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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 20 août 1842

(Moniteur belge n°233, du 21 août 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur George-Adam Reuss, propriétaire à Bruxelles, né à Obersinn (Bavière) demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Plusieurs habitants de Surice demandent qu’il ne soit pas donné suite au projet de séparer de cette commune le hameau de Mamedennes pour l’ériger en commune distincte. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Puissant, retenu chez lui par une indisposition, informe la chambre qu’il ne peut prendre part à ses travaux.

Pris pour notification.

Projet de loi organique de l'instruction primaire

Discussion des articles

Titre III. Subsides et moyens d’encouragements

Paragraphe premier. Subsides
Articles 19 et 20

« Art. 19. Les fonds votés par les provinces en faveur de l’instruction primaire sont destinés aux objets suivants :

« 1° Traitements ou suppléments de traitement aux instituteurs communaux ou à ceux qui en tiennent lieu ;

« 2° Subsides pour construction, réparation ou ameublement de maisons d’école ;

« 3° Subsides aux caisses de prévoyance en faveur des instituteurs ;

« 4° Bourses d’étude pour les aspirants-instituteurs ;

« 5° Dépenses résultant de l’inspection cantonale, de la tenue des conférences d’instituteurs et des concours. »


« Art. 20. Une partie du subside voté annuellement par la législature pour l’instruction primaire aura pour destination spéciale :

« 1° D’encourager l’établissement de salles d’asile, principalement dans les cités populeuses et dans les districts manufacturiers ;

« 2° De favoriser les écoles de dimanche pour les adultes ;

« 3° De propager les écoles connues sous le nom d’ateliers de charité et d’apprentissage.

« Le gouvernement s’assurera du concours des provinces et des communes pour obtenir les résultats que ces subsides ont pour objet. »

- Ces deux articles sont adoptés.

Article 21

« Art. 21. Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l’Etat, qu’autant qu’elle se conforme aux conditions de la présente loi.

« Le gouvernement, sur les rapports dont il est parlé aux articles 8 et 14 de la présente loi, s’assurera de l’exécution de ces conditions. »

M. le président - M. le ministre de l’intérieur a proposé une nouvelle rédaction de cet article ; elle est ainsi conçue :

« Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l’Etat, si l’autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime de la présente loi.

« Les infractions aux dispositions légales sont constatées soit par les inspecteurs civils, soit par les inspecteurs ecclésiastiques. Elles sont portées à la connaissance du gouvernement par les rapports dont il est parlé aux articles 8 et 14.

« Si ces rapports signalent des abus dans une école, le ministre de l’intérieur en informe l’administration dirigeant l’école, et use des moyens propres à amener l’exécution de la loi.

« Lorsque les abus constatés constituent la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat sont retirés par un arrête royal motivé inséré au Moniteur. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - M. le président, cet article se rattache à la question de nomination des instituteurs, et surtout à la question de suspension et de révocation. On est convenu de discuter ces dernières questions après le vote sur l’institution des écoles primaires, supérieures et des écoles normales, je propose de tenir également cet article en suspens.

- Cette proposition est adoptée. La chambre passe à la discussion de l’art. 22.

Article 22

« Art. 22. Les caisses de prévoyance actuellement existantes sont maintenues ; cette institution sera introduite dans les provinces et les localités où elles n’existent point.

« Il pourra être établi, par les soins du gouvernement, une caisse centrale de prévoyance en faveur des instituteurs urbains. »

- Cet article est adopté.

Paragraphe II. Moyens d’encouragement
Article 23

« Art. 23. Des bourses de 200 fr. chacune seront mises annuellement à la disposition du gouvernement pour être accordées à des jeunes gens peu favorisés de la fortune et qui font preuve d’aptitude, pour les aider a suivre les cours des écoles primaires supérieures ou normales. »

M. le président - M. le ministre de l’intérieur a présenté une disposition additionnelle ainsi conçue :

« Ces bourses pourront être continuées pendant deux années après la sortie des écoles normales, à des élèves-maîtres envoyés pour faire leur noviciat, soit comme assistant, soit commue instituteur dans les écoles normales. »

M. Lebeau. - Je ne m’oppose en aucune façon ni à l’article ni à la disposition additionnelle ; mais je voudrais seulement avoir de M. le ministre de l’intérieur une explication qui porte sur la rédaction.

Il arrive aujourd’hui que des instituteurs campagnards reçoivent des subsides pour venir, pendant un ou deux mois, suivre les cours des écoles normales dans les villes, Je voudrais saloir si l’on entend exclure ces instituteurs. Il est vrai qu’ici il s’agit de bourses et non de subsides, et je ne sais si l’on pourrait accorder des bourses de ce chef. Ces instituteurs sont obliges de venir rester quelque temps en ville où la vie est beaucoup plus chère qu’à la campagne ; je crois qu’il est utile de leur continuer les subsides. Je ne voudrais donc pas qu’ils fussent exclus.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ils ne doivent pas être exclus ; mais une bourse de 200 fr. serait trop. J’allais proposer de dire : des bourses de 200 fr. au plus. On pourra accorder dans les cas cités par l’honorable membre des demi-bourses et des quarts de bourse. L’article est évidemment mal rédigé.

M. Lebeau. - C’est qu’il y a dans l’article ces mots : « pourront être accordées à des jeunes gens peu favorisés de la fortune et qui font preuve d’aptitude, pour les aider à suivre les cours des écoles primaires supérieures ou normales. » Je demande si ces mots jeunes gens n’excluent pas les instituteurs ?

M. Dechamps, rapporteur. - Non.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On pourrait dire : à des jeunes gens ou à des instituteurs.

Quant à l’article additionnel, ii faudrait y faire un petit changement de rédaction, et remplacer les mots : des écoles normales par ceux-ci : de ces écoles. On ne cite dans cet article additionnel que les écoles normales, tandis que dans le premier § on parle non seulement des écoles normales, mais aussi des écoles primaires supérieures.

M. Cools. - J’approuve à tous égards la disposition additionnelle présentée par M. le ministre de l’intérieur, mais je crois que le terme de deux ans, assigné pour la continuation des bourses, ne suffit pas. Il est certain que la disposition est excellente pour introduire des élèves-instituteurs dans l’enseignement ; mais ces élèves-instituteurs ne parviendront pas toujours à être placés au bout de deux ans. L’idée de cet article est prise dans l’excellent ouvrage de M. Barrau ; eh bien ! M. Barrau propose une durée de cinq ans pour la continuation de ces bourses.

Si le nombre des jeunes gens qui parviennent à se placer n’est pas assez considérable, on diminuera l’admission des élèves aux écoles normales ; mais on ne pourra rien savoir de certain à cet égard après deux ans. Je propose donc de substituer au terme de deux années celui de quatre années. De sorte que l’article additionnel serait ainsi rédigé :

« Ces bourses pourront être continuées pendant quatre années après la sortie de ces écoles, à des élèves-maîtres envoyés pour faire leur noviciat, soit comme assistant, soit comme instituteur dans les écoles communales. »

M. Dechamps, rapporteur. - Messieurs, je ferai remarquer à l’honorable préopinant que ce système que renferme l’article additionnel de M. le ministre, et qu’il a approuvé comme je l’approuve pour ma part, a été pris dans des pays où il n’existait pas d’écoles normales, ou dans des pays où elles existaient d’une manière peu réelle, par exemple, en Autriche.

Autrefois en Hollande, au lieu d’écoles normales, on avait pris pour système de faire passer des candidats instituteurs, pendant un nombre d’années déterminé, comme sous-maîtres, sous-régents dans les écoles primaires existantes. C’était un moyen de remplacer l’institution des écoles normales.

Je pense que cette disposition, présentée par M. le ministre, a son degré d’utilité, mais qu’il ne faut pas adopter l’institution en son entier, comme elle existe dans les pays où il n’y a pas d’écoles normales. Je crois donc qu’un terme de deux ou trois ans suffirait amplement ici, où nous avons établi le système des écoles normales.

M. Cools. - Je ferai observer que la disposition n’est pas impérative, qu’elle laisse au gouvernement la faculté de continuer ou non ces bourses. Ainsi elle n’est nullement contraire aux observations de l’honorable M. Dechamps.

L’honorable M. Dechamps propose de substituer le terme de trois ans à celui de quatre ans que je propose. Je ne m’y oppose nullement ; je me rallie à cette proposition.

M. Dechamps - Je n’ai pas fait de proposition.

M. de Theux. – Il importe de bien se fixer sur le sens de la disposition. Il est bien entendu qu’il s’agit d’une simple faculté laissée au gouvernement, et non d’un titre dont pourraient se prévaloir les jeunes gens sortant des écoles normales. Je fais cette observation pour qu’il n’arrive pas en cette circonstance ce qui est arrivé avec les élèves des écoles spéciales des universités, qui se sont crus avoir un titre à obtenir un emploi en sortant de l’école. Il ne faut pas que les élèves sortant des écoles normales croient avoir un titre au subside de 200 fr.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On pourrait rédiger l’article comme suit :

« Ces bourses pourront après la sortie de ces écoles, être continuées pendant un temps qui n’excédera pas trois années à des élèves-maîtres envoyés pour faire leur noviciat, soit comme assistant, soit comme instituteur dans les écoles communales. »

M. Dechamps, rapporteur. - Il est bien entendu que ces bourses ou subsides pourront être accordés aux élèves qui auront suivi des cours normaux dans n’importe quel établissement normal.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, les expressions sont générales.

- L’article est adopté avec l’amendement de M. le ministre de l'intérieur.

Article 24

« Art. 24. Un concours aura lieu, chaque année, au chef-lieu de chaque canton, entre les élèves des écoles primaires du ressort devant un jury institué à cet effet.

« La participation à ce concours est obligatoire pour les établissements soumis au régime de la présente loi et facultative pour les écoles privées.

« Une bourse pourra être accordée par le conseil provincial à celui des élèves qui, peu favorisé de la fortune, aura subi les épreuves du concours avec le plus de distinction. »

M. le président - M. le ministre de l’intérieur a proposé de rédiger ainsi le § 1er :

« Des concours pourront être institués, soit par ressort d’inspection, soit par canton, en réunissant les écoles indistinctement ou en séparant celles des villes d’avec celles des campagnes, »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, le projet dans la première rédaction, considère l’institution d’un concours comme obligatoire, pour chaque année, d’une manière absolue ; de plus les concours devaient se faire par canton, et l’on ne prévoyait pas la distinction très importante et très réelle entre les écoles des campagnes et les écoles des villes. Je crois qu’il faut prévoir cette distinction. Là où il existe des concours pour l’instruction primaire, il y a des concours séparés pour les écoles des campagnes et des concours séparés pour les écoles des villes ; généralement c’est ainsi que cela se pratique.

Je pense en second lieu qu’il ne faut pas dire d’une manière absolue que la loi, qu’il y aura nécessairement des concours et qu’il y en aura chaque année ; je pense qu’il faut laisser cela à décider. Les députations consulteront les habitudes des localités et les besoins de l’enseignement.

Voilà, messieurs, les motifs qui m’ont engagé à proposer une nouvelle rédaction ; j’ai reçu un grand nombre de renseignements, un grand nombre d’observations, et j’y ai puisé la conviction que la première disposition était rédigée d’une manière trop absolue.

M. Lebeau. - Je demanderai, messieurs, si c’est à dessein qu’on n’a pas parlé de concours entre les instituteurs. Je sais que dans plusieurs provinces (et la chambre peut consulter à cet égard le rapport de M. le ministre de l’intérieur), je sais que dans plusieurs provinces on a établi des concours de ce genre, non seulement entre les élèves, mais aussi entre les instituteurs,

Je n’ai pas assez réfléchi sur cette question toute spéciale, pour savoir quel est le degré d’utilité de ces concours ; cependant je dois supposer que l’utilité en a été reconnue, puisqu’on les a établis dans plusieurs provinces. Or, j’ai quelques doutes sur la question de savoir si ces concours pourront continuer à exister en présence de la loi. Je désirerais savoir si c’est à dessein qu’on a omis de parler des concours entre les instituteurs.

Je ferai une autre observation sur l’art. 24 ; c’est que le dernier paragraphe me paraît complètement inutile et même tout à fait insolite. Je ne conçois pas, en effet, que l’on dise dans une loi que les conseils provinciaux pourront faire ce qu’ils peuvent faire envers des pouvoirs qui leur sont propres. Je ne vois aucune utilité à mettre dans la loi : « Une bourse pourra être accordée par le conseil provincial à celui des élèves qui, peu favorisé de la fortune, aura subi les épreuves du concours avec le plus de distinction. » Le conseil provincial peut très bien faire cela sans que la loi le dise.

Quoi qu’il en soit, le but principal de mon observation, c’est de savoir pourquoi l’on n’a pas parlé des concours entre les instituteurs.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - En effet, messieurs, il n’est question ici que de concours entre les élèves des écoles primaires ; l’article ne parle pas de concours entre les instituteurs, mais ces concours il ne les exclut pas. La loi garde le silence à cet égard comme elle garde le silence sur la plupart des principes d’organisation des écoles normales. Or ceci se rattache à l’organisation des écoles normales, et la question pourra dès lors être examinée à l’occasion de l’art. 30, qui s’occupe de ces écoles. Nous pourrons voir alors s’il est nécessaire de dire formellement dans la loi qu’il peut y avoir des concours pour les élèves instituteurs dans les écoles normales, concours auxquels les instituteurs pourraient prendre part dans certaines conditions à déterminer. Quant à moi, je ne pense pas qu’il faille le dire. Si l’on veut parler de concours entre les instituteurs, on sera amené à insérer dans la loi un grand nombre de principes sur l’organisation des écoles normales, principes que l’on n’a voulu insérer ni dans le projet de 1834, ni dans le projet actuel.

M. de Mérode. - Messieurs, les instituteurs dans les écoles primaires remplissent des fonctions modestes, et il ne faut pas trop exciter l’ambition parmi cette classe d’hommes si utiles à la société. L’enseignement primaire n’est pas destiné comme l’enseignement moyen et l’enseignement supérieur faire faire des progrès aux sciences, aux arts, à tout ce que nous devons pousser aussi loin que possible. L’enseignement primaire est, après tout, à une affaire de bonne volonté ; l’instituteur qui s’y dévoue sera souvent meilleur que celui qui en saura plus que lui et qui aura plus d’ambition, plus d’orgueil et moins de dévouement. Quant à moi, je n’aime pas qu’on exalte ainsi toutes les classes de la société. Déjà l’ambition est beaucoup trop répandue, et il en résulte un grand mal, il en résulte qu’une foule de personnes ne trouvent pas leur position conforme à leurs désirs, et se rendent ainsi malheureuses.

Que l’on cherche à rendre l’enseignement primaire tel qu’il doit être, que l’on enseigne à lire, à écrire, à calculer, des éléments de grammaire et de géographie ; certes c’est là le devoir du gouvernement, mais il ne faut pas aller au-delà.

Je pense, messieurs, que les concours entre les instituteurs ne peuvent avoir pour résultat que d’exciter trop fortement leur ambition, et il me semble dès lors qu’il faut y renoncer.

M. Lebeau. - J’ai fait observer à M. le ministre que le dernier paragraphe de l’article me semblait insolite.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je conviens que ce paragraphe peut paraître insolite. Cependant je crois qu’il n’est pas mal d’insérer dans la loi cette espèce de principe. C’est d’ailleurs une sorte de conseil donné aux autorités provinciales.

M. Lebeau. - Mais alors il faudrait mettre : les bourses et non pas se borner à une seule bourse.

M. de Theux. - Je crois qu’il ne s’agit pas d’une bourse par province, mais d’une bourse par canton.

M. Lebeau. - Alors soit je n’insisterai pas.

- L’article est mis aux voix et adopté.

