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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 2 août 1842

(Moniteur belge n°215, du 3 août 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l'appel nominal à midi un quart.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse communique les pièces de la correspondance.

« Le sieur Pierre Amel, meunier et échevin à Guygoven, né à Nollesheim (Prusse ), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« L'université catholique de Louvain présente des observations contre le projet de loi sur l'enseignement supérieur. »

M. Simons. - Il conviendrait de faire imprimer cette pétition et de la joindre aux autres pièces qui nous ont été distribuées pour être examinées avant d'aborder la discussion.

- Cette impression est ordonnée.

La pétition sera en outre déposée sur le bureau pendant la discussion.


« Les marchands de vins de St.-Trond demandent que pour les quantités de vins qu'ils ont en magasin on leur accorde un dégrèvement de droit égal à la diminution que le tarif va subir. »

« Mêmes pétitions du sieur Guarré, négociant en vins à Farciennes, et des délégués de Liége et de diverses villes de la Belgique. »

-Ces pétitions sont renvoyées à M. le ministre des finances avec demande d'explications.

M. Fleussu. - Ce sont les mêmes pétitions qui ont déjà été renvoyées à M. le ministre des finances ; ne conviendrait-il pas que ces pétitions restassent déposées sur le bureau pendant la discussion ?

M. le président. - Ces pétitions ne sont pas toutes semblables.

M. Fleussu. - Le dépôt sur le bureau n'empêche pas le renvoi.

- Le dépôt est ordonné. Les pétitions seront ensuite renvoyées à M. le ministre des finances.


« Les vignerons de la ville de Liége et de ses environs présentent des observations contre le projet de loi relatif à la convention de commerce conclue entre la Belgique et la France.

M. Delfosse. – L’adoption de la convention avec la France portera un rude coup aux vignerons de la province de Liége. Leur vin n'est pas déjà trop recherché ; il le sera encore beaucoup moins. Mais comme ils ne sont que cinq cents, je prévois qu'ils seront sacrifiés aux deux ou trois cent mille ouvriers des Flandres. Je demande néanmoins le dépôt de leur pétition sur le bureau pendant la discussion et ensuite le renvoi à M. le ministre des finances pour qu'il examine s'il n'y a pas lieu de prendre quelques mesures en leur faveur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ferai remarquer que depuis 1830 il n'y a plus d'accises sur les vins indigènes.

- Le dépôt et le renvoi sont ordonnés.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, dans une de vos dernières séances vous avez jugez convenable, à cause d'une indisposition qui me retenait chez moi, de retirer de l'ordre du jour le projet de loi concernant les allocations demandées par le département de la guerre pour primes de rengagement. Comme le motif pour lequel cette mesure a été prise n'existe plus, et qu'il est urgent que cette question ne reste pas plus longtemps suspendue, je propose de rétablir l'ordre du jour comme il avait été fixé primitivement et d'y remettre le projet de loi en question après la loi sur l'enseignement supérieur ou entre les deux votes de cette loi.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi qui approuve la convention de commerce conclue entre la Belgique et la France

Discussion générale

M. Cogels. - Messieurs, je ne redirai pas tout ce qu'il y a de fâcheux dans la convention qui nous est soumise, ni les conséquences funestes qu'elle peut entraîner pour notre avenir financier et commercial, pour l'avenir de cette industrie elle-même en faveur de laquelle cette convention a été conclue. Tout a été dit à cet égard, beaucoup mieux que je ne pourrais le faire.

La plupart des honorables membres qui ont déjà pris la parole ont annoncé l'intention de voter en faveur de la convention, mais ils ne le feraient qu'en cédant à une espèce de contrainte morale, en cédant à la nécessité du moment. J'étais assez décidé à faire comme eux, mais quelques observations qui ont été faites, quelques points qui restaient à éclaircir et qui ne l'ont pas été par la discussion, m'ont fait changer d'avis.

Le résultat le plus certain de la convention sera de porter dans nos recettes un déficit annuel d'au-delà d'un million, et cela sur un objet éminemment imposable et dans lequel un jour peut-être nous devrons chercher les ressources qui nous manqueront. Ce déficit, il faudra nécessairement le combler, car nous aussi, pour ce qui regarde nos finances, nous serons obligés de subir les lois de la nécessité.

Qu'arrivera-t-il ? C'est que, pour combler le déficit résultant de la faveur temporaire que nous accordons à une seule industrie qui a de grands titres, sans doute, à notre sollicitude, et intéresse particulièrement deux de nos plus belles provinces, on sera forcé de recourir peut-être à des majorations de droit destructives d'autres industries également intéressantes et même de notre prospérité commerciale en général. Dans cette incertitude, il m'est impossible de voter en faveur de la convention. Je ne suis pas encore résolu à voter contre, mais ce que je pourrai faire sera tout au plus de m'abstenir.

M. David**.** - Tout regrettable qu'il soit de se voir dépouiller par la convention dont nous nous occupons, et cela seulement pour conserver un triste statu quo vis-à-vis de la France, je viens déclarer que je lui donnerai mon vote approbatif.

J'ai suivi attentivement la discussion. Je reconnais qu'il n'est pas aisé de dire si le ministère a bien ou mal agi dans cette circonstance embarrassante. On n'a guère le temps de négocier quand on est pressé par des populations qui s'inquiètent, s'agitent et viennent vous demander du pain.

Puisque donc diverses concessions nouvelles nous sont arrachées par la France, je demanderai à messieurs les ministres si des négociations actives se poursuivent en faveur d'une réduction sur nos produits métallurgiques à leur entrée en France ? A la veille d'exécuter sur son sol de grands travaux publics, ses chemins de fer, la France me semble devoir être disposée, dans son propre intérêt, à favoriser nos fers et nos houilles. Jamais circonstance plus favorable ne se représentera, jamais nous ne devons avoir eu plus d'espoir de réussir auprès d'elle.

Ce n'est pas la seule industrie linière qui souffre, messieurs, il en est d'autres qui viennent se dévouer pour aider celle-là qui ne sont pas dans une position plus prospère. Je le répète, jetez les yeux sur la métallurgie et les houillères, sur ces dernières surtout. Elles sont réellement dans la détresse. Elles ont devant elles des montagnes de charbon, dont on ne peut espérer de sitôt le débouché. Le nouveau tarif anglais avait donné une lueur d'espérance. On croyait reconquérir la Hollande, mais l'Angleterre s'est hâtée d'inonder ce dernier pays, au point qu'il ne serait pas étonnant qu'à l'époque à laquelle il sera débarrassé, le tarif Peel ne soit déjà rapporté.

D'abord on avait vu d'un bon œil la réduction des péages sur les canaux et rivières ; mais ma province n'est pas appelée à jouir du bénéfice de cette loi. Elle a si peu d'importance pour la Meuse que nos bateliers ne voudront même pas en profiter. Et figurez-vous, messieurs, que les Prussiens expédient leurs charbons en Hollande au fret de 2 1/2 à 3 florins par last, lorsqu'il nous en coûte 7 à 8 par la Meuse. En vérité, tout cela est affligeant. Je ne sais ce que deviendront les houillères du bassin de la Meuse. Elles ne peuvent entrevoir de salut que par le chemin de fer, ou par le réveil de nos hauts fourneaux, qui dépend tant de la France.

La levée de la prohibition sur la draperie belge à son entrée en France, fait-elle encore l'objet d'une négociation ? Voilà une question à laquelle je voudrais qu'il fût également répondu. Vous devez savoir, messieurs les ministres, jusqu'à quel point était vraie l'assertion du cabinet de 1838, lorsque, pour entraîner des votes il nous assurait que nous n'aurions pas plutôt fait acte de bon vouloir vis-à-vis de la France, qu'elle, de son côté, lèverait sa prohibition par réciprocité. Je faisais alors partie de ceux qui restèrent incrédules. Je votai contre votre proposition et l'avenir a justifié mon vote.

Mais, messieurs, si la France vous a réellement fait des promesses en 1838, pourquoi, dans la belle conduite que vous tenez aujourd'hui envers elle, n'auriez-vous pas le droit de les lui rappeler, ces promesses ? Après cela, que la France élève ses droits tant qu'elle le voudra contre notre draperie, mais qu'elle nous laisse au moins la chance de la fraude, dont elle, la France, n'a pas même besoin chez nous, puisque nous la recevons avec des droits modérés. Il me semble que l'on ne peut pas être moins exigeant que de ne pas même demander la réciprocité.

L’honorable M. Verhaegen exprimait hier une pensée aussi juste que philanthropique. En parlant de l'abaissement de l'accise sur le vin : Vous allez, disait-il, dégrever le luxe, mais sans doute que vous ne comptez pas, pour rétablir l'équilibre, augmenter l'impôt du pauvre. Voilà le sens de ses paroles. J'abonde d'autant plus dans l'idée de rechercher, pour combler le déficit, les moyens d'imposer le luxe, que je ferai observer en passant que le luxe n'aurait pas même le droit de se plaindre, puisqu’il retrouverait à peu près d'un côté ce qu'il perdrait de l'autre.

Mais, puisque nous en sommes aux expédients, je vais vous signaler un moyen financier, qui, dans l'occurrence, ne me paraît pas dédaignable et que nous pouvons exploiter sans que la France y voie de notre part un acte d'hostilité. Ne trouvez-vous pas comme moi, messieurs, qu'il y a une très grande différence entre le caractère de l'acte qui imposerait un article de France à son entrée en Belgique, et l'acte par lequel la Belgique imposerait un de ses produits à la sortie de chez elle ? Eh bien, messieurs, cet article que vous auriez le plus grand intérêt à imposer en faveur de l'industrie du pays et du trésor lui-même, serait le cuir frais du pays, que l'Angleterre, mais surtout la France enlèvent en masse, à des prix exorbitants, de toutes nos grandes villes, pour nous les renvoyer travaillés ensuite. Et voyez ici les choquantes anomalies que présente le tarif actuel !

D'abord par la sortie aux conditions actuelles, vous affamez toutes les tanneries indigènes, qui, favorisées par le droit que je croirais utile, reprendraient de suite la position de leurs concurrentes et seraient, elles, en position d'imposer leur main-d'œuvre à la Hollande, à l'Allemagne et même à l'Angleterre, qui nous devient accessible par le nouveau tarif Robert Peel pour cette branche d'industrie.

Vous voyez qu'ici, messieurs, en vous citant les marchés que la tannerie belge pourrait conquérir, si l'on imposait ses cuirs frais à la sortie, vous voyez que je ne cite pas la France. Eh bien, messieurs, voici la plus fâcheuse de ces anomalies que je veux vous signaler : C'est que la France nous enlève des cuirs frais, pour nous les envoyer tout fabriqués. Elle le peut à cause de la modicité ou de la modération de nos droits, et nous, messieurs, nous ne pouvons envoyer une once de cuir tanné en France, parce que là le droit est prohibitif.

Je livre ces réflexions sur cet important article (car la tannerie dont on parle si rarement est une des premières industries dans tous les pays du monde) ; je livre ces réflexions, dis-je, aux méditations de M. le ministre des finances, pour en tirer parti au profit du trésor et de l'industrie. Je les livre à tout le ministère, comme présentant un moyen de créer un nouvel article Concession, dont il n'y a pas de mal que notre vocabulaire douanier s'enrichisse.

M. Delfosse. - Messieurs, ce qui me déplaît dans la convention, ce n'est pas la diminution des droits d'entrée et d'accises sur les vins français ; j'avoue que je ne vois pas un grand mal à ce que l'on paie ces vins moins chers. Je regrette seulement que cela nuise aux vignerons de la province de Liége ; mais je l'ai déjà dit, comme ils ne sont que 500, ils seront sacrifiés aux deux ou trois cent mille ouvriers des Flandres. Je ne vois pas non plus un grand mal à ce que le trésor y perde un million. Le trésor ne perdra rien en définitive, il saura bien se dédommager en trouvant une nouvelle matière imposable. Ce serait un mal si cette nouvelle matière imposable n'était pas un objet de luxe, parce qu'alors le riche serait dégrevé aux dépens du pauvre ; il y aurait injustice.

Ce qui me déplaît dans la convention, c'est qu'elle ne contient de concessions qu'en faveur de l'industrie linière. Sans doute cette industrie a de grands titres à notre sollicitude, mais il y a d'autres industries qui en ont aussi, il y a les fers, les houilles, les armes, les draps et d'autres branches également très importantes qui, comme l'industrie linière, manquent de débouchés. Malheureusement nous avons un ministère qui ne s'occupe des choses qu'au dernier moment et lorsqu'il n'y a plus moyen de reculer.

Les Flandres crient plus haut que les autres provinces ; les députés des Flandres , et je le dis à leur éloge, sont plus tenaces, plus unis quand il s'agit des intérêts matériels, que les députés des autres provinces. Le ministre a eu peur d'eux, et il s'est empressé de conclure un traité en faveur des Flandres ; c'eût été bien s'il avait en même temps obtenu des concessions pour les autres provinces ; mais comme elles criaient moins haut, il s'est dit qu'elles pouvaient attendre.

Cependant le moment était favorable pour obtenir des concessions de la France, mais le ministère qui a si bien exploité contre les franchises communales les prétendues préoccupations électorales des bourgmestres, n'a pas su tirer parti des préoccupations électorales du gouvernement français, et celles-là étaient véritables.

Je ne suis pas en général partisan des mesures prohibitives ni de droits protecteurs très élevés, mais il est des circonstances où il est bon d'en faire usage. Et je pense avec plusieurs de mes honorables collègues, qu'au moment des élections en France, la menace de prohiber les vins français, ou au moins, de les frapper d'un droit très élevé, aurait produit un bon effet pour nous.

Ce qui me déplaît dans la convention, c'est que nous nous soumettons pour quatre ans à tous les tarifs qu'il plaira à la France d'établir pour les fils et les toiles ; la France fera des lois pour nous ; notre indépendance n'est plus qu'un vain mot.

Ce qui me déplaît encore dans la convention, c'est la discussion à laquelle elle a donné lieu, La plupart des orateurs, tout en déclarant le traité injuste, ont cependant dit qu'il fallait s'y soumettre, parce que nous étions sous l'empire d'une contrainte morale ; ils ont reconnu en quelque sorte que nous étions à la merci de la France ; c'est là un aveu humiliant, et qu'on n'eût pas dû faire.

Je reconnais qu’un petit pays comme le nôtre, entouré de puissants voisins doit avoir pour eux les plus grands ménagements. Mais la France a besoin de nous, comme nous avons besoin d'elle ; si elle consomme nos produits nous consommons aussi les siens, et elle a le plus grand intérêt politique à nous avoir pour amis. Mais ce n'est pas en montrant toujours de la faiblesse et en nous faisant encore plus petits que nous ne le sommes que nous obtiendrons quelque chose, il faudrait pour cela un peu d'énergie.

Mais nous ne savons pas en avoir, nous n'en avons pas montré lorsqu'il s'est agi de l'adoption des 24 articles, nous n'en avons pas montré lors de la discussion de la loi des indemnités, nous n'en avons pas montré dans la circonstance actuelle et je crains bien que nous n'en montrions jamais ; cependant, messieurs, un pays qui ne montre jamais d'énergie, un pays qui ne sait pas souffrir quelque chose pour atteindre un but est un pays perdu.

Les considérations que je viens d'exposer en peu de mots et le doute dans lequel on nous laisse sur les moyens que l'on proposera pour couvrir le déficit m'empêcheront de voter pour le projet, je ne voterai pas non plus contre, parce que je ne veux pas que l’on puisse dire que je suis insensible aux misères des ouvriers des Flandres, je m'abstiendrai.

M. Manilius. - Quoi qu'on en dise, je pense que la loi qui nous est soumise n'est pas digne de la Belgique. Cependant je la voterai sous l'empire du besoin. Comme je vois que la discussion est sur le point de se clore et que personne n'a touché un article de la convention que je ne puis admettre à moins qu'on ne me donne une explication satisfaisante, je veux parler de l'article premier. D'après cet article nous maintenons nos droits à la frontière française tels qu'ils sont. La France se tient dans la même position. Cela établi, la France exige de nous dans le deuxième paragraphe, que chaque fois qu'elle admettra une réduction à notre frontière, nous adopterons une réduction semblable, de façon, dit-on, en dernier lieu, que les droits soient uniformes des deux côtés de la frontière limitrophe. Cet article ne me paraît pas clair, , car l'exécution de cet article ne peut pas amener le même résultat. Si les droits ne sont pas uniformes dans les deux pays, d'une réduction égale ne peut pas résulter une uniformité de droits.

M. le ministre de l'intérieur qui nous a fait l'honneur de se rendre à notre section, est convenu de l'irrégularité de cette disposition, et nous avons pensé qu'il ne pouvait s'agir de diminuer notre tarif vis-à-vis la France qu'autant qu'il serait au-dessus du sien.

Maintenant, je pense que lorsque nous aurons voté l'article premier de la loi, tout sera fait, qu'il ne s'agira plus de discuter le moyen d'exécution ; le gouvernement aura à sa disposition tous les moyens pour porter les changements au tarif d'après la convention. (Signe affirmatif dans l'assemblée.)

J'avais pensé qu'il en serait ainsi, Dans ce cas je me permettrai de demander au gouvernement si la législation lui donne assez de latitude. S'il doit frapper les fils étrangers, comment fera-t-il ? A cet égard on a émis des doutes. Les journaux français ont traité cette question avec beaucoup de sagacité. Ils ont fait remarquer l'insuffisance de notre législation et de nos douanes pour empêcher la fraude qui se fait journellement d'une manière scandaleuse. Et il ne s'agit pas ici de contester les faits, car le gouvernement est en aveu. Depuis quatre ans il a présenté un projet de loi pour augmenter les moyens de répression de la fraude ; cependant il n'hésite pas à provoquer des augmentations de tarif, soit par des projets de lois, soit par des arrêtés ; soit par des conventions.

Si M. le ministre des finances me donne à cet égard mes apaisements, je voterai pour la loi, sinon j'hésiterai à la voter.

Puisque j'ai la parole, je ferai une autre demande. Je demanderai si les changements à apporter au tarif, par suite de la convention, le seront par une loi ou par arrêté royal. Il est intéressant pour nous de savoir si après que nous aurons voté la convention, nous n'aurons plus rien à discuter sur les mesures qui en seront le résultat. Je prie M. le ministre des finances de me répondre sur ce point.

M. le ministre des finances (M. Smits) – Il me semble que l'application du tarif et les questions de transit qui sont la conséquence de la convention peuvent se régler par arrêté royal, puisqu'il ne s'agira que de l'exécution d'un acte adopté par les chambres, Quelques autres points restent à régler. Pour ceux-là un projet de loi sera prochainement présenté.

M. Manilius. - Ainsi, dans l'opinion du gouvernement il s'agit maintenant non seulement de la convention, mais encore toutes les lois qui doivent en résulter. M. le ministre des finances pense que le gouvernement a le droit de prendre par arrêté royal toutes les mesures relatives à la convention.

Puisqu'il est démontré que notre vote va entraîner la nécessité de mettre en vigueur ces lois, je me permettrai de proposer un amendement qui doit avoir pour résultat de donner au gouvernement les moyens d'empêcher et de réprimer la fraude. Cet amendement est la reproduction de l'art. 15 de la loi sur la pêche nationale que vous avez votée il y a huit mois,

Si l'art. 2 du projet de loi est rejeté, je désire que mon amendement le remplace. Si au contraire l'art. 2 est voté, je désire que mon amendement soit ajouté comme art. 3.

Je crois que le gouvernement se trouvera bien de cet amendement, parce que, s'il veut mettre en vigueur les conséquences de la convention, à tout moment il sera arrêté ; il n'aura pas de loi convenable pour la répression de la fraude, il n'aura ni visite à l'intérieur ni augmentation du personnel de la douane. Il dira : Attendez qu’on ait statué sur le rapport de la commission d'enquête commerciale, qu'on ait adopté un système commercial. Avec mon amendement, le gouvernement n'a rien à attendre.

