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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 28 mai 1842

(Moniteur belge n°149, du 29 mai 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l'appel nominal à 1 heure.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Palla, secrétaire du parquet près le tribunal de Verviers, demande que des dispositions de nature à améliorer le sort des secrétaires des parquets soient introduites dans la loi sur les traitements de l'ordre judiciaire et que son traitement soit porté de 700 à 900 fr. »

- Sur la demande de M. Lys cette pétition est renvoyée à la section centrale qui sera chargée de l'examen du projet de loi sur les traitements des membres de l'ordre judiciaire.


« Les secrétaires communaux du canton de Gembloux demandent que des dispositions de nature à améliorer le sort des secrétaires communaux soient introduites dans les projets de loi modificatifs de la loi communale. »

« Même demande des secrétaires communaux du canton de Sottegem. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets.


« Le sieur Henri van Lieshout, lieutenant adjudant-major au 3e bataillon du 5e régiment de ligne, en garnison à Menin né à Deurne-et-Liessel (Hollande), demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


Par dépêche du 27 courant, M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) transmet à la chambre dix demandes en naturalisation avec renseignements y relatifs.

- Renvoi à la commission permanente des naturalisations.

Projet de loi apportant des modifications à la loi communale, en ce qui concerne les bourgmestres

Discussion générale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi apportant des modifications à la loi communale en ce qui concerne les bourgmestres.

M. Vandenbossche. - Messieurs, j'ai dit, dans une séance précédente, que je trouve de graves inconvénients dans la nomination des bourgmestres par le Roi dans le sein du conseil.

Je connais des communes, où des personnes fortunées, probes et capables se trouvent exclues du conseil parce que la commune ne les veut pas pour bourgmestre ; et quand on veut un bourgmestre déterminé, où le conseil est composé de manière qu'il serait même impossible au gouvernement d'en nommer un autre, et tout cela au grand détriment des intérêts de la commune. Je connais aussi les communes où il y a différents partis, qui ont chacun leur candidat bourgmestre ; dans ce cas le seul candidat du parti qui possède la majorité dans l’élection, fait partie du conseil ; tous les autres en sont écartés. Alors le parti qui a succombé intrigue contre le candidat de la majorité, et parvient, d'après l'influence de ses chefs sur le commissaire du district, à faire nommer bourgmestre un homme qui ne contente personne et parfois même déplaît à tous. Voilà les causes des désordres et de la désunion que l'on rencontre souvent dans les communes.

Si la commune pouvait élire directement son bourgmestre, on cabalerait pour lui, mais le bourgmestre nommé, les cabales deviendraient insignifiantes pour les échevins et disparaîtraient entièrement pour les conseillers ; de cette manière on parviendrait à avoir dans le conseil tout ce qu'il y a de plus honorable, en fait d'instruction et de moralité, parmi les électeurs, et la commune serait en paix.

On pourrait d'ailleurs prévenir cette grande cabale en conférant au conseil le droit de désigner le bourgmestre dans son sein.

Dira-t-on que la nomination des bourgmestres, par le Roi, hors du conseil, aurait les mêmes effets ? Oui, en ce qui regarde l'élection, mais pas en ce qui concerne les intérêts de la commune et de ses habitants. Le bourgmestre est le représentant de la commune dont le gouvernement, dans une monarchie constitutionnelle, est l'adversaire. Le bourgmestre, c'est l'intermédiaire entre ses administrés et le gouvernement ; c'est lui qu'ils peuvent aborder, c'est à lui qu'ils doivent avoir recours. Peut-on sérieusement concevoir l'idée de conférer au gouvernement le droit de nommer à sa volonté ce défenseur naturel des droits de la commune et de ses habitants contre les tracasseries et les vexations de ce même gouvernement ou de ses agents ? Nommé pour représenter le gouvernement et par lui, sans participation des habitants, peut-il être sérieusement regardé pour le représentant de la commune ? Evidemment non. Ce n'est plus un représentant de la commune, mais un curateur que le gouvernement lui impose. N'oublions pas, messieurs, ce que l'on a vu de ces bourgmestres de Guillaume, de ces maires de l’empire, qui eux aussi représentaient la commune. J'ai connu, sous le gouvernement précédent, un bourgmestre, indignement molester une fille dévote pour contravention aux arrêtés de Guillaume sur l'instruction. Or, quel était son délit ? Elle avait ouvert une école à filer le lin, mais où elle apprenait aux enfants le catéchisme et simultanément leur A, B, C, ainsi qu'un peu à lire ; elle ne poussait pas au delà son instruction, les enfants n'y apprenaient pas à écrire.

L'objet principal de son école était d'apprendre aux enfants le catéchisme ; elle y avait ajouté l'apprentissage du filage du lin ; pour leur procurer en même temps un moyen de vivre et ne pas leur laisser perdre le peu de gain, qu'ils auraient pu négliger, en apprenant leurs devoirs religieux ; l’instruction proprement dite n'était de son école qu'un objet très secondaire, voilà son délit. Elle fut dénoncée au commissaire de district, le bourgmestre reçut l'ordre de la poursuivre ; mais il fallait des preuves ; car son école n'était connue que sous le titre de spin-school, école où l'on apprend à filer. Le bourgmestre, sans la prévenir, fit inopinément visiter son école ; on y trouva quelques catéchismes ou autres livres pieux sur les rouets des enfants ; on les saisit comme pièces de conviction, et la pauvre fille fut traduite, par son bourgmestre, devant le tribunal. Cette femme est venue me consulter, je me suis transporté pour elle chez le juge d'instruction, qui était mon ami et mon cousin ; je lui ai détaillé l'affaire, il l'a comprise, et elle a été acquittée, mais cela ne contentait pas le gouvernement et son agent. Le bourgmestre en a fait interjeter appel par le ministère public, et la malheureuse fille a dû subir une seconde instance ; le jugement a été continué. Ce qui prouve que les poursuites étaient injustes et vexatoires.

Ce bourgmestre était-il le représentant de sa commune ? Etait-il l'intermédiaire entre ses administrés et le gouvernement ? Etait-il leur défenseur contre les vexations du pouvoir et de ses agents, la première qualité d'un bourgmestre ? Non, messieurs ; il était lui-même agent du pouvoir ; et il ne pouvait pas, dans l'occurrence, être l'un et l'autre ; et devant nécessairement opter entre sa place et ses devoirs de bourgmestre ou de représentant de la commune, il a méprisé ceux-ci pour conserver sa place.

Qu'était-ce d'ailleurs pour un homme ce bourgmestre ? Il est mort avec la réputation d'honnête homme. Signe évident qu'on trouvait une pareille conduite tout à fait naturelle dans un agent du gouvernement, et qu'elle était aussi généralement suivie.

Cet exemple et mille autres ont porté le congrès à soustraire la commune à l'action directe du pouvoir central ; mais à peine constitué le gouvernement enviait à la commune ses prérogatives constitutionnelles. Nous ne fûmes qu'en 1833 que l'on nous proposait déjà l'enlèvement de ses privilèges. En 1836, les chambres consentirent à lui enlever la nomination directe de tous les membres de son collège échevinal ; elles conférèrent au gouvernement le droit extravagant, d'après moi, de nommer le bourgmestre et les échevins dans le sein du conseil ; et en 1842, avant l'expérience d'un renouvellement, avant la première sortie du premier bourgmestre nommé, il se trouve déjà trop à l'étroit, il nous propose de lui conférer la nomination des bourgmestres hors du conseil. Encore un peu et il exigera la nomination des conseillers ; on m'a déjà fait entrevoir la convenance qu'il y aurait de réduire l'élection directe à la moitié des membres.

Or, quels sont les motifs ou plutôt les prétextes que le ministre allègue pour appuyer ses prétentions ?

C'est que les bourgmestres se montrent trop préoccupés de leur réélection. Et il attribue à cette cause la négligence qui se découvre dans l'exécution des lois et règlements sur les chemins vicinaux, etc., etc., en un mot, de toutes les dispositions législatives ou réglementaires qui imposent des charges aux administrés électeurs. Justement comme si les mauvais choix qu'il en a faits, (car c'est le gouvernement qui les a nommés tous), ne pouvaient en rien y contribuer. D'ailleurs, si l'exécution des lois et règlements laisse tant à désirer, n'est-ce pas à la députation permanente ou mieux encore au gouverneur de la province et aux commissaires de district, que nous pourrions l'attribuer ? Ils ne sont pas laissés sans moyens de contrainte. L’art. 88 de la loi communale porte : « Après deux avertissements consécutifs, constatés par la correspondance, le gouverneur ou la députation permanente du conseil provincial peut charger un ou plusieurs commissaires de se transporter sur les lieux, AUX FRAIS PERSONNELS DES AUTORITES COMMUNALES, en retard de satisfaire aux avertissements à l’effet de recueillir les renseignements ou observations demandés, ou de mettre à exécution les mesures prescrites par les lois et règlements généraux, par les ordonnances du conseil provincial ou de la députation permanente du conseil provincial.

« Les commissaires d'arrondissement (dit l'article 135 de la loi provinciale) sont spécialement chargés, sous la direction du gouverneur et de la députation du conseil provincial, de surveiller l’administration des communes rurales et des villes désignées en l'article précédent, et de vérifier au maintien des lois et des règlements d'administration générale, à l'exécution des résolutions prises par le conseil provincial ou la députation. »

Si les commissaires de district font leur devoir, ils doivent connaître les négligences qui se commettent et ils doivent les dénoncer au gouverneur. Si le gouverneur fait son devoir, il doit contraindre les bourgmestres ; la loi, comme nous venons de le voir, lui en donne les moyens. Quand ces deux personnes, qui sont les agents du gouvernement font leur devoir, la négligence dans l'exécution des lois et règlements est impossible. Le prétexte que le ministre allègue, n'a donc seulement pas le mérite d'être spécieux, et tous les rapports des gouverneurs et des commissaires de districts, qui se plaignent de l'inexécution des lois et règlements ne font que proclamer leur propre honte.

La loi communale réclame des modifications, j'en conviens, mais ce ne sont pas celles que propose le ministère.

Elle exige, en premier lieu, que l'on restitue aux communes le droit d'élire directement leurs magistrats, au moins les échevins, et, si on veut faire une exception a l'égard du chef, comme la constitution l'autorise, et comme je le préférerais, que l'on confère au conseil élu le droit de nommer le bourgmestre dans son sein.

Je vous ai donné un échantillon d'un bourgmestre de Guillaume, celui que le gouvernement nommera hors du conseil sera-t-il autre ?

Le conseil règle, dit-on, tout ce qui est d'intérêt communal, et le bourgmestre n'y aura pas voix délibérative.

Le conseil règle, il est vrai mais sauf toutefois l'approbation soit du Roi, soit de la députation permanente, sur dix-huit matières, et qui constituent à peu près toute la nomenclature des objets où le conseil puisse avoir à délibérer.

Le bourgmestre n'aura pas voix délibérative ; mais, comme le dit fort bien M. le ministre, on a attaché trop d'importance à la disposition qui accorde ou non voix délibérative.

Recherchons, dit-il, où est la véritable force du bourgmestre. Le Roi peut annuler toute résolution municipale, contraire à la loi ou à l'intérêt général.

« La plupart dés résolutions sont sujettes à l'approbation soit du Roi, soit de la députation.

« Dans tous ces cas le bourgmestre peut être entendu par l'autorité supérieure.

« Il peut même exercer l'initiative près du gouvernement ou de la députation.

« C'est là ce qui fait sa position ; et cette position sera d'autant plus forte et d'autant plus franche, que l'on saura que son existence comme bourgmestre ne dépend pas de sa réélection.

« Vous n'aurez plus, messieurs, de ces capitulations honteuses ; car il est arrivé plus d'une fois qu'un bourgmestre a voté avec le conseil des résolutions qu'il désapprouvait, et dont il a ensuite secrètement demandé ou appuyé la non-exécution ; lorsqu'un bourgmestre trouvera une proposition contraire à la loi, à l'intérêt général ou aux intérêts communaux, il le dira, et comme il ne risque rien à compromettre sa réélection, on en conclura qu'il n'hésitera pas à se plaindre soit à la députation, soit au gouvernement.

« Mes réflexions et mon expérience m'ont donc conduit à croire que la circonstance, si le bourgmestre a ou non voix délibérative, est peu importante ; que ce qui est important, c'est que le conseil soit bien convaincu qu'il y aura pourvoi contre ceux de ses actes contraires à la loi, à l'intérêt général ou aux intérêts communaux, conviction qui n'existera que si le bourgmestre peut se placer en dehors de toutes les chances électorales. »

Ces passages du discours du ministre sont vraiment remarquables. C'est lui qui nous apprend que plus d'une fois des bourgmestres se sont constitués fourbes envers leur conseil et que l'immoralité existe dès à présent dans plus d'une de ses créatures ; car il est loin de nous dire que ces malheureux aient été destitués comme ils méritaient directement de l'être. Il veut, au contraire, qu'ils s'érigent formellement en maîtres. Les sentiments que le ministre affecte envers les conseils communaux sont notamment frappants.

Il nous les représente comme des turbulents, toujours prêts et naturellement enclins à prendre des résolutions contraires aux lois, à l'intérêt général, voire même aux intérêts de la commune. Il faut les tenir en bride, il faut les surveiller comme des enfants aux bords d'une rivière, il faut qu'ils soient bien convaincus que leurs actes ne recevront pas l’approbation nécessaire et ne seront pas exécutés, s'ils jouent de leur tête et font les récalcitrants. Le bourgmestre nommé par le gouvernement ne concourra pas aux délibérations par son vote, mais il présidera le conseil, dirigera les séances, émettra son avis et préviendra messieurs les conseillers du sort qu'ils doivent attendre de leurs délibérations, s'ils y mettent de l’entêtement, s'ils ne se montrent pas sages et dociles. Le bourgmestre placé en dehors de toutes les chances électorales, ne devra plus faire la patte de velours ; il pourra franchement expliquer ses pensées ; il ne devra plus ouvertement approuver ce que dans l'ombre, il cherche à rendre illusoire ; il ne devra plus tromper par son silence ou par son approbation apparente, il deviendra franc et honnête homme ; il aura de l'autorité, et voilà ce dont le ministre veut que le conseil soit convaincu.

Mais à ce prix, le conseil n'est-il pas un rouage inutile dans l'administration communale ? Le ministre a tout à fait l'air de nous le signaler comme une institution dangereuse et nuisible. Il faudra donc dans tous les cas un jour supprimer les conseils : telle est la conséquence logique des principes du ministre et de ses partisans dans l'occurrence.

M. le ministre nous dit : qu'il y a des communes où il y a impossibilité de nommer un bourgmestre, aucun membre du conseil ne voulant accepter. Je dis, moi, que si le projet du ministre se trouve converti en loi, il y aura beaucoup de communes où il sera impossible de composer un conseil, attendu qu'a ces conditions aucun électeur ne voudra accepter la mission de conseiller, et ainsi le conseil sera directement supprimé de fait, ce qui amènera nécessairement sa suppression par une loi, à moins qu'on abandonne aussi au gouvernement la nomination des conseillers, et pourquoi pas ? étant déjà arrivé à prétendre que les échevins sont chefs du corps communal de même que le bourgmestre, et par ainsi passibles d'être soustraits à l'élection directe, une petite interprétation de plus, et on dira que par corps communal on doit entendre la réunion de tous les électeurs ou même des habitants, et tenir pour chef toute la régence, les membres du conseil aussi bien que les échevins et le bourgmestre.

Quel sort les partisans du projet ministériel et de la section centrale entendent-ils préparer à la patrie !

L'honorable comte de Mérode veut forcément y trouver l'ordre et la liberté. Je porte une sincère estime au noble comte, Je veux même franchement vous dire, quels que soient ses sentiments à mon égard, que je l'aime, qu'il me soit permis cependant de ne pas toujours partager ses opinions et même de condamner parfois ses principes.

Je ne puis, en premier lieu, me ranger de son avis, quand il croit que l'asservissement de la commune nous amènera l'ordre et la liberté du pays. J'admets, au reste, tout ce qu'il nous dit sur la loi actuelle.

De toutes les lois qui demandent à être modifiées, dit-il, aucune n'est plus pressante à redresser, dans quelques-unes de ses dispositions, que la loi communale. Et je suis assez disposé à partager son opinion. Le dommage qu'elle porte à la liberté, dit-il encore, ronge et affaiblit le corps social, et je suis entièrement de son avis. Il dit ensuite que les partisans de la loi actuelle, et ceux qui s'opposent au changement que réclament la concorde et la paix, sont animés par le génie du désordre. Et encore une fois, je dois dire qu'il a raison ; toutefois je n'oserais pas proclamer, à leur égard, une sentence aussi rigoureuse ; je devrais blâmer le noble comte et tous ses adhérents ; car ce sont les partisans des changements proposés, qui nous ont dotés de la loi, en 1836, (en tant qu'ils appartenaient aux chambres législatives), et qui en sont restés les partisans jusqu'à ce que la Couronne soit venue nous annoncer qu'il fallait y apporter des modifications. Je devrais donc dire que, s'ils ne le sont plus, ils ont été au moins animés par le génie du désordre, pendant cinq années consécutives.

Je désapprouve la loi comme lui ; ce n'est que parce que c'est une loi que je m'y soumets ; je la subis par nécessité et je désire autant que lui qu'on y apporte des modifications. Tous ceux qui s'opposent aux changements que le ministère et la section centrale proposent d'y introduire ne sont donc pas des partisans de la loi. Mais de ce que la loi est mauvaise il ne s'en suit pas qu'on doive la rendre pire encore.

J'ai démontré que la loi est mauvaise en ce qu'elle autorise le gouvernement à nommer les bourgmestres et les échevins dans le sein du conseil, mais j'ai aussi démontré qu'on la rendrait pire en accordant au gouvernement le droit de nommer les bourgmestres hors du conseil. Or, c'est ce changement qu'il appuie et auquel le ministre a gagné des partisans. C'est ce changement que, contrairement à l'opinion du noble comte, je regarde comme dicté par le génie du désordre, sans toutefois vouloir envisager le journalisme qui le soutient comme son organe, je le regarde comme ayant été induit en erreur, aussi bien que le noble comte de Mérode.