Articles 25 à 27

« Art. 25. Le jury d’examen est composé de l’inspecteur cantonal, de deux membres désignés par la députation permanente du conseil provincial, d’un membre désigné par l’inspecteur général, et d’un délégué du chef du culte professé par la majorité des habitants. »

- Adopté.


« Art. 26. Les concurrents sont examinés en ce qui concerne l’instruction morale et religieuse, par un ministre de la communion à laquelle ils appartiennent. »

- Adopté.


« Art. 27. Un règlement préparé par l’inspecteur provincial et arrêté par la députation permanente du conseil provincial fixera les matière d’examen et déterminera le mode et la durée des concours ainsi que l’époque à laquelle ils auront lieu. »

- Adopté.

Titre IV. Des écoles primaires supérieures et des écoles normales

Paragraphe premier. Des écoles primaires supérieures
Article 28

« Art. 28. Les écoles modèles du gouvernement actuellement existantes sont maintenues.

« Elles porteront le titre d’écoles primaires supérieures.

« Le gouvernement veillera ce que des cours de pédagogie y soient donnés, spécialement aux époques des vacances.

« Le gouvernement pourra, avec le concours des communes, sur l’avis de la députation permanente du conseil provincial, créer des écoles primaires supérieures dans les localités où le besoin s’en fera sentir.

« Toutefois les arrangements à intervenir à cet effet, ne recevront leur exécution qu’après le vote législatif de la part contributive de l’Etat. »

M. le président. - M. Rogier a proposé l’amendement suivant :

« Art. 28 §§ 1 et 2. Des écoles primaires modèles (ou supérieures) seront fondées aux frais du gouvernement dans toutes les provinces ; il pourra en être établi une dans chaque arrondissement judiciaire. Elles seront placées, de préférence, toutes choses égales d’ailleurs, dans les communes qui offriront de fournir un local convenablement disposé. (Art. 16 du projet de loi de 1834.)

« Le gouvernement veillera, etc.» (Le reste comme au § 3.)

M. Rogier. - Messieurs, l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer n’est que la reproduction de l’art. 16 du projet présenté en 1834 ; je crois qu’il me sera facile de démontrer l’utilité de cet amendement.

Jusqu’ici, messieurs, la loi que nous discutons, a fait une part bien minime à l’Etat ; je ne sais quelle sera la part du gouvernement dans la nomination des instituteurs en général ; les articles qui concernent cette nomination sont encore à faire ; mais il s’agit de savoir quelle sera la part du gouvernement dans les institutions elles-mêmes, à combien d’institutions le gouvernement pourra présider directement, sans l’intermédiaire des communes ? Dans le projet de 1834 on laissait au gouvernement la faculté d’établir une école primaire supérieure dans chaque arrondissement judiciaire. Pour le nombre d’arrondissement judiciaires actuellement existants, ce seraient 26 écoles primaires supérieures.

Le projet présenté par M. le ministre de l’intérieur et par la section centrale maintiendrait en principe les 8 écoles primaires supérieures qui existent aujourd’hui, laisserait au gouvernement la faculté d’en établir successivement là où le besoin s’en ferait sentir, mais moyennant le vote législatif du crédit nécessaire à cet effet.

Dans mon système, au contraire, le nombre des écoles primaires supérieures serait fixé en principe à 26 ; et on laisserait au gouvernement la faculté de les établir, sans être subordonné au vote du budget.

Les villes qui aujourd’hui possèdent une école primaire supérieure sont : Bruxelles, Louvain, Anvers, Malines, Mons, Tournay Namur et Gand ; de manière que les provinces de Liège, de Limbourg, du Luxembourg et de la Flandre occidentale se trouvent privées d’écoles primaires supérieures établies par les soins et sous la direction du gouvernement.

L’objection principale qui a été faite, dans le cours de la discussion, contre cette proposition est tirée des dépenses que l’établissement de ces 26 écoles primaires supérieures occasionnerait au trésor public.

J’ai déjà eu occasion de faire remarquer que cette dépense ne serait nullement considérable, si l’on a égard surtout à l’utilité qui doit résulter de ces établissements.

D’ailleurs, nous faisons une loi d’instruction primaire. Cette loi doit consacrer l’établissement de diverses institutions ; il est évident que de ces diverses institutions doivent résulter des dépensées pour l’Etat.

D’après le tableau des allocations fournies aux écoles primaires actuelles, les sommes dépensées par le trésor pour l’entretien de ces écoles s’élèvent à 18,600 francs, ce qui ne fait pas plus de 2,300 francs par école. En supposant que cette somme fût portée à 3,000 francs, nous aurions à dépenser sur le budget de l’Etat, pour les 26 écoles primaires supérieures, une somme de 78,000 francs.

Je ne pense pas que cette dépense soit de nature à arrêter la chambre. Je ferai observer que déjà il est dépensé, chaque année, sur le budget de l’Etat au-delà de 200,000 francs en subsides individuels. Par les principes nouveaux qui sont introduits dans la loi, et qui mettent la dépense de l’enseignement primaire à la charge des communes, et à leur défaut à la charge des provinces, les charges de l’Etat devront probablement être diminuées. Dans tous les cas, il serait beaucoup plus utile d’entretenir 26 écoles supérieures du gouvernement sur un très bon pied, que de répartir toute l’allocation entre un certain nombre d’instituteurs. Je ne veux pas qu’on retire aux instituteurs les allocations dont ils jouissent, mars je ne voudrais pas non plus que ces allocations, réparties en petites sommes entre un très grand nombre d’instituteurs empêchassent le gouvernement d’avoir sous sa direction des institutions où l’enseignement primaire pût toujours se tenir à la hauteur de la civilisation et des besoins de la société.

Des écoles primaires supérieures de ce genre existent dans tous les pays. En France, il est établi que tout chef-lieu de département et toute ville de 6,000 âmes doit avoir une école primaire supérieure. En Autriche, chaque district a son école primaire supérieure. En Prusse, chaque ville de 10,000 âmes doit nécessairement avoir son école primaire supérieure, qui s’appelle école bourgeoise ; mais un grand nombre de ville de moindre importance y ont également leur école primaire supérieure, tellement que, d’après. le rapport de M. Cousin, on compte en Prusse 823 écoles de ce genre. S’il existe 823 écoles semblables en Prusse, on peut, je crois, en créer 26 en Belgique, sans être taxé d’exagération.

Messieurs, je me réserve de revenir sur la défense de l’amendement, s’il est attaqué. Je me bornerai pour le moment à ces premiers développements, et je ferai observer que l’article n’est que la reproduction de celui qui était proposé dans le projet de 1834.

- L’amendement est appuyé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il faut d’abord nous rendre compte de la différence que présente l’amendement avec la proposition qui vous est faite.

Il n’est pas dit dans l’amendement qu’il y aura nécessairement une école primaire supérieure par arrondissement judiciaire ; il est dit simplement qu’il peut y avoir une école de ce genre par arrondissement judiciaire.

Le projet qui vous est soumis, messieurs, laisse la même latitude. Là, n’est donc pas la différence ; la différence porte sur une question que je pourrais nommer une question d’imputation financière.

Les frais des écoles primaires supérieures seront-ils entièrement à la charge du trésor public ? ou bien, cette dépense sera-t-elle supportée concurremment par l’Etat et par les communes ?

L’honorable préopinant pense, et c’est sur ce point qu’il faut concentrer toute la question, pour qu’elle constitue la différence essentielle entre les deux propositions ; l’honorable membre pense que, pour assurer une plus grande action au gouvernement, il faut que les frais de ces institutions soient entièrement imputés sur le trésor public ; moi, messieurs, je persiste à croire que l’action du gouvernement sera suffisante, en laissant imputer les dépenses de ces institutions concurremment sur le trésor public et sur les caisses communales.

Je vais d’abord donner quelques renseignements sur les écoles modèles existantes, que nous maintenons.

Nous avons aujourd’hui huit écoles modèles. Elles existent respectivement à Anvers, Malines, Bruxelles, Louvain, Gand, Mons, Tournay et Namur ; quatre provinces n’ont point en ce moment d’écoles modèles ; ce sont les provinces de la Flandre occidentale, du Limbourg, du Luxembourg et de Liège.

Les 8 écoles modèles existantes coûtaient à l’Etat, savoir (a) avant 1830 ; (b) en 1840

Anvers, (a) 1,693 12 (b) 1,800

Malines, (a) 1,798 .94 (b) 2,632

Bruxelles (a) 2,116 64 (b) 2,320

Louvain, (a) 1,693 72 (b) 1,906

Gand, (a) 1,693 72 (b) 1,972

Mons, (a) 1,693 12 (b) 2,072

Tournay, (a) 2,010 58 (b) 2,964

Namur, (a) 2,952 96 (b) 3,000

Ensemble, (a) 15,661 60 (b) 18,666

Ainsi, terme moyen, une école modèle coûtait à l’Etat fr. 1,957-70

En 1840 elle coûtait fr. 2,333-33.

Peut-on en induire que si d’autres écoles modèles étaient fondées, elles ne coûteraient pas davantage ?

Pour en juger, ce n’est pas la part contributive de l’Etat dans la dépense des écoles modèles qu’il faut examiner, c’est le budget même des dépenses, ou si l’on veut des besoins annuels de ces institutions. Ces établissements ont d’autres ressources que les sommes que leur fournit le trésor public ; ces ressources consistent principalement dans les rétributions des élèves.

J’entends dire qu’on aura les mêmes ressources pour les mêmes écoles, c’est précisément ce que nous examinerons.

Voici les chiffres de leurs budgets des dépenses pour 1842 :

Anvers, 13,200

Malines, 6,508 28

Bruxelles, 15,912 69

Louvain, 5,472

Gand, 8,466 59

Mons, 5,582

Tournay, 7,002

Namur, 3,261 62

Ensemble, 65,405 18

Vous voyez que chaque école, par ses propres ressources, couvre les trois quarts de ses dépenses. Celle de Bruxelles couvre par elle-même près des 7/8 de ses dépenses ; celle d’Anvers, les 10/11. Mais ces écoles sont établies dans des villes riches et populeuses. En sera-t-il de même dans les localités où il reste à établir des écoles ? Sauf pour les villes de Liége et de Verriers, je ne le pense pas. Partout ailleurs vous n’aurez pas les mêmes ressources que dans les villes que je vous ai énumérées. La preuve, vous l’avez dans la ville de Namur, qui a un budget réel de 3,361 fr. Il a fallu que l’Etat augmentât sa part contributive et la portât à 3,000 fr. Sans quoi l’école de Namur n’aurait pas su subsister ; c’est-à-dire qu’en dehors de la part contributive de l’Etat, il ne reste plus que 261 fr., en un mot l’école de Namur n’a pas trouvé les ressources que les autres établissements ont trouvées dans les rétributions individuelles. Cette école est très incomplète en ce moment, son budget de 3,261 f,. étant évidemment insuffisant.

Ainsi, l’on s’est trompé, en supposant qu’on établirait des écoles modèles, ou écoles primaires supérieures, dans les chefs-lieux d’arrondissement où il n’y en a pas, ou dans d’autres localités, en imposant à l’Etat une part contributive égale à la moyenne des frais que 1’Etat supporte maintenant dans l’un des huit établissements qui existent déjà. Il est évident que l’Etat, si les dépenses étaient exclusivement à sa charge, serait forcé de faire des frais beaucoup plus considérables. En un mot, sauf Liége et quelques autres villes, vous ne trouverez pas dans les villes où l’on manque d’écoles-modèles des ressources qu’on a trouvées à Gand, Bruxelles, Anvers, Louvain, Mons et Tournay. La plupart des écoles-modèles qui restent à établir devraient être placées sur la même ligne que l’école-modèle de Namur, dont à l’heure qu’il est il l’Etat doit faire à peu près tous les frais ; et cette école de Namur, je le répète, est très incomplète. Il y a 26 arrondissements judiciaires dans le pays. Il existe 8 écoles-modèles. Il resterait donc 18 écoles-modèles à établir. Je n’hésite pas à déclarer que ces écoles-modèles exigeraient en moyenne une dépense de 10 ou 12,000 fr. Faut-il maintenant mettre cette dépense exclusivement à la charge de l’Etat ? Les écoles primaires supérieures forment en quelque sorte un degré intermédiaire entre les écoles primaires et les établissements d’enseignement moyen. Les collèges et les athénées ne sont pas exclusivement à la charge de l’Etat. Pourquoi les écoles primaires supérieures, qui forment un degré intermédiaire, seraient-elles exclusivement à la charge de l’Etat ? Je vous avoue que je ne puis comprendre pourquoi les communes où il y a un établissement qualifié d’école primaire supérieure, ne contribueraient pas aux dépenses de cet établissement, tandis que les autres communes où il y a des établissements d’enseignement moyen, qualifiés de collèges et d’athénées, doivent supporter la majeure partie des dépenses.

M. Delfosse. - Il n’y a pas de loi sur l’enseignement moyen.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non, il n’y a pas de loi sur l’enseignement moyen. Mais je n’hésite pas à dire que quand on discutera cette loi, personne ne proposera qu’on mette exclusivement à la charge de l’Etat les dépenses des collèges et des athénées. Je dis exclusivement ; j’entends parler des traitements et des frais d’administration. Je sais très bien qu’on n’y comprend pas les locaux. Et voyez quelles tentations vous ferez naître dans le pays. Il y a en ce moment 28 établissements subsidiés par l’Etat. Il y en a plusieurs situés au chef-lieu de l’arrondissement judiciaire. Eh bien, ces villes seraient dispensées de contribuer aux frais de ces établissements, parce qu’ils renonceraient au titre de collège ou d’athénée, parce qu’on les transformeraient en écoles primaires supérieures. On se bornerait pour cela à supprimer les cours de langues anciennes. Vous auriez alors une école primaire supérieure.

M. Rogier. - Vous auriez la faculté de ne pas accepter.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous aurions la faculté de ne pas accepter, mais il est évident que ces propositions seraient faites. Il y a plus : je suis convaincu que beaucoup d’établissements décorés du titre de collège ou d’athénée ne sont que des écoles primaires supérieures pour la plupart des élèves. On y donne des cours de langues anciennes, mais pour un très petit nombre. Ce qui le prouve, c’est que depuis que la discussion est ouverte sur ce projet de loi, plusieurs localités où il existe des collèges, ou bien qui se proposaient d’en établir, se sont adresses au gouvernement pour demander que ces établissements portent le titre d’école primaire supérieure. Je pourrais, à l’instant, vous citer un exemple. Marche, qui se proposait d’établir un collège, se bornera probablement à établir une école primaire supérieure.

Si cette ville avait persisté dans son projet d’établir un collège, la majeure partie des dépenses eût été à sa charge. Mais si elle établit une école primaire secondaire, ainsi que le propose l’honorable M. Rogier, il se trouvera qu’elle n’aura plus à fournir qu’un local. Je demande pourquoi cette différence.

Je pourrais citer d’autres localités où l’administration communale, reconnaissant qu’une école primaire supérieure suffisait, a demandé à transformer le collège en école primaire supérieure.

Je pense donc qu’il n’y a aucune raison de mettre à la charge de l’Etat seul tous les frais des écoles primaires supérieures. Je crois que l’Etat aura une action suffisante, même lorsque le trésor ne contribuerait que pour une part dans l’établissement de ces écoles. La position est la même que pour les établissements d’enseignement moyen ; or, personne ne proposerait de mettre l’enseignement moyen à la charge de l’Etat.

La question est maintenant bien précisée ; nous la discuterons. Je crois qu’il n’y a pas lieu d’adopter l’amendement ; je crois que le gouvernement aura une action suffisante, même sans la nomination directe et exclusive des instituteurs de ces écoles.

