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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 2 mars
1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative au projet de loi sur
les sucres (Savart-Martel)
2)
Rapport sur l’instruction moyenne
3)
Projet de loi sur les sucres. Discussion des principes. Prime à l’exportation
(drawback) du sucre pour favoriser le commerce maritime national, taux du
rendement (Eloy de Burdinne, de Theux,
Dumortier, Smits, Dumortier, de Theux, Rodenbach, Cogels, Demonceau, Cogels, Dumortier, Mercier, de Theux, Verhaegen, Smits, Delehaye, Dumortier, Demonceau, Smits, de La Coste, de Theux, Cogels, de La Coste, de Mérode), prime
à l’exportation (drawback) du sucre pour favoriser le commerce maritime
national, taux du rendement, montant des droits à percevoir au profit du Trésor
(Rodenbach, Eloy de Burdinne, Mercier, Smits, Rodenbach,
Delehaye, de Man d’Attenrode, Smits, de Man d’Attenrode, Smits, Dumortier, Smits,
Savart-Martel, de Mérode, de La Coste, Smits, Mercier)
(Moniteur belge
n°62, du 3 mars 1843)
(Présidence de M. de Behr, vice-président)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est
adoptée,
M. de Renesse communique les pièces de la correspondance :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Diederich Stinze, capitaine en
second de navire, né à Rhade (Hanovre), demande la
naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
__________________________
« Le sieur Diederich Stinze, capitaine de navires à Anvers, né à Rhade (Hanovre), demande la naturalisation
ordinaire. »
- Même renvoi.
__________________________
« Plusieurs fabricants de tulle demandent une
augmentation de droit sur les tulles. »
- Renvoi à la section centrale pour les droits
d’entrée, chargée d’en faire rapport en qualité de commission spéciale.
__________________________
« L’administration communale d’Anvers demande une
prompte révision de la loi sur le domicile de secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs cultivateurs du Hainaut présentent
des observations sur la culture de la betterave et sur les fabriques de sucre
indigène. »
- Sur la proposition de M. Savart-Martel, dépôt sur le
bureau pendant la discussion du projet de loi sur les sucres, et insertion au Moniteur.
__________________________
M. le ministre de la justice
(M. Nothomb) transmet, accompagnées de
renseignements relatifs à chacune d’elles, vingt demandes en naturalisation.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
__________________________
M. Coppieters
informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister, pour le moment,
aux séances de l’assemblée.
Pris pour notification.
RAPPORT
SUR L’INSTRUCTION MOYENNE
M. le président. - A la fin de la séance d’hier, M. le ministre de l’intérieur a dépose un
rapport sur l’état de l’instruction moyenne. La chambre entend-elle ordonner
l’impression de ce rapport. (Oui ! oui !)
- Le rapport sera imprimé et distribué.
Deuxième
question de principe : Continuera-t-on le système de rendement ?
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de M.
Dumortier, ainsi conçue :
« Continuera-t-on le système de rendement
? »
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau un sous-amendement à
l’amendement de l’honorable M. Rodenbach.
Cet honorable membre propose 40 fr. pour le sucre
exotique et 25 fr. pour le sucre indigène. Plus soucieux des intérêts du trésor
public, que l’honorable auteur de cette proposition, je viens, moi, proposer …
M. le
président. - Je dois vous interrompre ;
l’amendement de M. Rodenbach n’est pas en discussion ; c’est la proposition de
M. Dumortier qui est en ce moment en délibération.
M. Eloy de Burdinne. - Dans ce cas, je renonce à la parole, jusqu’à ce que je sois appelé à
développer mon amendement.
M. de Theux. - Messieurs, il me semble cependant que ceux qui désireraient combattre
le système de l’honorable M. Dumortier doivent être admis à formuler un autre système
qui fasse voir qu’on peut satisfaire aux besoins du trésor d’une autre manière
; sans cela, il n’y aurait pas de choix possible, on se trouverait en présence
d’une position unique.
M. Dumortier. - Messieurs, l’observation de l’honorable M. de Theux est très juste, et
je l’appuie de toutes mes forces. D’ailleurs, je ferai remarquer qu’à la fin de
la séance d’hier, la discussion s’est fourvoyée ; on a parlé d’une proposition
de principe que j’avais déposée, mais qui n’est pas maintenant en discussion.
Le point actuellement en discussion est de savoir si dans la loi que nous avons
à faire, nous continuerons le système de rendement. C’est là une question de
principe préliminaire à toute discussion. Quant aux moyens d’application du
principe, c’est autre chose ; nous les examinerons ensuite, mais pour le
présent, la question de principe du système de rendement est la seule question
que j’aie proposée ; et afin que la chambre comprenne bien la portée de cette
question, je dirai que la question revient à ceci :
« Admettrez-vous sur les sucres exotiques un
droit d’accise ou un droit de douane ? Voulez-vous avoir un droit de douane ou
d’accise ? »
Voici maintenant l’explication de cette question.
Au moyen du droit d’accise, vous continuerez à
marcher dans le système de rendement, parce qu’il y a prise en charge, dés lors
le trésor public est toujours exposé à se voir frustré de la somme que les
citoyens ont payée pour l’impôt et à voir cette somme aller s’absorber en des
primes au profit de l’étranger, dont personne ne peut calculer la portée. Au
moyen du système de rendement, la loi est donc un mensonge pour le trésor,
tandis qu’au moyen du système d’un droit de douane, le trésor tient les sommes
qu’il touche et les tient dans les limites dans lesquelles il veut les tenir,
le trésor accorde ou refuse une prime ; enfin le trésor public sait la position
qu’il se crée, et la garde.
Ainsi, la seule proposition qui soit sur le tapis
revient à celle- ci : A l’avenir, le droit sur les
sucres exotiques sera-t-il un droit d’accise ou sera-ce un droit de douane ? Si
vous adoptez un droit d’accise, vous restez dans le système de rendement ; si,
au contraire, vous établissez un droit de douane, le système de rendement est
annulé, et alors le trésor public teint ce qu’il a touché. (Interruption.)
Un membre. - Est-ce un droit d’entrée ou de
consommation ?
M. Dumortier. - Qu’on appelle le droit de douane un droit le
consommation, cela m’est indifférent ; au fond c’est ici la même chose. Mais je
demande que le sucre de canne arrivant dans nos entrepôts soit mis sur le même
pied que le sucre indigène. La position est bien claire ; il ne faut pas
chercher des subtilités pour s’embrouiller les uns les autres. Posons la question
loyalement, c’est le seul moyen de la résoudre. Je demande que les deux sucres
soient soumis à un droit d’entrée, au moment qu’ils sont introduits dans la
consommation ; enfin que ce soit un droit de douane et non d’accise. C’est là
le but de ma proposition. Cette proposition, encore une fois, a pour but de
sauvegarder tous les droits du trésor, de lui assurer l’impôt de toute la
consommation intérieure ; libre à vous ensuite de faire de cet impôt ce que
vous voudrez. Si vous croyez qu’il y ait lieu d’allouer une prime à la
fabrication du sucre exotique, pour en faciliter l’exportation, je ne suis pas
éloigné d’y consentir ; mais je veux avant tout que nous sachions ce que nous
donnons en primes ; aujourd’hui personne ne peut dire ce que nous dépensons en
primes.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Messieurs, je disais hier que la
proposition de M. Dumortier me paraissait peu réfléchie, et l’honorable membre
vient d’en fournir la preuve. Hier c’était un droit de consommation qu’il
voulait, aujourd’hui c’est un droit à l’entrée.
M. Dumortier. - C’est la même chose.
M. le ministre des
finances (M. Smits) - Point du tout ; il y a la différence
du jour à la nuit.
Si c’est un droit à l’entrée que veut l’honorable M.
Dumortier, par conséquent un droit perçu et acquis définitivement au trésor et
qui ne donne jamais lieu à restitution, je lui demanderai ce qu’ils entendu par
la fabrication et l’exportation par entrepôt qui suppose un droit d’accise avec
apurement de compte ? Je désire que l’honorable M. Dumortier s’explique :
veut-il ou ne veut-il plus son amendement d’hier ?
M. Dumortier. - Messieurs, je dois d’abord faire remarquer combien est déplacé le
reproche que m’a adressé M. le ministre des finances, d’avoir été peu réfléchi
dans la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre ; ce sont des
reproches dont on devrait s’abstenir, et au reste il ne me serait pas difficile
de les renvoyer à M. le ministre des finances.
Messieurs, j’ai proposé deux
choses ; j’ai proposé d’abord une question de principe, c’est celle qui a été
distribuée depuis quatre jours ; mais hier, pour régulariser l’ordre de la
discussion, j’ai demandé qu’on mît en délibération une question rédigée plus
simplement que celle que j’ai présentée. Il ne s’agit plus maintenant
d’entrepôts, c’est par déviation qu’on est venu à la question des entrepôts. Je
demande qu’on examine uniquement une question bien simple, celle de savoir s’il
y aura à l’avenir un droit de douane ou un droit d’accise, avant d’agiter la
question du chiffre du rendement, il faut savoir si on conservera ce système. «
Continuera-t-on le système du rendement ? » Voilà la question à résoudre,
il n’y en a pas d’autre. Quant à ce qu’on vient de dire sur le droit d’entrée
et sur le droit de consommation, c’est de la chicane et rien que de la chicane.
Nous savons ce que nous voulons : nous voulons assurer au trésor public dont M.
le ministre des finances paraît abdiquer les droits ; nous voulons lui assurer,
dis-je, l’impôt de toute la consommation intérieure ; eh bien, il n’y a qu’un
seul moyen d’arriver à ce résultat, c’est d’établir pour le sucre un droit de
douane ; vous ferez ensuite, je le répète, de la somme versée au trésor, tel
emploi que vous jugerez convenable.
M. de
Theux. - Je ferai observer que les questions de chiffre
doivent être discutées avec beaucoup de calme. Je voudrais que l’honorable M. Dumortier
posât uniquement la question de principe. La chambre a résolu hier que la
priorité serait donnée à la proposition faite par l’honorable membre. Après la
décision qu’on prendra sur la question de principe, on s’occupera des
dispositions organiques. Maintenant nous n’avons à nous occuper que de la
question ce principe. Les dispositions organiques viendront à la suite. Ma
motion d’ordre consiste à demander que les auteurs des autres propositions
soient admis à les développer, parce qu’ainsi que je l’ai fait observer à la
fin de la séance d’hier, il importe que les propositions en opposition avec
celle de M. Dumortier puissent être développées pour que nous soyons à même
d’apprécier l’un et l’autre système, et de donner la préférence à la
proposition de M. Dumortier ou à toute autre. Je demande donc que les auteurs
des amendements déposés soient admis à les développer.
M. Rodenbach. -
J’appuierai ce que vient de dire l’honorable M. de Theux. Il est d’autant plus
nécessaire de développer mon amendement, qu’il était déposé avant qu’on ait
décidé la question de priorité, en faveur de la proposition de M. Dumortier et
que, contre les usages de la chambre, on ne m’a pas laissé développer ma
proposition. Une foule d’autres amendements ont été déposés au commencement du
débat et ont été développés. Je ne vois pas pourquoi on veut déroger au
règlement, pour mettre ma proposition à la queue des amendements présentés.
M. Cogels. - La question est de savoir si la chambre reviendra sur la décision
qu’elle a prise, à la majorité de 35 voix contre 34, sur la proposition de M.
Dumortier. Hier la discussion a été placée sur son véritable terrain ; on ne
s’est pas fourvoyé en prenant l’ensemble de la proposition, car que veut
l’honorable M. Dumortier ? qu’on pose une question de
principe qui est de savoir si le système du rendement sera supprimé dans la
loi, enfin si le droit d’accise sera remplacé par un droit de douane. Voilà ce
qu’il veut qu’on décide ; mais il veut que nous discutions ce principe sans
examiner les conséquences. La question est de savoir s’il n’y aura plus
d’exportation de sucre raffiné, ou si cette exportation continuera. Avant de
décider une question aussi grave, il faut savoir par quel moyen on pourrait
continuer à exporter, si le système du rendement venait à disparaître. Il faut
donc prendre l’amendement de M. Dumortier dans son ensemble, sans cela nous
discuterions une question de principe sans pouvoir examiner où l’adoption de ce
principe nous conduirait.
M. Demonceau. - Je m’aperçois que quand on a perdu une cause on cherche à embrouiller
la question pour tâcher de la regagner. La question posée par M. Dumortier est
simple ; elle est tellement simple que les défenseurs de sucre exotique surtout
devraient la comprendre. Moi, je conçois que quelques membres ne comprennent
pas bien la question de principe posée par M. Dumortier, mais je ne comprends
pas que les défenseurs du sucre exotique ne la saisissent pas à l’instant même.
L’honorable M. Dumortier demande à la chambre de décider si elle veut, oui ou
non, continuer un abus de la loi de 1822…
Un membre. - Selon vous !
M. Demonceau. - Selon la majorité. Cette loi permet une restitution supérieure au droit
perçu sur la consommation.
M. Dumortier demande que la chambre discute cette
question :
Substituera-t-on à un droit d’accise un droit de
douane à l’entrée sur le sucre exotique ? La question est simple. Quand vous
aurez pris une résolution sur cette question, vous devrez vous soumettre aux
conséquences. Si vous croyez qu’il faut, pour comprendre cette proposition,
examiner en même temps la proposition de l’honorable M. Dumortier et les autres
propositions qui pourraient être faites ; si vous pensez
que la proposition le M. Dumortier empêche les exportations de sucre raffiné,
faites une autre proposition. Vous voulez, dites-vous, la proposition du
gouvernement ? Mais la majorité l’a rejetée. La proposition du gouvernement
était celle-ci : je prie les honorables collègues d’y faire attention. Je ne
veux que la vérité ; ne nous a-t-on pas mis dans l’alternative de supprimer
l’industrie du sucre de betterave ? Nous n’avons pas voulu de cette
suppression, nous avons dit qu’il y avait possibilité de faire coexister les
deux industries. Et quand on propose un moyen de régler cette coexistence, on
se borne à l’attaquer en recherchant les inconvénients qu’il présente. Si vous
croyez que l’exportation n’est plus possible par l’adoption de la proposition
de M. Dumortier, proposez quelque chose pour substituer à la proposition
extrême du gouvernement.
M. Rodenbach croit avoir trouvé ce moyen,
entendez-le, et s’il donne de bonnes raisons, je m’empresserai de me ranger de
son côté.
