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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 28 novembre 1842

(Moniteur belge n°333 du 29 novembre 1842)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à 2 heures et un quart ; il lit ensuite le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée. Il communique les pièces de la correspondance.

Pièces adressées à la chambre

« Les brasseurs de la ville de Jodoigne présentent des observations contre le projet de loi tendant à modifier les bases de l’impôt sur les bières. »

- Sur la proposition de M. Vanden Eynde, la chambre décide que cette pétition restera déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens, et qu’elle sera imprimée au Moniteur.


« La chambre de commerce et des fabriques de Bruges, transmet, en y donnant son adhésion, un mémoire des armateurs, négociants, sauniers, etc., de cette ville, contre certaines dispositions dia projet de loi sur le sel. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur le sel.


« Le sieur Coppée, meunier à Binche, se plaint de ce qu’un ingénieur et un conducteur des ponts et chaussées l’obligent à leur payer des frais de déplacement, levées de plans, sans qu’il ait réclamé leurs services. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Toussaint Charlier soumet à la chambre un projet de loi sur le remplacement militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs brasseurs de Louvain présentent des observations contre le projet de loi tendant à modifier les bases de l’impôt sur les bières. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur la matière.


« Les sieurs Lequeux, Ard’huin et autres anciens employés des ambulances prient la chambre de renouveler pour 1843 l’allocation qui a été votée en leur faveur pour l’exercice 1842, à titre de traitement d’attente.

- Sur la proposition de M. de Behr, la chambre renvoie cette pétition à la section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre.

Projet de loi qui proroge la loi sur les concessions de péages

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) dépose un projet de loi ayant pour objet de proroger jusqu’au 1er janvier 1845 la loi du 19 juillet 1832 sur les concessions des péages.

- Il est donné acte à M. le ministre de l’intérieur de la présentation d’un projet de loi qui sera imprimé et distribué ; la chambre le renvoie à la section centrale du budget des travaux publics, qui l’examinera en qualité de commission spéciale.

Projet de loi qui approuve la convention de commerce entre la Belgique et l'Espagne

Discussion générale

M. de Garcia. - Messieurs, tout traité de commerce présente nécessairement, par la force des choses, des questions de la plus grande importance, d’une haute gravité, et qui touchent aux intérêts politiques, aux intérêts nationaux, aux intérêts financiers.

Sous ces divers points de vue, je dois déclarer, et je déclare hautement que l’exposé des motifs du traité qui nous est soumis ne me satisfait nullement et ne me donne aucun apaisement, Pas plus que le rapport de la section centrale.

Avant d’aborder la discussion, je demanderai que le gouvernement donne des réponses catégoriques aux questions suivantes :

1° Je demanderai quelle est la position de l’Angleterre, quant aux objets d’importation ou d’exportation dont s’agit au traité qui nous est soumis ; en d’autres termes, les toiles belges de toutes espèces sont-elles admises en Espagne avec tous les avantages des toiles anglaises ? En second lieu, les objets d’importation en Belgique de l’Espagne sont-ils admis en Angleterre avec plus ou moins d’avantages qu’ils ne le seront en Belgique ?

Sous un autre point de vue, sous celui de l’exportation en Espagne, d’autres objets ou d’autres produits que ceux prévus dans le traité, par exemple sous le point de vue de l’exportation des draps, des tissus de laine, des tissus de coton, des machines, de la coutellerie, etc., etc., je demanderai au gouvernement si la Belgique est vis-à-vis de l’Espagne dans une position aussi avantageuse que l’Angleterre

Je terminerai par une troisième question que j’adresse encore au gouvernement. Dans l’exposé des motifs il est dit :

« Ces concessions, qui ne se rapportent qu’à des articles que la Belgique ne produit point, consistent uniquement en une réduction peu considérable dans les recettes du trésor. Elles ont été faites en vue de la faveur spéciale accordée aux toiles belges, et nous conservons le droit de résilier la convention, dans le cas où ces faveurs viendraient à être étendues aux toiles d’autres provenances. »

Je demanderai 1° si le calcul de cette réduction, minime dans les recettes du trésor, a été fait en prenant égard à la réduction forcée qui aura lieu à raison des productions similaires arrivant de la France, du Portugal, de la Sicile et d’autres pays, en présence du droit d’importation fixé pour l’Espagne, qui ne sera que du tiers du droit des autres contrées.

2° Je demanderai enfin si les huiles grossières d’Espagne, et à très vil prix dans ce dernier pays, ne feront point une concurrence ruineuse à nos productions oléagineuses, à nos colzas et à la production du lin lui-même, dont la graine est une production oléagineuse.

Tous ces points ne sont nullement résolus ni éclaircis, et, à nos yeux, il est plus que douteux qu’ils doivent être résolus en faveur des traités.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je ne m’attendais pas, je l’avoue, aux nombreuses questions qui me sont adressées, dès le début de cette séance, par l’honorable préopinant. Il voudra donc bien m’excuser si, n’ayant point saisi la première partie de ses demandes, je ne prétends point dés à présent lui donner complète satisfaction sur chacune d’elles.

Il m’a semblé toutefois qu’elles sont toutes formulées sous l’empire de cette opinion, que le tarif actuel de l’Espagne n’est pas applicable à toutes les nations. Je puis le rassurer à cet égard, et lui dire que le régime qui est fait à l’Angleterre, qu’il a citée, est le même que celui auquel la Belgique est imposée en Espagne, et que nos produits ne sont pas grevés de droits de douane plus élevés.

Si cette réponse ne rencontrait pas toutes ses objections, je prierais l’honorable M. de Garcia de vouloir bien me communiquer ses questions, et je m’empresserai d’y répondre.

M. de Garcia. - Messieurs, mon intention est de faire ajourner la discussion du projet de loi, parce que, ni dans l’exposé des motifs de la loi, ni dans le rapport de la section centrale, il ne nous a été fourni aucun renseignement sur la portée générale du traité. Pour apprécier convenablement cette portée, il faudrait savoir si nous sommes placés sur la même ligne que l’Angleterre, non seulement quant aux toiles, mais quant à tous les autres produits industriels de notre pays que l’Angleterre fabrique également et peut exporter en Espagne.

Sommes-nous, par exemple, mis sur le même pied que les Anglais pour les machines, pour la coutellerie, pour les tissus de coton, pour les draps, etc. ? Nous recevrons les huiles d’Espagne à un très bas prix ; ce bas prix ne sera-t-il pas nuisible à quelques branches de notre industrie ?

Je désire que, si l’on fait un traité avec l’Espagne, ou le fasse de telle manière que tous les produits de notre industrie soient également soumis au même régime, à leur entrée en Espagne, que les produits similaires de toutes les autres nations.

Je désire plus, je veux que l’exportation en Espagne de nos produits soit en raison des concessions que nous faisons à ce pays, et que si nos concessions sont plus considérables que celles des autres nations, nos importations soient aussi plus favorisées.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je ne pense pas que les questions posées par l’honorable M. de Garcia ne soient pas susceptibles d’une solution immédiate. Il a prêté à mes paroles un sens que je ne voulais pas leur donner. Mais j’avoue que, comme ces questions étaient aussi nombreuses qu’imprévues, il m’a été impossible de les saisir toutes dans le bruit inséparable des débats d’une séance, et c’est pour cela que j’avais demandé communication de ces demandes, qu’il avait eu le soin de formuler par écrit et dont il nous a donné lecture.

L’honorable M. de Garcia demande si nos produits sont reçus en Espagne avec moins de faveur que les produits similaires de l’Angleterre.

J’ai déjà répondu qu’il existe en Espagne un tarif général de douanes, comme nous en avons un en Belgique. Ce tarif qui, comme le nôtre, est appliqué à toutes les nations indistinctement, est le tarif du mois de novembre 1841. Ainsi donc, les droits qui frappent, en Espagne, non seulement nos machines, nos draps, mais encore nos tissus de toute espèce, frappent également les produits similaires anglais.

Messieurs, notre tarif renferme deux dispositions particulières aux huiles d’olive. Il frappe d’abord d’un droit de 12 fr. par hectolitre toutes les huiles d’olive servant de comestible, et il n’impose qu’une taxe de deux francs douze centimes sur les huiles d’olive qui sont employées dans les fabriques.

Pour la première, dont le prix est très élevé, une diminution de huit francs par hectolitre ne pourra réagir en aucune manière sur nos huiles indigènes dont la valeur est inferieure de près de moitié, et dont les qualités sont toutes différentes. Quant aux secondes, elles sont d’un usage indispensable pour nos industries ; on ne peut, en aucun cas, les remplacer par les huiles de colza, d’oeillette ou de pavot. C’est surtout dans la fabrication du drap que l’huile d’olive est employée en très grande quantité. Je pense qu’elle y entre pour un quart environ.

