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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 12 novembre 1842

(Moniteur belge n°317 du 13 novembre 1842)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et quart.

M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Henneman, sergent au 4ème bataillon du 3ème régiment d’infanterie, prie la chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Louis-Joseph-Désiré Derudder, cultivateur à Oostkerke, né à Cappellebroek (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Dukschen réclame l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement des travaux qu’en 1818 il a exécutés dans le bastion n°14 des fortifications de la place d’Ostende. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Composition des bureaux de section

Première section :

Président : Scheyven

Vice-président : Lange

Secrétaire : Troye

Rapporteur des pétitions : Van Cutsem


Deuxième section :

Président : d’Huart

Vice-président : Osy

Secrétaire : Pirmez

Rapporteur des pétitions : Desmet


Troisième section :

Président : Demonceau

Vice-président : Wallaert

Secrétaire : Kervyn

Rapporteur des pétitions : Malou


Quatrième section :

Président : Duvivier

Vice-président : Jonet

Secrétaire : Dedecker

Rapporteur des pétitions : Vandenbossche


Cinquième section :

Président : de Theux

Vice-président : Dumortier

Secrétaire : Maertens

Rapporteur des pétitions : Huveners


Sixième section :

Président : de Behr

Vice-président : d’Hoffschmidt

Secrétaire : Sigart

Rapporteur des pétitions : Zoude.


Composition de la commission de comptabilité, nommée par les sections :

MM. Rodenbach, Jadot, Lys, Dedecker, Mast de Vries et de Meer de Moorsel.

Projet d'adresse

Lecture

M. Dumortier. - Votre commission d’adresse m’a chargé de vous présenter le projet de réponse au discours du trône. Je vais avoir l’honneur de vous en donner lecture.

« Sire,

« En reprenant nos travaux après une session longue laborieuse, qui vient à peine d’être close, nous nous félicitons de voir au milieu de nous le Roi qui s’est si noblement associé à notre cause, et sur qui reposent les destinées de la patrie.

« Nous sommes heureux d’apprendre que les négociations ouvertes en suite du traité de Londres, ont amené un dénouement satisfaisant, et que toutes les difficultés qui se rattachaient à la séparation des deux pays, ont pu être enfin résolues. Nous examinerons avec le plus grand soin les traités que Votre Majesté nous annonce, et dans lesquels, nous nous plaisons à le croire, nos droits n’ont pas été méconnus. Ces résultats, en offrant à l’Europe un nouveau témoignage d’esprit de conciliation internationale, serviront sans aucun doute à faciliter des rapports commerciaux qui ne peuvent que contribuer à la prospérité des deux peuples.

« Les intérêts matériels doivent être l’objet des soins constants du gouvernement ; nous porterons notre attention sur le traité conclu avec l’Espagne, et tout en conservant l’espoir que d’autres négociations encore pourront être fructueuses à notre industrie, nous fixerons toute notre sollicitude sur les mesures qui nous sont annoncées dans l’intérêt du commerce, et sur l’enquête que nous avons instituée dans le but de favoriser les exportations maritimes.

« L’importance de l’industrie ne nous laissera pas inattentifs aux besoins de la classe ouvrière. En examinant les mesures qui nous seront proposées sur la protection des enfants dans les manufactures, nous chercherons à assurer la conservation de la santé et des mœurs de cette partie si intéressante de la société. Déjà la loi sur l’enseignement primaire, par laquelle, en répandant l’instruction, nous avons voulu conserver au peuple son caractère moral et religieux, a prouvé l’unanimité de vues des grands pouvoirs de l’Etat sur ces graves intérêts, et le pays entier y a applaudi.

« La chambre des représentants voit avec un juste orgueil le développement progressif des sciences, des lettres et des arts. La récente exposition, ouverte dans la capitale, a montré que la patrie des Van Eyck et des Rubens savait encore fournir de dignes successeurs à ces gloires nationales.

« La grande entreprise du chemin de fer, en atteignant les frontières de France et d’Allemagne, doit contribuer à augmenter la prospérité du pays. Nous formons des vœux pour que l’achèvement du réseau intérieur mette enfin en rapport tous les grands centres de population. De leur côté, les voies de communication décrétées dans le Luxembourg et le canal de la Campine viendront vivifier deux provinces auxquelles se rattachent de pieux souvenirs.

« L’armée, par l’esprit patriotique qui l’anime, par son instruction et sa discipline, continuera, nous n’en doutons point, à justifier la confiance de Votre Majesté et celle du pays.

« Nous attendrons, sire, les divers projets que Votre Majesté nous annonce pour régulariser les services publics ; dans l’examen des lois de finance qui nous seront proposées, nous n’oublierons pas que l’ordre et l’économie dans les dépenses peuvent souvent suppléer à de nouveaux impôts, et sont un grand moyen de crédit public. Déjà la conclusion de l’emprunt témoigne de la confiance que notre crédit inspire. Ce crédit, auquel la fortune publique est intimement associée, s’accroîtra encore par la paix et la tranquillité.

« Après les secousses qui ont si profondément ébranlé la société, après les sacrifices si durs que nous avons dû faire, la nation éprouve le besoin de calme et de repos. Le commerce et l’industrie, ces deux grandes sources de la prospérité des peuples, ne peuvent fleurir au milieu des commotions politiques. Heureuse et confiante dans le souverain qu’elle s’est choisi et dont la dynastie s’élève et grandit pour le bonheur de la patrie, la nation, Sire, n’oubliera jamais que la Belgique ne peut trouver de force réelle que dans la concorde et l’union de tous ses enfants. »

« Raikem, président ; Dumortier, rapporteur, Fallon, d’Huart, de Theux, de Foere, Pirmez. »

Motion d'ordre

Visite domiciliaire chez un sénateur

M. Osy. - Messieurs, vous aurez été aussi douloureusement surpris que moi de ce que l’autorité judiciaire vient de prescrire contre un honorable membre de la représentation nationale, qui longtemps a été notre collègue.

Si le sénat était assemblé ou qu’il y eût espoir de le voir réuni sous peu, j’aurais laissé à ce corps respectable de demander lui-même les explications à M. le ministre de la justice ; mais ce qui vient d’avoir lieu, et par ce que nous nous devons, je crois que c’est de notre dignité de ne pas tarder et de demander aujourd’hui même les explications et réparations convenables.

Dans la nuit du 8 au 9, jour où nous avions été réunis pour entendre le discours de la Couronne et pendant que nous siégions ici avec l’honorable comte Desmanet de Biesme, son château, près de Namur, était cerné par la force armée, et le lendemain matin il a été envahi pour voir si un des condamnés du complot politique, qui venait de s’évader, ne s’était pas réfugié chez lui. Cette visite domiciliaire s’est faite pendant qu’il n’y avait au château que les demoiselles de l’honorable sénateur, qui se trouvait, comme je viens de vous le dire, avec nous dans cette enceinte pour remplir ses devoirs parlementaires.

Je n’examinerai pas la question constitutionnelle, qui, à la lettre, ne se trouve peut-être pas violée, mais je vous demanderai, messieurs, si on n’a pas manqué à toute convenance et respect qu’on doit à un membre de la représentation nationale.

L’honorable comte depuis douze ans a donné les preuves les plus évidentes de son amour pour nos institutions : son patriotisme et son attachement au Roi et au pays ne peuvent être douteux pour personne.

Le digne représentant, ainsi que madame son épouse, sont depuis un an dans l’affliction et dans les plus sincères douleurs, et ont dû encore se voir abreuver par des soupçons du pouvoir ministériel ou judiciaire ; et il a pu se trouver un homme, qui ait pu méconnaître un des plus beaux caractères de l’époque !

Pour moi, je ne trouve pas d’expressions assez fortes pour flétrir une pareille insulte ; et pour notre propre dignité et celle de nos collègues de l’autre chambre, nous devons avoir une explication franche et sans retard ; car si c’est ainsi qu’on entend la justice, vous n’êtes pas sûrs, messieurs, que pendant que nous remplissons ici notre mandat de député, une inimitié ou mécontentement ministériel ou judiciaire ne puisse nous supposer de tramer dans l’un ou l’autre complot, et qu’on ordonne chez nous des visites domiciliaires et qu’on fouille dans tous nos papiers et donner ainsi les plus vives inquiétudes à nos femmes et enfants.

Je demanderai donc à M. le ministre de la justice de s’expliquer franchement et sans détours, qui a pu ordonner une visite domiciliaire chez un représentant de la nation, et de nous en faire, séance tenante ou au plus tard à notre première réunion, un exposé exact de cette manière inconcevable d’agir ; et je me réserve la parole pour vous faire une proposition d’enquête, si nous ne trouvons pas la réponse de M. le ministre satisfaisante sous tous les rapports, et pour connaître exactement d’où sont partis les ordres pour une démarche aussi inconvenante et inconsidérée.

Par ce qui a eu lieu à Golzinnes, le public pourrait supposer M. le comte Desmanet de Biesme d’accord avec les condamnés, et c’est nous à demander une réparation pleine et entière et connaître au juste d’où est parti le coup ; nous ne pouvons permettre que puisse planer le moindre soupçon sur un membre des chambres, car nous perdrions notre propre considération et dignité.

M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) - Dans la journée d’hier, le gouvernement a été informé par M. le vicomte Desmanet de Biesme, sénateur, qu’une visite domiciliaire a été faite à son château de Golzinnes. Jusqu’à présent aucun renseignement n’est parvenu à cet égard au ministère de la justice, ni à aucun autre ministère. Il m’est donc absolument impossible de donner à l’honorable membre, et à la chambre les explications demandées. Tout ce que je puis affirmer, c’est que l’ordre de faire cette visite domiciliaire n’est émané ni du cabinet, ni d’aucun de ses membres. Il n’est jamais entré dans l’intention du cabinet de poser quelque fait hostile aux membres de la représentation nationale. Si jamais il avait pu en avoir la pensée, ce n’est certes point envers l’honorable sénateur qu’il aurait voulu prendre l’initiative. Son patriotisme, son dévouement aux institutions du pays sont trop bien connus. L’honorable préopinant vient de faire allusion à des inimitiés ministérielles ou judiciaires. Je ne sais s’il y a des inimitiés judiciaires ; (je me plais à croire qu’il n’en existe pas) ; mais je puis affirmer qu’aucun membre du cabinet n’a d’inimitié envers l’honorable vicomte Desmanet de Biesme. Nous déplorons, messieurs, cette visite domiciliaire faite chez ce membre de la représentation nationale, et qui a aggravé les chagrins dont il est abreuvé depuis plus d’une année. Je m’informerai, messieurs, avec la plus grande attention de tout ce qui a pu déterminer cette visite, et je ferai connaître à la chambre le résultat de mes investigations. (Approbation.)

(Moniteur belge n°318 du 14 novembre 1842)

(Le sénateur Desmanet de Biesme demanda pour sa part que le directeur du Moniteur belge insère le texte qui suit (Moniteur belge n°318, du 14 novembre 1842) :

« Au directeur.

« Monsieur,

« Tout ce qui se rattache à la visite domiciliaire qui a eu lieu chez moi devant se traiter au grand jour, je vous prie de vouloir faire insérer dans le numéro de demain du Moniteur, copie de la plainte que j’ai eu l’honneur d’adresser à M. le ministre de la justice à ce sujet.

« Veuillez, etc.

« Vicomte DESMANET DE BIESME, sénateur. »

A M. le ministre de la justice.

Monsieur le ministre,

Dans la nuit de mardi à mercredi dernier, 8 au 9 courant, une brigade de gendarmerie est venue cerner mon château de Golzines, commune de Bossière, province de Namur, et en a gardé toutes les issues ; je me trouvais à Bruxelles, pour y assister, en ma qualité de sénateur, à l’ouverture de la session législative.

Le lendemain, 9 novembre, au matin, précédés du bourgmestre, les gendarmes ont procédé à une visite domiciliaire, sous prétexte d’y chercher le général Vandersmissen, qu’ils ont eu l’extrême désappointement de ne pas trouver chez moi, malgré la probabilité, la quasi certitude qui devait exister dans les convictions de vos agents de l’y rencontrer ; une démarche aussi brutale devant sans cela rester aussi inexplicable qu’inexcusable aux yeux de l’opinion publique, par l’inconvenance dont elle est empreinte.

Ayant eu l’honneur de faire partie, hier, de la députation chargée de présenter au Roi l’adresse du sénat, j’ai pris la respectueuse liberté de loi faire connaître les faits et les réflexions qu’un tel acte me suggère. S. M. a accueilli mes plaintes avec sa bonté accoutumée ; elle s’est plue, dans cette occasion, à me renouveler les assurances de sa haute estime, dont elle m’a si souvent donné les marques les plus flatteuses.

Vous m’avez ensuite, M. le ministre, fait donner par M. le secrétaire-général de votre ministère, votre parole d’honneur que non seulement vous étiez étranger à ce mauvais procédé, mais que vous n’en aviez aucune connaissance. Il paraîtrait qu’il n’est dû qu’au génie d’un fonctionnaire subalterne de votre administration.

Si je me trouvais dans toute autre circonstance, si un membre de ma famille ne subissait une captivité dont la rigueur a été doublée fort injustement par l’évasion de Vandersmissen, si je ne voyais aussi dans l’acte accompli une méchante pensée à mon égard, je me bornerais à vous demander le nom du magistrat intelligent qui fait chercher chez moi, j’insiste sur le moi, le mercredi seulement, le fugitif du dimanche ; et livrant ce nom à la risée publique, je serais satisfait ; je rirais, et d’un franc rire, M. le ministre, de ces bons gendarmes qui, par une froide nuit de novembre, soufflant sur leurs doigts et l’œil aux gouttières, crurent un moment, dit-on, constater l’identité de Vandersmissen dans la personne d’un vieux matou, commensal de mes greniers depuis dix ans, et dont les longues moustaches ont failli induire la force publique de Belgique en erreur ; mais je me vois forcé à prendre une autre position ; mon honneur, ma qualité de mandataire du pays me font un devoir de vous demander une éclatante réparation de l’injure qui m’a été faite. Le but que l’on se proposait est évident, cette insolente perquisition ne pouvait en avoir d’autre que de chercher à faire planer sur moi, dans ma province, des doutes sur mon patriotisme et ma loyauté ; car, remarquez-le, si, sur des indications quelconques, on se figurait que Vandersmissen se fût caché dans nos environs, pourquoi n’a-t-on visité que mon château seul, tandis qu’il y eu a trois dans la même commune, et une dizaine dans le rayon d’une lieue ? Pourquoi cette préférence injurieuse ? Je suis donc connu, moi, M. le ministre, ou fortement soupçonné par la justice belge, à la tête de laquelle vous êtes placé, d’être de connivence avec les ennemis de l’Etat, et c’est donc un traître par qui la province de Namur est représentée au sénat ; là est l’insulte dont je vous demande satisfaction, ne pouvant plus siéger au sénat et décidé à m’abstenir d’y paraître, tant qu’une enquête n’aura pas fait connaître sur quoi se fondent les doutes ou les soupçons qui sont élevés par le ministère public mon égard.

Parlerai-je de la violation du domicile du député pendant l’exercice de ses fonctions, à laquelle se rattache une question constitutionnelle importante. Quoi, lorsque nous quittons nos familles pour siéger au parlement, il serait permis aux moindres de vos juges d’instruction de venir les alarmer par des visites domiciliaires, et chaque fois qu’un prisonnier s’échappera de vos prisons, on pourra feindre de croire que la maison du député est l’asile où il est venu se réfugier, et à l’aide de cet innocent stratagème, satisfaire aux ressentiments que les luttes parlementaires soulèvent quelquefois ; et sans en faire d’application spéciale, je dis que la question mérite d’être mûrement examinée par le pouvoir législatif.