Avec le changement qu'on nous propose, où arriverions-nous ? Nous connaissons tous les principes de M. le comte relativement aux fonctionnaires du gouvernement ; il veut qu'ils soient dévoués, humbles et soumis au ministère, qualités dont ils ne peuvent pas même se dépouiller siégeant aux bancs de la législature. Un fonctionnaire, membre de la représentation nationale, et, en cette qualité, ne peut pas voter contre un projet de loi ou acte ministériel, quand même il le désapprouverait dans sa conscience, et que par suite, devant Dieu, il devrait le rejeter, toutes les fois qu'il s'agirait d'un objet majeur ou à l'adoption duquel le ministre attacherait une question d'existence. Il n'y a que sur les questions sans importance, ou sur lesquelles il est d'ailleurs assuré que le ministre obtiendra la majorité, que le fonctionnaire peut librement se déchaîner et voter en honnête homme ; tels sont les principes du noble comte sur les devoirs des fonctionnaires élus membres de la chambre des représentants. Il nous en a donné un exemple en sa qualité de ministre d’Etat et comme tel soutien du cabinet dans la discussion au sujet du mémorable arrêté Vandersmissen. Après l'avoir blâmé et flétri autant qu'il pouvait l’être, dans le premier épanchement de son cœur, il a changé de gamme aussitôt que le ministère faisait de son rejet une question de cabinet, et il a voté pour son approbation.

Ces principes paraissent partagés par nos ministres présents et passés, et observés par beaucoup de nos fonctionnaires.

Ce sont ces principes que je condamne, et, quelque soit l'homme qui les professe, que je regarde pour inconstitutionnels, pour immoraux et désastreux pour le pays. Quoiqu'il en soit, ces principes existent et se trouvent partagés, je vous les signale comme un échantillon de ce qu'on pourrait exiger d'un fonctionnaire subalterne, si on ose prétendre à tant de soumission de la part d'un fonctionnaire représentant.

Sur l'observation de l'honorable M. Doignon, que tout fonctionnaire nommé et révocable par le gouvernement, voit toute ombre de liberté et d'indépendance s'évanouir chez lui, on voit le noble comte s'écrier ; Qu'en dites-vous, gouverneurs de province, commissaires de district, procureurs du Roi, qui siégez sur ces bancs où les électeurs vous ont appelés ? Qu'en dit M. Van Cutsem, qui pourtant s'est est exprimé contre la proposition du gouvernement arec un courage que l'on doit croire héroïque si M. Doignon dit vrai ? Je pourrais, à mon tour, faire des interpellations et demander : Qu’en dites vous, M. de Stassart, qui avez été destitué pour ne pas avoir voulu renoncer à une candidature, que vous n’aviez pas sollicitée ? Qu'en dites vous M. Delehaye, qui avez été destitué pour avoir voulu conserver votre indépendance à la chambre des représentants ? Qu'en dites-vous MM. Doignon et Desmet qui avez été destitués pour vos votes aux bancs de la législature ?

M. de Mérode et après lui M. le ministre de l'intérieur ont dit, il est vrai, que la nomination des bourgmestres hors du conseil, ne ferait pas de ces fonctionnaires des agents serviles du gouvernement, et l'un et l’autre, pour établir leur assertion, ont invoqué l’indépendance de certains fonctionnaires représentants dans cette chambre. Mais que signifient les éloges de M. de Mérode, qui fait un héros d’un représentant fonctionnaire, qui a osé, dans un discours des plus modérés, discuter la question de la balance des pouvoirs populaire et gouvernemental ? S'il y a là de l'héroïsme, n'est-ce pas un signe qu'il y a du péril ? En face de pareils éloges je ne puis m'empêcher de demander à l'honorable comte quelle position il veut faire aux fonctionnaires qui viennent dans cette enceinte avec un mandat de leurs concitoyens ? Veulent-ils qu'ils n'y soient que pour approuver tous les projets du gouvernement ? Si telle est la pensée du ministre, qu'il ait le courage de le dire : et alors les électeurs sauront si à l'avenir ils doivent encore confier leurs libertés civiles et religieuses à de pareilles mains ; et ces fonctionnaires eux-mêmes sauront s'ils doivent accepter une mission qui, loin de les élever aux yeux de leurs concitoyens, ne doit que les avilir et les dégrader. Ils sauront aussi s'ils doivent continuer à remplir un mandat menteur pour conserver leur place, ou renoncer à ce mandat ou à leur place pour rester homme d'honneur. Que signifie de traiter d'actes d'indépendance des actes qui ne sont que des actes de conscience ?

A-t-on jamais osé qualifier d'acte d'indépendance une opinion émise sur un projet ministériel, un vote donné contre ce projet ? Il n'y a que M. Nothomb et M. de Mérode, qui aient osé le faire, et en le faisant, ils ont eu un but : ils ont voulu intimider les fonctionnaires qui siègent dans cette chambre, ils ont voulu les forcer à se taire, à leur donner des votes favorables ou de se retirer momentanément de cette enceinte ; ce que M. de Mérode a osé leur conseiller dans une autre circonstance. Mais ils n’y auront pas réussi, parce beaucoup de mes honorables collègues qui sont fonctionnaires sont des hommes de cœur, qui ne se laisseront pas intimider, et aussi parce que ce sont des hommes qui savent qu’ils parlent et votent à la chambre sous l’égide de la constitution. Parlez et votez donc librement, mes chers collègues, on n'osera pas vous inquiéter.

Pourquoi, d'ailleurs, abandonner au gouvernement la nomination des bourgmestres ?

Le gouvernement a-t-il un intérêt loyal et sincère à nommer les bourgmestres ou même à concourir à leur nomination ?

L'intérêt général est de voir dans toutes les communes régner l'ordre et la paix : Que les lois et les règlements tant généraux que particuliers soient strictement observés ; que le bourgmestre et les autres magistrats communaux soient entourés du respect et de l'amour de leurs administrés, que l'union règne entre les différentes autorités, la concorde entre le bourgmestre et son curé. Voilà l'intérêt du gouvernement, voilà l'intérêt de tous les citoyens sans exception. Tels sont, au surplus, les vœux de tous les hommes de bien.

Or, quel est le moyen d'atteindre ce but, autant que la chose est humainement possible ? C'est de restituer à la commune la nomination directe de tous ses magistrats, à l'exclusion complète de toute intervention de la part du gouvernement.

On dit que le gouvernement doit être représenté dans la commune, qu'il doit veiller au maintien de l'ordre et de la paix publique, à l'exécution des lois et règlements, qu'il doit donc y avoir un agent.

S'il veut avoir un agent spécial, je lui dirai qu'il en nomme un, comme je l'ai proposé dans la discussion de la loi actuelle, le 4 février 1836.

Mais le gouvernement a-t-il besoin d'un agent spécial ? ne pourrait-il pas mettre toute sa confiance dans le bourgmestre nommé par la commune ? La loi ne lui offre-t-elle pas toutes les garanties désirables ?

Les délibérations des conseils communaux, sur 18 matières différentes, doivent être approuvées soit par le Roi soit par la députation, avant qu'elle puissent être mises à exécution (Art. 76 et 77.)

Lorsque le conseil, en dehors de ces matières déterminées, prend une résolution que l'on croira sortir de ses attributions ou qui blesse l’intérêt général, l'article 86 confère au gouvernement le droit d'en suspendre l'exécution, et le Roi peut l'annuler.

L'art. 87 donne au roi le droit d'annuler les actes des autorités communales (du collège) qu'il trouvera sortir de leurs attributions, être contraires aux lois ou blesser l'intérêt général.

S'il y a négligence en quoi que ce soit, l'art.88 confère au gouverneur le droit de charger un ou plusieurs commissaires de se transporter sur les lieux, aux frais personnels des autorités communales et d'exécuter par eux-mêmes ce qui serait en souffrance. En présence de toutes ces précautions, le gouvernement peut-il loyalement et sincèrement refuser sa confiance au bourgmestre élu par la commune ? Evidemment non. Aussi les ministres, en voulant nommer ou concourir à la nomination des bourgmestres ou échevins, n'ont-ils jamais eu d'autre but, comme je l'ai déjà dit, que de se faire des créatures des électeurs et des agents électoraux à leur dévotion, dans toutes les localités.

Le noble comte trouve que par les élections les minorités sont abandonnées à la merci des majorités ; et il trouve dans la nomination du bourgmestre par le gouvernement dehors du conseil une garantie pour ces minorités contre leurs adversaires. Il suppose donc que le gouvernement nommera toujours les bourgmestres parmi les membres de la minorité ; Or, puisqu'on s'est plu de diviser le pays entre catholiques et libéraux, et que dans les 9/10 des communes, les catholiques constituent la majorité dans les élections, il faudrait, d'après les principes du noble comte, que les neuf dixièmes des bourgmestres soient nommés parmi les libéraux. Voilà un système que moi, catholique, je ne pourrais jamais approuver.

Mais dit-on aux catholiques, il y a beaucoup de communes et notamment de villes où l'esprit d'irréligion et d’immoralité triomphe, où les catholiques ne peuvent introduire un seul de leurs membres dans les conseils communaux ; laissez au gouvernement le droit de nommer les bourgmestres hors du conseil, et il vous nommera des catholiques, qui protégeront leur parti contre cette turbulente majorité.

Aux libéraux on tient un autre langage. Les curés à la campagne, dit-on, veulent dominer et tenir le bourgmestre sous leur dépendance ; un bourgmestre qui a la conscience de sa dignité, se trouve souvent en guerre avec le curé, et le curé qui dirige les élections, le fait écarter du conseil, s'il ose se mettre en opposition avec lui. Laissez au gouvernement le droit de nommer le bourgmestre hors du conseil, et le gouvernement conservera le bourgmestre en dépit du curé, et alors il saura se faire respecter.

Ces propos m'ont été alternativement tenus, et voilà aussi pourquoi je vous les rapporte. J'en ai dû conclure que ce n'était que des idées de domination et d'oppression qui travaillaient de part et d'autre l'esprit des partisans politiques du projet ministériel. Je les ai entendus avec effroi, comme étant de nature à préparer notre asservissement commun. J’ai répondu aux premiers que si le ministre avait laissé entrevoir qu'il aurait tenu une pareille conduite, ce n'était qu'une ruse, pour attirer le parti catholique, afin d'arriver à son but qui n’est que l'assujettissement de tous à sa volonté suprême, et que les catholiques auraient bien pu en être les premières victimes.

J'ai répondu aux autres que ces divisions étaient déplorables, mais que l'influence des curés sur les élections n'était nullement à craindre, qu'elle ne pourrait jamais s'étendre au point de faire écarter du conseil ou de sa place un bon bourgmestre ; et s'il parvenait à l’éloigner que ce ne serait que parce que le bourgmestre laisserait beaucoup à désirer dans l'esprit des habitants, et qu'au fond il ne mériterait plus d’être maintenu.

C'est la malheureuse division des citoyens en catholiques et libéraux, qu'on s'est plu d'inventer, car elle n’existe pas dans l'acception qu'on y attache, qui fait surgir de pareils propos, et qui leur donne une influence qui deviendrait, sans qu'on y pense, fatale au pays.

Souvenons-nous, messieurs, de la veille de notre régénération. Opprimés les uns et les autres, nous avons déposé nos querelles religieuses, nous nous sommes unis pour conquérir la liberté ; nous l’avons acquise par notre union ; dans ces jours glorieux les plus fervents catholiques se faisaient gloire d'être aussi les plus libéraux ; faut-il de nouveau nous diviser pour perdre la plus belle de nos conquêtes ! Si nous souscrivons à l'asservissement de la commune, comme on nous le propose, ce que j'ai suffisamment démontre, nous perdons cette conquête, la liberté, et nous en serons tous, catholiques et libéraux, les victimes.

La loi communale exige des modifications, non pour enlever à la commune un privilège qu'on lui a conservé jusqu'à ce jour, mais pour lui restituer ce qu'on lui a injustement ravi, le droit de nommer directement son bourgmestre et ses échevins ; j'aurai donc l'honneur de vous présenter un amendement dans ce sens.

Elle exige encore d'autres modifications. En ce qui regarde les élections, il est déplorable de voir les cabales et les intrigues qu'on y rencontre. De grands propriétaires ou des agents d'affaires, administrateurs de biens, imposent aux fermiers d'élire telle personne déterminée et d'exclure telle autre, sous menace de leur enlever leurs terres, s'ils ne votent pas comme ils l'exigent ; par contre ils promettent à d'autres de leur louer des terres s'ils votent comme ils le désirent. et ainsi on parvient souvent à fausser l'élection et à la rendre vicieuse. Il serait à désirer qu'on pût anéantir ces influences, ou tout au moins les restreindre autant que possible, et dans ce but je me permettrai de vous proposer quelques dispositions additionnelles à la loi.

L'exécution forcée des lois et règlements, dans le système actuel de la loi communale, peut essuyer des lenteurs préjudiciables. Le commissaire d'arrondissement, le surveillant immédiat, n'a pas une action assez directe sur les autorités communales. Si les lois et règlements sur les chemins vicinaux, sur la police, etc. etc., sont en souffrance, le commissaire de district qui en a connaissance, ne peut aujourd'hui que dénoncer ces négligences au gouverneur ou à la députation permanente, lesquels n'y donnent pas directement suite, mais laissent parfois un intervalle de cinq ou six semaines avant d'y faire droit, et alors il est souvent trop tard pour en ordonner une exécution profitable. Je me permettrai donc de vous présenter aussi un amendement à l'art. 88, qui pourra remédier à ces inconvénients.

Amendements (article 2 de la loi communale)

« Art. 2. Les conseillers et les échevins sont élus directement par l'assemblée des électeurs de la commune.

« Le bourgmestre est élu, au scrutin, par le conseil et parmi les conseillers, à l'exclusion des échevins. »

Texte actuel de la loi

« Art. 2. Les conseillers et les échevins sont élus directement par l'assemblée des électeurs de la commune.

« Le Roi nomme le bourgmestre et les échevins dans le sein du conseil. »

Articles additionnels au chapitre II. - Des électeurs communaux : et des listes électorales.

« Art. 1er. Celui qui pour faire élire ou pour faire éliminer une ou plusieurs personnes déterminées, aura fait, soit directement, soit indirectement, à un électeur des menaces ou des promesses de nature à changer sa condition d'existence, et par suite à lui faire une violence morale, sera pendant une année, inhabile à desservir une fonction gouvernementale, et privé de son droit électoral pour les deux élections suivantes.

« En cas de récidive, il sera inhabile pendant trois ans à exercer une fonction publique quelconque et privé de son droit électoral pour les quatre élections subséquentes. »

« Art. 2. Ces délits seront dénoncés à la cour de cassation, dans les six mois de l’élection, par cinq électeurs au moins, avec un mémoire détaillé et moyennant la consignation d'une amende de 50 fr.

« La cour statuera après avoir entendu la partie inculpée dans sa réponse écrite, laquelle, pour sa justification, devra être appuyée par l'électeur signalé pour en avoir été l'objet.

« Si la dénonciation est trouvée véridique, la cour déclarera encourues les pénalités comminées par l'article précédent, et condamnera le coupable à la restitution de l'amende aux dénonciateurs.

« Il y sera procédé sommairement avec exemption de timbre et d'enregistrement, et l'affaire renvoyée à la députation permanente, laquelle en donnera communication au bourgmestre, pour la transmettre aux parties intéressées, et statuera si l'on doit oui ou non procéder à une nouvelle élection. »

Amendement (article 88 de la loi communale)

« Art. 88. Après deux avertissements consécutifs avec un intervalle de huit jours, constatés par la correspondance, le commissaire d'arrondissement peut charger un ou plusieurs commissaires de se transporter sur les lieux, aux frais personnels des autorités communales en retard de satisfaire aux avertissements, à l'effet de recueillir les renseignement ou observations demandés, ou de mettre à exécution les mesures prescrites par les lois et règlements généraux, par les ordonnances du conseil provincial ou de la députation du conseil provincial.

« La rentrée de ces frais sera poursuivie, comme en matière de contribution directe, par le receveur de l'Etat, sur l'exécutoire du gouverneur.

« Dans tous les cas, le recours est ouvert auprès de la députation permanente. »

Texte actuel de la loi

« Art. 88. Après deux avertissements consécutifs, constatés par la correspondance, le gouverneur ou la députation permanente du conseil provincial peut charger un ou plusieurs commissaires de se transporter sur les lieux, aux frais personnels des autorités communales en retard de satisfaire aux avertissements, à l'effet de recueillir les renseignement ou observations demandés, ou de mettre à exécution les mesures prescrites par les lois et règlements généraux, par les ordonnances du conseil provincial ou de la députation du conseil provincial.

« La rentrée de ces frais sera poursuivie, comme en matière de contribution directe, par le receveur de l'Etat, sur l'exécutoire de la députation ou du gouverneur.

« Dans tous les cas, le recours est ouvert auprès du gouvernement. »

- Les amendements de M. Vandenbossche sont appuyés. Ils seront imprimés et distribués.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Messieurs, on a cité plus d’une fois dans cette enceinte ces paroles d'un membre du congrès : « Pendant que nous avons la main dans le sac des libertés, hâtons-nous d'en prendre. » Ce mot, messieurs, me semble être une image assez fidèle des sentiments sous l'empire desquels a été créée notre constitution.

Délivrée par la force d'un régime qui avait démontré la possibilité d'abuser, je ne dirai pas du pouvoir monarchique sans contrôle, mais seulement des prérogatives dans lesquelles le système constitutionnel a restreint le pouvoir exécutif, la Belgique a dû se préoccuper avant tout du soin de rendre désormais impossible le retour d’un état de choses si odieux au pays.

C’est sous cette influence qu'a été débattu notre pacte constitutif et que nous ont été octroyées des libertés qui ne peuvent être comparées à celles d'aucun autre peuple monarchique de l'Europe. Je me hâte d'ajouter que mon intention n’est pas, tant s'en faut, d'en faire un grief à ceux qui y ont contribué. Ce qu'ils ont fait, messieurs, toute assemblée constituante l'eût fait à leur place, et bien peu l'eussent fait avec autant d'impartialité et de modération. En effet, quelques années plus tard, lorsqu'il s'agit de régulariser une des dispositions les plus importantes du pacte constitutif, les intérêts de la commune, les garantie contre les envahissements du pouvoir ne parurent plus suffisantes à la législature, et, après une discussion de plusieurs années, notre système communal fut établi de telle sorte qu'il envahit à son tour les prérogatives reconnues indispensables, par la constitution elle-même, à l'exercice du pouvoir exécutif. M. le ministre de l'intérieur vous l'a prouvé hier de telle sorte qu'il me semblerait inutile de revenir sur son argumentation.