L’honorable M. de Garcia a demandé encore des explications sur les dispositions nouvelles à l’égard des huiles.

Il résulte de là que la diminution des deux tiers du droit ne peut faire aucun tort à nos huiles indigènes. Indépendamment de cela, les huiles d’olive employées aux fabriques se vendent à un prix plus élevés que nos huiles, et cette élévation n’est pas moindre que de 25 fr. par 100 fr., et cependant, dans l’état actuel des choses, cette différence n’empêche pas les achats de cette huile d’olive pour les industries qui s’en servent. Il n’est donc pas probable qu’une diminution d’un franc 80 c. environ puisse produire un effet qu’une différence de 2 p. c. n’a jamais pu amener.

Cette diminution de 1 fr. 80 c. ne pourra donc nuire à la vente de nos huiles, elle aura tout au plus pour résultat d’amener une économie de quelque importance dans les industries qui en ont besoin.

M. de Garcia. - Messieurs, un mot en réponse à M. le ministre des affaires étrangères. M. le ministre a fait une distinction entre les huiles fines et les huiles grossières, faisant observer que les premières ne viennent pas d’Espagne et que les secondes sont nécessaires à notre industrie, que dès lors la réduction proposée ne pouvait porter préjudice aux intérêts belges. Je crois, messieurs. qu’en Espagne, comme dans le midi de la France, les huiles d’olive peuvent être réduites à un état tel qu’elles peuvent servir à la table. Si les huiles d’Espagne n’y subissent pas encore cette transformation, c’est que l’industrie, sous ce rapport, est restée en arrière du progrès réalisé ailleurs ; mais quand elle sera en possession de cet avantage, ses huiles viendront faire concurrence avec les huiles de France, et les excluront peut-être.

Quant aux huiles grossières de l’Espagne, on dit qu’elles ne nuiront pas aux huiles du pays, parce que les huiles d’olive ne sont employées que dans les fabriques. Quant à moi, je désirerais avoir une preuve de ce fait ; cette preuve ne nous a pas été fournie ; je crois, au contraire, que les huiles grossières d’Espagne peuvent être employées à la fabrication du savon. Si je suis bien informé, le savon de Marseille se fait avec l’huile d’Espagne.

On a répondu à une autre de mes observations, en disant qu’en vertu du tarif général espagnol, l’Angleterre était traitée en Espagne absolument sur le même pied que la Belgique. Encore une fois, ce point ne m’est pas encore démontré. Si je dois m’en rapporter aux journaux, je vois au contraire que l’insurrection catalane a pour principal motif un traité qu’on veut conclure avec l’Angleterre, traité qui serait très favorable à cette nation.

Or, je désire que si la Belgique fait un traité avec l’Espagne, nous soyons placés sur la même ligne que l’Angleterre ; et il paraît que, dans ce traité, l’Angleterre serait tellement avantagée au détriment de l’industrie espagnole, qu’il donnerait lieu à des insurrections dans ce pays. Sous ce rapport, je n’ai pas mes apaisements.

Ma proposition est d’ajourner la discussion de ce traité, qui me paraît plus grave qu’on ne suppose. L’exposé des motifs et le rapport ne me donnent pas des renseignements satisfaisants. Quant à moi, dans l’état de la question, je serai obligé de voter contre le traité ou de m’abstenir.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Mes réponses ont résolu, je pense, toutes les questions soulevées par l’honorable membre. Je viens donc m’opposer à l’ajournement de la discussion. Il a demandé quelle était la position de la Belgique et de l’Angleterre vis-à-vis de l’Espagne. J’ai répondu que la position de ces deux pays était réglée par le tarif général des douanes de 1841, qui est également applicable aux produits de tous les pays. Il a demandé si nos tissus de laine et de coton étaient reçus sur le marché espagnol avec les mêmes droits de douane que les tissus de laine et de coton anglais. Ma réponse n’a pas été moins explicite ; et d’ailleurs cette seconde question était résolue, ce me semble, par l’explication donnée à la première demande. Les tissus belges sont jusqu’à ce jour traités en Espagne, comme les produits similaires anglais.

L’honorable membre a demandé encore si dans le chiffre posé dans les tableaux fournis à la section centrale comme étant celui résultant de la diminution des deux tiers des droits sur les huiles, les fruits secs, etc., était comprise la perte qui résulterait nécessairement pour le trésor de la diminution des introductions en Belgique des huiles et fruits secs des autres pays.

A cela, je puis répondre que le chiffre de perte éventuelle est celui résultant uniquement de la diminution des deux tiers de droits sur les fruits espagnols, en prenant pour base la statistique de l’année dernière. Nous n’avons pas dû procéder autrement. Car on ne peut partir que d’une base connue ; et celle que suppose l’honorable préopinant est très contestable ; une diminution des droits pouvait amener une augmentation de consommation qui laisse le déficit du trésor dans le statu quo. Il est donc impossible de fixer dès à présent le tort éventuel que cette faveur pourrait faire à l’importation des raisins de la Sicile et aux oranges du Portugal. Quant aux huiles, je crois avoir répondu ; si ma réponse ne satisfait pas l’honorable membre, je suis prêt à répondre aux nouvelles questions qu’il voudra m’adresser.

M. de Garcia vous a parlé d’un traité entre l’Espagne et l’Angleterre ; j’ignore encore l’existence de ce traité. Mais dans tous les cas, s’il existe, ou il s’applique à d’autres articles que ceux dont il agit dans cette convention, ou s’il les comprend, les faveurs accordées à l’Angleterre devront être étendues à la Belgique conformément aux conditions que nous avons établies.

M. Osy. - Je dois également appuyer la demande d’ajournement, parce que, d’après la manière dont le traité est conçu, il me reste beaucoup de doutes sur sa portée. Je demanderai à M. le ministre quelques renseignements. D’après l’article premier du traité, les navires espagnols seront traités sur le pied de la nation la plus favorisée ; par contre, les navires belges seront admis en Espagne d’après le traité de Munster. Je demanderai à M. le ministre si, d’après ce traité, nous pouvons importer nos toiles en Espagne, par navires belges, au même droit que par navires espagnols. Nous admettons leurs huiles, leurs fruits par navires espagnols au même droit que par navires belges. Si nous ne pouvons pas importer nos huiles en Espagne par navires belges comme par navires espagnols, il n’y a pas réciprocité.

Vous admettez les navires espagnols, quant aux droits de tonnage et de pilotage, comme les navires des nations les plus favorisées. Je demanderai si, d’après le traité de Munster, les navires belges ne paieront pas en Espagne plus que les navires des nations les plus favorisées.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - La disposition du traité n’établit pas un régime nouveau. Avant 1830, les navires des Pays-Bas étaient traités dans les ports espagnols d’après les traités conclus autrefois avec les Etats-généraux. Quand il y eut séparation entre les deux pays, les navires belges continuèrent, par tolérance, à jouir de la même faveur. Cependant le gouvernement du Roi avait pensé que cet état de choses n’était pas sans inconvénients, devait cesser et devait faite place à des convenions plus formelles. C’est sous l’empire de ces idées que des négociations ont été entamées, et qu’en avril 1840 ont paru deux décrets, un de la régente d’Espagne et un de Sa Majesté le Roi des Belges, pour régler le régime de navigation entre les deux peuples.

Par ces décrets on continuait à appliquer les avantages des traités conclus entre l’Espagne et les Pays-Bas aux navires belges et espagnols dans les pays respectifs, jusqu’à ce qu’un tarif définitif de douanes fût établi en Espagne. Ce tarif devait faire cesser les faveurs dont le pavillon belge aurait joui jusque-là.

Au commencement de 1841, ce nouveau tarif a été rendu exécutoire au mois de novembre 1841. Ainsi tombaient les avantages accordés à notre pavillon. Le paragraphe que l’on a cité a pour résultat principal de faire revivre ces décrets de la régente et de S. M. le Roi des Belges. Il ne contient pas de faveur nouvelle, je le reconnais, il n’apporte aucun changement à la position faite par ces décrets, mais (Erratum au Moniteur belge n°334, du 30 novembre 1842 :) il nous soustrait aux désavantages de celle qui nous menaçait par la misé à exécution du nouveau tarif de douanes.

Maintenant l’honorable M. Osy demande si nos toiles seront reçues en Espagne par navires belges avec les mêmes droits de navigation que par navires espagnols. Malheureusement, non ; la convention n’a pu nous accorder ces avantages, de même que les produits espagnols, d’après sa teneur, ne seront pas reçus en Belgique arrivant par navires espagnols aux mêmes droits que par navires nationaux. Le bénéfice de 10 p. c. reconnu au pavillon national subsiste toujours. (Erratum au Moniteur belge n°334, du 30 novembre 1842 :) Mais en assurant en Espagne au pavillon belge les faveurs dont jouissaient anciennement les Pays-Bas, d’après le traité de Munster et autres, on nous a rendu, je le répète, un régime dont la publication du nouveau tarif espagnol nous avait fait perdre les avantages.