M. Cogels. - M. Demonceau vient de me faire un reproche que je ne saurais accepter.
Il vous a dit : « Quand on a perdu une cause, on cherche à embrouiller la
question pour la regagner. »
Ceci, je n’oserais pas le qualifier, mais c’est une
impertinence dans toute la force du terme.
Je n’ai jamais cherché à embrouiller une question.
Quand on dit que dans la discussion d’une question de principe, il faut pouvoir
en discuter les conséquences, ce n’est pas chercher à l’embrouiller, mais à
l’éclaircir.
Quel sera le moyen de rendre la discussion plus
claire ou de l’embrouiller ? Sera-ce discuter chaque question isolément, ou de
les discuter toutes à la fois ?
M. Dumortier. - J’ai dit tout à l’heure : je veux bien qu’on discute toutes les
questions à la fois ; mais je demande que nos adversaires aient le courage
d’attaquer de front ma proposition et non d’une manière détournée. Il y aura
alors franchise dans la discussion ; cette franchise, nous ne la voyons pas
dans la manière dont on défend la cause de la raffinerie des sucres exotiques ;
nos adversaires prétendent qu’ils ne comprennent pas la question ; eh bien, je
proposerai à la chambre de modifier ma proposition en ce sens : Assurera-t-on
au trésor l’intégralité des droits sur les sucres consommés en Belgique ? Quant
aux moyens, nous y viendrons plus tard ; alors nous verrons si on veut
continuer des abus qui s’exercent aux dépens du trésor public.
Un membre. - Tout le monde répondra : Oui.
M. Dumortier. - Non ; non ; tous ceux qui veulent continuer à prendre des millions dans
le trésor public diront : Non !
Nous voyons tous que le trésor a subi
depuis dix ans des pertes considérables, par suite du rendement actuel. Je
demande donc qu’on discute, non dans l’intérêt de telle ou telle industrie,
mais dans l’intérêt du trésor, s’il y a lieu de laisser enlever au trésor
public une partie de l’impôt que les citoyens peuvent et doivent payer. Je dis
qu’en présence d’une question aussi claire, l’honorable M. Demonceau avait
raison de dire qu’on l’embrouillait, et je trouve très déplacées et très imparlementaires les paroles que lui a adressées M. Cogels.
Rien de plus clair que cette proposition : Voulez-vous continuer, oui ou non,
le système de la loi de 1822 ? Quand on vient embrouiller une pareille
question, on est mal venu à venir parler d’impertinence.
Voilà donc, si vous voulez poser la question dans un
sens ou dans l’autre : Continuera-t-on le système de rendement ou assurera-t-on
au trésor l’intégralité de l’impôt sur le sucre exotique ? A mes yeux, c’est la
même chose.
M. Mercier,
rapporteur. - Je n’entends pas me prononcer sur la
question posée par M, Dumortier : Continuera-t-on le système du rendement ?
Mais je dois déclarer que cette question me paraît très facile à comprendre. Ce
système n’est pas exclusif des primes d’exportation ; il peut admettre que des
primes seraient accordées d’une autre manière. Nous saurions, en ce cas, d’une
manière précise quelle est cette prime. Je n’entends pas, je le répète, me
prononcer sur cette question, mais elle est très claire et très simple. Quand
on l’aura résolue, on n’aura décidé, quant aux primes, ni si ou les
maintiendra, ni dans l’affirmative, quelle sera leur quotité ; on saura
seulement si l’on renonce au système actuel. J’ai entendu dire que nous
n’étions en présence que de la proposition de M. Dumortier, que la proposition
du gouvernement, quant au chiffre, étant rejetée, il ne restait plus que celle
relative au rendement.
Je ferai observer qu’il y a un projet complet de la
section centrale concernant le droit et le rendement. Si l’on pense que ce
projet ne donne pas une garantie suffisante de recettes, les membres qui auront
cette opinion pourront faire la proposition d’ajouter un ou deux dixièmes à la
réserve de 1/10 qu’il maintient. Il n’est donc pas exact de dire que nous ne
soyons en présence d’aucune proposition.
M. de Theux. - Je ne vois rien d’embrouillé dans la proposition de M. Dumortier ; cela
me paraît aussi clair que le jour. En effet, qu’est-ce que l’honorable M.
Dumortier a demandé ?
Il vous demande que l’on fasse cesser le système de
rendement qui est établi par la loi en vigueur, et qui constitue une prime
indirecte d’exportation, dont on ne peut déterminer l’importance.
M. Dumortier propose un nouveau système ; il veut
que l’on puisse travailler spécialement et séparément pour l’exportation, avec
exemption de droits, et de plus il admettrait une prime dont le chiffre global
serait fixé par la loi, parce que dans ce système la chambre sait à quoi elle
s’engage ; elle sait positivement ce qu’elle fait pour le sucre exotique et
pour l’intérêt de la navigation. Voici donc une proposition bien simple ; si
elle est adoptée par la chambre, il y aura lieu de faire une organisation dans
le sens de la résolution qui aura été adoptée par la chambre ; il y aura lieu
de déterminer le montant de la prime, les formalités à observer pour l’exportation
; mais ces diverses mesures pourront être prises ultérieurement quand la
question de principe sera résolue.
Quant à la discussion, rien n’empêche l’honorable M.
Dumortier d’indiquer les conséquences pratiques de son système, de quelle
manière il entend l’organiser, tant pour la liberté du travail que pour la
hauteur de la prime, et pour les moyens de répartir cette prime. Rien n’empêche
l’honorable membre d’entrer dans ces développements ; il conviendrait même
qu’il le fît au moins sommairement. Les adversaires de l’honorable M. Dumortier
devraient le suivre sur ce terrain, démontrer en quoi
son système serait impraticable.
Il y a un autre moyen de
combattre la proposition de M. Dumortier, en partant de cette base, que le
trésor a besoin de quatre millions, c’est de démontrer qu’il existe d’autres
moyens pour obtenir ces quatre millions. C’est par ce motif que je demande que
tous ceux qui veulent formuler des amendements, les développent immédiatement.
Nous aurons alors le choix entre ces divers systèmes, nous pourrons prendre une
détermination avec maturité, et une fois cette détermination prise en principe,
l’organisation deviendra très-facile.
M. Verhaegen. - Le gouvernement, qui devrait diriger la discussion, se tient à l’écart.
M. Rogier. - C’est très vrai.
M. Verhaegen. - Et je suis étonné d’entendre reprocher par M. le ministre des finances
à l’honorable M. Dumortier qu’il a fait une proposition irréfléchie, lui qui
n’a cessé de changer de système. (Dénégation.)
Vous avez changé, jusqu’à quatre fois de système, et je trouve étonnant que
vous adressiez un pareil reproche à l’un de nos honorables collègues.
Je dis que le gouvernement ne dirige pas la discussion,
et que nous sommes forcés de voguer, en quelque sorte, à l’aventure ; en effet,
ce n’est pas le gouvernement qui formule les propositions, il abandonne ce soin
aux membres de cette assemblée.
La proposition dernière du ministre des finances a été
condamnée par le vote d’hier, et ainsi son système s’écroule par sa base ; il
devrait donc avoir le courage d’en formuler un autre.
Une proposition est faite par M. Dumortier. Je ne
dis pas encore quel sera le parti que je prendrai sur cette proposition ; je
cherche à m’éclairer, c’est dans cette intention que je ferai quelques
réflexions par forme d’interpellations.
L’honorable M. Dumortier ne veut-il pas faire
décréter que le rendement fictif, tel qu’il favorise aujourd’hui le sucre
exotique, ne continuera pas à exister ? ne veut-il pas
saper par sa base ce rendement fictif, ne veut-il pas dire aux raffineurs : Si
vous avez besoin d’une protection, je vous l’accorderai, mais ayez le courage
de la demander ; ne vous cachez pas derrière un rendement fictif ; s’il vous
faut une protection pour pouvoir subsister, ayez la franchise de le dire, et la
chambre s’empressera de vous la donner. Voilà, je pense, ce que propose M.
Dumortier, et s’il en est ainsi, on a eu tort de prétendre qu’il avait présenté
un système dont l’exécution était impossible. Voici, quant à moi, de quelle
manière je comprends ce système. Je lui demanderai encore à cet égard des
explications, tout en me réservant la liberté de mon vote.
D’après M. Dumortier, on fera payer au sucre
exotique un droit à l’entrée ; il y aura deux catégories de raffineries : l’une
pour l’exportation, l’autre pour la consommation. Les raffineries pour
l’exportation travailleront en entrepôt. On s’est mis à rire quand on a parlé
de raffinage à l’entrepôt ; on a prétendu qu’un entrepôt fictif était
impossible, et plus encore un entrepôt réel ; une réponse a été faite à cette
objection par l’honorable M. de Mérode, et elle est marquée au coin de
l’exactitude. On fera, a-t-il dit, pour le sucre exotique destiné à l’exportation,
ce que l’on fait pour les raffineries de sucre indigène. Je demande si ce n’est
pas ainsi qu’on l’entend ?
M. Dumortier. - Tout à fait.
M. Verhaegen. - Si les raffineurs travaillent pour l’exportation, ils travailleront
dans des entrepôts fictifs, et ils seront surveillés par les employés comme les
fabricants de sucre indigène, d’abord à la défécation et ensuite dans le
rafraîchissoir à l’empli.
C’est véritablement là une fabrication en entrepôt
fictif. Encore une fois, pourquoi ne ferait-on pas pour le sucre exotique
destiné à l’exportation ce que l’on fait pour le sucre indigène qui doit payer
son droit de consommation ? C’est absolument la même chose.
Je crois, messieurs, que le système de M. Dumortier
est exécutable, du moment que l’on fait deux catégories de raffineries, l’une
travaillant pour l’exportation et l’autre pour la consommation. On paie le
droit à l’entrée, et dans les raffineries qui seront surveillées comme elles
devront l’être, on donnera une décharge de ce droit payé à l’entrée, alors que
l’on fera sortir tout ce que le sucre importé aura produit.
M. Dumortier. - C’est cela.
M. Verhaegen. - C’est de cette manière que je comprends la proposition de M. Dumortier.
Elle se réduit à cette question : continuera-t-on à laisser jouir le sucre
exotique d’une prime indirecte ou d’un rendement fictif ? Si cette question est
résolue négativement, on prendra alors tout ce que le sucre exotique comporte,
sauf à donner une somme déterminée à
titre de prime. Alors, au moins, on saura quel sacrifice fait le trésor,
mais c’est ce que les raffineurs ne veulent pas. Ils préfèrent le rendement,
ils veulent une protection, mais ils se refusent à la demander d’une manière
formelle,
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Messieurs, tout le monde reconnaît
que la question des sucres est une des plus graves et des plus difficiles qui
puissent exister en matière d’économie sociale ; partout elle occupe les
méditations des hommes d’Etat, et nous voyons, par l’expérience d’un pays
voisin, combien est grande la difficulté de la résoudre. J’étais donc en droit
de me servir des expressions que j’ai employées et de dire, d’après les
développements que l’honorable M. Dumortier a donnés aujourd’hui à son
amendement d’hier, que cet amendement devait s’interpréter d’une toute autre
manière. J’ai fait remarquer qu’il devait s’expliquer, et dire s’il voulait un
système de droit de douanes ou un système de droit d’accises. Si c’est un droit
de douanes, eh bien, dans ce cas, il n’y a plus d’exportation, à moins
d’apporter la plus grande confusion dans les principes de l’impôt.
S’il veut un droit d’accise, il doit y avoir
exportation, et par conséquent restitution du droit ; mais on ne peut pas
amalgamer deux principes contraires. Cependant, l’honorable M. Dumortier,
d’après les nouvelles explications qu’il vient de fournir, paraît vouloir
l’intégralité du droit, mais en autorisant ceux qui voudront exporter à
travailler dans des entrepôts fictifs, ou bien à recevoir une prime à
déterminer par la loi. Or, voilà bien deux systèmes entièrement différents.
M. Dumortier. - Il n’y en a qu’un seul.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Vous dites que, pour faciliter la
raffinerie des sucres exotiques destinés à l’exportation, vous proposez soit la
faculté de raffiner en entrepôt fictif, soit une prime qui ne pourra excéder 2
millions de francs.
M. Dumortier. - Mettez et au lieu de soit.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Eh bien, messieurs, il y aurait donc
faculté de raffiner en entrepôt avec faculté d’exportation. Je voudrais bien
que ce système fût formulé, car la chambre, en décrétant le principe n’aurait
encore rien fait. Il faudrait ensuite une nouvelle loi d’application ; mais
comment faire cette loi ? Quelles seront les dispositions, quelles seront les
mesures de surveillance à employer, quel sera le rendement pour chaque espèce
de contrôle, quel sera le rendement pour chaque espèce de sucre ; ou quel sera
le rendement pour chaque espèce de mélange ?
Vous le voyez, messieurs, un pareil système ne
s’improvise pas, et j’étais en droit de dire que cette proposition n’avait pas
été suffisamment réfléchie.
L’honorable M. Verhaegen nous a reproché de ne pas
diriger les discussions de la chambre ; mais, messieurs, je ne sais pas comment
nous pourrions le faire.
Nous avons présenté un projet en 1842 ; ce projet
avait pour but d’assurer la coexistence des deux sucres. Mais ce projet
n’assurait au trésor qu’une rentrée de deux millions environ. Est venu le vote
par la chambre de 50 millions de dépenses extraordinaires ; est venue la
discussion du budget des voies et moyens : cela changeait entièrement la
situation. Pour nous conformer aux vœux de la chambre exprimés lors de cette
discussion, nous sommes venus vous apporter des amendements tendant à faire
produire à l’industrie sucrière un revenu de 4 millions ; la chambre,
messieurs, par son vote d’hier, a rejeté nos propositions.
Dès lors le gouvernement s’est
trouvé devant des systèmes nouveaux. Les amendements du gouvernement ont été
rejetés, et vous voulez que nous dirigions les délibérations dans le sens de
ces amendements. Mais cela n’est pas possible. Le gouvernement doit aujourd’hui
écouter toutes les propositions nouvelles qui surgiront ; il se décidera
ensuite pour l’une ou pour l’autre d’entre elles, sauf à l’amender dans les
intérêts du trésor, et aussi dans l’intérêt du commerce et de l’industrie. Car
le gouvernement ne peut jamais disjoindre ces trois choses ; le gouvernement a
pour mission dans cette assemblée non seulement de défendre les intérêts du
fisc, mais de concilier ces intérêts avec ceux du commerce et de l’industrie.
