Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note
d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 27
février 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative aux conclusions de
la commission d’enquête en matière de droits d’entrée (Delfosse)
2)
Motion d’ordre relative à la comptabilité de l’Etat et à la cour des comptes (de Garcia, Smits, Dumortier, de Garcia)
3)
Projet de loi relatif aux sucres. Discussion générale : Fixation du
rendement, taux et rendement attendu de l’accise, concurrence et coexistence
entre sucre raffiné exotique et sucre indigène de betterave, prime à
l’exportation (drawback) du sucre pour favoriser le commerce maritime national
et influence de la culture de la betterave sur l’état de l’agriculture (Demonceau) clôture de la discussion générale et ordre
des travaux (Rogier, Mercier, Verhaegen, Cogels, Rodenbach, de Garcia, Eloy de Burdinne, Mercier, de Theux, Smits, de La Coste, Smits, de La Coste, de Theux, Smits, Dumortier, de La Coste, de Theux, Rodenbach, Smits), concurrence et
coexistence entre sucre raffiné exotique et sucre indigène de betterave (de Mérode, Pirmez, de La Coste, Rogier), (Verhaegen)
(Moniteur
n°59, du 28 février 1843)
(Présidence de M.
Raikem)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est
approuvée.
M. de Renesse présente l’analyse des pétitions adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Plusieurs maitres de forges demandent
la stricte et complète exécution de la loi sur la sortie des charbons de bois,
et que les droits sur les fontes anglaises soient fixés aux taux adoptés par
- Renvoi à la section centrale qui a examiné le
projet de loi sur les droits de sortie.
« Le conseil communal de Liége présente des
observations contre le projet de loi sur les droits différentiels proposé par
la commission d’enquête commerciale. »
M. Delfosse. - Messieurs, comme cette pétition a une assez grande importance, j’en
demanderai l’insertion au Moniteur,
et en outre le dépôt sur le bureau pendant la discussion de l’enquête
commerciale.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Garcia. - Messieurs, un des objets les plus importants dont nous ayons à nous
occuper, objet qui a constamment été réclamé par cette assemblée depuis
plusieurs années, c’est une loi de comptabilité. Le gouvernement a promis de
nous soumettre prochainement cette loi. Je crois que si on la présentait incontinent
ou dans un très bref délai, les sections pourraient s’occuper de son examen, et
qu’on pourrait encore terminer cet objet important dans la présente session.
En conséquence, je demanderai à
M. le ministre des finances si le gouvernement est en mesure de nous présenter
le projet qu’il nous a promis sur cette matière.
M. le ministre des
finances (M. Smits) - Messieurs, chacun de vous a pu
apprécier le nombre considérable de travaux dont le gouvernement est chargé
dans ce moment-ci. Cependant, nous avons pu délibérer sur la loi de
comptabilité ; elle a été admise par le conseil des ministres. Mais jusqu’ici
le temps nous a manqué pour examiner jusqu’au bout la loi corollaire relative
aux attributions de la cour des comptes. Je rappellerai cet objet à mes
collègues dans une première réunion et j’espère que je pourrai bientôt apporter
les deux lois devant la chambre.
M. Dumortier. - Je ferai remarquer à la chambre qu’elle est saisie d’un projet de loi
sur la cour des comptes, et que si M. le ministre a quelques modifications à
présenter à ce projet, il ne pourrait le faire que par voie d’amendement.
Je me borne à faire cette observation pour rappeler
à M. le ministre la position des faits.
M. de Garcia. - La chambre est saisie d’un projet, nous le savons ; mais le
gouvernement nous ayant promis d’en présenter un autre, cela m’a fait supposer
qu’il ne se ralliait pas celui qui nous est soumis. C’est dans cette position
que j’ai demandé que le gouvernement voulût bien nous présenter immédiatement
le projet qu’il nous a annoncé.
Discussion générale
M. Demonceau. - Messieurs, je n’ai que quelques observations à soumettre à la chambre ;
je suppose qu’elle désire se prononcer dans cette séance sur la clôture de la
discussion générale ; ainsi j’abrégerai autant que je le pourrai les
observations auxquelles je me propose de me livrer.
Le but principal de la loi, messieurs, c’est
d’obtenir pour le trésor des revenus, c’est une nécessité. Considérée comme loi
commerciale, je reconnais que la législation de 1822 est avantageuse au
commerce. Mais il n’est pas possible de contester qu’elle ne soit
désavantageuse au trésor.
Le gouvernement, messieurs, et la chambre paraissent
disposés à demander au sucre une somme d’environ 4 millions ; il nous propose
de retenir 4/10 des prises en charge, et au moyen de ces 4/10, il nous promet 4
millions. Je vous ai déjà dit que pour que les prévisions du gouvernement
puissent se réaliser, il faudrait une introduction en Belgique et une mise en
fabriques de 25 millions de kilog. de sucre exotique.
Eh bien ! si j’ai recours à la statistique des années
précédentes, je ne trouve en moyenne, pendant 5 années, qu’une introduction de
20 millions de kilog. Faites bien attention, messieurs, à la rédaction de la
proposition du gouvernement, ce n’est pas 4 millions que le gouvernement promet
au trésor, c’est 4/10 des prises en charge. Or, si les mises en fabrication de
sucre exotique n’excédaient pas 20 millions, il en résulterait que les 4/10, au
lieu de produire 4 millions, ne produiraient que 3,200,000
fr.
Ainsi il faut de toute nécessité 25 millions de kil.
en fabrication pour que vous obteniez 4 millions ; et
pour obtenir ces 4 millions, vous devez grever de 6 millions la consommation
intérieure ; car si 40 millions exportés enlèvent 8 millions, il en résultera
que 15 millions qui resteraient en consommation frapperont le consommateur
d’une taxe de 6 millions.
Ainsi, avec la proposition du gouvernement, nous
obtiendrons, il est vrai, 4 millions, mais à la condition de donner 2 millions
en primes. Ce n’est pas tout, messieurs ; avec cette proposition nous recevons
bien 4 millions, mais c’est encore à charge d’indemniser les producteurs du
sucre de betterave. A combien s’élèvera le chiffre des indemnités que vous
pourrez être obligé d’accorder ? Telle est la question que je vous prie de
peser attentivement, avant d’adopter une proposition qui aurait pour résultat
la suppression du sucre indigène. Il pourrait bien se faire, messieurs, qu’au
lieu de recevoir les millions que l’on nous promet, nous aurions à chercher
ailleurs pour payer les indemnités.
La proposition de la section centrale est, aux yeux
des défenseurs du sucre exotique, la destruction de l’exportation. Cependant si
je lis attentivement les calculs auxquels la section centrale s’est livrée, et
ici j’appelle toute l’attention, surtout de l’honorable rapporteur de la
section centrale, la section centrale croit si peu supprimer l’exportation,
qu’elle ne compte que sur un revenu du dixième. Elle suppose donc que tout ce
qui sera porté au crédit du trésor (fictivement bien entendu) disparaîtra par
suite des restitutions à faire sur les produits qui sont exportés, puisqu’elle
ne porte en recette que le dixième réservé. C’est un calcul que je trouve à la
page 69.
M. Cogels. - C’est une hypothèse.
M. Demonceau. - C’est possible ; mais il n’en est pas moins vrai que la section
centrale, malgré la hausse du rendement et en faisant application de ses
théories et les résumant en chiffres, trouve que le trésor peut encore être
dépouillé du chiffre de 50 fr. qu’elle propose, sauf la réserve du dixième. Les
calculs de la section centrale sont, du reste, aussi hypothétiques que ceux du
gouvernement.
Avec la proposition de la section centrale,
messieurs, vous avez à charge du contribuable un impôt de 50 fr. grevant le sucre
exotique, et un impôt de vingt-cinq francs grevant le sucre indigène. Je vous
ai dit dans une précédente séance, que je croyais chose possible de concilier
les intérêts du trésor, et de maintenir les deux industries. Il m’a été
répondu, messieurs, que je poursuivais la solution d’un problème insoluble, une
chimère même. Je vais m’en expliquer de nouveau.
Vous voulez avoir, dites-vous, 4 millions du sucre.
Voici comment je m’y prendrais, si j’étais appelé à faite une proposition
définitive :
La consommation intérieure est, de l’aveu de tout le
monde, estimée à 15 millions. Dans cette consommation le sucre exotique,
jusqu’à ce jour, a fourni deux tiers et le sucre indigène, l’autre tiers ; Eh
bien, je ne demanderais, pour avoir quatre millions pour le trésor, que les
droits que voici : je demanderais au sucre exotique 35 fr. par 100 kil. à l’entrée ; et si l’on introduit en Belgique seulement 10
millions de kil. de sucre exotique pour fournir à la consommation, nous aurions
de ce chef, 3,500,000 fr. Si vous supposez ensuite que
le sucre indigène continue à livrer à la consommation 5 millions de kil., avec un droit de consommation de 15 fr. par 100 kil. ;
le trésor obtiendrait en second lieu 750,000 fr., additionnez, et vous
arriverez à 4,250,000 fr. de revenus.
Je demanderais donc à la consommation moins que la
section centrale, moins que le gouvernement ; j’obtiendrais pour le trésor
davantage et le consommateur paierait moins.
Comment se fait-il alors que cette proposition ne
rencontre ni l’assentiment des défenseurs du sucre exotique, ni l’assentiment
des défenseurs du sucre de betterave ? C’est que probablement je ne protège pas
assez efficacement l’une et l’autre industrie. Ainsi, le sucre exotique me dira
: vous m’enlevez mes primes d’exportation, puisqu’alors elle n’est plus
possible. Le sucre indigène, de son côté, va probablement me dire : la section
centrale me donne une protection bien plus forte que vous ; vous ne me donnez
que 20 sur 35, tandis que la section centrale me donne 25 sur 50. Eh bien ! voici comment je vois établie entre les deux industries une
égalité aussi approximative que possible.
Vous nous avez dit, pendant la discussion, d’abord,
que le sucre brut exotique pouvait coûter environ 60 francs. Si vous y ajoutez
35 francs de droits, vous arrivez à un prix de revient de 95 fr.
Vous nous avez dit ensuite que le sucre indigène
avait pour prix de revient, environ 80 francs, d’autres ont dit 75 francs. J’ai
ajouté 15 francs et vous voyez que les deux industries sont à peu près
égalisées.
Je les laisse l’une et l’autre concourir pour la
consommation intérieure. Celle qui aura les produits les plus avantageux pourra
peut-être renverser l’autre ; mais enfin, je ne compromets ni l’une ni l’autre
en ce qui concerne le marché intérieur.
