souveraineté nationale inconciliable avec l'indépendance individuelle, renversa par leur base toutes les associations municipales.

Sous la convention, il n'y avait plus de conseils communaux, mais seulement des officiers municipaux, élus pour deux ans par les assemblées primaires et révocables par l'autorité supérieure.

Les périodes du consulat et de l'empire se confondent. Napoléon, en matière de despotisme, ne fit que continuer la convention.

Après avoir renversé le directoire, dans la fameuse journée du 18 brumaire an VIII, Napoléon changea les formes de l'administration communale. Pour pouvoir, tout à l'aise épuiser le peuple de levées d'hommes et d'argent, il confisqua les libertés communales.

Aussi longtemps que dura l'empire, les communes restèrent opprimées ; ce ne fut qu'à la fin de son règne, en 1815, que Napoléon comprit la faute énorme qu'il avait commise et voulut rétablir, par un simple décret, ces libertés communales que naguère il avait confisquées au profit du pouvoir central, mais il n'était plus temps.....

La branche aînée des Bourbons prend place au trône ; pendant 15 ans de règne elle n'a pas su apprécier sa position, elle n'a pas voulu rendre aux Français les franchises communales auxquelles ils attachaient autant de prix que nous.

En 1828, elle céda un moment au vœu national. Elle aurait dû sentir qu'en ménageant l'affection du peuple, elle se garantissait du joug d'une aristocratie intéressée. Un bandeau fatal lui couvrait les yeux, elle se hâta de retirer le bienfait, et la réaction n'eut plus de bornes.

La France a reconquis des libertés si précieuses, on sait à quel prix.

Maintenant revenons à la Belgique.

Après que nous nous fûmes débarrassés de la tutelle de la sainte alliance, une constitution nous fut imposée ; elle consacrait certains principes de libertés qui, s’ils eussent été respectés, eussent puissamment servi le Roi et la nation ; mais malheureusement elle avait laissé au souverain la faculté de régler, par des arrêtés, les institutions provinciales et communales, et cette faculté contribua par la suite à sa perte.

M. le ministre de l'intérieur, qui a jugé nécessaire de tronquer toutes ses citations, nous dit dans son discours du 11 mai : « Nous sommes doués d'une prodigieuse facilité d'oublier, car j'ai entendu regretter le régime municipal qui a précédé la révolution de 1830 ; le roi Guillaume s'était bien gardé d'instituer dans chaque commune un conseil délibérant ayant son origine de l'élection directe... et ne croyez pas que le Roi fût astreint à choisir les bourgmestres dans les conseils communaux formés avec ces précautions... » Et il cite, pour établir ses assertions, le règlement du 22 janvier 1824 pour les villes, et celui du 23 juillet 1825 pour le plat pays.

M. Nothomb a oublié ou a feint d'oublier que Guillaume s'était d'abord rendu aux vœux des populations belges, mais qu'ensuite, comme tant d'autres il a violé la foi promise.

L’arrêté d'organisation des villes qui parut le 12 mai 1817, et que nous avons sous les yeux, mis en rapport avec le projet de loi que nous discutons, nous ferait certes regretter le régime de cette époque.

Les art. 64 et suivants de ce règlement consacrent l'élection directe des membres du conseil, conformément à l'art. 133 de la loi fondamentale. Les votants nomment d'abord un collège électoral.

D'après l'art. 36, nul ne peut être bourgmestre ou échevin s'il n'est membre du conseil, et l'art. 37 dispose que les bourgmestre et échevins sont nommés par le Roi, sur une liste triple qui lui est présentée par le conseil.

Aucun article ne donne au Roi le droit de suspendre ou révoquer les bourgmestre et échevins. .

Pendant plus de 7 ans ce règlement fut en vigueur. Jamais le moindre inconvénient n'a été signalé, l'ordre et la tranquillité régnaient partout.

L'époque fixée par la loi fondamentale approchait où les règlements locaux passaient de plein droit dans la constitution, et par suite n'auraient jamais pu être modifiés ou révoqués, que de commun accord entre le Roi et la législature.

Guillaume profita de cette circonstance pour corriger le règlement de 1817, c'est-à-dire pour détruire les garanties populaires et restaurer l'absolutisme.

En 1824, il fit un nouveau règlement pour les villes qu'il fit suivre en 1825 d'un règlement pour le plat pays. Ce sont ceux-là seuls dont M. le ministre a jugé à propos de vous entretenir, pour ne pas vous faire regretter un autre régime. .

D'après ces règlements, les bourgmestres et échevins peuvent être pris hors du conseil communal, ils sont nommés par le Roi sans présentation ; toutefois le Roi ne peut ni les suspendre ni les révoquer. On a donc encore été plus loin en 1842 qu'en 1824 et 1825.

Le peuple, comprenant toute l'importance des franchises communales, n'a cessé de réclamer jusqu'à la révolution, il a redemandé avec instance les dispositions du règlement du 11 mai 1817. C'était un des griefs qui ont donné lieu à la commotion de 1830.

Vous le voyez, messieurs, et cette remarque est bien décourageante, à chaque avènement d'un gouvernement nouveau ou seulement à l'approche d'une crise, on fait au peuple de belles promesses que le plus souvent on ne veut ou on ne peut pas tenir ; on lui jette quelques lambeaux de libertés qu'on lui arrache bientôt après. En tête de tous les programmes sont inscrites les franchises communales, mais ces programmes sont rétractés ou expliqués comme les besoins le commandent ; quelquefois même, dans la crainte d'une nouvelle crise, les rétractations sont remplacées par de nouvelles promesses, mais alors il est trop tard.

Joseph Il est resté sourd aux justes réclamations de son peuple, il est tombé du trône.

Napoléon, aux jours de sa prospérité, a dépouillé les Français de leurs droits ; aux jours du malheur les Français l'ont abandonné, ses concessions tardives n'ont pu le maintenir, il est tombé.

La branche aînée des Bourbons n'a pas compris les besoins du siècle ; Charles X a méprisé les vœux de la nation, il a osé lutter contre elle, il est tombé.

Guillaume Ier avait promis à la Belgique une grande somme de libertés, ct certes il aurait pu faire son bonheur ; mais il a violé la foi jurée, il a oublié que l'autorité se consolide ou déchoit selon qu'elle s'éloigne ou se rapproche de l'opinion générale, il est tombé.

Deux grandes révolutions se sont opérées par le peuple, en juillet et en septembre 1830 ; la Belgique a suivi l'élan de la France ; il devait en être ainsi. Comme toujours, des promesses solennelles de réparation ont suivi de près les commotions politiques que des griefs réels avaient amenées.

Louis-Philippe, lieutenant du royaume, avait promis à la France ses anciennes libertés municipales ; la charte, dans son article 69, les a sanctionnées, et la loi de 1831 en a réglé l'exercice. Louis-Philippe, roi des Français, a respecté ces libertés, elles sont restées intactes.

En Belgique, le gouvernement provisoire, par son arrêté du 16 octobre 1830, s'empressa de rétablir les franchises communales qui étaient l'objet des vœux de la nation, il proclama l'élection directe par le peuple des bourgmestres, échevins et conseillers de régence. Cet arrêté, comme nous l'avons déjà dit, porte les signatures des honorables MM. de Mérode et Rogier.

Plus tard, le gouvernement provisoire, dans son discours d'ouverture du congrès national, après avoir rappelé comme un des griefs contre le gouvernement hollandais la confusion de tous les pouvoirs, après avoir dit que les Belges s'étaient insurgés contre le despotisme, et que le prix de la victoire avait été l'indépendance du pays, rappelle ses actes aux députés de la nation, et il ose espérer que la nation les a ratifiés. Entre autres réparations, il cite les élections populaires des bourgmestres et des régences.

La constitution de 1831 a proclamé à son tour, comme un principe général, l'élection directe pour les institutions provinciales et communales ; elle n'a permis à la législature qu'une seule exception à l'égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près les conseils provinciaux ; c'était déjà un retour sur l'arrêté et le discours du gouvernement provisoire.

En 1836, après de longues et très vives discussions, la législature prit un terme moyen pour concilier la règle avec l'exception. Par forme de transaction, il fut décrété que non seulement les bourgmestres, chefs des. administrations communales, pourraient être soustraits à l'élection directe, mais qu'il en serait de même des échevins, à condition que, pour les uns et pour les autres, le choix du Roi ne pût porter que sur les membres du conseil. Cette transaction, loin d'être défavorable au pouvoir, lui était avantageuse ; la Belgique, dont la constitution est beaucoup plus libérale que la charte française (puisqu'en Belgique tous les pouvoirs émanent de la nation), la Belgique était mise, par la loi de 1836,sur la même ligne que la France.

La loi française a été exécutée depuis onze ans sans la moindre réclamation, quoique plusieurs élections aient eu lieu de trois en trois ans, aucun inconvénient n'a été signalé, et le gouvernement de Louis-Philippe se garderait bien de revenir sur ses pas.

En Belgique, la loi a à peine cinq ans d'existence ; le gouvernement ne peut pas invoquer l'expérience, car le premier renouvellement des bourgmestres ne doit avoir lieu qu'au mois d'octobre prochain, et déjà il veut renverser l'édifice par sa base sainte, il veut enlever au peuple la plus précieuse de ses libertés.