M. Osy. - Le paragraphe 3 de l’art. 3 porte : Sera également réduit de deux tiers le droit actuel d’entrée en Belgique sur les oranges, les citrons, les figues, les raisins, les amandes, etc., produits du sol de l’Espagne, et directement importés par mer sous l’un des deux pavillons.

Vous voyez que le pavillon espagnol est mis sur le même pied que le pavillon belge, tandis que nos toiles importées en Espagne par pavillon belge n’y seront pas admises sur le même pied que le pavillon espagnol. On n’accorde pas à notre pavillon l’avantage que nous accordons au pavillon espagnol. J’ai prié M. le ministre de vouloir bien nous expliquer la portée des articles 13 et 14 du traité de Munster.

M. Dedecker, rapporteur. - L’honorable M. de Garcia a présenté à M. le ministre des affaires étrangères plusieurs questions et a fini par formuler une proposition d’ajournement. Je ne sais si la chambre se sent disposée à admettre cette proposition, mais il me semble que, pour bien apprécier le traité conclu avec l’Espagne, il faut se mettre au point de vue des deux parties contractantes et tenir compte des deux intérêts principaux en présence. Dans les relations entre la Belgique et l’Espagne, l’intérêt principal de la Belgique est l’industrie des toiles, de même que l’intérêt premier de l’Espagne est l’exportation de ses huiles et de ses fruits. Il faut partir de ces points pour apprécier la convention qui nous occupe.

Les objections faites par M. Osy sont prévues par le traité, car il dit, § 3, article 1er, « que les parties contractantes n’entendent pas traiter la partie du commerce d’une manière définitive, mais bien provisoirement, en attendant la conclusion d’un traité général de commerce et de navigation. »

Le statu quo qui a existé avant et après 1830 jusqu’au moment de l’adoption par l’Espagne de son nouveau tarif de douanes de 1841, on le maintient en attendant qu’on ait adopté un système qu’on puisse appliquer à l’Espagne, ainsi qu’aux autres nations. Voilà du moins comment la section centrale l’a entendu.

Je reconnais qu’il eût été préférable que, dans ce traité, on eût pu appliquer les principes qui doivent plus tard nous guider dans tout traité de ce genre. Mais le traité actuel est-il obstatif au traité à conclure plus tard ?

M. Demonceau. - J’ai sous les yeux deux décrets qui servent à expliquer la convention qui nous est soumise. L’un du 20 avril 1840, rendu par la reine régente d’Espagne est ainsi conçu :

« Les bâtiments du royaume de la Belgique seront reçus et son commerce sera traité dans les ports espagnols de la Péninsule et îles adjacentes de la même manière qu’ils ont été reçus et traités pendant l’union politique des provinces belges au royaume des Pays-Bas. »

Voici maintenant la disposition prise par le gouvernement belge dans un arrêté royal rendu sur la proposition du ministre des affaires étrangères Lebeau, le 21 juillet 1840 :

« Les bâtiments du royaume d’Espagne seront reçus et son commerce sera traité dans les ports belges de la même manière qu’ils ont été reçus et traités pendant l’union politique de la Belgique et des Pays-Bas. »

La question est de savoir si le traité qu’on nous propose aujourd’hui révoque le décret et l’arrêté que je viens de citer. D’après l’explication de M. le ministre des affaires étrangères, il en est au contraire la confirmation ; c’est le maintien du statu quo.

Ainsi il me semble que le traité ainsi interprété par l’arrêté royal belge et par le décret espagnol, dont je viens de donner lecture, ne change rien au statu quo. Telle est la véritable question.

Je dirai quelques mots en réponse à l’honorable M. de Garcia en ce qui concerne les huiles. Je ne puis que confirmer ce qu’a dit à cet égard M. le ministre des affaires étrangères. Lors de la discussion qui eut lieu il y a deux ans, le gouvernement, d’accord avec la majorité de la chambre, établit, dans l’intérêt de l’industrie des droits différents sur l’huile de table et sur l’huile de fabrique La première fut frappée d’un droit de 12 fr. et quelques centimes, la deuxième d’un droit de 2 fr. 12 c. Nous avions donné pour motif que l’huile d’Espagne n’est pas seulement nécessaire, mais indispensable pour la fabrication des tissus de laine. Il n’est guère possible d’employer, à sa place, à la fabrication du drap les huiles indigènes, parce que l’huile d’Espagne est beaucoup plus claire et qu’elle ne dépose pas sur le drap ; c’est une huile qui clarifie, au lieu de graisser trop fortement ; elle contribue ainsi à rendre le drap plus souple.

L’honorable M. de Garcia croit que l’huile s’emploie dans la fabrication du savon ; cela est vrai, mais ce savon est principalement employé à fouler les tissus de laine ; ainsi, loin de porter préjudice à l’industrie du pays, le traité serait avantageux à l’industrie du pays.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - L’honorable M. Demonceau demande si l’état de choses résultant du traité n’est pas le même que celui qui découle des deux décrets dont il a donné lecture et dont j’ai déjà parlé. Je ne puis que répondre affirmativement à cette question. En effet, nous lisons dans le 3ème alinéa de l’art. 1er de la convention, que « Les bâtiments de la Belgique seront reçus pendant toute la durée de la présente convention dans les ports espagnols de la Péninsules et les îles adjacentes de la même manière qu’ils ont été traités pendant l’union politique de la Belgique et des Pays-Bas, ainsi que cela a été établi par le décret royal donné à Madrid le 20 avril 1840, dont les dispositions relatives au commerce réciproque des deux pays sont remises en vigueur, ainsi que celles de l’arrêté de S. M. le Roi des Belges, en date du 21 juillet 1840. »

J’ajouterai que le gouvernement aurait regardé comme une chose avantageuse au pays, de pouvoir conclure dès à présent avec l’Espagne un nouveau traité de navigation. Mais il n’a pas été en notre pouvoir de nous placer sur ce terrain et de traiter différents points sur lesquels les hommes d’Etat espagnols ne sont pas encore parfaitement d’accord.

Ce qui n’a pas été et ne pouvait être fait pourra l’être plus tard. Et cette convention, qu’il faut considérer comme un jalon pour un traité plus complet, ne peut, dans tous les cas, qu’en préparer et en hâter le succès.

M. de Garcia. - Je désire répondre un mot à l’honorable rapporteur, qui a dit que, pour apprécier le traité, il fallait se mettre au point de vue où il a été fait. Mais si j’attaque le traité, c’est précisément parce qu’il a été fait à un point de vue unique, exclusif et trop restreint, Je dis : Le traité n’a été fait qu’en vue d’une seule industrie. Il a été fait pour favoriser la fabrication de la toile. S’il a été fait dans ce but unique, n’ai-je pas, ainsi que la chambre, le droit de voir si ce traité n’a pas porté préjudice à quelques autres intérêts du pays, et si par suite il ne doit pas être ajourné ? Bien poser la question, c’est pour moi démontrer la nécessité de l’adoption de ma proposition. Je voudrais que ce traité fût (comme tous les traités doivent l’être) examiné sous toutes ses faces, je voudrais que de cet examen résultât la démonstration qu’il satisfait à tous les intérêts.

L’honorable M. Demonceau, en me combattant, a confirmé ce que j’ai avancé. Il a dit : Les huiles d’Espagne servent à la fabrication du savon ; mais le savon sert à la fabrication du drap fort bien. Mais le savon, fait avec l’huile indigène ne peut-il pas servir aussi à cette fabrication ? Ne fait-on pas ainsi concurrence au savon fait avec l’huile du pays ? Evidemment oui, vous portez préjudice à cette industrie.

L’huile d’Espagne, est, dites-vous, nécessaire à la fabrication du drap. Soit ; j’admets cela. Mais avant le traité on fabriquait du drap, et l’on ne se plaignait pas de ne pas avoir l’huile nécessaire vous accordez donc des avantages qui ne sont pas justifiés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est très naturel qu’en lisant la convention conclue avec l’Espagne, chacun se soit dit : « Pourquoi ne s’est-on occupé, dans cette convention, que d’une industrie, de l’industrie linière ? » Mais quel est le véritable point de vue où l’on se trouvait placé ? Quel est, en un mot, notre commerce avec l’Espagne ? Il ne s’agit pas du commerce possible ; il s’agit du commerce réel. Avant le tarif du 1er novembre 1841, qu’est-ce que la Belgique envoyait en Espagne ? On y envoyait principalement des toiles et quelques machines. Le commerce des toiles s’est trouvé complètement compromis par suite de l’élévation des nouveaux droits. Le gouvernement avait donc pour devoir, pour premier devoir, non pas d’ouvrir l’Espagne à tous nos produits, ce qui serait très désirable, mais de rendre le marché espagnol à celui de nos produits qui venait, pour ainsi dire, d’en être expulsé. C’est ce que le gouvernement a cherché et qu’il a obtenu partiellement. Il n’a pas fait davantage ; il l’aurait bien désiré. Mais avant tout ce qu’il devait penser, c’était de rétablir avec l’Espagne le commerce existant. Ainsi on ne s’est occupé de l’industrie linière que parce qu’il se trouvait dans que cette industrie était la base de notre commerce en Espagne, qu’elle formait même presqu’exclusivement notre commerce avec la Péninsule. Obtiendrons-nous davantage plus tard ? Nous l’espérons ; nous le tenterons.