Les pouvoirs du ministère public sont immenses, il y aurait lieu de s’en effrayer s’ils étaient livrés à l’inexpérience ou à un zèle peu intelligent ; il y aurait lieu de les redouter plus encore si les passions politiques obscurcissaient le jugement de ceux qui en sont revêtus. La magistrature belge, aussi indépendante qu’éclairée, doit trouver dans son nombreux personnel assez de sujets capables de remplir avec discernement et impartialité les fonctions délicates dont le ministère public est investi pour protéger et non pour vexer la société, pour ne pas croire qu’il serait facile au ministère d’éviter des abus de l’espèce de ceux qui font l’objet de la plainte que j’ai l’honneur de vous adresser.

Veuillez recevoir, monsieur le ministre, l’assurance de ma considération distinguée.

Bruxelles, 12 novembre 1842.

(Signé) DESMANET DE BIESME, sénateur.)

Projet d'adresse

Discussion générale

(Moniteur belge n°317 du 13 novembre 1842) M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet d’adresse.

La parole est à M. Delfosse.

M. Delfosse. - Je félicite la commission d’adresse d’avoir dit dans son projet que l’ordre et l’économie dans les dépenses peuvent souvent suppléer à de nouveaux impôts. Ce langage plein de franchise et de vérité est sûr d’obtenir l’approbation générale. Si MM. les membres de la commission persévèrent dans ces bons sentiments, et l’on doit croire qu’ils le feront, s’ils voient plus tard comme ils parlent en ce moment, il y a lieu d’espérer que les demandes d’augmentation d’impôts, que le ministère n’a pas craint de nous adresser, lui qui proclamait, il y a peu de temps, qu’il ne serait pas créé de charges nouvelles ; il y a lieu d’espérer, dis-je, que ces demandes seront rejetées par la chambre, à la grande satisfaction du pays.

Je félicite encore la commission du silence prudent qu’elle a gardé sur le dernier paragraphe du discours de la Couronne. Lorsqu’une session n’a abouti en définitive qu’à créer des dépenses considérables et à priver le pays de quelques-unes de ses plus précieuses libertés, et c’est là le résumé de la session précédente, une telle session ne peut être proposée comme modèle, et l’on ne doit certes pas désirer que la session qui s’ouvre en soit, à tous égards, la continuation.

On vante beaucoup la loi sur l’instruction primaire, qui a été votée, dans la précédente session, à la presqu’unanimité des suffrages. Je reconnais que M. le ministre de l’intérieur, a remporté sur cette question délicate un succès en quelque sorte inespéré. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’opposition a subi cette loi, plutôt qu’elle ne l’a acceptée. L’opposition avait attaqué avec force plusieurs dispositions qui ont été maintenues. Si elle a voté pour la loi, c’est qu’elle s’est dit qu’il était préférable, dans cette matière, d’avoir une loi même défectueuse que de ne pas en avoir du tout.

Deux de mes honorables collègues et moi, nous avons pensé autrement ; nous aurions voulu attendre pour avoir une loi meilleure. Pour ma part, je ne regrette nullement le vote que j’ai émis dans cette circonstance. Quand il n’y aurait dans la loi que la disposition qui confie au clergé, à l’exclusion du gouvernement, la direction, non seulement de l’enseignement religieux, mais encore de l’enseignement de la morale, mon vote négatif serait suffisamment motivé.

Je l’ai dit, et je le répète, c’est là une disposition monstrueuse, qui n’existe dans la législation d’aucun peuple civilisé. L’enseignement de la morale peut exercer une trop grande influence sur les destinées du pays pour qu’il soit permis au gouvernement d’abdiquer, en faveur de qui que ce soit, le droit ou plutôt le devoir de veiller à ce que cet enseignement soit donné pur de toute altération.

La loi a reçu, dit-on, le meilleur accueil dans le pays ; on n’a plus de craintes sur son exécution. Il paraît, d’après ce passage du discours de la Couronne, passage qui est reproduit dans le travail de la commission, qu’on avait conçu des craintes et qu’on avait besoin d’être rassuré ; ces craintes n’étaient pas sans fondement. J’ignore quel accueil la loi a reçu dans les autres provinces. Mais j’affirme que dans la mienne elle a été fort mal accueillie. Les agents du gouvernement ont pu dire le contraire dans leurs rapports, mais on connaît l’opinion de la plupart de ces messieurs, et l’on sait qu’ils prennent très souvent leurs désirs pour la réalité. Le conseil communal de Liége avait protesté à l’avance contre cette loi, et cette protestation, sauf un point que j’ai moi-même contesté, a reçu l’adhésion de la grande majorité des habitants de cette ville importante. Il a été prouvé à l’évidence par les dernières élections que les membres du conseil communal de Liége jouissent de l’estime et de la confiance de leurs concitoyens. Tous, à l’exception d’un seul, qui s’était séparé de ses collègues dans une circonstance décisive, ont été réélus à la presqu’unanimité ; on n’a pas même osé leur opposer de concurrents.

Je voudrais pouvoir également féliciter la commission de la pensée, vraie au fond, exprimée dans le dernier paragraphe, que « la Belgique ne peut trouver de force réelle que dans la concorde et l’union de tous ses enfants. » Mais l’expérience ne nous a que trop appris à être sur nos gardes lorsque les mots d’union et de conciliation se trouvent dans certaines bouches. On parlait d’union et de conciliation, lorsqu’on a renversé un ministère contre lequel on n’avait d’autre grief que l’appui loyal et désintéressé que lui prêtait l’opposition ; on parlait d’union et de conciliation, lorsqu’on a soumis à la chambre les projets les plus irritants, les plus propres à jeter dans le pays des germes de discorde et de division. On parle encore aujourd’hui d’union et de conciliation. Dieu veuille que ce langage, qui n’est pas nouveau, ne soit pas encore l’avant-coureur de quelque mesure désastreuse !

J’avoue que j’ai des craintes, et que je ne suis pas complètement rassuré, lorsque je lis dans le discours de la Couronne que l’accueil fait à la loi sur l’instruction primaire présage l’heureuse solution d’autres questions du même genre.

Les atteintes déplorables portées aux libertés communales son encore trop récentes, pour que nous puissions accepter avec une entière confiance la main qu’on paraît nous tendre. L’exécution de cette loi a d’ailleurs été telle que le mécontentement public s’est aggravé, au lieu de décroître ; n’a-t-on pas, dans plusieurs localités, montré le plus grand mépris pour le vœu des électeurs en y nommant le bourgmestre même avant les élections ? N’était-ce pas leur dire d’avance que l’on trouvait fort inutile de les consulter, qu’on les jugeait incapables de faire de bons choix ? Etait-ce là ce que l’on avait promis lors de la discussion de la loi ; n’avait-on pas assuré que la nomination dans le sein du conseil serait la règle, et avait-on jamais pu prévoir que l’on nommerait même avant la formation du conseil, avant de savoir s’il ne renfermerait pas quel- qu’homme capable, digne de la confiance du gouvernement ? Quel été, messieurs, le fruit de cette conduite insensée ? Les électeurs, justement indignés de ce manque d’égards, trop fréquent sous le ministère actuel, ont repoussé l’homme du gouvernement, qui s’est vu fermer les portes du conseil ; si c’est ainsi que l’on espère arriver à la concorde et à l’union, qui, de l’aveu de la commission, peut seule donner à la Belgique une force réelle, on est grandement dans l’erreur,

La conduite du ministère a encore porté d’autres fruits ; plusieurs bourgmestres, qui étaient en fonctions avant les dernières lois, ont succombé sous l’impopularité qui s’attache aux mesures prises depuis quelque temps et pour lesquelles ils n’avaient pas montré cette répugnance qui est devenue en quelque sorte générale.

Je ne sais ce que M. le ministre de l’intérieur se propose de faire, mais qu’il y prenne garde, qu’il n’aille pas trop se heurter contre les grandes communes, il pourrait à la fin se briser dans la lutte. S’il est sage, il ne cherchera pas à leur imposer des hommes dont il est évident qu’elles ne veulent plus. Que s’il est résolu, contre toute prudence, à choisir, sans nécessité, quelques bourgmestres ailleurs que dans le conseil, qu’il prenne du moins des hommes éclairés, capables de rendre des services administratifs, qu’il n’aille pas faire tomber son choix sur des hommes dont l’incapacité serait notoire et qui n’auraient d’autre mérite que d’avoir déserté nos rangs pour obéir aveuglément aux injonctions ministérielles ; qu’il laisse de tels hommes dans la vie privée, où ils tenaient et peuvent encore tenir un rang honorable et dont ils n’auraient jamais dû sortir.

On avait espéré que la loi sur le fractionnement ferait pénétrer dans les consuls communaux des grandes villes quelques hommes dévoués, au moyen desquels on aurait pu se faire une majorité dans les collèges des bourgmestre et échevins. Cette fois encore le parti a été trompé dans son attente ; mais cette loi, stérile pour ceux qui l’ont sollicitée, a produit ce mal à jamais regrettable que la commune n’est plus du tout représentée ; il y a aujourd’hui des représentants de quartiers, il n’y a plus des représentants de communes. Un des nouveaux élus disait dernièrement à quelqu’un qui lui recommandait une affaire, et il le disait dans le but de faire sentir l’absurdité de la loi : « Pourquoi m’occuperais-je de votre affaire et de votre quartier ? J’ai bien assez de mon quartier et de mes électeurs, c’est d’eux seuls que je relève, c’est à eux seuls que je veux plaire. »

Il y a, messieurs, dans la constitution une disposition qui porte que chacun de nous représente la nation tout entière, et non le district qui nous a élus, et cependant quelle n’est pas ici même la force de l’esprit de localité, de ce sentiment qui nous porte, à notre insu, à défendre de préférence les intérêts de ceux au milieu desquels nous vivons, et pour lesquels nous avons le plus de sympathie.

Ce sentiment, soyez-en sûrs, agira avec bien plus de force encore sur les conseillers communaux qui ne sont pas retenus, comme nous, pas une disposition du pacte fondamental. Ah, combien, aujourd’hui que le but politique est manqué, ne doit-on pas se repentir d’avoir introduit dans notre législation ce nouveau germe de désordre administratif !

Pour que le projet d’adresse eût mon assentiment, il faudrait que ce sentiment de regret y fût consigné ; il faudrait, en outre, qu’il contîint la déclaration respectueuse que le ministère actuel est impuissant à faire le bien, et que l’intérêt du pays exige qu’il soit promptement renvoyé.

Je n’ai pas besoin, je pense, messieurs, de vous signaler toutes les fautes de ce ministère ; elles ne sont que trop nombreuses et trop connues. L’achat de La British-Queen, l’irrégularité du paiement généralement blâmée ; la perturbation jetée dans l’industrie par les nouveaux tarifs du chemin de fer, tarifs tellement défectueux qu’il a été impossible de les exécuter, et qu’il a fallu les changer au moment même de leur publication ; le prêt fait à la banque de Belgique, à 2 1/2 p. c., alors que nous ne pouvions emprunter qu’à 5 p. c., alors que nous avions des bons du trésor en circulation ; la circonstance aggravante que le ministre des finances est un des actionnaires de cete banque, dont il était directeur avant d’entrer au ministère ; les intérêts de notre commerce compromis dans le dernier traité avec la France ; une tendance trop prononcée à augmenter les dépenses et les impôts ; le mépris avoué de l’opinion publique, tout doit faire désirer la chute de ce ministère, qui n’a rien fait jusqu’à ce jour pour laver le vice originel dont il est entaché. Tant que ce ministère sera aux affaires, je voterai contre tout projet d’adresse qui n’exprimera pas cette pensée qui est au fond de presque tous les cœurs, je ne dis pas dans cette chambre, mais au dehors.

Il est d’ailleurs un fait qui a dû nous frapper tous, à quelque côté de la chambre que nous appartenions, c’est que plusieurs de nos ministres ont accepté un fardeau au-dessus de leurs forces. Leur insuffisance dans les discussions parlementaires et dans la plupart des affaires qu’ils ont traitées, est aujourd’hui de notoriété publique ; il en est un, je le reconnais, qui joint à beaucoup de talent une activité prodigieuse ; et je regrette vivement qu’il ne fasse pas de ces dons de la nature un usage plus conforme aux vrais intérêts du pays. Mais un seul homme ne peut pas composer tout un ministère ; à part toute opinion politique, nous devrions donc être d’accord pour demander que MM. les ministres se retirent pour faire place à des hommes plus capables et plus expérimentés. La dignité du pays, la dignité de la chambre l’exigent.

M. Lebeau. - Messieurs, je commencerai par reconnaître que le projet d’adresse est écrit avec convenance, avec mesure, avec une prudence qui contraste avec certaines parties du discours de la Couronne. Je remercie la commission d’adresse de ne s’être pas associée à certaine partie du discours de la Couronne qui, de quelques précautions oratoires qu’on l’ait entourée, est, à mon avis, une espèce de provocation adressée à une partie de cette chambre. Je remercie la commission d’adresse d’en avoir fait justice par un silence qui n’est sans doute pas l’effet du hasard, mais bien le résultat d’une pensée réfléchie.

Il y a dans le discours du trône, œuvre des ministres responsables, plusieurs paragraphes que la commission d’adresse a complètement passés sous silence : le premier d’abord, dans lequel on parle des grandes questions qui ont été résolues dans la session qui vient de se clore, un autre paragraphe dans lequel le gouvernement fait allusion à l’exécution des lois que nous avons votées ; et enfin, messieurs, le dernier paragraphe qui contient un éloge sans restriction de la marche et des actes qui ont caractérisé la dernière session, et une invitation d’imprimer aux travaux de la session actuelle la même tendance et le même caractère.

Messieurs, je crois que tous nous devons louer la prudence des rédacteurs du projet d’adresse, lorsqu’ils ont passé ces paragraphes sous silence. Et en effet, messieurs, était-ce le moment, lorsqu’eux-mêmes font un appel à l’union et à l’esprit de concorde, de venir, en parlant de quelques lois qui ont été votées dans la dernière session, et qui l’ont été, à notre avis, si malheureusement, était-ce le moment de venir faire allusion à ces lois qui, il faut le reconnaitre aujourd’hui, ont porté des fruits si amers ?

N’y a-t-il pas de l’imprudence à venir, comme l’a fait le ministère, réveiller le souvenir des modifications apportées à la loi communale, commencer par la loi qui défère au pouvoir royal la faculté de choisir les bourgmestres en dehors du conseil, lorsque les premiers essais de cette faculté ont eu pour résultat de compromettre, d’humilier la prérogative même que les ministres ont exercée ; lorsque le choix du gouvernement est devenu un titre de proscription auprès des électeurs ? Et, messieurs, ce titre de proscription attaché aux choix ministériels, il ne résulte pas seulement de l’exécution pure et simple de la loi ; il résulte principalement de la manière dont le ministère a fait usage d’une disposition qu’il avait présentée lui-même comme ayant un caractère tout exceptionnel, comme ne devant être employée que dans des cas rares et pour ainsi dire de force majeure. Le ministère s’est empressé en différentes occasions de faire un choix en dehors du conseil, lors qu’évidemment aucune nécessité ne le forçait à en sortir.

Messieurs, il ne faut jamais méconnaitre le caractère principal du gouvernement sous lequel nous vivons c’est, messieurs, le système électif qui préside en quelque sorte à l’organisation de tous les pouvoirs de l’Etat.

Ce système électif a ses nécessités qu’on ne peut jamais méconnaître impunément. Les conséquences de ce principe sont admises sans difficulté dans les hautes régions gouvernementales. Bien que la constitution attribue au chef de l’Etat le libre choix du ministère, il est admis par tous qu’il faut que ce choix soit en harmonie avec l’opinion qui domine dans les chambres.

Si nous descendons dans des régions secondaires, cette même nécessité pèse également sur le pouvoir, et ne sera jamais méconnue par un gouvernement prudent. Ainsi, bien qu’il ne soit écrit nulle part que le commissaire du Roi, dans la province, doive marcher avec la majorité du conseil provincial et de la députation permanente, je maintiens qu’il sera toujours regrettable pour le gouvernement d’avoir à la tête d’une province un gouverneur qui serait antipathique à ces deux corps.