C'est à nous, amis du trône et de la patrie, à nous, conservateurs par excellence, à arrêter la réaction dont le ministère est l'instrument.

« Et ne vous faites point illusion, messieurs ; si vous détruisez cette belle œuvre à laquelle vous-mêmes avez concouru, on pourra vous reprocher à juste titre que vous trahissez la révolution de septembre et que l'avenir de la Belgique se présente sous un aspect bien inquiétant pour ses libertés. Ce n'est jamais que le premier pas qui coûte, les autres suivent de près, et si on met une main sacrilège à l'arche sainte de nos franchises communales, elle ne tardera pas à s'écrouler et nous pourrons prophétiser qu'une autre révolution n'est pas éloignée. »

Messieurs, j'entends des murmures sur les bancs où siège M. Desmet, dont je n'ai répété que ce que vous disait, le 8 juillet 1834, M. Desmet lui-même, mes dernières paroles sont littéralement extraites du discours de cet honorable membre, consigné au Moniteur du 9 juillet 1834.

M. Desmet s'exprimait, dans une autre occasion, d'une manière non moins incisive, c'était le 13 mars 1835.

« Je tremble, disait-il, pour mon pays.

« Je tremble pour mon pays quand je vois de quelle manière quelques-uns de nos hommes d'Etat traitent nos franchises communales.

« C'est à ces franchises que les Belges doivent la prospérité de leur pays, c'est par elles que l'esprit d'industrie se ranima, que le commerce devint un objet d'attention et commença à fleurir.

« On ne doit pas s'étonner que nous soyons attachés à des institutions qui ont fait le bonheur et la prospérité de notre pays et que, quand on veut nous les enlever, nous ne ménagions aucun effort pour nous y opposer. Dans l'amendement du ministre, qui sera le juge pour apprécier que, dans une commune, il y a des motifs graves pour faire nommer un bourgmestre qui ne ferait pas partie du conseil communal ?

« Qui commettra-t-on pour s'assurer si ces motifs graves existent.

« M. le ministre, partie intéressée, sera juge dans sa propre cause.

« Messieurs, il faudrait être aveugle pour ne pas apercevoir le piège que tend à la chambre M. le ministre de l'intérieur, c'est un de ces petits moyens qu'on emploie pour atteindre son but.

« On veut enlever à la commune le droit d'intervenir dans le choix de ses chefs, mais on n'a ni le courage ni la franchise de le déclarer.

« On veut détruire le pouvoir municipal et tout réunir dans le pouvoir central.

" On désire avoir des maires, comme le voulait Buonaparte, sous le manteau d'une constitution qu'on dit la plus libérale du monde ; le ministre cherche de toute manière à nous faire subir le régime de l’empire. .

« Mais sait-il bien ce qu'il demande ? Connaît-il assez ce qu'il veut ? prévoit-il le résultat de toutes ses exigences, de cette soif immodérée de tout concentrer et de tout accaparer par le gouvernement ? Je pense qu'il se trompe, il croit faire le bonheur du pays, il a l'expérience contre lui, et je m'étonne qu'il ait déjà oublié pourquoi on a fait la révolution.

« J'adjure le ministre de retirer son amendement (celui qui permettait la nomination du bourgmestre hors du conseil pour motifs graves) ; la disposition votée doit le contenter, il doit y trouver une concession assez forte en faveur du pouvoir central, et qu'il veuille bien songer au danger qu'il y a de détruire le privilège fondamental de notre constitution, ce principe de l'élection populaire.

« Prenez-y garde, on nous engage à abdiquer déjà ce que la révolution et le congrès nous ont garanti seulement depuis trois ans ! on veut enlever à la Belgique ce qu'elle a toujours eu de plus cher, son régime municipal, ses franchises communales.

« On voudrait bien vous laisser encore des villes, des bourgs, des villages, mais on ne veut plus que vous conserviez vos cités, vos corporations, car les habitants, privés du droit d'élire leurs administrateurs, cessent d'être en communauté, qu'on ne s'y trompe point. Si vous adoptez l'amendement liberticide, vous enlevez à votre patrie ce que vos pères étaient si glorieux d'avoir, et vous la refoulez par votre vote dans les régimes tyranniques de Buonaparte et de Guillaume. Que le ciel m'en préserve. »

Messieurs, la chaleur qu'apportaient l'honorable M. Desmet et ses amis dans les mémorables discussions qui ont précédé la discussion sur la loi de 1836, justifie la chaleur que nous avons apportée dans la discussion actuelle ; et les discours de ces messieurs n'étaient déjà que la reproduction de discussions qui avaient précédé la loi française de 1831. Ce n'est pas seulement à la chambre des députés, mais c'est encore à la chambre des pairs, composée de ducs, de marquis, de comtes et de barons, qu'on a plaidé avec énergie la cause du peuple ; M. comte Montalembert, dont j'ai déjà parlé, a démontré, dans un discours plein de force et de raison, qu'il n'y avait d'autre salut pour le gouvernement que de s'appuyer sur les masses, et que, pour pouvoir s'appuyer sur les masses, il fallait laisser au peuple toutes les libertés qu'il avait conquises.

Croyez-vous qu'à la chambre française il y ait eu des membres qui aient osé présenter le système qu'on vous propose aujourd'hui ? Pensez-vous que la discussion ait roulé sur ce dernier système ? Nullement ; je vais vous dire, .messieurs, sur quoi a roulé la discussion, et cette observation peut encore être très utile dans l’occurrence, elle confirme ce que disaient si bien, en 1835 et 1836, plusieurs honorables collègues que nous regrettons de ne plus entendre aujourd'hui.

La question, messieurs, qui s'est agitée, n'était pas celle de savoir si l'on admettrait le principe de l'absolutisme, c'est-à -dire si l'on donnerait au Roi la nomination des maires hors du conseil ; là n'était pas la controverse ; la question était celle-ci : Admettra-t-on le principe de l'élection directe par le peuple ? ou admettra-t-on le principe de la monarchie tempérée, c'est à-dire, la nomination du bourgmestre par le Roi dans le sein du conseil.

On a prononcé de très beaux discours pour soutenir le système que l'honorable M. Dubus, avec d'autres collègues, défendait en 1834 et 1835 chez nous, et on a fait valoir de très bonnes raisons à cet égard, on a défini les différents systèmes, comme je les ai définis tout à l'heure ; l'on disait : l'élection directe, c'est le principe de la république ; l'élection par le Roi en dehors du conseil, c'est le principe de l'absolutisme ; l'élection du bourgmestre dans le sein du conseil, c'est le principe de la monarchie tempérée.

Il y avait des députés qui ne voulaient pas du principe de la monarchie tempérée, mais il n'y en avait pas qui voulussent du principe de l'absolutisme ; je me trompe ; il y en a eu un seul, c'était M. de Caumartin ; il avait présenté un amendement en tout point conforme au projet primitif que nous discutons.

Eh bien, messieurs, quel a été le sort de cet amendement ? Il n'a pas eu l'honneur de la discussion, il n'a pas même été appuyé ; et en définitive la loi qui a proclamé le principe de la monarchie tempérée, a été adoptée à la presqu'unanimité, tant à la chambre des députés qu'à la chambre des pairs.

Irons-nous, messieurs, donner maintenant un véritable scandale à l'Europe, en adoptant le système liberticide qu'on nous présente ? Comment, après si peu d'années,. nous rétrograderions si fort en arrière ! Comment ! lorsqu'en 1836, on a soutenu tous ces beaux principes qu'on a si bien défendus en 1831 dans les chambres françaises ; lorsque notre il renferme tant de discours mémorables sur les franchises communales, discours que je désirerais voir reproduire dans tout le pays, nous viendrions sanctionner juste l'opposé de ce qui a été admis en 1836.

L'honorable M. Dumortier vous l'a dit : l'on a fait en 18 »6 une transaction ; on a voulu que les communes fussent administrées par les collèges. C'est ce régime qui a prévalu ; et c'est même par suite d'un amendement qui a été présenté par les honorables MM. de Theux et Desmet eux-mêmes. Cette opinion était partagée alors par un très grand nombre de députés ; la majorité était énorme, et plusieurs de ces honorables collègues, que je ne nommerai pas parce qu'il faudrait en nommer trop, et qui accueillent aujourd'hui nos discours avec des murmures et des marques d'impatience, étaient alors les plus chands partisans de ces libertés communales ; ils appuyaient la proposition de leurs collègues pour donner à la nation le plus de libertés possible.

Mais, messieurs, pourquoi donc en 1842, faut-il changer er qui a été élaboré avec tant de soin en 1834, 1835 et 1836 ? Oh ! j'entends quelques honorables collègues, dont les discours d'autrefois sont consignés au Moniteur et qui pourraient les confondre, s'ils appuyaient aujourd'hui l'opinion contraire, venir nous dire : Les circonstances ont singulièrement changé, l'expérience nous a donné d'utiles leçons.

