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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 19 décembre 1843

(Moniteur belge n°354 du 20 décembre 1843)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure et quart

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Philippe-Léonard Scholl, ébéniste à Hasselt, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le conseil communal de Lanaeken réclame l’intervention de la chambre pour qu’il soit sursis, pendant deux années, à la perception des arriérés de la contribution foncière de cette commune. »

- Sur la proposition de M. Simons, renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.


« Le sieur Claude Joseph Argond, capitaine-adjudant de place à Liége, né à Oletra (Corse), demande si la qualité de Belge lui est acquise, en vertu du décret du 4 décembre 1830, qui lui a conféré l’indigénat. »

- Renvoi à la commission.


« Plusieurs habitants de la commune de Farciennes demandent une modification au tarif du droit de péage sur les canaux pour le transport des engrais et des récoltes. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi relatif aux péages sur les canaux et rivières.


« Le conseil communal de Boom demande que les cantons de Contich et Wilryck soient divisés de telle sorte, que Boom et Contich soient déclarés chefs-lieux de canton. »

- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la circonscription cantonale.


« Quelques artistes vétérinaires du Hainaut prient la chambre d’améliorer leur position qui, chaque année, devient plus fâcheuse par le grand nombre de vétérinaires sortant de l’école vétérinaire de l’Etat.»

- Sur la proposition de M. de Garcia, renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l’intérieur.


« Le sieur Pierre-Jean Van de Looverbosch, maçon à Ryckevorsel, né à Bergeyck (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Jean Eygrany, fabricant de vinaigre à Louvain, né à Erpeldange (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation. »

- Même renvoi.


Dépêche par M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) accompagnant l’envoi du premier cahier de l’inventaire des chartes des comtes de Flandre.»

- Dépôt à la bibliothèque.

Composition des bureaux de section

Première section

Président : M. de Foere

Vice-président : M. Lys

Secrétaire : M. Dedecker

Rapporteur de pétition : M. de Man d’Attenrode


Deuxième section

Président : M. Lebeau

Vice-président : M. Lange

Secrétaire : M. Kervyn

Rapporteur de pétition : M. de Garcia


Troisième section

Président : M. Angillis

Vice-président : M. Jadot

Secrétaire : M. de Corswarem

Rapporteur de pétition : M. de Saegher


Quatrième section

Président : M. Zoude

Vice-président : M. de Tornaco

Secrétaire : M. Scheyven

Rapporteur de pétition : M. Zoude


Cinquième section

Président : M. Osy

Vice-président : M. Fleussu

Secrétaire : M. Savart-Martel

Rapporteur de pétition : M. Maertens


Sixième section

Président : M. de Theux

Vice-président : M. Desmet

Secrétaire : M. Sigart

Rapporteur de pétition : M. de Roo

Projet de loi qui fixe le contingent de l'armée et de la levée pour 1844

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet de loi. La parole est à M. de Garcia.

M. de Garcia. - Messieurs, la loi du contingent n’est qu’un anneau de la chaîne des lois qui sont destinées à organiser la force armée pour la défense de l’Etat ; cette loi se rattache essentiellement à la loi d’organisation de l’armée, à la loi du service de la milice nationale, à la loi d’organisation de la garde civique ; et ces quatre lois se rattachent essentiellement à un plan général de défense du pays, s’il venait à être menacé d’une invasion quelconque. Vous êtes saisis de l’examen de deux de ces lois, seulement : la loi du contingent et la loi de l’organisation de l’armée. Il faut convenir que, dans cette position, les éléments vous manquent pour vous former un système complet ; et le gouvernement se trouve dans la même position, à moins qu’il ne veuille rester dans le statu quo. Pour pouvoir apprécier ces graves questions à tous les points de vue, il faudrait que vous fussiez saisis à la fois des quatre lois que j’ai eu l’honneur de vous indiquer. La présentation franche de ces quatre lois, nous mettrait à même de connaître les vues du gouvernement et de voir ce que nous aurons à faire dans cette importante matière.

Ces observations me conduisent à demander au gouvernement s’il est dans l’intention de présenter, dans un bref délai, un projet de révision de la loi sur la milice nationale, et la loi sur la réorganisation de la garde civique, qui n’existe réellement pas.

M. de Man d’Attenrode. - Je demande la parole.

M. de Garcia. - Comment la chambre pourrait-elle se former une opinion sur ce qui lui reste à faire, si le gouvernement ne présente pas les quatre lois à la fois, et s’il ne présente pas en même temps quelques idées sur le plan général de défense du pays dans tous les cas donnés ? Faut-il pour la défense du pays 60, 80, 100 ou 200 mille hommes ? Je le demande à tous les membres de cette assemblée ; et je crois que je puis donner le défi de répondre à cet égard ; je le demande aussi au gouvernement, et j’attends avec confiance sa réponse. Cet objet est essentiellement de sa mission.

Pour moi, je crois qu’il faut plus de 80,000 hommes, mais je ne peux admettre qu’une force armée aussi considérable soit payée et soit à charge de la nation. Une partie de cette défense doit appartenir au civisme. Je voudrais qu’une garde civique, fortement organisée, concourût à la défense du pays. J’ai toujours soutenu que le chiffre de 80,000 hommes pour le contingent de la Belgique était trop fort. En diverses circonstances, j’ai émis l’opinion que 60,000 hommes était un nombre suffisant, pour obtenir le noyau d’une armée forte plutôt par la qualité que par la quantité ; car une armée obtient des succès, non par le nombre, mais par la qualité de bons soldats, par la discipline, par le courage et surtout par l’habitude de la vie militaire.

J’ai critiqué, en toute circonstance, le mode actuel du service, qui est, si ma mémoire est fidèle, de retenir les soldats 4 ans en service effectif et 4 autres années en service sédentaire. Les 4 années de service effectif se réduisent à bien moins pour les miliciens sous les drapeaux ; et il est impossible que ce soit autrement car la loi actuelle vous impose 4 ans de service effectif ; mais d’un autre côté, vous ne gardez sous les drapeaux que 25,090 hommes en temps de paix. Avec un contingent de 80,000 hommes et une levée annuelle de 10,000 hommes, vous aurez 40,000 hommes ; or d’après le vœu exprimé par les chambres et l’intention exprimée par le gouvernement, vous n’aurez jamais sous les drapeaux que de 25 à 30 mille hommes.

M. Rodenbach. - L’armée est de 30 mille hommes.

M. de Garcia. - Jamais elle n’atteint ce chiffre ; car c’est par des réductions sur ce chiffre, que vous obtenez des économies au budget de la guerre.

A mes yeux, la force d’une armée n’est pas dans les cadres proprement dits ; ou plutôt par cadres on ne devrait pas désigner seulement les officiers et sous-officiers, mais on devrait aussi y comprendre un noyau de vieux soldats. J’invoquerai l’histoire de nos jours à l’appui de ce que j’avance. Je citerai l’exemple de la malheureuse Pologne qui, avec 40 mille vieux soldats, a donné les batailles les plus glorieuses ; si elle a cédé, ce n’a été que devant le nombre. La Belgique est dans une position semblable. La Belgique doit avoir de vieux soldats, elle doit avoir une armée non seulement exercée au maniement des armes, c’est la moindre des choses, mais habituée à la vie militaire. Pour obtenir ce résultat, il faut changer la loi sur la milice nationale. Il faudrait que les soldats fussent quatre ans sous les drapeaux. Ce ne serait pas un changement proprement dit à la loi ; car la loi prescrit quatre ans de service effectif, mais ce serait la réalité de la loi, cela ne se fait pas, et cela ne peut se faire, puisqu’on ne veut sous les drapeaux que 25 à 30,000 hommes et que le contingent actuel vous en donne 40,000. Que faut-il faire pour arriver à un résultat vrai et rationnel ? Réduire les levées annuelles. Si, par exemple, au lieu d’une levée de 10,000 hommes vous faisiez, chaque année, une levée de 7 ou 8 mille hommes, et si vous les gardiez dans 4 ans les drapeaux, vous auriez 30,000 hommes en service effectif, mais qui seraient réellement sous les drapeaux ; et vous auriez une armée composée de recrues pour un quart seulement, et pour les trois autres quarts d’hommes habitués au service. Vous auriez un excellent noyau d’armée. Mais dans votre position faisant faire la navette aux miliciens, tantôt les renvoyant chez eux, tantôt les rappelant sous.les drapeaux, vous n’avez ni soldats, ni citoyens. Cet état de choses est la perte d’une armée. Outre cela, il est pénible pour un officier d’avoir toujours des recrues à commander, des soldats à former. Si vous diminuez le contingent, dussiez-vous prolonger la durée du service sédentaire, vous aurez un résultat plus avantageux qu’avec le système actuel.

Au surplus, je ne fais qu’indiquer ce moyen ; car je crois qu’une année de 60,000 hommes suffit à la Belgique. Si vous fixez le chiffre des levées annuelles à 8,000 hommes et la durée du service à 8 années, vous aurez une armée de 64,000 hommes, mais tous propres à faire la guerre, exercés, capables, bons soldats. 30 à 32 mille hommes resteraient quatre ans sous les armes et sous les drapeaux et 30 à 32 mille hommes formeraient la réserve disponible en cas de guerre. Si une armée de ligne de 60 à 65 mille hommes était insuffisante, aux yeux du gouvernement, pour la défense du pays, je crois que la garde civique convenablement organisée pourrait compléter le système de défense du pays et de notre nationalité. Pour atteindre ce but, le gouvernement pourrait et devrait s’attacher à organiser ou au moins à encourager la formation de compagnies d’artillerie de garde civique, dans les villes fortifiées et dans celles défendues par des citadelles. Une mesure semblable serait destinée à rendre d’importants services si le pays était menacé d’une invasion. Personne n’ignore la belle conduite qu’a tenue en 1831, dans les affaites de Louvain, une compagnie d’artillerie formée à Namur.

Je terminerai ces observations, en demandant au gouvernement s’il a l’intention de présenter prochainement la loi de révision sur le service de la milice nationale, et la loi de réorganisation de la garde civique. Je dis réorganisation ; car, réellement, il n’existe pas de garde civique. Je demanderai aussi au gouvernement s’il n’a pas l’intention de présenter un plan général de défense du pays, afin que nous sachions de quelle armée nous aurons besoin pour atteindre ce but.

M. de Man d’Attenrode. - J’ai demandé la parole pour appuyer, dans quelques-unes de leurs parties, les opinions émises par l’honorable M. de Garcia sur les éléments qui nous manquent pour discuter l’organisation de l’armée ; mais je ne compte pas entrer dans des développements sur cette question, attendu qu’il me semble qu’une discussion approfondie trouvera mieux sa place lors de la discussion du projet de loi qui est soumis pour le moment aux délibérations des sections.

Messieurs, la loi en discussion a pour objet de mettre à la disposition du gouvernement, pour 1844, la levée ordinaire de 10,000 hommes, levée dont il peut disposer pendant 8 ans.

J’ai demandé la parole afin de faire ressortir à cette occasion combien est vicieuse la base qui sert à régler le contingent de chaque commune. Cette base est la population. Or, comme chaque commune a de l’intérêt à ne pas faire connaître le chiffre de sa population, afin de diminuer son contingent pour l’armée, le gouvernement en est réduit à des présomptions sur le chiffre de la population du royaume et des communes.

C’est ainsi qu’un savant, dans le bulletin publié récemment par la commission centrale de statistique, établit, par des calculs ingénieux, que la population belge est de 4,693,700, tandis que la population, admise officiellement n’est que de 4,165,114.

Et il en conclut que la population est mal déterminée, qu’elle est probablement estimée d’un dixième en dessous de sa valeur réelle ;

Que de la répartition actuelle des contingents des milices, il peut résulter des désavantages notables pour certaines communes et surtout pour celles qui ont été les plus sincères dans leurs déclarations ;

Que c’est en descendant aux détails, que l’on comprend mieux comment la science, d’accord avec la justice, et l’on peut dire avec la moralité, réclame une répartition établie sur de meilleures bases ;

Enfin, que le mode le plus équitable est de faire contribuer les communes en raison du nombre des inscrits ; que c’est le seul moyen de rendre les chances égales entre les intéressés.

Ces conclusions déduites du système de répartition du contingent des milices sur les communes, ces conclusions me semblent de la plus grande exactitude, de la plus grande justesse ; et puisque les détails font comprendre encore mieux que la science, d’accord avec la justice, réclame une répartition meilleure, vous voudrez bien me permettre, messieurs, de vous citer un détail recueilli pendant ma vie administrative.

Un milicien, habitant une petite commune, fut exempte par la voie du sort, et cette exemption fut renouvelée les deux années suivantes ; il arriva alors une année où l’on put préjuger que tous les inscrits, à l’exception d’un seul, avaient des motifs d’exemption, parce que les inscrits étaient peu nombreux. Eh bien, que fit celui qui, n’ayant rien à espérer du sort, était sûr d’être désigné pour le service ? Il quitta la commune et il alla se fixer momentanément dans une commune populeuse, où le sort pouvait le favoriser ; comme, par suite de cette fraude, la classe de cette année n’offrait personne d’apte pour la commune du contingent qui lui était imposé, il fallut recourir à l’année précédente ; cette année n’offrant personne de disponible, on eut encore recours à une année plus ancienne, cette classe était également épuisée il fallut en venir à une année encore antérieure, et qu’en résulta-t-il ? C’est qu’un homme exempté depuis trois ans fut obligé de marcher, et ce fut d’autant plus pénible pour lui, qu’il commença à un âge plus avancé ses années de service.