Par la constitution, le pouvoir exécutif accordé au Roi est soutenu dans les chambres par des ministres responsables librement choisis par le Roi. Par la loi provinciale, les gouverneurs délégués par les ministres, président les députations provinciales, émanation directe du pouvoir délibérant. Dans la loi communale seule, il n'existe rien de semblable et à l'extrémité de la chaîne administrative, là où l'action gouvernementale aurait besoin de plus de force pour se faire sentir, il y a solution de continuité, absence complète d'agents choisis uniquement par le pouvoir exécutif et par conséquent responsables vis-à-vis de lui. La commune s'administre donc en quelque sorte par elle-même, et jouit seule dans l'Etat, on peut le dire, de l'exercice du pouvoir exécutif et du pouvoir délibérant. Elle en jouit seule, car, au moyen d'un arrangement que l'on a appelé nomination mixte, et dont je parlerai plus tard, elle nomme elle-même les agents du pouvoir exécutif.

Puissance irresponsable, elle choisit ses agents au pouvoir responsable. Une des bases de nos institutions est la responsabilité ministérielle ; elle la méconnaît. La première condition de la responsabilité est la liberté des hommes sur qui elle pèse, dans le choix de ceux qu'ils emploient, elle n'en tient pas compte. Et cependant choisir à un ministre ses agents, ou, ce qui revient au même, l'obliger à les choisir dans une liste imposée et le déclarer en même temps responsable de ceux qu'on l'a contraint d'employer, n'est ce pas à la fois, ainsi que le disait M. de Martignac, une inconséquence et une injustice ?

Cette inconséquence, messieurs, un honorable préopinant l'a comprise, et pour nous rassurer sur ce point, il nous a enlevé la responsabilité des actes des agents exécutifs de la commune. Il nous a dit que jamais une chambre ne rendrait un ministère responsable des actes d'agents qu'il n'aurait pas choisis. Et devant qui donc alors seraient-ils responsables ? L'honorable membre veut-il aussi les renvoyer devant Dieu et leur conscience ? Je doute fort, messieurs, que cette responsabilité vous suffise ; mais si elle suffisait pour eux, il serait juste alors d'en étendre le bénéfice aux ministres eux-mêmes.

Ils seront irresponsables vis-à-vis du pouvoir central ! Mais, d'un seul mot, c'est toute une révolution que fait l'honorable M. Dumortier, et ce n'est pas un Etat seul qui appelle au bénéfice de l'émancipation, mais 2,500 Etats à la fois. D'un seul mot il crée en Belgique une espèce de confédération helvétique, composée de 2,500 cantons.

Il faut donc en ôtant au pouvoir le choix de ses agents, rayer en même temps de notre pacte la responsabilité ministérielle ou, puisque la raison d'Etat oblige à la maintenir, abandonner ce choix au pouvoir responsable.

Mais, dit-on, le bourgmestre a des devoirs mixtes à remplir, devoirs envers le pouvoir central, devoirs envers la commune ; il doit par conséquent avoir une origine également mixte. Il est donc essentiel que la commune participe aussi bien que le Roi à sa nomination.

Je crois, messieurs, qu'il y a dans ce raisonnement une erreur qu'il convient d'indiquer ; et cette erreur provient, selon moi, de ce que l'on applique au choix du bourgmestre un argument qui ne devrait s'appliquer qu'aux échevins.

Il est un principe, messieurs, qu'il y aurait danger à méconnaître et sans lequel l’action du pouvoir, dans les communes, serait impossible, c'est qu'il faut au pouvoir central un agent et un défenseur dans le sein de chacune des administrations communales. Or, je conçois que dans toutes les questions où les intérêts généraux de l'Etat sont d’accord avec les désirs de la commune, un bourgmestre, fruit d'une élection mixte, puisse être compté pour un agent du pouvoir et agir dans ce sens, mais dans les questions où ces deux intérêts sont en désaccord, que doit-il naturellement advenir ? ce que le bourgmestre indécis entre deux obligations contradictoires, peut se trouver souvent livré à l’empire d’un troisième intérêt qui est le sien propre, et celui-ci lui commandera de se rallier aux désirs des conseillers de la commune, car ces conseillers seront ses soutiens au moment de la réélection, s’il sacrifie le pouvoir ; ils seront ses exécuteurs s’il sacrifie la commune.

Et alors, messieurs, où le gouvernement trouvera-t-il cet organe, ce défenseur indispensable sans lequel la chaîne administrative sera rompue ?

Il faut donc que le bourgmestre soit choisi par le gouvernement, de même que les conseillers sont, avant tout, les hommes de la commune ; et comme entre les deux autorités souvent contraires, il y aurait des tiraillements, des conflits qui arrêteraient ou troubleraient l’administration des affaires, un troisième pouvoir, que j’appellerai le pouvoir mixte de la commune (c’est-à-dire le collège échevinal) participant à la fois, par la nature de ses fonctions et par la communauté d’origine du pouvoir exécutif aussi bien que du pouvoir délibérant, devient, en quelque sorte, dans la gestion des affaires de la commune, l’intermédiaire obligé et pacifique de ces deux autorités.

Ensuite, messieurs, la nomination des bourgmestres est-elle véritablement mixte ; laisse-t-elle véritablement au pouvoir la moitié de la nomination ? Vous ne le pensez pas ; car il est évident, et l’expérience est d’accord en cela avec le simple bon sens, que laisser au pouvoir le choix entre un nombre circonscrit de personnes que l’on choisit soi-même, c’est, par le fait, ne lui rien laisser du tout qu’un faux semblant de prérogatives, que des apparences menteuses de libre arbitre.

Un tel système devait porter ses fruits, ils n’ont pas tardé à se produire ; les rapports des gouverneurs sont venus vous les indiquer. Mais on a fait le procès de cette enquête administrative et l’on a prétendu, à diverses reprises, qu’il n’avait point été répondu aux arguments par lesquels on l’avait attaquée. Plusieurs orateurs se sont plaints de la pauvreté de la défense et sous ce point de vue, comme sous celui des progrès de la discussion, un examen quelque peu rétrospectif ne sera pas sans utilité, car notre point de départ, l’enquête administrative, doit être bien fixée si nous voulons ne pas nous égarer dans notre marche.

L’enquête administratrice dont le Moniteur vous a donné connaissance est, dit-on, prématurée, suspecte, insuffisante et dangereuse.

Elle est prématurée, parce que, sans attendre que la loi de 1836 ait porté ses fruits, et que ses résultats puissent être constatés, le ministère sans nécessité et sans lumières préalables suffisantes, est venu jeter dans le pays un ferment de discorde ; suspecte, parce qu’elle a été ordonnée par un ministre qui faisait en même temps connaître le sens dans lequel il entendait qu’elle fût résolue et parce qu’elle a été poursuivie par des agents subalternes (c’est, si je ne me trompe, l’expression employée) qui se sont empressés de suivre aveuglément la voie tracée par l’autorité supérieure ; insuffisante, parce qu’il aurait fallu entendre, avant tout, l’autorité la plus compétente et la plus intéressée, celle des conseils provinciaux ou au moins des députations provinciales chargées de les remplacer.

Dangereuse enfin, parce qu’elle sape dans leurs bases celles de nos institutions qui trouvent le plus de sympathie en Belgique et qu'elle remet en question les principes sur lesquels repose la constitution toute entière.

On a été plus loin encore ; on a dit que cette enquête administrative, et que les modifications qui en sont la conséquence, donnaient en quelque sorte un démenti constant aux autorités les plus respectables, aux députations provinciales, dont on nous a cité les diverses opinions consignées dans les rapports sur la situation des provinces, au Roi lui-même qui, plus d'une fois, s'était félicité dans des discours d'ouverture des heureux résultats de la loi communale. Quant à cette dernière accusation, si grave si elle était méritée puisqu'elle prouverait de notre part peu de respect pour un pouvoir dont un de nos devoirs les plus impérieux et en même temps une de nos plus belles prérogatives consiste à maintenir les droits et à empêcher qu'il n'y soit porté atteinte, l'honorable M. de Theux s'est déjà chargé de nous en laver et l'honorable M. Verhaegen, lui-même, s'empressera de la retirer en se rappelant que dans tous les gouvernements représentatifs les discours d'ouverture n'engagent que la responsabilité ministérielle. Ainsi donc les passages d'ailleurs fort peu significatifs qu'il nous a cités pourraient tout au plus compromettre le cabinet d'alors, celui-là même qui avait défendu la loi communale et qui se fût ainsi donné un démenti à lui-même. Or, c'est ce qu'il n'a pas fait, ainsi que l'a démontré M. de Theux.

C'est une chose assez étrange, messieurs, et qu'il convient de vous faire remarquer, que cet accord de tous les ministères qui se sont succédé depuis la promulgation de la loi et quel que soit le côté de cette chambre auquel ils appartinssent, à reconnaître qu'il y avait lieu d'opérer des modifications à la loi communale. La conclusion de l'honorable rapporteur de la section centrale, M. de Theux, ministre en 1836, l'enquête de l'honorable M. Liedts, faite assurément au su de ses collègues, le projet que nous vous avons soumis, sont des faits assez significatifs. Ils parlent assez haut, ce me semble, et disent assez clairement pour notre justification, et en faveur du projet de loi : d'abord, qu'aucun esprit de parti, aucune idée exclusive n'ont présidé à la confection du projet de loi que vous discutez, qu'en un mot, les exigences administratives nous ont seules guidés ; et ensuite que ce n'a pas été sans une nécessité bien impérieuse, bien indispensable, sans un examen sérieux et approfondi que nous sommes venus vous présenter une proposition que les diverses opinions accepteraient unanimement dans le pays comme elles l'ont fait dans les divers ministères qui l'ont préparée ou soutenue, si on ne cherche à les jeter hors de leurs voies et à faire disparaître sous des excitations passionnées le côté administratif du projet, le seul dont les divers cabinets se soient sérieusement préoccupes.

Bien loin d'être prématurées, ces modifications ont donc paru au cabinet précédent comme à celui-ci impérieusement réclamées par les imperfections et les fâcheux effets de la loi ; et s'il pouvait rester quelques doutes à cet égard, la lecture impartiale de l'enquête suffirait pour la faire cesser.

Un des griefs sur lesquels on s'est le plus appuyé, c'est la prétendue insuffisance et le petit nombre des faits constatés par les gouverneurs de province dans leur rapport au ministre de l'intérieur. Ces reproches ne peuvent être sérieux ; car, à moins de prendre ces hauts fonctionnaires, ainsi qu'on l'a fait, pour des agents tout à fait subalternes, chacun aura compris pourquoi le ministre s'est contenté de réclamer d'eux l'énoncé consciencieux de leur opinion, certain qu'il était et comme il devait l'être, que cette conviction n'avait pu s'acquérir que par l'expérience bien établie des faits, et qu'elle ne pouvait s'appuyer que sur des actes graves, multipliés et suffisamment constatés.

On doit supposer qu'avant d'attaquer les résultats d'une loi organique importante, des fonctionnaires aussi haut placés, ont dû peser la force et la portée de leurs paroles, et qu'ils n'ont pas cédé ainsi qu'on s'est plu à le dire, aux insinuations, ni même aux prescriptions du pouvoir supérieur. De telles suppositions sont gratuitement injurieuses et pour le ministre qui se serait joué de ces hauts fonctionnaires, en leur demandant un avis qu’il commençait par leur dicter lui-même, et pour les gouverneurs qui se seraient bassement prêtés à cet avilissement de leur caractère. Je ne crains pas de le dire, leur honorable auteur n'y croit pas lui-même et l'entraînement de l'improvisation a pu seul placer sur ses lèvres des paroles qui expliqueraient si tristement le peu de force et de considération que l'on a supposé au gouvernement. De quel droit le gouvernement prétendrait-il à la considération si les grands pouvoirs qui le constituent ne se respectaient pas entre eux ?

L'enquête n'est donc ni suspecte, ni prématurée ; faut-il à présent la regarder comme insuffisante et un appel aux députations provinciales était-il indispensable ? Mais à quoi aurait-il servi cet appel ? D’après les honorables préopinants et en me mettant à leur point de vue, la question aurait été complètement résolue de ce côté : les députations s'en seraient expliquées clairement ; ils ont eu le soin de nous mettre sous les yeux, de nous exhiber les lambeaux des rapports dont ils ont revêtu leur argumentation. Ce qu'elles ont dit une fois, elles l'eussent encore dit sous peine d'être taxées d'inconséquence et une nouvelle enquête n'en aurait pas plus appris sur ce point que leurs rapports trouvés si explicites.

Quant à la valeur intrinsèque de ces fragments, sous lesquels, on a voulu écraser l'enquête administrative, la chambre aura apprécié, je n'en doute pas, la différence qui existe entre la réponse de personnes consultées directement sur une question, dont elle sent toute l’importance et les assertions extraites çà et là de rapports généraux, dont le but unique n'était assurément pas l'examen des perfections ou des imperfections de la loi communale.

Que nous a-t-on dit encore ? que l'organisation proposée était moins libérale que celle des communes françaises ; que là le maire était choisi dans le sein du conseil et que depuis dix ans, aucune réclamation ne se faisait entendre.

Je ne disputerai pas sur la régularité de la marche de l'administration en France, bien que de nombreux désordres semblent protester, chaque jour, contre la perfection de cette loi ; mais je dirai qu'en admettant ce fait et même en admettant que la commune française, jouisse de véritables libertés communales, ce que M. le ministre de l'intérieur vous a prouvés hier ne pas exister, aucune comparaison n'est encore possible entre la loi française et la nôtre ; et qu'aux modifications présentées il en faudrait encore ajouter de bien considérables pour arriver à une loi aussi restrictive des libertés communales que la loi française.

Les différences d'attributions sont nombreuses entre nos bourgmestres en Belgique et les maires en France ; qu'il me soit permis d'en citer quelques-unes : En France, c'est dans la personne du maire que se concentre tout le pouvoir exécutif de la commune, ses adjoints ne sont que des délégués relevant de lui seul. Il est chargé non seulement de l’exécution de ce qui concerne les intérêts généraux, mais aussi de ce qui concerne les intérêts communaux. C'est ainsi qu'entre autres choses il est chargé de la conservation et de l’administration des propriétés de la commune, de la gestion des revenus, de la surveillance des établissements communaux et de la comptabilité communale, de la proposition du budget et de l'ordonnancement des dépenses, de la direction des travaux communaux, de souscrire les marchés, de passer les baux des biens et de faire les adjudications des travaux communaux ; de souscrire les actes de vente, d'échange, de partage, d'acceptation de dons, legs ou donations. C'est lui qui prend les arrêtés à l'effet d'ordonnancer les mesures locales sur les objets confiés par les lois à sa vigilance et à son autorité.

En Belgique, c'est le conseil communal qui règle tous ces points et qui décide.

Cette énumération que l'on pourrait allonger encore, nous justifiera, je l'espère, du reproche d'avoir tenu peu de compte du bon sens du peuple belge et de son amour de l’ordre en lui imposant des entraves auxquelles ne seraient pas soumis nos voisins du midi. Si nous n'eussions pas fait fonds sur la rectitude et le discernement de nos populations, nous ne fussions pas venus leur demander, dans l'intérêt général, par votre intermédiaire, le sacrifice de quelques-unes de leurs prérogatives. Nous en aurions agi comme en agissent de faux amis, nous les aurions flattées jusqu'à la fin.

Mais nous avons autrement entendu nos devoirs. Préposés comme membre du pouvoir exécutif à l'examen de l'application d'une loi qui n'avait été acceptée en 1836 (si j'en crois le Moniteur d'alors) que comme une loi d'essai, nous avons bientôt acquis la conviction que cet essai était poussé assez loin et qu'il ne nous était plus permis de conserver la position bien douce et bien facile que nous faisait la simple observance de la loi actuelle.

Les avis consciencieux des hauts fonctionnaires sont venus fortifier encore cette conviction et nous encourager dans la seule voie qui nous restait à suivre. Dès lors, nous n'avons pas hésité entre une tranquille abstention et la nécessité administrative et nous vous avons présenté les dispositions que nous croyons propres à arrêter de funestes conséquences.

Nous nous sommes faits non pas contre-révolutionnaires dans le sens opposé à celui de conservateurs, ainsi que le disait l'honorable M. Verhaegen, non pas démolisseurs, comme le disait l'honorable M. Fleussu, mais contre-révolutionnaires pour rester conservateurs, mais démolisseur comme le médecin, qui, lorsqu'il voit son malade lutter contre un principe funeste, s'efforce de combattre et détruire ce germe de mal au lieu d'entretenir une sécurité dangereuse.

Nous nous sommes faits non pas liberticides, mais assez amis de la liberté pour essayer de la préserver, à nos risques et pénis, des excès qui la compromettent, de l'anarchie qui la tue. En un mot, nous n'avons pas cru devoir hésiter entre notre sécurité personnelle (car nous savions à quelles suppositions nous serions en butte) et ce que réclamaient de nous la nécessité administrative et les vrais intérêts du pays.

M. Angillis. - Messieurs, mon intention était de renoncer définitivement à la parole dans la discussion qui nous occupe en ce moment, mais j'ai pensé que dans des causes aussi graves, le silence a son danger : c'est laisser paisiblement faire le gouvernement, c'est laisser envahir, enlever les droits du peuple sans protestations, ce serait laisser croire à la nation qu'elle n'a plus des défenseurs parmi ses élus. Non, messieurs je n'ai pas le courage de me taire, et depuis 1818, époque à laquelle on m'a envoyé aux états généraux, je n'ai laissé échapper aucune occasion pour défendre les droits du peuple, lorsque, comme dans le cas présent, ils étaient sérieusement menacés. La défense des droits du peuple est un devoir pour nous tous, ils sont transcrits dans la constitution que nous avons juré de maintenir, et certainement ce ne sera pas moi qui violerai jamais aucun serment.

Remarquez-le bien, messieurs, en défendant les droits du peuple on défend également ceux du trône, ils sont identiquement les mêmes, car le chef de l'Etat ne peut jamais être séparé de la nation, dont il représente toute la majesté ; lorsque la nation prononce son vœu, le roi le prononce avec elle : partout il est le chef, partout il préside, il est donc vrai de dire qu'en défendant les droits du peuple on défend également ceux du trône.

Le projet que nous discutons en ce moment m'a donné lieu à beaucoup de réflexions. D'abord je n'y ai trouvé qu'une mesure d'illusion, qu'une mesure impolitique. Mais en entrant plus avant dans les entrailles du projet, il m'a été plus facile d'apercevoir le but principal qui a présidé à sa rédaction ; on n'y dit pas tout ce qu'on pense, ce n'est encore qu'un essai, la session prochaine, vous en aurez la deuxième édition et peut-être le complément, et déjà ou peut juger de cette première proposition des prétentions dont le langage de M. le ministre de l'intérieur, fortifié par un discours que vous avez entendu dans la séance du 13, est le plus fâcheux symptôme ; on a beau le nier, je demeure convaincu que tout annonce un retour vers les traditions du pouvoir absolu ; plus on réfléchit, plus on observe, plus on se convainc de la vérité de mes prévisions. Dans le langage de certains hommes, ce qu'on appelle l'honneur et l’indépendance du trône, n'est souvent que l'usurpation de tous les droits du peuple.

