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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 29 mars 1843

(Moniteur belge n°89 du 30 mars 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

- La séance est ouverte.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse analyse les pétitions suivantes.

« Plusieurs armateurs et négociants d’Anvers présentent des observations concernant le projet de loi sur le pilotage. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet.


« Le sieur Scheys prie la chambre de prendre une décision sur sa demande tendante à être indemnisé des dépenses qu’il a faites pour la découverte de mines de fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude, rapporteur. - « Le sieur Braire, breveté major en décembre 1830 par le général Nypels, autorisé par arrêté du gouvernement provisoire à nommer les officiers de l’armée, fut condamné par la cour de Liége à des peines qui furent successivement modifiées, jusqu’à ce qu’il fut entièrement réhabilité par un arrêté royal du 4 avril 1842, conçu comme suit : « Le sieur Braive, ex-major, rentrera, à dater du présent arrêté, dans la jouissance des droits dont il était privé par suite de l’arrêt prononcé le 9 août 1831 par la cour d’assises de la province de Liége. »

Par suite de cette disposition royale, le sieur Braive demanda à être réintégré dans son grade de major ; mais M. le ministre de la guerre, par sa dépêche du 14 mai 1842, lui déclara que la réhabilitation légale, qu’il venait d’obtenir, n’avait d’autre effet que de faire cesser pour l’avenir les incapacités résultant de la condamnation, qu’ainsi il est relevé de la déchéance du droit de port d’armes, etc. ; que, quant au grade d’officier qu’il aurait perdu par sa condamnation, cette réhabilitation serait sans effet. Il cite à l’appui les art. 633 du code d’instruction criminelle et 28 du code pénal.

Mais le major Braive avait invoqué les art. 20 et 21 du code militaire ; l’art. 20 portant que tout officier qui sera traduit devant une cour d assises, s’il est condamné, la cour déclarera sa déchéance ; et l’art.21 porte qu’au préalable, elle doit renvoyer devant la haute cour militaire pour approbation de la déchéance.

Aucune de ces formalités, dit le pétitionnaire, n’a été remplie ; des lors, l’art. 124 de la constitution peut devoir lui être applicable, cet article portant que les militaires ne peuvent être privés de leur grade que de la minière déterminée par la loi.

Il ne paraît pas à votre commission que M. le ministre de la guerre se soit expliqué sur les moyens que fait valoir le pétitionnaire ; c’est pourquoi elle a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de la guerre avec demande d’explications.

- La proposition de la commission est adoptée.


M. Zoude, rapporteur. - Vous avez demandé un prompt rapport sur la pétition du commerce d’Anvers, qui réclame le rendiguement du poldre de Lillo. La commission vous en propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

Même proposition à l’égard d’une pétition du même genre du conseil communal de Doel.

M. Osy. - Je crois, messieurs, que le droit de pétition devient véritablement illusoire. Au mois de décembre dernier, plusieurs pétitions des propriétaires et de l’administration de Lillo vous ont été adressées ; elles ont été renvoyées à M. le ministre des travaux publics, qui nous a répondu qu’on avait nommé une commission pour faire un rapport aux ministres de la guerre et des travaux publics, pour savoir s’il faudrait rendiguer, cette année, ce poldre. Plus de vingt fois, mes honorables collègues et moi, nous avons demandé un rapport sur ces différentes pétitions ; et M. le ministre des travaux publics ne s’est pas encore expliqué clairement, il s’est borné à nous dire : Le rapport n’est pas fait. Mais nous savons positivement que le rapport est fait depuis plus d’un mois par MM. Goblet et Teichman. Vous avez reçu une nouvelle pétition du commerce d’Anvers, alarmé par un banc de sable qui se forme dans l’Escaut, tout près de Lillo ; si nous la renvoyons encore à M. le ministre des travaux publics, notre session se passera sans qu’une décision soit prise à cet égard. D’après une lettre que je viens de recevoir de l’administration communale de Lillo, il paraît que M. le ministre de la guerre (et puisqu’il est présent, il pourra nous donner des explications) est plus intéressé pour son département au rendiguement du poldre que M. le ministre des travaux publics, car si le reendiguement ne se fait pas promptement, les terres sont si élevées près du fort qu’on ne pourra plus inonder en cas de besoin, et le fort de Lillo sera une défense inutile pour le pays. Je le répète, aujourd’hui vous avez une pétition du commerce d’Anvers qui est alarmé de la formation de ce banc de sable ; je demande donc à M. le ministre si on prendra enfin une résolution avant la fin de cette session, et si on nous présentera un projet de loi à cet égard.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il est très vrai que le rapport de la commission mixte est arrivé au ministère des travaux publics ; mais, indépendamment de la question du rendiguement du poldre, il est une autre question très importante qu’il est du devoir du gouvernement d’examiner. Cette question, la voici : en procédant à ce rendiguemeut, n’a-t-on rien à exiger des propriétaires ? C’est là la question que le gouvernement doit aussi examiner. S’il ne l’examinait pas lui même, elle serait soulevée dans cette chambre. Cet examen se fera avec toute la promptitude possible ; nous faisons rechercher les anciens octrois qui ont constitué les poldres ; le gouvernement ne tardera pas à fixer son opinion sur cette question du concours des propriétaires.

M. de Brouckere. - Messieurs, les explications que vient de nous donner M. le ministre de l’intérieur ne sont pas très rassurantes pour nous ; nous avons, à différentes reprises, insisté pour qu’il voulût bien hâter la présentation d’un projet de loi, parce que la session est très près de son terme ; s’il n’est pas présenté incessamment, les travaux que l’on présente comme très urgents seront remis d’une année. J’insiste donc avec mon honorable collègue M. Osy pour que le projet de loi soit présenté dans le plus bref délai possible ; la chambre comprendra qu’il est indispensable de s’en occuper, et nous pourrons encore obtenir un vote dans la présente session ; mais pour peu que l’on tarde, la chose deviendra impossible ; les maux qui ont été signalés, les inconvénients graves que l’on a indiqués, ne feront que s’accroître l’année prochaine, et il y aura d’autant plus de difficultés à vaincre. J’insiste donc, et je puis certifier que dans la province d’Anvers on attend avec une vive impatience la présentation d’un projet de loi, et je demande qu’elle ne soit plus retardée.

M. de Mérode. - La question présentée comme douteuse par M. le ministre de l'intérieur, doit être maintenant connue, car on a déjà rendigué d’autres poldres, et on n’a pas fait supporter aux propriétaires une partie des frais de rendiguement ; il me semble qu’à cet égard on est suffisamment instruit. Ce qui me paraît plus difficile, c’est de trouver les fonds pour la dépense, c’est encore là l’inconvénient du défaut d’équilibre entre les recettes et les dépenses, qu’au moindre cas fortuit nous ne savons pas où prendre les sommes nécessaires pour des travaux qu’il est indispensable d’exécuter. Il y a cependant une chose à faire observer en ce qui concerne le poldre de Lillo ; c’est que, chaque année, on paye 30,000 fr. de dépenses qui représentent l’intérêt de la somme qui serait appliquée au rendiguement ; en retardant ces travaux d’une année, l’Etat n’y gagne rien. Le sol s’élève autour du fort, et dans très peu de temps il n’y aura plus d’inondation possible autour du fort, à moins de percer la digue circulaire, et alors, au lieu de se contenter d’une inondation restreinte, comme celle qu’on pouvait faire depuis que la digue circulaire avait été construite autour du fort, on serait exposé à tous les inconvénients que l’on a dû subir pendant tant d’années. Je crois que les motifs que donne aujourd’hui M. le ministre de l'intérieur ne sont pas concluants ; il doit savoir à quoi s’en tenir à l’égard de la difficulté qu’il nous a présentée ; on est instruit là-dessus ; je le répète, la question la plus difficile et celle de trouver les fonds nécessaires à la dépense.

M. Osy. - Je trouve très étrange que M. le ministre de l’intérieur, parce que la fin de la session est prochaine, prenne pour la première fois la parole dans cette grave question, grave surtout pour la province d’Anvers.

Depuis le mois de décembre dernier plus de vingt pétitions nous ont adressées ; on s’en est occupé très souvent ; jamais M. le ministre de l’intérieur n’a ouvert la bouche. Aujourd’hui que la session va peut-être être close d’ici à 15 jours, il nous parle d’un nouveau système, et de faire payer les propriétaires ; mais, messieurs, qu’avons-nous fait dans le temps pour la rive gauche ; qu’avons nous fait en 1837 pour la rive droite ? Ce n’est pas à la fin d’une session que M. le ministre devrait arriver avec un système nouveau. Au mois de décembre il aurait pu s’en occuper, et aujourd’hui il nous parle d’un nouveau projet. De telles explications ne peuvent pas contenter la province d’Anvers, non seulement pour les intérêts des propriétaires, mais aussi pour l’intérêt géneral de la Belgique, qui est menacée de voir son beau fleuve de l’Escaut envahi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si j’ai pris la parole aujourd’hui, c’est parce que mon collègue des travaux publics n’est pas présent. J’ai dit qu’il y avait un point très important, qu’il était du devoir du gouvernement d’examiner. Y aura-t-il concours de la part des propriétaires ? Le gouvernement ne se l’est pas posée dès à présent ; il y a pas longtemps qu’il l’examine : mais dire que toute la province d’Anvers est intéressée à cette question, que l’Escaut va cesser d’être navigable, c’est là messieurs, une exagération. Cette question intéresse principalement, j’aurai le courage de le dire, certaine quantité de gros propriétaires qui possèdent une partie non rendiguée du poldre de Lillo. Il y a aussi d’autres intérêts, celui du fort, et celui de la navigation mais l’intérêt principal, je n’hésite pas à le dire, est celui des gros propriétaires.

M. de Brouckere. - Et celui des pauvres habitants !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cet incident ne nous conduira à rien du tout. Le gouvernement examine la question du concours des propriétaires, et cette question sera très promptement éclaircie.

M. Osy. - Messieurs, je dois protester contre ce que vient de dire M. le ministre, que nous plaidons ici les intérêts des grands propriétaires ; non, messieurs, nous plaidons les intérêts de 500 malheureux habitants d’un village appelé le village de la Paille. Nous plaidons aussi les intérêts du commerce, qui voit avec frayeur se former un banc de sable, et vous avez à cet égard le certificat du capitaine du port, qui atteste la réalité du fait. Je proteste donc contre l’assertion de M. le ministre de l’intérieur, et mes réclamations sont dans l’intérêt de toute la Belgique, pour conserver un beau fleuve.

M. de Theux. - Nous ne devons pas anticiper sur la discussion du fond. M. le ministre de l’intérieur a annoncé qu’il examinait la question du concours des propriétaires intéressés. Nous devons accepter avec reconnaissance l’examen que le gouvernement fait de cette importante question. Déjà nous avons posé plusieurs fois le principe du concours, et si jamais il y a lieu à concours, c’est bien, je pense, dans une circonstance comme celle-ci.

M. de Brouckere. - Tout ce que nous demandons, c’est que le projet de loi nous soit présenté pendant la présente session. Que M. le ministre examine si les propriétaires doivent contribuer à la dépense, il a raison, mais nous demandons que la solution en soit hâtée et qu’un projet nous soit présenté le plus tôt possible.

- Le renvoi M. le ministre des travaux publics est adopté.

M. Osy. - Je demande aussi le renvoi à M. le ministre de l’intérieur, puisque la question intéresse aussi le commerce et la navigation.

- Cette proposition est adoptée.


M. de Villegas, rapporteur. - « Par pétition en date du 15 mais, les avocats du barreau de Mons demandent une augmentation du nombre de magistrats au tribunal de cette ville. »

Cette requête n’est en quelque sorte que la continuation de la réclamation qui a été adressée, aux mêmes fins, à la chambre des représentants, par les membres du tribunal de Mons, le 24 mars 1835, et envoyée à la commission des pétitions le 27 du même mois.

Le personnel du tribunal n’a pas changé depuis l’organisation de 1811. Il est composé d’un président, d’un vice-président et de sept juges. L’expérience, disent les pétitionnaires, a démontré depuis longtemps la nécessité d’une augmentation de personnel ; la population de l’arrondissement s’accroît avec l’extrême division des propriétés, l’importance des transactions sociales, le nombre considérable d’établissements industriels et la multitude de ses houillères. Telles sont les causes de cette multiplicité de procès d’une instruction parfois longue et difficile.

Il est à remarquer qu’outre les affaires ordinaires, le tribunal de Mons est chargé des appels de police correctionnelle et du service de la cour d’assises.

La commission des pétitions n’a pas été mise à même de vérifier l’exactitude des faits mentionnés dans la requête dont s’agit. Les éléments de comparaison entre le tribunal de Mons et les autres sièges, ainsi que les tableaux statistiques des dernières années lui manquent. C’est au département de la justice à examiner s’il y a lieu de faire à cet égard une proposition à la législature. Le nombre des affaires, leur importance, le service ordinaire et extraordinaire du tribunal, le nombre et la durée de ses audiences, l’arriéré qu’il laisse à la fin de chaque exercice, doivent entrer en ligne de compte pour apprécier la nécessité d’augmenter son personnel.

La commission a, en conséquence, l’honneur de proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Delehaye. - Messieurs, la présence de M. le ministre des finances, m’engage à rappeler à ses souvenirs une pétition que la chambre lui a renvoyée, ainsi qu’à son collègue de l’intérieur, et par laquelle le commerce de Gand réclame quelques modifications à la loi sur les ventes à l’encan,

Ces ventes se font, en général, au profit de l’étranger ; c’est la France, en partie, qui, jetant sur notre marché tout ce qu’elle n’a pu placer avantageusement chez elle, porte par là, contrairement à l’esprit de la loi, un préjudice notable à notre industrie. Déjà à Bruxelles le commerce s’en est également alarmé, et le conseil communal, toujours disposé à soutenir les justes réclamations de ses administres, a appelé l’attention sur ce point. La pétition que je rappelle au souvenir du gouvernement porte plus de mille signatures, appartenant à tout ce que le commerce et l’industrie de Gand ont de plus notable.

Je pense donc, messieurs, que si le gouvernement jetait un moment les yeux sur cette pétition, il saisirait immédiatement la chambre d’un projet de loi portant des modifications à apporter à la loi. Les mesures qu’il s’agit de prendre existent d’ailleurs déjà en France.

Je prie la chambre de remarquer qu’il s’agit de remédier à un état de choses dont l’étranger recueille tous les bénéfices et le régnicole toutes les charges.

Je prie donc M. le ministre des finances et M. le ministre de l’intérieur de nous saisir immédiatement d’un projet comprenant les modifications à apporter à la loi sur les ventes à l’encan. Je pense que ce projet ne donnerait lieu qu’à peu de discussions, et il serait utile, dans l’intérêt du pays, qu’il fût voté avant la fin de la session.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, la loi dont il est question ne date que de quelques mois.

La réclamation dont parle l’honorable M. Delehaye fait dans ce moment l’objet de mes études ; mais il me serait impossible de dire à présent si je présenterai d’ici à une époque rapprochée de nouvelles modifications à la loi. Cela dépendra d’un examen ultérieur qui me restera à faire.

M. Delehaye. - M. le ministre des finances pense que je parle de la loi sur le colportage, qui ne date effectivement que de quelques mois, et dont j’ai été rapporteur ; mais je viens parler de la loi sur les ventes à l’encan qui est beaucoup plus ancienne. Ce que je demande existe en France, et il n’a fallu dans ce pays que quelques heures d’examen pour démontrer la nécessité des mesures que réclame le commerce belge.

Je suis persuadé que si M. le ministre des finances jette les yeux sur la pétition dont je viens de parler, il se hâtera de saisir la chambre d’une proposition. Je prie M. le ministre de fixer son attention sur ce point, parce que j’ai la conviction qu’il n’y a pas de mesure plus urgente pour le commerce du pays et qui lui sera plus favorable que les modifications que je réclame.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1843

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion du budget de la guerre.

Le gouvernement a demandé une somme de 29,500,000 francs, dont il y a lieu de réduire 45,000 fr., ce qui porte le chiffre du budget à 29,455,000 fr.

La section centrale propose l’allocation d’un crédit global de 27,000,000 de francs.

M. le ministre de la guerre ne s’est pas rallié jusqu’ici à la proposition de la section centrale.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Non, M. le président, je ne puis m’y rallier.

M. le président. - En ce cas la discussion s’établit sur les propositions du gouvernement, et celle de la section centrale sera considérée comme amendement.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, le débat sur la nécessité d’une armée pour la Belgique, dans sa position de neutralité, a été vidé trop éloquemment, dans les dernières sessions, pour qu’il soit nécessaire d’y revenir. Je rappellerai, cependant, et les acclamations, tant du pays que de l’étranger, qui accueillirent les royales paroles, quand elles vous dirent que notre neutralité devait être sincère, loyale et forte, et le langage tout patriotique de la chambre, répondant qu’elle aiderait, par ses continuels efforts, le gouvernement du Roi à la maintenir. Si notre neutralité exige, pour appui, une armée bien organisée, le maintien de l’ordre intérieur réclame tout aussi impérieusement la présence de forces suffisantes. Nous-mêmes en avons déjà subi l’épreuve, et l’exemple de la France, dont l’armée a tant de fois, depuis 1830, raffermi les institutions menacées dans leurs bases, ne doit pas être perdu pour nous.

J’abandonne ces considérations, purement politiques, à votre propre appréciation, plus compétente dans ces matières, pour passer à l’examen de la question purement militaire.

Le budget soumis à vos délibérations, consacre, pour l’armée, une composition normale mieux appropriée à notre situation politique et satisfaisant, dans les limites des allocations disponibles, aux diverses exigences du service.

La mission de notre force armée, bornée, par notre position, à maintenir, en tout temps, l’ordre intérieur, à soutenir et à faire respecter la neutralité garantie par les traites, demandait que notre état militaire fût mis en harmonie avec cette nouvelle situation, et permît d’amener les dépenses au chiffre le plus restreint possible.

Cette destination de l’armée, en faisant prédominer, dans sa composition l’élément défensif, nous permet d’appeler la garde civique à un concours plus étendu, afin de trouver les moyens de réduire, le plus possible, l’effectif des troupes de ligne.

Mais la fixation de ce minimum d’effectif étant l’objet d’une question à laquelle se rattachent les intérêts les plus graves de notre avenir et de notre nationalité, j’ai voulu m’éclairer des investigations des chefs de l’armée, pris parmi les plus compétents par leur expérience et leurs talents, et sur lesquels pèsera un jour, avec l’obligation de justifier leurs prévisions, la responsabilité de la défense du pays, dans l’exercice de leur commandement.

Réunie sous la présidence du lieutenant général, baron Evain, et composée des lieutenants-généraux, Goethals, Goblet, De Brias, d’Hane, L’Olivier, des colonels Dupont et Duroy (ce dernier, en qualité de suppléant du général d’Hane), cette commission eut à examiner :

1° Le chiffre et la composition qu’il conviendra d’adopter pour l’armée, en tenant compte du concours de la garde civique ;

2° Le cadre à fixer au grand état-major ;

3° Le rapport à donner aux différentes armes entre elles, leur composition, la formation organique des corps et les moyens de parer à quelques vices d’organisation, en restant le plus possible en-dessous des allocations de l’année 1842.