En France, où le pouvoir central se montre si jaloux de ses droits, nous l’avons vu plusieurs fois changer des préfets contre lesquels les conseils de département avaient fait des démonstrations hostiles. On a senti que s’obstiner, dans ce cas, à lutter avec le principe électif, c’était lutter avec une force supérieure, c’était lutter contre le principe même des institutions représentatives.

Eh bien, messieurs, cette nécessité pèse également, pèse bien plus encore, sur le choix du bourgmestre qui est en contact permanent avec le conseil communal ; et, quant à moi, lorsque nous avions table rase et que nous avons procédé à l’organisation de la commune, si j’ai jamais consenti à ce que le choix du bourgmestre pût avoir lieu hors du conseil, il a toujours été dans ma pensée, et je m’en suis expliqué, que ce choix fût l’exception, la très rare exception, que ce choix fût commandé, pour ainsi dire, par la nécessité, fût en quelque sorte demandé par le conseil lui-même.

Voilà, messieurs, dans quel esprit j’ai toujours pensé que le gouvernement, armé du droit de choisir le bourgmestre en dehors du conseil, devait agir. Mais choisir le bourgmestre en dehors du conseil, alors qu’aucune nécessité n’en est démontrée, alors que l’antipathie du conseil contre ce choix est des plus évidente, c’est se créer à plaisir des difficultés, c’est jeter la division dans les communes, c’est exposer le pouvoir royal à des humiliations.

Eh bien, qu’avons-nous entendu dans le sein du sénat ? Nous avons entendu le ministre de l’intérieur non pas avouer qu’il s’était trompé, mais déclarer qu’il persisterait dans la marche où il s’était engagé, alors que ses premiers choix ont eu des résultats si malheureux pour le pouvoir.

Messieurs, vous connaissez déjà les fruits de cette première modification à la loi communale ; vous savez que partout où le gouvernement a placé à la tête de la commune un citoyen qui n’avait pas été revêtu du mandat électoral, il a été impossible à celui-ci d’entrer dans le conseil. Il y a eu échec général.

Si nous examinons les effets d’une seconde et plus importante modification, si nous arrivons à l’exécution de la loi sur le fractionnement, nous avons bien d’autres résultats à signaler. Ici, messieurs, toutes les prévisions de l’opposition ont été dépassées. L’opposition avait dit au ministère, elle avait dit à l’opinion dont, en cette circonstance, le ministère subissait la loi : « La loi du fractionnement est une loi dangereuse, imprudente, la loi du fractionnement, c’est la guerre déclarée aux grandes villes. » Voilà ce que disait l’honorable M. Devaux.

Je sais que l’on répudiera comme suspect d’exagération le langage de mon honorable ami, c’est-à-dire d’un des hommes qui sont restés le plus constamment fidèles aux véritables doctrines de modération et d’impartialité ; mais cet avis, messieurs, ce n’était pas seulement des bancs de l’opposition qu’il partait ; des rangs mêmes de vos amis, une voix prudente et sage vous avertissait de l’écueil contre lequel vous alliez vous briser ; écoutez, messieurs, ce que vous disait cet honorable membre : « C’est une loi de haine et de défiance contre les grandes communes que votre loi de fractionnement, s’écriait l’honorable M. Osy ; vous allez soulever les passions politiques, et je vous prédis que si la loi passe, vous obtiendrez un résultat contraire à celui que vous attendez, car dans les masses aussi on s’éveille. Tout ceci m’effraie, et je suis décidé à me détacher du parti réactionnaire. »

Je sais bien, messieurs, qu’avec cette intelligence qui caractérisé certaine opinion, si d’une part on considérait comme un brouillon le premier des orateurs qui tenait un langage sévère sur la loi proposée, celui de l’honorable membre dont je viens de rappeler les paroles, lui valait la qualification de rêveur, Brouillon et rêveur : voilà de quelles épithètes on accable ceux qui donnent à une partie de cette chambre, ceux qui donnent au ministère des conseils qu’on est décidé à repousser dédaigneusement. Eh bien, messieurs, on voit aujourd’hui de quel côté sont les brouillons, de quel côté sont les rêveurs.

C’est la guerre aux grandes villes, disait un honorable membre de l’opposition ; c’est une loi de haine et de défiance contre les grandes communes, disait un honorable membre de la majorité ministérielle ; on signalait, messieurs, la haute imprudence d’une pareille guerre, dirigée contre les foyers principaux de la civilisation du pays ; eh bien, Bruxelles, Liége, Louvain et tant d’autres localités, sont là pour répondre, sont là pour dire si le langage de ceux qui annonçaient à l’avance quels seraient les résultats désastreux, pour le pouvoir et l’opinion qui l’appuie, de la loi du fractionnement, était empreint de la moindre exagération.

On sait, messieurs, quelles sont les victimes restées sur le champ de bataille ; ce sont précisément presque tous ceux au secours desquels on avait voulu venir par les lois sur la nomination des bourgmestres et sur le fractionnement. De sorte que ces deux lois ont produit des effets diamétralement opposés à ceux qu’en attendaient leurs auteurs.

L’accord le plus touchant avait fini par régner, à cet égard, entre ceux-ci. L’honorable M. de Theux s’exprimait ainsi en faveur de la loi de fractionnement : « Malgré la vivacité des attaques dont le projet de fractionnement a été l’objet, je ne crains pas de dire que, s’il obtient la majorité dans les chambres, jamais projet ne sera plus populaire, lorsqu’il aura reçu son exécution. »

Admirable prévoyance ! Je sais la part qu’il faut faire aux faiblesses paternelles ; je sais quelles sont les illusions d’un bon père, sur son nouveau-né ; je sais que M. de Peyronnet qualifiait aussi certaine loi, qui devait bâillonner les écrivains, de loi de justice et d’amour ; la loi populaire de M. de Theux me paraît ressembler assez à la loi de justice et d’amour de M. de Peyronnet, par la double appréciation que les deux lois ont reçues, l’une en France et l’autre en Belgique. L’honorable M. Nothomb, qui n’avait pas, lui, l’excuse des illusions paternelles, et qui paraît ne s’être pas dissimulé, au premier aspect, les difformités du nouveau-né qu’on voulait introduire dans la Chambre, a cependant, après quelques difficultés, consenti à en être le parrain. L’honorable M. de Theux avait qualifié la loi de populaire, l’honorable M. Nothomb l’a qualifiée d’utile. Après avoir quelque peu rechigné à son premier aspect, il a fini par l’adopter, par en faire de grands éloges. Il a, ainsi que l’honorable M. de Theux, déclaré qu’elle avait pour but et aurait pour résultat, entre autres avantages, de proscrire complètement des élections des grandes villes l’esprit politique. On y a admirablement réussi, comme on sait.

Loi populaire, loi utile ! Eh mon Dieu, demandez-le à M. le bourgmestre de Liége ; demandez-le à M. le bourgmestre de Louvain ; demandez-le à M. le ministre de la justice !

Vous avez vu, messieurs, comment l’honorable M. de Theux et l’honorable M. Nothomb s’étaient intimement associés, quoique agissant d’abord d’après des appréciations diverses, pour l’enfantement et l’inauguration de la loi du fractionnement ; mais voici, messieurs, un spectacle un peu moins édifiant ; on s’était associé pour faire prévaloir la loi du fractionnement, on s’était mis parfaitement d’accord quand on escomptait déjà par anticipation une victoire sur l’esprit des villes, c’est-à-dire sur l’opinion libérale ; mais lorsque la défaite est arrivée, cette association intime s’est presque dissoute et a été momentanément remplacée par la discorde. Ainsi, pendant que, dans un camp, on disait que si la loi du fractionnement avait produit des fruits amers, que si elle avait eu des résultats désastreux, ce n’était pas l’opinion catholique qui en souffrait, mais le pouvoir seul qui était tout meurtri de la mêlée, « pas du tout, répondait aussitôt le ministère, par son organe le plus honorable, pas du tout, c’est moi, qui, Dieu merci ! n’ai rien de commun avec vous, c’est moi qui suis sorti sain et sauf de la lutte : A vous seuls la défaite, à vous seuls les meurtrissures. »

Messieurs, il est aisé de vous mettre d’accord ; on l’a déjà fait en disant qu’associés pour la victoire vous êtes associés dans la défaite et que tous deux vous êtes sortis de la lutte gravement meurtris£. Un commun danger va resserrer sans doute cette union que l’adversité et certains calculs avaient un instant menacée.

Oui, messieurs, tous les deux vous avez souffert dans cette lutte, et nous pourrions nous en féliciter, si le ministère et l’opinion qui a méprisé les sages avis non seulement de l’opposition, mais encore de ses propres amis, avaient été seuls frappés ; mais, messieurs, malheureusement, de pareils conflits portent toujours plus haut que le but. Les lois dont il s’agit ont porté une atteinte profonde aux deux bases principales de la société : ces lois ont amené une réaction qui, dans sa vivacité, a fait une nouvelle et déplorable brèche à la religion et au pouvoir. La religion et le pouvoir, sont, comme je l’ai dit, les deux bases principales de la moralité populaire et de l’ordre public. Or, je le demande à M. le ministre de l’intérieur lui-même, de cette lutte imprudente, engagée conne les grandes communes, et qui a eu du retentissement jusque dans les localités les plus infinies. Oserait-on dire que la religion et le pouvoir soient sortis sans d’affligeantes blessures ?

Il ne faut pas, messieurs, ici des paroles purement oiseuses sur la situation où l’on place les garanties les plus respectables et les plus précieuses. Il faut en rechercher les causes, il faut tâcher avec impartialité de les découvrir, il faut tâcher d’y apporter remède s’il se peut, s’il n’est pas trop tard.

La religion, (vous savez, messieurs, que je n’en ai jamais parlé dans cette chambre ni ailleurs, qu’avec le respect qu’elle doit inspirer à tout le monde), a reçu depuis quelques années des atteintes profondes, des mains de ceux mêmes qui voulaient la servir. A-t-on oublié quelle opposition ont suscitée dans une grande localité, et bientôt dans tout le royaume, les publications d’un prélat dont je n’attaquerai jamais le caractère ni la sincérité des convictions, mais dont je ne saurais louer la prudence ? A-t-on oublié la dangereuse polémique engagée avec des corps constitués, l’ardeur avec laquelle on s’est jeté dans des luttes toutes politiques, au sein d’une cité si ombrageuse ? A-t-on oublié les exorbitantes doctrines sur l’enseignement public, les vues de domination absolue ? Eh, messieurs, ii a été commis faute sur faute. Nous avons vu surgir au sein de cette chambre une proposition relative à l’extension de la mainmorte, proposition qui, dans les circonstances où elle parut, a excité et devait exciter dans le pays une agitation si générale, qu’une haute influence, plus éclairée que le parti contre lequel nous sommes condamnés à lutter, a frappée elle-même de réprobation ? Oui, imprudente proposition, car elle attaquait dans ce siècle de tiédeur, des intérêts positifs ; elle alarmait les citoyens sur le sort des héritages que la parenté les appelait à recueillir ; elle les inquiétait sur les résolutions dernières de proches qui auraient pu être l’objet de dangereuses captations, favorisées, excitées par cette loi ; elle plaçait imprudemment entre leurs intérêts et leurs croyances, non seulement ceux qui observent le plus fidèlement les pratiques de notre culte, mais ceux encore qui s’y conforment plus spécialement par l’empire de l’habitude et des traditions de famille.

Messieurs, de tous les actes qui ont fait tant de tort à cette religion qu’on prétend servir, il n’en est pas de plus funeste peut-être que la loi du fractionnement, loi qui a été évidemment élaborée pour servir une opinion et qui a paru généralement imaginée, sinon imposée, par les hommes les plus dévoués au clergé.

Ajouterai-je que ce qui a nui singulièrement encore à une sainte et noble cause, c’est la presse qui se pose comme spécialement dévouée à sa défense. C’est, dans l’état des esprits en Belgique, une presse bien imprudente que celle qui déclare qu’il faut vaincre les libéraux en masse ; qui ressuscitant une intolérance politique dont on croyait à bon droit que le siècle avait fait justice, déclare que qui n’est pas pour nous est contre nous ; une presse qui, le lendemain même du jour où la presqu’unanimité de l’opinion libérale qui siège dans cette chambre, avait voté la loi de l’instruction primaire, jetait encore sur cette même opinion la défiance, la calomnie, et tous les sarcasmes d’une haine invétérée et implacable.

Enfin, messieurs, car nous devons ici tout dire, une des causes principales du tort fait à l’autorité de la religion et l’influence de ses ministres, c’est l’intervention directe du clergé dans la politique, ce sont les mandements, ce sont les circulaires électorales, c’est la participation aux élections.

Je sais bien qu’on viendra nous dire : de quel droit frapperiez-vous d’une sorte de dégradation civique les membres du clergé ? C’est leur droit, c’est leur devoir d’assister aux élections.

Oui, sans doute, si vous ne consultez que le texte de notre constitution, de nos lois, les membres du clergé ont ce droit. Mais ils ont aussi le droit de paraître dans les lieux publics, à la bourse, au café, au spectacle ; ils devraient, à ne considérer que le droit public, servir dans la milice et la garde civique, pouvoir être bourgmestres, échevins, remplir les fonctions du jury. Et pourquoi ne font-ils rien de tout cela ? Parce qu’on a senti qu’il y avait ici une loi de haute convenance qui dominait le droit positif et devait empêcher que la personne du prêtre ne fût mise en contact avec les hommes et les choses qui compromettraient son caractère.

Messieurs, vous avez entendu parler de quelques excès qu’on a singulièrement exagérés, que j’admets dans une certaine mesure, excès qui ont eu lieu dans des collèges électoraux ; mais ces manifestations mêmes, que je suis loin de justifier, que je condamne, n’attestent-elles pas le danger qu’il y a pour la soutane du prêtre à se mettre en contact avec la blouse de l’électeur campagnard, lui qui ne doit jamais, pour remplir sa sainte et bienfaisante mission, se prononcer entre les partis, mais servir de médiateur, de conciliateur entre tous ?

Voilà un avertissement que, du haut de cette tribune, on peut donner au clergé et qui devrait passer par une bouche moins suspecte peut-être, mais non plus sincère que la mienne. Du reste, je suis heureux de le déclarer, des membres du clergé commencent à comprendre que si leur participation aux élections peut valoir à la cause qu’ils embrassent, le succès matériel de deux ou trois vox, la réaction que cette participation excite en fait passer dix, vingt, dans le camp opposé, propage le scepticisme et remplace le respect par l’hostilité chez ceux mêmes qui jusque-là avaient une confiance entière dans la parole du ministre des autels.

Il est à ma connaissance personnelle que des membres du clergé ont reconnu qu’il était de leur devoir, de l’intérêt de leur influence et de la mission dont ils sont revêtus, de s’abstenir de prendre part aux élections.

Si cette conduite, messieurs, trouve des imitateurs, il faudra s’en féliciter, car on peut en être sûr, on en tiendra compte au clergé. Notre siècle n’est pas irréligieux, notre siècle est plein de respect et de sympathie pour les ministres de la religion, renfermés dans leur mission sainte, mais notre siècle est profondément antipathique à tout ce qui ressemblerait à une tentative de la part du clergé, de ressaisir la domination politique.

J’ai déduit avec sincérité, sans haine, et, je crois, sans exagération, quelques causes de l’affaiblissement de l’autorité du clergé et de l’opinion qui prétend le servir.

Les causes de l’affaiblissement du pouvoir ne sont pas moins nombreuses. J’en retracerai brièvement quelques-unes. Pour ne pas remonter trop haut, je signalerai d’abord les négociations qui ont abouti au traité définitif de 1839 entre la Hollande et la Belgique.