Je ne traiterai pas, messieurs, la question constitutionnelle, question cependant qui domine toute la loi, je ne la traiterai pas parce qu'elle a été traitée ex professo par des orateurs qui ont parlé avant moi. Je ne m'occuperai donc que du projet considéré dans ses motifs et ses conséquences.

Je conteste d'abord l'exactitude des faits que l'on allègue pour justifier le projet, et je puis parler avec d'autant plus d'assurance, qu'étant moi-même bourgmestre d'une commune de 7,000 âmes, entouré dans un rayon de une et demie lieues, de 19 communes qui ont ensemble une population de 80,000 âmes, je dois connaître un peu ce qui se passe dans toutes les administrations municipales. Je dis donc que je conteste l'exactitude de ces faits, car s'il était vrai que de grands désordres existassent, j'aurais dû les connaître un peu mieux peut-être que le gouvernement par ce que mes renseignements sont ordinairement plus désintéressés. Voici du reste le catalogue de ces fameux désordres.

On prétend en premier lieu que les bourgmestres apportent de la négligence à faire réparer les chemins vicinaux et cela pour ne pas déplaire aux électeurs. Messieurs, je ferai remarquer que depuis que nous avons voté une loi sur les chemins vicinaux, de pareils abus ne sont plus à craindre. D'ailleurs dans plusieurs provinces, et notamment dans la Flandre orientale, on a eu le bon esprit de nommer des commissaires voyers. Ces commissaires, lorsqu'ils découvriront quelque négligence dans l'entretien d'un chemin feront leur rapport et ce chemin sera réparé aussitôt.

En second lieu, on parle de police. La police, messieurs, dans toutes les communes que je connais, et j'en connais beaucoup, est bien exercée ; je dois donc en tirer la conséquence que partout, ou au moins dans la majorité des communes, la police est bien exercée.

La fermeture des cabarets ! Mais ceci réellement frise un peu le ridicule. Le bourgmestre peut-il ou doit-il, surtout le dimanche, courir dans tous les cabarets de son village pour les faire fermer ? Quant à moi, je déclare que je ne mets jamais le pied dans aucun cabaret. Il y a 28 cabarets dans mon village, ou pour mieux dire dans le village que j'habite, car pour dire mon village, il faudrait en être ce que je ne suis pas, l'ancien seigneur (on rit.) Il y a donc 28 cabarets dans le village que j'habite. De ce nombre, il y en a plusieurs situés à une lieue et demie de ma demeure. Me serait-il possible de courir dans tous ces cabarets ? J'abandonne cette besogne à mes agents de police qui s'en acquittent fort bien.

Il est vrai que les choses sont maintenant un peu changées. Anciennement, c'étaient les ouvriers qui, le dimanche, après avoir rempli leurs devoirs religieux, se réjouissaient dans les cabarets avec leurs femmes et leurs enfants. Mais à présent, ces malheureux au lieu de boire la pinte le dimanche, n'ont souvent pas de quoi acheter du pain.

Messieurs, pour ce qui regarde la police, la fermeture des cabarets et des chemins vicinaux, j'invoquerais, s'il était nécessaire, le témoignage d'un honorable député ici présent, et qui passe une partie de l'année dans la commune que j'habite. Si je demandais à cet honorable membre si les chemins vicinaux dans cette commune sont bien entretenus ; si dans ses promenades sa vue est attristée par la présence de mendiants, s'il entend parler de désordres qui se commettent dans les cabarets, bien certainement il répondrait oui à la première question, et non aux deux autres. Eh bien, ce qui se passe chez moi, se passe presque partout.

Arrive la chasse. Mais qu'y a-t-il à faire pour la chasse ? Un bourgmestre peut-il, du matin au soir et un bâton à la main (je ne dirai pas un fusil, car pour en porter un il devrait payer 30 fr.) (hilarité), courir à travers champs, prairies, bois et marais, pour voir s'il ne se commet pas de contravention à la chasse ? Messieurs, les agents de police sont toujours sur pied ; ils ont pour fonctions spéciales de veiller à la sûreté des propriétés, à la sûreté des personnes et notamment des voyageurs, à la répression de la mendicité et des délits. Et si dans leurs courses continuelles ils rencontrent quelques personnes en contravention avec les règlements sur la chasse, ils ne manquent pas de dresser procès-verbal.

Vient ensuite la milice. Messieurs, ayant été président de conseil de milice, je dois savoir un peu ce qui se passe sur ce point.

Il n'y a qu'un seul cas où un bourgmestre puisse, non pas faire des faux, cette accusation est trop grave, mais faire acte de complaisance. C'est lorsqu'il s'agit de donner un certificat pour constater qu'un milicien survient à l'entretien de ses parents. Et dans ce cas là même le bourgmestre n'agit pas seul ; chaque année deux délégués sont nommés par la commune pour signer toutes les pièces relatives à la milice. Il faudrait donc qu'il y eût connivence entre le bourgmestre et ces deux délégués. Mais ce n'est pas tout. Lorsqu'un milicien n’arrivait devant le conseil de milice avec un certificat, je faisais ce que tous les présidents de conseil de milice font ; j'interpellais chaque milicien pour savoir si ce que contenait le certificat était vrai, et comme il s'agit ici de l'intérêt de tous les miliciens, dès que les certificats ne sont pas vrais, ils n'hésitent pas à le dire.

Maintenant, messieurs, il ne reste plus qu'une seule objection, c'est la garde civique ! Oh ! la garde civique ! elle a coûté plusieurs centaines de florins à la caisse communale de la commune que j'habite ; elle y a été organisée. Mais depuis qu'on a reconnu que l'exécution de la loi était impossible dans les communes rurales, la garde civique demeure en pleine tranquillité.

Voilà, messieurs, l'analyse de tous les faits graves qui ont été cités pour faire passer le projet en discussion. Eh ! messieurs, on ne craint pas d'insulter, par ces accusations, une masse d'honnêtes commissaires administratifs, d'hommes qui, en général, remplissent leurs fonctions, toujours pénibles, jamais agréables, avec un dévouement, avec un désintéressement que je désire trouver dans tous les fonctionnaires aussi haut qu'ils soient placés.

Mais comme il s'agit d'une espèce de loi d’amour, d'une idée qui flatte nos hommes d'Etat, d'un projet que l'on caresse depuis longtemps, il est possible, il est même probable que l’on ait pris l'exception pour la règle, afin de trouver un moyen quelconque, et c'est en confondant l'abus de la chose avec la chose elle-même, en avançant des faits qui ne sont rien moins que prouvés, en citant des exemples sans application, qu'on parvient à une conclusion qui ne tend à rien moins qu'à ravir au peuple le peu de droits politiques qu'il possède.

Il est possible que sur le nombre de 86 villes et 2,418 communes qui se trouvent en Belgique, il y ait quelques bourgmestres qui négligent de remplir leurs devoirs.

Mais si on accordait au gouvernement ce qu'il demande, cet ordre de chose changerait-il ? Nullement. Je vais plus loin, je soutiens que les affaires iront beaucoup plus mal.

Maintenant les bourgmestres et échevins ont la même origine, leurs noms sont sortis de la même urne électorale, ce sont les élus du même peuple, il y a presque toujours sympathie entre eux, et d'autant plus, qu'ils sont ordinairement choisis dans la même opinion, c'est-à-dire l'opinion de la majorité des électeurs, et ce sont là les motifs qui expliquent pourquoi dans presque toutes les villes et communes du royaume, les administrations municipales exercent leurs pénibles fonctions avec zèle et dévouement. Mais cette harmonie entre le collège échevinal, cette unité de principe, sans laquelle aucune administration n'est possible, serait rompue, si le chef de l'Etat peut fait nommer un bourgmestre qui n'aurait pas été élu en première instance par le peuple.

Un bourgmestre nommé hors du conseil serait considéré par ses collègues les échevins, par le conseil, par les électeurs qui représentent le peuple, comme un intrus, comme un agent direct du gouvernement, comme un espion du pouvoir, dès lors plus de confiance, plus d'harmonie et ébranlement de tout l'édifice municipal.

Cette prétention de nommer les bourgmestres hors du conseil, ne tend à rien moins que de s'emparer de toute l'administration municipale. Une telle prétention ne prendra jamais racine en Belgique. On s'imagine peut-être que les bourgmestres nommés par le bon plaisir du cabinet, parviendront à faire des conseils communaux des hommes à roulettes qui vont dès qu'on les pousse, où on les pousse, et comme ou les pousse. On se trompe si on nourrit cette pensée, tout le contraire arrivera. Ils éprouveront une résistance continuelle, ils provoqueront les murmures du peuple, et tout cela reviendrait en poids sur le gouvernement. Les murmures du peuple altèrent la confiance dans le gouvernement et la confiance une fois entamée est détruite. L'honorable M. Doignon a donc eu raison de dire qu'il faut rejeter la loi dans l'intérêt même du pouvoir royal.

On ne doit pas oublier qu'un bourgmestre est l'homme du peuple, surtout dans les campagnes ; c'est son directeur civil, son patron, son protecteur naturel contre les actes arbitraires des agents du pouvoir. Toujours en contact avec le peuple, il connaît ses besoins, ses vœux, ses espérances, ses droits ; il est l'intermédiaire entre le peuple et l'autorité supérieure, Pour remplir dignement ces fonctions, pour les remplir dans l'intérêt de la loi et du peuple, c'est-à-dire dans l'intérêt général, il faut qu'il possède d'abord toute la confiance du peuple, or le peuple veut raisonner sa confiance, elle ne se commande pas, il ne l'accorde qu'à ses élus car à mesure que la civilisation se développe dans toutes les classes, que les lumières se propagent dans les classes inférieures, l'opinion publique devient plus difficile ou plus exigeante envers ses chefs immédiats, elle veut les choisir, les désigner au gouvernement comme les hommes de sa confiance.

Sans doute, le gouvernement doit aussi trouver dans les bourgmestres des motifs raisonnables de confiance, mais comme il peut choisir dans tout un conseil communal, il serait absurde de soutenir qu'il n'y aurait pas un seul homme dans le conseil digne de la confiance de l'autorité. Il est vrai qu'il est nécessaire que la vertu, la probité, des connaissances administratives soient les qualités prédominantes dans les bourgmestres ; mais il faut prendre les hommes tels qu'ils sont, il faut entrer dans ce qui est convenable à l'état ordinaire et commun des hommes ; et pour jouir de ce que la nature a de bon, il faut savoir transiger avec ses imperfections ; je soutiens que l'abnégation complète, le renoncement absolu, le sacrifice de toute espèce d'intérêt et de jouissances n'est pas dans la nature de l'homme.

Prenez donc ce qu'il y a de meilleur dans un conseil municipal, et si vous voulez agir sans partialité, sans esprit de parti en n'écoutant aucune coterie, vous trouverez matière à nommer des bourgmestres, si pas précisément tels qu'on le désire, du moins selon les ressources de la localité, et c'est tout ce qu'on peut exiger.

Pour donner au projet quelques chances de succès, et à défaut des moyens loyaux, on n'a pas reculé devant l'idée de lancer un acte d'accusation contre les magistrats municipaux et contre les électeurs communaux. Etant moi-même magistrat municipal et électeur communal, j'espère que tous ceux qui appartiennent à la famille municipale, feront comme je fais, savoir : ne pas attacher à ces injures plus d'importance que ne leur en attachent ceux-mêmes qui se les permettent ; c'est une monnaie courante dont la valeur est convenue, et qu'on ne prend que pour ce qu'elle vaut, c'est-à-dire pour l'expression d'une politique sans dignité et sans avenir.

D'ailleurs, messieurs, il faut reconnaître cette vérité, qu'aucun système ne peut s'accréditer en Belgique sans l'adhésion nationale, car les lois, même les plus belles en spéculation, sont frappées d'inertie, lorsque le peuple belge n'est pas disposé à les recevoir. Or, l'opinion publique est contraire à cette loi d'amour, Et quand je parle de l'opinion publique, j'entends la grande voix, la voix solennelle et sévère du pays, Le projet qui vous est soumis fut à peine connu, que cette voix se fit entendre sur plusieurs points du royaume.

Messieurs, si nous savons prendre conseil du passé pour apprécier l'avenir, il doit nous avoir appris que les besoins et les libertés sont maintenant dans une si intime dépendance, les uns et les autres, qu'on ne peut attenter aux libertés des peuples, sans compromettre les besoins des gouvernements, et par conséquent sans ébranler leur puissance. On veut cependant suivre une autre politique en Belgique, on donne une extension démesurée aux dépenses de l'Etat, on grève le pays de charges et on fait les plus grands efforts pour enlever les libertés publiques.

Chateaubriand a bien dit : « Les monarchies n'ont plus les conditions de despotisme, les hommes n'ont plus les conditions d'ignorance nécessaire pour le souffrir. » Et moi, j'ajoute que, si le gouvernement continue dans ses doctrines qui tendent vers le pouvoir absolu, dans peu d'années les paroles du célèbre écrivain seront des vérités historiques. Enfin on met sous les yeux de la chambre les réponses de sept gouverneurs à une circulaire ministérielle, ces réponses, messieurs, ne prouvent pas grand'chose, d'ailleurs cette espèce d'enquête est incomplète, On aurait dû consulter, non seulement MM. les gouverneurs, mais les députations permanentes, et même quelques-uns des bourgmestres qui sont au-dessus de toute influence, au-dessus de toute crainte d'indisposer les électeurs de leur commune, et, n'en doutez pas, dans chaque province il existe plusieurs des bourgmestres qui appartiennent à cette catégorie. Mais que disent ces rapports ? Ils s'expriment vaguement, ils ne citent que peu de faits spéciaux, rien enfin qui puisse justifier une mesure aussi impolitique.

Depuis la promulgation de la loi communale, j'ai entendu souvent des fonctionnaires administratifs à la nomination du gouvernement, se plaindre de ce qu'ils n'avaient pas d'action sur les administrations communales. Mais je dois faire remarquer que ces plaintes proviennent de ce que ces messieurs se trouvent encore sous l'influence des anciennes traditions. Vous le savez, messieurs, sous l'empire les préfets avaient tous les pouvoirs ; c'étaient de véritables proconsuls. Le roi Guillaume était parvenu, à la fin de son règne en Belgique, à donner à ses gouverneurs des pouvoirs également exorbitants. La loi provinciale a remédié à cet ordre de chose contraire à nos mœurs, à nos anciens usages. En examinant cette loi, ou demeure convaincu que l'autorité provinciale possède tous les moyens de contraindre les administrations municipales à l'accomplissement de tous leurs devoirs et de réprimer les négligences et les abus qui pourraient s'introduire dans ces administrations. Mais comme tout homme en place désire reculer les limites de son pouvoir, à la moindre résistance qu'il rencontre il crie à l'opposition, il accuse la loi de faiblesse, et il voit une négligence grave dans un délai de quelques jours que l'on met à répondre à des nombreuses demandes que l'on adresse continuellement aux régences, et dont les trois quarts au moins sont inutiles ; et si on s'élève contre un homme en place, il s'écrie que l'ordre est troublé, que les lois sont violées. Le gouvernement est attaqué, parce qu'il s'identifie avec l'ordre, avec les lois, avec le gouvernement.

C'est là, messieurs, l'origine de toutes ces plaintes, de ces rapports, dont le gouvernement s'est habilement emparé pour vous proposer un projet de loi qui n'a d'autre but que le pouvoir absolu.

Sans doute les lois provinciale et communale ne sont pas parfaites et ceci est dans l'ordre de choses, et l'honorable M. Dumortier vous l'a dit avec cette éloquence persuasive, cette conviction intime qui fait que l'on exprime si bien ses pensées, que les institutions humaines ne sauraient atteindre la perfection, quand les lois de la nature même ont leurs inconvénients, et c'est une des premières vérités, qu'un législateur ne doit jamais perdre de vue, que l'on ne peut trouver dans aucun ordre, naturel ou humain, un seul principe dont l'application absolue puisse se faire à tout sans blesser quelques rapports particuliers.

Messieurs, il ne faut pas oublier que le roi Guillaume s’est aussi emparé de la nomination des bourgmestres sans aucune élection quelconque ; souvent il nomma un seul homme pour administrer plusieurs communes. Dès ce moment une ligue patriotique se forma, les sentiments de la haine publique contre les oppresseurs se nourrirent et fermentèrent dans le silence. Cette tentative d'une politique maladroite n'a fait qu'irriter les esprits et préparer le jour de la vengeance.

Il nous reste à développer la révolution ; pour y parvenir, il faut se rattacher aux principes d'ordre, il faut rappeler le pays dans ses voies naturelles. L'ordre, c'est la vie, le désordre, c'est la mort des sociétés. Au lieu de mesures sages pour atteindre ce but, on nous propose un projet de loi qui n'est qu'un brandon de discorde destiné à être jeté au milieu des conseils municipaux, une cause d'irritation continuelle lancée à la tête du peuple, et cependant l'expérience nous a assez appris, que lorsqu'on sème la discorde et la méfiance, on ne recueille que des émeutes.

Je vous conjure, messieurs, de ne point créer de malheureux antécédents que l'on invoquera plus tard contre vous ; la postérité s'en prendrait, et avec raison, à vous, non seulement du mal que vous auriez fait, mais de celui qu'à l'avenir on ferait d'après votre exemple. Et comme je ne veux pas arriver au but vers lequel tend le projet, on ne trouvera pas mauvais que je vote contre le projet primitif et contre tous les amendements.


M. le président**.** - M. le ministre des finances m'a fait parvenir différents renseignements et documents réclamés par la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur les sucres. Les membres de la section centrale, pour avancer leurs travaux, désirent pouvoir consulter chacun en particulier ces documents, qui sont d'ailleurs de nature à devoir accompagner le rapport de la section centrale. Je propose à la chambre d'en ordonner l'impression immédiate et la distribution avec le rapport.

J'ai cru devoir interrompre la discussion parce qu'il importe d'activer l'impression de ces pièces.

- La chambre ordonne l'impression des documents transmis par M. le ministre.


M. le président. - La parole est à M. Henot.

M. Henot. - J'ai demandé la parole pour répondre à un fait avancé par l'honorable M. Verhaegen dans la séance d'hier ; cet honorable membre nous a dit que le conseil communal de la ville de Malines avait établi dans une requête adressée à la chambre, que différents peuples jouissaient des franchises communales.