Qu’il me soit permis de résumer les réponses déjà faites aux questions de l’honorable M. de Garcia, qui malheureusement n’ont pas été entendues au milieu du bruit qui régnait au commencement de la discussion.

L’honorable M. de Garcia a fait quatre questions :

En premier lieu, quelle est, se demande-t-il, la position de l’Angleterre, par rapport à l’Espagne ?

La position de l’Angleterre est la même que celle de toutes les nations, y compris la Belgique. En un mot, le tarif du 1er novembre 1841 est un tarif général ; c’est le droit commun pour toutes les nations. Il y aura maintenant une seule exception, une seule ; ce sera en faveur de la Belgique : ce sera l’exception résultant de la convention du 25 octobre 1842.

Ainsi, à la première question, M. le ministre des affaires étrangères a répondu très catégoriquement. Il y avait erreur de fait de la part de l’honorable M. de Garcia, qui supposait qu’il y avait déjà exception au tarif du 1er novembre 1841, en faveur de l’une ou de l’autre nation étrangère. Non, ce tarif est le tarif général ; c’est le droit commun.

En deuxième lieu, il a demandé si la position de l’Angleterre, par rapport à l’Espagne, serait la même que celle de la Belgique, en ce qui concerne les tissus de laine et de coton, les machines, la coutellerie, etc. En répondant à la première question, j’ai déjà rendu sans objet la seconde. Non, la position est la même ; c’est-à-dire que la Belgique exportera en Espagne, aux mêmes conditions que l’Angleterre des tissus de laine et de coton, des machines, des objets de coutellerie, etc.

Vous voyez donc que nos réponses à ces deux premières questions, qui semblaient embarrasser au premier moment la discussion, sont claires et positives.

L’honorable membre a demandé en troisième lieu si le sacrifice que nous faisons sur notre revenu a été calculé en prenant en considération la diminution possible de l’importation des mêmes produits d’autres pays. M. le ministre des affaires étrangères a répondu à cette question.

Mais on peut ajouter que si l’importation des fruits secs, des autres pays venait à diminuer, c’est que l’importation des fruits d’Espagne viendrait à augmenter, que dès lors il y aurait une sorte de compensation. La consommation n’en deviendra que plus générale. (Interruption.) Il faut supposer que les Espagnols importeront en Belgique, comme ils l’espèrent, une plus grande quantité de fruits, grâce à la réduction des droits. S’il y a une plus grande importation, cet excédant compensera la perte des droits. (Réclamation.) Il était impossible d’espérer que l’Espagne nous donnât pour rien une réduction de droits, qu’elle fît pour rien une brèche à son tarif du 1er novembre 1841.

Enfin, la quatrième question consiste à demander si les huiles espagnoles, que nous allons recevoir à un droit réduit, ne feront pas concurrence à nos huiles indigènes. L’honorable M. Demonceau et, avant lui, M. le ministre des affaires étrangères ont fait remarquer que ce sont des huiles spéciales sans concurrence en Belgique.

il a donc été complètement répondu aux questions de l’honorable M. de Garcia. Je pense que vous le reconnaîtrez par ce résumé.

Quant à l’interpellation faite par l’honorable M. Osy, on a dit avec raison que rien n’a été changé quant aux conditions de navigation. La position sera telle qu’elle existait avant le tarif du 1er novembre 1841 ; en un mot on a remis en vigueur l’arrêté royal belge du 21 juillet 1840 et le décret royal espagnol du 20 avril 1840. Ces deux dispositions étaient considérées comme annulées. Il y avait une raison pour ne pas aller plus loin ; c’est que nous aurions pu toucher à une question que nous voulions laisser intacte, la question des droits différentiels de douane.

Ici il y a un point des observations de l’honorable M. Osy auquel il n’a pas été répondu. Cet honorable membre s’est attaché à l’article 3, § 3 ainsi conçu : « Le droit de douane actuellement existant sera réduit de 2/3 sur l’huile d’olive d’origine espagnole, quel qu’en soit l’usage ou la destination, et directement importée par pavillon belge ou espagnol. Les droits sont réduits de deux tiers, mais il s’agit des droits actuels. C’est ainsi qu’il faut entendre le § 3 de l’art. 3. Je m’explique par un exemple. Supposons le droit de 3 francs. ii y a une marchandise d’Espagne importée en Belgique qui paie 3 francs et de plus 40 p. c. si elle est importée par navire espagnol ; que paiera-t-elle à l’avenir ? Elle payera un au lieu de trois, mais de plus 10 p. c., non plus sur 3 mais sur 1.

C’est ainsi que les choses doivent s’entendre et elles ne peuvent être entendues autrement.

Mais aussi, messieurs, il faut admettre la réciprocité. Les navires belges qui importeront en Espagne des toiles, par exemple, paieront les droits exceptionnels de douane établis en Espagne. Rien n’est plus juste.

Remarquez même, messieurs, quelles précautions on a prises. « Sera également réduit, est-il dit, de deux tiers le droit actuel d’entrée en Belgique. » Le droit actuel ; à la rigueur, ce mot aurait pu ne pas s’y trouver ; mais on a eu soin de dire le droit actuel, c’est-à-dire le droit d’entrée tel qu’il est fixé par les lois de 1821, de 1822 et de 1841. Il ne peut y avoir de doute sur ce point.

Ainsi les droits seront réduits des deux tiers en faveur des navires espagnols, mais toujours dans les proportions existantes. En un mot, la question des droits différentiels de douane est restée intacte de part et d’autre, du côté de l’Espagne comme du côté de la Belgique ; l’article 1er ne concerne que les droits de navigation proprement dits.

Ainsi, messieurs, je pense que la chambre ne verra aucun obstacle à la continuation de la discussion.

M. Desmet. - Je crois aussi, messieurs, qu’il ne faut pas adopter la proposition de l’honorable M. de Garcia et qu’il est dans l’intérêt de notre commerce en général d’admettre le traité tel qu’il a été conclu. Ce n’est pas que je le trouve très favorable ; je crois que l’on pourrait facilement démontrer que la faveur qu’il fait à notre industrie des toiles n’est pas très forte. Mais j’y vois un bon côté, en ce qu’il est un premier pas fait pour renouer nos anciennes relations avec l’Espagne.

Comme vous le savez, avant le régime français, nous faisions un commerce très important avec l’Espagne ; sous le régime français et sous le régime hollandais, ce commerce a été totalement perdu. Si j’insiste donc pour l’adoption du traité, c’est parce que je le regarde comme un moyen de renouer nos anciennes relations.

L’honorable M. de Garcia a surtout peur d’un traité entre l’Espagne et l’Angleterre. Je ne sais si ce traité apporterait un grand changement à l’état de choses actuel ; car l’Angleterre fait maintenant presque seule le commerce avec l’Espagne ; elle est maîtresse de la douane, comme elle l’est de la contrebande ; il est à croire que les Espagnols verront qu’il est dans leur intérêt de ne pas faire exclusivement le commerce avec une seule nation et de ne pas continuer à laisser envahir son marché par cette nation.

L’honorable membre a parlé des huiles ; mais il doit savoir que les huiles de France et d’Espagne, mais surtout celles de ce dernier pays, nous sont nécessaires aussi bien pour les draps que pour les savons.

Je le répète, bien que je ne trouve guère avantageux le traité soumis à votre approbation, je crois qu’il faut l’accepter, pour qu’il serve à renouer nos anciennes relations avec l’Espagne.

M. Dedecker, rapporteur. - J’ai demandé la parole pour ajouter un seul mot. L’honorable M. de Garcia a encore répété que le traité avait été fait en faveur d’une seule industrie. Je suis d’accord avec l’honorable membre sur ce point ; mais j’ai l’honneur de lui faire observer que cette industrie constitue l’intérêt dominant dans la question ; les autres intérêts de notre industrie ne sont pas comparables à celui qu’a l’industrie linière à la conclusion d’un traité avec l’Espagne.