Ce n'est plus aujourd'hui une question de droit, c'est une question de fait ; la question de fait nous force la main. Nous ne sommes pas en contradiction avec nous-mêmes ; ce que nous disions en 1836 se rattachait au droit ; ce que nous disons en 1842 se rattache au fait : vain échappatoire, car fort heureusement ces collègues, qui pourraient venir aujourd'hui tenir ce langage, se sont déjà expliqués naguère sur cette prétendue expérience, comme si la providence avait veillé pour ne pas leur permettre un revirement d'opinion fatal au pays.

Je n'ai rien trouvé de plus explicite et de plus remarquable sur ce point que ce qu'écrivait en octobre 1839 un honorable collègue qui sourit en ce moment ; et comme je laisse à chacun son ouvrage, que je n'ai pas l'habitude de m'attribuer ce qui appartient à d'autres, je vais sur cette question faire parler l'honorable M. Dechamps.

« Il est deux espèces d'hommes également dangereux, et qui pourraient, s'ils étaient nombreux, retarder pour longtemps la pacification des partis et la consolidation de notre existence politique. Ce sont ceux qui veulent aller au-delà de la constitution, au-delà de nos lois d'organisation intérieure, et ceux qui tendent à reculer, à faire subir une deuxième épreuve aux travaux du congrès, accusé par eux de s'être trop laissé glisser sur la pente démocratique.

« Ces deux fractions font au même degré de l'anarchie et de la destruction ; mais heureusement leur nombre et leur importance diminuent à mesure que la nation sent davantage le besoin de repos et de stabilité.

« Nous sommes loin de prétendre que nos lois organiques soient exemptes de tous défauts, et certainement des modifications partielles introduites lentement, des réformes dans l'acception anglaise, peuvent être lentes sans danger quand l'expérience en indiquera la nécessité.

« Mais réformer n'est pas défaire. Ce n'est pas bouleverser un jour la législation établie la veille ; ce n'est pas substituer un principe nouveau à celui dont on a fait à peine l'essai. En Angleterre, ce pays de vieilles lois où la constitution compte des siècles d'existence, l'on conçoit qu'on y parle de réformes, et pourtant voyez avec quel ménagement on procède : écoutez tous les réformismes, Fox, Grey et John Russel, vous dire qu'ils ne sont partisans que d'une reforme graduelle, tempérée et ne franchissant en aucun cas les bornes préservatrices de la constitution ; qu'ils sont prêts à remédier à un inconvénient partout où la pratique le fera sentir, mais qu'ils ne cesseront de désapprouver toutes ces spéculations générales que certains hommes voudraient réaliser.

« Nous autres, nés d'hier avec nos institutions à peine édifiées, ce serait vouloir fonder avec des ruines et risquer de renouveler le vain travail de Pénélope, que de tester déjà des changements essentiels dans nos lois organiques. N'imitons pas nos voisins du Midi qui, rassemblés depuis 30 ans autour de l'édifice social qu'ils veulent élever, entassent théorie sur théorie pour servir de fondement à cette nouvelle Babel et en sont arrivés décidément à la confusion des langues.

« Le parti réformiste chez nous est un non-sens d'après la signification qu'on lui donne, il est destiné à décroître graduellement pour grossir les rangs du parti conservateur qui renfermera désormais les éléments modérés de chaque parti.

« Conserver notre constitution, notre législation électorale, notre organisation judiciaire, nos institutions provinciales et communales, ne corriger les défauts partiels qu'avec ménagement et d'après les prescriptions d'une lente expérience, voilà le programme auquel se rallient tous les hommes sérieux, qu'anime un profond sentiment de nationalité. »

Voilà, messieurs, ce que vous disait, quant à l'expérience, l'honorable M. Dechamps en 1839.

Et je voudrais savoir ce que l'expérience a amené depuis, je voudrais savoir pourquoi cet édifice, si bien construit en 1836, devrait s'écrouler en 1842.

C'est, dit-on, la question administrative qui est en jeu, et rien de plus. Il n'en est rien, messieurs, car la question administrative n'est d'aucune importance dans l'espèce. C’est la question politique qui domine tout le débat, et une question politique vitale pour le pays.

On insiste, on répète que c'est une question administrative, et on prétend qu'on en a la preuve dans l'enquête administrative, puisqu'elle démontre, dit-on, qu’il existe des abus. Eh ! mon Dieu s'il y avait des abus, ce que moi je suis loin d'admettre, faut-il donc, en raison de ces abus, tuer le principe, S'il y a des abus, tâchez de les faire disparaître ; mais pour quelques abus, ne bouleversez pas la loi de fond en comble ; encore une fois quel est le principe qui a prévalu ? C'est celui de la monarchie tempérée, c'est-à-dire de la nomination du bourgmestre par le Roi dans le sein du conseil.

On n'a pas voulu alors du principe extrême de la nomination directe par le peuple, et vous allez précisément adopter l'extrême contraire, celui de la nomination directe par le Roi, dont on voulait bien moins.

Mais quels sont donc les abus signalés, quels sont les documents qui les établissent ? Il y a, dit-on des rapports des gouverneurs de province. Je ne reviens plus, messieurs, sur ce point. Je l'ai traité, et je puis dire épuisé, en comparant ces rapports et ceux des commissaires de district avec les rapports des députations permanentes, et jusqu'à présent on n'a pas daigné me donner la moindre réponse.

Qu'a dit le ministre de l'intérieur en réponse à nos arguments sur la motion d'ordre ?

Mais tant mieux s'est-il écrié, si l'enquête est insignifiante, la loi sera rejetée, Maintenant c'est sur ce terrain que M. le ministre a indiqué lui-même que je me place ; et je viens demander à la chambre de rejeter la loi parce que l'enquête administrative, le seul document invoqué par le gouvernement, ne prouve rien.

Pour vous convaincre qu'elle ne prouve rien, je vous prie de lire mon premier discours et je me borne de nouveau à faire observer qu'on n'a pas pu me donner la moindre réponse.

Tout, dans les rapports de MM. les gouverneurs, se réduit à des allégations, et encore, quelles sont ces allégations ? Ici ce serait un bourgmestre qui aurait délivré un faux certificat de milice, là un chef de la commune qui n’aurait pas soigné la réparation des chemins vicinaux, ailleurs un autre qui n'aurait pas bien rempli son devoir, quant à la chasse ; un autre encore, qui n'aurait pas tous les dimanches et fêtes fait la visite des cabarets.

C'est parce qu'il a plu à quelques agents du gouvernement de se permettre ces allégations sans en apporter la preuve, qu'il faut changer une loi organique, alors surtout que les députations permanentes trouvent que l'ordre et l'accord le plus parfait règnent dans les communes, que tout y marche bien. (Interruption.)

Oui, j'invoque les rapports des députations, et je voudrais que celui de la députation du Brabant, surtout, fût imprimé en regard de celui de M. le gouverneur de la même province ; ce serait le démenti le plus formel que jamais homme au monde pût recevoir. C'est absolument blanc d'un côté et noir de l'autre.

M. le ministre nous a dit qu’il ne voulait pas d'une enquête nouvelle, pour ne pas mettre les députations permanentes en opposition avec MM. les gouverneurs. Mais pour éviter cette opposition, qui elle seule, si elle doit exister, prouve la nécessité de nouveaux renseignements, faut-il étouffer la vérité ?

On prétend qu'il y a des abus en matière de milice ; et un commissaire de district, siégeant dans cette enceinte, en a fait le texte de son discours. S'il faut en croire cet honorable collègue, des bourgmestres auraient signé de faux certificats de milice ! Et ce seraient des Belges, messieurs, dont la moralité, d'après M. de Man lui-même, est proverbiale en Europe, qui auraient commis de pareils méfaits ! Pour l'honneur de mon pays, je rejette bien loin cette accusation, que rien ne justifie, et qui est au moins imprudente, pour ne rien dire de plus.

D'ailleurs, cette accusation se détruit elle-même, car ce n'est pas le bourgmestre qui, seul, signe les certificats de milice, c'est une commission de trois membres, dont, à la vérité, le bourgmestre fait partie, qui, d'après la loi, est chargée de cette besogne.

D'ailleurs, s'il y avait des abus dans la délivrance des certificats de milice, ce. n'est pas à la loi communale qu'il faudrait apporter des modifications, mais bien à la loi sur la milice.

On parle ensuite des chemins vicinaux, et on prétend qu'il existe à cet égard encore des abus, des négligences ; s’il en existe, vous y avez porté remède par la loi que vous avez faite il n’y a pas longtemps, et s'il en existait encore, proposez des changements à la loi à peine promulguée sur la voirie vicinale.

Pour la chasse, qu'est-ce que les bourgmestres ont à y faire ? Absolument rien. .

Ce n'est pas aux bourgmestres, mais aux gardes-champêtres, aux gardes forestiers, à la gendarmerie qu'il incombe de constater les délits de chasse.

Reste la police des cabarets, qui ne se ferment pas à l'heure indiquée. Mais encore une fois, est-ce le bourgmestre qui est chargé d'une pareille besogne ? Ne serait-ce pas abaisser les fonctions de bourgmestre à celles d'un garde-champêtre, que de prétendre qu'il doit parcourir tous les cabarets de sa commune ? Voilà cependant à quoi se réduisent les prétextes du ministère, et, disons-le avec M. Gachard, dans le passage que j'ai cité, les prétextes ne manquent jamais quand on veut abuser de la force.