M. de Mérode. - Je désire présenter à l’assemblée quelques observations d’ensemble sur le titre 4, qui traite des écoles normales, et que je considère comme la partie la plus importante de la loi, puisque des écoles normales dépendra particulièrement la direction morale de l’éducation primaire.

Un honorable préopinant vient de nous dire, que nous avions fait jusqu’ici une faible part à l’Etat dans les dispositions déjà adoptées. Un autre nous disait, dans une des dernières séances, que le gouvernement devait être maître chez lui. Messieurs, à propos d’éducation, le gouvernement n’est pas chez lui, il est dans la famille, et c’est là constamment l’erreur que l’on commet, quand on représente le gouvernement agissant sur la jeunesse comme dans l’administration des finances, de la guerre, des travaux publics. Là le gouvernement est véritablement chez lui, mais il est hors de chez lui, il se place chez les parents qui sont après tout les contribuables, lorsqu’il paye avec les deniers publics l’école. En bonne justice ce sont donc des écoles catholiques qu’il doit ériger, sauf quelques exceptions partielles. Et comment établir des écoles catholiques sans le concours du clergé, sans l’accord parfait avec lui sur la direction de l’enseignement qui formera les jeunes gens chargés plus tard d’instruire les autres. Ce que j’avance est d’autant plus fondé que l’on a déclaré de toute part que pour l’intérêt social même il faut que l’éducation primaire soit morale et religieuse.

Messieurs, on ne saurait trop insister sur la différence que je viens de faire ressortir de nouveau, à savoir que l’Etat est dans une situation toute autre quant à la direction qu’il peut exercer sur l’éducation ou celle qui lui appartient dans la sphère administrative matérielle pour laquelle sa compétence est logiquement motivée.

Qu’on y réfléchisse sérieusement et l’on verra combien il est peu conforme à la raison de livrer à un gouvernement sans doctrine morale et religieuse obligatoire et reconnue par la loi politique, de lui livrer, dis-je, ce qu’il y a de plus précieux au foyer domestique du père de famille, ses enfants. Messieurs, il est tel commune voisine de la capitale qui a un bourgmestre appartenant au culte juif, autant il est simple et naturel que ce magistrat comme tout autre dirige les affaires matérielles de la commune, autant il serait singulier de lui voir régir l’éducation d’une population catholique.

L’on me dira qu’aucun père de famille n’est forcé d’envoyer ses enfants aux écoles publiques, mais peut-on considérer comme juste une organisation telle des écoles soldées aux frais du public, que la majorité des contribuables ne puissent en profiter avec une véritable sécurité ? Déjà dans l’enseignement supérieur, les parents n’obtiennent cette sécurité que bien imparfaitement, ce qui a motivé la fondation de l’université de Louvain, de sorte qu’après avoir payé les frais d’une instruction dirigée par le gouvernement, les parents catholiques réfléchis sont obligés d’en soutenir une autre pour leur propre compte, ce qui devient une charge double et énorme pour eux. Si cette charge se reproduit dans tous les degrés de l’éducation, même dans l’éducation primaire, elle devient intolérable.

Après tout, messieurs, y a-t-il une autorité civile quelconque depuis le ministre de l’intérieur jusqu’au bourgmestre d’une commune rurale, qui puisse organiser l’éducation morale et religieuse des écoles primaires, comme l’évêque du diocèse et les curés des paroisses ? Je conçois jusqu’à un certain point qu’on n’ait pas confiance absolue dans la capacité scientifique du clergé à l’égard du haut enseignement. Mais quant aux école populaires où il s’agit d’une instruction simple, de la lecture, de l’écriture, de la grammaire, du calcul, des éléments et de géographie, comment douter que les ecclésiastiques qui tous ont dû faire leurs classes et connaître la langue latine, ne soient pas assez instruits pour s’occuper en meilleure connaissance de cause des écoles primaires que la plupart des officiers de l’ordre laïque auxquels on voudrait confier ce soin. Ce que je dis en ce qui concerne le but purement instructif, s’applique avec infiniment plus de raison au but moral et religieux de l’école, bien plus difficile à atteindre que le premier, et plus essentiel assurément. Donner dans une école quelconque, à l’aide d’un livre, l’enseignement religieux est peut-être une tâche aisée. Avec un catéchisme qu’il fera apprendre et répéter aux élèves, tout pédagogue doué de quelqu’intelligence, satisfera à la lettre de ce devoir. Mais pour le remplir selon son esprit, et par suite agir avec efficacité et par l’exemple sur le cœur des enfants, il faut s’y livrer avec amour, avec conviction, avec dévouement. On peut comme métier donner les leçons de lecture, de grammaire et de calcul, inculquer la religion et la morale qui les commande, c’est une mission sainte pour laquelle il faut avoir été formé avec un soin tout particulier, et par ceux qui ont le caractère propre à communiquer cette pieuse mission. Or je ne reconnais ce caractère ni aux chefs des départements ministériels ni aux gouverneurs de provinces ni aux bourgmestres. Je ne les reconnais pas davantage aux conseils provinciaux ou communaux, que l’élection modifie selon le plus ou moins de tactique d’adresse, et quelquefois de violence des partis.

Je le trouve chez les ministres de la religion, sous leur direction seule, on peut espérer, obtenir des maîtres capables d’éluer la jeunesse pour fréquenter les écoles primaires, conformément à des principes solides de moralité religieuse, Pour se convaincre de la vérité de ce que j’avance, il suffit de considérer les faits. Examinons de bonne foi les écoles normales, déjà crées par les évêques en Belgique, et les écoles normales fondées en France par le gouvernement, vous verrez quelle différence il existe entre elles, quant aux sujets qu’elles fournissent à l’éducation primaire. M. Barraut inspecteur de l’université, cité par M. Dechamps dans son rapport, a signalé les fruits que produisent les écoles normales de l’Etat, qu’on leur compare les sujets sortis, soit du noviciat des frères des écoles chrétiennes, soit des établissements formés par les évêques. Et la prééminence sera bientôt assignée ; je n’attaque pas d’ailleurs l’honnêteté des instituteurs façonnés, sous la direction du pouvoir civil, ils peuvent devenir d’estimables pères de famille, de bons employés de l’administration financière ou autre ; mais quant au zèle religieux et moral, convenable pour tourner sérieusement vers Dieu et son culte, le cœur dès l’enfance, je ne crains pas (sauf rare exception), de dire qu’ils ne le possèdent et ne le posséderont point ; car messieurs, c’est là une tache difficile, et si difficile, que les pasteurs les plus éclairés des âmes ne s’exécutent qu’imparfaitement.

On demande quelquefois quel sera le contrepoids du clergé, si on lui donne une large influence dans l’éducation primaire. Eh ! mon Dieu, le contrepoids bien lourd est celui des vices qui assiègent l’homme depuis sa naissance jusqu’à sa mort. L’élève quittant les bancs des institutions chrétiennes, ne trouve-t-il point à chaque pas les mauvais livres, les mauvais écrits périodiques, les lieux de dépravation qui le portent à secouer le joug salutaire, qu’on a cherché à lui imposer. L’église n’a rien de séduisant, pour les passions et la gène qu’elle leur cause est d’un grand effet dans la balance contre le bien, tandis qu’un attrait funeste favorise le mal en tant d’occasions.

On a signalé dans cette enceinte et ailleurs le clergé comme un corps privilégié, en vérité, je cherche en vain quels sont ses privilèges ; est-ce celui de correspondre avec Rome, mais c’est un droit qu’ont tous les citoyens Belges catholiques, ce n’est pas là une attribution exclusive du clergé, c’est le droit de chacun. Est-ce l’obligation de vivre dans le célibat, de se séquestrer des bruyants plaisirs du monde, de veiller au chevet des mourants pour les aider au passage du temps, à l’éternité, de fréquenter les hôpitaux et les chaumières ; mais si ces privilèges sont si attrayants, pourquoi donc la carrière ecclésiastique n’est-elle pas encombrée comme toutes les carrières civiles ? Pourquoi ceux qui s’y consacrent sont-ils à peine en proportion des strictes nécessités du culte divin ?

Ah ! Messieurs, malgré les minces torts, qu’on peut reprocher à un petit nombre de membres du clergé, y a-t-il un corps plus utile même au monde matériel que celui-ci ? A qui devez-vous la civilisation dont vous jouissez et dont vous êtes si fiers ? Aux premiers missionnaires du christianisme, à ceux que l’église a élevés au rang des saints et qui ont transformé les tribus de nos grossiers ancêtres en nation capable de cultiver le sol et les arts et d’élever de nobles édifices que vous admirez encore de nos jours.

Voulez-vous conserver cette civilisation vraiment progressive, voulez-vous une éducation primaire véritablement morale et religieuse, faites à l’Eglise la plus large part dans les établissements subsidiées par les deniers des contribuables. Nos ancêtres avaient doté le clergé de biens-fonds, ils ont été remplacés par des traitements portés au budget, n’est-ce pas une ridicule contradiction de maintenir l’église catholique d’une part, et de la miner de l’autre par l’éducation primaire dépourvue de véritables garanties concernant la morale religieuse fondée sur la foi des populations belges, qui est la foi catholique. Que si l’on n’a pas établi constitutionnellement de religion d’Etat, ce n’était point pour affaiblir les conséquences d’un fait si important, mats plutôt afin d’empêcher les usurpations du pouvoir politique, usurpations dont trop de princes ont donné l’exemple, en minant ainsi leur trône par un orgueil insensé.

Je ne suis pas surpris que des hommes plus ou moins concentrés dans la vie présente et les affaires de ce monde, ne se soumettent pas aux exercices religieux et aux pratiques auxquelles obéissent ceux qui acceptent docilement le joug qu’elles imposent ; mais je m’étonne de voir à notre époque surtout, redouter l’influence ecclésiastique dans les écoles et ne la mesurer au prêtre qu’avec une défiante parcimonie ; car, je le dis de nouveau, quelqu’effort que fasse le clergé le plus dévoué à ses obligations, il n’inspirera jamais aux jeunes gens du siècle trop de crainte de manquer à leurs devoirs envers Dieu, envers le prochain, envers eux-mêmes. Dans l’atmosphère actuel s’éteindra toujours assez l’effet des leçons données avec le zèle le plus persévérant.

La meilleure manière d’organiser à bon marché et bien en même temps, l’enseignement primaire, serait de fournir aux évêques des subsides pour établir des écoles normales dont les élèves devenus instituteur, verraient leur travail soumis aux inspections des agents de l’autorité civile chargés de visiter les écoles locales et de s’assurer si les objets qui constituent la matière de l’enseignement civil sont convenablement traités par les maîtres. Tout autre procédé entraînera des complications, coûtera plus cher à l’Etat. Déjà surchargé de dépenses et produira de moins bons effets, s’il n’en produit pas de mauvais.

Bien des pères de famille, peu pratiquants en religion, livrent de préférence leurs propres enfants aux soins des établissements dirigés par le clergé, mais quand il s’agit d’enfants d’autrui, des enfants du peuple, qui ne les intéressent pas directement, ces mêmes personnes se laissent dominer par le respect humain, par la crainte d’être classés parmi les gens soumis au pouvoir clérical, parmi les esprits faibles, dits rétrogrades, qui tâchent en effet de ramener la société aux doctrines qui l’éloignent d’un triste progrès vers le mal. L’intimidation, les clameurs de haro les retiennent ; et ce qu’ils veulent pour leurs familles, ils n’osent le vouloir pour les autres.

Il existe enfin des opinions hostiles à toute religion positive ; eh bien, pour celles-là suffit la liberté de l’enseignement. Que ceux qui ont de telles opinions s’unissent, qu’ils fondent des écoles selon leurs principes et n’envoient pas leurs enfants aux écoles communales subsidiées, mais sur tout point de mensonge, dans la loi et dans la bouche du législateur qui la promulgue. S’il veut que l’école primaire subsidiée des deniers publics soit généralement, en Belgique, religieusement morale, il doit vouloir qu’elle soit catholique, sauf les exceptions qu’exigeraient quelques populations de communes mixtes ; or, l’autorité laïque ne procurera ni l’éducation catholique, ni l’éducation protestante, forte, sincère. Rien de plus certain.

En résumé, je désire que les écoles normales, si on juge nécessaire d’en établir, soient dirigées par le clergé et surveillées par le gouvernement, au lieu d’établir les choses en sens inverse.

Si j’avais pu, j’aurais choisi une meilleure occasion pour présenter mes observations, mais c’était impossible, puisqu’il s’agit ici des écoles normales, que tout le titre s’applique à elles, que toutes les dispositions du projet se lient, et que c’est en commençant qu’on doit donner les motifs pour la bonne organisation de ces écoles.

(M. le président a interrompu M. de Mérode au commencement de ce discours et lui a fait observer qu’il s’appliquait plutôt à l’art. 31 du titre IV, qu’à l’art. 28. M. de Mérode ayant rappelé qu’un malheur survenu dans sa famille l’avait empêché de prendre part à la discussion générale, M. le président, avec l’assentiment de la chambre a ouvert la discussion sur l’ensemble du titre IV.)

M. Devaux. - Comme l’a fait remarquer M. le président, ces observations ne se rapportent guère à la discussion déjà commencée sur l’art. 28. Mais je ne puis laisser passer sans quelques mots de réponse, les principes posés par l’honorable préopinant. Ainsi qu’il l’a dit lui-même en commençant, le discours que vous venez d’entendre était plutôt destiné à la discussion générale qui a précédée le vote des dispositions déjà adoptées, car les articles adoptés doivent être de nature à contenter l’honorable orateur. S’il en était autrement, ses exigences, il faut l’avouer, seraient très grandes.

D’après les principes qu’il vient d’exposer, l’autorité civile serait absolument incompétente en matière d’instruction. Je ne sais pas pourquoi il se restreint à l’instruction primaire, si c’est à cause de l’influence que cette instruction exerce sur la société ; l’enseignement moyen et l’enseignement supérieur ont sur la société une action plus puissante que l’enseignement primaire. Si l’honorable membre veut remettre d’une manière absolue l’enseignement primaire au clergé, pour être conséquent il devra exiger pour l’enseignement moyen et l’enseignement supérieur, déclarer le gouvernement incompétent en matière d’enseignement moyen et supérieur.

Je l’ai entendu invoquer les droits de la majorité du pays et dire à la minorité qu’elle a pour elle les écoles libres ; que la majorité veut que ses écoles soient soumises au clergé. Mais qu’est-ce donc que le pouvoir civil qui exerce dans les écoles la faible part d’autorité qu’on lui a laissée ? n’est-ce pas le pouvoir de la majorité. L’autorité communale, c’est l’élue de la majorité, l’autorité provinciale, c’est l’élue de la majorité, l’autorité des chambres est encore l’élue de la majorité ; le ministère est un pouvoir central par la majorité des chambres élues elles-mêmes par la majorité. Ce langage est étrange ; on invoque donc ici une autre majorité que la majorité légale du pays ; imitant la Gazette de France, on parle au nom d’une prétendue majorité en dehors des lois et de la constitution ; et la majorité légale est traitée de minorité, on excite contre elle des défiances.

Où est donc la majorité dont vous parlez ? si cette majorité dont vous vous dites les organes existe légalement, elle sera représentée dans les institutions ; si elle ne l’est pas, c’est qu’elle est minorité.

Les conséquences qu’on pourrait tirer de ces principes, prenez-y garde, iraient loin, elles seraient en opposition avec toutes nos lois.

Si le pouvoir civil exerce sa part d’influence dans l’enseignement primaire, il sera contrôlé par la majorité légale.