« Mais l’exportation du sucre exotique,
dira-t-on, ne sera plus possible, » et pourquoi ? Parce qu’il n’y aura
plus de prime. L’honorable M. Rogier a comparé l’industrie du sucre avec celle
des distilleries d’eau-de-vie indigène ; eh bien, je donnerai au sucre une restitution
semblable à celle que nous accordons au genièvre. Si vous voulez continuer à
exporter du sucre, établissez le rendement comme il est établi pour les
eaux-de-vie indigènes, qu’il ne soit qu’une restitution sans prime, j’y consens
volontiers. Voulez-vous un système conforme à celui que je crois être le seul
existant aujourd’hui en Angleterre ; voulez-vous que les raffineries ne
travaillent que pour l’exportation sous la surveillance spéciale de
l’administration ; eh bien, j’y consentirai encore. J’irai même plus loin, si
pour continuer l’exportation, il vous faut une prime, je me déciderai peut-être
à vous en accorder une. Mais ne confondons pas l’exportation avec la
consommation.
Je vois les défenseurs du sucre exotique se plaindre
que l’on veuille détruire cette industrie. Mais, messieurs, si la raffinerie du
sucre exotique était condamnée à se contenter du marché intérieur, les
importations qu’elle a faites jusqu’à présent ne seraient diminuées au maximum
que de moitié, et s’il est vrai, comme le disent les raffineurs, qu’ils n’ont
rien gagné par la prime, et je vous avoue, messieurs, que je suis convaincu
qu’ils ne font que des bénéfices très ordinaires, puisque la prime que nous
accordons est compensée par les droits que le sucre exporté paie à l’étranger.
Je sais bien que les industriels dont il s’agit ne mettent pas la prime dans
leurs poches, mais ce que je sais encore mieux, c’est que trésor ne reçoit
rien.
Nos honorables collègues qui ont défendu l’industrie
du sucre exotique, ont eu raison de dire que nous ne comprenons pas les
mystères de la loi de 1822. Oh ! je le confesse
sincèrement, il m’est impossible de comprendre ni d’expliquer les mystères et
les secrets de la législation de 1822. C’est un système tellement bien combiner
pour ruiner le trésor, que je défie le plus adroit de constater exactement quel
peut être le chiffre de la prime qui peut en résulter pour les exportateurs.
Je reconnais donc avec l’honorable M. Rogier que le
commerce hollandais profite de la législation de 1822, mais je dis en même
temps que le trésor hollandais se ruine ; d’ailleurs, il y a une grande
différence entre
Entend-on que les deux industries soient maintenues
; et si cette question est résolue affirmativement, je poserai la suivante :
Maintiendra-t-on la législation
de 1822 ? Si la chambre décidait ces deux questions dans le sens dans lequel il
me semble qu’elles doivent être résolues, alors je pourrais faire des
propositions d’application que je crois inutile de présenter maintenant. Je me
borne donc à appeler l’attention de mes honorables collègues sur les calculs
que je viens de leur soumettre.
M. Rogier. - Messieurs, la discussion générale dure depuis plus de 8 jours ; je
crois que des deux côtés de la chambre, on doit désirer d’en venir aux articles.
S’il était entendu qu’à propos des articles, on pourra encore rentrer jusqu’à
un certain point dans la discussion générale pour répondre aux orateurs dont on
désire réfuter les objections ; si cela était entendu, je demanderais que l’on
passât maintenant à la discussion des articles ou des questions de principe qui
ont été posées. Dans tous les cas, je demanderai que mon tour de parole me soit
conservé.
M. Mercier,
rapporteur. - Jusqu’à présent, messieurs, ce sont
des principes que l’on a discutés ; or, si l’on veut encore discuter des
principes à propos des articles, autant vaut continuer la discussion générale.
Je pense que lorsque la discussion générale sera close les questions de
principe devront être mises aux voix.
M. Verhaegen. - Je ne verrais pas d’inconvénient à clore la discussion générale, mais
il y a cette circonstance, toute spéciale que beaucoup de membres qui avaient
demandé qu’il n’y eût pas séance aujourd’hui, ne sont pas présents parce qu’ils
ne s’attendaient pas à ce que l’on votât aujourd’hui.
M. Cogels. - Messieurs, je crois qu’il n’y aurait aucun inconvénient à passer à la
discussion des articles ; seulement il faudrait commencer par l’art. 37. Nécessairement
dans la discussion de cet article, la plupart des considérations qui ont déjà
été présentées, seront reproduites ; ainsi sur la question de savoir si les
deux sucres seront soumis à un droit uniforme, sur la question de la
coexistence on reproduira inévitablement les arguments que l’on a déjà fait
valoir relativement à la préférence, que l’on doit accorder à l’un ou l’autre
sucre, relativement aux conditions dans lesquelles chacun des deux sucres doit
se trouver par rapport à l’autre dans le cas où l’on voudrait assurer la
coexistence.
Si maintenant on discute des
questions de principes, il y aura trois discussions générales, car dans
l’examen de ces questions de principes on reviendra nécessairement sur le
terrain que je viens d’indiquer, et l’on y reviendra de nouveau dans la
discussion des articles. Depuis que l’honorable M. de
M. Rodenbach. - Je
crois, messieurs, que nous avons commencé à discuter la loi samedi huit jours ;
nous sommes aujourd’hui lundi, voilà donc le 8ème jour que nous nous occupons
de cette discussion. Je pense qu’il n’y a aucun inconvénient à passer
aujourd’hui à la discussion des articles. Toutes les fois qu’une discussion
générale a duré 8, 10, 12 jours, on est toujours revenu sur cette discussion
générale à propos des articles. Il est impossible qu’il en soit autrement dans
une loi comme celle dont nous nous occupons, et je suis convaincu que si la
discussion générale durait encore pendant 4 jours, on n’en reproduirait pas
moins, à propos des articles, la plupart des considérations que l’on a déjà
fait valoir. Je pense donc que l’on ferait bien de clore la discussion générale.
M. de Garcia. - J’ai demandé la parole, messieurs, pour appuyer la proposition de
clôture faite par l’honorable M. Rogier. Je crois que cette clôture aurait un
double avantage. L’on gagnerait du temps et l’on mettrait de l’ordre dans la
discussion. Je pense qu’à l’occasion des articles ou des questions de principe
que l’on pourra poser, il sera impossible de ne pas rentrer dans la discussion
générale. Comment pourrait-on aborder, soit les principes consacrés par le
projet, soit les principes nouveaux que l’on pourra présenter, sans envisager
ces questions au point de vue générale, au point de vue de leurs
conséquences ? Evidemment, et l’on doit en convenir, la chose ne pourra se
faire exactement.
Si l’on fermait la discussion
générale, il y aurait ce grand avantage, je le répète, que la chambre
discuterait point par point, et il y aurait dès lors de l’ordre dans la
discussion. Au double point de vue de gagnez du temps et de mettre de l’ordre
dans les débats, loin de voir des inconvénients à la clôture d’une discussion
générale qui a déjà été fort longue, je pense que cette clôture aura le grand
avantage de nous conduire à l’élucidation des graves questions dont nous sommes
saisis.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, un grand nombre d’orateurs qui out parlé dans cette
discussion, ont prétendu que j’étais tombé dans des exagérations. Je désire me
disculper de ce reproche. Je crois être à même de démontrer à l’évidence que,
loin d’avoir exagéré, je suis resté en dessous de la réalité ; je le
démontrerai en m’appuyant sur des faits que l’ai puisés dans les documents même
du gouvernement. On a avancé beaucoup de faits inexacts que je désire
rectifier. Laisser ces faits sans répliquer, ce serait entrainer à des erreurs.
On a avancé, par exemple, que les navires destinés à l’importation du sucre
exotique, ne sortaient pas de nos ports sur lest ; eh bien, je pourrai prouver
le contraire. On vous a encore dit qu’il fallait absolument amener du sucre de
l’étranger, pour pouvoir y envoyer les produits nationaux ; je suis encore en
mesure de démontrer la parfaite inexactitude de ce fait. Je prouverai qu’on
exporte aux lieux de provenance seulement pour une valeur de 3 millions, tandis
qu’on importe du sucre exotique pour 21 millions.
Toutefois, s’il est entendu qu’on
peut rentrer dans la discussion générale lors de la discussion des articles, je
consentirai à ce qu’on ferme la discussion générale.
M. Mercier, rapporteur. - Je crois que la discussion est en quelque sorte sans objet ; car,
qu’avons-nous discuté depuis le commencement de la discussion générale ? On
nous a présenté un projet de suppression du sucre indigène ; eh bien la
discussion a roulé presqu’exclusivement sur cet objet ; à cette question, se
rattache celle de la coexistence. Or, tout ce qu’on a dit jusqu’ici pourra se
reproduire et se reproduira sans doute à l’occasion de la discussion de l’art.
37 ; ce sera donc une discussion générale qui recommencera, ou plutôt, qui
continuera.
M. de Theux. - Messieurs, je ne vois aucun inconvénient à ce que l’on prononce la
clôture de la discussion générale, parce qu’il y a vraiment quelque confusion
dans la discussion. On discute simultanément deux principes 1° Y aura-t-il
égalité de droit ? 2° Quel sera le rendement ? Je pense qu’il faut discuter ces
deux questions séparément. Je ne voudrais pas qu’on mît aux voix, comme le
propose l’honorable M. Cogels, l’art. 37 du projet du gouvernement ; selon moi,
il faut d’abord se prononcer sur la question de principe renfermé dans cet
article : Y aura-t-il égalité de droit ?
Il serait bien entendu que ceux qui votent pour
l’égalité de droit, votent pour la suppression du sucre indigène, et que ceux
qui votent pour un droit inégal, veulent la coexistence des deux industries. Le
gouvernement et tous les orateurs qui ont soutenu ses propositions, ont avoué
qu’à l’aide de l’égalité du droit, ils voulaient la suppression du sucre de
betterave ; ceux qui, au contraire, ont combattu ces propositions, ont protesté
qu’ils voulaient la coexistence des deux industries.
Je crois qu’il est nécessaire de
voter avant tout sur cette question de principe ; car, si la chambre résout
négativement la question de l’égalité de droit, c’est-à-dire, si elle veut
encore la conservation du sucre indigène, alors chaque membre de la chambre
sera admis à présenter des dispositions pour mettre ce système eu pratique.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Je ne vois aussi aucun inconvénient à
clore la discussion générale, je crois même qu’il serait utile d’ordonner cette
clôture, parce qu’alors les différents membres qui veulent prendre part au vote
de la loi, ne manqueront pas d’arriver à la chambre.
Toutefois, messieurs, il doit être bien entendu
qu’on pourra, à l’occasion de l’art. 37, développer toutes les considérations
qu’on a fait valoir pour ou contre le système du gouvernement.
Il doit encore être entendu qu’en
fermant la discussion, on n’ira pas maintenant aux voix sur les propositions
renfermées dans l’art. 37. (On est
d’accord.) Cet article contenant le principe de la loi, la disposition
absolue de la loi, il est inutile de procéder par des questions de principe.
M. le président. - Plus de dix membres ayant demandé la clôture, je vais la mettre aux
voix.
M. de La Coste. - Je demande la parole sur la clôture.
Je m’étais fait inscrire pour parler encore dans la
discussion générale ; mon but principal était de démontrer que ce qu’on
appelait l’égalité du droit, n’était pas une égalité de droit, mais une
inégalité. L’observation que je fais a trait aux questions que j’ai posées.
Dans mon opinion, il n’y a pas de véritable égalité.