M. Delehaye. - Messieurs, on nous a accusés hier et aujourd’hui de vouloir embrouiller
la discussion. Remarquez bien, messieurs, que l’honorable M. Dumortier vous a
fait d’abord une proposition qui a été imprimée. Cette proposition a été
modifiée hier ; elle se trouve encore modifiée aujourd’hui, et enfin
l’honorable M. Verhaegen vient de fixer l’idée de l’honorable M. Dumortier.
Est-on bien fondé après cela à dire que c’est nous qui voulons embrouiller la
discussion ? Comment ! vous saisissez la chambre d’une
proposition que vous modifiez quatre fois !
M. Dumortier. - Pas du tout.
M. Delehaye. - Vous nous aviez fait une première proposition que vous avez retirée
hier et que vous avez remplacée par une autre.
M. Dumortier. - C’est complètement inexact.
M. Delehaye. - Mais les faits sont là ; votre première proposition a été imprimée ;
vous l’avez remplacée par une autre.
Je ne vous fais pas un reproche d’avoir modifié
votre première opinion ; vous avez bien fait si vous avez reconnu que vous
aviez tort en premier lieu, et vous aviez eu tort.
L’honorable membre dit que nous avons craint
d’exprimer notre opinion ; mais c’est vous qui n’avez pas eu le courage
d’exprimer votre opinion. Car quelle est la portée de votre proposition ? C’est
de défendre l’exportation, et vous n’osez pas le dire.
Mais, dit-on, l’honorable M. Dumortier propose une
prime pour favoriser l’exportation. Mais, messieurs, cette promesse de prime
n’a pas de sens.
On dit que le projet du gouvernement est renversé.
Je dis qu’il est renversé quant au droit, mais il n’est pas renversé quant au
rendement. La question du rendement n’a pas été touchée, personne ne s’en est
occupé. Il n’est donc pas exact de dire que le projet du gouvernement ait été
rejeté ; nous pouvons le maintenir quant au rendement. Il est vrai que vous
n’obtiendrez plus 4 millions de l’impôt du sucre. Mais il est impossible, après
la décision que vous avez prise, d’obtenir 4 millions. Car je ne pense pas que
le ministère soit l’ennemi du commerce et veuille demander une aggravation de
charges.
L’honorable député de Bruxelles
vient d’expliquer la proposition de l’honorable M. Dumortier ; mais je dis que
ces explications sont encore incomplètes. Je vous demanderai, par exemple, ce
que vous feriez du sucre vergeois et du sirop ? Voilà
une question qui n’a pas été touchée.
On dit que nous embrouillons la question mais nous
n’avons fait, nous, aucune proposition ; nous avons soutenu le projet du
gouvernement. Aussi, si la réponse de l’honorable M. Cogels peut avoir été un
peu grave, elle trouve son excuse dans les accusations dont nous avons été
l’objet.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, je suis très étonné que l’honorable
préopinant vienne m’adresser le reproche d’avoir constamment modifié ma
proposition et de n’avoir pas d’opinion faite. Et qu’après ce reproche il
finisse par dire : Mais soyez donc de bonne foi. Je crois, messieurs, que
personne ne montre plus de bonne foi que moi, et la preuve, c’est que mon
opinion ne s’est modifiée en rien depuis l’origine de ma proposition ; les
modifications que je lui ai fait subir ne sont que des modifications de
rédaction, et en voici la preuve.
Qu’est-ce que j’ai proposé d’abord ? Cette rédaction
:
« Le droit sur les sucres, soit indigènes, soit
exotiques, est acquis au trésor au moment de la mise en consommation.
« La restitution de sortie est supprimée. »
J’espère, messieurs, qu’il n’est pas possible de
rien voir plus clair que cette rédaction.
Qu’ai-je demandé hier que l’on mît en discussion ?
Qu’est-ce que la chambre a admis qu’elle mettrait en discussion ? cette question de principe : Continuera-t-on le système de
rendement, c’est-à-dire la restitution de sortie ?
Je dis qu’entre la première et la seconde rédaction
il n’y a que les termes qui diffèrent, le sens est absolument identique, et la
preuve, c’est que, dans ma première comme dans ma seconde rédaction, le second
paragraphe, qui est le point culminant de la discussion, était
le même.
C’est donc bien à tort qu’on vient nous inviter à être
de bonne foi, alors qu’on cherche è embrouiller une question si limpide, si
claire.
Messieurs, nous n’avons demandé qu’une seule chose,
c’est qu’on sorte du système de rendement qui a occasionné tant de perte au
trésor public ; qu’on se décide par une proposition affirmative ou par une
proposition interrogative, le résultat est toujours le même.
Messieurs, l’honorable M. Delehaye vient de vous
dire que la proposition que j’ai faite a pour but de détruire les exportations
de sucre exotique. Je soutiens que cela est encore inexact, puisque, déjà il y
a plusieurs jours, lorsque j’ai parlé pour la première fois, j’ai dit, ainsi
que vient de le rappeler l’honorable M. Verhaegen, que j’étais prêt, s’il le
fallait, à accorder une prime d’exportation pour le sucre raffiné à
l’intérieur, mais que je voulais savoir ce que le trésor paierait.
M. Delehaye. - Où exporteriez-vous ?
M. Dumortier. - Où on exporte maintenant. Mais soyons justes ; vous voulez palper dans
le trésor sans que l’on sache ce que vous aurez palpé. Voilà comment on
s’explique quand on parle avec franchise et avec vérité.
Eh bien ! je ne veux pas de
la continuation d’un pareil trafic, qui est à mes yeux un commerce honteux. Je
veux que si le trésor fait un sacrifice, et je suis le premier à vouloir en
faire un en faveur du sucre exotique, que je ne veux pas tuer comme on a voulu
tuer le sucre indigène, je veux que l’on sache à quoi se monte ce sacrifice.
Je veux en second lieu que les droits de
consommation restent acquis au trésor, et que quand ces droits lui seront
acquis, nous en fassions ce que nous voulons, que nous en donnions une part,
s’il le faut, pour favoriser l’exportation, mais que la très grande part reste
au trésor ; et je maintiens qu’en adoptant ma proposition, le trésor resterait
nanti de 4 millions, tout en donnant 2 millions en primes d’exportation.
Quant aux objections qui ont été
faites à ma proposition, je suis prêt à les aborder ; je suis prêt à
m’expliquer sur ce qui a été dit du sucre vergeois,
des moyens de mettre mon système à exécution ; mais je dis qu’on ne peut nous
accuser de mauvaise foi ; nos principes sont restés les mêmes, nous ne les
modifions pas.
Messieurs, vous le voyez, il faut aborder la
question au fond. Je me rallie, quant à moi, à la proposition de l’honorable
M.de Theux. Qu’on développe les divers systèmes proposés, qu’on les examine, et
je suis persuadé qu’il en surgira la conviction que le seul moyen d’obtenir les
revenus que l’on veut assurer au trésor public est celui que j’ai proposé.
M. Demonceau. - Messieurs, un honorable membre a cru devoir qualifier d’impertinence ce
que, pour moi, je considère comme une vérité, peut-être trop naïvement
exprimée. Si, messieurs, il y avait eu quelque chose dans mes paroles qui puisse déplaire à la chambre, je les retirerais. Je
demanderai donc à l’honorable collègue qui m’a fait ce reproche, s’il juge que
je dois être rappelé à l’ordre ; qu’il en fasse alors la proposition, et je
subirai la censure de la chambre. J’ai pour habitude de m’exprimer toujours
avec vérité, mais jamais je ne manquerai à la chambre ni aux convenances
parlementaires.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Messieurs, la chambre a décidé hier
qu’elle commencerait la discussion nouvelle par l’examen de la proposition de
l’honorable M. Dumortier. Si cet examen n’a pas encore commencé, cela tient
uniquement aux développements qu’il a donnés à l’appui de sa proposition. Mais
je crois qu’il faut sérieusement se mettre devant la question, et j’engagerai
l’honorable M. Dumortier à présenter dès à présent les moyens pratiques qu’il
croit avoir trouvés pour le cas d’exportation avec le régime d’entrepôt, parce
qu’il faut clairement s’entendre sur la portée d’une question pour bien la
résoudre.
M. le président. - La chambre a décide qu’elle discuterait d’abord la question proposée
par l’honorable M. Dumortier : celle de savoir si on continuerait le système du
rendement. L’honorable M. de Theux propose de discuter en même temps les
différentes propositions qui ont été déposées sur le bureau. La chambre
veut-elle discuter conjointement la question de M. Dumortier et ces différentes
propositions ?
M. de La Coste. - Je ne puis m’empêcher de dire que ce serait revenir sur une décision de
la chambre. Cela peut-être fort utile, mais la chambre a décidé le contraire
par deux votes par assis et levé, et ensuite par appel nominal. Si nous
remettons en discussion ce qui a été décidé, nous n’avancerons pas d’un seul
pas. Il ne suffirait pas d’ailleurs qu’on discutât les nouveaux amendements ;
il faudrait aussi qu’on discutât le projet ministériel et le projet de la
section centrale ; c’est-à-dire qu’on examinât simultanément la question du
droit et celle de rendement ; si on les discute conjointement avec la
proposition de l’honorable M. Dumortier, on détruira littéralement la décision
qui a été prise hier.
L’honorable comte de Theux fait-il la proposition de
revenir sur le vote d’hier ? Alors il y aura lieu de mettre cette proposition
aux voix. Sans cela il me semble que M. le président devrait maintenir la
discussion dans le sens décidé par la chambre.
M. de Theux. - Messieurs, à la fin de la séance d’hier, j’ai signalé à la chambre
l’embarras dans lequel elle se trouverait si elle s’attachait uniquement à la
proposition de l’honorable M. Dumortier, proposition que l’on ne peut apprécier
d’une manière complète qu’en la mettant en regard des autres propositions qui
tendent à assurer au trésor un revenu de 4 millions. Ce n’est qu’en examinant
simultanément toutes ces propositions que la chambre pourra se former une
opinion sur ce qu’il convient de faire.
Eh bien, messieurs, c’est la
marche qu’à la fin de la séance d’hier j’ai proposé à la chambre de suivre, et
alors cette proposition n’a rencontré aucune espèce d’opposition ; lorsque je
l’ai reproduite aujourd’hui, l’honorable M. Dumortier en a tellement senti la
justesse, qu’il s’y est rallié, et tout le monde semblait d’accord pour
l’adopter. C’est, en effet, le seul moyen qui puisse mettre la chambre à même
de faire un choix entre les diverses propositions qui sont faites. La
proposition de M. Dumortier a pour objet d’assurer des recettes an trésor, maïs
il pourrait arriver qu’il fût démontré dans la discussion que telle ou telle
des autres propositions qui sont ou seront faites, fût de nature à amener le
même résultat tout en étant plus favorable aux intérêts du commerce. Eh bien,
dans ce cas il faut que la chambre puisse donner la préférence à une semblable
proposition. Ce n’est pas ici, messieurs, une question d’amour-propre ; il
s’agit des intérêts généraux du pays, de l’intérêt du trésor, de l’intérêt du
commerce. Mettons donc de côté toute espèce d’animosité, toute espèce d’esprit
de localité, et tâchons de trouver le meilleur moyen de concilier les divers
intérêts qui sont en présence.
M. Cogels. - Messieurs, j’avais demandé que la chambre ne revînt pas sur la décision
qu’elle a prise hier. Vous vous rappellerez qu’il s’agissait de savoir si l’on
donnerait la priorité à la proposition de M. Dumortier tendant à supprimer la
restitution, ou bien à deux questions de M. de
Maintenant, si l’honorable M.
Demonceau, au lieu de dire qu’il n’a fait qu’exprimer trop naïvement une
vérité, veut dire qu’il s’est trompé, alors je consentirai volontiers à retirer
également l’expression dont je me suis servi dans un moment de vivacité.
M. de La Coste. - Je crois avoir présenté à la chambre la véritable position où elle se
trouve par suite de son vote d’hier. Si maintenant elle pense éclaircir la
discussion en réunissant trois questions, celle de M. Dumortier, celle du
rendement et celle du chiffre de l’impôt, je n’ai rien à objecter, je ferai
seulement remarquer qu’alors il ne faut pas discuter uniquement ces trois
questions que je viens d’indiquer, mais qu’il faut examiner en même temps le
système ministériel et le système de la section centrale.
M. de Mérode. - Messieurs, j’appuie la proposition de l’honorable M. de Theux, car si
l’on discutait uniquement la proposition de M. Dumortier, bien des membres
pourraient croire qu’il n’y a pas d’autre moyen de procurer au trésor 4
millions de francs, tandis que si l’on examine en même temps les divers
systèmes proposés pour atteindre ce but, on pourra comparer ces divers systèmes
et choisir celui qui paraîtra le plus efficace
- La proposition de M. de Theux est mise aux voix et
adoptée. En conséquence, la chambre passe à la discussion des diverses
propositions relatives au rendement et aux chiffres des droits.
Discussion des propositions relatives au rendement et aux chiffres des
droits à percevoir au profit du Trésor
M. Rodenbach. -
Messieurs, j’ai proposé, dans la séance d’hier, un amendement tendant à imposer
le sucre exotique d’un droit d’accise de 40 fr. et le sucre indigène d’un droit
de 25 fr. J’ai voulu, messieurs, que les deux industries pussent exister et
même prospérer en Belgique ; la différence de droits que je propose d’établir
en faveur du sucre indigène est de 15 fr. par
M. le ministre des finances
(M. Smits) - 37 p. c.
M. Rodenbach. - Je
crois que lorsqu’on a égard à la différence qu’il y a entre le prix de revient
des deux sucres, on doit reconnaître que la protection n’est que de 25 p.c. et
non pas de 37. Eh bien, messieurs, je crois qu’au moyen de cette protection,
l’industrie du sucre indigène peut prospérer. Si je suis bien informé, les
sucreries de betteraves vendent maintenant leur sucre à dix centimes par
kilogramme meilleur marché qu’on ne vend le sucre exotique. L’industrie
indigène pourra donc prospérer avec une protection de 25 p. c.