Ces négociations, vous le savez, se sont engagées sous les auspices de cette allocution de persévérance et courage placée si imprudemment par le ministère dans une bouche auguste. Ce fut là un échec et une cause d’affaiblissement pour le pouvoir. Je ne parlerai pas de ces armements préparés à grands frais et restés complètement inutiles ; je ne parlerai pas de ces deux millions de rente dont une négociation moins inhabile aurait vraisemblablement, au dire de la diplomatie elle-même, dégrevé le budget de l’Etat ; je passerai sous silence les 60 à 70 millions, ainsi matériellement perdu, pour le trésor public ; mais ce qui est incalculable, c’est le dommage moral fait au pays, c’est le pouvoir rendu alors presque ridicule chez nous et au dehors, par suite du recul auquel il a été condamné après les paroles placées dans le discours de la Couronne ; c’est l’armée humiliée et frappée peut-être dans son esprit, c’est le pays compromis à l’étranger, y perdant cette réputation de sagesse et de prudence dont il avait fait preuve pendant les années qui avaient précédé les négociations.

A côté d’un grand malheur, d’un malheur inévitable, à côté de la séparation d’une partie de nos concitoyens, la faiblesse du gouvernement, la crainte de rencontrer dans cette chambre quelques difficultés pour lui-même ont amené un malheur au moins égal au morcellement du territoire.

Je citerai comme une seconde cause de la déconsidération du pouvoir son alliance en apparence plus intime avec le clergé, à partir de la démission de messieurs Ernst et d’Huart ; alliance qui a perd bien des gouvernements, qui a perdu la restauration en France et qui a amené les révolutions d’Espagne et de Portugal.

Une autre cause de l’affaiblissement du pouvoir dans l’opinion publique, a été la malheureuse affaire Vandersmissen, cette imprudente réhabilitation de la trahison qu’on appela à l’honneur de revêtir l’uniforme de général belge et la cocarde nationale, portant ainsi à la fois une profonde atteinte à la considération du pouvoir, à la morale publique, à la discipline de l’armée.

Voila, messieurs, quelques-unes des causes de l’affaiblissement du pouvoir, que nous entendons déplorer et qu’on a raison de déplorer dans le pays tout entier.

Dirai-je maintenant ce qui est arrivé sous le ministère dont nous faisions partie ? Je craindrai, si j’abordais un tel sujet, d’être soupçonné d’obéir à des considérations personnelles ; je n’en ferai donc rien, quoique, si le regret d’une haute et lucrative position m’avait seul placé dans l’opposition, il y a longtemps que j’aurais eu l’occasion de quitter ses rangs. Mais je ne veux pas appeler l’attention de la chambre sur cet incident ; je veux seulement dire qu’on n’a pas vu rehausser la considération et la dignité du pouvoir, lorsqu’on a vu certains hommes ne venir dans les conseils du Roi que pour présider aux élections et pour faire sanctionner l’association de la mutualité.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous avons fait autre chose.

M. Lebeau. - Je dirai qu’on n’a pas rehaussé la dignité du pouvoir, lorsqu’en ne convoquant pas les collèges électoraux qui devaient procéder à la réélection des ministres, on a ouvertement affiché le mépris des lois du pays.

Comment, messieurs, le pouvoir n’aurait-il pas déchu dans l’opinion, lorsqu’on le voit d’une part accepter pour maître une opinion qu’il ne représente pas, et pour alliés, il faut le dire, les régulateurs de la bourse. Etrange et déplorable association de l’apostasie politique, de la religion et de l’argent !

Est-ce rehausser la dignité du pouvoir que de l’exposer par deux fois, en présence de la Belgique et de l’Europe entière, aux échecs diplomatiques dont nous sommes les témoins ? Est-ce rehausser la dignité du pouvoir que de publier sous le seing royal un tarif qu’on est obligé de mutiler dans les vingt-quatre heures ? Est-ce rehausser la dignité du pouvoir que de se montrer, dans la gestion les deniers de l’Etat, le directeur d’un établissement privé, avant d’être ministre des finances ? Est-ce rehausser la dignité du pouvoir que d’être soutenu par une certaine presse qui rappelle, par son dévergondage et ses attaques contre nos institutions, les plus mauvais jours de la presse du roi Guillaume ? Est-ce hausser la dignité du pouvoir que de laisser vacants, dans des préoccupations toutes personnelles, les principaux emplois à l’extérieur, de laisser pendant dix-huit mois une légation sans chef, dans le but sans doute de se ménager une retraite ? Est-ce rehausser la dignité du pouvoir que de donner lieu à ces bruits presqu’hebdomadaires de remaniements ministériels, et de laisser croire qu’ils n’ont avorté que par la difficulté de s’entendre sur les positions que l’on occuperait en quittant son portefeuille ? Est-ce un spectacle fait pour rehausser la dignité du pouvoir, que celui de ministres s’estimant assez réciproquement, pour aller, jusque dans les rangs de l’opposition, décrier leurs collègues et rendre ainsi le public confident de l’anarchie et des dissensions misérables qui règnent dans les régions gouvernementales ? Enfin, je rougis presque de descendre à de pareils détails, est-ce une circonstance faite pour rehausser la force morale du pouvoir, que d’apprendre par mille indiscrétions si naturelles, si concevables dans notre pays-petite ville, que les membres d’un même cabinet ont assez de souci de leur dignité pour s’adresser presque publiquement des qualifications si étranges, que je croirais manquer à la dignité de la chambre, si je rapportais devant elle ces qualifications ?

Je m’arrête ici, messieurs, bien que j’eusse encore beaucoup à dire. Je n’ai pas besoin d’aller plus loin pour faire comprendre à la chambre et au pays d’où viennent les causes d’affaiblissement et de déconsidération dont tout le monde doit gémir, car il s’agit des bases mêmes de la société, qu’on ne peut ébranler sans qu’il y ait péril pour tous.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ignore à quels faits de la vie privée l’honorable préopinant peut avoir fait allusion dans les dernières paroles qu’il vient de prononcer. J’attendrai qu’il s’explique plus clairement. Je m’attacherai à la partie politique et vraiment pratique de son discours.

Les deux honorables membres que vous venez d’entendre appartiennent tous deux à l’opposition. Mais dans notre dernière et longue session, ils n’ont pas dans toutes les circonstances appartenu l’un et l’autre à la minorité. Le premier orateur a voté contre toutes les propositions. Il a voté contre la loi des indemnités, contre la convention conclue avec la ville de Bruxelles, contre la loi sur l’instruction primaire. Il a aussi voté contre le bill d’indemnité demandé par le ministère actuel et le ministère précédent au sujet de l’achat et du paiement de la British-Queen.

M. Lebeau. - Nous n’avons pas demandé de bill d’indemnité.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne vous ai pas interrompu, je vous ai patiemment écouté, veuillez ne pas m’interrompre.

Je dis que le bill a été accordé au ministère actuel et au ministère précédent.

M. Lebeau. - Le ministère précédent n’a pas demandé de bill d’indemnité.

M. le président. - Je prie de vouloir bien observer le règlement.

La parole est continuée à M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le bill d’indemnité a été accorde au ministère actuel et à l’ancien ministère ; c’est ainsi que l’acte a été compris. Si l’honorable membre le comprend autrement, je ne veux pas pour cela renouveler cette discussion, mais il est de fait que c’est ainsi que le vote a été apprécié. Du reste, ce n’est la qu’un incident.

Le premier orateur a donc appartenu à la minorité pour toutes les propositions importantes votées dans la dernière session. Il n’en est pas de même du deuxième. Il a voté pour toutes les lois que je viens de rappeler ; il ne peut donc pas, au même titre que le premier, protester contre ce qui a été fait dans la dernière session. Il peut à bon droit accepter une part et une large part des félicitations très légitimes qui ont été adressées à la législature.

Je conçois donc les protestations du premier orateur. Mais je ne les concevrais pas de la part du deuxième. L’un et l’autre se sont principalement attachés aux lois modificatives de l’organisation communale. On semble croire non seulement dans les chambres, mais au-dehors, que la loi communale n’a été modifiée que dans deux de ses dispositions : la nomination du bourgmestre et le fractionnement des collèges électoraux ; mais une troisième modification a été apportée à la loi communale, modification très importante, selon lui, et que l’on passe sous silence. Nous verrons pourquoi on passe cette modification sous silence. Je veux parler de la nomination des instituteurs. Le premier orateur ne l’a pas acceptée, cette modification ; le deuxième orateur l’a acceptée ; je pourrais dire qu’il l’a en partie provoquée.

Pourquoi, messieurs, ne donne-t-on pas une portée aussi grande à cette modification ? Pourquoi ne l’a-t-on pas signalée au public comme une atteinte portée au droit de la commune ? J’ignore pourquoi on garde cette réserve, mais je n’hésite pas à dire que si nous n’avions pas eu le bonheur d’avoir le deuxième orateur pour adhérant à cette modification, elle serait aussi au nombre des griefs qu’il a articulés contre le ministère et la majorité de cette chambre.

Oui, la loi communale a été modifiée dans trois de ses parties. Mais de l’une on ne parle pas, on l’accepte. Pourquoi deux poids et deux mesures ? Ainsi la loi communale était inviolable en ce qui concerne la nomination du bourgmestre, mais on pouvait la violer sans s’exposer aux plus graves accusations, quand il s’agissait de la nomination de l’instituteur communal.

Je le répète de nouveau, je ne m’adresse pas au premier orateur, il a été conséquent avec lui-même, il n’a voulu d’aucune modification à la loi communale ; pour lui elle était inviolable, aussi bien quant à la nomination de l’instituteur que quant à la nomination du bourgmestre ; je ne lui demande donc pas d’explications. Mais je désirerais savoir comment on a pu diminuer impunément les droits de la commune, quand il s’agit de la nomination de l’instituteur, et comment on ne pourrait pas le faire, quand il s’agit de la nomination du bourgmestre. Il y a plus, la deuxième atteinte à la loi communale était plus inattendue, la modification à la loi communale quant à l’instituteur, ne se rattachait pas à des précédents législatifs, à des votes acceptés à plusieurs reprises par les deux chambres. Ici, il y avait innovation et innovation complète. Je me félicite de nouveau d’avoir eu le deuxième orateur pour adhérent à la deuxième modification, parce que sans cela cette seconde modification recevrait probablement une qualification tout aussi sévère.

Les deux honorables préopinants, nous ont parlé de l’exécution qu’ont reçue les deux lois qui ont modifié l’organisation communale. Quant à la nomination du bourgmestre et au fractionnement des collèges électoraux.

J’ai dit dans la longue discussion qui a précédé le vote de ces deux lois que la nomination du bourgmestre hors du conseil devait être considérée comme une exception, que ce serait une erreur de croire qu’on ferait usage de cette faculté dans toutes les communes. Je ne pense pas qu’on puisse prouver par des faits que j’aie donné un démenti à ces paroles, à cette prouesse. Deux bourgmestres nommés en dehors du conseil communal n’ont pas été élus. S’il était indispensable que l’élection sanctionnât toujours le choix du pouvoir, rien ne serait plus dangereux que la nouvelle faculté accordée au gouvernement.

Le gouvernement doit s’attendre à ne pas toujours voir élire le bourgmestre nommé hors du conseil. Cette considération ne doit donc pas arrêter le gouvernement. Il doit considérer si la chose est nécessaire et si la lutte est acceptable, Il faut observer cette réserve. Il ne faut pas s’engager dans des luttes quotidiennes, dangereuses, difficiles qui compromettraient la dignité du pouvoir.

L’honorable membre a dit que le principe électif servait de base à nos institutions, qu’il n’était écrit nulle part que le gouverneur avait besoin de l’appui de la majorité du conseil dans sa province, que néanmoins le gouverneur qui n’aurait pas cet appui ne pourrait pas être conservé par le gouvernement central.

Je crois que c’est exagérer la part du principe électif. Je reconnais avec le préopinant que le principe électif a une part très large dans le gouvernement du pays, mais je ne puis admettre, comme il semble le faire, que ce principe ait tout absorbé au point que du moment qu’un gouverneur n’aurait pas la majorité dans le conseil provincial, il devrait se retirer.

L’honorable membre m’interrompt pour dire qu’il n’est pas allé jusque-là dans les considérations qu’il vous a présentées. C’est ainsi que je l’ai compris. Il a donné les plus grands encouragements au principe électif, au point de le rendre tout puissant, de lui faire tout absorber dans la province et dans la commune.

Je dis donc qu’un bourgmestre non élu, lorsqu’il se trouve avoir été nommé bourgmestre sans être du conseil, ou bien un bourgmestre non réélu, peuvent très bien être conservés à la tête du pouvoir exécutif de la commune, du moment qu’il s’agit d’hommes honorables, d’hommes amis de leur pays, d’hommes ayant le sentiment des devoirs du gouvernement central qu’ils représentent, et pourvu que la lutte soit acceptable. Ce sont ces principes qui guideront l’administration dans l’application de la loi nouvelle que vous avez votée. Ce sont ces principes, que nous n’avons jamais perdus de vue, qu’appliqueront n’importe quels hommes qui arriveront au ministère avec la nouvelle loi.

Nous n’entendons donc pas répudier l’arme que vous avez donnée au pouvoir exécutif, nous en userons avec toute la circonspection nécessaire.

Les deux honorables orateurs vous ont longuement entretenu des effets de la loi du fractionnement. Cette loi, qui ne s’est appliquée dans le pays qu’à vingt-deux localités, n’a pas eu cet immense retentissement qu’on pourrait supposer d’après les journaux. Cette loi a eu une application très restreinte, puisqu’il ne s’agit que de vingt-deux localités. S’il était nécessaire d’entrer dans des détails, je prouverais que, dans ces vingt-deux localités, elle a eu des effets différents. (Réclamations.)

Je sais qu’on aime à généraliser, à supposer que cette loi, appliquée à 22 localités, a eu partout le même effet. Il n’en est rien. Chacun connaît assez le pays pour se rendre compte de l’exécution de la loi à cet égard.

Cette loi n’est pas due à l’initiative du gouvernement ; je l’ai considérée, et je la considère encore comme juste ; elle amènera une représentation plus réelle des intérêts locaux dans la commune. L’avenir justifiera cette pensée qui a guidé l’honorable auteur de la proposition. Cet effet de la loi (c’est le véritable but de la loi) s est fait sentir dans beaucoup de localités ; il se fera sentir encore davantage, à mesure que le mouvement purement politique se ralentira ; il doit se ralentir dans les communes ; il est impossible que les élections communales restent purement politiques, au point où elles l’ont été dans ces dernières circonstances.

Ainsi, qu’on ne l’oublie pas, nous avons changé la loi communale dans trois dispositions. Deux n’ont pas été acceptées par l’honorable préopinant ; la troisième l’a été ; cette disposition très importante et réellement fondamentale n’a pas été signalée par lui comme un grief soit contre le ministère, soit contre la majorité. Quant aux deux autres, je ne me reproche pas d’avoir proposé l’une et d’avoir accepté l’autre. Le temps décidera entre l’honorable préopinant et nous.

Le pouvoir, n’importe par qui il puisse être représenté, se félicitera de la disposition qui lui permet de choisir le bourgmestre hors du conseil. Quels que soient les hommes qui seront au pouvoir, ils s’applaudiront d’avoir ce droit. Quant à la disposition relative au fractionnement des collèges électoraux, je ne doute pas qu’elle n’ait d’heureux effets à mesure que la loi recevra son application et qu’il y aura du ralentissement dans le mouvement politique ; je ne doute pas qu’elle n’amène une représentation plus réelle des intérêts locaux dans la commune.