Charles-Quint, quand il voulait enlever aux communes la nomination de leurs magistrats, trouvait aussi des prétextes. Les bourgeois, disait-il, nommaient leurs magistrats parmi des gens de métiers qui négligeaient leurs affaires et amenaient ainsi la ruine de leur famille. M. de Mérode, imbu, paraît-il, des paroles de Charles V, nous disait, il y a quelques jours, que dans le conseil communal, par exemple, il n'y avait pas un seul homme qui, en raison de ses occupations, et sans négliger les intérêts de sa famille, pourrait remplir les fonctions de bourgmestre, ce qui veut dire qu'à Bruxelles il faudrait nécessairement placer sur le fauteuil du chef de la commune un marquis, un comte, un baron !

Messieurs, j'oubliais un dernier prétexte, mais qui est tout aussi futile que les autres : Les bourgmestre et échevins, dit-on n'obéissent pas aux injonctions du gouvernement central, ils sont trop indépendants. Le pouvoir se trouve en quelque sorte à leur merci !

Qui donc autorise le ministère à tenir un pareil langage ; toutes les députations du royaume n'attestent-elles pas qu'il y a harmonie parfaite entre les administrations municipales et le pouvoir central ? Ne disent-elles pas que ces administrations n'ont jamais mieux marché.

Il faut, dit-on, que le gouvernement ait une action directe sur les administrations communales, et au moins en France le gouvernement a le droit de dissolution.

Nous l'avons déjà dit à M. le ministre, nous ne serions pas aussi éloignés de lui accorder la mesure de la dissolution que nous le sommes de lui accorder la mesure exorbitante qu'il réclame en ce moment.

Mais la dissolution serait-elle profitable au gouvernement, et oserait-il vous la demander ?

Plusieurs honorables membres qui appuient le ministère ne sont pas d'accord sur ce point avec le gouvernement.

M. le comte de Mérode a fait de nouveau allusion à ce qui s'est passé dans la ville de Toulouse, en vous parlant de la question de dissolution.

Mais, messieurs, ce qui s'est passé dans la ville de Toulouse, comme je l'ai dit dans une séance précédente, doit servir de leçon au gouvernement de la Belgique. Croyez-vous, messieurs, que le général Lejeune eût jamais consenti à accepter un conseil communal qui fût resté debout et à en prendre la présidence après la destitution des maires et adjoints.

Le général Lejeune avait trop de bon sens, sa réputation lui était trop chère pour que jamais il consentît à donner son concours au gouvernement dans de pareilles circonstances.

Mais le conseil communal de Toulouse fut dissous ; une commission de cinq membres remplaça l'administration. Le général Lejeune, avec quatre autres citoyens respectables, eut le courage, et la France lui en a tenu compte, de venir dans un moment si critique prendre les rênes de l'administration communale.

Et cependant, malgré leur dévouement, ces citoyens courageux n'eurent pas l'appui des électeurs, aucun des membres de la commission n'entra dans le nouveau conseil.

Pensez-vous que si en France il y avait eu une loi donnant au pouvoir exécutif la nomination des maires et adjoints en dehors du conseil sans avoir la facilité de dissoudre le conseil, et que le gouvernement eût nommé le général Lejeune comme chef de l'administration, pensez-vous, dis-je, que le général Lejeune eût atteint son but ? Pas du tout, messieurs. Le général Lejeune n'eût rien fait, par cela même qu'il aurait eu à ses côtés des conseillers communaux, qui à raison de leur position, lui eussent été infailliblement contraires.

Pensez-vous, pour parler de notre pays, que si, en Belgique, à une certaine époque il y eût eu une loi qui permît de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, et que si M. Minne-Barth, ne faisant pas partie du conseil, eût été nommé bourgmestre de Gand, il eût pu faire ce qu'il a fait comme membre du conseil ? Non assurément ! M. Minne-Barth n'eût pas eu la confiance de la ville de Gand. S'il a fait quelque bien, c'est précisément parce qu'il faisait partie du corps dont il a pris la direction et la présidence. Voulez-vous une nouvelle preuve de la bonté du système électif, vous la trouverez encore dans ce qui s'est passé en France à la suite du recensement.

Le recensement, au sujet duquel l'ordre public avait d'abord été troublé, ne s'est-il pas ensuite régulièrement effectué sous l'égide des conseils généraux, fruit de l'élection. Si les conseils généraux, au lieu d'avoir leur origine dans le principe électif, avaient été nommés par le gouvernement, ce n'est pas une armée de cent mille hommes qui aurait suffi, comme l'a prétendu M. de Mérode, un million de soldats n'auraient pas pu contenir le peuple français. Le système dont on a reconnu les bons effets en France on veut le remplacer en Belgique par un système subversif du bon ordre.

Quoi qu'on en dise, messieurs, toute la question qui s'agite ici se réduit, comme vous l'a fort bien dit l'honorable M. Dumortier, à une question politique, à une question d'élections.

Avec le système du projet de loi, les administrations communales suivront le sort du ministère et seront mobiles comme lui, car le pouvoir, déjà chancelant par lui-même, devra, pour se maintenir, faire jouer tous les ressorts administratifs, et comme en Angleterre, à chaque changement de ministère vous aurez un bouleversement complet dans tous les rouages de l'Etat.

Ici je ne puis mieux faire que de citer une partie du discours de l'honorable M. Liedts, cet honorable membre a traité la question ex professo et avec toute l'énergie qui caractérisait les hommes du congrès.

« M. Liedts. - Messieurs, le dépôt le plus précieux qui soit confié à notre garde, c'est la loi qui garantit la liberté des élections. Toutes les autres garanties sociales, fussent-elles violées, rien ne serait perdu tant que les élections amèneraient sur ces bancs des hommes qui fussent l'expression du vœu national, tant qu'il descendrait de cette tribune des paroles de vérité qui, se répandant parmi le peuple, prépareraient la voie pour reconquérir les libertés dont il serait momentanément privé. Aussi, je ne crains pas de le dire, ce serait un crime politique que de remettre entre les mains du gouvernement le pouvoir d'étouffer, dans les élections, la voix de la majorité et de faire arriver dans ce sanctuaire des hommes qui ne représenteraient qu'une majorité factice. Et cependant c'est ce pouvoir immense, redoutable à mes yeux, que vous allez confier au ministère sans même qu'il eût osé le solliciter.

« … Nous donnons déjà au gouvernement la nomination du bourgmestre, et après avoir créé de cette manière 2,600 nouveaux agents du pouvoir, destinés à devenir autant d'instruments dans les élections, vous ne craignez pas de lui en offrir plus de 6,000 en conférant au pouvoir exécutif la nomination de deux échevins au moins dans chaque commune.

« …Ainsi, lorsque ces tuteurs, ces pères de la commune seront devenus les agents du pouvoir, les hommes du gouvernement, les créatures des ministres, que ne fera-t-on pas pour violenter les consciences, pour imposer aux électeurs de la campagne le candidat officiel ? Promesses, menaces, tout sera mis en œuvre ; et quels sont les électeurs des communes sur lesquels l'un ou l'autre de ces moyens odieux n'exercera pas d'empire ?

« Aux employés salariés, aux secrétaires, aux receveurs communaux, des hospices, des bureaux de bienfaisance, on fera entendre la nécessité de faire abnégation de leur volonté et de leur raison, de voter aveuglément pour le candidat du pouvoir. A ceux qui ont le bonheur de jouir d'une position plus indépendante, l'on dira : Vous avez des enfants à placer, voulez-vous assurer leur avenir, obtenir pour eux une place, votez pour le candidat du ministère.

« Vous êtes notaire, greffier : désirez-vous obtenir une mutation avantageuse, votez avec nous.

« Vous êtes aubergiste, hôtelier : voulez-vous prévenir qu'on n'exécute à votre égard, avec une extrême rigueur, les règlements locaux sur la police de vos établissements, venez grossir nos rangs.

« Vous êtes des membres de notre famille : si vous voulez maintenir votre proche parent dans la place de bourgmestre ou d'échevin, votez avec nous.

« Vous êtes des cultivateurs : si vous ne votez avec nous, craignez que le canal qui doit fertiliser vos champs ne soit détourné, que la route vicinale projetée ne prenne une autre direction moins favorable à vos intérêts.

« Vous êtes choyé, fêté à la cour : si vous ne votez avec nous,... mais je m'arrête ici, quoiqu'il ne soit pas sans exemple, depuis notre révolution, qu'on ait mêlé le nom d'un auguste personnage aux intrigues électorales.

« Oui, c'est au moyen de ces discours et de mille autres semblables que l'on parviendra à fausser la représentation nationale, à éliminer tous ceux dont la voix trop libre gêne les ministres, à composer une chambre de fonctionnaires révocables ou de personnes qui aspirent à l'être.

« C'est alors que le ministère, en possession d'une chambre composée à son gré, pourra impunément démolir, pièce à pièce, les institutions du congrès et que les députés, au lieu d'être les organes des besoins de la nation, deviendront les apologistes de toutes les mesures destructives de notre charte.