L’honorable M. Osy, de son côté vous a prouvé que la question de commerce et de navigation n’a pas été suffisamment entamée ; je suis encore de son avis ; mais je pense aussi que le traité actuel ne porte aucun obstacle à la conclusion d’un traité ultérieur.

Les observations des deux honorables préopinants tendent à prouver que le traité est incomplet ; mais tout le monde est d’accord sur ce point. C’est pour ce motif que nous devons engager le gouvernement à ne le regarder que comme un jalon, mais ce n’est pas un motif pour le repousser ou l’ajourner comme mauvais.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour faire une observation sur l’incident et pour demander aussi quelques explications.

J’ai trouvé, comme plusieurs honorables préopinants, que l’exposé des motifs était fort sobre de renseignements. Il ne nous donnait pas le tarif du 1er novembre, qu’il s’agissait de modifier ; il ne nous faisait pas connaître les espèces de toiles recherchées par l’Espagne, ni le traité de Munster, ni l’arrêté royal dont il est parlé dans l’article 1er. Il ne nous disait pas non plus la position de l’Angleterre vis-à-vis de l’Espagne. J’avais déjà présenté ces observations dans ma section, et je croyais que la section centrale demanderait quelques renseignements à cet égard. Il est vrai que le rapport que nous a présenté l’honorable M. Dedecker supplée en grande partie à ce besoin de renseignements ; mais j’y trouve encore une lacune que je désirerais voir combler.

Le rapport de la section centrale nous dit qu’indépendamment des droits établis par le tarif espagnol, il en est d’autres encore dont il n’est point parlé dans l’exposé des motifs du projet de loi. Ces droits, d’après M. le rapporteur de la section centrale, sont un droit de porte ou de consommation, plus 6 p. c. perçus pour droit d’octroi, etc. Mais je crois qu’il a omis de parler d’un autre droit encore, qui est mentionné dans un rapport de M. Ramond de La Sagra, sur les relations de la Belgique avec l’Espagne, rapport consigné dans le Moniteur ; c’est ce que ce publiciste appelle droit de barrière. J’ai peu de connaissance sur l’espèce de droit qu’il entend indiquer par là ; mais il équivaudrait au tiers du droit établi par le tarif.

Je voudrais savoir si ce droit disparaît par suite de la convention, car ce serait dès lors un grand avantage ; s’il ne disparaît point, l’avantage est beaucoup moindre.

Du reste, malgré ce que je viens de dire, je ne puis appuyer la motion de l’honorable M. de Garcia. Il me semble que, d’après les renseignements que l’on vient de nous donner, nous pouvons passer outre.

D’un autre côté, je n’attends pas, quant à moi, et je partage à cet égard l’opinion de la section centrale, de grands résultats de la convention. D’abord il me semble que la catégorie de toile qui nous est le plus demandée par l’Espagne est tout à fait en dehors du traité. En second lieu, malgré la diminution de droits qui résulte de la convention, ils sont encore très élevés. Du reste je désire me tromper à cet égard ; je désire surtout que la convention soit un acheminement à un traité infiniment plus complet, qui comprenne aussi d’autres industries qui, sans avoir l’importance de l’industrie linière, méritent cependant de fixer toute notre attention.

Je crains seulement que nous ne nous trompions encore à cet égard. Par la convention nous accordons à l’Espagne à peu près tout ce qu’elle peut nous demander ; nous lui accordons des diminutions sur les objets qu’elle doit tenir à introduire en Belgique.

Dès lors je crains que ce pays n’ayant plus grand intérêt à traiter avec nous, ce ne soit une espérance fausse que de croire que nous arriverons à un résultat avantageux par suite de négociations nouvelles.

Du reste, je le répète, comme je n’attache pas une grande importance à cette convention, je crois qu’on peut passer outre, nonobstant la proposition de l’honorable M. de Garcia.

M. Dedecker, rapporteur. - L’honorable préopinant a demandé une explication sur l’existence du droit de barrière. Messieurs, la connaissance que j’ai eue de quelques droits dont il n’est point parlé dans l’exposé des motifs, je la dois à des négociants en toiles de Gand que j’ai eu occasion de voir, et je dois dire qu’aucun de ces négociants ne m’a parlé du droit de barrière. Ils m’ont uniquement parlé du droit de porte et de consommation qui s’élève au tiers des droits établis par le tarif, et du droit de balance et de pesage. J’avouerai cependant que des renseignements qui me sont venus depuis, me portent à croire à la réalité de l’existence de ce droit de barrière.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Messieurs, je crois pouvoir donner l’explication de ce droit de bannière dont vient de parler l’honorable M. d’Hoffschmidt. Cette explication, je la trouve dans le tarif espagnol que j’ai sous les yeux.

Ce mot de bannière, si je ne me trompe, doit être la traduction imparfaite des mots bandera estrangera, qui veulent dire à la fois bannière et pavillon étrangers et que je lis en tête de la colonne qui renferme les droits additionnels. C’est donc bien réellement le droit de pavillon qu’il faut comprendre ici, et ce droit n’est autre que celui de trente pour cent dont on a déjà fait mention dans cette discussion ; ce sont les droits différentiels que l’Espagne accorde à son pavillon.

- La proposition de M. de Garcia tendant à l’ajournement de la discussion jusqu’à ce que M. le ministre des affaires étrangères ait fourni des renseignements ultérieurs, est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

La chambre reprend la discussion du projet.

M. Savart-Martel. - Messieurs, la convention faite avec l’Espagne, et dont on nous propose l’adoption, est loin de procurer au commerce de la Belgique les avantages que nous pouvions espérer d’un gouvernement ami, quand on se rappelle surtout que, pendant un siècle et plus, l’Espagne avait entretenu avec les Belges, ses anciens sujets, les relations les plus amicales et les avait traités sur le pied des nations les plus favorisées.

La décision prise par les cortès. en 1840, n’a pu être qu’une nécessité fiscale ; car la Belgique n’avait rien fait pour mériter ce tarif, véritable déclaration de guerre à l’une des principales branches de commerce de notre pays.

Notre industrie linière mérite certainement la plus haute protection ; je suis du nombre de ceux qui proclament, cette vérité, et je voudrais remédier à la position que lui fait l’intérêt des autres pays.

Mais, au dire des industriels, en cette partie, toutes les toiles de la Belgique ne sont point également utilisées dans la Péninsule. On y consomme presque exclusivement les tissus que le gouvernement d’Isabelle II a frappé du droit le plus exorbitant. Or, la convention du 2 octobre ne me paraît guère produire d’amélioration pour cette espèce de marchandise ; j’aimerais autant le statu quo.

A mes yeux, le tarif des cortès, rapproché même de cette convention, laisse subsister la juste plainte de la Belgique, car les seules toiles que nous puissions espérer d’exporter en Espagne demeurent frappées d’un droit énorme, qui dans le fait équivaut à la prohibition. Je puise cette vérité dans les explications mêmes que vient de nous fournir le rapport concis, mais très lucide, de la section centrale, quoique fort économe de renseignements.

On pourrait croire que le gouvernement de Sa Majesté Catholique aurait voulu s’indemniser sur la Belgique des concessions que lui impose le gouvernement britannique, ou même que ce traité aurait été rédigé dans l’intérêt anglais. A cet égard, je partage la crainte que vient d’exprimer M. de Garcia de la Vega.

Sans doute, on ne peut trop recommander à l’industrie linière de suivre les progrès du temps et d’améliorer sa fabrication. L’emploi du fil mécanique et l’imitation des toiles anglaises, signalée par M. Kindt, sera l’objet, pensons-nous, des sérieuses méditations du comité directeur de l’association pour le progrès de l’industrie linière, et je ne pourrai qu’applaudir aux encouragements que lui aurait donnés, dit-on, M. le ministre de l’intérieur ; mais ces améliorations ne peuvent s’introduire qu’à la longue, dans les campagnes surtout ; or, pour nous le progrès est aussi quelque chose.

Si la question était entière, au lieu de réduire nos droits d’entrée sur les produits espagnols, j’aurais proposé de doubler, de tripler même les droits établis par nos tarifs sur les vins, les huiles, les oranges et les autres fruits, provenances du royaume d’Espagne.

Je déplore d’autant plus cette convention, qu’elle nous lie dorénavant pour nos lois de douane.

En procédant ainsi avec les divers Etats, on va brider à jamais le commerce de la Belgique

J’en appelle, à cet égard, à toutes les opinions de la chambre, car il s’agit de la prospérité matérielle de notre patrie ; petit à petit, nous perdrions même l’espoir d’un meilleur avenir.

La Belgique est un pays éminemment agricole et manufacturier, toutes les questions qui se rattachent à ces intérêts sont vitales, même pour notre indépendance. Ce n’est donc point en vain que j’ose invoquer toutes les opinions.