Messieurs, je n’ai pas voulu de l’égalité des
droits, mais j’admets toutes les autres dispositions du projet du gouvernement
; ainsi, j’admets le rendement tel que M. le ministre des finances le propose ;
j’admets la retenue de 4/10, en un mot je ne propose d’autre changement au
projet ministériel que de remplacer pour le droit sur le sucre indigène le
chiffre de 40 fr. par celui de 25 fr.
Si j’ai voté contre l’égalité des droits, c’est
parce que je n’ai pas voulu détruire une industrie qui fait des progrès
immenses et qui en fera sans doute encore. D’ailleurs, si on avait anéanti
cette industrie, il aurait fallu lui donner une indemnité, et je ne sais pas
s’il appartiendrait à la chambre de fixer le chiffre d’une semblable indemnité
; quand il s’agit d’une expropriation pour cause d’utilité publique, on fait
des enquêtes, les intéresses sont entendus, et ce sont les tribunaux qui
prononcent ; je ne sais pas jusqu’à quel point on aurait pu s’écarter des
principes admis en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. Eh
bien, messieurs, personne ne peut dire à combien s’élèverait le montant de
l’indemnité qu’il faudrait payer aux producteurs de sucre indigène, si l’on
supprimait leur industrie ; il s’agirait peut-être de 5, 7, 10 millions.
Je pense, messieurs que si mon
amendement est adopté, le trésor pourra tirer du sucre 3 millions et demi et
que la coexistence des deux industries sera assurée. La proposition de la
section centrale ne détruirait pas entièrement la navigation et le commerce,
mais elle froisserait considérablement la raffinerie du sucre exotique,
industrie qui existe depuis deux siècles dans le pays, et dont l’importance est
de plusieurs millions. Je pense qu’on ne peut pas ainsi anéantir, d’un seul
trait de plume, une semblable industrie.
Je pense, messieurs, que quand vous aurez bien
examiné la question, vous adopterez mon amendement, qui, je le répète,
permettra aux deux industries d’exister, qui nous évitera la nécessite de payer
une indemnité dont le chiffre pourrait s’élever à 6 ou 10 millions, et qui
rapportera plus au trésor que la proposition ministérielle.
(Moniteur
belge n°63, du 4 mars 1843) M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je crois que l’amendement de M. Rodenbach peut satisfaire le
commerce ; mais je ne pense pas qu’il puisse satisfaire aux exigences du
trésor. Ce n’est pas 3 millions et demi, messieurs, que le trésor devrait
retirer de la consommation du sucre, c’est 8 à 10 millions. Eh bien, en
admettant ma proposition, on procurera au trésor une recette d’environ
7,500,000 fr. au lieu de 4 millions proposés par le gouvernement ; notre trésor
ne sera pas encombré (erratum Moniteur
belge n°66 du 7 mars 1843 :) par les 3 millions cinq cent mille francs en
plus que mon amendement procure à M. le ministre des finances.
Messieurs, si je suis venu vous faire une
proposition, c’est que j’ai pour moi l’autorité de ce qui se passe en France.
Je vais vous donner connaissance de ce qui a lieu en France. J’ai sous les yeux
le relevé des importations de sucre en France, ainsi que des droits payés de ce
chef en 1841 ; le tableau a été arrêté au premier juillet 1842.
(Le Moniteur
reprend ensuite un relevé des quantités de sucre mises en consommation en
France pendant l’année 1841. Ces données
statistiques ne sont pas reprises dans la présente version numérisée.)
Notez bien que l’impôt sur le sucre, en France, est
plus élevé que la valeur du sucre, tel poids d’une valeur de 1,300,000 fr. paie
1,800,000 francs de droit, et le sucre étranger paye en France à raison de 75
francs par
Messieurs, si vous comparez le chiffre que je vous
propose pour frapper le sucre étranger, entrant en Belgique, à raison de 60 c.
; si vous le comparez, dis-je, au droit qui existe en France, vous verrez que
je suis bien modéré, car, en France, le taux moyen du droit qu’on perçoit à
l’entrée des sucres étrangers, est de 73 c. par kilogramme.
La France a reçu en 1841 une somme de fr. 43,626,919 provenant de l’impôt sur les sucres, non compris le
droit perçu sur le sucre de betterave.
Messieurs, si je compare l’impôt perçu eu
Angleterre, avec celui qu’on percevrait en Belgique d’après la proposition que
j’ai eu l’honneur de vous soumettre, vous verrez que je suis encore très loin
d’approcher du chiffre du revenu que le sucre procure à l’Angleterre.
En Angleterre, la consommation du sucre donne 120,600,000 francs : c’est 30 fr. par individu ; eh bien, mon
système n’aboutirait pas encore à 2 fr. par tète.
Messieurs, si ma proposition n’était pas admise, je
vous entretiendrais d’un autre moyen qui serait aussi très favorable au trésor.
Je pourrais admettre le système du gouvernement, qui est de frapper à la
consommation le sucre indigène d’un droit égal à celui dont serait frappé le
sucre exotique, pour autant, cependant, que ce dernier soit frappé d’un droit
d’entrée de 15 à 20 fr. par 100 kil. (Exclamations
sur quelques bancs.)
Je sais que c’est trop fort pour celui qui veut
gagner beaucoup en puisant dans le trésor. Nos autres industries jouissent
d’une semblable faveur, nous la devons à l’industrie du sucre, à plus forte
raison que les avantages qu’elle procure sont immenses, comparés aux diverses
autres industries du pays.
Mais pour obtenir le résultat que nous attendons de
la consommation de cette matière en faveur du trésor, il faut que toute la
partie sucrée, provenant du sucre brut, paie l’impôt et en admettant le chiffre
de 40 fr. par 100 kil.
5,000,000 de sucre de
betterave, à raison de 40 fr. par 100 kil., donneront une recette de fr.
2,000,000
10,000,000 de sucre
exotique pour compléter la consommation au droit de 40 fr., fr. 4,000,000
10,000,000 de sucre exotique
payeront un droit d’entrée de 20 fr., par 100 kil., soit fr. 2,000,000
Ensemble, fr. 8,000,000
Quant au surplus des sucres entrant pour
l’exportation après le raffinage, j’adopterai la proposition de M. Dumortier ou
telle autre qui serait de nature à éviter la fraude.
On me dira peut-être que j’accorde une trop grande
protection à l’industrie de mon pays au détriment de la navigation et de
l’exportation de nos produits. Je crois qu’on s’exagère l’importance du
commerce des sucres, en rapport avec le bien-être que cette exportation produit
au trésor. Je vais vous en donner la preuve.
Le principal argument que l’on a fait valoir, pour
soutenir les raffineries de sucre exotique qui travaillent pour l’exportation,
c’est le suivant :
L’influence bienfaisante du commerce de sucre,
particulièrement par rapport à l’exportation des produits industriels du pays,
sur laquelle les sucres, a-t-on prétendu, exerçaient une grande influence.
Voici le résultat du mouvement commercial avec les
pays de provenance de sucre non compris les sucres.
(Le Moniteur
reprend ensuite un relevé des importations et des exportations de divers pays
tropicaux. Ces données statistiques ne
sont pas reprises dans la présente version numérisée.)
Il résulte de ce qui vient d’être établi, que les
pays de provenance de sucre ont importé, en Belgique, des produits de leur pays
autres que des sucres, la quantité de kil. 21,549,477,
tandis que
Voyons combien de navires sont employés pour
exporter nos produits que nous fournissons aux pays là où nous allons chercher
des sucres en établissant le chargement de chaque navire, taux moyen, à 200
tonneaux, soit 200,000 kil.16 à 17 navires sont employés à exporter les
matières que nous fournissons aux Indes, tandis que pour importer les matières
des Indes autres que des sucres en Belgique, 107 navires sont employés à nous
importer leurs produits. Il résulte donc que de ces 107 navires qui nous importent,
17 sortent avec chargement, tandis que 90 partent sur lest.
Tandis que pour importer les matières provenant des
Indes, autres que le sucre, 107 navires ont été employés. Il en résulte que sur
107 navires qui nous importent des produits indiens autres que le sucre, 17
sortent avec chargement et 90 partent sur lest.
En présence des documents statistiques peut-on venir
prétendre que nos navires, allant aux pays de provenance de sucre pour porter
nos produits, seraient dans le cas de revenir à vide et de faire supporter à la
marchandise exportée un double fret s’ils ne trouvaient pas le sucre pour
utiliser leur retour ? Ils ont des produits autres que le sucre à prendre,
puisque sur 107 navires qui nous apportent ces produits, 90 retournent sur
lest.
Messieurs, à entendre certains membres, on croirait
aussi qu’il est réservé à nos navires qui nous importent du sucre, de se
charger d’exporter nos fabricats aux Indes.
Dans une séance précédente on a dit qu’il ne sortait
pas de navire belge sur lest pour aller chercher du sucre aux Indes.
Curieux de connaître jusqu’à quel point cette
allégation était exacte, j’ai ouvert la statistique du mouvement maritime, et
je trouve à la page 306 du document statistique qui nous est fourni par le
département des finances, exercice 1841, qu’il est sorti de nos ports sur lest,
959 navires d’un tonnage de 140,560 tonneaux, n’ayant emporté que 1,039
tonneaux, sûrement en approvisionnement de voyage, 186 navires belges sont
sortis sur lest, dont 1 allant aux Pays-Bas, là où nous cherchons du sucre, 121
allant en Angleterre, là où on veut aussi chercher du sucre, 2 allant à Cuba et
Porto-Rico, où nous cherchons du sucre, 1 allant au
Brésil et 18 sortis à l’aventure, soit 143 navires belges, y compris ceux qui
vont à l’aventure, sont sortis de nos ports sur lest en 1841 (erratum Moniteur belge n°66 du 7 mars 1843 :)
destinés à importer du sucre selon toute probabilité.
Résultat. Sortis sur lest de tout pavillon, belge
excepté, en 1841 :
Etrangers, 773
Belges, 186
Total, 959
De ces 186 navires belges sortis sur lest, 143 sont
allés en Angleterre, en Hollande, à Cuba et Porto-Rico,
au Brésil et 18 à l’aventure, sûrement allant chercher
du sucre en aventuriers.
Je vais vous citer l’opinion d’un homme qui
m’inspire beaucoup de confiance par son érudition et ses connaissances, c’est
celle de M. de Humboldt, de Berlin.
La remarque de cet homme distingué donne un démenti
formel à ceux qui prétendent que la betterave ne peut lutter contre la canne.
La canne, prétend-on, produit plus de sucre que la betterave. Vous allez voir
que la même quantité de terrain cultivée en betterave donne le double de sucre
que s’il était cultivé en canne à sucre.
M. de Humboldt a remarqué que 7 lieues carrées dans
les pays de provenance de sucre de canne, fournissent tout le sucre que la
France a jamais consommé.
7 lieues carrées mesurent
Si ce fait est exact, comme je le crois, la
betterave donnerait par hectare le double du sucre, que le même hectare cultivé
en canne à sucre.
N. B. 7 lieues carrées aux colonies françaises
produisent la consommation de la France en sucre ; cette consommation est évaluée
à 120,000,000 de kilog. ; 7 lieues carrées ou
Messieurs, on prétend que c’est une chimère de
vouloir implanter chez nous l’industrie du sucre indigène. Eh bien, moi je
prétends que cette industrie a de l’avenir, le sucre de betterave marche à pas
de géant, et s’il continue à marcher en progrès, il deviendra à meilleur compte
que le sucre de canne.
Sous l’empire il coûtait environ 8 fr. le kil.
Aujourd’hui il revient au fabricant à 75 centimes ; encore un progrès il
ne coûtera plus que 59 centimes et peut-être moins.
Voilà la perspective en faveur du consommateur.
Au surplus je vous ai cité la remarque d’un homme
distingué sur la culture de la canne comparée à la culture de la betterave pour
la fabrication du sucre.
Il n’en serait pas ainsi en faisant du sucre avec du
foin.
On nous a dit que la culture de la betterave
n’intéressait que quelques localités, 36 communes, nombre égal à celui de nos
manufactures. Eh bien, c’est une erreur de croire que la commune où est situé
l’établissement est la seule qui profite de la fabrication du sucre indigène.
Quatre à cinq communes environ en profitent autant que celle où la fabrique est
établie. Remarquez en outre que ce n’est pas dans une seule province, dans une
seule partie du pays qu’on a établi des fabriques de sucre indigène ; on en a
établi dans six provinces sur neuf dont se compose le royaume. D’ailleurs si
quelques communes obtiennent des avantages par cette culture, la province
entière s’en ressent, parce que dans ces communes où la culture de la betterave
et la fabrication du sucre indigène ont lieu, les salaires étant plus forts, il
en résulte des dépenses qui vivifient le commerce de la province à laquelle
elles appartiennent.
On nous a dit qu’au lieu de cultiver la betterave,
on pourrait cultiver autre chose. Sans doute, la terre ne reste pas inculte en
Belgique. Savez-vous ce qu’on pourrait cultiver à la place de la betterave ? du fourrage. On a prouvé à l’évidence dans la discussion
générale qu’on pouvait après la betterave cultiver du froment, sans mettre
d’engrais nouveau. C’est dans les assolements que la culture de la betterave a
lieu, et remarquez qu’elle produit le double de fourrage de toute autre denrée
qui serait cultivée dans la même terre ; en outre, vous obtenez sur un hectare
une valeur de 1,000 à 1,200 francs en sucre, en sus de ce que vous retirez en
fourrage.
J’ai un mot de réponse à donner à un agronome,
député d’une grande ville, que je ne nommerai pas. Ce député a dit : Si vous
voulez obtenir d’aussi belles récoltes en froment que celles que vous avez
après la culture de la betterave, mettez sur un bonnier le fumier que vous
auriez mis sur dix, et vous aurez d’aussi belles récoltes que si la terre avait
produit de la betterave. Je vous avoue que je n’entends rien à cette espèce
d’agronomie. Je comprends qu’on puisse fumer ainsi une terre à laquelle on veut
faire produire des melons ou des asperges, mais pour produire du grain c’est
impossible, on n’aurait même pas de la paille.
Messieurs on a dit aussi qu’en produisant du sucre
de betterave pour toute la consommation, on ferait payer à
Pourquoi usez-vous des toiles de notre pays ?
L’Angleterre vous fournira des toiles à 25 p. c. meilleur marché que les
vôtres.