Si vous êtes cette majorité le pouvoir civil sera votre organe. Si vous êtes minorité, je pourrai vous dire comme vous le faisiez tout à l’heure : vous avez la liberté d’enseignement qui est fait pour les minorités. Mais je le ne dirai pas, parce que je ne veux pas exclure à ce point l’influence de votre opinion dans les écoles. Je ne veux pas dans les écoles de l’autorité civile, le triomphe de l’une sur l’autre, je veux que toutes deux puissent s’en contenter, qu’aucune n’ait à s’en plaindre.

Je ne pousserai pas plus loin cette discussion. Nous avons dans ce moment a nous occuper de la discussion de l’article, qui était commencée.

Je m’en occuperai quand la discussion soulevée par le préopinant sera close.

M. Desmet. - Je crois que l’honorable M. Devaux est un peu dans l’erreur. Il peut considérer que l’instruction primaire touche essentiellement à la société, et pour moi, j’adopterai plutôt l’opinion émise par M. de Mérode que celle du préopinant. Il y a autre chose dont on doit tenir compte, que la majorité, ce sont les libertés constitutionnelles, la liberté des cultes et la liberté d’enseignement. Le fait est certain que jamais l’instruction n’a appartenu au pouvoir civil sous aucun gouvernement, que toujours elle a été sous une autre autorité que le pouvoir civil. Cette liberté d’enseignement est consignée dans la loi fondamentale. Il faut l’observer religieusement. Il est vrai que nous donnons beaucoup au pouvoir civil dans les écoles que nous allons établir : le double inspectorat, la collation des subsides du pays, les écoles normales ; que veut-on de plus ? Ce n’est pas simplement d’enseignement qu’il s’agit, mais d’éducation. On donne là au pouvoir civil une grande part, une part qu’il n’a jamais eue.

Je partage l’opinion de M. de Mérode, je ne pourrai jamais admettre le système d’écoles normales ou modèles aux frais de l’Etat. Le § 2 de l’art. 17 dit que tout enseignement donné aux frais de l’Etat sera réglé par la loi. Maintenant nous sommes occupés à régler l’enseignement primaire. Mais ce qui est plus important, ce sont les écoles normales, les écoles modèles, là vous allez éduquer non plus des enfants, mais des hommes d’âge, vous allez réglementer la société. Selon moi, de tels établissements ne pourront être formés qu’en vertu d’une loi réglementaire. Que dit-on dans l’art. 28 ? que le gouvernement sera autorisé établir tant d’écoles modèles. Cela est contraire à l’art. 17 de votre constitution.

Je dirai avec l’honorable M. de Mérode, qu’il n’y a pas de prudence à donner au gouvernement le pouvoir d’ériger des écoles normales sans loi réglementaire. On vise au monopole de l’enseignement. Nous avons eu sous le régime dernier un triste exemple de ce que ce système a produit. Je demande qu’on agisse avec prudence, qu’on n’accorde pas une trop grande part au pouvoir civil, parce qu’on en abuse, et il en résulte des troubles dans le pays. On nous dit : Mais vous devez avoir confiance dans les hommes qui exécuteront la loi. Je répondrai à cela : les hommes passent, et les institutions restent.

M. de Mérode. - On m’accuse de vouloir ôter toute influence à la majorité légale. Je lui laisse le droit d’inspection, puisque c’est le gouvernement qui surveillera les écoles et qui sera à même de connaître si, sous le rapport de l’enseignement civil, elles sont dirigées comme elles doivent l’être.

L’honorable préopinant, qui m’a répondu, n’a pas attaqué mes arguments. J’ai présenté des raisons à l’appui de mon opinion : quand on les réfutera, je verrai s’il ne m’est pas possible de rétorquer ces réfutations. Mais tout ce qu’on m’a objecté, est en dehors des motifs que j’ai soumis à la chambre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regrette qu’un douloureux événement ait tenu le comte de Mérode éloigné de la chambre pendant la majeure partie de cette discussion.

On aurait pu s’attendre à voir ici en présence deux opinions extrêmes, l’une qui revendiquerait tout pour le pouvoir civil, l’autre qui revendiquerait tout pour le clergé. Nous n’avons pas voulu consacrer le triomphe ni de l’une ni de l’autre de ces opinions ; nos efforts, depuis le premier jour de cette discussion, ont tendu à faire la part de chacune de ces influences. Nous avons fait une part à l’autorité civile, une part à l’autorité religieuse. Sans doute, selon qu’on se rapproche plus de l’une ou de l’autre opinion, que je me suis permis d’appeler opinions extrêmes, on croira qu’on n’a pas fait une part assez large, soit à l’autorité religieuse, soit à l’autorité civile. Mais je crois que la loi consacre, une sage pondération, et que l’expérience le prouvera.

C’est une erreur de supposer que le gouvernement aura le droit absolu d’établir, de diriger, de surveiller exclusivement les écoles normales et les écoles primaires modèles. Ces institutions restent subordonnées aux grands principes que nous avons consacrés par plusieurs dispositions ; elles restent subordonnées à la double direction et à la double inspection. Le gouvernement ne peut pas sortir de ces principes de la double direction et de la double inspection. Voilà ce que déclare formellement l’art. 31 du projet de loi. Il y aura donc intervention du clergé dans les écoles normales, aux termes de l’art. 31 ; comme il y a intervention du clergé dans les écoles primaires proprement dites.

Cet art. 31, les honorables MM. de Mérode et Desmet l’ont totalement perdu de vue. (Interruption.)

Vous me demandez ce que vous accepterez ? L’autorité ecclésiastique, quant aux écoles normales, aura toute l’intervention qu’elle a dans les écoles primaires proprement dites.

L’art. 31 est formel sur ce point, et l’honorable comte de Mérode m’a paru, je me trompe peut-être, raisonner comme si, abandonnant tout à coup le principe de la double inspection, de la double direction même, nous allions, par une espèce d’inconséquence, autoriser le gouvernement à établir des écoles primaires supérieures ou des écoles normales qui seraient simplement subordonnées à l’autorité civile. C’est une erreur, et les honorables préopinants en seront convaincus en lisant l’art. 31.

L’autorité civile organisera les écoles normales et les écoles primaires supérieures, comme elle organise les écoles primaires communales, nais elle ne pourra les organiser qu’en les soumettant aux principes de la double inspection, de la double direction. (Nouvelle interruption.)

Vous trouvez que ce n’est pas assez. Mais si vous trouvez que ce n’est pas assez pour les écoles normales et pour les écoles primaires supérieures, je dois en conclure que vous croyez qu’on n’a pas assez fait pour les écoles primaires proprement dites.

M. de Mérode. - L’école normale est la racine de l’instruction primaire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable membre veut-il donc que le clergé ait à lui seul les écoles normales ? Mais ce sera alors donner au clergé tout l’enseignement primaire. C’est ce qu’il n’a pas voulu, ce qu’il ne veut pas.

Je dis donc que le principe fondamental de la loi est celui-ci, je suis forcé de le répéter : on a considéré que dans l’enseignement primaire il y a deux choses : l’éducation morale et religieuse et l’instruction proprement dite. On a fait la part de chacune des autorités ; on a donné l’instruction proprement dite au pouvoir civil, et l’éducation morale et religieuse au clergé. On maintient ce double principe pour les écoles normales et pour les écoles primaires supérieures. Si vous trouvez qu’il faut s’écarter de ce double principe, vous méconnaissez les bases de la loi ; vous allez au-delà de ce que nous avons voulu jusqu’à présent.

M. Devaux. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le ministre de l'intérieur se posant entre mes contradicteurs et moi, a paru se pose entre deux extrêmes. Je ne puis laisser prendre ce rôle à M. le ministre.

Je suis si loin d’être extrême dans cette discussion, que tout ce que je demande, c’est la loi de 1834, et les hommes d’opinions diverses qui ont élaboré, qui ont signé cette loi, vous sont une garantie que je ne suis pas dans les extrêmes.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai dit qu’on aurait pu dans cette discussion mettre en présence deux opinions également extrêmes ; mais je n’ai nullement voulu faire allusion à l’honorable M. Devaux ; je n’ai pas dit que ces opinions s’étaient réellement mises en présence l’une de l’autre.

M. de Mérode. - Je pense que je n’ai rien dit d’extrême.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas fait non plus allusion à l’honorable comte de Mérode ; j’ai indiqué deux positions possibles dans cette discussion.

M. Verhaegen. - Messieurs, je n’étais pas dans cette enceinte au moment où cette discussion a été entamée, et on ne m’attribuera certes pas le développement qu’elle peut prendre.

Je viens d’entendre professer des principes si extraordinaires, que je croirais manquer à mon devoir si je ne les relevais pas ; et je le ferai chaque fois que l’occasion s’en présentera.

D’un côté, on parle de majorité catholique et on efface la majorité constitutionnelle ; d’un autre côté, on parle de monopole de l’‘instruction. C’est l’honorable M. Desmet qui a prononcé le mol monopole et qui en même temps a invoqué la liberté des cultes. M. le ministre de l’intérieur qui est venu se mêler à la discussion, a parlé d’opinions extrêmes ; et puis tout à coup il a mis en présence deux autorités qui pourraient s’entrechoquer. Ces autorités sont, d’après lui, 1’autorité civile et l’autorité ecclésiastique.

Quant à moi, messieurs, je ne puis rien admettre de tout cela. Dès le début de cette discussion, j’ai dit franchement ma pensée. On a trouvé alors que j’étais allé beaucoup trop loin, que j’étais dans les extrêmes. Eh bien, M. de Mérode, qui n’était pas ici et qui n’a pas entendu tous ces reproches, vient aujourd’hui justifier tout ce que j’ai dit ; et je l’en remercie.

Je vais mettre la question sur son véritable terrain.

Messieurs, j’ai dit que dans mon opinion on allait remettre l’instruction primaire aux mains du clergé. On m’a répondu que c’était de l’exagération. C’était ma conviction, ma conviction profonde, et je suis resté dans les mêmes dispositions. C’est ce qui m’a fait dire dans une des séances précédentes qu’au lieu de nous occuper de la discussion en détail d’une masse d’articles, mieux aurait valu, comme le disait très naïvement un de nos collègues, de substituer à un projet compliqué un simple article, ou il serait dit : L’instruction primaire est confiée au clergé, il en réglera l’exercice.

Messieurs, j’ai cru que c’était le véritable but de nos adversaires politiques, et l’honorable M. de Mérode vient de nous prouver que nous avions raison.

C’est dans les écoles normales que M. de Mérode trouve la racine, et pour cela il veut qu’elles soient confiées au clergé. Ce qui veut dire, et c’est très logique, que toute l’instruction doit être confiée aux ministres du culte catholique.

M. de Mérode. - Avec la surveillance du gouvernement.

M. Verhaegen. - Vous êtes bien bon d’accorder la surveillance au gouvernement.

M. le comte de Mérode n’était pas présent lors de nos précédentes discussions, car dans les paroles qu’il vient de prononcer, il trouverait la critique de toutes les objections qu’on m’a faites.

C’est décidément le clergé, et prenez-en bonne note, qui doit avoir toute l’instruction primaire ; mais l’honorable M. de Mérode consent à ce qu’on accorde au gouvernement civil la surveillance et l’inspection. Toutefois ses amis ne sont pas tous d’accord sur ce point.

L’autre jour, je voulais non pas des inspecteurs de nom, mais une inspection dans toute la force du terme, on m’a combattu et on n’a voulu que des inspecteurs de nom. M. le ministre de l’intérieur avait dit qu’il fallait des hommes travaillant depuis le 1er janvier jusqu’au 31 décembre, mais on est venu lui démontrer qu’il avait tort, que ce n’était pas du tout cela ; qu’il fallait seulement des hommes qui exerçassent leurs fonctions deux fois par année. Alors force a été à M. le ministre de se ranger à cette opinion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ce que je nie.

M. Verhaegen. - Répondant maintenant à ce que vient de vous dire M. le ministre de l’intérieur, je déclare que je ne connais pas deux autorités dans le pays. il n’y a qu’un pouvoir d’après la constitution, c’est le pouvoir civil ; je ne connais pas de pouvoir ecclésiastique, constitutionnellement parlant.

M. de Mérode. - On désire une éducation morale et religieuse ; il faut que la loi soit logique.

M. Verhaegen. - Il va arriver ce qui arrive souvent, on m’excite, on m’interrompt, on me fait observations sur observations, et si je vais plus loin que vous ne le voulez bien, on dira encore que je dépasse les bornes. Je tâcherai toutefois de me modérer.

Je vous dis que je ne connais qu’une autorité, constitutionnellement parlant. De pouvoir ecclésiastique, il n’y en a pas, et ce sont des hérésies que de venir parler de deux pouvoirs dans l’Etat. Le gouvernement civil se fait tort à lui-même, il se suicide quand il vient parler de deux autorités. C’est une rivale qu’il met à côté de lui ; et nous qui sommes dans l’opposition, nous sommes plus gouvernementaux que le gouvernement lui-même, lorsqu’il vient mettre à côté de l’autorité civile un autre pouvoir, le pouvoir ecclésiastique.

Vous venez dire que vous avez confié l’instruction morale et religieuse au clergé, et déjà vous en tirez des conséquences. Eh bien, ce n’est pas à moi qu’il faudra imputer cet état de choses ; j’en ai assez dit pour qu’on me croie sur ce point, et je ferai observer à certains de mes amis, qui ont été un peu trop crédules, que la question était plus importante qu’ils ne l’ont pensé d’abord.

Vous voyez déjà l’honorable M. de Mérode tirer des conséquences de ces premières concessions. L’instruction est donnée au clergé, dit-il, en ce qui concerne la morale et la religion, donc le clergé a déjà une autorité que vous lui avez conférée ; donc vous avez créé un second pouvoir.

M. de Mérode. - C’est très clair.

M. Verhaegen. - L’honorable M. de Mérode dit que c’est très clair. Veuillez en prendre note pour ce que vous avez encore à faire dans cette loi. Prenez note que d’après les dispositions que vous avez admises et qui donnent au clergé l’instruction morale et religieuse, vous avez, d’après l’honorable comte de Mérode, créé une seconde autorité.

Messieurs, il en sera toujours ainsi. Quand vous aurez fait un pas, on vous forcera à en faire un autre ; quand vous aurez fait une concession, on vous forcera à en faire beaucoup d’autres, comme conséquence de cette première.

L’honorable M. Desmet, quoiqu’au fond il soit d’accord avec l’honorable M. de Mérode, a complètement détruit son système.

L’honorable M. Desmet veut la liberté des cultes ; je la veux aussi ; et c’est la liberté des cultes, c’est ce grand principe écrit dans la constitution qui a été le pivot de tous mes discours depuis le commencement de cette discussion. Je la veux, cette liberté, mais je la veux sérieusement ; mais ce ne sont pas des paroles qu’il me faut, ce sont des faits.

C’est au nom de cette liberté des cultes que l’honorable M. Desmet vient nous dire que, d’après ce que nous faisons, l’instruction n’est plus qu’un monopole. Eh bien ! s’il faut ne s’attacher qu’aux mots, je suis d’accord avec l’honorable M. Desmet. Oui, ce n’est plus qu’un monopole, mais c’est un monopole à votre profit, tandis que vous vous prétendez que c’est un monopole au profit du gouvernement. Singulier monopole qu’il ne peut exercer sans que le clergé y donne les mains et sans qu’il soit le très humble serviteur des ministres du culte.

M. Desmet. - Malheureusement il n’en est pas ainsi.

M. Verhaegen. - Le gouvernement n’exercera ce monopole que pour autant que vous le voudrez bien ; et vous devez être extrêmement satisfait d’après tout ce que vous avez obtenu jusqu’à présent. Telle est mon opinion.