. Mon amendement est ainsi conçu :

« Le gouvernement fera les règlements propres à assurer la bonne exécution de la présente loi. Si d'autres mesures répressives de la fraude que celles qui existent sont reconnues nécessaires, il est autorisé à les prendre par arrêté royal, sauf à les soumettre à la chambre dans la prochaine session,»

Je pense que ces développements doivent suffire.

Je ferai remarquer, en terminant, que vous avez déjà adopté cette disposition dans une circonstance analogue.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous avons toujours supposé que l'adoption de l'article 1er du projet de loi emportait pour le gouvernement l'autorisation d'élever par arrêté royal, sur nos frontières autres que la frontière limitrophe de France, notre tarif au taux du tarif français. (Interruption.) Nous avons pensé, et je désire qu'on en prenne note, que cette autorisation résultait implicitement et nécessairement du vote de la loi. S'il pouvait y avoir du doute à cet égard, on pourrait insérer cette autorisation dans le projet de loi. Il en est de même de toutes les dispositions qui supposent un changement au régime de douane et de transit. La chose se fera par arrêté royal. C'est une autorisation générale donnée au gouvernement, autorisation qui aura la même durée que la convention même.

J'arrive au traité considéré en lui-même.

Je conçois toutes les objections qui ont été faites contre la convention conclue avec la France. Nous payons aujourd'hui ce que nous semblions avoir gratis avant l'ordonnance du 10 juin. Notre conduite serait même impolitique, si publiquement nous acceptions cette convention comme un bienfait. Cependant nous ne pouvons, avec quelques honorables membres, donner à la convention le caractère qu'on semble y attacher. C'est, dit-on, un acte honteux, qu’on n'accepte que par nécessité. Nous disons que c'est un acte nécessaire, comme sont tous les actes politiques, nécessaire, c'est-à-dire résultant d'un ensemble de circonstances (réclamation) ; nous disons un acte nécessaire et avantageux au pays.

On a dit hier que le ministère avait commis une grande faute, qu'il aurait dû conclure la convention avant que l'ordonnance française fût rendue, qu'il lui était facile d'obtenir la convention avant cette époque ; il n'avait pour cela qu'à faire certaines menaces à la France, et à exploiter, selon l'opinion de M. Delfosse, les préoccupations électorales du ministère français avant le 9 juillet. Le ministère a fait tout cela. Croit-on que ce n'est qu'aujourd'hui par la discussion qu'il apprend quelles étaient jusqu'à un certain point les ressources de sa situation ?

Nous avons dit au ministère français, avant l'ordonnance du 26 juin, que si l’exception ne nous était pas accordée gratuitement, nous pourrions recourir, de notre côte, a des mesures de douane, que nous pourrions soit imposer plus fortement des objets d'exportation étrangère et qui le sont faiblement, soit accorder à certaines de nos industries une protection qui semble leur manquer. Nous avons fait toutes ces menaces. L'ordonnance française n'en a pas moins été rendue ; elle l'a été sous l'empire des circonstances où se trouvait alors le gouvernement français, circonstances qui ne lui permettaient pas d'attendre, qui exigeaient de lui qu'il devançât l’époque des élections en France. Mais cette ordonnance a été rendue avec une restriction en notre faveur ; c’est-à-dire qu’on y admettait la possibilité d’une exception au profit de la Belgique.

Et, messieurs, c'est là un système tout nouveau pour la France. C'est pour la première fois que la France se place dans une situation semblable vis-à-vis des puissances étrangères, vis-à-vis de l'Angleterre. (Réclamation.) La situation, messieurs, où la France se trouve aujourd'hui vis-à-vis de l'Angleterre est connue de tous. Cette situation s'aggrave encore par l'ordonnance du 26 juin dernier et par la convention faite avec la Belgique. Il y a pour ainsi dire pour la France impossibilité de réconciliation commerciale entre elle et l'Angleterre pendant quatre ans. C'est là, messieurs, une chose toute nouvelle ; ce n'est pas le statu quo antérieur à l’ordonnance du 26 juin dernier. La France a consenti à se placer dans cette situation extraordinaire vis-à-vis de l'Angleterre, au profit de la Belgique.

On dit qu'en consentant de notre côté à suivre pendant quatre ans, à certains égards, le mouvement du tarif français sur nos frontières, nous avons abdiqué. Je l'ai déjà dit hier à la fin de la séance, à plus forte raison pourra-t-on, à la chambre des députés de France, dire que le gouvernement français s'est placé dans une situation toute nouvelle, violente vis-à-vis du gouvernement anglais pour quatre ans.

Une voix. - C'est une mystification.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J'entends dire à côté de moi : c'est une mystification. Mais il suffit de lire ; la France est tenue de maintenir un système de droits différentiels au profil de la Belgique dans le rapport de 3 à 5. On qualifie ce système de mystification. Mais la France est dans l'impossibilité de déroger pendant quatre aux engagements qu’elle prend envers nous par le dernier paragraphe de l'art. 1er. Ce n'est pas tout, cette situation violente existe non seulement vis-à-vis de l'Angleterre, mais encore vis-à-vis de l'Allemagne. Le pouvoir législatif français est donc limité pendant quatre ans dans son action. C'est là une disposition que je n'hésite pas à dire exorbitante, que le gouvernement belge a obtenue au profit du pays, disposition qui n'existe que pour deux autres industries ; c'est le système des zones appliqué à nos produits liniers.

Il y a maintenant trois grandes industries qui sont protégées en Belgique par le système des zones : c'est l'industrie des houilles, l’industrie des fers et l'industrie linière. L'industrie des houilles est protégée par un système de zones que vous connaissez et qui fait que nous importons en France pour plus de treize millions de houille.

Il existe un système de zones en faveur des fontes et des fers, c’est-à-dire que les fontes à l'entrée par mer paient plus qu'à l'entrée par terre. Ce système est insuffisant, il est vrai ; mais il existe.

Un troisième système de zones est inscrit dans le tarif français, et pour la première fois, pour notre industrie linière.

C'est donc un système de zones que nous avons pour trois de nos industries. Mais ce système n'est garanti que pour un seul de nos produits, les produits liniers ; nous sommes sans garantie pour les deux autres systèmes.(Réclamation.) Vous n'avez pas de garantie, en un mot, vis-à-vis du gouvernement français, pour le maintien des zones quant aux houilles par exemple.

Eh bien, messieurs, je voudrais que le gouvernement belge eût pu faire un de ces acte honteux qui lui eût garanti pendant un certain d'années le système des zones, pour les houilles, par exemple ; et je crois qu'on s'en féliciterait dans le Hainaut ; Vous auriez une sécurité qui vous manque à certains égards. Ce que je désire, c'est que l'on puisse, vis-à-vis de la France, obtenir des garanties pour le maintien d'un système de zones, d'un système de droits différentiels en faveur d'un plus grand nombre de nos produits que ceux que je viens d'énumérer.

Le gouvernement, messieurs, a aussi fait des tentatives pour que d’autres objets que les fils et les toiles pussent être compris dans la convention. Nous aurions, par exemple, voulu obtenir une réduction en faveur des fontes ; nous ne l'avons pas obtenue parce qu'en négociations on ne réussit pas toujours.

Nous avons également cherché à obtenir la révocation des deux dispositions insérées dans la loi du 6 mai 1841, relativement à la manière de compter les fils et au classement des blondines ; nous n’avons pas réussi, mais nous ne sommes pas sans espoir de voir la mesure atténuée dans l'exécution.

La nécessité, messieurs, qui a amené la convention du 26 juin, n’est pas le fait du gouvernement belge. Cette nécessité est le résultat d'une ordonnance prise par le gouvernement français dans des circonstances qui exigeaient cet acte de lui. Le gouvernement belge a cherché à obtenir une convention avant l'ordonnance ; il n'a pas réussi, et il doit se féliciter, d'après les résultats qu'il a obtenus ensuite de n'avoir pas conclu la convention avant l'ordonnance.

Hier, messieurs, et encore dans la séance d'aujourd'hui, on a cherché à vous représenter comme extrêmement désavantageuses les relations de la Belgique avec la France, et on a supposé que rien ne serait plus facile que de se livrer à des actes de représailles. Si je siégeais dans cette chambre comme simple député, je pourrais, en répondant aux objections qui ont été présentées, ne pas montrer la réserve qui m'est imposée maintenant. Je dirai simplement que, quant à nos relations commerciales avec la France, il ne faut jamais perdre de vue un fait : nos exportations s'élèvent à environ 150 millions et nous envoyons en France pour 60 millions, c’est-à-dire pour plus du tiers ; et la France ne nous envoie qu'environ la moitié de nos exportations ! Voilà, messieurs, des chiffres qu'il ne faut jamais perdre de vue, quand on parle dans cette chambre d’actes de représailles contre la France.

Du reste, messieurs, ces mesures de représailles qu’on nous reproche de ne pas avoir prises, pourquoi ne les a-t-on pas conseillées avant l’ordonnance ?

M. Delehaye. - Je les ai conseillées.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Aussi ce n'est pas à l’honorable M. Delehaye que je fais ce reproche, Mais ce n'est pas lui seul qui a fait hier l’éloge des mesures de représailles ; cet éloge est venu d’hommes qui nous avalent habitues a plus de prudence.

M. Devaux. – La chambre aurait donc dû intervenir dans la négociation ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, monsieur, la chambre aurait dû intervenir dans la négociation, car le gouvernement ne pouvait dans ce moment prendre par arrêté des mesures de représailles contre la France. Chacun sait que pendant la session le gouvernement ne peut changer les tarifs, que ce n'est que la session close que le gouvernement peut user du droit qu'il trouve aujourd’hui, grâce à l'initiative qu'a prise le cabinet actuel, dans l’art. 9 de la loi de 1822.

Il aurait donc fallu, dans le court intervalle d'un mois qui a précédé l’ordonnance du 26 juin dernier, vous présenter une loi de représailles envers la France, pour pouvoir dire à celle-ci : Vous nous excepterez de l'ordonnance sans exiger aucune condition ; vous vous placerez dans une nouvelle et difficile situation vis-à-vis de l’Angleterre, vis-à-vis de l'Allemagne, ou nous prendrons des mesures contre vous.

Maintenant je vous prie de vouloir vous reporter en arrière, et l’époque n'est pas bien éloignée, et de vous demander si la majorité de la chambre était portée à courir ainsi les aventures.(Mouvement.)

Si vous voulez que le gouvernement soit maître des négociations à ce point qu'il puisse toujours tenir un langage aussi décidé, il faut autre chose que la loi de 1822 ; il faut une loi qui autorise le gouvernement à changer les tarifs non seulement pendant l'absence des chambres, mais même pendant la session. Je doute que la chambre soit disposée à donner cette latitude au gouvernement. Mais aussi longtemps que cette loi n'existera pas, je dis que le gouvernement ne pourrait en pleine session prendre, par un simple arrêté, les mesures de représailles qu'on semble lui conseiller aujourd'hui comme toutes puissantes.

Ainsi, d'après moi, le gouvernement belge ne pouvait empêcher le gouvernement français de prendre l'ordonnance du 26 juin dernier, et les mesures de représailles qu'on aurait prises avant cette époque n'auraient pas amené les résultats que nous avons obtenus aujourd'hui. Vous auriez placé le gouvernement français dans une position nouvelle vis-à-vis de nous, et je ne sais si vous eussiez trouvé en lui les mêmes dispositions pour faire une exception en notre faveur ; tous les partis en France se seraient réunis contre vous.

Au reste, messieurs, cette discussion portera ses fruits ; rien n'est perdu. En effet, y a-t-il quelque chose de compromis par la convention du 16 juillet dernier ? Non, cette convention crée une situation exceptionnelle de quatre ans en faveur de l'une de nos industries. Nous avons maintenant quatre ans pour examiner notre situation commerciale, pour examiner notre système de douanes, notre régime de relations commerciales avec l'étranger. Nous avons quatre années devant nous, et je réitère le vœu que j'émettais hier, que ces quatre années soient utilisées. La convention du i6 juillet est venue, pour ainsi dire, nous constituer en demeure pour examiner de plus près certains de nos intérêts matériels.

Je disais hier, messieurs, qu'il faudrait remonter bien haut pour indiquer toutes les causes de notre situation actuelle. Je n'avais pas indiqué spécialement la loi de 1838, parce qu'il faudrait remonter plus haut que cette loi ; il faudrait remonter jusqu'au décret du congrès national qui, en 1831, a généralement, sans demander la moindre concession à la France, aboli la prohibition sur les vins, à l'entrée par terre ; il faudrait, messieurs, remonter jusqu'à là. Il faudrait en un mot examiner tous les actes qui se rattachent à notre politique commerciale depuis 1830.

Les causes de la situation dans laquelle nous nous trouvons, ne sont pas non plus uniquement dans notre système de douanes ; il est une deuxième cause de cette situation, c'est la direction presque exclusive donnée à nos exportations : il se trouve que sur 24 millions d'exportation en toile, nous envoyons en France pour 20 millions ; évidemment, messieurs, il y a ici une dépendance bien terrible, créée par la force des choses ; comment un pays qui produit pour 24 millions ne se trouverait-il pas dans une certaine dépendance d'un pays limitrophe qui reçoit de lui 20 millions sur 24 millions de productions ? Cette dépendance, il faut tâcher d'en sortir, en cherchant ailleurs des débouchés, et c'est dans cette pensée que nous avons voté la loi sur la navigation transatlantique, pensée à laquelle je n'ai pas hésité à m'associer, et comme député et comme ministre. Nous avons dit au pays : ne restez pas dans la dépendance absolue d'un pays qui nous prend les quatre cinquièmes de nos productions, tâchez de trouver d'autres débouchés.

Enfin, messieurs, une troisième cause de notre situation actuelle, c'est le développement extraordinaire donné à la plupart de nos industries depuis 1835 et 1836 surtout ; ce développement extraordinaire qui tient à la liberté industrielle, a créé et a dû créer des embarras. Il en est arrivé que, tout en exportant aujourd'hui plus que nous n'avons jamais exporté depuis 1830, notre gêne n'en continue pas moins. Le Hainaut envoie en France pour 13 millions et 1/2 de produits de ses houillères ; le Hainaut désire néanmoins pouvoir en envoyer encore davantage. Pourquoi ? Parce que le développement de certaines industries est sans limites. (Interruption.) Je voudrais bien savoir comment on s'y prendrait pour y mettre des limites, à moins d'apporter des restrictions à la liberté industrielle.

Il y a donc trois causes de notre situation actuelle : la première est la générosité que nous aurons mise quelquefois dans notre système de douanes ; la deuxième est la direction exclusive donnée malheureusement à la plupart de nos exportations ; la troisième est le développement extraordinaire donné à un grand nombre de nos industries.

Il me reste, messieurs, à répondre à une observation qui aurait été faite dans la section où se trouvait M. Manilius, et que cet honorable membre a reproduite aujourd'hui. Le § 2 de l’art. 1er porte que, si les droits d'entrée en France sur les fils et tissus de lin ou de chanvre, provenant de Belgique venaient à être réduits, une réduction semblable serait immédiatement introduite dans le tarif belge sur les mêmes articles de provenance française, de façon que les droits fussent uniformes des deux côtés de la frontière limitrophe. .

Messieurs, il est assez difficile de faire connaître à la chambre les tarifs qui vont être appliqués aux deux frontières limitrophes, il faudrait pouvoir placer sous les yeux de chacun de nous un tableau comparatif. Je vais indiquer un point saillant pour nous mettre à même de comprendre la réponse que je crois devoir faire à l'honorable M. Manilius.

Le tarif belge est plus élevé que le tarif français, et voici comment. Sur la frontière belge on continuera à appliquer le tarif qui résulte de la loi du 25 février dernier ; sur la frontière française on appliquera le tarif antérieur à l'ordonnance du 26 juin, et qui a été établi par une loi de 1836 ; eh bien, il se trouve que le tarif belge est quelque fois plus élevé que le tarif français, c'est-à dire que si les Français veulent introduire en Belgique des toiles françaises, ces toiles paieront très souvent un droit plus élevé que ce que paient les toiles belges importées en France ; je citerai, messieurs, un seul exemple.

Le tarif belge résultant de la loi du 25 février de cette année, établit pour les toiles écrues de 8 à 12 fils, un droit de 63 francs ; le tarif français admet une classe de plus que le tarif belge ; en Belgique les toiles de 8 à 11 fils inclusivement ne forment qu'une classe ; en France les toiles de 8 à 11 fils inclusivement forment 2 classes : les toiles de 8 fils paient 36 francs. et celles de 9 à 11 fils paient 65 francs. Vous voyez donc qu'il y a ici une différence à notre avantage, et il faut se féliciter de ce que le gouvernement français a consenti à ce qu'il y ait sur les frontières limitrophes deux tarifs présentant une différence qui est très souvent à notre avantage.

Maintenant j'en conviens, il y a dans le § 2 de l'art. 1er une expression impropre : on y suppose qu'on pourrait en venir à un tarif uniforme, ce qui n'est pas, puisqu'il y aura toujours dissemblance dans les proportions qui existent aujourd'hui.

Du reste cette inégalité, je ne puis assez le répéter, est toute en notre faveur, et c'est un véritable succès pour nos négociateurs, que le maintien de cet état de choses ; car le gouvernement français eût pu demander à bon droit que les tarifs fussent les mêmes sur les deux frontières limitrophes. Je concevrais les craintes qui ont été exprimées, si le tarif belge était moins élevé que le tarif français ; alors je concevrais les objections, mais je ne les conçois pas dans l'état actuel des choses.

Ainsi, messieurs, en résumé, je ne regarde pas cette convention comme un acte digne de toutes les épithètes qu'on a voulu y attacher ; cet acte est un acte nécessaire auquel il n'était au pouvoir de personne de soustraire la Belgique. Quels que fussent les hommes se trouvant au ministère, la Belgique n'aurait pas pu échapper autrement que nous ne l'avons fait, aux effets de l'ordonnance du 26 juin dernier, et l'on n'aurait pu obtenir plus que nous n’avons obtenu. Cet acte nous donne pour la première fois, malheureusement pour un seul de nos produits et pour un court espace de temps, des garanties pour le maintien du système des zones ; je souhaite que ces garanties puissent s'étendre à d'autres droits différentiels qui existent à notre profit du côté de la France.

M. Delehaye. - Heureusement pour moi le gouvernement vient de m'excepter du reproche qu'il a adressé à la chambre d'avoir participé avec lui à toutes les mesures contraires au système prohibitif que j'ai plusieurs fois préconisées dans cette enceinte. Vous vous rappelez, messieurs, que je vous ai dit hier que la première faute commise datait non pas d'une époque peu éloignée, mais surtout du moment où, l'année dernière, le gouvernement français a modifié son tarif et surtout où il a été introduit dans la loi un amendement contre nos toiles blondines.

Je dis qu'alors le gouvernement a fait une grande faute en envoyant à Paris des négociateurs qui se trouvaient vis-à-vis du gouvernement français complètement désarmés.

Je dis que si le gouvernement avait voulu obtenir des résultats favorables, il aurait dû, avant d'envoyer des négociateurs, prendre des mesures de réciprocité contre la France. Sans doute, messieurs, il est toujours dangereux pour un petit pays comme la Belgique de vouloir lutter contre une puissance telle que la France, mais lorsque la France prenait des mesures dans son intérêt, elle devait respecter les mesures que la Belgique aurait prises également dans son intérêt.

On a reproché tout à l'heure à quelques hommes d'avoir changé d'opinion, mais ces reproches qui ont été faits par le gouvernement, ne seraient-ils pas applicables à quelques membres du cabinet lui-même ?