Il est bon d’ajouter que des réclamations, contre le changement de domicile, avaient été faites au gouvernement, et qu’elles restèrent sans résultat favorable.

Je demanderai donc à l’honorable ministre de la guerre s’il n’a pas l’intention de nous présenter un projet de loi destiné à modifier les bases du contingent des milices ? Je crois que, pour procéder avec régularité, ce changement ne devrait être introduit qu’en révisant la loi sur la milice, qui finit par former un code volumineux et peu déchiffrable même pour ceux qui en font une étude spéciale.

L’époque du tirage au sort, qui est fixé à 18 ans, devrait être portée à 20 ans ; le gouvernement a l’expérience que les deux premières levées ne peuvent lui être d’aucune utilité. Aussi les laisse-t--il sagement dans leurs foyers.

La durée du service que la loi ne fixe qu’à 5 ans devrait aussi être modifiée, car ce n’est que par dérogation à une loi existante que nous mettons chaque année 8 classes à la disposition du gouvernement ; un projet de loi a été déposé à cet égard et l’honorable M. Brabant en a fait rapport le 30 mars 1841, mais la discussion en a été ajournée jusqu’après l’organisation de l’armée par une loi.

Je terminerai en demandant à M. le ministre ce que devient notre législation militaire ? Des commissions sont chargées de la réviser depuis 10 ou 12 ans. Voilà ce que l’honorable M. Desmaisières rapporteur de la loi du contingent de l’armée, disait en séance du 20 décembre 1836, il a 7 ans.

« Mais, lorsqu’on demande à la législature un renouvellement de la levée des miliciens, la section centrale a cru qu’elle pouvait saisir cette occasion pour appeler de nouveau l’attention du gouvernement sur la législation militaire. Il devient de plus en plus urgent de mettre cette législation en harmonie avec nos mœurs, et de remplacer, par des dispositions appropriées à notre régime constitutionnel, celles qui nous ont été léguées par le gouvernement déchu.

« Toutefois, nous ne vous laisserons pas ignorer que M. le ministre de la guerre nous a fait connaître que la commission instituée à cet effet avait maintenant achevé les projets sur l’organisation des tribunaux militaires et sur la procédure qui devait y être suivie ; qu’il ne restait à achever que le code pénal militaire. Nous engageons de nouveau le gouvernement à hâter, de tous ses efforts, l’achèvement de ce travail, et à le présenter aux chambres le plus tôt qu’il lui sera possible. On ne peut se dissimuler que la chose devient chaque jour plus urgente. Des lois ont réglé les droits des officiers à l’avancement, leurs diverses positions, la manière dont ils pourraient être privés de leurs grades. Mais il est une classe plus nombreuse de militaires qui n’en doit pas moins exciter toute la sollicitude de la législature. Ils ont droit à la distribution d’une exacte justice comme les autres citoyens. Ils doivent donc aussi avoir la garantie d’une juridiction légalement organisée. »

Je demanderai donc à M. le ministre qu’il veuille bien nous dire ce que sont devenus les projets sur l’organisation des tribunaux militaires, qu’on nous disait achevés il y a 7 ans, et s’il ne compte pas les déposer sur la tribune, il en est de même des règlements sur le service intérieur des troupes ; des règlements complets, appropriés aux besoins, ont souvent été réclamés sans succès dans cette enceinte.

Je bornerai là mes observations.

M. le président. - Quelqu’un demande-t-il encore la parole ?

M. de Garcia. - Messieurs, j’ai demandé au gouvernement s’il est dans l’intention de proposer la loi, promise depuis longtemps, et tendant à réviser la législation sur la milice nationale ; je lui ai demandé, en outre, de déclarer s’il est en mesure de présenter un projet de loi sur la réorganisation de la garde civique. Je me verrai dans l’impossibilité de me former une opinion sur le projet de loi en discussion, si le gouvernement ne répond pas.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) - Messieurs, l’honorable M. de Garcia a exposé différents systèmes. D’après l’un de ces systèmes, il faudrait suppléer à une partie de l’armée par la garde civique organisée convenablement.

Le gouvernement, messieurs, est d’avis que notre système de milice actuel est bon, qu’il offre une armée bien exercée, une armée susceptible d’assurer la défense du pays.

Il ne faut pas juger de cette armée d’après les classes qui se trouvent ordinairement sous les armes dans les garnisons, il faut la voir de préférence lorsqu’elle est réunie au camp. Il faut aussi jeter un regard rétrospectif sur cette armée pendant les années antérieures.

Ce ne sont pas les jeunes soldats qui constituent la force de l’armée, on la trouve principalement dans les anciennes classes. Les soldats de nos garnisons, sont, pour la plupart, de jeunes miliciens qui n’ont pas encore été suffisamment exercés, ni suffisamment formés à l’esprit militaire. Les classes qui remplissent ces conditions sont celles qui se trouvent en congé. Si l’on se reporte à l’année 1832 et aux années 1832 et 1833, au moment d’éventualités de guerre, on se souviendra que l’idée était devenue populaire en Belgique, que cette armée était bonne et qu’elle était susceptible de faire de grandes choses. Les éléments de cette armée existent encore aujourd’hui, et je pense qu’on doit chercher à les conserver.

Substituer la garde civique à l’armée, ne serait-ce pas un système dangereux, et ne faudrait-il pas examiner d’abord si cela entre bien dans les goûts de la nation ?

Les bataillons de milice que vous voulez ainsi supprimer sont exercés ; vous ne voudrez pas sans doute que ceux de garde civique par lesquels vous voulez les remplacer le soient moins.

Mais pour cela il faudrait que les soldats de ces derniers bataillons fussent réunis d’abord pendant quelque temps pour se former au service militaire, qu’ils eussent ensuite des réunions périodiques ; il faudrait qu’ils se livrassent fréquemment à tous les exerces militaires, qu’ils se livrassent entièrement à la discipline. Mais alors qu’auriez-vous fait en définitive ? Vous auriez substitué une classe de citoyens à une autre classe. Vous n’auriez aucun avantage ; pas même sous le rapport de l’économie. La garde civique sur le pied de guerre coûte au moins autant que l’armée (Interruption).

L’honorable M. de Garcia me fait observer avec raison que, sur le pied de paix, la garde civique ne coûterait rien. Mais, messieurs, les classes de l’armée qui tiennent lieu de la garde civique ne coûtent rien non plus. Vous avez un contingent de 80,000 hommes, il est vrai, mais, les trois huitièmes seulement sont sous les armes.

Il existe, direz-vous, une différence, quant aux cadres. C’est vrai ; là existe la grande différence, mais là aussi, il pourrait y avoir des inconvénients dans votre système. les cadres de l’armée existent même sur pied de paix, mais ce sont des cadres qui s’occupent journellement de leur service, de leur métier, des études que demande l’état militaire. Il est impossible, messieurs, d’exiger la même chose d’une autre classe de citoyens, qui ne ferait ce métier que comme accessoire ; il est impossible d’exiger des officiers et des sous-officiers de la garde civique autant d’instruction militaire que vous devez en exiger de vos cadres militaires

D’ailleurs messieurs, d’après les propositions qui vous sont faites, les cadres militaires ne sont pas complets pour les 80.000 hommes. Le projet d’organisation de l’armée admet, en effet, une section d’activité et une section de réserve, et l’exposé des motifs vous indique en outre qu’il reste une partie des cadres à créer au moment de la guerre. Messieurs, j’ai confiance dans la garde civique ; je crois qu’au moment du danger, on pourrait avoir foi dans son esprit de nationalité, dans l’enthousiasme qui l’animerait de nouveau. Mais, messieurs, il faut le temps de se faire dans tous les états, il faut de l’instruction, et voilà ce qu’il est impossible d’exiger de la garde civique telle qu’elle existe à présent.

Changer ainsi les bases sur lesquelles repose l’organisation de l’armée et de la garde civique, ce serait, je pense, donner à la garde civique les charges qui pèsent aujourd’hui sur les miliciens, et donner aux miliciens quelques avantages dont jouit aujourd’hui la garde civique.

Messieurs, l’honorable M. de Garcia vous a indiqué différentes corrections qu’il voudrait voir apporter à la loi sur la milice. Je suis d’accord sur différents points avec l’honorable membre, et si la chambre donnait son assentiment à quelques-unes des idées avancées par M. de Garcia, nous ne nous y opposerions pas.

Ainsi, l’honorable M. de Garcia vous a exposé qu’en diminuant le nombre de levées, vous auriez l’avantage de tenir les hommes sous les armes pendant un plus grand nombre d’années. Je suis complètement de son avis.

Il n’y a guère que sous le rapport du chiffre de l’effectif que nous différons. L’effectif, selon moi, ne peut être moindre que 80,000 hommes ; mais on pourrait appliquer à ces 80,000 hommes le système de l’honorable M. de Garcia en admettant dix levées, et un contingent annuel de 8,000 hommes ; comme nous avons sous les armes, messieurs, 30,000 hommes terme moyen, et que ces 30,000 hommes se composent de 15,000 volontaires et 15,000 miliciens, ces derniers se composeraient donc d’environ deux levées de 8,000 hommes, et les miliciens resteraient en moyenne sous les armes pendant deux ans, ce qui serait un grand avantage.

M. de Garcia. - Je demande la parole.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) - D’après le système actuel les 15,000 hommes se composent d’un contingent et demi ; les miliciens restent donc aujourd’hui 18 mois environ sous les armes. Nous croyons toutefois que les soldats de l’infanterie peuvent être suffisamment fertiles au bout de ce temps.

Messieurs, le chiffre de 80,000 hommes est nécessaire pour la défense de nos forteresses et pour avoir un corps d’armée suffisant en campagne. Ce chiffre n’est pas hors de proposition avec les chiffres adoptés par les nations qui nous avoisinent ; il ne s’élève qu’à 2 p. c. de notre population.

La Prusse, messieurs, peut armer au besoin 500,000 hommes. A raison de 2 p. c. de la population, elle n’aurait que 300,000 hommes. Ainsi le contingent prussien est bien supérieur au nôtre.

Il en est de même chez beaucoup d’autres nations et notamment dans la confédération germanique. On y voit d’abord le contingent ordinaire ; puis le contingent de réserve, et en outre la plupart des puissances ont encore une seconde réserve qui porte à 2 p.c. environ le contingent de leur armée.

Messieurs, comme nation neutre, je crois que nous ne pouvons pas faire moins que ces nations dont j’ai eu l’honneur de vous parler. Comme nation neutre, nous ne pouvons pas compter sur des alliances, il nous est même interdit d’en conclure. Nous devons donc avant tout compter sur nous-mêmes et à cet égard avec une armée de 80 à 100,000 hommes nous compterons pour quelque chose dans la balance européenne. Si vous réduisiez ce chiffre, vous n’auriez plus la même importance.

L’honorable M. de Man nous a indiqué différentes autres corrections qu’il y aurait à faire à la loi sur la milice. Je conviens aussi que si nos soldats pouvaient n’entrer au service qu’à l’âge de 20 ans, et si nous conservions les huit classes, cela serait avantageux à l’armée. Je crois qu’il serait très avantageux d’échanger ainsi deux classes non dressées pour deux classes dressées. Si le tirage au sort était retardé d’une année seulement, ce serait déjà un très grand avantage pour 1’armée, qui aurait ainsi une classe exercée de plus.

Il y a d’autres corrections à faire à la loi sur la milice ; je suis d’accord là-dessus avec l’honorable membre. Je pense comme lui qu’il serait préférable d’établir les contingents des communes sur le nombre d’hommes inscrits plutôt que sur la population.

Quant au plan de défense du pays, je ne crois pas, messieurs, qu’il soit prudent de discuter cette question dans la chambre. D’ailleurs un plan de défense dépend de mille éventualités que l’on ne peut établir d’avance.

M. de Garcia. - Je commencerai par remercier M. le ministre, des explications qu’il a bien voulu me donner. Je suis heureux d’avoir mérité son suffrage quant à une des idées que j’ai présentées, celle de réduire le contingent de 10,000 hommes par année à 8,000, en prolongeant de deux ans la durée du service sédentaire. De cette manière les citoyens appelés à faire partie de la milice nationale seraient pendant 4 ans en service effectif et pendant 6 ans en service sédentaire, c’est-à-dire à la disposition du gouvernement, en cas de guerre. J’espère que M. le ministre entend bien la question comme je la pose : dans ma pensée les 6 dernières classes formeraient une réserve qui ne pourrait être appelée sous les drapeaux que par une loi et en cas de guerre. J’insiste sur ce point parce que quelques honorables membres de la chambre ont cru que mon système tendait à aggraver l’impôt du sang, comme je l’ai appelé ; mon système a même été attaqué, sous ce rapport, par quelques organes de la presse. Eh bien, messieurs, j’ai été très mal compris, car loin de vouloir aggraver la charge que les lois concernant la milice font peser sur les populations, j’entends, au contraire, la diminuer. En effet, messieurs, au lieu de lever 10,000 citoyens par année, on n’en lèverait plus que 8,000 et on les laisserait 2,000 autres aux travaux de l’agriculture ou de l’industrie. D’un autre côté la réserve ne pourrait être appelée qu’en vertu d’une loi et en cas de guerre. J’entends de plus que les hommes de la réserve seraient libres de s’établir, de se marier etc., etc. Sous ce rapport donc la charge dont il s’agit serait encore diminuée. Quel mal peut-il résulter de tenir à sa disposition des hommes expérimentés pour la guerre ? Personne peut-il ignorer, que dans les circonstances difficiles, tous les pays ne se bornent pas à appeler sous les armes les soldats qui font partie de la milice nationale, mais remontent sur toutes les classes antérieures, et que, dans ces circonstances, les lois viennent enlever les populations les moins aguerries. Dès lors, j’espère bien que, dans ma proposition, l’on ne verra rien qui soit de nature à aggraver la position de ceux qui sont appelés à payer le tribut à la milice nationale.