La commission a discuté, avec tout le soin que comportait un sujet aussi grave, les différents systèmes de guerre les plus propres à garantir la neutralité de la Belgique. Elle a pensé que, dès le jour où le nouveau royaume ne sera plus en mesure de résister à une première attaque et de garder ses forteresses, jusqu’au moment de l’intervention de ses alliés, que dès qu’il ne menacera plus les nations qui voudraient attenter à son indépendance, de donner l’appui de ses places et de ses forces, à celles qui la respecteraient, il aurait perdu toute sa valeur politique, et que personne en Europe ne serait intéressé à son existence.

Guidée par cette considération, la commission a été unanime pour conclure :

1° Que le complet de l’armée sur pied de guerre à 80,000 hommes, tel qu’il est fixé pour la loi du contingent, devait être maintenu, même en supposant le concours de la garde civique convenablement organisée ;

2° Que cette armée, loin de paraître supérieure à ce que réclame la défense du pays, ne peut pas même satisfaire, autant qu’on doit le désirer, aux éventualités de l’avenir ; que si donc on doit s’en contenter, ce n’est que parce que les ressources financières qu’on peut y consacrer ne paraissent pas pouvoir être augmentées.

Tel est donc, messieurs, le chiffre reconnu absolument nécessaire, pour la garantie des institutions que nous nous sommes données, par ceux-là même auxquels incombera un jour la responsabilité de leur défense : ce chiffre nécessitera un appel d’environ 2 p. c. de nos habitants ; mais loin d’excéder les proportions que notre population permet d’admettre, ces forces n’atteignent pas même le contingent que les pays voisins, tels que la Hollande, la Prusse, la France, la Confédération germanique se sont imposé.

Appuyées sur une antique nationalité, couvertes par des frontières bien défendues, encouragées par de glorieux souvenirs militaires, ces nations n’ont pas craint de consacrer de 2 a 3 p. c. de leur population au service de l’armée de terre seulement, sans compter leurs forces navales.

C’est pour des intérêts purement moraux, pour des considérations d’influence et de dignité, qu’elles n’hésitent pas à s’imposer des sacrifices plus grands que les nôtres, exigés pour notre existence nationale elle-même.

Elles n’ont pas, comme nous, à faire consacrer, par le temps, une indépendance qu’aucun bouleversement politique n’a encore attaquée. Et la Belgique déposerait les armes avant même d’avoir combattu pour sa nationalité, sous prétexte qu’elle lui coûte trop cher !

Quelle que soit notre foi dans les traités, rappelons-nous qu’ils sont impuissants devant les faits accomplis, et qu’une protection à main armée est la meilleure garantie de notre existence politique.

Abdiquer le soin de son indépendance, disait un publiciste distingué, c’est en abdiquer les droits, c’est briser la force morale de la nation au dehors comme au dedans.

Du reste, vous-mêmes, messieurs, avez démontré, d’une manière péremptoire, que le chiffre du contingent est à l’abri de toute contestation, chaque fois que les circonstances l’exigent. Malheureusement une organisation militaire ne peut varier avec toutes les fluctuations de l’horizon politique ; de toutes les institutions d’un pays, c’est la force armée qui est la plus lente à se créer ; là l’improvisation, même avec des millions de subvention, conduit à la déroute. L’échec qu’ont subi nos armes en 1831, d’une influence si déplorable sur nos destinées, ne doit être attribué ni au manque de courage, ni au chiffre des combattants, mais à l’absence d’une bonne organisation. Il faut du temps pour agencer les rouages si compliqués d’une armée, surtout à une époque où l’esprit militaire semble assoupi ; il en faut plus encore pour être rompu au commandement ou à l’obéissance, et le temps seul parvient à fondre le libre arbitre individuel dans une volonté unique.

Bien que le pied de guerre de notre armée exige la mise en activité de 80,000 hommes, il a été possible de ramener le pied de paix de ces forces au chiffre de 34,900 hommes.

Sous ce rapport encore, la Belgique a cédé, au-delà des limites désirables, aux prescriptions d’économie, si on la compare avec les pays voisins. Ainsi, quand pour le pied de paix, la France, la Prusse et la Hollande maintiennent sous les armes au-delà d’un p. c. leur population, la Belgique ne compte sous les drapeaux qu’un soldat pour 113 habitants. Si une proportion aussi réduite pouvait être rejetée, comme trop onéreuse à sa population, il faudrait renoncer à la conservation d’une armée régulière.

Considéré du point de vue de la dépense, le pied de paix de l’armée belge se présente d’une manière tout aussi avantageuse, dans sa comparaison avec les armées voisines.

Bien que le chiffre des dépenses des armées soit loin de croître dans la même progression que celui de leur effectif, nous voyons que le rapport du budget de la guerre à celui des dépenses générales est :

En France, de 1 à 3,95

En Prusse, de 1 à 2,35

En Autriche, de 1 à 2,23

Et dans les pays dont la population se rapproche de la nôtre tels que :

La Bavière, de 1 à 3,78

La Suède, de 1 à 3,12

La Sardaigne, de 1 à 2,57.

Tandis que la Belgique, malgré sa population tout exceptionnelle, n’accorde de crédits au budget de la guerre que dans le rapport de 1 à 3,75, c’est-à-dire un peu plus du quart des dépenses totales. Ajoutez à ces chiffres que la Bavière est sous la sauvegarde de la solidarité morale de l’Allemagne et que la Suède et la Sardaigne se trouvent défendues par leur antique nationalité et plus encore, par la nature, quand la Belgique, ouverte de toute part, semble abandonnée comme une proie facile dans la lice européenne.

Que serait-ce donc si, au lieu de limiter la comparaison aux allocations pour l’armée de terre, on y ajoutait les sommes affectées, dans ces divers pays, aux forces navales ?

La Hollande, avec une population bien inférieure à la nôtre, prélève, pour l’ensemble de ses moyens de défense de mer et de terre, un impôt de 39,600,000 francs, dans lequel le budget de la guerre entre pour 27,460,317 francs. Si ce budget comprend les pensions militaires, il ne compte pour la gendarmerie que 490,000 francs, au lieu de 1,627,000 fr. inscrits dans celui qui vous est soumis ; il n’admet pas les dépenses assez considérables exigées pour le confort du soldat, telles que l’augmentation de 1/4 de kilogramme par ration de pain, la haute paie accordée aux grenadiers et aux voltigeurs, celle des chevrons pour ancienneté de service ; ce budget n’est pas grevé, comme le nôtre, de 441,500 francs, affectés à la création d’une nouvelle forteresse.

Il m’est donc permis, messieurs, de dire que la Belgique, par l’adoption du budget en discussion, ne supportera, au même degré, ni les sacrifices en hommes, ni ceux en argent, que les nations voisines se sont imposés pour des intérêts, certes, de moindre importance que les nôtres. A quel titre alors invoquerions-nous, au jour du danger, le secours de nos alliés, lorsque nous-mêmes nous nous serions soustraits aux devoirs et aux charges que nous impose notre nationalité ?

Je passerai actuellement à l’exposition des principes qui ont réglé la composition organique, portée au budget.

Le personnel d’une armée se compose :

1° D’un état-major, comprenant le cadre des officiers-généraux, l’état-major territorial, le corps d’état-major, le service de l’intendance et le service de santé ;

2° Des armes de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie et du génie.

La composition organique d’une armée doit être telle, qu’en toutes circonstances, et sous tous les rapports, elle puisse satisfaire complètement aux diverses exigences du système de guerre adopté pour la situation politique et matérielle du pays.

Il s’ensuit que le rapport numérique de ses diverses parties, états-majors et armes, doit se déduire de ce même système, si l’on veut que l’armée réponde pleinement à sa destination.

La position politique qui nous est faite exige l’adoption d’un système de guerre défensive, qui, à son tour, oblige de constituer fortement les armes qui possèdent, au plus haut point, les propriétés défensives.

Ces principes posés, il me sera facile de prouver qu’il en a été fait une saine application aux diverses armes.

L’action tactique de l’infanterie est la plus étendue, parce qu’elle est également propre au combat à distance et au combat rapproché ; son organisation rapide, son entretien peu coûteux et l’universalité de ses services, l’ont rendue l’arme la plus importante et la plus nombreuse des forces militaires ; aussi son chiffre a-t-il été fixe pour nous à 60,000 hommes. C’est sur l’infanterie, prise pour base, qu’est fixe le rapport numérique des autres armes.

Dans un pays aussi ouvert et aussi favorable à l’emploi de la cavalerie que la Belgique, il eût été nécessaire de donner à cette arme le rapport, usité dans beaucoup d’armées, du quart au cinquième de l’infanterie, si l’adoption d’un système défensif avait permis de l’amener entre le 8° et le 9°.

L’artillerie est l’arme qui possède, au plus haut degré, les propriétés de la défense, parce que son action commence là où celle des autres armes reste encore longtemps dans l’impuissance. La mobilité qu’elle a acquise, par l’adoption d’un matériel plus léger et mieux combiné ; les exigences multipliées auxquelles elle a su satisfaire, dans les dernières guerres, et les perfectionnements journaliers qu’elle introduit dans ses moyens d’action, l’ont fait reconnaître, par tous les tacticiens comme l’arme offrant le plus d’avenir. Or, c’est surtout en vue de l’avenir que doit être établie une organisation normale, si l’on veut qu’elle réponde aux éventualités les plus probables.

L’emploi de cette arme grandira avec ses perfectionnements puisque déjà, dans les dernières guerres, son usage avait pris une extension considérable, malgré le matériel lourd et défectueux de Gribeauval.

Ainsi, après la perte totale de la cavalerie et de l’artillerie françaises, dans la campagne de 1812, rien ne fut épargné pour les remplacer. L’armée, reconstituée à la fin de l’armistice, comptait 380,000 combattants, dont 34,900 seulement de cavalerie et 1,300 bouches à feu, c’est-à-dire un dixième de cavalerie et un peu plus de 3 pièces par 1000 hommes d’infanterie. Les alliés se présentaient avec 370,000 hommes, dont 8,000 de cavalerie et 1,070 pièces. Ainsi, la cavalerie formait le quart de leur armée, et, par mille hommes, ils comptaient 3 pièces du matériel mentionné plus haut.

On ne s’étonnera donc pas de voir la proportion de 3 pièces, par 1000 hommes d’infanterie, et de 4 au moins par 1000 cavaliers, généralement adoptée, à une époque où le matériel n’offre plus aucun obstacle aux évolutions les plus rapides. Ainsi, la Prusse compte pour son armée 864 pièces attelées ; la confédération germanique, pour ses dix corps, 580 pièces attelées et 290 en réserve. Bien plus, la France a cru nécessaire de modifier son artillerie de siège, pour ne former que de l’artillerie montée et à cheval, au nombre de 200 batteries, dont la mobilisation totale donnerait 1,200 pièces de campagne. La Hollande elle-même, quoiqu’Etat maritime et couvert par une triple ceinture de cours d’eau et de forteresses, ne compte pas moins de 15 batteries de campagne, dont 7 à cheval.

Les ressources financières dont il m’a été possible de disposer n’ont pas permis de maintenir l’artillerie mobile à un chiffre aussi avantageux pour la Belgique. Quatre batteries ont été démontées au mois de juin dernier et ont ramené cette arme à 2 pièces seulement par 1,000 hommes d’infanterie et 4 par 1,000 cavaliers.

En bornant même, contre toute révision, l’action de cette arme à la défense des places, l’exemple de la France, qui a supprimé toute son artillerie de siège, nous dirait encore combien il serait avantageux de lui conserver assez d’attelages pour lui donner une mobilité suffisante et propre à appuyer de fortes sorties, à couvrir les points trop faibles et à opérer à l’intérieur les immenses transports qu’exige l’armement des places.

Le chiffre des troupes du génie, fixé d’après les ressources possibles à 1/31 de l’infanterie, semble pouvoir satisfaire aux exigences du service incombant à la spécialité de cette arme.

J’ai cru, messieurs, devoir insister sur ces rapports numériques, parce que des préventions injustes avaient trouvé de l’écho jusque dans cette enceinte. La composition de notre armée sur le pied de guerre repose donc, non sur des préférences partiales, mais, comme son importance l’exige, sur les propriétés et la destination des différentes armes, afin de la mettre en harmonie parfaite avec le système de guerre qui doit assurer notre défense.

Le pied de paix de l’armée doit être tel que chaque arme conserve des ressources suffisantes pour passer au pied de guerre, sans secousse dangereuse, si l’on ne veut renoncer de prime abord à utiliser nos moyens de défense si laborieusement formés.

Je pourrais invoquer ici, messieurs, sans les faire remonter trop loin, vos propres souvenirs. Les vides laissés par les réductions budgétaires, dans les effectifs en chevaux des corps de cavalerie et d’artillerie, forcèrent à de fortes remontes pour opérer les armements de 1838 à 1839. La cavalerie ne put se remonter, parce que des mesures prohibitives nous exclurent du marché de l’Allemagne ; et l’artillerie, après 3 mois de parcours dans toute la Belgique, ne put acheter que 1,242 chevaux sur 2,400 qu’il lui fallait.

Un autre fait tout aussi concluant vous prouvera qu’un surcroît momentané de dépenses peut quelquefois se changer dans l’avenir en une économie réelle. En 1839, on crut pouvoir, toujours par économie, étendre outre mesure la vente des attelages de l’artillerie ; mais déjà en 1840, force fut de racheter, à des prix élevés, 600 chevaux de trait, dont pas un ne valait bon nombre de ceux que les corps avaient vu vendre à regret, l’année précédente, même à des prix peu avantageux. Il en est résulté une artillerie mal attelée qui ne vaudra l’ancienne que lorsque les remontes annuelles lui auront rendu de bons attelages.

Je pense devoir citer de plus une autorité dont personne ne contestera l’importance, celle de l’illustre maréchal Soult, qui dans son rapport au roi, sur la constitution des cadres de l’armée, dit :

« L’expérience de la situation embarrassante dans laquelle on s’est trouvé, en 1840, par rapport aux armes spéciales de la cavalerie et de l’artillerie, a prouvé le danger d’affaiblir ces armes, et la nécessité de leur donner, ainsi qu’au génie et aux équipages militaires, l’effectif qui leur est indispensable pour passer facilement du pied de paix au pied de guerre, et les mettre en état d’agir simultanément avec l’infanterie, qui se prête toujours si facilement à cette transition. »

D’après la composition portée au budget, le rapport du pied de paix au pied de guerre, sera dans chacune des armes, pour les hommes de :

33 à 100 pour l’infanterie ;

65 à 100 pour la cavalerie ;

45 à 100 pour l’artillerie ;

38 à 100 pour le génie ;

Et, pour les chevaux de troupe, de :

58 à 100 pour la cavalerie ;

27 à 100 pour l’artillerie.

Ainsi, pour passer du pied de paix au pied de guerre, il faut :

Que l’infanterie reçoive les 2/3 de son complet d’hommes ;

Que la cavalerie en reçoive un peu plus du tiers ;

Que l’artillerie reçoive au au-delà de la moitié de son complet ;

Qu’enfin, le génie en reçoive les 3/5.

Quant à l’effectif en chevaux, il faut que :

La cavalerie reçoive un peu plus des 4/10, et

L’artillerie au-delà des 7/10 du complet de guerre.

Le passage d’un pied à l’autre est donc, eu égard à la spécialité des armes, aussi convenablement entendu que le permettent les ressources du budget. Il se rapproche, dans cette limite, autant qu’il a été possible, des règles de l’art militaire, qui nous disent que l’on ne peut espérer de combattre avec succès, au moyen d’une infanterie peu aguerrie, si on ne lui donne, pour appui, une bonne artillerie ; qu’un avantage acquis ne peut être mis à profit que par une cavalerie d’une force convenable ; enfin, qu’une armée qui a peu d’artillerie ne sait agir qu’offensivement (ainsi contrairement à notre position), parce qu’elle est privée du nerf de la défense.

De la nécessité de pouvoir porter l’armée, sur le pied de guerre, à 80,000 hommes, dérive celle de conserver, sur le pied de paix, dans des proportions convenables, les cadres destinés à contenir ces forces, en y apportant, toutefois, les réductions que commande l’économie des dépenses, condition indispensable de l’état de paix. Le moyen le plus naturel d’opérer ces réductions semblerait être de supprimer des états-majors de régiments, tout en conservant les bataillons, les escadrons et les batteries qui forment les unités de force, avec lesquelles on procède aux opérations de guerre.

Mais alors il deviendrait nécessaire ou de rétablir ces états-majors, lors du passage au pied de guerre, ou de forcer la composition des corps. Dans le premier cas, on s’exposerait bien imprudemment à toutes les conséquences d’organisations faites dans le moment même du danger, et cela dans un pays où la capitale est à deux jours de marche des frontières. Dans le second cas, l’expérience démontre que des corps d’un effectif trop nombreux sont lourds au physique et au moral et perdent en consistance ce qu’ils gagnent en chiffres. En effet, le commandant du régiment, responsable de toutes les parties, tant de l’administration que de l’instruction, ne peut plus suffire à toutes les exigences de son commandement et se voit forcé de sacrifier une partie de son service pour sauver l’autre. Toujours menacé dans sa responsabilité financière, ou dans celle qui lui incombe, pour l’instruction théorique et pratique de son personnel, il ne peut communiquer à son régiment la vigueur et l’élan qui en font toute la force.

Il n’est donc pas plus possible de réduire le nombre de régiments des diverses armes, sans compromettre d’avance la valeur de nos forces, qu’il ne l’a été de réduire le chiffre de l’armée, reconnu nécessaire à notre position politique.

Les corps d’infanterie, tels qu’ils étaient constitués sur le pied de paix, loin de pouvoir supporter une réduction d’effectif, désirable dans le but d’économie qu’on cherchait à atteindre, n’offraient aucune consistance, ni dans l’intérêt de l’instruction, ni dans celui du service, et leurs compagnies ne présentaient quelquefois pas le personnel nécessaire pour assurer aux soldats les nuits de repos que leur accordent les règlements.

Un tel état de choses compromettant à la fois la santé du soldat, le service et l’avenir de l’arme, il était urgent de chercher à y remédier. Mais la condition de rester au-dessous des allocations accordées imposait celle de trouver l’augmentation d’effectif dans des modifications de détail sans influence réelle sur la force de l’arme.

Le nombre de régiments et celui de bataillons ne pouvant, d’après ce que nous venons de voir, être réduit, il restait à examiner s’il n’était pas possible de restreindre le nombre de compagnies dans chaque bataillon, et de lui donner, par exemple, la formation prussienne à 4 divisions de 225 à 250 hommes, pour présenter en ligne le chiffre normal de 8 à 9 hommes.

Mais tout militaire sait que la valeur d’une armée se calcule sur la solidité de ses cadres, et que ceux-ci doivent être d’autant plus nombreux, que les soldats sont moins aguerris et moins expérimentés. L’histoire de toutes les guerres est là pour l’attester, et parmi les faits les plus frappants, se trouvent les dernières campagnes de l’empire où les revers de l’armée française datent de la perte, en 1812, des vieux cadres, et se sont continués, malgré la bravoure des combattants et malgré l’éclat du génie qui les conduisait.

