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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24
février 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative aux droits d’entrée
sur les bois étrangers (Cogels) et sur le houblon (Desmet), au secret du vote (Morel-Danheel)
2)
Projet de loi sur les sucres. Discussion générale : fixation du rendement,
taux et rendement attendu de l’accise, concurrence et coexistence entre sucre
raffiné exotique et sucre indigène de betterave, prime à l’exportation (drawback)
du sucre pour favoriser le commerce maritime national et influence de la
culture de la betterave sur l’état de l’agriculture (de
La Coste, Smits, de Brouckere,
Desmet, Mast de Vries, Savart-Martel, Meeus, Osy,
de La Coste, Eloy de Burdinne, Osy, Verhaegen, Nothomb)
(Moniteur
belge n°56, du 25 février 1843)
(Présidence de M.
Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et un quart.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est
approuvée.
M. de Renesse communique les pièces de la correspondance :
« Des
marchands de bois de Dixmude présentent des observations contre les
propositions de la section centrale, relatives aux droits d’entrée sur les bois
étrangers. »
« Mêmes observations des marchands de bois de
Furnes. »
M. Cogels. - Dernièrement deux pétitions semblables arrivées d’Anvers et d’Ostende
ont été, sur ma proposition, renvoyées à la commission des pétitions avec
demande d’un rapport collectif ; je demanderai que les deux nouvelles pétitions
soient également renvoyées à la commission, avec invitation de les comprendre dans
ce rapport.
- Cette proposition est adoptée.
Renvoi à la section centrale du projet de loi
(relatif aux droits d’entrée), chargée en qualité de commission spéciale, d’en
faire rapport avant la discussion du projet de loi, en dépôt sur le bureau
pendant cette discussion.
________________________
« Le sieur Paguay,
desservant de la paroisse de Sanzenelle, demande un
subside pour la construction de la tour de l’église de cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________________
« Le sieur Maertens se plaint de ce qu’on veut
appeler son fils Pierre au service militaire, s’il ne remplace le substituant
qu’il fournit. »
- Même renvoi.
« Le sieur Floer présente
des observations concernant le secret du vote dans les élections. »
M.
Morel-Danheel. - Je demande le renvoi de cette
pétition à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi
ayant pour objet l’exécution régulière et uniforme de la loi électorale.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs cultivateurs de diverses communes du
canton d’Assche demandent qu’il soit fait des
instances auprès du gouvernement français pour obtenir une réduction sur le
droit d’entrée du houblon. »
M. Desmet. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des
pétitions, avec demande d’un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
________________________
L’Académie royale de médecine fait hommage à la chambre
du premier cahier du bulletin de l’Académie pour les années 1841-1842 et
1842-1843.
- Dépôt à la bibliothèque.
Discussion générale
M. de La Coste. - Messieurs, M. le ministre des finances disait hier que la discussion ne
faisait pas de progrès. Je pense que cela n’est pas littéralement exact, car
les opinions se sont et beaucoup réformées dans les débats qui ont eu lieu
jusqu’ici. Il me semble cependant que le moment approche où il faudra commencer
à poser quelques jalons sur la route que nous avons à parcourir, afin d’arriver
plus tôt au but.
Je ne proposerai pas d’interrompre dès à présent la
discussion générale, mais je soumettrai à la chambre quelques questions qui me
paraissent résumer les objets sur lesquels nous avons à nous décider et que
j’ai placées dans l’ordre le plus logique. Voici ces questions que la chambre
pourra méditer d’ici à la clôture de la discussion générale :
1ère question. Y aura-t-il un droit égal sur le
sucre indigène et le sucre exotique ?
2ème question. Y aura t-il décharge proportionnelle
d’accise en cas d’exportation des sucres raffinés ?
3ème question. Suivant quel rendement cette décharge
s’opérera-t-elle ?
4ème question. Une portion des prises en charge
demeurera-t-elle acquise au trésor, et quelle portion ?
5ème question. Quel sera le taux
de l’accise sur chacun des deux sucres ?
6ème question. Ce taux sera-t-il fixe ou variable,
et, dans ce dernier cas, d’après quelle base ?
7ème question. Dans le cas d’adoption de l’égalité
de droits, y aura-t-il indemnité pour la production indigène ?
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Messieurs, je n’ai pas retenu parfaitement
toutes les questions dont l’honorable M. de
Ainsi, la première question que la chambre aura à
résoudre, après qu’elle aura fermé la discussion générale, est celle qui
résulte de l’art. 37 du projet du gouvernement. Je regarde cet article comme
l’article fondamental de la loi ; il porte en effet :
« Art. 37. § 1er. Le droit
d’accise est fixé à 50 francs par 100 kil. de sucres bruts de canne ou de betterave. »
Si la chambre écarte ce système, nous arriverons
nécessairement à un autre mode de délibération ; mais, je le répète, c’est sur
cette question qu’il faudra voter en premier lieu, c’est l’ordre le plus
rationnel et le plus conforme aux précédents.
M. de Brouckere. - Si l’on veut abandonner l’incident, je renoncerai à la parole. Quand je
l’ai demandée, j’avais pour but de démontrer qu’on ne pouvait pour le moment
donner aucune suite à cet incident, et qu’il fallait laisser marcher la
discussion générale ; une fois la discussion générale close, nous verrons alors
dans quel ordre nous discuterons les spécialités, et dans quel ordre aussi nous
voterons.
M. le président. - Aux termes du règlement, ce n’est qu’après la clôture de la discussion
générale que l’on vote sur des questions de principe ou que l’on aborde la
délibération spéciale, en suivant l’ordre des articles du projet en discussion.
Ainsi, nous allons continuer la discussion générale.
La parole est à M. Desmet, inscrit contre le projet.
M. Desmet. - Messieurs, le principal but de la loi en discussion est sans doute
d’augmenter les voies est moyens ; c’est de faire rapporter davantage à
l’accise sur la fabrication des sucres.
Messieurs, en présence du chiffre élevé du budget
des recettes, nous sommes obligés de demander de nouvelles ressources aux
accises, aux droits de fabrication. C’est un recours très pénible et dangereux,
dangereux surtout à une époque de grande concurrence avec les étrangers qui
tâchent de fabriquer à meilleur compte et à des conditions plus favorables que
les industriels belges.
L’impôt des accises présente des inconvénients si
réels qu’il n’y a aucun objet soumis à l’accise où il n’y ait des abus. Vous
avez fait des modifications à la loi des distilleries ; eh bien, on ne s’est
pas bien trouvé de ces modifications, parce que, dans ce moment, il y a une
réduction sur la distillation, et le département des finances peut constater
chaque jour une diminution dans le revenu de l’impôt sur cet article Cet impôt
étant trop élevé, il y a introduction de produits étrangers, non seulement de
Les mêmes inconvénients, les mêmes difficultés se
représenteront pour le sel, dont on demande également à modifier la
législation.
Mais, je le répète, il y a ici force majeure pour
que nous prenions nos voies et moyens sur l’impôt des accises.
Or, je demanderai s’il y a un objet de consommation
qui supporte plus facilement l’impôt que le sucre. Le sucre n’est certainement
consommé par la classe nécessiteuse ; c’est un objet à l’usage de la richesse
et de l’aisance. Dans mon opinion donc, le sucre est une matière très
imposable, et il faut tâcher d’en tirer un produit aussi considérable que
possible, à proportion des autres accises.
Messieurs, si l’impôt sur le sucre, tant indigène
qu’exotique, pouvait faire tort à nos fabriques, je serais le premier à m’y
opposer ; mais, à mon avis, les dangers qu’on a signalés, aussi bien pour la
production du sucre exotique que pour la fabrication du sucre indigène ne sont
pas aussi grands qu’on voudrait le faire croire.
Messieurs, je vous dirai mon opinion, au sujet de
l’importation de la fabrication du sucre exotique.
On a cherché à nous démontrer que, pour conserver
notre commerce avec l’étranger, surtout avec les colonies, avec les Indes, on
avait nécessairement besoin de l’importation du sucre brut comme de
l’importation du sucre raffiné.
Messieurs, quand on examine les résultats que nous
présente la statistique, il faut avouer que cela n’est pas aussi important
qu’on veut bien le dire. Une forte partie de l’importation du sucre vient, il
est vrai, des colonies, mais vous n’ignorez pas qu’une partie assez majeure
nous vient aussi des ports même d Europe.
Ainsi, en 1840, vous avez reçu des colonies, et
surtout de
Maintenant, quant au sucre raffiné, il n’y en a
qu’une très petite partie qui retourne aux Indes ; en 1840, 15 millions de
kilog, de sucre raffiné ont été exportés ; eh bien, de ces 15 millions, 738,000
kil. seulement sont retournés aux Indes ; le reste est
demeuré en Europe.
Mais quant, en sus, vous examinez quel est votre
commerce d’échange avec les pays lointains, et quels sont les résultats que
vous avez obtenus, vous trouvez que ces résultats ne sont pas en votre faveur ;
en effet, ces pays importent chez vous pour une valeur de 57 millions, tandis
que vous n’exportez chez eux que pour … fr. D’ailleurs, et je le dis ici en
passant, ce n’est pas aux Indes qu’il faut chercher le placement des produits
belges. Nous cherchons dans le lointain ce que nous devons trouver à notre
porte. Voyez nos exportations et nos importations, vous verrez que je dis vrai.
Il n’y a aucun progrès à cet égard en faveur de
Qu’est-ce que je remarque encore ? Que la seule
colonie avec laquelle vous faites un commerce d’échange avantageux, est le
Mexique. Vous avez envoyé au Mexique pour 1,700 mille francs de produits, et
vous n’en avez reçu que pour 96 mille francs de produits. Ainsi voilà une
colonie avec laquelle nous faisons un commerce avantageux et cependant le sucre
n’entre pour rien dans ce mouvement commercial, car vous recevez rarement du
sucre du Mexique. On ne peut donc pas dire que le sucre est un stimulant pour
l’exportation de nos produits.
Le meilleur stimulant que nous puissions établir,
c’est le droit différentiel ; parce que par les droits différentiels nous nous
procurerons des arrivages directs. Quand vous aurez fait comme les Allemands,
comme les Français et les Américains, quand nous aurons établi des comptoirs
dans les colonies, nos produits pourront y lutter avec les produits étrangers.
Alors vous pourrez augmenter l’exportation de vos produits ; mais ce n’est pas
par les sucres seuls que vous obtiendrez un semblable résultat.
Un honorable membre préopinant a présenté le
commerce de sucre comme lié à la prospérité du pays ; c’est du haut commerce
qu’il aurait dû dire ; et je ferai observer que ce haut commerce a pour base
non pas l’exportation des produits de nos fabriques, mais l’achat et le
placement des produits étrangers de toute espèce.
On a été jusqu’à dire que ce commerce avait plus
d’influence sur la prospérité du pays, que l’agriculture elle-même, et on vous
a cité les Colbert, les Sully et les Necker. J’ai lu leurs mémoires, et j’ai vu
qu’ils regardaient l’agriculture comme la mère nourricière de tout le pays. La
même discussion s’est élevée en Hollande, lors la discussion de la loi de 1822.
Des députés hollandais, et non pas des députés belges, disaient que le haut
commerce était l’âme de la richesse du pays, du mouvement des échanges. Si vous
me permettez de vous lire un petit passage d’un discours qui a été prononcé par
l’honorable M. Gendebien, père, membre des états-généraux qui a répondu aux
députés hollandais, qui préconisaient les avantages du haut commerce.
Voici ce que disait M. Gendebien.
« Dans un rêve, car je rêve comme un autre,
j’avais renoncé à ma profession d’avocat pour embrasser le commerce.
« J’étais établi dans l’un de nos ports et je
m’abandonnai au génie des spéculations. Je me disais : Mon intérêt ayant toutes
choses ! Et voyons comment mes spéculations peuvent s’étendre et m’enrichir.
« Tout ce que j’ai vu dans le cours de ma vie
est présent à mon imagination ; les hauts-fourneaux et les forges me frappent
avant tout et m’importunent. Je fais des vœux pour leur anéantissement qui
m’ouvriront une branche considérable d’importation de fontes et de fers
étrangers.
« Les mines charbonnières des provinces de
Limbourg, de Liége, de Namur, de Hainaut, m’affligent plus encore que les
fourneaux et les forges.
« Si elles étaient détruites, mes vaisseaux
importeraient les houilles d’Angleterre, d’Ecosse et des bords de
« Je voue malédiction aux tanneries de
Stavelot, de Namur, de Liége et de toutes les autres contrées du royaume, afin
d’exporter nos écorces en Angleterre et d’importer les cuirs tannés sur les
bords de
«Je n’ai pas à frapper de mes imprécations nos
manufactures d’étoffes de laine et de coton, mais à régler mes spéculations sur
leur décadence et sur leur ruine très prochaine.
« J’en étais là de mon rêve, lorsqu’un retour
sur mes préjugés me fit apercevoir la main-d’œuvre sans travail et le pays
s’appauvrissant d’année en année. Mais j’ai pris aussitôt mon parti, et je me
suis dit : Ce n’est pas au commerce à procurer la main-d’œuvre ; il l’alimente
amplement sur les mers, dans les ports, etc.