M. le président. - C’est le fond.
M. de La Coste. - Je dirai en deux mots que le but de mon observation est de demander la
priorité pour mes questions.
M. le président. - Il ne s’agit pas encore de se prononcer sur la priorité, il s’agit
simplement de la clôture de la discussion générale ; c’est après qu’elle aura
prononcé la clôture, que la chambre statuera sur la priorité des questions.
M. de La Coste. - Alors je n’ai rien à dire.
- La clôture de la discussion générale est
prononcée.
M. le président. - La chambre doit se fixer d’abord sur la position des questions.
M. de Lacoste a demandé la priorité pour les
questions qu’il a posées et que tous les membres ont sous les yeux.
M. le ministre des finances a demandé qu’on mît
d’abord aux voix le principe contenu dans l’art. 37 du projet du gouvernement,
article ainsi conçu :
« Le droit d’accise est fixé à 40 francs par
100 kilog. sur le sucre brut de canne et de betterave.
»
M. de Theux a demandé qu’on mît d’abord aux voix cette question :
« Le droit sera-t-il le même sur le sucre de
canne et le sucre de betterave ?. »
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Messieurs, la première des questions
posées par l’honorable M. de
« Y aura-t-il un droit égal sur le sucre
indigène et le sucre exotique ? »
Or, cette question, comme je l’ai
déjà dit, est renfermée dans l’art. 37 du projet du gouvernement. Si la chambre
adopte cet article, l’égalité des conditions est admise par les deux industries
; si elle rejette l’article, le principe d’un droit différentiel est posé.
(Moniteur
belge n°60, du 1er mars 1843) M. de La Coste. - Je demanderai à expliquer brièvement les motifs qui pourraient engager
la chambre à donner la priorité aux questions que j’ai présentées. Je serai
obligé de restreindre à peu de paroles les développements dans lesquels
j’aurais désiré entrer. Je ne pense point avec un honorable membre qui a porté
la parole dans une précédente séance, que chacun ne reçoit, dans ces
discussions, d’autres impressions que celles qu’il y a apportées, que chacun
conserve son opinion sans aucune modification. A la vérité mon avis est
toujours que la seule solution possible de la question, consiste à concilier
les exigences du trésor avec le maintien des deux industries ; mon opinion à
cet égard est restée la même ; mais sur plusieurs autres points, j’ai beaucoup
appris et différentes questions qui ont été agitées me paraissent maintenant
pouvoir être résolues avec une précision, je pourrais dire presque
mathématique.
C’est ainsi qu’il me paraît évident l’égalité de
droit sur le sucre indigène et sur le sucre exotique, ne peut exister qu’autant
qu’il n’y ait pas de restitution, ou du moins que le rendement soit réel à ce
point qu’il n’y ait aucun excédant indemne à la disposition du raffineur.
Partant de ce principe, je pense qu’il est impossible de fixer la quotité des
droits avant d’avoir décide quelques questions préalables. On peut néanmoins se
prononcer sur la question d’égalité de droit qui est indépendante de leur
quotité et qui entraîné des conséquences sur lesquelles M. le comte de Theux a
appelé l’attention de la chambre. Comme, ainsi qu’il vient d’être dit, il n’y a
pas d’égalité réelle sans un rendement effectif, la question d’égalité nous
conduit à celle de la suppression de la restitution ; on en viendrait ainsi au
plan que M. Rogier a indiqué et que je qualifierai d’ultra-fiscal, où d’un côté
on établit l’égalité de droit et de l’autre on refuse la restitution ; ce
système procurerait au trésor six millions, mais il mettrait le commerce
maritime dans une position bien plus défavorable que les propositions de la
section centrale.
M. Rogier. - Je n’ai pas proposé ce système.
M. de La Coste. - Je suis loin de croire que l’honorable membre l’ait proposé
sérieusement, Si j’ai dit que je combattrais, c’est que ce plan a été jeté dans
la discussion et l’embarrasse, c’est que l’égalité de droits y conduit.
L’honorable député d’Anvers a jeté une sorte de défi aux défenseurs du sucre
indigène, d’accepter ce plan si favorable au trésor. Vous le voyez pourtant ;
il n’aurait pas ramassé le gant lui-même si ses adversaires avaient fait la
proposition qu’il a indiquée.
Lors donc qu’il vous parle de six millions de
produits, il ne s’agit pas de véritables six millions à faire entrer au trésor,
de six millions en chair et en os ; ce n’est qu’une fantasmagorie de millions,
qu’on fait passer devant nous. Je voudrais que cette fantasmagorie fût mise de
côté. Voilà ce qui arriverait si la chambre décidait sur la première question
qu’il n’y a pas de droit égal, et sur la seconde qu’il continuera à y avoir
décharge proportionnelle. Si la chambre répond négativement sur la première
question, c’est-à-dire, qu’il n’y aura pas de droit égal, et affirmativement
sur la seconde ; nous sommes en pleine voie de conciliation. Nous avons écarté
les questions irritantes qui conduisent à la destruction de l’une ou de l’autre
industrie. Car, si vous établissez un droit égal, il n’y aurait plus de
production indigène, de même que s’il n’y avait plus de restitution, il n’y
aurait plus de commerce de sucre.
Nous aurons ensuite à nous prononcer sur le
rendement et la retenue sur les primes en charge. La question de fixation du
droit peut être décidée qu’après ces questions ; il faut savoir fixer d’abord
les conditions qui rendront ce droit plus ou moins nominal. Ce n’est pas la
même chose qu’un droit perçu intégralement et un droit dont le trésor ne
perçoit qu’une partie, il faut donc savoir jusqu’à quel point le droit que l’on
établira sera effectif.
Pour comprendre ceci, il suffit de s’en rapporter
aux explications données par l’honorable M. Rogier, sur le système qu’il
recommande. Il dit : il y aura un droit égal de 40 fr. sur 15 millions de
consommation supposée ; ces 40 fr. devraient produire 6 millions mais comme il
y a 5 millions indemnes, le produit ne sera plus que de 4 millions. Mais alors
le droit de 40 fr. n’est plus 40 fr. Le trésor n’en reçoit que les deux tiers ;
un tiers reste entre les mains du raffineur, qui en fait ce qu’il veut, qui le
demande au consommateur à son profit ou ne le demande pas, suivant que son
intérêt l’exige. Ce n’est donc qu’un droit des 2/3 de 40 fr., c’est à dire de
26 fr. 67 c. Nous ne savons donc pas, jusqu’à ce que le rendement et la retenue
soient déterminés, si le droit sera un droit effectif ou des deux tiers, de
moitié, du tiers même de son taux nominal.
En résumé, nous devons donc décider d’abord cette
question : Y aura-t-il égalité de droit ? et ensuite
celle-ci : Y aura-t-il oui ou non une restitution de droit ? Si ces deux
questions sont décidées, comme je le désire, ces questions qui conduisent à la
destruction de l’une ou l’autre industrie, étant écartées, la discussion se
simplifie ; mais il faut alors savoir si le droit sera plus ou moins nominal,
décider par conséquent la question de rendement, qui rend le droit effectif ou
nominal et celle de la retenue sur les prises en charge qui exerce aussi, à cet
égard, une influence. Il faut voir si nous maintiendrons ou si nous élèverons
le rendement, si nous voulons maintenir la retenue au dixième ou l’augmenter ;
c’est par la combinaison du rendement et de la retenue qu’on peut calculer le
droit réel. On ne peut donc fixer le droit et le rapport entre les deux sucres
que quand nous saurons à quoi ce droit revient réellement.
Armés de ces principes, nous verrons si nous devons
fixer le droit à 50 francs, pour le sucre exotique, et à 25 francs pour le sucre
indigène ou toute autre proportion, parce que ce que nous ferons sera une
réalité ; nous pourrons calculer à combien reviendra le droit fixé. Du montent
que nous accordons une restitution du droit sur le sucre exotique, le droit
sera toujours en partie nominal. Il le sera plus ou moins en raison inverse du
rendement et de la retenue.
Voilà les motifs pour lesquels je
demande qu’on accorde la préférence aux questions que j’ai posées.
(Moniteur
belge n°59, du 28 février 1843) M. de
Theux. - Je ne conteste en aucune manière l’utilité des
questions posées par l’honorable M. de
M. le ministre des
finances (M. Smits) - Je ne conçois la position de
questions de principes que quand la loi ne les pose pas elle-même. Mais le
projet de loi les ayant posées, ici, il me semblait plus rationnel de voter sur
les dispositions de ce projet. Quoi qu’il en soit, je ne vois aucune différence
entre la question posée par l’honorable M. de
M. Dumortier. - Il me paraissait qu’il fallait simplifier la question, et c’était la
poser sur son véritable terrain que de demander si on voulait oui ou non
continuer le système qui nous régit. Ce système, nous avons eu occasion d’en
reconnaître tous les vices. Non seulement le trésor public s’épuise, mais nous
ne savons ce qu’on lui prend.
M. Rogier. - On ne lui prend rien !
M. Dumortier. - Mais on ne lui donne rien, et cependant
Vous le voyez donc, voilà, à mon avis, le système
dans lequel nous devons d’abord verser.
Je propose donc à la chambre l’article suivant :
1°. Le droit sur les sucres, soit indigènes, soit
exotiques, est acquis au trésor, au moment de la mise en consommation.
La restitution de sortie est supprimée.
2° Pour faciliter la raffinerie des sucres exotiques
destinés à l’exportation, je propose :
Soit la faculté de raffiner en entrepôt fictif pour
l’exportation.
Soit une prime qui ne pourra excéder deux millions
de francs.
Quand j’ai parlé de raffinage dans l’entrepôt
fictif, j’ai entendu M. le ministre des finances s’exclamer. J’en suis vraiment
surpris. Je lui ferai remarquer qu’il ne s’agit nullement de l’entrepôt réel.
Le raffinage dans l’entrepôt réel se fait en Angleterre. Je crois que c’est
très sérieux.
Dans l’alternative que j’ai posée, je propose, en
second lieu, d’accorder une prime de sortie qui, dans aucun cas, n’excédera
deux millions par an. Trouverez-vous que deux millions est un chiffre élevé ?
Mais je vous prie de remarquer qu’avec ce système, nous obtiendrons au moins
six millions par an ; en voici la preuve.
La consommation du sucre dans ce pays, on en
convient maintenant, est de 15 millions de kil, au moins par année. Dix
millions sont fournis par le sucre exotique, 5 millions sont fournis par le
sucre indigène.
Je veux maintenant admettre la base proposée par la
section centrale, c’est-à-dire de 50 fr. sur le sucre exotique et 25 fr. sur le
sucre indigène.
Dix millions de kilog. de sucre exotique, frappés
d’un droit de 50 fr., rapporteront 5,000,000 fr.
Cinq millions de kilog. de sucre indigène, frappés
d’un droit de 25 fr., rapporteront 1,250,000 fr.
Total, 6,250,000 fr.
Voilà le revenu assuré au trésor.