Ne consommez donc pas de toiles venant de votre
pays, prenez des toiles étrangères et vous enrichirez votre pays. Nous avons
aussi des fabriques de coton ; cela regarde un peu Gand : Le coton fabriqué à
Gand nous en fournit à un taux plus élevé que celui de l’Angleterre ; eh
bien, dans l’avantage du pays laissons les cotons étrangers entrer dans le pays
indemnes de tout droit, ce sera encore enrichir le pays. Je vous avoue que
cette manière d’entendre l’économie politique est au-dessus de mon
intelligence. Je la considère comme une hérésie dont nous devons nous défier.
Ce système ne serait avantageux qu’à la navigation et ruineux pour la nation.
Messieurs, si je demande un droit protecteur pour la
fabrication du sucre indigène, je crois que je suis parfaitement d’accord avec
plusieurs de mes honorables contradicteurs qui veulent eux-mêmes une protection
pour leurs industries, et je crois que si on voulait, pour favoriser le
commerce de la navigation, leur proposer de laisser entier les produits
similaires aux leurs, une telle proposition n’obtiendrait pas leur assentiment.
Je les crois assez patriotes pour défendre les intérêts réels de leur pays
avant tout. N’ayons donc pas deux poids et deux mesures ; protégeons également toutes
les industries.
Messieurs, je bornerai ici mes
observations à l’appui de mon amendement, car on ne finirait pas s’il fallait
répondre à toutes les hérésies qui ont été commises dans la discussion des
sucres, et qui ont été débitées en faveur de la production d’une matière
étrangère, au détriment des produits similaires de notre pays ; en d’autre
termes pour favoriser les Indes au détriment de
Je termine là mes observations.
(Moniteur belge n°62, du 3 mars
1843) M. Mercier. - Je désirerais adresser une interpellation à M le ministre des finances.
Tout à l’heure j’ai entendu M. Rodenbach dire qu’il appuierait le projet du
gouvernement, en ce qui concerne le rendement et la réserve des 4/10.
M. Rodenbach. -
Oui, j’admets le rendement proposé, ainsi que les 4/10.
M. Mercier. - Je demanderai si, malgré le vote d’hier, M. le ministre maintient la
réserve des 4/10. Il est nécessaire qu’on le sache.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - La chambre a rejeté hier l’amendement
du gouvernement, mais le projet primitif continue de
subsister. Aujourd’hui on a présenté plusieurs amendements nouveaux ; j’ai
écouté les développements qu’on a donnés au dernier. J’écouterai encore tout ce
qui sera dit dans le courant de la discussion, et peut-être demain le
gouvernement viendra-t-il faire une proposition nouvelle ; mais pour cela il
est nécessaire que je continue à entendre les discours tant sur les amendements
proposés que sur les amendements nouveaux qui pourraient encore surgir.
M. Mercier. - Ainsi M. le ministre ne maintient pas la réserve.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Je ne me prononce pas encore.
M. Rodenbach. -
J’ai fait une ajoute à mon amendement dans le sens des développements que j’ai
donnés aujourd’hui ; car hier il n’était question que de fixer le chiffre du
droit ; comme la discussion est plus avancée, je prierai M. le président de
donner une nouvelle lecture de mon amendement.
M. le président. - Voici l’amendement de M. Rodenbach :
« Je propose de fixer le droit à 40 fr. sur le
sucre exotique et à 25 fr. sur le sucre indigène. J’admets le rendement proposé
par M. le ministre, ainsi que les 4/10 réservés au trésor. »
M. Delehaye. - Messieurs, la loi de 1822 n’est pas une loi fiscale ; cette loi n’a
qu’un but, c’est de favoriser le travail national et le commerce ; les
raffineurs belges qui en ont profité, ne se sont pas procuré un revenu illégal
; la loi ayant été faite dans ce but, il était de l’intérêt des raffineurs de
chercher en tirer tout le fruit possible. Il suffit donc, messieurs, d’avoir
attiré votre attention sur ce point pour détruire le reproche continuel que
l’on adresse à ceux qui ont usé de la faculté que leur donnait la loi, à ceux
qui ont établi des raffineries sons le régime de cette loi.
Messieurs, deux propositions ont été faites en ce
qui concerne la modification du droit : j’en parlerai tantôt. Pour la
troisième, celle de M. Dumortier, j’ai déjà dit hier que cette modification n’a
pas d’autre portée que celle-ci : Conservera-t-on à
M. Dumortier. - Dans les pays où nous exportons avec votre système,
M. Delehaye. - L’honorable M. Dumortier vient de dire : Dans les pays où nous
exportons avec mon système. Voyons si avec le système, de M. Dumortier nous
continuerons à exporter là où nous exportons aujourd’hui.
L’Angleterre travaille en entrepôt, mais quels sont
les pays où l’Angleterre déverse ses produits ; ce sont des colonies
privilégiées où l’Angleterre seule est admise ; elle ne dépose pas un kilo de
sucre sur le continent, elle ne l’exporte que dans ces colonies privilégiées.
Mais n’allons pas si loin, et prenons une position plus favorable au système de
M. Dumortier ; examinons ce qui se fait en France. La France ne travaille pas
en entrepôt ; elle a senti qu’admettre ce système, c’était condamner le
commerce d’exportation ; elle a adopté le système du drawback d’une manière
illimitée. Eh bien, par la fixation seule du chiffre de ce rendement, elle est
repoussée de tous les marchés où peuvent aller aujourd’hui
Messieurs, si vous pouvez donner votre assentiment à
la proposition de M. Dumortier, avez-vous bien réfléchi aux conséquences
qu’elle entraîne ? Nous avions proposé, nous, la destruction de l’industrie de
la betterave ; nous avons dit : La betterave occupe des terres qui seront plus
utilement cultivées pour d’autres produits ; cependant nous ne voulons pas que
ceux qui, à l’ombre d’une loi qui n’était pas faite pour eux, ont fermé des
établissements, en pâtissent ; nous voulions les indemniser ; ainsi, en leur
présentant d’une main l’arrêté qui détruisait leur industrie, de l’autre main
nous leur donnions une indemnité. Mais quelle résolution prendrez-vous à
l’égard des raffineurs de sucre exotique qui, sous l’empire d’une loi faite
pour eux, ont formé des établissements sur une grande échelle ; que ferez-vous
pour eux ? Dans une séance précédente, un honorable député de Bruxelles vous a
dit qu’à Gand il y avait deux raffineries qui ne travaillent que pour l’exportation.
Effectivement, messieurs, il y a à Gand deux raffineries, si pas plus, qui ne
travaillent que pour l’exportation ; ces raffineries se sont établies sous
l’empire d’une loi qui favorisait l’exportation ; elles ont cherché à atteindre
le but que se proposait le législateur, et ont fait des sacrifices énormes ; eh
bien, si tout à coup vous prohibez l’exportation des sucres, ces établissements
ne seront-ils pas en droit de venir vous réclamer une indemnité ?
Nous avons cru pouvoir rejeter la betterave, mais
nous voulions l’indemniser. Mais vous, que ferez-vous ? Non seulement vous
détruirez une industrie légale, établie dans le but évident que s’était proposé
le législateur, et vous ne lui accorderiez aucune indemnité ! Ce serait là une
injustice criante. Si par une loi vous détruisez l’effet d’une autre loi, vous
devez une indemnité à ceux que vous frapperez.
Mais, dit M. Dumortier, c’était une prime. Je veux
bien supposer que ce soit une prime, j’admets que ce soit une prime ; c’était au
moins une prime légale que le législateur avait accordée. Si pour atteindre
cette prime légale, cette prime accordée par le législateur, j’ai établi une
grande fabrique, n’ai-je pas le droit de réclamer une indemnité, si vous
m’enlevez cette prime pour laquelle je me suis soumis à ces grands sacrifices.
Mais, dit-on, on ne l’enlève pas, on modifie la loi. N’est-ce donc pas me
l’enlever si vous m’empêchez d’exporter. Soyez donc justes, comme je l’ai été ;
accordez aux raffineries de sucre exotique l’indemnité que je voulais accorder
à la betterave ; à côté du sacrifice, mettez la compensation ; vous voulez me
permettre d’exporter, mais vous m’en ôtez tous les moyens.
Messieurs, on a parlé aujourd’hui des faveurs qu’on
accorde à l’industrie cotonnière. On vous a dit : Comment se fait-il que
vous, qui avez toujours parlé en faveur d’une protection pour l’industrie
nationale, vous abandonniez aujourd’hui ce système ? Messieurs, je crois m’être
suffisamment expliqué sur ce point. Oui, je veux que l’industrie soit
favorisée, je veux surtout que le travail national soit étendu autant que
possible, et c’est pour cela que j’accorderai toujours une protection à toutes
les industries, et surtout à celle du coton qui emploie un nombre considérable
d’ouvriers qui seraient sans travail si l’industrie était anéantie ; que
feriez-vous, dans ce cas, de cette masse d’ouvriers ?
Faites au contraire que la betterave
disparaisse : Aurez-vous un grand nombre d’ouvriers sans travail ?
Nullement. Voilà la distinction qu’il faut faire. Quand j’ai demandé une
protection pour l’industrie des cotons, c’était dans l’intérêt de la classe
ouvrière. Mais il ne s’agit pas de cet intérêt dans la protection que vous
demandez pour l’industrie de la betterave, parce que les ouvriers qu’emploie cette
industrie trouveront facilement à quoi s’occuper.
Messieurs, on a cité à cet égard l’opinion de M.
Michel Chevalier, et quand on cite l’opinion d’un homme d’un aussi grand
mérite, on est certain d’être bien accueilli dans cette chambre. Mais M. Michel
Chevalier ne parle que du travail national et n’envisage pas particulièrement
la question de la betterave ; je vais vous citer, moi, l’opinion d’un homme
aussi très important, de M. Moll, professeur au conservatoire des arts et
métiers de Paris. Ce savant professeur s’est spécialement occupé de la culture
de la betterave, et savez-vous ce qu’il dit ? Dans une de ses leçons il dit que
la betterave est nuisible au pays, et pour ces motifs : que la betterave ne
peut s’obtenir que moyennant de grands frais qui serviraient à procurer
d’autres produits plus avantageux ; il ajoute que la betterave ne tend qu’à
hausser le prix des céréales, ce qui aggrave la position de l’ouvrier.
Voilà qu’elle est l’opinion de M. Moll. Et remarquez
que ce professeur jouit d’une réputation que personne ne peut lui contester. Il
a, comme je vous l’ai dit, spécialement examiné la question de la culture de la
betterave, et il déclare qu’elle est nuisible au pays. Mais je vais étayer
cette opinion de chiffres, et je crois qu’il ne restera plus ensuite de doute à
cet égard.
Cependant, messieurs, avant d’en venir à ces
chiffres, permettez-moi encore une observation.
L’honorable M. Eloy de Burdinne et l’honorable M.
Dumortier se sont récriés sur la nécessité de favoriser le trésor. Le commerce
a été oublié pour le moment ; ce n’est que l’intérêt du trésor que l’on a
envisagé. Mais c’est une singulière manière de favoriser le trésor, que de
frapper de droits élevés le sucre exotique, et de droits très minimes le sucre
de betterave. Ne remarquez-vous donc pas qu’en établissant une telle différence
entre les deux sucres, vous écartez le sucre exotique, et qu’il ne reste plus
que le sucre de betterave. Or, comme ce dernier sucre n’est frappé que d’un
droit très bas, le trésor, loin de profiter, sera réduit à une pénurie plus
grande qu’auparavant.
Maintenant, messieurs, abordons les chiffres, et
examinons la position qu’on veut faire la culture de la betterave.
La section centrale propose un droit de 25 fr. par
100 kil. sur le sucre de
betterave et de 50 fr. par 100 kil. sur le sucre
exotique. Indépendamment de ces 50 fr. imposés au sucre de canne, il doit
supporter encore un droit de douane qui se monte à 1 fr. 20 ; ce qui fait un
total de 51 fr. 20.
Les 25 fr. dont le sucre de betterave sera frappé,
se réduiront inévitablement par la fraude, et l’on est d’accord sur ce point, à
20 francs, parce qu’il est impossible de constater exactement la quantité de
sucre qui sera extraite. Quelques personnes prétendent même qu’il faudrait
réduire le droit du quart pour être dans le vrai, mais je ne le réduis que du
cinquième ; j’admets donc le chiffre de 20 fr.
Le droit sur le sucre de canne étant de 51 fr. 20,
il y aura donc une différence de 31 fr. 20 c.
On a supposé que, pour la consommation entière de la
Belgique, il faudrait
Nous avons vu, messieurs, qu’il y avait une
différence de 31 fr. 20 par cent kil. entre la charge que l’on veut faire supporter à la canne et
celle que l’on veut imposer à la betterave.
L’honorable M. Pirmez a aussi examine ces calculs ;
mais il n’en pas tiré les mêmes conséquences que moi. Mais, messieurs, à raison
d’un franc par jour, et en supposant 300 jours de travail par année, vous
auriez, avec cette somme de 4,800,000 fr., de quoi
entretenir 16,000 ouvriers.
Messieurs, on a souvent cité M. Michel Chevalier ;
mais savez-vous ce que dit M. Michel Chevalier ? Il dit que rien n’est plus
favorable à l’agriculture, à la prospérité d’un pays que d’être sillonné par un
grand nombre de routes et de canaux. Occupez vos 16,000 ouvriers à faire des
routes et des canaux, quels avantages n’en retirerait pas l’agriculture ?
Et quoi ! vous reprochez au
sucre exotique d’avoir touché une prime, prime légale et que lui avait donnée
le législateur, et vous ne voyez pas que vous réclamez pour le sucre de
betterave une prime égale à sa valeur réelle.
Messieurs, je ne sais réellement pas si, après vous
avoir soumis de pareils chiffres, on serait encore admis à nous faire un
reproche de ce que nous proclamons quelquefois la nécessité d’accorder une
protection au travail national. Lorsque nous demandons une protection pour une
industrie, messieurs, c’est que cette industrie, si elle venait à disparaître,
laisserait sans travail un grand nombre d’ouvriers. Mais nous vous disons que
la betterave est une calamité pour la Belgique, et nous vous le prouvons par
des faits. Quels seraient d’ailleurs les ouvriers qui souffriraient de la
disparition de la betterave ? Il n’y en aurait pas un seul. Les ouvriers
qu’emploie maintenant cette industrie, s’occuperaient ailleurs. Et je vais vous
le prouver par un exemple.