« Les habitants cultiveront leurs terres
labourables, et si les produits en céréales prennent faveur dans certains pays
étrangers, je les achèterai pour les exporter, car pour moi tout l’essentiel
est de faire ma fortune. Heureusement qu’en pensant de la sorte je rêvais.
« Et revenant à moi, je me hâtais de dire :
L’agriculture, qui nourrit, l’industrie manufacturière, qui procure le vêtement
et les commodités de la vie, sont, par la nature des choses, les premiers
éléments de la force et de l’aisance ; la sollicitude du législateur leur appartient
avant tout.
« Le commerce est auxiliaire, lorsqu’il favorise et
anime la circulation des produits de cette agriculture et de cette industrie,
Amsterdam a remplacé Gênes et Venise et a saisi à son tour le sceptre du
commerce des mers.
« La prospérité, la richesse, la puissance
d’Amsterdam se sont accrues à un tel point que ce port était parvenu à absorber
les autres provinces de la république batave.
«
Comme vous venez de le voir, M. Gendebien a passé en
revue toutes les industries du pays et démontré que le haut commerce, au lieu
d’en exporter les produits, importait les produits étrangers et avait plutôt
intérêt à voir décroître notre industrie, pour augmenter ses importations.
Je ne vois donc pas, dans le commerce du sucre un
stimulant pour exporter nos produits. Je ne vois pas non plus qu’il faille
faire tant de cas de la fabrication du sucre indigène. Pourquoi devons-nous
protéger les distilleries de grains ? Parce que les distilleries sont un
véhicule pour l’agriculture ; elles produisent de bons engrais ; c’est le
principal motif pour lequel nous devons les encourager. Trouvons-nous ce
résultat dans la culture de la betterave ? Non. La culture de la betterave
pouvait entrer utilement dans les assolements ; mais on en a abusé au point que
d’utile qu’elle était, elle est devenue dangereuse. Il faut encourager les
cultures les plus propres à nourrir le bétail afin d’avoir du fumier. Or, le
résidu de la betterave est de peu de valeur pour la nourriture du bétail, parce
que le mode d’extraction du jus qu’on emploie aujourd’hui ne laisse plus guère dans
la pulpe que les parties ligneuses qui ne peuvent faire une bonne nourriture
pour le bétail. Car quelle est la partie de la betterave qui est avantageuse
pour la nourriture du bétail ? C’est la partie saccharine. Comme on l’enlève
entièrement, il ne reste que les parties ligneuses qui n’ont plus de valeur. Si
on cultivait la betterave en grand pour l’employer à la nourriture du bétail,
j’y trouverais un grand avantage, car les produits des établissements agricoles
augmenteraient en valeur et en qualité.
Il est impossible de ne pas reconnaître que le sucre
de betterave n’a pas les qualités du sucre de canne. Il y a une grande
différence non seulement pour la consommation quotidienne, mais encore pour la
conservation.
Vous savez que pour conserver certains objets, on a
besoin de sucre, comme pour d’autres on a besoin de sel. Eh bien, le sucre
indigène n’a pas la même qualité, la même force conservatrice que le sucre de
canne. Je pense qu’on peut très bien imposer la fabrication indigène aussi bien
que le sucre de canne, mais non avoir égard à la fabrication du sucre de
betterave au point de refuser au trésor les ressources dont il a besoin.
Messieurs, à propos des produits qu’on obtient de la
terre au moyen de la culture de la betterave, on a dit que ces produits
s’élevaient dans les Flandres à mille francs par an par bonniers. Mais,
messieurs, c’est du produit brut qu’on a parlé, et non du produit net ; car il
n’y a pas de terre qui puisse produire autant.
Comme on est parti de là pour prétendre que les
évaluations du cadastre dans les Flandres avaient été trop faibles. Je crois
devoir faire remarquer que si les Flandres obtiennent beaucoup de produits de
leurs terres, il faut l’attribuer aux engrais et au travail, ce qui influe et
sur le produit brut et sur le produit net. Si vous déduisez du produit brut
toute la dépense faite, vous verrez que le produit net par bonnier ne dépasse
pas 200 francs par bonnier.
Il y a une question qui se présente ici, c’est la
coexistence des deux sucres. Il y des membres qui pensent que les deux sucres
ne peuvent pas exister ensemble. Je crois, moi, qu’ils pourront exister, si
votre loi est formulée dans ce but.
Si le sucre de betterave n’est pas dans une
situation à pouvoir exister, il faut qu’il tombe. Laissez-lui donc la liberté
de tomber, n’allez pas vous immiscer, comme gouvernement, dans l’industrie.
L’essai qu’on a fait de ce système d’intervention n’a pas été heureux. On avait
voulu imposer dans les Flandres le filage à la mécanique, et vous savez quel
mauvais effet cela a eu. Si le sucre de canne est beaucoup meilleur que le
sucre de betterave, laissez faire, n’allez pas intervenir pour détruire et
indemniser. Il faut laisser à toute fabrication toute latitude, toute liberté,
que le fabricant fasse comme bon lui semble, que le gouvernement ne s’immisce
jamais dans de pareilles questions.
La question du rendement devra être discutée, encore
bien qu’elle l’ait déjà été en 1838. Il est de fait que le rendement est
réellement trop bas. C’est une chose que personne ne peut contester, le
rendement à 57, quand l’expérience prouve qu’en réalité il peut aller de 85 à
90. En France, on a vu que le rendement était trop bas deux fois ; on l’a
augmenté et on l’a porté jusqu’à 73 et 78. Cependant il y a une grande
différence entre la France et notre pays. La France a ses colonies ; là il y a
lutte sérieuse entre les deux sucres ; on ne peut pas négliger l’intérêt des
colonies. Eh bien, quand la France a cru pouvoir élever son rendement à 74,
nous ne devons pas craindre de le faire.
En Hollande, on a également élevé le rendement ; on
l’a porté à 65 ou 67. Cependant
Consultez les arrivages ; et vous verrez que la
grande partie des sucres que l’on importe sont des sucres de première qualité,
des sucres haut rendement. Nous trouvons dans les
statistiques de 1839 et de 1840 que, quand
Messieurs, une preuve par laquelle il me paraît
démontré que le rendement est bien plus élevé que celui fixé dans la loi, c’est
qu’en 1840, vous avez importé pour 25 millions de sucre brut, et que vous avez
exporté pour l5 millions de sucres raffinés. Or, d’après votre calcul de 57 au
rendement, vous auriez dû importer pour 7 millions, uniquement pour fournir à
vos exportations. De plus, pour vos 14 millions de consommation, vous auriez dû
importer 21 millions de sucre brut. Cela ferait donc une importation de 48
millions. Cependant vous n’avez eu qu’une importation de 25 millions. Où donc
avez-vous été chercher vos sucres. Il est vrai que la fabrication indigène a
produit 5 à 6 millions ; mais vous êtes encore loin d’arriver aux 48 millions.
Cela prouve que, comme je vous l’ai dit, le
rendement n’est pas de 57 mais qu’il va à 85 et même 90. Il est certain qu’on
peut obtenir ce dernier rendement du sucre terré de
Messieurs, nous sommes en présence de trois
systèmes. Nous sommes en présence d’abord du système du gouvernement. Ce
système consiste à établir un droit de 40 fr. aux 100 kilog. sur
les deux sucres, et à réserver au trésor 4/10, mais eu conservant le rendement
de 57. D’abord, messieurs, ce projet me plaisait assez, parce qu’il assure au
trésor un revenu de quatre millions.
Cependant je ne pourrais l’appuyer, parce qu’il détruit
la fabrication du sucre de betterave. Je ne parle pas de l’indemnité dont il
n’est pas parlé dans le projet ; ce n’est que dans le discours de M. le
ministre des finances qu’il en a été question ; je me bornerai donc à déclarer
que je repousserai de toutes mes forces l’indemnité, parce que je crois que ce
serait poser un principe très dangereux. Si vous indemnisez les pertes pour
ceux qui ont volontairement compromis leurs capitaux dans l’érection de
betteraveries, comment allez-vous indemniser toutes les pertes éprouvées par
maints et maints quartiers du pays, par l’établissement des chemins de fer ?...
et pourquoi ne pas aussi indemniser nos pauvres fileuses auxquelles les
mécaniques et les sociétés anonymes ont enlevé le pain quotidien.
Croyez-moi, messieurs, rien de plus dangereux que
l’introduction du principe d’indemnité. Je m’étonne que le gouvernement ait osé
y songer !
Pour obtenir les 4 millions, il faudrait une
importation de 27 millions de sucre brut. Je ferai observer ici que, par suite
des 4/10 réservés au trésor, les primes d’exportation seraient considérablement
diminuées. Voici les calculs que j’ai faits : 25 millions de kil, à 40 fr. les
100 kil, donneraient un droit de 10 millions ; de ces 10 millions, j’en prends
4 pour le trésor ; il me reste 6 millions pour primes à l’exportation.
En partageant ces 6 millions de fr. entre les 25
millions de kil., j’aurai une prime d’exportation de
24 fr. aux 100 kil. Et je consentirais volontiers à ce que cette prime fût
accordée ; car il faut surtout chercher à empêcher l’infiltration des sucres
hollandais. Or, je vous ferai observer que si nous, nous réservons 4/10 au
trésor,
Je dis donc que j’appuie la proposition du
gouvernement pour ce qui concerne la réserve des 4/10 au trésor ; mais que je
ne puis partager son opinion, quant à l’indemnité et quant à la destruction du
sucre de betterave.
J’arrive, messieurs, au système de la section
centrale. La section centrale vous propose un droit de 50 fr. par 100 kil, sur
le sucre exotique, et en outre un droit de 25 fr. par 100 kil.
sur le sucre indigène ; elle n’assure que 1/10 au
trésor. Par ce système, au lieu de compter sur une importation de 20 à 25
millions de sucres exotiques, je ne puis compter que sur une importation de 15
millions et sur une production de sucre indigène de 10 millions. Les 15
millions de sucre exotique nous produiront 7,500,000
fr. pour droits à l’importation, et les 10 millions de sucre indigène nous
produiront 2,500,000 fr. pour droits de fabrication ; cela fait une somme de 10
millions. De ces 10 millions je déduis 1/10 que j’assure au trésor ; cela ne
fait qu’un million que j’assure au trésor. Quant aux 9 autres millions, loin de
lui être assurés, il est facile de démontrer qu’ils pourront être absorbés par
les primes.
Je crois donc pouvoir établir le calcul suivant 15,000,000 kil. de production en sucre exotique et 10,000,000 kil, en sucre indigène ; les 15 millions de sucre
exotique produiraient, par le droit de 50 fr. les 100 kil.. fr. 7,500,000
Et les 10,000,000 de sucre
indigène, fr. 2,500,000
Ensemble, fr. 10,000,000
Mais ce système ne garantissant au trésor qu’une
dixième portion du produit de l’accise, qui, d’après mes suppositions, ne
pourrait s’élever qu’à un million, les autres neuf parties du produit, ou les 9
millions présumés, seront entièrement absorbés par les primes d’exportation.
Pour obtenir le résultat que les neuf millions seront employés dans les primes,
je dois exporter :
1° 12,000,000 kil. de sucre
raffiné que je peux obtenir de la quantité importée de sucres bruts par un
rendement de 85 p.c., rendement qu’on obtient régulièrement en Belgique, comme
l’a démontré à l’évidence le mouvement des sucres qua a eu lieu en 1840 ; cette
exportation procurera par la prime de 72 francs les 100 kil., 8,640,000 francs
;
2° Par l’exportation d’un million de kilogrammes de
sucre indigène qui donneront par la prime de 36 fr. les 100 kil., la somme de
360,000 fr. qui manquent pour compléter les 9,000,000 francs que le droit avait
abandonné aux primes d’exportation.
Vous voyez donc, messieurs, que le système de la
section centrale est très dangereux, parce qu’il n’assure au trésor qu’un
million, et je crois pouvoir avancer qu’avec ce système le trésor ne le
touchera jamais, et c’est pour moi un motif impérieux pour le repousser.
Messieurs, après vous avoir démontré les
inconvénients des deux systèmes, je me demande s’il n’est pas possible
d’arriver à un système de conciliation, un système qui assurerait au trésor 4
millions environ, et qui conserverait la fabrication indigène. Voici quel
pourrait être, selon moi, ce moyen : je conserverais les droits que propose la
section centrale, c’est-à-dire 50 fr. aux 100 kil. pour
le sucre exotique et 25 fr. aux 100 kil, pour le sucre indigène ; mais je
garantirais sur ces droits 4/10 au trésor et je conserverais le rendement
actuel. De cette manière, en conservant le rendement actuel, je donnerais un
stimulant à l’exportation, et en réservant 4/10 j’assurerais 4 millions au
trésor. Mais j’aurais plus, j’aurais la même prime qu’avec le système de M. le
ministre des finances, elle serait aussi de 24 fr.
Voici comment je pose mes calculs dans mon hypothèse
: j’aurais une importation de sucres exotiques de 15 millions, et une
fabrication indigène de 10 millions, ce qui me produirait, d’un côté 7,500,000 fr. et de l’autre 2,500,000 fr. Réservant 4
millions au trésor, il me resterait 6 millions pour primes à l’exportation, ce
qui ferait une prime de 24 fr. sur le sucre exotique comme sur le sucre
indigène. De cette manière le sucre hollandais ne pourrait s’infiltrer dans le pays, ou du moins j’aurai autant de chances qu’avec
le système proposé par le gouvernement ; j’insiste toujours sur ce point car ce
que je crains, c’est la concurrence hollandaise, c’est l’infiltration des
sucres hollandais ! et c’est contre ce danger que nous
devons le plus prendre de bons moyens.