« Le pouvoir est trop faible, il faut bâillonner la presse qui se constitue l'écho de toutes les exagérations.

« Le pouvoir est trop faible, il faut détruire le jury, institution antinationale.

« Le pouvoir est trop faible, il faut rendre les associations impossibles.

« C'est ainsi qu'au moyen des lois organiques on rendra méconnaissable l'œuvre admirable du pouvoir constituant, et que la charte sera comme un précieux cadre renfermant un hideux tableau. Et du côté de notre presse, vraiment nationale et indépendante, vous verrez des étrangers, dignes émules des Libry-Bagnano, encenser des abus que le bon sens public réprouve, déguiser l'oppression du peuple, vendre et prostituer ce que l'honneur a de plus noble : la vérité de la conscience et de la pensée.

« Messieurs, c'est s'abuser étrangement, de croire qu'en donnant au gouvernement le moyen de corrompre les élections on augmente sa force. Le gouvernement est fort, au contraire, lorsque, dans ces jours solennels, où le peuple assemblé délibère sur le choix de ses mandataires, il se trouve dans l'heureuse impuissance de lui imposer des candidats, lorsqu'il s'appuie sur une majorité librement élue. C'est alors que le gouvernement a pour lui l'opinion publique. les sympathies de la nation, l'affection du peuple, sans laquelle il n'est pas de trône qui soit stable, pas de couronne qui ne pèse.

« Et si un jour, par le vote que vous allez émettre, cette enceinte est envahie par les créatures du pouvoir, à qui remettrez-vous le soin d'y porter remède ? Comptez-vous sur vous-mêmes, vous, soutiens du ministère dans cette circonstance ? Mais qui vous dit que vous ne serez pas réduits, à cette époque, à déplorer au fond de vos provinces l'usage que l'on fait de l'arme fatale que vous aurez confiée au gouvernement.

« Comptez-vous sur le bon sens des électeurs ? mais non, vous aurez faussé l'expression de leur volonté, et une majorité dominatrice sera seule en possession du champ des élections.

« Mais, messieurs, si ce malheur vient à peser un jour sur la patrie ; si la représentation nationale, faussée dans sa source, n'est plus que l'expression d'une majorité obtenue par des intrigues électorales, il n'y a qu'un seul remède, remède d'autant plus violent que le mal est extrême ; c'est que la nation, longtemps trompée, fatiguée d'un despotisme coloré du nom de liberté, brise violemment le pouvoir qui l'opprime, au risque d'engloutir à la fois le trône et la liberté. »

Voilà comment parlait l'honorable M. Liedts à cette époque. Voilà comment on devrait parler encore aujourd'hui dans cette enceinte. (Approbation.)

Messieurs, on parle constamment de nationalité et par les tentatives liberticides qui se décèlent de toute part, on détruit le seul élément de nationalité qui ait pris racine chez les Belges.

Cet élément, c'est notre attachement aux franchises communales. Si nous avons conservé, à travers toutes les vicissitudes de notre existence pendant des siècles, un caractère propre et qui a servi de type à la plupart des nations civilisées ; si, après tous les bouleversements dont nous avons été victimes, notre nom n'a jamais péri ; si nous avons gardé cette individualité qui fait que nous nous appelons Belges et non Espagnols, Autrichiens, Français, Hollandais, si, comme l'écrivait naguère M. le ministre de l'intérieur dans une belle page : « Les Belges ont un caractère particulier et indélébile qu'on retrouve également sous la grossièreté des temps barbares, dans l'enthousiasme des croisades et de la lutte communale, dans l'aisance de la prospérité industrielle et parmi les raffinements de la civilisation moderne, à quoi donc l'attribuer ? n'est-ce pas à cet amour inaltérable des libertés communales ? »

Au milieu même des institutions variées et discordantes, si vous le voulez, qui nous ont régis pendant des siècles n'avons-nous pas toujours eu un lien commun, une pensée commune ; l'inviolabilité de nos franchises ? n'est-ce pas le drapeau qui a servi de ralliement aux diverses provinces qui constituent la Belgique ? n'est-ce pas par l'attachement à ces franchises que le Liégeois, le Brabançon, le Flamand, quoi que parfois divisés d'intérêts sous d'autres rapports, formaient un tout homogène, un peuple distinct, une nation enfin ? »

Maintenant on veut détruire ce seul élément qui fait notre force, qui constitue en quelque sorte notre essence, qui est le caractère de notre individualité, on veut étouffer tout l’amour des libertés communales, on veut altérer, métamorphoser notre caractère.

Espérons que l’on n’y parviendra pas. On peut, sans remuer les masses, plus ou moins porter atteinte aux droits qui sont d’institution moderne, on ne touche pas impunément aux anciens privilèges communaux et l’histoire peut nous servir d’enseignement.

Après avoir lutté depuis le 5e jusqu'au 12e siècle pour arracher aux barons et comtes les franchises communales, nos pères n'ont cessé depuis de les défendre au prix de leur sang et de leurs biens, contre les envahissements des idées dynastiques et de prétendue centralisation ! Affranchis des prétentions par lesquelles les nobles et les évêques voulaient leur imposer des magistrats, ils durent disputer aux princes et aux rois le choix de leurs bourgmestres et échevins.

Six siècles de protestations, de remontrances, de combats et de sacrifices pécuniaires ont consolidé des franchises scellées du sang de tant de générations.

Et lorsque tant de siècles ont contemplé ces luttes, ont été témoins des victoires sanglantes remportées par nos pères sur les nobles, les évêques et les rois ; lorsque l'histoire a enregistré ces protestations énergiques, ces remontrances fermes et fières, ces ligues défensives que nos communes formaient à la moindre menace d'envahissement ; lorsque nos annales nous ont conservé, à côté de ces valeureuses actions, les traités dans lesquels nos pères achetèrent, au prix de l’or, quelques lambeaux de liberté ; quand tous les jours nous sommes appelés à admirer ce beau spectacle où on voit alternativement le courage le plus héroïque joint à une grande générosité, on ose vouloir, d'un trait de plume, nous enlever des droits que le temps a prescrits !

Des ministres que le peuple a élevés sur le pavois, auxquels il a confié intacte cette arche sainte de ses franchises communales, veulent y porter une main impie et sacrilège ! Ce que la féodalité, cette hydre à cent têtes, n'a pu faire, ce que les monarchies appuyées sur les baïonnettes étrangères n'ont pu réaliser, eux seuls osent le tenter, et à cette époque, en 1842.

Ils veulent que les Belges renient 15 siècles de leur histoire, qu'ils accusent et trahissent la mémoire de tous les grands hommes auxquels ils doivent la conservation de leur nom. Il faut charger d'opprobre ces grands tribuns de nos anciennes cités, qui conduisirent nos ancêtres aux combats ; il faut taxer de factieux les auteurs de toutes les remontrances et protestations, il faut prendre en pitié ceux qui donnèrent de l'or pour étendre leurs libertés !

Et les princes mêmes qui comprirent les mœurs belges, qui régnèrent sur le cœur de leur peuple, ne méritent que mépris ! Jean duc de Brabant, Albert et Isabelle, Marie-Thérèse, tous ceux qui respectaient les franchises, qui les étendaient même, idoles de nos pères ne sont plus dignes des honneurs qu'on leur accordent, leurs principes étaient les mêmes que ceux de ces tribuns turbulents, de ces bourgeois fiers et jaloux de leur liberté ! Ceux-là seuls qui, comme nos ministres, ont voulu du pouvoir fort méritent notre estime. Charles le Téméraire, Philippe II, Joseph II, ont bien mérité de leur siècle, de la postérité, parce qu'ils ont méconnu le caractère et le cœur belge !

Arrêtons-nous, messieurs, de crainte de réchauffer les cendres des héros et des martyrs de nos franchises communales.

Mais que nos ministres y réfléchissent, leur responsabilité est énorme, le matérialisme de notre siècle, sous son écorce brute, n'a pas encore étouffé tout sentiment national. A l'aspect des statues élevées sur les places publiques à nos tribuns, à nos Agneessens, à nos Artevelde, à nos Laruelle, à nos Henri de Dinant, les cœurs peuvent se réveiller. Le dévouement, l'énergie et le courage que ces grands hommes rappellent, peuvent s'emparer de nos âmes et les enflammer, comme jadis ils enflammèrent les âmes de nos pères, pour défendre à quelque prix que ce soit nos franchises, reconquérir même celles qui nous ont été ravies. Que le passé serve de leçon pour l'avenir.

Un grand nombre de membres. - Bien, très bien !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande la parole.

M. de Mérode. - Je la demande pour un fait personnel.

« Messieurs, je n’ai, vient de vous déclarer M. Verhaegen, à prendre conseil de personne quant à la délicatesse de ma conduite », et cependant il s'est abstenu d'expliquer la lettre flamande dont voici la traduction :

« Monsieur et ami, ayant déjà publié à la chambre des représentants mon opinion contre les mains-mortes, les dîmes, on emploie tous les moyens pour empêcher ma réélection ; en cette circonstance, je prends la liberté de vous prier amicalement de m’être secourable en me donnant votre voix et celle de vos amis.