Quant à l’exportation, pour qu’elle ait lieu, il
faut nécessairement qu’on introduise dans le pays plus de sucre qu’il n’en
consomme ; car ce qui se consomme, se consommera. Le droit sera perçu, sur tous
les sucres qui sont introduits dans le pays. La restitution des droits,
laquelle ne pourra excéder deux millions de francs, aura lieu sur les sucres
exportés ; d’après des données que vous fixerez. Voilà une donnée assurée qui
repose sur le sentiment de la plus rigoureuse justice ; car il n’est pas juste
que
Il en est qui désirent que le
sucre indigène paye au-delà de la moitié du droit du sucre exotique. Je
n’examinerai pas cette question ; mais je dirai que, s’il en est ainsi, le
revenu du trésor ne sera que plus considérable.
M. de La Coste. - Le système de l’honorable M. Dumortier se réduit à demander que la
chambre donne la priorité à la seconde de mes questions sur la première. Comme
cet honorable membre désire probablement que sa proposition
soit adoptée, je lui demanderai de vouloir bien réfléchir s’il ne serait pas
plus convenable d’attendre qu’on ait statué sur la première question, parce
que, dans mon opinion, l’adoption de la proposition de M. Dumortier sera la
conséquence de l’égalité des droits. En effet, la chambre ne voudrait pas que
l’on insérât dans la loi une chose contraire à la vérité, si elle veut
l’égalité réelle. Ainsi, si l’égalité des droits est votée, je me joindrai à la
proposition de l’honorable M. Dumortier. Je demande donc que l’on résolve
d’abord la question relative à l’égalité des droits et que l’on statue ensuite
sur la proposition de l’honorable M. Dumortier, qui est ma seconde question.
M. Dumortier. - Je ne m’y oppose pas.
M. de
Theux. - Dans ce cas, je pense qu’il est inutile d’insister.
Je voulais aussi faire observer que la question posée par l’honorable M.
Dumortier ne tranche pas celle de la suppression du sucre indigène que propose
le gouvernement. Il faut, avant tout, se fixer sur ce point : Y aura-t-il
égalité les droits ?
M. Rodenbach. - Je
crois que, pour avancer la discussion, il faut, comme le proposent les
honorables préopinants, examiner d’abord la question de l’égalité des droits.
C’est la question de principe ; elle domine toute la loi, ou plutôt c’est la
loi même. Je demande que cette question soit mise en premier lieu en
discussion. On s’occupera ensuite de la question posée par l’honorable M.
Dumortier.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Je ne m’oppose pas à ce que la
proposition de l’honorable M de
- La chambre consultée décide que la question
suivante posée par M. de
(Moniteur
belge n°60, du 1er mars 1843) M. de Mérode. - Après une assez longue et très intéressante discussion sur l’objet
grave qui nous occupe, je n’ai que peu de chose à vous dire.
De tout ce que j’ai entendu, il résulte, d’une part,
que l’importation et l’exportation du sucre exotique n’ont pas une importance
aussi considérable que celle qu’on leur attribue à l’égard du placement de nos
produits au dehors. M. l’abbé de Foere s’est exprimé sur ce point avec
franchise, et M. Mercier ne peut trouver chez ce défenseur du sucre exotique
aucune exagération. Notre collègue, M. Rogier, a aussi prouvé par des chiffres,
dont l’exactitude n’a pas été contestée, que si l’on admettait le projet
présenté par M. le ministre des finances, le trésor percevrait quatre millions
et que la prime réelle accordée au mouvement commercial de nos ports et de
l’industrie du raffinage, se bornerait à un million. C’est là, messieurs, une
grande amélioration sur l’état de choses actuel. Je considère, sans doute, la
bonne gestion de nos finances comme le premier de nos intérêts. Le trésor
public pourrait, en paralysant le commerce du sucre, percevoir un million de plus
; mais alors on sacrifierait en même temps, et l’exploitation du sucre indigène
incompatible avec une recette aussi élevée, et une partie du mouvement
commercial maritime avec le raffinage. Je ne suis pas aussi exigeant.
Quant au sucre de betterave, c’est, malgré tout ce
qu’on a dit en sa faveur, une industrie sans avenir pour un pays comme
Qu’en Russie, en Pologne, en Hongrie, on puisse
tirer quelqu’avantage un peu notable de l’extraction
du sucre de betterave, c’est possible. En Belgique, elle n’offrira jamais qu’un
produit payé trop cher.
En supposant qu’on ne perde, en cultivant la
betterave destinée au sucres que la récolte du trèfle blanc, dit coucou, des navets et de l’avoine,
toujours est-il vrai que le sucre de betterave plus mauvais, est de cinquante
pour cent plus cher que le sucre de canne véritable, plante à sucre fournie par
la nature et infiniment supérieure à toutes les autres.
On nous dit que les diverses industries indigènes
ont droit à une protection, et je suis entièrement de cet avis lorsque les
produits indigènes se trouvent réellement en position de concourir avec
l’étranger sans droits protecteurs exorbitants.
Or, supposez qu’on fasse payer au sucre de canne un
droit d’entrée de vingt pour cent de la valeur dont on affranchirait le sucre
de betterave ; qu’on ajoute à ce droit d’entrée de vingt pour cent un droit
d’accise de trente francs par 100 kil. pesant sur les
deux sucres, le sucre de betterave, ainsi protégé par un droit de douane de 20
p. c. de la valeur du sucre de canne, ne pourrait plus vivre. C’est donc une
fâcheuse industrie, et certes, on ne lui a jamais promis de plus grands
avantages. Elle a été mainte fois avertie, et dès son introduction en Belgique,
que l’Etat ne pouvait longtemps lui sacrifier ses revenus. Je l’ai proclamé
pour mon compte à plusieurs reprises. Je ne pourrais donc m’associer à la
proposition d’indemniser des fabricants, qui ont fait une tentative mal conçue
déjà préjudiciable au trésor d’une recette de deux ou trois millions, vu que je
concourrais à établir un principe très dangereux. Lors de la création des
chemins de fer on a ruiné toutes les auberges du roulage des grandes routes
pavées latérales ; nulle indemnité n’a été donnée à leurs propriétaires. Le
gouvernement a refusé l’indemnité des marchands de vin, et je pense qu’il a eu
raison ; comment donc irais-je indemniser les spéculateurs sur la betterave,
qui ont déjà enlevé, par une tolérance mal entendue, une part notable des
recettes de l’Etat ?
Si l’on parvenait à fabriquer à grands frais du café
avec des haricots traités par des procédés chimiques, on n’imposerait
probablement pas ce café factice dès son apparition, mais s’il venait à prendre
une part considérable du revenu public, on ne supporterait pas indéfiniment
cette perte, et si ce café ne pouvait vivre avec une protection de 20 p. c. sur
la valeur du café des colonies, on le laisserait mourir sans indemnité.
D’ailleurs, qui indemniserait-on ? Les spéculateurs qui se sont trompés, les compagnies
dont les actionnaires ont généralement d’autres ressources ! on ne pourrait
rien donner aux ouvriers ou bien on creuserait un gouffre pour le trésor de
l’Etat, et quoi qu’en ait dit un des défenseurs les plus zélés du commerce du
sucre, l’honorable M. Delehaye, qui postpose entièrement les finances publiques
aux bénéfices commerciaux des négociants, je ne cesserai de croire que sans
équilibre des recettes et des dépenses du gouvernement, il n’y a aucune
prospérité solide, il n’y a qu’inévitable malaise à attendre pour un pays.
On parle souvent des embarras très particuliers de
l’Angleterre, de la misère qui règne plus que partout ailleurs dans le puissant
et brillant royaume uni de
(Moniteur
belge n°59, du 28 février 1843) M. Pirmez. - Dans la discussion qui vient d’avoir lieu, on a comparé la protection
donnée aux raffineries de sucre à celles données aux autres industries. Quelles
que soient nos différentes idées sur la protection à donner aux industries, je
crois devoir faire remarquer que le sucre ne doit être mis en comparaison avec
aucune autre des industries qui sont protégées. Le sucre, dans ses rapports
avec le fisc, est hors de proportion avec tout autre produit. Si vous voulez
remarquer notre position, vous verrez que
Il arrive que le sucre, par une exception particulière,
n’est nullement impopulaire. Vous pouvez imposer le
sucre tant que vous voulez, sans qu’on se plaigne de votre détermination.
Ainsi, messieurs, dans la situation de
Messieurs, j’ai suivi avec attention la discussion
qui a eu lieu, et je suis convaincu que vous ne sortirez jamais de cette
question qu’en supprimant les sucreries indigènes, et je me hâte de le dire,
moyennant indemnité. Par indemnité, j’entends que la chambre ou le gouvernement
appréciera en masse la somme que l’on présume donner aux industriels qui
s’occupent de la fabrication du sucre de betterave, et qu’il s’en fera alors
une répartition.
Je ne reconnais pas certainement aux sucreries de
betteraves, pas plus qu’aux autres industries, le droit de réclamer, une
indemnité, mais je dis que, dans ces circonstances toutes particulières,
surtout si vous envisagez les avantages qu’obtiendrait le fisc, vous pourriez
faire une exception. Car, si vous considérez combien vous vous réservez, vous
pouvez ne pas regarder les sucreries de betterave comme toutes les autres
industries que vos lois protègent, et qui ne sont pas considérées sous le
rapport fiscal.
Je n’entends pas non plus que vous ordonniez la
suppression du sucre de betterave, mais que vous le soumettiez à un droit égal
à celui établi sur le sucre exotique ; et par là je crois que la suppression
aurait lieu. S’il en était autrement, il serait libre aux sucreries de
betterave de continuer leurs travaux, sauf à ne pas recevoir indemnité.
Je me hâte de dire que je voudrais que l’on
supprimât toute prime à l’exportation ; je voudrais que le trésor conserve tout
ce que le sucre paie.
Quant à la faculté qu’aurait encore la betterave
d’exister, je crois que la discussion a démontré qu’à conditions égales, elles
ne pourraient plus vivre ; que cela ne lui serait possible qu’au moyen de
droits différentiels, et je crois que tous les partisans du sucre de betterave
doivent le reconnaître.
Je crois, quant à moi, que cette difficulté
d’exister deviendra toujours plus forte. Messieurs, les exploitations de
sucrerie exotique sont encore dans l’enfance. On a déjà fait remarquer qu’on
avait inventé des appareils qui facilitaient singulièrement l’extraction du
sucre de la canne. Si, en outre, vous considérez la masse immense de terres que
l’on obtient presque pour rien dans les pays d’outre-mer, et si vous les mettez
en comparaison avec notre pays où la propriété foncière renchérit tous les
jours, vous verrez qu’infailliblement le sucre de canne doit dominer.
Messieurs, d’après l’exposé que nous a présenté M.
le ministre, l’approvisionnement de
Messieurs, on ne va pas contre les lois de la nature
; si vous voulez les défendre, soyez persuadés qu’il y aura une forte réaction
et que dans très peu de temps, vous vous trouverez dans une position bien plus
embarrassante que celle où vous êtes aujourd’hui. Voyez, messieurs, dans quel
état se trouve la France à cause de ses sucreries indigènes. On a dit que la
France se trouvait dans cette situation à cause de telle ou telle combinaison
du législateur. Non, messieurs, la France se trouve comme nous dans la position
où elle est par légèreté, parce que quand les sucreries de betterave ont paru,
elle n’a pas imposé leurs produits à l’égal du sucre exotique.