Quel est celui qui, dans cette enceinte, a prêché le système de la liberté la plus illimitée du commerce ? N'est-ce pas un honorable député d'Anvers qui siège au banc ministériel ? Toutes les fois qu'il s'est agi de prendre des mesures de représailles, de modifier un tarif quelconque, toujours cet honorable membre s'est mis à cheval pour prouver qu'il fallait une grande liberté de commerce pour faire prospérer la Belgique.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je n'ai jamais prononcé de pareils mots ; je n'ai jamais soutenu une aussi absurde théorie.

M. Delehaye, - Plusieurs de nos honorables amis vous l'ont reproché assez souvent, et il n'y a d'ailleurs qu'à consulter vos discours.

Du reste, messieurs, puisque le gouvernement prétend ne pas avoir professé les doctrines que je lui reproche, je. vais lui fournir l'occasion de mettre en pratique les principes qu'il paraît professer maintenant.

Aujourd'hui, le gouvernement est d'accord avec nous, il avoue qu'on peut quelquefois prendre des mesures de réciprocité avec avantage. Eh bien, si vous êtes amis de votre pays, si vous voulez être indépendant, prenez donc ces mesures contre l'Angleterre.

Notre principal marché, et M. le ministre de l'intérieur vient d'en convenir, notre principal marché est en France ; nous fournissons à la France le tiers de nos exportations. Pour l'Angleterre, au contraire, elle est en possession de la plus grande partie de notre marché intérieur, elle nous fournit quatre fois plus que nous ne lui fournissons ; cependant le gouvernement n'a pris aucune mesure contre l'Angleterre, quoique ce pays fournisse précisément à la Belgique tout ce que la Belgique pourrait se fournir à elle-même.

Faites donc une fois acte de courage, faites surtout ici acte de dévouement pour le pays ; en prenant des mesures contre l'Angleterre, non seulement vous assurerez à la Belgique son propre marché, vous lui conquerrez encore une partie du marché français.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La mesure que vous provoquez, nous l'avons prise l'année dernière pour les fils.

M. Delehaye. - Cette mesure, vous la citez bien souvent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Et la convention !

M. Delehaye. - Quant à la convention, j'ai eu l'honneur de dire hier ce que j'en pensais. Pour ne pas abuser des moments de la chambre, je ne répéterai pas les observations que j'ai présentées hier, Quant à la mesure que le gouvernement a prise l'année dernière pour les fils, nous le félicitons de l'avoir adoptée, et il y attache sans doute une grande importance, puisqu'il s'en prévaut chaque fois qu'on lui reproche de rester inactif.

Eh bien, qu'il ne se borne pas à un acte, qu'il prenne des mesures contre l'Angleterre, et il méritera bien du pays. L'Angleterre fournit à la Belgique trente millions d'objets ouvrés. Apportez des entraves à cette énorme importation, et non seulement vous servirez les intérêts de notre commerce à l'intérieur, mais encore ceux de notre commerce extérieur. Car en fournissant à la France l'occasion de nous livrer une partie des produits fournis par l'Angleterre, vous lui donnerez l'occasion de nous traiter plus favorablement ; la France sait bien que la Belgique est son alliée la plus favorablement placée sous le rapport commercial comme sous tout autre rapport.

Il me reste à répondre deux mots à une assertion avancée par M. le ministre de l'intérieur. Ce haut fonctionnaire vient de dire que depuis l835 notre commerce a pris un développement extraordinaire. Eh bien, pour apprécier la valeur de cette assertion, consultons les statistiques des pays voisins ; nous y verrons d'abord que les exportations françaises ont quadruplé depuis cette époque, tandis que les nôtres ne se sont accrues que très légèrement ou même sont restées stationnaires. Les exportations anglaises se sont accrues dans une proportion encore plus considérable, tandis que le chiffre des nôtres est, je le répète encore, resté le même ; et même le chiffre de l'une des années postérieures à 1835 est resté au-dessous de celui de cette année. Ainsi il est inexact de dire que le commerce belge a pris un développement extraordinaire. Notre commerce est, au contraire, demeuré stationnaire, et si l'on veut réellement qu'il prenne un développement, si l'on veut qu'il puisse se soutenir pendant quelque temps, il faut avoir le courage d'adopter les mesures que j'ai indiquées.

M. Manilius. - M. le ministre des finances a rendu ma tâche facile. Il a reconnu que la rédaction de l'art. 1er était vicieuse ; mais il en a tiré une conséquence autre que celle que j'en tire. Si le tarif belge est plus élevé que le tarif français, vous êtes obligés par le § 2 de l'article, à le diminuer dès que la France le voudra, car alors la France fera usage du dernier alinéa du § ; vous serez tenus de le diminuer de façon à ce que les droits soient uniformes des deux côtés de la frontière. Je voudrais que la France ne fût pas armée de la faculté de faire diminuer le tarif belge, alors qu'il est déjà moins élevé que le tarif français. Si telle doit être le conséquence de l'article 1er de la convention, tel qu'il est formulé, on reconnaîtra, lors de la ratification, qu'il y a lieu de lui donner un autre libellé, et on atteindra ce but en effaçant dans le deuxième paragraphe de l'article le mot semblable dans la phrase : « Une réduction semblable serait immédiatement introduite dans le tarif belge… » Avec la suppression de ce mot, nous n'aurons plus rien à craindre, nous ne courrons pas le risque de nous laisser prendre dans un nouveau piège où je vous préviens que vous serez entraînés, si vous n'adoptez la suppression que j'indique.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - L'honorable membre n'a pas compris ce qui vient d'être développé par M. le ministre de l'intérieur. Mon honorable collègue a établi que la France était en droit d'exiger, comme point de départ, que nos droits actuels fussent abaissés au taux du tarif français, de telle sorte qu'il y eût parité de droits des deux côtés de la frontière. Ceci une fois établi, il y avait avantage de notre part à ne pas insister sur ce que le mot semblable pouvait présenter d'ambigu. Car, d'un côté, en admettant l'éventualité d'une réduction à venir de droits de la part de la France, nous ne pouvions au pis aller que tomber dans le régime qu'elle aurait pu exiger dans le principe, celui de l'identité, et d'un autre côté, cette expression se trouve suffisamment éclaircie et expliquée par le dernier membre de la phrase, ainsi conçu : « De façon que les droits fussent uniformes des deux côtés de la frontière. Les réductions à venir doivent donc tendre à rapprocher et à rendre uniformes les droits français et belges, et ce n'est que lorsqu'il y aura réduction de la part de la France, et sur les classes de toiles ou de fils belges correspondant à celles qui supporteraient la réduction, en France, que l'uniformité pourra être acquise. Car, aux termes du premier paragraphe, les droits d'entrée en Belgique des fils et des toiles françaises, seront maintenus tels qu'ils existent actuellement sans pouvoir être augmentés de part ni d'autre.

M. Manilius. - Ce que vient de dire M. le ministre ne s'applique qu'au § 2. Si l'on entend que la réduction dont il est parlé dans l'art. 1er n'aura lieu qu'autant que nos droits seront moins élevés, je suis d'accord ; mais nous ne devons pas vouloir qu'on puisse faire introduire une diminution dans notre tarif, alors que nos droits seraient moins élevés que les droits français. Je ne pense pas que la chambre soit disposée à sanctionner une semblable disposition. Il doit y avoir égalité de droits ; on ne doit pas vouloir admettre une diminution en-dessous de cette égalité.

M. David. - M. le ministre de l'intérieur et M. le ministre des affaires étrangères ont répondu tout à l'heure à plusieurs orateurs, mais ils ont oublié de me donner des apaisements sur les interpellations que j'ai eu l'honneur d'adresser au cabinet, relativement à la possibilité qu'il y aurait, en continuant les négociations avec la France, d'obtenir la levée de la prohibition sur la draperie, et l'abaissement des droits qui frappent nos fers et nos houilles à leur entrée en France. Je prierai M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien donner une explication.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Messieurs, je dois me référer aux paroles que j'ai prononcées dans la séance d'hier. La convention sur les lins est un incident qui est venu se jeter à travers notre négociation avec la France ; la négociation continue sur les bases anciennes, et j'espère encore obtenir satisfaction pour certains intérêts.

M. David. - Je demande si l'article draperie est compris dans la négociation.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Le ministère ne peut pas entrer ici dans le détail des articles qui pourront être compris dans la négociation.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne suis pas de ceux qui considèrent comme un acte honteux le projet de loi qui nous est présenté ; je ne suis pas non plus de ceux qui le considèrent comme un bienfait ; dans mon opinion, cet acte est pour la Belgique un malheur et rien de plus.

Le point de vue sous lequel surtout j'envisage cet acte comme un malheur, c'est que par le traité qui vous est soumis, vous vous mettez dans l'impossibilité, pendant toute sa durée, d'entamer des négociations, soit avec l'Allemagne, soit avec les Pays-Bas, soit en un mot avec toute autre nation.

Messieurs, j'ai toujours été d'opinion que dans nos rapports avec la France il n'était pas possible de dire quelque chose sur une grande échelle, à moins de sacrifier l'éventualité de l'avenir du pays, au moyen d'une réunion commerciale avec la France.

J'ai toujours pensé qu'un des moyens les plus forts pour obtenir de la France les concessions que nous sommes en droit de demander par suite des nombreuses concessions que nous avons faites nous-mêmes depuis douze années ; que le meilleur moyen était de présenter la possibilité d'une réunion douanière avec l'Allemagne ou la Hollande, et je pense que dans telle ou telle hypothèse, l'une ou l'autre de ces réunions pourraient être un véritable bienfait pour le pays. Or, il est un fait incontestable, c'est que par le traité présenté à notre sanction, ces questions se trouvent définitivement tranchées, non seulement pour quatre années, mais pour toutes les autres, aussi longtemps qu'on continuera à exécuter le traité.

Je sais qu'il n'est pas de nation, pas de puissance que nous devions ménager plus que la France, je sais que toutes nos sympathies nous portent vers la France, mais nous devons avoir des sympathies plus fortes encore pour notre patrie et jamais pour mon compte je ne consentirai à un acte quelconque de nature à compromettre notre nationalité vis-à-vis d’intérêts commerciaux, quelque graves que puissent être ces intérêts.

C'est, partant de ces principes, depuis l’existence de la nationalité belge, depuis que je siège dans cette enceinte, que je me suis toujours opposé à la levée des mesures prohibitives, prises en 1822, par le roi Guillaume. C'était là un grand moyen pour traiter avec la France.

Aussi longtemps que nous l'avions entre les mains, nous pouvions toujours opposer ce grand argument ; si vous voulez obtenir la concession que vous demandez, la suppression des mesures prises en 1822, faites-nous par réciprocité des concessions équivalentes. Voilà ce que nous avons toujours demandé pendant six années.

Par une véritable calamité, le gouvernement, sans échange, sans réciprocité, a consenti à lever ces barrières et il s'est élevé dans cette chambre à cette occasion, une longue discussion qui a été terminée par le vote du 2 mai 1837. Dans cette discussion nous n'avons cessé de repérer : gardez-vous de vous priver des moyens que vous avez entre les mains ; conservez ces armes, elles sont de la plus haute importance, si vous vous désarmez, que vous restera-t-il pour appuyer vos réclamations quand vous voudrez traiter ? Vous n'aurez plus que des sacrifices à faire pour votre industrie et pour le pays. Vous allez vous dessaisir, d'armes qui gênent la France, sans recevoir d'elle d'équivalent, qu'aurez-vous à lui offrir en compensation quand vous lui demanderez des concessions pour votre industrie ?

Voilà ce que nous n'avons cessé de répéter ; malheureusement, notre voix n'a pas été entendue : Le 2 mai 1838 la chambre, pressée par le ministère et seulement à la majorité de deux voix, a levé ces barrières qui n'avaient été élevées que par suite d'une juste réciprocité. Ce vote fut un malheur pour le pays et nous en subissons les conséquences naturelles. Si nous eussions conservé ces armes, aujourd'hui, nous eussions eu quelque chose à offrir en compensation de ce que nous donne la France. Ainsi, vous le voyez, ce fut une chose funeste que nous ayons eu la maladresse de céder aux demandes du gouvernement. C'est, messieurs, qu'à cette époque un fort parti dans cette chambre préconisait la liberté illimitée du commerce et voulait réduire tout système de protection. C'étaient les théories de Jean-Baptiste Say qu'on voulait établir dans notre beau pays !

Nous avons donc consenti à déposer les armes que nous avions entre les mains. Nous voici arrivés aux conséquences de cette imprévoyance. On intervient dans l'intérieur de notre ménage, on nous dit : votre impôt de consommation ne sera que de tant, vous abaisserez vos droits de ville à tant, vous ruinerez votre trésor, vous ruinerez vos villes, ou bien vous passerez par nos mains !

Messieurs, il est vraiment déplorable que les choses aient été conduites ainsi, il est vraiment déplorable que pendant un aussi grand nombre d’années on ait voulu gouverner la Belgique avec des théories dont on peut s’occuper sur les bancs des collèges, tandis qu’on aurait dû suivre la science pratique. Mais on voulait régler notre commerce avec des doctrines, avec des livres. Cependant nous voici arrivés aux conséquences de ces belles doctrines. Aujourd'hui on nous propose un traité et nous sommes forcés de l'accepter ! Je partage toutefois cette conviction que les pétitions, les réclamations si vives qui se sont produites dans l'intervalle de notre séparation, n'ont pas peu contribué à augmenter les exigences du gouvernement français. Certainement la mesure qui nous frappait était une mesure désastreuse pour notre industrie linière, mais était-il prudent de le proclamer, de le crier du haut des toits, de faire connaître au gouvernement français toute l'importance du coup qui nous atteignait ? C'était une haute imprudence, nous en subissons les conséquences. En pareille matière, il faut infiniment de prudence, et dans cette circonstance, on en a complètement manqué ; on a présenté le pays comme étant dans la dernière misère, comme étant sous la dépendance absolue d'une transaction. Comment alors les choses se sont-elles passées ? Le gouvernement français a fait, dans l'intérêt de son pays, ce qu'il devait faire, il a profité de ces circonstances pour nous imposer les conditions les plus dures, les plus onéreuses, bien sûr que nous étions prêts à passer par ses mains.

Je ne veux faire de reproche à personne. Je prie mes honorables collègues d'être convaincus que je ne veux rien leur dire de déplaisant. Mais comment les choses se sont-elles passées ? Nous sommes avant tout les hommes du pays, nous devons vouloir avant tout les intérêts du pays, mais on s'est laissé entraîner, par quelques réclamations un peu vives, à faire des pétitions, des adresses dont on n'a pas assez calculé la portée.

Messieurs, il est un fait que je dois encore déplorer dans cette circonstance, c'est que dans tout le cours des négociations qui viennent de se suivre dans la capitale de la France, nous nous soyons trouvés sans ambassadeur. Comment, depuis dix années, nous entretenons à grands frais une légation à Paris, et quand le moment arrive de traiter, quand nous avons besoin de toute l'influence de la personne à laquelle le gouvernement confie ce poste éminent, nous nous trouvons n'avoir personne accrédité en France pour traiter nos intérêts ! Je sais qu'une personne très capable , ministre de la maison du Roi, a suivi les négociations, mais quelle que soit la haute estime que je professe pour lui, j'entends exprimer les regrets qu'au moment des négociations nous nous soyons trouvés sans ambassadeur à son poste pour nous défendre.

Messieurs, au point de vue sous lequel le traité me paraît éminemment fâcheux, c'est l'intervention du gouvernement français dans nos affaires de ménage. Les traités de commerce qui se font de nation à nation se font toujours au moyen de concessions réciproques relatives au tarif de douane. C'est la tarification d'un pays qui est mise en regard de la tarification d'un autre pays. Ici, c'est le droit d'accise, le revenu du trésor que nous allons sacrifier. Je vous le demande, que dirait le gouvernement français si, aujourd'hui qu'il est en position de faire des traités avec l'Angleterre, l'Espagne et l'Allemagne, on venait lui dire : Nous consentons à vous accorder une réduction de tarif, mais à condition que vous réduirez vos droits réunis sur tels et tels articles. Je ne pense pas qu'il se trouverait beaucoup de députés en France pour accepter de pareilles propositions. Cependant, vous en conviendrez, c'est ce que le gouvernement français n'a pas craint de réclamer de nous. Et cela pourquoi ? Encore une fois parce que nous nous trouvons désarmes, parce que nous avons levé les barrières qu'avait établies le roi Guillaume, parce que nous avons brisé les armes avec lesquelles nous aurions pu repousser les exigences du gouvernement français.

D’un autre côté, messieurs, une perle réelle va résulter pour notre trésor de la convention. Notre honorable collègue, M. Zoude, dans son rapport, vous a montré que le préjudice s'élèverait à plus d'un million, somme considérable pour un pays comme le nôtre. Remarquez, messieurs, une chose : bientôt nous allons nous trouver dans une position très fâcheuse, nous allons devoir faire face d'abord à ce million par d'autres impôts, nous devrons ensuite couvrir l'emprunt pour l'achèvement du chemin de fer. Nous devrons ensuite couvrir la dépense résultant de la loi que vous avez votée pour les indemnités, puis la dépense du canal de Zelzaete ; nous aurons ensuite la convention avec la ville de Bruxelles, si elle est adoptée, l'indemnité à l'ordre judiciaire, les crédits supplémentaires pour les travaux publics, etc.

Je ne crois pas exagérer en disant que l'an prochain nous devrons pourvoir à quatre millions de dépenses extraordinaires. Une pareille augmentation d'impôt, n'est-ce pas une chose réellement fâcheuse ? N'est-ce pas une calamité de devoir perdre encore un million sur les vins ? Remarquez, messieurs, que de tous les impôts qui figurent à notre budget, il n'en est aucun aussi facile à percevoir, il n'en est aucun aussi bien établi que celui sur le vin. D'abord, ce n'est pas la boisson de notre pays, c'est une boisson de luxe. Le vin ne peut pas se dépoter pour être transporté par petite partie, de sorte que l'impôt qui le frappe ne prête pas à la fraude. Et cet impôt qui pèse sur la classe riche, qu'on ne peut pas frauder, est celui qu'on va réduire. Cette considération me touche d'autant plus que nous sommes au moment de devoir recourir à des impositions nouvelles sur le peuple, et cela pour faire face au déficit inévitable de notre trésor public.

Le gouvernement a-t-il, dans cette négociation, fait tout ce qu'il était possible de faire ? Messieurs, c'est une question extrêmement délicate, et je ne suis pas à même de répondre sur ce point. Mais dans une des séances précédentes, j'avais l'honneur de vous dire que si la Belgique eût, immédiatement après l'ordonnance française, imposé des droits sur les articles de Paris et sur les vins, pour en appliquer le produit en primes sur la sortie des toiles, nul doute, à mon avis, que nous n'eussions obtenu des conditions plus favorables.

Je sais que M. le ministre a dit avec raison que le gouvernement ne pouvait prohiber par ordonnance. Mais je pense que si la chambre avait été convoquée, et que si une pareille mesure avait été présentée, elle eût été votée à l'instant.

Maintenant il est une observation qu'il ne faut pas perdre de vue ; et cette observation, je la tire des journaux français eux-mêmes ; c'est que la petite Belgique, composée de quatre millions d'habitants, consomme six fois plus de vin que les 27 millions d'habitants de la Grande-Bretagne.

Un membre. - De vin français. (Hilarité.)

M. Dumortier. - Messieurs, nous discutons ici nos intérêts en rapport avec les intérêts français. Ainsi je pense que la phrase que j'ai prononcée n'est sujette à aucune équivoque. Il ne s'agit d'ailleurs ici que des vins de France.

Eh bien ! j'ai lu dans un journal de France, que les quatre millions de Belges consomment six fois plus de vin français que les 27 millions d'Anglais et autant que les Etats-Unis. Je vous demande, messieurs, quelle portée une pareille révélation pouvait avoir dans les négociations.