Aussi, les armées les plus estimées sont celles où les cadres sont éprouvés et nombreux, proportionnellement aux soldats. Cette condition est d’autant plus impérieuse pour nous, que nos miliciens enlacés par les liens de famille, toujours vivaces dans un petit pays, à communications nombreuses et faciles, se font difficilement à la vie militaire et rentrent dans leurs foyers avant d’avoir acquis l’aplomb désirable pour paraître avec confiance en ligne.

Le seul remède à ce vice organique de notre armée doit consister à rendre les cadres d’autant meilleurs et d’autant plus nombreux, qu’ils doivent suppléer au défaut d’éducation militaire complète du milicien. Mais la nécessité de renfermer le soldat dans des cadres fermes et suffisants impose l’obligation de maintenir le chiffre de 150 hommes par compagnie, comme un maximum qu’il n’est pas permis de dépasser, sans exiger une augmentation proportionnelle et dispendieuse des cadres ; elle force, dès lors, à rejeter, comme mauvaise pour la Belgique, la formation à 4 compagnies par bataillon.

Quant à un dédoublement des compagnies, lors du passage au pied de guerre, il ne peut en être sérieusement question ; outre les obstacles nombreux d’embarras administratifs et autres, il serait par trop téméraire de se présenter, au moment suprême, non seulement avec des soldats nouveaux, mais encore avec des cadres improvisés, dont le temps n’a pas éprouvé la solidité.

Consultée sur cet objet, la commission d’officiers généraux a unanimement reconnu que non seulement il serait impossible de diminuer le nombre de régiments ou de bataillons, sans affecter trop profondément l’organisation de l’armée, mais encore qu’on ne pourrait changer la composition intérieure des bataillons de guerre, en restreignant le nombre de compagnies, sans décomposer moralement et physiquement ces unités de force.

Il a donc fallu nécessairement renoncer à l’emploi de ces moyens d’économie, et, dès lors, il ne restait plus qu’à porter les réductions sur des points qui ne détruisent pas la force intrinsèque des corps. Le but a été jugé devoir être le mieux atteint :

1° Par l’abstention de pourvoir aux vacances d’un des deux emplois de sous-lieutenant, dans chaque compagnie, en réservant toutefois, pour les droits acquis et pour éviter un temps d’arrêt trop marqué dans l’avancement des sous-officiers, une nomination sur quatre emplois vacants, jusqu’à ce qu’on soit progressivement venu au chiffre normal ;

2° La suppression, pour les reconstituer lors du passage au pied de guerre, des quatrième et cinquième compagnies des bataillons de réserve.

Il en résulte un retrait de 358 emplois d’officiers, savoir :

32 du grade de capitaine ;

32 du grade de lieutenant ;

294 du grade de sous-lieutenant.

Je n’ai pas hésité à opérer dans l’infanterie une réduction que l’artillerie avait déjà dû subir en 1839, et qui était imposée à la cavalerie, par son arrêté organique, en vue de l’augmentation du nombre d’hommes qu’elle procurait à cette arme, dans l’intérêt de son avenir et du service.

Par suite de ces modifications et de quelques autres de peu d’importance pour le service, telles que celles des gardes magasins, des vaguemestres, etc., il sera possible d’augmenter sur le pied de paix, la force numérique des compagnies et de les porter de 55 à 69 et 79 hommes.

Bien loin donc d’avoir été affaiblie, l’infanterie aura, si on la compare avec l’effectif du budget de 1842, une augmentation de force de 2,044 hommes.

Dans la cavalerie, les divers corps restent constitués comme ils le sont, pour que, complétés organiquement sur le pied de guerre, ils puissent fournir le contingent de cavalerie reconnu nécessaire au chiffre total de l’armée.

L’effectif des escadrons, sur le pied de paix, n’a pu jusqu’ici rester au chiffre prescrit par l’arrêté organique ; il a subi des réductions successives, dans les limites des budgets qui l’ont amené, enfin, à 100 chevaux par escadron. Ce chiffre ne satisfait pas autant qu’il serait à désirer aux exigences de l’instruction ; mais il a dû s’accorder avec les allocations dont il m’a été permis de disposer.

La commission d’officiers généraux appelée à examiner les modifications les plus convenables à opérer dans la cavalerie, dans les limites rapportées plus haut, a unanimement émis cet avis, que ce qui est le plus à désirer, pour le maintien de la bonne organisation de la cavalerie, sous le rapport du service, de l’inspection des hommes et de la conservation des chevaux, c’est que les régiments ne soient plus obligés de renvoyer leurs cavaliers, au moment où les recrues arrivent au corps ; attendu que ces recrues sont placées, d’abord au dépôt, pour leur instruction, et n’entrent que quelques mois après dans les escadrons. Il en résulte que ceux-ci se trouvent incomplets, et que les hommes présents sont obligés de panser 3 et même 4 chevaux, ce qui devient une des causes les plus déterminantes de dégoûts pour le service.

Cet état de choses avait déjà fixé mon attention, comme dangereux pour l’avenir de cette arme, et c’est dans le but de le faire disparaître que j’ai cherché à introduire quelques économies sur d’autres points. Désormais, l’effectif des corps de cavalerie sera augmenté, pendant la durée de l’instruction des recrues, de la levée annuelle de la milice, et les permissionnaires ne seront renvoyés des escadrons qu’au moment où les recrues y entreront pour faire le service.

La législature ayant reconnu, par l’adoption du budget de 1842, la nécessité de réorganiser les armes de l’artillerie et du génie, j’ai cherché à régulariser les changements projetés, de la manière la plus avantageuse à la défense du pays, à la bonne composition de l’armée et aux intérêts du trésor, en tenant compte des observations critiques dont ils avaient été l’objet dans les chambres.

Ainsi, la transformation en batteries de siège, de 7 batteries montées, c’est-à-dire, la suppression de 56 pièces, ayant été reconnue excéder les bornes d’une sage prévision, je me suis appliqué à la restreindre à 4 batteries, et à la compenser par des économies qui affectaient moins gravement nos moyens de défense. Je me suis abstenu, pour ce motif, d’organiser la nouvelle batterie de siège portée au budget de 1842 ; de plus, un emploi de lieutenant par batterie de campagne, ainsi que quelques grades de moindre importance, ont été supprimés dans tout le personnel ; l’effectif en chevaux de toutes les batteries, et le personnel de celles à cheval ont été réduits. De cette manière, il a été possible de conserver 19 batteries de campagne et 24 de siège, c’est -à-dire, une de moins que ne le voulait mon prédécesseur.

La commission d’officiers généraux a reconnu, dans la discussion des bases d’organisation de l’arme d’artillerie, que, par sa complication d’hommes, de chevaux de selle, d’attelages, de voitures de tout genre, de munitions de guerre, pour elle et pour l’armée, de moyens de passage de rivières, elle demande un bien plus longtemps pour pouvoir entrer en campagne. C’est surtout ce que le lieutenant-général Evain, celui-là même que l’empereur chargea de remplacer tout le matériel de l’artillerie abandonné en Russie, a fait sentir, d’après l’expérience qu’il a eue de ce service, pendant 20 ans qu’il l’a dirigé en France : aussi tout doit-il être disposé de longue main et sans excès d’économie mal entendue, pour avoir une artillerie qui soutienne le rang où la mettent aujourd’hui la perfection de son organisation et son service aux armées.

Sous ce rapport, il eût été avantageux de suivre l’exemple de la France, qui, sur le pied de paix comme sur le pied de guerre, conserve, dans leur intégrité, les cadres des compagnies, escadrons ou batteries ; malheureusement nos ressources financières n’ont pas permis qu’il en fût ainsi.

L’arme du génie a été reconstituée sur de plus larges bases, afin qu’elle trouvât la possibilité de satisfaire, sans surcroît de dépenses, aux diverses exigences du service qui lui incombe.

Une imitation mal entendue de ce qui s’était fait en France avait jusqu’ici séparé en deux fractions presqu’hostiles l’état-major du génie et les sapeurs-mineurs qui en forment les troupes. Aussi, l’arrête du 4 juin dernier a-t-il réuni, en un seul corps homogène les deux fractions de l’arme sans s’arrêter aux prétentions inconsidérées de quelques officiers, dont l’amour-propre s’irritait de cette mesure, toute d’avenir. Il a paru d’autant plus rationnel d’adopter en Belgique une organisation que nous voyons produire les meilleurs résultats chez la plupart des autres nations, telles que la Hollande, la Prusse, l’Autriche, et chez nous-mêmes dans l’artillerie, que l’exiguïté de nos ressources ne permet pas de créer et d’entretenir des spécialités assez nombreuses pour toutes les branches d’un service, mais qu’elle nous impose, au contraire l’obligation d’exiger des officiers une aptitude égale pour tous les détails des travaux d’une même arme.

Une perte, bien déplorable pour le génie, est venue trop tôt réaliser les prévisions de l’inspecteur général, quand il jugeait nécessaire de familiariser les officiers de l’état-major avec le commandement des troupes de l’arme. Pour la troisième fois déjà, en une seule année, le gouvernement s’est vu forcé de confier ce commandement d’une haute importance à des officiers étrangers au service du régiment. Quelles que soient, du reste, les capacités et la bonne volonté que je me plais à reconnaître à ces officiers, de pareilles mutations, toujours funestes à un corps, suffiraient, seules, pour justifier les dispositions prises et dont les opposants ont, eux-mêmes, déjà dû avouer les bons effets.

Après vous avoir ainsi longuement développé les rapports des déférentes armes et leur composition organique, je pourrais, messieurs, vous exposer celle de leurs fractions, pour vous prouver que les détails en ont été réglés d’après les seules exigences du service. Mais la crainte d’épuiser votre longanimité me fait espérer que, si contre mon attente, il vous restait encore quelques doutes sur la nécessité des ressources conservées, la seule lecture des chiffres des tableaux de composition des différentes armes les dissiperait facilement.

Ainsi, pour ne parler que des cadres, vous y verrez que le nombre d’officiers des corps d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie, a été réduit d’un quart, pour le pied de paix ; que cette réduction ne pouvait être excédée sans danger certain pour l’avenir, par l’impossibilité de les reconstituer assez rapidement au pied de guerre. Quant au chiffre d’officiers, exigé pour cet état, il est resté tel que l’expérience l’avait sanctionné, pendant les 12 années écoulées, et que le caractère de nos soldats fera toujours considérer comme très modéré.

La composition des diverses armes vous a donc été justifiée par les principes les plus vrais de l’art militaire et par l’expérience des chefs de l’armée ; il sera facile de prouver que son état-major général a été calculé dans les limites les plus restreintes.

En première ligne vient se placer le cadre des officiers-généraux, destinés au commandement des troupes des différentes armes et aux services qui exigent des officiers de ce grade, tels que ceux du département de la guerre, de la maison militaire au Roi et des missions temporaires.

La formation, même en temps de paix, par divisions et brigades, généralement adoptée, est d’une nécessité absolue pour la Belgique, parce qu’en l’absence de frontières bien défendues, il lui faut une armée toujours prête à entrer en ligne, pour en couvrir les points menacés.

Elle ne pourra pas, comme ses voisins, trouver le temps nécessaire pour donner de la consistance à son armée, mise sur pied de guerre, si elle n’en a, de longue main, préparé tous les éléments. Et la mobilité de ces troupes, jointe à la facilité des communications, pourra seule compenser leur faiblesse numérique.

Cette formation exige pour l’infanterie, forte de 4 divisions à 2 brigades chacune, 4 lieutenants-généraux et 8 généraux-majors ; pour la division de cavalerie légère et celle de grosse cavalerie, 2 lieutenants-généraux et 4 généraux-majors commandant les brigades.

Les armes de l’artillerie et du génie, dont l’influence tactique est d’autant plus importante que nous avons vu l’élément défensif prédominer dans notre organisation, doivent, pour conserver cette influence, être chacune sous les ordres d’un chef, dont le grade ne peut être moindre que celui de lieutenant-général.

L’instruction compliquée des troupes d’artillerie et la surveillance des nombreux établissements justifieraient, seules, la nécessité de deux généraux-majors, en sous-ordre ; mais ils sont plus indispensables encore pour assurer le commandement de l’artillerie de l’armée et la direction, non moins importante, de l’armement de nos places fortes. Il est inutile d’expliquer la présence d’un général-major en sous-ordre dans une arme d’une influence aussi incontestée que le génie. Il en est de même du corps d’état-major, qui, pour progresser, réclame un chef de ce grade.

Enfin, quatre commandements de province seront confiés à des généraux-majors, pour disposer d’un officier général sur tous les points principaux du territoire. Il importe que les commandants de brigade ne cumulent pas ces emplois, parce que, pour être rompu au commandement supérieur des troupes, il faut s’en occuper sans cesse, puiser dans l’étude des guerres l’expérience qui manque à notre armée, et ne pas se laisser absorber par les fonctions d’un poste sédentaire. Le cadre des officiers généraux destinés à satisfaire au commandement des troupes et aux emplois spéciaux réservés à ces grades se composerait donc de :

10 lieutenants-généraux et

20 généraux-majors.

Dans ce cadre, encore, nous n’avons pu imiter nos voisins et y comprendre, comme eux, des généraux sans emploi fixe, qui soient toujours prêts à remplir les emplois vacants. Ainsi en Hollande, une armée moindre d’un quart, compte 30 généraux, la France en a au-delà de 246 ; et dans les Etats de la confédération germanique, le chiffre en paraît presque exagéré.

Tous ces Etats savent que la meilleure armée, sans un bon capitaine, est un corps sans âme ; elle peut obtenir un succès momentané. Mais des fautes inévitables viennent bientôt le changer en revers continu. Notre amour-propre national permettrait-il, après 12 années d’existence politique, d’aller encore à l’extérieur emprunter un chef pour nos soldats ; ne s’indignerait-il pas d’être encore tributaire de l’étranger, dans la belle mission de notre défense nationale ! Et cependant, messieurs, quand on se rappelle les qualités exigées pour faire un général d’armée, on trouve le nombre de 30 généraux bien restreint pour en produire même un seul.

La nouvelle division d’état-major des places a non seulement produit une économie, mais encore permis de mettre un terme aux prétentions exagérés et même aux conflits qui résultaient des commandements de 3ème classe, exercé par des adjudants de place, dont le grade, presque toujours intérieur à celui du commandant des troupes de la garnison, n’inspirait pas toujours la déférence due à l’emploi.

Le corps d’état-major a subi une réduction dans les officiers supérieurs compensée par une augmentation d’officiers subalternes, pour trouver ainsi l’avantage de donner aux généraux, commandant les divisions ou les brigades d’infanterie ou de cavalerie, un aide-de-camp pris dans le corps d’état-major. Ces officiers, apportant dans leurs divers travaux de reconnaissances militaires, levés, etc., des principes puisés à la même source, mettront dans l’accomplissement des missions qui leur seront confiées l’uniformité nécessaire pour rendre faciles les appréciations et comparaisons d’ensemble.

L’intendance, le service de santé et de l’administration des hôpitaux, ont été établis pour satisfaire aux besoins d’un service normal, dans les limites des crédits qu’il est possible de leur affecter. Les réductions qu’ils ont subies sont la conséquence de celles imposées à l’armée.

En inscrivant au budget la composition normale qu’il convenait de donner à l’armée, je n’ai été mu que par de hauts intérêts de bien public sans entendre par là préjuger la question constitutionnelle qui a été soulevée. Cette question, du reste, n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. De très bons esprits pensent que, par les lois spéciales telles que celles du contingent, du recrutement, de la position des officiers, de l’école militaire, de l’avancement, de la perte du grade et des pensions, il a été satisfait au vœu de la constitution en ce qui concerne l’organisation de l’armée, autant qu’elle l’a entendu elle-même ; vouloir fixer les détails organiques par la loi, serait peut-être aussi porter atteinte à la prérogative royale du commandement. Ce serait, dans tous les cas, donner à l’armée un état stationnaire, qui deviendrait bientôt rétrograde par les progrès des armées voisines.

Par cela même qu’elle devrait comprendre toutes les éventualités, une telle loi serait d’une extrême difficulté à être formulée et d’un danger très impolitique dans des débats publics, puisque l’exposition complète de notre système de guerre et de nos ressources devrait en précéder la discussion.

Toutefois, je n’émets ici ces considérations que pour faire entrevoir à la chambre des difficultés qui auraient pu lui échapper. Rien ne me paraît, quant à présent, nécessiter une prompte solution de la question dont il s’agit, et si, en attendant, mieux éclairé moi-même, je venais à reconnaître qu’il reste quelque partie de l’organisation à régler par une loi, je m’empresserais de prendre l’initiative d’une proposition.

Après vous avoir expliqué la composition organique de nos forces dans tous ses détails, il me restera peu de mots à ajouter pour justifier le chiffre des allocations portées au budget qui vous est soumis.

Vous aurez déjà remarqué, messieurs, par la comparaison des crédits accordes pour 1840, 1841 et 1842 et de ceux demandés pour 1843, que j’ai été au-devant de toutes les économies actuellement possibles. Quoique le budget de cette année consacre pour l’armée un état normal et une augmentation d’effectif que réclamaient les besoins de l’instruction, les exigences du service et la sûreté de l’avenir, tous les articles concernant la solde, tant des états-majors que des troupes, ont subi de très notables réductions ; et si les sommes déduites pour vacances et congés dépassent celles de l’année dernière de 330,070 fr., c’est qu’il fallait compenser l’excédant de 446,655 fr. pour les officiers d’infanterie et de cavalerie maintenus au-delà du nouveau cadre, par respect pour les droits acquis.

Cette compensation s’obtiendra sans entraves pour le service, par des congés à courts termes, accordés hors des saisons de manœuvres et qui forment un puissant stimulant pour les bons serviteurs, au lieu de les décourager par un service écrasant, résultant de la réduction des effectifs au-delà des limites raisonnables.

Les articles augmentés sont, au contraire, dus à des circonstances indépendantes de l’action du gouvernement, telles que la cherté des céréales, qui impose une augmentation de 457,007 fr., le casernement, qui demande en plus 36,248 fr., et le prix des chevaux qui élève cet article de 25,935 fr.

D’un autre côté, le prix de l’adjudication des fourrages, faite après l’établissement du budget, en dépasse les prévisions de 529 mille fr, et demanderait donc une augmentation de ce chef ; mais pour ne pas excéder le chiffre des crédits demandés pour 1843, je pense couvrir ce déficit en reculant l’époque de la remonte et en hâtant celle de la réforme, pour augmenter ainsi le boni résultant des chevaux manquants.

Je n’hésite donc pas à avancer que le budget ne porte pas un seul chiffre qui ne soit non seulement justifié, mais encore d’une nécessité démontrée.