Messieurs, il me paraît que c’est une étrange idée
que de vouloir établir deux impôts différents. Ainsi, messieurs, si la canne
prospérait, si, dans l’avenir, on en retirait plus facilement le sucre, on
devrait augmenter les charges qui pèsent sur elle, ou diminuer dans une même
proportion les charges qui pèsent sur la betterave. Mais ce serait aller contre
toute idée de progrès, ce serait donner des avantages à tout ce qui se fait
difficilement, et du désavantage à tout ce qui se fait facilement ; c’est là,
messieurs, un principe créateur de la pauvreté, de la misère. Car la richesse,
c’est obtenir les choses utiles avec facilité, et la misère, c’est les obtenir
avec peine, avec difficulté. La richesse et la misère ne sont pas autre chose.
Ainsi, messieurs, l’honorable ministre des finances
nous a dit qu’on pouvait faire du sucre avec du foin, avec des trèfles, avec
d’autres végétaux. Je crois bien qu’il n’arrivera jamais que l’on fasse du
sucre avec du foin ou des trèfles, mais si cela arrivait, la conséquence serait
que vous devriez avantager ce sucre en proportion de ce qu’il se fait
difficilement, ou désavantager les autres sucres à proportion de ce qu’ils se
feraient plus facilement. Et on est conduit à ce résultat, parce qu’on
s’attache souvent, à force de les entendre répéter, à certaines formules
économiques qui sont aussi banales qu’elles sont fausses, lorsqu’on ne les
explique pas. La plus répandue, par exemple, c’est celle qui dit qu’il faut
protéger le travail national. Je ne sais pas même si quelqu’un oserait dire
qu’il ne faut pas protéger le travail national ; je crois qu’il serait regardé
comme un utopiste, comme un mauvais citoyen. Il est bien certain, cependant,
que celui qui tenterait de faire du sucre avec du foin ou du trèfle, ferait un
travail national, et qu’il lui faudrait infiniment plus de travail national
pour tirer du sucre de ces végétaux, que pour en faire avec de la betterave, et
plus encore que pour en faire avec la canne.
Ainsi, messieurs, quand on parle du travail
national, il faut s’expliquer ; il ne faut pas confondre, comme on le fait
constamment, le travail avec ce que le travail produit ; ce n’est pas le
travail qui est un bien, au contraire, le travail lui-même est un mal ; mais
c’est le produit du travail qui est un bien ; ainsi, par exemple, pour se
procurer un pain, il vaut mieux être obligé de donner dix mille coups de pioche
que d’être obligé à en donner vingt mille.
L’honorable ministre des finances a fait cette
distinction ; il a dit qu’il ne faut encourager que le travail utile, mais il a
ajouté qu’il faut conserver une prime et même établir un droit différentiel
pour pratiquer la navigation nationale. Eh bien, messieurs, ce que je viens de
dire relativement au sucre de betterave s’applique également à la navigation.
Pourquoi la navigation plus chère, la navigation qui se fait avec plus de
difficulté, serait-elle plutôt un travail utile que la production pénible du
sucre de betterave ? Il n’y a, à cet égard, aucune distinction à faire : plus
vous devez vaincre de difficultés pour obtenir un résultat donné, plus vous
appauvrissez le pays, qu’il s’agisse de navigation ou qu’il s’agisse de sucre.
Je crois, messieurs, qu’il y a une très grande
exagération dans ce que l’on a dit pour prouver qu’une prime en faveur de la
navigation, aurait pour résultat de nous faire exporter une grande quantité de
nos produits. Je ne m’étendrai pas sur ce point, parce qu’il a déjà été traité
suffisamment.
L’honorable M. Mercier a dit qu’en Angleterre, dès que
le sucre de betteraves a paru, il a été imposé de droits assez élevés pour
qu’il n’eût aucun privilège. Je crois que dans cette circonstance l’Angleterre
a bien fait ; depuis elle a retiré ou diminué les primes au sucre exotique. Je
crois que nous devrions suivre cet exemple, c’est-à-dire que nous devrions
frapper d’un droit uniforme le sucre exotique et le sucre de betteraves, mais
en même temps supprimer la prime d’exportation ; de cette manière vous
porteriez le produit de l’impôt du sucre à 6 millions, et ce produit
augmenterait à mesure que la richesse sociale elle-même augmenterait. Et si
nous conservons la paix, la richesse sociale augmentera sans aucun doute. La
consommation du sucre croîtra dans la même proportion, et cette matière pourra
dès lors nous procurer des recettes très importantes.
Mais, messieurs, si vous imposez des charges au
consommateur, il est juste que ce soit au profit de tous et non pas au profit
de quelques-uns, ou plutôt au profit de mots qui n’ont souvent aucune
signification.
On a parlé de la guerre ; on a dit qu’il faut
prendre des mesures pour qu’en cas de guerre, lorsque les mers seraient
fermées, nous ne fussions pas prives de sucre. Mais, messieurs, la guerre est
un état entièrement anormal, c’est une éventualité dans la prévision de
laquelle on ne peut pas faire des lois contraires aux principes de l’économie
politique. Si nous agissions de la sorte, nous ressemblerions à celui qui se
mettrait dans l’eau de peur d’être mouillé par la pluie. (On rit).
L’honorable M. Rogier a proposé un amendement qui
tend à faire faire au trésor un sacrifice en faveur de l’agriculture. Mais,
messieurs, ce sacrifice réduirait nos ressources, et ce sont des ressources que
nous voulons créer. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il en résulterait des
avantages pour l’agriculture. L’agriculture est représentée par ceux qui
possèdent la terre et ceux qui la cultivent. Eh bien, le plus grand avantage
que vous puissiez procurer à ceux qui possèdent ou qui cultivent la terre,
c’est de ne faire que des dépenses productives, car, en dernière analyse, ce
sont toujours ceux qui possèdent ou qui cultivent la terre, qui paient les
déficits du trésor ; cela n’est pas fort apparent aussi longtemps que nous
avons du crédit, mais qu’une circonstance quelconque fasse disparaître votre
crédit, ce sera la terre que vous devrez frapper, et cela par une bonne raison,
c’est que la terre ne peut pas se cacher, tandis que la plupart des autres
richesses se cachent.
On a parlé de la balance commerciale, et, si j’ai
bonne mémoire, on a dit que, d’après les chiffres produits par M. le ministre des finances, la balance commerciale est en
notre défaveur de 40 millions annuellement. Eh bien, messieurs, je suppose pour
un moment que ces chiffres soient exacts, je suppose que, comme on le dit, nous
importions tous les ans pour 40 millions de plus que nous n’exportons. Mais si
nous ne considérons que cette opération, il est bien évident que nous nous
enrichissons tous les ans de 40 millions et que si, depuis douze ans, vous avez
importé annuellement 40 millions de plus que vous n’avez exporté, par cette
opération vous avez gagné 480 millions, à moins que l’on ne suppose que
(Moniteur
belge n°60, du 1er mars 1843) M. de La Coste. - Messieurs, au commencement du discours de l’honorable préopinant, il y
avait des signes d’approbation sur quelques bancs, mais cette approbation ne
s’est pas maintenue lorsqu’il a déclaré qu’en proposant l’égalité des droits,
il entendait aussi proposer la suppression de la restitution ; qu’il ne voulait
pas plus favoriser la navigation par des primes, que favoriser la culture de la
betterave par des droits protecteurs sur le sucre exotique ; en un mot qu’il
met absolument sur la même ligne et le foin dont il a parlé d’après M. le
ministre des finances et les flottes de tel autre orateur.
Du reste, le motif qu’il donne pour n’accorder
aucune protection à la fabrication du sucre indigène est bien défini, c’est
uniquement l’importance fiscale du sucre ; or, si la question se trouve placée
en dehors de cette importance fiscale, si, écartant le système que j’ai appelé
tantôt ultra-fiscale, nous nous bornons à demander au sucre 4 millions et que
nous puissions les trouver en conservant la protection, alors, l’observation de
l’honorable M. Pirmez tombe. Pour moi, je suis convaincu de la manière la plus
certaine que nous pouvons obtenir ces 4 millions en maintenant les deux
industries. Si l’on adoptait un compromis, si, au lieu d’une retenue de 4/10,
on se contentait d’une retenue de deux dixièmes et demi, ou de 25 p. c., comme
un honorable membre l’a indiqué, et si, d’un autre côté, l’on élevait le
rendement, non pas même au taux du rendement réel, non pas même au taux où la
section centrale propose de le porter, mais au taux du rendement hollandais et
en accordant même encore une légère faveur au sucre mélis, qui est seul du
véritable sucre raffiné ; si vous adoptez ensuite pour l’impôt les chiffres de
la section centrale, c’est-à-dire de 50 et de 25 francs, si vous adoptiez un
semblable système, je suis intimement convaincu que vous obtiendriez un revenu
de 4 millions tout aussi efficacement que dans l’autre système. L’importation
se maintiendrait à 20 ou 21 millions, vous conserveriez à la raffinerie son
activité actuelle, et vous porteriez même l’exportation de 10 millions, chiffre
auquel elle s’élève aujourd’hui, à 13 ou 14 millions.
Voilà, messieurs, le résultat que les chiffres m’ont
donné. Je ne fais aucune proposition à cet égard, je ne dis pas même que ces
chiffres que j’ai posés à la hâte soient à l’abri de toute objection ; ce n’est
qu’un exemple que je donne pour prouver que l’on peut obtenir les mêmes
résultats en conciliant qu’en prenant des mesures violentes, qu’en détruisant
une industrie nationale.
L’honorable préopinant a parlé du surcroît des
charges qu’un droit protecteur ferait peser sur ceux qui consomment le sucre.
C’est là une objection qui a été présentée par plusieurs orateurs ; on a dit
que le sucre indigène coûtant plus cher que le sucre exotique, il est moins en
état de soutenir la concurrence du sucre raffiné à l’étranger, qui
l’infiltrerait en Belgique. Eh bien, messieurs, cette objection n’est point
fondée. Elle serait fondée peut-être dans le système de l’honorable M. Pirmez
qui veut supprimer la restitution, mais elle n’est plus fondée dès que le sucre
indigène se trouve mis en regard du sucre exotique, surchargé de la prime qu’il
perçoit sur le consommateur. Le mot prime n’est pas ici, je l’avoue, tout à
fait exact ; et il a donné lieu à beaucoup d’équivoque.
Ainsi l’honorable M. Delehaye, dans une séance
précédente, a fait à la section centrale une objection qui n’était pas fondée.