Je crois, messieurs, que par ce système nous
assurerons au trésor 4 millions, que nous conserverons la fabrication indigène,
et surtout que nous ne devrions pas avoir recours à l’indemnité que je repousse
de toutes mes forces.
M. Mast de Vries. - Messieurs, je voterai pour la proposition de M. le ministre des
finances. Si j’avais pu prendre la parole au commencement de cette discussion,
je vous aurais déjà énoncé cette opinion, et les discussions qui ont eu lieu
m’ont fortifié dans ma manière de voir.
Le projet de M. le ministre des finances, d’après
moi, fournira au trésor des moyens qui sont aujourd’hui indispensables ; il
frappera le sucre, qui est un objet très imposable, d’un droit qui nous
permettra de ne pas frapper d’autres objets qui produisent déjà aujourd’hui
dans notre système d’impôts.
De plus, le projet du gouvernement permet à notre
navigation, à notre commerce, de prendre un essor de la plus haute utilité pour
Je n’admets donc d’aucune manière le projet de la
section centrale, parce que, d’après moi (et je pense que si l’on veut y penser
sérieusement, il ne peut y avoir d’autre opinion dans cette chambre), le projet
de la section centrale est la mort du sucre exotique, la destruction de toute
cette industrie.
Je me suis posé deux hypothèses. Je me demande, dans
l’hypothèse de l’adoption du projet de la section centrale, ce qui va advenir
du sucre exotique. Il est évident que, dans ce cas, le prix du sucre va
augmenter de l’impôt dont vous frapperez le sucre indigène. Ainsi, il est
évident que la consommation du sucre indigène va diminuer, d’abord parce que le
sucre indigène ne fournit pas le sirop, ce qui entre aujourd’hui dans notre
consommation de sucre, et parce que le prix du sucre sera plus élevé, parce
qu’il sera tellement élevé que le commerce interlope de nos voisins jettera sur
notre marché une grande quantité de sucre soustraite à l’impôt.
Après avoir fait ainsi la part du sucre indigène, je
me demande ce qui adviendra de la navigation, qui est une des questions les
plus importantes dans la question des sucres. Que ferons-nous ? Le sucre
exotique n’étant plus sur notre marché, que fera notre navigation ? Il fournit
maintenant à notre navigation trente millions de kilogrammes, tant à l’entrée
qu’à la sortie. Que ferons-nous ? Votre navigation pourra-t-elle aller chercher
des produits dans les ports américains et exporter ainsi vos marchandises ?
Mais non. Le fret des marchandises que vous exporteriez serait extrêmement
élevé, parce que les navires qui les exporteraient ne trouveraient pas de
retour. Il est impossible qu’ils en trouvent, parce que vous aurez détruit le
grand élément des retours, les sucres. Pour exporter vos produits, vous seriez
obligés de payer double fret, d’assurer le fret d’aller et de retour ; or,
c’est chose impossible.
Aujourd’hui votre navigation sait qu’elle peut aller
chercher un chargement dans les ports transatlantiques ; elle est certaine d’y
trouver le sucre, ce grand élément de navigation ; elle est certaine de la
vente de ce sucre en Belgique. Tout cela est perdu si la question des sucres
est perdue. Si on la perd, on perd non seulement cette industrie, mais encore
la navigation et le commerce, et tout ce que nous pouvons faire par le
commerce.
Mais, dit-on, vous parlez d’exportations à propos du
commerce des sucres ; cependant vous exportez en dehors de ce commerce. Je dis
que c’est très étonnant ; voici pourquoi : nous sommes, pour ainsi dire, tout à
fait neufs nous sommes assis depuis trois ans à peine, et vous voudriez que nos
relations commerciales fussent établies comme celles des pays qui existent
depuis des siècles. Il est évident que ce n’est pas possible.
Ce qu’a dit l’honorable M. Desmet du Mexique me donne
raison ? Qu’étaient, il y a quelques années, nos exportations dans ce pays ?
Elles étaient tout à fait nulles. Nous y avons envoyé des agents et nous avons
commencé à établir des relations avec ce pays. Si les exportations que nous
faisons du Mexique ne sont pas en rapport avec nos importations, cela tient à
ce que nos navires, quand ils ne trouvent pas de retours au Mexique, vont à
Maintenant, si le commerce des sucres est détruit,
si vous n’avez plus les sucres, qu’aurez-vous en fait de retours ? Il n’y en
aura pas. Vous aurez beau dire : on pourra prendre des cuirs, etc. ; on n’en
fait pas des cargaisons entières ; votre navigation sera donc entièrement
détruite.
Vous faites beaucoup d’affaires avec l’Amérique ;
mais ce sont des sucres raffinés que vous y portez. Ces sucres, introduits
bruts dans le pays, subissent une manipulation qui en augmente la valeur.
Lorsque cette augmentation de valeur a eu lieu, lorsque les sucres ont passé par
toutes les petites professions qui dépendent de cette industrie, vous les
exportez par vos navires.
Le fret de vos importations du Levant a beaucoup
diminué. Pourquoi ? Parce que vous êtes assurés d’un retour pour
Toutes les industries dépendent du commerce des
sucres. Si vous n’aviez pas les sucres, vous n’auriez pas de chargements ; il
vous serait impossible d’exporter vos produits manufacturés. C’est de la
dernière évidence.
J’ai dit que j’appuie la proposition de M. le
ministre des finances. Je l’appuie, en outre, comme mesure fiscale, parce que
je veux un chiffre de quatre millions d’impôt. Je n’hésite pas à dire que nous
devons assurer cette somme au gouvernement. Si même il était possible d’insérer
dans la loi une disposition portant que cet impôt devra produire quatre
millions, quelle que soit la quantité de sucre introduite dans le pays, je
serais disposé à l’admettre. Le sucre doit produire quatre millions ; il faut
qu’il produise comme le sel.
Vous remarquerez que la question du rendement, qui
est dominante pour quelques honorables membres, est nulle pour moi. Une fois
que vous êtes assurés des quatre millions d’impôt, il n’est plus question du
rendement. Plus vous introduisez de sucre en Belgique, plus vous percevez de
droits. Quel que soit le rendement, en doublant la quantité des sucres importés
en Belgique et en percevant toujours quatre dixièmes, il est évident que la
somme de droits que vous percevrez sera double. Ce n’est plus une question de
rendement, c’est une question d’impôt.
Il est a une autre considération qui me fera
admettre la proposition du gouvernement, et ici je suis en désaccord avec un
honorable collègue, c’est la question d’équité, la question d’indemnité, en
faveur de l’industrie du sucre de betterave. Je ne partage pas l’opinion de
l’honorable M. Savart qui a dit dans une des dernières séances que c’était une
iniquité. Pour moi, je regarde l’indemnité comme équitable, comme digne du
gouvernement et de nous. Si une industrie fondée avec des conditions
d’existence, ne peut exister par suite de votre loi, vous devez l’indemniser.
Vous ne pouvez appliquer ce principe à une autre industrie ; je vous en défie.
Je me borne à ces courtes
considérations, me référant à celles qui ont été développées par d’honorables
préopinants.
Le commerce du sucre exotique est le seul qui puisse
protéger notre navigation et notre commerce. Il assure au trésor des ressources
indispensables que le sucre de betterave et la proposition de la section
centrale ne peuvent produire. Je voterai donc pour la proposition du ministre
des finances,
M. Savart-Martel. - Mes
paroles n’avaient pas le sens qu’y a prêté l’honorable M. Mast de Vries. Je
n’ai pas dit qu’il y eût iniquité à indemniser l’industrie du sucre indigène.
Au contraire, j’ai dit qu’on ne peut pas l’indemniser suffisamment, et qu’il y
aurait iniquité à supprimer une industrie créée sous l’empire d’une loi qu’on
devait croire immuable. Ce serait enlever un droit acquis.
M. le président. - La parole est à M. de
Plusieurs membres. - M. de
M. de La Coste. - Si d’honorables membres qui n’ont pas encore parlé désirent avoir la
parole avant moi, je ne m’y oppose pas.
M. le président. - Je m’étais conformé à l’usage suivi donnant la parole dans l’ordre des
inscriptions. Si la chambre préfère, je donnerai d’abord la parole aux membres
qui n’ont encore parlé. (Adhésion.)
La parole est à M. Meeus.
M. Meeus. - Messieurs, vous vous rappelez que lors de la discussion du budget des
voies et moyens, indiquant les différentes combinaisons qui pourraient assurer
au trésor les moyens d’équilibrer ses recettes et ses dépenses, j’ai insisté
surtout sur la nécessité d’une prochaine discussion de la loi des sucres. Je
disais alors : il est temps d’examiner la question de savoir si le commerce des
sucres jouira d’une prime prélevée sur le pays au profit de l’étranger. Je
disais : au profit de l’étranger, car je soutiens que les raffineurs de sucre
n’en profitent même pas, ou n’en profitent que pour une part si faible qu’elle
ne doit pas entrer en ligne de compte. Depuis cette époque, M. le ministre des
finances a varié constamment dans ses différentes propositions, et enfin,
comptant peu sur le succès qu’il voulait obtenir dans l’intérêt de la canne à
sucre, il s’est cru obligé de s’en prendre à la betterave ; il lui a paru qu’il
n’y avait de salut que dans la destruction d’une industrie nationale.
Je dois vous le déclarer, messieurs, cette
proposition de la part du gouvernement, d’anéantir le sucre indigène, m’a paru
plus qu’exorbitante ; elle m’a paru monstrueuse, et je tiens pour certain que
jusqu’à nos jours, dans aucun pays, un gouvernement quelconque ne s’est ainsi,
à la légère, mis en avant pour détruire une industrie nationale, une industrie
qui se rattache à tant d’intérêts. Depuis que cette proposition a été faite, la
discussion a dû s’élargir, et ce qui d’abord dans mon esprit ne devait former
que deux questions a fini par en établir trois bien distinctes.
La première est une question d’économie sociale, une
question d’économie politique, puisqu’il s’agit de détruire une industrie
nationale sous le prétexte qu’une nation ne gagnerait pas à produire ce qu’elle
consomme, et que cela pourrait nuire au commerce. La question est une question
d’industrie, une question de primes ; il s’agit de savoir si en Belgique les
différentes branches d’industrie obtiendront une protection à l’aide de primes,
et, en cas d’affirmation, si le raffinage du sucre doit en obtenir une plutôt
que d’autres industries, et cela au profit de l’étranger seulement. La
troisième question est une question d’impôt, une question qui intéresse le
trésor public ; il s’agit de savoir ce que les sucres peuvent payer au trésor,
pour faite cesser enfin cette anomalie qui, depuis plusieurs années ne cesse
d’exister dans nos budgets de recettes et de dépenses
Je conçois, messieurs, que cette discussion vous
fatigue déjà : aussi, je chercherai à renfermer dans le cercle le plus étroit
possible l’examen de ces trois questions.
Je viens de vous dire, messieurs, que la première
question, pour moi, est une question d’économie sociale, et je vais vous dire
comment j’ai procédé pour me former une conviction. Me rappelant tout ce que
j’ai lu, tout ce que j’ai entendu sur les principes de l’économie sociale, je
me suis demandé ce qui arriverait si
Je vois que cela surprend quelques honorables
membres de cette chambre, et cela me donne matière d’insister ; pour bien
rendre ma pensée, pour qu’il n’y ait point de doute sur mon assertion, je
soutiens que de deux fermes, par exemple, de
Mais, messieurs, admettons pour un moment que ces
Un deuxième argument que l’on ferait valoir contre
mon raisonnement de tout à l’heure, c’est-à-dire contre ce que j’ai dit de la
richesse qui serait acquise par le pays, s’il produisait tout le sucre
nécessaire à la consommation de ses habitants, c’est que le sucre exotique
favoriserait le commerce maritime et qu’il offre un moyen de vendre nos
produits. Voilà, messieurs, l’argument sur lequel on insiste et que l’on
présente de la manière la plus spécieuse ; voilà donc l’argument qui mérite
d’être examiné le plus à fond. L’honorable ministre des finances vous disait
hier que les grains que
La plupart des navires qui viennent des colonies y
retournent, les uns légèrement chargés, les autres avec demi-cargaison ; et
pourquoi ? Parce que l’Europe reçoit des colonies des matières encombrantes, et
qu’elle n’y envoie en général que des objets fabriqués.
Mais voyez, je vous prie, la position de
En parlant hier de la balance commerciale, M. le
ministre des finances nous disait : « Les chiffres qui résultent des
tableaux fournis par le gouvernement ne peuvent pas être exacts et invoqués,
car, d’après eux,
Messieurs, j’ai été quelque peu étonné de voir le
gouvernement mettre en doute sa propre statistique. Dans tous les pays du
monde, c’est sur la statistique que les hommes d’Etat, que les chambres
s’appuient pour savoir si la balance commerciale est en faveur ou en défaveur ;
et voici qu’en Belgique on vient nous dire : Il ne faut pas croire à la
statistique.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Je n’ai pas dit cela.