Qu’ont fait les ouvriers qui s’occupaient de la
culture de la betterave dans les Flandres, où cette culture a été entièrement
supprimée ? Qu’ont fait les ouvriers qui s’occupaient de la culture de la
betterave dans le Hainaut, où beaucoup d’usines ont cessé leurs travaux ?
Voyez-vous ces ouvriers sans travail ? Non, messieurs, ils ont trouvé de quoi
s’occuper ailleurs.
Messieurs, si de la proposition de la section
centrale nous passons à celle de l’honorable M. Rodenbach, nous voyons qu’en
effet avec cette dernière la betterave ne jouirait plus d’une prime aussi
forte. Mais savez-vous à combien se monterait celle que vous accorderiez encore
?
M. de La Coste. - A rien du tout.
M. Delehaye. - Elle se monterait encore à 450 fr. ; c’est-à dire
que pour obtenir 700 fr. de betterave par hectare, vous accorderiez une prime
de 450 fr. Et on dit que vous n’accorderiez rien du tout.
Mais, messieurs, si nous examinons maintenant la
proposition de M. Eloy de Burdinne, c’est bien autre chose. L’honorable M. Eloy
propose 30 et 60 fr. ; différence, y compris les droits de douanes 31 fr. 20 c.
Eh bien ! l’honorable M. Eloy, qui ne veut pas de
protection, qui repousse les primes, propose d’en accorder une de 800 fr. à
l’hectare ensemence de betterave. Et pourquoi ? pour
obtenir 700 fr. de betterave.
Mais, messieurs, si vous accordez des primes
pareilles, si vous êtes si grandement enthousiastes du travail national, que ne
cultivez-vous la vanille, que ne cherchez-vous à obtenir la cochenille ?
Indubitablement vous pourriez de la sorte ne plus être tributaires de
l’étranger.
Vous le voyez donc, messieurs, ce serait un abus que
d’accorder en primes à une industrie qui n’est pas nécessaire et qui tend même
à détruire notre commerce naval, une somme qui, bien employée, donnerait du
travail à 16,000 ouvriers et vous produirait 30 lieues de routes par an.
Et quoi, messieurs, 30 lieues de
routes par an ! Dernièrement le Luxembourg est venu vous demander 2 millions
pour construction de routes. On a fait résistance, on a fait sonner bien haut
l’intérêt du trésor ; on a dit qu’il ne fallait pas tout accorder à une seule
province. Et vous avez la faculté de doter le pays de 4,800,000
fr. de routes par an, tout en restant dans la même position. Car lorsqu’on ne
cultivera plus la betterave, on cultivera des céréales. Et suivant l’opinion de
M. Moll, vous acquerriez une richesse bien plus grande. N’est-ce donc pas un
avantage immense d’augmenter de 30 lieues par année vos routes et vos
canaux ?
Ainsi, messieurs, dans le système le plus favorable,
vous accorderiez encore une prime de 450 fr. pour obtenir 700 fr. de betterave.
J’entends dire que cela n’est pas, mais je défie mes adversaires de prouver le
contraire. Si vous voulez que la betterave s’empare du marché intérieur, il
faut qu’il y ait entre elle et la canne une différence telle que vous lui
accordiez une prime égale à la valeur. J’ai dit.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je crois, comme l’honorable M. Eloy de Burdinne, que l’amendement
de notre honorable collègue de Roulers peut convenir au sucre exotique, à
l’exportation même du sucre exotique ; j’ignore s’il peut accommoder
l’industrie du sucre indigène ; mais ce qui me semble positif, c’est que les
exigences du trésor public ne peuvent nullement s’en accommoder. Je rentre
maintenant dans le sujet que je me propose de traiter, celui du maintien de la
législation de 1822, de la proposition de l’honorable M. Dumortier.
Messieurs, le trésor public a besoin de ressources ;
le sucre est une substance très imposable ; il faut que le sucre procure de
larges ressources au trésor ; voilà mon raisonnement passé en quelque sorte à
l’état d’axiome. Voilà ce que veut la très grande majorité de cette chambre.
Mais qu’est-ce que la législation qui régit les sucres ? Cette législation
permet-elle que la consommation du sucre devienne un objet de ressource pour le
trésor ? Ici naît une difficulté qui est la cause du débat qui nous appelle
ici. La législation qui régit les sucres, la belle loi de 1822, comme on l’a
qualifiée, est une loi commerciale ; on est, je pense, d’accord à cet égard, et
moi je dis que c’est une loi antifiscale, si je puis m’exprimer de la sorte,
que c’est une loi qui, sous le prétexte du commerce, qui, pour animer le commerce,
si vous le préférez, convertit en prime presque tout le produit de l’impôt des
sucres prélevé sur les consommateurs nationaux ; c’est enfin une loi dont le
principe est d’autant plus antifiscal que les primes qu’elle établit sont
illimitées et que dès lors les sacrifices qu’elle est en droit d’imposer au
trésor sont aussi illimités.
Vouloir donc prendre la loi commerciale de 1822 pour
principe de la loi fiscale que nous voulons faire aujourd’hui, ce serait, selon
moi, vouloir une chose absurde ; ce serait vouloir et ne pas vouloir ; ce
serait permettre la dissipation des fonds que nous voulons réserver ; autant
vaudrait vouloir conserver des écus dans un coffre sans fond.
C’est ce que la chambre ne voudra pas, c’est ce qu’elle
ne peut vouloir ; elle ne permettra pas que des intérêts privés l’emportent sur
ceux de la généralité, sur ceux du pays.
Après avoir posé la question de principe aussi
clairement, aussi logiquement qu’il m’a été possible, qu’il me soit permis,
messieurs, de jeter un regard sur le chemin que nous venons de parcourir.
Le débat a presqu’entièrement roulé sur la
préférence à donner à la canne à sucre ou à la betterave ; les partisans de
chacun de ces deux produits ont longuement préconisé les avantages que le pays
retirerait de leur système ; mais le véritable ordre du jour, la question de
savoir comment nous assurerons avec quelque chance de certitude quatre millions
au moins au trésor de l’Etat, cette question-là est loin d’avoir été mûrement
débattue, elle n’a été qu’effleurée. Ainsi ceux d’entre nous qui veulent
sérieusement que l’Etat recueille le produit de la consommation du sucre ne
sont rien moins que rassurés.
Que le gouvernement, comme c’est son devoir, nous
établisse bien clairement, bien nettement un revenu de 4 millions sur le sucre,
et un débat pénible sera notablement abrégé.
Que fait, au lieu de cela, le gouvernement ? Il base
la proposition de 4 millions sur la retenue des 4/10, et l’honorable M.
Demonceau nous a prouvé que 1/10 réservé par la loi de 18238 n’avait produit
qu’une moyenne de 7 à 800,000 francs ; et le gouvernement maintient la loi de
1822, qui est un non-sens pour qui veut que le sucre produise au trésor. Et ce
n’est pas tout ; notez, messieurs, qu’il fallait défalquer encore de la
proposition incomplète, et qui ne repose sur rien de positif, la dépense d’une
indemnité à l’industrie betteravière ; il est facile de voir par ce que je
viens de dire, si les 4 millions proposés étaient clairs et nets. D’ailleurs le
sont-ils encore, à présent que la chambre a arrêté l’existence de la betterave
?
J’ai donc eu le droit de m’étonner hier, quand j’ai
entendu M. le ministre des finances terminer son discours en disant : Le trésor
a un découvert de 6 à 7 millions, j’espère que la chambre nous donnera son
appui, afin que le sucre produise 4 millions. Si la chambre refusait ces 4
millions, nous nous verrions obligés d’avoir recours à des centimes
additionnels.
C’est, je le répète, avec étonnement que j’ai
entendu cette déclaration ; mais qui donc, dans cette chambre, refuse les 4
millions nécessaires au service public ? Personne je pense. Pourquoi ne
sommes-nous pas d’accord avec M. le ministre ? c’est
parce qu’il nous offre ces millions sans pouvoir nous les assurer ; c’est que
ses calculs ne sont que des hypothèses très hasardées, et qui méritent même peu
de confiance ; que M. le ministre nous prouve que 4 millions sont assurés au
trésor, qu’ils sont bien réels, bien nets, nous les voterons, nous les
accepterons avec empressement, et le débat se trouvera très abrégé.
M. le ministre doit se rappeler que la chambre lui a
refusé les centimes additionnels qu’il lui a proposés, parce qu’elle voulait
que le sucre devînt une ressource sérieuse pour le trésor.
Eh bien, c’est parce que nous voulons encore que le
sucre devienne une ressource sérieuse pour le trésor, que nous sommes fondés à
ne vouloir que des ressources certaines bien établies et d’écarter des calculs
qui ne sont fondés sur rien de positif.
Voici ma manière d’envisager la base de la production
que nous voulons pour l’Etat.
Un produit de 6 à 7 millions est chose facile au
moyen d’un simple droit de consommation, d’un droit de 40 à 50 fr., d’un droit
très modéré.
Mais ce moyen si simple d’abord, s’est compliqué
aussitôt à cause de deux intérêts qui se sont élevés et qui existent aux dépens
de la consommation intérieure : l’intérêt de l’exportation du sucre raffiné et
l’intérêt de la production nouvelle du sucre indigène.
Ces deux intérêts, en vivant de la consommation
intérieure ont nécessairement vécu aux dépens du trésor.
Il s’est agi de poser des limites à ces sacrifices,
afin que le trésor rentrât dans ses droits.
Le second de ces intérêts se trouve en quelque sorte
hors de cause, par suite du vote de hier.
La majorité a décidé son maintien, elle l’a décidé,
parce que les limites des sacrifices que lui coûte ce maintien lui sont
connues, parce que ces sacrifices ne sont pas trop considérables, et qu’ils
offrent des compensations.
C’est donc le premier de ces intérêts qui
aujourd’hui se trouve mis en cause, l’intérêt de l’exportation du sucre
raffiné.
L’exportation du sucre ne subsiste qu’au moyen d’une
législation peu intelligible, de primes déguisées, de primes illimitées, tant
que nous ne poserons pas des limites à ces primes, et pour les poser, il
faudrait connaître la limite des sacrifices que cet intérêt exige du trésor
pour subsister ; tant que nous n’aurons pas posé de limites à ces primes, il
nous sera impossible de faire quelque chose de positif en faveur du trésor ;
les calculs du gouvernement seront toujours basés sur des hypothèses.
Nous sommes donc dans notre droit, quand nous
demandons de mettre des limites à des primes, car il faut appeler les choses
par leur nom, à des primes sans lesquelles l’exportation est impossible ; nous
ne faisons même que notre devoir, car je ne pense pas qu’il nous soit permis de
prendre dans la poche des contribuables des sommes indéfinies, incertaines,
pour accorder des faveurs immenses à une industrie, tandis que le régime de la
faveur des primes n’existe presque pas en Belgique.
Je me borne donc à demander que la chambre arrête
d’abord si elle entend accorder des primes à l’exportation du sucre, et si elle
résout cette question affirmativement, qu’elle en stipule le chiffre ? Car vous
me permettrez de vous le répéter, tant que vous prendrez pour base des
ressources que vous destinez au trésor, le terrain mouvant et inconnu d’une
législation qui, sous le masque d’un amendement trompeur, autorise des primes
illimitées, vous ne ferez rien de solide pour le trésor public.
Je pense que notre intérêt nous commande d’imiter ce
qui se pratique en Angleterre, où l’on ne restitue à la sortie du sucre destiné
a l’exportation qu’un drawback, c’est-à-dire, la pure restitution du droit ;
c’est là un système clair, qui ne trompe personne ; libre encore à nous
d’accorder une prime. Je le préfère au système français, qui se borne à
neutraliser les mauvais effets de l’exportation pour le trésor par l’élévation
du rendement à 70-73. C’est le moyen de revenir sans cesse sur cette question ;
aussi voyons nous que le ministre des finances réclame déjà l’exhaussement du
rendement dans l’intérêt du trésor.
Mais, nous dit-on, et cela paraît faire impression,
la contrebande hollandaise nous inondera de sucre. Je répliquerai d’abord qu’un
droit aussi modéré que celui de 40 fr. ne peut faire craindre cette
contrebande.
Il est d’ailleurs, dit-on, très probable que si nous
portons des modifications à notre loi des sucres,
C’est là évidemment le contrecoup de notre loi de
1838 ; on voit que
Mais va-t-on me répliquer de nouveau, comme nous y
sommes accoutumés, vous voulez donc tuer le commerce ? Et je répondrais :
je ne veux pas tuer le commerce, car j’en suis le grand partisan ; je désire au
contraire le favoriser par tous les moyens possibles. Et ce qui prouve que nous
ce voulons pas le tuer, c’est que la proposition que je soutiens admet la
faveur de 2 millions de primes ; eh bien, les défenseurs du commerce
d’exportation du sucre exotique ne veulent pas de cette prime exorbitante ;
elle ne leur suffit pas encore. Si cela prouve que ce commerce a besoin d’une
prime encore plus considérable, cela prouve aussi que le genre de commerce que
soutiennent nos adversaires est un commerce factice, nuisible aux intérêts du
pays.
Mais entendons-nous donc sur la signification du mot
commerce maritime ; par commerce j’entends un mouvement de navigation activé
dans un but utile, dans un but de bénéfices. Un mouvement maritime sans
bénéfices est une absurdité, selon moi.
On aura beau me dire : le commerce est autre
chose que la sortie de nos produits, c’est un travail de civilisation : je dis
que le vrai commerce est quelque chose de plus positif. Le commerce consiste
dans des échanges avantageux, et le mouvement maritime n’est qu’un moyen pour
les favoriser.
Mais le pays est peu intéressé ;
si ses intérêts n’y étaient pas gravement compromis, le pays est peu intéressé
à un travail de civilisation qui a beaucoup de rapports avec la création
ruineuse du trop célèbre steamer
Je voterai donc le principe de la proposition de mon
honorable ami et collègue M. Dumortier, tout en me réservant mon vote quant à
la question de la concession des primes ou de leur élévation.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Mon intention n’est pas de suivre
l’honorable membre dans tous les développements où il est entré. Mais je dois repousser
un reproche qu’il nous a adressé.
Suivant l’honorable membre, nous n’aurions pas
prouvé que les 4/10 du revenu que le gouvernement proposait de réserver au
trésor auraient rapporté 4 millions. Mais nous l’avons
démontré à satiété, non seulement dans nos rapports, mais dans nos discours. En
effet, nous avons dit et répété que depuis 1838 jusqu’en 1842, la moyenne des
recettes obtenues sur le sucre avait dépassé la somme
d’un million.