Il a confondu ce que dans le commerce ou appelle prime avec la faveur que la
loi accorde au sucre exotique. Voici pourtant dans quel sens cette faveur peut
s’appeler prime : Je suppose que le rendement réel soit de 80 ou de 81 p.c., eh
bien, si alors vous accordez la décharge d’après le rendement fixé par la
législation actuelle, vous accordez 15 fr. environ de plus que si vous preniez
pour base de la restitution le rendement réel, et sous un certain rapport cela
peut s’appeler une prime, mais ce n’est pas une prime payée par le trésor ;
c’est une décharge du droit d’accise au moyen de laquelle la raffinerie garde
une partie de son sucre pour laquelle il ne paie aucun droit. Quand ce sucre
n’est en concurrence qu’avec du sucre qui a payé le droit, le raffineur peut vendre
le premier comme s’il avait supporté l’accise. C’est là le véritable avantage
du raffineur. Eh bien, messieurs, cet avantage, dans le système ministériel, et
suivant le calcul d’un honorable député d’Anvers constituerait pour le pays une
charge de deux millions. Or, quand on accorde un semblable avantage à une
industrie qui n’ajoute que 10 fr. environ par 100 kil,
à la valeur de la denrée, je crois que l’on ne doit pas y regarder de si près
pour accorder à la production de celle-ci une certaine faveur.
L’honorable ministre des travaux publics a présenté
contre cette industrie indigène des observations qui réellement ne sont pas
fondées.
J’ai tout à l’heure expliqué en quoi consiste
véritablement l’avantage du raffineur. Cet avantage, savez-vous quelle en est
la conséquence ? Si le mouvement du commerce est tel que les excédants dont le
raffineur veut disposer et qui lui demeurent francs de tout droit, suffisent à
alimenter la consommation, le trésor ne reçoit rien. Voilà ce que l’honorable
M. Delehaye a fort bien expliqué avant-hier, en disant qu’il pourrait y avoir
apurement complet des comptes, c’est-à-dire zéro pour le trésor.
Eh bien, malgré cela, je dirai que les raffineurs ne
font que faire usage de la loi. S’ils n’emploient pas des manœuvres coupables,
s’ils n’opèrent point, par exemple, un raffinage fictif ou des réimportations
clandestines, choses qu’on ne doit point supposer, on aurait tort, selon moi,
d’appliquer ici le mot de fraude ; mais on a bien plus grand tort encore, ce me
semble, quand on dit que c’est une fraude de la part des fabricants de sucre
indigène de n’avoir pas payé l’impôt, attendu que c’est une accise ; quand on
dit que la fabrication indigène est une industrie illégale. Eh ! Comment les
fabricants auraient-ils été tenus de payer un impôt que la loi ne leur
demandait pas ? Si la loi soumettait cette industrie à l’impôt, il était du
devoir de M. le ministre des finances de lui demander cet impôt, et de le faire
rentrer dans les caisses du trésor.
C’est avec tout aussi peu de fondement que M. le
ministre des travaux publics a dit que l’apparition du sucre indigène a diminué
le revenu du trésor d’une somme de 1,800 mille francs. D’abord, le sucre
indigène, dès son apparition, n’a pas fourni 5 à 6 millions de kilogrammes,
mais beaucoup moins, d’après les calculs même de M. le ministre des travaux
publics ; dans le rapport sur les résultats de l’enquête, il a évalué lui-même
ce produit tout au plus à 4 millions, non en 1836, mais par une moyenne. Ainsi,
le calcul pèche déjà sous ce rapport. Mais, indépendamment de cela, à combien
s’élevait l’impôt avant l’apparition du sucre indigène ? Il s’élevait en
moyenne, d’après le même document, à 1,250,000 francs.
Comment voulez-vous soustraire 1,800,000 fr. de
1,500,000 fr. ? Voilà un calcul mathématique que je ne puis pas faire, à moins
d’employer des signes algébriques.
Je conviens que le sucre indigène a concouru à
l’amoindrissement du revenu, mais il n’y a pas concouru de la manière qui a été
indiquée.
Mais, quant à la question des colonies que
l’honorable M. Pirmez a traitée, je crois qu’il y a, à cet égard, une très
grand différence entre notre situation et celle de la France ; chez nous on ne
peut considérer cette question que sous le rapport des intérêts, tandis qu’en
France c’est une question politique et une question de droit ; il faut y
considérer les droits des colons ; nous n’avons rien de semblable à ménager.
Une question de justice et de droit est bien au-dessus d’une question d’intérêt.
Du reste, essayons des traités avec les autres
puissances ; essayons des conventions commerciales avec les contrées
transatlantiques. Nous rencontrerons là, il est vrai, la concurrence étrangère,
la politique étrangère ; tâchons de surmonter ces obstacles, mais n’allons pas,
pour favoriser le débouché de telle manufacture, détruire la production d’un
autre côté ; si vous ne faites un avantage à une sorte de production nationale
qu’en détruisant une autre sorte de production nationale qu’est-ce que le travail
national y gagne ? absolument rien.
La question de la suppression n’a pas encore été
creusée jusqu’au fond. Il y a à considérer une foule de transactions qui sont
basées sur l’état actuel des choses, et que du jour au lendemain vous rendriez
inutiles.
Il y a encore une chose à considérer. Si je ne me
trompe, c’est l’honorable M. Rogier, qui a dit encore : « Mais vous allez
être débarrassés des frais de surveillance du fisc. »
M. Rogier. - Je n’ai pas dit cela.
M. de La Coste. - Quoi qu’il en soit, on en fait l’observation, qu’en supprimant le sucre
indigène, on n’avait pas à payer des frais de surveillance.
M. Rogier. - Cette objection n’est pas de moi, mais elle peut être bonne.
M. de La Coste. - Je crois qu’elle ne l’est pas ; je crois que nous conserverions les
frais de perception, et puisqu’on a parlé de mort et de funérailles, je crois
qu’il faudrait qu’il s’abattît une nuée de commis sur les ruines de nos
fabriques, comme les corbeaux sur un champ de bataille, épier tout signe de
retour à la vie, afin d’empêcher cette industrie de renaître ; il faudrait se
mettre en garde contre les fabrications clandestines ; il faudrait, comme vient
de l’écrire une des plumes les plus spirituelles de France, il faudrait presque
surveiller les abeilles, afin de les empêcher de mettre en concurrence avec le
sucre exotique le miel que M. le ministre des travaux publics pourrait considérer
comme illégal. (On rit.)
On a discuté sur l’importance qu’avait la
fabrication du sucre de betterave pour le travail national. A cet égard, on a
déjà fait observer à M. le ministre des finances qu’il avait uniquement
considéré le travail dans les fabriques ; mais qu’il y avait encore le travail
des champs, bien plus considérable ici que celui qui s’applique à d’autres
objets.
On a évalué, d’une part, ce travail à 1,800,000 fr. Cela a été contesté. D’après des calculs très
modérés, je me bornerai à l’évaluer à plus d’un million. Je trouve que pour …
millions de betteraves dans une fabrique tenue avec ordre, on a dépensé 44,500
fr. environ en salaires. Six millions de sucre exigent 120 millions de I kil. de betterave ; cela donne donc par une règle de proportion
plus d’un million de salaire. Par quoi remplacerait-on ce million de salaire ?
Sera-ce par les 200,000 fr. que l’honorable M. Rogier propose de porter au
budget de l’intérieur ? Ces 200,000 fr., si nous pouvons les donner, produiront
dans l’avenir de bons résultats, il y aura des délibérations, des mémoires, des
expériences ; mais je ne pense pas que cela puisse remplacer immédiatement pour
les ouvriers un million de salaire.
Sera-ce la raffinerie qui remplacera ce million ?
On a discuté lesquelles des deux espèces de travail
était la plus importante. Cette question en paraît à peine une. Laquelle est la
plus importante, ou d’une production qui donne une valeur de 50 à 75 fr. par
100 kilog., ou d’une simple façon donnée à cette
denrée, et qui en élève la valeur au plus à 10 fr. ? Mais ce n’est pas la
question. Quand même la raffinerie serait plus importante, elle ne réparerait
pas cette perte-là ; car si le plan en discussion est admis, on ne raffinera
pas un seul kilogramme de plus qu’aujourd’hui.
Un honorable membre a dit : « C’est donc
uniquement à la loi de 1822 que vous devez l’existence de votre commerce ; s’il
n’y avait pas d’impôt, il n’y aurait pas de commerce. »
Mais il y a plus ; en poussant le raisonnement qu’on
nous oppose à leurs dernières conséquences, on doit aller jusqu’à dire quand
même l’industrie indigène pourrait lutter avec l’industrie exotique, il
faudrait encore extirper le sucre indigène pour avoir un moyen d’échanges. Ce
raisonnement par ses conséquences est donc hostile à toutes nos industries.
Mais, dira-t-on, il est impossible que le sucre
indigène lutte jamais avec le sucre exotique. Cela est si possible que cela est
dans les prévisions du commerce. En supposant toutefois que M. le ministre des
finances ait consulté le commerce...
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Je n’ai consulté personne.
M. de La Coste. - Je serais loin d’en faire l’objet d’un reproche. Quoi qu’il en soit,
dans le premier projet du gouvernement, la double échelle mobile suppose la
possibilité que le sucre exotique ait besoin d’une protection contre le sucre
indigène ; eh bien, je crois que cette prévision doit être fondée sur quelque
chose.
Messieurs, le sucre indigène du temps où l’empereur
en voulait favoriser la production, ne pouvait s’établir, bien que le sucre se
vendît alors à 6 francs la livre, et aujourd’hui, ce même sucre indigène est
dans la consommation au prix de quelques centimes. S’il a fait ce progrès
énorme en si peu de temps, n’est-il pas possible qu’il en fasse encore ?
L’avantage du sucre de canne n’est pas tant dans la quantité de matière sucrée
que produit un hectare de terre ; c’est principalement dans la limpidité du jus
et l’égalité pourrait s’établir par des perfectionnements, dans le mode de
défécation. Il n’y a rien dans les choses humaines de plus à prévoir que
l’imprévu.
Aux observations de l’honorable M. Pirmez je dois
encore répondre, oui ; qu’il fasse adopter son principe :
Que les fabricants en fer viennent nous dire : Nous
ne voulons plus de protection, que les extracteurs de houille viennent en dire
autant, que toutes les industries adoptent les principes de M. Pirmez, alors
nous les appliquerons à cette industrie comme a toutes les autres, mais je ne
vois nulle part que les fabricants de fer et les extracteurs de houille nous
tiennent ce langage.
Je dois répondre encore à l’honorable membre qu’il
ne s’agit pas d’encourager quelque nouvelle expérience tendant à tirer du sucre
du foin ou de toute autre chose, mais de maintenir des fabriques existantes.
Voilà une différence très grande ! Selon moi il faut maintenir ce qui existe,
concilier autant que possible les intérêts de ces deux industries. Si elles
n’existaient pas, j’hésiterais peut-être à leur accorder toute la protection
dont elles jouissent l’une aussi bien que l’autre ; mais maintenant qu’elles
existent, il faut concilier leur existence avec les exigences du trésor. Mais
dit-on, c’est impossible ! Eh bien, moi, je dis que c’est la seule chose
possible. On dit : C’est la ruine du commerce. C’est, selon moi, le moyen de le
sauver, pour autant que son existence se rattache à cette industrie. En effet,
j’ai déjà développé cette idée que l’égalité nominale de droit, qui serait la
ruine du sucre indigène, ne serait pas une égalité réelle et franche si on ne
supprimait pas la restitution, et la chambre ne fera pas une loi qui ne serait
pas une vérité. tous arrivons ainsi au plan de M.