M. Meeus. - Vous avez dit qu’il était impossible que la balance commerciale fût
telle qu’elle résulte des données fournies par le gouvernement, car enfin, vous
avez dit :
M. Cogels. - C’est moi qui ai dit cela.
M. Meeus. - Si vous êtes deux ou trois pour porter ce fardeau, je le veux bien.
M. Cogels. - Je le porte volontiers, et l’honorable M. Pirmez le portera avec moi.
M. Meeus. - Quoi qu’il en soit, je regarde cette assertion comme entièrement
erronée, et tant que le gouvernement n’aura pas prouvé par des chiffres que
notre balance commerciale n’est pas en notre défaveur, je déclarerai et je
maintiendrai qu’elle l’est, dans une proportion très forte et très effrayante.
Maintenant M. le ministre des finances nous a dit :
« Mais
Je vous démontrerai tout à l’heure, en traitant la
seconde question, que la prime énorme que le contribuable belge a supportée au
profit de l’étranger, sous le nom du raffineur belge, suffirait pour accorder
gratuitement le fret à tous ceux qui exportent de Belgique, c’est-à-dire que
si, au lieu de payer cette prime, le gouvernement l’employait à expédier pour
rien tout ce que nous exportons, le pays gagnerait encore, et beaucoup.
Messieurs, il n’est jamais arrivé, (erratum Moniteur belge n°57, du 26 février
1843) tenez cela pour certain, que quand une nation produit à assez bon
marché pour pouvoir vendre sur les marchés étrangers, elle soit embarrassée des
moyens de transport ; quand une nation produit ainsi, elle exporte
nécessairement, les navires apparaissent comme par enchantement. Nous Belges,
d’ailleurs, ne pourrions-nous donc pas faire ce que font les étrangers ? Est-ce
que les Américains, les Hollandais, les Anglais et d’autres nations encore
entendent-elles que nous allions chercher les produits de leurs colonies ou de
la même-patrie ; elles nous les apportent ; eh bien, quand nous produirons de
manière à pouvoir exporter, soyez tranquilles, nous aurons des bâtiments
nationaux pour exporter nos produits ; ce sera alors un véritable commerce
maritime, ce ne sera pas de la duperie.
Messieurs, je passe maintenant à la seconde question
pour laquelle je sollicite d’autant plus votre attention qu’il faut poser des
chiffres, et que je sais que, dans une discussion générale, rien n’est plus
difficile que de pouvoir faire comprendre des chiffres à la chambre, parce que
c’est à tête reposée, les chiffres sous les yeux, qu’on en saisit toute la
portée.
Avant de parler de la question de prime, force,
messieurs, m’est de faire le compte du raffineur.
Personne ne niera que 100 kilog. de
sucre brut, entrés en Belgique, produisent au moins 72 kilog. de sucre en pain blanc, sec et dur ; 12 kilog. de sucre en
poudre, dit cassonade, et 12 kilog . de sucre mélasse ; 96 kilog. en
tout. Le raffineur, en exportant 51 kilog. (je néglige
la fraction) des 72 kil, obtenus en pain de sucre, est déchargé des 9/10 du
droit ; il reste donc à payer au trésor un 1/10 ; soit 4 francs environ d’impôt
pour les 45 kilog. à consommer dans le pays,
c’est-à-dire que chaque kilogramme de sucre et de sirop, non exporté, devrait
supporter un peu moins d’un décime d’impôt.
Personne ne saurait non plus contester que les frais
de manutention d’après tous les comptes des raffineurs, varient de 10 à 14 ; je
prends une moyenne de 12 francs par 100 kilog. Ces prémisses étant ainsi
posées, il m’a paru que, pour bien éclaircir cette question, pour apprécier
exactement les effets de la loi actuelle sur les sucres, il fallait se demander
quels seraient en Belgique, les prix de cette denrée, si aucune imposition
n’était venue la frapper. Voici des données que j’avance également comme
irrécusables ;
Achat de 100 kilog. de
sucre Havane en entrepôt, au prix du jour, fr. 60
Production.
72 kil. sucre
en pain à 87 1/2 e. c. fr. 63
12 kil. sucre
en poudre à 50 c. fr. 6
12 kil. sirop
mélasse, à 25 c. fr. 3
Ensemble, fr. 72.
Si vous ôtez de ces 72 francs les frais du
raffineur, pour l’intérêt de ses capitaux et pour manutention, les 12 francs
que j’ai pris pour moyenne, je retrouve les 60 fr.que j’avais posés d’abord,
représentant le prix du sucre brut. Si donc le sucre étranger entrait librement
en Belgique, la consommation payerait le kilogramme de sucre en pain 87 1/2
centimes le kilogramme, ou moins de centimes de 44 centimes le demi-kilogramme.
Voilà quelle serait la position du consommateur. Nous venons de voir que
l’effet de la loi est de donner au trésor un décime par kil. de
sucre non exporté. Si le consommateur ne supportait que l’impôt que l’Etat
perçoit, il obtiendrait donc le sucre en pain au prix de 97 1/2 centimes le kil., ou à moins de 49 centimes la livre. Cependant nous
payons le sucre en pain en moyenne de qualité 1 fr. 20 le kil. ou 60 centimes le demi-kil. Je me sers de cette expression
de demi-kilogramme ou livre, pour que chacun puisse, en allant chez le premier
épicier, s’assurer si le fait que j’avance est bien exact. Comment avec la loi
qui nous régit, cela se peut-il faire ? Au profit de qui sont perçus ces 11
centimes d’impôt par livre ou 22 centimes par kilogramme, qui ne sont pas versés
au trésor ? Ce n’est pas même au profit des raffineurs belges, je l’ai déjà
dit. Ces industriels ayant pour condition nécessaires, inévitable de faire une
exportation de sucres de 51 kil. qui leur coûtent 87
1/2 centimes, comme je l’ai établi précédemment, réduisent leur prix pour
l’étranger seul, exclusivement dans l’intérêt de l’étranger, de telle manière
qu’ils vendent leur sucre pour l’exportation au prix de 63 fr. 50 les 100 kil. ou 63 c. le kil. C’est le prix du jour des sucres raffinés
belges en entrepôt. Dans ce même entrepôt, où les sucres raffinés se vendent 63
fr. 50, on vous vend les mêmes 100 kil. de sucre brut
à raison de 60 fr. C’est donc seulement 3 fr. par 100 kil.
de différence. Ce sont là des chiffres, messieurs, que
chacun peut vérifier. On peut établir le même calcul sur d’autres sucres que
les sucres de
Je me demande si un tel état de choses peut
s’appeler commerce. N’est-ce pas là le déplorable effet d’une législation
aveugle, reposant sur des bases mensongères, que nous avons conservée jusqu’à
présent, au grand préjudice du pays ? Cette législation, qui nous régit, a
été conçue dans d’autres temps, pour d’autres intérêts. Jusqu’à certain point,
on peut concevoir le maintien d’un semblable système en Hollande, bien qu’il y
ait été fait de notables changements depuis 1830, parce que là le sucre matière
est tiré des colonies hollandaises, et que le sucre de ces colonies est pour
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, on pourrait
comprendre une pareille singularité, de convertir du sucre brut en sucre
raffiné pour le vendre à l’étranger au prix de la matière première, si, par
contre, les étrangers qui nous fournissent le sucre brut recevaient en payement
nos produits manufacturés. Mais il n’en est rien. Après avoir déchargé leur
cargaison de sucre brut, les bâtiments qui nous l’apportent s’en vont
n’emportant rien de nos produits, et, s’ils en emportent, ce sont des objets
que nous pourrons toujours exporter suffisamment.
Ainsi, jusqu’à cette heure, le consommateur belge,
veuillez bien suivre cette argumentation, a payé au moins vingt-deux francs
d’impôt par quintal de sucre brut qui ne sont pas entrés dans le trésor. En
supposant la perte éprouvée de ce chef par la nation pour une année, on trouve
qu’elle s’élève, à raison d’une consommation de 15 millions, à 3 millions et
quelques cent mille francs, ce qui fait près de 40 millions depuis 1830, que le
consommateur belge a payés au profit de ce qu’on appelle le commerce maritime,
et que j’appelle, moi, une grande duperie.
Voyez le chiffre de nos exportations, et mettez en
balance ces 40 millions que le consommateur a payés. Si le trésor en avait
profité, à la bonne heure, mais le consommateur belge les a payés ; pour qui ? en faveur de qui ? pas même en
faveur du raffineur, mais exclusivement en faveur de l’étranger.
Si cette prime énorme que nous avons payée, sous le
nom de rendement, était arrivée aux raffineurs belges, vous auriez vu s’élever
des fortunes brillantes. Au lieu de cela, les raffineries en général sont
restées dans un état stationnaire, beaucoup ont chômé et peu sont en voie de
prospérité.
Messieurs, je m’arrête encore une fois ici, de peut
de fatiguer votre attention et j’arrive à la question de prime.
Comme l’a dit M. Dumortier, si, par des
considérations que moi je n’admets pas, on voulait encourager l’exportation des
sucres raffinés, ne demandez plus à la loi une prime indirecte sous le nom de
rendement, ne venez plus dire : Le sucre rend tant de sucre raffiné,
rendez-moi sur cette base le droit que j’ai payé sur le sucre brut ; vous ne
saurez rien du taux du rendement du sucre, et si vous en saviez quelque chose
aujourd’hui, vous n’en sauriez plus rien dans six mois, car les progrès de
cette industrie continuent comme ceux des autres. Fixez le rendement à un taux
tel qu’on n’exporte pas à raison du rendement supposé, mais décrétez qu’on
donnera par 100 kilog. de sucre raffiné exporté une
prime de …
Je viens de vous dire que je n’admettais pas, quant
à moi, les considérations qu’on pourrait faire valoir pour accorder cette
prime. En effet, je vous demanderai : mais quel est donc le mérite particulier
de cette industrie pour obtenir un privilège sur la métallurgie, qui fait vivre
tant d’hommes en Belgique ? sur la draperie, industrie
si importante, enfin sur tant d’autres produits de l’industrie belge ? Mais je
suppose enfin que des considérations, que je n’admets pas, militent dans vos
esprits pour qu’une prime soit accordée à l’exportation du sucre exotique
raffiné. Mais alors, établissez-la sous le nom de prime, sachez ce que vous
faites, n’agissez pas dans les ténèbres ; ne continuons pas à faire ce que nous
faisons depuis tant d’années, à marcher à tâtons sans connaître le but que nous
atteindrons. Appelons les choses par leur nom. Laissons de côté le mot de
rendement, donnons une prime en l’appelant prime. Quant au rendement, si vous
ne l’élevez pas de telle manière que ce mot ne soit plus un non-sens, votre loi
sera une loi mauvaise, vous n’aurez rien fait de réel, vous n’aurez pris qu’une
demi-mesure, et cette demi-mesure nuira à la question d’impôt dont je vais
m’occuper.
Il est une chose étrange, messieurs, c’est que
chaque fois qu’il s’agit d’une loi d’impôt, on oublie ce qui a été dit par tout
le monde et par le gouvernement lui-même sur la nécessité de niveler les
recettes avec les dépenses, ou plutôt, selon moi, d’obtenir des recettes qui
dépassent les dépenses. Alors d’autres intérêts que ceux du trésor viennent
primer cette question importante.
Je vous l’ai déjà dit, notre système financier est
mauvais. Notre système financier laisse constamment
Si vous avez, dans le temps, pu accorder des faveurs,
avec la loi qui nous régit, c’est parce que vous avez été induits en erreur au
sujet du rendement. Aujourd’hui, en écartant le rendement, vous pouvez établir
l’impôt avec certitude.
Si
Il ne me reste plus, messieurs, que peu de chose à
dire. Mais je m’attends à une objection, et je veux la réfuter à l’avance.
On me dira : Mais dans la première partie de votre
discours, en traitant la question d’économie sociale, vous avez dit que
Quelques considérations vont vous faire comprendre
la portée de ce que je viens d’avancer.
Le sucre Havane que j’établissais tout à l’heure à
60 fr. ne peut-il pas descendre à 30 ou 40 fr. Qu’en savons-nous ? S’il en
était ainsi, le monopole que vous auriez établi en faveur de la betterave
serait une charge réelle pour le pays. Laissons la betterave et la canne à
sucre jouer chacune leur rôle ; laissons-les se débattre dans des proportions
en rapport avec la protection accordée à toutes les industries du pays.
Si, par contre, ce sucre Havane qui se paye 60 fr.
s’élevait, comme en 1837, à 93 fr., si par suite d’événements que nous ne
pouvons pas prévoir, la culture de la canne à sucre diminuait, le sucre
indigène agirait dans le cercle tracé par la nature des choses ; il viendrait,
au grand avantage du pays, s’opposer à ce que le consommateur belge ne finît
par payer le sucre à des prix énormes.