Je suis d’ailleurs convaincu que, si l’indépendance du pays venait à être menacée, tous les Belges, comme on l’a vu dans d’autres circonstances, tous les Belges seraient soldats.

Je regrette, messieurs, de ne pouvoir partager l’opinion que M. le ministre a exprimé en répondant à d’autres observations que j’avais présentées, d’abord, en ce qui concerne la réorganisation de la garde civique. M. le ministre a dit qu’il était possible que cette institution ne fût point dans nos mœurs.

Je ne pense pas que cela soit exact ; je crois que si la garde civique était bien organisée, que si, au lieu de vouloir obtenir une garde civique trop nombreuse, on ne rangeait sous les drapeaux que les citoyens de 20 à 30 ans, chaque Belge remplirait avec empressement ce devoir que la loi lui imposerait. Le passé m’est un sûr garant de ce que j’avance nous avons connu la garde communale d’avant la révolution, qui laissait peu à désirer.

Au surplus cette objection ne peut être prise en considération. Il ne faut pas oublier que la constitution nous fait un devoir d’organiser la garde civique. Vous ne pouvez négliger cette obligation sans commettre une inconstitutionnalité. Il ne faut pas non plus perdre de vue les services que peut rendre une milice toute citoyenne. Qu’il me soit permis de rappeler ici la pensée d’un illustre personnage de notre époque, en présentant à l’assemblée constituante la loi sur l’organisation de la garde nationale ; il disait que cette institution était la plus sûre égide des libertés publiques. Cette idée m’a toujours paru juste et vraie, et je considère la garde civique comme la meilleure garantie, non seulement contre le despotisme d’un seul, mais aussi contre le despotisme démocratique, et je ne veux être à la merci d’aucune espèce de despotisme.

Messieurs, j’avais fait une autre interpellation au gouvernement, plutôt qu’à M. le ministre de la guerre. J’avais demandé quel était le plan de défense que la Belgique pourrait déployer dans un cas donné, dans le cas où nous serions menacés d’une invasion.

M. le ministre de la guerre m’a répondu qu’il fallait user à cet égard de beaucoup de réserve, qu’il ne fallait pas faire connaître à l’ennemi son plan de défense ; je comprends et j’apprécie parfaitement cette réponse, et je m’empresse de déclarer que telle n’avait pas été la portée de mon interpellation. Je n’avais en vue que de savoir s’il entendait défendre le territoire en tenant la campagne ou en garnissant les places fortes, ou en faisant les deux à la fois, et dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, de quelle force armée il aurait besoin. La réponse de M. le ministre me conduit à lui demander si avec 80,000 hommes et sans garde civique il peut répondre de la défense du pays. Quant à moi, je considère la chose comme impossible. Le pays est hérissé de fortifications, et, en cas de guerre, l’armée entière suffirait à peine pour les garnir. Comment, dans cet état, songer à tenir une armée en campagne ? En présence de ces impossibilité l’on pourrait être porté à n’entretenir que la plus petite armée possible, telle qu’elle nous mette à l’abri d’un coup de main, et nous permette d’attendre les alliés que les traités et les forces des choses nous ont faits. Je ne conçois donc pas qu’avec une armée de 80,000 hommes et sans le secours de la garde civique, on puisse défendre le pays.

J’avais dit aussi que, dans le système actuel l’armée, au point de vue du soldat, n’est pas composée d’une manière forte, parce que les soldats ne restent pas assez longtemps sous les drapeaux. A l’appui de cette assertion je pourrais citer les autorités les plus imposantes ; je ne le ferai point en ce moment. J’aurai l’occasion d’y revenir ; j’en citerai seulement une : dans la dernière session des chambres françaises le général Préval a présenté un projet tendant à donner à l’armée une organisation forte ; la chambre des députés a examiné la question et tout le monde a été d’accord pour reconnaître que ce n’étaient pas seulement le courage et la connaissance du maniement des armes qui faisaient les bons soldats, mais que c’était aussi l’habitude de la vie militaire. Tout le monde, le gouvernement et la chambre des députés, fut encore d’accord que l’on ne peut acquérir cette habitude de la vie militaire en moins de 4 années de service sous les drapeaux ; les uns pensaient qu’il fallait 6 ans ; les autres soutenaient que 4 années pouvaient suffire, mais personne n’émit l’opinion que l’on pût descendre au-dessous de ce dernier chiffre. Ainsi, messieurs, quand je dis que les soldats doivent rester pendant 4 ans sous les drapeaux, je prends le chiffre le plus bas qui ait été présenté par des hommes compétents en cette matière.

Pour répondre à ce que j’avais dit, M. le ministre de la guerre a invoqué l’attitude de notre armée en 1839 ; il a dit qu’il n’était pas possible de voir une armée mieux disposée à faire son devoir, une armée mieux disciplinée. Cela est parfaitement exact, mais à quoi faut-il l’attribuer ? C’est précisément parce que depuis 1830 nous étions sur le pied de guerre, parce que depuis 1830 nous avions fait le sacrifice de 40, 50, 60 millions par an pour avoir sous les drapeaux une armée considérable. L’armée était belle alors, précisément parce que l’on avait fait ce que je demande que l’on fasse, parce que l’on avait tenu les soldats longtemps sous les drapeaux. Eh bien, ce que l’on a fait alors au moyen de dépenses énormes, je demande qu’on le fasse sans grever le trésor. Si je voulais, moi, citer un exemple de ce que sont des soldats qu’on n’a point habitués à la vie militaire, je citerais les événements de 1831.

M. de Mérode. - Messieurs, le vote du contingent de l’armée doit appeler spécialement l’attention sur la situation matérielle et morale des jeunes hommes que la loi, par notre organe, met à la disposition du département de la guerre. Plusieurs fois, j’ai réclamé la suppression du couchage des soldats deux ensemble, et j’ai cru devoir annoncer que s’il continuait encore dans quelques garnisons, je n’admettrais pas de nouveau contingent de milice. Or, le couchage commun de deux militaires existe, je pense, pas loin de Bruxelles, à Louvain même ; tandis qu’en Prusse et en France, où l’armée est si considérable, tous les hommes ont leur lit séparé.

Je dois ensuite rappeler que sous le gouvernement des Pays-Bas on mettait un soin sérieux à faciliter au soldat la pratique du culte divin le dimanche. Le jour, la garde était relevée à 9 ou 10 heures ; aujourd’hui elle ne l’est qu’à midi, de manière que pour ceux qui sont de service le samedi, il n’y a point de possibilité d’aller à l’église, fût-ce aux plus grandes fêtes comme Noël ou Pâques.

Bien que trop souvent l’autorité supérieure en France soit peu soucieuse des égards qu’ont les peuples chrétiens pour l’observation du dimanche, des personnes éminentes et placées à la tête d’administrations importantes témoignent hautement leur respect pour le septième jour consacré à Dieu, et signalent aux fonctionnaires placés sous leurs ordres les principes sur ce point essentiel.

Voici le langage que tenait, le 20 octobre dernier, M. le ministre de la marine, baron de Mackau, dans une circulaire adressée aux préfets maritimes, et dont je me permettrai de vous lire un extrait que voici : « L’Etat est grandement intéressé à ce que toutes les classes de la société conservent des habitudes religieuses qui sont le plus sûr garant des bonnes mœurs et contribuent le plus efficacement à inspirer des idées d’ordre et de probité. Les ouvriers de nos ports sont généralement disposés à respecter la religion et à remplir les devoirs qu’elle prescrit. Il n’est pas convenable que le gouvernement leur fournisse lui-même l’occasion de s’y soustraire, et leur donne ainsi l’exemple de l’indifférence sur un point aussi essentiel. D’après les motifs qui précèdent, j’ai décidé que les chantiers et les ateliers des ports seraient constamment fermés les dimanches et les jours de fêtes établies par le concordat. Vous voudrez bien, M. le préfet, donner des ordres dans ce sens et veiller à ce que cette règle soit à l’avenir exactement observée. »

Messieurs, nous avons voté récemment une loi sur l’instruction primaire qui tend à procurer à la jeunesse une éducation morale et religieuse positive, ce serait un contre-sens que l’Etat détruisît d’une main ce qu’il a édifié de l’autre ; et si M. l’amiral de Mackau a pu dire avec vérité que les ouvriers des ports de France sont généralement disposés à respecter la religion et à remplir les devoirs qu’elle prescrit, nous pouvons également affirmer que la plupart de nos miliciens ont les mêmes sentiments lorsqu’ils arrivent sous les drapeaux.

Il ne serait donc pas convenable, pour me servir des expressions de l’amiral de Mackau, que notre gouvernement fournît aux miliciens belges l’occasion de se soustraire aux devoirs qu’ils pratiquaient chez leurs parents et leur donnât l’exemple de l’indifférence sur un point aussi essentiel ; cependant, quand on examine les faits, on voit que le soldat ne conserve pas au régiment les habitudes contractées dans sa famille. Je sais qu’il est difficile d’obtenir une complète parité sous ce rapport. Je n’y prétends pas ; mais je sais qu’avec de la bonne volonté de la part des chefs, les habitudes religieuses se modifieraient beaucoup moins.

Je ne doute pas d’ailleurs des bonnes intentions de M. le ministre de la guerre. Je crois seulement devoir lui présenter mes observations et remarques sans lui demander pour le moment d’explications, sauf en ce qui concerne le maintien du couchage double des soldats dans certaines garnisons, couchage défectueux, mauvais, qu’il est bien temps de faire cesser.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) - J’aurai l’honneur de répondre à l’honorable M. de Mérode que le couchage double n’existe plus que dans une seule garnison du royaume, dans la garnison d’Ath. Il n’y a que peu de jours que je me suis adressé à la régence de cette ville, pour l’engager à changer le plus tôt possible ce mode de couchage. Le couchage double existait précédemment dans plusieurs autres localités, mais les autorités communales se sont empressées de faire droit aux observations que le gouvernement leur avait adressées à cet égard.

M. de Mérode. - Je suis satisfait.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) - Lorsque j’ai répondu à l’honorable M. de Garcia, en ce qui concerne la garde civique, je n’ai point entendu dire qu’il ne s’agissait pas de compter sur le concours de cette garde pour la défense du pays ; au contraire, le gouvernement croit que, indépendamment du contingent de 80,000 hommes, la garde civique serait appelée à rendre beaucoup de service dans le cas où le pays serait menacé d’une invasion. Quand j’ai répondu à l’honorable M. de Garcia, je n’ai entendu repousser qu’un système qui consisterait à remplacer une partie de l’armée par la garde civique.

M. de Brouckere. - Messieurs, la discussion à laquelle on se livre est sans doute pleine d’intérêt, mais je crains qu’elle ne fasse double emploi avec celle à laquelle nous devrons nécessairement nous livrer dans très peu de temps, lorsque nous aurons à examiner la loi sur l’organisation de l’armée et le budget du département de la guerre. Pour ma part, je désire que la discussion de ces projets, et particulièrement celle du budget de la guerre, soit une discussion bien approfondie et que toutes les personnes qui ont des connaissances dans la matière viennent y apporter leur contingent, afin qu’il soit décidé, une fois pour toutes, quel doit être le personnel, quelle doit être la force de l’armée belge, et que de semblables discussions ne se représentent plus chaque année. Quant à la loi qui nous est soumise en ce moment, elle n’est que la reproduction de celle que nous votons chaque année. Cette loi fixe à 80,000 hommes le maximum du contingent qui peut être mis sur pied, et à 10,000 hommes le contingent appelé cette année ; il serait, je pense, impossible de modifier aujourd’hui le projet du gouvernement, car nous n’irons pas, sans avoir mûrement examiné la question, comme nous serons appelés à le faire sous peu, diminuer le maximum du nombre d’hommes qui peut être appelé sous les drapeaux ; quant au contingent annuel, il est le résultat des lois actuellement en vigueur, qui ne peuvent être changées que par des lois nouvelles. Or, ces lois nouvelles seraient excessivement difficiles, excessivement importantes ; nous pourrons le discuter ultérieurement, si tant est que la nécessité en soit démontrée dans la discussion du budget de la guerre et du projet de loi sur l’organisation de l’armée.

M. Osy. - Je pense, comme l’honorable M. de Brouckere, que le budget de la guerre et le projet de loi sur l’organisation de l’armée devront faire l’objet d’une discussion très approfondie, mais c’est précisément à l’occasion du projet qui nous occupe en ce moment que nous devons jeter les premiers jalons de cette discussion prochaine. D’après les lois actuellement en vigueur, les jeunes gens doivent tirer au sort à l’âge de 18 ans, mais comme il a été reconnu que les jeunes gens de 18 à 19 ans ne sont pas encore aptes au service militaire, le gouvernement, depuis la révolution, ne fait marcher les miliciens que quand ils ont atteint l’âge de 20 ans.

Vous avez donc les deux dernières classes qui ont tiré au sort, mais qui ne font pas le service, de manière que véritablement, en vous demandant 80,000 hommes, vous n’en avez que 60,000 qui soient exercés.

Il me semble en conséquence qu’il y aurait lieu à changer d’abord la loi de la milice, et à ne faire tirer au sort qu’à l’âge de 19 ans. Dans ce système, il n’y aurait qu’une seule classe qui ne serait pas exercée.