M. de Mérode. - Ce n’est pas la mienne.

M. Verhaegen. - Mais les institutions restent, dites-vous, et les hommes changent. Entendez-vous, MM. les ministres ; les hommes changent, mais les institutions restent ; ce qui veut dire dans l’opinion de ces messieurs, que tant que vous marcherez comme ils le voudront, vous resterez au banc ministériel ; mais que quand le jour sera arrivé où quelque chose pourra leur déplaire, ils vous diront : Assez comme cela, place à d’autres. Voilà traduite en deux mots l’opinion de l’honorable M. Desmet.

Messieurs, puisqu’on nous parle de la liberté des cultes, et que moi, je veux aussi cette liberté, je me permettrai de vous retracer en deux mots ce que j’ai dit précédemment à cet égard, et l’on n’a jamais voulu rencontrer cette question de front.

La liberté des cultes est proclamée par le pacte fondamental belge. J’ai été le premier à dire (et c’est une grande concession que je vous ai faite) que vous auriez peut-être beaucoup mieux fait en 1831 de proclamer le principe contraire. Il y avait des raisons pour que, dans un pays où la grande majorité est catholique (et je crois que l’honorable M. de Mérode sera ici de mon opinion), pour que dans un pays où la grande majorité est catholique, on proclamât une religion de l’Etat, une religion dominante. Mais aussi, alors vous n’auriez pas obtenu des concessions si larges que vous avez obtenues comme équivalent de celles que vous faisiez.

Vous avez obtenue l’indépendance complète de l’Eglise, que vous ne pouviez pas obtenir si l’on avait proclamé le principe d’une religion dominante, car ce sont là deux choses qui se contredisent.

Je ne répéterai pas ce que j’ai dit précédemment, qu’en France, où il y a une religion dominante, l’Eglise n’est pas indépendante ; en France, il y a des entraves à l’exercice de plusieurs prérogatives, et à cet égard, les positions se dessinent d’une manière telle qu’en raisonnant d’un pays à l’autre, vous devez nécessairement admettre que si vous aviez proclamé en 1831 ce qui a été proclamé en France, c’est-à-dire une religion de l’Etat, vous n’auriez pas obtenu les larges concessions qui vous ont été faites. Ce que vous avez obtenu est le résultat d’une transaction, et d’une transaction qu’il faut exécuter de bonne foi. L’Eglise est indépendante, complètement indépendante ; mais d’un autre côté elle n’a aucune autorité, aucun pouvoir dans l’Etat : il ne lui est reconnu aucun droit, autre que ceux qui existent pour tous les citoyens en général et qui sont la conséquence des principes de liberté proclamés par la constitution.

J’avais pensé, moi, dès le principe, (et c’est sur ce terrain que j’ai quelquefois rencontré l’honorable M. Dechamps), j’avais pensé que ces principes seraient un obstacle continuel à l’adoption d’une loi telle que celle que l’on veut faire, sur l’instruction primaire. Et en effet, messieurs, quelle devait être la conséquence de cette liberté des cultes, quant à l’instruction ? La conséquence de la liberté des cultes, quant à l’instruction, devait être que les enfants catholiques, les enfants protestants, les enfants israélites, les enfants de toutes les croyances quelconques devaient être confondus dans une seule et même école, pour y recevoir l’instruction proprement dite d’une manière uniforme. Oui, telles devaient être les conséquences de la liberté des cultes, et ce sont ces conséquences que l’on n’a cessé de contester, et en les contestant, l’on a touché au principe fondamental de la liberté des cultes lui-même ; et c’est ainsi que l’on arrive à vous parler de la majorité du pays et d’abandonner la majorité légale, la majorité constitutionnelle. On vient ainsi vous dire : « La religion catholique est professée par la grande majorité des Belges, ce n’est donc que de celle-là qu’il faut s’occuper. Mais en s’exprimant de la sorte, on oublie la disposition constitutionnelle qui proclame la liberté des cultes, et l’on tourne constamment dans un cercle vicieux.

L’occasion se présente ici de faire une observation qui m’avait échappé dans les discussions précédentes. L’honorable rapporteur de la section centrale nous a beaucoup parlé, dans son rapport, des législations étrangères ; il nous a parle des législations de la France, de l’Angleterre, de la Prusse, etc., mais ce dont il a oublié de nous parler, c’est notre ancienne législation brabançonne sur l’instruction, et je ne suis pas fâché de fixer pendant quelque temps votre attention sur ce point-là. Je prierai l’honorable rapporteur, qui doit avoir fait des recherches, de venir à notre aide et de compléter ce que je pourrais à cet égard laisser incomplet. Croyez-vous, par hasard, messieurs, que, d’après notre ancienne législation, l’instruction était donnée au clergé ? Croyez-vous que dans ce pays essentiellement catholique, l’instruction fût abandonnée aux ministres des cultes ? Non, messieurs, et que ce soit dit une bonne fois pour toutes, dans ce pays essentiellement catholique et sous les princes les plus orthodoxes, on prenait contre le clergé beaucoup plus de garanties que nous ne voulons en prendre aujourd’hui, et je pourrai citer maint placard auquel on donnerait, dans le siècle où nous vivons, des dénominations telles que celles que l’on a employées à l’égard de certains orateurs qui s’étaient placés dans le vrai. Il y a des placards qui repoussaient les exigences du clergé, qui le mettaient à sa place et qui traçaient les limites dans lesquelles il devait se tenir.

Eh bien, messieurs, pour l’instruction primaire, dans notre ancienne Belgique, elle n’appartenait point au clergé. L’instruction proprement dite, alors confiée aux instituteurs auxquels il ne fallait autre chose qu’une déclaration d’admission, fournie sur un certificat de bonne conduite et de bonnes mœurs. Une fois ce certificat délivré et cette admission prononcée, l’instituteur allait en avant, et à cet égard il n’y avait aucune autorité quelconque à exercer par le clergé. L’instituteur préparait ses élèves à recevoir l’instruction religieuse, mais cela se bornait à leur faire apprendre par cœur le catéchisme adopté pour tout le pays. Pour le reste l’enfant était conduit à l’église, les enfants catholiques à l’église catholique, les enfants protestants au temple protestant.

M. Dumortier. - Il n’y en avait pas.

M. Verhaegen. - Ils n’étaient peut-être pas si nombreux qu’aujourd’hui, mais il y en avait, et l’honorable M. Dumortier qui m’interrompt, fait ici preuve d’ignorance de l’histoire ; car à Aulnes, il y avait un temple protestant et une église catholique dans le même local ; à Hodimont, il y avait également un temple protestant.

Eh bien, l’instituteur préparait les enfants en leur faisant apprendre le catéchisme par cœur ; après cela, c’est dans l’église qu’ils continuaient à être instruits dans les principes de la religion ; c’est là, en effet, le lieu où la religion doit être enseignée, et je crois que l’on a consacré un véritable abus en confondant par la loi l’instruction proprement dite avec l’instruction religieuse. Savez-vous en définitive, messieurs, ce que vous avez fait ? Vous avez déchargé les ministres des cultes d’une besogne qui leur incombe. Ce ne sont pas eux qui, dans l’école, doivent enseigner les principes de la religion ; c’est l’instituteur qui donne l’instruction religieuse, sous la direction du curé. Ainsi les instituteurs deviennent en quelque sorte les délégués du curé, les vicaires du curé, pour faire la besogne qui incombe au curé lui-même. C’est un allégement de besogne et un surcroît d’autorité que vous avez donné au clergé ; et c’est de cette manière que vous avez bouleversé les principes fondamentaux de la constitution.

Ce que j’aurais voulu voir consacrer par la loi, c’est ce qui existait dans les temps anciens. J’aurais voulu que l’on prît des précautions pour que l’instituteur fût un homme de bonnes mœurs, un homme de bonne conduite, ayant de principes de probité et de religion ; j’aurais voulu que cet homme préparât les enfants à recevoir l’instruction religieuse et que cette instruction leur fût donnée ensuite dans les temples. Alors, messieurs, tout le monde eût été à sa place, il n’y eût pas eu d’empiétement, le clergé serait resté dans son église, l’instituteur dans son école ; l’instituteur n’aurait pas empiété sur les prérogatives du curé, et le curé ne serait pas venu entraver l’instituteur ; le pouvoir civil serait resté indépendant et l’autorité ecclésiastique aurait joui de l’indépendance que lui accorde la constitution, quant à l’exercice du culte. Voilà comment j’aurais conçu un projet de loi sur l’enseignement. Malheureusement on a fait tout autre chose, et de ce que l’on a fait l’on vient déjà argumenter pour donner au clergé une autorité qu’il n’a point et que je ne lui reconnaîtrai jamais,

J’ai dit, messieurs, et c’était peut-être une vérité un peu dure, mais je dois cependant le répéter, j’ai dit et je soutiens d’après la constitution, use du clergé qui veut, et s’en passe qui veut ; c’est là une vérité qui est écrite dans le pacte fondamental, et tous les efforts que vous ferez pour obtenir d’autres résultats ne seront en définitive que des efforts vains pour rayer de la constitution l’art. 14, qui proclame la liberté des cultes.

J’aurais beaucoup de choses à dire quant aux écoles normales, mais je ne veux point prolonger la discussion ; je réserve mes observations pour la discussion spéciale des articles.

M. Dechamps, rapporteur. - J’avais cru que M. le président avait ouvert la discussion générale sur la question des écoles normales et des écoles primaires supérieures mais l’honorable préopinant a probablement compris les paroles de M. le président d’une autre manière, car il a parlé de tout, excepté des écoles normales et les écoles primaires supérieures.

M. Verhaegen. - J’ai fait ce que M. de Mérode venait de faire.

M. Dechamps. - M. de Mérode a parlé des écoles normales et des écoles primaires supérieures il n’a même parlé que de cela.

Je ne suivrai pas l’honorable préopinant sur un terrain ou nous nous sommes déjà rencontrés plus d’une fois ; seulement, il me permettra de lui soumettre une petite observation en passant ; c’est qu’il vient de soutenir précisément le contraire à ce qu’il a soutenu dans les premières discussions ; dans les premières discussions, et notamment dans son premier discours, l’honorable membre nous avait dit, messieurs, qu’il regardait la religion comme la base même de l’école primaire. C’est là la phrase qui se trouve textuellement dans le Moniteur. Plus tard, modifiant un peu cette première notion, qui lui paraissait probablement un peu trop absolue, il vous a dit que l’enseignement de la religion et de la morale, ou la direction et la surveillance des ministres du culte, était une chose très utile et très désirable dans l’école primaire.

Aujourd’hui, messieurs, l’honorable préopinant a fait des progrès, il est venu soutenir un principe qui jusqu’ici n’avait pas été soutenu dans cette discussion, la séparation dans l’école de l’instruction et de l’éducation.

Ce principe n’est plus admis par personne. En Hollande seulement il reste encore des vestiges de ce système, et cela pour des raisons particulières ; la Hollande est divisée en une multitude de sectes différentes ; là, il y avait une immense difficulté à vaincre ; il en a adopté le principe des écoles communes pour les enfants appartenant à des communions religieuses différentes ; eh bien ! en Hollande même, l’arrêté qui a été pris par le gouvernement néerlandais, au mois de janvier dernier sur l’enseignement primaire, consacre sur plusieurs points une dérogation formelle à ce principe.

Ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni en France, ni aux Etats-Unis, ni en Suisse, nulle part, on n’a admis, comme dérivant de la liberté des cultes et de conscience, la séparation de l’instruction et de l’éducation dans les écoles.

Je terminerai sur ce point, en disant que le nouveau principe préconisé par l’honorable préopinant a été réfuté par lui-même dans ses premiers discours, et qu’il regardait alors comme utile une chose qu’il considère maintenant comme mauvaise.

L’honorable préopinant vous a dit : « On a trouvé exorbitant ce que j’avais allégué précédemment, relativement à l’action que l’on donne au clergé ; l’honorable M. de Mérode vient de me donner raison. »

Singulière manie de donner raison à l’honorable préopinant. Les honorables MM. Desmet et de Mérode viennent déclarer que la loi est pour eux insuffisante et presque mauvaise, parce que vous n’avez pas donné dans la loi assez de garanties pour les croyances religieuses des familles ? Et l’honorable préopinant vient vous dire que ces honorables membres ont prouvé qu’effectivement vous avez mis une espèce de monopole aux mains de l’autorité religieuse ; l’honorable préopinant me permettra d’user encore de ce mot qui l’a si fortement choqué dans la bouche de M. le ministre de l’intérieur ; sans doute en Belgique, il n’y a pas une autorité religieuse dans un certain sens ; mais il ne faut pas équivoquer sur les mots ; quand vous admettez dans les écoles comme une chose nécessaire l’enseignement de la religion et de la morale, et l’intervention des ministres du culte pour le surveiller et pour le diriger, vous admettez tous les écoles une autre conduite que l’autorité civile.

Messieurs, on a trouvé que les doctrines de l’honorable M. de Mérode allaient trop loin. Messieurs, je ne veux pas me rallier à tout ce que l’honorable M. de Mérode a dit dans son discours, mais je ferai cependant remarquer que les doctrines qu’il a défendues ont été professées dans le parlement anglais par des hommes aussi jaloux, je pense, que l’honorable M. Verhaegen, de défendre les prérogatives du pouvoir central, je veux parler, entre autres, de sir Robert Peel et de lord Stanley. Ils ont dit aussi que le pouvoir civil était, en fait d’enseignement primaire, et surtout en fait d’écoles normales, incompétent à certains égards ; qu’il était mal de vouloir confier trop exclusivement à l’influence ministérielle, variable de sa nature, une chose comme l’instruction primaire qui doit rester permanente, qui doit être liée aux mœurs du pays. Peut-on considérer comme doctrines excentriques les opinions soutenues par les hommes d’Etat les plus distingués de la Grande-Bretagne ?

Mais, messieurs, comme l’a fait remarquer M. le ministre de l’intérieur, il ne s’agit pas ici de sacrifier le pouvoir civil au clergé ou le clergé au pouvoir civil. Nous avons débattu la question en fait à chaque article ; nous avons discuté à chaque article la part à faire au pouvoir civil et au clergé dans les écoles primaires, et une très grande majorité a, chaque fois, décidé que nous avions fait cette part telle qu’elle devait être.

Messieurs, vous me permettrez de sortir de cette discussion tout à fait générale, pour exprimer mon opinion sur la question maintenant en discussion, c’est-à-dire sur les écoles primaires supérieures, je conviens cependant qu’il faudrait attendre que cette discussion générale fût close, et je prierai en même temps la chambre de réfléchir que cette discussion est maintenant tout à fait sans objet. Il conviendrait donc de mettre un terme à cette discussion générale, qui ne peut amener aucun résultat.

M. le président. – C’est précisément pour ce motif que j’avais cru devoir interrompre M. de Mérode. Il me semblait que M. de Mérode voulait réclamer pour les écoles normales plus de garanties qu’on n’en avait accordé pour les écoles communales ; j’ai cru que c’était là son système, et que dès lors il allait donner ouverture à reproduire tout ce qui avait été dit dans la discussion générale.

M. Verhaegen. - Messieurs, l’honorable M. Dechamps est dans une erreur complète, quand il suppose que je suis en contradiction avec moi-même. Chaque fois que j’ai parlé de la question de principe, je me suis expliqué comme je l’ai fait aujourd’hui.

J’ai dit que l’influence du clergé était utile et que le gouvernement avait raison de s’en servir, mais en faisant ses conditions ; j’ai dit que je ne pouvais pas attribuer au clergé un droit, et telle a toujours été le fond de ma pensée ; j’ai dit que si le clergé voulait avoir un droit, il devait rester dans l’église, et que s’il en sortait et qu’il offrît des conditions raisonnables, il n’y avait pas d’inconvénient à les accepter.