S’il arrivait que le sucre étranger s’élevât à un
prix exorbitant, ne craignez pas cependant le monopole pour le sucre de
betterave ; car tout le sol belge prendrait part à la lutte, et si un planteur
de betterave obtenait de très grands succès, son voisin interviendrait dans la
lutte et partagerait les bénéfices, et le consommateur profiterait de cette
concurrence. Je veux donc laisser exister les deux industries ; plus généreux
que nos adversaires, je ne demande la suppression d’aucune ; je les laisse se
débattre sur le champ que la nature leur assigne. Qu’elles se débattent
; l’expérience nous apprendra si nous nous sommes trompés. Dans tous les cas,
ce ne sera pas au détriment du pays. Il faut donc, en résumé, en venir aux
propositions de la section centrale, établir un droit protecteur pour la
betterave, mais dans de justes limites, dans ces limites que vous avez posées
pour d’autres industries, et que vous poserez pour d’autres encore ; car
j’espère que la majorité de la chambre a fait justice de ce principe de liberté
commerciale qui n’est qu’un leurre, quand une nation seule l’admet. La liberté
illimitée du commerce est encore plus un rêve que celui de la paix perpétuelle
du bon abbé de St.-Pierre.
M. Osy. - Les adversaires du projet de loi, ceux qui soutiennent les propositions
de la section centrale, croient que nous venons ici seulement plaider les
intérêts de nos raffineries exotiques ; mais je crois, messieurs, que nous
tous, sans exception, nous nous sommes placés sur un terrain bien plus élevé,
et ce sont les grands intérêts du commerce, de l’industrie et de la navigation,
nous sommes venus défendre, tandis que nos adversaires viennent plaider
l’intérêt seulement de 35 ou 40 communes, et s’efforcent de rabaisser nos belle
situation commerciale, pour empêcher de récupérer une partie de la belle
position que nous avions reprise depuis la chute de l’empire.
Certainement les éloges dans la bouche de
l’honorable M. Rogier pour les lois fiscales, pour le sucre, du royaume des royaume des Pays Bas, ne sont pas suspects, et il a été
assez longtemps dans votre métropole commerciale pour pouvoir en apprécier
toute l’importance.
La loi hollandaise, qu’on veut détruire, n’était pas
seulement fiscale, mais tout dans l’intérêt du commerce, et non dans l’intérêt
de ses colonies, puisqu’en 1822 Java produisait seulement 400,000 kil. de
sucre, et en 1841, les exportations ont été de 68,600,000
kil. et
C’est par jalousie de notre belle position
géographique et à cause du plus beau port et du plus beau fleuve du monde, que
toutes les puissances sont jalouses de nous, et que le traité de Munster a été
fait pour nous priver de tous nos avantages. C’est la fermeture de l’Escaut qui
nous a fait perdre le beau rôle que nous jouions au 16ème siècle, et c’est sur
nos ruines que
La paix de 1814 nous a finalement rendu tous nos
avantages, et personne ne pourra nier les progrès que nous avons faits pendant
15 ans.
Heureusement, la sagesse du parlement belge a
détourné le coup qu’on voulait nous porter, et vous avez décidé, par une loi
bien sage, que cette charge serait remboursée par le trésor, et soyez
persuadés, et le gouvernement doit le savoir par ses négociations avec
Aujourd’hui, tons les yeux sont ouverts en Hollande
sur nos discussions, et on y désire et on y forme des vœux, que les adversaires
du projet ministériel aient le dessus dans la grave question qui nous occupe
maintenant ; car ils voient bien qu’ils espèrent récupérer ce que vous leur
avez si sagement enlevé par le rachat du péage de l’Escaut.
En un mot,
Je vous avoue que je suis profondément affligé de
voir un député aussi distingué que l’honorable M. de
Si notre honorable collègue se rappelle les
conversations qu’il a eues avec ce négociant distingué, il devrait être
persuadé que nous pouvons amener à
Comme je vous le disais au commencement de mon
discours, les raffineries exotiques, pour moi, ne sont qu’un accessoire dans la
question ; ce que je veux, c’est de ramener un grand marché de sucre qui ne se
bornera pas à 40,000 tonneaux que nous avons besoin pour nos raffineries, si
nous avons seuls le marché intérieur, mais qui sera bien plus considérable pour
nos relations avec l’Allemagne du Zollverein, où on ne peut plus expédier des
sucres raffinés, et où la betterave étant fortement imposé, finira par tomber avant
peu d’années entièrement, car cette industrie n’y est pas plus prospère que
chez nous, et les puissances allemandes, voyant que cette culture n’est pas
nécessaire pour la valeur des terres, imposent cette industrie comme les
importations de sucre brut.
Comme nous voulons ramener à Anvers un grand marché
de sucre, nous devons trouver chez nos raffineurs des concurrents avec les
acheteurs allemands, et plus votre marché sera grand, plus vous aurez des
acheteurs ; c’est ce que nous voyons à notre commerce de cuirs, qui était sur
le point de nous échapper, mais que par notre activité et intelligence nous
avons ramené, et qui a même grandi depuis la révolution.
Ce sera la même chose pour les sucres, mais il ne
faut pas que nous dépendions seulement des acheteurs étrangers, il faut que
nous ayons des acheteurs indigènes et que nous puissions dire aux colonies
espagnoles et au Brésil : Anvers est un grand marché pour vos produits, nous
vous offrons des avantages que la France et l’Angleterre et même
Le traité entre le Brésil et l’Angleterre est
expiré, et il n’est prolongé provisoirement que jusqu’au 1er novembre ; le
Brésil refuse de faire des avantages à l’Angleterre, parce que cette puissance
ne peut pas prendre des sucres et cafés. Mais nous, étant libres dans tous nos
mouvements, vous obtiendrez des préférences pour vos importations, si vous ne
fermez pas votre marché en détruisant la loi de 1822.
L’honorable ministre des finances nous disait hier
qu’il devait convenir que dans nos relations transatlantiques, la balance est
encore contre nous ; que nous importons pour environ 110,000,000 de francs et
exportons seulement pour 45 millions, ainsi à notre défaveur 65 millions. Les
chiffres de M. le ministre sont exacts, mais il a oublié d’ajouter que dans nos
statistiques la valeur de nos exportations est calculée à leur prix coûtant et
les importations évaluées au prix du jour lors du déchargement, c’est-à-dire,
augmentées des frais de transport et autres frais. Vous sentez que si je ne
retirais de mes exportations que le prix que je paie au fabricant, je ferais de
bien mauvaises affaires, mais même sans bénéfice je dois retirer l’intérêt de
mon argent, ainsi que le fret, l’assurance ma (hiatus dans le texte initial du Moniteur) ganisage,
débours des ouvriers, tout de l’argent qui reste dans le pays, car lorsque, par
des droits différentiels, je pourrai chercher les sucres des lieux de
production, par pavillon national, je ferai dépenser dans le pays tout le fret,
car, puisque les gages de l’équipage, les vivres et les réparations aux navires
seront payés dans le pays, cet argent se répandra chez le fermier pour les
vivres, et vos forêts et hauts fourneaux auront une part pour la construction
et réparation des navires.
Je suis persuadé que si nous maintenons la loi de
1822, comme vous le propose M. le ministre, nous verrons sous peu de grandes
constructions et d’après mes calculs, il nous faudra de suite 60 navires de 300
tonneaux au moins, qui, à raison de 120 à 150,000 fr. vont répandre dans le
pays une somme de plus de 7 millions, et tous les ans, une grande partie du
fret sera employée aux réparations.
Tout cela viendra dans l’intérieur du pays, et si 30
ou 40 communes auront à se plaindre momentanément de la suppression de
l’industrie indigène, tout le reste du pays ne pourra assez vous remercier du
vote que vous allez émettre.
Je vous disais que dans les statistiques, il fallait
tenir compte des frais dont nos produits d’exportation sont chargés et que nous
devons retirer, avant de rien gagner et que c’est de même pour nos
importations, qu’il faut défalquer les frais du prix de vente, avant de pouvoir
vendre sans pertes. Je viens de faire le calcul sur une importation de 25,000
tonneaux de sucre.
Si je vends ici ces sucres à raison de 50 francs par
100 kil., je ne puis les payer au lieu de production
tout au plus que 35 à 38 fr., car la différence de 15 à 12 fr. est absorbée.
Si les droits d’entrée, le fret, qui de
Vous voyez donc que les statistiques invoquées par
l’honorable M. Mercier doivent être au moins diminuées de 20 p.c. pour les
importations, et augmentées de 20 p. c. pour les exportations, et ces
différences, se dépensant dans le pays, augmentent vos exportations ou
consommation des produits indigènes, et répandent, ainsi un grand bien-être sur
le pays.
Comme vous le disait M. le ministre, tout l’argent
du monde ne suffirait pas si nous continuions à importer 65 millions de plus
par an que nos exportations ou nos échanges contre des produits
transatlantiques ; mais de cette somme il faut déduire les frais de transport
qui se dépensent dans le pays.
Tous mes efforts seront donc à obtenir le projet du
gouvernement, pas comme un bienfait, mais comme un besoin du trésor, et c’est
le seul moyen de conserver chez nous un grand marché de sucre, et à me
permettre de chercher un article en retour de vos objets d’industrie, dont nous
devons tâcher d’augmenter les exportations.
Si je plaidais seulement la cause de nos
raffineries, je vous dirais que le projet de la section centrale est un grand
cadeau pour elles. Car nous avons beaucoup de sucre dans le pays, et je connais
une seule raffinerie qui gagnerait 120,000 francs, et l’augmentation du droit,
50 francs ; avec cette somme elle pourrait voir les événements.
Mais ce raffineur me disait encore très justement
ces jours-ci, je ne veux pas de ce bénéfice, car toute notre existence
industrielle et commerciale se trouverait compromise, et nous ne vivons pas un
jour ; mais faites des lois qui fassent vivre à la longue
L’honorable M. de
4/10 vous donneront, si nous avons seuls le marché
intérieur, un revenu certain de 4,300,000 fr- avec les droits d’entrée ; mais
demandez-vous seulement si vous pouvez vous contenter d’une recette de
3,700,000 francs, parce que ce sacrifice de 600,000 francs nous donnera, un mouvement
d’affaires en plus de 6 millions de kilog., et ce sacrifice vous le regagnerez
par vos autres branches de revenus, tant de la douane que des accises et droits
de tonnage, et fera dépenser d’autant plus d’argent dans le pays, par vos
produits agricoles et industriels ; et pour moi ce léger sacrifice ne ferait
pas question, car vous le récupéreriez par les autres branches des revenus
publics.
D’après toutes les discussions, je suis convaincu de
ne faire aucun tort aux propriétaires et au fermier ; j’espère diminuer nos
importations de grains, je maintiendrai notre plus belle branche de commerce,
qui doit nous amener tant d’autres affaires ; j’espère que vous ne ferez pas à
la loi de 1822 une plus grande brèche que celle proposée par le gouvernement ; mais
je consens, à cause de nos propres fautes, à mettre à la disposition du
gouvernement une somme pour être répartie par une commission d’équité, et si
même elle se montait à 4 millions, à raison de 4 p. c., cela vous ferait une
dépense annuelle de 200,000 mille francs avec l’amortissement, et je puis
imposer ce sacrifice au pays, parce que je vous apporte un revenu certain de 4
millions, au lieu de 6 à 700,000 fr, que vous avez seulement aujourd’hui.
Ainsi le solde en faveur du pays reste de 3
millions, et si quelques localités souffriront momentanément, le pays en
général ne pourra que nous savoir grâce, tout en soignant pour le trésor, de ne
pas détruire votre plus belle branche de prospérité, et une fois la loi votée,
et les préventions dissipées, les plus grands économistes ne pourront que nous
approuver. Il n’y aura de mécontents que ceux pour qui, sans le vouloir,
l’honorable M. Eloy de Burdinne a plaidé la cause, nos voisins du Nord.
Je dois une réponse à l’honorable M. Meeus. Il nous
disait que, si nous avions par la culture de la betterave tout le marché
intérieur, nous ferions consommer 15 millions de kil.,
qui, calculés à 70, feraient une dépense de 10,500,000 fr. de produits du pays.
Je lui dirai que, comme la section centrale veut prouver que l’industrie
indigène a besoin d’une protection de 25 fr, nous pouvons donc livrer le sucre
exotique à 50 fr. Ainsi la consommation aura à payer une surtaxe de 20 fr.,
soit plus de 3 millions.
L’honorable M. Meeus nous disait, en parlant du
système de rendement, que les raffineurs étrangers auraient 44 kil. à mettre en consommation, et
n’ayant à payer que 1/10 ou environ 4 fr., fait 1 c. par kil. et par consommateur. Je pense qu’il a voulu dire 10 c., mais encore 800,000 fr. de recette font 20 c. par tète,
cela vous prouve que son calcul de rendement est tout à fait inexact, et je me
réserve de le lui démontrer lorsque nous serons arrivés à l’article rendement.
L’honorable M. Meeus prétend que,
tous les ans, nous faisons un sacrifice de 3 millions par nos exportations ;
ainsi depuis 1830 environ 40 millions. Mais je lui dirai que votre loi de 1838
ne devait vous donner seulement qu’un revenu de 1,500,000
fr., et la moyenne depuis
M. de La Coste (pour un fait personnel). - Je regrette en vérité de devoir de nouveau
occuper la chambre de moi ; je n’en ai pas l’habitude ; mais vous sentirez tous
qu’il m’est impossible de ne pas répondre à des interpellations, à des attaques
aussi directes, aussi injustes que celles que vous venez d’entendre. Déjà, dans
une précédente séance, j’avais demandé la parole, c’était aussi pour des faits
personnels ; car j’ai été l’objet de plus d’une attaque.