M. Verhaegen - C'est une erreur ; j'ai voulu indiquer le conseil communal de Namur.

M. Henot. - Puisque l'honorable M. Verhaegen convient que c'est par erreur qu'il a cité le conseil communal de Malines, il devient inutile de l'établir ; membre de ce conseil communal, il m'importait de rétablir les faits, et de faire connaître que, loin de voter une adresse à la chambre relativement aux modifications proposées à la loi communale, ce corps délibérant s'était déclaré incompétent pour s'occuper de cet objet d'intérêt général, et n'avait pas perdu de vue qu'au vœu des art. 31 de la constitution et 75 de la loi communale, il devait se borner à régler les intérêts exclusivement communaux.

(Moniteur belge n°150 et 151, des 30 et 31 mai 1842) M. de Garcia. - Messieurs, je dirai quelques mots pour motiver mon vote sur la loi en discussion.

La question que présente cette loi est simple, si on la réduit à ses seuls et à ses véritables éléments, si on la dégage des excursions excentriques auxquelles se sont livrés longuement quelques-uns des orateurs qui m’ont précédé.

Ces honorables membres, il faut le dire, nous ont fait faire inutilement des voyages de longs cours sur les privilèges municipaux des temps passés et sur les privilèges municipaux de presque tous les peuples de l’Europe.

A les en croire, notre belle patrie serait au dernier échelon des libertés dont les peuples anciens et modernes jouissent ou ont joui autrefois.

Quant à moi, messieurs, j'ai la conviction intime que la somme des libertés dont jouit la Belgique est incomparable à tout ce qui a existé et se trouve au-dessus de tout ce qui existe.

Au surplus, messieurs, tout ce qui a été dit à cet égard ne prouve rien et ne peut rien prouver ; les privilèges municipaux du passé, comme ceux des temps modernes, n'ont été envisagés par les honorables membres de cette assemblée qui en ont parlé qu'abstraction faite des autres institutions publiques avec lesquelles se coordonnaient ces privilèges municipaux. Or, les libertés d’un peuple ne peuvent se juger sainement et exactement que par l’appréciation, dans son exemple, de toute la machine gouvernementale ; ce n’est pas par l’examen d’un rouage qu’on peut apprécier le mouvement d’une machine entière.

Je regrette, messieurs, qu'une discussion aussi étrangère à la véritable question qui nous occupe, nous fasse perdre un temps précieux, temps que nous pourrions employer beaucoup plus utilement à servir les vrais intérêts du pays. Aussi mon intention n’est pas de suivre mes honorables collègues sur ce terrain.

Là ne peuvent se trouver les éléments propres à nous conduire à la solution de la question qui nous occupe ; ces éléments se trouvent tout entiers dans les principes politiques qui nous régissent, dans notre pacte fondamental, sauvegarde de toutes nos libertés, qualifié à si juste titre, par mes honorables collègues, d’arche sainte.

A la séance d'hier, l'honorable ministre de l’intérieur a posé la question dans son véritable cadre. Quelles sont les proportions de la franchise communale en Belgique, d’après les principes constitutionnels de ce pays ? Voici le véritable point que nous avons à examiner pour apprécier toute la portée des modifications à la loi communale proposés par la loi en discussion.

Pour résoudre cette question, il suffit de la bien poser, il suffit d’apprécier sainement et avec franchise le titre de notre constitution qui régit les différents pouvoirs de l’Etat qui sont appelés à fonctionner ensemble. Je ne puis entrer dans cette discussion sans déclarer auparavant que je respecte toutes les opinions qui peuvent exister sur la question qui nous occupe. Libre à mes honorables collègues de ne pas partager la mienne. Convaincu que la leur est franche et sincère, j’espère qu’ils voudront bien m’accorder aussi que la mienne l’est de même, et que je n’ai d’autre but, en la manifestant et en la défendant, que l’intérêt, le bien-être et la prospérité de ma patrie.

Abordons avec franchise et avec clarté la question qui nous est soumise.

Cette question, selon moi, et les éléments de sa solution, se trouvent dans le titre de la constitution qui concerne les pouvoirs de l’Etat. D’après les principes constitutionnels, en quoi consiste, en Belgique, les franchises communales ; en quoi consistent les privilèges municipaux ? la constitution du pays, article 31, nous le dit d’une manière positive, formelle et certaine. Voici comment est conçu cet article :

« Art. 31. Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d’après les principes établis par la constitution. »

On le voit, à l’évidence, nos privilèges municipaux consistent uniquement en ce que les conseils communaux sont appelés à connaître de tout ce qui est d’intérêt exclusivement communal. Mais dans cette disposition constitutionnelle ou dans toute autre de notre pacte fondamental, existe-t-il le moindre mot qui puisse donner lieu de penser que les conseils communaux puissent revendiquer l’exécution des lois générales de l’Etat ? loin de là, au même titre de notre constitution, l’on trouve une disposition qui confère au Roi, d’une manière absolue, le pouvoir exécutif, qui ne consiste et qui ne peut consister que dans l’exécution de toutes les lois de l’Etat. Voici comment est conçue cette disposition, art. 29 de la constitution :

« Au Roi appartient le pouvoir exécutif, tel qu’il est réglé par la constitution. »

Du rapprochement de cet article avec celui qui règle les attributions des conseils communaux, il résulte deux vérités incontestables ; la première, c’est qu’en Belgique le règlement des affaires d’intérêt exclusivement communal appartient au pouvoir municipal et forme ses franchises ; la deuxième, c’est que l’exécution de toutes les lois de l’Etat appartient au Roi et forme le privilège de la couronne. A peine d’être injuste, à peine de poser une inconstitutionnalité flagrante, vous ne pouvez toucher à ces prérogatives bien distinctes, vous ne pouvez distraire une partie des prérogatives de l’un de ces pouvoirs sans établir la perturbation dans les dispositions de votre pacte fondamental.

Quant à moi, messieurs, dans l’intérêt de l’ordre, dans mon amour pour les libertés du pays, je veux que la constitution reste intacte, je veux que les limites posées à chaque pouvoir restent infranchissables.

Ces principes posés, trouvez-vous, messieurs, que les modifications proposées à la loi communale sont réellement de nature à porter atteinte aux franchises de nos municipalités, telles qu'elles ont été consacrées par nos principes constitutionnels ; trouvez-vous que la nomination des bourgmestres en dehors du conseil communal, alors que le bourgmestre n’aura pas même voix délibérative dans ce conseil, trouvez-vous, dis-je, qu’il y ait envahissement du pouvoir exécutif sur les privilèges municipaux ?

Poser cette question, en présence des dispositions formelles de notre constitution, c’est la résoudre. Quant à moi, il m’est impossible de voir dans la proposition qui nous est faite autre chose que la consécration d’un principe constitutionnel, autre chose que le retour vers l’ordre légal. Que les privilèges municipaux restent intacts et debout, que le privilège de la couronne reste intact et debout, voilà ce que je veux, ce que doivent vouloir impérieusement tous les hommes qui aiment sincèrement les libertés du pays.

Je ne puis m'empêcher de le dire, messieurs, selon moi, la loi communale de 1836 a porté atteinte à la prorogative royale, a porté atteinte à la constitution. Aussi j'espère que les hommes de bonne foi ne m'accuseront pas d'être un démolisseur de nos institutions qui voudrait voir renverser quelques-unes de nos libertés. Pour combattre le projet de loi, on a fait des suppositions, on a dit que les modifications que nous soutenions n'étaient qu'un premier pas, que ce fait, nous en ferions d'autres, que nous finirions par attaquer la constitution elle-même. Je conçois, messieurs, ce langage, je le conçois lorsqu'on n'a pas de raison solide à opposer au seul projet de loi en discussion. Quant à moi, il ne peut me convenir, outre que la chose est impossible, de combattre des idées en l'air. A cet égard, je n'ai qu'une seule observation à faire : c'est de protester contre de pareilles allégations. Je le déclare, messieurs, je défendrai constamment et avec une fermeté inébranlable toutes nos libertés constitutionnelles. Je défendrai la liberté de la presse, malgré ses abus. Je défendrai la liberté de l'enseignement dans toute son étendue, en un mot, messieurs, je défendrai sans relâche toutes les libertés constitutionnelles, et je ferai tous mes efforts pour maintenir dans ce cercle toutes nos lois et pour bannir l'anarchie.

J'ai dit, messieurs, que la loi de 1836 est inconstitutionnelle en ce qu'elle porte atteinte à la prérogative royale. Je l'ai prouvé, je pense, messieurs, et sous un autre point de vue, je pense encore pouvoir démontrer son inconstitutionnalité.

Notre pacte fondamental veut que tout fonctionnaire public soit responsable de ses actes, et par une augmentation de liberté qui n'existait point antérieurement, l'art. 24 de la constitution déclare que les fonctionnaires peuvent être poursuivis sans autorisation préalable. Voici comment est conçue cette disposition :

« Art. 24. Nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics, sauf ce qui est statué à l’égard des ministres. »

Que devient cette liberté constitutionnelle en présence du régime actuel de notre administration communale ? C'est un collège qui exécute la loi dans la commune. Je le demande, dans un état semblable de choses, où peut se trouver la responsabilité ? Il n'y en a aucune. Ce collège pourtant peut poser des crimes et des délits ; je suppose qu'il ordonne l'arrestation arbitraire d'un citoyen, qu'il ordonne illégalement la démolition de ma maison, qu'il pose tel autre acte illégal qui me cause le plus grave préjudice, qui voulez-vous que je poursuive ?

Un collège, s'il peut être civilement responsable, chose qui peut toujours être controversée, au moins ne peut-il jamais être poursuivi criminellement ou correctionnellement. Si, au contraire, vous aviez un bourgmestre chargé seul de l'exécution des lois, vous sauriez à qui vous en prendre dans les cas que j'ai supposés ; et aussi le principe de la constitution relatif à la responsabilité des agents du pouvoir, serait une vérité.

Sous un autre point de vu, messieurs, nous pouvons encore établir que l'exécution des lois générales, dans la commune par les agents municipaux, ne constitue point un des droits de la franchise communale.

Cette vérité a tellement été comprise que lorsque le pouvoir législatif a fait la loi provinciale, il a dû revenir sur ses pas, et, en quelque sorte, corriger l'inconstitutionnalité de la loi communale. Il a donné aux gouverneurs et aux députations permanentes le droit d'envoyer un commissaire spécial dans les communes pour y faire exécuter les lois qui y seraient en souffrance. Or, si l'on n'avait pas reconnu que l'exécution des lois était étrangère aux franchises communales, l'on ne pouvait accepter une semblable disposition.

Je le répète, messieurs, les franchises communales, telles que les a déterminées notre constitution, ne consistent et ne peuvent consister que dans l'attribution donnée au conseil communal, de régler tous ce qui est exclusivement de l'intérêt de la commune. Quant à ces intérêts, ni le gouvernement, ni le gouverneur, ni la députation de la province, n'ont à s'occuper ou au moins à rien imposer à la commune. Mais, d’un autre côté, la commune ne devrait point avoir à s'occuper de l'exécution des lois et règlements généraux.

Par l’appréciation saine et juste de dispositions formelles, constitutionnelles, je pense avoir posé d une manière précise la véritable ligne de démarcation entre les franchises communales et le pouvoir exécutif.

Dès lors, pourquoi n'admettrions-nous pas la proposition du gouvernement, d'après laquelle l'homme chargé de faire exécuter les lois serait librement nommé par le Roi.

Je terminerai sur ce point par une dernière observation : Comment est-il possible de vouloir considérer l'exécution des lois dans la commune comme constituant une franchise communale ? Pour que ce droit fût réellement une franchise, il faudrait nécessairement admettre que le pouvoir communal peut résister à l'exécution de ces lois.

Or, un ordre de choses semblable serait de l'anarchie toute pure.

Voilà, messieurs, tout ce que j'avais à dire, en principe, à l'égard de la question qui nous occupe.

J'envisagerai maintenant la question sous le point de vue de l'utilité et de la nécessité de la mesure qui vous est proposée.

Le gouvernement a fait une enquête sur cette matière. Déjà plusieurs orateurs se sont chargés de démontrer que l'enquête dont s'agit établit à l'évidence l'insuffisance d'imperfection de la loi de 1836. J'ajouterai pourtant quelques observations à celles qui ont été faites et je commencerai par protester de la manière la plus formelle contre les insinuations malveillantes qui ont été produites contre les fonctionnaires qui y ont concouru, en disséquant et dénaturant, avec le style du procureur, tous les faits qu'on y rencontre.

Le ministre de l'intérieur, qui a provoqué cette enquête, autant que les hauts fonctionnaires qui ont été appelés à y répondre, sont englobés dans ces insinuations malveillantes. D'après elles, M. le ministre aurait tourné sa demande de renseignement d'une manière telle qu'il était impossible de pouvoir y répondre avec franchise et avec vérité, et d'après elles les hauts fonctionnaires consultés auraient eu la faiblesse de n'oser dire ni de présenter le véritable état des choses.

Ce reproche, messieurs, est aussi injuste que peu mérité ; tous, nous connaissons le caractère loyal de l'honorable M. Liedts, alors ministre de l'intérieur ; tous nous connaissons le caractère des hauts fonctionnaires qui ont donné leur avis dans l'enquête, et nous nous empresserons, je l'espère, à leur rendre justice et à repousser les reproches injustes qui leur ont été adressés dans cette enceinte.

L'honorable M. Angillis nous a dit que les bourgmestres remplissent parfaitement leurs fonctions sous tous les rapports, que partout la loi recevait une exécution complète. Je regrette de ne pouvoir partager l'opinion de cet honorable membre. Moi aussi, messieurs, j'ai fait partie des administrations communales, j'ai fait partie de conseils provinciaux, j'ai vu ce qui se pratiquait dans certaines communes, et il résulte, je n'hésite pas à le dire, de l'expérience que j'ai acquise, que les lois sont mal exécutées, surtout les lois dé police qui demandent une exécution prompte et incessante.

Le gouvernement s'est borné à demander qu'on rende à la prérogative royale l'exécution des lois de police, sans doute par le motif que j'ai énoncé plus haut. Quant à moi, je regrette qu'on n'ait pas rendu, tout à la fois, à la couronne sa prérogative et l'exécution de toutes les lois. M. le ministre aura cru, sans doute, pouvoir se borner à demander l'exécution des lois de police, parce qu’au moyen d'un commissaire spécial le gouvernement peut toujours amener l'exécution des autres lois qui ne demandent pas une action aussi prompte et aussi continuelle que les lois de police, on a prétendu que les modifications proposées ne pourraient avoir aucune influence sur la bonne conservation de la petite voirie, et l'on s'est même demandé quelle pourrait être cette influence ? A mes yeux, elle est incontestable. Il suffit d'avoir habité les campagnes pour en être convaincu. Partout l'on empiète sur la petite voirie, partout elle est encombrée par des fosses à fumier, partout elle est livrée à la dévastation des intéressés, et la plupart des bourgmestres n'osent agir, n'osent montrer de l'énergie, n'osent faire des procès-verbaux à charge des contrevenants, à peine de se voir éliminés par des électeurs auxquels ils ne manqueraient pas de déplaire.

Ces abus ne sont pas imaginaires, messieurs, et vous en aurez la preuve lorsqu'on aura mis à exécution la loi que vous avez votée sur les chemins vicinaux et qui ordonne le relevé de ces chemins ; vous verrez à quelle masse de procès l'exécution de cette mesure de la loi donnera lieu ; c'est, du reste, ce que j'ai prévu lors de la discussion de cette loi, à laquelle j'avais proposé un amendement tendant à faire obtenir aux communes le droit de plaider gratuitement pour récupérer toutes les usurpations faites sur la petite voirie.

Je n'ai consenti à retirer cet amendement, malgré la grande utilité que je lui attribuais, que sur la proposition de l'honorable M. de Behr, et parce que j'espérais qu'on pourrait revenir sur cette matière par une loi spéciale.

Par cette simple observation, l'on voit combien il est nécessaire que le pouvoir exécutif soit renforcé et modifié.

La nécessité de cette mesure ne se fait pas moins sentir à l'occasion de l'exécution des règlements de police dans les cabarets et dans les lieux publics. L'ordre de choses existant laisse beaucoup à désirer dans une infinité de localités où ces règlements ne s'exécutent en aucune manière.

Pourtant, messieurs, qu'on y songe bien, la moralité d'une nation est la première chose et la plus importante que doive soigner un gouvernement ; c'est le meilleur et le plus puissant levier gouvernemental. Cette moralité doit se conserver par la régularité des mœurs et de tous les actes de la vie, et tout Etat bien organisé doit viser à atteindre ce résultat. Je ne suis point ennemi des plaisirs du peuple, loin de là ; mon plus grand bonheur est de le voir heureux et de partager ses joies ; mais dans l'intérêt des liens de famille si précieux et si favorables à la conservation de la moralité, malheureusement trop relâchés aujourd'hui, l'on doit faire tous les efforts possibles pour que ceux qui sont portés à les oublier et souvent à dépenser ce qui est nécessaire aux besoins de cette famille soient rendus à leurs devoirs.

Parlerons-nous des modifications à apporter à la loi communale sous le point de vue de l'inexécution des lois sur la garde civique ? D'autres orateurs, entre autres M. Angillis, en ont parlé, et je crois devoir faire une réponse à ce qu'a dit cet honorable collègue.

A part les défauts et les imperfections qui rendent cette dernière loi inexécutable, je défie le gouvernement, sous le régime de la loi de 1836, de pouvoir mettre jamais aucune espèce de loi sur la garde civique à exécution. A la vérité, l'honorable M. Angillis ne voit pas de graves inconvénients à cela ; il ne veut pas de cette institution, et à ce point de vue, si je l'ai bien compris, il se félicite de l'impuissance de la loi.

Je ne puis partager cette opinion. Dans un gouvernement constitutionnel, la garde civique ou nationale est, selon moi, une institution précieuse et indispensable. C'est d'autant plus nécessaire à mes yeux, qu'il faut, dans notre pays, une réforme dans la loi du contingent de l'armée, et que par cette réforme une garde civique bien organisée devienne le complément de notre organisation militaire. Nouveau motif d'accepter les modifications proposées à la loi communale par le gouvernement.

Savez vous, messieurs, quel est l'homme qui a présenté en France la loi sur l'organisation de la garde nationale ? C'est Lafayette. La garde civique, disait-il, si mes souvenirs sont exacts, est la sauvegarde la plus sûre des libertés d'une nation ; je partage cette opinion et je me propose, en demandant un jour une réforme dans la loi du contingent de l'armée, de réclamer, en même temps, du gouvernement une bonne loi sur la réorganisation de la garde civique.