Aujourd’hui, les 80,000 hommes sont enrôlés et doivent rester soumis à la milice. Si vous aviez une nouvelle loi, rédigée d’après ce système, vous auriez une classe de moins, et vous pourriez économiser une dépense de 10,000 hommes. Je crois qu’une armée de 60,000 hommes avec un contingent annuel de 7,500 hommes suffirait à tous les besoins. Si je voyais des chances de succès, je proposerais un amendement dans ce sens. Je déclare en outre que si je n’obtiens pas mes apaisements à cet égard, je me verrai force de voter contre la loi.

M. le ministre de la guerre a dit que dans la confédération germanique toutes les puissances font marcher 2 p. c. de leur contingent.

Or, messieurs, vous verrez par le budget de Bavière, qui ne tardera pas à vous être communiqué, que l’armée de la Bavière n’est que de 56,000 hommes. La population de ce royaume est supérieure à celle de la Belgique, et il n’y a dans ce pays que 21,000 hommes sous les armes, tandis que, d’après la déclaration de M. le ministre de la guerre, nous avons toujours en moyenne 30,000 hommes.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) - Messieurs, dans le calcul qu’il a fait du chiffre de l’armée bavaroise, l’honorable préopinant ne tient pas compte de la landwehr. Le soldat bavarois sert d’abord dans l’armée pendant huit ans et puis dans la landwehr, si je ne me trompe, pendant huit ans. Cette landwehr composée de soldats exercés, grossit donc considérablement le chiffre de l’armée bavaroise.

M. Pirson, rapporteur. - Messieurs, lorsqu’il sera question de discuter la loi d’organisation de l’armée, il est à présumer qu’on prendra pour base de la fixation des cadres le contingent à incorporer. C’est dans cette pensée que la section centrale a inséré dans son rapport une réserve, pour ne pas faire préjuger, quant à présent, le chiffre de ce contingent. Comme, d’un autre côté, la loi du contingent n’est valable que pour une année, et qu’il ne paraît pas possible de discuter la loi d’organisation de l’armée, avant le 1er janvier 1844, la section centrale vous propose le maintien du statu quo, jusqu’à la discussion de cette loi.

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et adoptée.

On passe aux articles.

Discussion des articles et vote sur l'ensemble du projet

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Le contingent de l’armée, pour 1844, est fixé au maximum de quatre-vingt mille hommes. »


« Art. 2. Le contingent de la levée de 1844, est fixé à un maximum de dix mille hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1844. »

- Ces articles sont successivement mis aux voix et adoptés sans discussion.


On procède à l’appel nominal pour le vote sur l’ensemble du projet de loi.

En voici le résultat :

79 membres sont présents.

71 répondent oui.

8 répondent non.

1 membre (M. de Garcia) s’abstient.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Angillis, Castiau, Cogels, Coghen, Coppieters, David, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de la Coste, Delfosse, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Saegher, de Sécus , Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn. Lange, Lebeau, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Peeters, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Volxem, Verhaegen, Vilain XIIIJ, Wallaert, Zoude.

Ont répondu non : MM. de Foere, Delehaye, de Meester, de Ron, Jadot, Osy et Verwilghen.

M. de Garcia est invité, aux termes du règlement, à faire connaitre les motifs de son abstention.

Il s’exprime en ces termes :

M. de Garcia. - Je me suis abstenu, parce que, selon moi, les réformes réclamées dans l’organisation de l’armée se lient la révision de la loi sur la milice nationale et de la loi sur la garde civique. Le gouvernement ne vous promet ni l’une ni l’autre de ces révisions. Dans cet état, je crains que lorsque vous voudrez vous occuper du projet de loi relatif à l’organisation de l’armée, l’on ne fasse comme aujourd’hui et qu’on ne repousse vos réformes par des fins de non-recevoir tirées des lois existantes.

Quand vous serez en présence de la loi d’organisation de l’armée, on vous dira, la loi sur la milice nationale détermine telle et telle chose : et comme vous n’êtes pas saisis de la révision de cette loi, vous ne pourrez en sortir. C’est pour ces motifs que je me suis abstenu.

Projet de loi sur le sel

Amendements

M. le président. - L’ordre du jour appelle en second lieu la discussion du projet de loi sur le sel.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, des réclamations se sont élevées contre deux dispositions du projet de loi qui vous a été présenté par mon honorable prédécesseur.

Ce projet a pour but principal de substituer le mode des crédits à terme à celui des crédits permanents et d’affranchir par conséquent les négociants et les sauniers d’une foule de formalités qui les gênent aujourd’hui.

Ce projet, reçu du reste avec une approbation assez générale, n’a, comme je viens de le faire remarquer, suscité des réclamations qu’à l’égard de deux de ses dispositions.

La première était celle qui n’autorisait les arrivages directs que par deux ports de mer ; la seconde était celle qui exemptait de tout droit l’eau de mer ayant une densité de moins de trois degrés.

Mon honorable prédécesseur se proposait de faire droit à la première de ces réclamations, du moins en ce qui concerne le port de Bruges. Dans les amendements qui se trouvaient rédigés au département des finances par son ordre, le port de Bruges était assimilé aux ports d’Ostende et d’Anvers pour recevoir directement les arrivages de sel.

Par suite des réclamations qui sont parvenues et aux chambres et au département des finances, j’ai cru pouvoir accorder les mêmes avantages aux autres ports, en prenant toutefois tant de précautions que les abus deviendront à peu près impossibles.

La section centrale a approuvé cette disposition.

Quant aux réclamations relatives à l’emploi libre de l’eau de mer, la section centrale y avait déjà fait droit ; dans les propositions qu’elle vous a soumises, elle soumet l’eau de mer à un droit uniforme de 20 centimes par hectolitre.

Le travail préparé au département des finances par mon honorable prédécesseur m’a fait connaître que son intention était de se rallier à cette proposition. Moi-même je l’ai reproduite dans les nouveaux amendements que je vous ai présentés.

Cependant, quoique ce droit soit très modéré, des réclamations dans un autre sens sont adressées à la chambre. D’abord, c’était des sauniers de l’intérieur qui réclamaient à cause de la franchise du droit, et maintenant ce sont des sauniers voisins des ports de mer qui se plaignent de ce droit de 20 centimes.

J’ai examiné avec une sérieuse attention les nouvelles réclamations qui sont parvenues à la chambre et au département des finances, j’ai trouvé qu’on pouvait y avoir égard jusqu’à un certain point.

Le droit de 20 centimes est très modéré pour l’eau de mer dont la densité est de 2 à 3 degrés. Ce droit est vraiment au-dessous de celui qui devrait frapper la quantité de sel qui est retirée d’un hectolitre d’eau de mer à cette densité. Mais il m’a paru qu’il ne pouvait être établi une même taxe pour l’eau de mer d’une densité moindre, et l’eau de cette espèce est principalement celle de l’Escaut.

Le droit uniforme serait donc préjudiciable à la ville d’Anvers et aux localités riveraines de l’Escaut, tandis qu’il serait avantageux aux localités qui tirent l’eau de la mer même. J’ai cru qu’il fallait établir un droit gradué, que le droit de 20 centimes pouvait être adopté comme maximum pour l’eau de mer de deux à trois degrés, et qu’il y avait lieu de le réduire à dix centimes pour l’eau de mer de un à deux degrés ; et qu’au-dessous d’un degré, l’eau de mer devait être exempte de tout droit. C’est dans ce sens que j’ai formulé un nouvel amendement. Il ne diffère du projet que vous connaissez tous, qu’en ce qu’il est plus modéré et qu’il atténue le droit sur l’eau de mer au-dessous de deux degrés.

Vous vous rappellerez, messieurs, que dans le premier projet présenté en 1836, l’eau de mer était imposée à un droit uniforme de 50 centimes selon la proposition de M. d’Huart. La section centrale a réduit alors cette accise à 35 centimes ; maintenant je crois que le droit de 20 centimes, que j’atténue encore lorsque l’eau de mer n’atteint pas deux degrés de densité, sera considéré comme très modéré et que cette proposition sera de nature à rallier toutes les opinions.

Je vais donner lecture de l’amendement.

Pour faire mieux comprendre les modifications que je viens d’indiquer, je lirai en même temps les amendements dont la chambre est déjà saisie.

« Nouvel art. 5. § 1er. Il est établi un droit d’accise sur l’eau de mer marquant, à l’aréomètre de Beaumé, un degré jusqu’au-dessous de trois degrés.

« Ce droit est fixé, par hectolitre d’eau de mer :

« De un degré inclusivement à deux degrés exclusivement, à 10 centimes ;

« De deux degrés à trois degrés exclusivement, à 20 centimes.

« L’eau de mer marquant trois degrés ou plus sera considérée comme saumure et imposée selon la densité reconnue, d’après les bases indiquées à l’art. 9.

« §. 2 L’eau de mer ne pourra être puisée que de jour, pour l’usage des raffineurs de sel, et dans le chenal des ports d’Ostende ou de Nieuport, ou dans l’Escaut en-deçà de Lillo. Ceux qui procéderont à cette opération seront porteurs d’une déclaration, préalablement visée par le receveur du bureau d’Ostende, de Nieuport ou de Lillo, laquelle énoncera :

« a. Le nom du voiturier, batelier ou conducteur ;

« b. Les jours et heures auxquels on commencera et ceux auxquels on cessera de puiser l’eau de mer ;

« c. L’endroit où cette opération aura lieu ;

« d. Le mode de transport, avec mention du nombre et de la capacité des barriques, ou du nom du bateau et de la contenance de sa cale de chargement

« e. Le nom et le domicile du raffineur auquel l’eau de mer est destinée.

« Au moment de puiser l’eau de mer, le déclarant en indiquera la densité par mention expresse faite sur cette déclaration.

« § 3. L’accise devra être payée avant que le transport de l’eau de mer puisse commencer. La quittance des droits sera frappée d’un timbre de 25 centimes ; elle indiquera le délai fixé pour sortir du rayon des douanes ou pour se rendre à la raffinerie, lorsqu’elle est établie à Ostende ou à Nieuport, ou dans le territoire réservé à la douane.

« § 4. La capacité pleine de la cale de chargement, d’après le certificat de jaugeage qui en sera délivré, ou celles des barriques, servira de base à l’accise. Les barriques porteront, en chiffres peints à l’huile, l’indication de leur contenance, et les mots eau de mer.

« § 5. Les déclarations ne seront pas admises pour des quantités inférieures à 10 hectolitres. Les fractions de l’hectolitre seront négligées dans la liquidation des droits.

« § 6. Toute communication souterraine ou clandestine, entre les raffineries et les lieux où l’eau de mer peut être puisée, est interdite. Celles qui existeraient seront immédiatement détruites.

« § 7. Aucun établissement pour l’évaporation de l’eau de mer ne pourra être érigé.

« § 8. Les raffineurs de sel qui font usage de l’eau de mer ne peuvent l’employer qu’à la fonte du sel brut ; il leur est interdit de l’évaporer au préalable. Leurs chaudières seront accessibles aux employés. »

Amendements aux articles 10,

« Amendement à l’art. 10, n°3. D’effectuer les pesées au poids uniforme de 100 ou de 50 kilog., au choix du déclarant. »

« Amendement à l’art. 15 § 1er. Dans des circonstances particulières, et sauf révocation en cas d’abus, l’administration pourra autoriser l’existence d’une issue ne donnant pas immédiatement sur la voie publique, pourvu que cette issue soit fermée au moyen d’un cadenas appose par elle. »

« Amendements à introduire dans l’art. 29 par suite du nouvel art. 5. Pour défaut de déclaration dans le cas prévu au § 2 de l’art 5 ; pour inexactitude dans la déclaration faite ; et pour omission des indications requises sur les barriques d’eau de mer, une amende de deux cents francs. »

« Nouveau numéro à placer entre les n° 4 et 5. Pour l’existence d’un conduit souterrain ou d’une communication clandestine avec les lieux où l’eau de mer peut être puisée, une amende de huit cents francs. »

« Au n° 5. Pour évaporation de l’eau de mer et pour l’érection d’un établissement formé à cette fin, une amende de huit cents francs. En outre, dans ce dernier cas, la confiscation des ustensiles, de la saumure et du sel fabriqué ou en cours de fabrication. »

Dans le premier projet, la capacité du bâtiment était prise pour base du droit ; on s’est plaint de cette disposition, on a fait observer que c’était la capacité de la cale qu’on devait prendre. Pour faire droit à cette réclamation, j’ai proposé d’ajouter le huitième paragraphe à l’article.

Proposition d’ajournement

M. Osy. - Je crois que nous serons obligés d’ajourner la discussion du projet de loi sur le sel, parce que le projet présenté aujourd’hui par l’honorable M. Mercier diffère entièrement de celui présenté, il y a quelques mois, par l’honorable M. Smits. En effet, M. Smits ne voulait plus que deux ports d’importation, vous proposez de permettre l’importation par tous les ports. L’honorable M. Smits exemptait l’importation de l’eau de mer en-deçà de Lillo. M. le ministre propose aujourd’hui un nouvel amendement dont nous ne pouvons calculer la portée.

L’honorable M. Vilain XIIII avait demandé qu’on fît une expérience pour savoir combien de degrés a l’eau de mer en-deçà de Lillo. M. le ministre avait promis de fournir une note de ces expériences.

Cette note ne nous a pas été fournie. D’après la loi de 1822, beaucoup de fabriques étaient exemptées du droit sur le sel qu’elles emploient. Je désirerais savoir quelles sont les industries qui jouissent de cette exemption et auxquelles on veut la retirer. Il nous est indispensable d’avoir des renseignements à cet égard. Nous ne pouvons donc continuer maintenant la discussion. Je propose formellement l’ajournement après les vacances.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable préopinant se trompe s’il pense que je suis venu présenter un projet nouveau. Mes propositions sont connues de la chambre depuis un mois, la section centrale a fait son rapport sur ces propositions depuis plus de 15 jours, et si je les ai rappelées, en proposant quelques nouvelles modifications, c’est pour rendre ces modifications plus faciles à saisir.