« Veuillez me venir parler et ne rien dire de ceci à M. le curé.

« 26 mai 1841. (Signé) VERHAEGEN, aîné. »

Plusieurs membres. - Quel rapport cela a-t-il avec la discussion ?

M. Verhaegen. - Je ne vous répondrai pas, M. le comte. C'est un piège ; vous ne m'y attirerez pas aujourd'hui.

M. le président. - Je ferai observer à M. de Mérode qu'il n'a la parole que pour un fait personnel.

M. de Mérode. - Vous allez voir le fait personnel.

M. Verhaegen s'est abstenu également de rien rétracter de ce qu'il avançait contre la loyauté de mon opinion ; et puisque je suis si pointilleux, nouveau compliment que m'a octroyé tout à l'heure l'honorable préopinant, je demande à me faire moi-même la justice qu'il me refuse.

J'avais, disait-il dans sa censure lancée contre mon inconcevable transformation, encouragé le peuple à planter l'arbre de la liberté, qui étendait déjà ses rameaux, lorsque bientôt après je comprimais sa sève, et qu'aujourd'hui qu'il a jeté de profondes racines, je voulais le faire tomber à coups de hache. C'est en revoyant au Moniteur cette effrayante figure de rhétorique, que je me suis rappelé la distance respectueuse dans laquelle se tenait M. Verhaegen à l'époque de sa plantation, pendant que MM. Liedts et Nothomb se tenaient comme moi très près des racines du peuplier. J'ai dit, messieurs, que dans les reproches de M. Verhaegen tout est faux, et puisqu'il ne veut pas le reconnaître, en peu de mots je le prouverai. J'aurais, selon lui, déclaré que les libertés conquises par le peuple donnaient lieu aux plus graves inconvénients. Les libertés que le peuple avait conquises ! Ainsi j'ai condamné l'existence d'un parlement où figure un sénat éligible ; j'ai blâmé la représentation de la province par un conseil électif, la représentation de la commune par un conseil électif ; la liberté de l'enseignement, si chère à tous les vrais amis de la liberté des cultes ; j'ai attaqué le dévergondage de certaine presse, par exemple, de celle qui invente le retour de la dîme pour soutenir l'élection de M. Verhaegen, vainqueur d'un monstre aussi dangereux que la vieille mâchoire du dragon de Mons. Donc j'ai attaqué la liberté de la presse. De cette singulière conclusion, il résulterait que les gardes-champêtres de nos 3,000 communes sont liberticides du droit de circulation, parce qu'ils ne permettent pas aux promeneurs de courir à travers champs et de fouler les moissons. Certaine presse foule et torture les réputations les plus justement acquises, ce qu'on n'aurait pas même (en vertu de la liberté) le droit de flétrir à la tribune ; et pourquoi ? parce que ce dévergondage plait à M. Verhaegen, et qu'il le confond avec la liberté, attendu que l'encens de ladite presse fume pour lui largement.

Je ne répéterai pas à M. Verhaegen ce qu'il m'adressait en finissant sa première mercuriale. « Je suis charmé que l'honorable comte de Mérode m'ait fourni l'occasion de lui dire, au sujet de son discours, toute ma pensée. » Messieurs, il m'en coûte, au contraire, de dire des choses peu flatteuses à un collègue, mais il faut enfin, quand nous traitons des projets de loi, en revenir à des discussions sérieuses. Le pathos de tribun, dénigrant les opinions gouvernementales modérées, et lançant à tort et à travers des diatribes soi-disant libérales, ne produit que confusion et fait d'une chambre une tour de Babel. Nous ne sommes pas en Belgique à l'époque de Caius et Tiberius Gracchus, et l'honorable M. Verhaegen devrait renoncer à des parodies qui ne le placeraient pas haut dans nos fastes parlementaires aux yeux de la postérité.

S'il veut suivre ce bon conseil, nous vivrons en paix, malgré nos dissidences. Dans sa vie privée, M. Verhaegen est de bonne composition, je me plais à le dire. Au lieu de se montrer dans la vie publique frère terrible, qu'il soit encore frère tranquille comme en 1830. Les personnes auxquelles il a fait allusion tout à l'heure lui en donnent l'exemple, et ne se livrent pas dans cette enceinte à une fougue libérale, qui ferait contraste avec leurs précédents. Je n'ai donc point signalé ces personnes, ainsi qu'a paru le croire ou le supposer le préopinant. Quant à M. de Montalembert, il a écrit ou parlé depuis l'âge de 22 ans. Et les faits sont plus concluants pour moi que toutes les citations dont nous venons d'entendre une si longue série, puisée dans tous les siècles, même au moyen âge qui voyait fleurir à côté de l'indépendance communale absolue la potence féodale et la dîme.

Voilà tout ce que j'ai à dire.

Plusieurs membres. - Très bien.

M. Verhaegen (pour un fait personnel). - Messieurs, je croirais manquer à la chambre, si je m'abaissais à répondre à M. le comte de Mérode.

M. le président. - Je dois rappeler que le règlement interdit formellement les personnalités et veut que l'orateur s'adresse exclusivement au président ou à la chambre. J'invite donc les orateurs à ne plus se livrer à des allocutions personnelles envers aucun de leurs collègues.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Au début de son discours, l'honorable M. Verhaegen a reproché au ministère d'avoir l'espérance de voir cette chambre se diviser en deux camps ; de compter sur cette division pour le succès de la proposition qui vous est faite. Je me garderai bien de renvoyer ce reproche à l'honorable membre, en vous rappelant ses premiers discours. Je lui sais gré même de s'être aujourd’hui, fidele au début de son discours, placé sur le terrain que, pour ma part, je n'ai jamais quitté ; je ferai en sorte de m'y maintenir et d'y maintenir la discussion.

Son discours peut se résumer en cette simple proposition : la loi qui vous est soumise est destinée à détruire les libertés communales, les franchises communales, les privilèges municipaux : telles sont les dénominations dont il s'est successivement servi. La preuve de cette proposition, je l'attendais de l'honorable membre.

J'avoue que je ne la trouve pas dans son discours. En admettant sa proposition comme démontrée, certaines parties de son discours, certaines apostrophes étaient de nature à vous émouvoir ; mais c'est sa proposition même qu'il aurait fallu d'abord établir.

Je pourrais m'arrêter ; je vais aller plus loin. Je vais essayer de prouver que sa proposition est dénuée de fondement. Ce n'est pas une question de parti, ce n'est pas même une question de monarchie ou de république ; c'est une question de pouvoir, une question de gouvernement. Nous avons à rechercher si, d'après la loi de 1836 combinée avec notre constitution, le pouvoir exécutif se trouve, quant à la commune, dans ses véritables conditions d'existence. Ce que nous dirons est vrai partout, c'est-à-dire dans tous les Etats véritablement constitués.

Selon nous, il ne s'agit pas de spolier les communes ; il s'agit de rendre au pouvoir exécutif une partie de ce qu'on lui a indûment dénié en 1836 ; Il s'agit d'une restitution a faire au pouvoir central. (Interruption et réclamations diverses.)

M. le président réclame le silence pour l'orateur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il aurait fallu nous démontrer que le pouvoir exécutif était, avec le système de la loi de 1836, organisé comme il doit l'être d'après la constitution.

Il aurait fallu nous définir ce qu'on appelle les libertés communales, les franchises communales, les privilèges communaux. C'est dans cet ordre d'idées que je vais me placer. Qu'est-ce que les libertés communales ? Qu'est-ce que le pouvoir exécutif, à qui appartient-il ? C’est à ces questions qu'il faut sans cesse ramener la discussion. Le pouvoir exécutif appartient au Roi, d'après la constitution. La constitution attribue aux conseillers directement élus de la commune le règlement des intérêts exclusivement communaux. La loi de 1836 n’a-t-elle de fait assuré au Roi le pouvoir exécutif dans la commune. La loi de 1836 n'a-t-elle pas au contraire attribué aux conseillers directement élus dans la commune autre chose que le règlement des intérêts exclusivement communaux ?

Je demande pardon à la chambre, si je reviens plusieurs fois sur la même idée ; c'est que je tiens à établir le point de départ de la discussion.

Je n'ai pas besoin de vous lire l’article de la constitution qui attribue au Roi le pouvoir exécutif. Attachons-nous seulement aux deux articles qui posent le principe des libertés communales. L'article 31, au titre des pouvoirs, porte :

« Art. 31. Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d’après les principes établis par la constitution.»

Ainsi les intérêts exclusivement communaux doivent être réglés par les conseils communaux d’après les principes établis par la constitution, et notamment d'après un grand principe qui domine la constitution, c'est qu'au Roi appartient le pouvoir exécutif.

L'art. 108, au chapitre des institutions provinciales et communales, ne fait qu'appliquer l'art. 31 que je viens de citer. Il porte :

« Art. 108. Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois. Ces lois consacrent l'application des principes suivants… 2° l'attribution aux conseils communaux de tout ce qui est d'intérêt communal. »

La constitution a donc voulu que le règlement des intérêts exclusivement communaux fût placé dans les attributions des conseils communaux, c'est-à-dire des conseillers directement élus dans les communes.