L’honorable membre est remonté bien haut pour vous signaler les causes d’un prétendu affaiblissement du pouvoir. Un ministère doit se juger dans le système représentatif par ce qu’il fait devant les chambres, C’est ce jugement que le cabinet actuel accepte ; c’est le seul auquel on ait le droit de le soumettre. Nous ne siégeons pas ici, comme représentant le gouvernement de notre pays depuis 1830 ; nous siégeons comme représentant le gouvernement depuis le jour où il a plu à la Couronne de nous appeler dans ses conseils. Nous nous sommes trouvés en votre présence pendant onze mois ; qu’avons-nous fait dans cet intervalle ? C’est par les actes qu’il faut nous juger. On avait dit : Vous ne ferez rien ; vous n’aborderez aucune question. Nous les avons abordées toutes ; non seulement nous les avons abordées, mais nous les avons résolues et dans tous les circonstances, sauf deux, nous avons eu l’appui de l’honorable préopinant. Le gouvernement était pour ainsi dire arrêté devant un grand nombre de questions ; ces questions ont disparu. Je ne vous rappellerai pas des votes trop connus pour qu’il soit nécessaire de vous les énumérer. Une dernière question, faisant partie de ce qu’on peut appeler l’arriéré, restait encore ; prochainement elle se présentera devant vous. Je veux parler des arrangements définitifs avec la Hollande.

Ce qui déconsidère le pouvoir, messieurs, c’est son impuissance. Avons-nous montré de 1’impuissance ?

Maintenant qu’on nous suppose alliés au clergé ou à la bourse, ce sont de vaines allégations ; il faudrait énoncer des faits ; vous avez rappelé une proposition fameuse ; sommes-nous restés comme vous silencieux devant cette proposition ? Avant qu’elle fût retirée, nous avons établi la position que nous prendrions éventuellement, si elle continuait de figurer à l’ordre du jour.

Nous sommes les alliés le la bourse. Pourquoi ? parce que nous avons sanctionné la société de la mutualité.

Il faudrait prouver que cette sanction n’était pas due, qu’elle était injuste. Mais ne vous bornez pas à de vaines assenions.

Un ministre vraiment déconsidéré, c’est celui qui peut se trouver une session tout entière en présence des chambres, sans pouvoir résoudre une seule question ; c’est là un pouvoir déconsidéré, pouvoir dont le passage aux affaires ne laisse qu’un vide et pas un acte après lui.

Vous êtes remonté bien haut dans l’histoire du pays pour chercher ce que vous appelez les causes de l’affaiblissement et de la déconsidération du pouvoir. Prenez-y garde ; n’avez-vous pas besoin de quelque oubli ? Il y a des hommes qui pourraient remonter plus haut, qui trouveraient des pages bien tristes, qui vous diraient à leur tour comment le pouvoir à pu être déconsidéré. Vous remuez le passé pour trouver des causes de déconsidération ! Je ne dis pas que le pouvoir depuis 1830 n’a pas eu des malheurs ; l’honorable préopinant doit le savoir mieux que personne ; on pourrait remonter plus haut qu’il ne l’a fait, et trouver de ces jours où le pouvoir a été bien malheureux !

Quoi qu’il en soit, nous nous présentons de nouveau devant vous, nous n’avons à répondre de nos actes qu’à partir du jour où le ministère s’est formé. Nous vous demandons ce que nous avons fait. Nous vous annonçons ce que nous voulons faire. Malgré les prédictions les plus sinistres, nous avons trouvé une majorité, nous avons trouvé une majorité pour les questions dont on avait désespéré dans d’autre temps. Nous espérons trouver encore cette majorité ; si elle nous manquait, il nous suffirait d’être un ministère d’impuissance pour nous retirer.

M. de Theux. - Les modifications apportées à la loi communale dans la dernière session, ont fourni la matière de nouvelles attaques contre le gouvernement et contre la majorité des chambres, contre le pouvoir civil et contre l’autorité religieuse. Je regrette que l’on ait oublié que l’initiative des modifications apportées à la loi communale, appartient au ministère d’avril 1840. Vous vous rappelez que plusieurs membres de l’opposition ont même voulu blâmer le gouvernement de s’être adressé uniquement aux gouverneurs de province, pour constater la nécessité de modifications à la loi communale ; or, cette circulaire est émanée de l’honorable M. Liedts. Quoi qu’il en soit, je ne veux pas blâmer cette circulaire, puisque j’ai, en qualité de rapporteur, approuvé en principe les modifications que le ministère actuel est venu proposer à la loi communale, et que j’ai même cru devoir prendre l’initiative d’une autre proposition, pour atteindre le but que le gouvernement s’était proposé. Il est évident pour chacun que le gouvernement ne trouvait pas dans la loi de 1836 tous les moyens nécessaires pour assurer la représentation dans la commune, aux termes de la constitution. Dès lors il a fallu rechercher d’autres moyens.

Je regrette que la proposition de l’honorable M. Malou n’ait pas obtenu la majorité dans la chambre ; car je pense qu’alors le but eût été complètement atteint ; nous n’aurions plus ces intrigues pour écarter certains bourgmestres de leurs fonctions et de se hisser à leur place.

Quoi qu’il en soit, je pense que les modifications adoptées ont un grand caractère d’utilité publique, et que l’expérience viendra le justifier de jour en jour. Si la nomination des bourgmestres et échevins dans le conseil est une mesure souvent suffisante pour les petites communes, il est évident que cette mesure est souvent insuffisante et inapplicable dans de grandes communes. C’est par la loi du fractionnement que le gouvernement peut espérer obtenir la composition convenable du collège des bourgmestre et échevins, et réussir à être suffisamment représenté dans les grandes communes ; or, ceci est d’une haute importance, car si la constitution a voulu que le Roi pût choisir librement le bourgmestre, c’est surtout dans les grandes communes, dont la population est plus importante, et dont les intérêts sont également majeurs.

D’autre part, nous avons pensé et nous pensons encore que la loi du fractionnement amènera une représentation plus réelle des intérêts locaux dans les grandes communes, c’est par ces considérations que nous avons pensé et que nous pensons encore que la loi sur le fractionnement doit être nécessairement une loi populaire. Je sais qu’on a voulu plaisanter sur ce mot, mais la plaisanterie ne détruit pas la réalité. D’ailleurs, les honorables préopinants ont cru voir le triomphe de leur opinion dans les grandes communes, ils doivent convenir que la loi a été réellement populaire pour leur opinion ; dès lors, ils ont grandement tort de s’en plaindre.

Messieurs, ce qui a un peu excité les passions dans le premier moment de l’application de cette loi, ce sont les vives discussions qui ont eu lieu dans cette chambre, alors qu’en France, qu’en Angleterre, le même principe avait été adopté sans opposition et sans aucune espèce de difficulté. Mais le temps fait justice de toute chose ; et alors on ne se trouvera plus en présence de nos débats, mais on se trouvera en présence des faits, et c’est la représentation réelle des intérêts des diverses localités qui rendra la loi du fractionnement populaire.

D’ailleurs, messieurs, ce n’est pas dans cette circonstance seulement que les élections communales ont amené des luttes assez vives. Les élections de 1836, même des élections partielles ont amené des luttes également vives.

A l’occasion du discours du Trône, l’on s’est occupé d’objets qui semblent lui être étrangers. On a, entre autres, parle d’une proposition faite par deux honorables collègues qui l’ont retirée. Je regrette que l’on soulève cette discussion en l’absence des deux honorables membres ; je regrette surtout qu’on ait parlé aujourd’hui de leur proposition avec tant d’amertume, alors qu’on avait en une occasion plus naturelle, au moment où elle a été prise en considération, d’exprimer cette vive antipathie, si toutefois elle existait alors.

Je regrette aussi que l’on ait de nouveau parlé du clergé dans cette discussion ; car il me semble que le clergé était en dehors de nos débats. Toutefois, je ne puis admettre ce principe que le clergé est blâmable, lorsqu’il prend aux élections une part modérée et prudente ; nous savons, messieurs, que les membres du clergé sont citoyens comme nous, qu’ils ont les mêmes droits ; nous ne pouvons donc les blâmer d’user de leurs droits.

D’ailleurs il n’y a pas le moindre doute que des questions qui se rattachent à des intérêts moraux et religieux sont résolues par la chambre. C’est ainsi que dans la loi sur l’instruction primaire, vous avez reconnu la nécessité de l’intervention de la religion dans l’enseignement. Dès lors, on ne peut pas dire que le clergé n’ait aucun intérêt au sort des élections.

On est revenu, à l’occasion du discours de la couronne, sur le traité d’avril 1839. Je sais, messieurs, que si au mois de mars 1838, lorsque le roi Guillaume a fait connaître son adhésion pure et simple au traite des 24 articles, le gouvernement eût accepté cette adhésion, il n’eût éprouve aucun échec en ce qui concerne la question de territoire. Mais, pour moi, je regretterais, et je pense que le pays regretterait aussi que le gouvernement n’eût fait aucun effort pour la conservation du territoire. Je pense qu’après la prolongation de l’union qui avait existé depuis le traité de 1831, on eût considéré comme une immoralité politique, l’abandon pur et simple des habitants du Limbourg et du Luxembourg sans aucun effort pour leur conservation.

D’autre part, messieurs, il est évident qu’en abandonnant la cause du territoire, on abandonnait également toutes les modifications en ce qui concerne la dette, et qu’on devait accepter le traité de 1831 tel qu’il était. Or, des modifications très importantes ont été obtenues en ce qui concerne la dette, et je crois que la question territoriale, si constamment et si vivement débattue par le gouvernement, n’a pas été sans influence sur le sort de la question de la dette.

En ce qui concerne une réduction plus forte qui aurait pu être obtenue, je l’ai toujours niée et je la nie encore. Mais le moment n’est pas arrivé de discuter ce point. Si cette question est mise en discussion, lorsque le traité complémentaire avec la Hollande vous sera soumis, je m’engage à répondre aux assertions contraires.

Un grief a été articulé contre le pouvoir, de ce que, lors de la retraite de mes honorables collègues, MM. Ernst et d’Huart il y aurait eu une alliance plus intime entre lui et le clergé. Je dois déclarer que rien ne fut changé dans les rapports du gouvernement avec le clergé depuis la retraite de MM. Ernst et d’Huart ; les mêmes bons rapports qui existaient précédemment ont continué ; mais chaque pouvoir, chaque autorité a conservé sa pleine et entière indépendance, et jamais le pouvoir politique n’a été soumis à une autre autorité.

Messieurs, on est également revenu sur la prétendue réhabilitation du général Vandersmissen. Cette question a été longuement débattue. Je persiste à soutenir que ce n’était pas une réhabilitation, mais une application pure et simple du traité. Cette question a paru soulever assez de doute pour que dans la loi présentée par l’honorable M. Leclercq, et approuvée par le ministère, on ait cru devoir admettre ces mots : « pour autant que de besoin. » Ainsi, il était permis d’avoir de bonne foi l’opinion que le gouvernement a partagée. Et quant à moi je la partage encore. Je pense aussi que c’eût été une faute inexcusable, de la part du gouvernement, de laisser poursuivre un procès politique qui ne devait avoir aucun résultat, au moment où le gouvernement hollandais prenait possession des provinces du Limbourg et du Luxembourg.

M. Verhaegen. - Messieurs, la part très grande que j’ai prise aux discussions de la dernière session, me dispense aujourd’hui d’entrer dans de longs détails. Je tiens seulement à constater que la vive opposition que j’ai faite au parti qui domine dans cette enceinte, et aux mesures réactionnaires proposées par ses instruments, a reçu l’approbation de la grande majorité du pays.

Le ministère, dans le discours du Trône, parle de la loi sur l’instruction primaire ; il ne dit pas un mot de la loi modificative de la loi communale, et on conçoit sa conduite ; il pouvait donner le change à l’égard d’une loi qui n’avait pas encore fonctionné, il ne le pouvait pas pour telle autre qui dans son exécution venait, depuis quelques jours, d’être frappée d’une réprobation générale ; si c’est là de la tactique, au moins elle n’est pas marquée au coin de la loyauté.

La loi sur l’instruction primaire, d’après le ministère, « aurait reçu de toutes parts un accueil qui rassure pleinement sur son exécution et qui présage l’heureuse solution d’autres questions du même genre. » Mais c’est là confondre, et à dessein, l’accueil que la loi a reçu au sein de la représentation nationale avec un prétendu accueil qu’y aurait donné le pays, avant de l’avoir vue fonctionner. Le pays n’avait pas encore émis d’opinion sur ce point, il n’avait pas même été appelé à en émettre une, et le cabinet pouvait ainsi hasarder de parler d’un accueil favorable sans recevoir immédiatement un démenti par les faits, mais c’est ce qu’il ne pouvait pas faire pour la loi communale.

De même que mon honorable ami, M. Delfosse, je me félicite d’avoir fait partie de cette minorité imperceptible, si on le veut, qui a voté contre la loi sur l’instruction primaire, et j’espère qu’un jour on nous en saura gré. Il ne nous importe pour le moment que de protester contre cette assertion du ministère relative au prétendu accueil que le pays aurait donné à la loi, et si la phrase venait à être maintenue, ce serait, pour moi, un motif suffisant de voter contre l’adresse

Où sont donc les preuves de l’adhésion donnée par le pays, à la loi sur l’instruction primaire ? quant à moi, je dénie formellement cette adhésion.

Mon honorable ami M. Delfosse vous a parlé de ce qui s’est passé dans la province de Liége, il n’en a pas été autrement dans la province du Brabant, et je puis ajouter dans le reste du pays ; on attend partout l’exécution d’une loi qui livre aux mains du clergé l’instruction primaire tout entière ; on verra bientôt les fruits amers qu’elle portera et on se prononcera sans doute sur ses effets avec autant d’énergie qu’on vient de le faire à l’égard de la loi modificative de la loi communale.

Quand je dis que la loi sur l’instruction primaire n’a pas encore reçu d’exécution, je me trompe. Elle a reçu une exécution partielle par la nomination des inspecteurs. Mais si c’est de cette exécution dont se vante le cabinet, je puis dire, sans crainte d’être démenti, que la plupart des nominations faites jusqu’à présent, loin d’avoir été approuvées, ont été généralement critiquées, et en effet ce n’est pas le talent que l’on a consulté, mais la couleur d’une opinion, et rien de plus. Le pays saura à cet égard exprimer ses doléances.

Quant à la loi modificative de la loi communale, le discours du Trône, comme je l’ai fait remarquer tout à l’heure, n’en dit pas un mot, et cela par une raison péremptoire c’est qu’il n’avait rien de bon à en dire. Si le ministère s’était permis une assertion telle que celle qui concerne la loi sur l’instruction primaire, les faits à l’instant même lui auraient donné un démenti, il a préféré garder le silence et à ce point de vue il a usé de prudence.

Messieurs, il ne faut pas se le dissimuler, les modifications capitales, apportées à la loi communale, ont été désapprouvées par tout le pays, et M. le ministre de l’intérieur, en vous parlant d’une prétendue modification accessoire, n’a eu pour but que de distraire votre attention du véritable état de choses, la nomination des instituteurs enlevée aux communes (avec la coopération de l’honorable M. Lebeau, s’il faut en croire M. Nothomb), n’est pas une modification à la loi communale, mais bien une disposition introduite dans la loi sur l’enseignement primaire. Toutefois je me félicite encore d’avoir combattu cette disposition avec mes honorables amis MM. Delfosse et Savait, on n’argumentera pas au moins contre nous de nos antécédents.

Les principales modifications introduites dans le système de la loi communale, tant celles relatives à la nomination du bourgmestre en dehors du conseil et au fractionnement des communes, modifications qui, d’après l’honorable M. de Theux, auraient été accueillies avec reconnaissance, par toutes les provinces, et que cependant toutes les provinces viennent de frapper d’anathème.

M. le ministre de l’intérieur disait, il n’y a qu’un instant, que la loi du fractionnement avait au moins eu quelque résultat satisfaisant, puisqu’elle avait eu pour effet de donner aux divers quartiers d’une ville leurs représentants naturels.