Pirmez, de joindre à l’égalité du droit l’abolition de la restitution. Après
avoir résolu la question d’égalité, on résoudra la deuxième question dans le
sens de la proposition de M. Dumortier, on abolira la restitution. Où en sera
le commerce du sucre ? Quels seront les résultats ? Ce commerce se réduira à
l’arrivage de 15 millions de sucre brut, plus l’exportation ; il arrive
maintenant 21 millions, donc perte de six millions sur les importations et dix
à onze sur les exportations ; ainsi, 16 millions de mouvement commercial de
moins, dans les ports qu’on voudrait favoriser. La raffinerie porte sur 21
millions de sucre exotique, plus 5 à 6 millions de sucre indigène, total 27 ;
elle ne travaillerait plus que sur 15. Ce plan est le plus
désastreux qu’on puisse adopter pour elles. C’est pourtant là où nous conduit
l’égalité de droits, c’est ce que j’ai voulu montrer en posant mes questions.
C’est un fanal que j’ai voulu allumer sur l’écueil pour le signaler.
Messieurs, je finirai par où j’ai commencé. En me
prononçant dès à présent contre l’égalité des droits, et, pour le cas de la
non-admission de l’égalité des droits, contre la suppression de la restitution.
Je suis prêt à me rallier aux propositions qui me paraîtront les plus propres à
concilier les exigences du trésor, l’existence, et le maintien des deux
industries,
(Moniteur
belge n°59, du 28 février 1843) M. Rogier. - Y aura-t-il égalité pour le sucre de betterave et
pour le sucre exotique, ou y aura-t-il privilège en faveur de l’un des deux
sucres vis-à-vis de l’autre ? Il est admis par tout le monde que c’est une
question de fiscalité que nous traitons ; au point de vite fiscal, la
constitution veut l’égalité devant la loi ; elle ne veut de privilège, ni pour
les individus, ni pour les industries ; au point de vue fiscal, la meilleure
loi que nous puissions faire, c’est celle qui doit rapporter le plus au trésor.
Si vous grevez les deux sucres de la même manière, il est probable que l’un des
deux, par son infériorité, y succombera ; et, pour ma part, je n’ai jamais nié
que l’égalité des droits ne pût être la mort du sucre de betterave. Mais s’il y
a de ce chef un préjudice que je ne nie pas, causé à l’agriculture, il y a dans
le système contraire préjudice beaucoup plus grand pour le commerce et pour le
trésor.
La section centrale propose un droit de 50 fr, sur
le sucre exotique et un droit de 25 fr. sur le sucre indigène, privilège en
faveur du sucre du indigène de 25 fr. sur 50 ou de 50 p. c. Prenons les
chiffres du ministre des finances 40 fr. de droit. C’est sur ce chiffre que
j’ai établi mes calculs. Supposons 40 fr. sur le sucre exotique et 20 sur le
sucre indigène, pour conserver la proportion. D’après les calculs de M. le
rapporteur de la section centrale, la consommation intérieure est de 12
millions de kil. Partageons cette consommation, puisque nous voulons la
coexistence des deux industries, six millions pour le sucre exotique, et six
millions pour le sucre de betterave. Les six millions de sucre exotique à 40
fr. donneront 2,400 mille francs, et les six millions de sucre de betterave, a 20 fr. donneront 1,200 mille francs. Donc sacrifice du
trésor en faveur du sucre de betterave de 1,200 mille francs. Et pourquoi ce
sacrifice ? Pour six millions de sucre de betterave, occupant combien de terre
?
J’ai raisonné dans l’hypothèse de 12 millions de
kil. pour notre consommation ; si elle est plus
considérable, si elle est de 15 millions, comme vous la partagez entre les deux
sucres, la protection en faveur du sucre de betterave augmenterait d’autant. Il
ne faut pas diviser le système de la section centrale, elle partage la
consommation entre les deux sucres, elle frappe le sucre exotique de 50 p.c. de
plus que le sucre de betterave, et en outre elle augmente le rendement,
c’est-à-dire qu’elle arrive à la suppression de l’exportation.
J’attendrai que l’honorable préopinant concilie la
possibilité de l’exportation avec l’augmentation du rendement. Je pense que la
section centrale, avec la même bonne foi que le ministre des finances, a
déclaré que l’égalité de droit était la mort du sucre de betterave ; je pense
qu’avec la même bonne foi, elle reconnaîtra que l’augmentation du rendement est
la suppression de l’exportation du sucre exotique, au moins sa grande
réduction. Sans cela, pourquoi voudrait-on augmenter le rendement ? Pour
que le système de la section centrale. qui porte un préjudice de 1,200,000 francs au trésor porte ses fruits, il faut
supprimer cette branche de commerce si importante de l’exportation de nos
sucres. Qui dit exportation dit importation.
Si nous exportons dix millions de kil. de sucre, nous devons les importer. Supprimer cette
exportation, c’est donc faire dans le commerce une brèche de 20 millions de
kil. Je crois que la situation de notre commerce n’est pas si brillante, si
prospère, qu’il faille immédiatement, sans ménagement aucun, le frapper d’un
coup aussi terrible. Voilà, messieurs, où vous conduit le système de la section
centrale, contre l’opinion des membres qui, en faisaient partie, à la
destruction du commerce de sucre. Un mouvement commercial qui peut aller à 35
millions, vous allez le réduire à 6, à 8 millions. Autant vaut l’anéantir
totalement. Pourquoi avoir, d’un côté, tant de sympathie pour une industrie
qui, avant 1836, n’existait pas dans le pays et n’avait réclamé aucune
protection, et montrer, de l’autre, tant d’indifférence ?
Comme matière imposable (et c’est sur ce point que
je ramène l’attention de la chambre), vous ne pouvez nier que le sucre exotique
ne l’emporte de beaucoup sur le sucre indigène. Le sucre indigène réclame, pour
pouvoir vivre, une faveur de 50 p. c. sur le sucre exotique. C’est donc priver
le trésor de 50 p. c. de revenu que de protéger le sucre indigène dans une
pareille proportion.
Par un esprit de conciliation, auquel je regrette de
ne pouvoir m’associer, vous prétendez assurer la coexistence des deux
industries. Mais si par une circonstance commerciale ou autre, par suite par
exemple d’un nouveau perfectionnement dans la culture ou la fabrication de la
canne, il y a une nouvelle baisse dans les prix, le sucre de betterave sera
dans une position plus mauvaise ; il réclamera une nouvelle protection, il
invoquera la loi par laquelle vous voulez le faire vivre ; et dira qu’elle ne
peut plus se soutenir, qu’il lui faut de nouvelles faveurs. De même, si par une
autre circonstance commerciale, le sucre exotique se trouve dans une position
plus mauvaise, et réclame en vertu du même droit, il faudra encore changer la
loi. Avec les deux sucres en présence, vous aurez deux rivaux deux ennemis en
présence : vous ne pouvez arriver à aucun résultat certain. Ce sera à
recommencer tous les ans, il vous faudra une session spéciale rien que pour les
sucres.
J’ai dit que si vous vouliez renfermer la question
des sucres dans la consommation intérieure, ici encore c’était au sucre
exotique qu’il fallait donner la préférence. Quinze millions de kilogrammes à
40 fr. les 100 kilog. produisent six millions de
francs d’une manière certaine, inévitable ; c’est un revenu aussi assuré pour
le trésor que celui de l’impôt foncier. Le sucre indigène ne pourra jamais être
frappé d’un droit de 40 fr. Je doute même qu’avec le droit de 20 fr., il puisse
soutenir la concurrence avec le sucre exotique, qui entrerait dans le pays par
infiltration. 15 millions de kilog. de sucre, avec un
droit de 20 fr., ne rapporterait que 3 millions, Que vous faudra-t-il
d’hectares de terres pour arriver à la production de ces 15 millions ?
M. Demonceau. - Par des pierres !
M. Rogier. - Ceci est une mauvaise plaisanterie qui n’a même pas le mérite d’être
neuve. Je n’y répondrai pas.
Je suppose les primes supprimées. Je suppose le
commerce d’exportation supprimé ; je me renferme dans la question fiscale. Je
vous demande à ce point de vue lequel des deux sucres mérite la préférence.
M. Meeus et M. Eloy de Burdinne demandent la parole.
M. Rogier. - On traite beaucoup trop légèrement, selon moi, les intérêts commerciaux
du pays.
Je l’ai déjà dit,
Je n’ai pas besoin d’entrer dans de nouvelles
considérations pour vous montrer que le sucre est une matière commerciale des
plus importantes. C’est une vérité triviale, que sans le sucre et le café, il
n’y a pour ainsi dire pas de commerce. N’appelle-t-on pas les négociants de nos
ports de mer, des marchands de sucre et de café ? Supprimer le sucre exotique,
c’est, on ne peut trop le redire, supprimer une des branches principales du
commerce.
Pour moi, je ne vois pas seulement dans le commerce
l’exportation des matières fabriquées, l’importation des matières premières. Je
vois encore dans le commerce une autre mission ; un travail tout national, un
travail de civilisation, par lequel les relations de
Du reste, en proposant une loi qui a pour résultat
de supprimer le sucre de betterave, nous vous disons ce qu’on peut mettre à la
place. Nous vous offrons, non des indemnités en l’air, mais des indemnités
réelles. Sous ce rapport, vous n’êtes pas en position de faire au sucre
exotique les mêmes avantages. Vous ne pouvez remplacer le sucre exotique par
rien. Il n’y a pas là d’indemnité possible.
On est venu nous dire que nous promettions 4
millions d’impôt, que c’était un leurre,
que nous promettions 6 millions d’impôt, que c’était une fantasmagorie.
Je serais désolé, pour ma part, de présenter à la
chambre ce qu’elle pourrait considérer comme un leurre. J’ai examiné cette
question, avec beaucoup de bonne foi, Je désirerais pouvoir obtenir la
coexistence des deux industries. Ce n’est qu’avec peine que je me résous à
retirer de l’agriculture l’industrie intéressante de la betterave. Mais ce que
j’ai soutenu, je l’ai soutenu de bonne foi. Quand j’ai dit que la loi doit
rapporter 4 millions, ce sont 4 millions réels que j’entends qu’elle produise.
S’il y avait du doute, je m’associerais à toute proposition qui aurait pour but
de déterminer dans l’une ou l’autre hypothèse un minimum soit de 4 millions,
soit même de 6 millions. Je crois que M. le ministre des finances est, à cet
égard, d’accord avec moi.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - J’ai indiqué ce minimum.