L’honorable M. de Foere, que je regrette de ne pas
voir à sa place, avait cité une phrase de mon discours, et y avait donné un
sens bien éloigné de ma pensée et presque odieux. J’aurais désiré répondre
sur-le-champ ; mais je n’ai pas voulu interrompre vos débats. Aujourd’hui je me
contenterai, quant à cette phrase, de renvoyer au Moniteur. Je pense que ceux qui voudront se donner la peine de la
lire n’y trouveront rien qui autorise l’interprétation de l’honorable M. de
Foere. Peut-être même eussé-je pu tirer avantage de son attaque. Je ne le ferai
pas ; car si je réussissais à affliger un collègue, ce serait un triomphe aussi
frivole que pénible pour moi-même.
On vient de répéter des insinuations qui s’étaient
déjà glissées dans le discours de l’honorable M. de Foere ; elles ne
s’adressent pas personnellement à moi. Chacun peut en prendre ce qu’il jugera à
propos. Mais, quant à moi, je déclare que notre politique ne doit, selon moi, être
ni hollandaise, ni anglaise, ni française, qu’elle ne doit être ni
exclusivement mercantile, ni exclusivement agricole, ni exclusivement
industrielle, mais toute nationale ; c’est un engagement que chacun de nous
prend quand il s’assied sur ces bancs, que de concourir à une semblable
politique ; c’est l’engagement que j’ai pris, et je le tiendrai, comme j’ai
toujours tenu mes engagements.
Je remercie l’honorable M. Osy de m’avoir souvenirs
de ma carrière politique. Oui, d’Anvers, j’ai donné tous mes soins à la
prospérité de cette ville ; son commerce a été l’objet de toute ma sollicitude,
parce que c’était une des sources de la prospérité de la province et du pays,
parce qu’il importait de tenir la balance vis-à-vis des intérêts si puissants
des villes rivales de Hollande. Je remplissais donc ainsi mon devoir envers la
province, envers le pays tel qu’il était constitué, envers le souverain qui
m’avait honoré de sa confiance.
C’est encore mon devoir que je viens remplir ici :
mais je ne suis pas placé sur le même terrain. Je ne me place pas non plus
exclusivement sur le terrain de la localité qui m’a envoyé ici.
Je me place, autant que je le puis, au centre de
tous les intérêts, Voilà pourquoi j’ai réclamé, quand l’honorable M. Cogels a
présenté la tendance des propositions auxquelles j’ai accédé sous un autre jour
C’est parce que j’ai toujours tâché de me placer dans cette position si
difficile entre des intérêts qui s’exaltent presque jusqu’à
la passion, dans cette position qui, selon moi, exige le plus de fermeté et de
courage, c’est pour cela que j’ai été en butte à de vives attaques. Les
défenseurs exclusifs de l’intérêt commercial me trouvent entre eux et
l’adversaire qu’ils croient devoir accabler ; voilà pourquoi ils me prennent
pour un adversaire. Je ne le suis pas. Je conserve toute ma sympathie pour la
ville d’Anvers, et je regretterais fort que ce que mon devoir m’oblige de faire
m’exposer à perdre une partie de l’estime que j’y ai laborieusement acquise.
Messieurs, je suis si loin de voir un seul côté de
la question, que quand j’aurai la parole, je m’appliquerai à combattre des vues
qui ont été présentées par un honorable député d’Anvers, et qui me semblent les
plus funestes de toutes au commerce de cette grande cité.
M. Eloy de Burdinne (pour un fait personnel). - Messieurs, à la vérité, dans une séance
précédente, j’avais dit qu’à entendre les défenseurs du projet du gouvernement
et à voir la faveur que l’on veut accorder au sucre indien, on se croirait dans
un parlement indien. L’honorable M. Osy, faisant allusion à mes paroles, vient
de dire que je m’établis le défenseur des intérêts hollandais. Je crois,
messieurs, ne jamais avoir donné le moindre motif de me soupçonner de traiter
les intérêts hollandais au détriment de ceux de mon pays. Placez-vous sur le
terrain où je me suis posé : j’ai traité les intérêts du trésor, j’ai traité
les intérêts de mon pays, dans ce sens que je veux que mon pays produise le
plus possible. J’ai soutenu les intérêts d’une industrie qui mérite autant que
les autres nos sympathies et notre protection ; j’ai soutenu
les intérêts de la classe ouvrière qui certainement mérite d’être prise en
considération, j’ai soutenu les intérêts des industries qui alimentent les
fabriques de sucre indigène des matières dont elles ont besoins pour fabriquer
le sucre, et finalement les intérêts généraux des produits de notre pays qui,
par suite de l’introduction du sucre indigène, s’élèveront de 12 millions. Je
prie donc l’honorable M. Osy de croire que je n’ai jamais rien dit qui puisse
faire soupçonner que j’aie voulu défendre les intérêts de
M. Osy. - Messieurs, l’honorable M. Eloy nous avait dit qu’à entendre les
défenseurs du sucre exotique on croirait que nous sommes dans un parlement
indien. Voilà les paroles qu’il a prononcées.
M. Eloy de Burdinne. - Je les répète.
M. Osy. - Qu’ai-je dit ? Je n’ai pas accusé l’honorable M. Eloy de Burdinne de
soutenir les intérêts de
Je connais trop le patriotisme de l’honorable M.
Eloy, pour croire qu’il plaide les intérêts de
M. Verhaegen. - Messieurs, moi aussi, je viens combattre le projet du gouvernement, et
après tant d’orateurs qui ont déjà parle dans ce débat, je désespère presque de
captiver encore l’attention de la chambre. Mais j’ai un devoir à remplir, je
dois faire connaître les motifs du vote que je me propose d’émettre ; j’ai,
d’ailleurs, quelques considérations nouvelles à ajouter à celles qui ont été
déduites précédemment ; je ne prendrai pas inutilement les moments de la
chambre.
Messieurs, je continue à suivre le système commercial
que j’ai adopté dès mon entrée dans cette enceinte. J’ai toujours défendu la
liberté du commerce et de l’industrie, tout en réclamant des droits protecteurs
modérés pour le commerce et l’industrie nationale ; ce que je voulais il y a
six ans, je le veux encore aujourd’hui.
Ce qui m’étonne, je dois le dire tout d’abord, c’est
que certains honorables collègues, avec lesquels je suis souvent d’accord sur
des questions importantes, m’ont fait quelquefois le reproche de vouloir
restreindre la liberté commerciale par des mesures de protection, et que ce
sont aujourd’hui ces mêmes collègues qui défendent avec le plus de chaleur des
mesures de protection extrêmes.
Quand, dans certains moments de crise, et le plus
souvent à titre de représailles, je réclamais des protections en faveur des
produits de notre sol et de notre industrie indigène, on ne cessait de me
combattre par un système, très beau en théorie, de liberté commerciale et
industrielle, et cependant que veut-on aujourd’hui ? Réclame-t-on encore la liberté
industrielle ? Non, on veut détruire une industrie nationale au profit de
l’étranger. S’oppose-t-on à des droits modérés ? Non, tout au contraire, ou
veut des primes exorbitantes pour protéger une production exotique au détriment
d’une production indigène !
Messieurs, quel serait donc le résultat du système
que je combats ? Je vais vous le dire en deux mots : d’abord nous paierions des
primes exorbitantes en faveur du sucre exotique, plusieurs fois on en a fait le
calcul et je ne reviendrai pas sur des chiffres qui vous sont encore présents à
la mémoire ; nous payerons ensuite à l’industrie indigène, dont l’honorable M.
Cogels et ses amis veulent la destruction, une indemnité considérable. Ainsi
quelques millions à titre de primes, quelques millions pour indemnités, et, en
dernière analyse, nous mangerons du mauvais sucre en le payant d’ailleurs fort
cher ; car nous serons à la merci de ceux qui se seraient débarrassés de leur
rivale.
Messieurs, un acte grave et très grave est soumis en
ce moment à la chambre des représentants belges. Vouloir supprimer
législativement une industrie du pays est un de ces actes qui, en passant à la
postérité, laissent après eux des traces ineffaçables. Il n’est plus possible
de le nier, la proposition de M. le ministre des finances doit avoir pour
résultat de tuer l’industrie du sucre indigène.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Nous l’avons dit.
M. Verhaegen. - Vous l’avez dit et nous en avons pris acte. Vous l’avez dit, et l’un de
vos amis a ajouté le sarcasme à l’injustice, en prétendant que la nation, au
moyen de l’indemnité, payerait les frais des funérailles.
Messieurs, des hommes politiques se demanderont un
jour, si, à propos d’un amendement au système primitif du gouvernement la
législature a pu délibérer sur une proposition d’une portée aussi immense. Qui
de vous, messieurs, quelles que soient d’ailleurs ses opinions, oserait
prononcer législativement la destruction d une production indigène au profit
d’une production étrangère ? Qui de vous oserait vider ce litige ? Car ce n’est
pas une loi que vous allez faire, c’est un procès que vous allez juger. Qui
oserait prendre une pareille responsabilité sans qu’une enquête préalable ait
eu lieu, sans que la presse ait pu éclairer le pays sur cette question
importante, et sans que M. le ministre de l’intérieur, chargé du commerce et de
l’agriculture, ait jusqu’à présent dit un seul mot pour vous éclairer sur cette
matière délicate ? Où donc est l’honorable M. Nothomb ? Je ne serais pas fâché
de le voir à son banc, il pourrait répondre à mes observations.
Vous vous rappellerez, messieurs, qu’en mars 1842 la
coexistence des deux sucres, était dans la presse du gouvernement, une chose
utile, pleine d’équité et de convenance, et ne pouvant occasionner aucun tort
au commerce. Le gouvernement préconisait alors cette mesure, et il venait
proposer aux chambres belges de la formuler en loi. Le 23 décembre dernier,
qu’arrive-t-il ? La mesure qu’il avait proposée d’abord est devenue, dans son
opinion, destructive de notre commerce maritime ; elle doit porter la plus
grave atteinte à nos relations extérieures ; c’est, en quelque sorte, la ruine
du pays qu’elle doit amener.
Et comment se fait-il donc qu’en mars 1842 le
gouvernement considérait comme utile une mesure qu’en décembre 1842 il condamne
comme ruineuse, comme destructive de notre prospérité nationale ? Quel
changement s’est-il donc opéré de mars à décembre 1842 ? Il faut en convenir, messieurs,
il y a eu, de la part du gouvernement, légèreté, inconséquence, et pourquoi ne
le dirions- nous pas, incapacité complète.
Messieurs, une question grave, comme je vous le
disais il n’y a qu’un instant, s’agite dans le sein de la représentation nationale.
On doit se demander d’abord si accessoirement à une loi de finance, par un
amendement jeté à la légère dans la discussion par le gouvernement qui, avant
tout, aurait dû bien le mûrir, on peut détruire une industrie qui a pris racine
dans le pays.
Notre position est bien différente de celle qu’avait
prise naguère le gouvernement en France. Croyez-vous, messieurs, que ce soit au
sujet d’une loi financière que le gouvernement français s’est décide à proposer
l’anéantissement d’une industrie, l’anéantissement de la fabrication de sucre
indigène ? Pas du tout, c’est M. Cunin-Gridaine, ministre du commerce et de l’agriculture, qui,
prenant sur lui la responsabilité de cet acte important, est venu faire à la
chambre des députés un rapport à la suite duquel il a demandé que cette
industrie fût frappée de mort, moyennant une indemnité ; cette proposition
était entourée d’une masse de considérations, et il y avait pour la France, il
ne faut pas se le dissimuler, des motifs de hautes considérations politiques, qu’on
ne peut pas invoquer en Belgique.
Le rapport de M. Cunin-Gridaine est un de ces actes solennels sur lequel la France
entière a été appelée à se prononcer ; il a été entouré de toutes les garanties
que réclamait la gravité des circonstances ; la presse a été mise à même
d’éveiller l’attention du pays ; une enquête a été ouverte, les commissions
d’agriculture ont été entendues, les chambres de commerce ont été consultées ;
et par suite tout le monde a pu formuler son opinion en pleine connaissance de cause.
Les ministres belges ont-ils suivi la marche si rationnelle et si prudente des
ministres français ? Non, messieurs, la conduite de nos ministres a été légère
et imprudente en même temps qu’elle a manqué de franchise ; la responsabilité
qu’ils veulent nous faire assumer, à nous, membres de la chambre des
représentants, est énorme. Quoi, il ne s’agit que d’une loi de finances, et
c’est derrière cette loi que le gouvernement permet à un intérêt particulier de
venir s’abriter, pour battre en brèche un autre intérêt particulier. Les
défenseurs du sucre exotique ont assez imprudemment découvert leurs batteries.