C’est encore là une erreur de fait, et, sur ce point, M. le ministre de l'intérieur est loin d’être d’accord avec ceux dont il n’est cependant que l’instrument. Le parti réactionnaire ne nous a-t-il pas fait un crime naguère, d’avoir éludé la loi du fractionnement ? Et en effet, et pour ne pas sortir de la capitale, voyez comment les quartiers ont été représentés : un honorable conseiller qui demeure Grand-Sablon, a été nommé par le quartier du Canal ; un autre honorable conseiller, demeurant dans la ville basse, a été nomme par la ville haute ; sont-ce donc là ces représentants de quartiers qu’auraient voulu M. le Theux et ses amis ; et M. le ministre de l’intérieur ne se trompe-t-il point quand il vient nous parler des résultats satisfaisants du fractionnement ? Ces résultats eussent été un malheur pour le pays, puisqu’ils auraient semé la désunion dans les communes. Le pays n’en a pas voulu.

Je viens de dire qu’on nous avait imputé à crime d’avoir éludé la loi du fractionnement ; mais je ne sache pas que la loi ait défendu de nommer un conseiller communal dans un autre quartier que celui de son domicile ; quel qu’ait été le but caché des auteurs du fractionnement, il est vrai qu’en nommant des conseillers communaux qui n’appartiennent pas à leur quartier, les électeurs usent de leur droit et je pense qu’ils feront bien d’en agir toujours ainsi.

Du reste, on a eu tort de nous faire des reproches à cet égard, car le parti que nous combattons a tout le premier suivi la même marche et fort heureusement pour lui ; s’il en avait agi autrement, M. Brabant eût été éliminé à Namur, M. Legrelle n’eût pas été élu à Anvers, l’un et l’autre ont été repoussés par les électeurs de leur quartier. Ajoutons que c’est à la loi du fractionnement que ces messieurs doivent de siéger encore au sein des conseils communaux d’Anvers et de Namur. S’il n’y avait pas eu le fractionnement (et il suffit d’une opération mathématique, d’une simple addition pour le prouver), ils étaient évidemment exclus.

On se trompe donc sur les effets du fractionnement ; mais on se trompe bien plus encore sur les effets de la disposition relative à la nomination des bourgmestres en dehors du conseil. On a l’air aujourd’hui d’attacher fort peu d’importance à ce qui a été fait naguère relativement à des nominations de bourgmestres en dehors du conseil dans certaines communes rurales, alors cependant qu’à l’époque des élections on y attachait l’importance la plus grande, car le ministère considérait, relativement à ces nominations, sa responsabilité comme engagée.

Si mes renseignements sont exacts, depuis la promulgation de la loi, il y a eu trois nominations de bourgmestres en dehors du conseil, et dans aucune des trois communes où ces nominations avaient eu lieu, le gouvernement n’a pu réussir, nonobstant des efforts inouïs, à faire donner aux bourgmestres de son choix le baptême électoral. Il a suffi aux électeurs que la nomination fût faite en dehors du conseil, pour repousser le bourgmestre choisi par le gouvernement.

Et ici, messieurs (je ne suis pas fâché de le constater), se réalisent toutes les prévisions que je me suis permises et qui sont écrites dans le Moniteur. Lors de la discussion de la loi, je vous ai dit que le bourgmestre nommé en dehors du conseil serait considéré comme un intrus, qu’il n’aurait aucune influence dans les délibérations, ce que j’ai dit s’est réalisé, car il a suffi qu’une proposition fût faite par un pareil bourgmestre pour qu’à l’unanimité le conseil la rejetât ; il a suffi qu’un bourgmestre fût nommé en dehors du conseil pour que les électeurs n’en voulussent point.

Le gouvernement nous avait donné l’assurance, lors de la discussion, que la nomination dans le conseil serait la règle, et la nomination en dehors du conseil, l’exception. Il a dit qu’il faudrait des motifs graves pour que le gouvernement se mît dans le cas de l’exception ; ainsi M. le ministre de l’intérieur, répondant à des observations faites par un honorable préopinant, a prétendu que, pour les nominations qui avaient été faites en dehors du conseil, il se rencontrait des circonstances majeures qui l’avaient forcé d’appliquer l’exception ; mais qu’il me soit permis de ne pas me contenter de simples assertions. Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur quelles étaient ces circonstances graves dans les trois communes où il a nommé des bourgmestres en dehors du conseil. A Visé, à Romzée et Watermael-Boitsfort ? (Interruption). Ma position personnelle s’efface ici complètement ; je ne vous entretiendrai pas des incidents qu’ont amenés la démission que j’ai cru devoir donner de mes fonctions de bourgmestre à Watermael-Boitsfort, il me suffit de faire remarquer que ce que j’ai dit dans la discussion de la loi s’est réalisé, et la satisfaction complète que j’ai obtenu des électeurs me dédommage suffisamment de tous les reproches dont j’ai été l’objet.

Je demande de nouveau à M. le ministre de l’intérieur quelles étaient dans les trois communes que je viens de citer, les circonstances majeures qui l’ont mis dans l’impossibilité de suivre la règle, qui l’ont forcé à appliquer l’exception. Il y avait dans le conseil communal auquel je fais principalement allusion, des personnes très instruites, et si M. le ministre de l'intérieur le désire, je donnerai leurs noms, prénoms et professions, je ferai connaître leur position sociale ; deux de ces personnes ont tenu les registres de l’état-civil, pendant six ans, sans le secours du secrétaire, et sans que l’on ait jamais trouvé dans les actes la moindre irrégularité ; ces personnes jouissent de la plus grande considération, elles ont de la fortune, un rang dans la société, et elles auraient accepté, j’en donne l’assurance, la place de bourgmestre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est là la question.

M. Verhaegen. - Ce n’est pas une question, vous ne vous êtes pas donné la peine de le leur demander ; ces personnes auraient accepté et si vous voulez en faire l’essai, elles accepteront encore aujourd’hui ; je m’en fais fort.

Maintenant on a donné un soufflet à ces personnes ; c’est une insulte gratuite faite au conseil communal entier ; un bourgmestre donne sa démission pour des motifs que vous n’avez pas à apprécier et vous dites au conseil : « après celui qui vient de sortir, il n’en est plus un parmi vous qui soit capable d’être bourgmestre, et je nomme en dehors du conseil dans une commune flamande... qui ? un individu qui ne sait pas le flamand (on rit)... Oui, messieurs, ce que je dis est fort exact.

Un membre. - Quelle est cette commune ?

M. Verhaegen. - La commune de Watermael-Boitsfort.

M. Cogels. - La personne à laquelle on a fait allusion, a fait ses études en Hollande.

M. Verhaegen. - Je répète et j’affirme que cet individu ne sait pas le flamand, à telles enseignes que, quand il siège au conseil communal, et qu’on s’y exprime en flamand, ce qui arrive d’ordinaire il est obligé de demander au secrétaire ce dont il est question ; s’il peut être agréable à mon honorable contradicteur d’avoir la preuve de ce fait, je la lui administrerai avec plaisir.

Messieurs, je suis au regret de le dire, mais ces nominations en dehors du conseil, alors qu’il n’y a pas de motifs graves, déconsidèrent le gouvernement surtout dans les communes rurales ; les délibérations y deviennent un sujet de plaisanterie, et dans tous les cas d’opposition.

Si mes renseignements sont exacts, le gouvernement n’avait pas plus de motifs pour nommer Visé et à Romsée un bourgmestre en dehors que dans la commune dont je viens de parler. Aussi les électeurs y ont-ils fait justice du choix du gouvernement ; je le répète, quels qu’aient été les efforts pour obtenir un résultat contraire, on n’y est pas arrivé ; si les électeurs ont reçu un soufflet du ministère, le ministère a reçu un soufflet des électeurs.

On a donc eu parfaitement raison de ne rien dire dans le discours du Trône des lois modificatives de la loi communale ; mais d’autre part on a eu tort d’avancer dans ce même discours, que la loi de l’instruction primaire avait reçu partout un accueil favorable, alors que cette loi n’avait pas encore été mise à exécution, et que la nomination des inspecteurs est loin de répondre à l’attente du pays.

Il ne manquait plus, pour couronner l’œuvre, que de terminer le discours du Trône par une approbation complète des actes du ministère, car c’est ainsi que je traduis la dernière phrase de ce discours. Aussi M. le ministre de l’intérieur ne doit pas être très satisfait de la réponse formulée par la commission sur ce point capital, car l’approbation que demandait le ministère par la bouche royale, lui est par cela même refusée.

M. le ministre de l’intérieur a fait observer tout à l’heure que le ministère actuel n’avait reculé devant aucune grande question, et qu’il avait réussi dans toutes ; et, après s’être donné cette position favorable, sans doute pour justifier la demande d’approbation de sa conduite, il a jugé à propos de dire quelques mots du ministère précédent qui, d’après lui, aurait été trop faible pour aborder aucune de ces grandes discussions dont ses successeurs sont sortis triomphants.

Je vous ai déjà dit, messieurs, dans une autre circonstance, que ce n’était pas le ministère qui avait une majorité, mais que c’était la majorité qui avait un ministère. Il n’est pas étonnant dès lois que le ministère ait réussi dans certaines grandes questions mises à l’ordre du jour par la majorité et à l’égard desquelles le ministère n’était que son instrument ; si, au lieu d’être l’instrument de la majorité, la majorité avait pu être considérée comme l’instrument du ministère, oh, alors, on aurait pu mettre la position du cabinet Nothomb en parallèle avec celle du cabinet Lebeau.

Le ministère précédent, dit-on, était trop faible ; mais la chambre s’était-elle formée sous ce ministère ? Le ministère précédent avait dû subir la chambre ; la dissolution qu’il avait demandée lui ayant été refusée, il s’est retiré, comme tout ministère qui se respecte, se retire en pareil cas. Voilà la différence entre le ministère précédent et le ministère actuel, et, encore une fois, je ne pense pas que M. Nothomb puisse revendiquer à son profit toutes les lois que la majorité, dont il suit l’impulsion, a fait passer.

Messieurs, si, en dehors de cet appui intéressé de la majorité, j’examine les actes du cabinet lui-même, je n’y vois que motifs de blâme.

Un grief que j’ai faire valoir contre le ministère et qui a trouvé de l’écho dans le pays, est celui que je puise dans la conduite qu’il a tenue à l’égard des marchands de vins, qui avaient fait tant de sacrifices et qui, par le fait du ministère, n’ont pas pu obtenir l’acte de justice que leur avaient accordé les deux chambres. Cc n’est pas que je conteste au ministère le droit de veto, mais il faut mettre l’acte posé par le gouvernement avec un autre acte qui n’est pas marqué au coin de la loyauté parlementaire, et que je suis fâché de devoir signaler encore une fois à la chambre et au pays.

Le ministère avait le droit de ne pas sanctionner la loi qui accordait une remise aux marchands de vins, mais il n’avait pas celui de contrevenir à des engagements qu’il avait pris envers nous au sein de la représentation nationale.

Vous vous rappellerez, messieurs, que l’honorable M. Osy et moi avions fait remarquer, avant que la chambre donnât son approbation au traité, que de la manière dont on entendait la chose, on ne paierait plus que deux francs pour 100 bouteilles remplies de bon vin, tandis qu’on paierait 6 fr. pour 100 bouteilles vides. On nous répondit que notre supposition était absurde. Nous fîmes observer au ministère que nous avions des renseignements exacts ; le ministère nous répliqua que ce que nous supposions serait marqué au coin du ridicule ; il déclara, sans hésiter, qu’on ne paierait pas seulement deux francs, mais huit francs pour 100 bouteilles pleines. Voilà le langage tenu par M. le ministre des finances, langage qui a été corroboré par les déclarations successives et tout aussi formelles de MM. le ministre de l’intérieur et le ministre des affaires étrangères.

J’ai engagé MM. le ministre à y bien réfléchir, et je leur ai annoncé et je prendrai acte de leurs déclarations ; mais qu’avant tout, je désirais qu’ils prissent des renseignements. Le lendemain, les renseignements ayant été pris, le cabinet est venu répéter à la chambre ce qu’il avait dit la veille, c’est-à-dire qu’on paierait 8 fr. pour 100 bouteilles pleines de vin. C’est ainsi que le traité a été et a dû être entendu et remarquez que jusque-là il n’avait pas reçu d’approbation ; car ce n’est qu’à cette condition dont nous avons demandé acte, que la chambre a donné sa sanction. Cette clause devait même faire partie intégrante du traité. Tout le monde était d’accord sur ce point. Le ministre nous a déclaré que c’était ainsi qu’il entendait la chose et que le traité serait exécuté dans ce sens ; si nous avons donné notre approbation, c’est à cette condition ; si cette condition n’avait pas existé, au lieu de voter pour la loi la plupart d’entre nous auraient voté contre ; j’ose faire à cet égard un appel aux honorables membres qui partageaient mon opinion. Ce serait un véritable piège qu’alors que nous avons donné notre assentiment à un traité avec la condition que le droit serait de 8 fr., par 100 bouteilles pleines, on viendrait plus tard changer ce droit et ne plus percevoir que 2 fr. ; 2 francs par 100 bouteilles pleines alors qu’on en paie 6 pour 100 bouteilles vides.

Après la discussion qui a eu lieu dans cette chambre, on a donné des ordres pour percevoir huit francs par cent bouteilles pleines, et à peine la session était-elle close, qu’on a donné contre-ordre, alors que nous venions de nous séparer et qu’on avait pris vis-à-vis de la chambre un engagement formel que je regarde comme un engagement d’honneur, comme un engagement de délicatesse sans lequel nous n’aurions pas volé pour la loi.

Voilà un reproche grave que j’avais à adresser au ministère. Quand j’ai parlé des marchands de vin, en exprimant le regret que le gouvernement n’eût pas sanctionné la loi que nous avions votée, j’ai dû reconnaître qu’à la rigueur il était dans son droit en apposant son veto à la loi ; mais il ne l’était plus ; alors que manquant à un engagement pris vis-à-vis de la chambre ; il défaisait le lendemain ce qu’il avait fait la veille.

Messieurs, indépendamment des reproches généraux qu’on peut adresser au ministère, il y a aussi pour certaines localités des reproches particuliers qui ne s’effaceront pas de sitôt. Le ministère s’était beaucoup vante à certaine époque de l’engagement qui avait été conclu, ayant pour objet une rente de 400 mille francs au profit de la ville de Bruxelles pour la cession de certains immeubles et de certaines collections ; et ce gouvernement si fort, qui a sa majorité bien établie s’il faut l’en croire, a-t-il su tenir cet engagement sur lequel il s’était appuyé alors qu’ils s’agissait de faire un appel aux électeurs ? Non, cet engagement, le ministre n’a pas su le tenir, parce que le ministère n’a pas de majorité, ainsi que je l’ai dit et répété, l’engagement que le ministère a fait sonner si haut a été inutile, la somme de 400 mille francs a été réduite à 300 mille, et encore n’est-ce qu’à une condition humiliante à l’égard de laquelle je dirai avec un honorable sénateur qu’il ne s’est élevé aucune voix amie dans le conseil pour protester. Bruxelles ne l’oubliera jamais. Si la convention a été acceptée avec cette condition c’est qu’on s’est trouvé par le fait du ministère réduit à cette pénible nécessité.

On vous a parlé, à l’ouverture de cette séance, d’un fait grave. C’est l’honorable M. Osy qui a fait à ce sujet une motion d’ordre. Je croyais que le ministère allait s’expliquer de suite, et certes il y avait urgence ; mais non, lui-même ne connaissait pas le fait, il lui faut des renseignements, il nous les communiquera plus tard.

L’honorable M. Osy demandait si les reproches devaient être adressés au ministère ou à l’autorité judiciaire ; le ministère ne répond point, il n’en sait rien

M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) - Au contraire ; il a répondu que cela ne regardait pas le ministère.