Et remarquez bien une chose, c'est que notre consommation en vins français ne s'applique pas exclusivement, comme celle de l'Angleterre, à un seul des points vinicoles de la France ; notre consommation s'applique à toutes les contrées vinicoles ; il n'en est aucune dont nous ne soyons tributaires : la Bourgogne et la Champagne, pour leurs vins rouges, n'ont guère de débouché que la Belgique ; nous consommons une grande quantité de vins de Bordeaux ; la Provence et le Midi nous envoient considérablement de vins, de manière que les diverses contrées de la France avaient un intérêt, un intérêt réel à nous soutenir dans nos réclamations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce grand journal a commis une grande erreur.

M. Dumortier. - Je ne prétends pas être plus malin que lui ; je crois que les journaux français sont bien plus à même que nous de savoir quel est l'intérêt français.

Je dis donc, messieurs, qu'un pareil fait pouvait être d'une immense portée dans les négociations. Comment, notre petit pays consomme six fois, je suppose seulement quatre fois autant de vin français que la Grande-Bretagne ; le vin que consomme notre petit pays est pris dans toutes les contrées vinicoles de la France ; cette consommation est favorable à la majeure partie des contrées de la France ; eh bien ! je vous le demande, quel levier puissant n'aviez-vous pas en pareilles circonstances ? lorsque vous pouviez remuer tous les députés des départements vinicoles de la France ?

J'aime à croire que le gouvernement a fait tout ce qu'il pouvait faire. Mais il n'en est pas moins vrai que nous avions entre les mains un moyen immense dont nous pouvions nous servir pour obtenir sinon l'absence de toute mesure coercitive contre nous, du moins à mon avis des conditions plus favorables.

Une autre considération encore messieurs, ce qui m'a le plus frappé dans le traité, c'est l'obligation où est la Belgique d'élever ses droits d'entrée sur les toiles au même taux que la France les établira. Cela me paraît, messieurs, dans le traité une véritable superfluité. Car qu'est-ce que la France était légitimement en droit d'exiger de nous ? Uniquement ceci : que les droits d'entrée en Belgique joints à ceux de Belgique en France fussent chez nous les mêmes que ceux qui existent en France sur l'article dont il est ici question. Par ce moyen nous avions l'avantage de ne pas présenter à l'Angleterre, lorsqu'elle traverse notre territoire, l'addition des droits d'entrée français aux droits d'entrée de notre propre pays. Et cependant c'est cette addition qu’on demande ; c'est-à-dire que, tandis que les toiles anglaises ne payeront à l'entrée en France, je suppose que 20 p. c., elles en payeront 30 ou 40 si elles traversent la Belgique ; car il faudra qu'elles payent les droits existants en Belgique et en second lieu ceux établis à l'entrée en France.

Un membre. - Cette mesure est dans notre intérêt.

M. Dumortier. - Elle est dans notre intérêt, mais non dans l’intérêt de nos relations diplomatiques.

Messieurs, vous le voyez donc, les conditions que nous fait le traité, sont certainement bien dures, et cependant je n'oserai voter contre ce traité, je n'oserai voter contre la loi qui nous est présentée ; car l'industrie linière est l'industrie première de notre pays ; c'est celle qui fournit du travail au plus grand nombre d’ouvriers sur notre sol ; c'est celle, par conséquent, que nous devons appuyer et protéger avant tout.

Je le répète donc, je ne voterai pas contre le traité, je m'abstiendrai par les motifs que je viens d'énumérer. Car encore une fois, ce traité est bien dur pour l'avenir du pays.

Messieurs, puisque j'ai la parole, je ne puis m'empêcher de faire quelques observations au sujet de ce qu'a dit hier mon honorable collègue, M. Verhaegen.

Dans la séance d'hier notre honorable collègue a rappelé ce qu’il avait fait en 1838 contre le système qui voulait l'admission de tous les produits français en Belgique, et à cet égard je le félicite sincèrement de nous avoir appuyés dans ces circonstances, Mais, messieurs, comme il faut en définitive que chacun de nous ait un peu sa part du bien qui a pu être fait à cette époque, je ne puis applaudir à mon honorable collègue lorsqu'il s'est représenté comme la personnification de l'opposition aux mesures qu'on nous présentait à cette époque.

Les mesures qu'on nous présentait, nous les avions vivement combattues pendant toute la session qui avait précédé l'entrée de notre honorable collègue dans le parlement ; nous les avions combattues de la manière la plus active, et ainsi que je viens de le dire, le vote du 2 mai n'avait été emporté qu'à la majorité de 2 voix.

Mais, messieurs, ce qui est surtout saillant, c'est qu'à cette époque les députés qui voulaient la liberté illimitée du commerce, qui voulaient l'abaissement des tarifs, n'étaient pas de notre côté, n'étaient pas dans les rangs de ceux que l'on qualifie si souvent de rétrogrades. Les députés qui voulaient la protection pour l'industrie étaient presque tous dans les rangs de ce qu'on veut bien appeler le parti rétrograde, le parti catholique. Dans cette grande lutte qui dura deux sessions et dans laquelle les intérêts industriels furent si avant en jeu, qui donc vint prendre la défense de l'industrie, des mesures protectrices ? C'étaient, messieurs, tous mes honorables amis ; c'étaient l'honorable M. Dubus, l'honorable M. de Mérode, l'honorable M. de Foere, l'honorable M. Demonceau, l'honorable M. Desmet, l'honorable M. Raikem, l'honorable M. Doignon, l'honorable M. Rodenbach, l'honorable M. Manilius, l’honorable M. Zoude, l'honorable M. Hye-Hoys, l'honorable M. Hoobrouck. L'honorable M. Verhaegen est venu se joindre à nous et nous devons l'en remercier.

Qui, au contraire, voulaient la suppression des droits ? C'étaient tous les amis actuels de l'honorable M. Verhaegen. On voulait alors abaisser les barrières qui nous séparaient de la France ; de toutes parts on donnait des arguments excellents pour que nous abaissions tous les droits, pour que nous appliquassions à notre pays les théories et les maximes de Say.

Un membres. - Et M. de Theux ?

M. Dumortier. - C'est vrai, pour lui je vous l'abandonne. (On rit.)

Un membre. - Et M. Raikem ?

M. Dumortier. - L'honorable M. Raikem a voté avec nous pour empêcher que les droits ne fussent abaissés, et je suis heureux de le proclamer.

Voilà comment les choses se passaient à cette époque. C'étaient les hommes qu'on appelle rétrogrades qui étaient les défenseurs de l'industrie et qui le seront encore lorsque l'occasion s'en présentera, tandis que les hommes qui se disent progressifs voulaient la liberté commerciale. Il faut que chacun porte son paquet, et j'aime que le pays se rappelle quels ont été les défenseurs de l'industrie à cette époque.

C'est nous qui les premiers avons présenté la question des droits différentiels ; c'est nous qui avons les premiers soutenu qu'il ne fallait pas lever les barrières qui frappaient la France ; nous avons constamment emporté à la pointe de l'épée toutes les dispositions favorables de notre tarif et nous les avons emportées contre ceux qui préconisaient la liberté illimitée du commerce et qui se qualifient aujourd'hui les hommes progressifs. Car à cette époque les hommes progressifs voulaient sacrifier la liberté à l'intérieur, avoir en liberté commerciale ce qu'on enlevait en liberté au pays : on voulait du pouvoir fort et du commerce faible. Voilà comment on aurait marché, si nous, les hommes rétrogrades, n'y avions porté opposition.

Eh bien ! je le répète, chacun doit porter son paquet. L'honorable M. Verhaegen ne doit pas se présenter, comme le créateur de la défense .des intérêts commerciaux ; il est vrai qu'il a prononcé à cette époque un discours remarquable que nous avions lu auparavant (on rit) et ce discours m'a fait beaucoup de plaisir. Mais à chacun de nous sa part ; à nous la défense des intérêts industriels, à M. Briavoine, l'admirable mémoire sur les draps, à l'honorable M. Verhaegen, le mérite de l'avoir lu.

M. Verhaegen. - Je demande la parole.

M. Rodenbach. -Messieurs, l'honorable préopinant a parlé des députations qui sont venues à Bruxelles en faveur de l'industrie linière. Je dois lui déclarer que les députations qui se sont réunies à l'hôtel de l'Univers et qui ont fait des démarches auprès du Roi et du ministère ont commencé comme lui par demander que le gouvernement prît des mesures de représailles, qu'il voulût bien augmenter et même doubler les droits sur les vins, imposer les soieries de Lyon, ainsi que les quincailleries, les articles de Paris. Ainsi on ne doit pas accuser ces députations d'avoir commis une espèce d'indiscrétion, d'avoir en quelque sorte nuit à la convention. Ainsi ils étaient complètement d'accord avec l'honorable préopinant. C'est donc à tort qu'on accuse les députés des Flandres d’avoir nui aux négociations.

On a pensé à des représailles. Mais lorsque le roi Guillaume a empêché l'entrée des vins de France par la voie de terre, la France a su soutenir longtemps cette guerre de douanes, tandis que les Flandres n'étaient pas à même de soutenir longtemps une lutte contre la France, attendu qu'il y a deux ou trois cent mille habitants de ces provinces qui doivent vivre de cette industrie. Ces réflexions ont déterminé ces députés à changer d'opinion. Ensuite les députés des Flandres ne pouvaient assurer le ministère de la tranquillité publique ; car dans la députation il y avait des fonctionnaires, placés à la tête de l'administration, qui ont dû déclarer au Roi et au ministère qu'ils ne pouvaient répondre de la tranquillité publique. Lorsque la misère est tellement grande qu'on ne peut répondre de la tranquillité publique, cela influe sur la détermination qu'on doit prendre.

Du reste, la convention n'est pas aussi désavantageuse à la Belgique qu'on le prétend. Voyez les réclamations du comité linier et de la chambre de commerce de Lille. Là on trouve la convention onéreuse pour la France ; on trouve qu'elle fait à la Belgique de trop grands avantages. Je ne veux pas prôner la convention. Mais il est certain qu'elle n'est pas aussi nuisible aux intérêts généraux du pays qu'on le soutient.

On a parlé de l'augmentation qu'éprouverait notre tarif, quant à l'Angleterre. Mais c’est dans notre intérêt. L'Angleterre nous importait pour un million de toiles ; elle ne les importera plus.

On demande la clôture. Je n'en dirai pas davantage. Je crois en avoir dit assez. Mais je tenais à justifier les députés des Flandres des accusations qui avaient été portées contre eux.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me crois forcé de dire un mot sur cet incident. Mes collègues et moi nous avons la plus vive sympathie pour la population ouvrière des Flandres et de tout le pays. Cependant nous devons à la vérité de déclarer que les démarches faites auprès du gouvernement nous ont semblé irréfléchies et qu'avec un semblable système de contrainte vis-à-vis du gouvernement, il n'y a pas de négociation possible. (Marques nombreuses d'approbation.)

Je suis forcé de le dire, parce que je ne veux pas qu'un précédent soit posé. Je ne veux pas que le ministère dont je fais partie soit supposé avoir adhéré à un précédent de ce genre. (Mouvement d’assentiment.)

M. Rodenbach. - Le langage d'un ministre n'est pas celui d’un député.

M. Angillis. - J'avais demandé la parole pour répondre à l’honorable M. Dumortier. Après la réponse qui lui a déjà été faite par l’honorable M. Rodenbach, la mienne sera courte.

L’honorable M. Dumortier a dit qu'on a commis une grande imprudence en envoyant des députations au gouvernement. Tous ceux qui ne se sont pas trouvés au milieu de ces circonstances partageront son opinion. Mais ceux qui ont vu ce qui se passait en France seront d’une autre opinion. L'inquiétude était telle que sans la promesse que nous avons faite au peuple que le gouvernement prendrait des mesures pour alléger la misère, la tranquillité publique eût été compromise. C’est alors que plusieurs honorables citoyens se sont rendus auprès du gouvernement, en députation. Je dois déclarer que je n’en faisais pas partie. Les circonstances d’alors justifient complètement la conduite qu’ils ont tenue. Le gouvernement, que l’on blâme tant, a fait ce qu’il devait faire.

On parle de représailles. Cc n'est pas le moment d'en parler. C’était le moment de songer à des représailles lorsque le gouvernement français faisait adopter la loi de 1841, interprétant celle de 1836 de manière à nous placer dans une position plus désavantageuse qu'avant 1835.

Si des fautes ont été commises, ce n'est pas seulement sur le cabinet qu’en retombe la responsabilité, c'est aussi sur la chambre, elle en est la complice, il lui appartenait d'indiquer au gouvernement les mesures qu’il devait prendre.

Je finirai par une seule considération. Une seule question domine toute la discussion, c'est une question d'urgence, de nécessité. On ne doit pas rechercher les causes de la situation fâcheuse où nous nous trouvons. Il suffit qu'elle existe, nous devons prendre des mesures pour en sortir, peu importe que des fautes aient été commises par l'ancien cabinet, par le cabinet actuel ou par la chambre. Tout ce qui est passe appartient au passé, tâchons de remédier à notre état fâcheux pour le présent et même pour l’avenir. Il ne s'agit pas de favoriser une industrie nouvelle ; il s’agit d'empêcher de mourir presque subitement une ancienne industrie qui existe depuis quatre siècles. Voilà toute la question ; il n’y en a pas d'autre a l'ordre du jour. Je prie donc la chambre de hâter cette discussion pour qu'on puisse voter sur le projet de loi. Je ne demande pas qu'on donne un vote approbatif, on peut donner un vote négatif, mais je demande qu'on décide la question.

M. Verhaegen. - Je ne sais pourquoi M. Dumortier a jugé à propos de m’attaquer, alors que je ne m'étais pas occupé de lui, alors surtout qu'il s'agissait de questions sur lesquelles naguère nous étions d’accord. Je répondrai à M. Dumortier que je laisse à chacun le mérite de ses œuvres et que je l'ai prouvé en maintes circonstances.

Lorsque dans discours auquel M. Dumortier fait allusion, je me suis servi du mémoire adressé a la chambre par MM. les fabricants de Verviers, je l'ai déclaré en termes explicites ; voici, en effet de quelle manière je me suis exprimé : « Un mémoire a été adressé à la chambre par les fabricants de Verviers ; il m'a paru rempli de force et de raison. Pour ne pas abuser de vos moments, j’ai jugé à propos d'en résumer les principaux arguments. » Eh bien, ce résumé, je l’ai fait. Les passages sont guillemetés. Vous n’avez qu’à recourir au Moniteur et vous aurez la conviction que l’attaque de M. Dumortier est pour ne rien dire de plus injuste, déplacée et antiparlementaire.

Je ne me permettrai pas, comme M. Dumortier, de parler avec dédain de J.-B. Say. Quoique je ne partage pas à tous égards ses opinions, je laisse à cet auteur le mérite que tout le monde lui reconnaît, et je crois pouvoir donner à M. Dumortier l’assurance qu’on parlera encore de J.-B. Say alors qu’on ne parlera plus de lui, quoique Jean-Baptiste Say n'ait pas jusqu'ici de statues, pas même de statuettes. (On rit).

M. Dumortier a dit que je me considérais comme la personnification du système que je désire faire prévaloir aujourd'hui. Les paroles qu'il a prononcées dans cette enceinte me paraissent aller à une adresse tout autre que celle de la chambre. Mais je dirai à M. Dumortier que, dans les questions qui intéressent le pays, il n'y a pour moi, ni opinion catholique, ni opinion libérale. J'ai soutenu, en 1838, ce que soutenait M. Dumortier ; je l'ai soutenu de bonne foi, de conviction. Je ne pense pas que les divisions de parti doivent se retrouver jusque dans la discussion des intérêts généraux.

M. Dumortier a fait une nomenclature de ses amis politiques qui ont développé naguères mes théories. Je pourrais à mon tour lui faire une nomenclature des miens. Il m'a abandonné M. de Theux. Il pourrait m'en abandonner bien d'autres. Parmi ses amis d'aujourd'hui (je ne nomme personne ; parce que je ne veux pas attaquer d'honorables membres, qui ne m'ont pas attaqué) je pourrais en citer un grand nombre qui ont émis une opinion contraire à la sienne. Quant à M. Dumortier, quant aux beaux principes qu'il veut s'attribuer, ce qu'il y a de plus clair pour moi c'est qu'il s'agissait entre autres en 1838 de bonnets de coton, et que ce sont les bonnets de coton que l'honorable membre voulait protéger. Voilà toute son affaire (on rit) ; que cela aille à son adresse, je le veux bien, mais qu'il ne se donne pas une couleur qu'il n'a pas.

Après cela, je n'ai plus rien à dire à M. Dumortier. Je ne l'avais pas attaqué, et cependant il a jugé à propos de me mettre en jeu personnellement, je ne sais pourquoi. La chambre comprendra que ma réponse était nécessaire ; elle jugera sans doute qu'elle n'a pas excédé les bornes des convenances.

Après avoir répondu à M. Dumortier, je voudrais bien, puisque j'ai la parole, dire quelques mots aux ministres.

Hier, j'ai prié les membres du cabinet de répondre à quelques interpellations, c'est de la réponse qui me sera donnée que je ferai dépendre mon vote.

D'après le traité, nous aurons nécessairement un déficit annuel dans le budget. M. le comte de Mérode (et je partage son opinion sur ce point) a demandé que le ministre nous dise au préalable de quelle manière ce déficit sera comblé.

Les droits sur les vins et sur les soieries sont des droits qui frappent le luxe. Remplacerez-vous le déficit qui résultera de la diminution par un droit imposé au luxe, ou le remplacerez-vous par un autre droit ? Des explications à cet égard sont indispensables ; je somme donc M. le ministre des finances de nous dire par quel impôt il compte remplacer les ressources que le traité fera perdre au trésor.

D'un autre côté, j'ai fait des observations concernant le commerce des vins ; j'ai demandé à messieurs les ministres de l'intérieur et des finances de quelle manière on donnera satisfaction aux négociants en vins. Il est certain que la concurrence deviendra impossible, si l'on ne tient pas compte aux négociants en vins, de la diminution des droits sur les vins qu'ils ont en magasin, et qui tout au moins sont couverts par des crédits à terme. Donner des explications lorsque la loi sera votée, c'est une chimère ; il est possible que, lorsque la loi sera votée, la chambre se sépare sans faire droit aux réclamations des marchands de vins, et alors vous n'auriez porté secours à une industrie mourante qu'en tuant une autre industrie ; c'est à quoi je ne puis consentir. Il faut que le ministère s'explique.

Il est un troisième point sur lequel je demande aussi des explications catégoriques. Les droits sur les vins en bouteilles subissent une réduction énorme, car il n'y a pas même de comparaison entre les droits sur les vins en cercles et les droits sur les vins en bouteilles. Les vins en cercles ne paient que 2 fr. par hectolitre ; ce droit est réduit à 50 centimes ; les vins en bouteilles paient 12 francs, et ce droit est réduit à 2 francs. Mais les bouteilles vides sont frappées d'un droit de 6 francs, et à moins que le ministère ne vienne dire (et s'il le dit j'en prends acte), à moins que le ministère ne vienne dire que les 6 francs se paieront indépendamment des 2 francs, il résulterait du traité une chose fort singulière, c'est que quand on introduirait 100 bouteilles de vin Lafitte, par exemple, on paierait 2 francs, tandis que quand on introduirait 100 bouteilles vides on paierait 6 francs. Je demande à cet égard une explication catégorique ; le droit de 6 francs sur le verre est-il compris dans les 12 francs que paie maintenant le vin en bouteilles ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - La réponse est toute simple. Elle se trouve dans le sens naturel des expressions du paragraphe lui-même. Que dit-il, en effet ? Que le droit sera réduit à deux francs par hectolitre pour les vins en bouteilles. Il est évident dès lors que la réduction ne peut porter que sur l'hectolitre du liquide contenu, et non pas sur l'hectolitre de bouteilles contenant. Ce serait un non-sens. Il me semble non moins évident, d'après ces mots : « pour les vins en bouteilles », que ce sont les vins qui sont en bouteilles qui doivent supporter la réduction du droit, et non pas les bouteilles qui contiennent les vins.