Et puis, si les Etats avec lesquels nous devons traiter n’ont à consulter que leur intérêt pour se régler envers nous, je ne conçois point l’utilité de ces nombreux agents diplomatiques qui figurent au budget pour des sommes considérables : de simples consuls nous suffiraient.

Messieurs, le Belge est l’ami de tous les peuples ; tons devraient donc le traiter favorablement.

On ne peut se le dissimuler cependant, depuis quelque temps on nous traite presque partout en vrais parias.

Parce que nous paraissons faibles et généreux, nos hauts et puissants amis nous écrasent. Les Etats de second ordre les imiteront ; Et bientôt nous ne serons plus considérés en Europe que comme consommateurs.

Nous avons assez souffert, hâtons-nous de sortir de cette position déplorable.

Abandonnons le système de concessions généreuses ; révisons nos lois de finances, nos lois de douane surtout, avec cette préoccupation, que nous sommes entourés des ennemis de notre industrie, ne craignons point de heurter les autres Etats ; soyons convaincus qu’on ne nous accordera jamais que ce qu’on ne pourra nous refuser.

Malheureusement il n’en est point des conventions diplomatiques comme des projets de loi. On ne peut les amender ; il faut les prendre dans leur ensemble ou les rejeter : pas de milieu.

Aussi, après avoir émis succinctement mon opinion qui penchait pour le rejet, je suis touché des observations qui ont été faites sur la question d’ajournement. Je réserve donc mon vote, car la continuation de la discussion pourrait établir des circonstances qui forceraient à une acceptation ; or, de ma part, il n’y aura jamais d’opposition systématique.

M. Van Cutsem. - Messieurs, si j’ai demandé la parole, ce n’est pas pour refuser mon assentiment au traité de commerce que notre souverain a conclu avec la reine d’Espagne, ce n’est pas non plus pour vanter les résultats qu’il produira pour notre industrie linière, que je me ferai entendre, lorsque le gouvernement lui-même ne peut dissimuler au pays que nous n’obtenons que de très légers avantages pour notre fabrication linière par cet acte international, en retour de sacrifices positifs, résultant de la réduction des droits d’entrée sur les fruits, les vins et les huiles d’Espagne, sacrifices d’autant plus pénibles que la législature se trouve en face des besoins du trésor ; mais c’est pour déclarer au gouvernement que je n’y donne mon adhésion que parce qu’il nous a promis que ce traité ne serait qu’un acheminement à un traité de commerce plus complet.

Il suffit, messieurs, de fixer un moment notre attention sur la position que le traité conclu avec l’Espagne donne à la Belgique, pour être convaincus que nous ne pouvons le considérer que comme une pierre d’attente qui doit servir à la construction d’un édifice à achever ; et comment pourrions-nous l’envisager autrement, alors que le traité ne mentionne aucune diminution de droit pour les toiles qui comptent moins de douze fils au quart de pouce, puisque les toiles de 8 à 11 fils sont celles que nous expédions le plus en Espagne ; alors encore qu’il n’y a qu’une réduction sur les toiles qui contiennent de 12 à 18 fils, qu’il y a augmentation sur les toiles de 19 à 26 fils, qu’il y a seulement une diminution sur les toiles de 27 à 29 fils, que les droits restent les mêmes pour les toiles de 30 fils et au-dessus, et que pour les tissus croisés, il n’y a réduction que pour ceux qui ont moins d’une vare de largeur, tandis que les autres continuent à payer les droits fixés par le tarif que les cortès décrétèrent dans leur session de 1840 à 1841.

Par suite du traité de commerce que la Belgique a conclu avec l’Espagne, elle aura encore à payer des droits, qui avec la valeur exagérée donnée aux fabricats belges, avec le droit de port et d’octroi calculé à 6 p. c., avec le droit de consommation qui est du tiers du droit principal et avec le droit que les marchandises importées par navires étrangers ont de plus payer que celles qui arrivent par navire espagnol, s’élevèrent à 41 p. c. de la valeur réelle. On voit, sans qu’il faille d’autre démonstration, qu’il n’y a pas de quoi se réjouir de la faveur que nous obtenons de l’Espagne, et il faut cependant dire que les droits que nous aurons à payer sont moins élevés que ceux que les Anglais ont à supporter, puisque ces derniers restent fixés par le tarif de 1840 ; mais nous devons aussi convenir qu’une fois qu’un tarif atteint la hauteur de 40 p. c, il ne sert plus qu’à favoriser la fraude. Or les Anglais ont toutes sortes de facilités pour la contrebande, tandis que celle-ci nous est devenue pour ainsi dire impossible depuis que les Français, dans leur intérêt, convoient nos toiles jusqu’à la frontière de l’Espagne et jusqu’en face des douaniers.

Nous aurons à lutter contre la contrebande anglaise pour nos toiles faites avec le fil mécanique, et nous aurons encore à concourir pour les mêmes tissus contre les toiles que l’on commence à fabriquer en Biscaye et en Catalogne ; pour certaines de nos toiles faites avec le fil à la main, sur lesquelles les droits sont réduits, nous pourrons diminuer le prix de vente, et, par suite, avoir plus de chances de faire revenir le consommateur désabusé par l’expérience qu’il a eue en se servant de toiles anglaises vers nos produits, dont, il n’y a que quelques années, les Espagnols consommaient encore un bon quart de ce que nous fabriquions annuellement, tandis qu’aujourd’hui, là où la Belgique livrait quatre-vingts pièces sur cent pièces, consommées en Espagne, l’Angleterre les livre à sa place et elle n’en débite plus que cinq ou six.

Cet état de choses a dû nécessairement fixer l’attention du gouvernement sur la branche d’industrie dont nous nous occupons ; aussi a-t-il profité de la présence d’un homme influent dans le gouvernement espagnol, et a-t-il conclu avec lui un traité dans lequel il a stipulé tout ce qu’il a pu en faveur de notre industrie linière ; et quoiqu’il n’ait pas obtenu grand’chose, nous devons lui savoir gré des efforts qu’il a faits, puisqu’il en fera de nouveaux encore et parce qu’en présence de la position que prennent les grandes nations, vis-à-vis des petites, il est plus facile d’indiquer au pouvoir ce qu’il devrait demander de telle ou de telle nation dans l’intérêt de nos industries, qu’il n’est aisé à celui-ci de se faire accorder les avantages réclamés.

Le gouvernement sait, comme nous, que l’industrie linière ancienne donnait une existence aisée à quatre ou cinq cent mille âmes en Belgique, qu’il y avait entre elle et l’industrie agricole échange constant de services et de secours, que cette organisation n’est pas seulement utile, qu’elle est tellement nécessaire qu’on ne pourrait déplacer les fileuses et les tisserands sans frapper l’agriculture de décadence ; eh bien, s’il est convaincu de ces vérités, il accordera une protection au moins aussi grande à l’industrie ancienne qu’à la nouvelle, qui, si elle donne des produits qui n’étaient pas connus il y a quelques années en Belgique, n’a pas l’avantage d’appartenir exclusivement à la Belgique, et qui, si elle restait seule dans le pays, finirait par ne plus avoir d’autres consommateurs que les indigènes, car il est impossible de soutenir de bonne fois que les Etats où nous introduisons nos toiles voudraient rester nos tributaires pour ces objets, lorsque le filage, si facile au moyen du mécanisme, et le tissage rapide à la navette volante, pour lesquels quelques jours d’apprentissage suffisent, les placeraient dans la position de pouvoir se passer de nous.

Pense-t-on peut-être qu’ayant commencé à fabriquer avant les nations voisines, nous aurions l’avantage sur elles ; mais en ce cas on perd de vue ce que la France a fait pour protéger son industrie linière, et on ne songe pas que les autres pays le feront comme elle, car il n’y a plus de nation civilisée qui ignore que la journée de l’ouvrier est le premier et le plus important de tous les bénéfices et que la constante occupation de ces bras qui dépensent lorsqu’ils gagnent est à la fois un puissant élément de prospérité et la sauvegarde de la tranquillité publique ; et si une seule nation n’abordait pas la fabrication toilière et ne nous fermait pas ses frontières, des Anglais, des Français, des Belges mêmes iraient s’y établir pour y importer cette industrie devenue aisée dans sa manipulation et, sous l’égide des droits imposés sur nos fabricats, y amasseraient des fortunes rapides en plongeant la patrie dans la misère et le deuil.