Mon honorable contradicteur parle toujours de l’Angleterre, où, dit-il, l’on est plus libéral qu’ici. Je dirai que les conditions ne sont pas les mêmes, et l’honorable rapporteur ne doit pas perdre de vue que lorsqu’on stipule en Angleterre pour l’Eglise, ou stipule pour l’Etat car la reine est le chef de l’Eglise.

M. Dechamps. - Je persiste à soutenir que l’honorable préopinant en émettant l’opinion dans des séances précédentes que l’intervention du clergé dans l’école, même pour l’enseignement de la religion et de la morale était très désirable, a défendu un principe diamétralement opposé à celui dont il s’est fait le champion dans cette séance, le principe de la séparation de l’éducation et de l’instruction dans les écoles.

Pour ce qui est de l’Angleterre, l’honorable préopinant est dans l’erreur. Lorsqu’il s’est agi de l’érection d’écoles normales dans ce pays, ce n’étaient pas seulement des écoles normales pour l’Eglise établie, mais pour toutes les autres communions. Ainsi la religion de I Etat est là tout à fait hors de cause.

M. Dumortier. - Messieurs, c’est une grave erreur de prétendre qu’en Belgique, dans un pays aussi essentiellement catholique, on ait jamais voulu mettre le clergé hors de cause dans l’instruction. L’honorable préopinant peut très bien signaler à cet égard des faits qui se sont passés à deux époques, et pour mon compte, je dirai quelle est cette époque. Pendant les dernières années du règne de Marie-Thérèse et sous Joseph II, de semblables faits se sont passés en Belgique. Nous voilà donc d’accord sur les faits. Mais il est également vrai que sur la fin du règne de Marie-Thérèse toute l’influence politique du cabinet était échue à son fils, et les dernières mesures de ce règne sont le véritable préambule de celles qui furent adoptés par Joseph II.

Messieurs, nous connaissons tous les tentatives qui furent faites pour restreindre l’influence du clergé en matière d’instruction. Mais qu’ont-elles amené ? Elles ont provoqué la révolution brabançonne, révolution dans laquelle le peuple belge s’est levé comme un seul homme pour s’opposer aux envahissements du pouvoir civil sur le pouvoir religieux.

Et qu’on ne vienne pas dire qu’il n’y a pas deux pouvoirs en Belgique. Sans doute, si le pouvoir ne doit être considéré qu’au seul point de vue de la force, il n’y a qu’un seul pouvoir ; mais il existe une autre influence, un autre pouvoir qui agit sur le for intérieur des hommes qui ont des croyances. Ce pouvoir existe surtout en Belgique dont les habitants sont éminemment religieux.

Venir prétendre qu’il y a eu en Belgique des gouvernements animés de sentiments fort catholiques, qui ont cherché à ravir à l’instruction religieuse une bonne partie de sa puissance, ce n’est pas rapporter les faits d’une manière complète. Ces faits se sont passés tels que je viens de le dire. C’est sur la fin du règne de Marie-Thérèse et sous Joseph II, que les mesures dont il s’agit ont été prises ; elles n’ont eu d’autre résultat que d’amener la révolution brabançonne.

Maintenant, messieurs, quelle était l’action civile sur l’instruction, sous le gouvernement autrichien ? Aucune : le gouvernement civil n’avait aucune espèce d’action sur l’instruction. Ainsi, pour nous citer, chacun de vous peut se rappeler ce qui se passait dans les villes qu’il habitait, je vous dirai ce qui se passait dans le Tournaisis qui formait une province séparée et un évêché ; le pouvoir civil n’avait pas d’action sur l’instruction. Il y avait deux collèges, le collège des jésuites et celui du Chapitre. Quand les jésuites furent supprimés, au milieu du dernier siècle, il resta le collège du Chapitre seul. Jamais la ville n’avait songé à avoir un collège à ses frais. Il en était de même de l’instruction primaire. Elle était dévolue à ceux qui se donnaient la peine d’enseigner l’instruction primaire mais encore ces hommes devaient-ils être agréables au clergé. Parce qu’on comprenait qu’il fallait une instruction religieuse au peuple, on comprenait que priver le peuple de l’instruction religieuse, c’était le livrer à des consolations qui peuvent le soutenir dans sa misère. Pensez-vous que le peuple resterait si tranquille auprès des jouissances du riche, s’il n’avait pas cet espoir d’une vie future, d’un avenir meilleur ; pensez-vous que vous en auriez raison avec vos gendarmes. Je répéterai ici ce qu’on a dit avec raison, que le meilleur régiment de gendarmerie qu’on puisse trouver pour maintenir l’ordre dans la société, est un bon catéchisme.

Messieurs, à quelle époque ces opinions sur la séparation de l’éducation religieuse d’avec l’instruction civile ont-elles été modifiées ? A l’époque où l’on a voulu avoir une France philosophique, alors on a fait table rase de l’instruction religieuse, on a fait ce que voudrait faire le député de Bruxelles ; on a dit au clergé, vous resterez dans vos temples, vous enseignerez là la religion ; et on a dit à l’instituteur vous enseignerez les lois. Qu’a produit ce système ? un grand malaise dans la société, un malaise tel que tous les législateurs, tous les hommes qui voient les choses de haut sentent l’impérieuse nécessité de changer cet état de choses. L’empereur fut le premier qui voulut ramener l’intervention de la religion dans l’instruction. C’est à cela que vous avez dû le catéchisme impérial. Le fond de la pensée était d’avoir une instruction religieuse dans les écoles, mais l’éducation philosophique prit bientôt le dessus.

Aujourd’hui comment les choses se passent-elles en France ? Le résultat du système a été si mauvais qu’on est forcé de déplorer l’état de démoralisation où ce pays est tombé : émeutes, traque faite au souverain, coups de fusil.

Voilà ce que produit l’instruction là où l’on dit à l’autorité religieuse : Restez dans vos temples et enseignez vos doctrines à qui veut aller vous écouter.

Voilà quel a été le résultat du système qu’on voudrait établir en Belgique. Le peuple en est-il plus satisfait ? Non, messieurs, et les efforts de tous les hommes qui ont étudié ces questions pour changer cet état de choses, prouvent que nous ne devons pas désirer de le voir introduire chez nous.

On a cité le libéralisme des lois anglaises ; mais, dit l’honorable préopinant, les choses sont différentes en Angleterre ; car en Angleterre, quand on stipule pour l’Eglise, ou stipule pour l’Eglise établie par la loi. C’est là une grave erreur. Lisez toutes les discussions du parlement anglais, vous verrez que toujours il a été entendu qu’on devait stipuler des garanties religieuses, non pour l’Eglise établie, mais pour chaque communion. Nous ne sommes plus heureusement à l’époque où l’on ne pouvait entrer dans le parlement anglais qu’en faisant le serment du test.

L’Angleterre, est la dernière nation du monde où l’on est revenu de cette grande intolérance contre les catholiques. Aujourd’hui, par suite des progrès de l’esprit humain, on a compris qu’il fallait vouloir que chaque communion pût donner à ses enfants l’instruction religieuse selon la doctrine qu’elle professe, laissant à la vérité le soin de se faire jour. Aussi dans cette discussion que je viens de rappeler, lord John Rossel et sir Robert Peel, sont-ils venus parler dans le parlement comme vient de le faire ici M. de Mérode. Ce n’était pas dans l’intérêt de l’Eglise anglicane, mais de la morale religieuse à quelque communion qu’appartinssent les enfants.

Pour mon compte, j’applaudis aux opinions émises par M. le comte de Mérode ; je veux une instruction religieuse pour le peuple et dans l’intérêt du peuple qui la réclame. Que ferez-vous quand vous aurez séparé l’instruction de la religion, choses qui doivent rester unies ; quand vous aurez créé des écoles philosophiques, le peuple en sera-t-il meilleur ?

Aujourd’hui nous voyons que notre Roi peut se promener aussi librement que le dernier des citoyens dans toute la Belgique, et nous devons tous nous en féliciter. Mais si j’examine ce qui se passe dans un pays voisin, je vois Louis-Philippe, malgré les immenses services qu’il a rendus à la France en empêchant un débordement qui aurait amené la perte de la révolution de juillet, malgré cela, Louis-Philippe est moins libre en France que le dernier de ses sujets. Il est toujours sous le fer des assassins. Vous voyez les résultats des différences d’instruction. D’un côté, l’instruction a été religieuse, et de l’autre elle a été antireligieuse. Vous l’avez vu, le ministre vous a signalé un rapport dans lequel on dit qu’un instituteur interrogé par un inspecteur sur l’état de l’instruction religieuse a répondu : Je n’enseigne pas ces bêtises-là.

Voilà pourtant où nous mènerait l’honorable membre auquel je réponds, lorsque chaque instituteur peut dire à ses élèves : allez à votre curé pour l’enseignement religieux, quant à moi je n’enseigne pas ces bêtises-là.

M. Rogier. - Il n’y a pas en Belgique d’opinion responsable des attentats de Darmès et de Quénisset.

M. Dumortier. - Je ne fais ici allusion à personne ; si M. Rogier veut prendre dans mes paroles quelque chose pour son compte, il est libre. J’ai comparé la Belgique avec un pays voisin.

M. Verhaegen. - Avec un pays ami !

M. Dumortier. - Je dis que l’instruction religieuse est la première sauvegarde du gouvernement, que nous avons éminemment confiance dans le système qui existe chez nous et que vous voulez renverser.

On a fait encore allusion à l’indépendance du clergé. On a dit que dans ce pays le clergé jouissant de l’indépendance du gouvernement, il fallait lui donner moins d’action dans l’instruction. Je ne comprends pas un pareil argument ; si nous donnons au clergé une action sur l’instruction, ce n’est pas une faveur que nous lui faisons, c’est une garantie que nous voulons donner aux pères de famille. C’est une faveur que nous faisons au peuple qui a droit de recevoir l’instruction religieuse. Je ne peux pas comprendre qu’il puisse dépendre de la volonté de quelques hommes de refuser au peuple l’instruction religieuse, qu’il désire donner à ses enfants.

Je ne terminerai pas sans dire deux mots sur une discussion qui a eu lieu à la séance du 17.

L’honorable préopinant a fait tout à l’heure allusion à ce qui s’est passé dans cette séance. Je dois le dire, j’ai vu avec grande surprise qu’une phrase de l’honorable membre pour laquelle j’avais pris la parole et à laquelle j’avais répondu d’une manière assez vive ne se trouvait pas dans le Moniteur, de sorte que ma réponse semblait être une attaque. Je saisis cette occasion pour faire remarquer cette inexactitude.

Loin de moi l’intention de vouloir incriminer personne. Je dis que le Moniteur ne reproduit pas une phrase que j’ai relevée et qui est celle-ci :

« L’on peut faire des lois comme l’on veut, mais nous ne sommes pas dupes des intentions de ceux qui les font. »

M. Rogier. - On ferait mieux de ne pas revenir sur cette discussion. On a poussé la patience très loin sur ces bancs, mais on veut nous pousser à bout.

M. Dumortier. - Ceux qui ont été poussés à bout sont ceux auxquels on a adressé cette phrase à laquelle j’ai répondu, phrase dans laquelle nos intentions ont été incriminées, et que je ne retrouve pas dans le Moniteur.

M. Delfosse. - Il faut nommer une commission d’enquête pour rechercher ce qui a été dit.

M. le président. - M. Verhaegen s’en est expliqué immédiatement.

M. Dumortier. - Comme on a changé la phrase à laquelle j’ai répondu, mon discours semble une attaque, et c’est ce que je ne veux pas.

M. Verhaegen. - La phrase se trouve dans le Moniteur. Certes ce n’est pas mon fait. La phrase se trouve dans le Moniteur telle que M. le président l’a comprise et telle que je l’ai expliquée dès le principe. Je n’ai rien ajouté, rien retranché. Mais comme il arrive que souvent on reproche à d’autres ce que l’on fait soi-même, je dirai à M. Dumortier que c’est lui qui a façonné son discours, d’abord en ajoutant à certaine phrase les mots club des jacobins.

M. Dumortier. - Je l’avais dit.

M. Verhaegen. - Vous n’avez pas prononcé ces mots ; j’en appelle aux souvenirs de tous nos collègues ; si vous aviez prononcé ces mots, M. le président vous eût certainement rappelé à l’ordre. Vous avez parlé de sociétés secrètes, de libéralisme, de régicide, d’Alibaud, de Meunier et de Quénisset.

Le il porte que je vous ai répondu que nous ne comptions dans les rangs libéraux ni des Meunier, ni des Alibaud, ni des Quénisset, non plus que des assassins d’Henri IV et de Louis XV.

Vous n’aviez pas parlé de club des Jacobins, mais vous avez ajouté ces mots, vous avez ajouté aussi ces autres mots : Adhésion. Oui, oui.

Je me serais bien gardé de revenir là-dessus, mais je ne pouvais garder le silence quand vous vouliez faire suspecter un de nos collègues d’un fait que vous avez posé vous-même.

Tout ce que je puis dire maintenant, c’est que l’autre jour nous avons montré beaucoup trop de patience. Nous n’avons pas répondu aux personnalités de M. Dumortier ; nous nous sommes borné à les mépriser, et c’était d’après nous le meilleur moyen de les flétrir.

Plusieurs membres. - La clôture.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel. Chacun peut se rappeler comment les choses se sont passées. M. Verhaegen avait dit : « Je ne suis pas dupe des intentions de ceux qui font les lois. »

Voici comment le Moniteur a rendu ses paroles. « S’il y a une majorité pour faire certaines lois, il importe qu’on sache bien dans le pays que nous n’y donnons pas les mains, et que nous voyons bien où on veut nous conduire. »

Si M. Verhaegen n’avait pas attaqué les intentions de la majorité, je ne me serais pas levé à l’instant pour lui répondre. Il est très regrettable qu’en ne reproduisant pas ce qui avait été dit des intentions, on ait fait que ma réponse ne portait plus sur rien.

L’honorable préopinant a rappelé l’allusion que j’ai faite au club des Jacobins. Oui, j’ai fait cette allusion, et je n’ai rien à y retrancher.

Lorsque j’ai dit, j’en appelle au souvenir de mes collègues, « la chambre a adhéré à mes paroles » ; cela est très vrai, cela est positif. Personne ne le contestera.

M. Verhaegen. - Ainsi cette adhésion de la chambre, c’est vous qui l’avez ajoutée.

M. Dumortier. - Sans doute, parce qu’elle avait été omise dans le compte-rendu qui se trouvait ainsi incomplet. En cela j’ai usé de mon droit parce que ce que j’ai ajouté était la vérité. Ce qui n’est pas la vérité, c’est l’adhésion générale et l’approbation générale que, d’après le Moniteur (supplément au n’ 230, 18 août) la chambre aurait donnée au discours que M. Lebeau a prononcé dans la séance du 17. Voilà ce que personne n’a vu à la séance.

Quant à l’adhésion donnée à mes paroles, il est incontestable que la chambrer l’a manifestée. Mais vous, si vous avez retranché une phrase qui rend mon discours insolite, vous avez commis une faute. Vous avez fait que mon discours ne répond plus à rien, qu’il est une attaque, tandis qu’il n’était qu’une réponse.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Quel est le but de cette discussion ?

Plusieurs membres. - La clôture !

- La clôture de la discussion générale du titre IV est mise aux voix et prononcée.

Article 28

M. le président. - La parole est à M. Rogier sur l’article 28.

M. Rogier. - Je regrette beaucoup que l’honorable M. de Mérode ait pris l’initiative d’une discussion qui a bientôt dégénéré en une espèce de désordre.