L'énoncé de cette disposition me paraît assez clair pour supposer qu'il ne pourra pas être compris différemment ailleurs.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je voulais donner les mêmes explications que vient de donner M. le ministre des affaires étrangères ; je crois que les choses se sont toujours pratiquées comme il vient de le dire.

M. Verhaegen. - Eh bien, messieurs, les ministres verront plus tard qu'ils sont dans l'erreur. Vous dites que les 6 fr. que payent les bouteilles ne sont pas compris dans les 12 francs imposés aux vins en bouteilles ; par conséquent aux termes du traité les 100 bouteilles de vin payeront 2 fr. indépendamment des 6 fr. que doivent payer les bouteilles, c'est-à-dire, ensemble 8 fr.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Oui.

M. Verhaegen. - Eh bien, j'en prends acte, et mon opposition cesse.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je désire faire une observation à l'appui des explications qui viennent d'être données. Cette observation m'est suggérée par la lecture du traité conclu entre la France et les Pays-Bas, le 20 juillet 1840. Il est dit dans ce traité : « S. M. le roi des Pays-Bas consent à réduire de trois cinquièmes le droit sur les vins en bouteilles, et de moitié le droit sur les eaux-de-vie, celui sur le verre compris, etc. » Ainsi, messieurs, l'on avait eu soin de dire dans le traité conclu avec les Pays-Bas que le droit sur le verre était compris dans le droit. Cette précaution n'a pas été prise dans le traité conclu aujourd'hui avec la Belgique.

Nous trouvons un argument à l'appui de nos explications précisément dans la différence de rédaction entre le traité conclu avec les Pays-Bas et la convention du 16 juillet dernier. Je désire même qu'on n'affaiblisse pas cet argument, car je lui trouve une très grande valeur.

M. Verhaegen. - Loin de moi de vouloir diminuer la force de l'argument que vient de présenter M. le ministre de l'intérieur pour prouver que la convention doit être entendue comme il l'entend, c’est-à-dire que les vins français payeront, à l’entrée en Belgique, 2 fr. par cent bouteilles pour le vin, et 6 fr. pour le verre.

M. le ministre des finances (M. Smits) - On fera ce qu’on a toujours fait.

M. Verhaegen. – Si vous dites que l’on fera ce qu’on a toujours fait, alors vous ferez peut-être tout autre chose que ce que vous prétendez vouloir faire, car l’honorable M. . Osy pourra vous donner à cet égard des renseignements qu'il a puisés au bureau d'Anvers, et dont il résulte que vous êtes complètement dans l'erreur. Quoi qu'il en soit, je prends acte de votre déclaration, mais sans être initié à vos négociations diplomatiques, je sais de très bonne part qu'on entend les choses tout autrement que vous ne les entendez.

M. Osy. - Les renseignements que j'ai communiqués à l'honorable M. Verhaegen, sur sa demande, ont été puisés à la recette d'Anvers, qui est, je pense la plus importante du pays. Eh bien, il résulte de ces renseignements, que le vin en bouteilles payera seulement deux francs par cent bouteilles, tandis que cent bouteilles vides payent 6 francs ; ce matin j'ai reçu les membres d'une députation des marchands de vins de Bruges, auxquels j'ai demandé si à Bruges les choses se passaient de la même manière qu'à Anvers, ils m'ont répondu qu'à Bruges le vin en bouteilles n'a jamais payé que 12 francs y compris le verre.

M. le ministre des finances (M. Smits) - C'est une erreur, je crois.

M. Osy. - Cependant les négociants qui payent tous les jours le droit doivent bien le savoir, je dis que si le gouvernement vient faire payer 8 fr., au lieu de 2 fr., il s'élèvera immédiatement des réclamations de la part des négociants en vins et de la part du gouvernement français.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, j'ai demandé encore ce matin même des renseignements sur l'objet qui nous occupe, et l'on m'a assuré de la. manière la plus positive, que les bouteilles contenant des vins, paient un droit à part et distinct de l'impôt sur ce liquide. Ces renseignements, je n'en doute pas, sont fondés sur les instructions anciennes et l'opinion du receveur d'Anvers ne saurait prévaloir contre elle.

M. Verhaegen. - Ainsi, c'est une affaire convenue ; le ministère est d'accord avec moi que les vins en bouteilles payeront 2 francs pour le vin et 6 francs pour le verre. J'en prends acte. Il reste maintenant à répondre aux deux autres questions que j'ai faites.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Le gouvernement s'occupe des moyens de faire face au déficit qui doit résulter pour le trésor de la convention qui nous occupe ; un projet de loi vous a été annoncé à cet égard ; ce projet sera incessamment présenté à la chambre.

Quant aux réclamations des marchands de vin, je me conformerai à la décision qui a été prise : La chambre a voulu que lei pétitions me fussent renvoyées, je m'en suis déjà occupé, et j'ai demandé les renseignements que la section centrale a désiré obtenir ; dès que ces renseignements me seront parvenus, je me hâterai de les communiquer et la section centrale pourra s'occuper du rapport qu'elle a à présenter.

M. Dumortier. - Je dois un mot de réponse à ce qui a été dit par l'honorable M. Verhaegen. Cet honorable membre s'est fortement trompé lorsqu'il a prétendu que je l'avais attaqué ; je me suis seulement plaint de ce qu'il avait personnifié en lui seul toute l'opposition qui a été faite au système de la liberté illimitée du commerce ; il était de mon devoir de rappeler que mes honorables amis et moi, nous avons combattu ce système non seulement avec lui, mais même bien avant lui.

Maintenant je ferai remarquer à l'assemblée que l'honorable membre se trompe encore bien singulièrement lorsqu'il vient représenter l'opposition que j'ai faite à la loi de 1838 comme se bornant à ce qui concernait les bonnets de coton ; je sais bien que l'industrie des bonnets de coton qui occupe 30,000 ouvriers, est quelque chose de sérieux, mais ceux qui ont assisté aux discussions de 1836 et de 1837 savent bien que je ne me suis pas occupé seulement des bonnets de coton, que j'ai défendu toutes les industries du pays ; on sait d'ailleurs que les bonnets de coton français n'ont jamais été prohibés à l’entrée en Belgique.

Quant à ce qui a été dit de la manière cavalière dont j'aurais traité M. Say, chacun peut avoir son opinion sur les principes de cet économiste et je crois que l’honorable M. Verhaegen est assez d'accord avec moi pour envisager ces principes comme des théories et rien de plus. Pour ce qu'a dit l'honorable membre que mon nom ne passera pas a la postérité, cela devrait toucher fort peu l'honorable membre. Mais je crois que sous ce rapport l'honorable M. Verhaegen peut me donner la main. (Hilarité.)

- La clôture est demandée et prononcée.

Discussion des articles

La chambre passe à la discussion des articles.

Article premier

« Art. 1er. La convention de commerce entre la Belgique et la France, signée à Paris le 16 juillet 1842, est approuvée, pour être exécutée selon sa forme et teneur.»

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Le Roi, dans l'intérêt du pays, pourra étendre à d'autres Etats les réductions stipulées par l'art. 2 de la dite convention.»

- Adopté.

Article additionnel

M. le président. - Vient maintenant l'amendement qui a été présenté par M. Manilius et qui formerait un article 3.

M. Manilius. - Si le ministre hésitait un instant à appuyer mon amendement, je le retirerais.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Cet amendement doit être examiné, il est impossible d'en apprécier les conséquences à une première lecture.

M. Mercier. - Je ne pense pas que l'amendement de l'honorable député de Gand puisse être adopté. D'après une semblable disposition, le gouvernement pourrait à son gré changer toute la loi générale des douanes. D'ailleurs, la chambre est saisie d'un projet de loi pour la répression de la fraude ; le rapport de la section centrale ne tardera pas à être présenté, nous aurons donc bientôt à nous occuper d'un projet au moyen duquel nous atteindrons le but que se propose l'honorable auteur de l'amendement.

M. le ministre des finances (M. Smits) - J'engage l'honorable M. Manilius à retirer son amendement qu'il aura probablement l'occasion de reproduire dans quelques jours. En effet, le gouvernement sera amené à présenter un autre projet de loi, afin de faire cesser les réductions sur le sel, réductions qui ont été décrétées par une loi, et qui ne peuvent cesser que par l'effet d'une autre.

M. Manilius. - Je retire mon amendement.

Article additionnel

M. le président. - Voici une autre proposition qui vient d'être déposée par MM. David, Delehaye, Verhaegen aîné, Maertens, Orts, Fleussu, Lange et de Villegas :

« Il sera fait un recensement de tous les vins déclarés en consommation au moment de la promulgation de la loi, et qui sont couverts par un crédit à terme.

« Il sera tenu compte aux négociants de la diminution des droits de douane et d'accises résultant du traité jusqu'à concurrence des vins recensés.

« Le négociant convaincu de fraude sera privé de la faveur ci-dessus, et en outre condamné à une amende de mille à dix mille francs. »

L'amendement a été développé hier.

M. Dumortier. - Je crois qu'il serait sage de renvoyer cet amendement à l'examen de la section centrale. J'en fais la proposition.

M. Verhaegen. - J'ai développé hier cet amendement. Le but que mes honorables collègues et moi avons eu en le proposant, c'est que l'industrie à laquelle on demande un sacrifice au profit d'une autre industrie, obtienne satisfaction et immédiatement. On demande le renvoi de l'amendement à la section centrale ; je ne m'y opposé pas, pour autant qu'on suspende le vote de la loi. Si vous votiez la loi maintenant, et qu'après on ne statuât pas sur notre proposition, l'industrie des marchands de vins serait frappée au profit de celle que vous relevez. Ce serait une injustice flagrante.

M. Rodenbach. - Je m'oppose au renvoi de l'amendement à la section centrale. Il y a décision prise. La chambre a adopté le renvoi à M. le ministre des finances de la réclamation des marchands de vins avec demande d'explications.

Il y a un autre motif pour ne pas statuer actuellement sur l'amendement ; l'amendement tend à consacrer l'injustice que voici :

L'amendement demande le remboursement de tous les vins qui ont un crédit à terme ; eh bien, ce serait là une faveur qu'on accorderait à ceux qui ont des crédits à terme, quoique ces vins soient en consommation comme ceux qui ont payé les droits.

D'un autre côté, M. le ministre des finances nous a dit qu'il nous fera prochainement son rapport ; nous saurons alors ce que nous devrons voter ; mais maintenant il nous serait impossible de prendre une décision.

M. Delehaye. - Messieurs, j'avais pensé qu'en présence des motifs d'équité et de justice qui plaident pour les marchands de vins, la chambre ne reculerait pas devant le vote de notre proposition ; mais cependant il n'entre pas dans mes intentions de demander la suspension du vote de la loi jusqu'à ce qu'on ait statué sur la proposition. Si les honorables membres qui ont signé la proposition avec moi y attachaient cette condition, je serais forcé de retirer ma signature. Je pense qu'une déclaration de M. le ministre des finances donnerait tout apaisement à mes collègues ; il suffirait que le ministre déclarât que la loi serait promulguée qu'après qu'il aurait été statué sur la proposition.

Si l'on n'attendait pas jusque-là pour convertir en loi la convention avec la France, non seulement le commerce français serait avantagé aux dépens du commerce belge, en payant des droits moins élevés, mais encore il profiterait de beaucoup d'autres avantages ; il n'a pas de frais d'entrepôts à payer, puisqu'il livre directement le vin à la consommation.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs il y a deux espèces de catégories de vins qui pourraient mériter l'exemption ou la diminution des droits qui sont fixés par le traité. Il y a les vins déclarés en consommation qui sont en crédit à terme et dont les droits ne sont pas payés, et il y a les vins positivement déclarés pour la consommation et qui ont payé les droits. La section centrale a désiré connaître quelles étaient les quantités de vins déclarées en consommation sous ces deux dénominations et j'ai dû demander en conséquence des renseignements à cet égard, notamment en ce qui concerne les vins en consommation, qui, depuis longtemps, sont soustraits au contrôle de l'administration. Ces renseignements ne nous sont pas encore arrivés ; dès que je les aurai reçus, ils feront l'objet de mon examen et immédiatement après j'adresserai mon rapport à la chambre.

M. Coghen. – Messieurs, l'équité veut qu'on fasse pour les marchands de vin une disposition qui les mette au moins dans la possibilité de lutter avec l'étranger. Je conçois que M. le ministre des finances ne soit pas encore à même de nous fournir les renseignements qui lui ont été demandés, mais je le prierai de joindre un projet au rapport qu'il nous fera, car l'administration est plus en état d'apprécier les moyens d'accomplir un acte de justice que ne le sont les membres de la chambre.

M. Verhaegen. - On a hâte, je le vois bien, de voter le traité, sans que justice soit faite aux marchands de vin. Qu'arrivera-t-il de l'ajournement de notre proposition ? Ce qui arrivera, et il me suffit de signaler ces conséquences, pour l'acquit de mon devoir ; ce qui arrivera, c'est que les marchands français pourront livrer les vins à 24 francs de moins par barrique que ne pourraient le faire les négociants belges. Est-ce que la concurrence est possible ?

M. Rodenbach. - La réduction n’est que de 22 fr.

M. Verhaegen. - Ne discutons pas sur une si petite différence. D'après vous c'est 22, d'après moi c'est 24. Voilà ce qui arrivera, si la loi passe immédiatement, qu'elle soit adoptée au sénat et soit promulguée tout de suite ; en attendant la mesure que réclame la justice en faveur des marchands de vins, il est évident que le commerce belge de vins est anéanti.

Je me rallierais volontiers à une. proposition quelconque qui donnât la garantie que le traité ne sera pas exécuté avant que justice ne soit faite aux marchands de vins.

On me fait observer que nous ne serons plus en nombre quand nous voudrons discuter cette proposition. Ce que je vois de plus clair ici, c'est que chacun n'a souci que de ses intérêts , et ne s'inquiète pas des intérêts généraux. On veut relever une industrie qui est à l'agonie, et en même temps en frapper une autre de mort. Les marchands de vins vous demandent-ils quelque chose ? Non. Ils vous prient de les laisser dans la position où ils se trouvent ; tandis que vous portez atteinte à ce qui est, vous leur portez préjudice, vous voulez qu'ils fassent un sacrifice au profit de l'industrie linière. Voilà ce que vous voulez. Je signale à l'attention du pays les intentions qui se manifestent. Si bon gré mal gré vous voulez repousser les réclamations des marchands de vin, j'aurai rempli ma tâche. Je fais ce que je peux et non ce que je veux. J'ai fait ma proposition ; elle est parfaitement recevable. Si un renvoi a été ordonné, c'est sur une pétition, cela n'empêche pas qu'un membre puisse prendre l'initiative d'une proposition, cette initiative je l'ai prise ; je demande que ma proposition fasse un article additionnel à la loi. Si on veut la renvoyer à la section centrale, j'y consens, mais à la condition de surseoir au vote du reste de la loi, ou que la loi ne sera pas promulguée avant qu'une résolution n'ait été prise, sinon je demande qu'on statue maintenant sur ma proposition, elle subira le sort qui lui est réservé, mais j'aurai rempli ma tâche.

M. Rodenbach. - Si maintenant, on devait prononcer sur la réclamation des marchands de vins, elle aurait peu de chances de succès. En insistant pour que la chambre prenne une décision, au lieu de leur être utile, on leur ferait beaucoup de tort. Ainsi, je suis loin de vouloir nuire à cette réclamation. Je dois même déclarer qu'au sein de la section centrale, j'ai dit qu'il y avait justice à leur accorder une remise. Mais j'ai dit qu'il fallait connaître les statistiques. Il y a des marchands qui ont payé les droits, et il y en a qui ne les ont pas payés. Il n'y aurait pas justice à restituer aux uns et à ne pas restituer aux autres. Vous ne pouvez pas, à cause de cette réclamation, arrêter l'exécution du traité, car je vous le dis, les Flandres ne peuvent pas attendre. Aujourd’hui, elles ne peuvent pas introduire une seule pièce de toile en France. La réclamation des marchands de vins peut sans inconvénients être ajournée à quelques jours, leur commerce n'en sera pas pour cela anéanti, car en présence de l'espoir qu'ils ont de réussir, les marchands étrangers ne pourront pas dire que les marchands belges ne peuvent pas soutenir la concurrence contre eux par suite des droits déjà payés. D'ailleurs l'amendement consacrerait une injustice, car il ne favorise qu'une catégorie de marchands de vins, ceux qui ont des crédits à terme.

Quant au traité, il est urgent, qu'on l'exécute au plus tôt.

M. Osy.- Je suis généralement contraire aux mesures rétroactives, mais ici il y a justice à admettre la réclamation des marchands de vins, En 1832, quand vous avez diminué l'impôt sur le genièvre, vous avez ordonné un recensement et les genièvres en magasin ont joui de la diminution. Il existe un précédent ; ce qu'on a fait alors, il serait injuste de ne pas le faire aujourd'hui. Si M. le ministre ne peut pas nous faire un rapport maintenant, et qu'il le fasse dans huit ou quinze jours, nous ne serons plus en nombre et quand vous ferez le recensement, déjà des vins auront été introduits d'après le nouveau tarif, il se trouvera dans les magasins des vins ayant payé l'ancien et le nouveau droit, on ne pourra pas exécuter la mesure, et le marchand de vin qui aura payé 24 francs de droit en plus ne pourra pas soutenir la concurrence avec ceux qui auront payé le droit nouveau. Je crois que nous pouvons adopter la disposition proposée aussi bien que nous avons adopté celle sur les genièvres.

M. Demonceau. - Je considère comme un acte de justice la restitution de la différence du droit pour les vins en magasin, mais dans l'état des choses, nous ne sommes pas en position de prendre une disposition en connaissance de cause, en voulant être juste envers les uns il ne faut pas être injuste envers les autres. La chambre est disposée à examiner sérieusement cette réclamation, elle l'a renvoyée au gouvernement avec demande d'explications.

Je crois qu'on pourrait opposer aux honorables auteurs de la proposition une fin de non recevoir, mais je ne veux pas me prévaloir de ce moyen, j'entends lui faire comprendre que dans l'intérêt des marchands de vins, il ne faut pas voter aujourd'hui sur leur réclamation, parce que si on vote aujourd'hui, beaucoup de membres qui y sont favorables, et je suis de ce nombre, voteront contre, parce qu'ils ne voudront pas voter sans savoir ce qu'ils font. L'amendement d'ailleurs, comme on vous l'a dit, ne serait qu'une demi-justice.

M. Mercier. - J'ai proposé le renvoi immédiat à la section centrale, à qui le rapport qui sera formé par le ministre, devra aussi être renvoyé. Si la section centrale se réunissant de nouveau, se mettait en rapport avec le commerce, peut-être parviendrait-on à hâter la conclusion à intervenir. C'est enfin pour qu'il n'y ait pas de perte de temps que j'ai fait ma proposition.

M. le président. - La section centrale devra attendre le rapport de M. le ministre.

M. Mercier. - Elle pourra s'aboucher avec M. le ministre des finances, et se contenter peut-être d'une partie seulement des renseignements réclamés.

M. le ministre des finances (M. Smits) - La section centrale m'a demandé des renseignements positifs sur la quotité de vins déclarés en consommation. Le même jour, j'ai écrit dans toutes les provinces afin d'obtenir ces renseignements. Je les aurai peut-être demain et dans les 24 heures, je ferai mon rapport à la chambre. En attendant, je ne vois pas pourquoi on renverrait l'amendement dont il s'agit à la section centrale, puisqu'elle a déclaré ne pas pouvoir statuer avant d'avoir reçu les renseignements dont je viens de parler.