M. Rodenbach. - C'est une utopie.

M. de Garcia. - Ce n'est par une utopie ; avant la révolution la garde communale était parfaitement organisée, et cette circonstance a puissamment contribué à l'affranchissement du pays dont les libertés étaient opprimées et qui avait les armes en main.

M. Rodenbach. - Ce sont les volontaires.

M. de Garcia. - Je ne sais ce que vous voulez dire par volontaires ; à Namur ce sont les citoyens de la ville et des bourgades environnantes qui ont fait rendre la ville et la citadelle ; laissez cette gloire à ceux qui l’ont méritée. Nous n'avons pas eu besoin de volontaires pour atteindre ce résultat. Quand les volontaires sont venus chez nous, je dois le dire, et j'en appelle à l'honorable M. Brabant, ils y ont apporte le désordre.

Messieurs, pour combattre les modifications proposées à la loi communale, nos adversaires se sont livrés, je le répète, à une discussion singulièrement excentrique. On a, comme je l'ai déjà dit, fait un long historique de nos anciennes municipalités et on a passé en revue celles de presque tous les peuples de l'Europe, On nous a parlé de l'organisation communale de la Russie, de la France, de la Saxe, etc., etc., pays qu'on nous a représentés comme plus libres que la Belgique. Je félicite ces pays, s'il en est ainsi, mais je ne le crois aucunement. On a invoqué l'empire, on est venu jeter dans cette discussion le despotisme de l'empereur Napoléon ; on est venu nous dire que l'absence et la compression des libertés municipales avait amené la chute de ce colosse. Je dois le dire, cette argumentation m'a singulièrement surpris. Ces nouveaux éléments de l'histoire n'avaient pas encore été révélés jusqu'à ce jour. Il m'est difficile de concevoir comment on peut dénaturer les événements aussi rapprochés de notre époque.

Mais, messieurs, a-t-on oublié que c'est la rigueur des climats lointains qui a fait périr, qui a anéanti les braves et invincibles armées de l'empire ; a t on oublié que la chute de cet empire n'a été due qu'à la rigueur des saisons et des frimas, à la haine profonde et à la jalousie que les victoires de l'empire et sa grandeur même avaient excitées chez toutes les nations du monde ? A cette époque, messieurs, le peuple vivait au milieu du prestige de la gloire et ne pensait pas aux libertés communales. Ce n'est pas le peuple, messieurs, qui a fait tomber l'empire, ce sont les grands corps de l'Etat, ce sont les grands dignitaires de l'Etat qui ont abandonné leur bienfaiteur pour jouir de leurs richesses et de la haute position sociale qu'ils avaient acquise. J'appartiens à l'époque de l'empire, et je puis dire que le peuple ne détestait pas l'empereur ; il l'aimait même (interruption) ; oui, messieurs, il aimait l'empereur, et la preuve en est dans son retour en 1815 : débarqué à Cannes, son aigle vote de clocher en clocher sur toutes les communes de la France, et l'empereur Napoléon arrive à Paris sans qu'il fût tiré un seul coup de fusil. Une chose semblable était-elle possible si la nation n'avait pas aimé l'empereur Napoléon ?

Ne croyez pas, messieurs, que je veuille faire l'éloge de cette époque ; ne croyez pas que je voulusse vivre sous le régime du despotisme de l'empire. Les illusions de la gloire ont fait place à un bonheur réel, au bonheur résultant des libertés et de la paix ; mais j'ai voulu être juste, et l'anarchie, qui était sortie des libertés mal entendues, ne pouvait être écrasée que par le despotisme. Craignons de placer le pays dans une semblable situation.

Napoléon, cet homme extraordinaire, génie le plus étonnant des siècles passés et modernes, aussi grand lorsqu'il se promenait à la guerre que lorsqu’il se livrait aux conceptions législatives fut d'abord regardé par toute la France comme son sauveur. Avec un front d'airain, avec un bras de fer, il vint frapper sur l'anarchie, malheureusement il toucha les libertés. Pouvait-il en être autrement ? Longtemps il fut regardé par la France et par tous les gens de bien comme un ange tutélaire.

Il ne me reste plus qu’un mot à dire en réponse à l'honorable M. Dumortier. Cet honorable collègue a exprimé de vifs regrets, s'est montré profondément affligé de voir ses amis politiques venir au-devant du gouvernement pour l'aider à détruire des franchises communales en Belgique. Je crois avoir démontré, messieurs, que les franchises communales dans ce pays, les franchises communales constitutionnelles, ne sont nullement menacées ni en danger.

Au point de vue des sentiments d'affliction qu'éprouve l'honorable M. Dumortier pour ses amis, convaincu que je suis qu'ils sont sincères et qu'ils partent d'un bon cœur, je lui exprime mes remerciements. Mais il me permettra de ne point accepter cette expression de ses regrets sous le point de vue que nous serions tombés dans l'erreur et que nous voudrions démolir les institutions de nos précieuses libertés. J'ai tellement cette conviction que je crois pouvoir rétorquer à mon honorable collègue les sentiments qu'il exprime à notre égard. Avec une conviction profonde je puis lui dire, à mon tour : Je vois avec un vif regret, je suis profondément affligé de voir l'honorable M. Dumortier combattre les modifications proposées, lui qui, d'ordinaire, comprend si bien tout ce qui tient à l'interprétation des vrais principes de la constitution.

J'estime infiniment l'honorable M. Dumortier ; j'ose même me flatter de son amitié, dont je m'honore, mais je dois déclarer que, quant à moi, je ne connais pas d'amis politiques. Mes seuls amis politiques sont les principes constitutionnels, leur application consciencieuse et le régime franc et loyal de toutes les lois.

(Moniteur belge n°149, du 29 mai 1842) M. Dedecker. - Messieurs, jeune encore dans la carrière élémentaire, sans expérience personnelle en matière d'administration, je croyais d'abord ne pas avoir le droit de parler dans une discussion aussi importante. Cependant, par cela même que je n'ai pas d'antécédents parlementaires à ménager, par cela même que je suis étranger à l'administration, il m semblait que peut-être j'apporterais plus de désintéressement dans ce débat et que j'aurais par conséquent plus de chances de rencontrer la vérité.

J'ose le dire, messieurs, j'ai fait une étude sérieuse de la question qui nous occupe ; cette étude sérieuse a eu ce premier résultat de me rendre extrêmement tolérant envers ceux qui dans cette question ne partagent pas l'opinion que je crois de mon devoir de défendre. Sans avoir recours à des interprétations plus ou moins forcées, sans supposer au gouvernement des arrière-pensées, des velléités de réaction, des projets liberticides, comme on l'a dit, j'ai parfaitement compris qu'il pouvait, à son point de vue présenter de bonne foi et avec les intentions les plus loyales, les modifications qu'il nous a proposées. Mais à mon tour je demande que l'on respecte les intentions de ceux qui croient devoir défendre une opinion contraire ; à mon tour je demande que l'on soit persuadé que l'on peut s'opposer à ces modifications tout en obéissant à ses convictions et à sa conscience.

S'il en est, messieurs, qui s'opposent aux modifications proposées à la loi communale par antipathie contre les personnes, dans un intérêt de parti ou de coterie ; s'il en est qui, dans cette circonstance, font de l'opposition par le désir, soit d'embarrasser le gouvernement, soit d'acquérir une popularité que je regarde comme une popularité de mauvais aloi ; je le déclare hautement, je me sépare d'eux. Mon intention n'est pas de susciter des embarras au gouvernement : je veux, au contraire, contribuer à lui donner la considération qu'il mérite, l'influence dont il a besoin.

Messieurs, la question qui nous occupe est-elle une question politique ou une question purement administrative ? Pour le fond même du débat, je trouve cette question passablement oiseuse. Il nous importe, en effet, d’examiner la loi qui nous est présentée sans nous laisser guider par des considérations étrangères au fond de la loi même.

Cependant, messieurs, malgré les dénégations du gouvernement, et quoiqu'il n'y ait qu'un instant que M. le ministre des affaires étrangères nous a dit que les seules exigences administratives ont porté le gouvernement à proposer ces modifications, je crois que, peut-être à l'insu même du gouvernement, il a été conduit à nous soumettre les projets dont il s'agit par un ordre d'idées plutôt politiques qu'administratives.

Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, presque tous nos malentendus, tous les tiraillements qu'éprouve le pouvoir, viennent de cette circonstance que personne ou presque personne n'accepte franchement et définitivement la position que nos institutions nous ont faite ; et cela est fort naturel. Les principes fondamentaux de notre organisation politique, ont été posés au moment de la révolution ou immédiatement après, lorsqu'on était encore sous l'impression de cet événement.

Dans ce moment de dévouement et d'union profonde entre tous les citoyens, tout le monde était d'accord sur l'admission de ces principes ; mais il arrive naturellement par le cours des idées et par l'expérience acquise que bientôt tout le monde ne se trouve plus d'accord sur l'application de ces principes, sur le développement régulier à donner à ces institutions. Je n'accuse personne ; j'admets que l'on peut croire consciencieusement que quelques-uns de ces principes ont été exagérés ; qu'il n'a pas été tenu suffisamment compte des droits de la Couronne, qu'on s'est laissé emporter par le courant de la liberté, que l'on n'a peut-être pas satisfait toutes les exigences légitimes. Pour cela encore j'excuse volontiers les hommes qui croient dans cette occasion devoir soutenir ce qu'ils appellent la cause du gouvernement contre le peuple, l'ordre contre la liberté. Mais je conçois aussi que d'autres personnes, sans donner précisément tète baissée dans les idées de progrès indéfini, aient cependant une foi plus robuste dans l’avenir de nos institutions. Je conçois que l'on veuille sincèrement laisser germer les principes qui forment la base de ces institutions, et leur laisser produire leurs fruits naturels.

Messieurs, la pensée qui a présidé à la présentation de ces modifications, me paraît si bien une pensée politique qu'à en juger par la marche suivie dans l'instruction de cette affaire, on n'était arrivé que fort tard à la recherche de quelques motifs tirés de la situation administrative. Je crois, pour ma part (il se peut que je me trompe), que ces modifications n'ont pas été amenées par le spectacle de ces prétendus abus ; mais qu'on avait une idée préconçue de la nécessité de renforcer le pouvoir central, que c'est en partant de cette idée qu'on a été à la recherche de quelques abus. De là l'enquête qui vous a été soumise. Cette enquête n’a pas pour moi toute la valeur qu'on veut bien lui reconnaître. Il est certain que, d'après la manière dont était rédigée la circulaire de M. le ministre de l'intérieur, on ne pouvait presque pas s'attendre, de la part des agents de l'autorité, à une autre réponse que celle qui a été faite. Ensuite j'ai cherché en vain avec la plus entière bonne foi ces motifs graves péremptoires qui auraient nécessité les changements proposés d'urgence à la loi communale, qu'il existe des abus administratifs, des inconvénients à l'application de la loi actuelle, nul doute ; mais je pense que nous sommes tous persuadés que toutes les lois donnent lieu dans leur application à des abus, surtout quand elles doivent être appliquées par des personnes qui n'ont pas toujours toute l'intelligence nécessaire et qui ne sont pas dans une position assez désintéressée pour l'accomplissement de leurs devoirs. Ces inconvénients ont dû se présenter surtout dans les communes rurales. S'il était possible, je consentirais à ce qu'on fît pour la nomination des bourgmestres une différence entre la législation qui régirait les communes rurales, et celle qui régirait les grandes villes ; souvent il n'y a pas dans les communes rurales un degré suffisant d'instruction et de connaissances administratives pour procéder à des choix judicieux ; au contraire, dans les grandes villes l'opinion publique est plus éclairée ; là, on trouve cette instruction, cette expérience qui sont nécessaires pour rendre l'administration sage et régulière.

En vous présentant le tableau des inconvénients qui résulteraient, d'après M. le ministre de l'intérieur, de la loi actuelle, il y a, ce me semble double méprise de la part du gouvernement D'abord il a supposé que tous ces inconvénients ne datent que de 1836, époque de l'application du système communal.

C'est, je crois, une grande erreur. La plupart de ces abus qu'on nous signale ont existé de tous temps, à toutes les époques, sous tous les régimes. C'est encore à tort, selon moi, que le gouvernement a supposé que la cause de tous ces abus était le mode de nomination du bourgmestre. Enfin une autre méprise, tout aussi grave, c'est que le gouvernement croit que le changement dans le mode de nomination du bourgmestre remédiera à tous ces abus, fera disparaître tous ces inconvénients. Pour ma part, je ne puis partager cette illusion ; je ne puis admettre les modifications que M. le ministre de l'intérieur propose à la loi communale comme une panacée universelle.

Voyons en peu de mots si les inconvénients qu'a signalés M. le ministre de l'intérieur sont réels. Beaucoup d’orateurs, avant moi, ont procédé au même examen ; beaucoup d'orateurs avant moi, nous ont démontré tout ce qu'il y avait de futile et de peu fondé dans ces motifs ou plutôt dans ces prétextes de modifications à la loi. Cependant, puisque, d'après la déclaration de M. le ministre de l'intérieur, l'existence de ces inconvénients administratifs a déterminé à proposer des modifications à la loi, cette question devient fondamentale. En effet, prouver que ces inconvénients n'existent pas, ce sera prouver l'inutilité des modifications en discussion.

Je ne m'arrêterai pas à examiner jusqu'à quel point la nomination du bourgmestre influera sur l'exécution des lois concernant l'organisation de la garde civique, la milice, la chasse.

D'autres orateurs qui ont invoqué leur expérience personnelle en cette matière, vous ont, à cet égard, présenté des considérations fort judicieuses et péremptoires. Pour les chemins vicinaux, je crois, avec d'honorables préopinants, que ces inconvénients existant ne datent pas de la loi de 1836, qu'ils lui sont antérieurs et qu'ils disparaîtront par l'application de la loi du 10 avril 1841, sur la matière.

Je ne m'arrêterai qu'un instant au reproche le plus grave qui concerne la police. Je vous demande pardon d'entrer dans ces détails, mais je crois cet examen nécessaire. Dans beaucoup de localités cette police ne se fait pas bien. C'est une erreur que de croire que cela tient au mode de nomination du bourgmestre. La police se fait mal dans les communes rurales et surtout dans les grandes villes, d’abord parce qu'elle a pour ainsi dire de doubles attributions, parce qu'elle relève, à la fois de l'autorité judiciaire et du pouvoir exécutif. Pour peu donc qu'il y ait collision entre l'échevin chargé de la police et le procureur du Roi, le service en souffre.

Ensuite, on s’en prend à l'institution même, et ici, comme dans beaucoup de cas, c'est surtout au personnel qu'il faut s'en prendre. Ce sont les personnes chargées d'appliquer la loi qui ne l'appliquent pas bien.

Vous avez tous une expérience suffisante de ce que sont les agents de police et les gardes-champêtres. Assurément, ils ne présentent pas toutes les garanties de moralité et de prudence que l'on serait en droit de désirer chez eux.

Dans beaucoup de communes des Flandres, à Gand même, il existe une habitude très préjudiciable à l'accomplissement des devoirs des agents de police, c'est que chaque année, au mois de janvier, ils vont de porte en porte chez le bourgeois recevoir une espèce de petit tribut. Vous concevez que ces relations intéressées nuisent singulièrement au service. Je crois même que M. le ministre de l'intérieur pourrait en prendre note pour faire aux autorités des observations dans ce sens.

Un homme dont l'opinion se trouve consignée dans l'enquête administrative, M. Demonceau, commissaire du district de Liége, que je n'ai pas l’honneur de connaître personnellement, mais qu'on dit un administrateur des plus éclairés, confirme mes observations et s'exprime ainsi sur ce qu'il appelle la faiblesse de la police :

« De tout temps il y a eu des influences qui ont paralysé l'action de la police ; en pareil cas, et quel que soit le mode de nomination des bourgmestres, il y en aura toujours dans les communes rurales qui laissent beaucoup à désirer sous ce rapport, parce qu'en général on trouve peu d’hommes indépendants par leur caractère et leur position, et qui ne cèdent pas à l’amitié ou à des intérêts particuliers. »

C'est surtout relativement à la police des cabarets qu'on signale ces inconvénients des agents de l'administration.

Ici encore il faut expliquer les faits dans toute leur simplicité, dans toute leur crudité. Vous le savez, la plupart des agents de police dans les villes et les gardes-champêtres à la campagne sont d'anciens militaires ; la plupart, presque tous, sont adonnés à la boisson. (On rit.) Ces hommes n'ont qu'un traitement minime, et malheureusement ils ont souvent soif. (Nouveaux rires.) Or, ces gardes champêtres, ces agents de police ont le privilège de se désaltérer gratuitement dans les cabarets de l'endroit. De là naît une dépendance qui est la grande cause de l'inobservance des règlements sur la matière.

A entendre certains orateurs, il semble qu'après l'heure prescrite par les règlements les cabarets restent ouverts. Les cabarets sont fermés ; mais on continue d'admettre ce qu'on appelle la pratique après l'heure. De cette façon, on peut facilement éluder la loi ; car la constitution proclame l'inviolabilité du domicile, et, en conformité de cette disposition constitutionnelle, la cour de cassation a décidé, en 1839, que les agents de police ne peuvent entrer dans les cabarets quand il n'y a pas de probabilité grande que les règlements sur la fermeture des cabarets sont éludés. Si ces règlements ne sont pas bien observés, je crois que cela tient encore à une autre cause que je suis bien aise de signaler à l'attention du gouvernement. Dans tous les programmes des fêtes locales et nationales, il y a un article qui porte que ce jour-là les cabarets seront ouverts toute la nuit.

Eh bien, messieurs, je dis que de semblables ordonnances ont de graves conséquences pour l'ordre et la moralité publique. Je pose en fait que c'est l'autorité elle-même qui est coupable ; elle a commencé à dire aux ouvriers : d'après moi, vos plus grands plaisirs, vos plus grandes jouissances sont les désordres nocturnes. L’autorité, après avoir inspiré ce goût aux jeunes artisans, peut-elle venir se plaindre de ce que d'autres jours où cela n'est pas permis, ces jeunes gens ne puissent, ne veuillent pas y renoncer ? Il est très facile de déchaîner les passions à coups d'ordonnances, mais les arrêter, les dompter à coups d'ordonnances, c'est autre chose.