La chambre a pu prendre connaissance du rapport de la section centrale qui se trouve depuis le 7 décembre entre nos mains. Quant au droit sur l’eau de mer, il y a près d’un an que la chambre est saisie du projet de l’établir. Depuis le 23 mars 1843, la chambre a reçu la proposition de frapper l’eau de mer d’un droit uniforme de 20 centimes l’hectolitre. Cette proposition a été renouvelée il y a un mois, et je ne la modifie maintenant que pour l’atténuer. Voilà le seul changement qu’il y a entre la proposition actuelle et celle qui doit être connue de tous les membres de la chambre.

L’honorable membre parle du tableau des industries qui ne conserveront pas l’exemption de droit dont elles jouissent. Je lui répondrai que l’instruction du projet est accomplie ; la section centrale a demandé tous les renseignements qu’elle a cru nécessaires, elle a fait son rapport depuis le mois de mai dernier ; et ce n’est pas aujourd’hui qu’on peut opposer une fin de non-recevoir pour réclamer de nouveaux renseignements alors qu’on a eu huit mois pour le demander.

Je ne pense pas qu’il y ait lieu d’ajourner la discussion de cette loi ; elle est attendue avec impatience, la loi actuelle présente mille entraves au commerce du sel. La proposition de la loi nouvelle a été reçue avec beaucoup de faveur…

M. de Man d’Attenrode. - C’est une erreur !

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Et je doute que l’honorable membre qui m’interrompt ait suffisamment étudié le projet, puisqu’il prétend le contraire ; et au moment où je soumets à la chambre des propositions qui doivent être favorables à la ville de Louvain, je ne comprends pas que l’opposition me vienne de l’honorable M. de Man. J’entendrai volontiers les observations qu’on peut avoir à faire sur les principes de la loi et je m’efforcerai d’y répondre.

M. Osy. - Je propose l’ajournement à deux ou trois jours pour qu’on puisse nous communiquer les résultats de l’expertise qui a été demandée et faire imprimer les nouveaux amendements proposés ainsi que le tableau des industries auxquelles on se propose d’enlever l’exemption de droit sur le sel qu’elles emploient.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Les propositions que je fais ont précisément pour but de faire droit aux observations de l’honorable M. Vilain XIIII. Cet honorable membre savait que l’eau de l’Escaut n’a pas le même degré de densité que l’eau de mer ; son but était de provoquer une différence de droit suivant la densité de l’eau. J’ai dit que l’eau de l’Escaut n’avait pas trois degrés, elle ne les a jamais ; c’est pourquoi je propose un droit plus modéré. Sans doute, il est toujours permis aux membres du parlement de demander des éclaircissements, mais il est fâcheux qu’au moment de discuter une loi sur laquelle le rapport est fait depuis huit mois, on veuille faire prononcer un ajournement par cette raison qu’on n’a pas un renseignement, qu’on n’a pas songé à demander depuis un an. Au reste, je déposerai sur le bureau la liste des industries qui ont obtenu l’exemption de droit, et qui, en vertu du projet de loi, n’en jouiraient plus. Chacun pourra en prendre connaissance.

L’honorable M. Osy me demande quel est le degré de l’eau de mer, dans l’Escaut en-deçà de Lillo ; elle n’a pas un degré en ce moment à une demi-lieue de Lillo ; elle serait donc exempte de tout droit. Ce qu’il importe de savoir n’est pas le degré de densité de cette eau ; mais à quel degré on doit l’imposer et pour quel motif ; eh bien, on l’impose à 3 et 2 degrés parce qu’elle contient une certaine quantité de sel, que l’on ne doit pas soustraire à l’impôt.

M. Desmet. - Je crois qu’il n’y a pas de motif pour ajourner la discussion de la loi sur le sel. Il faut considérer que tous les sauniers du pays demandent que l’on modifie la loi actuelle. Vous avez des pétitions dans ce sens qui sont venues de toutes les villes du pays : Gand, Malines, Anvers, Alost, etc. Pourquoi est-on pour ainsi dire unanime à demander la révision de la loi sur le sel ? Parce qu’elle est vicieuse, parée qu’elle prête à la fraude, sous beaucoup de rapports. L’observation de l’honorable M. Osy, que l’on n’a pas fait connaître à quel degré l’eau est salée de Calloo à Lillo, n’est pas un motif pour ajourner la discussion. D’abord cette eau n’a pas toujours le même degré. Il n’y a pas de degré normal. Ensuite pourquoi établit-on un droit sur l’eau de mer ? Parce que, passé Lillo, il y a moyen de frauder. C’est pour cela qu’on interdit de prendre de l’eau de mer au-delà de Lillo. Il est constant que l’usage de l’eau de mer est un moyen de fraude. Il y a peu de temps que l’on a trouvé dans une saunerie du sel de mer mélangé avec du sel de roche. Il faut que la loi fasse cesser cet abus. Ce n’est pas un motif pour retarder la discussion de la loi. Je demande qu’elle continue.

M. de Man d’Attenrode renonce à la parole.

M. de Brouckere. - La loi sur le sel est une loi d’une haute importance ; M. le ministre des finances n’en disconviendra pas. Dès lors, il est probable qu’elle donnera lieu à d’assez longues discussions. Je crains que, par suite, la discussion des budgets ne reste en souffrance. Je ne demande pas mieux que la discussion continue, si elle ne doit pas être longue. Mais si elle doit se prolonger, je dis qu’il serait extrêmement fâcheux que cela nous obligeât à voter des crédits provisoires pour plusieurs départements ministériels. C’est à M. le ministre des finances à voir si ce système de crédits provisoires lui convient.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - On a eu égard à toutes ces considérations, lorsqu’on a mis la loi à l’ordre du jour. Nous avons demandé qu’on discutât cette loi d’impôt. On a toujours de grandes difficultés peur en obtenir la discussion. La chambre est toujours portée à la reculer. Plus vous reculerez cette discussion, plus vous aurez de difficulté pour l’obtenir.

M. Cogels. - Ce n’est pas une loi d’impôt que nous discutons ; ce sont des modifications à une loi d’impôt. Dès lors il ne peut y avoir de répugnance à s’en occuper.

Je crois effectivement que la discussion sera assez longue, car d’après les observations qui ont été faites, il y a une foule de réclamations à examiner, et auxquelles il faudra peut-être faire droit.

Quant à ce qu’a dit M. le ministre des finances, que les sauniers d’Ostende ne s’opposent pas aux amendements proposés, je puis me l’expliquer ; car, quelles que soient les mesures que prenne l’administration pour empêcher l’emploi de l’eau de mer, il leur sera toujours facile d’en prendre ; ils l’auront toujours pour ainsi dire sous la main. Pour les empêcher, il faudrait une surveillance, je ne dirai pas de tous les jours, mais de tous les instants, surveillance qui est impossible.

Pour les sauniers plus éloignés de la mer, ce sera plus difficile, on le conçoit aisément.

Il y avait plusieurs industries qui avaient la franchise de droits ; on la leur a retirée, et l’on ne justifie ce retrait ni dans l’expose des motifs, ni dans le rapport de la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - On les donnera dans la discussion.

M. Cogels. - Sans doute ; mais dès lors, comme l’a fait remarquer l’honorable M. de Brouckere, la discussion pourra être très longue, et retarder le vote des budgets. C’est ce qui me déterminera à voter pour la proposition d’ajournement.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne crois pas, quant à moi, que la loi, telle qu’elle est formulée, puisse donner lieu à de longues observations. J’ai la conviction qu’on ne peut y faire des objections, ayant quelque fondement Quant à celle que vient de faire l’honorable M. Cogels, il serait extrêmement déplorable que la possibilité d’une discussion sur une disposition connue depuis un an fût un motif d’ajournement. Nous examinerons les difficultés qui se présenteront ; mais osons les aborder.

- La discussion est close.

La proposition faite par M. Osy, d’ajourner la discussion du projet de loi sur le sel après les vacances de Noël, est mise aux voix et rejetée.

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet de loi.

M. Meeus. - Je me suis chargé de déposer sur le bureau de la chambre une pétition des fabricants de tabac de Bruxelles qui réclament contre la proposition de les priver de l’exemption de droit dont ils jouissent. Je n’ai pas cette pétition, je n’en ai que la copie. Je déposerai la pétition demain. Je prie la chambre de me permettre de déposer la copie (adhésion) ; chacun pourra la lire, on y trouvera réellement des considérations importantes.

M. Donny. - Je me félicite de ce que nous puissions enfin aborder la discussion de la loi sur le sel, de ce que nous nous trouvions sur le point de mettre un terme à l’incertitude qui a pesé depuis si longtemps sur le commerce du sel, incertitude tellement préjudiciable à cette industrie que je préférerais une loi même médiocre, mais votée aujourd’hui, à une loi beaucoup moins imparfaite, mais votée dans un an ou dans deux ans.

Le projet sur lequel la discussion est ouverte nous a été présenté en 1842. Mais au commencement de la présente session, le ministre des finances nous a proposé, sous le titre modeste de sous-amendements des dispositions nouvelles qui modifient profondément ce projet. Quelques-unes de ces modifications sont heureuses ; ce sont de véritables améliorations ; mais d’autres ont un caractère entièrement opposé.

J’applaudis à la disposition par laquelle le ministre des finances conserve le crédit permanent, parce que, selon moi, le régime du crédit permanent est favorable au commerce en gros et à la navigation. Mais je ne puis donner mon approbation à deux autres dispositions, dont je vais maintenant entretenir l’assemblée.

Dans le projet primitif, les débarquements du sel étaient restreints à deux localités seulement. M. le ministre des finances propose de supprimer cette disposition et de permettre le débarquement dans l’intérieur du pays. C’est là, selon moi, substituer une disposition évidemment mauvaise, à une disposition évidemment bonne.

M. de La Coste. - Je demande la parole.

M. Donny. - Car il doit être évident pour tout le monde que l’administration a plus de facilité pour surveiller la fraude, lorsque la quantité de sel importé est constatée au moment de l’arrivée des navires dans le pays, et lorsque cette administration n’a de surveillance à exercer que sur deux ports de débarquement. Il doit encore être évident pour tout le monde que le fraudeur a plus de facilité pour exercer sa coupable industrie, lorsqu’il peut faire entrer le sel dans l’intérieur du pays, lorsqu’il lui est permis de débarquer là où il peut le mieux opérer pour faire la fraude.

Je sais qu’on vous propose des précautions, mais en présence de l’appât immense que le sel offre à la fraude, que sont ces précautions ; n’est-ce le plombage des écoutilles, le convoyage par 2 ou 3 employés ? En théorie, ce sont des obstacles immenses ; mais en pratique, ils cessent de l’être. L’expérience ne l’a que trop prouvé.

La deuxième disposition à laquelle je ne puis donner mon approbation, c’est celle par laquelle M. le ministre imposerait l’eau de mer. La première fois que j’ai entendu parler d’un impôt sur l’eau de mer, ma surprise a été extrême, parce que je voyais autour de moi une foule de faits complètement inconciliables avec l’idée d’un bénéfice quelque peu important obtenu au moyen de l’eau de mer.

Sous le régime français, l’usage de l’eau de mer était libre. Cependant, on doit convenir que l’administration française s’entendait en impôts, en sel et en eau de mer, puisque dans ce pays il y a production de sel et production que l’administration doit surveiller.

Sous le régime des Pays-Bas, l’usage de l’eau de mer était encore libre. Et cependant, messieurs, vous savez combien de fois on a reproché à cette administration, et dans cette enceinte et au dehors, son excessive sévérité.

De deux choses l’une : ou ces grands bénéfices qu’on s’imagine résulter de l’emploi de l’eau de mer sont une chimère, ou les deux administrations dont je viens de parler n’entendaient rien à leurs affaires et négligeaient les intérêts du fisc.

Messieurs, dans la ville de Gand il y a des sauniers qui font usage de l’eau de mer ; mais il y en a d’autres qui n’en emploient pas. Le même fait se reproduit à Bruxelles ; il se reproduit à Anvers et peut-être encore dans d’autres localités. Mais, encore une fois, ici de deux choses l’une : ou ces grands avantages qu’on croit résulter de l’emploi de l’eau de mer, sont une chimère, ou il faut reconnaître que la moitié des fabricants de Gand, de Bruxelles et d’Anvers n’entendent rien à leurs intérêts, puisqu’ils négligent un moyen de concurrence aussi important que celui-là, dans la lutte si active que l’on remarque dans chaque industrie.

Jadis, messieurs, il existait dans le port d’Ostende sept sauneries, et toutes, remarquez-le bien, faisaient usage de l’eau de mer. Aujourd’hui, messieurs, il n’en existe plus que trois ; toutes les autres ont cessé leurs travaux ; plusieurs sont démolies.

Si l’eau de mer donnait un bénéfice aussi grand qu’on le dit, c’est certainement bien dans le port d’Ostende que ses avantages devraient être remarquables, et je viens de vous dire quel est l’état de cette industrie dans ce port.

Ce n’est pas tout. Deux de ces sept sauneries se trouvaient en dehors de la ville, le long du chenal du port, précisément vis-à-vis l’endroit où les sauniers de Bruges et de Gand vont aujourd’hui puiser l’eau de mer qu’ils emploient dans leurs fabriques. Ces usines avaient des pompes qui plongeaient dans le chenal ; elles se procuraient de l’eau de mer sans frais, sans la moindre difficulté ; on n’avait qu’à pomper et l’eau de mer tombait dans les citernes et dans les chaudières.