M. Fleussu. - Il me semble indifférent qu'on attende les renseignements demandés à M. le ministre des finances, parce que je regarde cette question comme une question de principe et non comme une question de fiscalité. Il est évident que vous ne pouvez pas sacrifier une industrie à une autre industrie. Les marchands de vins ne s'attendaient pas aux conséquences de l'ordonnance du 26 juin. Vouloir les mettre maintenant dans l'impossibilité de soutenir la concurrence avec les négociants français, ce serait les condamner à relever une industrie qui tombe d'elle-même. Il y a un précédent : il est impossible de se refuser à en faire ici l'application, sauf à l'étendre pour rendre cette application conforme à l'équité.

En 1814, en 1822 et en 1830 on a établi des augmentations de droit sur les vins et les eaux-de-vie, les marchands pour lesquels nous demandons le bénéfice de la réduction proposée ont dû à ces époques payer l'augmentation de droit ; par la même raison il est évident que vous ne pouvez pas leur faire aujourd'hui supporter une perte, sans cela ils seraient exposés à souffrir de toutes les mesures financières favorables ou défavorables à la consommation. S'ils ont supporté une perte dans un sens, dans un temps, vous ne pouvez pas leur en faire supporter une autre dans un sens contraire aujourd'hui. Il y a donc équité, et pour qu'une industrie ne soit pas sacrifiée à une autre, et pour suivre les précédents législatifs, à décharger les vins en magasin de la différence des droits payés de ceux qui vont être établis.

Pourquoi demandons-nous que cette question soit décidée par le vote même de la loi qui approuve la convention ? Parce que si vous votez le traité avec la France sans y comprendre la réclamation, il est évident qu'une partie de la chambre sera désintéressée, et ceux qui auront obtenu l'approbation du traité pourront voter contre cette réclamation. Nous ne demandons qu'une chose : c'est que l'amendement soit renvoyé à la section centrale qui pourra demander des renseignements à M. le ministre des finances. Il paraît même que ces renseignements arriveront peut-être demain ou après-demain, de manière que le rapport pourrait être fait dans 24 heures.

Si, au contraire, vous votez le traité sans y comprendre la disposition dont il s'agit, ce ne sera que d'ici à quelque temps que la loi que nous soumettra M. le ministre pourra être examinée par les sections, et la chambre ne sera plus en nombre pour la voter. Voilà ce qui arrivera probablement. Il faudra 15 jours avant que le rapport de M. le ministre, l'examen des sections et le travail de la section centrale puissent être faits ; et il y a danger, si vous ne renvoyez pas la disposition à la section centrale, sauf à la voter demain ou après-demain, que la matière ne soit scindée, que vous ne votiez que ce qui sera favorable à l'industrie linière, et laissiez en souffrance les dispositions qui seront favorables à l'industrie vinicole.

Je me joins donc à ceux qui demandent le renvoi à la section centrale, pour que la disposition fasse partie du projet de loi. Je demande ce renvoi, avec sursis du vote bien entendu, puisqu'il s'agit d'une des dispositions de la loi.

M. David**.** - Il y a encore une haute considération à faire valoir, qui nous forcerait à rendre sans retard justice aux marchés de vin de la Belgique. Non seulement les droits vont changer, modifier la position des marchands de vins, mais nous sommes à la veille d'une baisse extraordinaire, sur cet article par la qualité de l'année qui favorise la vigne.

Si on ne rend pas de suite justice aux marchands de vins, on risque de les ruiner, car dans tous les cas, ne fût ce-que par la température, il y aura bouleversement dans ce commerce d'ici à peu de temps.

M. Vandenbossche. - Les renseignements qu’a réclamés M. le ministre de l'intérieur n'auront d'influence que sur la somme. Or, comme l'a fort bien fait observer l'honorable M. Fleussu, c’est un principe que nous votons.

Qu'il s'agisse d'une somme minime, ou d’une somme considérable, c'est la même chose. L’équité veut qu'on restitue. Les renseignements demandés par M. le ministre ne peuvent donc conduire à rien, dans la situation où nous nous trouvons. C’est un principe que nous votons. Restituera-t-on, oui ou non ? Je pense, avec l'honorable M. Fleussu que c'est sur cette question que nous devons voter.

M. Coghen. - Il paraît que l'on craint qu'après le vote la chambre ne se sépare. Il ne faut pas retarder le vote ; car il est urgent, il est important pour les Flandres. On n’y fait plus rien ; tout le commerce est mort ; il faut absolument sortir de cette position pénible. Pour ne pas retarder le vote de la loi, je proposerai de l'adopter, avec la disposition suivante :

« Une restitution de droits, dont la quotité et le mode seront ultérieurement déterminés, sera accordée aux marchands de vins. »

Ainsi tous les intérêts seront saufs, toutes les inquiétudes seront apaisées.

M. Desmet. - La question qui s'agite en ce moment est celle de savoir si, en équité, l'on doit admettre la réclamation des marchands de vins. Mais rappelez-vous ce qui a été dit au commencement de la discussion. On a insisté auprès du gouvernement pour qu'on ne laissât pas entrer les toiles anglaises ; et il a été reconnu que la seule chose qu'il y eût à faire pour cela était de voter la loi dans le plus bref délai possible. Si maintenant il faut attendre des renseignements demandés par M. le ministre des finances sur la réclamation des marchands de vins pour insérer dans la loi une disposition qui les concerne, le vote de la loi sera retardé, et il sera introduit dans le pays une quantité considérable de toiles anglaises. Pour moi, je pense qu'il pourrait être statué sur la réclamation des marchands de vin, par la voie administrative, après le vote de la loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La proposition de l'honorable M. Coghen décide toute la question. C'est pour la première fois que cette question se discute depuis 1830. Nous avons fait quelques changements à notre tarif de douanes, mais jamais la question de principe de rétroactivité n’a été ni examinée, ni discutée. Réfléchissez-y bien. Je ne veux pas me prononcer, je ne veux rien précipiter ; je demande seulement que la chambre se préoccupe des conséquences que peut avoir la solution de la question de principe. Si aujourd'hui vous accordez aux marchands de vin la faveur qu'ils demandent, vous posez un principe que vous devrez appliquer désormais dans tous les cas où il y aura réduction ou augmentation des droits d'accise ou de douanes. Je citerai un exemple : Le ministère précédent avait proposé une augmentation sur les cafés ; si cette augmentation eût été adoptée, pensez-vous que quelqu'un eût proposé une mesure appliquée dans d'autres pays, la mesure du recensement ?

Un membre. - C'est n’est pas le même principe.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La position est analogue. Il y a des pays où l'on adopte le principe du recensement de la manière la plus absolue. Quand il y a augmentation de droits, il y a recensement pour percevoir l'augmentation, de même qu’il y a recensement pour dégrever quand il y a diminution de droits.

Je demande que la question soit examinée sous toutes ses faces et que si la chambre pense qu'il y a lieu à restitution, il soit bien entendu que lorsqu'il y aura augmentation de droits il y aura également recensement dans l'intérêt du fisc. Je demande, je le répète, dans l'intérêt du pays que la question soit examinée sous toutes ses faces et non pas d'une manière incidente.

M. de Brouckere. - L'amendement qui nous est soumis se rapporte en effet à une question de principe, à une question de la plus haute importance.

Mais lors même que vous auriez résolu la question de principe affirmativement, tout ne serait pas fini. Il resterait à régler l’application du principe.

Ou pourrait à bon droit soutenir que l'amendement fait trop ou trop peu ; je ne prétends pas m'expliquer sur la question de principe que soulève l'amendement. Mais je dis qu'il faut que la chambre prenne une résolution, avant que le traite ne devienne obligatoire.

L'honorable M. Coghen, dit qu'avec son amendement tous les intérêts sont saufs. M. le ministre de l'intérieur dit que cet amendement va trop loin. Moi, je dis que cet amendement n'est du tout ; car quand on aura réglé la question de principe, et qu’on n'en aura pas réglé les conséquences, si nous nous séparons, si nous attendons pour nous réunir jusqu’au mois de novembre, que feront les marchands de vins ? D'ici au mois de novembre les marchands de vins introduiront autant de vins qu'ils voudront, à des droits plus avantageux que les marchands de vins du pays ; et les marchands du pays seront écrasés. Il me semble qu’à moins d’être injuste envers une industrie qui mérite aussi des égards, nous devons renvoyer les amendements à la section centrale, avec demande d'un très prompt rapport. Ce rapport ne peut se faire attendre longtemps, puisque M. le ministre des finances a déclaré qu’il attendait aujourd’hui ou demain les renseignements qu'il avait demandés. Supposez que ce soit après-demain ; quel si grand péril y aura-t-il en la demeure ?

En attendant, dit-on, les Flandres ne feront rien. Mais les Flandres peuvent être tranquilles ; car on voit que quoique ce soit avec une extrême répugnance, il y aura presque unanimité pour adopter le projet. Mais il faut que toutes les industries soient dans la même sécurité que l’industrie linière. On ne peut adopter le projet de loi sans rien faire pour les marchands de vin, parce qu'il est probable que d’ici à quelques jours la chambre ne sera plus en nombre. (Réclamations.) Je souhaite ne pas dire vrai. Ce n’est pas moi qui manquerai à mon poste, lorsque l'ordre du jour appellera la discussion de la convention relative à la ville de Bruxelles. Mais nous verrons si vous y serez. Moi je prétends que cette convention ne sera pas discutée, que quand elle viendra à l’ordre du jour, un grand nombre de membres se retireront dans leur province ; et les marchands de vins seront écrasés sous la concurrence des marchands français.

J'insiste pour qu'il soit sursis au vote du projet de loi jusqu’à ce que la section centrale ait fait un rapport sur l'amendement. J'en fait formellement la proposition. Je m'oppose à ce qu'on discute aujourd'hui ; j'adopte l'opinion de M. le ministre de l'intérieur sur l'importance de l'amendement. C'est une proposition d'une portée immense. Comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, si la question est résolue, elle doit l'être, le cas échéant, à l'avantage du trésor, comme elle serait aujourd'hui à l'avantage des marchands de vins. La chose n'est pas sans exemple en Belgique. Lorsqu’en 1818 et 1819 on a augmenté l'impôt sur les sucres, on a fait un recensement ; on a soumis a l'augmentation d'impôt tous les sucres.

M. Devaux. - C'était un grief.

M. de Brouckere. -Je ne dis pas que non. C'est précisément parce qu'aux yeux de beaucoup de personnes c'était un grief, qu’il faut examiner la chose avant de se prononcer.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les réflexions que je faisais me semble tellement justes que voici ce qui pourrait arriver. Le traité n'est fait que pour quatre ans. Je suppose qu'il expire sans qu'aucun arrangement intervienne avec la France, c'est-à-dire que dans quatre ans l'accise soit rétablie dans son intégralité. Que ferez-vous alors ? Est-ce qu’alors il y aura un effet rétroactif ? Est-ce qu'alors les marchands de vins seront soumis à un recensement et payeront la différence ? Vous voyez quelle est la portée de la mesure que l'on propose. Quant à moi je désire qu'elle soit discutée dans son ensemble, qu'elle soit examinée sous toutes ses faces.

M. Coghen. - Messieurs, en proposant l'amendement que j'ai eu l’honneur de vous soumettre, j'ai eu seulement pour but de calmer l'inquiétude et de rendre possible le vote du projet qui est urgent. Dès l'instant que vous décidez en principe que les marchands de vin recevront une restitution équitable, vous tranquillisez ces négociants, vous leur donnez la possibilité d'agir et de vendre.

Je sais que la question est importante ; mais je n'ai pas voulu que la chambre votât sans la discuter. Je crois qu'il faut l'examiner, et qu'il serait préférable de s'en occuper sérieusement que de perdre son temps à une discussion qui ne produira rien.

M. le président. - Voici l'amendement que M. de Brouckere a fait parvenir au bureau :

« Je demande qu'il soit sursis au vote jusqu'à ce que la chambre ait été mise à même de se prononcer sur l'amendement relatif aux marchands de vin. »

M. Verhaegen. - J'ai eu l'honneur de dire que je ne m'opposais pas au renvoi à la section centrale, pourvu qu'il fût sursis au vote. L'honorable M. de Brouckere vient de faire une proposition dans ce sens ; je m'y rallie. Je me permettrai d'ajouter un seul mot ; c’est que la garantie que réclame l'honorable M. de Brouckere et moi avec lui, est d'autant plus nécessaire que nous voyons, d’après la conduite que tient le ministère, qu'il n'est pas disposé à appuyer notre proposition. J'ai même entendu prononcer d'une manière significative, et ce n'était pas une confidence, on le déclarait tout haut sur le banc ministériel, que cette demande ne serait pas accueillie, que le principe serait trop dangereux.

M. Demonceau. - Je m'aperçois qu'on veut lier à une convention déjà grave par elle-même une question non moins grave, et je vous avoue que si je tenais beaucoup à ce que la convention fût adoptée, je ferais tous mes efforts pour que la proposition soumise à la chambre n’y fût pas annexée. Quoique la convention ne me plaise guère, je dois dire que je considère comme très dangereux d’y annexer une disposition en faveur des marchands de vins. Je préfère donc la voter telle qu'elle nous est proposée.

Quant à moi, je veux accorder justice aux marchands de vins, mais avec cette condition que si les circonstances changent, les marchands de vins en subissent les conséquences.

On a parlé de précédents ; mais il y a plus d'un précédent contraire. Lorsque nous avons haussé les droits sur les genièvres indigènes, a-t-on ordonné un recensement ? Au contraire, les fabricants ont fabriqué tant qu'ils ont voulu et on ne leur a rien demandé.

Lorsqu’on a mis sur les vins des additionnels qui équivalaient presque à la réduction que vont subir les droits actuels, je ne sache pas que les négociants qui avaient des vins en magasin aient payé ces additionnels.

Si vous voulez être justes envers les négociants, il faut que les négociants soient justes envers le trésor. Eh bien ! si nous faisons subir au trésor des pertes en faveur des marchands de vin, je veux que, le cas échéant, il puisse y avoir perte même pour les marchands de vins. Car si la convention avec la France ne doit durer que quatre ans, et si au bout de ce temps nous devons changer de système, ce ne seront pas, j’espère, les droits actuels que nous établiront, mais des droits beaucoup plus élevés.

M. de Brouckere. - Il semblerait, à entendre l'honorable préopinant, que la proposition que j'ai faite préjuge la question. Mais je me suis catégoriquement expliqué ; je me réserve moi-même mon vote sur la question de principe, et dans le cas où la question serait résolue affirmativement sur la solution qu'il faut donner au principe, je n’entends me lier en aucune manière. Mais je dis que la question doit être examinée avant que le traité soit obligatoire, sauf à la résoudre négativement. Car je ne suis pas certain que la majorité de la chambre sera d'avis d'accorder cette décharge aux marchands de vin. Mais encore faut-il leur donner la satisfaction d’examiner la question, et la question ne sera examinée qu'autant qu’il sera sursis au vote sur la convention.

M. Rodenbach. - Il est certain que si on adopte la proposition de l’honorable M. de Brouckere, on retarde peut-être la convention de 8 ou 10 jours ; car M. le ministre des finances ne peut répondre que les renseignements qu’il a demandés au directeur des contributions lui arriveront avant huit jours. Cependant je vous l’ai déjà dit ; on réclame à grands cris le rétablissement de nos relations commerciales avec la France. Dans ce moment, il n'y a pas de transaction possible, il n'y a pas de commerce dans les Flandres. Et pour une justice que vous pouvez aussi bien rendre aujourd’hui que dans huit jours, vous voulez retarder la ratification de la convention.

Remarquez, d'ailleurs, je dois le répéter, que la chambre a pris une décision. Elle a adopté le renvoi à M. le ministre des finances avec demande d’explications. Ainsi ce que vous avez fait hier, vous allez le défaire aujourd’hui. Je demande si c’est là de la conséquence parlementaire.

Quant à moi, bien que je sois disposé à voter pour une mesure favorable aux marchands de vin, je m'oppose à la proposition de l’honorable M. de Brouckere.

M. Delehaye. - J'ai signé la proposition ; mais dans mon opinion elle devait être l'objet d'un examen ultérieur à la section centrale.

Je pense qu'il est juste qu'il soit fait une restitution aux marchands de vin du pays, attendu qu'une réduction est accordée aux marchands français. On dit qu'il faut pour cela suspendre le vote sur le traité, parce que la chambre ne sera plus en nombre. Mais je suppose que M. le ministre des finances ne reçoive les renseignements qu’il a demandés que dans huit jours, que fera en attendant le sénat ? Nous savons tous comment se font les affaires administratives ; quand un ministre demande qu'on lui envoie un renseignement dans deux ou trois jours, il ne le reçoit quelque fois qu'un mois après. Eh bien ! irez-vous différer la solution de la convention parce que vous voulez prendre une mesure qui ne s y rattache qu'indirectement ?

Messieurs, les droits des marchands de vin ne sont pas douteux, le devoir des membres de la chambre est de rester à leur poste tant que leur présence est nécessaire, quant à moi, je ne me retirerai pas. J’espère que tous mes collègues en agiront de même, et qu'avant que la convention soit applicable, le ministère sera en mesure de rendre justice aux marchands de vin. Si d'ailleurs le gouvernement ne le voulait pas, chacun de nous resterait libre de faire une proposition dans ce but ; et comme on s'en est expliqué dans cette enceinte, si le ministère ou quelque fonctionnaires apportait des retards dans les renseignements qu'il doit fournir, il encourrait une grave responsabilité.

Je voterai pour le renvoi de la proposition à la section centrale, en demandant au ministère de bien vouloir se hâter de nous fournir les renseignements qui lui sont demandés.

- La proposition de M. de Brouckere, tendant à ce qu'il soit sursis au vote jusqu'à ce que la chambre ait été mise à même de se prononcer sur l'amendement relatif aux marchands de vin, est mise aux voix, elle n'est pas adoptée.

M. le président, - Je vais mettre aux voix l'amendement de M. Coghen.

M. Dubus (aîné). - Je demande que tous les amendements soient renvoyés à la section centrale, et qu'ils soient séparés de la proposition principale.

M. Verhaegen. - Nous ne pouvons pas nous opposer à cette demande ; mais, je dois le déclarer, la proposition de l'honorable M. Dubus est le rejet de l'amendement de l'honorable M. Coghen. Car l'honorable M. Coghen a pour but de donner dès à présent une garantie aux marchands de vin. M. Dubus, en demandant que la proposition de l'honorable membre soit renvoyée à la section centrale et soit séparée de la loi en discussion, a un but évidemment contraire.

Quoi qu'il en soit, considérant la demande de M. Dubus comme un rejet, chacun saura à quoi s'en tenir.

M. Dubus (aîné). - Je déclare que je ne propose pas un rejet, mais que je demande un examen. Je ne vote pas une proposition de cette importance lorsqu'elle n'a été précédée d'aucun examen, et je déclare que ce serait même inouï dans une assemblée représentative.

La section centrale ne vous a pas fait de rapport parce qu'elle manquait de renseignements, et la chambre voterait sans attendre ce rapport ; mais cela serait des plus étrange. Je demande le renvoi afin qu'elle nous fasse son rapport dans le plus bref délai possible. En agir autrement, ce serait manifester une défiance qui n'a pas été méritée de la part de la section centrale. Ce serait supposer que pour faire échouer la proposition, elle s'abstiendra de faire un rapport. Or, je pense plus favorablement que l'honorable préopinant, des dispositions des membres de la section centrale. Je dis que quelle que soit l'opinion de la majorité de cette section, elle tiendra à saisir la chambre d'un rapport soit favorable, soit défavorable sur les amendements proposés.