Messieurs l'on se plaint de la grande dépendance dans laquelle sont les bourgmestres ; en d'autres termes, du peu d'indépendance dont ils font preuve dans l'exercice de leurs fonctions. Je répéterai qu'il ne faut pas s'en prendre aux institutions, mais aux hommes, que cela tient avant tout au caractère des hommes investis des fondions de bourgmestre. A entendre le ministre de l’intérieur, il semble que par les modifications qu'il propose, les bourgmestres de villages une fois qu’ils auront reçu leur nomination du Roi vont être des modèles de bons administrateurs, que les hommes les plus faibles d'ordinaire vont se trouver subitement doués d'une fermeté à toute épreuve.

Messieurs, ne partageons pas une telle illusion. Il y a une autre cause de la dépendance des bourgmestres, c'est que pour la plupart, ils cumulent leurs fonctions administratives avec certains métiers, certaines professions. Médecins, notaires, négociants, fermiers, agents d'affaires, ils ont partout des intérêts à ménager, des pratiques ou des clientèles à conserver. Cette position sociale exerce sur le caractère des bourgmestres une bien plus grande influence qu'on ne semble le croire généralement.

J'admets que les bourgmestres sont dépendants, mais la grande cause de cette dépendance, cette grande et perpétuelle tyrannie, si je puis m'exprimer ainsi, dont les bourgmestres ont peur, c'est la presse.

Messieurs, je n'entends nullement provoquer de changement à la législation sur cette matière, mais puisqu'on s'occupe d'inconvénients, je pense qu'on peut parler de ceux que présentent toutes nos lois, dans leur application journalière.

Presque toutes nos villes de province ont de petits journaux, les journalistes pour donner ce qu'ils appellent la couleur locale à leur feuille, s'occupent des détails d’administration des communes voisines de la ville où ces journaux s'impriment. Ces journaux, les bourgmestres les redoutent, parce qu'au jour des élections un article de journal pourra leur faire autrement de mal que le froissement de quelques intérêts particuliers des électeurs de leur commune.

Et pourquoi, d'après le gouvernement, le bourgmestre est-il dépendant de ses administrés ? Parce que, dit-il, il est préoccupé de sa réélection ! D'abord, il faudrait prouver que le désir d’être réélu est incompatible avec une bonne administration, que ce désir tout naturel, tout légitime du bourgmestre de conserver l'estime et la confiance de ses concitoyens est obstatif à l'accomplissement de ses devoirs, Voilà ce qu'il faudrait prouver d'abord. Mais en admettant que le bourgmestre soit trop préoccupé de sa réélection, est-ce un motif pour adopter les changements proposés à la loi communale, pour changer les conditions d'existence de ce fonctionnaire ?

Les bourgmestres se montrent trop préoccupés de leur réélection ! C'est possible ; mais si l'un d'entre eux venait nous dire : Vous, membres de la chambre, dans tel ou tel discours, dans tel ou tel vote, vous ministre, dans tels ou tels subsides que vous avez accordés, dans telles ou telles nominations que vous avez faites, vous vous êtes montrés trop préoccupés de votre réélection, qui jetterait la première pierre, qui lancerait le premier démenti ?

Il ne faut pas que les pouvoirs se calomnient. J'ai été profondément affligé de voir M. le ministre de l'intérieur venir, en présentant une loi qu'il dit être destinée à augmenter la force, à relever la dignité du bourgmestre, infliger un si vigoureux soufflet à tous ces administrateurs, et leur prêter les intentions les moins avouables.

Il aurait mieux valu renoncer à cet argument et jeter un voile pieux sur ces petites misères du cœur humain. Cependant, hier, M. le ministre s'étonnait du jour défavorable sous lequel quelques orateurs ont représenté les fonctionnaires. A entendre les adversaires du projet, disait-il, on croirait que les fonctionnaires sont des parias, des hommes sans indépendance, sans caractère. Mais n'est-ce pas M. le ministre lui-même qui le premier a jeté la déconsidération sur 2,500 fonctionnaires, au risque d'être cruellement injuste à l'égard de ceux que distinguent leur caractère et leur fermeté ?

Messieurs, à part ces inconvénients que j'appellerai administratifs, le ministre de l'intérieur a encore signalé d'autres inconvénients à la loi qui nous régit, inconvénients que j'appellerai politiques. Voyons si ces derniers inconvénients sont plus réels que les premiers.

D'abord le ministre de l'intérieur vous a fait entendre, qu'obligé de choisir le bourgmestre dans le sein du conseil, le pouvoir central était souvent humilié.

Messieurs, je vous avouerai que ce langage ne me paraît pas fort constitutionnel. Je trouve étrange que l’on vienne dire que le pouvoir central est humilié, parce qu'il doit respecter l'un des autres pouvoirs constitués du pays.

Tout pouvoir qui s'exerce régulièrement et en vertu des lois est respectable. Quoi ! le pouvoir central est humilié d'être obligé de s'en référer aux décisions de l'opinion publique, de devoir admettre pour agents des hommes que la majorité d'une commune a investis de sa confiance.

Supposons cependant que le gouvernement ait été humilié jusqu’à présent, croit-on que par les modifications proposées, il cesse de l’être ? Je voudrais me tromper, mais je crois qu'il se prépare pour le pouvoir central une autre série d’'humiliations. Qu'arrivera-t-il ? Dans toutes les communes, vous allez envoyer ce que vous appelez des commissaires du Roi. Il faudra bien les recevoir, les accueillir. Mais la commune se dira : Puisque le gouvernement me traite ainsi, je vais opposer défiance à défiance. Et la commune nommera tout un conseil hostile d'une manière systématique et permanente à l'homme envoyé par le gouvernement.

Dans chacune des séances publiques de ce conseil, la lutte s'engagera, chacune de ces séances présentera l'aspect d'un champ de bataille, où le gouvernement, dans la personne de son agent, sera vaincu par la commune et traité comme tel le lendemain par les journaux qui exploiteront cette victoire au profit de leurs rancunes locales.

Un second inconvénient politique, du mode actuel de nomination des bourgmestres, à en croire le ministère, c'est qu'actuellement les élections communales sont irritantes ; et comme remède, comme moyen de les pacifier, on propose de nouveau et éternellement la nomination du bourgmestre en dehors du conseil.

Les élections communales sont turbulentes ; c'est un fait que personne ne peut contester. Mais quelle est la cause de cette irritation ? Dans les villes, la perspective d'avoir tel ou tel bourgmestre n'entre presque pour rien dans les motifs de la lutte, Dans les villes, l’élection communale est une question de parti, la question de savoir lequel des deux partis qui se disputent le pouvoir de la commune l'emportera.

Pour les communes, ce sont encore quelques familles puissantes qui ont conservé des antipathies de race ou de caractère, des haines séculaires, des familles qui veulent mesurer leur influence mutuelle et tâcher de l’emporter l’une sur l’autre, par un motif de vanité ou d’intérêt.

Et puis, messieurs, dans les communes comme dans les villes, toutes les élections communales deviendront désormais des élections de parti. Toutes ces associations politiques qui se forment aujourd’hui et qui auront des ramifications jusque dans la dernière commune donneront plus que jamais aux élections des communes ce caractère d’aigreur et d’irritation que nous déplorons tous. Du reste, je me contente de renvoyer aux prochaines élections d'octobre les optimistes qui s'imaginent qu'en adoptant les modifications proposées on rendra le calme et la modération aux élections. Néanmoins, comme il y aurait peut-être quelque chose à faire sous ce rapport, j'adopterai les amendements de M. de Theux. Le premier consiste à prolonger le terme du mandat du bourgmestre et des conseillers. En effet, je crois que c'est chose avantageuse que de reculer l'époque des élections, de les rendre le moins fréquentes possibles, afin qu'il n'y ait plus dans les communes une irritation permanente.

Le fractionnement des collèges électoraux, objet du deuxième amendement de M. de Theux, présente cet avantage qu’il n'y aura plus de parti vainqueur et de parti vaincu, qu'il n'y aura plus une majorité parfois imperceptible opprimant une minorité, toujours respectable, majorité et minorité seront toutes les deux représentées ; de cette manière viendra à disparaître un des grands motifs cités à l'appui des modifications qu'on propose. Il est arrivé parfois que le gouvernement a été embarrassé pour choisir dans les conseils, de la manière exclusive dont ils sont composés, des hommes dignes de sa confiance. Au moyen du fractionnement des collèges dans les villes, il est à présumer que les sections nommeront au conseil des hommes appartenant à des opinions différentes et dans lesquels le gouvernement pourra facilement faire son choix. Il ne sera donc plus, comme aujourd'hui, gêné dans les nominations qu'il aura à faire.

Messieurs, non seulement, les modifications proposées à la loi communale ne feront pas disparaître les inconvénients qui existent, inconvénients de détails, en tous cas, mais ces modifications en vont créer de bien plus graves, de bien plus sérieux.

Et d'abord, je dis que la proposition du gouvernement tend à détruire, à discréditer le principe de l'élection. Messieurs, cette remarque est de la plus haute gravité. Toutes nos institutions reposent sur le dogme politique de l'élection. Tout ce que l'on fait pour détruire ce dogme influe sur le reste de notre organisation politique. Aussi tout ce qu'on a dit pour défendre le projet du gouvernement, toutes les observations de l'honorable comte de Mérode, par exemple, portent bien plus haut qu'il ne l'a voulu lui-même. Toutes ses réflexions sont parfaitement applicables à d'autres élections, à la constitution d'autres pouvoirs que celui de bourgmestre.

Messieurs, vous commencez par faire un appel, un appel généreux, à l'opinion publique ; quand elle vous a répondu, vous ne voulez plus vous en référer à sa réponse. Il me semble que cela n'est ni logique, ni adroit. Tout pouvoir qui confère des mandats doit être nécessairement entouré d'un prestige d'infaillibilité.

Nous savons tous ce qu'il y a à dire relativement à l'opinion publique, combien elle est changeante, à la disposition du premier intrigant, mais enfin c'est l'opinion publique qui nomme tous les pouvoirs qui existent en Belgique, c'est discréditer tous ces pouvoirs que d'en discréditer un seul. La logique du mal est rigoureuse. Si vous proclamez l'opinion publique essentiellement faillible et malheureuse dans le choix des bourgmestres, on ira plus loin, et de déconsidération en déconsidération, vous arriverez à ne plus avoir de pouvoir à l'abri des mêmes attaques.

Ces attaques me paraissent d'autant plus graves, qu’elles ont lieu dans un pays où la royauté elle-même a été élective, dans un pays où nous disons : Le Roi de notre choix.

Le second inconvénient nouveau du système proposé, messieurs, c'est que le gouvernement, sous prétexte de sceller entre les communes et l'Etat une alliance plus intime, plus directe, va provoquer les dissentiments et amener un divorce. En établissant un lien tout matériel, le lien de la centralisation administrative, vous détruisez, vous brisez un lien autrement fort, le lien de l'affection et de la confiance.

Messieurs, vous le savez, des ennemis à la fois des gouvernements et des peuples, ont établi entre les gouvernements et les peuples un antagonisme irrationnel et funeste. A force d'insinuation contre le pouvoir, à force de séparer les intérêts du pouvoir de ceux de la nation, le peuple a pris l'habitude de considérer le gouvernement comme son ennemi naturel. De même, messieurs, on a prêté au peuple des prétentions si exagérées, on a si souvent abusé de son nom, si souvent déchaîné les instincts mauvais des masses, que le gouvernement a fini par croire qu'il n'y avait plus dans ces masses de bons instincts, plus d'éléments d'ordre et de civilisation.

Il en est résulté naturellement que, jaloux de leurs moindres droits, prompts à voir partout des abus, le gouvernement et la nation vivent dans un état perpétuel d'hostilité aussi fatale à l'autorité qu'à la liberté même. Je dirai même que le progrès social en est retardé, en est entravé. Car, suivant que l'influence du gouvernement ou celle de l'élément populaire domine, la société, avec ce système de défiance, n'a souvent d'autre alternative que celle de l'immobilité on d'un mouvement désordonné.

Eh bien ! cet antagonisme, qui heureusement n'existait encore que dans les préjugés, vous allez le sanctionner par votre loi, vous allez le légaliser. Et cela en Belgique, dans un pays où le peuple aime à être gouverné par la confiance. Faisons un retour sur nous-mêmes, examinons le caractère de ce peuple et son histoire : Il est peut-être défiant au premier abord ; mais dès qu'il a pris de l'attachement pour ses souverains, pour ceux qui le gouvernent, il est toute confiance, tout abandon, tout dévouement.

Messieurs, un autre inconvénient encore, et le plus grave de tous, c'est que la proposition du gouvernement tend, sinon à détruire la vie communale, du moins à l'entraver singulièrement.

Messieurs, je sais tout ce qu’on peut dire, tout ce que déjà on vous a dit relativement aux libertés communales. On vous a dit que ceux qui rappellent le souvenir de nos anciennes franchises communales commettent un anachronisme historique, et cela est vrai, la commune ne peut plus être constituée telle qu'elle était organisée autrefois. Nous avons aujourd'hui d'autres besoins, d'autres nécessités sociales.

On vous a dit encore que par les modifications qui sont proposées, cette vie communale n'est pas entamée. Messieurs, commençons par signaler relativement à ce point, une contradiction dans les assertions du gouvernement. S'agit-il de la nomination du bourgmestre dans ses rapports avec les élections ? Oh ! alors le bourgmestre, c'est tout le système communal, à tel point que si le bourgmestre est en quelque sorte retiré de la sphère des élections, celles-ci seront parfaitement tranquilles. Mais s'agit-il d'enlever aux communes la nomination de leurs bourgmestres, oh ! alors ce n'est plus rien ; le bourgmestre est sans importance ; que sa nomination soit laissée au Roi, qu'elle doive se faire dans le sein du conseil, parmi les mandataires de la commune, c’est parfaitement indifférent.

Messieurs, c'est là une contradiction, et nul doute que la nomination du bourgmestre soit pour beaucoup dans la conservation ou dans l'anéantissement de la vie communale.

Messieurs, je ne m'étendrai pas sur l'importance de la commune, sur l'importance de sa conservation. La commune, messieurs, comme vous l'a dit un de nos honorables collègues, c'est la famille agrandie. C'est vers la commune que se reportent nos souvenirs, les plus beaux souvenirs de la vie ; c'est dans la commune que nous avons placé nos affections ; c'est dans la commune que le peuple reçoit son instruction primaire de la science politique. C'est la commune aussi, qui est la source première et le dernier refuge du patriotisme.

Nous devons donc, messieurs, nous représentants de la nation, sous peine de manquer à nos devoirs, conserver cette vie politique à laquelle le peuple prend directement part. Et ici, messieurs, je ne me laisse pas aller à des illusions ou à un désir immodéré de liberté. Pourquoi faire la comparaison de nos libertés communales, telles qu'on veut nous les laisser avec les institutions de nos voisins ? N'est-ce pas une exagération de dire que les propositions du gouvernement une fois admises, les peuples voisins l'emporteront sur nous sous le rapport de ces libertés ? Il ne s'agit pas non plus de savoir si nous serons encore le peuple le plus municipal du monde. Il ne s'agit pas même de savoir si, avec les restrictions qu'on projette, nous aurons encore la même somme de libertés communales que nous avions au moyen âge.

La question n'est pas là : Il s'agit de savoir s'il y a des motifs suffisants pour enlever au peuple un droit qu'on lui a accordé en 1836. Là est la question. Admis en 1836, le système qu'on nous propose aurait passé comme celui que nous avons maintenant, sans émouvoir le pays. Mais c'est précisément parce que le peuple s'est fait maintenant à cette législation, et qu'on veut lui en enlever le bénéfice, que le projet en discussion sera regardé comme une réaction, comme un premier pas dans la nouvelle voie. Ce n'est pas tant ces restrictions que l'on redoute, que la tendance qu'elles semblent manifester ; tendance à laquelle je ne crois pas, mais à laquelle on fera croire la nation à force de clameurs et d'insinuations.

Vous le savez, messieurs, le peuple conclut aisément des faits au droit. Pour lui la possession fait titre ; et comme il n'a pas encore, d'un côté, senti les inconvénients de la loi actuelle, et que, d'un autre côté, il ne peut encore apprécier les avantages problématiques, il en résultera que le peuple ne comprendra pas le côté utile de votre projet,.et c'est déjà un grand mal.

Messieurs, dans ce pays la commune n'a pas seulement l'avantage d'un souvenir historique, elle est encore un gage de nationalité. Je crois que sous ce rapport il n'existe de doute sur aucun banc de l'assemblée.

Nous sommes entourés de nations qui nous convoitent, qui n'attendent qu'une occasion peut-être pour s'emparer de nous, Avec l'une d'entre elles, nous n'avons déjà que trop de points de contact. Nous avons les mêmes lois, la même organisation politique et administrative. Ce qui nous en distingue surtout, après l'élément religieux, c'est l'élément municipal. Et puis, messieurs, il ne faut pas séparer ainsi un peuple de son passé. Quand on peut s'appuyer sur les traditions nationales, on est si fort et on résiste à tant de secousses !

Comme le disait fort bien l'honorable ministre de l'intérieur dans son remarquable travail sur la révolution belge, une génération qui rompt avec les générations qui l'ont précédé court risque d'être reniée par les générations qui la suivent ; l'existence nationale ne se concentre pas dans une seule époque ; du présent elle reflue dans le passé,, elle reflue dans l'avenir.

Messieurs, si jamais nous devions perdre dans une nouvelle commotion européenne cette nationalité dont nous sommes si jaloux, parce que nous l'avons conquise par des siècles d'efforts et de sacrifice, dont nous sommes si fiers parce qu'elle nous fait entrevoir de magnifiques destinées ; si jamais le bras de la conquête devait s'appesantir sur nous, on nous aurait bientôt enlevé nos libertés générales ; mais les libertés municipales que nous avons conservées à travers toutes les crises, toutes les vicissitudes, nous les conserverions encore, on les respecterait. Alors au moins si nous n'avions plus nos libertés générales nous conserverions ces libertés municipales comme un souvenir de notre indépendance d'autrefois et peut-être aussi comme un gage, comme un espoir de l'indépendance que nous pourrions récupérer dans l’avenir.

S'il était vrai, messieurs, que la proposition qui nous occupe ne fait qu'un premier pas dans une voie nouvelle où l'on veut entrer, alors encore il me semblerait que l'on travaille à rebours.

Si l'on croyait, messieurs, que le peuple a trop de liberté, il me semble qu'il ne faudrait pas commencer par lui ravir ses libertés communales. Déclarer un peuple incapable de jouir des libertés communales et le déclarer en même temps capable de conserver les libertés générales, ce serait selon moi un non-sens.

Le travail de la civilisation amène d'abord la liberté individuelle, puis la liberté locale et enfin la liberté générale ; conséquemment, supprimer les libertés municipales et maintenir la liberté générale, c'est un contresens politique. J'ai bien peur qu’un jour on ne soit obligé d'aller plus loin, que la force des faits n'amène le gouvernement à être plus conséquent, malgré lui.