M. Verhaegen. - Et moi je réponds, pour l’honneur de l’autorité judiciaire, que cela ne regarde pas l’autorité judiciaire. Nous aussi nous avons pris des informations desquelles il résulte quo le juge d’instruction et le procureur du roi de Bruxelles, seules autorités saisies de l’affaire, n’ont eu aucune connaissance de l’acte dont il s’agit. M. le ministre de la justice sait comme moi que, quand un crime ou un délit a été commis et que l’autorité judiciaire est saisie de l’instruction, de pareils ordres ne peuvent être donnés que par le parquet qui dirige l’instruction ou le juge qui la poursuit ; or le parquet et le juge d’instruction de Bruxelles chargés de l’instruction relative à l’évasion du général Vandersmissen n’ont eu aucune connaissance du fait dénoncé par M. Osy. Je le dis donc d’après les renseignements que j’ai pris, si le ministère est étranger au fait concernant un honorable sénateur, je ne puis pas, moi, laisser planer sur le parquet et le juge d’instruction de Bruxelles des soupçons injustes.

Quoi ! c’est sous un gouvernement régulier qui se dit fort, qu’une escouade de gendarmes vient envahir le domicile d’un citoyen, d’un sénateur, faire une visite domiciliaire, commettre une véritable vexation, sans que le ministère puisse dire d’où sont émanés les ordres !

Messieurs, cette dernière circonstance achève la démonstration qu’un gouvernement, qui se dit si fort, qui se vante de tant de régularité, méprise toutes les lois et toutes les convenances politiques et sociales.

M. le ministre de l’intérieur a voulu répondre à un reproche qui lui avait été adressé par un honorable préopinant, et que je crois moi, juste à tous égards. Vous êtes, lui a-t-on dit, l’allié du clergé et de la bourse. Vaine supposition, répond le ministre, nous n’avons fait aucune concession au clergé et nous n’avons aucune concession ultérieure à lui faire.

Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur ce qu’il a fait avec le clergé au sujet du collège d’Ath. A cet égard, mes prévisions inscrites dans le Moniteur, se sont encore une fois réalisées. Le ministre fidèle à ses antécédents, voulant caresser cette majorité dont il est l’instrument, et voulant aller au-devant de ses désirs et des désirs du clergé, d’avance a voulu appliquer à l’instruction moyenne les dispositions converties en loi pour l’instruction primaire.

Le collège d’Ath ne pouvait conserver le subside qu’autant que son principal fût pris dans les rangs du clergé, qu’autant que l’inspection cléricale tout entière pesât sur le collège, qu’autant qu’on donnât au clergé le contrôle pour tous les livres dont on se servait dans l’établissement. Si on déniait le fait en raison des précautions qu’on a prises, car on a traité cette affaire verbalement dans le cabinet du ministre, avec les membres du conseil communal d’Ath, je me ferais fort d’administrer la preuve lors de la discussion du budget de l’intérieur.

Vous n’êtes pas, dites-vous l’alliée du clergé, vous n’allez pas au devant de ses désirs et vous formulez d’avance un projet de loi sur l’instruction moyenne, laquelle vous donnez aux mains du clergé comme l’instruction primaire ! ! primaire ! ! Au moins mes deux honorables amis et moi, nous avons la consolation de n’avoir pas été dupes, ce qui arrive, nous l’avons prévu.

Vous n’êtes pas les amis de la bourse. Le traité avec la Hollande que nous aurons à examiner bientôt, viendra confirmer les assertions de M. Lebeau et donner à M. Nothomb un démenti éclatant.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant m’a sommé de m’expliquer sur les motifs qui m’ont engagé à nommer à Watermael-Boisfort un bourgmestre hors du conseil. Par respect pour certaines convenances, je ne serais pas entré dans des explications à cet égard ; mais je réponds à une sorte de provocation. Le bourgmestre de Watermael-Boisfort en fonction, a donné sa démission quelques jours après la promulgation de la nouvelle loi sur les bourgmestres. Cette démission était une sorte de protestation contre le vote de cette loi. Si l’on a caché le but de cette démission, les circonstances me faisaient supposer, et je persiste à croire que personne n’accepterait les fonctions de bourgmestre, dans le sein du conseil de cette commune. Dès lors, pour ne pas me placer dans la position la plus difficile, la plus étrange, je me suis adressé à une personne en dehors du conseil, et je m’estime heureux de l’avoir trouvée (Interruption du côté de M. Verhaegen.) Personne, je le répète, n’eût accepté dans le conseil. Le bourgmestre qui avait donné sa démission pour protester contre la loi, aurait refusé de reprendre ses fonctions, on y aurait mis une condition impossible, la révocation de la loi. Personne, dis-je, n’aurait accepté. C’est dans cette position que vous vouliez me placer. Je n’ai pas voulu de cette position.

Si donc l’usage qu’on a fait de la loi a jamais été justifié, c’est dans les circonstances qu’on vient de rappeler. J’ai évité un grand danger et presque un ridicule. J’aurais, dit-on, dû au moins faire quelques essais. Et si ces essais avaient été infructueux, je me serais adressé à une personne en dehors du conseil ! Mais j’aurais éprouvé un refus de la part de cette personne. Il fallait se contenter de certaines probabilités. Ces probabilités se présentaient avec un degré de certitude tel, que j’ai cru devoir m’adresser en dehors du conseil, et je crois avoir très bien fait. Chacun de vous voit dans quelle situation je me serais trouvé si je n’avais pas agi ainsi.

M. Verhaegen. - Et Visé ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne réponds pas aux autres cas. Je ne suis pas tenté d’entrer dans des détails personnels ; je ne l’aurais pas fait pour Boitsfort si on ne m’avait pas adressé une provocation. Je le répète, c’était une affaire arrangée, je n’aurais trouvé personne dans le conseil qui voulût accepter les fonctions de bourgmestre. Je suis très content d’avoir rencontré en dehors du conseil un homme honorable et courageux qui a accepté ces fonctions.

Il me serait impossible de passer en revue le discours entier de l’honorable préopinant ; je m’attacherai seulement à quelques points. Il a rappelé comme un échec pour le ministère le vote par cette chambre de la convention relative à la ville de Bruxelles. J’avoue que ce reproche m’a surpris, et surtout de sa part. Ce vote constate, d’après lui, l’impuissance du ministère, parce qu’il y a eu une réduction de 100,000 fr. et une condition humiliante, selon lui. Je demanderai à l’honorable préopinant pourquoi il n’a pas protesté contre cette réduction, contre cette condition qu’il s’est bien gardé alors de qualifier d’humiliante.

A mon tour, c’est moi qui puis vous reprocher votre impuissance, parce que, dans cette circonstance, vous ne nous avez pas apporté l’appui de tous vos amis. Dans cette circonstance, j’ai eu votre appui ; mais que sont devenus vos amis, avec lesquels vous vous représentez toujours comme formant une fraction compacte de la chambre. L’impuissance est de votre côté ; vous deviez m’apporter l’appui de tous vos alliés ; c’est ce que vous n’avez pas fait.

M. Delfosse. - Nous sommes indépendants.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous sommes tous indépendants. Mais j’ai le droit de répondre au préopinant, en me plaçant sur le même terrain que lui. Quand j’ai dit que nous aurions la majorité sur les questions importantes dont nous devions saisir la chambre, d’après le programme de la session, je n’ai pas dit que ce dût être une majorité compacte. Nous entendions trouver quelquefois un appui parmi ceux même qui se présentaient comme opposants au ministère. Il y a donc quelque chose de très désobligeant dans cette expression que le ministère se serait présenté comme ayant une majorité constante, immuable, marchant au pas, accordant au ministère tout ce qu’il demande. C’est ce que nous n’avons pas dit ; c’est ce que nous ne devons pas dire.

L’honorable membre reproduisant un reproche de M. Lebeau, nous a dit que nous étions les alliés de la bourse et du clergé. Pour prouver que nous sommes les alliés de la bourse il a été réduit à citer un fait encore inconnu, la conclusion des arrangements avec la Hollande. Attendez au moins que cette question soit discutée ; vous verrez jusqu’à quel point nous sommes les alliés de la bourse.

Ainsi pour l’honorable M. Lebeau, nous sommes les alliés de la bourse, parce que nous avons donné notre approbation à la société de la Mutualité. Il fallait prouver que l’approbation ne devait pas être donnée aux conditions auxquelles elle l’a été. J’attends cette preuve.

Pour l’honorable M. Verhaegen, notre alliance est prouvée par un fait inconnu. Nous discuterons le fait ; nous verrons aussi si sur ce point nous avons la majorité ou non.

Noire alliance avec le clergé ! je savais bien que ce reproche serait reproduit. C’est là le grief indispensable pour justifier la position prise par l’honorable préopinant. Sans ce grief, sa position ne serait pas justifiée. Nous aurions beau poser des actes, faire des nominations qui constateraient notre indépendance, apporter devant vous des lois, qui feraient au pouvoir civil une position convenable, ce reproche n’en serait pas moins maintenu, parce que sans cela l’opposition systématique annoncée contre nous serait inexplicable. Mais, encore une fois, des allégations ne suffisent pas, il faut des faits. Il faut bien supposer cependant que, dans la loi de l’instruction primaire, nous avons fait une part convenable au pouvoir civil, puisque nous avons obtenu dans cette chambre la presqu’unanimité. Nous n’avons pas eu le bonheur d’obtenir l’appui de l’honorable M. Verhaegen. Mais de tous ses amis, il n’y en a que deux qui aient voté avec lui contre la loi. Nous devons conclure de là que cette loi accorde une part convenable au pouvoir civil.

L’honorable M. Delfosse fait un signe négatif. Mais il forma la minorité, avec les honorables MM. Verhaegen et Savart. Dès lors je puis dire que la loi fait au pouvoir civil une part convenable d’après l’opinion de l’unanimité de la chambre, moins trois. Je me contenterais, en toute circonstance, d’une approbation aussi formelle. Tout en conservant le plus grand respect pour l’opinion individuelle de ces trois membres, il m’est permis de dire qu’aux yeux de la presqu’unanimité de la chambre, cette loi fait au pouvoir civil une position convenable. Vous aurez beau à trois me donner un démenti ; il me sera permis de présenter ce fait comme un des faits parlementaires les plus importants, depuis qu’il existe un gouvernement représentatif en Belgique.

Nous avons essayé, a dit l’honorable M. Verhaegen, d’appliquer à un collège communal quelques-uns des principes de la loi du 23 septembre dernier. Il est vrai que nous avons fait cet essai. Je veux bien attendre la discussion du budget de l’intérieur ; le fait alors sera peut-être consommé ; nous aurons l’expérience nécessaire. Je crois qu’il y a quelques principes de la loi sur l’instruction primaire, qui doivent passer dans l’organisation de l’instruction moyenne. Je l’ai fait sentir, puisque j’ai dit dans la discussion que les écoles primaires supérieures sont la transition entre les écoles primaires proprement dites et l’enseignement moyen. Je ne veux pas en conclure qu’il faut transporter dans l’enseignement moyen tous les principes de la loi sur l’instruction primaire. Du reste, les faits ne sont pas accomplis ; nous nous en expliquerons plus tard.

L’honorable M. Verhaegen vous a dit que le ministère n’a pas une majorité, mais que la majorité a un ministère. J’avoue que je regarderais comme indigne de discuter ce jeu de mots. De même que le ministère n’a pas une majorité servile, marchant au pas, de même que la majorité n’a pas un ministère qui se prête à tout ce qu’elle peut désirer. Après s’être complu dans ce jeu de mots, il se donne un démenti évident ; car il cite une occasion où ce ministère qui ne s’appartient pas, qui obéit à la majorité, n’a pas sanctionné une loi votée par la majorité dans les deux chambres.

M. Verhaegen. - Ce n’était pas une discussion de principe.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’était un très grand intérêt. Pour le prouver, ii me suffit de rappeler l’insistance que vous y avez mise. Pour la première fois, ce ministère qui ne s’appartient pas a propose au Roi de ne pas sanctionner une loi votée par les deux chambres. Par égard pour l’indépendance de toutes les branches du pouvoir législatif, je n’aurais pas rappelé ce fait ; mais ou m’y a forcé par l’espèce de provocation qu’on nous a adressée.

On veut prendre le change sur les dernières expressions du discours du Trône. Par ces expressions, on vous demanderait l’approbation de vos actes de la dernière session, et l’on vous annoncerait pour cette session des actes dans le même ordre d’idées. Il n’en est rien. Vous n’avez pas à approuver une deuxième fois ce que vous avez voté. Le programme de l’an dernier a été épuisé. Les questions dont vous avez été saisis ont été résolues ; nous espérons que vous déciderez de la même manière les questions qui vous seront soumises, c’est-à-dire en montrant la même assiduité à assister aux débats, en y apportant la même impartialité. C’est là le véritable sens du dernier paragraphe du discours du Trône. C’est ainsi que vous achèverez ce qui est commencé. Encore une question faisant partie de l’arriéré sera portée devant vous ; resteront les questions commerciales, financières, d’organisation intérieure ; vous les aborderez ; nous espérons que vous les déciderez ; c’est dans ce sens que la session nouvelle ne sera que la continuation de la session précédente.

M. Cogels. - L’honorable M. Verhaegen nous a dit qu’il est bon que vous sachiez que le bourgmestre de Watermael-Boitsfort ne sait pas un mot de flamand. Lorsque je lui ai dit qu’il était dans l’erreur, il m’a répondu que je pourrais vérifier le fait. Mais j’ai vérifié le fait. J’ai dit qu’il sait le flamand, parce que j’ai causé en flamand avec lui. Il a fait ses études à l’université de Leyde ; ce qui prouve qu’il sait le hollandais. Qu’il y ait à Watermael-Boitsfort des personnes qui, ne parlant pas bien le flamand, ne l’aient pas compris, c’est possible ; mais je puis certifier qu’il parle flamand, flamand bruxellois ; car j’ai causé avec lui dans cet idiome.

Quand il en serait autrement, ce ne serait pas la première fois qu’on mettrait à la tête d’une commune ou d’une province un administrateur qui n’en saurait pas la langue. Seulement c’est la première fois que l’honorable M. Verhaegen l’aurait fait remarquer.

M. Verhaegen. - Je ne veux pas engager une discussion sur ce point. Tout ce que je puis dire à l’honorable membre, c’est qu’il est dans l’erreur. Au reste le conseil continuera de délibérer comme il l’a fait jusqu’ici, et le bourgmestre s’en tirera comme il pourra.

Mais j’ai une réponse à donner à M. le ministre de l’intérieur. Je ne puis laisser sans réponse l’assertion de M. Nothomb, que ce serait à notre impuissance qu’on devrait la réduction de la rente de la ville de Bruxelles et une condition qu’on appelle à juste titre humiliante. Si nous avions apporté au ministère l’appui de nos amis, la rente de 400,000 fr. serait, dit-on, votée ; il n’y aurait pas eu de condition. Mais M. le ministre de l’intérieur voudra bien se rappeler qu’il avait consenti lui-même à la réduction ; il eût été plus qu’extraordinaire que nous nous y fussions opposés en nous rendant responsables d’un rejet, car le ministère devait prendre l’initiative dans la discussion, comme il l’avait prise dans la convention.

Et l’honorable M. Nothomb voudra bien se rappeler que c’est lui qui a formulé la condition que j’appelle humiliante, qui a proposé la rédaction nouvelle. Et l’on vient dire que c’est à notre impuissance qu’est due cette rédaction !

Une voix. - C’est M. Mercier qui l’a proposée.

M. Verhaegen. - Si M. le ministre de l’intérieur s’est concerté avec d’autres, soit ; mais la proposition a été faite par le ministère ; M. Nothomb convient que c’est lui qui a formulé la proposition.