Ils ne s’en cachent plus ; ce qu’ils veulent, c’est la mort de l’industrie
indigène et le monopole du marché intérieur, pour venir plus tard faire la loi
et au gouvernement et aux consommateurs. Ne nous y trompons point, messieurs,
la réserve de 4/10 met les raffineurs de sucre exotique dans une position
beaucoup moins favorable, même avec l’anéantissement de l’industrie indigène,
que celle où ils se trouvaient auparavant, alors que le sucre du pays était
affranchi de tous droits. Cela est positif, et des calculs vous seront soumis à
cet égard par l’honorable rapporteur de la section centrale. Je craindrais de
me tromper au milieu de mon improvisation, si je vous les soumettait
moi-même. D’ailleurs, cela prendrait trop de temps. Je me borne donc à vous
présenter comme une prémisse certaine, qu’avec la retenue de 4/10 et la
suppression du sucre indigène la position du sucre exotique sera plus mauvaise
qu’auparavant ; la conséquence à tirer de cette prémisse est palpable pour tout
le monde.
M. Rogier. - C’est une aggravation.
M. Cogels. - Sans doute.
M. Verhaegen. - Non, messieurs, ce n’est pas cela ; c’est un piège tendu au trésor
public (et je me sers ici d’une expression technique). Quand au moyen de toutes
ces grandes et belles promesses, l’industrie du sucre exotique se sera
débarrassée de sa rivale, elle viendra vous dire qu’elle ne peut pas marcher
avec une réserve de 4/10, pas même avec une réserve de 3/10, et elle vous
demandera sans cesse de nouvelles faveurs ; vous l’avez entendu, messieurs,
déjà quelques défenseurs imprudents du sucre exotique vous ont mis à même d’apprécier
le but qu’ils veulent atteindre ; ils n’ont pas attendu la mort de l’industrie
indigène, leur empressement était trop grand, l’un d’eux est venu proposer une
réserve de 3/10, un autre une réserve de 2/10, et ce n’est pas là le dernier
mot ; le dernier mot sera 1/10, et le trésor n’aura obtenu aucune ressource
nouvelle,
M. Rogier. - Vous serez là pour vous y opposer.
M. Verhaegen. - Nous n’y serons pas, puisque nous n’existerons plus.
Messieurs, après cette petite digression, je reviens
à mon idée première ; je répète que l’acte qu’on vous propose est tout au moins
un acte irréfléchi, c’est un accessoire sous la forme d’un amendement à une loi
fiscale, qu’il serait dangereux, je ne dirai pas d’adopter, car je considère
l’adoption comme impossible, mais seulement de discuter sérieusement ; il n’y a
peut-être pas d’exemple dans les annales parlementaires qu’un gouvernement soit
venu accessoirement, par amendement à une loi fiscale, proposer l’anéantissement
d’une industrie. M. le ministre des finances comprend-il donc bien la
responsabilité qui pèse sur lui ? Se trouve-il bien couvert par les autres
membres du cabinet ?
M. Cunin-Gridaine, comme ministre du commerce et de l’agriculture en
France, a proposé franchement et ouvertement l’anéantissement de l’industrie
indigène ; il a eu le courage d’assumer avec ses collègues la responsabilité
d’un acte aussi grave, mais avant tout il a mis toutes les opinions à même de
se faire jour, et les intérêts opposés de se défendre.
Messieurs, sur la question agricole, vous avez
entendu les honorables MM. Eloy de Burdinne, Vandensteen et autres, qui vous
ont donné des renseignements conformes à ceux que j’ai obtenus ; les défenseurs
du sucre exotique se bornent à en contester l’exactitude, et il ne nous reste,
à défaut d’enquêtes, que de faire un appel au chef du département qui s’occupe
spécialement de cette partie. Où est donc M. le ministre de l’agriculture ?
Qu’a-t-il à dire en faveur de cette branche importante de la prospérité
publique ? Qu’a-t il à dire en faveur de l’industrie indigène ? Si l’honorable
M. Nothomb se trouvait à son banc, je lui demanderais des explications
catégoriques ; je lui demanderais surtout si, comme M. Cunin-Gridaine, en France, il assume sur lui la responsabilité de
l’anéantissement d’une industrie indigène proposée par son collègue des
finances. Je me réserve de lui faire à cet égard une interpellation formelle
quand il sera présent.
Messieurs, les enquêtes qui devaient nous éclairer,
où sont-elles ? Quelles sont donc les commissions d’agriculture qui ont envoyé
leurs rapports ? Quelles sont les chambres de commerce qui ont été entendues ?
Ne le perdez point de vue, la mesure que M. le ministre des finances défend
aujourd’hui est diamétralement opposée à celle qu’il avait proposée
précédemment et sur laquelle seule il avait pris des renseignements.
Messieurs, n’oublions point que pour qu’un acte
puisse former une loi, il ne suffit pas que la volonté dont cet acte émane soit
celle du plus grand nombre, il faut encore que la matière sur laquelle statue
le vœu d’une nation soit commune à tous.
« Il est faux, dit l’auteur du contrat social,
que toute expression de la volonté générale soit une loi. Mais il est faux
aussi que la volonté même du plus grand nombre soit une volonté générale quand
elle se rapporte à un fait particulier, ou à des faits particuliers. Dans ce
cas, en effet (Contrat social, liv.
II, chap. IV), l’affaire est contentieuse, c’est un procès où les particuliers
sont une des parties, et le public l’autre, mais où je ne vois ni loi qu’il
faut suivre, ni le juge qui doit prononcer ; il serait ridicule de vouloir
alors s’en rapporter à une expresse décision de la volonté générale, qui ne
peut être que la conclusion de l’une des parties, et qui, par conséquent, n’est
pour l’autre qu’une volonté étrangère, particulière, portée en cette occasion à
l’injustice et sujette à l’erreur. Ainsi de même qu’une volonté particulière ne
peut représenter la volonté générale, la volonté générale, à son tour, change
de nature, ayant un objet particulier, et ne peut comme générale prononcer ni
sur un homme, ni sur certaine classe d’hommes, ni sur un fait. »
En présence des deux industries dont l’une vient
demander l’anéantissement de l’autre, ce n’est pas une loi qu’on nous demande,
c’est un jugement qu’on provoque, c’est une décision qui doit avoir pour
résultat de débarrasser une partie en cause de son adversaire. Ne nous y
trompons ; voilà ce qu’on demande à la chambre, et voilà ce que la chambre
n’accordera pas, quoique le gouvernement soit assez imprudent de s’associer à
cette demande. Je dis le gouvernement, et cependant, jusqu’à présent il n’y que
M. le ministre des finances et son collègue des travaux publics qui se soient
expliqués. Quant aux autres membres du cabinet, nous ne savons pas encore
quelle est leur pensée à cet égard pour compléter l’idée émise dans une
précédente séance. Je dirai que si le sucre exotique tient un portefeuille, je
ne serais pas fâché de voir que le sucre indigène a le sien.
Messieurs, on a fait sonner bien haut les intérêts
du commerce maritime ; mais ces intérêts sont saufs, et aux considérations que
l’en a fait valoir à l’appui de cette assertion, je me permettrai d’en ajouter
quelques autres ; mais avant tout je dirai quelques mots en faveur de
l’agriculture.
Qui donc, messieurs, se pose comme souverain juge
des intérêts agricoles ? Chose vraiment extraordinaire, ce sont les partisans
du sucre exotique, les partisans du commerce maritime qui viennent défendre dans
cette enceinte l’agriculture, et, à les en croire, l’agriculture plaide
contrairement à sou intérêt lorsqu’elle demande que l’industrie du sucre de
betteraves soit conservée dans le pays.
Messieurs, plusieurs orateurs qui ont parlé avant
moi ont établi à la dernière évidence que la culture de la betterave est utile
à l’agriculture, qu’elle favorise les assolements et qu’elle augmente la
production des céréales dans la proportion de 25 p. c.
Quelles peuvent d’ailleurs être les craintes de ceux
qui prennent prétendument la défense de l’agriculture ? Sur environ
Ainsi, l’on s’est trouvé réduit un dernier argument,
et je crois que c’est surtout celui-là qui a fait impression sur l’honorable
comte de Mérode ; l’on a dit : « Si vous améliorez vos terres, l’agriculture y
gagnera, et nous devons convenir que la culture de la betterave améliore les
terres : vous augmenterez même, sur les terrains ainsi cultivés, la production
des céréales de 25 p. c. ; mais vous employez trop d’engrais, vous sacrifiez
l’engrais aux terres plantées de betteraves, et les autres terres en
souffrent. »
Eh bien, messieurs, c’est là une erreur très grave.
On peut établir par des chiffres irrécusables qu’un bonnier de terre planté de
betteraves donne plus d’engrais qu’il n’en consomme. (Dénégations.)
Puisque l’on conteste le fait, je vais entrer dans
quelques détails. Un hectare de betterave, de l’aveu de tous les cultivateurs,
suffit pour engraisser deux bêtes à cornes et d’autre part, la fumure que
produisent deux bêtes à cornes, suffit bien pour engraisser un hectare de terre
destiné à la culture de la betterave, il y donc tout au moins compensation ;
mais d’où viendra donc la paille ? m’objecte M. le comte de Mérode ; j’ai dit
tout à l’heure que sur
Mais ce n’est pas tout on obtient encore autre chose
à titre d’engrais. N’a-t-on pas la pulpe résidue, les
écumes ? et cette pulpe, ces écumes sont très considérables, et forment une
fumure très active ; en outre, les feuilles qui tombent et qu’on n’enlève pas,
sont encore un excellent engrais, et cela est si vrai que je sais d’une
personne à même de donner en connaissance de cause de pareils renseignements,
que pour les feuilles qui restent sur un hectare de betterave, on paie, prix
moyen, 40 fr.
En résumé, on obtient d’un hectare de betterave
l’engrais que produisent deux bêtes à cornes, et on a le résidu de la pulpe et
les écumes, et, finalement, les feuilles qui tombent et qui sont estimées à 40
fr. Et cela ne suffirait pas pour compenser l’engrais que demande un hectare de
betterave !
Messieurs, on vous a parlé, et avec raison, du
nombre des bras qu’emploie la betterave. L’honorable M. Cogels a voulu mettre
en contradiction l’honorable M. Vandensteen, qui avait donné à cet égard
quelques chiffres ; eh bien, messieurs, je suis heureux de pouvoir établir
l’exactitude de ces chiffres. J’ai à mes côtés, et je le soumettrai à ceux de
mes honorables collègues qui voudraient vérifier mes assertions, le registre de
la fabrique d’Ordanger, qui cultive cent hectares de
betterave. Voici, d’après ce registre, le nombre des ouvriers qu’elle emploie
par jour :
« Mai. - Epoque où l’on commence le sarclage
« 1ère semaine, 93 ouvriers ;
« 2ème semaine, 115 ouvriers ;
« 3ème semaine, 142 ouvriers ;
« 4ème semaine, 166 ouvriers ;
« Juin. - Epoque où le sarclage est en plein
« 1ère semaine, 308 ouvriers ;
« 2ème semaine, 326 ouvriers ;
« 3ème semaine, 317 ouvriers ;
« 4ème semaine, 287 ouvriers ;
« Juillet.
« 1ère semaine, 254 ouvriers ;
« 2ème semaine, 243 ouvriers ;
« 3ème semaine, 172 ouvriers ;
« 4ème semaine, 154 ouvriers. »
Vient ensuite le moment de l’arrachage et de la mise
en sillons
« Octobre.
« 1ère semaine, 230 ouvriers ;
« 2ème semaine, 236 ouvriers ;
« 3ème semaine, 304 ouvriers ;
« 4ème semaine, 360 ouvriers ;
« Novembre.
« 1ère semaine, 403 ouvriers ;
« 2ème semaine, 340 ouvriers ;
« 3ème semaine, 294 ouvriers ;
« 4ème semaine, 271 ouvriers ;
« Décembre.
« 1ère semaine, 230 ouvriers ;
« 2ème semaine, 204 ouvriers ;
« 3ème semaine, 193 ouvriers ;
« 4ème semaine, 175 ouvriers ;
« Janvier.
« 1ère semaine, 189 ouvriers ;
« 2ème semaine, 195 ouvriers ;
« 3ème semaine, 199 ouvriers ;
« 4ème semaine, 192 ouvriers ;
« Février.
« 1ère semaine, 209 ouvriers ;
« 2ème semaine, 196 ouvriers ;
« 3ème semaine, 204 ouvriers ;
« 4ème semaine, 178 ouvriers ;
« Mars.
« 1ère semaine, 177 ouvriers. »
Et tout cela par jour et pour une seule fabrique
cultivant seulement
Voilà donc les bras que cette culture met en
mouvement, et l’honorable M. Vandensteen avait raison dans ses assertions.
Et ce travail, messieurs, fait vivre bien des
malheureux qui, sans cette ressource, seraient dans la misère. Il les fait
vivre surtout dans un temps où l’on ne peut pas les employer à autre chose en
hiver, comme l’a fort bien dit l’honorable M. Eloy de Burdinne.
Voilà des intérêts bien puissants, des intérêts
sacrés, des intérêts qui ont pris racine dans notre sol, et, remarquer-le, des intérêts qui ont des droits
acquis par une possession de plusieurs années.
Mais les intérêts du commerce et surtout du commerce
maritime !....
Eh bien, moi, je suis tout aussi grand partisan de
ce commerce que ceux dont je combats l’opinion ; je désire bien sincèrement que
notre commerce maritime prospère, je veux lui donner des encouragements ; je
veux lui assurer des droits protecteurs, des primes modérées ; je ne me refuse
pas à ce qui est juste, mais je ne veux pas de mesures extrêmes, et surtout je
ne veux pas l’anéantissement d’une industrie indigène.