Ces deux établissements avaient encore beaucoup d’autres éléments de prospérité. Ils étaient en dehors du rayon de l’octroi et ne payaient dès lors aucune taxe municipale sur le combustible qu’ils employaient, De plus ils communiquaient avec l’intérieur du pays par une chaussée qui passait devant leur porte, et par un canal qui passait à côté de la chaussée.

Il y avait donc là tous les éléments de prospérité et si l’eau de mer avait donné tant de bénéfices qu’on veut bien le supposer, ces établissements devaient prospérer, ils devaient se trouver dans un état florissant. Or qu’est-il arrivé ? L’une de ces usines, après avoir été pendant de longues années, présentée infructueusement en location, après avoir été présentée infructueusement en vente, a fini par être démolie ; et quant à l’autre, après avoir été tout aussi longtemps en inactivité, après avoir été présentée en vente et en location sans trouver d’amateur, elle vient tout récemment d’être vendue, et à quel prix ? Elle vient d’être vendue à un simple ouvrier au prix de 9,000 fr., payables en neuf années par paiements annuels de 1,000 fr. à la fois.

Mais où donc a-t-on été chercher cette idée que l’eau de mer donnait de si grands avantages ? Messieurs, quand on examine tout ce qui s’est passé, quand on lit toutes les pièces qui nous ont été distribuées, on en vient à cette conclusion : que l’idée de ces grands bénéfices est simplement le résultat de deux pétitions, présentées à la législature, l’une par la chambre de commerce d’Ypres, et l’autre par la chambre de commerce de Courtray. Voilà, messieurs, la seule source où l’on a puisé cette idée.

M. Zoude. - Nous avons reçu plus de 80 pétitions.

M. Donny. - Les autres ne nous ont pas été communiquées ; celles-ci sont probablement les principales, puisqu’on nous en a donné copie.

Messieurs, il suffit de jeter un coup d’œil sur ces pétitions et d’être un peu au courant de l’état des choses pour voir qu’elles ne méritent pas l’attention qu’on y a attachée.

Et d’abord, je vais prendre la pétition d’Ypres. La chambre de commerce d’Ypres part de l’hypothèse (qu’elle considère, elle, comme un fait constant), que l’on consomme par tête en Belgique sept kilog. de sel annuellement ; partant de cette base, bien certainement exagérée, selon moi, elle calcule qu’une quantité immense de sel doit être soustraite à l’impôt, et parmi les moyens de soustraire le sel à l’impôt, elle signale l’emploi de l’eau de mer.

Elle vous cite un seul fait, à l’appui de cette opinion, et ce fait, le voici : le sel de roche, dit-elle, coûte 4 centimes et demi par kilog. ; le droit à payer sur le kilog. de sel s’élève à 17 centimes et une fraction, et enfin les frais de fabrication sont de 3 centimes et demi, total, 25 centimes et demi. Or, ajoute-t-elle, les sauniers d’Ostende sont venu, présenter le sel raffiné à raison de 24 centimes et demi le kilog., c’est-à-dire, à un centime de moins que le prix de revient.

Messieurs, le reproche serait grave s’il était fondé, mais il ne l’est pas. Il y a dans le raisonnement de la chambre de commerce d’Ypres un petit défaut. Au lieu de faire le compte des fabricants d’Ypres dont elle peut plus ou moins connaître la manière de travailler, la chambre s’est avisée de faire le compte des fabricants d’Ostende qui lui sont complètement étrangers, et dans ce compte elle a erré.

Je suis autorisé, messieurs, à donner de la publicité aux chiffres suivants, qui sont le prix de revient du sel dans la ville d’Ostende, prix de revient qu’on me dit pouvoir justifier par des bilans réguliers de 1831 à 1843.

Le sel de roche, à l’époque dont parle la chambre de commerce d’Ypres, se vendait à Ostende aux sauniers à raison, de fr. 3 40 les cent kilog. Les droits étaient de fr. 17 65. Les frais de fabrication de fr. 2 50. Le prix de revient s’élevait donc à fr. 23 53. ; et dès lors il n’est pas étonnant qu’on ait pu offrir de vendre ce sel à 24 fr. 50. C’était un franc de bénéfice sur 100 kilog. de sel. La chambre de commerce d’Ypres s’est trompée d’un centime par kilogramme sur le prix d’achat, et d’un centime encore sur les frais de fabrication.

J’en viens maintenant à la pétition de Courtrai. La chambre de commerce de cette ville s’appuie sur deux faits : le premier, c’est qu’il y avait autrefois à Courtrai six sauneries et qu’aujourd’hui ces 6 usines sont réduites à deux ; et de là, cette chambre de commerce conclut que la cause de la décadence de cette fabrication dans la ville de Courtrai provient de l’usage de l’eau de mer à Ostende, à Bruges et à Gand. Mais, messieurs, il suffit, pour faire tomber ce raisonnement, de se rappeler le fait que je viens d’avoir l’honneur de vous signaler : Qu’à Ostende, sur 7 usines, il n’y en a plus que 3 en activité, fait qui doit probablement s’être reproduit à Gand et à Bruges. Je n’ai pas le moindre doute à cet égard. J’ajouterai que les trois usines qui sont encore en activité aujourd’hui, ont réduit la capacité de leurs chaudières à la moitié de ce qu’elles étaient autrefois. Et, veuillez le remarquer, ce sont là des faits incontestables, qui peut-être ne sont pas à la connaissance personnelle de M. le ministre des finances, mais qui sont à la connaissance de son administration, et qui ont dû être constatés par elle.

Ainsi dans le port d’Ostende, réduction du nombre des usines de 7 à 3 ; réduction des chaudières de ces usines à la moitié de leur capacité.

Vous voyez donc que la réduction de cette fabrication, à Courtray, ne doit pas être imputée à l’emploi de l’eau de mer dans quelques autres localités, puisque, malgré cet emploi, il y a eu déclin de la fabrication dans le port d’Ostende autant et même peut-être plus qu’ailleurs.

Le second fait sur lequel se base la chambre de commerce de Courtray, est tout aussi peu fondé et tout aussi facile à renverser. Ce fait, le voici : Un hectolitre d’eau de mer, dit-elle, à trois degrés de densité, donne 3 kil. 30 de sel, et les sauniers d’Ostende, de Bruges et de Gand, dit-elle encore, font usage de l’eau de mer à 3 degrés. Il résulterait de là que ces sauniers ferait un bénéfice qui, d’après les calculs de la chambre de commerce de Courtray, calculs qui pourraient être exacts, si l’on admettait la base, s’élève à 10 p. c.

Messieurs, je regrette beaucoup pour la localité que j’ai l’honneur de représenter dans cette enceinte, que ces calculs ne soient pas vrais. Car pendant de longues années les sauniers d’Ostende auraient fait un bénéfice supérieur de 10 p.c. à celui des sauniers de l’intérieur du pays, et au lieu de cesser leurs travaux, ils se trouveraient tous dans une position prospère, à la tête d’une fortune considérable. Mais la chambre de commerce de Courtray s’est doublement trompée. D’abord c’est une erreur de croire que l’on emploie dans les usines des trois villes que je viens de citer de l’eau de mer à 3 degrés de densité. Il faudrait aller en pleine mer pour en trouver de cette force, tandis que l’eau de mer est puisée par les sauniers d’Ostende dans ce qu’on appelle le quai des Pêcheurs, c’est-à-dire dans un endroit qui sert d’écoulement aux eaux douces ou saumâtres qui se trouvent dans les fortifications et qui se mêlent à l’eau de mer ; de telle manière que, dans l’endroit où les pompes se trouvent placées, il n’y a plus qu’un simple mélange d’eau douce et d’eau salée.

Quant aux sauniers de Bruges et de Gand, ils vont chercher l’eau de mer non pas dans le port proprement dit, mais dans l’arrière-port, dans une partie qui est assez souvent séparée de la mer, et où celle-ci ne monte pas nécessairement à chaque marée.

Dans ce même chenal les eaux douces du canal de Bruges s’écoulent, lorsqu’on baisse le niveau de ce canal et les eaux douces des poldres qui environnent ces localités, s’y déversent également par le Noord Eede. Il n’y a donc encore là qu’un mélange d’eau douce et d’eau de mer, qui, bien loin d’avoir 3 degrés, n’en a pas même 2, et souvent moins encore.

Une deuxième erreur de la chambre de commerce de Courtray, c’est d’attribuer à l’eau de mer à trois degrés une production de 3 kilog. et 30 décagrammes de sel par hectolitre. Il est bien loin, messieurs, d’en être ainsi ; la chambre de commerce de Courtray ne s’est pas donné la peine de citer les autorités sur lesquelles elle basait son assertion. En vous donnant des chiffres plus exacts, je vais être plus conséquent qu’elle : je citerai le chimiste le plus célèbre non seulement de l’Europe, mais peut-être du monde entier ; je citerai Berzelius.

Mais auparavant je dois vous dire que, dans la Manche et dans l’Océan, le maximum de densité de l’eau est des 3 1/2 4 degrés ; que dans la Méditerranée la densité dépasse 4 degrés et que dans d’autres parties de l’Océan, sous l’équateur, par exemple (dont à la vérité nous n’avons que faire ici), elle s’élève encore davantage. Quant à l’eau de mer qui est à notre portée, le maximum de sa densité peut être évalué à 4 degrés. Cela posé, voici, messieurs, comment s’exprime Berzelius, lorsqu’il rend compte de la composition de l’eau de mer.

« Elle (l’eau de mer) tient en dissolution des sels dont la quantité s’élève à 3 2/5 jusqu’à 4 p.c. du poids de l’eau, et dont le sel commun fait la plus grande partie, quoiqu’il ne s’élève jamais à plus de 2 2/3 p. c. du poids de l’eau. Les autres sels consistent en chlorure calcique, chlorure magnésique et sulfate sodique. »

Ainsi, messieurs, d’après l’opinion de Berzelius, l’eau de mer qui se trouve à notre portée, prise au maximum de densité (à 4 degrés) ne donne pas plus de 2 2/3 p. c. de sel marin. Vous voyez qu’il y a loin de l’opinion de Berzelius à celle de la chambre de commerce de Courtray, qui attribue à l’eau de mer de 3 degrés seulement de densité un produit de 3 2/5 kilog. de sel.

Après avoir combattu les exagérations qui se trouvent dans les pétitions de Courtray et d’Ypres, il me reste, messieurs, à exprimer mon opinion personnelle sur la question. En théorie, il est hors de doute que, puisque l’eau de mer contient du sel marin, chaque fois qu’on emploie l’eau de mer, fût-ce en quantité minime, il faut qu’il y ait production de ce sel, et si cette production pouvait être obtenue sans frais il est encore hors de doute que le fabricant ferait un bénéfice en employant l’eau de mer. Mais, messieurs, dans la pratique, il n’en est pas ainsi : On ne peut employer l’eau de mer que moyennant d’en payer des frais de transport ; on doit peut-être aussi, à cause du sol que cette eau contient, augmenter la quantité de combustible dont on se sert dans la fabrication. En résumé la quantité de sel que contient l’eau de mer est si faible et les frais sont comparativement si élevés que l’on peut dire qu’il y a compensation, ou, au moins, qu’il n’y a qu’une différence insignifiante entre le profit que l’on peut faire et les dépenses nécessaire, pour obtenir ce profit. Je pense donc, messieurs, qu’en principe l’eau de mer ne doit point être imposée.

Si c’était là la seule question que nous eussions à résoudre, je n’hésiterais pas un instant à voter dans ce sens ; mais depuis l’amendement que M. le ministre a déposé il n’y a qu’un instant, il se présente une autre question et celle-là m’arrête, celle-là me jette dans un certain embarras. Il faut, en effet, ou bien risquer de subir l’impôt de 20 c., proposé antérieurement, ou bien adopter l’amendement nouveau qui introduit un impôt beaucoup plus juste, beaucoup plus rationnel, puisqu’il s’élève ou s’abaisse suivant le plus ou moins de densité de l’eau de mer. Dans cette position j’écouterai la suite de la discussion et pour le moment je me réserverai mon vote.

M. Rodenbach. - Messieurs, lorsque j’avais demandé la parole, c’était pour présenter une observation sur la motion de l’honorable M. Osy. Je ne comptais pas prendre part à la discussion générale, mais puisque M. le président m’a inscrit, je vais tâcher de répondre quelques mots à l’honorable préopinant.

L’honorable député d’Ostende nous a dit que l’emploi de l’eau de mer ne présente point d’avantage, ou ne présente qu’un avantage insignifiant ; et, à l’appui de cette assertion, il nous a dit que le nombre des salines avait diminué à Ostende. Si le nombre des salines a diminué à Ostende, c’est, messieurs, parce qu’autrefois Ostende faisait des exportations et qu’elle n’en fait plus maintenant. Ce qui est certain, c’est que depuis que l’on fait usage de l’eau de mer à Ostende et surtout à Bruges, où le nombre des salines est plus grand...

M. Maertens. - Il n’en reste plus que cinq ; il y en a eu huit, mais trois sont tombées.

M. Rodenbach. - Je dis que depuis que les sauniers d’Ostende et de Bruges font usage de l’eau de mer, il n’est plus aucune localité qui puisse conserver ses salines, parce que la concurrence d’Ostende et de Bruges écrase tout. Ainsi à Thourout, il n’y a plus de salines, Dixmude a également vu tomber les siennes ; à Roulers, il y en avait trois ; elles sont anéanties.