Et dans tous les cas il faudrait dire que vous vous défiez de vous-mêmes ; car la majorité sera toujours maîtresse de se ressaisir de la question, si la section centrale ne fait pas son rapport. Ainsi ce qu'il y a de plus rationnel et de plus simple est le renvoi à la section centrale.

M. Mercier. - J'aurais désiré que le gouvernement pût se prononcer sur la question telle que l'a posée l'honorable M. Coghen. C'est, il est vrai, une question de principes, mais l'on ne décide rien sur la portée de l'application du principe. D'après cette proposition on pourrait accorder à la fois une restitution pour le vin déclaré à crédits, à termes et pour le vin en magasin ; de même qu'on peut restreindre la mesure seulement à sa première catégorie.

D'un autre côté je ne puis dissimuler qu'il me paraît peu probable que M. le ministre puisse fournir dans deux ou trois jours les renseignements que lui a demandés la section centrale. Ces renseignements sont de deux espèces. Ceux qui se rattachent aux vins qui sont au crédit à tenues, pourront être donnés assez promptement et même si la section centrale prenait la détermination de s'arrêter à cette catégorie, nous possédons un chiffre approximatif de la restitution, qui pourrait au besoin suffire. Mais si l'on veut étendre plus loin la disposition comme cela paraît équitable, c'est-à-dire, l'appliquer à tous les vins en magasin chez les négociants, alors la section centrale est loin d'avoir tous les renseignements nécessaires, et je ne pense pas que M. le ministre puisse nous en procurer de suffisants avant une quinzaine de jours.

Quant aux précédents il n'en existe qu'un seul à ma connaissance, depuis notre émancipation politique, c'est ce qui a été fait lorsqu'on a réduit les droits sur les eaux-de-vie indigènes ; à cette époque on a demandé un dégrèvement à ceux qui avaient des spiritueux en magasin sous terme de crédit. Je ne me souviens pas qu'il y ait eu depuis 1830 d'autres diminutions notables d'impôts. La crainte de créer un précédent n'est pas fondée ; ce précédent existe depuis 1833 ; je ne pense pas d'ailleurs qu'on doive poser un principe immuable dans cette matière ; il faut agir selon les circonstances et non pas d'après un système absolu qui souvent serait impraticable.

Les marchands de vins, messieurs, se trouvent dans une condition toute spéciale ; ils ont à lutter, eux, contre l'étranger qui sera plus favorisé qu'eux, tandis que les distillateurs dont il s'agissait à l'époque dont je viens de parler n'avaient à soutenir que la concurrence de leurs propres concitoyens, ayant tous plus ou moins d'approvisionnement. C'est donc à bien plus de titres encore que la réclamation dont nous sommes saisis mérite toute notre sollicitude. D'après ces considérations, je pense qu'il y a lieu de voter le principe posé dans l'amendement de l'honorable M. Coghen, et j'engage le gouvernement à s'y rallier ; une mesure en faveur des réclamants me paraît de toute justice ; je ne crois pas qu'on puisse refuser de faire quelque chose. Or, l'amendement n'indique pas ce qu'on fera ; il laisse une grande latitude et porte seulement que l'on fera quelque chose, sans rien préjuger sur la portée de la mesure.

M. de Brouckere. - Messieurs, je ne puis pas m'étonner de l'opposition que fait l'honorable M. Dubus à ce qu'une semblable proposition soit adoptée séance tenante. Il est certain, comme le dit l'honorable membre, que cette proposition contient la question de principe tout entière. Eh bien, cette question est trop importante pour pouvoir être tranchée sans un examen approfondi.

Cependant nous ne devons pas nous dissimuler une chose, c'est qu'en renvoyant l'amendement de l'honorable M. Coghen à la section centrale, nous en prononçons le rejet, car l'amendement de l'honorable M. Coghen se fond nécessairement dans l'amendement présenté par M. Verhaegen et d'autres honorables membres qui, eux, ne tranchent pas seulement la question de principe, comme le fait l'honorable M. Coghen, mais qui déterminent même les conséquences de la solution qu'ils donnent à la question de principe ; de sorte que si la proposition de M. Coghen n'est pas adoptée immédiatement, elle devient tout à fait sans résultat et tombe d'elle-même.

J'ai vu avec regret que MM. les ministres se sont levés contre la proposition de sursis que j'avais soumise à la chambre. Il ne me reste plus maintenant qu'à leur demander une chose au nom d'intérêts qui méritent bien qu’on y ait égard ; je leur demande qu'ils ne ratifient point le traité avant que la chambre ne se soit prononcée sur la proposition relative aux marchands de vins. Si, messieurs les ministres veulent condescendre à cette demande, nous aurons atteint notre but ; tous les intérêts seront saufs : en effet, les filateurs sauront qu'ils peuvent compter sur la ratification de la convention, et d'un autre côté les marchands de vins auront la certitude que leurs intérêts ne seront point sacrifiés, ce qui ne doit pas être, ce qui ne serait point juste.

M. Dubus (aîné). - Je dois déclarer que dans mon intention le renvoi à la section centrale que je demande n'est le rejet ni de la proposition de M. Coghen, ni de la proposition de M. Verhaegen. Ce renvoi placerait tour simplement la section centrale dans la position où la proposition de M. Coghen nous a placés nous-mêmes ; la section centrale appréciera les circonstances et les renseignements qu'elle obtiendra ; si elle obtient des renseignements suffisants pour faire une proposition complète, comprenant et le principe et l'application, elle nous fera une proposition semblable ; si, au contraire, elle n'obtient que des renseignements qui la mettent à même de faire seulement une proposition consacrant le principe, elle se bornera à le faire. En un mot, il lui sera loisible de faire telle proposition que les renseignements qui lui seront fournis lui permettront de nous soumettre. Tout ce qui résultera du renvoi à la section centrale, c'est que la section centrale pourra examiner, tandis qu’on veut nous faire prononcer sans examen

Vous voyez donc, messieurs, que je ne demande pas le rejet de la proposition, que j'en demande seulement l'examen.

M. Osy. - Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères si la convention devra être ratifiée par les chambres françaises.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Non, elle peut l'être par ordonnance.

M. Osy. - Dans tous les cas il s'écoulera certainement encore, avant la ratification, un temps assez long pour que la chambre puisse statuer sur les réclamations des marchands de vin. J'adhère donc à l'observation de l’honorable M. de Brouckere, et je prierai le gouvernement de ne pas ratifier la convention avant que la chambre ne se soit prononcée sur la question qui vient de nous occuper.

- Le renvoi des amendements à la section centrale est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble de la loi

Il est procédé au vote sur l'ensemble de la loi.

86 membres sont présents.

9 s'abstiennent.

66 adoptent.

11 rejettent.

En conséquence le projet de loi est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Angillis, de La Coste, Coghen, Cools, Coppieters, David, de Baillet, de Behr, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter, Deprey, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Henot, Hye-Hoys, Huveners, Lebeau, Lejeune. Liedts, Maertens, Malou, Manilius, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Peeters, Pirson, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Smits, Thienpont, Van Cutsem, Vandenbossche, Van Hoobrouck, Van Volxem, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et Fallon.

Ont voté le rejet : MM. Dumont, Fleussu, Jadot, Jonet, Mast de Vries, Pirmez, Puissant, Simons, Troye, Vanden Eynde et Vandensteen.

Se sont abstenus : MM. Cogels, Delfosse, de Renesse, Dumortier, Eloy de Burdinne, Lange, Lys, Orts et Verhaegen.

MM. les membres qui se sont abstenus sont appelés à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Cogels et M. Delfosse déclarent s'être abstenus pour les motifs qu'ils ont développés dans leurs discours.

M. de Renesse. - Je ne puis donner un entier assentiment à la convention avec la France, qui nous oblige à de nouveaux sacrifices, lorsque déjà en 1838, nous avions fait d'assez larges concessions, et qu'alors le gouvernement de ce pays nous donnait l'assurance d’une juste compensation, que nous sommes encore à attendre.

Comme, sous un certain rapport, ce traité contient une disposition favorable à l'une de nos principales industries, qui mérite toute notre sollicitude par son importance et surtout par son état actuel de souffrance, je n'ai pas voulu voter contre une convention que, sous tout autre rapport, je ne puis approuver.

M. Dumortier. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai fait connaître dans la discussion.

M. Eloy de Burdinne. - Je n'ai pas voulu voter contre la loi, parce qu'elle est avantageuse aux Flandres et à l'industrie linière qui m'inspire beaucoup d'intérêt et pour laquelle j'ai infiniment de sympathie.

D'autre part, je n'ai pu lui donner mon assentiment parce que la loi réduit les recettes du trésor en dégrevant d'impôt la consommation sur les vins qui est un objet de luxe fort imposable, et que par suite le déficit d un million environ, résultat de l'adoption de la convention avec la France, nécessitera, ou de nouveaux impôts, ou des augmentations sur les impôts existants.

Tels sont les motifs de mon abstention.

M. Lange. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre la loi, parce que je partage la sympathie qu'inspirent les classes ouvrières des Flandres ; je n’ai pas voulu voter pour, parce qu'on n'a pas voulu faire, quant à présent, droit aux réclamations d'une autre industrie qui mérite aussi toute notre sollicitude.

M. Lys. - M. le ministre des finances avait promis avant la discussion publique, de fournir dans cette discussion, les explications nécessaires pour donner connaissance des voies et moyens qu'il proposerait pour faire face au déficit que va occasionner au trésor l'exécution du traité. Comme je veux que le nouvel impôt frappe le riche et personne d'autre, comme M. le ministre n'a pas rempli sa promesse, j’ai dû m abstenir.

J'ai aussi dû m'abstenir parce que vous n'avez pas voulu ajourner le vote jusqu'à ce qu'on pût statuer sur ce qui concerne les marchands de vins.

Je n'ai pas voulu voter contre la loi, parce qu'elle intéresse trop vivement deux de nos provinces.

M. Orts. - Je me suis abstenu, parce que je regardais comme un principe de justice distributive de faire droit à la proposition de M. de Brouckere, tendant à suspendre le vote de la loi ; je n'ai pas voulu voter contre le projet, parce que j'aurais compromis le sort d'une classe nombreuse et intéressante du pays.

M. Verhaegen. - J'ai indiqué d'avance dans le discours que j'ai prononcé, les divers motifs de mon abstention.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs,. je dois un mot de réponse à l'honorable M. Lys. Je n'ai nullement promis qu'un projet de loi tendant à créer des voies et moyens pour couvrir le déficit qui va résulter de l'adoption de la convention, serait présenté avant le vote de cette convention ; le gouvernement s'est uniquement engagé à vous présenter ce projet de voies et moyens dans le cours de la session.

M. Lys. - Dans la section aux délibérations de laquelle vous assistiez, vous aviez promis de déposer le projet avant le vote.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je ne crois pas avoir pris cet engagement, M. Lys m'aura mal compris.

Projet de loi, amendé par le sénat, relatif à la patente des bateliers

Rapport de la section centrale

M. Sigart, rapporteur. - Messieurs, vous avez renvoyé à la section centrale le projet de loi relatif à la patente des bateliers, amendé par le sénat. J'ai l'honneur de vous présenter le résultat de l'examen auquel elle s'est livrée.

La discussion n'a porté que sur le n° 15 de l'art. 21. La commission du sénat a cru y remarquer une erreur, qu'elle qualifie de rédaction ; elle a pensé que les termes de l'article limitaient l'exemption à la navigation d'Ostende à Bruges, que l'on en pouvait conclure que les navires venant de la mer à Ostende avec destination de Gand seraient assujettis au paiement des droits pour la navigation de Bruges à Gand, attendu que l'abordage de cette dernière ville, considérée comme port, n'est franc dudit droit que par le canal de Terneuzen.

M. le ministre des finances interrogé dans la séance du 20 juin 1842, répondit qu'il croyait que d'après la loi sur les accises, on pouvait comprendre la ville de Gand dans l'exception, que cependant si le sénat croyait qu'il fût nécessaire de l'écrire dans la loi même, il n'y voyait pas d'inconvénient.

Après cette explication l'honorable M. de Ridder a présenté et le sénat a adopté un amendement comprenant dans l'exception la ville de Gand, que les bâtiments de mer y abordent par le canal de Terneuzen ou par celui de Bruges.

La section centrale a pensé qu'en effet il existait une omission dans la rédaction de l'art. 21 ; elle vous propose de la réparer en admettant l'article tel qu'il a été adopté par le sénat.

M. le président. - La section centrale propose de rétablir la dénomination de la ville de Gand qui avait été oubliée dans la rédaction de l'art. 21. du projet de loi.

Des membres. - Votons maintenant.

M. le président. - On demande d'ouvrir immédiatement la discussion. (Oui, oui.)

- La discussion est ouverte. Personne ne demandant la parole, il va être procédé à l’appel nominal.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demanderai d'abord la parole, pour faire une motion relative à l'ordre du jour.

Nous avons plusieurs objets à l'ordre du jour : la loi sur l'enseignement supérieur, la loi sur l'enseignement primaire, la convention avec la ville de Bruxelles et probablement les lois que M. le ministre des finances a annoncées.

Messieurs, vous avez reçu ce matin le mémoire de l'université de Louvain sur la loi concernant l'enseignement supérieur ; la chambre a ordonné l'impression de ce mémoire. Je demanderai que l'ordre du jour soit interverti, et que l'enseignement supérieur soit postposé à l'enseignement primaire.

Une voix. – Nous ne sommes pas prêts.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Que voulez-vous faire ?

Un membre. - La convention avec la ville de Bruxelles.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette affaire n'a pas été plus étudiée que la loi sur l'enseignement primaire ; les deux rapports ont été déposés le même jour. Je demande que l'ordre du jour reste tel qu'il est, et qu'on se borne à intervertir les deux premiers numéros.

M. de Brouckere. - Nous demandons que l'ordre du jour reste fixé tel qu'il est, et que seulement le projet de loi concernant la ville de Bruxelles soit placé en première ligne, au lieu de venir le dernier.

M. Lys. - M. le ministre de l'intérieur vient de dire que les deux rapports ont été déposés le même jour ; mais il faut ajouter que le rapport sur la ville de Bruxelles nous a été envoyé à domicile pendant les vacances ; ainsi nous avons eu le temps d'examiner ce projet, tandis que le rapport sur l'instruction primaire ne nous a été distribué que récemment.

M. Dumortier. - Je suis étonné de l'opposition que rencontre la proposition de M. le ministre de l'intérieur, quand chaque année, depuis 8 ans, nous avons proclamé dans nos adresses au Trône, la nécessité d'organiser l'enseignement primaire, et maintenant l'on reculerait devant cette discussion. Il importe assez peu de savoir si le rapport sur la ville de Bruxelles a été distribué un peu plus tôt ou un peu plus tard, ce qu'il y a de certain, c'est que le projet de loi sur l'instruction primaire nous est présenté depuis 5 ou 6 ans.

Bien des fois, les hommes modérés des deux partis ont reconnu qu'il était à désirer que cette importante question ne tardât pas à recevoir une solution. Pour ma part, ce serait avec plaisir que je verrais cette question terminée ; aussi, je déclare que je donne mon approbation entière à la proposition de M. le ministre. Il est impossible d'aborder aujourd'hui la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur ; on nous a déjà distribué de nouvelles pièces, et l'on nous en a encore envoyé aujourd'hui.

M. de Mérode. - On demande que la chambre s'occupe du projet de loi concernant Bruxelles, mais il me semble que le moment est très mal choisi. Que pouvons-nous voter pour la ville de Bruxelles avec la meilleure volonté du monde ? Nous ne connaissons pas nos voies et moyens. Nous venons encore de diminuer les ressources du trésor. Il faut donc que nous ayons des voies et moyens avant de décider ce qu'on peut faire pour la ville de Bruxelles ; mais pour le moment, il est impossible de prendre une décision.

M. Devaux. - Messieurs, la loi sur l'enseignement supérieur nous est présentée depuis quatre ans ; celle qui concerne l'instruction primaire est présentée depuis huit ans. Il est à désirer que ces deux projets puissent être discutés dans un bref délai. Mais la chambre a décidé que la discussion s'ouvrirait sur l'instruction supérieure immédiatement après le vote sur la convention commerciale. Le gouvernement a proposé à la loi de 1835 des modifications très importantes, modifications qui lui avaient été inspirées par la brochure d'un professeur de l'université de Louvain. Il se trouve que toutes les universités, y compris celle de Louvain, condamnent les nouvelles dispositions que le gouvernement veut introduire. Dans cette position on demande le temps de réfléchir.

Je veux bien y consentir ; mais je demande aussi qu'on nous laisse le temps de réfléchir sur la loi de l'enseignement primaire, loi qui n'était pas à l'ordre du jour.

Un membre. - Si ! si !

M. Devaux. - Pas après la convention ; elle ne devait venir qu'après la loi sur l'instruction supérieure. Je demande que nous ayons le temps de lire et de méditer les documents assez importants et assez nombreux qu'on nous a distribués sur l’instruction primaire. Il y a notamment un rapport de M. le ministre de l'intérieur ; j'avoue que je n'ai pas encore pu le parcourir jusqu'ici. Je désire pouvoir en prendre connaissance.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il n'y a eu de ma part ni tactique, ni désir d'escamoter une discussion quelconque. on avait mis à l'ordre du jour la loi sur l'instruction supérieure. Quand j'ai demandé que cette loi fût maintenue à l'ordre du jour, j'avais reçu les observations des universités de l’Etat, et je pensais que les autres universités n'adresseraient pas d'observations à la chambre ; depuis l'une d'elles vous a fait parvenir un mémoire dont vous avez ordonné l'impression ; il est donc tout naturel qu'on demande que la chambre prenne d'abord connaissance de ce mémoire, avant d'aborder la loi sur l'instruction supérieure.

Quant à l'enseignement primaire, il existe un document qu'il' faut consulter, c'est le rapport que j'ai déposé, le 28 janvier dernier ; j'avoue que je supposais que l'honorable préopinant en avait pris connaissance, je vois que je suis dans l'erreur : je persiste néanmoins à demander le maintien de l'ordre du jour, avec l'intervention que j'ai proposée à l'instruction primaire, l'instruction supérieure et puis la convention avec la ville de Bruxelles.

On me dit qu'on n'a pas examiné la loi de l'enseignement primaire, et qu'il faut un certain temps pour cet examen, mais pour la loi concernant Bruxelles ne faut-il pas lire en entier de nombreuses pièces ?

Je demande donc qu'on fixe l'ordre du jour tel que je l'ai proposé.

On pourrait mettre à l'ordre du jour de demain le crédit supplémentaire, relatif au remplacement, et on s'occuperait de la loi sur l'instruction primaire. Dans l'intérêt de la question de la ville de Bruxelles, question que je défendrai, je demande qu'on laisse à cette discussion la place que je lui assigne.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, plus d'une fois la chambre a fixé l'ordre du jour, et toujours il a été décidé que l'enseignement supérieur viendrait avant l'enseignement inférieur. Il en résulte que nous nous sommes préparés à la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur ; et comme on devait présumer que cette discussion serait assez prolongée, puisque la loi est très importante et qu'elle se compose d'un grand nombre d'articles, on a cru qu'on aurait le temps d'achever l'examen de la loi sur l'enseignement primaire. Mais si maintenant vous allez hâter la discussion de cette loi, il s'en suivra que beaucoup de membres de la chambre ne seront pas préparés. Or, entre l'inconvénient de passer quelques jours sans séance, et celui d'examiner d'une manière trop hâtive une loi très importante, il y a une immense différence.

Quant à moi, je préférerais que l'ordre du jour restât fixé comme il l'est actuellement.