C’est assez vous dire, messieurs, que je ne me rallie en aucun point aux propositions de la section centrale : adopter ses conclusions serait donner un déni de justice à ceux qui sont généreusement accourus à notre appel, pour fonder cette indépendance que vous venez de consolider ; ce serait sacrifier l’avenir que vous lui avez garanti, alors même que vous votez des millions d’indemnités pour cicatriser les dernières plaies de la révolution ; ce serait sanctionner bien imprudemment un délaissement dont s’effraie avec raison une prévoyance aussi légitime que fondée.

Mais non, messieurs, vous ne refuserez pas votre vote au budget qui vous est soumis, lorsque l’organisation qui en forme la base vous apparaît avec tous les caractères de la régularité pour en justifier l’adoption.

C’est au nom des intérêts les plus chers du pays que je vous demande, non un vote de confiance, mais un vote impartial et réfléchi.

M. Lys. - De toutes parts, messieurs, on se plaint de la hauteur des charges publiques ; de toutes parts on réclame des économies dans l’organisation des divers services ; il est d’autant plus nécessaire de satisfaire aux exigences légitimes de la nation, qu’il importe à la bonne administration de nos finances d’établir l’équilibre entre nos recettes et les dépenses. Il est d’autant plus urgent d’entrer dans cette voie, que la chambre ne doit pas perdre de vue, que la décision qu’elle va porter est une décision définitive, enchaînant l’avenir et destinée à grever le budget d’une somme considérable.

M. le ministre de la guerre réclame l’allocation d’une somme de 29,455,000 fr., qui, par le renchérissement du prix des fourrages, devra être majorée de 529,000 fr. Ainsi le budget est réellement de 29,984,000 fr., et remarquez-le bien, messieurs, il demande cette somme comme formant le budget normal de l’organisation militaire du pays.

En effet, messieurs, depuis la publication du rapport de la section centrale, M. le ministre de la guerre a jugé à propos de publier divers rapports adressés par lui à Sa Majesté, et il les a accompagnés de tableaux destinés à justifier le contenu de ces rapports. Cette publication a lieu de surprendre les membres de la section centrale, car M. le ministre, après avoir communiqué ces documents, n’avait pas cru pouvoir en autoriser formellement la publication ; probablement que depuis lors M. le ministre aura reconnu que cette publication n’avait pas les inconvénients qu’il redoutait ; probablement que la nécessité de justifier son budget l’aura amené lui-même à publier les documents qu’il vient de faire distribuer aux membres de la chambre.

Quoi qu’il en soit, messieurs, cette publication est d’autant plus importante, qu’elle dessine clairement la pensée ministérielle et qu’elle met la législature dans le cas de se prononcer, avec connaissance de cause, sur les allocations demandées.

Voici, messieurs, un passage qu’il importe de vous signaler :

«Votre Majesté, en accordant sa sanction à ces divers arrêtés tant pour l’état-major que pour les différentes armes, consacrera pour l’armée un état normal, établi d’après les exigences les plus impérieuses du service et de notre position politique dans les limites des ressources financières qu’on peut y consacrer. D’autres économies ne pourraient se réaliser sans amener une désorganisation qui porterait atteinte aux prérogatives du Roi, et serait compromettante pour l’avenir du pays. »

Ainsi, messieurs, le budget de la guerre, tel qu’il est formulé par M. le ministre chargé de ce département, présente l’organisation militaire calculée à son état normal sur le pied de paix. La somme de trente millions en constitue, selon M. le ministre, le chiffre minimum indispensable pour sauver la prérogative royale et pour maintenir l’organisation de l’armée telle qu’elle est impérieusement exigée par les besoins du pays.

La chambre est maintenant avertie ; elle doit se prononcer entre deux systèmes opposés ; elle doit déclarer si à tout jamais elle entend grever le budget de l’Etat d’une somme de trente millions. La chambre doit déclarer si elle entend livrer l’organisation de l’armée au régime des arrêtés.

D’abord, messieurs, il a toujours été loin de la pensée de la section centrale de vouloir empiéter sur les prérogatives de la Couronne ; chacun de nous est pénétré du principe, que du seul respect des droits consacrés par la constitution peut naître la bonne harmonie entre les grands pouvoirs de l’Etat, La section centrale n’a donc pas voulu faire de l’administration, elle a voulu démontrer ce qui était incontestablement dans son droit, et je dirai plus, dans son devoir vis-à-vis de la chambre et du pays, elle a voulu démontrer qu’il y avait exagération dans les demandes de M. le ministre de la guerre ; elle a voulu de plus sauver les droits de la législature.

Sans aucun doute, le droit de conférer les grades appartient au chef de l’Etat, mais la constitution ne lui a pas donné et ne pouvait pas lui donner le droit de créer à volonté des grades, car c’eût été lui donner le pouvoir de grever les finances de l’Etat, et ce que nous disons est si vrai, que la force de l’armée fait l’objet de la loi annuelle du contingent ; or, voter le contingent de l’armée, c’est là évidemment une loi faisant partie de l’organisation, car sans contingent voté par la législature, il n’y aurait pas d’armée possible, par la seule volonté du pouvoir exécutif.

L’art. 139, § 10 de la constitution, a d’ailleurs érigé en principe constitutionnel le système de la section centrale ; cette disposition porte :

Le congrès national déclare qu’il est nécessaire de pourvoir par des lois séparées, et dans le plus court délai possible aux objets suivants :

§ 10. L’organisation de l’armée, les droits d’avancement et de retraite et le code pénal militaire.

Ainsi à côté du principe proclamé par les art. 66 et 68, la constitution a également déclaré qu’il entrait dans les attributions du pouvoir législatif de décréter l’organisation de l’armée, c’est-à-dire de fixer le nombre des régiments de chaque armée, de déterminer le nombre des grandes à conférer. La constitution a voulu établir l’organisation de l’armée sur des bases plus solides que le régime des arrêtés ; la constitution a proclamé le principe de la nécessité d’une loi organique destinée à constituer l’armée. Les exigences de la section centrale n’ont donc rien d’exorbitant, elles n’ont surtout rien d’inconstitutionnel, c’est au contraire le chef du département de la guerre, qui, oubliant les prescriptions de notre pacte fondamental, veut étendre le cercle de l’action du pouvoir exécutif au détriment de la législature.

Nous sommes pénétrés de respect pour les prérogatives de la Couronne, nous ne voudrions pas, pour notre part, porter atteinte à des droits qui dérivent de la loi qui nous fait siéger dans cette enceinte ; mais si nous voulons demeurer les religieux observateurs de la constitution, nous ne pouvons pas permettre, que sous aucun prétexte, et en invoquant des principes qui ne sont pas ceux de notre ordre constitutionnel, le gouvernement parvienne à acquérir le droit de réglementer une matière qui, intimement liée avec les intérêts les plus chers du pays, ne peut légitimement être régie que par la loi.

Voyez, d’ailleurs, messieurs, quels sont les graves dangers de l’état actuel des choses : le ministre de la guerre a, par un simple arrêté, assimilé les officiers du corps des sapeurs-mineurs, aux officiers du génie. Or, à part que cette assimilation consacre une injustice criante, cet acte est entaché du vice d’inconstitutionnalité. En effet, que porte l’art. 124 de la constitution ?

« Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi. »

Ainsi, messieurs, la position de l’officier dans l’armée, son rang dans le grade dont il est revêtu, constitue pour l’officier des droits qui ne peuvent lui être enlevés qu’en suivant les formes déterminées par la loi.

Or, que fait l’article du 4 juin 1842, il statue : que l’avancement de tous les officiers du corps du génie sera commun ; ainsi le ministre, par un acte de sa volonté, confond la position des officiers de deux corps qui avaient toujours été distincts. Il détruit toute l’économie de la loi du 16 juin 1836, et bouleverse le système d’ancienneté admis par cette loi.

Rien de plus facile que de prouver que cet arrêté du 4 juin 1842 enlève des positions acquises, et qu’il déroge à la loi. L’article 50 de l’arrêté du 16 mai 183 porte :

« L’avancement est distinct et séparé pour les officiers de l’état-major du génie et pour les officiers des troupes de cette arme. »

Aux termes de cette disposition, les officiers des sapeurs-mineurs ne pouvaient concourir avec les officiers du génie ; les positions acquises aux officiers du génie, sous l’empire de cet arrêté, basé sur une loi, ne peuvent donc pas être modifiés par un arrêté subséquent, à moins que l’article 124 de la constitution ne soit une lettre morte. Mais ne vous imaginez pas que l’arrêté du 16 mai 1838 soit le seul acte qui ait réglé la position des officiers du génie ; l’arrêté du 1er juillet 1835 exigeait que pour être promu au grade de sous-lieutenant du génie, on eût complété ses cours à l’école militaire et satisfait aux examens.

La loi du 16 juin 1836, art, 9, confirme cet état de choses, elle n’admet la promotion des sous-officiers au grade d’officiers qu’après examen, et cet examen est déterminé par les art. 14 à 17 de la loi du 18 mars 1838 sur l’école militaire. Ainsi, messieurs, la combinaison des lois du 18 septembre 1838 donne la preuve que les sous-officiers ne peuvent être revêtus du grade d’officiers qu’en subissant le même examen que les élèves de l’école militaire ; en d’autres termes, messieurs, que les conditions d’admissibilité à l’emploi ou grade sont les mêmes pour tous ceux qui aspirent à entrer dans l’arme du génie ; c’est dans ce sens et en exécution de ces lois qu’a été porté l’arrêté du 16 mai 1838 ; ainsi, messieurs, le législateur n’a voulu permettre d’appeler au grade d’officiers du génie que ceux qui justifieraient préalablement des connaissances reconnues nécessaires pour cette partie du service militaire ; c’est là une condition dont il n’est pas permis de se départir. Quel est maintenant la conséquence et le résultat de l’arrêté du 4 juin 1842 ? C’est que l’on a créé officiers du génie des individus qui n’avaient pas préalablement justifié, dans les formes déterminées, posséder les connaissances requises ; c’est que l’on a érigé en principe que la volonté ministérielle est plus forte que la loi ; qu’il lui suffit de se manifester, pour suppléer au défaut de connaissances exigées dans l’intérêt du service, ou tout au moins pour dispenser de faire la preuve que l’on possède ces connaissances.

Pouvez-vous, messieurs, tolérer de semblables abus ? pouvez-vous souffrir que l’on se joue de dispositions décrétées par le concours des trois branches du pouvoir législatif ? A quoi bon déterminer les conditions requises pour devenir officier du génie, s’il est permis au gouvernement de dispenser de la loi ? Que deviennent, en présence des actes du ministre, les garanties d’aptitude que vous avez stipulées dans les dispositions que l’on a soumises à votre sanction ?

Ce n’est pas tout encore : le système d’ancienneté, organisé par la loi du 16 juin 1836, est complètement anéanti ; le rang des officiers du génie n’est plus ce qu’il était avant l’inconcevable arrêté du 4 juin 1842 ; les officiers du génie peuvent être aujourd’hui primés par des officiers appartenant au corps des sapeurs-mineurs ; n’est-ce pas se jouer de la loi de 1836, que de décréter, par un simple arrêté, un système dont les résultats sont d’anéantir des positions dont l’existence est due à la loi, et dont le pacte social a garanti si solennellement la conservation. Prenez-y garde, messieurs, si l’arrêté du 4 juin 1842 reste debout, s’il est exécuté, vous ouvrez la porte aux abus les plus étranges et les plus criants ; il suffira de changer les dénominations, de les appliquer à des choses différentes pour introduire une véritable bigarrure dans l’exécution de la loi de 1836 et pour la dénaturer.

Ce n’est pas tout, messieurs, je n’ai encore envisagé l’arrêté de 1842 qu’au point de vue de la légalité ; que sera-ce lorsque vous remarquerez que cet arrêté a attribue aux officiers des sapeurs-mineurs une augmentation de traitement, dont nul n’avait soupçonné la nécessité pendant toute la période qui s’est écoulée depuis notre révolution, jusqu’après la conclusion du traité de paix avec la Hollande ? Ainsi, lorsque la guerre était imminente, le gouvernement ne croyait pas à la nécessité de majorer le traitement de ces officiers ; la paix arrive, des charges très lourdes, conséquences de cette paix, sont imposées à la Belgique, et comme corollaire, on augmente le traitement des officiers de l’un des corps de l’armée !...

En vérité, messieurs, je ne sais quelles raisons puissantes on pourra invoquer pour justifier l’arrêté de juin 1842 au point de vue financier, à une époque où, au lieu de voter des augmentations de traitements et des surcroîts de dépenses, il y a nécessité impérieuse d’opérer des réductions, et de mettre dans nos dépenses autant d’économie que possible, sans nuire toutefois au bien du service. Or, il est évident, et nul n’osera contester ce point, que si, en temps de guerre, les officiers de sapeurs-mineurs n’ont eu qu’un traitement inférieur à celui qui leur est attribué par l’arrête de juin 1842, il n’y avait, à plus forte raison, ni nécessité ni besoin de majorer leurs traitements, et cela en temps de paix.

Ce n’est pas la première fois, messieurs, qu’on a voulu assimiler le traitement des officiers des sapeurs-mineurs à celui des officiers du génie. En 1836, un essai a encore été fait par le ministre, et voici ce que disait à cet égard l’honorable M. Desmaisières, rapporteur du budget de la guerre de 1837 ; il disait :

« Pour 1836, on avait porté tous les traitements des capitaines, lieutenants et sous-lieutenants des sapeurs-mineurs au taux des traitements respectifs des officiers du génie. La chambre n’a voulu accorder ce fort traitement qu’à ceux qui remplissaient réellement les fonctions d’officiers du génie, et a opéré de ce chef une réduction de plus de 4,000 fr. Ses intentions à cet égard ont été parfaitement observées par le ministre, aux développements du budget de 1837. »

Ces considérations vous auront démontré, messieurs, qu’il importe au pays, qu’il importe à l’armée elle-même, que son organisation soit régie, non pas par de simples arrêtés, qui n’ont ni fixité, ni stabilité, mais par une loi déterminant et le nombre des corps et leur classification. C’est le seul et unique moyen de satisfaire à la fois au vœu des articles 124 et 139 de la constitution. N’est-il pas maintenant bien positivement établi que les prétentions de la section centrale n’ont rien eu d’exagéré ; que ces prétentions, loin d’être inconstitutionnelles, sont, au contraire, marqués au coin de la légalité, et qu’elles ont pour but unique et principal de conserver le respect dû à tous les droits dont le germe a été déposé dans la loi fondamentale ?

Après avoir ainsi justifié le système adopté par la section centrale dont j’ai eu l’honneur d’être l’un des membres, il ne me reste, messieurs, qu’à justifier les réductions que nous avons cru devoir faire subir au budget de la guerre, tel qu’il avait été proposé par M. le ministre de ce département.

Que l’on ne s’y trompe pas, messieurs, la section centrale ne veut pas faire de l’administration ; ce serait dénaturer ses intentions et sa volonté, que de lui supposer la velléité de substituer son action à celle du chef du département de guerre.

Aussi, que proposons-nous à la chambre ? Nous lui demandons de décréter que le budget pour l’année 1843 soit fixé à une somme globale de 27 millions. Nous ne voulons imposer à M. le ministre de la guerre aucun système, nous ne voulons pas le contraindre à adopter plutôt telle réduction que telle autre, nous avons seulement voulu justifier nos propositions. Nous avons voulu démontrer à la chambre que les réductions que nous proposions étaient non seulement possibles, mais que nous avions encore fait à l’administration une part tellement large, que, rigoureusement, on pourrait le considérer, comme dépassant les besoins réels du pays.

Quand il s’agit, messieurs, d’établir une base fixe, pour l’organisation militaire du pays, il faut d’abord commencer par se faire une idée juste de l’état militaire des puissances voisines. C’est avec ces puissances que l’on se trouve le plus immédiatement en contact ; il faut par conséquent régler notre état militaire d’après les principes adoptés par nos voisins et pour ne sacrifier aucun intérêt, il faut encore consulter la position politique du pays, dans ses rapports avec les nations étrangères.

Nous avons cru devoir faire l’application de ces principes dans l’examen du budget présenté par le département de la guerre, parce qu’il s’agit maintenant d’adopter une base fixe.

La Belgique est une puissance neutre, aux termes des traités qui constituent son droit public externe.

La Belgique n’est donc pas appelée à jouer un rôle actif dans les querelles européennes.

Elle doit se borner à la défense de sa neutralité. La Belgique n’a par conséquent nul besoin d’une armée d’agression ; elle ne peut et elle ne doit vouloir qu’une organisation militaire destinée à protéger efficacement la position qui lui a été faite par les traités.

Si on suivait strictement ce principe, si on tenait exclusivement et uniquement la position que les traités ont faite au pays, il est évident qu’il y aurait exagération à établir notre état militaire sur un base proportionnée à la force donnée par nos voisins à leurs armées, car nos voisins exerçant une influence active sur les destinées de l’Europe, ont dû nécessairement peser cette circonstance, pour établir les cadres de leurs forces militaires. Ainsi, messieurs, en prenant pour point de comparaison l’une des grandes puissances et en calculant l’armée belge sur les proportions adoptées par cette puissance, il n’est personne qui puisse sérieusement constater que nous faisons trop peu, au contraire on pourrait encore raisonnablement prétendre que nous faisons trop.

La France a été prise pour point de comparaison qui a servi de base aux calculs de la section centrale. Personne ne contestera sans doute la puissante organisation de l’armée française. Le chef du département de la guerre en France est un de ces lieutenants de l’empereur dont les capacités militaires ont été mises à l’épreuve et sur les champs de bataille et dans les travaux de cabinet.

Ainsi calculer notre armée sur les proportions données à l’armée française, c’est à coup sûr donner apaisement à toutes les susceptibilités. Ainsi, messieurs, l’armée belge, basée sur la population, ne devrait constituer que le neuvième, tout au plus, de l’armée française, employée dans l’intérieur du royaume de France ; cependant le rapporteur de la section centrale a été plus large encore ; comme le contingent qui forme l’objet du vote annuel est environ le huitième du contingent voté en France, et comme la durée du service militaire est, à peu de choses près, le même dans les deux pays, on a admis pour base, que l’armée belge pourrait être portée au huitième de l’armée française. Cette base admise, l’armée belge ne devrait compter, d’après le rapport de la section centrale, que 920 officiers d’infanterie, 283 officiers de cavalerie et 141 d’artillerie, l’armée française ne comptant en moyenne que 7,362 officiers d’infanterie, 2,266 de cavalerie et 1,131 d’artillerie.

L’organisation de M. le ministre de la guerre est tellement exagérée, qu’elle ne présente qu’une différence en moins de 83 officiers, avec l’armée des Pays-Bas, telle qu’elle était constituée avant la révolution.

Ce seul exposé, ne fait-il pas toucher au doigt le vice du système de M. le ministre de la guerre ; nous ne croyons pas que la chambre puisse jamais consacrer une organisation militaire aussi disproportionnée aux besoins du pays.