La puissance publique, messieurs, consiste dans la volonté et dans l'exécution. L'exécution est attribuée au Roi, la volonté, c'est-à-dire le pouvoir délibérant dans la commune, quant aux intérêts communaux, est attribué à des citoyens directement élus dans la commune même. Au pouvoir central l'exécution ; à l'élection dans la commune, le pouvoir délibérant.

Rien de plus facile que de résoudre maintenant les questions que je me suis posées.

Qu'est-ce que les libertés communales, les franchises communales, les privilèges municipaux, en Belgique ? C'est le droit attribué à la commune de régler par elle-même, c'est-à-dire par des citoyens directement élus, les intérêts exclusivement communaux.

Dans les communes, nous avons institué, pour les intérêts exclusivement communaux, un pouvoir délibérant dévolu au principe électif, comme nous avons institué dans les provinces un pouvoir délibérant pour les intérêts exclusivement provinciaux ; comme nous avons institué pour la nation un pouvoir délibérant attribué aux chambres pour les intérêts généraux.

Vis-à-vis des chambres législatives, le Roi est resté investi du pouvoir exécutif. Vis-à-vis des conseils provinciaux, le Roi est resté investi du pouvoir exécutif. Vis-à-vis des conseils communaux, l'est-il ?

On s'était flatté, en 1836, que le Roi serait dans les communes investi du pouvoir exécutif ; on s'est trompé dans cette attente. J'ai déjà dit, messieurs, comment il se faisait qu'on s'était trompé. J'ai appelé votre attention sur une chose qui vous était échappée en 1836, l'épreuve que doit subir au mois d'octobre prochain l'agent principal du pouvoir exécutif dans les communes ; épreuve qui est telle qu'il s'agit pour lui d'une véritable destitution ; non pas par le gouvernement central, mais par les électeurs. Sa position est par là complètement dénaturée.

Le bourgmestre, étant soumis à la réélection, ne l'est pas seulement comme conseiller, il l'est aussi comme bourgmestre. Les électeurs seront appelés à juger de sa conduite comme bourgmestre. S'il n'est pas réélu, ce n'est pas seulement comme conseiller qu'il n'est pas réélu, c'est comme bourgmestre, comme agent principal du pouvoir exécutif dans la commune. S'il est réélu, par cela même il sera maintenu, et de fait, il faut à l'avenir le considérer comme un bourgmestre électif, et non plus comme un bourgmestre nommé par le pouvoir central. (Interruption.)

J'entends dire que, même après la réélection, il dépendra du gouvernement de ne pas maintenir le bourgmestre.

Je dis que le bourgmestre réélu au mois d'octobre prochain sera forcément maintenu par le gouvernement. Il le sera, de même qu'il y aura impossibilité pour le pouvoir de maintenir de son côté le bourgmestre qui se trouvera destitué par la non-réélection.

Quand on voit le fond des choses, on doit dire qu'en réalité c'est ainsi.

Nous savons maintenant, messieurs, ce qu'il faut entendre par les libertés communales ; c'est le pouvoir délibérant accordé exclusivement aux élus de la commune pour tout ce qui concerne les intérêts purement communaux.

Messieurs, je vous étonnerai peut-être en ajoutant qu'en France il n'y a pas de franchises municipales. En effet, en France le pouvoir délibérant, pour les intérêts exclusivement communaux, n'appartient pas aux conseils municipaux, n'appartient pas aux citoyens élus par la commune ; en France l'administration et le règlement de la majeure partie des intérêts communaux sont attribués au maire. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les lois françaises que j'ai fait, il y a quinze jours, insérer au Moniteur, précisément pour éclairer cette discussion.

D'après ces lois, le conseil municipal, se réunit quatre fois par an ; il ne peut se réunir extraordinairement qu'avec l'autorisation du préfet, et il n'est appelé, le plus souvent, qu'à émettre des vœux. C'est l'expression de la loi. Le maire a toutes les attributions qui sont dévolues aujourd'hui en Belgique au collège échevinal et de plus une grande partie des attributions dévolues à nos conseils communaux : tel est messieurs, le sort des communes françaises.

Faut-il maintenant s'étonner de ce qu'en France on ait été inévitablement conduit à prescrire au gouvernement central de choisir le maire dans le conseil municipal ? Mais, messieurs, en France le maire est un agent essentiellement mixte ; il ne représente pas seulement le pouvoir central, en ce qui concerne l'exécution des lois générales, des lois de police, mais il est de plus administrateur unique de la commune ; entre ses mains se concentre le règlement des intérêts communaux ; sur sa tête se trouvent accumulées toutes les attributions que nous avons données chez nous, soit au conseil communal, soit au collège des bourgmestre et échevins. Je n'hésite donc pas à dire, messieurs, qu'en France il n’y a pas de franchises municipales.

L'honorable préopinant, en vous citant les lois allemandes, saxonnes, prussiennes, etc., aurait dû nous dire quelles sont les attributions des conseils communaux dans ces pays ; mais c'est là ce qu'on ne nous a pas dit.

L'honorable membre a supposé que, pour établir une identité parfaite entre l'organisation communale belge et l'organisation communale française, il suffirait d'introduire dans notre loi le droit de dissolution. Si ce droit était introduit dans notre loi, messieurs, nous serions loin encore d'avoir placé les deux pays sur la même ligne : la dissolubilité des conseils municipaux ne constitue pas la seule différence qu'il y ait entre l'organisation française et la nôtre ; il y a une différence bien autrement importante, une différence essentielle ; je l'ai indiquée, elle est dans les attributions des conseils communaux : en France le pouvoir délibérant pour les intérêts communaux n'est pas attribué exclusivement aux conseils municipaux ; en Belgique il est exclusivement attribué aux conseils communaux.

En un mot, le conseil communal, en Belgique, exerce un véritable pouvoir législatif, en ce qui concerne les intérêts communaux ; c'est un véritable corps législatif au petit pied pour les affaires communales ; cela n'existe pas en France, et je crois pouvoir dire, que cela n'existe dans aucun autre pays. C'est aussi, messieurs, ce qui existait en Belgique avant 1790 ; nos anciennes franchises consistaient plus ou moins dans le droit attribué aux magistrats municipaux, de régler les intérêts exclusivement communaux ; ces franchises n'ont jamais consisté dans l'exécution des lois, dans l'exécution des règlements, même locaux, de police. L'exécution n'a jamais été considérée comme une franchise communale.

« Mais, dira- t-on, d'après ces principes vous devriez aller plus loin, vous devriez demander que le pouvoir exécutif tout entier est attribué au bourgmestre, agent du pouvoir central dans la commune. » J'en conviens, messieurs, je l'ai dit depuis quinze jours, lorsque cette discussion s'est ouverte ; j'ai rappelé alors mes anciennes opinions, mais j'ai aussi ajouté pourquoi je m'arrêtais à la transaction faite en 1836, transaction dont nous ne sortons pas même avec le projet de la section centrale. (Interruption). Je dis que nous ne sortons pas de la transaction de 1836, parce que cette transaction a porté sur les attributions, parce qu'elle consiste en ce qu'on a donné aux échevins, concurremment avec le bourgmestre, l'exercice du pouvoir exécutif dans la commune ; or, même avec le projet de la section centrale,le pouvoir exécutif, moins la police, continuera à être exercé concurremment dans la commune par le bourgmestre et les échevins ; le caractère mixte des échevins sera maintenu, et dès lors leur origine peut également rester mixte.

Recherchons quelle sera la position des bourgmestres si les modifications proposées sont adoptées. Nous pouvons examiner cette position sous deux rapports, sous le rapport administratif et sous le rapport politique. Examinons-la d'abord sous le rapport administratif.

Le bourgmestre deviendra-t-il un agent omnipotent dans la commune, comme l’a dit l'honorable M. Orts, dans la séance d'hier ? En quoi la position du bourgmestre sera-t-elle changée ? Il continuera à exercer le pouvoir exécutif avec les échevins, comme il l'exerce d'après la loi actuelle ; il n'y a qu'une seule exception en ce qui concerne la police.

Le règlement des intérêts exclusivement communaux est-il enlevé au conseil communal ? Non, messieurs, quand le conseil communal aura décidé négativement, le bourgmestre sera dans l'impossibilité d'agir ; quand le conseil communal aura décidé affirmativement, le bourgmestre sera dans la nécessité d'agir, pourvu que la décision du conseil communal ait reçu l'approbation qu'elle doit recevoir, non pas d'après la proposition soumise à la chambre, mais, d'après la loi en vigueur. Ainsi, le bourgmestre ne peut exécuter que ce que la commune aura décidé, et, d'un autre côté, il ne peut pas ne pas exécuter ce que la commune aura décidé. Je parle toujours des intérêts exclusivement communaux ; nous ne pouvons pas attribuer autre chose à la commune,

La police exceptée, le bourgmestre remplira ses attributions pour un tiers, là ou le collège échevinal est composé de trois membres, pour un cinquième la où le collège échevinal est composé de 5 membres. Voilà donc, messieurs, la véritable position du bourgmestre sous le rapport administratif ; nécessité d'exercer tout son pouvoir, la police seule exceptée, concurremment avec les échevins ; impossibilité d'agir lorsque la commune a dit non ; impossibilité de ne pas agir lorsque la commune a dit oui. C'est là, messieurs, l'immense pouvoir accordé à cet agent que l'on proclame ici omnipotents.