Ainsi messieurs, il a fourni (somme ronde) :
En
1838, 1,506,000
En
1839, 1,393,000
En
1840, 1,267,000
En
1841, 1,029,000
En
1842, 1,079,000
Soit une moyenne de 1,255,300
francs.
Eh bien, messieurs ces chiffres
ont été reproduits dans mes rapports ; je crois que M. le ministre des travaux
publics en a fait également usage dans la discussion, et l’on vient dire que
nous n’avons pas prouvé que la retenue de 4/10 aurait
donné un produit de 4 millions ! Mais, messieurs, si 1/10 a produit au-delà
d’un million, il est évident que 4/10 auraient produit au moins 4
millions !
Veuillez d’ailleurs vous rappeler, messieurs, que,
indépendamment de la garantie que nous trouvions à cet égard dans les recettes
opérées, j’ai dit à la chambre que si 4/10 ne rapportaient pas les 4 millions,
nous demanderions 5/10, 6/10, jusqu’à ce que ce chiffre de 4 millions eût été
atteint. Je ne sais pas, messieurs, quelles garanties plus fortes on aurait pu
exiger.
M. de Man d’Attenrode. - M. le ministre vient de contester l’exactitude de mon calcul, quant au
produit de la retenue du 1/10 depuis 1838. Eh bien, je vais vous lire,
messieurs, le relevé du produit du sucre extrait des comptes du trésor.
Nécessairement, ou c’est M. le ministre ou ce sont
les comptes, pièces imprimées, qu’on nous distribue, et d’après lesquelles nous
devons baser nos calculs, qui se trompent.
Voici ce relevé ; le sucre est porté comme produit
aux comptes du trésor :
812,399 en 1839.
886,119 en 1840.
709,867 en 1841.
Et remarquez-le, messieurs, le produit a toujours été
en diminuant, l’exportation est parvenue d’année en année à diminuer les
ressources de l’Etat ; le temps lui a permis de se perfectionner au détriment
du trésor, s’entend.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Messieurs, il y a sur le sucre trois
espèces de droits : le droit d’accises, le droit d’entrée et le droit de
sortie. Dans la discussion de la loi de 1838, l’honorable M. d’Huart, lorsqu’il
a consenti à proposer à la chambre la retenue d’un dixième, a estimé alors que la
retenue du dixième sur I accise aurait produit 7 à 800,000 fr., et cette
recette a été opérée.
Mais si cette recette eût été beaucoup moindre, il
n’y a dans cette diminution rien que de très naturel ; le sucre de betteraves
est venu faire concurrence sur le marché intérieur au sucre de canne, et le
droit d’accise sur le sucre de canne a dû nécessairement s’en ressentir.
Un membre. - L’importation a augmenté.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Mais l’exportation aussi ; et dès
lors l’augmentation de l’importation ne pouvait pas élever le chiffre de la
recette, puisque les sucres exportés ne paient pas le droit.
M. Dumortier. - Je ne conçois pas que M. le ministre des finances puisse dire que la retenue
de 4/10 produira 4 millions, alors qu’il convient lui-même que la retenue de
1/10 n’a produit que 7 à 800,000 fr. Il dit que le droit d’accise, le droit
d’entrée et le droit de sortie ont produit ensemble plus d’un million ; mais si
vous augmentez le nombre des dixièmes retenus, cela n’augmentera en aucune
manière les droits d’entrée et de sortie, cela n’affectera que le droit
d’accise.
Eh bien, messieurs, si vous
multipliez par 4 les 7 à 800,000 fr., que le droit d’accise a produits avec la
retenue d’un dixième, vous êtes loin d’arriver à 4 millions. Et non seulement,
messieurs, les droits de douane n’augmenteront pas, mais M. le ministre en
propose la suppression.
Vous voyez donc bien qu’avec le système du
gouvernement, vous n’arriverez jamais à 4 millions ; vous arriverez tout au
plus à 2 millions et 1/2.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Je suis vraiment fâché, messieurs, de
devoir prendre une troisième fois la parole sur une question si simple et si
claire. Je le répète encore, lorsqu’en 1838 la chambre a modifié la loi sur les
sucres, elle a entendu que le trésor retirât 7 à 800 mille fr. du droit
d’accise, et qu’il perçût de plus le droit d’entrée et le droit de sortie. Eh
bien, ces recettes ont été obtenues. Maintenant je dis que, dans le système que
le gouvernement nous avait soumis, le chiffre de 4 millions aurait été dépassé,
et cela par une raison que vous allez apprécier immédiatement ; c’est que, dans
ce système, le sucre de canne aurait obtenu le monopole du marché intérieur,
attendu que, dans notre conviction, les sucreries de betterave n’auraient pas
pu continuer à exister.
Il fallait donc que l’impôt
augmentât nécessairement dans la proportion de l’augmentation de la quantité de
sucre exotique livrée à la consommation.
Ainsi, messieurs, de quelque côté qu’on envisage la
question, il est évident que la somme de 4 millions aurait été acquise au
trésor.
M. Savart-Martel. - Messieurs,
d’après la tournure que prend la discussion, le mois d’avril nous surprendra
peut-être dans la cassonade, le sirop, les lumps et les sucres, car les
questions posées vous en amènent d’autres, à la suite desquelles viendrons les
60 à 70 articles qui composent le projet de loi.
Peut-être aurait-il mieux valu entendre la
discussion de toute la question et de tout le système jusqu’à extinction ;
chacun ayant alors épuisé la matière, on aurait été à même de voter ensuite
purement et simplement sur toutes les demandes, sur tous les systèmes, sur tous
les articles ; tandis que le moindre inconvénient à ce jour, c’est
l’impossibilité qu’il n’y ait point de nombreuses répétitions.
Je pense, messieurs, que le vote négatif donné sur
la question : y aura-t-il un droit égal sur les deux sucres ? que ce vote doit être sérieux. Il a une portée dont nous
devons admettre les conséquences ; c’est que les deux sucres seront conservés
avec des droits différentiels ; en sorte que l’industrie indigène recevra une
juste protection, qui lui permettra de soutenir la concurrence avec le sucre
indien. Si le vote émis n’a point cette portée nous devrions avouer avoir
employé beaucoup de temps en vain.
Nous sommes dans une assemblée où la majorité fait
la loi ; il est donc raisonnable que la minorité, au lieu de fausser le
principe décrété, en admettre franchement les conséquences.
Je conçois que si, au lieu de cette admission, ou
veut revenir indirectement sur l’œuvre de la majorité, on n’en finira point
aisément.
Il est nécessaire que l’accise produise 4 à 5
millions ; tel est, je pense, le vœu du ministère, tel est celui de la chambre.
Quant au taux de l’impôt, je vois que les
propositions ne s’éloignent guère les unes des autres, en ce sens que le sucre
exotique paierait le double que le sucre indigène. L’amendement de l’honorable
M. Rodenbach ne me paraît pas suffisant ; celui de l’honorable M. Eloy de
Burdinne paraît présenter un chiffre élevé, celui de la section centrale qui se
trouve au juste milieu me paraît préférable.
La proposition mise en discussion, appelée à juste
titre proposition de principes, a ce but, puisqu’elle est ainsi conçue :
« Le droit sur les sucres, soit indigènes, soit
exotiques, est acquis au trésor, au moment de la mise en consommation. »
Il faut nous attacher moins aux mots qu’aux
intentions mêmes. Il ne s’agirait donc plus que de fixer le droit sur chaque
sucre.
La suppression du droit de sortie est également dans
l’intérêt du trésor. Elle fera cesser des abus vraiment scandaleux, car il ne
faut pas que nous recevions d’une main pour rendre de l’autre.
Mais, si je ne me trompe, l’intérêt des raffineries
présente ici quelques difficultés. Cependant il est impossible qu’il n’y soit
pas pourvu avec un peu de bonne volonté ; par exemple, une prime d’exportation,
ou si l’on veut une prise en charge avec ou sans entrepôt à domicile, et
l’obligation de sortie dans un délai moral, sont parmi les moyens, si on ne
veut pas un droit de douane, préférables aux droits d’accises.
S’il faut un rendement, ce rendement serait la clef
du trésor ; par sa nature il est variable sans doute, mais nous savons quel est
en France le rendement légal.
La richesse, a dit l’honorable M. Pirmez, consiste
dans le talent de produire à bon marché.
C’est là, sans doute, une maxime d’économie
domestique, une règle d’intérêt privé.
Mais l’homme d’Etat n’a
point à faire vivre une famille seulement ; c’est au besoin d’une nation tout
entière qu’il doit pourvoir.
Il ne peut admettre cette maxime d’une manière
absolue ; mille raisons le forcent à la modifier.
Il faut qu’il donne du travail au peuple, il faut
qu’il occupe les bras de ses ouvriers. Avec la maxime de l’honorable M. Pirmez,
l’Etat perdrait souvent la main-d’œuvre, et beaucoup de nos fabricants
devraient fermer leurs ateliers. Telle n’est cependant point son intention.
En économie politique, j’admets, moi, une autre
règle c’est qu’il faut prendre à l’étranger la denrée seulement qu’on ne peut
trouver chez soi, dût-elle même revenir à un prix plus élevé que la marchandise
étrangère.
Cela me paraît vrai, lorsque la matière première se
trouve dans le pays ; cela me paraît incontestable, surtout lorsque la matière
première est inépuisable ; car alors, pour la nation, tout est bénéfice,
absolument tout. Que ce soit l’extracteur, le prolétaire, le fabricant qui en
profite, peu importe.
Or, telle est la position du sucre indigène ; il
n’emprunte rien à l’étranger. Depuis le coût du premier sillon, pour planter la
betterave, jusqu’à la consommation du sucre fabriqué, toute la dépense reste dans
le pays ; tandis que, pour obtenir le sucre de l’autre hémisphère, ii faut
payer la nourriture de l’indien, le bénéfice du planteur, la commission à
l’étranger, et parfois le fret ; car il nous a été démontré qu’on se trompe
quand on croit que notre marine seule importerait le sucre.
Au surplus, ou se fait un fantôme des exportations.
Plusieurs orateurs, et, entre autres, les honorables MM. Meeus et Dubus aîné
vous ont démontré, par un argument irrésistible, la puissance des chiffres, que
notre marine marchande exportait fort peu de ce sucre. Sur 19 millions sucre
brut, qui sont la moyenne des importations annuelles, 11 millions le sont sous
pavillons étrangers ; restent 8 millions importés par nos navires, dont 3/4
viennent des entrepôts de notre continent.
Ou dit que la proposition de l’honorable M.
Dumortier va causer bien des embarras au fisc, et ne saurait s’exécuter sans
des règlements. Cela est vrai.
Mais une fois le principe admis, le ministère
préparerait des règlements que nous serions appelés à voter.
Mon vote sera donc dirigé par les
principes suivants, hormis que d’ultérieures discussions n’en démontrent
l’erreur :
1° Conservation du sucre indigène et du sucre
exotique avec des droits différentiels tels que l’industrie du pays puisse
soutenir la concurrence ; 2° un impôt tel que les 14 à 15 millions de kilos. de
sucre qui se consomment en Belgique produisent 4 millions de fr.
; 3° l’emploi de mesures nécessaires, non seulement pour assurer au
trésor la perception totale de l’impôt, mais aussi pour éviter la fraude qui se
pratique sous les semblants d’exportation.
En sorte qu’après avoir satisfait aux besoins du
moment, on pourrait aviser à réduire par la suite l’une des bases de l’impôt
personnel.
M. de Mérode. - Je considère comme l’une des propositions les plus importantes qui
puissent occuper cette chambre, la proposition de M. Dumortier. Si le bonheur
voulait qu’elle fût résolue conformément à une saine économie financière, le
pays en retirerait un immense avantage, celui d’assurer pour longtemps, sans
aucune vexation envers les contribuables, une des ressources les plus
productives du revenu public. Car, messieurs, ce n’est pas seulement 4 millions
que le sucre pourrait rapporter à l’Etat, mais 6 à 7 millions. Et en
comparaison d’un si grand profit pour la nation en général, qu’est-ce
véritablement que le bénéfice des raffineurs de sucre exotique ? Qu’est-ce que
le bénéfice de la navigation qui s’applique au transport du sucre
raffiné ? On vous l’a suffisamment démontré, messieurs ; ce commerce
rapporte peu à ceux qui l’exploitent, et coûte beaucoup, soit au trésor, en le
privant du produit de la taxe, qui est réellement le meilleur des impôts, soit
aux consommateurs. Ce qu’on appelle la belle loi de
Que l’on examine bien notre système d’impôts ; on
verra que les productions étrangères ne payent chez nous presque rien ; tandis
que la bière fournit au trésor 8 millions, nous avons eu mille peines à obtenir
une légère augmentation de droits sur le café. Le sucre n’a presque rien donné
jusqu’ici ; le tabac moins encore, et déjà le projet de le faire contribuer a
été le sujet de beaucoup de réclamations d’intérêt privé.
Messieurs, si je n’ai pas été favorable à l’industrie
indigène du sucre de betterave, c’est par les motifs qu’a développés M. Pirmez.
Quelles que soient nos différentes idées sur la
protection à donner aux industries, je crois devoir faire remarquer, a dit
l’honorable membre, que le sucre ne doit être mis en comparaison avec aucune
autre des industries qui sont protégées. Le sucre, dans ses rapports avec le
fisc, entendez-le bien, est hors de proportion avec tout autre produit ; si
vous voulez remarquer notre position, vous verrez que
Voilà, messieurs, des arguments qui sont restés sans
réplique et qui appuient non moins fortement la proposition de M. Dumortier. Ce
serait un heureux jour pour nos finances, et par conséquent pour les
contribuables, pour la fortune publique, pour la sûreté de l’Etat et pour notre
avenir, que celui où le gouvernement reprendrait enfin son droit de percevoir
un revenu considérable et certain de la consommation intérieure du sucre ; et
ce droit ne sera complet qu’en abolissant la législation hollandaise de 1822,
qu’en distinguant dans les raffineries celles qui travaillent pour
l’exportation et celles qui travaillent pour l’intérieur. Sans doute, les mesures
qu’il faudrait prendre, à la suite de ce changement, apporteraient avec elles
quelques froissements, mais encore une fois y a-t-on regardé de si près quand
on a réduit à rien la valeur de toutes les messageries, de toutes les auberges
du roulage placées sur les routes pavées parallèles au chemin de fer ? C’était
là pourtant une industrie bien ancienne qu’on ne pouvait pas considérer comme
affrontant les hasards du trafic.