Remarquez, messieurs, que la section centrale n’a pas, dans ses calculs, tenu strictement au 8ème l’armée française ; elle a été plus large dans sa manière de faire ; si M. le ministre jugeait à propos de suivre les indications de cette section, il peut mettre sur pied 1,054 officiers d’infanterie et 20,172 hommes de troupes, il aurait 289 officiers de cavalerie et 4,379 soldats de cette arme ; enfin l’artillerie, au lieu d’être établie au 8ème de ce qu’elle est en France, présenterait au contraire, à peu de chose près, le 5ème de l’effectif français. Voilà, messieurs, quelles sont les bases présentées par le rapporteur de la section centrale. N’est-il pas vrai que ces bases concilient et l’intérêt de la défense du pays, et l’intérêt de nos finances ?

Des suppressions indiquées par le rapporteur de la section centrale permettront d’appliquer à l’année courante une réduction de dépenses à concurrence de trois millions.

Ces suppressions consistent d’abord, dans celle du train d’artillerie destiné uniquement à l’attelage des parcs des équipages de piège et de pont, et à celui des grands approvisionnements. Il a paru complètement inutile. N’est-il pas évident que le peu de temps qu’exige l’apprentissage de la conduite des voitures, que l’instruction donnée à cette troupe, permettrait de former en très peu de temps des hommes propres à ce service si le besoin s’en faisait sentir ?

Une seconde suppression concerne la remonte de la cavalerie et de l’artillerie ; elle résulte de la proposition de supprimer 1,019 chevaux.

Le rapport de l’inspecteur général du génie constate qu’une somme de 632 mille francs serait nécessaire pour reconstructions et réparations au camp, quoique cependant la construction n’en remonte pas à une époque bien éloignée. Nous n’avons pas cru devoir allouer un crédit quelconque, par la raison que c’eût été consacrer en principe la nécessité de la dépense de 63 mille francs, somme nécessaire pour faire face aux réparations dont le camp éprouve le besoin. Il serait impossible, d’un autre côté, d’indiquer des motifs assez puissants pour maintenir le camp et assujettir le pays à des dépenses aussi considérables. Il a donc paru que l’intérêt général exigeait la suppression d’une allocation qui devait avoir pour conséquence la demande de nouveaux crédits dont l’utilité est plus que contestable.

Les frais d’entretien de cinq places fortes, dont un traité impose à la Belgique la démolition, frais qui se renouvellent chaque année, ont aussi été reconnus tout à fait inutiles.

Peut-on, messieurs, continuer à vous demander sérieusement des fonds pour semblable entretien. Ne vaudrait-il pas mieux de rendre dès à présent aux propriétés riveraines de ces forteresses une augmentation de valeur qu’elles obtiendront incontestablement par l’affranchissement des servitudes militaires, qui pèsent sur ces terrains.

Les faits vous signalés dans le rapport de la section centrale, à l’occasion des crédits demandés pour le matériel de l’artillerie et du génie, démontrent clairement l’exagération qui a présidé à la rédaction de cette partie du budget. Les cinquante mille francs demandés pour fabrication d’amorces fulminantes, qui, d’après les données du budget de l’année dernière, auraient coûté fr. 17-85 le mille, tandis qu’aux budgets français de 1841 et 1842, le prix en serait coté à fr. 4-50 et 4-88 ; le crédit demandé pour fabriquer des projectiles pour des pièces de 48, pièces qui ne sont plus en usage, m’engagent à demander ce que la chambre doit penser des bases qui ont servi édifier le budget de la guerre.

Les réductions proposées amèneront la suppression d’un grand nombre d’officiers ; il y aurait eu de l’injustice d’appliquer à une foule de braves les dispositions de nos lois, qui n’accordent aux officiers mis en non activité que la moitié du traitement d’infanterie affecté au grade dont ils ont revêtus. Pour concilier les besoins des économies avec les exigences de l’équité, la section centrale a proposé d’accorder le traitement de disponibilité de leur arme, aux officiers qui perdraient leur emploi par suite de cette loi,

Ce système concilie tous les intérêts, il rétablit même l’avancement pour les sous-officiers, et je ne pense point qu’aucune plainte fondée puisse être légitimement élevée.

La chambre doit maintenant se prononcer entre deux systèmes, contradictoires ; il faut opter entre les dispositions de la section centrale et les propositions du ministère.

Ne croyez pas, au reste, messieurs, que la proposition de M. le ministre soit le résultat des travaux d’une commission. Pour apprécier la nature et la portée des travaux de cette commission, il faudrait savoir si le ministre n’avait pas imposé la nécessité de conserver les cadres existants ; il faudrait savoir si la commission a pu créer un système complet, en faisant table rase de tout ce qui existe.

Quoi qu’il en soit, messieurs, vous pèserez les considérations qui nous sont présentées, et je ne doute pas de l’adoption du système de votre section centrale, parce que ce système satisfait à tous les besoins réels du pays, parce que vous ne voudrez pas le grever à tout jamais d’une somme annelle de trente millions, pour le budget de la guerre, sur le pied de paix.

M. Verhaegen. - Je regrette bien sincèrement de ne plus voir sur nos bancs un honorable collègue, le seul qui appartînt à l’armée, et dont les connaissances spéciales nous sont venues si souvent en aide.

Lui, mieux que tout autre, aurait pu défendre une position qu’on pourrait croire compromise d’après les conclusions de la section centrale, lui, mieux qu’aucun de nous, aurait pu soutenir des droits que je considère comme sacrés.

Quant à moi je ne me hasarderai pas à prendre l’initiative sur des questions de détails, mais je crois de mon devoir de dire quelques mots sur la question que j’appellerai vitale, celle relative à la réduction des cadres basée sur la nécessité de faire des économies.

La section centrale, dans ses calculs, n’a tenu aucun compte du traitement des officiers qui lui ont paru excéder les besoins du service ; elle en a dit quelques mots seulement à la fin de son rapport.

Voici comment elle s’est exprimée à cet égard :

« Jusqu’ici nous n’avons tenu aucun compte du traitement des officiers qui nous ont paru accéder les besoins du service.

« Les droits de ces officiers sont consacrés par la constitution et par la loi sur la position des officiers.

« Cette dernière loi nous a paru rigoureuse pour des braves qui ont bien mérité du pays et que le besoin seul d’économie force à priver de leur emploi. Sans aucune distinction d’armes, la loi dont il s’agit n’accorde aux officiers inférieurs, en non-activité, que la moitié du traitement d’infanterie affecté au grade dont ils sont revêtus.

« Par dérogation à cette disposition, la section centrale propose d’accorder le traitement de disponibilité aux officiers inferieurs qui perdraient leurs emplois dans le cas où les réductions proposées seraient accueillies par la chambre ; tous les officiers qui seraient supprimés à la suite de ces réductions jouiraient des deux tiers du traitement d’activité de leur arme, une somme de 1,155,174 fr. est nécessaire pour cet objet, etc. »

Ainsi pour une économie de 577,587 fr. formant le tiers du traitement des officiers qu’on prive de leur emploi, on désorganise l’armée et on fait une foule de mécontents.

Les réductions sur l’armée proposées par la section centrale peuvent être envisagées sous deux points de vue généraux :

1° Sous le rapport politique ;

2° Sous celui des intérêts de l’armée.

Sous l’un et l’autre de ces points de vue, je n’hésite pas à le dire, les réductions sont dangereuses et injustes.

Tous, j’en ai l’intime conviction, nous voulons consolider ce que la révolution a produit, nous voulons assurer notre nationalité.

Les traités, il est vrai, nous garantissent la neutralité, mais il faut que cette neutralité ne soit pas un vain mot, il faut qu’elle soit réelle, c’est-à-dire, qu’elle soit appuyée par une armée nationale, respectable par sa force numérique, aussi bien que par son esprit, organisée de manière à assurer au pays la défense de ses frontières et la tranquillité à l’intérieur.

Sans entrer dans le vaste champ des théories, on peut dire, d’après l’expérience de 12 années, que les armées permanentes, disciplinées et imposantes sont un besoin pour les gouvernements constitutionnels. En général on ne respecte en politique que ceux qui savent se faire respecter. Pour arrêter des voisins avides, et en même temps pour prévenir les efforts des agitateurs, il faut aux gouvernements modernes des armées sinon nombreuses, au moins proportionnées et à la population et aux facilités d’envahissement du pays.

Peu à peu les petits Etats ont été englobés dans les grands Etats, parce qu’ils n’ont pas su se défendre, et si aujourd’hui la neutralité de la Suisse, qui a su profiter des leçons du passé, est confirmée par les faits, ce n’est pas à la sympathie qu’inspire la forme de son gouvernement qu’il faut l’attribuer, mais seulement à son organisation militaire, qui, au moment du danger, lui assure des défenseurs dans une population aguerrie et exercée. De simples cantons se sont trouvés en discussions ouvertes avec des puissances de premier ordre, telles que la France et l’Autriche, et on n’a cependant pas vu violer la neutralité, uniquement parce qu’il avait des soldats tout prêts à la défendre, et dernièrement n’est-ce pas à la bonne organisation militaire qu’on a dû le maintien de la tranquillité intérieure à Genève ?

On parle souvent des exemples donnés par les Etats-Unis et par la Hollande ; mais sont-ils bien applicables à ce qui concerne la Belgique ?

Où sont, autour des Etats-Unis, les voisins en état de violer la ligne des frontières ? à quoi servirait une armée permanente largement organisée, là où il n’y a pas d’ennemis à attendre ?

La Hollande ? mais est-ce bien là que la Belgique doit ou peut chercher des exemples ? A-t-on oublié que les événements de 1830 n’auraient peut-être pas eu lieu, s’il avait existé alors une armée bien organisée, animée d’un esprit homogène ; et qui peut dire en renouvelant la faute qui, en 1830, amena l’expulsion de la famille des Nassau de la Belgique, on ne se prépare pas de nouveaux embarras pour une position identique ?

Tous les hommes sincèrement constitutionnels, et nous sommes de ce nombre, doivent vouloir aujourd’hui l’ordre et la stabilité dans les gouvernements ; cet ordre et cette stabilité doivent être assurés par des institutions à l’abri de toute atteinte, et au premier rang de ces institutions nous plaçons, sans hésiter une armée bien exercée, organisée avec soin, et assez nombreuse pour, à la fois, faire face à l’ennemi extérieur et contenir les factions à l’intérieur.

Il est temps enfin qu’à l’irritation politique, suite inévitable de grandes commotions gouvernementales, succèdent l’ordre, le travail et la sécurité. Pour le repos des honnêtes gens, il faut que les agitateurs de profession sachent bien qu’une prompte répression arrêterait leurs imprudents efforts ; pour la tranquillité du pays, pour qu’il recueille tous les fruits de son industrie et de sa position, il est indispensable qu’on soit convaincu à l’étranger que nous entendons rester Belges, et que nous sommes prêts à tous les sacrifices pour soutenir notre nationalité.

Pour obtenir ce double résultat, il faut à la Belgique une armée, sinon nombreuse au moins respectable et par sa force permanente et par une organisation telle, que cette force puisse facilement et utilement être augmentée en cas de besoin.

Certes, il est bien, et surtout il est très facile de parler sans cesse d’économie ; mais en matière de gouvernement, et surtout lorsqu’il s’agit d’une armée, la véritable économie ne consiste pas en retranchements de quelques centaines de mille fr., de deux à trois millions même si l’on veut ; l’économie bien entendue est d’obtenir de l’armée tout ce qu’on en attend, de procurer au pays une attitude honorable aux yeux des étrangers, et en même temps d’assurer la tranquillité intérieure.

Quand ces points principaux seront obtenus, au lieu de sabrer les allocations du budget de la guerre qu’on s’occupe à simplifier l’administration, qu’on la débarrasse des rouages inutiles, que la chambre donne l’exemple de la considération pour l’état militaire, qu’elle honore comme ils doivent l’être ceux dont la mission est de mourir, au besoin, pour la liberté et l’honneur de la patrie, et cela compensera largement quelques sommes en plus ou en moins qu’il n’est pas de la dignité nationale de marchander avec ceux qui donnent leur sang en échange d’une solde qu’on semble vouloir leur disputer chaque année.

Il ne s’agit pas ici de ministère, mais de l’armée, et cette manière de voir doit dominer toute la question.

Les défenseurs de l’armée doivent surtout se trouver dans les rangs de ceux qui, en mars 1839, acceptèrent le traité des 24 articles, sous l’empire d’une inexorable nécessité due peut-être en grande partie aux fautes du cabinet d’alors.

Nous, qui, bien certains que notre jeune et brave armée recevrait avec enthousiasme l’ordre d’entamer les hostilités, avons reculé devant la certitude de l’exposer aux suites d’une lutte trop inégale ; nous qui, en frémissant d’indignation, avons, par un devoir rigoureux, arrêté un élan qui nous promettait au moins quelque gloire, nous acceptons aujourd’hui avec empressement, avec orgueil, la mission de défendre cette armée qu’on voudrait disloquer. Nous tenons à ce que l’esprit qui l’anime se maintienne et se propage. Le jour où nous aurons besoin d’elle peut n’être pas éloigné ; il faut qu’alors elle puisse se montrer ce qu’elle a toujours été, dévouée et obéissante.

Dans la discussion des autres budgets, on a vu passer toutes les allocations demandées pour les fonctionnaires civils, et toutes les rigueurs semblent réservées pour les membres de l’armée. On respecte les droits de ceux qui servent la patrie avec leur plume, et ceux qui mettent leur sang à sa disposition n’ont aucune garantie, on s’en sert pendant le danger, puis on les congédie comme des rouages inutiles !

Il n’est cependant pas aussi facile de former de bons officiers qu’un commis plus ou moins habile.

S’il faut s’en rapporter aux apparences, n’est-on pas fondé à dire qu’il semblerait que l’intention de quelques personnes serait d’anéantir peu à peu la carrière des armes, ou tout au moins d’en éloigner les sujets capables, les hommes les plus dévoués ?

Tout ce qui tient à l’armée est coordonné avec les règlements sur les manœuvres, sur le service de garnison et sur le service intérieur, et ainsi, à moins de procéder au préalable à une réorganisation complète, à moins de coordonner d’abord tous les besoins des différents services, une suppression partielle de cadres désorganiserait l’ensemble du service militaire. La section centrale, a dit un honorable préopinant, ne vent pas faire de l’administration, elle laisse M. le ministre libre de faire son organisation comme il l’entendra ; et cependant la section centrale réduit le budget de deux millions et demi, et, pour parvenir à cette réduction, elle entre dans des détails, elle pose des chiffres. Ces chiffres amènent une véritable organisation ou plutôt une désorganisation, et la section centrale ne fait pas de l’administration !

N’oublions pas, messieurs, que l’on peut bien supprimer des emplois, mais qu’on ne supprime point des hommes : cette foule d’officiers qu’on veut réduire à la non-activité, à la disponibilité, restent néanmoins une grande charge pour le trésor et ne sont d’aucune utilité ; beaucoup d’entre eux n’ont d’autre moyen d’existence que leur traitement, et ce traitement, s’il est réduit, sera insuffisant, surtout à des pères de famille comme il y en a grand nombre dans l’armée.

Et puis l’officier privé de son emploi le regrettera constamment, ses facultés s’affaisseront sous le poids de réflexions poignantes ; il oubliera son métier sans pouvoir s’instruire ; sans avenir, il deviendra un ennemi acharné du gouvernement, cause de sa disgrâce et de son malheur, et c’est ainsi qu’on entretiendra, au lieu de les amortir, les divisions intestines.

Et cependant, dans les circonstances difficiles, c’est à l’armée que sont confiés l’honneur et l’existence nationale, c’est une carrière d’abnégation personnelle et de dévouement tout à la fois.

On trouve des fonds pour une foule d’autres dépenses moins urgentes, pour des séminaires, pour les hauts dignitaires du clergé, et ces allocations restent sacrées ; y toucher semblerait un sacrilège. Mais pour l’armée, c’est bien différent. On dit aux officiers : « Puisque vous n’avez pas eu l’honneur de vous faire tuer et que nous jouissons de la paix, nous n’avons plus besoin de vous, donc nous vous congédions ; la législature veut des économies, le hasard ou tout autre cause a voulu qu’on s’occupât de vous en dernier lieu ; vous payerez pour tout le monde, allez en 2/3 de solde, en permission, voilà strictement de quoi ne pas mourir de faim. Quand l’ennemi viendra, nous vous appellerons, mais jusque-là vivez comme vous pourrez ; avec les économies obtenues sur votre solde, nous aurons des cardinaux mieux rétribués que les ministres. »

Des témoignages de juges compétents ont constaté que l’armée belge était une des plus brillantes, des mieux organisées de l’Europe ; tous, nous savons avec quelle joie nos soldats eussent reçu le signal des hostilités. Tout cela doit disparaître devant la nécessité de réductions dans les dépenses, et pour quelques économies qu’on trouvera bien moyen d’utiliser à de tous autres usages, ou veut, paraît-il, détruire entièrement l’armée ; car ces prétendues économies auront l’effet le plus fatal. Elles dégoûteront des hommes qui étaient en droit d’attendre du pays autre chose que des réductions, et cela moins encore par le fait des réductions elles-mêmes, que par l’espèce de dédain avec lequel on oublie les services réels et un dévouement qui méritait de toutes autres récompenses.

Et puisqu’on a parlé d’économies, ce n’est pas en particulier qu’il faut les envisager, mais dans leur ensemble ; où sont donc celles introduites dans les autres branches de l’administration, en proportion avec celles introduites pour l’armée ? Il semble qu’elle seule doive faire les frais de cette ardeur des réductions ; plus que qui que ce soit, l’armée a bien mérité du pays, et par une logique assez bizarre, c’est sur elle aussi qu’on veut faire peser les plus fortes charges !

En vérité tout cela ne dévoile-t-il pas un système ? ne dénote-t-il pas une tendance de nature à inquiéter tous ceux qui ont quelque confiance dans l’avenir de la Belgique ?

Le projet de la section centrale me paraît dangereux, et je ne veux assumer sur moi la responsabilité d’un pareil acte.

Si des économies étaient possibles, sans disloquer l’armée, sans toucher à des droits acquis, j’y donnerais volontiers les mains, j’attendrai la discussion des articles pour énoncer une opinion sur les détails.

(Moniteur belge n°90, du 31 mars 1843) M. de Garcia. - Messieurs, la Belgique, après avoir tendu pendant dix ans tous les ressorts de l’état de guerre, a conquis enfin son indépendance, s’est placée comme nation dans la famille européenne et est appelée aujourd’hui à jouir de tous les avantages et des douceurs de la paix.

Au passage de l’état de guerre à l’état de paix, tous les peuples, tous les gouvernements ont rencontré des difficultés et des obstacles assez graves. C’est la position où se trouve actuellement la Belgique.

A ces époques des intérêts, des prévisions se trouvent naturellement et forcément froissés. Il est peu d’hommes alors qui peuvent consentir, sans se plaindre, à sacrifier leurs intérêts à la chose publique, à se soumettre à la force des choses.

Il est pourtant une grande vérité dont on ne peut se départir, c’est que si les temps de guerre forment la saison de la récolte des grades et des avancements, le temps de paix ne peut rien présenter de semblable et doit avoir des conséquences tout opposées. C’est surtout au sortir de cette positon, dans laquelle se trouve la Belgique, que doivent se faire sentir les inconvénients de cet ordre de choses.