L’industrie linière ancienne, je ne crains pas de le dire, a, à mon avis, plus de chances d’avenir que la nouvelle ; si le gouvernement travaille pour elle comme pour cette dernière, parce que les toiles envoyées à nos marchés sont, pour ainsi dire, toutes fabriquées avec du fil à la main, parce les blanchisseries de Courtrai ont reçu, l’année passée, environ vingt mille pièces de toiles faites avec du fil à la main, et seulement trois cents pièces de toile faites avec du fil mécanique, parce que le fil à coudre, fait avec du fil simple à la main, est préféré à celui qui se fabrique avec du fil mécanique, parce qu’à Bruges ceux qui n’emploient que du fil à la main, pour les toiles à carreaux, vendent beaucoup plus facilement que ceux qui se servent de fil mécanique, parce que le fil à la main s’achète en ce moment à aussi bas prix que le fil mécanique, et que les fabricants qui avaient abandonné le fil à la main commencent à fabriquer de nouveau avec ce tissu, parce que les toiles faites avec du fil à la main sont plus fortes et plus belles, qu’elles ont ce qu’on appelle le perlé, qu’elles ne se rétrécissent pas comme les toiles à la mécanique et qu’elles résistent mieux au blanchiment, qu’elles exigent moins de fils au tissage, parce que le tisserand qui emploie le fil mécanique gagne, en moyenne, un tiers de moins que celui qui se sert du fil la main, parce que des maisons de commerce appartenant à des nations étrangères avec lesquelles nous sommes en relation, entre autres des maisons espagnoles, se plaignent amèrement des toiles faites avec du fil mécanique et attendent la réalisation de conventions commerciales pour se pourvoir de nos produits, et enfin, parce que des personnes qui sont dévouées aux intérêts de leur pays, et qui les comprennent, s’occupent d’améliorer le tissage des toiles et le nouveau filage à la main, en envoyant des institutrices aux écoles pauvres du plat pays.

Je voterai pour la ratification du traité, en recommandant au gouvernement de faire de nouveaux efforts pour obtenir de meilleures conditions de l’Espagne, et pour rendre à notre industrie linière, lorsque la Belgique est gouvernée par un monarque de son choix, une prospérité dont elle jouissait sous des souverains qui lui étaient imposés par l’étranger.

M. Osy. - J’avais deux motifs pour refuser mon vote au traité en discussion. Le premier, c’est que je croyais que nous imposions des mêmes droits de douanes les marchandises importées soit par navire espagnol, soit par navire belge. D’après les explications de MM. les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères, explications dont je prends acte, les marchandises espagnoles arrivant par navires belges payeront 10 p. c. de moins que venant par navires espagnols et la question des droits différentiels ne sera pas touchée.

Mais, messieurs, je ne puis donner mon approbation au traité à cause de l’art 1er. D’après cet article, les navires espagnols sont reçus en Belgique sur le pied des nations les plus favorisées, tandis que si l’Espagne voulait, de son côté, nous traiter sur le pied des nations les plus favorisées, il aurait été inutile de rappeler les stipulations du traité de Munster et ce qui existait avant 1839.

Je crois que l’on aurait dû stipuler également que les navires belges seraient reçus en Espagne sur le pied des nations les plus favorisées. Je pense qu’il n’en sera pas ainsi et que le commerce des fruits et même le commerce des toiles ne pourront se faire que par navires espagnols. Dès lors je ne pourrai pas donner mon assentiment au traité.

M. Delehaye. - Messieurs, quoiqu’il s’agisse de toiles et que j’appartienne à une province qui trouvait dans cette industrie une partie de sa prospérité, je dois cependant dire que ma localité est tout à fait désintéressée dans la question, car les produits principaux de Gand et des environs continuent à être frappés de droits prohibitifs. Toutefois, je crois que, dans l’intérêt du pays, nous devons donner notre assentiment au traité.

Lorsqu’il s’agit d’examiner ces traites de commerce, nous perdons presque toujours de vue l’intérêt des puissances avec lesquelles ils sont conclus, pour ne nous occuper que de nos propre intérêts, et c’est en nous plaçant à ce point de vue que nous tombons souvent dans l’erreur. Nous ne tenons pas non plus assez compte des faits ; ainsi, à propos de la convention avec la France dont nous nous sommes occupés il y a quelque temps, nous nous sommes plaints de n’avoir pas obtenu tous les avantages auxquels nous croyions avoir droit, mais nous perdions de vue que nous avions laissé passer le moment favorable pour traiter avec la France ; c’est la faute que nous avons également commise en ce qui concerne l’Espagne : si en 1841, lorsque l’Espagne a modifié son tarif, nous avions immédiatement modifié le nôtre à son égard, nous aurions certes obtenu des conditions plus avantageuses que celles qui résultent du traité actuel. Nous devons aujourd’hui pâtir de la faute que nous avons commise alors.

Je pense, messieurs, que le traité, tel qu’il est, nous est favorable ; l’Espagne avait fait un tarif, applicable à toutes les puissances, mais sous l’empire duquel nous étions complètement exclus de son marché ; par la convention dont le gouvernement demande l’approbation, l’Espagne modifie ce tarif en faveur de quelques-uns de nos articles.

Cette faveur est telle que déjà, en vue de l’adoption du projet de loi qui nous est soumis, il est arrivé sur la plupart des marchés des Flandres des commandes très importantes de l’Espagne. Hier encore on m’a communiqué plusieurs lettres de négociants espagnols, insistant pour qu’on leur envoie immédiatement des produits de notre industrie qu’ils avaient demandés.

L’honorable M. Osy a fait remarquer que la marine espagnole jouira en Belgique de plus d’avantages que la nôtre n’en obtient en Espagne ; quoi qu’en ait dit le gouvernement, ce fait est positif ; mais, messieurs, en résultera-t-il pour nous une bien grande perte ? Je ne le pense pas. Aujourd’hui, lorsque nous avons des expéditions pour l’Espagne, non seulement nous ne pouvons pas les faire par notre navigation, mais nous ne pouvons pas même nous servir de la navigation espagnole ; nous sommes obligés, d’avoir recours tantôt à l’Angleterre, tantôt à la France, tantôt à la Hollande ; il nous arrive même souvent de ne pas pouvoir expédier, faute de navires quelconques.

Remarquez bien, messieurs, que l’Espagne nous fait des concessions pour des produits similaires des siens, tandis que nous ne lui accordons des avantages que pour des objets que nous ne produisons pas.

Il ne faut pas perdre de vue que dans la Galice et dans la Catalogne il existe déjà des établissements fort importants où l’on fabrique des toiles, et notamment de ces toiles que nous appelons flamandes, et auxquelles le gouvernement espagnol veut donner une protection.

Partons de ce point de vue, et ne jugeons pas l’Espagne d’après ce qui se passe dans notre pays ? Parce que nous avons été assez peu soucieux de nos intérêts pour ne pas admettre un système protecteur, nous croyons que l’Espagne a agi comme nous ; c’est là une erreur, l’Espagne favorise son industrie, tandis que nous ne faisons rien pour protéger la nôtre

J’ai dit que, par le traité qui nous occupe, nous ne faisons de concessions à l’Espagne que pour des objets que nous ne produisons pas ; en effet, nous admettons ses huiles, ses fruits, ses vins, et certes par là nous ne portons pas préjudice à aucune de nos industries, seulement nous accordons aux consommateurs un avantage dont ils ne jouissaient pas auparavant.

Je n’ai pas confiance en ces promesses que l’on nous fait chaque fois qu’il s’agit d’un traité de commerce, que ce traité n’est qu’un acheminement vers un traité plus complet et plus avantageux ; je pense que l’on ne saurait pas me citer un seul exemple de la réalisation de semblables prévisions. Il est possible, toutefois, que l’Espagne nous fasse des concessions nouvelles, mais elle ne le fera qu’en tant que, de notre côté, nous ayons des avantages équivalents à lui offrir. Les nations, lorsqu’elles font des traités de commerce, ne consultent que leur propre intérêt ; la Belgique n’a pas toujours agi de cette manière, mais aussi elle éprouve aujourd’hui les effets de son incurie.

Je dois dire que ceux de nos produits qui sont rangés dans la troisième catégorie ne profiteront pas du traité, mais cela, nous ne devons l’imputer qu’à nous-mêmes ; en effet la valeur fictive des toiles de fil de la troisième classe est inférieure à la valeur réelle ; mais malheureusement il est reconnu aujourd’hui (et M. le ministre des travaux publics, comme ancien président du comité linier, pourra confirmer ce que j’avance), il est reconnu aujourd’hui que l’on ne peut plus trouver ces toiles sur aucun marché le la Belgique ; pourquoi ? Parce que le lin destiné à les fabriquer nous manque complètement ; il faut, pour fabriquer ces toiles, du lin très beau et, par une espèce d’hérésie que je ne comprends pas, nous permettons aux étrangers de venir nous enlever nos meilleurs lins. Si nous conservions nos lins de bonne qualité, la Belgique enverrait encore en Espagne une grande quantité de toiles de la troisième catégorie ; il n’y a pas le moindre doute à cet égard.