Demain nous avons à examiner la question des primes de rengagement qui se rattache au budget de la guerre. Après-demain peut-être ou le jour suivant l'impression de ce mémoire qui vous a été adressé aujourd'hui sera terminée et nous pourrons aborder la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur à laquelle nous nous sommes préparés, tandis que nous ne pouvions nous attendre à discuter la loi sur l'enseignement primaire.

Je ne crois pas d'ailleurs qu'on puisse ainsi à chaque fin de séance remettre en question l'ordre du jour qu'on a arrêté la veille. Sans cela il n'y a pas de raison pour en finir.

M. Osy. - Des pétitions de plusieurs corps constitués vous ont été adressées pour vous prier de vous occuper des intérêts matériels du pays. Depuis huit jours, vous avez le rapport de la commission d'enquête, et le projet qu'elle a formulé, je demande que ce projet soit mis à l'ordre du jour après la convention avec la ville de Bruxelles.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je considère le rapport et le projet présentés par la commission d'enquête, comme destinés à être discutés au commencement de la session prochaine. Parmi les renseignements sur cet objet, je ferais remarquer que le mémoire annoncé par la chambre de commerce d'Anvers manque encore. Je dirai de plus que la commission n'a pas annexé à ses conclusions les avis qu'elle doit avoir reçus de plusieurs chambres de commerce. Je m'engage à compléter le travail de la commission en ajoutant les mémoires des chambres de commerce adressés soit à la commission soit au gouvernement.

J'ajouterai que le gouvernement sera prêt à prendre part à cette discussion qui est tout à fait neuve pour lui. C'est afin que dans la session prochaine nous puissions nous occuper des questions qui se rattachent à notre système commercial et à notre système financier que j'ai toujours insisté pour que dans les quelques semaines que nous allons consacrer à cette session, on s'occupe des lois sur l'instruction. Je suis au regret que ce matin nous ayons reçu le nouveau mémoire dont la chambre a ordonné l'impression, sans cela je n'aurais pas demandé mieux que d'aborder la discussion de la loi sur l'instruction supérieure. Nous pouvons très bien commencer par l'instruction primaire, car les documents et le rapport sont imprimés et distribués depuis le 28 janvier.

M. de Brouckere. - Il est temps de prendre une décision. Je ne demande qu'à dire quelques mots. Je répondrai à ce qu'a dit M. Osy, que la chambre de commerce d'Anvers n a pas encore transmis son rapport et que la chambre de commerce elle-même demande qu'on attende encore quelque temps avant de s'occuper de l'enquête. Le motif pour lequel elle n'a pas encore envoyé son rapport est des plus louables ; c'est qu'elle a voulu qu'il renferme non seulement l'opinion de la chambre de commerce, mais celle de tous les commerçants qui ont été appelés à s'expliquer sur le contenu de ce rapport. L'enquête ne peut donc pas encore être mise à l'ordre du jour.

Maintenant, M. le ministre de l'intérieur insiste pour que demain ou après-demain nous discutions la loi sur l'instruction primaire. Il ne peut pas persister dans sa proposition, quand plusieurs membres déclarent n'avoir pas eu le temps d'examiner le projet et le long rapport qui vous a été fait. Il sait qu'il ne suffit pas de lire des rapports et de lois semblables, qu'il faut encore les méditer. Cette loi soulève les questions de principe les plus délicates, et il est impossible d'être prêt à les discuter demain ou après-demain.

J'avais demandé qu'on commençât par le projet de loi concernant la ville de Bruxelles. M. de Mérode a dit qu'il ne pouvait pas s'occuper de cette loi, parce qu'il ne connaissait pas le résultat de nos lois de finances, je lui ferai observer que quand il connaîtra ce résultat, il ne sera pas plus avancé. J'ai toujours été d'opinion que les voies et moyens ne contrebalanceraient pas nos dépenses, malgré toutes les assurances contraires. A la fin de l'année, on verra si j'ai eu raison. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas par les voies et moyens, mais par un emprunt qu'on pourrait exécuter la convention avec Bruxelles.

Un membre. - En trois ou quatre ans.

M. de Brouckere. - En trois ou quatre ans, vous aurez des déficits. C'est dans un emprunt qu'on doit trouver la somme demandée pour la ville de Bruxelles ; par conséquent il n'est pas nécessaire de connaître les voies et moyens. Pour ma part ; je ne vois aucune raison pour ne pas commencer par ce projet.

M. Orts. - Je demande que l'on mette à l'ordre du jour la loi concernant la ville de Bruxelles, si on ne peut pas s'occuper de celle sur l'enseignement supérieur. La ville a le plus grand intérêt à ce que cette loi soit votée dans cette session. La loi sur les sucres à laquelle a fait allusion M. le comte de Mérode ne pourra être discutée qu'à la session prochaine, et la ville de Bruxelles a besoin qu'une décision soit prise d'ici au mois d'octobre prochain. devant régler son budget d'après cette décision. Je demande donc que la loi relative à la ville de Bruxelles ait la priorité.

M. Coghen. - Je demande aussi la mise à l'ordre du jour de la convention avec la ville de Bruxelles.

Je répondrai à l'observation de l'honorable comte de Mérode qu'on doit d'abord examiner ce qu'on doit dépenser et voir ensuite aux moyens de pourvoir à la dépense.

M. Hye-Hoys. - Je demanderai, pour ne pas perdre de temps, qu'on mette à l'ordre du jour le rapport des pétitions, beaucoup de réclamations nous ont été adressées contre les abus de chasse.

M. de Foere. - M. le ministre de l'intérieur s'oppose à la proposition de l'honorable M. Osy, parce que la commission d'enquête commerciale n'a pas annexé à son projet de loi les avis des chambres de commerce du pays. Il est vrai que la commission a adressé à ces chambres un avant-projet de loi sur lequel elle demandait leurs avis. Trois chambres de commerce seulement ont répondu à cet appel. Une a émis un avis tout à fait approbatif ; les deux autres, celles de Bruges et de Verviers, ont accepté aussi les bases du projet de loi et ont présenté, en même temps, des observations sur un petit nombre de ses dispositions. La commission les a prises en considération et elle a adopté celles qui lui ont paru fondées. Elle a cru pouvoir inférer du silence des autres chambres de commerce qu'elles n'avaient pas d'objection à faire contre le projet. D'ailleurs, elle ne pouvait plus en retarder l’impression ; la discussion en était vivement réclamée de plusieurs côtés du pays. Dans tous les cas, la commission savait que, de son côté, le gouvernement avait sollicité des chambres de commerce un duplicata de leurs avis demandés par la commission, Déjà il en a reçu ; il peut les faire imprimer et livrer à l'impression les autres au fur et à mesure qu'ils lui parviennent. C'est ainsi qu'il en a agi relativement aux avis des chambres de commerce sur le projet de loi concernant les sucres. Ces pièces pourront toutes être distribuées à la chambre avant le vote sur la convention avec la ville de Bruxelles. L'objection de M. le ministre de l'intérieur n'est donc pas recevable.

Le pays, messieurs, est fatigué de toutes ces discussions sur des questions morales, sur des libertés publiques et sur des intérêts locaux. Il demande à grands cris qu'enfin ses intérêts matériels et généraux soient pris en considération. La première condition de tout pays est celle de vivre et d'exister ; vient après le mode de son existence. Si j'avais pris part à la discussion qui vient d'être terminée, je me serais attaché à vous prouver que c'est à vos continuels ajournements des grandes questions matérielles qu'est due la déplorable situation du pays dans laquelle la convention avec la France l'a jeté. Retarder plus longtemps, c'est vous exposer à de nouveaux mécomptes. Le conseil provincial d'Anvers, et M. de Brouckere ne l'ignore pas, a adressé au gouvernement une pétition par laquelle il demande que les projets de loi relatifs au commerce et à l'industrie soient discutés avant tous les autres. J'insiste à demander avec mon honorable ami, M. Osy, que le projet de loi de la commission d'enquête commerciale soit mis à l'ordre du jour après le projet sur la convention de la ville de Bruxelles.

M. Dechamps. - Les honorables membres qui s'opposent à la mise à l'ordre du jour de la loi sur l'enseignement primaire donnent pour motif qu'on attendait à discuter la loi sur l'enseignement supérieur, on ne s'est pas préparé à discuter celle sur l'enseignement primaire et ils demandent qu'on donne la préférence à la convention avec la ville de Bruxelles qui ne venait qu'en troisième ligne, après les deux lois sur l'instruction.

Quelques voix. - Ce n'est pas cela.

M. Devaux. - Il vous a fallu huit ans pour méditer la loi et faire votre rapport, et vous ne voulez pas nous laisser huit jours.

M. Dechamps. - Je ne vois pas l'inconvénient que quelques membres trouvent à ce qu'on donne la priorité à la loi d'enseignement primaire sur la loi d'enseignement supérieur. Nous avons une loi d'instruction supérieure, il s'agit seulement de la modifier, Si j'en crois ce que vient de dire M. Devaux toutes les universités s'opposent à ces modifications.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pas toutes.

M. Dechamps. - Il n'y a donc pas urgence de discuter ces modifications. Il me paraît qu'on pourrait sans inconvénient, puisqu'une loi existe sur l'enseignement supérieur, donner la priorité à l'instruction primaire sur laquelle il n'y a pas de loi.

M. Devaux me dit que, puisque j'ai eu huit ans pour méditer la loi et faire mon rapport, je puis bien lui donner huit jours.

Je ferai observer qu'il n'a pas dépendu de moi de faire mon travail plus tôt. J'ai prouvé que je ne voulais pas faire retarder la discussion de cette loi.

Du reste je ne voudrais pas étrangler cette discussion, elle a trop d'importance pour qu'on l'étrangle. Ne pourrait-on pas fixer un jour, admettre un délai suffisant pour qu'on examine le projet de loi. La loi de l'instruction primaire repose sur des principes difficiles si l'on veut, mais assez simples et sur lesquels nous avons presque tous une opinion formée. Cette loi ne présente pas, comme la loi sur l'enseignement supérieur un grand nombre de questions spéciales ; ainsi il n'y a aucune difficulté à substituer la loi sur l'instruction primaire à la loi sur l'enseignement supérieur, car la loi sur l'enseignement supérieur existe, il s'agit de la modifier. Comme les modifications proposées ne sont pas accueillies favorablement, on pourrait y renoncer ; on pourrait, je le répète, fixer un délai, fixer un jour de la semaine, de manière à laisser un temps assez long pour que les membres puissent prendre connaissance du rapport de M. le ministre de l'intérieur et de celui que j'ai eu l'honneur de présenter.

M. Cools. - J'appuie la proposition qu'a faite l'honorable M. d'Hoffschmidt de ne pas intervertir l'ordre du jour. Les lois sur l'enseignement supérieur et sur l'instruction primaire sont des lois d'une haute importance er que nous ne devons voter qu'après un mûr examen. Quant à moi, je m'occupe de l'examen des documents relatifs à la loi sur l'enseignement supérieur, parce qu'il avait été décidé qu'on s'en occuperait immédiatement après le vote de la convention avec la France ; mais je n'ai pas encore eu le temps de m'occuper du projet de loi sur l'instruction primaire. M. le ministre de l'intérieur propose d'intervertir l'ordre du jour parce que des documents relatifs à la loi sur l'enseignement supérieur sont envoyés à l'impression ; mais je ne trouve pas que ce soit un motif. On pourrait discuter demain les crédits concernant le département de la guerre, puis commencer la discussion générale du projet de loi sur l'enseignement supérieur. Comme cette discussion durera plusieurs jours, nous aurons tout le temps de recevoir les documents envoyés à l'impression.

M. Fleussu. - M. le ministre de l'intérieur, en demandant qu'on intervertisse l'ordre du jour et qu'on discute la loi sur l'enseignement supérieur, dit qu'il n'y a de sa part ni tactique ni surprise. S'il en est ainsi, je l'adjure de ne pas insister sur sa demande ; il est évident que la plupart d'entre nous ne sommes pas préparés à cette discussion. Voici pourquoi. Quand nous nous sommes séparés il y a six semaines, il n’était pas question de la loi sur l'instruction primaire ; il y avait à l'ordre du jour quelques autres objets, la loi relative aux communes qui ont un octroi ; la loi relative aux secrétaires communaux et, si je ne me trompe, la loi relative à la convention avec la ville de Bruxelles. (Dénégations.) Il avait été convenu qu'on enverrait à domicile le rapport sur ce projet de loi, afin qu'on pût se préparer à cette discussion. Nous avons reçu ce rapport depuis longtemps, tandis que le rapport sur le projet de loi d'instruction primaire ne nous a été remis que huit jours avant notre retour. Ce projet de loi, que la section centrale a mis huit ans à élaborer, n'est pas urgent ; on peut attendre jusqu'à la session prochaine, tandis que la loi sur l'enseignement supérieur est urgent puisque la rentrée doit avoir lieu au mois d'octobre. Il faut donc que, pour le mois d'octobre, il y ait une loi bonne ou mauvaise. Puisqu'il a fallu huit ans à la section centrale pour élaborer le projet de loi, nous pourrions bien demander trois mois pour l’examiner ; je ne demande pas cette remise à trois mois ; mais je demande qu'on reconnaisse l'urgence de la loi sur l'enseignement supérieur qui doit être votée pour le mois d'octobre, tandis qu'on peut arriver au mois d'octobre sans avoir la loi sur l'instruction primaire.

M. Devaux. - Si quelques personnes veulent voir imprimer des documents, je ne m'y oppose pas. Mais je m'oppose formellement à ce qu'on discute soit dans un jour, soit dans deux jours le projet de loi sur l'instruction primaire. Je dis que quand on a mis huit ans pour faire un projet de loi, quand on a exercé sur la chambre une voie de fait de cette espèce, ce serait une autre voie de fait que de forcer à discuter ce projet de loi, sans donner le temps de le méditer. Ce serait une violence sur la minorité, que de mettre à l'ordre du jour dans deux ou trois jours le projet de loi sur l'instruction primaire.

M. Dumortier. - Il n'y a ni violence, ni bref délai. On n'est pas fondé à nous accuser de précipiter la discussion, lorsqu'il s'agit d’un projet de loi présenté depuis huit ans.

M. Devaux. - Je dis que d'avoir retenu le projet de loi pendant huit ans, c'est une violence, c'est une voie de fait.

M. Dumortier. - Il y a des membres qui ont le privilège de qualifier la majorité d'une manière peu agréable. Ce privilège, je le leur envie pas, mais rien ne sera plus facile que de la justifier.

Vous vous plaignez de ne pas avoir lu les documents présentés par le ministre. Il y a six mois qu'ils sont entre vos mains. Si vous vous plaignez de ne pas les avoir lus, vous vous accusez de paresse dans cette assemblée. Vous avez eu tout le temps de les lire. Si l’honorable préopinant ne les a pas lus, c'est que tel a été son bon plaisir. Mais il ne faut pas parler de violence et de voies de fait, quand on a eu six mois pour lire des documents. Il y a un mois que le projet est distribué : il a été distribué pendant la vacance, quand les membres de la chambre n'avaient rien autre chose à faire que d'étudier les projets de loi. Ainsi l'honorable préopinant a eu tout le loisir désirable pour étudier le projet de loi. Il s'agit d'ailleurs ici d'un projet unique, tandis que pour l'enseignement supérieur vous n'avez pas moins de six projets de loi.

Vous avez :

Le projet de l'université de Gand ;

Le projet de l'université de Liége ;

Le projet de l'université de Louvain ;

Le projet de la section centrale ;

Le projet de l'université du gouvernement ;

Le projet primitif.

Ainsi voici de compte fait 6 projets en opposition. Je vous demande quelle confusion. Vous vous trouverez dans une vraie Babel.

C’est alors surtout qu'il est nécessaire d'examiner avec maturité. Il n’y a rien de semblable pour le projet de loi sur l'instruction primaire. J’ajouterai, avec l’honorable M. Dechamps, qu'il y a une loi sur l’enseignement supérieur, tandis qu'il n'y en a pas pour l’instruction primaire.

Ainsi, les accusations de voies de fait, de violence ne sont que de vaines paroles, au moyen desquelles on veut se donner des airs de victime. On nous a souvent reproché de ne pas vouloir la loi sur l’instruction primaire, Voilà la loi présentée, et les mêmes honorables membres qui nous ont fait ce reproche ne veulent pas qu'on la discute. Qu'on juge les accusations qu'on nous lance depuis huit ans par les accusations d’aujourd’hui.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On pourrait supposer que j'hésite à aborder la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur. Je prie la chambre de se détromper. Je suis prêt à soutenir le projet de révision que j’ai présenté avec la section centrale.

Ce n'est pas que j'aie, comme l'a dit l'honorable M. Devaux, puisé mes inspirations dans la brochure d'un professeur de l'université de Louvain. Les bases de ce projet sont des idées que j'ai eues très anciennement ; je n'hésite pas à les soumettre à l'épreuve d’une discussion publique. On veut dès à présent créer de grandes préventions contre le projet de révision de la loi sur l'enseignement supérieur. Il me sera très facile de répondre aux objections dirigées contre le projet de loi ; je ne désespère pas d'en voir adopter les bases principales.

Quant au projet de loi sur l'instruction primaire, le document principal est le rapport que j'ai présenté en janvier dernier. Je suppose qu’on en a pris connaissance. On dit que le rapport de l'honorable M. Dechamps n'est distribué que depuis peu de temps ; mais mon rapport est distribué depuis six à sept mois. Le projet de la section centrale n'est pas un système nouveau ; c'est le système de 1834 complété. C’est ce que nous démontrerons le premier jour de la discussion. Il n'y a pas maintenant de loi sur l'instruction primaire. Vous êtes saisis d'un projet de 1834. Le projet nouveau, c'est l’ancien projet complété ; nous le prouverons, je le répète dès le premier jour de la discussion. Le projet de 1834 n'était, à certains égards, qu'un programme qui contenait des principes généraux sans indiquer des moyens d’exécution.

M. Verhaegen. - Et l'article 5 !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je remercie l'honorable membre de son interruption. Le projet de 1834 renfermait cette proposition très vague sur laquelle tout le monde est d'accord. La commune doit l'instruction gratuite aux enfants pauvres. Mais où et comment ? là devait commencer le dissentiment. Ce sont ces moyens d'exécution que contient le nouveau projet.

M. Dumortier. - Vous voyez bien qu'on a examiné puisqu’on discute les articles.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C'est parce qu'on m'a interrompu. Dans l'ancien projet on énonçait un principe ; dans le nouveau, on indique les moyens d'exécution. Je crois que sans faire violence à personne on peut aborder la discussion du projet sur l’enseignement primaire ; je désire qu'il n'y ait pas une plus grande perte de temps. Je crois ne manquer à personne en insistant sur la proposition que j'ai faite. Il faut d'ailleurs être juste envers tout le monde : l'université de Louvain a fait parvenir ses observations ; je crois que l'université de Bruxelles fera aussi parvenir les siennes ; il faut lui en donner le temps.

- La chambre consultée décide que les seuls objets àl'ordre du jour de demain sont : 1° le projet de loi relatif aux primes de rengagements ; 2° les rapports de pétitions, Elle met ensuite à l'ordre du jour d'après-demain le projet de loi relatif à l'instruction primaire.

Projet de loi, amendé par le sénat, relatif à la patente des bateliers

Vote de l'article unique

M. le président. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur l'amendement apporté par le sénat au projet de loi relatif à la patente des bateliers.

- Cet amendement est adopté à l'unanimité des 65 membres présents.

Ces membres sont : MM. Cools, Coppieters, David, de Baillet, de Behr, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Foere, Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, Devaux, de Villegas, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Hye-Hoys, Huveners, Kervyn, Lange, Lejeune, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mercier, Nothomb, Osy, Peeters, Puissant, Raikem, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandensteen, Van Hoobrouck, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude.

- La séance est levée à 5 heures.