M. Rogier. - Ainsi l’objection vient par là même à tomber.
On vient vous dire : vous accordez 4 millions
aujourd’hui. Dans un an, vous viendrez réclamer des réductions. Ces 4 millions
se fondront, se réduiront à un million. Mais tenir un tel langage, c’est dire à
la chambre qu’elle abdique, que la chambre ayant créé 4 millions de recettes
serait assez imprudente, assez peu soucieuse des intérêts du trésor pour les
abandonner. Vous serez là, vous, MM. les adversaires du sucre exotique. Je
compte assez sur votre énergie à laquelle je joindrai la mienne pour conserver
au trésor les 4 millions que nous lui aurons assuré dès aujourd’hui à la sueur
de notre front. Si vous suspectez là le gouvernement d’arrière-pensée, alors il
faut employer ce nouveau mode d’opposition à toutes les lois d’impôt proposées
; il faut les repousser sous le prétexte que les intéressés réclameront et que
vous serez obligés d’accéder à leurs réclamations.
Messieurs, si j’avais un conseil à donner aux intéressés
et aux défenseurs des intéresses dans le sucre de betterave, je leur
conseillerais d’accepter dès maintenant les propositions si avantageuses qu’on
leur fait. Il ne m’est pas démontré, en supposant même que le système de mes
adversaires triomphe, que tout en portant un coup terrible au sucre exotique,
vous sauviez par là le sucre de betterave. La betterave aujourd’hui, vit
exempte de tous droits, de toute charge, de tout contrôle, de toute
surveillance c’est (manque un ou deux
mots) à l’état de liberté la plus complète. Mais la nouvelle loi va lui
imposer des charges, un contrôle, une surveillance ; elle va la placer dans des
conditions beaucoup plus difficiles et plus onéreuses.
Aujourd’hui la betterave a peine à vivre. Retranchez
deux ou trois établissements de sucre de betterave, et faites le compte du
reste. Consultez les chefs de ces établissements, consultez-les dans
l’intimité, et ils vous diront que le système proposé par le gouvernement leur
convient fort ; ils vous feront la même réponse que les industriels français
ont faite, dit-on, à leur gouvernement. Ils ont aujourd’hui la perspective
d’une indemnité équitable, cette perspective pourrait venir à leur échapper.
Car si aujourd’hui vous faites une loi pour eux, il ne s’agira pas, dans un an,
dans deux ans, de venir réclamer une indemnité.
Quand vous aurez éloigné du pays le sucre exotique,
quand vous aurez obligé ceux-ci à fermer leurs établissements, il ne s’agira
pas de venir de nouveau bouleverser le système de la loi, de rétablir un état
de choses que vous aurez détruit, et de réclamer pour la betterave une
indemnité à laquelle alors elle n’aurait plus droit.
Ainsi, messieurs, au point de vue des intéressés
eux-mêmes, je crois que le système que nous défendons devrait leur convenir
beaucoup plus que le système contraire, et si j’avais, quant à moi, un consul
ami à leur donner, ce serait de soutenir ce système.
Je sais fort bien que deux ou trois grands
industriels ne veulent pas de ce système ; mais consultez les autres ; et sous
ce rapport il est à regretter qu’il n’y ait pas eu d’enquête.
M. Eloy de Burdinne. - Ce sont les maladroits qui le voudraient bien.
M. Rogier. - En ce cas il paraît que les maladroits sont en très grande majorité ;
car sur 36 établissements, dont 7 sociétés anonymes, on m’assure qu’il n’y en a
guère que deux ou trois dans une situation prospère. (Réclamations.) On pourra me démentir ; je ne demande pas mieux que
d’apprendre que tous ces établissements sont dans un état de grande prospérité,
mais j’en doute fort.
Messieurs, outre l’indemnité qui serait accordée aux
industriels, j’ai parlé d’une indemnité à accorder à l’agriculture. Je me
réserve de développer ma proposition, lorsqu’il en sera temps. Je dirai
seulement que dans mon opinion, au moyen de 200,000 fr. appliqués avec
intelligence, avec sympathie, par le ministère, aux besoins de l’agriculture,
on pourra facilement réparer le tort matériel que la suppression de la culture
de la betterave pourrait faire à l’agriculture. Je crois qu’il y a des
résultats tout aussi avantageux à obtenir de cet encouragement que de la
protection que l’on pourrait accorder à tant ou tant d’hectares plantés en
betterave. Je ne sais pas, messieurs, si nous parviendrons à assurer avec cette
somme un million de salaires aux ouvriers, mais je suis convaincu qu’en
l’appliquant avec discernement, on pourrait accroître de plus d’un million la
prospérité de notre agriculture, la valeur de notre sol agricole. Des
encouragements donnés avec intelligence, comme cela a eu lieu en Angleterre,
comme cela a lieu en Allemagne, en France, peuvent produire des bienfaits
immenses au point de vue agricole. Sous ce rapport, nous avons beaucoup encore
à conquérir ; nous avons encore beaucoup de bien à faire ; ces 200,000 fr
susceptibles de s’accroître avec les ressources du trésor, pourraient produire
les meilleurs résultats ; j’en ai la conviction et je tâcherai de la faire
partager, lorsque je reviendrai sur mon amendement.
Ces deux cent mille fr. ne sont pas d’ailleurs une
libéralité exagérée de la part du gouvernement ; ils supposent une recette de 4
millions ; et lorsque le trésor s’enrichit de trois millions, il peut bien se
dépouiller d’une somme de deux cent mille fr. ; l’avantage est encore de
beaucoup eu faveur du fisc.
Je ne veux pas, messieurs, m’arrêter à quelque faits
qui sont quasi-personnels ; je ne veux pas mêler une question de personnes à
cette discussion si importante. Je dois seulement faire observer à un honorable
préopinant, qui a pris la parole dans une des séances précédentes, a
l’honorable M. Verhaegen, que jamais il ne m’est arrivé de soutenir dans cette
enceinte le système de la liberté illimitée du commerce, pas plus qu’il n’est
arrivé à l’honorable membre de soutenir le système de la république une et
indivisible. L’honorable préopinant s’est présenté comme un partisan des droits
modérés. Eh bien, messieurs, nous sommes, sous ce rapport encore, comme en
beaucoup d’autres points, de la même opinion. Je me suis toujours présenté dans
cette enceinte comme un partisan des droits modérés.
Voulez-vous un droit modéré en faveur de la
betterave, nous pourrions tomber d’accord ; mais tout en demandant des droits
modérés en faveur de la betterave, vous procédez par une protection de 50 p. c., plus la suppression d’une branche de commerce.
M. Dubus (aîné). - Et les droits d’entrée sur les sucres raffinés ; n’est-ce pas une
protection importante ?
M. Rogier. - Les droits d’entrée sur les sucres raffinés ; mais il y a prohibition
des sucres raffines, ou un droit qui équivaut à la prohibition ; et dans ce
moment ce droit favorise tout autant la betterave que le sucre de canne.
M. Dubus (aîné). - Si on détruit la betterave, il ne favorisera plus que la sucre exotique.
M. Rogier. - C’est une autre question à examiner, Je ne sais comment vous pourriez
concilier l’entrée du sucre exotique raffiné avec un impôt sur le sucre dans le
pays. Si vous voulez admettre le sucre raffine étranger, il faut renoncer à
votre droit d’accise.
Messieurs, j’ai fait aussi, et il paraît que cela
m’a attiré un reproche, l’éloge de la loi hollandaise de 1822 ; je l’ai
qualifiée de belle loi. Cette qualification, je ne la retire pas ; je soutiens
qu’au point de vue commercial, la loi de 1822 mérite d’être louée par tous ceux
qui comprennent quelque chose aux questions commerciales. Cette loi a été faite
d’ailleurs par une nation qui s’entend en commerce, qui doit sa prospérité au
commerce, et qui, par conséquent sait faire des lois de commerce.
Mais croyez-vous que
Les raffineurs, les négociants belges exportent 10
millions de kilog. de sucre raffiné ; là-dessus, le
consommateur paierait 6 millions de primes. Mais les négociants hollandais
exportent 30 millions de kilog. de sucre raffiné ; ce
serait donc 30 millions que le pauvre consommateur hollandais aurait à payer
aux négociants. J’avoue que dans ce cas, les primes seraient véritablement
monstrueuses ; d’autant plus que 30 millions de francs répartis sur 2 millions
500,000 habitants, pèseraient bien autrement sur eux que 6 millions de francs
répartis sur 4 millions d’habitants que nous sommes. Ainsi, ces primes dont on
a tant parlé, sont véritablement une fantasmagorie dont on a voulu effrayer la
chambre. J’ai démontré, et c’est par là que je terminerai, qu’il y a deux
systèmes à suivre au point de vue de l’impôt.
Voulez-vous maintenir ce qui est ? Ce système,
l’honorable M. de
Voulez-vous, au contraire, supprimer l’exportation
des sucres et le mouvement d’importation qu’elle provoque ? Voulez-vous ne
réserver au sucre exotique que la consommation du pays, mais à l’exclusion du
sucre de betterave ? Eh bien ! 15 millions de kilog. à
40 fr. produiront 6 millions. Voilà, messieurs, au point de vue fiscal, les
deux systèmes entre lesquels il faut se décider.
Et lorsque j’ai dit que dans le premier système qui
rapporte 4 millions de fr. au trésor, il y aura 5 millions de kilog qui ne
payeront pas de droits, je n’ai pas entendu dire que ce serait à charge du
consommateur. J’ai démontré que sur ces deux millions, le négociant, le
raffineur ne profiterait guère que d’un million. D’abord un million de kilog. environ étant infiltré en pays étranger, c’est le
consommateur étranger qui paiera les 400,000 fr. de droits qui s’y rattachent.
Ensuite le raffineur ne perçoit pas la totalité de la prime ; le consommateur
n’en paie qu’une partie, il y a concurrence entre les négociants, et par suite
dépréciation du droit, autrement dit réduction dans la prime.
Ainsi en fixant à un million, à 1,200 mille fr. au
plus, les sacrifices qui seraient imposés à
Dans tous les cas, voici dans mon opinion les seuls
systèmes qui puissent être débattus : monopole de la consommation intérieure
pour le sucre exotique avec suppression de l’exportation, et 6 millions de
recettes ; maintien et même amélioration de ce qui est, et 4 millions de
recettes. C’est sur ces deux chiffres qu’il me semble que le
débat doit porter. Car vouloir maintenir le sucre de betterave et les recettes
que l’un ou l’autre de ces deux systèmes assure au trésor, c’est poursuivre une
chimère. Je ne crains pas de le répéter, il est impossible, en maintenant le
sucre de betterave, d’assurer ni 4, ni 6 millions au trésor.
Plusieurs membres. - A demain !
M. Verhaegen. - Il paraît qu’il y a plusieurs de nos collègues qui ont pensé que demain
il n’y aurait pas séance ; il ne serait peut-être pas mauvais qu’on fixât
l’heure de notre réunion un peu plus tard. De cette manière, ils apprendront
qu’il y a eu séance aujourd’hui et ils auront le temps d’arriver. On pourrait
fixer la séance à 2 heures.
- La chambre décide qu’elle se réunira demain à deux
heures.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.