J’ai dit en commençant que la localité à laquelle j’appartiens est tout à fait désintéressée dans la question ; en effet, à Gand et dans les environs, l’on ne fait que des toiles très communes, qui sont frappées en Espagne de droits prohibitifs.

Avant de terminer, j’aurai aussi une interpellation à adresser à M. le ministre des affaires étrangères. L’art. 4 parle des mesures qui seront prises pour constater la nationalité des marchandises dont il est question dans le traité ; je sais que le gouvernement fait en ce moment une enquête sur la question de savoir quelles seraient les mesures qu’il serait convenable d’adopter à cet effet, mais malheureusement il paraît que l’on songe à faire apposer par la douane belge une marque aux marchandises destinées à l’Espagne, de sorte que toutes ces marchandises devraient être déballées lorsqu’elles sortiraient du pays ; eh bien, messieurs, cela déprécierait considérablement nos produits. Je sais qu’en vertu de l’article 4, il faut une mesure quelconque, mais je crois qu’il conviendrait beaucoup mieux d’exiger que les marchandises soient frappées d’une estampille avant d’être expédiées. Cette mesure gênerait peut-être plus ou moins les fabricants, mais comme elle serait prise dans leur intérêt, ils ne pourraient pas s’y opposer ; elle aurait l’avantage d’empêcher que les marchandises soient dépréciées par un déballage fait à la frontière. J’appelle sur ce point l’attention du gouvernement, et j’espère qu’il ne donnera pas les mains à des mesures qui porteraient un très grand préjudice à notre commerce et à l’une de nos principales industries.

M. de Foere. - Messieurs, je baserai les observations que je désire présenter à la chambre sur les points de fait qui ont été éclaircis dans la discussion. Les avantages que l’on s’est concédés de part et d’autre ne me paraissent pas avoir été équilibrés. Il y a une grande distance à un traité de réciprocité dans les effets de la convention.

D’abord, quant à l’art. 1er, qui règle les droits maritimes, ces droits ne se portent que sur ceux qui sont connus sous la dénomination de droits de navigation. Les droits sur la cargaison sont maintenus de part et d’autre. Or, ces derniers droits sont surtaxés en Espagne à un tiers sur leur totalité, lorsque les marchandises sont importées en Espagne par navires étrangers, tandis qu’en Belgique ces mêmes droits ne subissent qu’une augmentation de 10 p. c. Les navires belges continueront donc d’être exclus des ports espagnols, et les navires appartenant à ces ports continueront de faire chez eux le commerce maritime.

Ensuite, restreignant la question dans les droits de navigation proprement dits, il n’y a pas plus de réciprocité. D’après la convention, nous admettons les navires espagnols sur le pied des navires nationaux, attendu qu’ils ne paieront d’autres droits de navigation que ceux dont sont passibles les navires des nations les plus favorisées ; or, les navires de ces dernières nations sont assimilés, chez nous, quant aux droits de navigation, aux navires nationaux. Mais les navires belges paieront, selon la convention, dans les ports de l’Espagne des droits de navigation dont les navires de cette nation ne sont pas passibles. C’est donc le statu quo qui est conservé sans aucune modification en notre faveur. Quel est ce statu quo ? C’est une infraction continuelle à la loi générale de 1822 qu’un des ministères précédent s’est permise. Cette loi n’autorisait le gouvernement à accorder l’assimilation à la navigation nationale, quant aux droits de navigation, qu’aux nations qui admettent nos navires sur le pied des navires nationaux.

Enfin, il résulte clairement de la convention que les navires espagnols jouissent dans nos ports des avantages qui leur sont concédés, quel que soit leur lieu de départ. On ne voit pas d’une manière aussi claire que la même concession ait été faite aux navires belges. Mais je raisonnerai sur la supposition la plus favorable. Je poserai en fait que nos navires pourront partir de tous les ports du monde pour entrer dans les ports espagnols. Mais ils n’en seront pas moins exclus par l’énorme surtaxe qui continuera de peser sur leur cargaison. Malgré les explications données par l’honorable ministre de l’intérieur sur le n° 3 de l’art. 3 de la convention, des énormes droits différentiels qui affectent l’importation des marchandises dans les ports d’Espagne, en faveur des navires de ce pays, n’en sont pas moins maintenus. Or, ces droits sont prohibitifs. Il en résulte même que nos toiles, si nous en exportons par mer en Espagne en plus grande quantité, devront être chargées sur des navires espagnols ou sur des navires d’autres pays jusqu’à Bayonne ou Marseille, où les navires espagnols viendront les prendre en charge.

Les navires espagnols pouvant partir pour la Belgique de tous les ports du monde, ils arriveront de leurs colonies et d’autres pays de production, avec de grands avantages qui ne nous sont pas accordés dans les colonies de l’Espagne. Là aussi d’énormes faveurs leur sont faites sous le double rapport des droits de navigation et d’importation des marchandises. C’est donc détruire, par une convention, les relations directes de commerce qu’en faveur de l’échange de nos produits le pays presque tout entier voudrait établir.

Mas nous pourrons, dira-t-on, élever nos droits sur les marchandises importées par navires étrangers. Cette objection serait recevable si l’on portait ces droits au niveau de ceux perçus en Espagne et dans ses colonies ; mais je doute que la chambre soit disposée à atteindre ce niveau.

On a dit aussi que la navigation espagnole ne peut nous nuire, attendu qu’elle n’est pas considérable. C’est là une grave erreur. Il est vrai que la marine militaire de l’Espagne est déchue de son ancien état ; mais il n’en est pas ainsi de sa marine marchande, au moins dans la même proportion. L’Espagne n’a cessé de protéger sa marine commerciale. J’ai reçu hier par la voie du Havre la dernière statistique commerciale et navale des Etats-Unis. Il résulte de ce document que la marine marchande de l’Espagne a primé dans les ports des Etats-Unis la marine de plusieurs nations connues pour posséder une belle marine marchande. Elle a excédé dans ces ports, tant en nombre de navires qu’en tonnage, la marine de la Suède, du Danemarck, de la Hollande, de chacune des villes anséatiques, et même celle de la France.

Le traité est d’ailleurs un précédent dangereux. Lorsque vous voudrez traiter avec d’autres nations, elles réclameront les mêmes avantages que vous aurez concédés à l’Espagne. Le principe sagement suivi par toutes les nations est celui de se créer d’abord un système commercial, tant sous le rapport des droits de douane que sous celui des droits maritimes et des conventions. On reçoit toutes les nations sur le même pied. Par ce moyen il n’est pas fait d’exception injurieuse à aucun pays étranger. Aucun n’a le droit de se plaindre.

Il résulte de ces considérations que le gouvernement et la section centrale sont dans l’erreur lorsqu’ils croient que la convention est un moyen de développer notre marine commerciale.

Les avantages accordés à l’importation de nos toiles en Espagne sont-ils de nature à compenser les désavantages maritimes qui résultent de la convention ? La section centrale extrait du tarif deux catégories de toiles que nous exportons, dit-elle, le plus en Espagne ; ce sont les toiles de 12 fils et au-dessous et de 12 à 18 dans un quart de pouce, mesure espagnole. Elle s’arrête de préférence à ces deux catégories pour démontrer, dit-elle, l’exagération des valeurs officielles prises pour base des droits établis dans le tarif actuel de l’Espagne.

Or, la section centrale convient que, pour la première catégorie, pour les toiles de 12 fils et au-dessous, dans un quart de pouce, l’exagération des valeurs officielles est maintenue par la convention. Nos toiles à carreaux surtout, qui jouissaient en Espagne d’une grande consommation, demeureront exclues. L’observation en a déjà été faite par notre honorable collègue, M. Delehaye. Quant à la catégorie de 12 à 18 et à 26 fils, elle reste encore chargée de droits considérables, ainsi que de ceux qui leur sont ajoutés sous d’autres dénominations.

Le ministère, comme la section centrale, semble convenir que la convention ne stipule pas, même dans leur sens, des avantages remarquables ; mais ils s’appuient particulièrement sur la considération que le traité, quelqu’incomplet qu’il soit, est un acheminement vers un autre plus complet et plus avantageux. Je ne puis partager cette opinion. En partant du même point, j’arrive à une conclusion tout à fait opposée. En effet, ii n’est pas dans la marche ordinaire des intérêts internationaux que l’une des deux nations qui a conclu une convention favorable à ses intérêts consente à la rompre avant son expiration. Puisque le traité me semble beaucoup plus avantageux aux intérêts de l’Espagne, il me semble, par conséquent, aussi qu’elle le maintiendra pendant six ans, terme fixé pour sa durée. J’ai dit.

- La suite de la discussion est remise à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.