Nous allons jeter un coup d’œil général sur la situation de la Belgique au point de vue de la force armée, au point de vue de sa défense, sans égard à des considérations personnelles et en ne conservant devant les yeux que le véritable intérêt, que l’intérêt bien entendu du pays.

Messieurs, la force et l’organisation de l’armée doivent être appropriée au système de défense que la Belgique peut être appelée à devoir déployer dans toutes les circonstances.

Cette force doit être mise en harmonie avec la dépense que comporte l’état général des ressources du pays.

Vouloir rompre cet équilibre, c’est compromettre le salut de la patrie ou les sources de la richesse publique.

Cette grave question réclame toute l’attention de la législature, du gouvernement et du pays.

A sa solution est attaché l’avenir de la patrie, soit au point de vue de sa défense directe, soit au point de vue des intérêts du trésor et de la richesse publique, qui seraient mis en danger, si les dépenses dépassaient les ressources que la nation peut rationnellement consacrer au maintien de sa force armée.

Pour apprécier cette question, elle doit être envisagée sans idée de routine, sans préjugés, en présence des traités et de la situation politique et stratégique du royaume, en présence des sacrifices tant en hommes qu’en argent qu’on peut utilement employer à cet objet, enfin, en présence des droits sacrés de braves toujours prêts à verser leur sang pour la patrie.

Dans l’examen de cette importante question, il faut surtout se mettre en garde contre toutes idées d’exagération, soit quelles aient pour objet de porter notre armée à un chiffre trop élevé, soit qu’elles aient pour objet de la réduire à un chiffre trop bas et insignifiant qui pourrait compromettre le repos intérieur et le salut public.

Si l’on voulait gagner la popularité de quelques hommes, l’on exigerait sans doute que cette armée soit grande et nombreuse ou qu’au moins le nombre des officiers y soit en disproportion avec le nombre de soldats qu’ils sont appelés à commander.

Si l’on voulait, au contraire, gagner la popularité du peuple, du peuple qui soudoie l’armée, qui est appelé à en remplir les cadres, on demanderait qu’elle fût minime et réduite au plus petit nombre possible.

Ni l’une ni l’autre de ces popularités ne pourront me séduire, ni avoir la moindre influence sur l’opinion que j’aurai à émettre sur la matière. Ce sont deux écueils que nous devons soigneusement chercher à éviter pour ne pas compromettre l’ordre intérieur et l’indépendance nationale.

La grande question de l’armée en Belgique, pour être résolue avec sagesse, doit être envisagée au double point de vue de l’état de paix et de l’état de guerre.

Examinons d’abord la question au point de vue de l’état de guerre.

Un fait remarquable, unique peut-être dans l’histoire, c’est que toutes les grandes puissances européennes ont, par un traité solennel, à la suite de notre régénération politique en 1830, reconnu et consacré notre neutralité, notre indépendance.

Les considérations politiques qui ont amené ce résultat, conséquence des principes déjà consacrés par le congrès de Vienne, se révèlent, à l’évidence, à quiconque veut les rechercher, à quiconque veut jeter les yeux sur l’histoire du passé.

On n’a pas voulu que notre belle patrie, si riche, si avantagée par la nature, si heureusement placée dans le monde, fût attribuée à l’une ou à l’autre des grandes nations qui l’environnent et rompre ainsi l’équilibre entre les forces des puissances européennes.

Tout récemment, à l’occasion d’une polémique entre les journaux allemands et les journaux hollandais, la Gazette de Berlin nous a révélé toute la portée de ce grand œuvre diplomatique. Voici comment s’exprimait cette feuille que l’on considère généralement comme l’organe du gouvernement : « La neutralité de la Suisse au midi, celle de la Belgique au nord, ont été établies par des traités auxquels ont pris part toutes les puissances. Comme les colonnes du temple de la Paix, auxquelles il n’est permis à personne de toucher impunément, ceux qui menacent cette neutralité menacent sans aucun doute la paix européenne. »

Peut-on dire plus clairement que toutes les puissances de l’Europe viendraient défendre l’indépendance nationale si aucune d’elles avait l’imprudence de la menacer d’envahissement ?

Les grandes puissances de l’Europe, en déclarant la Belgique Etat neutre, ont eu non seulement en vue de conserver une sorte d’équilibration entre elles, mais on peut encore prétendre qu’elles ont voulu atteindre un but militaire si des conflits et des guerres nouvelles pouvaient s’élever entre la France et l’Allemagne.

La neutralité de la Suisse et celle de la Belgique ont pour résultat de diminuer les grandes lignes de défense qui séparent les puissances du nord de celles du midi. Supprimez, en cas de guerre, ces deux neutralités, et l’Allemagne et la France sont obligées de disperser leurs forces depuis Gènes, sur la Méditerranée, jusqu’à Mayence et de là jusqu’à Dunkerque. Admettez, au contraire, cette double neutralité, la ligne de contact entre ces grandes puissances se réduit, en Italie, à la ligne des Apennins, en Allemagne, à la ligne de Huningue à Mayence.

Dans l’état de choses actuel de l’Europe, et à moins que l’une ou l’autre des puissances qui ont concouru à la consécration de la neutralité de la Belgique ne veuille faire la conquête de ce dernier pays, ce doit être inévitablement sur les lignes que nous venons d’indiquer, que se concentreront les grandes masses des parties belligérantes et que se videront les querelles futures de ces nations.

Pour les armées du Nord, la ligne la plus directe pour arriver au cœur de la France et atteindre sa capitale, part de la ligne du Rhin, située entre Bâle et Mayence. Pour les armées de France, cette même ligne offre également la base la plus avantageuse pour déboucher en Allemagne.

L’on a souvent dit et répété que la Belgique est un grand champ de bataille où doivent se vider les grandes querelles européennes. Cette assertion, qui a pu être exacte aussi longtemps que la Belgique ne s’est point appartenue à elle-même, que sa neutralité n’a point été consacrée, qu’elle n’a été soumise à quelqu’une des puissances du continent, n’est plus aujourd’hui qu’une assertion vide de sens, mensonge réfuté par la force des choses. Dans le passé, l’on combattait en Belgique pour la conquérir ou la garder. Toutes les puissances éclairées par l’expérience ont dû reconnaître qu’elle ne pouvait devenir le domaine d’aucune d’elles.

Il faut donc le reconnaître, l’état de guerre pour la Belgique, ne peut se présenter que dans des cas très rares, lorsqu’il surgira eu Europe un ordre irrégulier de choses, un esprit d’envahissement, tel que celui qu’a présenté l’ambition de Louis XIV, la révolution de 89 et l’empire de Napoléon, événements qui bouleversent toutes les notions du droit des gens et auxquels il ne peut être demandé compte ni des traités ni de la foi jurée, événements contre lesquels la Belgique, réduite à ses seules forces, ne pourra jamais lutter directement.

C’est dans la seule prévision de ces événements extraordinaires, que la défense de la Belgique doit être organisée.

Livrée à elle-même, la Belgique, dans son état d’infériorité, vis-à-vis de ses puissants voisins, ne peut espérer, dans ces cataclysmes politiques, de résister victorieusement à leurs attaques ; et tout son système de défense doit indubitablement reposer sur les moyens de mettre son gouvernement à couvert pour attendre les secours de ses alliés nécessaires.

Il existe en Belgique deux opinions différentes sur la manière de défendre le pays.

L’une consiste à remettre à l’armée de ligne la défense des citadelles et des places fortes. Ce système présente de graves inconvénients ; le premier sera d’absorber toute ou la plus grande partie de l’armée, le deuxième, qui n’est que la conséquence du premier, sera de ne pouvoir prévenir l’irruption d’une armée envahissante, qui, dans l’espace de quelques jours, pourrait occuper le cœur du pays et la capitale elle-même.

Un résultat semblable, qui nous paraît inévitable, aurait les conséquences les plus déplorables. La confiance serait ôtée aux troupes comme aux populations ; le gouvernement et la royauté perdraient leur prestige et l’on verrait bientôt les places fortes se tendre, les unes après les autres, ainsi qu’il est arrivé dans des crises semblables.

Nous ne pouvons regarder ce premier système comme le meilleur, ni le plus utile pour la défense de la patrie ; nous le considérons même comme dangereux, comme inadmissible.

La seconde opinion consisterait à confier la garde des places fortes à une garde civique fortement organisée, aidée d’une petite partie de l’armée de ligne prise dans les armes spéciales ; à réserver le gros de l’armée de ligne pour attendre l’ennemi dans une position favorable, lui livrer une bataille décisive, s’il y a lieu et, dans tous les cas, pour couvrir le gouvernement dans une grande place forte qui aurait des communications immédiates avec la mer.

La manière et les principes nouveaux d’après lesquels se fait la guerre depuis 50 ans nous apprennent qu’une ligne de places frontières ne peut plus arrêter les grandes armées manœuvrières.

A l’appui de cette opinion, il nous suffit de citer l’exemple des dernières guerres dont l’Europe a été le témoin.

En 1794, les Français assiégeaient Charleroy, et malgré cet obstacle, passant la Sambre en amont et en aval de la place, ils livrent la fameuse bataille de Fleurus qui les rend maîtres de la Belgique.

En 1806 et 1807, aucune des grandes places dont la Prusse est hérissée, n’arrête la marche des armées françaises qui, en pris de tenaille, se rendent maîtresses de l’état le plus militaire de l’Europe.

En 1814 et 1815, les places des lignes de la Vistule, de l’Oder, de l’Elbe et du Rhin, ni de la France n’ont pu arrêter la marche des alliés sur Paris. Après la bataille de Waterloo, la fameuse ligne du nord a été franchie au pas de course par les armées anglaise et prussienne.

En France, on a été tellement pénétré, dans ces derniers temps, de l’idée que les lignes de forteresses n’arrêtent plus les armées ennemies, qu’on a dû s’occuper longuement et fructueusement, selon moi, des moyens de remédier à cet état de choses : de là le projet de fortifier Paris, de l’entourer d’une enceinte extérieure de forts capables d’abriter le gouvernement et une armée tout entière qui serait refoulée de la frontière.

Cette conception est, à mes yeux, l’œuvre de la plus profonde politique et le résultat de l’expérience la plus éclairée.

M. Van Cutsem. - Cela n’a rien de commun avec le budget.

M. de Garcia. - J’entends à côté de moi dire que les considérations que je présente n’ont rien de commun avec le budget. Messieurs, ces considérations se rattachent directement à la défense du pays, et, par suite, à l’organisation de l’armée. Elles ont pour objet de vous montrer quelle doit être la véritable force de la Belgique. A cette force se rattache invinciblement l’appréciation de l’organisation et du chiffre de l’armée. Dès lors, je pense que les idées générales que j’ai l’honneur de vous soumettre se rattachent directement et parfaitement au sujet qui nous occupe, au budget de la guerre.

On ne doit pas induire de ce qui précède que nous contestions d’une manière absolue l’utilité des places fortes ; nous apprécions tous leurs avantages lorsqu’elles sont placées sur des points stratégiques d’une grande importance, mais nous voulons que cette défense n’absorbe qu’une faible partie de l’armée qui, dans les cataclysmes politiques que nous avons signalés, doit être essentiellement destinée à livrer une bataille décisive à l’ennemi, et, dans le cas de revers ou de retraite forcée, à couvrir le gouvernement dans une place inexpugnable.

Dans ce système, la première chose à examiner est de savoir quelle place on choisira pour refuge à l’armée et au gouvernement.

La Belgique ne possède que deux places fortes, Anvers et Ostende, qui soient en communication immédiate avec la mer.

Quant à Anvers, l’histoire nous apprend qu’au 16ème siècle, cette ville, dernier refuge du gouvernement national révolté contre l’Espagne, succomba devant le siège qui en fut fait par le duc de Parme.

Le dernier siège de la citadelle d’Anvers en 1832 a de nouveau fourni la preuve que rien n’est plus facile que de rompre les communications de la place avec la mer. Dans ces derniers temps, comme au 16ème siècle, ce fut en vain que la flotte hollandaise chercha à remonter l’Escaut et à ravitailler la garnison de la citadelle.

Cette place succomba sans pouvoir obtenir les secours qui lui étaient nécessaires.

Si nous consultons maintenant l’histoire de la ville d’Ostende au XVIème siècle, nous verrons que sa position offre de grands avantages sur celle d’Anvers.

Tandis que la Belgique était forcée d’accepter le nouveau joug de l’Espagne, Ostende, conservant ses libres communications avec la Hollande, la France et l’Angleterre par la mer, fut la dernière ville qui conserva sur ses tours le drapeau de l’indépendance. Il ne fallut pas moins de trois années de siège et du génie de Spinola, le plus grand général de son époque, pour que l’armée espagnole puisse s’en rendre maîtresse.

Cette seule citation suffit pour prouver qu’au cas de guerre ; au cas d’un esprit anormal dans les États européens, au cas de revers enfin, Ostende doit servir de refuge à l’armée et au gouvernement. D’autres considérations et des faits tirés de l’histoire de nos jours et de l’expérience, démontrent, à l’évidence, les avantages qui doivent résulter du système que nous venons d’indiquer.

Si nous consultons le résultat des guerres d’Espagne et de Portugal, de 1807 à 1814, nous avons une nouvelle preuve de l’importance et de la haute portée de la question que nous venons de soulever

L’Angleterre, qui prit, comme on le sait, la haute direction des opérations militaires dans ces deux pays, prévit que leurs forces nationales ne seraient pas en état de lutter contre les armées françaises, et que toute la Péninsule pouvait tomber au pouvoir de Napoléon. Mais, que lui importait la soumission du reste du pays, pourvu qu’elle y conservât deux grands points d’appui inexpugnables, libres dans leur communication avec la mer et où pût toujours flotter le drapeau des deux nations ! Ces deux places furent Cadix pour l’Espagne, Lisbonne pour le Portugal.

Ce système fut couronne du succès le plus complet, et comme l’avaient supposé les grands hommes politiques de l’Angleterre, la conquête de l’Espagne et du Portugal ne put être consommée aussi longtemps que le drapeau national flotta sur les tours de Cadix et de Lisbonne ; la grande voix des cortès y rappela toujours la nationalité et proclama aux Espagnols comme aux Portugais et au monde entier, qu’il existait encore un gouvernement qui protestait contre l’invasion étrangère.

En présence de ces faits et de ces résultats qui nous sont révélés par l’histoire, en présence de l’expérience qui parle toujours plus haut que toutes les théories, en présence de la position particulière et spéciale de la Belgique, où, de la capitale, du centre du pays à la frontière, il n’y a qu’un rayon de vingt lieues, où nous croyons incontestable qu’une armée envahissante pourra toujours arriver en très peu de jours au cœur du pays, toute la question de la défense de la patrie se réduit à trouver les moyens de mettre, dans tous les cas, le gouvernement national à couvert et dans un lieu de sûreté, à assigner le rôle qu’aurai remplir l’armée, à donner à cette dernière le chiffre et la force nécessaire pour atteindre ce grand but national.

M. Fleussu interrompt l’orateur.

M. de Garcia. - Je vois sans cesse devant moi M. Fleussu m’interrompre en parlant et en couvrant ma voix ; libre à lui de ne pas m’écouter, mais je le prie de vouloir cesser ces interruptions…

Messieurs, jusqu’ici la force active de l’armée, au cas de guerre, a été portée au chiffre de 80,000 hommes de troupes de ligne. Cc nombre est trop fort ou trop faible si on le considère au véritable point de vue des choses. Veut-on que la Belgique résiste seule à l’invasion de l’un de ses puissants voisins, 300,000 hommes suffiraient à peine pour garder la campagne et les places que possède le pays. Ce n’est pas tout, il faudrait des centaines de millions pour l’approvisionnement convenable de nos nombreuses citadelles et villes fortifiées. Je serais curieux de connaître le montant des dépenses nécessaires à cette fin et je désirerais que le ministre de la guerre voulût nous éclairer sur ce point. Je suis convaincu que nous tous reconnaîtrions l’impossibilité d’atteindre ce but et de conserver d’une manière utile les places fortes.

Poser directement et nettement ces questions, c’est démontrer à l’évidence que la chose ne peut se réaliser.

Veut-on que la Belgique prenne le système de défense que lui assignent sa position naturelle et ses ressources financières, alors nous croyons que le chiffre de 80,000 hommes est trop élevé et qu’une armée de 70,000 hommes serait parfaitement en harmonie avec les ressources de la nation et avec le système de défense à opposer sérieusement à une invasion ennemie.

Du reste, on conçoit aisément que ce n’est pas la force numérique des armées qui décide de leur succès, mais bien les éléments dont elle se compose. Dès lors, le but auquel nous devons viser essentiellement est d’avoir une armée composée de bons et de vieux soldats, une armée bien disciplinée et faite au métier des armes.

Dans notre manière de voir, il faut à la Belgique une organisation armée telle qu’en cas de guerre elle puisse réunir 70,000 hommes de troupe de ligne, 50,000 hommes pour tenir la campagne et pouvoir livrer bataille à l’ennemi devant la capitale, si les circonstances sont favorables ; sinon, il faut que cette armée puisse couvrir le gouvernement, protéger sa retraite dans une grande place forte, inexpugnable et reprendre ensuite l’offensive contre l’ennemi de la patrie avec le secours de nos puissants alliés.

Une position semblable aura toujours un effet moral immense sur les populations comme sur l’armée elle-même. Avec 50,000 hommes, l’on peut toujours livrer bataille dans des circonstances favorables, et si des revers doivent suivre cet acte de courage d’une nation, il faut au moins qu’elle ait posé un de ces grands actes qui excitent l’admiration et qui font pardonner les grandes infortunes des peuples.

Tous les grands capitaines doivent leurs plus beaux faits d’armes à des armées de 50 à 60,000 hommes.

Turenne n’a jamais commandé à des armées qui dépassaient ce nombre.

Napoléon a cueilli ses plus beaux lauriers dans les campagnes d’Italie et de France à la tête de petites armées.

L’Angleterre a toujours procédé avec de petites armées, préférant la qualité au nombre, et le système qu’elle a suivi a été justifié par des résultats dans ses campagnes de la Péninsule de 1807 à 1814 et dans celle de Belgique en 1815.

L’état de neutralité de la Belgique est une raison de plus pour qu’elle adopte un système semblable. La Belgique, dans son état de neutralité, ne peut guère aspirer et ne peut aspirer aucunement, disons-nous, aux idées de conquêtes, d’expéditions lointaines ni de victoires que peuvent se promettre les grandes nations de l’Europe ; mais ces avantages, plus chimériques que réels, peuvent se compenser par des résultats, par des bienfaits incontestables qui doivent naître de la paix et de la position même assignée à la Belgique par les traités.

Nous terminerons en jetant un coup d’œil rapide sur la défense naturelle que trouve la Belgique dans ses alliances et dans le secours des puissances nécessairement intéressées à faire respecter son indépendance et sa neutralité.

Ces alliances constituent la véritable force défensive du royaume et, comme nous l’avons dit plus haut, l’organisation de l’armée belge doit aboutir directement et exclusivement à mettre le pays en mesure de pouvoir attendre leur secours.