M. de Mérode. - C’est encore une personnalité. J’ai donné des raisons, réfutez-les.

M. de Theux. - On rentre dans la discussion générale.

M. le président. - Je vous engage, M. Rogier, à vous renfermer dans la discussion de l’art. 28.

M. Rogier. - Mais, M. le président, je dois chercher à captiver l’attention de la chambre.

M. de Mérode. - J’ai traité une question très utile, et qui venait très à propos. Qu’on réfute les raisons que j’ai données.

M. Rogier. - On ne sait pas encore ce que je vais dire, et MM. de Mérode et de Theux, qui appartiennent par excellence au parti modéré, me coupent la parole au premier mot.

M. de Mérode m’a fait quelquefois honneur de m’attaquer personnellement, et je ne pourrais pas citer son nom ! Ce n’est pas sans doute une injure.

Je dis donc que je regrette beaucoup que l’honorable M. de Mérode…

M. de Mérode. - Il n’y a rien à regretter.

M. Rogier. - Je dis qu’il est très regrettable que l’honorable M. de Mérode...

M. de Mérode. - Répondez-moi. Cela vaudra beaucoup mieux.

M. le président. - J’engage M. Rogier à ne pas insister sur cette phrase et à continuer.

M. Rogier. - Je ne puis pas, M. le président. Je ne pense pas qu’il y ait là rien d’antiparlementaire.

Je regrette beaucoup que l’honorable M. de Mérode...

M. de Mérode. - Eh bien, moi, je regrette aussi que vous parliez.

M. Devaux. - Je demande le rappel à l’ordre de M. de Mérode.

M. de Mérode. - Je demande le rappel à l’ordre de M. Rogier.

M. Rogier. - Je crois m’être exprimé avec modération.

Je pense qu’il est très regrettable que l’honorable M. de Mérode, contre ses intentions,..

M. de Mérode. - Contre mes intentions ! Mais pas du tout. C’était bien mon intention.

M. Rogier, reprenant. - Contre ses intentions, dis-je, ait pris l’initiative d’une discussion qui a dégénéré en désordre. Cette discussion a détourné l’attention de la chambre de l’art. 28 en discussion, auquel j’attache, pour ma part, une très grande importance.

Il y aurait eu beaucoup de choses à dire dans la discussion générale. Mais cette discussion étant close, il ne me sera pas permis de rencontrer les observations qui ont été présentées. Seulement il en est une qui me concerne personnellement et que je ne puis laisser sans réponse ; car celui qui la faite a ajouté que je pouvais en prendre ma part.

Un honorable orateur a de nouveau attribué à l’opinion des bancs sur lesquels je siège...

M. Dumortier. - Je n’ai rien attribué du tout à l’opinion de bancs sur lesquels vous siégez.

M. Rogier. - Du moment que M. Dumortier fait cette déclaration, je n’ai plus rien à ajouter sur ce point.

M. Dumortier. - J’ai parlé de la France. Vous pouvez du reste prendre pour vous ce que vous voulez de mon discours ; je n’ai rien à y retrancher.

M. le président. - Je n’ai rien vu dans les paroles de M. Dumortier, qui fût personnel à M. Rogier.

M. Rogier. - C’est fini, M. le président.

Nous sommes occupés à organiser, par une loi, l’enseignement primaire en Belgique Au nombre des institutions que nous avons à organiser figurent notamment les écoles. Dans les articles précédents, nous avons organisé tant bien que mal les écoles primaires communales ; nous avons fait la part du clergé, du pouvoir civil, de la commune. Toutefois, il reste des dispositions importantes à prendre, en ce qui concerne la nomination et la révocation des instituteurs.

Mais tout ne sera pas fini, quand nous aurons organisé l’école primaire communale. Il y aura encore entre l’école primaire communale et le collège, entre l’enseignement primaire proprement dit, destiné aux classes inférieures, et l’enseignement littéraire et scientifique des collèges un degré qu’on ne peut franchir. Dans tous les pays de l’Europe (on a souvent invoqué leur exemple dans cette discussion), cet enseignement intermédiaire existe. C’est ce qu’on appelle, en Belgique, une école primaire modèle, en France une école primaire supérieure (désignation qu’on propose d’introduire dans la loi, ce à quoi je ne m’oppose pas) ; en Prusse, école bourgeoise, expression fort heureuse, en ce qu’elle montre qu’il s’agit là de l’instruction de cette partie de la population qui ne compte pas embrasser la profession d’avocat ou de médecin, ou toute autre profession libérale.

Vous reconnaissez tous qu’il y a quelque chose à faire, dans la société, entre l’enseignement primaire proprement dit et l’enseignement littéraire et scientifique des collèges. On parle souvent du danger de pousser le peuple et nième les classes supérieures vers les professions libérales.

On trouve qu’il y a un danger à faire trop de médecins et d’avocats qui manquent de clientèle et qui se vengent sur la société de ce qu’elle leur refuse sa confiance. Je crois que si la société est trop poussée vers les professions libérales, c’est dans les collèges que ce mal commence à se faire jour. Je crois que, pour mettre un terme à ce mal, il faut donner plus d’extension à l’instruction primaire.

Dans les écoles primaires inférieures, l’enseignement tel que vous l’avez réglé se réduit à bien peu de chose. Aux termes de l’art. 2, il comprend « la religion et la morale, la lecture, l’écriture, le système légal des poids et mesures, les éléments du calcul, et suivant les besoins des localités, les éléments de la langue française ou flamande. » Maintenant vous reconnaissez que cela ne suffit pas pour toute l’éducation, qu’il y a quelque chose à faire. D’après le projet de loi (art.. 20), outre les objets que je viens d’énoncer, l’enseignement dans les écoles primaires supérieures comprend :

« 1° Les langues française et flamande, et, au lieu de celle-ci, la langue allemande dans la province de Luxembourg ;

« 2° L’arithmétique

« 3° Le dessin, principalement le dessin linéaire, l’arpentage et les autres applications de la géométrie pratique ;

« 4° Des notions des sciences naturelles applicables aux usages de la vie ;

« 5° La musique et la gymnastique

« 6° Les éléments de la géographie et de l’histoire, et surtout de la géographie et de l’histoire de la Belgique. »

Je crois que voilà un programme renfermé dans de sages limites. On n’a pas à craindre que ceux qui auront fréquenté ces écoles se croient des hommes supérieurs, ayant droit à des positions sociales supérieures. Ces écoles attireront donc ceux qu’à leur défaut la force des choses pousse dans nos collèges et ensuite dans nos universités.

Ainsi donc, messieurs, on a dit : L’école primaire supérieure doit agir ; elle doit agir à la fois comme stimulant pour ceux à qui l’instruction primaire donnée dans les écoles inférieures ne suffit pas, et il est de fait qu’elle est insuffisante à beaucoup de jeunes gens appartenant à la petite bourgeoisie, comme barrière, en ce qu’elles détournent ces jeunes gens de se rendre dans les établissements scientifiques et littéraires, où ils vont souvent recevoir une éducation qui ne va pas du tout à leur position ni à leur profession, et qui souvent leur inspire des goûts, une ambition qui tournent à leur détriment personnel et au détriment de la société. Vous voyez donc que si j’ai fait une proposition à l’art, 28. que si dans mon opinion il faut, autant que possible, étendre ce genre d’institutions, j’ai quelques raisons à donner à l’appui de cette opinion.

Je n’ai pu, messieurs, considérer comme sérieuses les objections que m’a faites M. le ministre de l'intérieur. Car que faisons-nous ? Nous organisons des écoles primaires supérieures après avoir organisé des écoles inférieures. M. le ministre de l’intérieur trouve sans doute que ces écoles sont bonnes et utiles en elles-mêmes ; du moins il ne les a pas considérées comme inutiles et mauvaises. Mais il objecte qu’il ne faut pas aller au-delà des huit écoles normales qui existent dans ce moment, parce que cela coûterait de l’argent. Voilà la seule objection que présente M. le ministre à ma proposition.

Mais, messieurs, si vous travailliez à une loi sur l’organisation judiciaire, à une loi ayant pour but d’établir des tribunaux, vous ne pourriez pas dire : Je ne veux pas de tribunaux, parce que ces tribunaux coûtent de l’argent. Il est de fait que le résultat de l’organisation nouvelle est d’entraîner des dépenses pour les institutions nouvelles que vous créez par votre loi.

Mais je démontrerai que, même à ce point de vue (et c’est sous ce point de vue seul que M. le ministre a combattu ma proposition), les raisons que l’on donne sont mauvaises.

Je reviendrai tout à l’heure sur la question d’argent ; mais il y encore une autre objection secondaire faite par M. le Ministre de l’intérieur, que je dois combattre.

On a dit : « Qu’allez-vous faire ? Si le gouvernement prend à sa charge les frais des écoles primaires supérieures, mais toutes les petites villes vont demander que leur collège soit transformé en école primaire supérieure. » Eh bien ! en supposant même que nous atteignons ce but, y aurait-il un si grand mal ? C est une question administrative à examiner. Mais pour moi, je ne crois pas qu’il y aurait grand mal à ce que plusieurs de nos collèges où l’instruction scientifique et littéraire n’est pas ce qu’elle doit être, se transformassent en écoles primaires supérieures. Je dirai même qu’étant ministre, et ayant dans mes attributions l’instruction publique, j’ai insinué à plusieurs petites villes possédant des collèges insuffisants, de transformer ces collèges en écoles primaires supérieures.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’en ai fait autant.

M. Rogier. – M. le ministre de l’intérieur dit qu’il en a fait autant.

Qu’arriverait-il si plusieurs de ces petites villes demandaient à transformer leurs collèges en écoles primaires supérieures ? Il arriverait que le gouvernement accorderait le subside qu’il leur donne (car presque toutes ces petites villes sont subsidiées) pour les écoles primaires supérieures, et que ces petites villes joignant au subside du gouvernement les sommes qu’elles emploient à leurs collège, obtiendraient d’excellentes écoles primaires supérieures. Ainsi cette objection même vient à l’appui de ma proposition.

On a donné le détail des subsides accordés par le gouvernement pour les huit écoles primaires supérieures existant actuellement. On a considéré ce que j’avais dit, que la totalité des sommes consacrées à ces établissements ne dépassait pas 18,690 fr., c’est-à-dire 2,300 fr. par école. Cependant, messieurs, ces écoles sont-elles dans un état peu florissant ? Ont-elles été en déclinant depuis la révolution ? Mais si je consulte le rapport de M. le ministre de l’intérieur, je vois que depuis 10 ans ces écoles ont vu presque doubler le nombre de leurs élèves, ce qui n’annonce pas un état de décadence. Le nombre des élèves était de 557 en 1830, il s’est élevé en 1840 à 837.

Ainsi vous voyez qu’avec le subside actuel, subside bien modique, le nombre des élèves a presque doublé de 1830 à 1840. Cependant, M. le ministre de l'intérieur vient de dire que s’il s’agissait de créer de nouvelles écoles, ce ne serait pas 2,300 fr. par école qu’il faudrait, mais 10,000 fr. Où a-t il puisé la base de ses calculs ? je n’en sais rien. Car 2,300 fr, suffisent aujourd’hui pour maintenir sur un bon pied les écoles existantes, pourquoi faudrait-il 10,000 fr. pour en créer de nouvelles ?

On vient ici dire que ce serait dans les petites villes qu’on créerait ces écoles, et que les ressources de ces petites villes étant insuffisantes, il faudrait augmenter les subsides accordés par l’Etat, comme cela était arrivé à Namur. Mais le subside accordé par le gouvernement à la ville de Namur ne va pas au-delà de 3,000 francs.

Je vais plus loin. Si on veut mettre dans la loi que le subside à accorder ne pourra dépasser 3,000 francs, je le veux bien. Je n’ai pas d’ailleurs exclu le concours des villes ; le gouvernement pourra même faire aux villes une condition de leur concours ; il pourra donner la préférence à celles qui fourniront un local et un subside supplémentaire. Je n’entends pas mettre toute la dépense à la charge du trésor public. C’est au gouvernement à traiter cette question administrativement. il faut en principe que les frais soient à la charge du gouvernement, parce qu’il faut que le gouvernement ait la main haute sur ces établissements ; mais ce n’est pas un motif pour que le gouvernement ne puisse dire à une ville : je vous accorde la préférence, si vous donnez un local convenable et telle ou telle somme.

Ainsi, messieurs, il n’est pas exact le dire qu’il faudrait 10,000 fr., par exemple, à Bruges, pour établir une école primaire modèle, alors qu’il ne faut que 3,000 fr. à Namur ; il ne faudrait pas 10,000 fr. à Audenaerde, alors qu’il n’en faudrait que 2,000 à Malines. Je ne vois pas quels seraient les motifs de la différence ; ce sont des villes du même ordre.

D’ailleurs, si les localités sont petites, l’école primaire se proportionnera à la localité ; s’il y a moins d’élèves, l’établissement sera établi sur une base moins étendue. Il ne s’agit, d’ailleurs, pas seulement de petites villes, mais de localités importantes qui sont privées de toute espèce d’enseignement aux frais de l’Etat. Ainsi, je citerai comme n’ayant pas d’établissements d’instruction aux frais de l’Etat, ou comme n’en ayant pas d’aussi importants que Gand, qui possède une école normale, Bruges, Courtray, Ypres, Hasselt, Tongres, Arlon, Marche, Neufchâteau, Audenaerde, Termonde, Charleroi, Liége, Verviers, Huy ; et cependant dans toutes ces villes, je crois que ces écoles seraient de la plus grande utilité.

Messieurs, il y a encore une observation générale à faire. C’est que mon article, conçu dans des termes extrêmement modérés, je dois le dire, n’impose pas au gouvernement l’obligation d’établir une école dans chaque arrondissement judiciaire ; il lui laisse seulement la faculté de le faire ; le gouvernement sera juge de l’opportunité, du besoin de telle ou telle localité.

Si de bons établissement existent dans l’une ou l’autre les villes que je viens de citer ; eh bien ! le gouvernement ne fera pas double emploi. Il faut espérer qu’il exécutera la loi avec prudence, avec sagesse, avec modération, et qu’il ne prodiguera pas inutilement l’argent du trésor.

Pour ma part, messieurs, j’attache une très grande importance à cet article. J’ai fait sentir, au point de vue social, la nécessité d’établissements intermédiaires pour la bourgeoisie, pour la petite bourgeoisie, pour les artisans, entre le collège et l’école primaire inférieure. Je crois que ce genre d’établissement doit exciter toute la sollicitude du législateur préoccupé des intérêts de l’avenir.

Quant aux écoles actuellement existantes, je ne puis pas dire qu’elles répondent entièrement à leur but. Je crois que plusieurs ont besoin d’être réorganisées presque complètement. Il y a eu amélioration quant au nombre des élèves ; mais je ne sais s’il y a eu amélioration sensible quant à la direction des études. Je connais deux de ces écoles, celles de Malines et d’Anvers : Celle de Malines, je ne la connais pas parfaitement ; mais quant à celle d’Anvers, je sais qu’elle a fait de très grands progrès depuis la révolution. Et je dois le dire en passant, cette école a toujours joui de la confiance des parents ; toujours le clergé, par exemple, a prêté à l’autorité civile son concours le plus empressé pour donner l’enseignement dans l’école.

Il est vrai que l’autorité civile donnait un léger traitement au clergé, mais je suppose que la loi actuelle n’interdira pas à certaines communes de payer à l’ecclésiastique qui viendra donner l’enseignement dans l’école un léger traitement.

Le système du projet consacrerait l’existence des huit écoles actuelles ; mais le gouvernement ne pourrait en créer de nouvelles qu’en venant demander à la législature un crédit spécial pour chaque école à établir. Or, messieurs, il me semble que c’est dans une loi d’organisation, s’imposer des limites, des barrières que la loi, au contraire, devrait avoir pour but de franchir. Car dire dans la loi que le gouvernement ne pourra établir des écoles et surtout des écoles de ce genre qu’avec le concours de la législature, ce n’est rien dire ; toujours le gouvernement aura le droit de demander l’autorisation d’établir telle ou telle école.