Maintenant, qu’on le sache bien une fois pour toutes, tous les membres de l’opposition, et c’est là le beau de leur rôle, conservent leur indépendance, leur vote est dicté par leur conscience, et si nous sommes ordinairement d’accord sur les grands principes, il peut arriver que nous ne le soyons plus sur des questions qui se rattachent à des intérêts de localités. Chacun conserve son indépendance, ce n’est pas un reproche à faire à l’opposition belge, c’est un mérite que doit lui reconnaître le pays.

M. le ministre de l’intérieur a cru me mettre en contradiction, alors que j’ai dit que la majorité avait un ministère et non pas le ministère une majorité ; le ministère, dit-il, est plus fort que vous ne le supposez, puisque relativement à la question concernant les marchands de vins, il a refusé la sanction à une loi votée par la chambre et par le sénat.

Ce n’est pas sérieusement que l’on fait cette objection. Quelle question de principe rencontrait-on dans la loi concernant les marchands de vin ? Il arrive très souvent que l’opinion à laquelle je fais allusion, ne consulte pas les intérêts matériels, et que ces intérêts se trouvent sacrifiés à d’autres intérêts. Le ministère savait bien qu’on ne lui aurait jamais fait de grief de ce côté d’avoir refusé sa sanction à une loi concernant les marchands de vin. Il ne s’agissait pas là d’un de ces principes à l’égard desquels on veut une obéissance passive. D’ailleurs, plusieurs amis au ministère n’avaient pas adopté la loi et il leur a fait chose très agréable de ne pas y donner sa sanction. Je ne suis donc pas en contradiction, et les observations que j’ai faites restent en leur entier.

M. le président. - Personne ne réclamant plus la parole dans la discussion générale, nous passons à la discussion des paragraphes.

Discussion des paragraphes

Premier paragraphe

« En reprenant nos travaux après une session longue laborieuse, qui vient à peine d’être close, nous nous félicitons de voir au milieu de nous le Roi qui s’est si noblement associé à notre cause, et sur qui reposent les destinées de la patrie. »

- Ce paragraphe est adopté.

Paragraphe 2

« Nous sommes heureux d’apprendre que les négociations ouvertes ensuite du traité de Londres, ont amené un dénouement satisfaisant, et que toutes les difficultés qui se rattachaient à la séparation des deux pays, ont pu être enfin résolues. Nous examinerons avec le plus grand soin les traités que Votre Majesté nous annonce, et dans lesquels, nous nous plaisons à le croire, nos droits n’ont pas été méconnus. Ces résultats, en offrant à l’Europe un nouveau témoignage d’esprit de conciliation internationale, serviront sans aucun doute à faciliter des rapports commerciaux qui ne peuvent que contribuer à la prospérité des deux peuples. »

M. Vandenbossche. - Messieurs, le sénat a reçu avec satisfaction l’annonce d’un traite définitif avec la Hollande ; d’après le projet de notre commission, nous nous trouvons heureux de l’apprendre. Pour moi, messieurs, je suspends ma satisfaction jusqu’à ce que j’aie vu et examiné ce traité définitif ; car, je dois vous le dire franchement, je crains que nous serons de nouveau les dupes, au point qu’il pourrait bien, à la fin, ne pas recevoir notre approbation. Nous aurons besoin de bien l’examiner, et à cet effet nous devons connaître toutes les pièces des négociations. Combien ces pièces nous sont nécessaires, le traité des 24 articles nous en donne la preuve, le ministre nous en a refusé la communication, si nous l’avions obtenue, j’ai la persuasion que nous n’aurions jamais adopté ce traité, dont nous avons déploré, et dont nous déplorerons toujours les conditions.

Pour ces raisons je ne pense point m’associer à la rédaction du paragraphe 2. Nous sommes heureux et j’ai l’honneur de vous proposer la rédaction suivante :

« Les négociations ouvertes ensuite du traité de Londres ont amené un dénouement. Après les sacrifices si durs auxquels nous avons été appelés à souscrire, nous nous plaisons à croire que dans le traité que Votre Majesté nous annonce, on ne nous en prescrira pas de nouveaux et qu’aucun de nos droits n’y sera méconnu. Nous l’examinerons avec soin ainsi que les pièces des négociations et nous espérons que votre gouvernement ne nous en refusera plus la communication. »

- Cet amendement n’est pas appuyé.

Le paragraphe est adopté.

Paragraphe 3

« Les intérêts matériels doivent être l’objet des soins constants du gouvernement ; nous porterons notre attention sur le traité conclu avec l’Espagne, et tout en conservant l’espoir que d’autres négociations encore pourront être fructueuses à notre industrie, nous fixerons toute notre sollicitude sur les mesures qui nous sont annoncées dans l’intérêt du commerce, et sur l’enquête que nous avons instituée dans le but de favoriser les exportations maritimes. »

M. Delehaye. - Depuis quelques temps les journaux français et belges se sont vivement occupés de la suppression douanière entre des deux pays.

Quelle que soit l’opinion que l’on ait sur cette mesure, on ne peut méconnaître qu’elle ne fût digne d’une place dans le discours du Trône.

Le silence à cet égard, la déclaration du ministre, qu’étant à Paris, il n’avait eu à s’occuper, ni directement, ni indirectement de nos intérêts ; l’absence d’un agent diplomatique à Paris pendant les négociations, et surtout un article que nous avons vu, il y a quelques jours, dans un journal qui aujourd’hui reçoit ses inspirations du ministère, donneraient lieu de croire que les démarches, que l’on attribue à un auguste personnage, et pour lesquelles la reconnaissance du pays ne lui manquera pas, ne sont pas entièrement conformes aux vues du gouvernement.

M. le président. - Je dois faire remarquer à l’orateur qu’il n’est pas permis de faire intervenir le nom du Roi dans nos débats.

M. Delehaye. - Je ne veux par faire intervenir le nom du Roi dans nos discussions, mais je ne crois pas manquer aux convenances parlementaires en rappelant des démarches qui ne peuvent que mériter à Sa Majesté la reconnaissance nationale.

L’arrêté pris récemment sur les vins, arrêté injuste selon moi, exigé que le commerce soit informé du résultat de nos négociations.

Si cette grande mesure, utile aux deux pays, est repoussée par l’intérêt de quelques industriels français, que le gouvernement assure du moins au pays le marché intérieur, il nous dédommagera en partie des concessions que déjà nous avons faites.

Je prie M. le ministre de nous dire si les négociations avec la France tendent à une réunion douanière.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je n’ai pas à répondre à la partie de l’interpellation qui est relative à un pouvoir en dehors de nos délibérations. Ce qui me paraît résulter de plus clair, du reste, du discours de l’honorable préopinant, c’est qu’il désirerait savoir quelle est l’opinion du ministère relativement à la réunion douanière avec la France. Avant que je puisse répondre catégoriquement sur ce point, il faudrait que l’honorable préopinant fût bien d’accord sur ce qu’il entend par l’union douanière. S’il entend par là une mesure telle que nous puissions assurer un marché sans entraves à toutes les industries dont les produits se placent en France, en gardant saufs les grands principes de nationalité et d’indépendance du pays, alors il nous trouvera partisans de l’union ; si, au contraire, l’union douanière devait s’acheter par le sacrifice de ces principes, nous ne pourrions nous y rallier. Voilà, messieurs, l’opinion unanime du gouvernement sur la question d’union qui vient de nous être posée par l’honorable préopinant, opinion que j’ai exprimée hier dans une autre enceinte. J’ajouterai que les négociations se poursuivent et que nous ne devons pas encore désespérer de leur résultat.

- Le paragraphe est adopté.

Paragraphe 4

« L’importance de l’industrie ne nous laissera pas inattentifs aux besoins de la classe ouvrière. En examinant les mesures qui nous seront proposées sur la protection des enfants dans les manufactures, nous chercherons à assurer la conservation de la santé et des mœurs de cette partie si intéressante de la société. Déjà la loi sur l’enseignement primaire, par laquelle, en répandant l’instruction, nous avons voulu conserver au peuple son caractère moral et religieux, a prouvé l’unanimité de vues des grands pouvoirs de l’Etat sur ces graves intérêts, et le pays entier y a applaudi. »

M. David. - Je crois, messieurs, qu’il vaudrait mieux de dire :

« Déjà la loi sur l’enseignement primaire en répandant le bienfait de l’instruction et en contribuant au maintien et à l’amélioration du caractère moral et religieux, a prouvé l’unanimité de vues des grands pouvoirs de l’Etat sur ces graves intérêts et le pays entier y a applaudi. »

Ce n’est qu’un simple changement de rédaction que je propose ; il me semble que de cette manière la phrase serait moins saccadée.

Plusieurs membres. - Le rapporteur n’est pas présent.

M. Dolez. - Messieurs, notre honorable collègue M. Dumortier, m’a prié de faire connaître à la chambre qu’il devait s’absenter aujourd’hui, étant retenu par le service qu’il doit faire comme commandant de la garde civique de Tournay. Il serait peut-être convenable de remettre la suite de la discussion de l’adresse à notre prochaine séance.

M. d’Huart. - Les membres de la commission d’adresse donneront volontiers les explications qui pourront être jugées nécessaires. La rédaction de l’adresse n’est pas l’œuvre d’une seule personne ; la commission tout entière est intervenue dans cette rédaction. Quant à moi, (et je pense que mes honorables collègues partageront mon avis) il m’est assez indifférent que l’on adopte la rédaction de l’honorable M. David ou la nôtre ; mais je dois le déclarer, sans amour-propre, je ne vois pas que la rédaction de M. David soit beaucoup plus brillante, beaucoup plus élégante que celle de la commission. Dans tous les cas, cela ne change rien au fond et dès lors je ne tiens pas à ce que la chambre adopte plutôt l’une rédaction que l’autre.

- La rédaction de M. David est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

Le paragraphe tel qu’il est proposé par la commission est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 5

« La chambre des représentants voit avec un juste orgueil le développement progressif des sciences, des lettres et des arts. La récente exposition, ouverte dans la capitale, a montré que la patrie des Van Eyck et des Rubens savait encore fournir de dignes successeurs à ces gloires nationales. »

- Adopté.

Paragraphe 6

« La grande entreprise du chemin de fer, en atteignant les frontières de France et d’Allemagne, doit contribuer à augmenter la prospérité du pays. Nous formons des vœux pour que l’achèvement du réseau intérieur mette enfin en rapport tous les grands centres de population. De leur côté, les voies de communication décrétées dans le Luxembourg et le canal de la Campine viendront vivifier deux provinces auxquelles se rattachent de pieux souvenirs. »

M. Malou. - Je désirerais obtenir d’un des membres de la commission une explication sur le sens de ce paragraphe. Il m’a paru que l’on y faisait allusion à une ligne nouvelle qui a été ajournée jusqu’après l’achèvement de toutes les parties du chemin de fer décrétées. Je demanderai, pour qu’il n’y ait pas de malentendu, quelle a été à cet égard l’intention de la commission.

M. d’Huart. - Je puis répondre d’une manière catégorique et de manière à satisfaire complètement l’honorable préopinant.

La commission a examiné ce paragraphe d’une manière très scrupuleuse, et nous avons admis la rédaction soumise à la chambre, parce que nous avons trouvé qu’elle ne pouvait concerner que les lignes décrétées, et qu’elle ne préjugeait absolument rien ni pour ni contre les autres lignes.

M. d’Hoffschmidt. - Il faut que je fasse une simple observation relativement à la somme votée pour l’une des deux provinces qui sont indiquées dans le paragraphe. Je désire vivement que le gouvernement fasse le plus promptement possible emploi de cette somme, d’autant plus que dans la province de Luxembourg les classes pauvres sont très malheureuses dans la saison actuelle ; la récolte a été insuffisante ; les pommes de terre surtout manquent presque totalement. Il serait donc très important de commencer sans retard les travaux que l’on entend exécuter.

M. de Theux. - Je profiterai de la recommandation faite par l’honorable membre pour engager M. le ministre des travaux publics à saisir la chambre le plus tôt possible, du projet complémentaire relatif à la canalisation de la Campine. Le principe de cette canalisation a été décidé dans la loi d’emprunt, mais il a été décidé qu’une loi spéciale devait être votée à cet égard ; je prierai M. le ministre des travaux publics de saisir la chambré le plus tôt possible de cette loi.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Immédiatement après le vote et la promulgation de la loi d’emprunt je me suis occupé de préparer l’exécution des routes accordées au Luxembourg, et je puis annoncer à la chambre que dans peu de temps une adjudication aura lieu. Je me suis occupe avec le même soin de la question de la canalisation de la Campine et le projet de loi complémentaire relatif à cet objet est en ce moment soumis à la signature du Roi.

- Le paragraphe est mis aux voix et adopté.

Paragraphes 7 à 9

Les trois autres paragraphes sont adoptés sans discussion ; ils sont ainsi conçus :

« L’armée, par l’esprit patriotique qui l’anime, par son instruction et sa discipline, continuera, nous n’en doutons point, à justifier la confiance de Votre Majesté et celle du pays.

« Nous attendrons, sire, les divers projets que Votre Majesté nous annonce pour régulariser les services publics ; dans l’examen des lois de finance qui nous seront proposées, nous n’oublierons pas que l’ordre et l’économie dans les dépenses peuvent souvent suppléer à de nouveaux impôts, et sont un grand moyen de crédit public. Déjà la conclusion de l’emprunt témoigne de la confiance que notre crédit inspire. Ce crédit, auquel la fortune publique est intimement associée, s’accroîtra encore par la paix et la tranquillité.

« Après les secousses qui ont si profondément ébranlé la société, après les sacrifices si durs que nous avons dû faire, la nation éprouve le besoin de calme et de repos. Le commerce et l’industrie, ces deux grandes sources de la prospérité des peuples, ne peuvent fleurir an milieu des commotions politiques. Heureuse et confiante dans le souverain qu’elle s’est choisi et dont la dynastie s’élève et grandit pour le bonheur de la patrie, la nation, Sire, n’oubliera jamais que la Belgique ne peut trouver de force réelle que dans la concorde et l’union de tous ses enfants. »

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet d’adresse.

En voici le résultat :

61 membres prennent part au vote.

58 répondent oui.

3 répondent non.

En conséquence, le projet d’adresse est adopté, et il sera présenté à S. M.

Ont répondu oui : MM. de la Coste, Cogels, Coghen, Cools, David, de Baillet, de Behr, Dedecker, Delehaye, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, Deprey, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Donny, B. Dubus, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Hye-Hoys, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Liedts, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Troye, van Cutsem, Vanden Eynde, Vanderbelen, Van Volxem, Wallaert, Zoude et Raikem.

Ont répondu non : MM. Delfosse, Vandenbossche et Verhaegen.

Formation de la députation au roi

M. le président tire au sort la députation qui sera chargée de présenter l’adresse au Roi. La députation, dont M. le président est membre de droit, est composée ainsi qu’il suit :

MM. Raikem, président ; de Renesse, Demonceau, Mast de Vries, Cools, de Theux, de Behr, Raymaeckers, B. Dubus, Van Cutsem, Duvivier et Hye-Hoys.

Ordre des travaux de la chambre

Sur la proposition de M. de Theux, la chambre s’ajourne à mercredi, 16 novembre à 2 heures, et met à l’ordre du jour de cette séance un feuilleton de pétitions et des naturalisations.

M. Rodenbach demande qu’on mette également à l’ordre du jour de cette séance un projet de crédit pour créances arriérées à charge du département de la guerre, projet sur lequel il a été fait rapport.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - J’ai à faire à la chambre une proposition qui, je pense, ne rencontrera pas de difficulté, Au moment de la clôture de la session, plusieurs rapports étaient préparés, et n’avaient plus qu’à être soumis aux sections centrales respectives. Ces sections centrales étaient présidées par M. Fallon. La chambre ne suppose pas sans doute à ce que M. Fallon continue à présider ces sections pour le travail qui reste à faire. (Non ! Non !) Ainsi, s’il n’y a pas d’opposition, je considérerai ma proposition comme adoptée.

- La séance est levée à 4 heures et demie.