Les nations les plus intéressées à la neutralité et à l’indépendance belges, sont incontestablement, en cas d’attaque de la part de la France, la Hollande, l’Angleterre et la Prusse et, en cas d’attaque de ces dernières ou de l’une d’elles, la France, comme elle l’a prouvé en 1831, n’hésitera pas à secourir la Belgique.

Depuis que la Belgique s’est constituée en nation indépendante, elle doit être considérée par la Hollande comme un boulevard avancé destiné à la mettre à l’abri de la France. L’histoire vient encore à l’appui de ce que nous disons. Pendant la guerre de la succession, la Hollande participa à toutes les coalitions qui se formèrent contre la France.

Ce fut sous l’influence de ces idées que se fit le traité des barrières, qui remettait à la Hollande la garde de plusieurs de nos places frontières. Ce fut enfin sous l’influence de ces idées que le congrès de Vienne enfanta la création du royaume des Pays-Bas. Cette politique naturelle sera inévitablement celle que suivra la Hollande, à l’avenir, sans idée de retour à un ordre de choses que cet Etat, comme l’Etat belge, considèrent et doivent considérer dorénavant comme impossible.

L’Angleterre ne s’intéresse pas moins à notre indépendance, spécialement à cause du port d’Anvers, capable de renfermer une grande flotte, qui pourrait à l’improviste, et dans l’espace de 36 heures, surprendre la grande métropole de l’Angleterre. Jamais elle n’oubliera que l’illustre de Ruyter, partant des côtes de la Hollande et profitant de l’absence de la flotte anglaise, vint incendier les chantiers et détruire les vaisseaux dans la Tamise. Aussi le cabinet anglais n’a-t-il jamais conclu la paix avec la France avant l’évacuation de la Belgique, et c’est en vain qu’on m’objecterait le traité d’Amiens, qui n’a jamais été considéré que comme une trêve par les deux parties.

Remarquons jusqu’où l’Angleterre pousse sa prévoyance à l’égard d’Anvers. En 1815, elle provoque la création du royaume des Pays-Bas, mais craignant que la Hollande ne relève l’ancien éclat de sa marine, elle fait décréter par l’Europe que jamais Anvers ne pourra devenir un port militaire.

La Prusse est aussi intéressée que la Hollande et l’Angleterre à secourir efficacement la Belgique, si elle était menacée par la France.

Il faut donc le reconnaître, la véritable force de la Belgique est dans sa neutralité, est dans l’intérêt que toutes les puissances qui ont constitué son indépendance nationale ont à conserver cette nationalité.

Dans cette situation, l’Etat belge ne peut avoir qu’un but, un seul but utile, c’est de profiter de sa position avantageuse, c’est de ne point s’épuiser en efforts superflus, en dépenses inutiles pour une défense garantie par la force des choses ; c’est de se mettre en mesure de pouvoir attendre le secours des nations qui ont un intérêt direct et incontestable au maintien de notre nationalité, si elle pouvait être attaquée un jour. Nous le répétons, ce but ne peut être atteint qu’autant qu’une armée bien organisée puisse couvrir le gouvernement national et que gouvernement et armée trouvent un refuge dans une grande place forte directement en communication avec la mer.

Aidée des puissants auxiliaires que la Belgique tire des circonstances encore plus que des traités les plus solennels, elle doit être considérée comme l’une des puissances les mieux consolidées du monde.

L’histoire du passé, l’expérience des fastes politiques de l’Europe présentent la preuve irréfragable de ce que nous avançons. Dorénavant toutes les nations européennes doivent renoncer à l’idée de faire et de conserver la conquête de notre belle patrie.

Dans des temps anciens, la Belgique, vassale des rois de France, n’a jamais été qu’imparfaitement soumise à son suzerain, au pouvoir dont elle relevait. Postérieurement l’Espagne, l’Autriche, la France, la Hollande, ont vainement possédé la Belgique, en vertu de traités ou de conquêtes la Belgique successivement a échappé à la domination de toutes ces puissances.

Une seule circonstance, je le dis à regret, peut perdre notre belle patrie, peut en amener le partage, comme nous l’avons vu dans les temps modernes de la Pologne, ce serait nos divisions intérieures et intestines.

Dans cette hypothèse, que, j’espère et je souhaite, nul de nous ne verra, toute espèce d’armée et de défense contre l’invasion étrangère sera inutile, sera sans résultat.

En résumé, messieurs, d’après les considérations que nous avons eu l’honneur de vous soumettre, nous pensons que l’Etat belge réduit à ses seules forces, ne peut résister victorieusement aux attaques d’envahissement qui pourraient être tentées par quelques-uns de ses puissants voisins.

Nous pensons que l’Etat belge doit tirer un appui immense et sa principale force, du secours de ses allies naturels et forcés, en prenant une position défensive telle qu’elle puisse les attendre en créant une armée et en ayant une grande place forte où gouvernement et armée puissent se retirer dans toutes les circonstances et sur les tours de laquelle puisse toujours flotter le drapeau de la patrie.

Nous pensons que ce but serait complètement atteint si, pour le jour du danger, l’on avait une organisation de l’armée et le la garde civique telle qu’on puisse réunir une armée de ligne de 70,000 hommes ; 50,000 hommes pour couvrir le gouvernement et 20,000 hommes auxquels on confierait, avec une garde civique fortement organisée, la défense des places frontières de quelque importance stratégique.

Nous pensons que ce but ne peut être atteint qu’en réformant la loi du contingent de l’armée et du service de la milice nationale, lois qui sont vicieuses et qui ne contiennent pas les principes d’une bonne et forte organisation militaire.

Nous pensons que ce but serait atteint si le contingent de l’armée, qui est actuellement de 100,000 hommes, était réduit à 70,000, si le service actif de la milice nationale, qui est aujourd’hui de 4 ans, était maintenu, mais maintenu dans ce sens que les hommes qui en font partie soient réellement sous les drapeaux, mesure qui donnerait toujours à l’armée le chiffre de 27 à 28,000 hommes, chiffre généralement reconnu nécessaire et suffisant pour l’ordre intérieur en temps de paix. Nous pensons enfin que ce but serait atteint si le service de la milice nationale était porté à dix ans au lieu d’être porté à huit ans comme il l’est aujourd’hui, mais en exigeant toutefois qu’après les 4 ans de service effectif, les miliciens seraient renvoyés chez eux et ne pourraient être rappelés sous les drapeaux que par une loi.

Nous pensons qu’en adoptant cette mesure, la Belgique trouverait dans toutes les circonstances une armée de 70,000 hommes de bons et de vieux soldats capables d’opposer toute la résistance que comporte la situation et les ressources du pays.

Loin de moi, messieurs, la pensée ni la prétention de vouloir régenter mon pays en cette matière, ni de vouloir lui imposer ma manière de voir.

Je n’ai présenté les idées que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre qu’après avoir consulté des spécialités militaires et j’ai cru que dans l’acquit de mes devoirs, je ne pouvais m’abstenir d’énoncer mon opinion sur l’importante matière qui nous occupe.

Une seule pensée m’a guidé, la conviction intime qu’elle pouvait être mise avec succès en pratique et qu’elle pouvait être utile à mon pays.

M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, il est inutile de se jeter dans des considérations générales ; je me tiendrai purement et simplement dans les faits du budget.

La section centrale n’a pas voulu détruire l’armée, elle n’a pas voulu porter atteinte aux droits acquis par les officiers ; elle rappelle formellement la garantie qui leur est donnée par l’art. 124 de la constitution. Mais, messieurs, en présence de la situation financière du pays, devait-elle laisser subsister des charges qui ne sont pas suffisamment justifiées, des charges que le gouvernement a, pendant nombre d’années, déclarées devoir être considérablement réduites ? Elle ne l’a pas pensé, messieurs, et c’est par un examen consciencieux, par un examen fait sans préjugé de la situation des armées voisines, qu’elle a procédé au travail des réductions qu’elle vous propose.

M. le ministre de la guerre a comparé les sommes employées dans les pays voisins pour l’entretien de l’armée avec le montant des revenus publics. Il était difficile de suivre tous ces chiffres ; je ne sais à quelle source ils ont été puisés ; mais je vais donner lecture de chiffres plus positifs qui ont été extraits, non pas des budgets, mais des comptes sur des exercices réalisés en France. Ces chiffres sont pris, en grande partie, sous l’époque de la restauration, parce qu’il m’a été difficile de trouver les comptes postérieurs. Cependant j’ai deux années en effectif.

Un illustre maréchal, sous le ministère et par les efforts duquel l’armée française fut constituée sur une base nationale, M. le maréchal Gouvion-Saint-Cyr, en proposant la loi sur le recrutement de l’armée en 1818, fixa sa force sur le pied de paix à 240,000 hommes. Il fallut quelque temps pour que cette disposition fût réalisée.

Dès 1824 l’armée se composait de 18,158 officiers et de 217,866 hommes de troupe. Vous voudrez bien vous rappeler, messieurs, qu’à cette époque il y avait encore une forte partie de l’armée française qui occupait certaines provinces de l’Espagne. La dépense, d’après la loi des comptes, s’éleva à 217,963,745 francs.

En 1825, cet effectif se trouvait réduit à 17,433 officiers, et à 207,163 hommes de troupe. La dépense régularisée par la loi du 6 juin 1827, ne s’était élevée qu’à 203,811,805 fr.

En 1826 il y avait 17,413 officiers et 208,382 hommes de troupe. La dépense régularisée par la loi du 6 août 1828 s’était élevée à 208,858,706 fr.

En 1827 il y avait 17,371 officiers, 208,343 hommes de troupes, et la dépense régularisée par la loi du 26 juillet 1829, s’est élevée à 209,840,980 fr.

Ne croyez pas, messieurs, et c’est une idée fausse assez généralement répandue dans ce pays, que la dépense pour l’armée française soit comparativement moindre que la dépense pour notre armée. Car les armes où les traitements et la solde sont plus élevés qu’en France, sont, d’autre part, relativement beaucoup moindres qu’en Belgique.

Un extrait d’un tableau annexé au projet du budget de 1843 vous fera voir comment cela se décompose. Je n’ai malheureusement pas fait le relevé moyen de toutes les dépenses du soldat belge, pris dans les différentes armes.

Mais dans l’arme principale, dans l’infanterie, je puis assurer que la dépense du fantassin belge est de quelques francs moindre que celle du fantassin français. Le soldat de l’infanterie française, terme moyen individuel, coûte par an, 347 fr. ; pour la cavalerie, le chiffre est de 378 fr ; il s’élève à 430 fr. pour l’artillerie, et à 447 fr. pour le génie.

Ces termes étaient beaucoup plus élevés sous la restauration, et pour ceux des honorables membres qui voudraient examiner la question plus à fond, je leur indiquerai le rapport fait à la chambre des pairs par M. le comte Daru sur les dépenses de 1826. Ce rapport est au Moniteur du 25 juillet 1828 ; j’ai aussi fait, messieurs, la comparaison que j’ai faite pour les officiers, en prenant pour base, en ce qui concerne les officiers belges, le projet de budget de M. le ministre de la guerre.

Le terme moyen des officiers de tout grade est (successivement, en France, en Belgique) :

Pour l’infanterie : fr. 2,433 - fr. 2,491

Pour la cavalerie : fr. 2,671 - fr. 3,380

Pour l’artillerie : fr. 3,065 - fr. 3,270

Pour le génie : fr. 2,893 - fr. 3,579

Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, messieurs, les chiffres que je viens de citer, sont le produit de la division des hommes, demandes au budget par le nombre des parties prenantes.

Eh bien, messieurs, la moyenne de ces effectifs est, à très peu de chose près, celle qui avait servi de base au budget dont nous croyons devoir nous rapprocher aujourd’hui. Il y avait une légère diminution en officiers, une augmentation de 800 hommes de troupes, et le chiffre des chevaux était identiquement le même.

C’était là, messieurs, un état de paix, et un état de paix qui, quant à la dépense, n’était pas encore approuvée, n’était pas regardé comme définitif par la chambre des députés ni par la chambre des pairs. Les événements de la révolution de 1830, ont nécessairement obligé le gouvernement à de grands déploiements de forces, et rien que dans les trois premières années qui suivirent la révolution, 1830, 183l et 1832, les dépenses de l’armée s’élevèrent à un milliard ; mais dès 1833, et dans la discussion du budget, qui commença le 7 juin 1835, l’honorable M. Passy s’exprima ainsi, en commençant son rapport sur le budget de la guerre :

« Le projet de budget 1834 évalue les dépenses à une somme de 226,600,000 fr., dont voici la répartition :

« Service intérieur : fr. 207,305,000

« Occupation d’Alger : fr. 19,295,000

« Ainsi les sommes réclamés pour les besoins de la guerre en 1834 sont inférieures de 78,947.488 fr. au montant des crédits alloués pour 1833, et inférieures de plus de 100 mil. au total des dépenses accomplies, pendant chacune des années 1831 et 1832. C’est là, messieurs, une amélioration à laquelle votre commission ne peut qu’applaudir, mais tout en se gardant bien cependant de l’envisager comme définitive.

« Que peut être en effet l’effectif normal du pied de paix ? Pas autre chose que le minimum des forces que la France ne peut se dispenser de conserver en tout temps afin de subvenir, d’une part, aux besoins permanents du service intérieur, et de l’autre, au besoin de l’instruction d’une armée de ligne de 500,000 hommes, etc. »

Vous pensez bien, messieurs, qu’une réduction aussi considérable, n’a pas pu s’effectuer sans atteindre les cadres, sans les atteindre profondément ; aussi, au chapitre des dépenses extraordinaires, cet honorable rapporteur disait :

« Dans ce chapitre apparaît une dépense nouvelle de 1,695,850 francs pour solde de congé de 2,117 officiers que la suppression des 4èmes bataillons des régiments d’infanterie de ligne et la diminution de l’effectif des autres armes laisseront sans emploi. »

Vous voyez donc bien, messieurs, que la mesure proposée par la section centrale ne s’écarte pas des précédents posés dans un pays qui doit attacher du prix à son armée, non pas parce qu’elle est pour ce pays une condition d’existence, mais parce qu’elle est pour lui une condition de position, une condition de gloire et d’honneur.

« Mais, dit-on, nous atteignons les cadres et par là nous décourageons l’armée. » Il est fâcheux, messieurs, que les cadres aient été augmentés hors de proportion avec ce qu’ils devaient être ; il est fâcheux surtout qu’à la veille d’exécuter le traité qui nous était imposé par la conférence, on ait fait, au commencement de 1839, de très fortes promotions ; mais le pays doit-il supporter les conséquences de cet acte, que je ne veux pas qualifier ? Le pays doit-il en subir pendant longtemps encore toutes les conséquences ? Doit-il continuer à payer tous les traitements qui ont été accordés à cette époque ? C’est là, messieurs, une question financière qui est certainement aussi très importante et qu’il faut résoudre en tenant compte de celle du bien-être de l’armée, de l’instruction convenable, des moyens de la mettre à même de satisfaire à sa destination, si tant est que les événements exigent son action. Eh bien, messieurs, déjà dans le rapport, je vous ai cité un passage d’un écrivain distingué, d’un écrivain qui s’est servi de l’épée aussi bien que de la plume et qui est mort en Algérie. Il n’est pas le seul qui se soit exprimé de cette manière ; plusieurs fois, dans la chambre des députés et dans la chambre des pairs, en présence des glorieux restes des armées de l’empire, de semblables paroles ont été prononcées. Voici comment s’exprimait le général Lamarque :

« M. le ministre de la guerre vous a dit qu’il faudrait garder tous les cadres qu’il regarde comme essentiels ; mais on a démontré qu’il était impossible, qu’il serait même ridicule de conserver les cadres d’une armée de 510,000 hommes. En temps de paix, votre armée sera de 150 à 180,000 hommes ; les régiments seront de 1,000 à 1,200 hommes au plus, et n’auront que 2 bataillons. Que ferez-vous de ces cadres ? »

M. Lebeau. - Qui était ministre alors ?

M. Brabant, rapporteur. - J’ai oublié le marquer la date, mais ce doit être postérieur à la révolution de juillet, et, si je ne me trompe, c’était M. le maréchal Soult qui était ministre de la guerre. Dans tous les cas, je me ferai un devoir de vous indiquer 1’année où ces paroles ont été prononcées.

A la chambre des pairs, en 1832, lorsque M. le maréchal Soult était ministre de la guerre, le général d’Ambrugeac s’exprima ainsi :

« L’axiome qu’en temps de paix il faut conserver les cadres du temps de guerre, est faux, de toute fausseté, et ne tendrait qu’à la ruine du pays. Il faudra arriver cependant à une réduction des cadres. Pour y arriver, il n’entre pas dans les idées d’un esprit français de rejeter tous les officiers qui en font partie. Il faut les traiter avec faveur, mais cette faveur se réduit en argent. Ainsi, l’infanterie se compose de 88 régiments ; 67 de ces régiments ont 4 bataillons, 21 en ont 3. Je demande ce que l’on peut faire de 4 bataillons en temps de paix, où les régiments entiers sont à peine composés de 1,500 hommes. Ce serait une dérision d’offrir un bataillon de 400 hommes à commander à un corps d’officiers. On ne peut prendre l’habitude, l’usage du commandement qu’avec le nombre d’hommes de l’effectif de guerre. Il vous faut 2 millions pour la somme des congés accordés à ces officiers. (Nous n’avons pas, depuis quarante ans, cherché à tirer parti des changements notables qu’a opérés parmi nous la révolution.) Elle a voulu, avec raison, que tous les citoyens fussent admis à tous les emplois, que le service militaire fût dû et rendu par tous les Français.

« Regardez le nombre de nos officiers comparé à celui des autres puissances de l’Europe. Ne dirait-on pas que nous sommes dominés par la nécessité d’employer dans les rangs de l’armée une noblesse nombreuse à laquelle des préjugés ferment toute carrière ? et lorsque nous avons des soldats les plus intelligents, les plus vite façonnés au métier des armes, le nombre de nos officiers est au moins d’un tiers de plus que celui des puissances étrangères. Messieurs, dites la cause d’une telle aberration ; quant à moi je m’y perds. Je vois toujours avec le plus grand regret la création d’un emploi nouveau. Cet emploi nouveau est une charge pour la fortune publique ; il crée un droit et ce droit se résout toujours par une rente viagère qui, par conséquent, dure aussi longtemps que la vie d’un officier, et vous oblige d’avoir des cadres aussi nombreux en temps de paix qu’en temps de guerre. »

Eh bien, messieurs, c’est ce nombre exagéré encore, c’est ce nombre dont le général d’Ambrugeac ne pouvait se rendre compte qui a servi de base aux évaluations de la section centrale.

On a dit, messieurs, que lorsque nous croyions avoir besoin d’une armée, nous avons flatté les officiers, qu’alors nous leur avons prodigué les titres de braves, de généreux défenseurs du pays.

Pour moi, je ne serai pas ingrat envers ceux qui avaient voué leur existence à la défense de l’opinion que je soutenais.

Mais sommes-nous ingrats à leur égard ? Que propose la section centrale ?