Cette disposition, cependant, j’ai cru devoir la maintenir en ce qui concerne les écoles primaires normales, à cause de l’importance même de ces écoles ; mais ici il s’agit d’écoles primaires supérieures qui n’ont que très peu d’analogie avec les écoles normales proprement dites, et ce ne serait rien dire du tout, que de se contenter de donner au gouvernement le droit de demander à la législature l’autorisation d’organiser les écoles dont il s’agit. Puisque nous faisons une loi pour organiser l’instruction primaire, organisons des à présent ce qui nous paraît nécessaire à cette instruction, et si plus tard de nouveaux besoins se présentent, nous pourrons examiner alors ce qu’il y aura à faire à cet égard.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je croyais, messieurs, que la proposition de l’honorable préopinant devait être entendue dans ce sens, que les écoles primaires supérieures seraient exclusivement à la charge de l’Etat. D’après les explications qu’il vient de donner, il admet que les communes prêteront leur concours au gouvernement, non seulement en fournissant le local, mais aussi en contribuant pour une somme d’argent dans les frais de l’école. Dès lors, je ne vois plus de différence entre la proposition de l’honorable membre et la mienne.

Je suis d’accord avec l’honorable préopinant, d’abord sur l’excellence des institutions dont il s’agit ; je suis encore d’accord avec lui sur la manière de pourvoir aux frais de ces institutions, puisqu’il admet comme moi que ces frais seront supportés concurremment par les communes et par l’Etat.

L’honorable membre trouve qu’il résulte une grande différence de l’espèce de précaution prise dans le dernier paragraphe de l’article 28, où il est dit : « Toutefois, les arrangements à intervenir à cet effet ne recevront leur exécution qu’après le vote législatif de la part contributive de l’Etat. » C’est là, messieurs, une précaution que j’ai cru devoir insérer dans le projet de loi, et je pense moi-même qu’elle est peut-être superflue. Cependant, il est bon que les communes sachent que les arrangements intervenus entre l’Etat et elles ne seront définitifs qu’après le vote de la part contributive de l’Etat, c’est en quelque sorte la un acte de bonne foi vis-à-vis des communes.

J’ai dit et j’ai démontré à la chambre que l’on se trompait en croyant que les écoles-modèles actuellement existantes ne coûtent que 3,000 francs ; elles ne coûtent, en effet, en moyenne que 3,000 fr. à l’Etat parce qu’elles trouvent des ressources dans les rétributions volontaires, mais ces ressources n’existeront pas dans les villes où il manque des écoles-modèles.

Il existe en ce moment 8 écoles modèles ; l’honorable membre dit que l’on veut se borner à ce nombre, mais telle n’est pas mon intention ; je suis convaincu, au contraire, que si la loi est votée, il y aura avant la fin de l’année au moins une école modèle dans chaque province. il y a aujourd’hui 4 provinces où il n’existe pas de ces écoles ; je suis convaincu qu’avant la fin de l’année ces provinces en seront pourvues, déjà des offres sont faites à cet égard au gouvernement.

Un membre. - Mettez-le dans la loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Comment voulez-vous le mettre dans la loi, lorsque tout est subordonné à des négociations avec les communes ?

Les quatre provinces où il n’existe pas d’écoles normales en ce moment, sont la Flandre occidentale, le Limbourg, le Luxembourg et la province de Liége.

Eh bien, je n’hésite pas à dire qu’avant la fin de l’année il y aura au moins une école primaire supérieure dans chacune de ces provinces. Plus tard vous aurez une école modèle par arrondissement, mais laissez au moins faire le temps. Vous ne pouvez d’ailleurs insérer une disposition impérative dans la loi, qu’en disant que ces écoles seront établies exclusivement aux frais de l’Etat ; je désire qu’il n’en soit pas ainsi, je désire qu’il y ait une école primaire modèle dans chaque arrondissement, et je suis sûr que nous atteindrons ce but, que l’honorable M. Rogier veut aussi atteindre ; je suis sûr aussi que nous l’atteindrons sans imposer des sacrifices trop considérables au trésor public.

M. Pirson. - Nous en demanderons, une à Dinant à ces conditions-là.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je pose en fait que si l’Etat était abandonné à lui-même, comme il le serait avec l’amendement de M. Rogier, nous n’organiserions pas d’écoles primaires modèles sans dépenser au moins 10,000 francs par au pour chacune de ces écoles. Jetez les yeux sur le programme de l’art. 17, combinez-le avec celui de l’art. 2, et vous acquerrez la conviction qu’il faudra au moins 5 professeurs pour chaque école modèle.

Les écoles primaires modèles qui existent actuellement coûtent en moyenne 8,000 francs par an et celles qui coûtent moins sont très incomplètes. Celle de Namur ne reçoit que 3,000 francs, mais je dois dire qu’elle est excessivement incomplète. Vous comprenez d’ailleurs, messieurs, qu’avec 3,000 francs il est impossible d’enseigner les matières dont l’enseignement est prescrit par les articles 2 et 17 de la loi ; avec 3,000 francs on n’a pas deux professeurs.

Je n’entrerai pas, messieurs, dans l’examen de l’excellence de ces institutions en elles-mêmes, je me réfère à cet égard à tout ce que j’ai dit précédemment et à tout ce qui a été dit par l’honorable M. Rogier.

Je crois que l’on pourrait peut-être adopter pour ces écoles la dénomination d’écoles bourgeoises qui serait peut-être plus heureuse que celle d’écoles primaires supérieures, d’autant plus qu’il y a peut-être quelque chose de contradictoire entre les mots : primaire et supérieure.

En résumé, il n’y avait entre l’amendement de l’honorable M. Rogier et ma proposition qu’une seule différence, celle qui concernait l’imputation des frais ; cette différence n’existe même plus maintenant, puisque nous sommes d’accord que la dépense doit être faite concurremment par le trésor public et la commune ; je désire que cela soit formellement dit dans la loi, que l’on ne fasse pas espérer aux communes qu’elles auront des écoles primaires supérieures aux frais du trésor public seul.

M. Devaux. - Vous voyez, messieurs que la première partie de la discussion, celle qui a précédé la discussion générale, introduite en quelque sorte comme une parenthèse dans la discussion de l’article 28, que cette première partie de la discussion a parlé à faux, en ce sens que les arguments opposés à l’amendement de l’honorable M. Rogier ne reposaient que sur une équivoque. En effet, cet amendement pourrait être entendu dans ce sens, que les frais des écoles modèles seraient exclusivement à la charge de l’Etat. Ce point vient d’être éclairci, mais on pourrait peut-être l’éclaircir davantage au moyen d’une nouvelle rédaction ; au lieu de dire : fondées aux frais du gouvernement, on pourrait dire : fondées par le gouvernement ; au lieu de dire que ces écoles sont placées dans les communes qui offrent un local convenable, on pourrait ajoutez : et qui interviennent dans les dépenses de la manière la plus avantageuse pour le trésor.

Vous pouvez, messieurs, être sans inquiétude sur le concours des communes. Ce sera un grand avantage pour une commune, d’avoir une école primaire supérieure dans la dépense de laquelle le gouvernement interviendra. Il est fort peu de communes qui ne demanderont pas à échanger l’école primaire que la loi les oblige d’avoir contre une école primaire supérieure dans la dépense de laquelle le gouvernement intervienne. Cela sera accepté avec reconnaissance par tous les chefs-lieux d’arrondissement ou par les villes principales de chaque arrondissement. Vous pouvez être sans inquiétude à cet égard.

Voici maintenant, messieurs, quelle est la différence principale entre la disposition du projet et l’amendement de l’honorable M. Rogier. D’après l’amendement de M. Rogier le gouvernement pourra établir une école primaire modèle dans chaque arrondissement, tandis que cette question reste indécise avec la disposition du projet. Or je crois que cette autorisation doit être donnée au gouvernement. Remarquez bien, messieurs, qu’il ne s’agit nullement d’imposer au gouvernement l’obligation de créer à l’instant même une école modèle dans chaque arrondissement, c’est une simple faculté qu’on donne au gouvernement.

Aujourd’hui, messieurs, nous faisons une loi sur l’instruction primaire, et par conséquent nous devons examiner tous besoins de cette instruction, c’est donc maintenant qu’il faut donner au gouvernement l’autorisation dont il s’agit. Si la question doit être examinée chaque année, à l’occasion du budget, vous sentez qu’elle se présentera là d’une manière fort inopportune ; les besoins de l’instruction primaire, le système général de l’instruction primaire ne peuvent pas être convenablement discutés chaque année, à l’occasion du budget.

Messieurs, nous nous occupons de la création des écoles, mais qu’avons-nous fait jusqu’ici ? Qu’avons-nous créé ? Rien que de petites écoles primaires de village ; nous nous sommes bornés jusqu’à présent à prescrire que dans chaque village on enseignerait à lire, à écrire, à calculer. Ce sont là les besoins les plus étendus de l’instruction primaire, mais ce ne sont pas les seuls.

La loi pour être complète, devrait même dire quelles sont les obligations des villes. Nous ne faisons pas cela ; c’est une lacune mais au moins pouvons-nous dire que dans chaque arrondissement il y aura une école primaire modèle. Prescrire que sur 4 ou 5,000 écoles il y aura 7 écoles primaires supérieures, certainement ce n’est pas aller trop loin, ce n’est pas créer des obligations bien étendues.

Maintenant, messieurs, ces écoles doivent-elles être des écoles du gouvernement ? L’affirmative ne me paraît pas douteuse ; je ne pense pas que ce soit faire la part du gouvernement trop large, que de lui donner 27 écoles sur 4 ou 5,000 écoles qu’il y aura en Belgique.

Je ne pense pas que ce soit lui donner trop pour sa part dans la direction de l’enseignement primaire, 27 écoles, une par arrondissement judiciaire, alors qu’il en existe 4 ou 5,000 dans le pays ; certes ce n’est pas beaucoup, c’est à peu près une école sur 200.

Remarquez, messieurs, qu’il s’agit d’écoles modèles, c’est-à-dire d’écoles qui doivent agir par l’exemple sur les petites écoles qui les entourent. Vous avez créé des réunions cantonales, eh bien, messieurs, quoi de plus utile dans ces réunions, lorsqu’on rencontrera cette objection qui se produira si souvent, que telle ou telle chose est impossible ; quoi de plus utile, alors que de pouvoir citer l’exemple d’une école voisine. Mais pour obtenir cet avantage, messieurs, il ne faut pas se borner à une école modèle par province, car vous ne citerez pas avec fruit l’exemple d’une école modèle établie, je suppose à Bruges, à un instituteur des environs d’Ypres ; cette école ne sera pas à sa portée, elle est trop éloignée.

Vous voyez, messieurs, qu’il y a une grande utilité à ce qu’il y ait un point de comparaison rapproché de l’instituteur, et c’est pour cela qu’il convient qu’il y ait au moins une école de ce genre par arrondissement.

D’après la rédaction du gouvernement, les écoles primaires actuellement existantes, sont maintenues. Supposons cette disposition adoptée ; la loi imposerait au gouvernement le maintien de ces écoles ; qu’arriverait-il, si les communes disaient au gouvernement : La loi vous fait une obligation du maintien de ces écoles, et nous ne voulons plus faire aucune dépense pour lui ? J’aime mieux laisser au gouvernement la faculté de choisir entre les communes qui lui offriront les conditions les plus avantageuses.

D’après la rédaction actuelle qui exige un vote législatif avant qu’une école modèle puisse être érigée, le gouvernement ne pourrait pas créer un tel établissement, alors que le budget de l’instruction primaire présenterait une somme disponible suffisante.

On craint que l’érection de ces écoles ne donne lieu à des dépenses considérables, Mais si cela était, ce serait précisément un motif pour donner au gouvernement la faculté de faire un choix entre les communes qui lui offriront les conditions les plus avantageuses pour le trésor.

Ainsi, financièrement, la disposition n’entraînerait pas à une dépense très forte. Il y a peu de chefs-lieux d’arrondissement qui ne consentiront pas à échanger leur école primaire contre une école modèle, et à se procurer cet avantage au prix d’un léger sacrifice.

Je crois donc que rien ne s’oppose à l’adoption de l’amendement qui ne donne au surplus qu’une intervention extrêmement limitée au gouvernement, puisque sur des milliers d’écoles, il ne pourra en créer que 27.

Voici comment je proposerais de rédiger la disposition.

Art, 28. §§ 1 et 2. « Des écoles modèles seront fondées par le gouvernement dans toutes les provinces ; il pourra en être établi une dans chaque arrondissement judiciaire. Elles sont placées de préférence, toutes choses égales d’ailleurs, dans les communes qui offriront de fournir un local convenablement disposé et d’intervenir dans les dépenses de la manière la plus avantageuse au Trésor. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je dirai que l’honorable préopinant a eu tort de me reprocher d’être cause que la première partie de la discussion a porté à faux. N’avez-vous pas pensé comme moi, à la première lecture de l’amendement de l’honorable M. Rogier, que les frais des écoles primaires supérieures seraient à la charge du trésor public seul ?

L’honorable préopinant a fait deux objections à la rédaction que j’ai proposée. « Les écoles primaires modèles, actuellement existantes porte l’article, sont maintenues. » L’honorable préopinant voit dans cette disposition une obligation tellement étroite pour le gouvernement que le gouvernement devrait maintenir ces écoles, alors même que les communes où elles sont situées se refuseraient à continuer tout concours. La disposition ne peut pas être entendue dans ce sens.

Maintenant, l’honorable membre a supposé, quant au dernier paragraphe, que, lors même que le gouvernement aurait des fonds disponibles suffisants dans le budget de l’instruction primaire pour établir une ou plusieurs écoles primaires supérieures, il lui faudrait encore un vote spécial pour chaque école. Il est évident que le paragraphe ne peut pas être entendu de cette manière. Je suppose, par exemple, un collège subventionné qui se transformerait en école primaire supérieure ; si l’on se bornait à donner à cette école primaire supérieure le subside qui était accordé au collège, il ne faudrait pas un vote législatif nouveau.

Le gouvernement, avec la disposition que j’ai proposée, arrivera au but que l’honorable préopinant désire atteindre : il établira une école primaire supérieure successivement dans chaque arrondissement, et peut-être plus d’une par arrondissement.

M. Dumortier. - Je préfère l’amendement de l’honorable M. Devaux à la disposition proposée par le gouvernement ; l’amendement de M. Devaux est beaucoup plus précis ; en l’adoptant nous saurons positivement à quoi nous nous engageons, tandis que nous ignorons jusqu’où on peut aller avec la disposition du gouvernement. Il pourrait y avoir plus d’une école modèle dans un arrondissement, tandis que d’après l’amendement de M. Devaux il n’y en aurait qu’une par arrondissement.

Vous voulez établir deux écoles normales, je le veux bien mais pourquoi alors établir des cours de pédagogie, des cours normaux dans les écoles modèles ? cela me paraît faire double emploi avec les écoles normales.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce sont deux choses essentiellement différentes. Je le démontrerais, si la séance n’était pas sur le point d’être levée.

M. de Garcia. - Je demanderai une explication à l’honorable auteur de l’amendement. Si les communes refusaient leur concours pécuniaire pour l’établissement des écoles primaires supérieures, le gouvernement sera-t-il nécessairement obligé d’en établir à ses frais ? L’honorable M. Devaux ne pose pas sans doute comme un principe absolu qu’il y aura une école primaire supérieure dans chaque arrondissement.

M. Devaux. - Le gouvernement reste juge.

- La séance est levée à 4 heures et un quart.