Je pourrais ainsi faire le tour de toute la province et vous montrer les fâcheux effets de la concurrence des salines d’Ostende et de Bruges qui ne doivent leurs avantages qu’à l’emploi de l’eau de mer. On m’a dit qu’à Courtray le nombre des salines a aussi diminué, je crois que le fait est exact, les honorables députés de cette localité pourront nous donner des renseignements à cet égard. Il y avait de salines à Warneton, il n’y en a plus il y en avait à Poperinghe, il n’y en a plus ; il y en avait dans toutes les petites villes de la Flandre ; eh bien, tout cela n’existe plus, tout cela est anéanti par suite de l’emploi de l’eau de mer et aussi par suite de la fraude qui se faisait à Anvers et à Ostende.

L’honorable M. Donny dit que l’eau de mer présente de très faibles avantages, mais alors je ne connais pas pourquoi il attache tant d’importance à cette question. L’honorable membre dit que l’eau de mer dont on se sert à Ostende, est mélangée d’eau douce, qu’elle n’a pas un degré ; eh bien, s’il en est ainsi, l’honorable député d’Ostende doit être satisfait, puisque d’après l’amendement de M. le ministre des finances, l’eau de mer ayant moins d’un degré ne payera rien.

L’honorable membre aurait voulu aussi que les ports d’Ostende et d’Anvers puissent seuls recevoir le sel brut, à l’exclusion de Bruges, de Gand, de Louvain et des autres villes. Je conçois que l’honorable député d’Ostende trouve cela avantageux, mais je ne pense pas que les députés des localités qu’il voudrait déposséder partagent son opinion.

Quant à l’emploi de l’eau de mer, je crois, avec le rapport de la section centrale, que 3 hectolitres d’eau de mer à 3 degrés produisent 9 kilog. de sel ; or, le droit étant de 18 centimes, cela fait un avantage de 1 fr. 62 centimes. Je dis que c’est là un avantage considérable.

Je bornerai là, messieurs, mes observations, sauf à reprendre la parole, si d’autres membres soutiennent encore que l’eau de mer ne doit pas être imposée.

M. Zoude, rapporteur. - Je crois, messieurs, que la section centrale se ralliera à l’amendement proposé par M. le ministre des finances ; ce que la section centrale a voulu, c’est que le sel payât le droit établi par la loi, soit qu’il se présente sous la forme d’eau de mer, soit qu’il se présente sous la forme de sel ; elle peut donc se rallier à l’amendement de M. le ministre, pourvu que celui-ci exécute fidèlement l’engagement qu’il a pris de réprimer la fraude avec la plus grande sévérité. Il faut surtout que l’on fasse cesser la tolérance, en ce qui concerne le poids, qui a été admise et qui dans certaines localités est allée jusqu’à établir une différence de 10 à 12 francs. C’est là un abus qu’on ne saurait réprimer avec assez de sévérité ; l’employé qui accorde plus que la loi ne lui permet d’accorder, manque à ses devoirs et doit être puni.

L’honorable M. Donny a dit qu’il n’y a que deux pétitions dans lesquelles on signale l’emploi de l’eau de mer ; je répondrai à l’honorable membre qu’il en est plus de 80, nous ne les avons pas toutes publiées, parce que cela aurait formé un volume, nous nous sommes bornés à faire imprimer celles de Courtray et d’Ypres qui nous paraissaient les plus importantes.

L’honorable député d’Ostende a invoqué l’opinion de Berzelius, en ce qui concerne la composition de l’eau de mer. Mais, messieurs, nous avons possédé le professeur Van Mons, à qui Lavoisier écrivait : Si la chimie n’existait pas, vous l’auriez inventée, ce sont les élèves de Van Mons qui ont constaté que l’eau de mer à 3 degrés, donne par hectolitre 3 kilog. de sel et je pense que les élèves de Van Mons méritent toute confiance.

M. le président. - Je ne puis m’empêcher de faire observer que toute la discussion a roulé jusqu’à présent sur la seule question de savoir si l’on imposera l’eau de mer. J’engage les orateurs à présenter des observations d’une nature générale, plutôt que de s’attacher à une discussion qui reviendra nécessairement à l’art 5.

M. Mast de Vries. - J’aurais été heureux, messieurs, de pouvoir donner un vote approbatif au projet qui nous occupe, mais il renferme dans les articles 4 et 5 deux dispositions qu’il m’est impossible d’admettre. L’art. 4 donne au gouvernement la faculté d’exempter le sel destiné à la pêche et à celui qui est employé dans la fabrication du sulfate de soude. Si l’on n’accorde que ces deux exemptions, on porte une atteinte grave aux intérêts d’une foule d’autres industries qui réclament à juste titre le maintien des exemptions dont elles jouissent actuellement. Cette disposition frappe précisément les industries qui sont le plus en rapport avec le peuple, par exemple, la fabrication des tabacs, qui forment un objet de consommation pour ainsi dire exclusivement à l’usage des classes pauvres.

La fabrication du savon est également frappée par la disposition que je combats ; or, le savon est encore un objet de première nécessité. Il y a encore les tanneries qui sont en grand nombre dans nos localités et dans tout le pays ; cette industrie a également besoin d’une certaine quantité de sel, elle jouit aujourd’hui de l’exemption et si vous lui enlevez cette exemption, vous porterez une atteinte grave à ses intérêts.

Ne croyez pas, messieurs, que ces exemptions puissent donner lieu à la fraude : le sel qui jouit de l’exemption est mélangé par les employés, avec d’autres matières qui le rendent complètement impropre à être raffiné.

Je crois, messieurs, devoir dire un mot relativement à l’eau de mer ; je ne m’étendrai pas longuement sur ce point. Quel que soit l’impôt dont on frappe l’eau de mer, cet impôt équivaudra à la prohibition, et ce fait ne sera pas seulement déplorable pour les salines, il le sera encore sous un autre rapport.

Je ne sais pas ce qui se passe dans le port d’Ostende, mais dans les bouches de l’Escaut, le commerce de l’eau de mer se fait aujourd’hui par onze navires, auxquels il a fallu faire pour 12 à 1,500 fr. de frais, afin de les approprier à ce commerce. Si vous imposez l’eau de mer, ces navires ne pourront plus servir à rien. On dira peut-être qu’ils pourront être employés à la navigation intérieure ; mais, messieurs, d’abord il faudrait pour cela y faire de grands changements ; ensuite, vous savez qu’il n’existe plus de navigation intérieure ; le chemin de fer enlève aujourd’hui toutes les marchandises qu’il y a à transporter. Il y a déjà trop de navires pour la navigation intérieure, que voulez-vous donc que l’on fasse de ceux qui viendraient encore en augmenter le nombre ? Les propriétaires de ces navires seront complètement ruinés. C’est là un motif qui me paraît suffisant pour que le gouvernement ne soutienne pas l’impôt qu’il a propose d’établir sur l’eau de mer.

On a dit que l’eau de mer pesait 3 degrés ; eh bien, messieurs, j’ai pesé celle que l’on emploie chez nous, et je puis vous assurer qu’elle ne pèse pas 1 degré et 1/2.

Je vais vous dire la statistique de ces dix navires. Ils font chacun 50 voyages par année, ensemble 500 voyages. La capacité de chaque navire est en moyenne de 250 à 300 hectolitres. Voilà donc l’eau de mer qui est importée.

Veuillez remarquer, messieurs, qu’il faut continuellement employer les bateliers pour les avoir aux moments propices, et que dès lors la densité de l’eau de mer ne va en moyenne que d’un degré et demi à deux degrés.

La localité que j’habite est dans le voisinage d’Anvers. Avant que ces 250 à 300 hectolitres d’eau de mer ne soient rendus dans l’usine, il en coûte aux sauniers de cette localité 50 fr. Ils paient. 36 à 40 fr. au batelier, et il en coûte 10 fr pour introduire l’eau de mer dans l’usine.

En présence de ces circonstances, je demande quels sont les si grands bénéfices que peuvent faire les sauniers qui emploient l’eau de mer.

L’honorable M. Donny vous a déjà dit que plusieurs salines qui employaient l’eau de mer avaient déjà cessé d’exister. Je crois qu’il en est plusieurs à Anvers dans ce cas. Certes, les industriels d’Anvers, si heureusement placés pour se procurer l’eau de mer, devraient, surtout en présence des calculs qui nous font consommer à chacun 8 à 10 kilog. de sel par an, s’enrichir en peu de temps. Eh bien ! une chose singulière, c’est que Lierre et Malines fournissent beaucoup de sel à Anvers. Comment cela aurait-il lieu, si les sauniers d’Anvers faisaient de si brillantes affaires ?

Dira-t-on que la fraude se pratique dans nos environs ? Croirez-vous bonnement qu’on fraude plusieurs centaines de navires de sel, que, comme le disait l’honorable M. Zoude dans une autre discussion, on fraude la moitié du sel qui se consomme ? Mais, une pareille assertion se réfute par son exagération.

Je ne viens pas soutenir, messieurs, que l’eau de mer n’est d’aucune utilité poux les sauniers ; elle leur sert, mais c’est pour faire certaines qualités de sel, pour lesquelles elle est indispensable.

Messieurs, on cherche continuellement à augmenter le prix du sel, et je vais vous dire où vous en arrivez avec ce système.

En Hollande, on est encore sous le régime de la loi de 1822 ; le sel y paie 17 francs 42 centimes les 100 kil. Eh bien ! par la convention que vous avez faite avec la France en juillet 1842, vous avez majoré ici le sel de toute la différence que vous accordiez pour le raffinage ; c’est-à-dire, de 6 à 7 p. c.

Aujourd’hui vous voulez encore augmenter le prix du sel. J’entends toujours demander, au nom des principes philanthropiques, que l’on diminue le prix du sel, et vous le majorez continuellement.

Autrefois, dans la partie de la province d’Anvers qui est limitrophe de la Hollande, nos sauniers faisaient un commerce interlope considérable avec ce pays. Mais par suite des mesures que vous avez prises, le sel coûte 8 à 9 p. c. plus cher en Belgique. ; aussi, ce commerce est devenu impossible. Qu’en résulte-t-il ? c’est que des établissements qui s’étaient vendus, il y a quelques années, 30,000 fr., se vendent aujourd’hui 15 et 12 mille francs.

On parle des avantages que nous procure le voisinage de la mer, mais que penserait-on, si nous venions dire à ceux qui nous font cette objection : Vous avez chez vous, les uns, le charbon, les autres, le fer ; il faut imposer dans la partie du pays que vous habitez le charbon et le fer, pour établir un système d’égalité en fait d’industrie.

Je ne pourrai donc, messieurs, donner mon assentiment, même à l’amendement que vient de vous proposer M. le ministre des finances ; car toute imposition de l’eau de mer est une imposition prohibitive. Si cette proposition était adoptée, je devrais refuser mon vote à la loi, malgré tous les regrets que j’en éprouverais ; car il est dans le projet des dispositions que je trouve excellentes et que je voudrais voir adopter.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, j’ai à remercier M. le ministre des finances d’avoir renoncé au moins partiellement au projet de son prédécesseur et d’avoir reconnu que le régime actuel est loin d’accuser une insuffisance, c’est-à-dire que la tolérance des ports d’arrivages existant pour le sel brut ne compromet pas les intérêts du trésor, et que, s’il existe encore quelques parties livrées à la consommation sans acquittement de l’accise, cela ne peut s’attribuer qu’à l’emploi de l’eau de mer et à l’abus des exemptions et des déductions accordées.

Un honorable député d’un port de mer ne paraît pas de cet avis ; qu’est-ce qu’un plombage ? Qu’est-ce qu’un convoyage, s’est-il écrié ? Et attribuant sans doute la fraude aux trop nombreux ports d’arrivage, il voudrait sans doute réserver l’arrivage du sel au seul port d’Ostende, car le sel n’arrive à Anvers qu’au moyen d’un convoyage de plusieurs lieues, et il y aurait ainsi convenance de lui retirer cet avantage dans cette hypothèse.

M. le ministre nous a déclaré que les arrivages dans nos ports intérieurs ne facilitaient pas la fraude, j’aime à prendre acte de ces paroles, et je le félicite de sa franchise.

Je vous avoue, messieurs, que je ne conçois pas le but de ce projet de loi, je n’y vois qu’un avantage de peu d’importance, c’est-à-dire une plus grande liberté d’action pour le commerce des sauniers, avantage qu’ils achètent par un droit sur l’eau de mer.

Quant aux intérêts d’une importance bien majeure, je ne suis pas sans crainte pour la fraude extérieure, et j’ai d’autant plus lieu de la craindre, qu’ayant consulté des personnes qui s’occupent du raffinage du sel, ces personnes m’ont déclaré qu’elles préféraient le régime existant à celui qu’on veut introduire, malgré toutes les facilités qu’il leur offre ; et cela à cause de la fraude étrangère, dont ils craignent d’être les victimes.

En effet, une valeur de 6 à 7 fr. est imposée à 18 fr. C’est là un droit élevé, qui fournit des éléments très séduisants pour la fraude, fraude qu’on ne peut réprimer, selon moi, que par le régime actuel. Avec celui qu’on nous propose, il suffira de traverser une zone de deux lieues au plus pour que le sel étranger pusse circuler librement dans le pays, et notez que le gouvernement hollandais accorde remise des droits aux sels qui sont destinés à la sortie.