Un membre. - Mais qui le forcera d'agir ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - S'il n'agit pas, il sera dénoncé par le conseil communal à l'autorité supérieure. Il sera d'ailleurs contraint à agir par les échevins qui exercent avec lui le pouvoir exécutif ; il faudra donc bien qu'il remplisse son devoir.

Un membre. - L'autorité supérieure ne tiendra pas compte de ces réclamations.

M. le président**.** - Je prie de ne pas interrompre. La discussion n'est pas sur le point d'être close, et ceux qui ont des observations à présenter peuvent demander la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On dit que l'autorité supérieure ne tiendra pas compte des réclamations qui lui seront faites. Mais c'est là supposer l'absurde, c'est supposer encore une fois que le pouvoir central se plaît à créer des luttes dans chaque commune, à semer l'agitation dans le pays.

Vous voyez donc, messieurs, que la position des bourgmestres ne grandit pas beaucoup par la loi proposée ; la police exceptée, cette position reste la même ; je me trompe, elle est changée : sous un autre rapport, sous le rapport de l'indépendance personnelle : le bourgmestre ne sera plus préoccupé de sa réélection ; principal agent du pouvoir exécutif dans la commune, il pourra remplir ses devoirs, donner une impulsion salutaire à ses collègues du collège échevinal, au lieu de recevoir cette impulsion. Voilà, messieurs, en quoi la position du bourgmestre sera changée ; elle sera changée moralement plutôt que matériellement.

J'ai dit, qu'il fallait considérer, en second lieu, la position du bourgmestre sous le rapport politique. Hier un honorable membre s'est attaché à ce côté de la question ; il a dit que vous alliez augmenter démesurément l'influence électorale du pouvoir central, en mettant à sa disposition un agent électoral dans chaque commune ; cet honorable membre vous avait déjà signalé le même danger en 1836, lorsqu'il demandait que le bourgmestre fût choisi par les électeurs ; alors aussi il vous disait que si le bourgmestre n'était pas choisi par les électeurs, le gouvernement aurait dans chaque commune un agent qui lui serait dévoué corps et âme. Cette crainte lui était inspirée par la seule idée que le gouvernement nommerait le bourgmestre dans le sein du conseil. On a pu voir, par l'expérience faite depuis 1836, jusqu'à quel point les appréhensions de l'honorable membre se sont réalisées. Eh bien, messieurs, je crois que les craintes qu'il exprime aujourd'hui se réaliseront aussi peu. Pour s'en convaincre il suffit de voir de quel degré d'indépendance jouissent tous les fonctionnaires publics en Belgique. (Interruption.)

Ce n'est pas d'ailleurs la présence d'un agent dans la commune qui peut augmenter l’influence du gouvernement ; les agents dont il s'agit sauront ce qu’ils se doivent à eux-mêmes, ils sauront que, ne relevant pas des électeurs, qu'étant avant tout des hommes d'administration, ils ont le droit de prendre la position qui convient à la dignité de leur caractère, et je n'hésite pas à dire qu'ils la prendront.

Je m'étonne, messieurs, que ceux qui nous accusent de faire injure au pays, ravalent à ce point les agents du gouvernement, que l'on dirait véritablement que les fonctionnaires publics n'appartiennent plus au pays, mais qu'ils constituent en quelque sorte une classe de parias, que l'on peut suspecter d'être dénuées de toute espèce d'indépendance de caractère.

Du reste, ce que l'honorable M. Dumortier a dit hier, il l'avait dit en 1836, et il lui a été répondu alors. Je ne veux pas imiter l'honorable M. Verhaegen, et venir vous lire le Moniteur, où ces réponses se trouvent, mais chacun pourra les y voir ; quant à moi, je ne veux pas même dire les noms des orateurs qui l'ont réfuté.

L'honorable M. Verhaegen a vu une grande imprudence politique dans la tentative que fait en ce moment le ministère ; il vous a dit qu'il avait existé dans le pays trois partis et qu'il fallait faire en sorte que ces trois partis n’eussent rien à regretter. Il a cité d'abord le parti républicain. Je pense que, quoi que nous fassions, ce parti aura toujours à regretter. Il est passé ensuite au parti orangiste, et à ce propos il a fait le parallèle entre les propositions dont nous nous occupons et les projets qui sont soumis aux états généraux de Hollande ; la comparaison de ces deux espèces de propositions est, selon l'honorable membre, tout à fait au désavantage de la Belgique. Cependant, messieurs, il n'y a pas entre les projets présentés eu ce moment aux états généraux de Hollande et ceux qui sont soumis à la chambre, au moins en restreignant ces dernières au projet primitif, il n'y a pas, dis-je une bien grande différence entre ce qui est proposé en Hollande et ce qui est proposé en Belgique.

En Hollande, on demande pour le roi le droit de choisir le bourgmestre soit dans le conseil, soit en dehors du conseil ; c'est-à-dire que la proposition principale dont nous avons à nous occuper est absolument identique. Il n'y a de différence que pour la durée des fonctions. Mais une autre chose que l'honorable membre a oubliée, c'est de dire quelles sont les différences qu'il y a dans la répartition des attributions ; il aurait dû établir que les attributions des conseils communaux en Hollande et du collège échevinal, d'après la nouvelle loi, seront les mêmes que les attributions des conseils communaux et du collège échevinal en Belgique ; il aurait dû établir qu'en Hollande le pouvoir délibérant, quant aux intérêts communaux, est exclusivement dévolu au conseil communal.

Du reste, messieurs, je ne crains pas la comparaison entre la constitution politique de la Belgique et la constitution des autres pays, et entre autres de la Hollande, alors même que l'on introduirait en Hollande, dans la loi communale, tous les amendements que l'honorable membre suppose.

Je me bornerai, messieurs, à vous indiquer une seule différence entre les constitutions politiques des deux pays ; je me bornerai à vous faire remarquer que l'élection directe n'existe pas en Hollande pour les états généraux. (Exclamation et interruption.)

Aussi longtemps que cette élection directe n'existera pas en Hollande, il y aura entre les institutions politiques des deux pays une différence fondamentale. (Nouveaux mouvements.)

En Belgique, messieurs, l'élection directe est la base de la formation des chambres, des conseils provinciaux, des conseils communaux, j'attends, pour craindre la comparaison de mon pays avec la Hollande, que l'élection directe y devienne aussi la base de la formation de tous les pouvoirs délibérants ; or je crois que j'attendrai longtemps.

L'honorable membre, pour justifier ce qu'il a dit de la haute imprudence que nous aurions commise, nous a ensuite entretenu des regrets des partisans de la réunion à la France. Il a dit que nous allons faire disparaître les barrières morales qui existent entre les deux pays, barrières morales qui sont plus fortes que des barrières matérielles pour garantir notre nationalité. Sans entrer, messieurs, dans la comparaison de la constitution politique de la France avec la constitution politique de notre pays, des droits des citoyens français avec les droits des citoyens belges, je m'attacherai à un seul point que je vous ai déjà indiqué tout à l’heure.

Je le répète, il n'y a pas en France de franchises communales ; le pouvoir délibérant dans la commune pour les intérêts communaux n'est pas attribué aux élus de la commune, c'est le maire qui est administrateur unique et qui exerce même le plus souvent le pouvoir délibérant, quant aux intérêts communaux.

La différence entre la loi française et la nouvelle loi belge est dans les attributions dévolues au conseil communal, on ne peut assez le dire, elle n'est pas dans la disposition qui donne au Roi le droit de nommer le bourgmestre hors du conseil, ou qui le force de le nommer dans le conseil, elle n'est pas là ; c'est ce qu'on ne doit pas perdre de vue, quand on veut comparer dans toutes ses parties l'organisation municipale des deux pays.

C'est donc bien à tort qu'on nous accuse de ravaler la commune belge, de la placer plus bas que les communes dans d'autres pays. Aussi longtemps que chez nous le pouvoir délibérant des intérêts communaux, demeurera dévolu au conseil communal, la commune belge aura une position que les communes n'ont dans aucun autre pays.

En terminant, messieurs, je renouvellerai, avec l'honorable M. Verhaegen, le vœu qu'il a exprimé au commencement de son discours, c'est que cette discussion se fixe sur le terrain où j'ai cherché à me maintenir. C’est donc une question, non de parti, mais de gouvernement, qui vous est soumise. Vous avez à rechercher si le pouvoir exécutif, tel qu'il a été organisé en Belgique d'après la loi de 1836, se trouve dans ses véritables conditions d'existence : là est toute la discussion.

Nous avons fondé une nation en 1830 ; le premier moyen conservateur de notre nationalité, c’est d'avoir un véritable gouvernement. Nous avons à examiner si ce gouvernement est constitué comme il doit l'être dans la commune. Quant à moi, quelle que soit la position que je puisse occuper dans cette chambre je n'aurai jamais qu'un but, je ne formerai jamais qu'un vœu : c'est que mon pays soit gouverné.

- La séance est levée à quatre heures et demie.