Messieurs, les modifications que l’on nous propose sont d'après moi, inutiles dans les campagnes et inexécutables dans les villes, Ces modifications sont inutiles dans les campagnes. En effet, dans les cinq sixièmes de nos communes rurales, ce sont les secrétaires qui font les véritables bourgmestres ; aussi augmenter l'influence du pouvoir central sur les bourgmestres, c'est dans la plupart des communes une chose parfaitement inutile. Le bourgmestre d'ordinaire est un homme adonné au négoce ou à d'autres occupations qui l'empêchent de donner ses soins à l'administration de la commune et est donc forcé d'abandonner cette administration au secrétaire, qui seul connaît les lois et a une teinture d'administration.

A l'appui de cette assertion, je pourrais invoquer l'enquête administrative. L’honorable M. Lejeune dit que le secrétaire est le pivot de toute l'administration ; un autre commissaire de district, l'honorable M. Lardinois, dit aussi que le secrétaire est la cheville ouvrière de toute l'administration communale.

Vous le voyez, messieurs, les hommes d'expérience dont vous aimez à invoquer le témoignage, confirment ce que j'avance. Ainsi, dans les communes rurales, les modifications proposées seront gratuitement irritantes. Dans les villes, ces modifications seront inexécutables, et à cet égard, messieurs, je vous renvoie à l'avenir. Trouverez-vous dans les villes, avec l'opposition que va rencontrer notre loi, avec l'irritation qu'elle va jeter dans le pays, trouverez-vous dans les villes un homme indépendant de caractère, un homme éclairé qui consente à accepter le mandat que vous voudrez lui déférer ?

Trouverez-vous un homme qui veuille se résigner à être le jouet de toutes les passions, le point de mire de toutes les attaques, le témoin de toutes les intrigues qui se trameront contre le gouvernement dont il sera le représentant ? Certainement, messieurs, l'administration communale offre déjà par elle-même un fardeau assez lourd pour qu'il ne faille pas y joindre encore l'odieux qui résultera pour le bourgmestre de son origine même. Je n'hésite pas à déclarer que, surtout à cette époque d'apathie politique, à cette époque d'égoïsme, où les honnêtes gens se concentrent dans leur famille, que vous ne trouverez pas un homme qui veuille sacrifier son indépendance, sa santé, son honneur, son repos et celui de sa famille, au bien-être du pays, pour lequel le dévouement devient de plus en plus rare.

Et par quelles considérations engageriez-vous des hommes, qui aient les qualités nécessaires, à accepter les fonctions de bourgmestre ? est-ce par des considérations d'intérêt ? Mais par cela seul que vos futurs bourgmestres feraient de l'acceptation du mandat une spéculation pécuniaire, ils ne sont pas digues de remplir cette fonction, et s'ils sont guidés par l'intérêt, ils ne considéreront pas les appointements du bourgmestre comme un salaire suffisant pour tant de courage.

Ou bien, messieurs, les engagerez-vous à accepter ce mandat dans la vue de l'estime du pouvoir central, dans la vue de récompenses honorables ? Mais pensez-vous que l'estime du pouvoir central, qui est loin de lui, pourra dédommager le bourgmestre de toutes les avanies qu'il devra subir de la part de ses collègues avec lesquels il est journellement en contact ; des paroles d'encouragement venant d'en haut, ne seront-elles pas dominées par les clameurs incessantes de l'opinion publique qu'on aura ameutée contre ce bourgmestre ?

Il est possible que je me trompe, mais je crois que le gouvernement se crée, par son projet de loi, beaucoup plus d'embarras qu'il ne le pense.

Messieurs, j'arrive à la partie la plus délicate de la question.

Pourquoi, dit-on, pourquoi se méfier du pouvoir ? Eh ! messieurs, c'est demander en d'autres termes pourquoi vivons-nous sous un gouvernement constitutionnel ? pourquoi le gouvernement constitutionnel est le règne de la défiance et des contrôles.

Pourquoi se défier du pouvoir ? Le pouvoir, dit-on, peut tout pour le bien ; il ne peut rien pour le mal. Ce sont là, si je ne me trompe, les expressions dont s'est servi l'honorable M. Malou, et qui ont été répétées par l'honorable M. de Man,.

Messieurs, la proposition inverse ne serait-elle seule vraie ; je crois que sous le régime constitutionnel, le pouvoir peut tout pour le mal, mais qu'il ne peut rien pour le bien ; pour faire le bien et pour empêcher le mal, il faut avant tout de la force. Or, le pouvoir, dans un gouvernement constitutionnel, est extrêmement faible ; il n'est pas libre, il se trouve à chaque instant arrêté dans sa marche par d'autres pouvoirs qui lui disputent le passage.

Du reste, messieurs, ces défiances des adversaires du projet ne remontent pas jusqu'au trône : nous savons tous que la sagesse et la modération y sont assises, et tout le monde doit être persuadé de notre vénération pour le monarque qui est venu si noblement partager nos destinées.

Malheureusement, dans toutes ces questions d'administration, et surtout de nomination, le chef de l'Etat ne peut pas connaître par lui-même toutes les personnes auxquelles il confère des fonctions ; ce sont donc, en définitive, les gouverneurs et les commissaires de district qui font ces nominations. J'aime à croire, messieurs, qu'il y a beaucoup d'indépendance chez ces fonctionnaires ; cependant, l'honorable ministre de l’intérieur m'a aussi autorisé à croire que peut-être un jour ils pourraient se préoccuper surtout de leur réélection.

« Il faut, dit-on encore, avoir confiance au pouvoir, parce que nous ne savons pas ce que le temps nous réserve ; notre avenir politique n'est pas encore assuré ; il faut donc renforcer le pouvoir central ; ce que la Belgique doit redouter le plus, c'est l’anarchie à l'intérieur. » Je conviens, messieurs, qu'il y a du vrai dans ces observations, mais aussi, j'al peur que la lutte incessante des partis ne nous fasse perdre de vue le grand but national que nous avons à atteindre, la constitution et l'affermissement de notre indépendance. Mais il est une autre voie, messieurs, qui conduit aussi à l'anarchie, qui peut conduire aussi à un partage ; c'est que le peuple, à force d'être découragé, à force d’être désillusionné, ne prenne enfin goût à des idées de changement ; quand, d’un autre côté, toutes les conquêtes morales, toutes les conquêtes constitutionnelles de la révolution seront anéanties, je ne dis pas que cela se fasse dans un bref délai, je suis convaincu que cela n’entre même nullement dans l’intention de ceux qui demandent les modifications en discussion, mais enfin on ne s'enraye pas sur cette pente, je dis que là aussi il y a de graves dangers pour notre nationalité. Enfin, messieurs, ici je m'adresse surtout à ces honorables collègues, dont je sais mieux que personne apprécier le noble caractère, l’opinion consciencieuse, on veut que nous catholiques, nous ayons confiance dans le gouvernement, quant aux nominations faites par lui ; mais je le demanderai, sans accuser aucun des ministres qui se sont succédé au pouvoir, qu’a-t-on fait pour mériter cette confiance ? Il me peine de le dire, en général, les nominations ont été très mauvaises ; en général, dans toutes les communes ceux qui forment le noyau de l’opposition souvent injuste et tracassière contre l'influence religieuse sont précisément les hommes qui ont été nommés directement par le pouvoir central ; et vous voulez que nous allions encore augmenter le nombre de ces opposants, que nous contribuions à créer de nouveaux embarras à cette influence religieuse dont nous connaissons les heureux résultats pour la moralité et le bien-être du pays.

Je crois, messieurs, avoir prouvé que le mal n'est pas là où le gouvernement l'a signalé ; le grand vice de l'administration communale réside dans deux points : d'abord, et s'il n'avait pas déjà été présenté tant d’amendements, j’en présenterais un, pour parer au mal que je vais indiquer. On a donné une trop grande extension à la publicité des séances. La publicité des séances est sans doute une garantie que nous devons maintenir, surtout pour la partie des comptes et des finances, mais on a étrangement abusé de cette publicité. Très souvent l'hôtel-de-ville est devenu une tribune où l'on attaquait le pouvoir central avec d'autant plus de chances de succès que l'on parlait au nom des intérêts communaux, toujours mieux compris dans la commune.

Cette grande publicité, messieurs, a encore cet autre inconvénient, qu'elle éloigne de l'administration communale des hommes aux connaissances solides, d'une expérience consommée, mais qui ne brillent pas par le talent de la parole. Je crois, en outre, que cette publication des séances est contraire à la sincérité de l'administration. Dans l'une de nos villes, l'on a signalé une grande différence, quant au chiffre de la majorité et de la minorité entre les séances publiques et les séances privées.

Le deuxième vice de l’administration municipale, et qui tient intimement à la publicité des séances, c'est qu'un grand nombre de corps communaux ne sont plus des corps administratifs, mais des corps vraiment politiques. Aujourd'hui, messieurs, toutes les nominations qui se font, toutes les décisions qui se prennent dans les conseils communaux, tout cela a un but politique, renferme une pensée politique. Cette tendance est fort dangereuse.

La politique envahit nos conseils communaux, non pas cette politique aux vues larges, au but élevé, mais cette politique de tracasserie et de rancune. Le gouvernement donne dans le piège ; les administrations communales font de la politique générale, et le gouvernement veut essayer maintenant de faire de l'administration communale. C'est créer un deuxième abus au lieu d’extirper l'abus qui existait.

Le gouvernement aurait dû nous faire des propositions tendant à mieux définir les attributions des conseils communaux et à les empêcher de sortir de leur sphère. Je ne suis pas du tout effrayé de voir le gouvernement forcé de choisir le bourgmestre dans le sein du conseil ; mais ce qui m'effraie c'est l'avènement de cet esprit de parti qui envahit tout.

Ce n'est pas, messieurs, en créant des résistances, c'est en réglant le mouvement qu'on fait réellement preuve de tact et de sagacité politique.

Il n'y a pas de mal à ce que les pouvoirs vivent librement, pourvu qu'ils vivent dans leur sphère et qu'ils n'en sortent pas.

Enfin, messieurs, qu'il me soit permis, après avoir si longtemps abusé de vos moments, de présenter encore quelques observations très courtes d'un ordre plus relevé. J'ai été attiré sur ce terrain d'abord par l'honorable M. Doignon mais surtout par les observations de l'honorable M. de Mérode sur la division des pouvoirs.

On se plaint de l'affaiblissement de l'autorité dans la commune. Mais qu'on veuille bien me dire quelle est l'autorité qui se soit conservée intacte ? Au milieu des ruines accumulées par nos erreurs et nos préventions, après toutes les crises sociales que l’Europe a traversées, quelle est l’idole qui soit restée debout ?

Le grand vice des pouvoirs tels qu'il étaient organisés au moyen âge, c'était leur confusion ; cette confusion avait néanmoins ce bon côté, qu'elle établissait entre eux une certaine unité, et surtout une complète solidarité. Voulant éviter les inconvénients de la confusion des pouvoirs on est allé trop loin ; on ne s'est pas contenté de les mieux définir, d'en mieux fixer les limites, d'en mieux déterminer les attributions, on les a trop divisés. Une fois divisés il a fallu songer à les pondérer, à les balancer, à les équilibrer. L'histoire de la civilisation n'est que l'histoire de la lutte des pouvoirs tendant à se dégager et à se classer. Ce travail de dégagement et de classement constitue au fond toute la science sociale. Ce problème qui fait l'objet des études constantes des publicistes modernes, est encore à résoudre, et il est permis de prédire qu'il ne sera jamais résolu. En attendant, non seulement les pouvoirs ne se regardent plus comme solidaires, mais ils se regardent comme ennemis. La lutte est établie entre les pouvoirs, lutte où la victoire même est une défaite et qui finira, à n'en pas douter, par les démoraliser et les détruire tous.

C'est surtout entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel que nos préjugés ont creusé un abîme. Cette division profonde entre ces deux autorités, cette séparation radicale de leurs intérêts essentiels a été pour nos modernes sociétés, une source de difficultés et de dangers. A défaut de conviction de la nécessité de leur alliance intime, à défaut de sympathie véritable, comment le seul instinct de conservation n'a-t-il pas établi entre ces deux autorités une communauté de vues et d'efforts, puisqu'elles ont le même but à atteindre, les mêmes ennemis à combattre ?

Oh ! n'en doutons pas, messieurs, voilà l'origine et la vraie cause de la décadence de l'autorité.

Les gouvernements, dans leur aveugle égoïsme, favorisèrent la guerre déclarée au pouvoir spirituel, dans le secret espoir d'en recueillir l'héritage ; leur calcul fut bien grossier. Ils assistèrent l'œil sec et les bras croisés à la démolition de toutes les institutions qui formaient la base de ce magnifique édifice de civilisation élevé par le catholicisme, et ils prétendaient échapper, eux, à l'action de ces mains impies !

En dépit des hommes et de leurs combinaisons, les pouvoirs sont providentiellement solidaires, comme les anarchies sont sœurs. La grande révolution française ne fut que le corollaire politique de la réforme du seizième siècle.

La terrible expérience que l'Europe a faite des résultats de la lutte entre ces deux autorités, n'est pas encore pour elle une leçon assez sévère. Aujourd’hui encore, messieurs, il est des hommes qui se disent alliés du gouvernement et qui se réjouissent de la croisade organisée contre l'influence religieuse ; des hommes qui, sous le ridicule prétexte de maintenir une indépendance que rien ne menace, rejettent avec défiance et dédain les éléments d'ordre et de paix que cette influence leur apporte.

Les gouvernements donnent encore dans le piège tendu à leur vanité ; ils prêtent l’oreille à ces théories dangereuses, dont l'application cause tous les malaises qu'ils éprouvent, crée tous les obstacles qu'ils rencontrent. Se réfugiant dans leur matérialisme, les gouvernements se regardent comme complètement étrangers à tous les intérêts religieux et moraux. Ils ne songent qu'à isoler et à séculariser le pouvoir.

La politique, séparée de la morale, sa compagne séculaire, a essayé de se passer de son concours, ou pour mieux dire, s'est créé une morale toute nouvelle dont l'intérêt est la base, et la sanction l'échafaud. Elle a cru pouvoir se passer des garanties morales de la vertu, en établissant une série de contrôles administratifs ; aux traditions sociales, elle a substitué les habitudes de la bureaucratie ; elle ne gouverne plus avec des principes, mais avec des expédients ; l'habilité a usurpé la place de la justice, l'homme a détrôné Dieu.

On me dira, à n'en pas douter, que la constitution a proclamé la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Je n'ai pas à examiner ici ce dogme politique de la liberté de conscience ; mais il m'est permis, je pense, d'en indiquer les résultats sur la constitution, les pouvoirs et la conservation de l'autorité. Ces résultats ne sont aujourd’hui que trop bien constatés.

L'impiété s'est acharnée contre les préceptes et les ministres de la religion ; le pouvoir a laissé faire, a dû laisser faire. L'immoralité s'est étalée dans nos cités ; par les enseignements du théâtre et de la presse elle s'est glissée dans les familles : pas un mot ne tombe d'en haut pour rassurer les consciences alarmées, pour protester au nom des principes constitutifs de toute société.

Les gouvernements même, qui se sont réservés la censure, ne souffrent pas la moindre critique politique, la plus mince attaque personnelle ; mais ils laissent publier les systèmes religieux les plus dangereux, les doctrines les plus révoltantes.

On peut voir aujourd'hui ce que les gouvernements ont gagné à leur isolement et à la démolition de l'autorité religieuse ; leur égoïsme leur coûte cher. Aujourd'hui nos institutions et nos pouvoirs politiques les plus élevés et les plus nécessaires, passent sous les fourches caudines de ces mêmes passions mauvaises, qui ne mourront que faute d'aliments, quand toutes les autorités auront été détruites.

D'augustes personnages même, qui semblaient devoir trouver dans leur inviolabilité consacrée par la constitution un sauf-conduit au milieu des guet-apens de la calomnie quotidienne sont rançonnés et paient leur tribut à l'anarchie du jour. En un mot, rois, prêtres, magistrats, tous ceux qui ont à remplir une mission d'ordre et d'autorité, semblent attachés au pilori et condamnés à l'exposition publique : chaque intérêt blessé, chaque ambition déçue se croit le droit de leur jeter en passant un sarcasme ou une malédiction !

Et le pouvoir, que fait-il, qu'imagine-t-il pour conserver à ses agents leur autorité et leur considération ? Armé d'une ridicule distinction d'avocat, il croit avoir tout sauvé en punissant les injures faites à ses agents dans l'exercice de leurs fonctions. Comme si le peuple pouvait s'élever jusqu'à la subtilité de cette distinction. comme si un homme, calomnié chaque jour dans sa personne, dans sa famille, dans sa réputation de probité ou de capacité, pouvait ensuite, comme agent de l'autorité, se voir entouré encore d'assez de considération pour exercer utilement ses fonctions.

Les agents du pouvoir n'ont-ils donc pas d'autres moyens de se faire respecter ou du moins de venger leur dignité méconnue !

Pardon. Notre civilisation leur en a laissé deux que je m'abstiendrai de qualifier, à cause des souvenirs récents et douloureux qui s'y rattachent : le duel et le suicide !

Tous les pouvoirs disparaissent donc simultanément sous les coups d'une haine systématique et calculée, et l'on ne s'étonne que le représentant du pouvoir de la commune n'ait plus conservé sa force et sa dignité.

Malgré tous les prestiges de la puissance, malgré l'ascendant de la vertu, on s'acharne à flétrir les noms les plus illustres, à déverser l'opprobre sur les têtes les plus vénérées, et vous voulez qu'on respecte un homme qui souvent n'a d'autre distinction que sa ceinture tricolore ! Et le gouvernement qui assiste froidement à la débâcle de toutes les autorités, vient tout à coup jeter un cri d'alarmes, parce que l’autorité semble échapper à quelques obscurs administrateurs de communes ! Et nous qui nous voyons entourés de ruines amoncelées par la destruction de tant d'institutions respectables, de tant de pouvoirs essentiels, on veut que nous nous apitoyons sur le sort d'un bourgmestre !

Messieurs, au résumé, je ne puis en conscience voter pour l'adoption des modifications proposées par le gouvernement, bien que j'aime à croire que le gouvernement a dit vrai, lorsqu'il nous a annoncé que c'était dans un but purement administratif qu'il les proposait. Eh bien ! les inconvénients administratifs qu’il a signalés, je ne puis les admettre, et dès lors je ne puis admettre que les remèdes qu'il propose soient nécessaires.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.