Quant à l’exercice dans les fabriques de sucre
exotique destiné à l’exportation, il serait infiniment plus facile que dans les
sucreries à betterave. Si l’on peut surveiller la manutention, la
transformation de la betterave brute en cassonade, on peut à plus forte raison
surveiller la transformation d’une quantité quelconque de sucre brut des
colonies en sucre raffiné.
Le système actuel est, je le sais, bien plus
commode, mais avec la commodité on n’aurait pas de recrutement forcé, par
conséquent pas d’armée ; avec le commode on n’a pas de jury, on ne dérange pas
les citoyens de leurs occupations ; avec le commode, on n’a pas de douanes, de
visites de voitures et de personnes à la frontière ; avec le commode, on
n’aurait pas d’entraves pour la fabrication de la bière, du genièvre ; avec le
commode, on n’aurait pas de sursis pour ceux qui ne payent pas à temps la
contribution foncière ; en un mot, on n’aurait pas, avec le commode pur et
simple, ni armée, ni justice, ni finances, et c’est pourquoi, avec le commode
pour la raffinerie, panacée de toute fortune nationale, selon ses défenseurs, on
ne retirera jamais du sucre, qui peut à lui seul restaurer nos finances sans
tourmenter le peuple, le moins du monde ; on ne retirera jamais, dis-je, les
recettes de 6 à 7 millions qu’il produirait facilement. Si l’on parvenait à
sortir du régime de la belle loi de 1822, n’eût-on fait que cela pendant la
session, elle serait à mes yeux l’une des plus fructueuses de toutes celles qui
ont été tenues. Peu m’importerait alors le maintien provisoire de la betterave,
que la baisse du prix du sucre de canne abolira probablement tôt ou tard, à
moins qu’on ne lui accorde une protection de droits différentiels toujours
croissants ou qu’elle ne fasse des progrès inattendus que nous annonce M. Eloy
de Burdinne.
Messieurs, sachez prendre une
mesure franche en faveur du trésor public ; la discussion a démontré
victorieusement, par la lutte des deux sucres, qui ont fini par nous mettre
leur jeu respectif sur table, que dans toute cette manutention sucrière,
agricole, dans toutes ces promenades maritimes de sucres bruts et raffinés, il
n’y a rien de bien important pour l’intérêt général de l’agriculture ou du
commerce vraiment utile, mais simplement un grand déficit des ressources
applicables aux finances de l’Etat ; ressources avec lesquelles nous
accomplirons mille choses plus utiles que l’extraction libre du jus de
betteraves, ou les évolutions maritimes du sucre exotique que nous livrons à si
bon marché aux Allemands. Faute de voir adopter la proposition de M. Dumortier,
j’accepterai celles qui s’en éloigneront le moins dans l’intérêt du trésor.
M. de La Coste. - Messieurs, lorsque la chambre a réuni les différentes questions qui
l’occupent maintenant, il était à prévoir que nous rentrerions dans la
discussion générale. C’est ce qui est arrivé. Cependant, il me semble qu’il
faudrait au moins écarter de la discussion le point qui a été solennellement
décidé par la chambre. Comme je l’ai déjà dit, la chambre a voulu, sans doute,
faire chose sérieuse, et pour donner un sens sérieux à cette décision, il faut
admettre que la chambre veut le maintien de la production indigène, moyennant
une protection suffisante.
Je pense donc qu’une partie des discours de MM. de
Mérode et Delehaye est étrangère à la discussion actuelle ; toutefois je
m’applaudis de trouver cette occasion de réfuter une erreur fondamentale qui a
déjà été commise, et sur laquelle reposent tous les calculs de l’honorable M.
Delehaye.
Lorsqu’on compare le produit du droit sur le sucre
exotique avec le produit du droit sur le sucre indigène, on perd généralement
de vue les quantités indemnes que le sucre exotique verse dans la consommation.
Ainsi, suivant la proposition de l’honorable M. Rodenbach, voici ce qui aurait
lieu.
Sur 100 kilog. de sucre
exotique importés, 40 paient l’accise ; le surplus est apuré, au rendement
moyen de 58 1/2, par l’exportation de 35 kilog. et une
fraction qu’on me permettra de négliger. Restent, en tenant compte d’un déchet
moyen de 5 p. c,, 22 kilog. indemnes,
Donc, pour chaque quantité de 40 kilog. qui auront
payé l’accise, le raffineur pourra verser, dans la consommation 22 kilog. libres de droits. Donc chaque quantité de 68 kilog. de sucre exotique livrée à la consommation se composera de
Sur 4,000,000 à raison de
40 fr., fr. 1,600,000
Sur 2,200,000 fr. 00
6,200,000 kil de sucre
indigène paieront, à 25 fr., fr. 1,550,000
Différence : fr. 50,000
Cette différence même disparaîtrait si j’avais tenu
compte du déchet pour le sucre indigène, comme pour le sucre exotique, ce qui
ne serait que juste. Nous voilà donc bien loin des sommes énormes que vous avez
entendu énumérer ; elles se réduisent à rien, comme je l’avais annoncé ; mais
quand la différence de 50,000 francs existerait, quand elle serait plus grande,
d’abord il ne faudrait pas la répartir sur
En effet, si vous supprimiez la culture de la
betterave, ce qui au surplus n’est plus en question, la dépréciation des
propriétés causerait une perte considérable au trésor dans les droits de
mutations et, pour l’avenir, dans les contributions directes.
De plus, à quoi veut-on venir ? à
supprimer en France, en Belgique, dans toute l’Europe la production du sucre
indigène. Qu’en résultera-t-il, un vide de 60 à 80 millions de kilogrammes, il
arrivera alors en sens inverse ce qui est arrivé quand Java a versé dans la
consommation 50 à 60 millions de kilogrammes ; le prix augmentera, et vous
paierez en plus bien au-delà de cette différence que vous signalez aujourd’hui.
Puisque j’ai la parole, je soumettrai à la chambre
quelques courtes réflexions sur les différents systèmes proposés. Je n’avais
pas dessein d’en entretenir la chambre aujourd’hui. Mais M. le ministre ayant
annoncé l’intention de peser les diverses observations qui seraient présentées
et de proposer quelque chose qui puisse servir de base à nos délibérations, je
dirai quelques mots.
D’une part, je ne regarde pas la loi de 1822 comme
une loi purement commerciale ; de l’autre, si la prime qu’elle accorde me
semble exorbitante, ce n’est que par l’exagération où elle est arrivée. Pour
comprendre le but de la loi de 1822, il suffit de se reporter aux circonstances
de l’époque. Le gouvernement des Pays- Bas était pressé d’argent ; au Nord on
lui disait : Atteignez la consommation des masses ; au Midi on lui disait :
taxez les denrées coloniales. Il a fini par le faire ; mais il a voulu accorder
au commerce quelque compensation par la restitution du droit d’entrée. Quand la
denrée s’exporte en même nature, la restitution du droit est facile ; elle a lieu
au même poids, à la même mesure. Mais quand la denrée se transforme, il y a un
calcul proportionnel à établir. C’est ce que nous faisons pour les eaux-de-vie,
quand nous reportons sur le liquide ce que nous avons imposé sur la contenance
de la cuve-matière ; il est naturel qu’un pareil calcul se fasse plutôt à
l’avantage qu’au détriment de l’industrie indigène. C’est ce que le
gouvernement des Pays-Bas fit dans la loi de 1822, pour emmieller un peu les
bords du vase. Mais jamais on n’a prévu qu’on arriverait à ce point qu’on
pourrait n’obtenir rien de l’impôt. Telle n’a pas été l’intention de la loi de
1822. Quand, au reste, je compare ce système de primes avec celui que propose
M. Dumortier, je ne puis encore me décider sur la préférence à accorder.
Dans l’intérêt du trésor et de la production
indigène, le système de M. Dumortier est préférable à tout autre ; mais quant
aux primes que propose l’honorable membre, je ne conçois pas bien clairement
comment elles pourront atteindre le but qu’on se propose. Si elles sont trop
fortes, elles seront un grand stimulant pour l’exportation qui se fera sur une
trop grande échelle, ou plutôt elles seront dans cette hypothèse une libéralité
surabondante ; si, d’un autre côté, elles sont trop faibles, il n’y aura pas d’exportation.
Il faut atteindre un point mathématique qui représente les besoins du commerce
; rien de plus, rien de moins. C’est un problème, je ne dis pas insoluble, mais
difficile, d’autant plus que les termes changent par la différence des prix et
de l’état des marchés. Je vois là une question assez grave à résoudre avant que
je puisse me prononcer sur le plan proposé par M. Dumortier
Quant à la retenue de 4/10, le ministre l’avait
proposée avant que la chambre se fût prononcée pour la coexistence des deux
industries. En conservant cette retenue, tout en n’admettant pas la destruction
du sucre indigène, vous diminuez les exportations et les importations d’un
tiers.
Je ferai encore une remarque. L’honorable ministre a
parlé de 4 millions de recettes. Mais pour avoir ce chiffre, il a multiplié par
4 le produit d’un dixième, y compris les droits d’entrée ; il a donc compté
quatre fois au lieu d’une les droits d’entrée. C’est encore là un calcul à
refaire. Il vous a dit ensuite : si quatre dixièmes ne suffisent pas, j’en
donnerai cinq, j’en donnerai 6. Mais alors vous diminuerez encore les
importations et les exportations de plus en plus.
Si on attache maintenant si peu
d’importance à ces importations et à ces exportations ; si, d’autre part, on
rendait illusoire la protection que la chambre a voulu accorder à la production
indigène, moi qui voudrais pouvoir tout concilier, qui certes, ne veut pas
fermer l’Escaut, suivant l’expression d’un honorable membre, mais qui ne veux
pas davantage qu’on touche à la poche de nos laboureurs, dont le bras vous
nourrit et vous défendrait au besoin, je me rapprocherai du système de M.
Dumortier ; l’agriculture et le trésor y gagneraient. Je désire qu’on trouve un
système de conciliation. Je croyais le rencontrer dans les propositions de la
section centrale et dans les idées émises par l’honorable rapporteur et moi, et
qui consisteraient à combiner les deux systèmes ; mais si le commerce lui-même
préfère celui de M. Dumortier, j’y donnerai également mon assentiment.
M. le ministre des
finances (M. Smits) - J’ai demandé la parole pour relever
une erreur dans laquelle est tombé M. de
M. Mercier, rapporteur. - J’attendrai pour entrer dans quelques nouveaux développements jusqu’à
demain, parce qu’il n’y a pas en ce moment d’autre projet en discussion que
celui de la section centrale. Je n’ai donc rien à défendre quant à présent, Le
gouvernement a annoncé qu’il présenterait de nouvelles propositions,
j’attendrai qu’elles soient soumises à la chambre.
Je me bornerai à dire, quant à l’amendement de M.
Rodenbach, que je ne puis l’adopter ; je partage, à cet égard, les idées émises
par l’honorable M. de La Coste ; il donne à l’industrie du sucre indigène une
protection insuffisante. Dans toute la discussion on a parlé d’une protection
de 50 p.c. dont cette industrie avait besoin pour subsister ; chacun l’a
reconnu ; ses adversaires ont fondé toutes leurs attaques sur cet argument
qu’une protection de 50 p. c. lui était nécessaire. J’espère qu’ils ne
viendront pas soutenir, maintenant que le sucre de betterave peut être imposé
d’un droit présentant une différence moindre avec celui qui frappera le sucre
exotique.
J’ai demandé la parole, c’est quand M. le ministre
s’est levé pour répondre à l’honorable M. de Man qu’il avait prouvé vingt fois
que le chiffre de 4 millions de recettes serait atteint par la proposition du
gouvernement. De mon côté, j’ai réfuté plusieurs fois cette prétendue preuve ;
et encore très récemment j’ai démontré qu’on n’atteindrait pas cette ressource
pour le trésor au moyen des propositions du gouvernement ; M. le ministre
s’appuie sur les produits d’années antérieures. Je ferai observer que les
produits ont toujours été en diminuant même quand les importations ont augmenté
; ainsi en 1838 les mises en fabrication du sucre brut n’ont été que de 16
millions de kil., et le produit de l’accise s’est
élevé à 1,188,000 fr., tandis qu’en 1840 elles ont été de 25 millions et ce
produit a été réduit à 886,000 fr. Chaque année il y a eu une nouvelle réduction,
parce que les raffineurs comprennent mieux leurs intérêts et font en sorte
d’épuiser les 9/10 qui ne sont pas réservés.
Quand le droit sera plus élevé, ils auront un plus
grand avantage encore à en agir de même. Il est donc à supposer qu’on apurera
rigoureusement les comptes jusqu’à concurrence des dixièmes réservés,
c’est-à-dire les 6/10. La ressource créée au trésor serait dans cette hypothèse
très probable de moins de 4 millions, En effet, j’ai démontré qu’en prenant
pour prime de départ une consommation de 15 millions de kil., qui est
évidemment exagérée, le produit brut de l’accise ne s’élèverait qu’à 3,875.000
fr., et après déduction des intérêts de l’indemnité à accorder aux fabricants
de sucre indigène, et la somme destinée à compenser le tort fait à
l’agriculture, cette ressource se réduirait à 3,475,000 fr. En supposant 15
millions de kil. de consommation, la recette ne serait que de 3,088,000 fr.
Ainsi qu’on l’a déjà fait observer, M. le ministre a
sans doute multiplié par 4 le produit d’un 1/10, y compris le droit de douane,
pour arriver au chiffre de 4 millions. Cependant le droit de douane ne sera pas
payé autant de fois qu’on retiendra de dixièmes. Il ne sera payé qu’une fois,
quel que soit le nombre de dixièmes réservés. D’un autre côté, le gouvernement
se montre disposé à établir des droits différentiels de douane sur le sucre ;
si les propositions de la commission d’enquête sont adoptées, on ne percevra
plus que 20 centimes de droits de douane pour 100 kilog. ; le
produit de ce droit sera donc presque nul. Je persiste à partager l’opinion
émise par M. de Man sur ce point.
Je bornerai là mes observations, quant à présent.
J’attendrai, pour prendre la parole, que d’autres propositions surgissent ou que
la discussion m’en fasse reconnaître l’utilité.
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures 3/4.