Par une loi que nous avons votée, lorsque nous étions encore en présence de l’ennemi, on avait fixé le traitement des officiers dont l’emploi serait supprimé ; on avait assigné à la position de non-activité, quelle que fût l’arme, le traitement d’infanterie ; on avait fait une distinction entre l’officier inférieur, depuis le sous-lieutenant et le capitaine, et l’officier supérieur. L’officier supérieur qui aurait pu vivre avec sa demi-solde, pouvait être admis aux deux tiers de la solde, tandis que l’officier inférieur qui avait à peine le strict nécessaire avec sa demi-solde, n’obtenait que cette demi-solde.

Eh bien, par dérogation à cette disposition, la section centrale vous propose d’assimiler l’officier inférieur à l’officier supérieur, en cas de suppression d’emploi par suite des réductions proposées ; elle propose d’allouer les deux tiers, non du traitement d’infanterie, mais du traitement de l’arme à laquelle appartient l’officier dont l’emploi serait supprimé.

Messieurs, je vous ai dit qu’en 1833 on proposait, pour l’année 1834, le renvoi de 2,117 officiers français. Voulez-vous voir comme on agissait à l’égard de ces officiers ? On ne croyait pas les maltraiter. C’est un honorable et savant colonel, M. Paixhans, aujourd’hui général, qui était rapporteur, à la chambre des députés, de la loi sur l’état d’officier, lui qui accordait (et je ne prendrai ici que les officiers dont s’occupe le projet de budget) qui accordait au capitaine 1,108 fr. ; au lieutenant 722 fr. et au sous-lieutenant 677 francs. Chacun connaît les traitements des officiers de ces trois classes d’officiers d’infanterie, et, en prenant les deux tiers de ces traitements, on verra combien la section centrale est, je ne dirai pas plus généreuse, mais plus juste que la législation française.

Messieurs, en vous proposant, du reste, ce que nous faisons aujourd’hui, on ne peut pas nous taxer d’avoir été hypocrite dans le langage que nous avons tenu lorsqu’il y avait danger.

Toutefois, l’officier doit savoir qu’il existe des conditions de commandement pour être bon officier. La science du commandement ne s’acquiert que par un exercice convenable, et certainement ce n’est pas avec des squelettes de compagnies comme il s’en trouve dans le budget de M. le ministre de la guerre, que cette science de commandement s’acquerrait.

L’on avait été averti dès 1832, par le projet de budget sur lequel nous nous fondons pour demander des réductions. On était encore en présence du danger ; c’était à la veille du siège de la citadelle d’Anvers, de cet événement que notre armée considérait comme une atteinte à son courage et à sa réputation, que l’on proposait le renvoi en demi-solde de 845 officiers de toute arme, et on les renvoyait alors avec des demi-soldes de beaucoup inférieures à ce qu’elles sont aujourd’hui.

Si de ces considérations nous passons à la composition de l’armée, telle qu’elle est proposée par la section centrale, composition, on vous l’a déjà répété nombre de fois, qu’on ne prétend pas imposer, nous voyons d’abord que pour l’infanterie presque toutes les compagnies atteignent, à très peu de chose près, l’effectif que M. le maréchal Soult déclare être indispensable, pour leur donner la consistance nécessaire.

Voici ce que dit M. le maréchal Soult dans une note qui précède le projet de budget de 1843 :

« La réduction devait donc porter presque en totalité sur l’infanterie ; mais pour atteindre ce but sans aucune suppression de cadre, il aurait fallu abaisser l’effectif de chaque compagnie à environ 60 hommes, y compris les officiers, sous-officiers, caporaux, tambours et enfants de troupes, c’est-à-dire à 39 soldats, qui n’en auraient fourni en réalité que 30 au plus pour le service, en défalquant les malades, les hommes en congé, etc. ; tandis qu’il est reconnu que les compagnies ne peuvent avoir quelque consistance et faire un bon service qu’autant que leur force s’élève au moins à 80 hommes.

« Dans cette situation, et après de longues et sérieuses méditations, le ministre de la justice s’est arrête au parti qui lui a paru le mieux concilier tous les intérêts engagés dans la question, et qui consiste dans la suppression, en temps de paix, d’une compagnie par bataillon d’infanterie. »

La commission que M. le ministre de la guerre avait chargée de l’examen de l’organisation à donner à l’armée, en restant dans les limites du budget de 1842, s’exprimait en ces termes :

« Les cadres, maintenus jusqu’à ce jour dans leur intégrité, se trouvent hors de proportion avec le nombre de soldats qu’il a été possible de tenir sous les armes, eu égard aux allocations du budget, Les compagnies, loin d’offrir la consistance qu’il serait désirable de leur voir, dans l’intérêt de l’instruction et du service, n’ont pas même le personnel nécessaire pour assurer aux soldats les repos que leur accordent les règlements. »

Eh bien, messieurs, pour parer à cet inconvénient, on se borne à supprimer un sous-lieutenant et deux compagnies, et on en laisse subsister quatre qui n’ont absolument que le cadre : trois officiers et neuf hommes.

Voulez-vous savoir quelle était l’opinion d’un homme très compétent sur les cadres vides, d’un homme qui a été longtemps membre du comité d’infanterie en France ? Le général Laydet disait, lors de la discussion du budget de 1833, en parlant de l’armée de la restauration :

« Elle n’était pas ce qu’elle devait être, parce que les cadres étaient vides ; aussi les expéditions d’Espagne, en 1823, de Morée en 1829, et d’Algérie en 1830, firent connaître le grave inconvénient d’avoir des cadres pour ainsi dire sans soldats ; la perturbation fut jetée dans ces corps par leur versement à grands frais d’un régiment dans un autre. »

Ainsi donc, pour arriver à des compagnies ayant une consistance suffisante, pour éviter ces cadres vides dont on vous montre les inconvénients, il faudrait avoir recours à des augmentations très considérables d’effectif, ou se résoudre à supprimer des compagnies. Ce dernier parti est celui qui a été adopté par la section centrale, Nos réductions ont-elles été trop loin ? Une comparaison de notre situation avec ce qu’était l’infanterie sous le royaume des Pays-Bas, et avec ce qui existe aujourd’hui en Prusse même, nous prouvera, peut-être, que nous sommes restés dans de justes limites, et que nous n’avons pas outré le principe d’économie, comme on nous l’a reproché.

L’armée des Pays-Bas en 1830, et d’après un arrêté organique du 16 juillet 1829, se composait de 77 bataillons, chacun de quatre compagnies un peu plus fortes, il est vrai, que celles qui vous sont proposées. Il y avait en plus un officier, deux sergents et deux tambours-cornets ; il y avait 100 hommes ; tandis que nous n’en proposons que 60, et nous avons puisé cette proposition dans l’effectif attribué par M. le ministre de la guerre au régiment d’élite.

Dans l’armée des Pays-Bas, aux termes de la constitution et des lois sur la milice, le soldat ne servait que pendant un an, et il pouvait être rappelé annuellement pour un mois durant les quatre années qui suivaient son premier service ; de manière que la durée totale du service était limitée à seize mois.

Eh bien, messieurs, le projet, tel qu’il vous est présenté par la section centrale, permet d’incorporer chaque année la partie des miliciens pour laquelle M. le ministre de la guerre demande les premières mises, et il autorise le gouvernement à les retenir sous les armes pendant deux ans, ou vingt-quatre mois ; car il n’y a aucune réduction pour congés ; de sorte que, comparativement à ce qu’elle était avant la révolution, la durée du service se trouve aujourd’hui augmentée de 50 p. c.

Le cadre est-il trop faible ? Mais le cadre est tel que le propose M. le ministre de la guerre, il est tel qu’il existe en France.

Il serait certainement trop faible s’il s’agissait de verser dans les corps les 60,000 hommes qui, d’après les prévisions de M. le ministre, doivent constituer l’arme de l’infanterie au pied de guerre. Mais les 80,000 hommes de contingent seront-ils souvent réalisés ? Et en vue d’éventualités fort éloignées devrons-nous nous imposer un sacrifice aussi considérable que celui qui nous est demandé ?

J’ai calculé la force à laquelle l’armée belge pourrait être portée avec les cadres proposés par la section centrale. J’ai pris la force des compagnies, des escadrons et des batteries dans des règlements qui peuvent recevoir l’approbation de tout le monde. Ce ne sont pas des bases d’industriels, ce sont, pour l’infanterie, les bases établies par Napoléon ; pour la cavalerie, celles qui se trouvent dans le budget français de 1843 ; pour l’artillerie, celles de l’ordonnance du 5 août 1829 ; ce sont les sommes allouées pour les dépenses à faire, en exécution de cette ordonnance qui m’ont servi de base. Avec ces cadres, vous pouvez avoir une force, en infanterie, de 35.556 hommes ; en cavalerie, de 5,623 hommes ; en artillerie, de 4,737 hommes, et, pour l’arme du génie, 1,864 hommes, comme le demande M. le ministre de la guerre. Si vous ajoutez à cela la gendarmerie et les officiers, vous avez un total de 50,635 hommes.

Eh bien, pour un pied de précaution, et j’ose espérer que ce sera le maximum auquel nous serons contraints de porter nos forces, dans les querelles de nos puissants voisins, cet effectif est suffisant, d’après la commission chargée de faire le travail que lui avait soumis le ministre de la guerre pour la garde de nos forteresses. On a calculé sur l’existence de 100 bastions à défendre, on a évalué la défense à une force de 500 hommes par bastion. Je ne sais s’il y en a plus ou moins de cent, je ne les connais pas, mais je crois pouvoir m’en rapporter à ce qui a servi de base au travail de la commission. Je ferai remarquer que cette armée de 50,000 hommes n’a jamais existé depuis la convention du 21 mai 1833. Ce qui a suffi pour traverser l’époque critique de 1833 à 1839 peut suffire pour des époques qui seront certainement moins critiques.

Pour la cavalerie, M. le ministre de la guerre, d’accord avec la commission reconnaît qu’il y a un grave inconvénient à renvoyer les anciens soldats au jour de l’arrivée des recrues.

M. le ministre pare-t-il à cela par le moyen proposé, qui est de maintenir 400 hommes d’anciens soldats jusqu’à ce que l’instruction des miliciens soit suffisante ?

Je vais vous soumettre des chiffres d’effectifs d’hommes et de chevaux et vous montrer que si l’inconvénient qu’on signale existe, on n’y remédie pas.

Le projet de la section centrale est basé sur 38 escadrons de 120 hommes chacun, ce qui fait 4,560 hommes. Ces 38 escadrons ont chacun 100 chevaux, ce qui fait 3,800 chevaux ; je ne tiens pas compte du petit état-major ; ce qui fait une différence de 760 hommes en plus. Je déduis les 400 miliciens ayant terminé le temps habituel de service et remplacés par 400 recrues.

Les hommes en état de panser les chevaux, se trouvent après le départ des 400 anciens et l’arrivée des 400 recrues impropres au pansage, de 4,160 ; le nombre de chevaux étant de 3,800, il y a encore 360 hommes au-dessus du nombre de chevaux. On me dira : mais vous comptez tous les hommes, et tous les hommes ne pansent pas les chevaux ; mais cette différence de 360 hommes divisée par 38, nombre des escadrons, me donne pour quotient neuf, qui correspond au nombre de sous-officiers qui ne pansent pas les chevaux. Si donc dans cet état de choses les cavaliers se trouvent réduit à panser trois et quatre chevaux, je dis que le remède auquel M. le ministre de la guerre a recours est un remède insuffisant, et je crois mieux atteindre le but en laissant subsister ces 400 hommes pendant toute l’année et en restreignant le nombre de chevaux. Je vais tâcher d’établir que cela suffira largement aux besoins d’une bonne instruction.

Il y aura donc 100 chevaux par escadron, comme le propose M. le ministre de la guerre. Les escadrons actuellement existants, si j’en crois ce que j’ai vu et ce qui m’a été dit, il n’y en a guère que 4 qui peuvent manœuvrer ensemble. Chacun de ces escadrons de manœuvre est de 105 chevaux, il en faut 420 pour les 4 escadrons. Ce chiffre n’est pas imaginaire, c’est celui que propose M. le ministre pour les escadrons de cavalerie qui iraient au camp pour la présente année. Ceux qui en douteraient peuvent recourir aux détails sur le camp, page 18 des développements du budget. Il faudrait donc 420 chevaux pour quatre escadrons d’un régiment manœuvrant ensemble. Resteraient 80 chevaux pour l’instruction. Mais, dira-t-on, ces 500 chevaux ne sont pas toujours en état de faire le service, les chevaux comme les hommes sont quelquefois malades. J’ai tenu compte de la déduction à faire de ce chef, et je crois avoir été large en évaluant à 6 p. c. le nombre des chevaux momentanément impropres au service ; je fais porter cette déduction sur le 5ème escadron ; si de 80 vous ôtez 30, il vous reste 50. Ce nombre de chevaux est suffisant pour les leçons d’équitation à donner aux recrues et même aux vieux cavaliers.

Pour l’artillerie, M. le ministre de la guerre peut certainement se prévaloir des connaissances spéciales qu’il a dans cette partie puisque déjà depuis longtemps il se trouve placé à la tête de l’arme. Il a cru pouvoir aussi s’étayer de l’expérience du général Evain, qui est encore plus ancien que lui dans la partie. Mais moi aussi je m’étaierai de l’opinion du général Evain et je dirai que, dans le budget de 1833, il s’était contenté de demander 24 batteries ; je dirai que le général Evain, ministre jusqu’en 1836, n’a jamais eu au-delà de 31 batteries. Eh bien, le projet de la section centrale en conserve 32 et deux cadres de dépôt, qui peuvent être organisés en batterie. La section centrale ne conserve pas autant de batteries que le projet de M. le ministre. Mais si je compare les batteries constituées d’après l’ordonnance française et la constitution que leur a donnée l’arrêté du 4 juin 1832, je crois que tout est encore à l’avantage du système français adopté par la section centrale

Messieurs, le principal argument de M. le ministre de la guerre pour maintenir tous ses officiers, c’est la nécessité d’avoir des cadres forts et nombreux pour pouvoir y incorporer de jeunes soldats. Je ne sais si l’on est encore jeune soldat quand ou a déjà servi deux ans. Je ne suis pas de la partie, je n’oserais rien affirmer à cet égard, mais je crois pouvoir m’appuyer sur l’expérience de gens qui s’y connaissent et qui m’ont dit qu’il ne fallait pas aussi longtemps. Il y a des écrivains qui réduisent jusqu’à un mois le temps nécessaire pour mettre un soldat d’infanterie en état d’entrer en campagne. Je n’adopterai pas une opinion qui me paraît exagérée, à cause de l’extrême limite, mais je crois ne pouvoir mieux faire que d’adopter l’opinion du général Lamarque, qui dit : qu’il est reconnu, et notre armée en fournit la preuve, que d’excellents fantassins peuvent être formés en un an, et qu’après ce temps c’est la guerre seule, et non la durée du service qui peut compléter leur instruction. Le soldat de six ans de paix n’est pas mieux préparé pour la guerre que le soldat de deux ou trois ans. Voilà ce que disait le général Lamarque du soldat d’infanterie. Je crois qu’on pourrait arriver à former tous les autres soldats dans la même durée de deux années, en ménageant convenablement les saisons pour l’instruction. Il est inutile d’entrer dans des détails à cet égard. La seule observation que je ferai, c’est que le gouvernement des Pays-Bas, qui certainement tenait à défendre la Belgique, qui avait un autre rôle à jouer que nous, puisqu’elle n’était pas neutre, qu’elle pouvait contracter des alliances offensives et défensives, et qu’elle avait une destination spéciale dans sa création, celle de former l’avant-garde du Nord contre la France, le gouvernement des Pays-Bas se contentait de tenir ses cavaliers pendant deux ans.

Quant au contingent de miliciens qu’on incorpore annuellement dans les régiments de cavalerie, M. le ministre de la guerre demande 400 hommes ; c’est le chiffre de l’année dernière, c’est aussi celui de cette année ; il ne demande de première mise que pour 400 hommes à incorporer. C’est à peu près douze miliciens chaque année ; en les conservant pendant deux ans, c’est 24 miliciens, et le projet de loi alloue 131 hommes par escadron ; il en reste donc 107 pour les cadres que l’on suppose composés de volontaires, et pour les cavaliers assez nombreux dans cette classe de volontaires.

Messieurs, je ne m’appesantirai pas davantage sur ces considérations ; je crois que ce que j’ai dit vous démontrera que ce n’est pas dans un esprit d’hostilité, dans un esprit de réaction contre l’armée, que les propositions de la section centrale ont été faites ; mais la section centrale n’a pas cru que la Belgique pût consacrer une somme de 29 millions et demi d’une manière permanente à l’entretien de son armée, et c’est précisément en vue de cette permanence, de cet état normal que M. le ministre prétend établir que les réductions ont été proposées. J’ai dit qu’il n’y avait aucun esprit d’hostilité contre les officiers, et quantité d’anciens militaires que j’ai vus m’ont affirmé que la condition que nous leur faisons était telle, qu’il était à craindre que si on devait l’accorder à tous ceux qui la demanderaient, nous ne conservassions pas le nombre d’officiers qui nous sont indispensables.

J’attendrai, pour parler ultérieurement sur le projet de la section centrale, et sur celui de M. le ministre de la guerre, que de nouvelles observations soient présentées, et je tâcherai de les rencontrer.

Un mot seulement pour ce qu’a dit l’honorable M. Verhaegen, non pas sur notre prétendue prodigalité envers des établissements religieux. Je suis fâché que, suivant son habitude, il ait gâté son discours auquel je me serais associé bien volontiers, dans les sentiments de reconnaissance qu’il exprime vis-à-vis de l’armée, en y mêlant des choses qui devaient y être tout à fait étrangères.

Je ferai observer à l’honorable M. Verhaegen, que c’est par ignorance de la matière qui n’est pas du tout dans ses habitudes, qu’il nous a dit que l’organisation devait se combiner avec les règlements. Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, nous avons pris pour base le huitième de l’armée française. Ce que nous avons de règlements, nous les avons empruntés à la France. Pour le service de l’infanterie, l’organisation telle qu’elle existe, est quasi impraticable avec la division des bataillons en 6 compagnies. En France, le bataillon a 8 compagnies, et 2 compagnies forment une division à la manœuvre ; quand nous n’aurons que 4 compagnies, chaque compagnie formera une division, et nous pourrons manœuvrer sans nulle difficulté avec les règlements français.

Nous avons emprunté le règlement français de 1829 sur la cavalerie, et depuis le 9 mars 1834, les régiments français sont réduits à cinq escadrons comme le propose le projet de la section centrale. Quant au règlement sur l’artillerie, je ne le connais pas, mais je suppose que pour l’artillerie comme pour autre chose, on a emprunté les règlements français ; et nous pouvons fort bien manœuvrer avec les règlements français, en les adoptant pour notre artillerie.

Quant au service en campagne, il est tout à fait étranger à l’organisation, et le règlement en est encore emprunté à la France. Pour ce qui concerne le service intérieur, nous n’avons que des règlements surannés qui datent de l’an III de la république française. (A demain ! à demain !)

- La séance est levée à 4 1/2 heures.