Pour nos adversaires, les intérêts du haut commerce
ne sont que des prétextes.
Ce qu’il y a d’extraordinaire, et ceci me dispensera
d’entrer dans de longs détails, c’est
que l’honorable M. de Foere, que nos adversaires croient être d’accord avec
eux, les combat ouvertement (dénégation)
; la conséquence qu’il paraît tirer de ses prémisses peut leur être favorable,
mais les prémisses elles-mêmes détruisent tous leurs raisonnements.
Et, en effet, à quoi se réduit le discours de
l’honorable M. de Foere ? L’honorable membre rejette les exagérations des
défenseurs du sucre exotique ; ils prétendent faire un commerce considérable
avec les contrées transatlantique, et l’honorable M. de Foere, dénie
formellement cette assertion ; il reproche au gouvernement de n’avoir pas voulu
suivre son système commercial, avec lequel seul ces avantages auraient été
obtenus.
L’on comprend que l’honorable M. de Foere veuille
profiter de l’occasion pour faire passer dans la pratique ses théories sur les
droits différentiels.
Les membres du gouvernement n’ont pas toujours été
d’accord avec l’honorable M. de Foere. Je ne pense pas que l’honorable M. Smits
ait jamais été partisan des droits différentiels ; je ne pense pas non plus que
ses collègues aient partagé ce système, sauf peut-être l’honorable M. Desmaisières,
car il faut rendre à chacun cc qui lui est dû.
Et voilà cependant que M. Smits, pour que son
système puisse avoir quelque chances de succès se rapproche de l’honorable M.
de Foere, car c’est l’adoption possible des droits différentiels qui engage M. de
Foere à défendre le projet du gouvernement. Je suis loin de faire la guerre aux
opinions, chacun cherche à faire adopter la sienne. Je n’entends certes pas
attaquer le système de M. de Foere, je rends au contraire hommage à sa
persévérance. Elle lui fait le plus grand honneur ; il y a quelques années, à
peine voulait-on l’entendre, et aujourd’hui on finira par adopter son système.
M. le ministre des finances ne partageait pas
naguère, et il ne partage probablement pas encore l’opinion de M. de Foere ; mais
il faut avoir l’air de marcher dans la voie des droits différentiels pour
pouvoir espérer quelque chose du projet qu’on vous propose.
Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas du présent. M.
de Foere l’établit à la dernière évidence, il ne peut être question que de
l’avenir ; on invoque l’intérêt du commerce maritime qui pourra fleurir un jour
avec des droits différentiels, et c’est pour cet avenir très incertain qu’on
veut détruire le présent.
Oui, on veut sacrifier le présent au futur, car
l’industrie du sucre indigène existe et elle a pris racine dans le pays ; et on
veut la tuer pour un espoir dans l’avenir. Si le commerce en perspective peut
se réaliser un jour, M. Mercier a prouvé déjà que les sucres n’étaient pas la
seule ressource pour assurer des retours, mais qu’il y avait d’autres objets
d’encombrement, et il les a énumérés ; mais pourquoi soutient-on que le
sucre est la seule ressource du commerce maritime ? Est-ce réellement dans
l’intérêt de ce commerce ; non, encore une fois, cet intérêt n’est qu’un
prétexte, le seul intérêt en jeu est celui des raffineurs et des
commissionnaires d’Anvers et de Gand.
Maintenant, puisqu’on parle d’un espoir dans
l’avenir, d’une possibilité, il me sera bien permis de parler à mon tour de
possibilités, c’est-à-dire des chances désavantageuses qui pourront rendre
illusoire l’espoir de nos adversaires.
Sans doute, il est possible que notre commerce
maritime grandisse et prospère mais alors, comme je vous l’ai déjà dit, nous
aurons d’autres objets d’encombrement que le sucre pour satisfaire aux besoins
de nos exportations ; en bornant d’ailleurs nos ressources aux importations du
sucre exotique, deux éventualités peuvent nous arrêter et s’opposer à la
réalisation de notre espoir. On veut aller chercher des sucres bruts aux
colonies, on veut les raffiner et les exporter ; alors, soit dit en passant, on
fera toute autre chose que ce que l’on fait aujourd’hui, car aujourd’hui on va
chercher les sucres bruts en Angleterre, à Hambourg et à Rotterdam, et on
exporte ensuite les sucres raffinés à Hambourg et à Brème, où on les vend à
meilleur compte que les sucres bruts.
Qu’on ne me dénie pas le fait, car j’ai en mains le Précurseur d’Anvers, non pas celui
d’aujourd’hui, car depuis que nous discutons la loi sur les sucres il ne donne
plus les prix courants, mais bien celui du 29 janvier dernier, et j’y trouve la
preuve de mon assertion.
On a fait, il est vrai, une distinction ; on vous a
dit que c’étaient des sucres de basse qualité qu’on exportait raffinés, moins
riches que le sucre brut de
Aujourd’hui les villes anséatiques reçoivent nos
sucres raffinés. Mais si, plus tard, ces villes consentent à faire partie de
l’union allemande, et déjà des démarches ont été faites dans ce but, nos sucres
raffinés perdent leur principal débouché. L’échafaudage si péniblement
construit sur les ruines d’une industrie indigène s’écroule immédiatement.
Il est encore une autre chance désavantageuse qu’il
faut joindre à la première, et c’est l’honorable M. Rogier qui nous l’a fait
connaître. Il nous a lu une lettre de laquelle il résulte qu’on exporte dans
les colonies des machines destinées au perfectionnement du raffinage ;
j’ajouterai qu’il est à ma connaissance que le directeur d’une raffinerie de
Bruxelles est allé aux colonies pour s’occuper de ce perfectionnement. Que
sera-ce donc, si au lieu de sucre brut les colonies vous envoient un jour des
sucres raffinés ? Ainsi l’espoir du haut commerce tient à bien peu de choses,
et on reste convaincu que ce serait une grave erreur que de sacrifier le
présent à l’avenir.
Après cela, voyons en définitive, quel est le
système des partisans du sucre exotique ? Je ne représenterai pas les chiffres
du rendement, je ne leur répéterai pas les calculs pour établir les avantages
énormes qu’ils retirent de la position actuelle. Je ne leur ferai qu’une seule
question : Que deviendraient-ils si, le trésor n’ayant pas besoin de
ressources, on affranchissait le sucre brut exotique de tous droits ? Tout le
monde répondra que l’industrie du sucre exotique par cela seul serait frappé de mort.
Un membre. - Et la betterave ?
M. Verhaegen. - Nous allons y venir. La betterave ne demande que sa part du marché
intérieur ; mais je vous parle en ce moment de l’exportation, et pour cause,
car vous avez rattaché à l’exportation tout votre espoir ; mais si c’est le
marché intérieur sur lequel vous voulez vous rejeter, alors j’ai le droit de
vous répondre que vous cherchez la ruine d’une industrie indigène au profit
d’un produit étranger. De deux choses l’une, donc ; ou c’est l’exportation que
vous voulez, et alors vous devez convenir que, s’il n’y a pas de droits, notre
commerce ne peut pas exister, ou bien c’est le marché intérieur, et, dans ce
cas, vous voulez écraser, absorber l’industrie indigène
Restent les intérêts du trésor.
Mais on nous l’a établi à la dernière évidence, et
je ne reviendrai pas sur les calculs qui nous ont été présentés à cet égard,
l’intérêt du trésor sera parfaitement conservé, si nous voulons adopter les
mesures que nous propose la section centrale. Voulons-nous avoir encore quelque
chose de plus ? Défendons l’entrée des sucres terrés, sucres qui ont déjà été
manipulés ; établissons en outre un droit proportionnel, en raison de la
différence des qualités de sucre, en raison du rendement. Voulons-nous aller
plus loin encore ? Ne permettons le raffinage pour l’exportation qu’en
entrepôt, faisons ce que fait l’Angleterre. Mais alors, dira-t-on, on ne peut
plus exporter. Car lorsque je me place sur un terrain, on se place sur un autre
; quand je parle de l’exportation, on se rejette sur le marché intérieur, et
quand je suis mes adversaires sur ce terrain, ils reviennent à l’exportation.
Moi, messieurs, et je me félicite de pouvoir le
dire, je suis d’accord avec ceux qui prétendent que les deux sucres peuvent
coexister. Je me félicite qu’il ne soit pas nécessaire de détruire l’un ou
l’autre, car je n’aime pas, moi, de faire disparaître une industrie, qu’elle
s’alimente de produits indigènes ou de produits exotiques, j’aime à donner
protection à tout le monde, mais en même temps j’aime à être juste. Je dis donc
que les deux industries peuvent coexister.
D’abord il faut remarquer que le sucre exotique
s’est maintenu à côté du sucre indigène, avec un droit de 37 fr. 50 c. alors
que le sucre indigène ne payait rien ; pourquoi donc ne se soutiendrait-il pas
encore avec le système de la section centrale, pourquoi ne se soutiendrait-il
pas avec une surtaxe de 25 francs seulement ? Le sucre exotique paierait 50
francs ; le sucre indigène en paierait 25 ; pourquoi à ces conditions le sucre
exotique ne pourrait-il pas soutenir la concurrence du sucre indigène ? Mais,
messieurs, notre pays est-il le seul où il y aurait un droit différentiel ? Et
la coexistence est-elle impossible parce que les droits ne seraient pas égaux ?
Pourquoi veut-on que le sucre indigène paie autant que le sucre exotique ?
Parce qu’on veut que le sucre exotique s’empare seul du marché intérieur, au
détriment du sucre indigène. Voilà ce que l’on veut ; mais cela est-il juste ?
Comme le disait l’honorable M. Meeus, pourquoi ne donnerions- nous pas à
l’industrie du sucre indigène la protection que nous donnons aux autres
industries ? Ce que nous demandons existe en France et en Allemagne, et
existait autrefois en Angleterre, car il y avait dans ce dernier pays une
différence de 40 p.c. entre les droits payés par les sucres des colonies
anglaises et ceux qui se percevaient sur les autres sucres ; eh bien, ces deux
espèces de sucres marchaient très bien ensemble. En Allemagne, le droit
proportionnel ne s’oppose pas à la coexistence ; en France, les sucres marchent
également de pair avec des droits différents. Mais allons même plus loin ; je ne
sais pas ce que deviendra le projet de loi de M. Cunin-Gridaine, on dit qu’il ne sera pas accueilli par les
chambres, et j’ai des raisons pour le croire, malgré les puissants motifs
politiques qui militent en France en faveur d’un semblable projet ; mais enfin
supposons que ce projet soit adopté, que l’industrie du sucre de betteraves
soit sacrifiée en France. Eh bien, si la betterave n’existe plus, il n’y en
aura pas moins en France des sucres différents et des droits différents, car le
sucre qui provient des colonies françaises ne suffit pas à la consommation de
la France ; le sucre de
Il faudra donc admettre le sucre des colonies
étrangères ; mais croyez-vous, messieurs, que la France soit assez stupide pour
mettre sur la même ligne le sucre de ses propres colonies et celui des colonies
étrangères ? Non sans doute. Il y aura donc des droits différents pour ces
sucres différents, et ceux-ci n’en existeront pas moins ensemble. Eh bien, chez
nous le sucre exotique pourra coexister avec le sucre indigène, tout comme les
sucres de colonies différentes pourront coexister en France.
Comme l’honorable M. Meeus vous
l’a très bien dit, messieurs, ne prenons pas la responsabilité énorme d’un acte
qui tuerait une industrie nationale ; plaçons les deux industries dans une
position où elles puissent lutter avec certaines chances de succès ; ne faisons
pas plus pour l’une que pour l’autre ; accordons à l’industrie du sucre
indigène la même protection que nous accordons aux antres industries du pays,
afin qu’elle puisse soutenir la concurrence de celle qui prend sa source à
l’étranger, et si un jour une de ces industries doit succomber, que ce ne soit
pas au moins au législateur belge qu’elle doive sa mort, mais que ce soit aux
nécessités du temps et des circonstances.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je prends la parole un
instant, messieurs, pour détruire les conjectures auxquelles l’honorable
préopinant a cru devoir se livrer en ce qui me concerne. Il m’a interpellé
comme ministre de l’agriculture, mais il a oublié que je suis aussi ministre du
commerce et de l’industrie. Je sais fort bien qu’un intérêt doit être ici
sacrifié, c’est l’intérêt agricole, mais la production de la betterave est un
intérêt au moins secondaire par rapport aux autres intérêts que nous devons
avoir en vue ; l’intérêt fiscal et l’intérêt commercial. Voilà, messieurs, les
quelques mots que j’ai cru devoir dire ; je verrai si la discussion exige une
intervention plus active de ma part.
M. Verhaegen. - Ainsi, M. le ministre de l’intérieur demande aussi l’anéantissement de
l’industrie du sucre indigène ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Certainement, je me suis
associé au projet présenté par M. le ministre des finances. J’ai dit pourquoi ;
j’avoue qu’un intérêt doit être méconnu, mais que c’est un intérêt secondaire,
un intérêt sans véritable avenir.
- La séance est levée à 4 heures et demie.