M. le ministre déclare que l’emploi de l’eau de mer, et l’abus des exemptions et des déductions accordées, sont à peu près les seules quantiles livrées, à la consommation sans acquittement de l’accise ; si ce sont là les seuls éléments de fraude, qu’on prenne des mesures pour les faire disparaître, je m’y associerai si cela est exact ; mais qu’on ne nous propose pas un projet qui, je le crains, provoquera une fraude beaucoup plus sérieuse. C’est donc en vue de la défense du trésor que je me verrai obligé de refuser mon assentiment au projet de loi, si je n’obtiens pas l’assurance bien formelle, que la fraude étrangère sera impossible, comme elle l’est aujourd’hui.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, l’amendement que j’ai proposé relativement à l’eau de mer, entraîne quelques légères modifications à l’article qui concerne les pénalités. Je déposerai également ces amendements sur le bureau pour les faire imprimer.

Je répondrai plus tard à diverses observations qui ont été faites, et entre autres à celles que vient de présenter l’honorable M. de Man. Je pourrai cependant dire dès maintenant quelques mots relativement à cette dernière.

L’honorable membre croit que le nouveau système donnera lieu à des importations frauduleuses. Certes, si j’avais cette crainte, je n’adopterais pas un pareil système, je ne voudrais pas le proposer. Mais je ferai remarquer que si aujourd’hui on parvenait à traverser le rayon de douane avec du sel, sans qu’il eût été saisi dans le rayon, la fraude serait bien facile à compléter, dès que l’on aurait pénétré dans l’intérieur. De manière que sous ce rapport l’état de choses existant se modifie bien faiblement.

M. de La Coste. - Messieurs, tout en réservant mon opinion définitive sur le projet de loi en discussion, je suis assez disposé à lui donner mon assentiment, comme améliorant sous quelques rapports le régime de la loi actuelle, comme ne reproduisant plus certaines dispositions du projet primitif ; que j’aurais été forcé de combattre, enfin comme une épreuve que nous pouvons tenter et sur laquelle nous pourrons revenir.

Messieurs, dans l’examen de cette loi, il se présente plusieurs points qui ont déjà été traités par différents orateurs et sur lesquels je ne m’appesantirai pas, mais dont je dirai cependant quelques mots.

Il y a la question d’eau de mer sur laquelle je suspends encore mon opinion. Cependant ce que j’ai entendu de la part même des honorables membres qui s’opposent à l’introduction de la mesure proposée à cet égard, a fait naître dans mon esprit des objections dont je leur demanderai la solution. Je pense qu’en faveur du commerce loyal, en faveur de l’industrie en général, aussi bien que du trésor de l’Etat, nous devons désirer que toute fraude disparaisse autant que possible ; nous devons donc désirer, car ceci revient au même, que la matière imposable soit atteinte partout où elle se trouve. Devons-nous maintenant admettre que l’eau de mer ne contient pas de matière imposable, au moins dans un degré qui ait quelque importance ? On a présenté, il est vrai, son emploi comme nécessaire à la perfection des produits et comme n’ayant qu’une très faible influence sur la quantité obtenue. Mais si cet emploi était requis pour obtenir des produits qui eussent les qualités voulues, cet emploi serait général ; cela n’étant point, si l’usage de l’eau de mer n’augmentait pas très sensiblement la quantité de matière imposable, je ne vois pas dans quel intérêt on aurait équipé à grands frais huit bâtiments pour le transport de cette eau. Quoiqu’il en soit, messieurs, s’il résulte de l’examen et de la discussion des amendements proposés par M. le ministre des finances que cet avantage est tellement insignifiant qu’il ne vaut pas la peine de s’en occuper, ce qui ne me paraît pas d’accord avec les faits que je viens de rappeler, ou que les propositions de M. le ministre tendent à charger l’eau de mer hors de mesure, d’une manière hors de proportion avec la quantité de matière imposable qu’elle contient, je ne me rallierai pas à ces propositions. Je suspends donc ma résolution.

J’attache une juste importance aux observations présentées par un honorable député de Louvain, relativement à la libre circulation du sel. La responsabilité que prend à cet égard M. le ministre des finances me rassure, il est vrai, mais j’espère que les explications que j’attends encore de lui feront cesser toute inquiétude relativement à la fraude qui pourrait en résulter. J’ai entendu manifester la crainte lors de la présentation du projet de son prédécesseur, que l’abolition des documents ne facilite beaucoup l’infiltration du sel raffiné du côté de Maestricht. Je désire que cette objection soit entièrement levée.

Quant à l’idée qu’avait le précédent ministre de réduire le nombre des ports d’importation à deux, je ne puis partager l’opinion de l’honorable député d’Ostende qui regarde le changement apporté au projet par le ministre actuel, comme détériorant le système de la loi. On a dit qu’en concentrant la surveillance sur un ou deux points, on la rendrait plus efficace.

Il est vrai qu’au premier abord cette idée paraît assez plausible, cependant, je crois que les faits la démentent.

Si vous concentrez les arrivages sur un point et que la corruption s’introduise sur ce point dans le service, je dis corruption, malheureusement, dans cette matière on en a vu des exemples, mais je supposerai seulement la négligence, si elle s’introduit dans le service là où vous aurez concentré les arrivages, au lieu d’avoir assuré la surveillance vous l’aurez détruite. Plusieurs faits m’engagent à croire que sur les points où l’on veut concentrer la surveillance, elle serait moins active, moins efficace que dans certains ports qu’on priverait du bénéfice des arrivages directs.

Déjà M. le ministre des finances, dans son rapport, a fait entrevoir que la plus grande partie de la fraude s’exerçait sur l’Escaut. Aussi, primitivement, avait-on voulu concentrer les arrivages à Ostende. Eh bien, les faits semblent prouver que c’est à Ostende que la surveillance est la moins active. En effet, si nous consultons les chiffres présentés à l’appui du projet de loi du précédent ministre, et qui avaient pour but de faire ressortir l’importance des arrivages à Anvers et à Ostende, afin qu’on eût par conséquent moins de répugnance à priver les autres villes des avantages dont elles jouissaient ; il semble, au premier abord, résulter de ces chiffres, que les arrivages ont diminué sensiblement à Anvers et augmenté à Ostende. Cependant il n’en est rien. Dans les derniers temps les arrivages ont diminué sensiblement à Anvers et augmenté à Ostende. D’après le tableau qui a été joint au projet de loi, Anvers qui, en 1837, avait reçu 13,721,000 kil., n’en a reçu, en 1840, que 8,756,000, et en 1841, que 9,228,000, tandis qu’à Ostende qui, en 1840, ne recevait que 12,217,000, en recevait en 1841 17,706,000.

Vous voyez, messieurs, que les arrivages se portent vers Ostende. Ceci est pour moi une justification du port d’Anvers, un indice qu’on se serait trompé en concentrant les arrivages à Ostende.

Continuant à consulter les faits, je dirai qu’il m’est mathématiquement démontré que les arrivages directs dans les autres villes ne sont pas l’origine de la fraude considérable dont on se plaint. Pour éviter toute équivoque, il faut faire une distinction. Les arrivages de sel dans les villes dont il s’agit maintenant se font de deux manières, par allèges ou par navires de mer.

Les arrivages par allèges peuvent jusqu’à un certain point être considérés comme arrivages directs, parce qu’une nouvelle pesée peut être demandée au lieu de destination. Mais par arrivages directs j’entends uniquement en ce moment les arrivages par navires de mer. Ce sont ceux qui offrent le plus d’intérêt ; car ces navires, arrivant directement aux ports auxquels on veut ravir cet avantage, quittent ensuite ces ports avec des cargaisons d’écorces et de produits divers du pays, et par conséquent offrent un débouché précieux à ces portions de notre territoire. S’il était vrai maintenant que ces arrivages directs donnassent lieu à beaucoup de fraude, le grand avantage qui en résulterait multiplierait beaucoup ces arrivages. Or à Louvain, les arrivages directs par navires de mer sont au plus de 1,2000,000 par an, tandis que les autres arrivages, où l’on emploie l’intermédiaire d’Ostende ou d’Anvers sont de 7 à 8 millions.

Il est pour moi démontré par les faits, que les arrivages directs dans les ports autres que ceux d’Anvers et d’Ostende ne sont en aucune façon la source de fraude plus considérables que les arrivages à Anvers et à Ostende. Dès lors, je ne vois aucun motif, tiré de l’intérêt public, pour dépouiller cinq ports d’un avantage que la législation en vigueur leur accorde, et au lieu de regarder de ce chef la proposition de M. le ministre actuel d’un œil moins favorable que la proposition primitive, c’est cette modification-là qui pourrait motiver mon assentiment. Comme mon opinion est appuyée sur des faits, pour la détruire il faudra commencer par détruire les faits que j’ai cités, que chaque membre peut vérifier.

M. Delehaye. - Je ne me propose de présenter que des observations rentrant dans la discussion générale.

Le dernier orateur que vous avez entendu a appuyé l’opinion que la fraude ne se faisait pas par les ports autres que celui d’Ostende, sur cette considération que les arrivages dans ce port ayant augmenté, la facilité de frauder ailleurs n’était point admissible ; dans ce cas en effet, les arrivages à Ostende, bien loin d’aller en croissant, auraient dû diminuer ; je partage son avis, j’ajouterai que les mesures prescrites par le dernier projet du gouvernement sont telles que désormais la fraude ne sera plus possible, alors même que l’on admettrait comme ports, les localités désignées par le gouvernement, Cependant ces arrivages à Ostende se ressentiront de la grande facilité qu’offre le canal de Terneuzen. Dans la suite c’est à Gand , siège d’une des principales maisons de commerce du pays, que nous verrons arriver le plus grand nombre de navires.

Une autre observation rentrant dans la discussion générale est relative à la hauteur du droit. Dans une précédente séance on a prétendu que le droit n’était pas augmenté. C’est une erreur, dont il est facile de se convaincre. En supprimant les centimes additionnels et en portant le droit à 18 fr., on n’a pas, il est vrai, fait subir au droit une grande augmentation. Mais on a perdu de vue que tout récemment encore on a supprimé une remise de 6 p. c. fondée sur le déchet présumé sur le sel brut. N’est-ce pas là une véritable aggravation de droits ?

Il y a une autre question très importante. Je veux parler d’un genre de commerce pour lequel aucun de vous assurément n’a de sympathie, le commerce interlope. Mais comme, quels que soient vos sentiments de moralité, vous ne parviendrez jamais à détruire ce commerce, je pense qu’il vaut mieux qu’il se fasse à notre profit qu’au profit de l’étranger. Par la hauteur du droit actuel, c’est là le résultat que vous obtenez ; vous détruisez notre commerce interlope.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Nous n’augmentons pas le droit.

M. Delehaye. - Je le sais ; mais je viens d’expliquer que la suppression de la remise de 6 p. c. pour déchet équivaut à une augmentation de droits.

Ensuite on supprime les centimes additionnels, et l’on propose une augmentation de droits équivalente à cette suppression. Mais que résultera-t-il de là ? Que plus tard on vous proposera de frapper de centimes additionnels, de droits qui en sont exempts, on fera valoir que cet impôt est le seul qui n’ait pas de centimes additionnels, et ils seront bientôt rétablis. Cela viendra inévitablement. Je crois même que cela ne tardera guère.

Lorsque M. le ministre des finances m’a interrompu, je croyais qu’il allait faire observer que le commerce interlope n’est pas en cause, puisque les droits sont plus élevés dans les pays voisins. Il est vrai que le droit est plus élevé en France ; mais il est fraudé en grande partie. Il en résultera que le chiffre de 500,000 francs, qui est la prévision de M. le ministre des finances, ne sera pas atteint.

Quant à l’exemption de droits dont jouissent plusieurs industries, je ferai observer que, dans un pays où l’industrie étrangère ne ferait pas concurrence à la nôtre, cette exemption serait sans importance. Il suffirait que toutes les industries fussent sur la même ligne. Mais remarquez que les industries étrangères, dont les produits sont reçus chez vous jouissent de cette exemption. Dès lors, si vous ne l’accordez pas aux industries similaires du pays, vous les mettez dans des conditions défavorables qui leur rendent la concurrence impossible. Je reconnais que cette exemption est un moyen de fraude considérable ; il faudrait donc trouver un autre moyen. Ainsi, l’on pourrait augmenter les droits sur les produits similaires étrangers, ou bien donner une remise sur ces produits. J’appelle sur ce point l’attention de M. le ministre des finances.

Un exemple prouvera jusqu’à quel point l’exemption de droits est un moyen de fraude. Je connais un industriel qui jouissait de l’exemption de droits sur 90,000 kilog. de sel. Dans la ville où est située son usine, il y eut un changement dans le personnel de la douane, il y vint un employé sévère qui exerçait une grande surveillance, Il en résulta que cet industriel n’eut plus l’exemption que pour 3,000 kil., sans qu’il eût diminué sa production. Il y avait donc une fraude de 87,000 kilog. Le trésor gagna le droit sur cette quantité.

Je ne parlerai pas maintenant du droit sur l’eau de mer ; je me réserve de m’en occuper dans la discussion sur les articles. Je me bornerai à répondre à l’honorable M. Rodenbach. Il a dit qu’il y a des usines où l’on évapore l’eau de mer. C’est une véritable fraude aux termes de la loi.

Il paraît que cette fraude a été commise à Tamise. Mais le plus simple employé peut la constater ; l’évaporation ne peut se faire qu’en réduisant la saumure au-dessous de 25 degrés. Rien n’est plus facile à constater. Si la saumure a moins de degrés, c’est qu’il y a eu fraude par l’évaporation de l’eau de mer. L’heure avancée m’engage à borner là mes observations ; j’y reviendrai tors de la discussion sur les articles.

- La chambre sur la proposition de M. Osy, ordonne l’insertion au Moniteur du tableau déposé par M. le ministre des finances.

La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.